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Chapitre 4. Le biscuit, l'émail et la peinture

La faïence en France du XIIIe au XIXe siècle

Légende de couverture Moustiers, XVIII e siècle, coll. part. Ce document a été généré automatiquement le 10 février 2022.

ARTEHIS Éditions La faïence en France du XIIIe au XIXe siècle Technique et histoire Jean Rosen DOI : 10.4000/books.artehis.24709 Éditeur : ARTEHIS Éditions Lieu d’édition : Dijon Année d’édition : 2021 Date de mise en ligne : 8 décembre 2021 Collection : Monographies et Actes de colloques EAN électronique : 9782958072605 https://books.openedition.org Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 1995 EAN (Édition imprimée) : 9782877721073 Référence électronique ROSEN, Jean. La faïence en France du XIIIe au XIXe siècle : Technique et histoire. Nouvelle édition [en ligne]. Dijon : ARTEHIS Éditions, 2021 (généré le 10 février 2022). Disponible sur Internet : <http:// books.openedition.org/artehis/24709>. ISBN : 9782958072605. DOI : https://doi.org/10.4000/ books.artehis.24709. Légende de couverture Moustiers, XVIIIe siècle, coll. part. Ce document a été généré automatiquement le 10 février 2022. © ARTEHIS Éditions, 2021 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540 1 EXTRAIT Le mot céramique est issu du grec ancien keramos qui vient probablement, à travers l'idée de mélange d'argile et d'eau, du grec ancien kerannumi, avant de désigner les récipients en terre cuite, puis le quartier des potiers à Athènes, pour être enfin étendu vers la moitié du XIXe siècle à toutes les fabrications à base d'argile cuite. Les argiles naturelles sont d'une grande variété et présentent des compositions chimiques très différentes suivant la roche-mère dont elles proviennent. Par l'érosion géologique, dans un processus qui demande des millions d'années, elles proviennent de la désintégration du feldspath, dont la silice et l'alumine se combinent chimiquement avec l'eau, et contiennent généralement de nombreux autres éléments, parmi lesquels de la potasse, de la magnésie, de la chaux, du fer et du carbone. Elles peuvent être diversement colorées, du rouge brun au blanc le plus pur, et celles qui sont colorées sont les plus répandues. Si l'on y ajoute de l'eau, l'argile devient plus ou moins malléable, liante et plastique. On peut alors lui donner toutes sortes de formes, avant de la cuire pour la durcir et la fixer de manière irréversible. Elle perd alors sa plasticité et son eau, mais gagne en densité, en imperméabilité et en solidité. C'est cette propriété qui a été utilisée depuis des millénaires par les hommes de toutes les civilisations pour confectionner des récipients et des objets de toute sorte. JEAN ROSEN Directeur de recherche émérite CNRS (UMR 6298 ARTEHIS, Dijon). 2 NOTE DE L’ÉDITEUR Cette publication électronique est la seconde édition d’un ouvrage paru en format papier aux Editions Errance en 1995. Le texte et la bibliographie ont été enrichis. 3 SOMMAIRE Note de l’auteur Avant-propos Première partie : Technique de la faïence Avertissement Chapitre 1. Bibliographie critique générale des ouvrages consacrés à la technique Chapitre 2. Céramique et faïence : une histoire de terre Les terres Chapitre 3. La mise en forme Le façonnage Chapitre 4. Le biscuit, l'émail et la peinture Le biscuit L'émail L’émaillage ou trempage La peinture Chapitre 5. La cuisson Les fours L'enfournement Le combustible La cuisson Chapitre 6. Les défauts techniques Chapitre 7. Mise au point concernant la comptabilisation de la production et le prix de vente dans les manufactures de faïence jusqu'au XIXe siècle Conclusion Seconde partie : Histoire de la faïence stannifère en France (XIIIe-XIXesiècle) Préliminaire Chapitre 1. Les origines Chapitre 2. Introduction de la faïence en Europe Les premières faïences françaises : le XIIIe et le XIVe siècle 4 Chapitre 3. La faïence européenne aux XVe et XVIe siècles Les faïences espagnoles à lustre métallique Le XVe siècle Longecourt-en-Plaine : le chaînon manquant La majolique italienne Chapitre 4. Le grand mouvement de renouveau céramique en France au XVI e siècle La faïence de Lyon Le château de Madrid Les « faïences de Henri II » et Bernard Palissy Les faïences « primitives » Chapitre 5. La faïence française au cours de la première moitié du XVII e siècle Nevers, berceau de la faïence française du XVIIe siècle La « vesselle de fayence » Autres établissements français de la même époque Chapitre 6. La faïence française sous Louis XIV L'expansion du dernier tiers du XVIIe siècle Les « édits somptuaires » : les rapports entre noblesse et faïence Chapitre 7. Le XVIIIe siècle, apogée de la faïence française : contexte général et facteurs économiques de son développement Le contexte général : la croissance économique au XVIIIe siècle Les causes du développement de la faïence L’influence du commerce extérieur Les transports et les foires Chapitre 8. Évolution générale de la production jusqu'en 1780 Les créations de la première moitié du siècle Les premières difficultés La reprise jusqu'en 1780 Chapitre 9. Facteurs sociaux du développement de la faïence : mutations sociologiques, nouvelles clientèles et nouvelles céramiques La porcelaine Les conséquences : une nouvelle conception de la faïence La faïence bourgeoise La technique au réverbère dit « petit feu » La faïence utilitaire commune Les faïences culinaires : « terre à feu » et « faïence brune » « Terre d’Angleterre », « terre de pipe » et « faïence fine » Chapitre 10. Entrepreneurs et entreprises Les entrepreneurs Les manufactures Chapitre 11. Le traité « de Vergennes », cause du déclin des faïenciers français ? L'anglophilie Le Traité Les plaintes Le traité « de Vergennes », cause du déclin des faïenciers français ? Chapitre 12. La faïence française pendant la Révolution Situation et plaintes Résistances Conclusion 5 Chapitre 13. Une reprise en demi-teinte (1800-1814) Le contexte économique Situation de la faïence française jusqu'en 1814 Le blocus continental et l'enquête des préfets Chapitre 14. Le dernier acte (1815-1850) Le contexte économique Évolution des faïenceries Causes de la disparition des faïenceries traditionnelles Chapitre 15. À la découverte des productions anciennes... Les pionniers : le musée de Sèvres Les expositions industrielles Le mythe de Bernard Palissy Le goût pour la « curiosité » et les premières publications Les années folles : publications, controverses, collectionneurs, faussaires et copies Chapitre 16. Les nouvelles voies de la recherche Critique et limites de la méthode stylistique comparative Nécessité d’une nouvelle approche L’archéologie de la faïence Les analyses géochimiques en laboratoire Bilan des recherches Conclusion Bibliographies 6 Note de l’auteur 1 La première édition de ce travail, qui a été publiée en 1995 aux éditions Errance, est épuisée depuis un bon nombre d’années, et assez difficile à trouver en dehors des bibliothèques publiques. 2 En 23 ans, si les données de base sur la technique et l’histoire de la faïence stannifère en France du début du XIIIe à la fin du XIXe siècle n’ont pas changé de manière radicale, de nouveaux travaux et de nouvelles publications sont venus apporter d’utiles compléments d’information. C’est la raison pour laquelle il m’a semblé utile de revoir, de remanier et d’enrichir le texte initial en apportant de nouvelles informations et en fournissant une bibliographie complémentaire qui est loin d’être exhaustive. Elle figure ici d’abord sous forme de notes de bas de page, et en complément de la bibliographie initiale qui demeure située en fin de texte. 3 Comme on pourra s’en apercevoir, j’en ai profité pour mentionner un certain nombre de mes travaux, assez largement, en forme de bilan. J’espère que le lecteur voudra bien me le pardonner. 4 Et comme je suis un chercheur public, je me devais de mettre ce travail à la disposition du plus grand nombre en le mettant en ligne. Puisse-t-il contribuer à redonner à la faïence ce regain de popularité dont elle a bien besoin aujourd’hui. 7 Assiette à bord contourné, Ø 23,5 cm, Moustiers, c. 1780, coll. part. 8 Avant-propos « O vous qui travaillez l'argile, et qui m'offrez une récompense, écoutez mes chants ! Minerve, je t'invoque ; parais ici, et prête ta main habile au travail du fourneau ; que les vases qui vont en sortir […] se cuisent au degré de feu convenable, et que, vendus chèrement, ils se débitent en grand nombre dans les marchés et les rues de nos cités ; enfin, qu'ils soient pour vous une source abondante de profits, et pour moi, une occasion nouvelle de vous chanter. » (Histoire d'Hérodote, Paris 1822, trad. M. Miot, t. III, p. 263).« Il n’y a pas de grand art là où il n’y a pas de grand dessein et il n’y en a pas dans un pot. » (Ferdinand Brunetière, Manuel de l’histoire de la littérature française). 1 L'homme prend l'argile dans ses mains, la lave, la façonne, puis la soumet à l'action du feu, et, par la maîtrise de l'air au cours de la cuisson, lui donne son aspect définitif : acte symbolique qui marque l'union des quatre éléments domestiqués et maîtrisés par l'homme, la fabrication de la céramique est souvent considérée comme l'un des premiers gestes fondateurs de la civilisation. Elle est d'ailleurs tout à fait comparable à la confection du pain, autre produit symbolique résultant d'un mélange à la simplicité fondamentale, mais dont la forme finale peut prendre de multiples aspects en fonction de variantes techniques et de données propres à la société qui le façonne. 2 Ainsi, depuis le Néolithique, à chaque stade de l'évolution, différents types de céramique portent le témoignage des sociétés qui les ont produites, et les archéologues qui se penchent sur ces périodes, jusqu'au Moyen Âge, considèrent largement ces artefacts comme un des signes essentiels, et souvent même un repère précieux pour leurs investigations. 3 La faïence stannifère est une céramique particulière, dont la terre cuite, de nature argilocalcaire, est recouverte d'un émail opacifié à l'aide d’oxyde d’étain. Cette technique spécifique, probablement mise au point au nord du Golfe Persique peu avant le IXe siècle de notre ère, ne s'est vraiment développée en Europe qu'au XIII e siècle, sans 9 doute sous l'influence musulmane. Elle semble apparaître en France à Marseille dès cette période, et on en trouve ensuite quelques manifestations sporadiques, dont les plus connues se situent à Avignon au XIVe siècle — sous l'influence de la Papauté — et chez les grands ducs Valois, dans le Berry et en Bourgogne, à la fin de ce même siècle. Mais elle ne s'installe guère en France de manière significative qu'au début du XVIe siècle, sous l'influence directe de la Renaissance italienne. Les XVII e et XVIIIe siècles connaîtront par la suite un développement extraordinaire des manufactures et des productions. Si, depuis lors, elle n'a jamais totalement disparu, on peut toutefois constater que la plupart des fabriques de faïence stannifère traditionnelle ont cessé leur activité aux environs de 1850 : ces dates et ces étapes correspondent presque exactement à l'installation et à l'évolution d'une période historique bien définie, et on peut légitimement considérer la faïence stannifère comme la céramique de l'époque moderne par excellence 1. 4 Jusqu'à présent, on peut déplorer que l'archéologie officielle ne se soit que fort peu intéressée à ces époques, et a fortiori à ces productions. Seuls de rares historiens d'art et quelques auteurs dignes de confiance, depuis à peine plus d'une centaine d'années, ont bien voulu se soucier d'étudier les plus beaux spécimens conservés de ces objets qui ornent les vitrines des musées et des collections privées. Encore trop souvent, l'étude des productions de faïence du XVIe au XIX e siècle n'a guère dépassé le stade des recherches d'érudits locaux ou d'amateurs — études superficielles de quelques objets sporadiques et exceptionnels, auxquelles le lyrisme, le régionalisme, voire éventuellement les intérêts du commerce tiennent parfois lieu de problématique. Dans ce domaine, les recherches approfondies effectuées ces dernières décennies restent encore trop rares. Globalement, on peut déceler aujourd'hui trois sortes d'attitudes envers la faïence, qui correspondent à trois types d'approche bien distincts. 5 Tout d'abord, dans la perspective des arts décoratifs, et selon une conception largement héritée de l'amateurisme élitiste du dernier tiers du XIX e siècle, on continue aujourd'hui à ne s'intéresser qu'aux « beaux objets », en les considérant comme des œuvres d'artistes inspirés par les créations des domaines plus nobles de la peinture et de la sculpture : ces préoccupations d'ordre esthétique relèvent de l'étude des arts mineurs — c’est-à-dire, suivant l'acception du siècle précédent, non pas dénués d'intérêt, mais subordonnés à d'autres — et considèrent la faïence, au mieux, comme une branche de l'histoire de l'art. Si cette démarche est primordiale, elle est aussi extrêmement réductrice, et ne rend compte de la faïence ni dans sa spécificité, ni dans sa totalité. D'autre part, d'un point de vue plus utilitariste et plus scientifique, et suivant une approche encore très récente, qui reflète les préoccupations de l'« archéologie industrielle », on voit aussi dans l'étude de la faïence un témoignage des technologies du passé et de l'évolution des structures de production, voire, dans une perspective ethnologique, une source de renseignements sur la vie quotidienne des siècles précédents. Si cette deuxième conception est plus nouvelle et plus directement utile, elle ne prend pas suffisamment en compte la relation évidente que la faïence entretient avec les images, ni sa dimension esthétique. 6 Enfin, abandonnés à eux-mêmes, de nombreux amateurs n'ont accès ni aux considérations raffinées qu'autorise la fréquentation des collections prestigieuses, ni aux savantes et parfois arides conclusions issues des fouilles archéologiques. Ils aiment à croire que les quelques faïences qu'ils possèdent sont le fruit d'une fabrication artisanale effectuée par des ouvriers qui avaient — selon la formule consacrée — un 10 sens naturel du beau et du travail bien fait qui s'est perdu aujourd'hui, et sont l'expression personnelle de véritables artistes dont la fantaisie créatrice se trouve illustrée dans ces productions. Nombre d'auteurs occasionnels, de commerçants complaisants, et de magazines de vulgarisation et de décoration se chargent de propager ces légendes, dans lesquelles la faïence est la seule à ne pas trouver son compte. 7 Si la vision de la faïence, aussi bien que la conception de son étude qui sont exposées ici procèdent des deux premières approches, et s'insurgent violemment contre la troisième, elles ne correspondent à aucune d'entre elles en particulier. Paul Valéry écrivait : « Regardez bien tous ces objets dans le Musée, et songez à présent aux étonnantes quantités de pareils objets qui furent nécessairement en usage ; songez aux millions d'assiettes, de plats et de tasses qui durent être faits et utilisés pendant la période ici représentée ; songez alors à l'action, sur ce nombre immense de pièces, de toutes les causes imaginables de destruction, aux tonnes de tessons, aux montagnes de débris qui sont le complément de ce qui subsiste » (La vie française illustrée par la céramique, 1934, p. 277). En fait, le véritable bénéfice que peut apporter une étude exhaustive de la faïence stannifère, considérée comme la céramique privilégiée de l'époque moderne, ne saurait trouver son aboutissement ni dans la contemplation assidue de quelques objets accumulables sauvés de l'oubli par les hasards de leur conservation, ni dans la mise au jour édifiante de quelques vestiges archéologiques, mais bien plutôt dans l'exploration systématique de ce témoin spécifique et irremplaçable dont, à mon sens, la plupart des études classiques ne rendent pas compte de manière assez satisfaisante. Il n'est pas concevable que l'on puisse avoir deux attitudes différentes envers la céramique antique ou médiévale d'une part, et celle de l'époque moderne d'autre part. 8 Le but de cette démarche est la mise en œuvre d'une approche adéquate concernant ce type de productions, la mise en forme du maximum de données fiables concernant aussi bien les techniques de fabrication, l'histoire des hommes et des structures de production, que celle de tous les objets qu'ils ont fabriqués, sans exclusive et sans jugement de valeur a priori. Refusant de choisir entre l'archéologie et l'histoire des arts décoratifs, et prenant soin de ne privilégier aucun aspect des choses, il s'agit de constituer un ensemble homogène d'éléments positifs, où les sources archivistiques, l'archéologie, et toutes les méthodes d'investigation disponibles sont considérées comme un moyen de connaître les techniques, l'histoire, l'économie et les productions, mais peuvent aussi bien, éventuellement, être mises au service de l'étude des arts décoratifs, ou de l'histoire du goût. Pour résumer ce propos, il s'agit plus d'étudier la faïence comme n'importe quelle autre céramique, que les faïences décorées conservées, qui n'en sont qu'une partie infime. 9 La tentation (la nécessité ?) de découvrir une signification plus dense que celle qu'on accorde généralement à ces objets apparaît ainsi comme une évidence. Dans cette perspective, ce projet d'étude entend essentiellement envisager la faïence comme un support privilégié conduisant à une investigation plus profonde sur notre proche passé, la tentative de porter un regard singulier sur l'époque moderne. L’étude des aspects techniques de la fabrication de la faïence, et la tentative de retracer l’histoire de son évolution — préalables indispensables à cette approche globale — constituent la matière du travail qui suit. Une fois ce cadre bien établi, peut-être pourrait-on 11 envisager l’étude spécifique des productions qui s’y inscrivent naturellement, au rythme de l’histoire des échanges culturels, des styles et du goût… Une manufacture de faïence au XVIIIe siècle (L’encyclopédie de Diderot & d’Alembert). NOTES 1. Traditionnellement, on considère que l'époque moderne commence avec la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, en 1492, et se termine avec la Révolution française, en 1789. Nous aurions tendance, en ce qui concerne la faïence, à considérer que les signes avant-coureurs de cette période apparaissent au XIII e siècle, et qu'elle ne se termine vraiment que vers 1850, avec l'installation quasi définitive de la société industrielle. 12 Première partie : Technique de la faïence 13 Avertissement « Je te donne terre, je te donne tour, je te donne esmail, je te donne couleurs, et trez tous engins à faire des vases ; je te baille coubverte, je te baille bon feu, bon bois, poinct ne feras-tu rien que chouse de petit entendement et de nulle gloyre et nul triomphe, si tu n'as talent requis. » (Picolpasso, I tre libri dell'arte del Vasaio, CastelDurante, 1557, trad. de Claudius Popelyn, Les troys libvres de l'art du potier, Paris, 1860). Les 4 étapes de la fabrication : 1 biscuit, 2 émaillage en cru et poncis, 3 peinture, 4 cuisson. 14 1 « Les techniques, causes évidentes de tous les perfectionnements humains, furent longtemps tenues à l’écart de l’étude de l’antiquité. La recherche du passé omit souvent de considérer, à leur juste valeur, les procédés simples ou complexes permettant d’atteindre les résultats matériels exigés par la peur ou l’espoir des hommes. Art et science furent même confondus au détriment de la technologie. Pourtant, qu’aurait pu réaliser l’artiste céramiste sans la maîtrise du feu et l’adaptation des fours aux lois naturelles » (Coudamy, 1987). Cette citation critique d’un praticien reconnu nous entraîne directement au cœur d’une question cruciale : négliger la technique, pour réduire la faïence à l'appréciation strictement esthétique – fût-elle très cultivée – de quelques objets décorés, est encore une attitude courante, dont on peut tenter d'expliquer l'origine. En France, l'appréciation des productions anciennes, au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, a d'abord été le fait de gens cultivés. Or, il était alors de tradition, dans notre pays – et, de nos jours, c'est une attitude encore très répandue –, que les arts libéraux dédaignassent les arts mécaniques, pour employer les expressions de l'époque. Alors même que la technique, connaissant une évolution sans précédent, allait marquer de son empreinte tout notre siècle, elle ne trouvait grâce aux yeux des élites des arts libéraux que si elle avançait masquée sous les artifices de l'art. On connaît l'accueil réservé à la Tour Eiffel lors de sa construction. « Admirerions-nous autant les talents d'ingénieur de Léonard de Vinci et les inventions contenues dans ses Carnets s'il n'avait pas, d'abord, peint La Joconde ? » (Gimpel, 1975). 2 Beaucoup considèrent non sans raison que la faïence est affaire, sinon d'amateurs, du moins d'habitués. Mis en présence d'une pièce décorée courante, le néophyte reste, en quelque sorte, à l'extérieur, comme étranger à l'objet. L'amateur, lui, est inconsciemment frappé, voire séduit, par le charme de l'ensemble, du résultat, considéré en tant que faïence. Mais bien peu savent réellement ce dont il s'agit. Il apparaît aujourd'hui indéniable que cette approche par le biais de la technique, cette vue de l'intérieur, en quelque sorte, est irremplaçable pour évaluer et apprécier tout aussi bien l'ensemble d'une production que les exemplaires particuliers qui en sont arrivés jusqu'à nous. En effet, si l'on veut apprécier pleinement ces objets, et véritablement les comprendre, il est indispensable de savoir qu'ils sont avant tout le résultat de contraintes physico-chimiques et techniques extrêmement complexes, et qu'il ne s'agit pas simplement de peinture. D'où l'importance de tous les paramètres techniques, le rôle des ouvriers spécialisés, l'incroyable somme de connaissances le plus souvent empiriques qui ont été nécessaires pour atteindre ce résultat. 3 Dans les paragraphes qui vont suivre, mon propos n'est pas de faire un ouvrage définitif sur les techniques employées dans la fabrication de la faïence stannifère, loin s'en faut. Je suis bien conscient que de nombreux points n’auront pas été abordés, ou l’auront été d’une manière trop sommaire qui pourra passer pour caricaturale aux yeux de certains lecteurs. Je voudrais simplement, sans trop rentrer dans les détails, mais en m'appuyant sur des documents dignes de confiance – dont les résultats archéologiques observés sur des sites historiques de production forment une part non négligeable – donner quelques points de repère essentiels qui permettront de mieux comprendre ce qu'est la faïence, les problèmes qui se posent au cours de la chaîne de fabrication, comment ils sont résolus, et les incidences que peuvent avoir ces questions techniques sur le résultat final, tant sur le plan esthétique qu'économique. 15 Chapitre 1. Bibliographie critique générale des ouvrages consacrés à la technique 1 En raison des problèmes qu'elle pose à ceux qui la fabriquent, la céramique en général, bien plus encore que la faïence qui n'en est qu'une variété, a fait l'objet de multiples publications consacrées à la technique. En 1881, la Bibliographie Céramique de Champfleury en recensait déjà un nombre impressionnant. Cet ouvrage fort complet mais très ancien a d'ailleurs fait l'objet d'une réédition intégrale américano-allemande pour le centenaire de sa publication, en 1981. Lors du Congrès mondial de céramique de Florence, en été 1994, on ne comptait pas moins de six symposiums différents, et 1 800 interventions, dont la publication des actes comporte sept tomes. Certains de ces ouvrages, extrêmement savants, ne sont accessibles qu'aux initiés, et l'état de la recherche dans le domaine des applications industrielles de la céramique, tout autant que l'importance économique de son commerce à l'échelle mondiale, montrent à l'évidence que ce matériau est plus que jamais d'actualité. 2 On peut diviser ces informations en deux catégories bien distinctes : tout d'abord les sources contemporaines de la fabrication de la faïence stannifère, du XVI e au milieu du XIXe siècle, et ensuite les publications qui ont accompagné le renouveau d'intérêt pour les productions anciennes, après 1860. On s'apercevra, à y regarder de plus près, que si les auteurs qui ont écrit sur la technique de la faïence sont fort nombreux, beaucoup d'entre eux ont emprunté ces données à des sources identiques. La sélection de titres que l'on trouvera ci-dessous est loin d'être définitive, et forcément arbitraire, donc discutable. 3 L'une des plus anciennes sources de documentation connues sur le sujet est le célèbre traité d'Abou'l Qâsim, dont le manuscrit de 1301, d'abord édité en persan en 1966, a été traduit en anglais par Allan en 1973. Plus près de nous, il ne serait guère pensable de parler d'écrits consacrés à la terre émaillée sans mentionner ceux de Bernard Palissy, dont les œuvres complètes ont été réimprimées plusieurs fois, en 1636 et 1777, avant d’être publiées en 1844, pour connaître la gloire que l’on sait au XIX e siècle. Toutefois, on ne peut guère considérer son De l'Art de la terre, de son utilité, des émaux et du feu…, dixième traité des Discours admirables parus en 1580, comme une source véritablement 16 intéressante à ce titre, car le célèbre céramiste n'aborde que fort peu les aspects techniques de son travail, et revendique lui-même d'avoir « porté son secret dans la fosse ». Alexandre Brongniart le lui reproche d'ailleurs vivement, et déclare : « il est assez long, et pourtant, il ne nous apprend rien » (Brongniart, 1877, p. 62). 4 Antérieur de quelques décennies, De la pirotechnica de Vanoccio Biringuccio, publié à Venise en 1540, avait déjà commencé à aborder ce sujet ; mais le fameux I tre libri dell'arte del Vasaio, du Cavaliere Cipriano Picolpasso, publié à Castel-Durante en 1557, peut être considéré comme le premier vrai traité sur la faïence. Le manuscrit original, qui se trouve aujourd'hui à la bibliothèque du South Kensington Museum, a d'abord été traduit en « vieux français » par Claudius Popelyn, sous le titre Les troys libvres de l'art du potier en 1860, puis en anglais par Bernard Rackham en 1934, et plus récemment en français moderne1. Son sous-titre, « qui traite non seulement de la pratique, mais également brièvement de tous les secrets de cet art, sujet qui n'a jamais été révélé jusqu'à ce jour », est tout à fait révélateur de son intérêt. Picolpasso était lui-même céramiste, et la lecture de son traité, tout comme les nombreuses illustrations qu'il contient, nous renseignent sur la plupart des divers procédés de fabrication de la faïence italienne de la Renaissance, connue sous le nom de majolique. 5 En France, alors que le XVIIe siècle a produit une faïence particulièrement remarquable, il semble que nous n'ayons conservé que fort peu d'archives concernant certains aspects de la technique à cette époque, comme par exemple les notes anonymes relatives à l'installation de la faïencerie de Fenay, près de Dijon, en 1664 (Rosen, 1987). Les manufactures étaient alors peu nombreuses, et peut-être les procédés de fabrication restaient-ils entourés de secret. À ma connaissance, nous ne disposons pas de traité complet sur la question pour cette période, ce qui n'exclut pas que l'on puisse en découvrir un jour. 6 Le XVIIIe siècle a été plus généreux, et les archives sont assez riches en renseignements techniques. Nous avons souvent conservé les carnets des manufactures, comme celle d'Aprey, de Moustiers ou de Meillonnas, ainsi que de nombreuses recettes d'émaux et de couleurs. On peut également citer des documents moins connus, comme le Traité des couleurs pour la peinture en émail…, de Didier d'Arclais de Montamy, (1765), L'art du potier de terre, par Duhamel du Monceau (1773), ou les Réflexions sur l'art de la terre cuite, de Léonard Râcle, écrit circa 1790. Mais l'une des sources les plus connues et les plus fréquemment citées reste l'article « Fayancerie » de l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers, de Diderot et d'Alembert, publiée à Paris de 1751 à 1780, récemment rééditée en fac-similé par articles, sous le titre L'Encyclopédie, Diderot et d'Alembert / Arts de la céramique / Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts mécaniques, avec leur explication2. Si, pour l'essentiel, l'organisation des bâtiments, les diverses opérations, l'outillage et quelques productions sont décrits correctement, l'ensemble reste très théorique et forcément simplificateur. Il est évident qu'il s'agit là, comme souvent, de données fort générales, collectées puis retransmises par des non-spécialistes, l'essentiel étant de donner une idée de la question traitée, de fournir des éléments permettant une appréciation moyenne, ce qui, d'ailleurs, correspond bien encore aujourd'hui au contenu de nos encyclopédies. Il est par définition fort rare de trouver, pour ces époques, un traité rédigé directement par un praticien. 7 C'est la raison pour laquelle le célèbre manuscrit de Pierre-Paul Caussy sur L'art de la faïence, daté de 1747, dont l’historique, la description et le sommaire détaillé en avaient 17 déjà été publiés en 1990 (Vaudour, 1990, p. 12-16), constitue probablement la source la plus importante de renseignements pour cette période. Son titre exact est L'art de la fayence par Caussy, où lon apprend a fairre touttes sortes de couleurs sur les terres, a peindre et coucher touttes sortes de couleurs sur lemail de fayence, a fairre la porcelaine, et terre dangleterre, a faire des pierreries fausse, et generellement tout cequy concerne lart de la fayence (sic). Connu depuis le XIXe siècle, il comprend près de 400 pages, et de nombreuses planches. Ce précieux manuscrit a fort heureusement été publié intégralement par un descendant des manufacturiers de Quimper depuis la première édition de ce livre en 19953. 8 Plus intéressante encore est l'œuvre considérable accomplie par Alexandre Brongniart, né en 1770, ingénieur en chef au corps des mines, professeur de minéralogie au Muséum d'Histoire naturelle, qui dirigea la manufacture de Sèvres de 1800 à 1847, date de sa mort. À la fois scientifique, technicien, praticien et administrateur, armé d'une solide formation de minéralogiste et de botaniste, il peut être considéré comme le véritable fondateur de la céramologie moderne. 9 Entre 1805 et 1812, il décida de lancer une enquête « en vue de l'établissement à Sèvres d'une collection d'argiles, de matières à poterie et de poteries », plus connue sous le nom d'« Enquête des Préfets », qui constitue aujourd'hui une source de renseignements de premier ordre, dans la mesure où les quelques réponses fournies donnent de nombreux détails aussi bien sur les approvisionnements en argile, les mélanges, les opérations de fabrication, que sur les productions issues des manufactures, ou les débouchés commerciaux. Les archives départementales ont conservé des copies de ces documents, qui sont réunis au musée national de Sèvres-Cité de la céramique. Si ces réponses ont pu être publiées séparément (Vaudour, 1984/1 et /2 p. 114-128, et p. 79-94 ; Aubagne, 1993 (Dubus), p. 110 ; et Rosen, 1993, p. 219-220), l’ensemble a heureusement pu être publié en 1999, après l’édition originale du livre en 1995 4. Dans la foulée de l'impulsion donnée par les efforts de Brongniart après l'« Enquête des préfets », on peut signaler L'art de fabriquer la faïence blanche recouverte d'un émail opaque, de Bastenaire-Daudenart, paru en 1828, suivi de près par L'art de fabriquer la faïence blanche recouverte d'un émail transparent, en 1830, ouvrages souvent cités par les auteurs de la fin du XIXe siècle. 10 Mais la contribution essentielle de Brongniart à la connaissance et à la diffusion de la technique céramique reste son Traité des Arts Céramiques ou des Poteries considérées dans leur Histoire, leur Pratique et leur Théorie, en trois tomes, dont la première édition date de 1844. La troisième édition, celle de 1877, avec les notes et additions d'Alphonse Salvetat, « chef des travaux chimiques à la manufacture nationale de Sèvres » pendant trente ans, a été rééditée pour le centenaire de sa publication, en 1977 (Brongniart, 1877). 11 Dans la mesure où Brongniart était à la fois un scientifique et un praticien, dont la carrière couvre la fin du XVIIIe et la première moitié du XIXe siècle, son témoignage est particulièrement précieux, et son livre reste encore aujourd'hui l'un des meilleurs traités de technique céramique pour l'étude des productions anciennes, et l'un des plus complets, même si la faïence stannifère, en perte de vitesse à l'époque, n'y occupe qu'une place restreinte par rapport à la porcelaine, par exemple. Sa classification des poteries en trois catégories et neuf ordres demeure encore largement utilisée aujourd'hui. S'il en existe une autre, élaborée par A. Jourdain pour la Confédération des Industries Céramiques de France, elle est plus complexe, et répond davantage aux 18 impératifs de l'industrie céramique, mais elle n'est aucunement en contradiction avec celle de Brongniart. Il est le seul auteur qui se soit intéressé également à toutes les sortes de céramique, même les plus communes, et ait réuni dans le même ouvrage leur étude technique et historique, sans distinction d'importance, et sans jugement de valeur a priori. Les paragraphes qui suivent s'inspirent largement de cet ouvrage fondamental, auquel on pourra se reporter pour avoir de plus amples informations. 12 Après 1860, la redécouverte des productions anciennes et les premières études de quelques manufactures par les « érudits locaux » entraînèrent une foule de publications de qualité fort diverse, jusqu'à la veille de la première guerre mondiale. Parmi celles-ci, on peut recommander la lecture de La Faïence, par Théodore Deck, céramiste éminent, paru en 1887, et dont la dernière phrase du « Discours préliminaire » résume bien l'esprit : « Je le répète, je suis un praticien, et mon but essentiel est de faire connaître aux autres ce que l'expérience de chaque jour m'a appris ». 13 Parmi les innombrables autres publications de l'époque, dont on peut consulter la liste dans la Bibliographie céramique de Champfleury (1881), on trouve d'un côté des travaux historiques, très connus alors, mais qui sont presque entièrement dépassés aujourd'hui, dans lesquelles la partie technique est, sinon absente, du moins réduite à des généralités. Dans cette catégorie, on peut citer Les Merveilles de la céramique, en 3 volumes, par Jacquemart (1866-1869), et l’Histoire générale de la faïence ancienne française et étrangère de Ris-Paquot, parue en 1874-1876. D'un autre côté, on a des ouvrages, au contraire, uniquement techniques, qui relèvent davantage de la physique et de la chimie, comme La fabrication des émaux et l'émaillage, par Paul Randau et Emile Campagne, paru en 1905, ou les manuels de techniciens destinés à d'autres pratiquants, comme les deux ouvrages très connus de Daniel Rhodes, Terres et glaçures, (Paris, 1984, trad. de Clay and glazes for the potter, New-York, 1957) et La poterie et les fours (Paris, 1976). En troisième lieu, les monographies sur certains centres de production peuvent contenir de précieux témoignages sur la fabrication : c'est le cas, entre autres, d’Histoire de la faïence de Rouen, d'André Pottier, (Rouen, 1870, réédité à Caen, 1986, ch. VII), ou de La faïence, les faïenciers et les émailleurs de Nevers, par Louis du Broc de Segange (Nevers, 1863, ch. 2 et 3). 14 Parmi les écrits plus récents, on consultera avec profit les notes que Gabriel Montagnon, fils d'Antoine et faïencier à Nevers au début de ce siècle (1899-1937), a rassemblées durant de nombreuses années, jusque vers 1953. Ces notes n'ont été publiées qu'en 19875, mais elles sont particulièrement vivantes, et la technique de fabrication de la faïence à Nevers y est expliquée avec un enthousiasme et une clarté remarquables. Il en va de même de Faïences de Charolles et sa manufacture d'hier et d'aujourd'hui, par Georges et Jacques Molin (1987), qui donne des renseignements précis, des détails très techniques et des illustrations fort utiles. La même année a paru Le feu, les fours, la porcelaine, de Jacques Coudamy, qui contient en outre une réflexion intéressante sur tous ces problèmes. D’autre part, l'Essai de bibliographie de l'Institut de céramique français, (3 vol., Paris, 1932), constitue un bon complément de la bibliographie de Champfleury, et recense un grand nombre d’ouvrages sur la technique de la faïence. Le céramiste van Lith a publié un Dictionnaire encyclopédique de la céramique6 fruit d’une vingtaine d’années de recherches, sur les techniques céramiques du monde entier, et la terminologie employée dans ce domaine. On retiendra surtout de cette énumération que les meilleurs auteurs ont souvent été des praticiens, et que la 19 passion du métier donne aux explications une saveur et une vie qui rendent plus digestes ces notions parfois arides, mais toujours indispensables. Plus près de nous, en 2007, Marino Maggetti a consacré un excellent article à cette question 7. Pour terminer cette énumération encore imparfaite, on pourra enfin se reporter à deux de mes publications qui traitent largement de ces questions avec l’apport de l’archéologie, à propos des manufactures de Meillonnas et de Nevers8. NOTES 1. Lhôte J.-M. (dir.), Sfeir-Fakhri L. et Rosen J., « I tre libri dell’arte del vasaio (les trois livres de l’art du potier) par Piccolpasso (1557) », texte original en fac-similé, notes et traduction en français, Vendin-le-Vieil, éd. La Revue de la céramique et du verre, 2007. 2. Les références aux planches de l'Encyclopédie mentionnées ici sont celles de cette édition. 3. De la Hubaudière C. et Soudée-Lacombe C., L'art de la faïence des Caussy, éd. Lilou, 2007. 4. Dubus M. et Pannequin B., La céramique française sous l’Empire à travers l’Enquête des Préfets, 1805-1810, éd. RMN, Paris, 1999. 5. Montagnon G., Histoire des fayenciers de Nevers et de leurs fabriques de 1585 à nos jours, Ed. Maison de la Culture de Nevers et de la Nièvre, Nevers, 1987. 