Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
La mutation culturelle et digitale des musées
Pr. Dr. François H. Courvoisier
HES-SO//Haute école de gestion Arc
[email protected]
1. Introduction
Autrefois, jusqu’au milieu du 20e siècle environ, le musée ressemblait à une sorte de
« temple des muses » où l’on accédait en montant des marches, en passant entre des
colonnes de type romain ou dorique, et où l’on faisait silence en se recueillant devant les
chefs-d’œuvre. Mais, depuis les années 1970, le musée est en mutation et « un indice de
ce changement est l’abandon progressif du mot « musée » au profit d’équivalents moins
désuets comme « centre », « pôle », « espace » ou encore « monde » » (Debraine, 2016a).
Le sujet de la mutation culturelle et digitale des musées est extrêmement vaste, et ce
chapitre se concentre autour de quelques axes clés qui synthétisent les principaux
changements que nous avons observé dans les musées. Notre point de vue part de notre
environnement d’abord suisse, puis européen, puis fait quelques incursions dans des
institutions muséales plus lointaines. Notre méthodologie s’appuie sur une revue de
littérature scientifique orientée vers les tendances sociétales de la culture, les
changements organisationnels dans les musées et leur digitalisation. De plus, nous avons
consulté divers articles relatifs à ces axes clés publiés dans la presse culturelle
professionnelle ainsi que dans les médias grand public. Finalement, pour compléter ces
sources d’information documentaire, nous avons rencontré et interrogé deux
spécialistes reconnus du domaine muséal, observateurs et acteurs de leurs mutations,
que nous remercions vivement de nous avoir donné leur point de vue pertinent : M.
David Vuillaume, ancien secrétaire de l’Association de musées suisses et actuel directeur
de l’Association allemande des musées, ainsi que M. Michel Etter, fondateur et directeur
de Thematis, entreprise d’ingénierie culturelle.
Dans la section 2 de ce chapitre, nous brossons un rapide arrière plan historique sur le
développement des musées, avant d’aborder dans la section 3 le rôle des musées pour le
développement touristique régional. La section 4 présente quatre tendances clés de la
mutation des musées, précédant la section 5 consacrée au développement
organisationnel et digital des musées. La section 6 évoque d’autres évolutions dans le
secteur muséal, avant que la section 7 conclue cette recherche par des éléments de
discussion.
2. Bref arrière-plan historique
Entre le 19e et le 20e siècles, le changement majeur dans l’évolution des musées est sans
doute la place accordée au public, grâce à l’émergence d’une politique de
démocratisation due à l’apparition de musées publics (Grandjean, 2019). Auparavant, la
mission principale des conservateurs était d’acquérir, de conserver et d’étudier le
patrimoine de collections essentiellement privées (Gob et Drouguet, 2014). Les musées
de ville et les diverses institutions muséales régionales apparaissaient comme des
« outils d’émancipation sociale » (Mairesse, 2000). Malgré la fréquentation croissante
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et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
des musées, l’élaboration des expositions se centrait surtout sur la mise en valeur des
objets de leur propre collection et, globalement, le musée restait un « théâtre d’objets »
(Grandjean, 2019).
Ce n’est qu’après la fin de la seconde guerre mondiale qu’a émergé, en France tout au
moins, une véritable politique de démocratisation de la culture, avec l’ambition de créer
une culture commune aux citoyens et de susciter la cohésion de la population ; la
dimension sociétale du musée est dès lors devenue incontournable (Brunel, 2012) et les
musées ont été amenés à s’adresser à un public toujours plus large. Cette évolution s’est
prolongée par la nouvelle muséologie initiée par Georges-Henri Rivière, qui a développé
une nouvelle composante sociale des musées, complétant la composante patrimoniale.
De nouvelles préoccupations sont apparues, telles que la médiation et les stratégies de
communication pour attirer et séduire le public (Grandjean, 2019) ; cette orientation
visiteurs, devenue pour beaucoup une orientation clients, a été confirmée par la
création, dans les années 1990, de l’association de médiateurs culturels (Vuillaume,
2019).
Une évolution visible et importante des musées est probablement l’augmentation
considérable de leur nombre : il s’est créé dans le monde plus de musées dans les deux
dernières décennies que pendant les 19e et 20e siècles réunis, et il continue à s’en
construire environ 300 par an (Delhaye, 2019), que ce soient des musées créés par des
municipalités pour valoriser leur patrimoine ou par des milliardaires principalement
fans d’art contemporain.
En Europe cependant, les années 1990 de fort développement quantitatif sont
terminées, lors desquelles on a vécu ce qui se passe actuellement en Chine avec un grand
nombre de musées qui s’ouvrent par année (Vuillaume, 2019). De nos jours, les musées
européens doivent pouvoir prouver leur nécessité d’exister, non seulement par le
nombre de leurs visiteurs, mais surtout par leur politique de collection et leur
attractivité pour la ville ou la région où ils se situent.
En Suisse, qui compte plus de 1’100 musées, dont plus de 780 qui font partie de
l’Association des musées suisses, la densité de musées est l’une des plus élevées au
monde par rapport à une population de 8.5 millions d’habitants. Selon l’Association des
musées suisses, le nombre de visiteurs a passé de 10 millions à 22 millions entre 2000 et
2015 (Etter, 2019) et dans les années 2010, les grandes villes suisses ont investi
massivement dans leurs musées, plus de 700 millions d’euros (Buchs, 2010) qu’il
s’agisse de projets d’agrandissement ou de nouveaux pôles muséaux, comme celui de
Lausanne avec le pôle Plateforme 10 ouvert en octobre 2019, qui réunit le Musée
cantonal des Beaux-Arts, le Musée d’Art contemporain (mudac) et le Musée de l’Elysée.
3. Rôle des musées pour le développement régional
Les importants investissements mentionnés ci-dessus s’inscrivent dans un contexte de
concurrence exacerbée entre les villes et les pays, car la comparaison entre les
institutions muséales s’inscrit désormais au niveau international et non plus seulement
national : les musées doivent accroître leur attractivité pour conserver, voire augmenter
le nombre de leurs visiteurs, et, par conséquent, leurs ressources financières : la culture
au sens large est devenue un instrument de promotion économique, qui joue un rôle
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et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
évident puisqu’on peut en attendre un retour sur investissement. L’offre culturelle est
devenue déterminante pour le tourisme urbain, à l’exemple de Bilbao qui a enregistré
depuis l’ouverture du Museo Guggenheim une importante augmentation des nuitées
(Buchs, 2010) ainsi que d’autres retombées économiques positives sur les restaurants et
commerces de la ville. L’offre culturelle est également un facteur d’attraction pour des
villes et pays qui ont au départ peu à offrir dans ce secteur, comme les Émirats arabes
unis.