6. Van Lith J.-P., Dictionnaire encyclopédique de la céramique, éd. de l’Amateur, Paris, 2000. 7. Maggetti M., « Technique de la faïence française (fin XVII e/début XIXe siècle) », in La faïence de Fribourg (1753-1844), éd. Faton, Dijon, 2007, p. 14-31. 8. Rosen J., La Manufacture de Meillonnas (Ain). Étude d'une fabrique de céramique régionale (1760-1870), éd. M. Mergoil, Montagnac, 2000, et Rosen J., La faïence de Nevers, 1585-1900 : Histoires et techniques, t. I, éd. Faton, Dijon, 2009. 20 Chapitre 2. Céramique et faïence : une histoire de terre 1 Le mot céramique est issu du grec ancien keramos qui vient probablement, à travers l'idée de mélange d'argile et d'eau, du grec ancien kerannumi, avant de désigner les récipients en terre cuite, puis le quartier des potiers à Athènes, pour être enfin étendu vers la moitié du XIXe siècle à toutes les fabrications à base d'argile cuite. Les argiles naturelles sont d'une grande variété et présentent des compositions chimiques très différentes suivant la roche-mère dont elles proviennent. Par l'érosion géologique, dans un processus qui demande des millions d'années, elles proviennent de la désintégration du feldspath, dont la silice et l'alumine se combinent chimiquement avec l'eau, et contiennent généralement de nombreux autres éléments, parmi lesquels de la potasse, de la magnésie, de la chaux, du fer et du carbone. Elles peuvent être diversement colorées, du rouge brun au blanc le plus pur, et celles qui sont colorées sont les plus répandues. Si l'on y ajoute de l'eau, l'argile devient plus ou moins malléable, liante et plastique. On peut alors lui donner toutes sortes de formes, avant de la cuire pour la durcir et la fixer de manière irréversible. Elle perd alors sa plasticité et son eau, mais gagne en densité, en imperméabilité et en solidité. C'est cette propriété qui a été utilisée depuis des millénaires par les hommes de toutes les civilisations pour confectionner des récipients et des objets de toute sorte. 2 La faïence n'est qu'une des nombreuses variétés de cette vaste famille. De manière simpliste, on pourrait résumer la céramique à un principe général : suivant la température à laquelle on la cuit, de quelques dizaines de degrés jusqu'à 1 710 °C, température de fusion de la silice pure, l'argile prend différents aspects. On obtient ainsi, en fonction des terres et des mélanges utilisés, divers types de produits, dont la pâte est plus ou moins cuite ou vitrifiée. L'argile se décompose et perd son eau combinée chimiquement de manière irréversible à partir de 450 °C. La plupart des anciennes poteries sont cuites à moins de 700 °C. Ainsi, certaines poteries néolithiques faites d'argile grossière sont simplement séchées au soleil ou cuites à des températures ne dépassant pas quelques centaines de degrés. Dans le cas de la faïence qui nous occupe ici, le terme dégourdi – également dénommé biscuit – désigne la terre cuite une première fois vers 800 °C, ensuite recouverte d'un émail vitrifié lors d'une deuxième cuisson, généralement aux environs de 1 000 °C, température à laquelle la pâte reste 21 quelque peu poreuse et ouverte. Les grès, faits d'argile semi-vitrifiée, cuisent à environ 1 200 °C, et le mélange à base de kaolin qui composait la pâte des premières porcelaines dures nécessitait une température de 1 300 °C. Ajoutons toutefois que ces chiffres, donnés à titre d'exemple moyen, peuvent varier dans une assez grande proportion en fonction des caractéristiques des mélanges utilisés. 3 De manière à rendre ces poteries plus imperméables et plus résistantes, et pour masquer la couleur de la terre cuite, qui peut paraître peu esthétique, on a cherché depuis des temps fort reculés à recouvrir le tesson d'une pellicule imperméable et vitrifiée qui puisse éventuellement recevoir des couleurs et des motifs. L'un des moyens de rendre ce revêtement opaque est d'y incorporer de l'oxyde d'étain, qui lui confère une agréable couleur blanche et brillante. Nous donnons aujourd'hui à ce type de céramique le nom de faïence stannifère, et le présent ouvrage lui est entièrement consacré. Les terres 4 En raison des phénomènes physico-chimiques qui se produisent lors de la deuxième cuisson destinée à la vitrification de l'émail, il est nécessaire d'accorder la nature de la pâte à celle de son revêtement, ce que Théodore Deck explique très clairement ainsi : « On sait que les corps se dilatent à des degrés différents par la chaleur et qu'ils reprennent leur état primitif par le refroidissement. Tant que la dilatation n'agit que sur un corps isolé, il n'y a pas altération ; mais lorsque deux corps doivent être combinés de façon à n'en faire qu'un, il est essentiel, pour que le résultat soit satisfaisant, que leur dilatation particulière soit la même ; si elle est différente, il y aura contraction, et la partie la plus faible cédera à la partie plus forte » (Deck, 1887, p. 192). Pour ce faire, il est indispensable, le plus souvent, de mélanger plusieurs sortes d'argile dont les propriétés spécifiques apporteront à l'ensemble les qualités requises. À l'argile plastique réfractaire proprement dite, qui contient toujours une forte proportion de silice et d'alumine plus ou moins souillées de fer – ce qui donne, après cuisson, la couleur du brun-rouge au jaune pâle caractéristique du biscuit – il faut ajouter de la marne, essentiellement composée d'argile et de carbonate de chaux, dont le rôle essentiel est d'empêcher le biscuit de se fendre et de favoriser l'adhérence de l'émail. Lors des fouilles de la manufacture de Meillonnas, on a trouvé des tessons dont la pâte comme l'émail et les motifs étaient totalement ratés. À l'analyse, il s'est avéré qu'on n'avait utilisé pour cette fabrication que l'argile réfractaire servant depuis fort longtemps à faire de la poterie, et qu'on n'avait pas encore découvert la carrière de marne qui, mélangée à cette argile, allait donner la remarquable pâte qu’on utilisa ensuite pour la production de faïence pendant cent ans. 5 En France, on trouve ces marnes argilo-calcaires en abondance dans tous les terrains, surtout tertiaires. Elles sont encore plus répandues que les argiles. Ceci explique probablement que presque toutes les régions ont pu avoir de nombreuses fabriques de faïence, mais également que ces manufactures sont fréquemment groupées autour des principaux gisements. 6 Il faut également préciser que l'aspect particulier de l'émail propre à telle ou telle manufacture ne provient pas de cet émail lui-même, mais bien plutôt des caractéristiques particulières des terres employées, qui dépendent de la composition de ses matières premières. Ainsi, il n'existe pas de recette absolue ni de formule fixe, et 22 chaque centre faïencier a ses propres recettes, ce qui confère à ses productions un caractère bien spécifique, tant sur le plan visuel que sur le plan chimique. Elles ne sont pas applicables à une autre manufacture qui ne dispose pas exactement des mêmes produits de base. On a largement surévalué, semble-t-il, l'importance des secrets de fabrication, qui ne doivent être gardés que dans le cas d'une concurrence locale. 7 Pour être utilisable, la terre a besoin d'être broyée, nettoyée, lavée et de subir diverses opérations destinées à obtenir un mélange homogène. La présence d'un cours d'eau, ou du moins d'une source d'approvisionnement régulière et abondante, a toujours été l'une des conditions requises pour l'installation de toute manufacture. Ce fait est bien souligné dans de nombreux projets et documents conservés dans les archives. 8 La terre est d'abord broyée par une machine que Brongniart nomme le bocard, également utilisée pour le traitement du minerai dans l'industrie métallurgique. Le régisseur de la fabrique de Meillonnas, lui, parle de bachat, et, dans son cahier, consigne « 12 livres pour faire les bachats pour broyer la terre ». Elle est ensuite délayée dans une quantité d'eau suffisante. On peut utiliser des cuves ou des tonneaux – appelés tines ou tinnes dans les archives – en agitant la terre à l'aide d'un rable ou roble – grande spatule qui peut être fixée au plafond. On fait alors passer ce mélange dans des bassins échelonnés séparés par des conduits munis de tamis, pour ne conserver que l'eau chargée des particules les plus fines. Cette étape de la préparation de la pâte est communément appelée « passer la terre ». Des ouvriers nommés passeurs de fosses en faïence ou patouilloux en mélangeaient intimement toutes les parties (Pellet, 1993, photo p. 50). On la laissait alors décanter dans des fosses peu profondes. 9 L'Encyclopédie donne une bonne image d'ensemble de ces bacs à terre ou patouillets (pl. I), semble-t-il, car les témoignages d'archives (Rosen, 1993, ill. 14 et 15, vol. II) et les observations archéologiques qui ont pu être recueillies à Rouen (Caen, 1987, p. 161, et Rouen, 1990, p. 231 et 232), à Ancy-le-Franc (Biton, 1986) et, surtout, à la fabrique des Auges, à Langres (Thévenard, 1989), confirment bien ce type d'organisation. 10 Les fosses à terre étaient creusées dans le sol et leurs parois généralement consolidées par des planches verticales maintenues par des piliers, mais elles pouvaient également être en pierre, comme à Langres ou à Nevers. Leur nombre était variable, oscillant entre quatre, six, voire davantage, leur forme généralement carrée ou rectangulaire. Ces bacs étaient séparés par des passages de circulation nommés bachasses, « terme rural désignant la chaussée d'un étang » (Littré), à Meillonnas vers 1800 (Rosen, 1993). À Saint-Sever (Rouen), au milieu du XVIIIe siècle, ces bacs se succèdent sur près de 25 m de long pour une largeur de 3 à 4 m et une profondeur moyenne de 70 cm (Caen, 1987, p. 161). 11 On récupérait alors la partie supérieure de la couche de terre à l'aide d'outils semblables à ceux utilisés par les paludiers, en ayant soin de ne pas en prélever une trop grande épaisseur qui aurait pu contenir du sable ou d'autres particules grossières indésirables, voire nuisibles à la fabrication (Encyclopédie, pl. V). Cette terre devait ensuite être homogénéisée au cours d'opérations diverses, dont la plus caractéristique était le marchage. La pâte était étendue sur une surface dure, formant un cercle de quelques décimètres d'épaisseur. Un ouvrier spécialisé, rompu à cet exercice délicat, la pétrissait avec ses pieds, la marchait, en allant du centre vers l'extérieur, puis en sens inverse. Cette opération essentielle était pratiquée déjà depuis la plus haute antiquité. Sa plus ancienne représentation, datée de la XIIe dynastie (circa 1900 av. J.-C.), figure sur une tombe de Beni Hasan, en Égypte, et elle est mentionnée, entre autres, dans la 23 Bible. Malgré son apparence rudimentaire, elle a subsisté pendant toute la période moderne. Théodore Deck, en 1887, parle des « moyens primitifs du marchage, encore usité dans toutes les petites usines, faute de matériel mécanique » (Deck, 1887, p. 207). Cette opération a pour effet non seulement d'homogénéiser la terre, mais elle permet également à l'ouvrier de déceler nombre de minuscules particules et de corps étrangers indésirables. Puis, la pâte, mise sous forme de balles plus ou moins grosses, ou ballons, était battue fortement avec des battes en bois ou des barres de fer (Rosen, 1993, Réponse à « l'Enquête des préfets » en 1809, A. D. de l'Ain, 53 M 3, Pellet 1993, photo p. 50) afin d'exprimer tout l'air qu'elle pouvait encore contenir. 12 La terre ainsi préparée était mise à pourrir plusieurs mois, voire davantage, dans l'obscurité d'une « cave à terre ». Dans son manuscrit, le faïencier Caussy, au milieu du XVIIIe siècle, en explique les raisons : « Il est avantageux davoir de la terre long temp en masse avant de lemployer parce que plus elle est vieille plus louvrage quon fait avec est bon, et moin il casse soit en crû ou première cuisson dit biscuit. Malheur au fabriquant qui est obligé de travailler la terre sans être reposée, au moins trois mois en masse, il peut compter que les trois quarts des piesses casseronts en biscuit surtout celles quy sonts plates » (sic) (Caen, 1987, p. 161). 13 Nombre d'auteurs ont insisté sur cette pratique du pourrissement de la terre. Brongniart constate que « c'est une opinion généralement admise par les fabricants que les pâtes anciennes se travaillent mieux, que les pièces qui en sont faites se gauchissent et se fendent moins en séchant ou en cuisant, que celles qui sont faites avec des pâtes récentes […] les cloques, les fentes, diminuent ou disparaissent », avant de conclure : « Je soupçonne que l'espèce de fermentation qui résulte, dans les masses de pâte, de la fermentation des matières organiques contenues dans l'eau, produit un dégagement de gaz qui imprime à toutes les parties de la masse un mouvement constant équivalent au pétrissage, malaxage, coupage, etc., plusieurs fois répétés ». Cette nécessité d'avoir un stock de matière première immobilisée pendant un aussi long temps explique probablement la qualité supérieure du biscuit constatée dans les grandes manufactures, dont les capitaux, l'organisation et la stabilité économique permettaient une telle pratique, que ne pouvaient pas forcément se permettre les petites fabriques dont les conditions de survie étaient beaucoup plus précaires. Du Broc de Segange parle d'une année à Nevers (p. 37), Moustiers a la réputation de devoir la qualité de son émail à la durée exceptionnelle de ce pourrissement, et Brongniart (p. 115) évoque même certaines fabriques de Chine où cette période approchait un siècle ! 14 On a souvent utilisé des biscuits ratés de cuisson pour faire évaporer l'humidité de la terre, la conserver, et la transporter, à ce stade de son élaboration. Ainsi, au XVI e siècle, Picolpasso parle de « l'argile molle […] avec laquelle on remplit certains vases cassés » (traduction de B. Rackham, Londres, 1934, p. 9). Dans l'Encyclopédie, on mentionne des « terrines à plat, et autres vaisseaux défectueux et de rebut », on montre « un estoc biscuité rempli de terre molle, telle qu'on la retire des fossés pour la faire sécher » (planche V, n° 89), et, en 1809, le maire de Meillonnas écrit : [les terres] « coulent dans la fosse où elles prennent une consistance propre à être mises dans des vases de faïence au rebut ». 24 Trois types de terre à faïence (Meillonnas, 1989). 25 Chapitre 3. La mise en forme Le façonnage 1 En faïence, on n'utilise guère le modelage à la main ou le colombin, auquel on préfère généralement le tour. Cette opération spectaculaire d'où la forme naît comme par magie a considérablement marqué les imaginations, et cette tendance continue à prévaloir largement de nos jours. Toutefois, il ne faut pas oublier que plus de la moitié des pièces étaient moulées, et que, dans un atelier de faïence, les moules représentaient — et représentent toujours — une partie importante de l'outillage. Le tournage 2 Le tour de potier fait sûrement partie des premières inventions de l'homme civilisé : la plus ancienne partie de tour découverte à Ur est datée de 3250 av. J.- C. ; on le trouve en Syrie vers 3000 av. J.- C., et il était utilisé par les Égyptiens, qui l'ont représenté sur les murs des tombeaux de Thèbes, dès 2750 av. J.- C. ; le tour à pied était largement répandu en proche Asie avant 2000, de même que par les Crétois au moins dès le XVIIIe siècle avant notre ère (Scott, 1956, p. 199) ; il était couramment employé en Chine ancienne. Dans la tradition classique, Pline parle des Scythes, Diodore de Sicile en attribue l'introduction en Europe au XIIe siècle avant J.-C. chez les Grecs, et Homère le mentionne dans l'Iliade. Par la suite, il fera son apparition chez les peuples Danorubéens vers 400 av. J.- C., en Angleterre du Sud quelques décennies avant notre ère, et ne sera utilisé en Écosse que vers 400. Les peuples des Amériques, eux, ne le découvriront qu'au XVIe siècle. 3 Les tours utilisés par les faïenciers pour la confection des pièces de forme symétriques permettent d'effectuer les deux opérations consécutives nécessaires à leur élaboration, c’est-à-dire l'ébauchage, qui donne la forme, et le tournassage, qui termine la pièce. 4 Dans le type de tour généralement utilisé à l'époque, le banc, le marchepied, l'établi, la roue et la tête du tour sont solidaires, et le plateau est mû par un lourd volant d'inertie actionné avec le pied. L'axe du tour est maintenu au sol par un pivot qui repose dans une crapaudine. C'est le type représenté par Picolpasso au XVI e siècle (folios 10 et 19 du manuscrit). Les illustrations qu'en donne l'Encyclopédie (pl. VI, fig. 94), sont très claires, 26 et préférables, à mon sens, à celles de Brongniart (t. III, pl. VIII, fig. 3). Les gestes quasi magiques du tourneur ont toujours fasciné les commentateurs, mais l’acquisition de ce tour de main particulier demande de longues années d’apprentissage. “Voyez faire le tourneur : il a placé la masse de matière sur le tour. Il donne l’impulsion au pied ; et, tandis que la vitesse de rotation est acquise, ses mains pressent la terre, l’embrassent, la compriment, la montent, l’abaissent ; puis, l’étreinte desserrée, elle apparaît en forme de cône. Pourquoi ces manipulations successives ? Je prétends que c’est pour donner à la matière un sens de clivage. Et cela est tellement vrai, qu’en répétant longtemps la manœuvre, la masse tend à former une couronne. Et cette opération facilite grandement l’étirage dans le tournage des grandes pièces” (Montagnon, 1941, p. 70). 5 Les tourneurs utilisent un outil très simple, nommé chandelier de jauge ou porte-mesure, constitué d'un axe vertical auquel étaient fixées, à divers niveaux, plusieurs règles horizontales mobiles destinées à donner des repères de dimension pour le calibrage des pièces en série. Outil principal du tourneur, l'estèque est un instrument en forme de demi-lune, muni d'un trou en son milieu. À l’origine, elles étaient en bois, mais il y en a aussi en tôle de fer ou de zinc, en ardoise, et également en terre cuite. En Provence, le nom estelle donné à cet outil signifie "refente de bois" (à ce sujet, on consultera avec intérêt le catalogue Aubagne 1991, p. 18, qui montre les principaux outils du potier et en donne l'explication). L'Encyclopédie la définit comme “un estoc, instrument biscuité en forme de croissant d'environ 6 lignes d'épaisseur, percé d'un trou au milieu, avec lequel on arrondit les vases sur le tour”, et en montre trois exemplaires, en biscuit, en fer et en bois (Encyclopédie, pl. VI, n° 95, 96 et 97). Il existe plusieurs formes et plusieurs tailles d'estèques, que les tourneurs se fabriquaient sur mesure, utilisant parfois de simples tessons de biscuit qu'ils polissaient à leur convenance pour leur donner la forme exacte souhaitée. On en trouve fréquemment lors des fouilles de faïenceries, accompagnées de marques d'ouvriers ou d'inscriptions. 6 Après l'ébauchage, la pièce subissait un premier séchage, “travail lent, dangereux, délicat”. Gabriel Montagnon cite à ce sujet une anecdote particulièrement savoureuse. “Dans un atelier de tournage était disposée une série de grandes aiguières. En entrant un matin, je m’aperçois que leurs becs, de rectilignes par rapport aux anses, étaient curieusement déviés ; ils présentaient l’aspect d’une rangée de becs de canards orientés de travers, du côté de la porte, comme pour m’accueillir. Le séchage n’étant pas complet, on put les ramener à la raison, les remettre à la ligne heureusement. Ils avaient subi l’influence déviatrice de l’air venu de côté, par la porte” (Montagnon, 1941, p. 71). Afin d’être rachevée, la pièce était le plus souvent tournassée, c’est-à-dire reprise et terminée à l'aide d'estèques ou de tournassins, outils coupants généralement en fer (V. une photo montrant cette opération in Borredon 1990, p. 90). La tête utilisée pour cette opération était un petit plateau circulaire nommé tournette ou girelle, qui se fixait sur l'arbre du tour. Cette opération permettait le plus souvent de réaliser les moulures saillantes, les filets en relief et plus généralement toutes les finitions qui n'auraient pu se faire correctement sur la terre humide. 7 C'est également à ce stade que l'on procédait au collage de toutes les parties fabriquées séparément : anses, becs, garnitures. On utilisait à cet effet de la pâte délayée en bouillie épaisse nommée barbotine, en ayant soin de chiqueter les parties à assembler, c’est-à-dire d'y pratiquer au préalable des rayures croisées destinées à favoriser l'adhérence. 27 Le moulage 8 Ce procédé de fabrication n'était pas réservé aux formes complexes et asymétriques, comme on pourrait le croire. Dans la mesure où il constitue une économie de temps et de main-d’œuvre, il a été employé depuis presque aussi longtemps que le tour, et de plus en plus aux périodes plus récentes, dans la confection de toutes sortes de pièces et de formes, y compris les vases et pichets dont on pense généralement qu'ils étaient exclusivement tournés. Ainsi, la totalité de la production attestée de Bernard Palissy a été moulée, y compris les gobelets, les tasses et les vases (Saintes, 1990, p. 85). 9 Les modèles initiaux des objets à fabriquer étaient généralement réalisés en plâtre, éventuellement durci à l'huile grasse, ce qui n'exclut pas qu'on ait pu en faire en bois, voire en métal. Sauf dans le cas de la statuaire délicate et des réalisations de prestige, on évitait les irrégularités de forme et de ligne qui auraient risqué de provoquer des accidents de cuisson, comme les épaisseurs, ou, au contraire, les amincissements excessifs, les angles trop vifs, ou les lignes droites trop longues. On peut donc considérer, dans une large mesure, que les lignes généralement courbes et régulières des formes de faïence auxquelles nous sommes habitués sont le résultat de la nécessaire adaptation aux contraintes spécifiques du tournage et du moulage par rapport aux exigences de la cuisson. 10 S'agissant du moulage, le problème essentiel à résoudre consiste à pouvoir multiplier un nombre de formes identiques à partir du même modèle de base, sans être obligé de refaire ce modèle trop fréquemment. On va alors, à partir de ce prototype, tirer des mères, qui serviront à leur tour à fabriquer des moules de tirage. À Meillonnas, on les nommait respectivement origineaux et reget. Brongniart affirme qu'à partir d'un modèle type, on peut fabriquer 50 mères, qui, à leur tour, serviront à fabriquer 50 moules de tirage. On peut ainsi obtenir 2 500 moules à partir d'un même modèle type. Il est aisé d'imaginer que dans le cas de fabrications de qualité, le plus grand soin était apporté à la confection de ces modèles types, qui devaient représenter un investissement non négligeable. Ainsi, en 1765, le fondateur de la manufacture d'Ancy-le-Franc fit appel à Adrien Dumortier, de Tournai, sculpteur spécialisé dans la fabrication des moules (Biton, 1986, p. 8). 11 Il existe différentes façons de mouler des pièces. Pour les formes complexes ou asymétriques, on imprime fortement des balles de pâte dans le moule, ou dans les deux valves qui le composent, que l'on applique ensuite l'une contre l'autre. Pour la platerie, on fabrique des galettes de pâte ou croûtes que l'on étend sur les moules pour leur donner forme. Les pièces de platerie symétriques et circulaires sont réalisées à l'aide d'un moule posé sur le plateau du tour, et le revers des pièces est façonné à l'aide d'estèques et d'éponges. Les assiettes sont presque toujours faites de cette manière. De nombreux ouvrages montrent des illustrations de ces pratiques (Molin, 1987, p. 109-111, par exemple). 12 Dans le moule, l'humidité de la pâte est absorbée par le plâtre, ce qui a plusieurs conséquences non négligeables. Tout d'abord, la pièce diminue de volume, et se détache progressivement des parois, commençant un retrait qui se poursuivra lors de la cuisson. Il serait dangereux de démouler trop rapidement, et de risquer un déchirement, ou même un simple gauchissement de la forme, qui nuirait à sa cuisson et entraînerait son élimination. En outre, les moules ont tendance à se saturer, ou, du moins, à perdre 28 progressivement leurs propriétés d'absorption, et il faut les laisser sécher soigneusement avant de les réutiliser. 13 Ceci explique qu'il est indispensable d'avoir une grande quantité de moules disponibles, et qu'ils doivent être stockés sans être confinés, sur des rayonnages faits de longues planches en bois. De même, le séchage des pièces démoulées, particulièrement important si l'on veut éviter les rebuts de cuisson, nécessite beaucoup de place, et représente un encombrement considérable. Il se fait souvent dans une pièce spéciale nommée desséchoir (Moustiers, 1993, p. 68). Ainsi, tous les inventaires de faïencerie parlent d'une quantité impressionnante de rayons et de "planches sapin", disséminées dans tout l'espace des manufactures, et le bel ordonnancement de l'atelier représenté sur la planche II de l'Encyclopédie semble alors bien idéal par rapport à la réalité encombrée de la plupart des manufactures des XVIIe et XVIII e siècles telle que nous la révèlent les archives, voire certaines photos prises au début du siècle (Pellet, 1993, p. 55). Après le démoulage et le séchage, les pièces pouvaient être reprises pour être tournassées, c’est-à-dire terminées sur un tour spécial, toujours à l'aide des estèques. 14 Par la suite, et notamment à la fin du XVIIIe et au début du XIX e siècle, lorsque la fabrication devint moins soignée et les types de forme plus standardisés, il devint fréquent de fabriquer des moules à partir de pièces existantes, achetées à d'autres fabriques. Cette pratique est notamment attestée par une note du régisseur de Meillonnas, datée de 1817 : “Vous pouvez sans modeleur faire faire aisément les premiers moules indispensables en prenant pour étalon et pour formes des assiettes en terre de pipe, à soupe, plates et octogones, en coulant du plâtre dedans. Vous ferez couler toutes vos assiettes comme on le fait à Saint-Clément […] ou si vous en faites encore tourner, vous veillerez à ce qu'elles soient bien faites” (Archives de la manufacture, coll. part.). 15 Dans l'appréciation essentiellement esthétique généralement portée sur la faïence, on oublie trop souvent le rôle prépondérant joué par les tourneurs et les mouleurs, dont l'habileté et le savoir-faire longuement acquis, en réduisant les risques de rebut de première cuisson, déterminaient largement la réussite économique des fabriques. On a trop souvent mis en avant les salaires élevés des peintres par rapport à ceux des autres ouvriers, en oubliant que seuls quelques maîtres peintres prestigieux, réservant leur talent exceptionnel aux productions plus luxueuses, bénéficiaient de ces faveurs. Au XVIIIe comme au XIX e siècle, les mouleurs et les tourneurs étaient bien souvent les mieux payés de tous les ouvriers. 29 Moules en plâtre, fouilles de Meillonnas, 1989. 30 Chapitre 4. Le biscuit, l'émail et la peinture Le biscuit 1 Lorsque les pièces sont terminées, elles sont cuites une première fois dans la chambre du dégourdi, c’est-à-dire le tiers supérieur du four à faïence, en même temps que les pièces émaillées, et pendant la même durée, mais à une température moindre, que l'on évalue à environ 800 °C. On verra lors de l'étude de la cuisson les modes d'enfournement utilisés pour ce dégourdi, terme qui semble mieux convenir à la terre cuite une première fois que celui de biscuit, plus généralement utilisé, et qui laisse supposer une cuisson à une température supérieure à 900 °C, correspondant davantage à des procédés plus modernes, semble-t-il. Ce biscuit subit alors un sévère examen visant à éliminer toutes les pièces qui présentent la moindre imperfection qui risquerait, lors du deuxième passage destiné à fixer l'émail et les couleurs, de provoquer des accidents de cuisson dommageables et d'augmenter inutilement les coûts de production. Plus la sélection est sévère, moins on a de rebut et de ratés de deuxième cuisson. C'est la raison pour laquelle, à proximité des faïenceries, on trouve toujours d'énormes quantités de biscuits cassés — voire pulvérisés — entassés dans des tessonnières, qu'il est possible de fouiller pour examiner les rebuts de fabrication, témoins irréfutables de la production. 2 Il n'a jamais été véritablement possible d'évaluer les taux de rebut, extrêmement variables, qui peuvent éventuellement atteindre le chiffre parfois avancé, mais jamais prouvé, d'un tiers de la fournée. Dans la littérature sur le sujet, les indications sont extrêmement rares. “Nous étions arrivés à une série de quarante-huit fournées excellentes sur quarante-neuf, et celle-là de bonne moyenne encore. Un de mes collègues refusait de croire à cette magnifique performance. Et, pendant ce temps, les déchets absolus atteignirent parfois cinq pour mille, alors que les anciens admettaient vingt-deux pour cent” (Montagnon, 1941, p. 71). 3 La couleur du biscuit peut varier énormément à partir des mêmes mélanges de terre, et dépend essentiellement des conditions de cuisson. Daniel Rhodes indique que “la même argile peut être légèrement rose cuite à 945 °, rouge brique à 1 050 °, brun chocolat à 1 125 °, presque noire à 1 190 °, et d'une texture rappelant celle du mâchefer. La même 31 argile cuite en atmosphère réductrice à 1 050 ° peut être noire” (Rhodes, 1984, p. 44). De même, Daniel Dufournier écrit que “les nuances sont tellement nombreuses, les variations parfois tellement fortes, qu'il apparaît judicieux de s'en tenir à une description très simplifiée [...] tout en sachant qu'une même matière première peut être, après cuisson, noire ou rouge, grise ou rose, blanche ou noire” (Dufournier, 1989, p. 11). On trouve des biscuits d'un jaune presque blanc, et d'autres d'un brun rouge foncé, et il arrive souvent que le même tesson présente plusieurs zones de teintes différentes. C'est notamment le cas lorsqu’une partie d'une pièce n'a pas été exposée à la chaleur autant que le reste parce qu'elle était en contact avec un autre biscuit lors de la cuisson de dégourdi, comme il arrive fréquemment lorsque les assiettes sont cuites en charge, empilées les unes dans les autres. Il n'est pas inutile de rappeler ces phénomènes, surtout dans un domaine où la couleur du biscuit est parfois utilisée excessivement comme critère d'attribution. On ne peut donc proposer comme repère, au mieux, qu'une tonalité moyenne observée sur une majorité de biscuits, en sachant par exemple que, bien souvent, dans une même fournée, celle des vases est plus claire que celle des plats. L'émail 4 La base de l'émail stannifère est la calcine, mélange d'oxyde de plomb qui sert de fondant, et d'oxyde d'étain, qui joue le rôle d'opacifiant. Les proportions de ces deux ingrédients peuvent varier considérablement selon les recettes. On donne généralement les chiffres, respectivement, de 80 % et de 20 %, mais la quantité d'étain peut atteindre 30 %, voire davantage. Ce mélange était cuit sur la sole d'un petit four à réverbère appelé fournette. 5 Le professionnel qu'était Gabriel Montagnon évoque ainsi la fabrication de la calcine à Nevers : “La flamme couchée par la forme de la voûte très surbaissée lèche celle-ci et l'échauffe avant de gagner la cheminée par les carneaux situés en face. La voûte se colore en brun et atteint en peu de temps le rouge et le jaune blanc. Pendant ce temps, le chauffeur a jeté sur la sole des lingots de métal, dans la proportion de 30 à 50 kg d'étain pour 100 de plomb. La fusion se produit, puis la large porte de la fournette restant ouverte, l'air extérieur en entrant oxyde la surface de la nappe, et on voit se former une poussière fine jaunâtre sur laquelle flottent des particules brillantes. Au fur et à mesure, cette poussière est poussée à fond avec un ramble jusqu'à renouvellement successif et jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une petite épaisseur, le chauffage terminé” (Montagnon, 1987, p. 52). Deck en donne également une version très proche (Deck, 1887, p. 208). Camille Pellet a publié des analyses chimiques de la calcine trouvée en fouille dans les fours d'Arthé (Pellet, 1993, p. 151) 6 On mélange alors la calcine dans une proportion toujours identique à du sable quartzeux dont la température de fusion est abaissée par l'adjonction de fondants, variables dans leur nature et leurs proportions, mais constitués la plupart du temps de soude, de sel marin, voire d'écume de verre, ou tendronne, c’est-à-dire de salin de verrerie (Rosen, 1986, p. 15 ; Montagnon, 1987, p. 52). Les sablons kaolinitiques et potassiques que l'on trouve dans la région de Nevers, et tout particulièrement près de Decize, étaient tellement réputés que de très nombreuses fabriques le préféraient à tout autre. Ce mélange était cuit sur un lit de sable disposé sur le bassin, banquette située sous la sole, immédiatement à proximité du foyer, à l'endroit du four où la température 32 est la plus élevée (60 à 70 ° du pyromètre de Wedgwood) ou sur la sole du four à faïence, où il y subissait une fusion complète. “Après cette cuisson, la plaque d'émail apparaît blanche avec souvent des étendues noires, dues à un léger enfumage du début de la cuisson et sans effet nuisible” (Montagnon, 1987, p. 52). 7 Pour être utilisable, cet émail devait être finement broyé dans des meules horizontales dont l'une est dite dormante et l'autre tournante. Pottier signale qu’à Rouen, on les nommait maginains. Elles pouvaient être en grès (Brongniart, 1877, t. I, p. 97), en silex (Montagnon 1987, p. 54), voire en granit (Rosen, 1986, p. 16). 8 Dans certaines manufactures, les moulins à émail, souvent baptisés moulins à vernis, étaient mus par des bêtes de somme. À l'article "fayancerie" de l'Encyclopédie, c'est même le seul moyen envisagé (pl. XI, "moulins à cheval et à bras"), ce qui était aussi le cas à Rouen (Rouen 1990, p. 231). À Langres, il s'agissait d'un moulin à bras. On utilisait également la force hydraulique : à Nevers, la majorité des moulins étaient installés sur un affluent de la Loire (Gueneau, 1919, p. 310-311 ; et Montagnon, 1987, p. 54). L’émaillage ou trempage 9 Cette opération se faisait dans des baquets ou tines situées dans la chambre du blanc — c’est-à-dire l'émail cru liquide — mentionnée dans de nombreux inventaires, et que certains auteurs ont pu confondre avec un magasin où était entreposée la vaisselle ordinaire. Les fines particules d'émail étaient maintenues en suspension dans l'eau par un brassage constant. L'ouvrier s'assurait préalablement de la bonne consistance du mélange en faisant des essais avec des tessons, que l'on retrouve, émaillés à cru sur la tranche, dans les fouilles de faïenceries (Rosen, 1986, Nevers / Goguin), puis époussetait soigneusement la pièce avec un espassin, ou plumeau à longs poils de sanglier (Montagnon, 1987, p. 55). Il trempait alors le biscuit dans la bouillie d'émail liquide, en maintenant la pièce avec des pinces ou griffes, les tournait dans tous les sens pour égaliser la couche, puis les retirait en les laissant égoutter au-dessus du baquet : “L'opération est difficile et réclame agilité, adresse et attention. Un excès d'épaisseur de la couche risque des coulures ou des retraits : une pellicule trop mince fait transparaître la teinte du biscuit” (Montagnon, 1987, p. 55). On peut alors faire de petites retouches au pinceau aux endroits qui n'ont pas pris d'émail, ou, au contraire, en enlever à ceux qui ne doivent pas en recevoir, comme le talon des plats ou le pied des vases. Il est souvent fort instructif d'observer les traces laissées par toutes ces opérations sur les pièces de faïence. 10 Les pièces destinées à la production de faïence blanche, qui ont toujours représenté la grande majorité des fournées, étaient alors prêtes à subir la deuxième cuisson nécessaire à la vitrification de l'émail. La peinture 11 Les pinceaux de différentes tailles employés par les peintres en faïence étaient faits de longs poils d'oreille de bovidés, taillés plus ou moins finement suivant le travail à exécuter. Gabriel Montagnon déclare même : “Nos peintres faisaient eux-mêmes leurs pinceaux, et j’ai entendu dire par l’un d’eux, qui avait bien réussi un pinceau à tracer, je ne le donnerais pas pour 10 000 francs”. Le même auteur évoque, à Nevers, “les 33 bousculades, les poursuites occasionnées par les entreprises audacieuses des apprentis chargés de pourvoir au stock de poils, que pourchassaient les bouviers dont les bêtes affolées par les piqûres des mouches tiraient sur leur longe en beuglant” (Montagnon, 1987, p. 57). Pour faire les contours et esquisser les décors, on coupait le pinceau en couronne au tiers, et on ne laissait que quelques poils, la partie inférieure servant de réservoir pour la couleur. 12 Les poudres étaient parfois conservées dans des pots en biscuit émaillés à l'intérieur, et portant le nom de la couleur tracé au pinceau (Moustiers, 1993, p. 94). L'inventaire de la faïencerie des Auges, à Langres, mentionne “un grand pot d'étain à mettre les couleurs” (Moustiers, 1993, p. 70). Les décorateurs utilisaient des godets à peindre munis de galeries circulaires et d'encoches, qui permettaient de se débarrasser de l'excédent de couleur (Rosen, 1986, annexe 8, C. 31). Certains de ceux qui ont été retrouvés lors des fouilles de la manufacture de Meillonnas, dont un daté de 1819, portent les initiales des peintres (Rosen, 1993, p. 51). Ceux qui ne savaient pas écrire pouvaient utiliser un alphabet modèle, tracé sur un fond d'assiette en biscuit, pour effectuer les inscriptions des pots de pharmacie (Moustiers 1993, p. 96). 13 Afin d'acquérir l'automatisme du geste destiné à réaliser des séries de décors identiques, les peintres s'exerçaient souvent sur des fragments de biscuit ou des fonds d'assiettes, que l'on retrouve en grand nombre dans toutes les fouilles de faïenceries. 14 En outre, le poncis ou poncif était une pratique généralisée : le dessin, d'abord exécuté sur un papier piqué de trous d'épingle, était frotté avec un tampon contenant une poudre volatilisable à la cuisson, et permettait, par report, d'obtenir un tracé préparatoire destiné à guider la main du peintre. Malgré leur fragilité, il n'est pas rare d'en voir encore des exemplaires, comme celui du décor "à l'écureuil" de Pierre-Paul Caussy, conservé au musée de céramique de Rouen à côté de l'assiette qu'il a servi à exécuter (Vaudour, 1990, p. 14), ou ceux de la manufacture du Bois d’Epense dite "des Islettes" au musée de Verdun. L'utilisation de pochoirs, ou vignettes, généralement en métal, ne fut généralisée qu'au XIXe siècle. 15 Seul une petite proportion de pièces, que l’on peut estimer à 20 % du total dans la plupart des manufactures, recevait des décors élaborés. La plupart d'entre elles ne portaient que des motifs sommaires exécutés rapidement par des ouvriers qui n'étaient pas forcément des peintres qualifiés. Dans ce cas, ils pouvaient poser la pièce sur la girelle du tour en rotation, et traçaient d'une main fixe des filets qu'ils remplissaient par la suite de motifs divers. 16 Chaque manufacture avait de multiples recettes consignées dans des carnets, comme ceux de la faïencerie d'Aprey, partiellement publiés par Paul Deveaux (Deveaux, 1908, p. 44-47), qui en contiennent plus de cent ! De même, les auteurs de monographies de référence en donnent de nombreux exemplaires (Pottier, 1869, p. 235- 241). Ces recettes étaient régulièrement testées, et faisaient l'objet d'essais constants. Bernard Palissy offre le premier témoignage de la mise en œuvre de cette pratique : “Je pilois en ces jours-là de toutes les matières que je pouvois penser qui pourroyent faire quelque chose, et les ayant pilées et broyées, j’achetois une quantité de pots de terre, et, après les avoir mis en pièces, je mettois les matières que j’avais broyées dessus icelles, et les ayant marquées, je mettois en escrit à part les drogues que j’avais mis sur chacune d’icelles, pour mémoire ; puis ayant faict un fourneau à ma fantaisie, je mettois cuire lesdites pièces pour voir si mes drogues pourroyent faire quelques couleurs de blanc” (Palissy, 1863, p. 14). On retrouve ces essais en abondance dans les tessonnières de 34 rebuts rejetés par les faïenciers. Ils se présentent en général sous la forme de tessons de biscuit, émaillés sur la tranche, ou de montres en forme de petits gobelets, et portent des traits croisés de différentes couleurs, ainsi que des numéros permettant de les repérer (Caen 1987, p. 165, fig. 3), (Rosen, 1993, p. 52, fig. 15-16). Le grand feu 17 Certaines pièces recouvertes d'émail cru recevaient un décor plus ou moins élaboré avant de passer au four. Cette technique de peinture est communément désignée sous le terme de grand feu. Tous les ouvrages sur la faïence évoquent ses difficultés. En effet, certaines des couleurs n'ayant pas leur teinte définitive, le peintre doit travailler au jugé. De même, la surface de la pièce qui reçoit le décor, comparable à de la poudre de craie, est très fragile. Disons cependant qu'on dramatise en général beaucoup trop le caractère irréversible du coup de pinceau dans cette technique de peinture "sur cru" : les couleurs utilisées sont peu nombreuses, et comme on a affaire à un geste répétitif pour l'exécution de séries abondantes, la question, en fait, ne se poserait guère que pour l'amateur ou le débutant, ce qui n'était en général pas le cas des ouvriers faïenciers. 18 Dans le type de technique "au grand feu", on ne peut utiliser que des couleurs vitrifiables dont les caractéristiques physico-chimiques sont compatibles avec l'émail qui les reçoit, et qui ont un rapport de dilatabilité en accord avec lui. Plus leur température de fusion est proche de celle de l'émail, et plus elles se fixeront harmonieusement et durablement avec lui. Ces couleurs, restreintes au nombre de cinq, proviennent toutes d'oxydes métalliques. On les préparait en les faisant calciner tout comme l'émail blanc, auquel on pouvait les mélanger pour réaliser des camaïeux de la même teinte, plus ou moins foncée ou éclaircie. 19 Le bleu, également dénommé azur ou safre, est produit à partir d'oxyde de cobalt, sousproduit des mines d'argent, de cuivre et de nickel, voire de plomb. Il a le grand avantage de rester stable à très haute température, et donc de se fondre parfaitement dans la profondeur de l'émail. D’abord utilisé par les Arabes sur leurs poteries dès le VIIIe siècle, le cobalt provenait, semble-t-il, de la région de Kâchân, en Perse. Il fut exporté vers la Chine, qui n’en rendit l’usage célèbre et répandu que vers le XIV e siècle, avec le succès que l’on sait, à l’origine de la mode du “bleu et blanc” qui exerça sur la faïence française de 1650 à 1750 un monopole quasi total. Le bleu a en outre été la couleur la plus employée pour tous les types de décors au grand feu, et surtout sur la faïence commune peinte au XVIIIe siècle. 20 Le peroxyde de manganèse donne une couleur allant du violet clair à un brun presque noir. Il provenait souvent de gisements locaux, et on le retrouve parfois sous forme de rognons dans les fouilles de faïenceries. On l'a beaucoup utilisé pour tracer les contours préparatoires des motifs dans la faïence du XVIIIe siècle. Dans la mesure où les teintes obtenues sont très variables, on utilise généralement le nom de l'oxyde plutôt que celui la couleur. On parlera ainsi d'un décor bleu et manganèse. 21 Le vert le plus vif est tiré du protoxyde de cuivre, cuit en atmosphère oxydante. Il présente le désavantage d'être brun quand on l'emploie, et a tendance à fuser dans l'émail. Au XVIIe siècle, les faïenciers de Nevers ont su tirer un remarquable effet décoratif de cette particularité. On peut également confectionner un vert plus tendre en mélangeant du bleu et du jaune. 35 22 L'oxyde d'antimoine, antimoniate de plomb ou jaune de Naples, permet d'obtenir le jaune. Cette couleur complexe est d'un maniement très dangereux et délicat. Dans son poème La faïence, Pierre de Frasnay parle “du jaune que forma l'antimoine perfide, / Du chimiste adoré, mais souvent homicide”. 23 Le rouge de grand feu a souvent obsédé les amateurs, et a fait couler pas mal d'encre, car il est assez difficile à obtenir. Le bol d'Arménie, sable ferrugineux calciné en atmosphère réductrice et donnant un beau rouge vermillon, a surtout été utilisé dans la céramique silico-alcaline anatolienne. Il semble qu'un rouge de grand feu à base de brique pilée réduite en poudre et mélangée à un fondant ait fait son apparition dans la fabrique de Poterat, à Rouen, peu après 1700 (Pottier, 1869, p. 283). Montamy, dans son Traité des couleurs pour la peinture en émail, en 1765, dit que “toutes les couleurs rouges tirées du fer ou du vitriol sont extrêmement volatiles au feu, ce qui avait fait renoncer à leur emploi dans la peinture en émail”. En effet, à haute température, l'oxyde de fer peut disparaître complètement en se combinant avec la silice. Au XVIII e siècle, dans la faïence de grand feu, le rouge est relativement rare, et en général employé en rehauts et en fines rayures. Il est rarement fondu dans l'émail, et on sent sa rugosité sous le doigt. Contrairement à ce qui a souvent été écrit, Nevers l'a bien utilisé, et ce dès avant 1750 (Rosen, 1990, p. 41). Toutefois, son emploi systématique ne date guère que du premier tiers du XIXe siècle, avec l'apparition de produits comme le rouge de Thiviers, pierre ferrugineuse originaire de la Dordogne, d’abord utilisé dans le Sud-Ouest à partir du début du siècle, et de plus en plus employé dans tout le pays après 1830. On peut noter ici que Bernard Palissy employait déjà de la “pierre de Périgord” (Palissy 1863, p. 37), et que le “Périgueux” figure dans un certain nombre de recettes de rouge de réverbère au XVIII e siècle. Une expérimentation menée en laboratoire a permis de faire le point sur cette question délicate1. La technique de peinture au réverbère, dite “petit feu” 24 La peinture au réverbère, terme généralement utilisé dans les archives jusque vers la fin du XIXe siècle, est une autre technique de décoration des faïences stannifères. On peut en déceler la première utilisation dès le XIIe siècle, dans les céramiques iraniennes dites minaï — du persan minâ, qui veut dire émail — à décor peint sur glaçure, et à double cuisson (Soustiel, 1985, p. 94). En 1828, le manuel technique de Bastenaire-Daudenart parle de “peinture au grand feu et au réverbère”, et Brongniart n’utilise que cette expression (t. 2, p. 32 et 37). Mais ce terme initial a été progressivement remplacé par l’appellation de petit feu, plus communément utilisée de nos jours, et de manière totalement impropre, puisque ce terme désigne le premier stade de la cuisson, de 0 jusque vers 400 °C évoqué plus loin. Le procédé consiste à appliquer les couleurs sur l'émail déjà cuit, avant de leur faire subir une troisième cuisson destinée à fixer le décor, dans un four spécial à réverbère, également baptisé moufle, à une température inférieure, autour de 700 °C — d'où le nom qu’on lui donne aujourd’hui. Il faut noter ici l’erreur commise par Ris-Paquot dès 1874, qui confond feu de moufle et grand feu, car l’influence persistante de cet ouvrage a pu entretenir un temps la confusion à ce sujet dans le public des amateurs. Il est alors possible d'utiliser des couleurs beaucoup plus diversifiées que celles obtenues à partir des cinq traditionnels oxydes métalliques du grand feu. Après avoir broyé les couleurs, on les dilue avec des huiles essentielles volatiles qui s'évaporent à une certaine température, et permettent de les fixer. S. D. Sorg, dans son Journal autobiographique, circa 1760, écrivait que “pour la peinture fine, 36 on prépare les couleurs avec de la térébenthine et de l'huile de térébenthine qui s'évaporent à la cuisson” (Bastian, 1986, p. 134). “Les couleurs sur glaçure, préparées à base d'oxydes colorants, cuites à des températures peu élevées (environ 700 °C) permettent une gamme presque illimitée de tons et de teintes. Toutefois, à mesure que l'on augmente la température, la palette se rétrécit” (Rada, 1989, p. 83). 25 La couleur reine de la peinture au réverbère est incontestablement le pourpre, mélange à base de trichlorure d'or et d’étain qui doit son nom au chimiste allemand Andréas Cassius (1605-1673), diffusé aux environs de 1685, et qui donne des teintes allant du rose le plus clair jusqu'au pourpre et au violet. On trouve également plusieurs sortes de verts, un bleu très lumineux, des jaunes éclatants, des noirs, et toutes sortes de couleurs, dont les multiples recettes ont été consignées — parfois en code secret, comme à Aprey — dans les carnets des manufactures conservés dans les archives. Dans certaines productions de luxe, on a également utilisé l'or, qui nécessite une cuisson spécifique à environ 750 °C, et doit ensuite être poli à l'agate. 26 Il existe deux techniques différentes pour décorer les faïences cuites au réverbère. Dans le premier cas, “grand genre" qualifié à l’époque de peinture en fin ou en qualité fine, les motifs sont exécutés directement au pinceau, à l’aide des couleurs choisies, comme dans un tableau. Les meilleurs ouvriers peuvent travailler à main levée, ou s’aider de repères, ou de gabarits, qui permettent d’obtenir plus de régularité dans les séries. Il existe diverses manières d’ombrer les motifs et de poser les couleurs — en larges àplats, en savants dégradés, en coups de pinceau irréguliers mais précis, ou en fins traits serrés —, qui donnent des résultats esthétiques extrêmement variés, et autorisent la juxtaposition des teintes et les mélanges raffinés. 27 Dans la deuxième technique, d’exécution plus simple, et d’un prix de revient inférieur, on commence par délimiter les contours du motif à l’aide d’une couleur foncée, en s’aidant d’un poncis ou d’un gabarit, puis on remplit les divers champs avec les couleurs choisies, en général posées en à-plats et sans mélange. Dans la technique traditionnelle de la fresque, le dessin préparatoire tracé par l’artiste avec un pigment rouge sur la maçonnerie avant l’exécution finale était appelé sinopie. Depuis plus d’une centaine d’années, les amateurs donnent le nom de chatironné à ce type de décor, et il convient ici de faire le point sur ce débat terminologique. Selon le Trésor de la langue française, ce mot vient de l’allemand Schattierung, terme utilisé en céramique, et qui signifie “nuance, dégradé”. À ma connaissance, c’est Brongniart qui, le premier, l’a utilisé dans son Traité de 1844, à propos des porcelaines de la Manufacture de Saxe : “La peinture était ce qu’on appelle chatironnée, du mot allemand schattirung, qui veut dire ombré, parce que les contours et les ombres étaient peints avant l’application des couleurs et de leurs nuances” (Brongniart, 1877, t. II, p. 379). Plus loin (p. 582), à propos des “couleurs spéciales”, il écrit : “On appelle en France chatiron, du mot allemand Schattirung, qui veut dire ombre, une matière qui servait autrefois à dessiner les traits d’ombres sous les couleurs transparentes. Cette substance n’est autre chose que le précipité pourpre de Cassius, employé sans fondant, quand il n’est pas d’assez bonne qualité pour donner de beaux carmins, pourpres et violets. On l’emploie assez fréquemment en Allemagne ; mais on n’en fait presque aucun usage en France, il brunit trop les contours”. Cette définition sera reprise in extenso dans le Dictionnaire universel de Larousse au XIXe siècle, mais les auteurs — souvent approximatifs — de la fin du XIX e et du début du XXe siècles consacreront l’emploi de l’expression “décor chatironné”, qui semble avoir la vie dure. Constatant l’impropriété de ce terme couramment utilisé, 37 quelques auteurs récents ont apporté leur contribution à ce débat. Ainsi, en 1986, Jacques Bastian utilise le terme de “qualité contournée” à propos de Strasbourg. Ses détracteurs lui rétorquent que le mot prête à confusion, dans la mesure où il est déjà employé en céramique pour désigner une forme. En 1987, on précisait que “le terme de chatironnage n’a jamais été employé à Charolles. On parlait de tracé” (Molin, 1987, p. 62). D’autres parlent de : “trait préparatoire”, et le débat est loin d’être clos. On pourrait proposer bien d’autres expressions, comme celle de ”décor cerné”, le plus difficile n’étant pas d’en trouver une, mais bien de faire en sorte qu’elle soit reconnue comme adaptée et claire, puis adoptée par tous. Pots à couleur (fouilles de la manufacture de Meillonnas, 1989). NOTES 1. Rosen J., Marco de Lucas M. del C., Moncada F., Morin A. et Ben Amara A., « Le rouge est mis : analyse des rouges dans la faïence de grand feu du XVIIIe et du XIXe siècle (avec le rouge de Thiviers) », Archéosciences, n° 30, 2006, en ligne sur https:// journals.openedition.org/archeosciences/224. 38 Chapitre 5. La cuisson Les fours 1 « La description de tous les fours construits représenterait à la fois des types importants mais aussi toutes les tentatives avortées ou non, les constructions sérieuses ou fantaisistes, les aberrations, les erreurs, les monstres. C’est évidemment, de nos jours, impossible. Tous les documents archéologiques sont particulièrement discrets sur les outils de fabrication des céramiques et notamment les fours. Si l’on trouve des milliers d’études des formes, des couleurs et des décorations des objets céramiques, on a peu de documents relatifs aux fours et aux procédés de cuisson. Pourtant il n’existe d’objet artistique que par la conjonction d’un esprit et d’une main d’artiste et de procédés techniques. Si les premiers ont, pour eux, l’avantage du résultat et la gloire de la forme, les deuxièmes, le plus souvent, discrets et anonymes, ne sont pas moins indispensables » (Coudamy, 1987, p. 19). Pour résumer les nombreux problèmes posés par les fours à faïence de manière simple, on peut dire avec Brongniart (p. 186) que toute structure de ce type doit comporter un endroit destiné à recevoir le combustible, le foyer, une prise d'air pour activer le feu, la bouche, un espace où l'on dispose ce qui doit être cuit, nommé laboratoire, ainsi que divers éléments permettant la circulation de la chaleur depuis le foyer jusqu'à l'évacuation des produits de la combustion. 2 La plupart des fours utilisés par les faïenciers du XVI e au début du XIX e siècle étaient à axe de tirage vertical et à flamme directe, intermittents, et chauffés au bois. Ils sont dits en demi-cylindre couché, car ils sont rectangulaires et voûtés. Picolpasso en donne les détails de la construction (folios 31 à 35), et Brongniart déclare qu'ils doivent être les plus anciens, ce qui reste à prouver. Ils étaient chemisés en briques réfractaires et appuyés contre d'épais murs ou des contreforts pour leur permettre de résister aux terribles poussées dues aux températures atteintes et aux refroidissements successifs. 3 L'une des meilleures descriptions, parce qu'elle est à la fois claire et très précise, est celle de Gabriel Montagnon, qui décrit ceux de Nevers ainsi : « C'est en somme une construction complète campée au milieu des fabriques, mais séparée par des passages permettant de circuler autour, appelés gourlottes. Assurances contre les incendies et remise pour le matériel de cuisson. Nos fours comprennent un sous-sol et deux étages. Au sous-sol, on trouve en avant une fosse de débraisage et d'évacuation des cendres ; 39 puis le foyer appelé alandier formé d'une arcature en plein cintre de la longueur du bois de moulée d'autrefois (1,14 m) et dont les murs sont reliés au milieu par les grilles. La première du côté extérieur est formée par une guise, grosse pièce de fonte, les trois autres par des quartiers de réfractaire. Il va sans dire que tout le matériel en contact avec le feu est réfractaire. […] Au-dessus et se prolongeant sur un mètre, le soutre qui reçoit les bois en braise. Et au-delà en surélévation, la sole qui contient les émaux à vitrifier. Ce sous-sol est séparé de l'étage supérieur dans lequel sont placés les objets à cuire, par une voûte en plein cintre épaisse dont la surface est parsemée de trous, les carneaux, et dont les pieds droits sont entrecoupés de passages pour les gaz chauds, qui correspondent à l'appareillage des carneaux. Les parties pleines sont appelées arcadons. De plain-pied avec le rez-de-chaussée de l'usine, le carrelage du four est percé de rangées de carneaux tout autour. C'est dans cette partie que vont être disposés les objets à cuire en émail et couleurs sauf tout à fait en haut, sous la voûte du globe, chambre supérieure du four séparée de celle du dessous par une voussure en anse de panier, percée de carneaux, et terminée par une autre voûte surmontée de quatre cheminées à registres, disposées en carrés » (Montagnon, 1987, p. 49). Les portes de service des différents étages, laboratoire et globe, étaient situées soit sur l'arrière, soit sur le côté, et correspondaient à différents étages du bâtiment. Elles étaient murées par un briquetage luté avec des déchets de terre sableuse pendant la cuisson, et on ménageait une petite ouverture munie d'un tampon mobile dans la porte de l'étage inférieur pour pouvoir surveiller la cuisson. Comme nous manquons souvent de renseignements, il est difficile de dire si tous ces fours se terminaient par une cheminée identique, et quelle forme précise elle pouvait avoir. Il fallait prévoir une évacuation assez haute, pour éviter que les vents puissent rabattre la fumée, et orienter les fours en fonction des vents dominants. D'autre part, les conditions de salubrité et de sécurité imposaient également que les cheminées soient assez hautes pour éviter de polluer les environs : à Charolles, la cheminée du grand four rond achevé en 1857, après un an de travaux, culminait à 23 m, hauteur imposée par la municipalité, afin de protéger les malades de l'hôpital tout proche (Moulin, 1987, p. 90). 4 Pour connaître l'aspect de ces fours et en comprendre le fonctionnement, on pourra utilement se reporter à la restitution faite par Camille Pellet d'après les observations archéologiques effectuées à Arthé, en Bourgogne auxerroise (C. Pellet, 1993, p. 56-57), et suivre sur les dessins la description de Gabriel Montagnon ci-dessus. Une image vivante de ce type de four en activité a également été donnée par Robert Biton à la suite des études archéologiques menées sur le site de la faïencerie de Vausse, en Bourgogne dite « auxerroise », en 1994 (Biton, 1994). 5 Dans diverses fouilles de manufacture, les structures encore en place qui ont pu être observées permettent de reconnaître les éléments de ces fours en demi-cylindre couchés, de nombre, de taille et de dimensions très variables, même si, la plupart du temps, elles ont été arasées et ne subsistent que jusque sous le niveau de la sole. À Apt, le 4 juin 1993, lors de la Journée table ronde nationale sur Les fours à faïence (XVII eXIXe siècles), malheureusement non publiée, une douzaine d'intervenants ont présenté le résultat de leurs recherches, qui tendent à prouver que, si le principe de base reste le même, les configurations peuvent être fort variables. Nombre de questions restent encore sans réponse, notamment la présence et l'emplacement de grilles. La plupart des fours étudiés sont classiques : c'est le cas, notamment, à Dijon pour le four de la fabrique de Montmuzard (Rosen, 1985, annexe 4, n° 1), à Lyon pour les deux fours de la fabrique de Combe (Lyon, 1994, p. 53), à Meillonnas (Rosen, 1993, p. 54), à Nevers (four 40 de l'Autruche). Celui de la manufacture des Auges, à Langres, est resté presque intact et dans un état de conservation remarquable. Parmi les nombreux fours étudiés lors des fouilles du Faubourg Saint-Sever, à Rouen, deux magnifiques exemplaires accolés datables du début du XVIIIe siècle, de la manufacture Poterat-Dionis, possèdent des foyers en ogive (Deleau et alii, 1993, p. 47). À Ancy-le-Franc, on note quelques variantes de constructions dans les quatre structures de la deuxième moitié du XVIII e siècle qui ont été découvertes (Biton, 1986, p. 39 à 53). Le grand four circulaire à six alandiers et trois niveaux de la fabrique Esbérard, à Apt, offre un superbe exemplaire fort bien conservé d'un type différent, dit cylindrique vertical, qui appartient au XIX e siècle. Il a plus de 9,50 m de haut et 5,10 m de diamètre (Moustiers, 1993, p. 23). Un four à bois à cinq alandiers de plus de 30 m3, construit en 1870 et conservé sur l'emplacement de l'ancienne manufacture de Charolles, est d'un type semblable (Moulin, 1987, couverture). On trouvera une excellente description des différents types de fours de faïencerie dans la publication de Christian de la Hubaudière, L'art de la faïence des Caussy (2007), mentionnée plus haut. 6 Comme on l’a évoqué au paragraphe précédent, la cuisson de la faïence peut également se faire dans des fours spéciaux dits de moufle, destinés aux couleurs de réverbère. Les moufles sont des étuis rectangulaires en terre cuite dont la partie supérieure est voûtée, qui doublent les parois du four, en quelque sorte, et offrent la protection supplémentaire et la cuisson beaucoup plus douce nécessaires à la réussite de ce procédé (du 3e au 6 e degré du pyromètre de Wedgwood). Dans son ouvrage sur la faïence de Samadet, le docteur Borredon a reproduit une photo très parlante du four à moufle de la faïencerie de Martres-Tolosane (Borredon, 1990, p. 99). 7 En résumé, on peut constater, dans l'ensemble, que chaque fabricant avait tendance à adapter le type de four en demi-cylindre couché à son espace propre et à en modifier éventuellement quelques aspects de manière empirique pour en améliorer le fonctionnement. De plus, les réparations étaient très fréquentes car les briques se fissuraient et les parois internes se couvraient rapidement de concrétions nuisibles à la bonne circulation de l'air chaud. On reconstruisait même entièrement les fours à neuf suivant une périodicité évidemment variable, en fonction du rythme des cuissons. L'enfournement 8 Comme on l'a vu précédemment, les pièces en terre crue étaient cuites dans la partie supérieure du laboratoire du four, parfois nommé globe, où la température était moins élevée. On pouvait enfourner en charge, c’est-à-dire pêle-mêle, en disposant les assiettes et les plats les uns sur les autres, en petites piles. Pour les formes ouvertes creuses, on utilisait des renversoirs, ou contre-formes en bosse, afin d'éviter tout risque de déformation ou d'affaissement. Pour les autres formes, on avait recours aux deux méthodes d'enfournement traditionnellement réservées à la faïence émaillée, l'encastage et l'échappade ou chapelle. L'encastage 9 Cette technique consiste à protéger les pièces à cuire des flammes directes, des fumées, des cendres salissantes et des projections dangereuses, en les disposant dans des cazettes ou gazettes, sortes d'étuis en terre cuite, dont les formes très diverses étaient 41 fonction des pièces à cuire. On en attribue parfois l’invention à Bernard Palissy, en se référant au passage de son ouvrage De l’art de la terre, des émaux et du feu, paru en 1580, où il dit : « Mais en cuisant une autre fournée il survint un accident duquel je ne me doutois pas : car la véhémence de la flambe du feu avoit porté quantité de cendres contre mes pièces, de sorte que par tous les endroits où ladite cendre avoit touché, mes vaisseaux estoyent rudes et mal polis, à cause que l’émail estant liquifié s’étoit joint avec lesdites cendres […] je fis faire grand nombre de lanternes de terre à certains potiers pour enfermer mes vaisseaux quand je les mettois au four : afin que par le moyen desdites lanternes mes vaisseaux fussent garentis de la cendre » (Palissy, 1863, p. 30). En fait, Picolpasso, dans son traité de 1548, montre déjà divers types de cazettes (en italien case) utilisés par les fabricants de majolique (folio 15), dont un circulaire et très plat servant à cuire une seule pièce, par ailleurs identique à ceux qui étaient utilisés à Nevers au début du XVIIe siècle (Rosen, 1988). Il y en avait de cylindriques, de carrées, d'ovales, plus ou moins hautes, pouvant contenir un ou plusieurs types d'objets. Elles étaient empilées les unes sur les autres dans le four, bouchées par des rondeaux percés d'un trou en leur milieu, soigneusement jointes par un lut d'argile mêlée de sable, parfois réalisé à l'aide de colombins. Leur paroi intérieure pouvait être engommée, c’est-à-dire émaillée d'un mélange riche en plomb, afin de protéger les pièces contre les projections de particules indésirables, le dessèchement, et les phénomènes d'attraction entre l'émail et la terre. Depuis la fin du Moyen Âge jusqu'au milieu du XIXe siècle, on constate une évolution de la forme des cazettes, selon un principe maximum d'économie de place. Au XVIIIe siècle, à Nevers et à Rouen, par exemple, certaines cazettes pouvaient contenir une douzaine d'assiettes. À Meillonnas, au début du XIXe siècle, il y en avait de carrées pour la cuisson des écuelles à oreilles et d'autres munies d'excroissances ménagées pour les anses des soupières. 10 Les pièces émaillées ne doivent pas être en contact au cours de la cuisson, ce qui les collerait les unes aux autres lors de la vitrification de l'émail. Afin de les séparer, on les fait reposer sur un certain nombre de supports triangulaires de terre cuite, les pernettes, enfilées dans les trous triangulaires des échelles verticales disposées en quinconce et pratiqués dans la paroi des cazettes. Ces pernettes sont en forme de prisme, de taille très variable, suivant le poids des pièces qu'elles devaient supporter. Réalisées à la main au début, elles sont devenues de plus en plus régulières, et parfois moulées au XIXe siècle. Elles pouvaient servir plusieurs fois. L'échappade ou chapelle 11 Les pièces que l'on ne peut pas superposer à l'aide de pernettes étaient cuites en échappade ou en chapelle, c’est-à-dire sur des plaques ou tuiles séparées entre elles par des piliers ou pilets, sortes de bobines de terre cuite de tailles diverses. À Charolles, ces piliers allaient de 8 à 45 cm, en 12 tailles (Moulin, 1987, p. 100). Les plaques carrées, d'une taille intermédiaire entre 0,40 m et 1 m de côté, avaient une épaisseur d'environ 25 mm. On se servait de colombins de terre, de pâtons et d'accots pour caler tous ces échafaudages. Dans ce cas, les pièces entièrement recouvertes d'émail pouvaient être empilées les unes sur les autres et séparées par des trépieds à trois tiges munies de pointes, les picots, ou pattes de coq. On utilisait également des colifichets, pernettes en forme d'étoile à trois branches sur lesquelles on faisait cuire les pièces sur les plaques en bas du laboratoire. 42 12 Tout ce matériel d'enfournement devait avoir une résistance supérieure à toute la céramique qu'il servait à cuire. C'est la raison pour laquelle on le préparait à l'aide de mélanges d'argiles de différentes qualités, particulièrement bien lavées, auxquelles on ajoutait des ciments également nommés dégraissants, souvent réalisés à partir de chamotte – de l'allemand charmot –, terre déjà cuite réduite en fines particules. Ces mélanges étaient indispensables pour augmenter les qualités réfractaires de ces pâtes destinées à subir des feux intenses et à être réutilisées plusieurs fois. Ces cuissons successives renforçaient leurs propriétés et, même lorsque les cazettes étaient brisées en plusieurs morceaux, on n'hésitait pas à les faire resservir, en les maintenant grâce à des cordes (Brongniart, 1877, p. 198 ; Pellet, 1993, photo p. 68). 13 Toutes les fouilles de faïenceries fournissent des quantités impressionnantes de ce matériel d'enfournement qui était fabriqué sur place, avec de grandes constantes de types, mais une variété caractéristique de formes empiriques parfois inattendues, que Gabriel Montagnon attribue à « l'ingéniosité si utile dans notre métier » (Montagnon, 1987, p. 50). Il est toujours émouvant d'y voir les empreintes digitales laissées par les ouvriers, parfois depuis plusieurs siècles. 14 Après avoir rempli le globe avec les pièces crues, on obturait la porte de l'étage supérieur, puis on remplissait le laboratoire. Les gestes décrits par Gabriel Montagnon, pratiqués par des générations de faïenciers, sont d'une vérité saisissante, et nous permettent de comprendre l'importance capitale de ces opérations dont dépendaient souvent la réussite et la consécration de plusieurs semaines de travail. « Les deux ou trois enfourneurs disposent à l'intérieur tout autour deux files parallèles de gazettes de pièces creuses, ménageant ainsi le passage aux cheminées d'appel des gaz qui montent du foyer par les carneaux. Dans le grand espace libre sont construites les échappades où sont disposés les objets émaillés ou peints de faïence commune, jusqu'à la hauteur du carrelage du premier étage de l'usine. Ainsi est établie une plate-forme autour de laquelle, en prolongement des files de gazettes déjà placées, en seront disposées d'autres remplies d'objets tels qu'assiettes et saladiers, et sur laquelle on montera d'autres files de grandes gazettes contenant les grandes pièces artistiques, dont on utilise les retraits des galbes et les cavités au logement des bibelots […] Le contremaître préside d'ailleurs à cette opération délicate pour que tout soit mis en place, à la place indiquée par la sensibilité des émaux et décors, et sans perdre de place » (p. 50). L'Encyclopédie (pl. IX) montre une illustration bien symbolique du résultat, mais on peut en avoir des exemples plus clairs dans des publications plus récentes (Després, 1976, couv. et p. 57 ; Moulin, 1987, p. 102). Le combustible 15 Comme on l'a vu, la cuisson de la faïence doit se faire dans des fours à flamme, où la combustion se continue au milieu des objets à cuire. Par conséquent, on préférait les combustibles qui produisent de la flamme à ceux qui produisent de la chaleur – donc, le bois à la houille. C'est la raison pour laquelle on a largement continué à utiliser le bois pratiquement jusqu'à la fin de la période qui nous intéresse, aux environs de 1850, malgré quelques tentatives d'utilisation du lignite et du charbon de terre. L’inconvénient majeur réside dans l’importance des quantités nécessaires, car le pouvoir calorique du bois totalement sec est à peu près équivalent à la moitié de celui du charbon, mais baisse très vite avec l’augmentation du pourcentage d’humidité. On 43 imagine aisément l'importance de la qualité et de l'état de dessication de ce combustible, ainsi que celle de la forme sous laquelle on le consommait. « Il fallait choisir méticuleusement les bois, connaître le sol qui les avait produits, leur orientation, l’âge de coupe, l’âge de fente » (Montagnon, 1941, p. 71). Dans le centre de la France, la corde, forme sous laquelle était souvent vendu le bois de taillis, mesurait 2,64 m de long, 0,66 m de large, et 1,32 m de haut. Pour avoir un feu plus vif, on utilisait des bois sous la forme de moulées de 1,14 m, refendues en bûches de petite taille. Les essences les plus recherchées, variables suivant les régions, étaient le tremble, le charme, le bouleau, le pin et le sapin, de préférence au chêne, qui se fend moins facilement. Dans le centre, on préférait le charme et le bouleau (Poulet, 1984, p. 69, note 53). « Nos bouleaux de la Nièvre, poussés sur un terrain caillouteux, sont d'une grande capacité calorifique » (Montagnon, 1987, p. 49). On faisait également une grande utilisation de bourrées de fagots ou fascines de diverses essences. Un fagot mesurait environ 0,70 m de circonférence sur 1 m de longueur, et pesait de 6 à 7 kg. Au XVIIIe siècle, on le définit comme un combustible « qu'on retire du nettoyage des bois, taillis et autres qui ne porte aucun préjudice au bois de construction, ny de chaufage, […] menus bois de brande, bruyère et agion » ou châtaigner (Lacombe, 1992, p. 86). 16 Alors qu’en Angleterre, le charbon était couramment employé avant le milieu du XVIIIe siècle, l’un des premiers essais connus de cuisson de céramique utilisant ce combustible eut lieu à Lille en 1785. Une soucoupe du musée de Sèvres-Cité de la céramique porte même l’inscription Fait à Lille en Flandres, cuit au charbon de terre en 1785. Les manufactures de faïence fine du nord-est de la France furent les premières à utiliser le charbon de façon régulière, aux environs de 1800. Il semble qu'à Meillonnas, on ait cuit à la houille à partir de 1825 (Rosen, 1993, p. 53). Brongniart parle d'essais semblables à Bourg-la-Reine peu après cette date (t. II, p. 31). « Ce n’est qu’en 1845 qu’une maîtrise suffisante de la combustion, la forme des alandiers et une meilleure connaissance des différentes houilles permirent les applications industrielles qui se généralisèrent vite quelques années après cette date » (Coudamy, 1987, p. 112). À Nevers, on a continué à cuire au bois jusque vers 1920 (Montagnon, 1987, p. 49). La cuisson 17 « On comprendrait mal l’histoire céramique si l’on faisait abstraction des difficultés considérables qu’eurent à surmonter les conducteurs de fours aux époques où on ne savait ni mesurer les températures, ni doser les combustibles, ni établir le rapport entre l’air et le combustible, ni maîtriser la montée en température, ni réguler le tirage […] Les fours se conduisaient à l’œil et à l’oreille. Un sens pour observer les flammes à la sortie de l’alandier et les couleurs du feu, l’autre pour noter les différences de tirage […] En effet, pour chaque cuisson, voire pour chaque alandier, le tirage pouvait être modifié par l’enfournement, les variations des conditions atmosphériques, l’usure de la fumisterie, le combustible employé. Pour un résultat satisfaisant, on devait rester dans une fourchette convenable qui se matérialisait par une vitesse de flamme bien visible au regard de l’alandier et confirmée ou infirmée par le ronronnement précédemment décrit. L’évolution de température, fait important, voire majeur, se détectait aussi par la couleur des pièces à l’intérieur des fours, tout au moins jusqu’à une température de 1 250 °C. L’état de l’atmosphère se déduisait de ces différentes observations en combinaison avec le chargement du combustible » (Coudamy, 1987, p. 22). C'est 44 sûrement au cours de cette phase capitale que s'exerce le plus, selon l’expression de Brongniart, « l'opinion des artisans, qui paraît résulter chez eux, non pas d'observations exactes, mais d'une pratique souvent répétée et qui équivaut presque à des expériences rigoureuses » (p. 215). Elle commençait par le petit feu – phase destinée à faire disparaître peu à peu l’eau « de constitution » et à rendre la forme irréversible –, qui durait quelques heures et se poursuivait par le grand feu, termes que l'on ne doit pas confondre avec les procédés de peinture sur émail cuit ou cru décrits précédemment. Brongniart parle de 15 à 16 heures pour le petit feu, de 12 à 14 pour le grand feu dans la fabrication de la faïence à Paris au milieu du XIXe siècle, soit 27 à 30 heures (t. II, p. 30). Gabriel Montagnon, lui, donne 5 à 6 heures seulement pour le petit feu, et 23 à 34 heures pour le grand feu à Nevers, au début du XXe siècle, soit 28 à 40 heures (p. 50), et on parle souvent d'une journée à une journée et demie. La durée de la cuisson était bien évidemment fonction de la qualité du tirage et des conditions atmosphériques. 18 Dans le cas d'une configuration classique de foyer à deux bouches superposées, on procédait à la mise à feu du combustible par la bouche inférieure, celle du dessus étant fermée, et on augmentait progressivement la quantité de bûches jusqu'à ce que le feu, ne produisant plus de fumée, fasse de la braise et atteigne une température suffisante, que les chaufourniers reconnaissaient à l'œil. Cette première phase de petit feu devait surtout produire de l'air chaud, destiné à faire lentement évaporer l'eau des produits, jusqu'à une température d'environ 400 à 500 °C. Elle se faisait à l'aide de gros bois, ou tout combustible produisant des flammes courtes. On fermait alors la bouche inférieure, et l'on commençait le grand feu, en jetant d'abord du bois de corde, jusqu'à obtenir une température d'environ 700 °C, puis du bois plus menu – souvent du fagot, à combustion rapide – plus vers l'avant du foyer, par la bouche supérieure, de manière à produire beaucoup de flammes longues. Il fallait éviter toute irrégularité, et assurer une montée en température constante, tout en veillant à ce que la chaleur se répartisse dans l'ensemble du four d'une manière égale grâce aux divers moyens de réglage du tirage. Parfois, les ouvriers étaient obligés de débraiser, en utilisant la bouche inférieure, ce qui, outre la pénibilité du travail, augmentait les risques de cendrage et pouvait nuire à la qualité des pièces. 