Outre le cas emblématique et bien connu de Bilbao, un autre exemple intéressant à
mentionner ici est celui de la capitale de l’Irlande du Nord qui mise sur le Titanic Belfast,
à la fois musée et centre d’événements ; ouvert en 2012 à l’occasion des 100 ans du
naufrage du célèbre paquebot, il a pour vocation d’attirer de nombreux touristes et
d’améliorer l’image de Belfast : « ce musée est notre tour Eiffel, notre Guggenheim, c’est
pour nous l’opportunité de changer la façon dont les gens à travers le monde perçoivent
notre ville », affirme Claire Bradshaw, directrice des ventes et du marketing de Titanic
Belfast. Mais le pari est difficile, pour redorer le blason d’une ville meurtrie après le long
conflit armé entre unionistes et républicains (Albert, 2012). L’avenir dira si « l’effet
Bilbao » sera reproduit grâce à ce gigantesque bâtiment de 14'000 mètres carrés
évoquant quatre proues de navire en étoile, de la même hauteur que le Titanic, installé à
l’emplacement exact de la construction du paquebot, et s’il contribuera au
développement touristique de la ville: la première année de son ouverture, il a accueilli
plus de 600'000 visiteurs, et en 2018 plus de 800'000 (Wikipedia, 2019).
Les musées font naturellement partie de l’aménagement urbain, même pour les
personnes qui ne les visitent pas : il est normal qu’une ville veuille s’embellir avec un
musée. En France et en Allemagne, on cultive l’idée qu’un musée est un agent de
développement territorial (Vuillaume, 2019), à l’exemple du Louvre à Lens ou du Centre
Pompidou à Metz.
4. La mutation des musées : identification de quatre tendances clés
Selon notre revue de littérature et les entretiens que nous avons menés avec nos
spécialistes, la récente mutation des musées est d’abord d’ordre postural, puis
architectural, missionnaire et enfin spatial. Ce sont ces quatre mutations que nous
développons dans cette section, avec quelques exemples à l’appui. La mutation digitale,
qui mérite de plus amples développements est présentée dans la section 5.
4.1. La mutation posturale
C’est probablement en France que la posture des musées a le plus changé après les
événements de mai 1968, dans un mouvement appelé la MNES (Muséographie Nouvelle
et Expérimentation Sociale), basée sur les théories de Georges-Henri Rivière. Figure de
proue de cette mutation posturale le Centre Pompidou a été construit à Paris par
l’architecte milanais Renzo Piano ; qualifié de « verrue d’avant garde » (Atmani, 2019),
d’usine à gaz ou de raffinerie de pétrole avec ses escalators, ses grandes baies vitrées,
ses canalisations apparentes et ses passerelles métalliques, le Centre Pompidou a cassé
les codes traditionnels du musée à l’allure de temple grec vers lequel on monte les
marches permettant d’accéder au Savoir. Renzo Piano a amorcé le virage d’un musée à
collections figées vers un centre culturel hétéroclite, révélant au jour ce qui est
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et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
habituellement caché ; par son concept architectural révolutionnaire, Piano a amorcé un
virage sociétal et fortement inspiré l’architecture d’autres musées (Atmani, 2019), tout
en continuant à signer lui-même des constructions muséales audacieuses, comme le
musée de la Fondation Beyeler à Bâle/Riehen, le Centre Paul Klee à Berne ou encore le
Musée d’art du Comté de Los Angeles.
Comme évoqué dans la section 2, c’est certainement la prise en compte des visiteurs, la
démocratisation ou la popularisation des musées avec un propos vulgarisé (Etter, 2019),
qui est la mutation la plus importante dans leur posture. En termes de marketing, on
parle du passage d’une « orientation production » à une « orientation clients ». Même si,
pour de nombreux musées, il y a encore bien du chemin à faire, les muséographes
s’intéressent de plus en plus à l’expérience du client, à sa prise en compte et à son
enrichissement : les musées deviennent des espaces à s’approprier et des producteurs
d’expérience (Bergadaà, 2006). D’abord en France et en Suisse, puis en Allemagne et en
Autriche, on assiste à un changement de paradigme : le « musée conservatoire » devient
une institution de loisir et de divertissement (Vuillaume, 2019). Les responsables
muséaux se rendent compte que les visiteurs veulent surtout venir le dimanche, être
bien accueillis, avoir du plaisir tout en enrichissant leurs connaissances : ceci amène le
musée à offrir un service de A à Z, depuis l’achat du billet d’entrée (de plus en plus
souvent en ligne pour éviter l’attente à la caisse) puis par la signalétique, la facilité
d’accès par les transports publics ou le parking, l’accueil sur place, la muséographie et
les dispositifs de médiation, les aires de repos et de restauration. Le lien avec les acteurs
du tourisme local, de l’hôtellerie, voire même avec les chauffeurs de bus et de taxis, est
important pour distiller des informations pertinentes et positives sur le musée ; il y a
une prise en compte de l’écosystème externe du musée, ce qui est un fait nouveau.
Dans les expositions permanentes ou temporaires, l’expérience du visiteur passe surtout
par les stimulations visuelles, mais il est possible de faire encore beaucoup plus en
jouant avec les couleurs, les sons, les odeurs, les matières afin de créer des sensations,
des réflexions et des émotions. Comme la vie quotidienne est de plus en plus liée à des
objets digitaux, les musées ont l’opportunité de développer de plus en plus
d’expériences corporelles, des ateliers et autres lieux d’événements.
Les modes de diffusion de l’information contenue dans les musées ne se bornent plus à
de l’éducation pure, mais ils évoluent sensiblement vers des types de médiations plus
ludiques inspirés par les parcs à thèmes et soutenus par les nouvelles technologies de
l’information et de la communication. Ce phénomène a été baptisé edutainment (Addis,
2005) ou « éduvertissement » (Balloffet, Courvoisier et Lagier, 2014), avec pour limite le
fait qu’un musée ne doit pas oublier de respecter et de mettre en oeuvre les quatre
missions de l’ICOM1, et ne pas se transformer en parc d’attractions.
Dans cette mutation posturale, on peut intégrer le phénomène de spectacularisation des
expositions qui suit la tendance du marketing expérientiel (Roederer et Filser, 2015).
C’est souvent en collaboration avec des partenaires externes, spécialisés dans les
scénographies spectaculaires et immersives, que les musées développent de telles
expositions permanentes ou temporaires. En Suisse francophone, un acteur important
est la société Thematis, située à Vevey, qui se définit comme « agence d’ingénierie
1
International Council of Museums : https://icom.museum/fr/
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et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
culturelle « conceptrice, créatrice de contenus et designer »2. Parmi ses réalisations
récentes pour des musées, il y a l’Alimentarium (Musée de l’alimentation) à Vevey, le
Laténium (Musée cantonal d’archéologie) à Neuchâtel et le Musée d’histoire naturelle de
la Ville de Genève.