19 La cuisson de la faïence stannifère se faisait en général en atmosphère oxydante, c’està-dire, comme on l'a vu, en facilitant le tirage et en évitant la formation de fumées. La réduction, qui se produit lorsque l'arrivée d'air du foyer est insuffisante ou la cheminée obstruée, donne une atmosphère enfumée et lourde au cours de laquelle le carbone et l'oxyde de carbone se combinent chimiquement à l'oxygène contenu dans les pâtes et les émaux, et donnent des résultats et des couleurs différents. Les potiers chinois étaient passés maîtres dans l'art de la cuisson en réduction. « Cela est important, et me rappelle l’ahurissement d’un de mes contremaîtres, Antoine Pabion. Je le vois encore tout impressionné et l’entends toujours me dire, en bégayant plus que jamais : “Pa… patron, voyez donc, le vert, il a donné du rouge !”. Le Toine avait voulu éprouver de l’oxyde de cuivre, base de notre vert clair. Avec une brique et une cazette, un four d’essai est monté ; la brique est entourée de charbon de bois ; elle porte une pièce émaillée en blanc recouverte d’oxyde de cuivre. Allumage, cuisson, refroidissement et… surprise, l’objet apparaît rougeâtre à la base, gris sale au milieu, et d’un beau vert clair au sommet. Je n’eus pas de peine à faire comprendre à mon homme, que le rouge du bas provenait de l’excès de carbone dégagé par la proximité du charbon de bois, mettant la partie basse du four en atmosphère réductrice, tandis que le haut du four soumis à un 45 excès d’air se trouvant en atmosphère oxydante, comme celle de nos fours, avait donné du vert. Le centre était en atmosphère neutre, en équilibre, d’où une teinte indéterminable tirant sur le gris » (Montagnon, 1941, p. 74). 20 Pendant la cuisson, suivant une pratique tout empirique, mais particulièrement efficace, les ouvriers spécialisés repéraient les diverses couleurs prises par les objets, par des visières ménagées à divers endroits du four, parfois baptisées lorgnons. Ils surveillaient ainsi le feu, l'état des pièces et la bonne répartition de la chaleur. Ils se servaient également de montres, sortes de pyroscopes en forme de petits gobelets possédant les mêmes caractéristiques de pâte et de touches de couleurs que les pièces à cuire, et facilement accessibles. À Charolles, « le chef de four disposait de six montres, deux en bas et quatre en haut, qu'il n'utilisait pas toujours en totalité » (Moulin, 1987, p. 95). Avec leur grande expérience, ces spécialistes pouvaient ainsi juger de l'avancement de la cuisson aux divers endroits du four où les montres étaient placées, en les retirant avec un long crochet introduit par les regards. On trouve toujours un bon nombre de ces objets amusants et instructifs lors des fouilles de faïenceries. À Langres, deux d'entre eux portent même la date de la fournée. 21 Lorsqu'on jugeait la cuisson terminée, il fallait encore veiller à ce que la température décroisse très régulièrement pour éviter tout choc thermique nuisible à la qualité des pièces. Ce refroidissement durait au moins une journée. Puis, on démolissait les portes progressivement. Au défournement, on commençait par le biscuit, qui était soigneusement examiné et sélectionné. On rejetait ainsi toutes les pièces qui ne présentaient pas un aspect lisse et impeccable. On le faisait également sonner, pour déceler et éliminer toute pièce présentant la moindre fêlure qui aurait risqué de causer un accident lors de la deuxième cuisson, et de provoquer d'inutiles dépenses. 22 Les faïences émaillées contenues dans les cazettes et les échappades présentaient toujours des pertes sur cuisson (Moulin, 1987, p. 107), des irrégularités et des défauts, d’où divers états de qualité qui entraînaient plusieurs choix, en fonction du résultat obtenu. À Grenoble, on en comptait jusqu'à six, qualifiées de n° 1, n° 2, n° 3, passable, rebut, gros rebut (Bosso, 1980, p. 41). 46 Le four de la manufacture des Auges, à Langres. 47 Chapitre 6. Les défauts techniques 1 Dans les livres classiques sur la faïence, qui ne s'intéressent qu'aux beaux objets décorés, on parle rarement de ces phénomènes – ce qui peut en outre s'expliquer par leur caractère parfois extrêmement complexe. Certains auteurs les ont cependant abordés (Brongniart, 1877, t. I, p. 173 ; Deck, 1887, p. 197 ; Montagnon, 1987, p. 51 ; Molin, 1987, p. 107 ; Borredon, 1990, p. 98, entre autres). Toutefois, ces problèmes revêtent une importance capitale, dans la mesure où la réussite économique et l'aspect final esthétique des produits dépendent entièrement de leur connaissance et de leur maîtrise par les faïenciers. 2 Ces problèmes techniques peuvent être dus aux différents éléments constitutifs des pâtes, aux réactions provoquées par l'incompatibilité – ou, au contraire, l'excès d'affinité – de la pâte et de l'émail, et à l'excès ou à l'insuffisance de température lors de la cuisson. 3 Les marnes ou terres calcaires utilisées dans les mélanges servant à fabriquer la faïence contiennent le plus souvent des argiles riches en carbonate de chaux qui servent de fondant nécessaire pour empêcher les gerçures de l'émail. « Lorsque ce minéral [le calcaire] est très finement divisé et réparti dans l'argile, il ne présente aucun danger pour la poterie. On connaît, en revanche, l'effet désastreux des grains calcaires sur les objets céramiques qui les contiennent […] Cette réaction s'accompagne d'une forte augmentation de volume qui suffit à faire éclater la paroi de l'objet. La présence de ces éclats est la marque d'une mauvaise préparation de la matière première. Ils sont très facilement repérables à la surface des parois où chacun d'eux présente en son centre un grain blanc caractéristique de la chaux responsable du défaut » (Dufournier, 1989, p. 12). 4 Le faïencier peut également rencontrer des problèmes dus à la compatibilité réciproque de la pâte et de l'émail, déjà évoqués ci-dessus. En 1762, le baron de Meillonnas parle des « expériences coûteuses sur les couleurs analogues aux sables et terres du pays », et cherche à se procurer à bas prix du « sel de Franche-Comté, les terres du pays ne voulant porter que le blanc composé avec le sel des salines » (Rosen, 1993, p. 217). 5 Les problèmes concernaient souvent l'aspect final de l'émail, qui déterminait la catégorie de qualité – et le prix de vente – des pièces. « Les produits dont l'émail et la pâte sont en harmonie peuvent être mis en désaccord par un défaut ou un excès de 48 feu » (Deck, 1887, p. 210). Si le feu est insuffisant, suivant le manque ou l'excès d'affinité entre le biscuit et l'émail, ou pour de multiples autres raisons qu'il appartient au faïencier de connaître et d'éviter, l'émail peut prendre divers aspects. 6 S'il y a tressaillure, l'émail s'est rétréci plus que la pâte. Par la suite, cela entraînera la pénétration des liquides : plus les mailles sont abondantes, moins l'accord est parfait. Les tressaillures peuvent également se produire si le biscuit est insuffisamment cuit. On peut éviter le tressaillage en augmentant le degré de fusibilité de l'émail, ou en diminuant la quantité de matières plastiques dans la pâte. 7 Si la pâte s'est plus dilatée que l'émail pour se rétrécir davantage au refroidissement, il y a écaillage, c’est-à-dire que l'émail se détache de la terre, et le phénomène se produit surtout sur les bords et les angles. Il en va parfois de même si le biscuit est trop cuit. On peut éviter cet inconvénient, entre autres, en augmentant la plasticité de la pâte et les fondants, ou en diminuant la silice de l'émail. 8 La nature de certaines pâtes et surtout les qualités spécifiques des mélanges employés dans la fabrication de certaines faïences culinaires entraînaient l'utilisation d'un émail très couvrant, ou difficilement fusible, ce qui provoquait des empâtements qui peuvent surprendre lorsque l'on compare la finesse du moulage sur le biscuit avec le piètre résultat obtenu après cuisson. Le cas est flagrant sur les reliefs des pièces moulées, comme les oreilles d'écuelle. Dans ces conditions, il n'est pas impossible qu'on puisse expliquer ainsi par la technique la disparition des moulurations vigoureuses du XVIIIe siècle et la simplification progressive des formes vers le début du XIX e siècle, à une époque où la faïence culinaire prend de plus en plus d'importance. 9 On observe parfois des trous, voire une plage plus ou moins grande de biscuit non recouvert. Ce phénomène de rétraction ou retirement peut être dû à la trop grande densité du biscuit, ou à une propreté défectueuse. Si l'on constate un effet de peau d'orange, ou de coques d'œuf, c'est que l'émail est insuffisamment fusible ou peu compatible avec le biscuit, ou le feu trop faible. Les bouillonnures, ou les coulures sont en général dues à un excès de feu. Un émail terne et sans éclat, ressuyé, indique une trop grande dureté de l'émail, ou une protection insuffisante des cazettes. 10 Les effets de sablage qu'on observe fréquemment sur les pièces de second choix des petites fabriques sont provoqués par le dépôt de cendres et d'impuretés sur l'émail en cours de cuisson et sont dus à une mauvaise maîtrise du feu. Les coulées d'oxydes métalliques du décor dénotent un feu excessif ou un mauvais positionnement des pièces de forme lors de l'enfournement. Il semble qu'on n'ait guère trouvé d'explication aux picassures ou ponctuage, qui se manifestent par une multitude de petits points noirs disgracieux à la surface de l'émail. « Elles sont aussi redoutables qu'inexplicables […] D'aucuns accusent la calcine, d'autres le minium, d'autres le sel. J'ai tout essayé, procédant par élimination, et par substitution sans aboutir » (Montagnon, 1987, p. 51 ; Brongniart, 1877, t. I, p. 175). 11 Il n'est pas aisé de mener régulièrement un feu pendant les nombreuses heures qu'exige la cuisson des pièces, et on a parfois des à-coups qui entraînent des accidents. Un feu excessif peut causer des dommages plus irrémédiables : coulures d'émail d'une pièce sur l'autre, ou fusion d'éléments qui se trouvent soudés entre eux. La rupture des pernettes, à l'intérieur d'une cazette, peut entraîner l'effondrement de toute la charge : on obtient alors un mouton de plusieurs pièces soudées entre elles, qui occasionnent 49 parfois des pertes importantes. Il est fréquent d'en retrouver lors des fouilles de faïenceries (Rosen, 1990, p. 215). Raté de cuisson : tastevins sur un fond de cazette, Nevers, fin du XVIIe siècle, fouilles J. Rosen, 1989. 50 Chapitre 7. Mise au point concernant la comptabilisation de la production et le prix de vente dans les manufactures de faïence jusqu'au XIXe siècle 1 Dans la mesure où la socio-économie de la production n'a pas vraiment été abordée dans cet ouvrage essentiellement historique et technique, je voudrais cependant consacrer ce chapitre à une brève mise au point concernant un aspect bien particulier de ce problème délicat. Ce supplément me paraît utile dans la mesure où il explique le mode de comptabilisation du travail et des pièces, spécifique de l'époque, bien différent du nôtre, et dont la méconnaissance a souvent été source d'erreurs ou d'invraisemblances. Par la même occasion, on précisera le sens de certains mots utilisés dans ce domaine et qui, mal compris, ont provoqué la confusion dans les esprits. 2 A titre d'exemple, dans une publication, on évaluait la production d'une faïencerie à 10 000 pièces par an, pour 24 fournées, donnant 21 600 livres de produit. On en déduisait que l'unité coûtait 2,16 F, alors qu'un peu plus loin, on indiquait que le prix moyen des assiettes décorées les plus chères était de 3 F la douzaine. Cette incohérence vient d'un contresens à propos du mot « pièce », terme qui, de même que « fournée », « cuitte » et quelques autres, peut prêter à confusion, ces mots pouvant parfois être employés l'un pour l'autre. 3 Le terme de « fournée » désigne en principe le contenu d'un four, la « cuitte », ou cuisson, pouvant représenter autant de fournées qu'il y a de fours. On cuit en effet en une seule fois toute la production de la période écoulée depuis la dernière « cuitte ». À Meillonnas, selon les archives de la fabrique, de 1795 à 1801, avec deux fours, on a fait une moyenne de 17,5 fournées par an. De septembre 1801 à septembre 1807, donc en six ans, “ on fera 144 fournées, [12 « cuittes » par an, soit 24 « fournées »] qui, à la même proportion doivent rendre 18 884 livres “. 51 4 Le mot « pièce » est issu du latin médiéval petia ou morceau. Alain Rey précise : « Comme « morceau », « pièce » réalise le double sémantisme de « partie d’un tout » et de « partie autonome, unité » (Alain Rey dir ., Dictionnaire historique de la langue française, p. 1633). Quand on parle de faïence, il faut donc se méfier de ce terme car, à ces époques, il ne désigne pas un objet comme aujourd'hui, mais une unité déterminée, à partir de laquelle toutes les autres sont définies. En effet, à partir du XVII e siècle, la « pièce » est l'unité de base servant à la fois au calcul du travail et du prix de vente. Les marques comportant la lettre P précédée et/ou suivie de chiffres peuvent vouloir dire soit « pièce », soit « pour », mais ne constituent en aucun cas une signature. (On ne compte plus les monographies locales qui cherchent systématiquement parmi le personnel un ouvrier dont le nom commence par un P, pour lui attribuer des objets marqués de cette lettre !). En fait, les objets qui demandent le plus de travail (les plus chers) peuvent compter pour 6 « pièces » et plus : c'est souvent le cas des fontaines de 6 P(ièces). Les plus vite faits (les moins chers) se comptent en fraction de « pièce » (« 2 p 1 » ou « 4 p 1 », soit 2 pour 1 ou 4 pour 1), ou « portions ». 5 On rencontre très fréquemment le terme de « nantois » dans de nombreux documents d'archives sur la faïence, et Gérard Montagnon, faïencier à Nevers jusqu’en 2016, et héritier d'une tradition vieille de quatre siècles, m'a avoué qu'il l'utilisait encore, mais qu'il en ignorait la signification. Ce terme de « nantois » doit donc correspondre à la taille standard pour un type de forme considéré. À ma connaissance, seul le Dr Marchant, en 1885, a indiqué qu'il s'appliquait à une taille, sans plus de précisions (Marchant 1885, p. 34). 6 On aurait pu supposer que le mot venait du nom du port d'exportation principal de la faïence, Nantes, mais Chantal Soudée-Lacombe, qui a beaucoup travaillé sur les archives de plusieurs manufactures, a récemment émis une opinion qui me semble emporter l’adhésion : le terme de « nantois » doit être un raccourci de « un en trois » (soit « trois pour un ») prononcé à la créole (ou en français du XVIII e siècle ?), trois objets ayant dans ce cas la valeur d’une « pièce ». Le « nantois » est donc situé entre la demi-pièce et le quart de pièce. 7 Toutes les vérifications qui ont pu être opérées dans les différents comptes qui apparaissent dans les archives montrent que « nantois » correspond en effet bien à cette valeur. Système de dénomination de la taille des pièces en vigueur dans les faïenceries du XVII e au XIXe siècle (en fonction de la quantité de travail par rapport à l'unité, ou « pièce », par ordre décroissant de grandeur : • de plus de deux pièces (3, 4, 5, 6 P ou plus) • de deux pièces (2 P) • de pièce et demie, ou « moyen (P 1/2) • de pièce (P) • trois pour deux (3 p 2) • deux pour un (2 p 1), • « nantois », soit trois pour un (3 p 1), • quatre pour un (4 p 1) • portion. 8 On peut rencontrer en outre d’autres termes spécifiques, comme « menu » ou « grande douzaine ». Ainsi, « menu » équivaut à « pièce » dans l’expression « 100 de menu » : à Meillonnas, au début du XIXe siècle, le « 100 de menu », ou « grand cent », composé de 52 100 « pièces », équivaut à 150 objets dont la taille est dite « 3 p 2 » (trois pour deux), à 200 de « 2 p 1 » (deux pour 1), ou à 300 « nantois » (trois pour 1). À Rouen, la « grande douzaine » était constituée de 24 « 2 p 1 », de 36 « 3 p 1 », ou de 36 « de portion » (Pottier 1986, p. 325). À Nevers, la "grande douzaine" était en réalité composée de 36, de 42 et même de 72 pièces-objets (du Broc de Segange, 1863, p. 220). 9 André Pottier, en 1869, avait déjà fourni une hypothèse très juste de ce système typique de l'Ancien Régime, pratique à l'époque, mais complexe à nos yeux aujourd'hui, quand il disait : “ Je pense donc que ce numérotage pourrait s'expliquer par cette particularité de fabrication qui ramenait toutes les pièces à une unité déterminée, et qui évaluait la valeur des pièces d'un prix supérieur à cette unité, en les assimilant à plusieurs unités réunies [...] On disait un plat de 2, de 3, de 4, de 6 pièces, ce qui indiquait que sa valeur, tant à l'égard de l'ouvrier qui l'avait confectionné qu'à l'égard de l'acheteur, était égale à 2, 4, 6 plats de l'espèce prise pour unité ” (Pottier 1986, p. 324). De même, Gabriel Montagnon, vers 1950, écrivait : “ La base de tarification qui a servi pour les salaires et pour le commerce est la « pièce », et la valeur de la pièce est de 1 franc : ainsi, le saladier ou le vase de nuit payés 1 franc sont appelés « d'une pièce » ; et quand nous parlons de saladier et de vase « de deux pour un », cela signifiait qu'il en fallait deux pour une pièce, d'où les prix de 50 centimes ” (Montagnon1987, p. 38). À Nevers, vers 1850, après la suppression de la « grande douzaine », on vendait « à la douzaine » et « au cent ». Décompte de travail aux pièces (Nevers, XVIIIe siècle) 53 Conclusion 1 Connaître la technique de la faïence peut nous permettre d'apprécier la maîtrise de ce que l'on appelle encore parfois un métier, c’est-à-dire d'un ensemble de pratiques et de savoir-faire caractéristiques de la période préindustrielle. L'intérêt éventuellement suscité par les recherches sur les faïenceries dans le cadre de l'archéologie industrielle est largement déterminé par ce type d'approche. Avoir conscience de sa complexité physico-chimique et des enjeux techniques qu'elle suppose nous met également en mesure d'apprécier la véritable nature de la faïence que nous avons sous les yeux : loin d'être un simple support d'images, elle est avant tout un matériau, résultat de contraintes insoupçonnées qui, dans une grande mesure, déterminent son aspect final. On ne peut dans ce cas pas l'appréhender comme s'il s'agissait simplement de dessin ou de peinture. Dans ce but didactique, le musée du Revermont, à Treffort-Cuisiat – antenne éclatée des Musées des Pays de l’Ain –, a fait un effort particulièrement remarquable en consacrant une salle d’exposition permanente à la mise en scène de la chaîne de fabrication de la manufacture de Meillonnas, située à quelques kilomètres, à l’aide de matériel archéologique et de produits semi-finis restaurés. Dans le même esprit, on peut également signaler l’ancienne présentation de la technique de la faïence au Musée de Céramique de Rouen ou, à l'étranger, l'évocation d'une faïencerie avec son four remonté au Musée archéologique de Constance, dans le Bade-Wurtemberg. 2 « Un tragique fossé sépare toujours les différents créateurs. Pourtant, ni les artistes, ni les techniciens enfermés dans leur technologie, ni les scientifiques penchés sur leurs microscopes ne peuvent réussir seuls. L’objet ne saurait exister sans la conjonction d’une démarche artistique et de la connaissance des techniques de fabrication éclairées par les certitudes de la science. Les causes de ce divorce sont anciennes et multiples, chaque protagoniste ayant eu trop tendance à considérer sa partie comme primordiale » (Coudamy, 1987, p. 10). 3 Si l’on ne veut pas courir le risque de commettre un contresens de lecture, il me paraît évident que ces notions doivent être prises en compte, même si l'on n'entend considérer la faïence que comme un art décoratif appliqué bien particulier, ce qui serait en restreindre beaucoup l'intérêt et la portée. 54 55 Seconde partie : Histoire de la faïence stannifère en France (XIIIeXIXesiècle) 56 Préliminaire « L'histoire est une science de la vie et c'est bien la vie qu'elle prétend reconstituer. Le médecin n'étudie pas le cadavre parce qu'il est cadavre. Il l'étudie parce qu'il explique la vie. » (Lucien Febvre, préface à Charles Morazé, Trois essais sur histoire et culture, Paris, 1948). Carreaux de pavement de l’abbaye de Flaran, 11,5 x 11 cm, fin du XIIIe, début du XIVe siècle, coll. part. 1 Aborder l'étude technique de la faïence, c'est observer un certain nombre de phénomènes presque toujours constatables, vérifiables, de réactions physico-chimiques constantes qui, pour parler brièvement, relèvent du domaine scientifique, même si, comme on l'a vu, les procédés, les pratiques et les savoir-faire des faïenciers ont 57 toujours été largement dominés par l'empirisme. Il est peu probable que, sur cette question, un point capital nous ait échappé, qui puisse remettre en question toutes nos connaissances. 2 Vouloir en retracer l'histoire est une entreprise d'une autre nature, dans laquelle nous sommes terriblement limités. Totalement dépendants des documents qui subsistent et de l'état des connaissances à un moment donné, nous sommes toujours susceptibles d'être démentis par de nouvelles découvertes. Écrire l'histoire de la faïence en France, tout comme écrire l'Histoire, ne peut donc être envisagé que comme une tentative de mise en forme cohérente d'un certain nombre d'éléments, la proposition d'une théorie susceptible d'être remise en question à tout moment. 3 Avant d'examiner le développement de la faïence stannifère en France du XIII e au XIXe siècle – but principal de cette deuxième partie –, il convient d'abord de dire où et quand cette céramique spécifique a vu le jour. L’odyssée de la glaçure stannifère, de l’Orient islamique à l’Occident chrétien (Jean Rosen, « Les chemins de la glaçure stannifère en France aux XIIIe et XIVe siècles », in Les transferts artistiques dans l’Europe gothique (XIIe-XVIe s.), sous la direction de Jean-Marie Guillouet, Benoît van den Bossche et Jacques Dubois, Paris, 2014). 58 Chapitre 1. Les origines 1 On sait que les Égyptiens et les Assyriens utilisaient déjà divers oxydes opacifiants, dont l'oxyde d'étain naturel, mélangé à d'autres colorants (Soustiel, 1985, p. 45) ; on signale parfois l'existence d'une « faïence » égyptienne, vieille de plus de 3000 ans, dont la pâte très riche en silice est recouverte d'une glaçure épaisse le plus souvent colorée en bleu ou en vert, avec des ornements noirs (Guralnick, 1988, vol. 47, n° 2, p. 138-140) ; on voit également mentionner les fameuses frises des archers du palais de Darius et d'Artaxerxès à Suse, en Perse, faites de briques dont la pâte également très siliceuse est recouverte d'un émail dans lequel Deck déclarait avoir reconnu de l'étain (Deck, 1887, p. 20). Mais ni par leur pâte, ni par leur revêtement, ces céramiques ne peuvent véritablement être considérées comme des faïences. 2 Suivant Brongniart, et comme nous l'avons déjà proposé, on définira ici la faïence stannifère comme une céramique à pâte argilo-calcaire cuite recouverte d'un émail stannifère cuit dans un deuxième temps, et décoré ou non à l'aide d'oxydes métalliques. En fait, il semble très probable que l'invention de cette céramique spécifique soit due aux potiers musulmans abbassides qui, les premiers, dès avant le IX e siècle, eurent l'idée « d'utiliser l'oxyde d'étain seul, dans des glaçures alcalines ou plombifères, de façon à leur donner un aspect blanc "crémeux" absolument opaque (l'émail) » (Soustiel, 1985, p. 45). Ces premières faïences mésopotamiennes comprenaient à la fois des plats à émail blanc décoré au bleu de cobalt et de rares pièces polychromes décorées aux quatre oxydes, ornées de motifs symboliques aussi bien ornementaux que figuratifs (Soustiel, 1985, t. 8, p. 370, daté du VIII e-IXe siècle, 24 p. 45, 40 p. 61, et 25 p. 47). On date de la même époque les premières faïences à décor de lustre métallique, « technique révolutionnaire fondée sur la pénétration superficielle d'atomes d'argent ou de cuivre dans une glaçure déjà cuite », dont on trouve des spécimens précoces en Égypte et en Tunisie, alors incluses dans l'Empire abbasside, qui s'étendait du Maroc à l'Inde. On sait que l'emploi des pâtes argileuses fut abandonné à la fin du califat, vers le milieu du XIe siècle, au profit exclusif des pâtes siliceuses, base de la plupart des céramiques glaçurées produites au Proche-Orient jusqu'à nos jours. Cependant, malgré les progrès récents de la recherche archéologique, qui permettent surtout d'infirmer les certitudes excessives qui prévalaient jusqu'à maintenant dans ce domaine, il est encore extrêmement complexe de définir des antériorités et des localisations précises 59 concernant les premières faïences fabriquées entre le VIII e et le XI e siècle, de la Mésopotamie à l'Espagne, en passant par l'Égypte et l'Afrique du Nord 1. 3 Toutefois, l'apparition d'une telle invention à ces endroits et à cette époque n'est pas le fruit du hasard. Ces innovations céramiques doivent être considérées comme un signe de l'immense développement intellectuel et scientifique du VIII e au XI e siècle qui, du Proche-Orient, se répandit dans tout le vieux monde par l'Italie du Sud et l'Espagne vers l'Europe chrétienne. De la fondation de Bagdad en 762 à la chute du califat en 1055, grâce à ses ressources naturelles, ses matières premières, ses revenus financiers, sa maîtrise du commerce international, de l'activité industrielle, du commerce de l'argent et du système financier, l'Empire abbasside islamique a pu imposer sa suprématie aussi bien à Byzance qu'à l'Europe, de l'Atlantique à l'Inde. L'apogée de cette période correspond d'ailleurs au califat d'Haroun al-Rachid, dont notre culture même a conservé le souvenir magique à travers les Contes des mille et une nuits. En toute logique, cette formidable expansion s'est accompagnée d'un fantastique essor scientifique : les multiples découvertes concernant les domaines de la médecine, la pharmacie, la physique, la chimie, l'astronomie et les mathématiques constituent les fondements scientifiques de la période moderne, et sont à l'origine de la révolution industrielle commencée en Europe dès le Moyen Âge. Ainsi, Jean Soustiel peut déclarer que « tout porte à croire d'ores et déjà que les importantes mutations reflétées par les céramiques abbassides s'inscrivent dans le vaste champ des recherches consacrées à l'alchimie » (Soustiel, 1985, p. 41). De manière significative, et suivant la même logique historicoéconomique, la majolique, à l'origine du développement de la faïence en France, sera essentiellement le produit et le signe des puissances commerciales, économiques et financières de l'Italie de la Renaissance au XVe et au XVI e siècle. De même, la terre de pipe dite « faïence fine », qui a supplanté la faïence stannifère en France, prendra naissance au cœur des Midlands de la Révolution industrielle anglaise au début du XVIIIe siècle. Ces considérations historiques permettent d'affirmer que la faïence, en tant que produit caractéristique des périodes et des systèmes marquants de l'histoire du monde moderne, en constitue bien la céramique spécifique. 60 Suse, faïence, VIIIe-IXe siècles. Paris, Musée du Louvre (MAO S. 53). NOTES 1. À ce sujet, voir : collectif, Le vert et le brun, de Kairouan à Avignon, céramiques du X e au XVe siècle, éd. Musées de Marseille, 1995. 61 Chapitre 2. Introduction de la faïence en Europe 1 L'abandon de la faïence stannifère par les potiers musulmans abbassides ne marqua pas pour autant l'arrêt du développement de cette céramique en direction de l'Europe, bien au contraire. On peut en retracer l'itinéraire en partant de la Mésopotamie, d'où elle naquit, à l'Égypte, puis à l'Afrique du Nord et l'Espagne, où l'on situe aujourd'hui l'apparition du lustre métallique dès le Xe siècle. En ce qui concerne le XIe et le XIIe siècle, l'état des recherches ne permet pas encore de préciser à quel moment l'émail a remplacé l'engobe blanc en Occident chrétien. 2 Dès le XIIIe siècle, en tout cas, la présence de faïence stannifère indigène est nettement établie en Espagne. À cette époque, de nombreux centres producteurs de l'Espagne musulmane sont attestés par les sources et les fouilles : de Séville à Lérida, et de Talavera de la Reina à Almeria, en passant par Cordoue et Valence, sans oublier Malaga qui, comme on le verra ci-dessous, semble avoir joué un rôle déterminant. 3 Mais l'Italie a aussi produit des faïences au XIIIe siècle, bien avant qu'y apparaisse le mot majolique : on divise ces productions en deux groupes distincts, au Nord et au Sud. Les faïences à décor vert et manganèse regroupées sous le vocable de « style d'Orvieto », ou majoliques archaïques du Nord, stylistiquement proches de celles de Paterna, ont été en fait produites jusqu'au XIVe siècle dans de nombreux centres, de Ravenne à Rome. Les proto-majoliques découvertes en Sicile et à Lucera, au nord de Naples, ont un décor également vert et manganèse, parfois associé à du cobalt et du jaune (Soustiel, 1985, p. 169). Les premières faïences françaises : le XIIIe et le XIVe siècle 1 4 En France, on a encore trop tendance à croire et à écrire que la faïence stannifère n'a fait son apparition qu'au début du XVIe siècle : il aurait été surprenant qu'un pays de cette importance, en contact direct avec l'Espagne et l'Italie, soit resté si longtemps à l'écart. Au XIIIe siècle, après que le roi des Francs a pris officiellement possession du pays, la France connaît un siècle de prospérité économique sans précédent : les foires 62 de Champagne, à leur apogée, en font le plus grand centre d'échange de marchandises et d'argent de la chrétienté ; l'économie monétaire et le commerce extérieur se développent, de même que les grandes villes, et avec elles l'importance du patriciat urbain, des grands marchands et des artisans. Ce pays, le plus peuplé d'Europe, est aussi celui qui donne le ton dans les domaines intellectuel et artistique, grâce notamment à l'université de Paris et à l'art gothique. Autrement dit, on assiste à la mise en place de tous les éléments structurels, socio-économiques et culturels favorables à la production d'une céramique spécifique d'un genre nouveau. Dans ce contexte, les zones de contact avec l'Europe méditerranéenne – et tout particulièrement les ports du sud de la France, qui s’ouvrent à cette époque au commerce sur la Méditerranée – semblaient le lieu idéal pour l'apparition de la faïence. 5 En effet, les recherches conduites par le Laboratoire d'Archéologie Médiévale et Moderne en Méditerranée (LA3M – UMR 7298 du CNRS) d’Aix-en-Provence, ont permis de découvrir l'existence à Marseille d’un « bourg des potiers », daté du XIII e siècle – peut-être même du début –, comprenant le plus ancien atelier français connu de production de faïences, avec de nombreuses structures de cuisson, dont un four « à barres » de technique arabe, qui est l’exemple le plus septentrional connu à ce jour 2. Il s'agit bien de véritables faïences, « recouvertes d’une glaçure opacifiée à l’étain, blanchâtre, colorée en vert ou jaune miel. De façon plus rare encore, des assiettes, coupes, vases à liquide et carreaux de pavement sont ornés de motifs peints au vert de cuivre et au brun de manganèse. […] Les coupelles et les plats de service, souvent émaillés, portent des décors géométriques, végétaux ou des poissons peints selon la traditionnelle bichromie verte et brune, parfois rehaussée de jaune ». Ces faïences pourraient se rattacher à la fois aux productions espagnoles et à celles de l'Italie du Sud de la même époque, sans toutefois en être de simples imitations. « La filiation avec la civilisation al-andalus ou siculo-maghrébine paraît indéniable, avec une “provençalisation” progressive des formes ». On peut les considérer comme « les prototypes des célèbres majoliques vertes et brunes avignonnaises qui seront diffusées dans toute la région pendant le XIVe siècle » (Marchesi, Thiriot, Vallauri, in Archéologia, n° 290, mai 1993, p. 26). Cette importante découverte permet de faire remonter l’apparition de la faïence à une date qui semblait encore impossible il y a quelques années. Ainsi, Jean Soustiel, en 1985, déclarait qu'« on ne sait pas très bien à quelle date, en France, l'émail remplace définitivement l'engobe blanc […] pour notre part, nous la situons à la fin du XIIIe siècle » (Soustiel, 1985, p. 168). La publication intégrale des résultats de ces fouilles pour le VIe Congrès international sur la céramique médiévale, qui s’est tenu à Aix-enProvence au mois de novembre 1995 3, a permis une nouvelle approche du problème posé par l'apparition de la faïence en France. Il n’est pas impensable que d'autres investigations dans la région de Narbonne – qui, avec 30 000 habitants, était l'un des plus grands centres urbains de l'époque – puissent amener à d'autres découvertes du même type dans les années à venir. 6 Après cette brève apparition, il ne semble pas que la faïence stannifère ait connu une extension significative au cours du XIVe siècle : elle resta encore pendant longtemps chose exceptionnelle, et l'apanage des plus puissants. Grâce à l'archéologie, nous avons aujourd'hui d'assez nombreux témoignages de carrelages de cette période, où la faïence, considérée comme une rareté et une curiosité, semble avoir été le plus souvent associée aux carreaux de pavement ordinaires de l'époque, revêtus d'une glaçure plombifère 4. Christopher Norton cite « le plus ancien atelier actuellement connu, actif 63 autour de la vallée de la Garonne, après 1290 », et mentionne diverses découvertes dans la même région, à Toulouse, Lagrasse, et Mazères, datables du premier tiers du XIVe siècle. D'autres sites fouillés attestent une rare production de carreaux de faïence, à la même époque, à Brain-sur-Allonnes, en Anjou, et pour la chapelle du château des Ducs de Bretagne, à Suscinio, près de Vannes. Là, l’ensemble du pavement conservé intact sous le toit écroulé de la chapelle a révélé une combinaison extrêmement raffinée des deux techniques 5. Plus au Nord, entre Artois et Flandres, et jusqu'en Hollande, d'assez nombreux sites, essentiellement religieux, livrent des carreaux de faïence stannifère, parfois produits sur place par des ateliers itinérants (Norton, 1993, p. 37). Même si ces productions primitives sont parfois d'une qualité assez médiocre, on remarquera qu'il s'agit là d'un luxe rare, et de fabrications exceptionnelles produites dans un contexte qui ne l'est pas moins. 7 Parmi toutes ces manifestations, quelques exemples plus significatifs revêtent un intérêt tout particulier. À Avignon, dans le riche contexte de l'installation de la Papauté, de 1309 à 1378, on produisit de la faïence d'excellente qualité – déjà évoquée ci-dessus –, décorée en vert et manganèse, dont quelques exemplaires de carreaux peints ont été retrouvés au Palais des Papes ainsi qu'à Châteauneuf et à Narbonne. En 1362, deux potiers de Manises, Johan Albalat et Paschasius Martin, « travaillant à la manière de Malaga », et utilisant le vert, le manganèse, l'étain et le cobalt, s'installèrent à Avignon à la demande du Cardinal Audoin Aubert (Soustiel, p. 176). De riches pavements de faïence ornaient les résidences des plus hauts personnages de l'époque : les grands ducs Valois, Jean de Berry et son frère Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, devaient la considérer comme un des éléments dignes de recevoir les programmes iconographiques par lesquels ils entendaient manifester leur grandeur. Ainsi, en 1382, Jean de Berry obtenait du duc de Gérone qu'il lui envoie trois artisans potiers sarrazins (Bon, 1992, p. 131), dont on pense avoir retrouvé les œuvres dans plusieurs résidences qui figurent parmi les réalisations les plus prestigieuses de leur époque. On sait que les carreaux aux armes de Bourgogne et de Flandre ornant l'oratoire ducal de la Chartreuse de Champmol, à Dijon, furent fabriqués sur place en 1383 par Jehan de Gironne, artisan espagnol invité par Philippe le Hardi (Bon, 1992, p. 128). Jehan de Valence, dit le Sarrazin, établit son atelier à Poitiers entre 1384 et 1387, et y fabriqua des carreaux pour les diverses résidences du duc de Berry. Au château d'Hesdin, propriété des ducs de Bourgogne, vers 1392, les carreaux ont été fabriqués spécialement par un troisième artisan sarrasin, Jehan le Voleur, Varlet de chambre et paintre de Monseigneur le Duc de Bourgogne, titre prestigieux qui fut porté ensuite par Van Eyck et Melchior Broederlam, artistes insignes. « Quelque part que soit le duc de Bourgogne, là est le centre du monde chrétien »”, disait Michelet. Parmi ces réalisations d'exception, l'ensemble le plus spectaculaire est sans doute le pavage réalisé en 1384 par Jehan de Valence pour le château de Mehun-sur-Yèvre, résidence du duc Jean de Berry 6. Chaque salle y faisait l'objet d'un programme iconographique détaillé et indépendant. La dominante était le bleu, mais certains carreaux utilisaient jusqu'à quatre couleurs, dont l'or. Philippe Bon note que « plus de soixante formes et motifs pouvaient à l'infini se combiner, formant des combinaisons aussi variées que compliquées. Des surfaces carrées, losangiques, trapézoïdales, parallélépipédiques, circulaires, lobées, ou curvilignes s'ajustaient parfaitement dans les salles aux découpes compliquées que formait la résidence de Mehun ». 8 Des palais orientaux des Contes des mille et une nuits – pays d'origine de la faïence stannifère –, au célèbre château du duc Jean de Berry – dont la représentation dans les 64 Très riches heures des frères de Limbourg a souvent été utilisée comme le prototype même du palais de contes de fées –, la faïence, à ses origines, nous apparaît aujourd'hui comme la composante obligée du décor prestigieux des demeures mythiques construites par les caprices raffinés des plus grands personnages de notre monde. D'ailleurs, en latin, faventia, à l'origine de notre actuel mot faïence, ne définit-il pas le silence et le recueillement religieux que l’on observe dans les endroits sacrés et les pays de rêve ? 9 En l'état actuel des connaissances et des recherches en cours, il semble pour le moment difficile d’admettre le schéma par trop simpliste d’une influence hispano-musulmane unique qui se serait imposée sporadiquement dans la France du XIV e siècle, remplacée au XVIe siècle par celle de la majolique italienne, après la crise de la fin du Moyen Age. Il est probable que, dans les prochaines années, le rôle de l’Italie soit réévalué, à une période très précoce, au moins pour le sud-est de la France. En ce qui concerne le XIVe siècle, dans l’état actuel de la recherche qui s’est surtout concentrée sur quelques sites prestigieux, il semble probable que, après l'introduction de la faïence stannifère en France, on ait eu affaire à un schéma identique : des artisans étrangers spécialisés, le plus souvent originaires de l'Espagne musulmane, considérés avec les mêmes égards que les artistes les plus prestigieux de l'époque, sont invités par un personnage de grande notoriété, civil ou religieux, pour un chantier spécifique, correspondant à la volonté d'affirmer un pouvoir par une politique culturelle déterminée et des réalisations d'un luxe ostentatoire. C'est là un schéma que l'on retrouvera, de manière quasi identique, lors de la deuxième vague d'épanouissement de la faïence, au cours du XVIe siècle. Mais, cette fois, son succès sera plus définitif. Carreau de pavement aux armes de Bourgogne et de Flandres, Chartreuse de Champmol, 1383. 65 NOTES 1. Voir Rosen J., « Les chemins de la glaçure stannifère en France aux XIII e et XIVe siècles », in Guillouët J.-M., Van den Bossche B., Dubois J., Les transferts artistiques dans l'Europe gothique (XIIe-XVIe siècles) : Repenser la circulation des artistes, des œuvres, des thèmes et des savoir-faire, Picard, p. 129-140, 2014, en ligne sur https://halshs.archivesouvertes.fr/halshs-00991888. 2. Voir Le vert et le brun, 1995, op. cit. 3. La Céramique Médiévale en Méditerranée, Actes du VIe congrès de l’AIECM2, Aix-enProvence, 13 au 18 novembre 1995, Aix-en-Provence, 1997, Narrations éd., Aix, 1997. 4. Pour tout le développement qui suit, voir Rosen J. et Crépin-Leblond T., dir., Images du pouvoir. Pavements de faïence en France du XIIIe au XVII e siècle. Paris, RMN/Bourg-enBresse, Musées de Brou, 2000, et Rosen J., « La faïence française du XIII e au XVIIe siècle », Dossier de l’art, n° 70, octobre 2000. 5. André P., Les pavements médiévaux du château de Suscinio, éd. Conseil général du Morbihan, 2001, et Métreau L., Cantin N., Bechtel F., Rosen J. et André P., « De Suscinio I à Suscinio II : rupture ou continuité ? Étude archéométrique des carreaux décorés à glaçure transparente des pavements médiévaux du château de Suscinio (Sarzeau, Morbihan) », en ligne, Revue archéologique de l’Ouest, n° 20, 2012. 6. Bon Ph., Les premiers « bleus » de France – les carreaux de faïence au décor peint fabriqués pour le Duc de Berry, 1384, Groupe Historique et Archéologique de la Région de Mehunsur-Yèvre, 1992. 66 Chapitre 3. La faïence européenne aux XVe et XVIe siècles Les faïences espagnoles à lustre métallique 1 En Espagne, et notamment dans la région de Valence, la production de faïences connut un essor sans précédent au XVe siècle, les décors bleus sur fond blanc, succédant aux verts et manganèse, faisant la transition avec la faïence lustrée : à Manises, entre 1380 et 1430, elle atteignit, selon Jean Soustiel, « l'un des sommets de la faïence mondiale ». Après la chute de Malaga, en 1487, la région de Valence regroupa toutes les manufactures du littoral andalou. Cette faïence à lustre métallique, dénommée hispanomauresque par les chercheurs de l'École de Sèvres au XIX e siècle – terme encore largement usité de nos jours – resta très soumise à l'influence islamique, jusqu'au milieu du XVe siècle, et adopta ensuite le style gothique et le décor végétal. Elle connut pendant tout le siècle un succès considérable dans toute l'Europe, à tel point que nombre de grandes familles françaises, espagnoles, mais surtout italiennes, passèrent commande de pièces décorées de leurs armoiries. Le plat de la Wallace collection, à Londres, portant les armes de Jean sans Peur et de Philippe le Bon, ducs de Bourgogne, daté entre 1404 et 1430, est tout à fait révélateur de cette pratique : il faut dire que Jehan de Gironne, faïencier de Philippe le Hardi, avait quitté Dijon en 1389. Un plat du Victoria and Albert Museum est orné des armoiries des Rois Catholiques Ferdinand et Isabelle, mariés en 1469, et le plat du Museo civico medievale de Bologne portant les armoiries du pape Léon X peut être daté entre 1513 et 1531. Le XVe siècle 2 En France, la crise du XIVe siècle ne permit malheureusement pas la poursuite de ce mouvement à peine amorcé. L'abandon des routes terrestres par les Génois et les Vénitiens ainsi que le déclin consécutif des foires de Champagne contribuèrent à ruiner progressivement une économie déjà fragile. La crise seigneuriale ne fit qu'amplifier le déclin du commerce de luxe. Le fléchissement de la démographie, les famines, la peste 67 et la guerre plongèrent le pays dans une situation et un climat peu propices à l'épanouissement de la faïence, qui préfère les temps prospères, insouciants et calmes. 3 Ainsi, jusqu’à la fin du siècle dernier, on avait tendance à penser que la production indigène de faïence avait disparu à la fin du XIVe siècle, et qu’elle n’avait pas survécu. Il est symptomatique, par exemple, qu'on n'en ait pas trouvé de trace dans les résidences de Jacques Cœur, personnalité phare du milieu du XVe siècle, dont la puissance, les ambitions et les contacts économico-culturels avec le monde méditerranéen l'auraient immanquablement amené à en faire étalage si elle avait conservé le rôle qui était le sien au siècle précédent. Longecourt-en-Plaine : le chaînon manquant 4 Depuis la première édition de ce livre en 1995, la découverte du pavement initial en faïence stannifère de la chapelle du château de Longecourt-en-Plaine, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Dijon, a permis de revenir sur cette idée 1. Réalisé en 1495, comme en attestent deux carreaux datés, il était sans doute constitué d'un dispositif de motifs géométriques réalisés à l'aide de carreaux monochromes verts, blancs et bleus, parmi lesquels se distinguait un semis d’autres carreaux au décor plus prestigieux. Des carreaux de faïence à décor vert et brun, selon la mode médiévale, étaient consacrés aux thèmes religieux : psaume de la pénitence et hymnes à la Vierge – à laquelle était consacrée la chapelle. Ils étaient associés à des carreaux polychromes d’un tout autre genre : de forts beaux portraits de femme inspirés par l’art de Martin Schongauer, les armoiries de l'empereur du Saint Empire, celles du pape et des ducs d'Anjou et de Lorraine, mais aussi celles du propriétaire des lieux et de ses proches. L’hypothèse la plus vraisemblable est qu’Antoine de Baissey, « capitaine général » des Suisses de l’armée de Charles VIII lors de la conquête du royaume de Naples, ait admiré les pavements déjà installés dans de nombreux édifices italiens au cours de la deuxième moitié du XVe siècle, et qu’il se soit adressé à un technicien italien pour faire réaliser ce pavement qui a bien été fabriqué sur place, dans la proche région de Longecourt-enPlaine, comme l’attestent les analyses. En 1495, date charnière entre le Moyen Âge et la Renaissance, le pavement de Longecourt-en-Plaine, situé à la frontière entre la France et le Saint-Empire, permet de relier la faïence du Moyen Âge à celle de la Renaissance, que l'on pensait jusqu'ici séparées par un hiatus de près d'un siècle. 68 Carreau de pavement du château de Longecourt-en-Plaine, 11 x 11 cm, 1495 (coll. part.). La majolique italienne 5 En Italie, le terme de majolique, par lequel on désigne aujourd'hui la faïence produite dans ce pays jusqu'au XVIIe siècle – en italien, faïence se dit encore majolica – a longtemps été attribué à une déformation du mot Majorca, ou, Mayûrika en arabe, et aurait désigné les faïences d'origine espagnole transitant par les Îles Baléares. Brongniart, en 1844, reprenant cette affirmation, dont il attribuait la paternité à Scaliger et à Fabio-Ferrari, a largement contribué à la propager (Brongniart, 1877, t. II, p. 55). De nombreux auteurs, ainsi que tous les dictionnaires, continuent d'ailleurs à mentionner cette ancienne hypothèse. Le mot est signalé en Italie dès 1368 ; les Mémoriaux du Roi René, en 1447, parlent de « platz de terre de Mailloreque », et on en a de nombreuses attestations au XVe siècle (Trésor de la langue française, 1985, t. 11, p. 214). Depuis déjà quelques années, on admet plus volontiers, suivant l'interprétation des chercheurs espagnols, que ce mot est, en fait, une dérivation du terme obra Mallica, par lequel on désignait le type de faïences produites par le centre de Malaga, qui continua à influencer les productions dominantes de la région de Valence jusqu'au milieu du XVe siècle. Quoi qu’il en soit, ces deux hypothèses confirment bien l'importance capitale de l'Espagne dans ce domaine jusqu'à l'aube de la Renaissance italienne, et son rôle de relais entre l'Orient musulman et l'Occident chrétien. Cette faïence à décor de lustre métallique dite hispano-mauresque exerça une forte influence sur les ateliers de Toscane, dont les formes et les décors s'inspireront de ces productions jusqu'aux environs de 1475. 6 On remarquera que l'implantation, l'évolution et le développement de la majolique pendant la Renaissance italienne ont été rendus possibles au départ par l'existence d'un 69 contexte très comparable à celui observé précédemment sous l'Empire abbasside. L'essor économique et commercial extraordinaire, non plus seulement des Vénitiens et des Génois, mais de nombreux autres États italiens de l'époque, l'ouverture de nouvelles routes d'échanges, l'apport décisif de nouvelles découvertes et de progrès scientifiques considérables – dont l'invention de l'imprimerie – ont permis l'instauration et la diffusion rapide d'une culture nouvelle, et de nouveaux modèles de comportement du pouvoir. L'image du prince cultivé, ami et protecteur des arts et du luxe, qui rivalise dans ces domaines avec les autres états voisins, personnalisée par les Médicis, est devenue un poncif de l'homme de la Renaissance. Appliquées au domaine de la céramique, on retrouve là les conditions idéales d'installation d'ateliers contrôlés, sous la dépendance du pouvoir et dynamisées par lui, structures de type officiel favorables aux innovations et aux mutations techniques. L'extension de ce modèle de comportement à la nouvelle bourgeoisie d'argent, désireuse de dépenser sa fortune nouvellement acquise en recherchant une image valorisante, joua alors un rôle capital dans la diffusion et le développement de la majolique qui, de luxe rare réservé aux princes, acquit peu à peu la dimension d'une marchandise. 7 On retrouve l'intérêt manifesté par les plus puissants seigneurs de l'époque envers ces faïences de luxe tout au long de l'histoire de la majolique. La plus ancienne pièce, datée de 1466, porte l'emblème de la famille Manfredi, seigneurs de Faenza de 1334 à 1501. De même, on a conservé de nombreuses pièces ornées des armoiries de la plupart des grandes familles des cités abritant des fabriques. Un plat armorié, conservé au Victoria and Albert Museum de Londres, appartenant à l'un des premiers services à décor historié, datable entre 1476 et 1490, est une commande de Mathias Corvin, roi de Hongrie, époux de Béatrice de Naples (Frégnac, 1976, p. 65). L'atelier de Caffagiolo fut fondé en 1506 par Pier Francesco de Medicis dans son propre château. On connaît par ailleurs l'intérêt manifesté par les Médicis de Florence pour la céramique de luxe : ils allèrent même jusqu’à y installer à grands frais une fabrique de porcelaine tendre, vers 1565, et on connaît plusieurs majoliques qui portent leurs armes. Une pièce de CastelDurante, datée de 1508, est ornée des armes de Jules II (Fourest, 1983, p. 86). D'autres pièces, s'inspirant des compositions de Raphaël, portent celles d'Isabelle d'Este. La prééminence d'Urbino, vers 1530-1550, et l'immense succès rencontré par les décors historiés doivent être attribués à l'active protection qu'accordèrent à ses fabriques les ducs d'Urbino au cours du XVIe siècle. C'est probablement lors de la réalisation du magnifique service, qu'ils firent exécuter par l'atelier Fontana entre 1565 et 1571, que fut introduit le décor a raffaellesche, (Fourest, 1983, p. 92), qui devait constituer une innovation décorative capitale dans l'histoire de la majolique. Cette importance est encore accrue par les commandes faites par de grands seigneurs étrangers, dont le cardinal Duprat et le Connétable de Montmorency, qui devait jouer un grand rôle dans le développement de la faïence en France. Enfin, les derniers grands services princiers, exécutés à Faenza après 1570 dans l'atelier de Don Pino, successeur de Virgilio Calamelli, comprennent un ensemble réalisé pour Albert V de Bavière. 8 On imagine aisément que de nombreux auteurs se sont intéressés depuis fort longtemps à ces luxueuses productions qui ont, depuis toujours, fait partie des plus grandes collections. Parmi les innombrables études consacrées à la question : en Angleterre se distinguent les travaux historiques de Henry Wallis, de 1897 à 1905, de Bernard Rackham de 1904 à 1963, et plus récemment ceux de John Mallet et de Timothy Wilson 2 ; en Italie ceux de Gaetano Ballardini, de 1916 à 1943, de Giuseppe Liverani, de 1936 à 1976, de Carmen Ravanelli Guidotti et de Carola Fiocco et Gabriella Gherardi. En 70 France, il faut citer le Répertoire de la majolique italienne, du D r Chompret, de 1949, Les majoliques des Musées nationaux, de Jeanne Giacomotti, en 1974 et, plus récemment, La majolique de Françoise Barbe 3. Depuis quelques décennies, de nombreux et importants travaux de recherches, étayés par des trouvailles archéologiques, publiés dans la revue Faenza, bulletin du Musée international des céramiques à Faenza, ou issus des meilleurs auteurs spécialistes, italiens, anglais, allemands et français remettent en question des certitudes trop établies et permettent peu à peu de débrouiller l'extraordinaire complexité de ces productions émanant de plus de 40 centres. 9 Suivant le classement par périodes établi par Gaetano Ballardini, on a pris l'habitude de diviser les majoliques en six groupes. Le premier, du XIV e au XV e siècle, comprend les faïences primitives en vert et manganèse déjà évoquées sous l'appellation de style d'Orvieto, et les premières majoliques classiques, dites de stile severo, qui comprennent les célèbres décors en bleu sur blanc « à la feuille de chêne » et ceux de style orientalisant directement inspirés des productions de Valence, parfois baptisés italomauresques, produits à Florence et à Montelupo, ainsi que les faïences à décor gothicofloral polychrome produites au moins à Florence et à Faenza ; cette dernière deviendra le centre le plus important dans le dernier tiers du XVe siècle. 10 Au second, dit style bello, correspondant au premier tiers du XVI e siècle, appartiennent les pièces du début de l'art de la Renaissance proprement dit, à décors de trophées, de grotesques, fonds bleutés dits a berettino et premiers décors historiés ou a istoriato, produits en majorité par Faenza. Il comprend notamment les célèbres productions florentines des Della Robbia et de leur école, et a directement influencé les premières manifestations de la faïence en France au XVIe siècle. Le troisième groupe est celui de l'apogée de la majolique, durant la première moitié du XVI e siècle, avec la perfection du style bello et du décor historié. Les principaux centres qui se sont illustrés dans ce genre et à cette époque sont parmi les plus connus de l'histoire de la majolique : Deruta, Gubbio, Casteldurante, Urbino. 11 Suivant la diffusion du décor historié et la naissance d'un nouveau style ornemental dit a raffaellesche, directement issu des motifs décoratifs accompagnant les tableaux de Raphaël pour les Loges du Vatican, on constitue un quatrième ensemble, au milieu et dans la seconde moitié du XVIe siècle, dont les pièces prestigieuses sont issues des mêmes centres. À ce groupe appartiennent également les décors dits a quartieri et les décors de trophées d'armes ou d'instruments de musique dits a trofei ainsi que les autres styles ornementaux décrits par Picolpasso ; on y trouve aussi les majoliques historiées d'Urbino dont le décor en plein occupe toute la surface de la pièce, considérée à la manière d'un tableau. Ces différents styles nous intéressent tout particulièrement car ils seront directement à l'origine des décors les plus ostentatoires des faïences françaises quelques décennies plus tard. 12 Tout aussi importantes par l'influence déterminante qu'elles exercèrent sur la faïence française pendant presque un siècle, les productions du cinquième groupe, du milieu du XVIe au milieu du XVII e siècle, reflètent la diffusion du style ornemental et le goût de plus en plus prononcé pour la faïence blanche ou peu décorée. Elles sont issues de très nombreux centres, dont Faenza, Venise, Padoue, Castelli, Deruta, Turin, Pise, Rome, Montelupo et la Sicile. Elles comprennent notamment les pièces décorées de plus en plus sommairement à l'aide de bleu et de jaune plus ou moins foncés, parfois rehaussés d'un contour manganèse, suivant un style caractéristique baptisé a compendiario par les 71 Italiens, et dont l'origine présumée a été attribuée à Faenza ; Faenza où l'atelier de Virgiliotto Calamelli semble en avoir fait une spécialité vers le milieu du XVI e siècle. 13 Enfin, jusqu'au XVIIIe siècle, alors que de très nombreux centres italiens produisaient d'énormes quantités de faïence de styles très divers suivant la mode de l'époque, on continua à fabriquer des pièces dans le goût de la majolique classique, classées dans un sixième groupe, parfois baptisé majolique tardive. Elles proviennent pour la plupart des centres de Vénétie, de Sienne et de sa région, d'Urbania, de Castelli et de Naples. NOTES 1. Rosen J., « Les pavements du château de Longecourt-en-Plaine, 1495, couleurs, symboles et histoire », in Bon P., dir., Le château et l’art, à la croisée des sources, colloque de Mehun-sur-Yèvre, novembre 2001, éd. Groupe Historique et Archéologique de la région de Mehun-sur-Yèvre, 2011, p. 37-47. 2. Thornton D. et Wilson T., Italian Renaissance Ceramics : A Catalogue of the British Museum Collection, éd. British Museum Press, 2009. 3. Barbe F., La Majolique, Citadelles & Mazenod, Paris, 2016. 72 Chapitre 4. Le grand mouvement de renouveau céramique en France au XVIe siècle 1 Avec la prospérité retrouvée, au XVIe siècle, et de manière significative, on va assister à l'éclosion sporadique de divers types de céramique, considérés comme des productions de luxe et de prestige. « Dans l'histoire de l'industrie, c'est un lieu commun de constater que l'exploitation d'un nouveau matériau ou d'un nouveau procédé ne suit pas immédiatement sa découverte, mais apparaît à la première occasion où il présente un avantage économique suffisant pour attirer les capitaux et pour bouleverser l'inertie des habitudes » (Scott, 1955, p. 377). Dès les premières décennies, la faïence stannifère va notamment réapparaître en France selon des schémas d'installation classiques bien précis : d'une part, dans un riche milieu urbain commercialement et culturellement privilégié et, d'autre part, sur les chantiers de résidences princières destinées à servir une politique culturelle manifestement ostentatoire. Depuis 1995, un certain nombre de travaux et de publications ont permis des avancées considérables sur ces questions délicates 1. La faïence de Lyon 2 En 1494, Charles VIII installe sa cour à Lyon pour préparer la conquête de Naples et accorde aux quatre foires annuelles toute une série de privilèges. Jusque vers 1560, Lyon, située à la frontière des États du Piémont, est une ville libre ouverte à toutes les initiatives commerciales qui se transforme alors en un vaste marché regorgeant de toutes sortes de marchandises précieuses, abritant des marchands venus de tous les pays d'Europe. Elle devient rapidement la seconde ville de France, avec près de 50 000 habitants. Les banques y sont florissantes – toutes les monnaies y ont cours – et la vie culturelle y est particulièrement brillante et développée. « Lyon était comme une autre Florence, ou, pour mieux dire, l'Italie l'avait faite sienne, elle l'avait faite à son image. Chaque ville d'Italie y avait son quartier favori, ses églises de prédilection, qu'elle embellissait avec amour » (La Ferrière-Percy, 1862, p. 8). De très nombreux artistes et artisans étrangers, parmi lesquels les Italiens sont les plus nombreux, y 73 trouvent un lieu idéal pour exercer leur art et s'y installent définitivement. Les métiers les plus représentés sont les sculpteurs, les orfèvres, les graveurs, les imprimeurs et les drapiers en soie, qui seront notamment à l'origine de l'industrie de la soie à Lyon. 3 D’après les découvertes de Natalis Rondot, qui remontent à 1889, c'est en 1512 que l'on trouve la première trace d'un faïencier italien, Angelo Benedetto, originaire de Florence, probablement installé dans l'atelier d'un potier local, « rue de l'Ospital, près du pont de Rosne ». Un certain « maître Georges, fayseur de pots », qui avait la réputation d'être un homme « habile et renommé », y avait également un atelier. Par la suite, d'autres artisans viendront également travailler dans cette ville : originaires de Gênes, comme Sébastien Griffo, de Pesaro, et Jean Francesco, qui travaillait « à la façon de Venise », d'Albisola, comme Domenico Tardessini, ou même de Faenza, comme Giulio Gambini, qui devait aller s'associer avec Augustin Conrade à Nevers en 1588. Selon Marjatta Taburet, à qui nous empruntons ces renseignements, « environ vingtcinq faïenciers italiens travaillèrent à Lyon entre 1512 et la fin du XVIe siècle » (Taburet, 1981, p. 23). Si l'on a pris l'habitude d'attribuer à Lyon un bon nombre de pots de pharmacie que l’on datait de la fin du XVI e siècle, on ne connaît en fait qu'une pièce de référence absolue : un plat conservé au British Museum portant l'inscription lla verga di farao / in serpentte /1582 / G T.V F / leon. La découverte archéologique inattendue d'une tessonnière attribuable au premier atelier de Lyon, étudiée par Alban Horry, semble apporter la confirmation d'un bon nombre de ces attributions traditionnelles, qui peuvent aussi être réévaluées, et a fourni de surprenantes révélations sur les productions lyonnaises précoces. L'implantation à Lyon des premiers artisans italiens est d'autant plus importante pour l'histoire de la faïence en France qu'elle est directement à l'origine du développement et de l'expansion définitive que connut cette céramique au cours du XVII e siècle à partir du centre de Nevers. Les diverses origines de ces artisans, ainsi que le schéma de mise en œuvre de l'activité faïencière lyonnaise au cours du XVIe siècle, justifient pleinement l'appréciation plus générale portée par Sir Lindsay Scott, qui souligne que « l'introduction de la poterie dans l'Europe de l'Ouest n'a pratiquement jamais été due à un développement local indépendant, mais a bien plutôt été le fait d'immigrés et de colons influencés plus ou moins directement par les grands centres urbains d'où ils venaient » (Scott, 1954, p. 377). Le château de Madrid 4 En décembre 1527, François Ier, dans le cadre d'un programme de réalisation de plusieurs résidences royales à proximité de Paris, décide la construction du château de Madrid dans le bois de Boulogne, édifice qui ne devait être achevé que sous Louis XIII, vers 1620, puis détruit sous la Révolution. La décoration des façades et d'une partie de l'intérieur fut confiée à Girolamo della Robbia, neveu de Lucca, l'un des plus célèbres faïenciers de Florence, dont l'importance fut telle qu'on lui a longtemps – à tort – attribué l'invention de la faïence émaillée. Les commandes s'échelonnèrent sur plus de vingt-cinq ans. 5 Monique Chatenet, qui a consacré un article à la question, note que « les faïences étaient utilisées avec une profusion que l'on a du mal à imaginer sur des façades mesurant près de 80 m de long pour les principales. Elles recouvraient en effet la totalité des murs des loggias avec leurs colonnes, médaillons, entablements, arcades, 74 cordons moulurés […] Les corps de moulures, traités en blanc veiné de bleu à l'imitation du marbre, contrastaient avec des colonnes de couleur brune. Les médaillons des loggias, sculptés de bustes d'empereurs romains, se détachaient sur des écoinçons bleus. Enfin, des ornements de couleurs très variées – jaune, vert, violet – complétaient la polychromie du décor » (Chatenet, 1993, p. 54). Pour mieux évaluer l'importance historique d'une telle réalisation, deux points méritent d'être soulignés : par son ampleur, d'une ambition extravagante, et d'un coût très élevé, le programme de majolique architecturale du château de Madrid n'eut pas d'équivalent en Italie, même au cloître de la chartreuse de Galuzzo. Il apparaît clairement que François I er, qui ne vit d'ailleurs pas l'achèvement de cette décoration, avait l'intention de rivaliser avec les Florentins dans leur propre domaine, et de les y dépasser. D'autre part, les réalisations de Girolamo della Robbia, diffusées par les gravures exécutées par Jacques Androuet du Cerceau, eurent une influence certaine sur l'art décoratif de la fin du XVI e siècle. Les « faïences de Henri II » et Bernard Palissy2 Les faïences dites « de Henri II » 6 Ces deux exemples caractéristiques ne sont cependant pas exceptionnels dans la France de la première moitié du XVIe siècle, qui vit l'éclosion quasi simultanée de plusieurs manifestations aussi précoces que luxueuses de l'art céramique, dont la majolique n'est qu'un des aspects. Comme on le verra, le Connétable Anne de Montmorency, « passionné pour les objets d'art, et les arts du feu en particulier » (Poulain / Thauré, 1990), dont on a déjà pu constater l'intérêt pour la majolique italienne, pourrait fort bien être l'un des personnages-clé de ce phénomène. 7 L'un des exemples les plus connus est celui des céramiques de Saint Porchaire, autrefois dites de Henri II. La technique utilisée, différente de celle de la faïence stannifère, s'apparente davantage à celle de la terre de pipe dite « faïence fine ». On date les premiers exemplaires des environs de 1525, et la production semble s'être poursuivie jusque vers 1565. L'origine de ces pièces reste encore très obscure, et on a tendance aujourd'hui à penser qu'elles auraient pu être fabriquées dans la région de Paris. On les voit mentionnées dans les inventaires des Montmorency, seigneurs de Saint-Porchaire, dont plusieurs pièces portent en outre les armoiries. La production semble avoir été limitée à quelques objets de luxe, et il est incontestable qu'il s'agit là d'un atelier princier qui s'inscrit tout à fait dans la ligne des expériences céramiques novatrices dont le château de Madrid fournit l'exemple suprême à la même époque. Bernard Palissy 8 L'autre exemple, celui de Bernard Palissy, est légèrement plus tardif, mais il est si célèbre qu'il en est devenu un mythe national. Fort heureusement, nous connaissons mieux sa production véritable depuis les fouilles du Grand Louvre qui ont permis de mettre au jour son atelier situé à l'emplacement du Carrousel, et les études qui ont été menées à cette occasion (Revue de l'art, n° 78, 1987 et catalogue, 1990). Né vers 1510, Bernard Palissy, figure légendaire de la céramique, acquit une telle réputation grâce à ses « rustiques figulines » – dont il faut rappeler qu'elles ne sont pas des faïences, mais des terres vernissées décorées d'oxydes métalliques – qu’Henri II, vers 1556, lui acheta 75 un bassin 50 écus. La même année, le Connétable de Montmorency lui commanda « une grotte rustique contre un salaire substantiel et sa protection assurée », allant même jusqu'à le nommer « inventeur des rustiques figulines du Roy et de la Reyne mère » en 1562 (Poulain / Thauré, 1990, p. 17). Entre 1565 et 1567, Catherine de Médicis lui commanda la fameuse grotte pour les Tuileries – dont les quelques fragments conservés ont longtemps été les seules productions attestées –, et son activité se poursuivit au moins jusqu'en 1575, avant son emprisonnement et sa mort en 1590. En dépit de son caractère indépendant et de sa formation autodidacte, tout nous porte à voir en Bernard Palissy une personnalité exceptionnelle, certes, mais surtout un homme caractéristique de son époque. Ses productions céramiques, pour originales qu'elles soient, reflètent bien les préoccupations de son temps : après tout, il y a plus une différence de degré que de nature entre les façades du château de Madrid et la grotte des Tuileries. 9 En ce qui concerne la faïence stannifère de cette époque, le terme de faïences françaises primitives, consacré dès 1946 par les travaux du Dr Chompret, puis par ses articles dans les deux premiers numéros des Cahiers de la céramique et des arts du feu, en 1955 et 1956, recouvre en fait toutes les productions indigènes, du XIVe à la fin du XVI e siècle, dont certaines ont déjà été évoquées dans les paragraphes précédents. Cependant, aux yeux du public, en général, il désigne surtout les productions du XVI e siècle que l'on mentionnait encore il y a peu au début des ouvrages d'art décoratif consacrés à la faïence française, et dont on montre des exemplaires des collections. Il s'agit essentiellement du pavage de l'église de Brou, des faïences de Masséot Abaquesne, de quelques pièces de la fin du XVIe siècle, attribuées à Lyon, et de celles de Narbonne, Nîmes et Montpellier, regroupées aujourd'hui sous le nom de majoliques languedociennes. Les faïences « primitives » Le pavement de Brou 10 Le pavement de l'église de Brou, près de Bourg-en-Bresse, était destiné à orner la chapelle de Marguerite d'Autriche, fille de Maximilien de Habsbourg et de Marie de Bourgogne, à l'endroit le plus précieux de l'édifice qu'elle fit construire de 1506 à 1532, en hommage à son époux Philibert le Beau. Grande amatrice d'art – elle possédait, entre autres, le manuscrit des Très riches heures du duc de Berry –, elle fit appel aux meilleurs spécialistes pour réaliser un cadre digne d'abriter son tombeau ainsi que ceux de son époux et de sa mère, Marguerite de Bourbon. L'exécution de la chapelle, qui sera ung chief d'euvre, fut confiée à un maître d'œuvre flamand, Louis van Boghem, après 1512, et ne fut guère achevée avant 1530, date de la mort de Marguerite. Selon un témoignage manuscrit de la fin du XVIIe siècle, le pavage fut exécuté par un certain François de Canarin. Il fut démonté au XIXe siècle, dispersé dans les collections, et seuls quelques carreaux subsistent sur place. « Ils représentaient une grande variété de motifs : têtes de personnages antiques ou contemporains, emblèmes, trophées d'armes, instruments de musique, devises, dans des dominantes d'ocre jaune et de bleu. Des navettes hexagonales portaient des entrelacs de branchages noueux de couleur blanche sur fond bleu » (Poiret / Nivière, 1990, p. 57). Dans l'état actuel des recherches – curieusement pauvres – sur ce témoignage précoce de l'art de la majolique en France, il est difficile de lui attribuer une origine, ou flamande ou lyonnaise, étant donné la 76 proximité et l'importance de Lyon, d'une part, et les rapports étroits que les maîtres d'œuvre entretenaient avec les Flandres, d'autre part, où des Italiens exerçaient l'art de la majolique depuis le début du XVIe siècle, notamment à Anvers. Masséot Abaquesne 11 Contrairement aux autres réalisations de la même époque, on désigne la production de Masséot Abaquesne sous le nom de son auteur, car elle s'applique à plusieurs réalisations dispersées dans l'espace et dans le temps, de 1542 à 1557, pour lesquelles on possède plusieurs témoignages irréfutables. Connu depuis 1869 grâce aux travaux d'André Pottier, le nom de ce célèbre personnage reste cependant entouré d'un certain mystère, que les recherches récentes ont tenté d’éclairer. Parmi ces travaux, on peut citer l'article d'Arnaud Brejon de Lavergnée dans la Revue du Louvre en 1977, celui de Catherine Vaudour dans La Renaissance à Rouen en 1980, la synthèse de Catherine Leroy sur les carreaux d'Abaquesne dans le catalogue de l'exposition Châteaux de faïence en 1993, et le catalogue de l’exposition consacrée à ce personnage en 2016, qui fait le point sur la question 3. 12 Son nom apparaît à Rouen dès 1526, date à laquelle il est qualifié d'emballeur. En 1538 – première mention de son activité faïencière –, il est dit esmailleure en terre, mais ses premières réalisations connues consistent en plusieurs panneaux portant l'inscription A Rouen 1542, réalisés pour le château d'Ecouen, alors demeure du connétable Anne de Montmorency, et qui abrite aujourd'hui le musée national de la Renaissance. Il s'agit d'une part de l'un des deux ensembles de carreaux conservés au musée Condé du château de Chantilly, représentant le courage de Mucius Scaevola et de Marcus Curtius, et, d'autre part, de panneaux de carreaux aux emblèmes du Connétable, destinés à la galerie de Psyché, dont quelques-uns sont présentés dans leur lieu d'origine. On y associe généralement un autre ensemble de Masseot Abaquesne formant triptyque et représentant le Déluge, étudié par Bernard Jestaz en 1980. Des documents d'archives attestent bien par ailleurs qu'il a livré à Anne de Montmorency, en 1553, des « carreaux qu'il est tenu bailler et fournir pour parer les seules [sols] et autres édifices de messire le connestable de France ». Un second pavement, appartenant au musée d'Ecouen, fut réalisé entre 1547 et 1551, et porte les armes du roi Henri II, de Catherine de Médicis, et du Connétable ; un troisième, enfin, est daté entre 1547 et 1559 (Brejon de Lavergnée, 1977). Selon Catherine Vaudour, « il est possible qu'Abaquesne ait travaillé en association ou sous la direction de maîtres faïenciers flamands. Là serait peut-être l'explication de l'estime que lui porta le Connétable et dont la commande d'Ecouen est la manifestation » (Vaudour, 1980, p. 81). 13 En dehors des réalisations exécutées pour ce haut personnage, on sait également que Masseot Abaquesne est l'auteur du pavement de la non moins célèbre Bastie d'Urfé, dans le Forez, réalisé en 1557 pour Claude d'Urfé, ambassadeur à Rome et gouverneur des enfants royaux. Plusieurs éléments de cet ensemble, qui est en cours de reconstitution, sont conservés en divers endroits (musée du Louvre, musée de Rouen, etc.). Ils présentent d'évidentes analogies avec le troisième pavement d'Ecouen. Comme le souligne Catherine Leroy, « les faïences d'Ecouen et de la Bâtie se distinguent par la qualité irréprochable de la mise en œuvre et par la maîtrise des contraintes techniques imposées par le poids, l'encombrement, la manutention des carreaux depuis la mise en place du décor jusqu'à la pose. Commandées et fabriquées au loin, elles sont des 77 ornements luxueux destinés aux sols des espaces les plus prestigieux et visités, les chapelles et les galeries ». 14 On a par ailleurs la trace écrite d'une énorme commande de 4152 pots passée par l'apothicaire Pierre Dubosc, le 24 mai 1545, dont les collections conservent plusieurs exemplaires signés. Depuis 1995, on a encore découvert d’autres témoignages de ces productions : en 1995, des carreaux historiés au château de Ranrouet, à Herbignac, et, en 2007, six pots de pharmacie dans un fossé de la ville d’Évreux, en compagnie d’une chevrette d’Anvers datée 154… L'œuvre de Masseot Abaquesne fut continuée après sa mort, survenue peu avant 1564, et jusqu'à une date encore inconnue, par son fils Laurent, qui a également signé plusieurs vases de pharmacie. 15 Plusieurs autres réalisations de style comparable, longtemps attribuées à Abaquesne, ne sont plus retenues aujourd'hui parmi sa production attestée : il s'agit essentiellement du superbe pavement du château de Polisy, dans l'Aube, daté de 1549 (Crépin-Leblond, 1993, p. 49), aujourd’hui exposé au Musée de la Renaissance à Écouen, et du pavement de la chapelle Sainte-Croix, dans la cathédrale de Langres, de la même époque (1551). Il y eut probablement quelques autres ateliers, dont les recherches futures sauront retrouver la trace. Dans ce registre, on doit considérer avec la plus grande prudence, toutefois, les documents cités par Benjamin Fillon en 1864 4. Les majoliques languedociennes 16 Depuis 1891 – date de la diffusion des recherches du D r Puech, érudit local comme il y en eut tant dans le dernier tiers du XIXe siècle –, on connaît l'existence du potier nîmois Antoine Syjalon, protestant notoire travaillant « à la façon de Pise », selon ses propres termes, dont l'atelier fonctionna de 1573 à 1590. On lui attribue une gourde, maintes fois reproduite, aujourd'hui au Metropolitan Museum à New York, portant l'inscription Nismes 1581, et la devise de Jean Casimir de Bavière, protecteur des Protestants du Midi. Par comparaison stylistique directe, on lui adjoint une autre gourde et deux assiettes, conservées à New York, Londres et Saint-Pétersbourg, ensemble qui constitue toujours le corpus de base des majoliques languedociennes. 17 À la suite d'abondantes recherches d'archives qu'il publia en 1943, Jean Thuile proposa, toujours par comparaison stylistique, d'attribuer à Montpellier une cinquantaine de vases de pharmacie. Il les classa en groupes qui sont présumés correspondre aux ateliers connus par les textes, à savoir ceux de Pierre Estève (1570-1596), Jehan Syjalon (1597-1617), Pierre I Favier (1577-1651), Daniel Ollivier (1593-1682), et Pierre Boissier (1588-1651). Comme le souligne Robert Montagut, auteur d'un article sur ce problème, « ce n'est pas la première fois qu'un chercheur, disposant à la fois d'un certain nombre de noms de potiers et d'un certain nombre de pièces rencontre ce problème : à qui attribuer quoi ? Entreprise hasardeuse, dans laquelle nous serions aujourd'hui plus réservés […] Redisons-le, à part la gourde « du Baron Lambert », aucune pièce à notre connaissance à ce jour ne porte de marque de lieu, de fabrique ou de date » (Montagut, 1992, p. 33). Ce corpus des majoliques languedociennes comprenait environ 130 pièces en 1995, et les études se sont poursuivies depuis, notamment à l’occasion des fouilles du tramway à Montpellier, à l’origine de la publication d’un important volume sur l’abondante production de ce centre faïencier incontournable 5. 