Cette tendance à la spectacularisation des expositions, bien souvent le fait de
promoteurs privés et non de musées publics, se manifeste aussi par des blockbusters, ces
expositions itinérantes sur des sujets très populaires comme la préhistoire (la grotte de
Lascaux), les grandes pages d’histoire (le paquebot Titanic) ou les principales
civilisations antiques (l’Égypte). Par exemple, ce sont près de 5 millions de visiteurs qui
ont vu dans une vingtaine de villes d’Europe d’habiles reproductions d’art égyptien
provenant du tombeau de Toutankhamon dans un grand spectacle culturel itinérant
produit par l’entreprise allemande Semmel Concerts Entertainment GmbH. Même si rien
ne remplace les fragiles originaux peu transportables, et qu’il n’est pas facile
actuellement de faire du tourisme culturel en Égypte, le but de l’exposition est de
divertir, non de tricher (Chardon, 2013) en attendant de pouvoir visiter une réplique du
tombeau de Toutankhamon avec les objets originaux dans le nouveau musée qui sera
construit au Caire à proximité des pyramides. En ce sens, les fac simile itinérants
peuvent être vus sous un angle positif, celui d’intéresser le public à découvrir une fois
les originaux sur place, dans les « vrais musées » à la manière d’une dégustation
d’échantillons avant de pouvoir savourer le produit original.
4.2. La mutation architecturale
Le coup d’envoi de la mutation posturale par la réalisation du Centre Pompidou à Paris
par Renzo Piano est simultanément celui d’une mutation architecturale : il a donné lieu à
d’autres réalisations spectaculaires de la part d’architectes de renom, tels que Frank
Gehry, créateur entre autres du Museo Guggenheim à Bilbao en 1997, du Musée
Guggenheim à Abu Dhabi en 2011 et de la Fondation Vuitton à Paris en 2014. De son
côté, Zaha Hadid a notamment conçu le Centre d’art contemporain Rosenthal à
Cincinatti en 2003, le MAXXI (musée national des arts du XXIe siècle) à Rome en 2010 et
le Riverside Museum à Glasgow en 2001. Jean Nouvel, quant à lui, est le concepteur de la
Fondation Cartier à Paris en 1994, du KKL Palais de la culture et des congrès à Lucerne
en 1999, du Musée du Quai-Branly à Paris en 2006 et du Musée du Louvre à Abu Dhabi
en 2017.
Comme autre exemple récent d’architecture avant-gardiste, il s’est ouvert en avril 2019,
au sein des Hudson Yards à New York un bâtiment inédit : The Shed (le hangar), sorte de
« centre caméléon » mi musée mi salle de spectacles modulaire grâce à un système de
coque coulissante de 3'600 tonnes ; The Shed propose une offre large et originale
débordant les frontières des institutions spécialisées : danse classique, hip hop, théâtre,
littérature, médias digitaux et expositions de sculpture et de peinture, soit une sorte de
« couteau suisse culturel ». Selon le New York Times, il s’agit d’une des plus grandes
contributions au paysage culturel new yorkais depuis des décennies, qui obligera les
autres institutions culturelles à se réinventer (De Graffenried, 2019).
2
Site www.thematis.ch, consulté le 10 septembre 2019
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
Cette mutation architecturale positionne les nouveaux musées, ou ceux bénéficiant
d’extensions, en tant que monuments à admirer autant pour leur « enveloppe » que pour
leur contenu, soit les expositions et les événements. Les musées prestigieux pour leur
architecture comme pour leurs collections deviennent souvent des destinations de
voyages signalées comme incontournables dans les guides touristiques. Par leur
conception comme par la qualité renouvelée de leur contenu, ces musées sont parfois
qualifiés de « superstars » c’est-à-dire un must pour les touristes, en accueillant un
grand nombre de visiteurs, en exposant des collections reconnues ou d’avant-garde, en
bénéficiant d’une architecture exceptionnelle et en ayant un impact significatif sur
l’économie locale (Frey, 1998).
Encadré 1 : Propos d’architectes
« Nous sommes des architectes. Nous voulons créer des espaces où le public puisse se
sentir à l’aise. Qu’il soit invité à regarder, à être intéressé par le bâtiment. La dimension
de la beauté de l’art, mais aussi celle de l’architecture sont importantes ». Pierre de
Meuron, concepteur avec Jacques Herzog de l’extension de la Tate Modern à Londres.
« A partir du Guggenheim de Bilbao, nous avons eu droit à la création de musées
extraordinaires. Cela a correspondu à un moment postindustriel en Europe, avec des
changements économiques radicaux. Les musées créés à cette époque n’étaient pas
conçus pour l’art, mais pour créer un patrimoine et pour attirer des touristes. Ce qui n’a
pas manqué de créer des conflits entre les artistes et les architectes ». Philippe Rahm,
scénographe d’une exposition de la Fondation Luma à Arles.
Source : L’Hebdo, 21 juillet 2016, pp. 56-57.
4.3. La mutation missionnaire
La mutation que nous qualifions de missionnaire concerne un changement de paradigme
dans la mission même des institutions muséales, celle du passage d’un « business de
présentation d’objets » à celle d’un « business de l’information » (Freedman, 2000), en
créant et disséminant de la connaissance et plus seulement en collectant et conservant
des objets. La valeur d’un musée tient moins à la richesse des collections qu’il possède et
expose qu’à la manière dont il diffuse et vulgarise auprès des visiteurs, chercheurs et
autres publics les informations et émotions relatives à ses collections, notamment en
créant et racontant des histoires (Etter, 2019).
Cette mutation missionnaire ne remet pas en cause les piliers fondamentaux de l’ICOM,
c’est-à-dire la collection, la conservation, la recherche la publication, mais plutôt celle de
la délectation et de la médiation. Selon Elisabeth Caillet, qui a travaillé pour la Direction
des musées en France : « les musées mutent encore, même si on a créé des événements
comme la Nuit des musées et exploré à peu près toutes les formes de médiation
possibles ». Elle ajoute que l’on suit à nouveau la piste des guides amateurs, notamment
dans les pays anglo-saxons, car les gens apprennent mieux de leur pairs que d’une
éducation plus formelle (Chardon, 2016). Parmi les avancées actuellement intéressantes
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
figure la médiation participative : le public choisit les objets dont on parle, voire les
amène lui-même et apporte de ce fait sa propre expérience du sujet sous forme de cocréation (Etter, 2019). Cette mutation missionnaire vers le partage du savoir correspond
bien à une orientation client de plus en plus prononcée et visible.