18 En tout état de cause, les dates de fonctionnement de ces ateliers se situent presque exclusivement dans le dernier quart du XVIe siècle, et les artisans concernés, s'ils ont 78 eu des origines ou des maîtres italiens, peuvent être considérés, au même titre que les Abaquesne, comme les premiers faïenciers français qui ne travaillent plus uniquement pour des commandes princières. Leur commerce, dont le statut reste celui d'un artisanat de luxe somme toute assez modeste, commence à prendre peu à peu la dimension d'une véritable activité économique. C'est également le cas, à la même époque, d'autres ateliers qui seront directement à l'origine du véritable essor de la faïence en France, et notamment ceux de Nevers. NOTES 1. On en trouvera la plupart des références dans Rosen J. et Crépin-Leblond T., dir., Images du pouvoir. Pavements de faïence en France du XIIIe au XVIIe siècle. Paris, RMN/Bourgen-Bresse, Musées de Brou, 2000, et Rosen J., « La faïence française du XIII e au XVIIe siècle », Dossier de l’art n° 70, octobre 2000. 2. Une Orfèvrerie de terre, Bernard Palissy et la céramique de Saint-Porchaire, éd. Réunion des musées nationaux, publié à l’occasion de l’exposition organisée en septembre 1997. 3. Crépin-Leblond T., Gerbier A., Madinier-Duée P. et al., Masséot Abaquesne. L'éclat de la faïence à la Renaissance, éd. RMN, Paris, 2016. 4. Fillon B., Art de terre chez les Poitevins, et dans Poitou et Vendée, Études historiques et artistiques, (1887), p. 136-138, qui cite les « Mes Collin et Bonnet, pour l'establissement et la conduite d'un four à cuyre vaisseaux de terre de Faye-Moureau et la Roche » (près de Fontenay-le-Comte) en 1558, ainsi que les lettres patentes de François II, en 1560, citant les « fours à fabriquer bouteillages de terre blanche […] établis par le sieur de la Brossardière et Benoist Georget en lieux proches le bourg et paroisse d'Aspremont, pays du Poictou ». 5. Vayssettes J.-L., Vallauri L., et al., Montpellier, terre de faïences : Potiers et faïenciers entre Moyen Âge et XVIIIe siècle, Silvana editoriale, 2012. 79 Chapitre 5. La faïence française au cours de la première moitié du XVIIe siècle 1 Au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle, et surtout après 1562, de graves troubles causés par les rivalités religieuses mirent un frein à la prospérité lyonnaise, par ailleurs très affectée par la suppression des franchises accordées aux foires. La faïence reste alors un produit de luxe qui – comme cela a déjà été souligné plus haut – n'aime pas les périodes troubles : Marjatta Taburet cite une délibération consulaire de 1574, disant que « la vaysselle de terre en façon de celle d'Italye qui se faict en ceste ville est à prix si hault et si exessif que ladicte ville et tout le Royaulme ne se resent que bien peu de la commodité de ladicte manufacture, estant ladicte vaysselle aussi chère que soulloitt estre celle que l'on faisoit venir d'Itallie ou peu s'en fault » (Taburet, 1981, p. 35). Dans ces conditions, il est aisé de comprendre que certains faïenciers lyonnais aient eu envie de se transporter vers une autre ville, plus calme et aussi plus accueillante. Nevers, berceau de la faïence française du XVIIe siècle 1 2 À cette époque, Nevers est la ville de Louis de Gonzague, né en Italie en 1539, descendant d'Isabelle d'Este et des Gonzague de Mantoue, dont la capitale fut l'un des grands centres artistiques et humanistes de la Renaissance italienne. Élevé à la cour de François Ier, il épousa Henriette de Clèves, héritière du duché de Nivernais dont il prit possession en 1565. Fidèles au modèle idéal du couple princier de la Renaissance, ils eurent à cœur d'encourager les arts et les industries nouvelles, et tout particulièrement celles qui venaient d'Italie, et surent également protéger les Protestants. Après 1589, Louis de Gonzague, ami personnel d'Henri IV, devint surintendant des finances, et il n'est pas impossible qu'il ait eu une certaine influence sur la politique française de développement commercial et d'encouragement aux industries nouvelles, que Sully devait poursuivre après sa mort, en 1595. Son fils Charles I lui succéda ; puis Charles II, ambassadeur du roi à Rome, se désintéressa de sa ville après 1630. De manière plus 80 générale, de 1589 à 1610, date de l'assassinat d'Henri IV, la France connaîtra vingt années de rétablissement économique et financier. C'est dans ce contexte particulier, favorable à une nouvelle organisation, que la faïence stannifère allait pouvoir trouver une place définitive. 3 Depuis la publication du livre de Georges du Broc de Segange, La faïence, les faïenciers et les émailleurs de Nevers, en 1863, et jusqu'à une date récente, on avait pris l'habitude d'expliquer les débuts de la faïence de Nevers d'une manière excessivement simpliste, qui peut se résumer ainsi : Augustin, Baptiste et Dominique Conrade, maîtres faïenciers originaires d'Albisola, furent les premiers faïenciers nivernais à s'installer, sous la protection du duc Louis, vers 1580. Ils firent venir d'Italie plusieurs ouvriers qui, à leur tour, enseignèrent leur art à des artisans locaux. Ils auraient obtenu en 1603 un privilège d'Henri IV pour une période de trente ans, et il aurait fallu attendre 1632 pour qu'apparaisse une autre manufacture, fondée par Barthélemy Boursier, et que se développe cette industrie. Notons toutefois qu'au départ, du Broc ne signalait l'ordonnance de 1603 qu'en citant Brongniart (t. II, p. 70), lui-même fort évasif, et l’existence de ce privilège n'a jamais pu être prouvée. Depuis la parution de l'étude de Marjatta Taburet en 1981, les nombreuses recherches d'archives notariales effectuées par Gabriel Montagnon, publiées en 1987, et l’encyclopédie sur ce centre que j’ai publiée en 2009 et 2011, les faits nous apparaissent quelque peu différents, et bien plus complexes. 4 En 1572, le duc Louis fit venir des verriers italiens natifs d'Altare, près d'Albisola, après qu'il « les aient recoyneu estre fort experts en l'art de verrerie » (sic). Ce groupe d'artisans attira sûrement des compatriotes italiens appartenant à d'autres corps, comme Dominique Conrade, résidant à Nevers dès avant 1578, à qui l'on doit probablement la venue de son parent Augustin, originaire d'Albisola, arrivé en 1584, et qui sera le fondateur de la faïence de Nevers. Le 20 novembre 1585, Augustin Conrade et Pierre Perthuys, potiers italiens au nom francisé installés à Nevers, passent un contrat « en l'art de la poterie » avec les quatre verriers précités, « maistres de verreries de Lyon et ceste ville de Nevers », association qui sera d'ailleurs rompue en mars 1588. Augustin Conrade s'associe alors la même année avec Julio Gambin, autre potier italien originaire de Faenza, « suivant la volonté et le commandement exprès de Monseigneur le duc de Nivernois » est-il alors précisé (Taburet, 1981, p. 43 et Montagnon 1987, p. 10). Gambin, maître potier, conserve un atelier à Lyon, où un membre de sa famille avait déjà travaillé avec Pezard en 1570, Tardessini en 1574, et Philippe Suettone en 1575. Ces faïenciers, encouragés par leurs protecteurs, commercent avec la capitale : le fils de Baptiste Conrade, né en 1606, aura pour parrain Charles de Gonzague lui-même, et, en 1609, un marchand de Paris signe un contrat avec Gambin, pour lui prendre toute la marchandise faite « tant à Nevers qu'à Lyon où il a boutique et fourneau » (Taburet, 1981, p. 43). Les témoignages de la diffusion des produits nivernais à cette époque abondent. En 1624, à Nancy-la-Neuve, Ferry Ferry, « potier de terre et marchand en vaisselle de faïence », s'approvisionnait à Nevers chez Jean Henry, alors qu'il y avait, semble-t-il, un atelier de fabrication à proximité, à Vic-sur-Seille, à la même époque. À Dijon, les analyses ont révélé l'origine nivernaise de la vaisselle de faïence utilisée dans l'hôtel de Valois au milieu du XVIIe siècle. Au début du XVIIe siècle, peu avant la mort du fondateur Augustin Conrade, en 1612, il y avait déjà cinq ateliers à Nevers. Il y en avait sept en 1626 et huit en 1640, faisant de cette ville le lieu d'une concentration unique de la fabrication de faïence en France. 81 Carreau de pavement, Palais ducal, 14,5 x 14,5 cm, Nevers, 1589, coll. part. 5 Il est donc fort probable que, vers la fin du XVIe siècle, les verriers et les faïenciers italiens établis à Lyon aient délaissé peu à peu cette ville pour des raisons à la fois politiques et économiques, et se soient tournés vers Nevers où, forts de leur réputation et de leur savoir-faire, ils se sont installés définitivement, profitant des encouragements qu'ils ont trouvés auprès de puissants personnages proches des milieux royaux et protestants pour développer et transformer progressivement un artisanat d'art en une industrie naissante. En outre, il est certain que le projet du canal de Briare, offrant une possibilité idéale de débouché parisien à une marchandise qui restait un produit de luxe, ait précipité cette implantation. On connaît en effet l'intérêt manifesté par Sully pour ce projet, né en 1603, accepté l'année suivante, et parrainé par Henri IV, qui vint en personne visiter officiellement le chantier en 1608. Le canal était aux trois quarts achevé en 1610 mais, en raison de l’assassinat d’Henri IV et du changement de régime, ne devait véritablement être mis en service qu'en 1642. La « vesselle de fayence » 6 Symboliquement, et c'est là un point très révélateur du rôle historique de cette ville, c'est à propos de la production dont Nevers était alors le principal centre que l'on prit l'habitude d'employer le terme de fayence pour désigner la céramique que nous continuons à appeler ainsi. En effet, en 1570, à Lyon, Pezard était nommé « fayseur de vases [ou de] vaysselle de terre à la façon de Venise » (Taburet, 1981, p. 26) et, en 1574, la délibération consulaire de Lyon parlait de « vaysselle de terre en façon de celle d'Italye ». Jules Gambin, originaire de Faenza, est dit « potier en vesselle de couleurs » à son arrivée à Nevers en 1584, et le contrat de 1588 ne parle que « d'association de poterie blanche ». En 1596, Jean Gillarde est toujours « faiseur de vaisselle blanche 82 fasson de Venise ». Ce n'est qu'après 1600, et de plus en plus fréquemment entre 1605 et 1610, que le mot apparaîtra dans les actes, dans les expressions « vesselle blanche fasson de fayence », « vesselle », « œuvre » ou « terre » « de fayence ». D'après du Broc, Dominique Conrade est qualifié de « potier en vaisselle de faïence » dès 1602. En 1626, on parle toujours de « convention entre maîtres et maîtresses en vesselle de fayance ». Toutefois, ce n'est pas avant 1640 que le mot est employé officiellement par Antoine Oudin, dans ses Recherches italiennes et françaises, et l'expression « vaisselle de fayence » utilisée par Pierre de l'Estoile en 1642. De même, par une lettre de 1644, le roi fera d'Anthoine de Conrade son « fayancier ordinaire ». 7 On constatera que la date de l'adoption officielle du mot, très en retard par rapport à la fabrication du produit, traduit surtout son implantation définitive dans son pays d'adoption. Il est frappant de noter, d'autre part, un parallèle entre ce phénomène français et l'adoption en Italie, vers le milieu du XVe siècle, du terme majolica, issu du nom d'un centre de fabrication espagnol, Malaga. On retrouvera par ailleurs un phénomène strictement identique avec le mot delftware utilisé par les Anglais au XVIIIe siècle pour désigner la faïence en général, et non seulement celle qui est importée de Hollande. Autres établissements français de la même époque 8 Benjamin Fillon, dans son Art de la terre chez les Poitevins daté de 1864, mentionnait l'existence d'ouvriers italiens établis près de Nantes en 1590 par Albert de Gondy, duc de Rais. Outre de nombreux verriers, il citait « Jacques et Loys Ridolfe, […] gentilz hommes de l'art de verre et de terre de faenze, natifz de Chefayole (Caffagiolo), pais d'Italie, de présent establis en icelle ville de Machecoul » (Fillon, 1864, p. 20). À l’origine de cette installation, on trouve un verrier nivernais, Jean Fer, issu de l'association des verriers et des faïenciers, dissoute à Nevers en 1588. Cependant, comme on le verra ciaprès, il convient de considérer avec la plus grande précaution tout ce qui vient de cet auteur peu fiable. 9 D'une part, ces publications appartiennent à une période bien particulière, qui est celle des débuts de la recherche en matière de faïences anciennes, peu après 1860. Or, on sait aujourd'hui que les intérêts du commerce et d'autres pratiques peu avouables ont beaucoup brouillé les données. D'autre part, l'étude de tous ces documents montre que ces artisans italiens établis dans l'ouest de la France semblent surtout s'être distingués en tant que verriers et que la faïence, si tant est qu'il y en ait bien eu, n'a dû faire l'objet que de quelques tentatives sans grand lendemain. 10 En ce qui concerne les assertions de Benjamin Fillon, ces mentions figurent à la suite d'études sur Bernard Palissy et sur les mystérieuses faïences fines dites « de Henri II », qu'il attribuait alors à Oiron ; études dont on sait aujourd'hui qu'elles reposent sur des arguments irrecevables ou peu convaincants ainsi que sur de faux documents, comme d'ailleurs nombre d'autres travaux de l'ex-honorable archéologue poitevin, à qui l'on n'accorde aujourd'hui plus grande crédibilité (Revue de l'art, n° 78, p. 84). En ce qui concerne la soi-disant fabrique du Croisic, par exemple, le document cité n'a jamais été vu depuis 1864, et aucune des recherches entreprises à ce sujet n'a jamais réussi ni à prouver l'existence de cette fabrique ni, a fortiori, l’attribution de pièces à décor a compendiario qui lui sont faites. Ajoutons que l'archéologie et l’archéométrie ont 83 récemment montré que la grande majorité de ces productions provient de Nevers (Rosen, 1989, 3e colloque…, p. 30). 11 Fondé avant 1595 par Bernardin, proche parent des Conrade de Nevers, le centre de Cosne-sur-Loire, qui a duré près d'un siècle, avec trois établissements (recherches Alain Bouthier), peut être pris comme un exemple caractéristique des quelques structures établies à la suite de celles de Nevers, à la fin du XVI e et au début du XVII e siècle 2. Les archives départementales de l'Yonne, citées par Gabriel Montagnon, parlent de boîtes « fasson Nevers et Cosne » en 1595, et du matériel archéologique y a été découvert à plusieurs reprises. Il est composé d'éléments de fabrication, de biscuit, et de faïence émaillée et décorée, dans un genre très proche de celui de Nevers à la même époque. 12 Parmi les autres établissements de la première moitié du XVII e siècle, il faut tenir compte des installations du siècle précédent qui continuaient à produire, comme les quatre ateliers connus de Montpellier. De même, il y eut sûrement plusieurs fabricants à Paris (Fourest et Sainte-Fare-Garnot, 1981, p. 50). L'association d'Antoine Clérissy avec Sébastien Gros, « maître-potier en faïence », en 1631, et la livraison faite en 1633 à Jean Naul, « marchand-verrier privilégié du roy demeurant à Paris », d'une importante quantité de « marchandize de vaiselle de fayence » par Jean Symonnet, « maître-potier en vaisselle de faïence » demeurant à Longjumeau, en sont des preuves. On connaît d'ailleurs plusieurs pièces signées et datées de cette production, et il existe un plat marqué A Paris le 17e mars 1654. Quelques petites structures étaient également disséminées dans les grandes villes, comme à Lyon – contrairement à ce qui a souvent été avancé – où Nicolas Poupon avait une fabrique en 1641 (Faure-Boucharlat, 1990, p. 184) ainsi qu'Albert et Nicolas Gobin, ou encore Louis Liron, qui étaient alors « potiers de terre de fayance » dans cette ville avant la fin du XVII e siècle (Deloche, 1994, p. 49). On peut citer également Orléans où un certain Nicolas Insola est nommé « maîstre à façon de vesselle de fayence » dès 1605 : un Bacchus marqué faict à Orléans, et daté de 1668, porte encore le témoignage de cette production. De même, on ne saurait passer sous silence le privilège que Louis XIV accorda en 1644 à Nicolas Poirel, privilège transmis à Edme Poterat en 1647, qui fut à l'origine de la reprise de la production de faïence à Rouen après une interruption de près d'un siècle. Il est fort probable qu'il y eut également des fabricants à Rennes et à Nantes ainsi que dans plusieurs autres petits centres dont les noms restent à découvrir. Le précoce atelier de potier-faïencier de Clerval (fin XVIe-début du XVIIe siècle), dans le Doubs, fouillé en 1995, en constitue un bon exemple. 13 Quoi qu’il en soit, au cours de la première moitié du XVII e siècle, on peut dire que la faïence, en France, s'installe peu à peu, mais de manière définitive, cette fois. Elle acquiert un nom, et son statut est celui d'un produit de luxe. L'étude de nombreux documents d'archives nous montre qu'elle figure régulièrement dans les inventaires et sur les tables aristocratiques, même si elle est bien souvent louée pour l'occasion : la Disposition du festin fait par Sa Majesté Louis 13 à Messieurs les chevaliers du Saint Esprit après leur création à Fontainebleau le 26ème de May 1633, gravée par Abraham Bosse (Versailles et les tables royales en Europe, 1993, p. 27), qui indique la présence de près d'une centaine de plats de faïence garnis de nourriture disposés devant quelque deux douzaines de convives, reste l'un des exemples les plus symboliques du rôle qu'elle tient dans les circonstances les plus prestigieuses. D'autre part, son utilisation dans les milieux aristocratiques est également bien attestée par l'archéologie : à Paris, les fouilles du Louvre (Cour Napoléon) en ont mis au jour des quantités importantes, dans des sites 84 d'utilisation significatifs proches du Palais royal, comme les Hôtels de Behringen et de Souvré, ou les maisons « du Sabot » et « du Portrait de Louis XIII », dont les comblements sont antérieurs à 1670. Un plat « à l'italienne », en tous points identique à ceux trouvés en fouille à Nevers et datables de la même époque, y porte la date de 1637 (Bonnet, 1988, p. 18). La capitale n'a cependant pas l'exclusivité de la consommation de faïence : à titre d'exemple tout aussi symbolique, on peut citer l'inventaire des biens de Jacques Callot, à Nancy en 1635, qui mentionne « deux paires de vases de fayence ; un plat bassin de fayence rond ; un autre petit plat oval ; deux sallières fayence ; une aiguière, un bocquart, une gondolle et un petit aubénistier ; trois plats de fayence, l'un oval et deulx rondz, aussi fayence peinctz » (Choux, 1974, p. 179) ou le carrelage du château de Thouars, dans les Deux-Sèvres, commandé à Antoine Conrade par Marie de la Tour d'Auvergne, en 1636 (Didier, 1993, p. 60). 14 Avec la résistance et la persistance des ateliers de Montpellier – probablement due, entre autres, à une spécialisation dans la fabrication de vases de pharmacie, sous l'influence de sa célèbre faculté de médecine –, la faïence, au cours de la première moitié du XVIIe siècle, semble surtout s'être diffusée à partir de Nevers qui occupe pendant cette période une première place incontestée. Sa nette supériorité stylistique et quantitative entraîne la création de plusieurs structures secondaires, sinon concurrentes, établies le long de la Loire, profitant, comme elle, des nouvelles facilités de transport vers la capitale offertes par le canal de Briare. Jusqu'à preuve du contraire, les créations nouvelles – dont Rouen sera la plus importante – restèrent sous son influence directe, et ses ouvriers fournirent le plus souvent leurs premiers contingents aux fabriques qui tentaient de s'installer. 15 Les structures de production, qui étaient à l'origine de petits ateliers conçus sur le modèle de la boutique italienne, le plus souvent dirigés par des artisans transalpins et n'occupant que quelques ouvriers, se multiplient et deviennent plus élaborées. À Nevers, cette activité est stimulée par les grands marchands parisiens établis Quai de la Tournelle, comme Pierre-Antoine Mazois, marchand faïencier privilégié suivant la cour, comme il est mentionné sur un acte du 20 octobre 1680. Ils commanditent la fabrication, fournissent même parfois les matériaux chers destinés à la confection de l'émail et des couleurs, et signent avec les fabricants des contrats d'exclusivité pour alimenter le marché de luxe de la capitale qui constitue le débouché le plus important. 85 Plat, Ø 44 cm, Nevers, 1641, British museum. NOTES 1. Pour tout ce qui concerne la faïence de Nevers et les données de ce chapitre, voir Rosen J., La faïence de Nevers (1585-1900), 4 vol., éd. Faton, Dijon, 2009 et 2011. 2. Rosen J., Faïenceries françaises du Grand-Est, Bourgogne - Champagne-Ardenne, XIV eXIXe siècles, éd. du CTHS, Paris, 2001. 86 Chapitre 6. La faïence française sous Louis XIV L'expansion du dernier tiers du XVIIe siècle 1 Après la chute de Fouquet, sous le ministère de Colbert, de 1661 à 1683, la faïence reste somme toute une idée assez nouvelle, mais semble avoir tout particulièrement bénéficié du dynamisme volontariste de la période. La production de faïence allait connaître une nouvelle impulsion, passant même dans certains cas du stade artisanal médiéval à celui d'une activité de type véritablement préindustriel. 2 Les idées de Colbert en matière de politique économique ne sont pas originales et sont marquées par un mercantilisme parfaitement classique. Partant du principe que « le commerce est le seul moyen de s'enrichir et de devenir puissant », il souhaite réduire au maximum l'importation de denrées et favoriser le plus possible l'introduction des industries inconnues en France ainsi que la production et l'exportation de marchandises. Poursuivant l'œuvre commencée par Henri IV, il développe les industries déjà existantes, et encourage tout particulièrement l'activité économique largement dominante à l'époque, c’est-à-dire le textile, sous toutes ses formes : fabrication de drap, filatures, tapisseries, soieries et dentelles. Il a également l'intention de soutenir et d'encourager l'agriculture, et de développer l'industrie métallurgique ainsi que d'autres branches d'activité, en considérant les produits de luxe – et, parmi elles, la fabrication de glaces, de verrerie, et de faïence – comme un ensemble pilote. Dans ce but, il encourage fortement la création de manufactures destinées à imiter les produits jusque-là importés, souhaitant même « faire venir des artisans étrangers pour qu'ils apportassent chez nous les secrets de la fabrication des produits de Hollande et d'Italie ». 3 À travers cette évocation, on peut reconnaître, entre autres, les produits des Pays-Bas (faïences de Delft) qui connaissaient alors un développement considérable, (les droits sur ces importations seront d'ailleurs doublés en 1667), ainsi que les faïences de la région de Savone et de la Vénétie qui inondaient littéralement, au Nord et au Sud, un marché français en plein essor. En 1664, la nomination de Lebrun à la direction de l'Académie, « manufacture royale pour l'enseignement et la production du Beau », et 87 l'accession de Colbert au poste de ministre des Beaux-Arts durent précipiter un certain nombre de décisions et entraîner la création de plusieurs manufactures de faïence. À ce sujet, on cite souvent un mémoire autographe de Colbert, daté de 1663, mentionné par Pottier mais aujourd'hui contesté, dans lequel le ministre aurait noté : « Protéger et gratifier les faïenciers de Rouen et environs, et les faire travailler à l'envy. Leur donner des dessins et les faire travailler pour le Roy. Idem des tapisseries de cuirs dorés, qui se font à Rouen » (cité par Pottier, 1870, p. 78). Déjà, en 1663, Dominique Conrade, de Nevers, fils et successeur d'Antoine, avait écrit à Colbert en personne, cherchant à se faire patronner afin d'installer une manufacture de faïence à Seignelay, près d'Auxerre, dans le domaine particulier du ministre qui y implanta une manufacture modèle de bas (Montagnon, 1941, p. 77). 4 Mais cette initiative ne fut pas isolée : en 1664, Jacques Legrand, premier président de la Chambre des Comptes de Dijon, écrit à Bouchu, « conseiller du Roy en tous ses conseils, et Intendant de Bourgogne à Paris », le priant d'intercéder en sa faveur auprès du roi pour l'obtention de lettres patentes dans le but de fonder plusieurs manufactures, dont une faïencerie. Il souligne que c'est sur les suggestions du roi lui-même qu'il a l'intention de mettre en valeur ses terres nouvellement acquises en y établissant des manufactures, ayant appris que « Sa Majesté n'avait rien tant à cœur que de donner à son peuple les moyens de s'occuper et fabriquer dans son Royaume ce qui vient des pays étrangers ». Il donne comme modèle à obtenir les lettres patentes accordées par le roi en 1644 à Nicolas Poirel de Grandval, de Rouen, « huissier du Cabinet de la Reyne régente mère du Roy ». Il ajoute qu'il a déjà pris des contacts avec des marchands de cette ville pour se procurer des matières premières, qu'il s'est assuré la collaboration d'un spécialiste neversois pour la fabrication – à savoir Joseph Dupont Saint-Pierre, transfuge de la fabrique des Conrade, à Nevers – et a fait venir des ouvriers de Hollande pour procéder aux premiers essais. Ce genre d'entreprise devait alors bénéficier d'une grande liberté puisque Legrand se vit répondre : « Depuis 1644, le conseil a fort changé, et vous pouvez faire dans vos terres tous les établissements que vous désirez sans avoir besoin de lettres patentes, parce qu'on n'ôtera point la faculté aux autres seigneurs de faire la même chose » (Rosen, 1986, p. 13-20). On peut citer également en exemple le privilège royal accordé en 1664 à Claude Révérend, à l'origine de l'établissement de Saint-Cloud, pour « fabriquer de la faïence... dans notre ville de Paris ou aux environs... comme aussi de faire venir en notre royaume celle qu'il a faite et fabriquée en Hollande » (Faïences françaises, 1980, p. 236). 5 Même si l'on sait que, globalement, les initiatives de Colbert n'eurent pas l'effet escompté, il n'en reste pas moins que l'apparition de nouvelles manufactures correspond bien, dans le dernier tiers du XVIIe siècle, à une utilisation de plus en plus répandue de la faïence : la mode s'en propagea rapidement, d'autant plus qu'elle faisait partie de la politique de luxe ostentatoire menée par le Roi et la Cour, dans le but avoué de favoriser les exportations de luxe vers les aristocraties européennes. Stratégie qui dut porter ses fruits, si l'on en croit le grand Frédéric II, qui déclarait que « l'Europe enthousiasmée du caractère de grandeur que Louis XIV imprimait à toutes ses actions […] voulait imiter la France qu'elle admirait […] Le goût des Français régla nos cuisines, nos meubles, nos habillements et toutes ces bagatelles sur lesquelles la tyrannie de la mode exerce son empire ; cette passion, portée à l'excès, dégénéra en fureur ». Pour venir appuyer cette politique, quelques grandes réalisations de prestige virent ainsi le jour. Les carreaux y tenaient une place de choix, dans la plus pure tradition héritée des siècles précédents. Le principal édifice fut sans doute le fameux Trianon de porcelaine, à 88 Versailles, construit par Le Vau en 1670, et détruit en 1687. La gravure de la célèbre pagode de Nankin, avec sa « magnifique tour de porcellaine à neuf étages », publiée par Jan Nieuhoff en 1665, servit sûrement de base d'inspiration à ce curieux monument malheureusement disparu. La faïence, sous la forme de plusieurs dizaines de milliers de carreaux, essentiellement bleus et blancs, y tenait une place si considérable que la construction lui dut le surnom posthume par lequel on la désigne encore aujourd'hui. À l’époque, la production française n'était probablement pas encore suffisante, en qualité comme en quantité, puisqu’une grande partie des carreaux utilisés provenaient de Hollande, la nouvelle manufacture de Saint-Cloud et le centre de terre vernissée de Lisieux se partageant le reste de la commande (Heitzmann, 1993, p. 84). On devait retrouver des préoccupations esthétiques identiques – et les mêmes matériaux – dans l'Appartement des bains des jardins de Marly, construit sur l'ordre du roi en 1688, et pour lequel furent livrés 8 000 « carreaux d'hollande » (Bentz, 1993, p. 86). Peu de temps après, l'une des toutes dernières réalisations de Louis XIV, le projet des bassins de faïence, conçus par Le Pautre pour abriter les carpes royales, marqua l'apogée et l'ultime achèvement des jardins de Marly, de 1712 à 1714. La faïence française devait alors avoir fait des progrès notoires car, pour cette réalisation, on utilisa 80 000 carreaux de faïence de Saint-Cloud et 10 000 de Lisieux. On connaît la passion du vieux souverain pour ses carpes, mais il devait également beaucoup tenir à cette décoration, car « il exigea que la manufacture exécute rapidement sa commande, lui interdisant tout autre commerce pendant la durée de la fabrication, et il resta longtemps à voir travailler à une fontaine qu'il faisoit paver de carreaux de faïence » (Bentz, 1993, p. 96). 6 Nous possédons beaucoup d'autres témoignages concernant l'utilisation de la faïence à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, qu'il s'agisse de carrelages – comme ceux de Nevers, commandés par Madame de Montespan pour le château d'Oiron, dans les DeuxSèvres, peu après 1700 (Didier, 1993, p. 59) –, de vases d'ornementation destinés aux jardins – comme ceux de Versailles et de Marly (Bentz 1993, p. 23) – et de vaisselle de service d'utilisation quotidienne, dont les fouilles urbaines fournissent souvent des témoignages et dont, à de rares exceptions près (Paris-Grand Louvre, 1988 ; Besançon, 1992), l'étude reste encore largement à entreprendre. 7 Ainsi, dans les décennies qui suivent l'arrivée de Colbert au pouvoir, les manufactures de faïence vont se multiplier, non seulement dans les régions où elles n'étaient pas encore implantées mais aussi dans des villes proches des grands centres faïenciers naissants, dans le but de les concurrencer. Le plus souvent, on fait appel, pour lancer ces nouveaux établissements, à des transfuges des centres les plus expérimentés : Nevers, Montpellier et Rouen principalement. 8 À Toulouse, en 1675, Georges d'Olive, chef du Consistoire, fait appel à deux spécialistes de Montpellier, Ollivier et Favier, pour fonder la première manufacture de cette ville (La faïence de Toulouse et sa région, 1994, p. 19). En Provence, probablement sous l'influence italienne, la faïence prend un essor remarquable grâce au potier Antoine Clérissy et de Moustiers. Deux fils de ce dernier, Pierre et Joseph, fonderont respectivement les centres de Marseille-Saint-Jean-du-Désert et de Moustiers, vers 1678 et 1679, donnant la première impulsion à une activité faïencière qui devait se révéler particulièrement active et brillante par la suite. Les tentatives d'implantation se multiplient aux quatre coins de la France : à Lyon, il semble bien que Pierre I er Combe prend la succession de Louis Liron, en 1687 (Deloche, 1994, p. 49) ; à Dijon, en 1692, la 89 deuxième fabrique de la ville est créée par Favier, de Montpellier, qui emploie Despaty, de Nevers, et Paul Caussy, père du célèbre Caussy de Rouen (Rosen, 1986) ; à Haguenau, en 1695, on fait appel, entre autres, à un Custode, de Nevers, alors qu'Etienne Armand, qui a appris son métier à Marseille, crée son propre atelier à Varages la même année ; à Lille, en 1696, la fabrique fondée par Jacques Febvrier et Jean Bossuydt, artisans originaires des Pays-Bas, fit d'abord appel à des Hollandais, des Nivernais et des Rouennais. 9 La fin du siècle voit se mettre en place de véritables infrastructures préindustrielles : en 1698, à l'extinction du privilège accordé à Poterat, quatre nouvelles manufactures voient le jour à Rouen (Pottier, 1869, p. 16). Quant à Nevers, « alors se produit la modification de l’organisation de nos fabriques. L’accession à la direction des affaires par des titulaires étrangers au métier, l’extension des entreprises feront disparaître les artisans et ouvriront l’ère des manufactures » (Montagnon, 1941, p. 80). Toujours en 1698, dans les mémoires des Intendants, qui constituent une indication statistique de l'activité industrielle française, Nevers est la seule ville du Royaume pour laquelle Levayer, Intendant de la généralité de Moulins, cite « le trafic de la faïencerie et de la verrerie [qui] est de 200 000 livres par an, et occupe 5 à 600 personnes qui travaillent sans cesse » (Levasseur, 1859, p. 276). Nevers possède alors neuf manufactures. À cette époque, on estime la population de la ville à environ 8 000 habitants, et le commerce des fers, activité principale de la ville, à 300 000 livres. 10 Tandis que la porcelaine tendre française fait ses toutes premières apparitions, d'abord à Rouen dès 1673, puis à Saint-Cloud peu après, la faïence se banalise de plus en plus. En dehors des principales installations mentionnées plus haut, bien d'autres tentatives d'établissement de manufactures de faïence, connues ou inconnues, ont dû avoir lieu dans les dernières années du XVIIe siècle où, comme on l'a vu, le mouvement était largement amorcé. Il devait se poursuivre sans faiblir, et s'amplifier considérablement au cours des premières décennies du XVIIIe siècle. 90 . Plat, Ø 51 cm, armoiries de Charles de Villeneuve-Vence, Marseille, 1694-1702, Soc. Arch. de Montpellier Les « édits somptuaires » : les rapports entre noblesse et faïence 11 De nombreux historiens de la faïence, tentant d'expliquer ce développement spectaculaire, ont voulu y voir une cause conjoncturelle dans les « édits somptuaires » par lesquels Louis XIV ordonna, à trois reprises, en 1689, 1699 et 1709, la fonte de la vaisselle de métal précieux, dans le but de renflouer les caisses d'un trésor très appauvri par les nombreuses guerres. Depuis, tous les auteurs ont abondamment repris cette idée, appuyant leur théorie sur la célèbre citation extraite des Mémoires de SaintSimon, pour l'année 1709 (t. VII, chap. XIX, p. 212) : « Tout ce qu'il y eut de grand et de considérable se mit en huit jours à la faïence. Ils en épuisèrent les boutiques et mirent le feu à cette marchandise… ». Le passage complet est plus intéressant et mérite d'être cité : « … tandis que tout le médiocre continua à se servir de son argenterie. Le Roi agita de se mettre à la faïence ; il envoya sa vaisselle d'or à la monnaie, et M. le duc d'Orléans le peu qu'il en avoit. Le Roi et la famille royale se servirent de vaisselle de vermeil et d'argent, les princes et les princesses, de faïence […] Pour d'Antin, qui en avait de la plus achevée et en grande quantité, […] dès qu'il eut le premier vent de la chose, il courut à Paris choisir force porcelaine admirable qu'il eut à grand marché, et enlever deux boutiques de faïence qu'il fit porter pompeusement à Versailles. Cependant, les donneurs de vaisselle n'espérèrent pas longtemps d'avoir plu. Au bout de trois mois, le Roi sentit la honte et la faiblesse de cette belle ressource et avoua qu'il se repentait d'y avoir consenti » (cité in Pottier, 1869, p. 122). 91 12 Il est caractéristique de constater que cette citation a surtout frappé l'imagination des anciens historiens de la faïence qui étaient essentiellement des érudits locaux, la plupart du temps des collectionneurs à l'affût de justifications, mais que les historiens modernes ne parlent pratiquement jamais de ces édits somptuaires, considérés davantage comme une simple anecdote. De fait, la lecture de ce passage montre qu'il caractérise bien plus l'atmosphère de la fin du règne de Louis XIV – celle de la Cour et de ses caprices, aux prises avec de réelles difficultés financières –, qu'un véritable décret aux conséquences économiques déterminantes. Saint-Simon le précise bien et ajoute ailleurs que « de compte fait, il ne se trouve pas cent personnes sur la liste, et le total du produit en don ou en conversion ne monta pas à 3 000 000. La Cour et Paris, encore les grosses têtes de la ville qui n'osèrent s'en dispenser, et quelque peu d'autres qui crurent se donner du relief, suivirent le torrent ; nuls autres dans Paris, ni presque dans les provinces ». 13 Si, en 1709, comme l'affirme Saint-Simon, certains des grands nobles proches du roi « se mirent en faïence », c'est que, comme on l'a vu, elle était de plus en plus répandue et toute désignée pour servir d'équivalent éventuel à la vaisselle précieuse utilisée par la grande aristocratie. Il est fort peu probable que ce décret ait été à lui seul la cause d'un tel essor, même si le geste a pu avoir quelques conséquences immédiates dont certains faïenciers ont pu profiter. Ailleurs qu'à Versailles, dans tout le royaume, nombre de familles nobles de moindre importance – et de moindre fortune – devaient déjà avoir recours à la faïence depuis quelque temps, non seulement pour les raisons économiques propres à la faïence, évoquées plus haut, mais également pour d'autres motifs, plus politiques, qui tiennent à la situation de la noblesse elle-même, particulièrement marquée dans son histoire au cours des dernières décennies du XVIIe siècle. En personnalisant ainsi la faïence, on voulait à l'évidence démontrer qu'on appartenait à la noblesse reconnue et maintenue. À l'occasion du passage de la princesse de Modène au château de Nevers, le 18 mai 1720, Mlle de Valois commande tout spécialement à la dame Deselle, faïencière, un service orné de ses armoiries, comprenant : « deux douzaines d'assiettes, quatre jattes, deux jattes octogones, une grande jatte octogone, deux pots à leaux, trois plats octogones, douze pots de chambre, un pots aury ». Le montant de la facture s'élève à 48 livres et trois sols, dont trois livres « pour les écusons » (cité par du Broc de Segange, 1863, p. 275). La contestation de l’importance des Édits somptuaires n'est d'ailleurs pas une idée nouvelle et il semble qu'on l'ait quelque peu oubliée depuis Jacquemart, l'un des premiers historiens de la faïence, qui écrivait déjà en 1871 : « On s'est demandé s'il ne fallait pas en chercher la cause dans un fait politique plutôt que commercial […] La mise en faïences a peut-être contribué au développement de l'art céramique, mais on ne saurait la considérer comme la cause première du mouvement. Antérieurement à 1713, on trouve déjà quantité de services armoriés et l'on doit remarquer que ces services, de même que ceux fabriqués pour la noblesse aux époques postérieures, ne diffèrent pas, par le décor, de la vaisselle destinée à tout le monde ; le luxe des objets céramiques s'infiltrait peu à peu dans la riche bourgeoisie et même dans les classes populaires ». Par la suite, ce mouvement se poursuivit jusqu'aux changements sociologiques qui marquent la fin de l'influence du style de Louis XIV, sous la Régence et aux environs du premier quart du XVIIIe siècle. 