4.4. La mutation spatiale
Cette mutation que nous appelons spatiale est liée au fait que certains musées
deviennent des marques qui s’exportent, comme le Centre Pompidou qui s’est installé
d’abord à Metz, puis à Bruxelles dans un ancien garage Citroën et à Malaga dans un
nouveau bâtiment appelé El Cubo. Ce Centre Pompidou d’art contemporain, ouvert en
2015, décoré par le plasticien français Daniel Buren, a permis d’accueillir plus de
700'000 visiteurs, dont deux tiers de touristes étrangers, de dynamiser cette ville et d’en
faire une référence culturelle sur la carte des musées du monde. Selon son maire
Francisco De la Torre, la ville verse deux millions d’euros par année au Centre Pompidou
pour l’exploitation du musée comme une franchise, mais les retombées économiques et
en termes d’image dépassent largement cette dépense (RTS, 2019).
Dans cette mutation spatiale, nous pouvons bien sûr évoquer le Louvre Abu Dhabi
construit par Jean Nouvel qui a fait beaucoup parler de lui comme un excellent outil de
promotion culturelle pour la France : un musée peut en effet être un symbole de
puissance culturelle pour des pays qui, comme les Émirats arabes unis, n’ont pas de
chefs d’œuvre classiques à mettre dans leurs propres musées. La Chine a bien compris
cet enjeu et elle construit à Shanghai de nombreux nouveaux musées, car cette ville veut
devenir en 2020 le pôle culturel le plus important d’Asie pour s’établir comme une
référence internationale et attirer de nombreux touristes plus d’importantes retombées
financières (RTS, 2019). A Shanghai, en partenariat avec le Centre Pompidou, s’est
ouvert le Yuz Museum, un musée d’art contemporain réalisé dans un ancien aéroport, le
West Bund Art Center. Ce dernier a déjà enregistré plus d’un million de visiteurs en
2018.
Pourtant, cette mutation spatiale sous forme d’essaimage muséal avec des
« succursales » ne semble apparemment possible que pour un nombre restreint
d’institutions qui ont déjà d’importantes collections et une notoriété mondiale.
5. Développement organisationnel et digitalisation
5.1. Les grandes mutations culturelles
Dans les musées comme dans le secteur de la culture au sens large, Benghozi (2011)
identifie « deux principaux chocs » : le premier résulte d’une concurrence frontale des
supports dématérialisés, le CD payant étant remplacé par le téléchargement souvent
gratuit ; le second choc est constitué par un accès payant à des contenus et services
élargis. Cet auteur constate des mutations culturelles selon quatre axes principaux, qui
touchent les musées de près ou de loin:
- Premièrement, le développement d’une hyper-offre culturelle fait éclater l’offre
standard selon le type de contenu, de consommateurs, d’usages, d’esthétique.
- Deuxièmement, la digitalisation des oeuvres démultiplie les possibilités de
stockage, notamment pour les livres et la musique : la recherche, le catalogage et
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
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la transaction en sont facilités et l’accès au marché culturel devient mondial ; les
chaînes de valeur se transforment et de nouveaux entrants apparaissent, par
exemple Netflix dans l’audio-visuel, qui a ringardisé les vidéoclubs grâce au
streaming ; les plateformes de réservation en ligne (pour les musées, les
monuments, les spectacles vivants, etc.) raccourcissent la distance avec
l’institution et l’effort des clients.
Troisièmement, le web 2.0, avec le contenu généré par les utilisateurs, comme les
artistes eux-mêmes, permet plus d’interactions avec le public et porte à sa
connaissance des artistes et institutions moins connus ; les réseaux sociaux
comme YouTube, Facebook et Instagram jouent à cet égard un rôle prépondérant
et génèrent une plus grande porosité entre amateurs et professionnels.
Finalement, les modèles d’affaires se multiplient avec les plateformes
numériques de musique, de livres, d’offres culturelles, gratuites ou payantes,
d’institutions à particuliers ou entre particuliers (Benghozi, 2011).
5.2. Numérisation ou digitalisation de la culture ?
Faut-il parler de numérisation ou de digitalisation de la culture ? Le premier terme est
plus francophone, relatif au codage informatique, et le second est plus anglophone et fait
référence à ce qu’on active avec le doigt. Selon Frédéric Kaplan, professeur à l’EPFL et
responsable de la chaire d’humanités digitales, « le terme « digital » est un terme riche,
polysémique, qui, en plus de désigner les grands transformations de notre époque, est lié à
la culture du doigté, du savoir faire manuel. Le terme « numérique » est à l’inverse pauvre,
disant simplement que tout se traduit en 0 et 1 » (Dessibourg, 2013, p. 18). Suivant
l’argumentation de Kaplan, nous préférons quant à nous utiliser le terme de
digitalisation dans la suite de ce chapitre.
Pour Benghozi (2016), la digitalisation conjugue deux économies différentes : celle de
l’infrastructure relative aux coûts fixes et à la gestion des réseaux et celle de la donnée
(data) et des services qui y sont associés. Le web 2.0 permet que les internautes
deviennent contributeurs potentiels, selon le modèle user generated content, comme
Wikipedia et YouTube. Ces deux économies se retrouvent de plus en plus fréquemment
dans les musées, et nous parlerons plus loin de digitalisation interne pour la mutation
des processus dans les musées, et de digitalisation externe pour les fonctionnalités
touchant les visiteurs et internautes.
Depuis les années 1980, la plupart des musées sont plongés dans un contexte de
concurrence exacerbée et de fortes contraintes budgétaires, du moins pour les
structures publiques. Ils ont donc pris conscience de la nécessiter d’attirer et de fidéliser
un plus grand nombre de visiteurs, ce qui correspond à la première mutation présentée
plus haut : l’orientation clients. Les musées ont dû se sortir d’une posture purement
contemplative pour aller vers plus d’interaction avec leurs visiteurs. Les nouvelles
technologies interactives, comme les guides audio, les bornes interactives, les vitrines
parlantes, etc. dans les projets muséaux marquent un tournant en permettant une
nouvelle forme de relation entre le musée et ses visiteurs (Mencarelli et Pulh, 2012) : la
mutation digitale des musées a donc commencé par la prise en compte de facteurs liés à
leur public.
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
Dès l’avènement de l’internet, les institutions culturelles comme les festivals, les
théâtres et les musées ont commencé à communiquer à travers leur site web, pour
présenter leurs collections digitalisées, ainsi que pour faire la promotion de leurs
activités et faciliter l’achat de billets en ligne. L’arrivée des smartphones, en particulier
depuis le lancement du premier iPhone d’Apple en 2007, a donné le coup d’envoi de
l’apprentissage digital de masse par la manipulation d’un clavier virtuel et l’activation de
fonctions sans touches physiques. Incontestablement, le digital attire un nouveau
public : sociologiquement, un tiers des Français visite des expositions et, avec le digital,
cette proportion double en attirant des personnes qui sinon ne vont jamais voir
d’expositions (Delhaye, 2019).
Dans une précédente recherche, nous avons montré que les nouvelles technologies de
l’information et de la communication, en particulier liées à la digitalisation, ont bien
commencé à investir la sphère culturelle et muséale (Courvoisier, Courvoisier et Jungen,
2010). Selon Gob (2010), L’Exploratorium de San Francisco, créé en 1963 par le
physicien Frank Oppenheimer, marque l’apparition d’une nouvelle relation du musée
avec son public, basée sur l’interactivité : les dispositifs de manipulation proposent au
visiteur d’être désormais acteur de sa découverte, d’agir pour apprendre et d’apprendre
en s’amusant. La digitalisation favorise l’edutainment ou « éduvertissement » du public
(Addis, 2005 ; Balloffet et. al, 2014), comme évoqué dans la mutation posturale des
musées. Mais certains chercheurs s’interrogent à juste titre sur le basculement des
musées dans l’univers du divertissement et de la logique marchande. Jacobi (2017)
affirme qu’on allait autrefois au musée, et aujourd’hui on va voir une exposition : c’est
l’introduction de la dynamique de la communication dans le monde des musées qui a
signifié leur transformation. Désormais, il s’agit de penser le musée comme un média et
la digitalisation prend tout son sens à l’heure ou chaque visiteur actuel ou potentiel
dispose d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone qui permet d’interagir avec
le visiteur et de l’accompagner dans son expérience muséale qui commence avant la
visite et se poursuit au-delà (Etter, 2019).
En 1998, la revue Publics et Musées a consacré un numéro entier à la mutation
numérique des musées intitulé : « public, nouvelles technologies, musée », qui explique à
travers de nombreux exemples les différentes manières dont les musées
communiquaient déjà par internet (Bowen, Bennett et Johnson, 1998). Dans ce même
numéro, Vidal (1998) est une des premières auteurs à parler, en France, de « musée
numérisé », de la visite à la navigation. Une bonne partie de la littérature postérieure, à
propos de l’innovation digitale et la gestion des musées, se focalise sur les applications
digitales dans les expositions ainsi que sur l’expérience virtuelle des visiteurs
(Bertacchini et Morando, 2013).
5.3. Digitalisation interne et organisation des musées
Moins étudié par les chercheurs que son pendant externe, le volet de la digitalisation
interne est celui qui est tourné vers les processus à l’intérieur des musées ainsi que sur
leurs collaborateurs. Dans ces institutions, les professions évoluent : en 2008, on en
comptait une vingtaine et en 2019 une bonne cinquantaine (Vuillaume, 2019) : ces
professions se sont développées autour de nouvelles fonctions, notamment celles de
l’expérience visiteurs, de la digitalisation des collections, de la gestion des réseaux
informatiques, ainsi que de la gestion des bâtiments et des personnels. Tout cela
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
implique des évolutions dans les compétences comme dans la gestion d’équipes
pluridisciplinaires, à l’exemple de l’Alimentarium de Vevey (encadré 2), parmi lesquelles
les spécialistes informatiques doivent développer des applications et entretenir des
réseaux informatiques pour que tous les appareils fonctionnent en permanence ; comme
les technologies évoluent rapidement, elles doivent être fiables et crédibles pour ne pas
décevoir les visiteurs (Etter, 2019).
Encadré 2 : L’Alimentarium est truffé de nouvelles technologies
Situé à Vevey (Suisse), gouverné par un Conseil de Fondation composé de représentants
des autorités, de Nestlé et d’experts indépendants, l’Alimentarium est le premier musée au
monde consacré à l’alimentation. Depuis plus de 30 ans, il présente les multiples facettes de
l’alimentation humaine. Il adopte une approche pluridisciplinaire à la fois culturelle,
historique, scientifique et nutritionnelle. En 2016, son exposition permanente a été
transformée et les installations numériques prennent désormais une place importante. Dans
le secteur Aliment, une expérience immersive attend les visiteurs avec un jardin d’Eden
idyllique reproduit à l’aide d’écrans génts interactifs. En agitant la main devant les animaux
et les plantes, les visiteurs découvrent de manière ludique et accélérée la formation des
denrées. A chaque étape, des bornes et tables tactiles permettent d’approfondir ses
connaissances via des textes, des vidéos et des jeux pédagogiques. L’espace le plus avancé
dans le monde digital est la Game Room qui utilise un système de réalité augmentée qui
permet notamment de découvrir le processus de digestion. Selon Ursula Zeller, directrice de
l’Alimentarium, l’offre numérique ne s’arrête pas là : les gens peuvent accéder en ligne à
énormément d’informations, comme des fiches de savoir, un e-magazine et divers articles
et l’achat de tickets d’entrée.
Sources : www.alimentarium.org et Ducommun A. (2016), L’Alimentarium est truffé de nouvelles
technologies, 20Minutes, 1er juin, p. 17.
La volonté de renforcer et de développer des liens avec le public a contribué à diversifier
les activités muséales : de nouveaux espaces pour diverses manifestations, des services
d’accueil et de restauration, une vente d’objets dans des boutiques, ce qui a entraîné la
création de nouvelles fonctions et l’intervention de divers spécialistes : médiateurs,
animateurs, personnels d’accueil, techniciens, informaticiens (Ballé, 2003).
Les musées ont parfois développé sur le terrain de nouvelles formes organisationnelles
propres à la gestion de projet comme, par exemple, celles du centre Georges-Pompidou.
Cette redéfinition institutionnelle relative aux missions du musée a souvent entraîné
l'émergence d'un nouveau modèle de fonctionnement avec une révision des structures
existantes. De nouveaux professionnels ont été recrutés pour renforcer les équipes en
place. Des fonctions et des services ont été créés. « Néanmoins, malgré l'importance de
ces modifications, les musées n’ont pas fait de l'organisation une priorité. Quasiment à leur
insu, ils sont devenus des organisations complexes » (Ballé, 2003 : 24) et la gestion de
telles équipes pluridisciplinaires demande aussi de nouvelles compétences en gestion
des ressources humaines.
Parmi les activités cachées au public visiteur, la digitalisation de la documentation
scientifique représente un enjeu important pour les musées. Elle permet notamment
d’améliorer la communication, la valorisation des collections, la diffusion des
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
informations et la formation des publics. Cependant, lorsque la technologie informatique
touche à l’organisation de l’institution et à la gestion interne des œuvres, certaines
anciennes pratiques se transforment et semblent ne pas trouver d’équivalent dans
l’environnement digital créé : par exemple, « le besoin de percevoir la matérialité ́ du
document papier est encore très présent dans les institutions chargées de la gestion du
patrimoine, où la contemplation esthétique et l’expérience sensible font partie intégrante
du travail des personnes chargées de produire un savoir sur les œuvres » (Rizza, 2013).