14 Pour expliquer ce phénomène et justifier son interprétation, il est nécessaire de remonter au début du règne de Louis XIV. Dès 1666, puis à nouveau en 1696 et en 1715, 92 le roi fit organiser de grandes recherches destinées à éliminer les usurpateurs et à dresser une liste des véritables nobles du royaume dans le but de transformer la noblesse en une sorte d'institution d'état. Il faut également évoquer l'épuisement des ressources et les mesures destinées à renflouer les caisses de l'État, dans le cadre de la politique d'emprunts inaugurée par Louis XIV après 1688. On assiste en effet à la création et à la vente de quelque 50 000 offices pendant le règne. En 1680, on compte 2 000 anoblissements. En 1693, le roi crée l'ordre de Saint Louis. L'année suivante, dans un souci essentiellement financier, une ordonnance impose l'obtention et l'enregistrement d'armoiries non seulement à toutes les familles nobles, mais encore à toutes les familles « notables ». L'édit de 1696 est éloquent à ce sujet : « Le titre et la source de la noblesse est un présent du Prince, qui sait récompenser avec choix les services importants que les sujets rendent à leur patrie. Ces services […] ne se rendent pas toujours les armes à la main. […] C'est ce qui nous a fait prendre la résolution d'accorder cinq cens Lettres de Noblesse dans notre Royaume, pour servir de récompense à ceux de nos sujets qui, en en les acquérant par une finance modique, contribueront à nous fournir les secours dont nous avons besoin pour repousser les efforts obstinez de nos ennemis ». Il précisait en outre que les personnes anoblies par charge seraient choisies « parmi celles qui se seront le plus distinguées par leurs mérites, vertus, et bonnes qualités ». Deux cents nouvelles lettres sont proposées en 1702, et le décret de 1704 crée une sorte d'emprunt forcé sur les acheteurs de titres, mesure réitérée en 1710. En 1730, on impose des droits de confirmation sur tous les anoblissements survenus entre 1645 et 1715. 15 « Il en résulta une redéfinition à peu près complète des titres, redéfinition très favorable aux grands officiers bénéficiaires de la vénalité des offices » (Meyer, 1991, p. 67). Ces mesures consacrèrent surtout l'apparition d'une nouvelle noblesse de fait, d'argent, et mirent la démonstration d'appartenance au goût du jour, créant ainsi une mode dont la faïence fut sans doute l'un des principaux bénéficiaires. Les armoiries, créées pour la circonstance, étaient ensuite enregistrées pour 20 livres et les anoblis de fraîche date devaient courir passer commande de vaisselle et de plats de service en faïence, destinés à orner leur table autant qu'à proclamer leur nouveau statut social. En réaction à ces mesures excessives, il faut noter que la noblesse réagit vivement dès le début du XVIIIe siècle pour interdire l'accès de la bourgeoisie aux sommets de la hiérarchie sociale. 16 On peut alors comprendre que ces décennies aient vu à la fois se manifester le souci de montrer une noblesse ancienne ou de proclamer un rang confirmé tout autant que celui d'étaler un titre nouvellement acquis. On peut également expliquer ainsi l'abondance des pièces à décor d'armoiries datant de cette époque – armoiries le plus souvent fantaisistes et impossibles à identifier – qui, en raison de leur iconographie spécifique, ont souvent été conservées. On connaissait depuis assez longtemps déjà un code de transcription graphique des couleurs de l'héraldique destiné à la gravure et qui convenait parfaitement au camaïeu bleu à la mode de l'époque : selon Pottier, il est probable que cette convention remonte à l'ouvrage de Salvaing de Boissieu, intitulé Recueil de plusieurs pièces et figures d'armoiries omises par les auteurs qui ont traité jusqu'ici de cette science et publié en 1639, qui stipule que « l'or est pointillé, l'argent est sans aucune hachure, l'azur est haché en face, le gueules en pal, le sinople en bande, le sable est haché doublement, et le pourpre en barre ». Il est d'ailleurs fréquent de constater 93 que les faïenciers de cette époque, qui ne sont pas des puristes en la matière, interprètent ce code avec une fidélité très relative. 17 Quoi qu’il en soit, les pièces armoriées des dernières décennies du XVII e siècle et du premier quart du XVIIIe siècle marquent bien l'apogée finissant de la période où la faïence était un produit destiné à la noblesse, et attestent surtout qu'elle l'utilisa tout naturellement comme support à une démonstration que les circonstances et la mode rendaient nécessaire. Par la suite, sans toutefois qu'on observe une rupture nette, une transition s'opéra vers la faïence bourgeoise qui devait caractériser le XVIII e siècle, à partir de la Régence. Cette nouvelle orientation se manifesta par de nombreux signes. L'un d'entre eux est la tendance de plus en plus marquée vers l'individualisation et la personnalisation de la faïence, sur le modèle aristocratique des décennies précédentes, mais avec un décalage social prononcé et dans un répertoire formel nettement concentré autour du vin. On vit ainsi apparaître des coupes et des taste-vin ornés à l'avance du prénom de l'acheteur – ancêtres des bols achetés dans les magasins de souvenirs de bord de mer. Un autre signe, et non des moindres, concerne la multiplication des fabriques, la diversification typologique et l'apparition de nouveaux styles décoratifs. Pot à oranger, h. 26 cm, armoiries de Ferrand, intendant de Bourgogne, Dijon, c. 1700-1705 (Dijon, musée de la vie bourguignonne Perrin de Puycousin, inv. 2019.1.19). 94 Chapitre 7. Le XVIIIe siècle, apogée de la faïence française : contexte général et facteurs économiques de son développement 1 Suivant le puissant essor commercial de la France après 1720, le XVIII e siècle connut une véritable explosion qui constitue l'apogée de la faïence stannifère, dont la grande majorité des pièces préservées et collectionnées dans notre pays et datant de cette époque continue aujourd'hui encore à attester l'importance. Pour bien comprendre ce phénomène, et en analyser les facteurs déterminants, on étudiera d'abord le contexte général et les facteurs économiques. Les chapitres suivants examineront successivement l'évolution de la production, les facteurs sociaux de son développement, les nouvelles céramiques et la manière dont elles ont exercé une influence sur la faïence ainsi que les entrepreneurs et les structures qui en ont permis la production. Chaque angle de vue couvrant la totalité de la période concernée, c’est-àdire les années 1720-1780, il est bien évident que l'on n'aura pas une lecture synchronique de l'ensemble, ce qui peut constituer un handicap et occasionner quelques redites. J'espère néanmoins que l'exposé y gagnera en clarté. Le contexte général : la croissance économique au XVIIIe siècle 2 Si la céramique, et a fortiori la faïence, est quasi absente des considérations des auteurs qui traitent de l'histoire économique en général, et de celle du XVIII e siècle en particulier, il serait imprudent, voire coupable, comme on le fait encore trop souvent, d'oublier qu'il s'agit là d'un produit manufacturé, et que sa fabrication dépend au moins autant, et même bien davantage, de facteurs économiques, voire sociaux, que de pures considérations esthétiques. En outre, les faïenceries tiennent une place discrète, mais bien réelle, dans le développement historique des petites structures traditionnelles de l'industrie, structures qui ont joué un rôle majeur dans la proto- 95 industrialisation du XVIIIe siècle, à l'origine de la croissance économique moderne en France. 3 Après les crises de la fin du règne de Louis XIV, de nombreux signes révèlent la tendance à la reprise, et l'on admet généralement que la récupération économique se fit en une quinzaine d'années, de 1715 à 1730. L'épisode du « Système » de Law, malgré son effondrement en 1720, permit le désendettement des forces vives du pays. L'assainissement de sa situation financière fut renforcé par la stabilisation de la monnaie, en 1726. Ce coup de fouet donné à l'économie, emportée par un vaste mouvement conjoncturel à partir de 1730 et jusque vers 1770, eut un effet stimulant sur l'esprit d'entreprise. De manière générale, on estime que le produit brut industriel et artisanal français fut multiplié par 4,5 entre 1700 et 1790. De 1733 à 1764, le premier essor fut assez lent. Il y eut une accélération du mouvement après la Guerre de Sept Ans, en 1763, et un essor exceptionnel à la fin des années soixante. Malgré le manque d'études approfondies de ce type, et même en faisant la part de la spécificité de la faïence et des disparités régionales, on constatera que le rythme de création des faïenceries et l'évolution quantitative de leur production suivent cette courbe d'assez près. Les causes du développement de la faïence 4 Si la faïence n'est pas un produit de première nécessité – à cette époque encore moins qu'aux périodes suivantes, et on a déjà eu plusieurs fois l'occasion de faire remarquer que les périodes troublées lui sont particulièrement néfastes –, au XVIII e siècle, cependant, tous les facteurs favorables à son développement se trouvent réunis en France. C’est là une évidence que la plupart des historiens modernes de la faïence ont déjà soulignée. En effet, l'absence de guerre sur le territoire national entre 1710 et 1792, le contexte général d'un essor économique constant, sinon régulier, et d'une longue phase de prospérité permettent de proposer une explication à cette explosion spectaculaire. Ces observations seraient d'ailleurs tout aussi valables pour de nombreuses autres productions de même nature. Tout au long du siècle, on assiste à la création soutenue de nombreuses manufactures. Elles répondent à une demande croissante due à l'apparition d'une nouvelle clientèle à la suite de transformations socio-économiques déterminantes. Son pouvoir d'achat s'affirme de plus en plus et ses goûts, d'abord empruntés à l'aristocratie, se précisent et se font plus divers. Pour satisfaire cette clientèle, la présence d'entrepreneurs prêts à investir, servis par un nombre grandissant de techniciens disponibles, explique que la faïence, comme d'autres productions de même nature, passe progressivement et régulièrement, tout au long du XVIIIe siècle, du statut d'un produit de luxe à celui d'un bien de consommation courante. L’influence du commerce extérieur 5 Très tôt, le renouvellement des débouchés internationaux offerts à la production industrielle permit au commerce extérieur de connaître un élan spectaculaire, notamment par le négoce des ports atlantiques, à telle enseigne que les chiffres furent multipliés par cinq de 1720 à 1790. Vers 1650, pour prendre le seul exemple des Provinces-Unies d'où l'on faisait venir, entre autres, les carreaux de faïence, nos 96 importations étaient légèrement supérieures à nos exportations (45 millions de livres tournois contre 42). Vers 1720, le rapport était inversé, avec 17,5 contre 31,5. Les balances générales du commerce de la faïence pour le port de La Rochelle, de 1718 à 1789 (Musset, 1888, p. 34 sq.), montrent un net excédent des exportations pour la période 1718-1728, avec près de 68 000 livres exportées vers les îles françaises d'Amérique contre un peu moins de 29 000 livres de faïence importées de Hollande. Les exportations vers l'Amérique du Nord et les Antilles – bénéficiant d'une quasiexonération douanière – se multiplièrent et la faïence, expédiée par Nantes, Bordeaux, La Rochelle et Marseille, profita largement de ce phénomène, même si le chiffre d'affaires qu'elle représente ne pèse guère auprès de ceux d'autres exportations comme les produits de l'industrie textile ou les vins. Dans le matériel en faïence datable de la première moitié du XVIIIe siècle issu des fouilles de la place Royale de Québec, « la faïence d'origine française représente à peu près 75 % de la collection » (Genêt, 1980, p. 31)1. Dans le même pays, les mêmes observations ont pu être faites en ce qui concerne les céramiques découvertes dans les fouilles des forts de Louisbourg et de Michilimackinac (ibid., p.79). En 1763, date de la perte de cette colonie, on comptait 85 000Français au Canada. Pour prendre un exemple parlant, à Rouen, le centre le plus important du royaume, en 1786, un Mémoire sur le Commerce de la Normandie présenté par la Chambre de Commerce déclare que les deux tiers de la production des dix-huit faïenceries sont destinés à l'exportation, ce qui représente un chiffre considérable (Pottier 1986, p.36). 6 Même s'il reste fort délicat aujourd'hui d'évaluer l'influence réelle de l'essor du commerce extérieur sur le développement industriel du royaume et d'en tirer des conclusions définitives, on a souvent souligné le bénéfice retiré de ce commerce par les activités de luxe et de demiluxe, parmi lesquelles la faïence. En 1752, David Hume faisait remarquer que « le commerce avec l'étranger a précédé chaque progrès des manufactures nationales et donné naissance au luxe domestique » Les transports et les foires 7 Si l'essor du commerce extérieur et des transports maritimes a pu profiter à la faïence destinée à l'exportation, la consommation intérieure n'aurait pas connu une telle envolée sans le développement général des transports au cours du XVIII e siècle. On a déjà pu faire observer à quel point la mise en circulation du canal de Briare, en 1642, avait correspondu à un dynamisme considérable de la faïence de Nevers et de Cosne. Le canal du Loing, achevé en 1724, mettait en communication avec Paris tout le trafic de la Loire, en aval d'Orléans et en amont depuis le Nivernais. Il devait bientôt supporter un trafic de 500 bateaux, chargeant 250 000 tonnes, partiellement contrôlé par des marchands entrepreneurs de la région de Nevers et d'Orléans qui approvisionnaient les marchés parisiens et normands à l'aide de véritables flottilles dont dépendaient les petits mariniers (Butel 1993). Les traditionnels « toues, chalands, bachots et pillards » font place, après le milieu du siècle, aux « sapines » d'Auvergne, aux Saint-Rambertes ou « Salambardes », et aux Roannaises, qui font 75 à 80 pieds de long pour 12 de large, et permettent de transporter de grandes quantités de marchandise. Le développement considérable des douze manufactures de Nevers, mais également de centres comme Roanne ou Nantes, ne saurait s'expliquer autrement. En 1740, puis à nouveau en 1751, 97 de grands travaux sont entrepris à Nevers pour agrandir le port et faciliter le commerce. 8 Le voyage de Roanne à Briare pouvait prendre de deux jours à une semaine, mais il fallait plusieurs semaines pour aller de Nevers à Nantes. La navigation sur la Loire était fort délicate et c'est plutôt par boutade qu'un marinier affirmait: « Quand il y a trop d'eau, on ne travaille pas, quand il n'y a pas assez, on ne travaille pas, quand il fait du brouillard, on ne travaille pas. Et quand on travaille, ce n'est pas d'ordinaire très fatigant car il suffit de laisser le bateau descendre au fil de l'eau » (Taburet, 1982, p.80). La navigation était soumise aux aléas des saisons, des sécheresses, vents contraires, fortes crues et hivers rigoureux, et les avatars étaient nombreux. Les mariniers de Nevers étaient fort réputés et de nombreuses anecdotes circulaient à leur sujet. 9 De même, une grande mutation affecte les routes au milieu du XVIII e siècle, sous la remarquable impulsion de Trudaine. Pour la faïence, le transport par voie de terre est surtout utilisé dans les cas où tout autre moyen est impossible. En 1692, « Claude Gautherot, voiturier par terre à Nevers, s'engage envers la dame Bestin, de Toul en Lorraine, à conduire en cette ville la quantité de 110 douzaines de faïence, moyennant 150 livres. Il recevra 30 l. au départ et le reste à l'arrivée. Il devra payer toute la faïence cassée et se chargera des droits de péages et d'entrées » (Gueneau, 1919, p. 317). Pour la consommation locale, on a recours au transport en charrettes et par « pagniers ». la fin du siècle, on note ainsi « une grande voiture servant aux rouliers pour le chargement des fayances » dans un inventaire de la petite fabrique des Auges, près de Langres. Certes, les colporteurs ont également pu jouer un rôle non négligeable dans la distribution de la faïence, mais ce mode de transport concerne des quantités sans rapport avec celles qui transitent par voie d'eau. ce titre, il est significatif que la presque totalité des grands centres soient situés sur les cours d'eau et dans les ports les plus importants. 10 Le centre de Moustiers, en Provence, fait cependant exception. On comprendrait mal, a priori, l'importance exceptionnelle prise vers le milieu du siècle par les manufactures de ce village quasi inaccessible, ni la qualité et le rayonnement international de ses faïences si l'on ne prenait en compte sa proximité avec Beaucaire, siège de la plus grande des foires régionales françaises. En 1730, Savary des Brûlons, dans son Dictionnaire du commerce, notait : « On y vient de toutes les parties du monde, et il n'y a pas de marchandises, quelque rares qu'elles soient, qu'on n'y puisse trouver ». En 1880, on pouvait écrire: « La tradition conserve encore à Moustiers le souvenir de longues caravanes de deux à trois cents mulets, portant à la foire de Beaucaire les produits des manufactures de Fouque, Berbégier ou autres […] La majeure partie était ensuite expédiée sur Smyrne ou autres contrées d'outre-mer. Aujourd'hui, on trouve de fréquents et beaux spécimens de l'ancien Moustiers dans les ports du Levant » (BerlucPerussis, 1880). La foire de Beaucaire s'ouvrait le 22 juillet, pour la sainte Madeleine, et c'était le principal centre de redistribution dans le midi vers la Savoie et le Piémont, le point de contact des navigations fluviale et maritime qui permettait d'assurer des échanges non seulement sur l'axe rhodanien français, mais aussi en direction de Genève, de la Suisse et de l'Allemagne du Sud. De 14 millions de livres en 1750, son chiffre d'affaires passa à plus de 41 millions en 1788, constituant ainsi un record pour le royaume. Au XVIIIe siècle, Moustiers a incontestablement bénéficié de la proximité de Beaucaire pour faire connaître et distribuer ses produits même si, pendant le reste de 98 l'année, son commerce avec la Provence, le reste du royaume et l'étranger demeurait extrêmement actif. 11 Guibray, en Normandie, ainsi que Bordeaux, Lyon et Nancy abritaient également les plus grandes foires régionales, dont le trafic a triplé au XVIII e siècle en culminant dans la décennie 1780. À la veille de la Révolution, dans le classement des généralités concernant les échanges sur les produits industriels, on trouve Aix-en-Provence à la deuxième place, avec les savons, la bonneterie et la faïence, et Nancy à la cinquième, avec les lainages, les dentelles, la faïence et la verrerie. Nombre d'autres centres de moindre importance étaient également le lieu de ces échanges d'autant plus actifs qu'ils étaient exempts de droits. Les manufactures régionales trop isolées pouvaient ainsi étendre assez facilement leur réseau de distribution au-delà du marché strictement local qui leur était le plus souvent assuré. NOTES 1. L’important travail en cours conduit par Lætitia Métreau permet d’apprécier la place considérable tenue par les faïences françaises, et notamment celles de Nevers et de Rouen, dans la consommation des colons de la Nouvelle France jusqu’en 1763. Métreau L. dir., « Identifier la céramique au Québec », Les Cahiers d’archéologie du CELAT, n° 41, Série Archéométrie n° 8, Québec, CELAT, 2016 et Métreau L., Rosen J., Girard C. et Auger R., « Pour une typologie stylistique chrono-thématique des faïences françaises retrouvées dans les anciennes colonies d’Amérique (XVIIe-XVIIIe s.) », Canadian Journal of Archaeology/Journal Canadien d’Archéologie, 40(2), 2016., p. 268–296. 99 Chapitre 8. Évolution générale de la production jusqu'en 1780 Les créations de la première moitié du siècle 1 Le nombre des manufactures créées en France au cours de la première moitié du XVIIIe siècle dépasse largement la centaine. Il s'en installe non seulement dans les régions qui n'en possédaient pas encore, mais elles se multiplient également dans les grands centres et alentour. En 1749, Rouen compte treize manufactures, qui possèdent 23 fours (Pottier, 1869, p. 124). À la même date, il y en a onze à Nevers, près d'une dizaine à Marseille et à peu près autant à Moustiers. Lors de la grande exposition de Faïences françaises, qui s'est tenue au Grand Palais à Paris en 1980, sur les 41 centres représentés et en excluant les quatre grands cités ci-dessus, les manufactures créées entre 1700 et 1750 constituaient 62 % de l'ensemble. 2 Pierre Bousquet fonda la manufacture de Quimper aux environs de 1710 1. Dans le Nord, la fabrique de Febvrier, à Lille, existait déjà depuis quelques années quand Dorez, en 1711, en créa une seconde. Suivront Aire-sur-la-Lys vers 1713, puis Bailleul avant 1717. Saint-Amand-les-Eaux, qui avait vu Nicolas Desmoutiers se lancer vers 1705, accueille la manufacture de Fauquez en 1718. Non loin de là, à Sinceny dans l'Aisne, Jean-Baptiste Fayard, seigneur du lieu, crée un établissement en 1737. 3 Dans l'actuel Est de la France, alors divisé en plusieurs régions de statut politique et économique fort différent, et après la tentative du Dijonnais Paul Caussy à Metz, vers 1702-1705, la première manufacture connue est celle de Waly, fondée en 1708 par Leclerc, qui en établira une seconde à Clermont-en-Argonne quatre années plus tard. Toutefois, le véritable départ des manufactures lorraines sera donné en 1711 avec la création de Champigneulles, près de Nancy, par le comte de Fontenoy aidé d'un autre transfuge d'origine dijonnaise, Jacques Chambrette, dont la famille fondera Lunéville vers 1730. Quelques années auparavant, Pexonne et Rangéval possédaient déjà chacune leur faïencerie, créées vers 1720. En Alsace, après la brève aventure de Haguenau en 1695, c'est un Hollandais d'origine espagnole, Charles-François Hannong, qui fonde à Strasbourg, en 1721, la première grande manufacture de cette région avant d'en ouvrir une autre à Haguenau en 1724. Celle de Badonviller devait également voir le jour en 100 1724, celle de Niderviller, en terre évêchoise, en 1735 et celle du Bois d'Epense, dite « des Islettes » – fondée par un autre membre de la famille Leclerc –, en 1737. À Vaucouleurs, en 1738, Giraud de Briqueville se lançait également dans l'aventure… 4 La Franche-Comté, rattachée à la France depuis 1674, participa également à ce mouvement. Après que le Dijonnais Coste ait fondé la manufacture de la Porte d'Arans à Dole en 1707, apparurent celles de Salins en 1710, de Fontenelay en 1725, de Boult en 1728, et de Plumont, en 1741. En Bourgogne, Dijon abritait trois fabriques en 1728. 5 Dans le grand Centre-Est, où la faïence semble un peu moins présente, on note déjà la fabrique de Pierre Rogé, en 1723, à Lyon ; ville où Joseph Combe, venant de Marseille, fondera également la « Manufacture Royale de fayance » en 1732. La première manufacture des États de la Maison de Savoie est créée à La Forest, près de Chambéry, en 1730. Le faubourg grenoblois de Très-Cloîtres accueille la fabrique de Roux en 1735 ; celle de Joseph Perret, à La Tronche, apparaît vers 1747. 6 Dans le sud de la France, on a vu l'importance des grands centres comme Moustiers et Marseille. Jean Thuile nous dit qu'à Montpellier, en 1725, « la Manufacture Royale » d'Ollivier occupe plus de 300 ouvriers 2. « Les années 1715-1730 sont particulièrement fécondes. Non seulement la manufacture royale travaille à plein rendement, mais les autres ateliers, fort nombreux, sont également prospères » (Thuile, 1962, p. 19). Vers 1728, Moulin fonde une faïencerie au Castellet, près d'Apt. 7 Le Sud-Ouest voit une plus grande dispersion des fabriques dans de petits centres qui se développent après la création d'une manufacture à Bordeaux en 1711 avec des ouvriers de Nevers, Montpellier, et Moustiers. En 1720, Toulouse renoue avec la faïence grâce aux Collondre de Montpellier. Samadet est lancée en 1732, Martres-Tolosane en 1734, Auvillar en 1735, Ardus et Marignac en 1737. Plus au Nord, c'est La Rochelle en 1722, Limoges en 1736, Bergerac en 1742. Dans le Centre, sous l'influence nivernaise, on voit apparaître Clermont-Ferrand et Moulins en 1730. On pourrait également citer la création de manufactures dans bien d'autres centres moins connus, comme Nantes en 1734, Mennecy en 1737, Rennes en 1748, ou dans des endroits reculés, sous l'influence de seigneurs locaux, comme Aprey en 1744. Au vu de toutes ces installations simultanées, on comprend aisément que les styles décoratifs majeurs de cette époque aient été exécutés partout de manière identique, et il paraît bien illusoire de vouloir faire des attributions locales précises à l’aide des seules comparaisons stylistiques, même à partir d’une pièce de référence, à supposer que l’on en connaisse une… 101 Bannette, 38,5 x 24, 5 cm, Rouen, milieu du XVIIIe siècle, coll. part. Les premières difficultés 8 La multiplication et le développement de la métallurgie, de la verrerie et des industries céramiques jusque vers 1730 entraînèrent bientôt un problème de combustible, avec les cortèges de protestations et les mesures qui s'ensuivirent au cours du XVIII e siècle. L'ordonnance de 1723 stipulait déjà que toute nouvelle affaire sidérurgique ou verrerie devait être soumise à approbation préalable de l'administration des Eaux et Forêts. « En 1723, l'arrêt du conseil du 9 août est applicable aux faïenciers de Nevers comme à la plupart des grandes industries. Cet arrêt interdit à toutes sortes de personnes et à toutes communautés régulières et séculières d'établir à l'avenir aucuns fourneaux, martinets, forges et verreries, sous peine de 3 000 livres d'amende et de démolition des usines. Les onze manufactures de Nevers font alors une consommation de bois très préjudiciable au pays et aux habitants. Défense désormais de créer de nouvelles fabriques, même si l'activité industrielle le permet » (Gueneau, 1919, p. 296). Si la houille commence à faire de timides apparitions – comme dans les forges de la Marine à Cosne-sur-Loire en 1735 – les faïenceries, dans leur immense majorité, resteront fidèles au bois au moins jusqu'à la fin du siècle. 9 Dans les grands centres, ce développement anarchique entraîne bientôt une concurrence excessive, et l'extension marque le pas. En 1731, à Rouen, par ordre du Conseil d'État, « des commissaires visitent toutes les fabriques, constatent scrupuleusement la fabrication de chaque maître, se font donner des échantillons et dressent un état, qui a toujours depuis servi de règle et de pièce fondamentale aux faïenciers pour établir le nombre et la grandeur fixe des fours que chaque maître a le droit d'avoir, et la nature de la fabrication à laquelle ils sont destinés, sans pouvoir innover. Cet arrêt, par cela seul qu'il fixait le nombre des fours, déterminait également le nombre des fabricants. Depuis cette époque, en effet, jusque vers 1770, aucune nouvelle fabrique ne fut créée » (Pottier, 1986, p. 22). C'est ainsi qu'en 1734, le Sr 102 Guillaume Heugue, ayant agrandi son four, est obligé, par ordre du Conseil, de le démolir pour le reconstruire conformément au tableau. De même, alors que plusieurs faïenceries de Nevers connaissent des difficultés, en 1743, à la suite d'une requête des faïenciers eux-mêmes, un arrêté royal rendu à Versailles fixe que « nos amez les Entrepreneurs des manufactures de fayences à Nevers nous ont très humblement fait exposer que le prix de leurs fayences diminue journellement, et que le débit en devient de plus en plus difficile, malgré les crédits qu'ils font pour le faciliter, tandis que le prix des bois qu'ils consomment pour la fabrication de leurs ouvrages est augmenté du double depuis environ quinze années, en sorte que si, dans de pareilles circonstances, il s'établissait de nouvelles manufactures, ils se verraient dans peu hors d'état de soutenir les leurs, et que leur commerce serait bientôt anéanti […] le nombre des fayenceries dans la ville de Nevers et la province de Nivernois sera et demeurera fixé […] à celui de onze qui subsistent actuellement dans lad. ville […] et nous avons fait déffense d'en établir à l'avenir de nouvelles, ni même d'en rétablir sous quelque prétexte que ce puisse être celles desd. onze fayenceries, qui pourroient tomber à l'avenir, jusqu'à ce que le nombre en soit réduit à huit seulement » (Montagnon, 1987, p. 15). À l’époque de la guerre de Succession d'Autriche, de 1741 à 1748, on constate ainsi une crise latente due à la conjonction de plusieurs facteurs : l'augmentation du prix des bois, qui a doublé de 1730 à 1745, alors que celui de la faïence stagne et que le débit en devient difficile étant donné la concurrence des nouvelles fabriques qui s'installent un peu partout. En 1744, la crainte de rareté des bois réimpose le système des concessions. En 1752, un intendant du commerce déclare que « les manufactures se sont tellement multipliées, qu'il est absolument impossible qu'elles ne se nuisent pas les unes les autres » (Gueneau, 1919, p. 299). En 1753 à Rouen, l'ordonnance de M. de la Bourdonnaye, intendant de la généralité, fixe le prix des ouvrages des ouvriers peintres et tourneurs en faïence des treize manufactures de Saint-Sever et consacre, pour la première fois, une réduction des salaires (Pottier, 1986, p. 28). La reprise jusqu'en 1780 10 De 1760 à 1780, l'industrie française dans son ensemble connaît une modernisation spectaculaire et un taux de croissance remarquable. L'exemple particulier de la faïence stannifère reflète tout à fait cette tendance. Si les grands centres connaissent des problèmes, il n'en va pas de même dans les provinces où de petites unités s'installent pour se lancer à la conquête d'un marché régional. « L'expansion s'est fondée sur l'intégration des marchés et la spécialisation régionale, qui ont permis aux produits de l'industrie de mieux répondre à une demande stimulée, ceci sans transformations technologiques importantes et fortes accumulations de capital », souligne David Weir. Dans le domaine de la faïence, malgré la conjoncture économique, le rythme des créations ne ralentit pas. Rennes en 1748, Saint-Omer en 1749, Sceaux en 1750 voient se créer des manufactures. Vers la fin de l'année 1752, dans la Puisaye, en plein pays potier, la fabrique d'Arthé voit le jour. À La Tour d'Aigues, dans le Vaucluse, le baron de Bruny établit une faïencerie près de son château en 1756. En 1757, Jacques Chambrette, déjà propriétaire à Lunéville, fonde la manufacture de Saint-Clément, promise à un brillant avenir. En 1760, le baron de Meillonnas, dans l'Ain, fait appel au franc-comtois Gautherot pour lancer sa manufacture. En 1765, le marquis de Louvois-Courtanvaux installe la faïencerie d'Ancy-le-Franc, mère des fabriques de la Bourgogne auxerroise. En outre, après les succès de Strasbourg, la production de faïences cuites au réverbère, 103 qui se généralise à partir des années 1760, est l'occasion d'un nouvel essor commercial pour un bon nombre de fabriques, non seulement dans tout l'Est de la France, comme à Niderviller et à Lunéville, mais également dans des manufactures comme Sceaux, Marseille, Aprey, ou Meillonnas. 11 Globalement, pour les grands centres faïenciers, une nouvelle ère de prospérité, stimulée par une consommation en forte expansion et favorisée par la déréglementation généralisée, devait s'installer vers la fin des années 1750 pour durer jusque vers 1780. Les premiers signes apparurent dans l'intervalle entre la guerre de Succession d'Autriche et celle de Sept Ans. À Nevers, le nombre des manufactures est porté à douze en 1755, signe du retour d'une certaine activité commerciale. À cette époque, la faïence de Nevers est très demandée : elle a en outre la réputation d'être la moins chère de France (Gueneau, 1919, p. 316). De même, à Rouen, une ordonnance de 1757 donne « liberté entière aux entrepreneurs d'employer des ouvriers à leur choix, de fixer les salaires de gré à gré, d'établir de nouveaux fours et de fonder de nouveaux établissements, à condition de n'y consommer que du charbon de terre ou de la tourbe ». 12 Comme preuve de ce regain d'activité, on a souvent évoqué l'édit somptuaire de 1759 ordonnant la fonte de la vaisselle de métal précieux appartenant à la grande noblesse de Cour pour payer les frais de guerre de Louis XV – édit que l'on confond parfois avec ceux de la fin du XVIIe et du début du XVIII e siècle dont il a déjà été question. Certes, Barbier, dans sa Chronique de la Régence, brosse un tableau de mœurs qui nous permet d'apprécier cet engouement pour la faïence : « Les princes, les plus gros seigneurs, et les gens en dignité seront réduits à manger sur de la vaisselle de faïence. Cette aventure […] va enrichir toutes les manufactures de faïence et de porcelaine. Il y a depuis dix ou douze jours un grand concours de carrosses à un grand magasin de faïences, plus ou moins recherchées, sur le quai de la porte saint-Bernard, au-dessus des miramionnes 3. J'y allai le 30 octobre acheter des plats, et assiettes, et jattes, comme les autres. Le ministre de Paris y étoit avec M. Bertin de Jumillac frère de M. le lieutenant général de police » (Barbier, 1761, t. 7, p. 201). En fait, à lui seul, cet événement souligna plus une mode déjà bien établie qu'il ne bouleversa les habitudes. L'intendant du commerce de Cotte, de passage à Nevers en 1762, note que « la fonte de la vaisselle avait vidé leurs magasins, mais cela n'a été qu'un bénéfice momentané ». À la suite de la Guerre de Sept Ans, la perte du Canada prive les faïenciers français d'un débouché appréciable : l'intendant de Cotte signale que « la manufacture de faïence de Nevers souffre beaucoup de l'interruption du commerce avec les colonies où était leur principal débouché » (Thuillier, 1966, p. 167). Mais le commerce intérieur est prospère et Marjatta Taburet note que « l'année 1763 fut pourtant une bonne année pour les faïenciers. Pendant la guerre, ils avaient gardé leur marchandise dans les magasins, et lorsqu'à la fin de cette guerre le commerce reprit, la prospérité revint rapidement » (Taburet, 1981, p. 109). En 1768, on assure que les manufactures de Rouen « pourraient suffire à la fourniture de tout le Royaume » (Pottier, 1986, p. 29). En 1786, elles sont au faîte de leur activité : on en compte dix-sept ou dix-huit, qui occupent douze cents personnes, et l’exportation est à son comble (ibid., p. 16). En 1778, à Nevers, les manufacturiers sont obligés de reconnaître que « pendant les trois dernières années de la paix, il est vray que ce commerce était monté à un degré de faveur, auquel raisonnablement on ne pouvait pas s'attendre ». Un certain David a même l'ambition de créer une treizième manufacture, prétextant que « depuis environ dix ans, les 104 marchands n'ont pu avoir que la moitié de ce qu'ils auraient désiré, ayant même été obligés de ramasser dans toutes les manufactures ce qu'il y avait, à peine leur donnaient-ils le temps de cuire, et être obligés de rester plus de quinze jours pour faire leurs chargements » (Thuillier, 1966, p. 167). Rouen, en 1786, semble au faîte de son activité : on compte dix-sept ou dix-huit manufactures, qui occupent 1 200 personnes, et l'exportation est à son comble (Pottier, 1986, p. 16). 13 Si les bourgeois, commerçants et artisans constituent l'essentiel de la clientèle, chez les gens plus modestes, on en achète moins souvent et on la considère comme un bien plus précieux qui ne sert que dans les grandes occasions. Jusque vers la fin du XVIII e siècle, dans la classe moyenne, la faïence semble être un produit de consommation relativement courante, mais pas forcément d'utilisation quotidienne. À Meillonnas, en 1790, Charles Etienne Jacquet, laboureur aux Tupinières, proche parent des frères Jacquet, tourneurs à la faïencerie, possède « un vaisselier avec sa crédence garnie de trente-quatre pièces de fayance », et « un mortier de fayance avec son pilon en buy » (Rosen, 1993 / 1). La comparaison avec Grenoble est éloquente : « Dans les milieux plus modestes, (artisans, paysans), on ne trouve plus de pièces de forme, mais seulement des assiettes bien en évidence sur un vaisselier en bois blanc. Les travailleurs de la terre possèdent également ce dressoir ou vaisselier avec quelques faïences, mais, si l'on excepte un laboureur qui en a 27, les autres, fermier, vigneron, en comptent moins d'une dizaine » (Bosso, 1980, p. 50). 