Parmi les importantes possibilités de la digitalisation, la réalité augmentée est souvent
perçue autant comme une opportunité que comme une menace bouleversant les
pratiques muséales (encadré 3).
Encadré 3 : La réalité augmentée au secours des musées
En parcourant les programmes de formation muséale des universités suisses
francophones, on s’aperçoit que les techniques informatiques de valorisation des
collections représentent encore une portion congrue. Selon le Référentiel suisse des
professions muséales, qui fixe les hiérarchies et métiers nécessaires à la bonne
marche des musées, un poste de responsable des systèmes informatiques est bien
prévu et ses missions définies, mais sa place est réservée à des activités subalternes et
logistiques. La méfiance des conservateurs à l’égard des nouvelles technologies de
l’information et tout particulièrement des systèmes de réalité augmentée est souvent
due à une méconnaissance des techniques actuelles et futures plus qu’à une attitude
conservatrice. Dès lors, innover dans le domaine muséal s’avère particulièrement
ardu, même si le marketing et la digitalisation tiennent dorénavant plus de place tant
dans les formations muséales que dans les organigrammes officiels. Les smartphones
et autres tablettes qui nous entourent constituent une formidable opportunité de
dépoussiérer de grands morceaux de patrimoine, surtout pour nos enfants de la
génération des digital natives, nés entre 1980 et 2000 et baignés dans les nouvelles
technologies. Les musées se doivent de leur proposer dès à présent des expériences
technologiques associées aux éléments réels afin de vitaliser leurs collections. Les
conservateurs vont devoir travailler de concert avec des spécialistes informatiques
pour concevoir ensemble de nouvelles expériences muséales et produire une mise en
valeur digitale des collections, selon les typologies de clients-visiteurs et par des
formes de scénarisation attractives.
Source : d’après Babey N. et Termine F. (2013), La réalité augmentée au secours des musées, Revue de
la Chambre économique du Jura bernois, no. 130, p. 51.
La digitalisation entraîne l’apparition de nouveaux métiers liés à l’informatique, parfois
en recrutant du personnel, parfois en délégant ces tâches à des prestataires externes.
Les responsables muséaux se mettent à sous-traiter certaines prestations, comme la
conception et la réalisation d’expositions multimédia à des spécialistes comme Thematis
en Suisse ou Culturespaces en France, une entreprise privée qui gère, au travers de
concessions, treize monuments et musées (Delhaye, 2019). De plus, il existe des projets
« supramuséaux » dont le but est de mettre en valeur le patrimoine, comme le Google Art
Project avec l’exemple du Museo del Prado (encadré 4) et le projet Venice Time Machine,
développé par l’EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne, encadré 5). Grâce à la
digitalisation des œuvres et des archives, ces initiatives scientifiques ont pour but de
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
mettre en lumière et de rendre accessibles des collections entières, voire de s’immerger
dans des bâtiments et des villes à différentes époques.
Encadré 4 : Google Earth et le Prado
Grâce à la technologie de haute résolution, le Musée du Prado à Madrid propose
depuis 2009 de voir sur Google Earth 14 toiles de maîtres comme celles de Goya et
Velazquez avec une précision supérieure à ce que l’on peut discerner à l’œil nu. Plus
on zoome, plus l’image apparaît détaillée, les seules limites étant la résolution des
images et la capacité d’affichage de l’ordinateur ou du smartphone. Plus de 8'200
clichés ont été pris pour ces 14 tableaux avec l’impératif de maintenir des angles de
vue cohérents et une lumière constante. Ensuite, toutes ces images ont été assemblées
comme un puzzle géant pour reformer les tableaux dont on peut désormais admirer à
distance des détails imperceptibles au Prado à cause de la foule, de la distance de
sécurité ou encore de reflets indésirables. En appliquant cette technologie à d’autres
œuvres d’art, celles-ci deviennent accessibles depuis n’importe quel endroit du monde
où il y a du réseau GSM ou wifi. Selon Miguel Zugaza, directeur du Prado, le numérique
ne peut pas remplacer l’œuvre originale, mais grâce à cette résolution prodigieuse, on
peut voir des détails invisibles à l’œil nu.
Source : d’après Bozonnet J.-J. et Girard L. (2009), Des chefs-d’œuvre, au détail près, Le Monde, 18
janvier, p. 3. et RTS (2009), https://www.rts.ch/play/tv/19h30/video/google-earth-permet-devisualiser-dans-les-moindres-details-quatorze-des-plus-grandes-toiles-du-musee-prado-demadrid?id=1500938
Encadré 5 : Venice Time Machine
Nul ne contestera que la cité de Venise est un musée à ciel ouvert, une sorte de
« multiplexe muséal » d’une richesse patrimoniale considérable. Sous la houlette du
professeur Frédéric Kaplan, Venice Time Machine (VTM) est un projet inédit de l’EPFL
(École polytechnique fédérale de Lausanne) et de l’Université Ca’ Foscari de Venise.
Devisé à un milliard d’euros sur plusieurs années, il a pour but de permettre de
plonger virtuellement dans la Cité des Doges à travers les âges, redécouvrir les acteurs
qui la régissaient et de toucher aux détails d’une histoire millénaire. Le projet VTM
simule la forme des bâtiments disparus à la manière d’une exploration Google Street
View en zoomant dans le temps pour reconstituer le contexte précis d’un jour et d’un
lieu. Comment cela est-il possible ? Tout d’abord, en digitalisant et en indexant
stratégiquement les archives qui ne sont pas encore numérisées, puis en extrayant
pour chaque domaine des « grammaires » afin d’extrapoler numériquement le
domaine en question, explique Frédéric Kaplan : « Par exemple, une gravure
représentant une façade vénitienne décrit bien plus que ce bâtiment en particulier, elle
renseigne sur les « grammaires architecturales » utilisées à cette époque. On peut alors
simuler ce qu’auraient été d’autres bâtiments contemporains ». Avec l’aide
d’algorithmes d’intelligence artificielle, l’objectif est d’interconnecter plusieurs
sources d’archives et le big data pour les « faire parler » ensemble, d’ouvrir une
fenêtre sur le passé et de rendre son exploration passionnante. Pour une
démonstration en ligne, le lecteur peut se rendre sur le site https://vtm.epfl.ch.
Source : d’après Dessibourg O. (2013), Venise, machine temporelle, Le Temps, 23 février, p. 17.
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
Pour Vuillaume (2019), les musées doivent se doter d’un meilleur potentiel d’innovation
et de flexibilité de leurs structures (agiles management, en allemand) ; une institution
muséale ne va jamais devenir aussi flexible qu’une start up, mais elle peut en apprendre
certaines choses, comme développer une Digitalität plus qu’une digitalisation des
collections, c’est-à-dire un changement, une adaptation de tous ses processus, pour
autant que cela ait du sens pour sa gestion interne comme pour ses clients-visiteurs.
6. Autres évolutions muséales
Outre les grandes mutations présentées dans les sections précédentes, nous présentons
ci-après des évolutions à notre avis de moindre importance, mais qui jouent néanmoins
un rôle dans la mutation des musées.
6.1. Le musée devient une marque
Parmi les divers aspects de la mutation des musées, nous avons observé une tendance à
changer le nom de certaines institutions ou à le synthétiser sous forme d’acronyme :
MUDAC (pour musée d’art contemporain de Lausanne), MEN (pour musée
d’ethnographie de Neuchâtel) à la suite de leurs « grands frères américains » comme le
MOMA (Museum Of Modern Art) ou le MET (Metropolitan Museum). A Rome, MAXXI est
l’acronyme du Museo nazionale delle arti del XXIe secolo. Est-ce que cette tendance est
due au fait que le terme « musée » a une connotation désuète, chargée du poids des ans
et d’une image sombre et poussiéreuse ? Par exemple, une nouvelle institution, comme
le Musée Chaplin ouvert à Vevey en 2016, a été baptisée « Chaplin’s World ».
Quelle que soit leur désignation, le succès des musées est immense et il s’en crée encore
sur tous les continents, en particulier en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud.
La Chine prévoit notamment la construction de centaines de musées, dont le plus grand
du monde, le nouveau NAMOC (encore un acronyme), soit le National Art Museum Of
China à Pékin, qui sera dessiné par Jean Nouvel (Debraine, 2016b).
Devenir une marque mondiale est rare et c’est un privilège réservé à une petite élite
muséale, comme Pompidou, Guggenheim et Le Louvre, marques très connues et
visibles ; il est possible que deux ou trois autres marques mondiales vont encore
émerger, mais cela devrait rester un phénomène marginal (Vuillaume, 2019). En effet, le
musée a du sens à l’endroit où son patrimoine se situe, même si des œuvres d’art
peuvent être transportées dans d’autres lieux comme cela se fait déjà couramment avec
le prêt ou l’échange de collections.
6.2. Contraintes financières et collaborations externes
Une autre facette de l’évolution muséale est la nécessité de faire face aux difficultés
financières des collectivités publiques, le financement des musées publics étant souvent
remis en cause, surtout si la fréquentation est en baisse ou stagne à un niveau
insuffisant. Le recours au mécénat discret ou au sponsoring visible est parfois volatile et
les contributeurs n’ont pas de moyens illimités : il se pose aussi la question de
l’indépendance scientifique, si le mécène ou le sponsor lie sa contribution financière à
un droit de regard plus ou moins appuyé sur le contenu muséologique de l’institution. Le
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
statut de musée, au sens de la définition de l’ICOM, ne rend pas les « musées
invulnérables » (Descombes, 2013) ; ces institutions doivent pouvoir prouver leur
nécessité d’exister autant par leurs collections que par le nombre de leurs visiteurs et
leur rayonnement scientifique, comme les colloques et les publications. Cela amène
certaines institutions à repenser leur organisation et leur mode de fonctionnement : par
exemple, les six musées cantonaux du canton d’Argovie ont été regroupés en une seule
entité pour mutualiser certains services communs (Etter, 2019) ; leur communication et
la mise sur pied d’expositions ont été centralisées afin de viser un public large et non
plus uniquement une brochette de spécialistes (Descombes, 2013). Une réunion des
entités muséales de la ville de Berne est actuellement en discussion pour trouver des
synergies : ils se présentent déjà à travers d’un site internet commun3.
Par rapport aux expositions de type blockbusters, évoquées dans la section 4.1 et
destinées à un large public en s’appuyant sur un gros budget et des « valeurs
patrimoniales sûres », on peut supposer et craindre qu’une réduction du financement
public des musées va entraîner leurs responsables à rechercher une forme de sécurité et
de « garantie de succès » en proposant des expositions moins risquées ou aventureuses
que celles qui bénéficient d’un financement plus sûr (Tobelem, 2014).
Faut-il que les musées cherchent d’autres sources d’argent que les fonds publics ? Cet
aspect n’est pas très développé en Suisse et surtout pas en Allemagne où l’argent privé
pour les musées a une perception très négative (Vuillaume, 2019). Le mécénat privé
n’existe pratiquement pas dans ce pays et on ressent à Berlin un mouvement gauchiste
très mainstream qui se méfie des entreprises, notamment celles tirant leurs revenus du
pétrole. Cela s’est aussi vu aux USA et également à Genève avec la controverse des fonds
provenant de la société Addax de Jean-Claude Gandur, mécène du Musée d’art et
d’histoire (Vuillaume, 2019).
Les musées souffrent des coûts élevés provenant surtout de l’art moderne et
contemporain, ce qui freine leur volonté d’acquisition et les rend dépendants des
mécènes et philanthropes. De plus, ils sont soumis à la concurrence des galeries et des
collectionneurs privés, ainsi que des grandes biennales, comme celle de Venise ou d’Art
Basel et Art Miami, qui se développent régulièrement (Debraine, 2016b).
La mission même des musées est aujourd’hui discutée : collecter, conserver et exposer
ne suffisent plus : il faut aussi créer du lien social, organiser des événements
rassembleurs, susciter des collaborations inédites et produire des innovations
(Debraine, 2016b), Le musée devient « polymorphe » ou « campus » (Grenier, 2013),
sorte d’incubateur d’idées sur le modèle de l’ArtLab inauguré à l’automne 2016 sur le
campus de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (Debraine, 2016b). Rattaché au
Collège des Humanités de cette école, ArtLab présente des expositions temporaires et de
longue durée qui rapprochent le monde de la Science à celui des Humanités. Il abrite
également un Montreux Jazz Café dans lequel il est possible de consulter les archives
audio-visuelles de ce festival. Le bâtiment est l’œuvre de l'architecte japonais Kengo
Kuma4.
3 https://www.museen-bern.ch
4
https://www.epfl.ch/campus/art-culture/museum-exhibitions/artlab/fr/accueil/
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
6.3 Développement de pôles muséaux
La décision politique de l’Etat de Vaud de redynamiser le quartier de la gare de
Lausanne en créant un pôle muséal d’importance internationale, appelé Plateforme 10,
devrait permettre d’augmenter les retombées économiques à long terme, notamment
par l’augmentation de la fréquentation touristique (Grandjean, 2019) déjà fortement
attirée par le Musée Olympique ouvert en 1993 et rénové en 2013. Cette tendance est
aussi perceptible au niveau international avec l’ouverture de grands complexes
muséaux, comme à Abu Dhabi et bientôt à Shanghai.
Dans le pôle Plateforme 10, qui ouvre ses portes en octobre 2019, ce qui passionne
Chantal Prod’Hom, présidente du Conseil de direction, c’est la proximité de la gare CFF
située sur l’axe Paris-Milan où il y a plus de 200'000 passages par jour : « en étant malin
et en arrivant à proposer à 1% des voyageurs de prendre le train suivant avec de courtes
expériences de visite, ce serait déjà 2'000 personnes par jour sur le site », affirme Mme.
Prod’Hom (Grandjean, 2019).
Regrouper les musées dans des pôles, à condition qu’on le fasse bien, présente un grand
nombre d’avantages : le côté touristique, comme le Museum Quartier de Vienne, qui
constitue un apport positif, avec le côté urbanistique grâce aux bâtiments qui ont des
liens entre eux, par exemple, les boutiques, les cafés et autres lieux de vie. Mais ce qui
manque souvent dans ces pôles muséaux, ce sont les collaborations entre les personnels,
qui sont dans la même « maison », mais ne se parlent pas ou peu. Le côté financier d’un
regroupement peut aussi être intéressant : organiser ensemble l’accueil des visiteurs,
avoir des dépôts communs, mutualiser et gérer des services partagés comme la
sécurité ; l’idéal est de finalement obtenir une qualité commune supérieure à moindre
coût (Vuillaume, 2019).
En Egypte, le Grand musée du Caire, situé à proximité des pyramides, ouvrira
prochainement ses portes pour remplacer l’ancien musée de la place Tarir ; il sera le
musée le plus important du monde consacré à l’égyptologie et exposera notamment la
collection entière du pharaon Toutankhamon découverte dans sa tombe, conservée pour
la plupart dans des réserves. Après son inauguration, l’Egypte espère pouvoir retrouver
les 15 millions de visiteurs par an d’avant la révolution, alors que le pays en accueille
deux fois moins aujourd’hui (RTS, 2019). Implanter un nouveau musée à proximité de
monuments emblématiques est un pari intéressant pour l’Égypte, comme l’a fait la Grèce
avec le Musée de l’Acropole d’Athènes construit en 2009 par l’architecte Bernard
Tschumi au pied de la colline éponyme, et qui a déjà accueilli 14.5 millions de visiteurs
en 10 ans5.
7. Discussion et conclusion
Un projet comme le Google Art Project, qui a pour but de digitaliser les principales
œuvres d’art mondiales pour pouvoir les visualiser sur son ordinateur, sa tablette ou
son smartphone, est indubitablement intéressant, mais il y a encore beaucoup de travail
à faire pour donner une valeur ajoutée à ces objets digitalisés, et pas seulement les
mettre en ligne. Cela ne remplace en aucun cas l’expérience de la visite physique, car les
5
https://www.theacropolismuseum.gr/en/content/annual-report
Source : Courvoisier F.H. (2020), La mutation culturelle et digitale des musées, in Organisations créatives
et culturelles, (dirigé par Baujard C., Lagier J. et Montargot N.), London : ISTE Editions Ltd, pp. 61-82.
images digitalisées sont similaires à la consultation d’un catalogue d’exposition en ligne.
La chose deviendra intéressante quand on pourra faire parler ces objets digitaux, les
mettre en lien avec d’autres éléments dans l’expérience de visite, comme par exemple
l’humeur du moment : au Städel Museum à Frankfurt, on peut faire des liens entre les
objets de leur collection sur la base des couleurs ou de personnages qui ressemblent au
profil du visiteur (Vuillaume, 2019).
L’accès aux images des œuvres digitalisées des musées pose également des questions
liées à l’émergence de nouveaux modèles d’affaires : faut-il laisser cet accès libre et
gratuit pour tous, ou au céder des licences à des éditeurs pour générer des revenus
(Bertacchini et Morando, 2013) ? Et les photos des œuvres d’art prises par les
internautes et publiées en ligne, le plus souvent hors de contrôle des musées, sont-elles
une opportunité de diffuser leurs collections et manifestations ou au contraire une
menace sur le contrôle de l’image-même de ces musées ?
En tout état de cause, l’expérience du visiteur devrait se faire de plus en plus par le corps
et les sens, et pas uniquement par la vue. Le potentiel émotionnel des œuvres d’art est
limité, car une œuvre originale (comme une peinture, une sculpture, une installation)
n’est pas faite pour être reproduite : c’est la limite intrinsèque de la digitalisation des
objets. C’est pourquoi le vrai développement de la digitalisation dans les musées est
quasiment invisible et ne porte pas directement sur les œuvres, comme nous l’avons
présenté ci-dessus, mais sur les processus internes et la médiation, qui ont un impact
sur les fonctions et compétences des collaborateurs et collaboratrices en vue
d’augmenter la qualité de la relation avec le visiteur et l’expérience de ce dernier
(Vuillaume, 2019).
Les avantages de la digitalisation des musées et des institutions culturelles sont
naturellement très intéressants : interactions avec le public avant, pendant et après la
visite, renforcement de l’expérience culturelle éducative et divertissante. Mais les limites
de la digitalisation des musées et des institutions culturelles sont également présentes :
elle nécessite des ressources importantes, de nouvelles compétences du personnel,
notamment l’engagement de spécialistes de l’informatique ou travail en sous-traitance,
des budgets d’équipement et d’entretien, un risque de « fuite en avant technologique »,
et pour le public le risque de le décevoir et de le frustrer en cas de dysfonctionnements.
Notre recherche ne prétend pas être exhaustive, sa principale limite étant que le présent
chapitre ne peut pas couvrir la grande diversité d’institutions muséales, en termes de
taille, de spécificité, de localisation et de mutation. Elle ouvre en revanche des pistes de
recherche plus approfondie, notamment sur le plan des quatre grandes mutations
présentées dans la section 4 ci-dessus, ainsi que sur le plan de la digitalisation vue sous
l’angle du visiteur-client évoquée dans la section 5. En effet, de précédentes recherches
ont montré que le visiteur, déjà quotidiennement sollicité par les écrans, ne souhaite pas
forcément visiter un musée « trop digital », et que l’interaction sociale et l’expérience
vécue sur site est perçue comme tout aussi importante que l’interaction digitale en ligne
ou hors ligne (Steiner et Courvoisier, 2015 ; Jarrier et Bourgeon-Renault, 2019).
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