14 Mais avec le non-respect de plus en plus fréquent des privilèges réservés aux manufactures royales, la libre fabrication progressive de tous les types de céramique, y compris la porcelaine polychrome, est encore favorisée par la découverte du kaolin à Saint-Yriex en 1768-1769, suivie de la multiplication des fabriques de porcelaine dure. Vers la fin des années 1770, de nombreux centres continuent à prospérer, mais la situation générale de l'économie, qui rentre dans une phase dépressionnaire, se dégrade peu à peu. Strasbourg ferme en 1784. À Lunéville, Loyal ne peut empêcher la faillite en 1785. Une certaine reprise se manifeste de 1782 à 1786, période pendant laquelle les chiffres d'affaires des foires atteignent des records, mais bientôt, dans tout le royaume, la tendance générale de la production industrielle est à la baisse, les prix sont partout en pleine retraite, l'industrie dépérit, la production stagne ou recule. A Bergerac, en mai 1789, le subdélégué mentionne les trois faïenceries prospères au XVIIIe siècle, « qui ne sont plus rien ou presque rien, et que les fabricans seront forcés de les abandonner » (Lacombe, 1989, p. 43). La crise de 1787 devait frapper une économie en pleine récession. 105 Assiette, Ø 25 cm, Strasbourg, J. Hannong, c. 1770, musée de Sainte-Menehould NOTES 1. Et non pas son père Jean-Baptiste en 1690, comme on l’a longtemps cru. Voir Hubaudière C. de la, Quel tricentenaire ?, Argentan, 1996, et Hubaudière C. de la et Soudée Lacombe C., L'Art de la Fayence des Caussy, faïenciers à Rouen et Quimper au XVIIe siècle, éd. Lilou, 2007. 2. Voir Montpellier, terre de faïences, 2012, op. cit. 3. Le couvent de la Congrégation des Filles de Sainte Geneviève à Paris. 106 Chapitre 9. Facteurs sociaux du développement de la faïence : mutations sociologiques, nouvelles clientèles et nouvelles céramiques 1 Dans l’évolution de la faïence stannifère en France au XVIII e siècle, l’apparition de nouvelles céramiques concurrentes a joué un rôle considérable, qu’il s’agisse de la porcelaine ou, comme on le verra ensuite, de la terre de pipe anglaise dite « faïence fine ». L’apparition de la porcelaine comme nouveau marqueur sociologique constitue en effet un élément déterminant de l’inflexion prise par la faïence à l’époque de la Régence. Dans un premier temps, la porcelaine a remplacé la faïence en tant que céramique préférée de la noblesse et s’est affirmée comme une des marques du luxe et du raffinement parisien. Simultanément, l’importance grandissante de la bourgeoisie et son ascension sociale spectaculaire ont exercé une influence capitale et apporté des changements radicaux dans les modes de vie. De cet abandon et de cette adoption quasi simultanés, la faïence a largement profité, bénéficiant d’une impulsion considérable tant sur des plans qualitatif que quantitatif. Les productions les plus prestigieuses adoptèrent de nouveaux types de formes et de décors plus au goût de la nouvelle clientèle, et l’on mit au point, d’autre part, des produits de qualité courante destinés à la consommation d’une clientèle beaucoup plus importante, progressivement étendue à toutes les classes de la société. La porcelaine 2 Jusqu’à la fin du Moyen Âge en Europe, le très petit nombre de porcelaines chinoises connues en faisait des objets d’une insigne rareté conservés dans les collections de curiosités les plus prestigieuses, comme celle de l’empereur Rodolphe II à Prague. À peine était-elle signalée dans le Livre de Marco Polo, dont on dit qu’il en rapporta les tout premiers exemplaires. Ce n’est qu’après la découverte de la route des Indes par Vasco de Gama en 1497 que l’Europe découvrit véritablement la Chine et la porcelaine. On signale les premières tentatives d’imitation de cette céramique à Venise, de 1504 à 1519 107 (Mariaux, 1995, p. 118). Dès 1510, et jusqu’à la fin du XVI e siècle, on voit des motifs dit alla porcellana dans la majolique italienne, et tout particulièrement celle de Venise. En France, ces rares nouveautés furent accueillies comme un luxe extrêmement précieux, parées de vertus légendaires et miraculeuses. Ne disait-on pas que « les hommes et les femmes qui font cette ravissante porcelaine n’en profitent point pendant leur vie, d’autant qu’il faut qu’elle soit cent ans durant enterrée bien avant dans la terre auparavant qu’elle soit en sa perfection » ? On lui prête même des propriétés antipoison miraculeuses et, selon le même texte, « on la doit encores aymer, en ce qu’elle est tellement saine que, si des méchants la souilloient de poison pour en nuire à quelqu’un, elle se casserait et se briseroit elle-même tout à l’heure plutôt que de souffrir les mauvais breuvages dont on voudroit ravager nos entrailles ». Même si son authenticité a pu être contestée, l’Inventaire des objets d’art composant la succession de Florimont Robertet, principal ministre de François I er, dressé par sa veuve en 1532 et qui rapporte ces croyances, cite en outre « quarante-deux pièces, tant vases, pots, tasses, boëtes, qu’autres formes de belles porcelaines des premières qui soient venues en France depuis que les Européens vont à la Chine, lesquelles sont d’un blanc si net, et si bien meslangé de toutes sortes de petites peintures » (Mémoires, 1868, p. 61). La « pâte tendre » 3 Il semble que le secret ne fut finalement percé qu’aux environs de 1560 à la cour du duc de Ferrare, Alfonso II d’Este, ainsi qu’à Florence où, vers 1575, le duc Francesco de Medici réussit à faire produire un ersatz fort complexe de porcelaine sans kaolin, à mi-chemin entre la « pâte tendre » et la « pâte dure » dont seule une soixantaine de pièces a pu être conservée. Cette production de grand luxe ne devait pas se poursuivre après le début du XVIIe siècle. En France, d’actives recherches devaient déboucher sur les premières porcelaines en « pâte tendre » produites d’abord à Rouen vers 1673 puis à Saint-Cloud après 1697. Ces succès entraînèrent d’autres tentatives, notamment à Champigneulles, près de Nancy où, dès les débuts de la manufacture fondée par Jacques Chambrette, vers 1712, on trouve la présence de plusieurs membres de la famille Chicanneau ; famille qui entretient à l’époque d’étroites relations avec Saint-Cloud 1. À Nevers, c’est un certain Jean-Charles Riet qui va par deux fois tenter de fabriquer de la porcelaine tendre en 1721 et 1722, comme l’attestent à la fois les archives et l’archéologie 2. Jacques Chambrette est encore cité comme maistre manufacturier en faillance et porcelaine à Champigneulles en 1725, lors du mariage de son fils à Lunéville, où l’on note la présence du même Jean-Claude Riet. Il est clair que, lors de l’établissement de la manufacture du fils Chambrette à Lunéville en 1730, le but est bien la fabrication de la porcelaine tendre, sous la protection et avec les encouragements de l’épouse du duc Léopold de Lorraine, Élisabeth-Charlotte d’Orléans, familière de Saint-Cloud où elle est née 3. Suivront ces exemples, avec une réussite bien supérieure : les manufactures de Chantilly, où le chimiste Cicaire Cirou fabrique une porcelaine tendre pour le compte du duc de Bourbon dès 1725, et celle de Mennecy, dans le duché de Villeroy, fondée en 1748 par Barbin. 108 Vase, h. 22 cm, porcelaine tendre, Saint-Cloud, début du XVIIIe siècle, vente Tajan 25 oct. 2006. La porcelaine dure 4 En Saxe, c’est sous les auspices de l’Électeur Auguste II le Fort que le secret de la porcelaine dure fut découvert, inopinément, en 1708 par l’alchimiste Johann Friedrich Böttger. La manufacture de Meissen, installée en 1710, devait devenir le phare de la porcelaine européenne et détrôner les fabriques de « pâte tendre » de la région parisienne, Saint-Cloud, Chantilly et Mennecy. Mais, en 1740, la création de la manufacture installée dans le château de Vincennes allait marquer le début d’une grande aventure. Grâce à la marquise de Pompadour, elle fut transférée en 1756 et devint la Manufacture royale de Sèvres, détentrice d’un privilège exclusif et promise à une haute destinée. Après cette date, la production, soutenue à grands frais, permit d’éclipser la porcelaine de Saxe qui perdit beaucoup de sa notoriété en France. D’autre part, on ne saurait omettre la présence sur le marché des porcelaines de Chine importées par les Compagnies des Indes Orientales, la VOC créée par les Provinces Unies en 1602 et la française créée par Colbert en 1664, dont on évalue le nombre de pièces importées à 200 000 avant 1750, et à plus de 300 000 après 1760. En 1768, après de rocambolesques péripéties, on découvrit le gisement de kaolin de Saint-Yrieix-laPerche, près de Limoges, qui devait permettre de produire de la porcelaine dure dans de nombreuses manufactures après 1770. 109 Les conséquences : une nouvelle conception de la faïence 5 On a souvent souligné le dynamisme et l’importance des industries de luxe au Siècle des Lumières associées à « l’art de cour », dont la valeur économique est loin d’être négligeable même si elle n’est pas à la même échelle que celle des grandes industries. Dans les premières décennies du XVIIIe siècle, la porcelaine tendre française constitue un produit de luxe tentant d’imiter les productions de Meissen que l’on importe également à grands frais. La clientèle de ces porcelaines est essentiellement parisienne, souvent noble, et va délaisser peu à peu la faïence pour suivre une mode rapidement imitée par la province. Le phénomène de diffusion imitative des coutumes aristocratiques de la période précédente, que l’on peut constater à de nombreuses époques et dans de nombreux domaines, va permettre à la faïence, à son tour, de gagner une nouvelle clientèle bourgeoise, puis les autres corps de la hiérarchie sociale. Ce changement va de pair avec une nouvelle conception de la faïence, à la fois plus utile et plus utilitaire, qui se traduit par une diversification et une adaptation des formes, et va entraîner la création de nouveaux décors plus conformes aux goûts de la nouvelle clientèle. Les centres de Rouen et de Moustiers, qui savent allier polychromie et nouveauté, vont largement bénéficier de cet engouement. La faïence bourgeoise 6 C’est un lieu commun de dire que Louis XIV, en les soumettant, a habilement mis fin à la puissance des aristocrates. D’autre part, on a vu plus haut comment l’anoblissement du commerce et du marchand, d’abord voulu par Colbert et encouragé par plusieurs édits, avait fini par animer l’économie et lancer les bases d’une prospérité sans précédent. Les bourgeois ont largement profité de ce mouvement, du bas au sommet de l’échelle, poursuivant une ascension entamée depuis longtemps. L’économie urbaine se vit animée d’une dynamique cumulative qui fit des villes le lieu privilégié de la consommation et celui des mutations structurelles de la société. On ne saurait négliger l’influence sur le goût général exercée par les demeures urbaines et rurales des bourgeois arrivés et des fermiers généraux, au décor intérieur raffiné, où s’entassaient meubles rares, tableaux et objets d’art de toute sorte. Devenue commanditaire des architectes, des peintres, des sculpteurs et des jardiniers, la bourgeoisie se rapprocha aussi bien de la haute société que du monde de l’intellectualité. « Au cours du XVIIIe siècle, et dans les centres les plus actifs, on a estimé que le “groupe bourgeois” concentrait de 30 à 40 % dans la société locale. À la veille de la Révolution […] la bourgeoisie française s’imposait vraiment, face au peuple des campagnes et des villes, face au monde des privilégiés, qu’elle avait largement converti en paraissant se soumettre, pour partie, à ses normes » (Braudel et Labrousse, 1970, p. 649). On a souvent dit que le XVIIIe siècle était le siècle de la bourgeoisie : à cette époque, elle représentait 8,4 % de la population totale de la France. Pour la faïence, ce groupe social a constitué un moteur considérable de la mode et des nouvelles habitudes auprès des classes urbaines moins fortunées, puis auprès des paysans les plus aisés, ce qui a permis une extension et une évolution rapides aussi bien des décors à la mode que des quantités produites. 110 7 Pour illustrer la manière dont cette mutation se reflète à travers la faïence dans les premières décennies du siècle, on peut citer une série bien connue de saladiers à décor de métier attribués à Saint-Cloud ou à Paris. Ils mettent en scène une profession spécifique, mentionnant le nom du destinataire, parfois même son métier et la date : ce sont en général des pièces exceptionnelles réalisées pour un commanditaire bien particulier, dont les dates s’échelonnent de 1715 à 1730 environ. Elles portent la marque de cette transformation des mentalités sociales et montrent à l’évidence qu’à cette époque, comme on a pu l’écrire, « le commerçant cherche surtout une justification dans l’utilité de son rôle social ; il n’estime pas suffisamment reconnues sa valeur sociale et sa valeur humaine ». 8 En outre, il existe une adéquation parfaite entre la nouvelle clientèle et la nouvelle conception de la faïence : le phénomène bourgeois reflète une conception de la richesse fondée sur le mouvement, sur une constante et une croissante accumulation qui s’oppose radicalement à la richesse acquise du monde des privilégiés. « La bourgeoisie se caractérise aussi par un certain style de vie, reflet d’une mentalité particulière, ni celle du peuple, ni celle de la noblesse, fait à la fois d’une économie et d’un luxe calculé, de modestie plus ou moins feinte, et surtout d’un dynamisme remarquable, d’un contant effort d’ascension » (Braudel et Labrousse, 1970, p. 649). Pour les pièces les plus remarquables qui constituent aujourd’hui l’essentiel des collections conservées et étudiées, la faïence de cette époque possède en effet des caractéristiques que l’on pourrait définir de manière très semblable : ni art populaire ni art majeur, on y trouve d’évidentes préoccupations d’économie qui tiennent aux coûts et aux techniques de fabrication en petites séries ; on peut y voir l’effet d’un luxe calculé dans l’écho des créations plus prestigieuses de la peinture, mais revues à la modestie, en quelque sorte, par la copie plus ou moins bien adaptée de gravures et de modèles d’ornemanistes. Enfin, le dynamisme et l’effort d’ascension sont illustrés par la constante adaptation des faïenciers aux nouvelles exigences de la mode qui se renouvelle presque tous les vingt ans au cours de ce siècle capricieux. Les marchands parisiens, en tant que commanditaires, peuvent jouer un rôle considérable en transmettant les caprices de la Cour aux fabricants qui les répercutent sur un nombre multiplié de consommateurs et participent ainsi à la propagation rapide et à la diffusion de la mode. L’étude de l’évolution de la production décorée de grands centres comme Rouen, Moustiers ou Strasbourg met bien ces phénomènes en évidence. On pourrait tout aussi bien étudier la manière dont ces influences se répercutent rapidement sur toutes les fabriques régionales de moindre importance, dont la bourgeoisie constitue la clientèle principale pour les produits les plus élaborés. 9 Comme on l’a vu précédemment, au dynamisme économique a correspondu un dynamisme social équivalent qui a entraîné, à son tour, l’apparition de productions nouvelles et l’accroissement des quantités produites. « Le luxe généralisé en tant que symptôme de l’élévation générale du niveau de vie, en tant que révélateur de croissance, a une signification heureuse. Production et consommation vont de pair ; par nature, une consommation à la fois plus abondante et plus variée » (Braudel et Labrousse, 1970, p. 719). La faïence stannifère, à sa façon, illustre bien cette tendance : d’une part, le développement de la nouvelle technique au réverbère va permettre l’avènement d’une faïence de luxe destinée à concurrencer la porcelaine ; d’autre part, on va voir se multiplier les productions de faïence commune, à la fois utilitaire et bon marché. 111 La technique au réverbère dit « petit feu » 10 On attribue l’invention de ce mode de peinture sur émail cuit, déjà évoquée plus haut dans la partie consacrée à la technique, à un artiste verrier, Johann Shaper (1621-1670), fixé à Nüremberg en 1655, qui eut par la suite de nombreux imitateurs, les Hausmalerei ou peintres à domicile, aux environs de dernier quart du XVII e siècle (Frégnac, 1976, p. 183). Toutefois, ce n’est qu’après la divulgation du procédé, et notamment la publication de la recette du pourpre dit de Cassius en 1685 – un pigment obtenu par réaction chimique du trichlorure d’or avec l’étain –, que l’on commença à peindre des faïences avec des couleurs de réverbère à Delft et en Allemagne, où c’est surtout la porcelaine, et tout particulièrement celle de Meissen, qui sut tirer parti de cette nouvelle invention au début du siècle suivant. Par la suite, Paul Hannong, dans sa manufacture de Strasbourg en France, fit venir à dessein Adam Friedrich von Löwenfinck, formé à Meissen, pour mettre au point et développer la production de faïences utilisant cette technique, qu’il utilisa régulièrement de manière industrielle à partir de 1748 4. 11 Sous l’influence de la prestigieuse manufacture de porcelaine tendre de Vincennes au début du siècle suivant – dont, selon l’aveu de Jean-Jacques Bachelier, l’un de ses artistes, les décors sont inspirés essentiellement par le japon et la Saxe –, cette nouvelle production se vit souvent qualifiée par ceux-là mêmes qui la fabriquaient de « faïence japonnée », « façon Japon » ou « Saxe ». Elle fut bientôt adoptée par d’autres manufactures dans tout le royaume. Ce sont d’abord et surtout les grands centres urbains qui se lancèrent les premiers dans cette voie : la proximité d’une clientèle de bourgeois aisés, comme on l’a vu, leur assurait la possibilité d’un débouché pour ces productions dont le prix de revient était considérablement plus élevé que celui de la faïence classique. À Sceaux, Jacques Chapelle établit vers 1750 une « manufacture de terre façon du Japon » qui connut rapidement un tel succès que, en 1751, il se disait « marchand fayencier à Paris et démonstrateur en chimie de l’Académie Royale de Porcelaine et faïence japonnée de Sceaux du Mayne » (Ariès, 1986, p. 21). À la même époque, en Lorraine, à Niderviller, située sur la nouvelle route royale NancyStrasbourg, dans l’un des « Trois évêchés » à la fiscalité avantageuse, c’est grâce à Anstett, transfuge de Strasbourg, que Beyerlé put introduire la peinture au réverbère vers 1751 (Soudée-Lacombe, 1986, p. 15). Une aiguière marquée manufacture de Robert et estieu a marseille permet de penser que cette technique a été adoptée dans cette ville entre 1749 et 1753 (Maternati, 1990, p. 96). À Paris, le 12 novembre 1753, Hébert s’associait avec un certain Germain pour fabriquer de la faïence « japonnée façon Saxe » (Guillebon, 1995, p. 56). Lunéville, centre de la cour de Stanislas, dut adopter cette technique à peu près à la même époque, ainsi que d’autres manufactures de la région encore mal connues. Pendant la décennie suivante, plusieurs manufactures se lancèrent dans l’aventure : à Moustiers, selon Damiron, les premiers essais datent de 1759 ; dans le Nord, Saint-Amand-les-Eaux et sa voisine, Tournai, se mirent à produire des « fayences japonnées façon de Strasbourg » à la même époque (Bonifas, 1985, p. 190). 12 Mais les grands centres urbains ne furent pas les seuls à produire des faïences à décor de réverbère. En Bourgogne, à Aprey, Joseph Lallemant de Villehaut, de retour de captivité en Saxe, décide « d’ajouter à la fayencerie commune une manufacture de 112 fayence fine à l’instar de celle de Strasbourg » vers 1761 (Deveaux, 1908, p. 8). À l’époque, le qualificatif de fine, qui s’oppose à commune, désigne les productions les plus luxueuses, dont celles décorées au réverbère. La manufacture de Vincennes, transférée à Sèvres en 1756, était devenue Manufacture royale en 1759, et Louis XV et madame de Pompadour se plaisaient à y faire fabriquer de luxueuses porcelaines polychromes dont ils faisaient cadeau à leurs invités de marque. Dans certaines régions, dans un élan de snobisme provincial, quelques aristocrates particulièrement entreprenants, qui avaient fondé des manufactures dans leur domaine, voulurent à leur façon imiter les manières royales en débauchant des techniciens compétents et en faisant installer des fours de réverbère. Dès 1762, le baron Marron de Meillonnas nourrit l’ambition de « porter le travail au plus haut point et tel qu’il se fait soit en Lorraine soit à Strasbourg ». En 1763, il engage le Suisse Protais Pidoux, venu de Mennecy via Aprey, qui fabriquera pendant trois années de luxueuses faïences à la mode de Paris destinées essentiellement aux propriétaires, dont les descendants conservaient encore en 1795 un grand service de 680 pièces (Rosen, 1993). Ravier, 24 x 20 cm, Aprey, c. 1765, coll. Part. 13 Après 1770, devant le succès commercial des faïences à décor de réverbère de Strasbourg et de la Lorraine – Lunéville, Saint-Clément, Le Bois d’Epense dit « Les Islettes », Moyen, Rambervillers, Épinal –, rares sont les manufactures qui n’ont pas essayé, peu ou prou, de se lancer dans cette production, avec un bonheur inégal. Parmi les moins connues, on peut citer entre autres, dans le Sud-Ouest, Samadet, Toulouse, Bergerac, Montauban, Négrepelisse et Ardus, mais aussi Varages, Sainte-Catherine dans les Bauges, Ancy-le-Franc en Bourgogne, sans oublier Rouen, Sinceny et La Rochelle. A Nevers, cette production est doublement attestée vers 1780 chez Bougarel, dans la fabrique de la Fleur de lys, par les archives et par une assiette d’une rare série à décor de 113 cartes à jouer « suite à trèfle » marquée nevers, conservée à Sèvres-Cité de la Céramique (inv. MNC 20441)5. La faïence utilitaire commune 14 Comme on peut l’imaginer, la nouvelle distribution de la population socioprofessionnelle d’entrepreneurs et de salariés, phénomène essentiellement urbain, s’est accompagnée de mutations irréversibles. Les manifestations les plus évidentes de ces phénomènes socio-économiques qui affectent le XVIII e siècle, pour ce qui nous concerne ici, pourront être observées dans la transformation généralisée des modes de vie et l’apparition d’ustensiles qui témoignent de ces changements. L’un des aspects les plus significatifs en est la multiplication de la faïence commune, blanche ou à décors sommaires, dont toutes les fouilles de faïenceries, comme les sites d’utilisation, témoignent de l’abondance. Fort peu d’exemplaires en ont été conservés étant donné, d’une part, leur utilisation quotidienne et, d’autre part, le peu d’intérêt esthétique qu’ils présentent pour les collectionneurs traditionnels depuis la fin du XIXe siècle. Si l’on veut véritablement étudier la faïence dans tous ses développements, et sans exclusions a priori, il faudra bien que l’on commence à s’intéresser à toutes ces productions pour se rendre à l’évidence : les belles pièces décorées conservées dans les collections, qui ont jusqu’ici été l’unique objet des études sur la faïence, ne sont que la partie émergée de l’iceberg, l’arbre qui cache la forêt. « Le nombre des pièces faites pour servir d’ornement n’est point comparable à celui des objets fabriqués pour l’usage », faisait observer Brongniart en 1844, peu de temps avant que les amateurs ne commencent à se passionner pour la curiosité. 15 Alors que les tableaux des frères Le Nain, au XVIIe siècle, montrent essentiellement des terrines à anse, bassins à suspendre et autres porte-dîners en terre vernissée, ceux de Chardin, et singulièrement ses natures mortes, nous donnent la possibilité de constater l’évolution chronologique de ce phénomène qui voit la faïence se répandre progressivement dans toutes les couches de la société. Avant 1728, seuls des ustensiles d’argenterie et de porcelaine figurent dans ses tableaux pour les intérieurs les plus aisés, et les récipients en terre vernissée pour les plus modestes. En 1734, dans sa Nature morte avec un pichet de faïence conservée au musée de Cleveland, le pichet en question porte un modeste décor bleu reflétant l’influence combinée de Rouen et de Moustiers. En 1740, 1741 et 1742, en revanche, dans la série des Benedicite du musée du Louvre, on voit trois assiettes à soupe à décor de cordon bleu – ou parfilées, comme on disait à l’époque – sur la table du repas d’une famille fort modeste, ustensiles qui figurent également dans d’autres tableaux par la suite. De même, vers 1760, le Lièvre mort avec pot de giroflées du Detroit Institute of Arts montre un pot à fleurs en faïence de Nevers d’un type fort répandu. Par ailleurs, les fouilles nivernaises ont livré des quantités impressionnantes de toutes ces productions. Les faïences culinaires : « terre à feu » et « faïence brune » 16 Les « terres à feu », et tout particulièrement la « faïence brune » culinaire d’utilisation quotidienne, sont sans conteste les céramiques qui ont le plus bénéficié de ces 114 mutations sociologiques marquées par la transformation des modes de vie au cours du XVIIIe siècle. Étant donné leur caractère utilitaire, et leur peu d’intérêt esthétique, elles n’ont qu’assez tardivement commencé à être étudiées grâce à quelques découvertes archéologiques, notamment sur les sites d’occupation française au Canada (Blanchette, 1978 et 1981), dans le midi de la France (Aubagne, 1993) et sur les sites de production à Nevers (Rosen, 1988 et 2009-2011). Pour l’essentiel, leur histoire reste encore à écrire 6. 17 Pendant une grande partie du XVIIIe siècle, en raison de la modification des habitudes alimentaires et de « l’apparition de la cuisine nouvelle et d’un mode d’alimentation qui rompt avec les traditions médiévales », par ailleurs attesté par les livres de recettes du XVIIe et du XVIII e siècle (Les Français et la table, 1986, p. 258 et 272), on a produit en abondance cette faïence stannifère dite « terre à feu », dont la « faïence brune » n’en est qu’une variété. La composition de sa pâte se distingue par l’utilisation d’argile seule – qui contient en général du fer, d’où la couleur rougeâtre de la pâte après cuisson –, sans adjonction de marne comme dans la faïence classique, avec une granulométrie plus ouverte ce qui lui permet de résister « au feu », c’est-à-dire aux chocs thermiques, non pas au contact du feu lui-même mais à une température qui correspond à une cuisson lente à chaleur douce, ainsi qu’au service de mets ou de liquides chauds que l’on conservait à proximité immédiate du foyer. C’est la raison pour laquelle ces faïences longtemps exposées à la chaleur présentent aujourd’hui très souvent des tressaillures dues au mauvais accord émail-corps qui résulte du manque de calcaire que l’adjonction de marnes dans la faïence classique permet d’éviter. Brongniart a bien souligné qu’il s’agit là d’une véritable révolution dans le domaine de la céramique, conséquence directe des changements intervenus dans les modes de vie qui caractérise l’époque moderne. « Faire chauffer des liquides ou cuire des aliments : c’est aux temps modernes, et les plus modernes, dans les contrées européennes, qu’il faut reporter la fabrication de vases propres à remplir efficacement ce dernier objet » (Brongniart, 1977, t. 1, p. 5). « On cuit alors sur l’âtre dans le four ou sur le potager, préférant les vaisseaux de terre céramique pour les cuissons lentes et les métalliques pour les chaleurs vives » (Blanchette, 1981, p. 30). L’introduction progressive des « boissons exotiques » chaudes, café, thé, chocolat, à la fin du XVII e siècle et au début du XVIIIe siècle, a également joué un rôle considérable dans l’utilisation et le développement de ce matériau. 18 On trouve déjà les premiers exemplaires de ce nouveau matériau céramique dans les archives dès 1684 à Nevers, dans ce qu’on appelle alors la « grosse terre », dont les fouilles ont également exhumé des témoignages 7. Mais il semble que les premières céramiques de ce type utilisées en France aient été importées d’Italie dès le tout début du siècle, et tout particulièrement de Gênes, nom par lequel elles étaient couramment désignées en Provence et dans tout le Midi. Aujourd’hui, les archéologues lui donnent plutôt le nom de « tachetée d’Albisola »8. Il semble que les faïenciers locaux se soient d’abord opposés à ces importations, en essayant de les faire saisir, comme à Marseille en 1710 (Amouric, 1993, p. 89). Très tôt, on a dû tenter de les imiter, avec plus ou moins de succès, et aucune raison a priori ne permet de penser que Rouen a été le seul centre à s’y essayer, même s’il en est rapidement devenu le principal producteur. 115 La « terre à feu » 19 Dans un premier temps, cette « terre à feu » ne se caractérise que par la composition de sa pâte et guère par son aspect extérieur, fort semblable à celui de la faïence classique, revêtue d’un émail blanc sur ses deux faces, voire portant un décor. À Nevers, où les fouilles ont bien mis en évidence de telles productions, datables des environs de 1725, le fond des plats de service en « terre à feu » n’est pas recouvert d’émail mais laissé tel quel, ce qui permet d’économiser l’étain et d’obtenir un prix de revient intéressant 9. En 1728, à Lyon, l’inventaire de la fabrique de Pierre Combe mentionne « vingt-quatre pièces en terre à feu blanche et deux douzaines de même en bleu » (Deloche, 1994, p. 50). Le Dictionnaire universel de commerce de Savary des Brûlons, d’abord publié à Paris en 1730, atteste un intérêt récent mais réel pour les propriétés de ce matériau. « Il faut remarquer que, parmi les terres que nous employons en France pour la fayence, il y en a une qui souffre le feu et qui est assez rare. La meilleure se trouve dans les terres du marquisat de La Nocle, situées en Bourgogne, appartenant au maréchal de Villars. On y a établi depuis peu une excellente fayencerie où l’on fabrique des ouvrages de toutes espèces, de meilleures qualités que celles de Nevers et aussi belles que celles de Rouen, qui a passé jusqu’ici pour la plus parfaite. Elle se donne néanmoins à meilleur marché. La terre dont il s’agit ne prend jamais un si beau blanc, parce qu’elle est plus rouge et plus poreuse, car c’est par cette qualité poreuse qu’elle résiste au feu. C’est pourquoi, ni les fayances de Hollande, ni les porcelaines de la Chine et du Japon où cette terre poreuse manque, n’ont pas cette propriété » (cité in Pottier, 1986, p. 221). En effet, de nombreuses demandes d’installation ou de subventions effectuées par les manufacturiers au XVIIIe siècle montrent qu’ils revendiquent très souvent d’abord la fabrication d’une « terre à feu ». Les manufactures situées dans les zones d’influence de Rouen ne sont pas les seules concernées. On ne soupçonne pas aujourd’hui que ces fabriques ont pu produire ce genre de chose : à titre d’exemple, en 1750, à Saint-Omer dans le Nord, Georges Saladin obtient un privilège pour fabriquer de la faïence « aussi bonne que celle de Hollande et qui présente l’avantage de souffrir le feu ». Dans les années 1750, la manufacture de Chambrette à Lunéville a produit de nombreuses faïences et d’ambitieuses sculptures en terre à feu 10. En 1752, Joseph Perret, à Grenoble-La Tronche, déclare avoir établi une fabrique de faïence avec « la facilité d’en avoir qui tient le feu, qualité que toutes les autres faïences qui se sont fabriquées jusqu’à présent n’ont jamais eu » (Bosso, 1980, p. 16). En 1761, le baron de Meillonnas parle de faire une « fayence propre à souffrir le feu le plus violent même celui de l’esprit de vin aussy parfaitement que l’argenterie ». Les fouilles de cette fabrique ont par ailleurs mis en évidence la fabrication simultanée de tous les types de « terre à feu » (Rosen, 1993). En 1788, Gourmay note que les produits de la fabrique de Moyen, en Lorraine, « ont en outre l’avantage d’aller au feu ». 116 Plat en terre à feu, Ø 28 cm, Paris, 2nde moitié du XVIIIe siècle, coll. part. 20 Certaines manufactures ont opté pour une solution intermédiaire entre la « terre à feu » et la « faïence brune » en revêtant l’arrière de leurs faïences d’un émail blanc sur lequel est projeté du manganèse à l’aide d’une brosse, pour obtenir un effet moucheté. C’est, parmi bien d’autres, le cas de Lunéville, dont les pièces portent souvent des marques caractéristiques, de certains ateliers francs-comtois mal identifiés et de Dijon, comme l’ont révélé les fouilles. La « faïence brune » 21 Pour imiter plus fidèlement les productions génoises, certaines manufactures ont d’emblée appliqué du peroxyde de manganèse au revers des pièces qui se salit beaucoup moins que l’émail stannifère blanc et donne une couleur allant du violet clair à un brun presque noir. Le manganèse provenait souvent de gisements locaux, ce qui permettait une économie considérable par rapport au prix de l’étain que l’on devait importer. On lit souvent que la première mention de ces faïences est due à André Pottier, en 1869, qui cite le Mémoire manuscrit de son grand-père : « En 1707, le Sr Caussy établit une manufacture en construisant un fourneau pour y cuire de la faïence brune dont il était l’inventeur » (Pottier, 1986, p. 17). Si la revendication de Caussy est peu vraisemblable, on observe en revanche qu’il a dû être l’un des premiers faïenciers à pressentir l’avenir de ce produit spécifique. En 1716, Jean II Collondre fait de la « potterie en couleur du caffé » à Créon, près de Bordeaux. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il s’attire ainsi les foudres de la manufacture de Jacques Hustin (de Bordeaux) pour avoir battu en brèche son monopole (Amouric, 1993, p. 91, citant Jean Thuile). Peu après la mort de Louis XIV, dans un mémoire adressé aux membres du Consistoire de Toulouse, on mentionne que « la fayence étrangère devient trop chère […] et la fayence brune qui vient de Gênes est aussi chère à proportion, eu égard à ses vilaines formes et au coup d’œil, qui ne flatte assurément pas la vue » (La faïence de Toulouse, 1994, p. 20). En 1722, à Rouen, Caussy avait dû faire école car on notait déjà l’existence de deux manufactures spécialisées dans la fabrication de « terre brune », celles de Carré et Cauchois (Pottier, 1986, p. 20). Dès 1731, un arrêté fixait les normes auxquelles les manufacturiers étaient astreints. Cette « faïence brune » devait même rencontrer un succès certain car, en 1739 , « le Sr Guillaume Heugue, ayant entrepris de fabriquer de la faïence brune, contrairement au tableau où il est porté 117 pour faïence blanche, une ordonnance de l’intendant lui prescrit de se renfermer dans la fabrication de faïence blanche à laquelle la manufacture est destinée » (Pottier, 1986, p. 24). D’après les mêmes sources, un mémoire contemporain parle des faïenciers de Rouen qui, « ayant fabriqué des vases pareils à ceux qui s’exécutent en fayence, leur ont donné une couche d’émail blanc de fayence en dedans, et ont mis par dehors une couche d’émail brun, avec une simple cuisson. Comme il n’y a point alors de peintre à payer, et qu’ils évitent par-là bien d’autres frais, ils vendent ces poteries pour fayences brunes à un prix très modique, et depuis que ce procédé s’est introduit, les potiers de St Adrien et d’ailleurs ne travaillent presque plus, et ils ne peuvent trouver de quoi payer leurs impositions. Ils sont là cinq ou six fayenciers […] qui se sont ligués pour […] être les seuls qui fassent ce commerce, et qu’ils puissent par-là fixer les prix qu’ils désirent. […] Ils font travailler les pauvres ouvriers à tel salaire qu’il leur plaît d’imposer » (Pottier, 1986, p. 124). 22 En 1728, à Lyon, l’inventaire de la fabrique de Pierre Combe mentionne dix-sept terrines, quarante-deux cafetières ou théières, trois écuelles couvertes, sept douzaines de gobelets à café ou soucoupes brunes et trois plats, le tout « en brun » (Deloche, 1994, p. 50). Nous savons également que la faïence de Théophile Collondre, à Toulouse en 1733, « supporte le feu, mais n’a ny la même propreté qu’a celle qu’on porte à Toulouse de Gênes ou de la ville de Marseille » (La faïence de Toulouse, 1994, p. 20). De futures investigations, à Marseille et ailleurs, pourraient bien également révéler de telles tentatives. « En Provence, il ne serait pas étonnant que certains Albisola fort lourds trouvés ici ou là ne fussent de médiocres copies régionales » (Amouric, 1993, p. 91). 23 Vers le milieu du siècle, la « faïence brune » devint rapidement un produit de grande consommation. Voltaire, dont on verra par la suite qu’il s’intéressait beaucoup à la céramique, ne semblait guère l’apprécier. En 1759, à l’occasion d’un nouvel édit sur la fonte d’argent, il écrivit à Mme du Deffand : « Il ne manque plus à ma chère patrie que de se jeter à la tête la faïence à cul noir sur laquelle elle mange, après avoir vendu sa vaisselle d’argent » (Correspondance générale, 1821, t. V, p. 240). Il est sans doute à l’origine de l’expression retenue par la postérité par laquelle on désigne encore aujourd’hui ces faïences dans le commerce des antiquités. 24 Dans le Sud, en 1761, la situation ne semble guère avoir changé car un mémoire déclare alors que « l’importation que les Génois font de leurs fayences en Languedoc et en Provence, d’où elles se répandent dans le reste du royaume, est véritablement ruineuse pour les fayenceries de ces deux provinces, et pour celles de Marseille. Sous prétexte qu’elles sont grossières, pesantes et à bas prix, on ne leur fait payer que le droit de 50 sols le quintal, imposé par l’arrêt de 1714 sur les poteries de grès. Cette modification n’a lieu dans les bureaux du Languedoc que sur la fayence de Gênes, vernissée tant en dedans qu’en dehors, en brun » (Davillier, 1863, p. 101). 25 Rouen qui, comme on l’a vu, avait rapidement adopté la « faïence brune », se spécialisa même dans cette production, et les divers établissements de la ville seront signalés « en blanc », « en blanc-brun » ou « en brun », à telle enseigne qu’en 1788, sur quinze établissements, on en comptera trois « en blanc », huit en « blanc-brun » et quatre « en brun » (Pottier, 1986, p. 124). Tout au long du siècle, dans tout le royaume, on pourrait citer d’innombrables manufactures dont les archives mentionnent cette production. Les fouilles réalisées au Québec ont mis en évidence les énormes quantités qui ont pu être consommées par les colons de la Nouvelle France jusqu’en 1763. En 1788-1789, selon les Archives de la Chambre de Commerce de Rouen, « le produit des manufactures 118 est de 1 200 000 livres, dont les deux tiers s’exportent dans nos Îles d’Amérique » (Pottier, 1986, p. 37). En 1788, à la fabrique des Auges, à Langres, on produit « de la terre à feu brune façon de Rouen ». Nevers a également voulu suivre cette mode vers le milieu du XVIIIe siècle mais, de manière surprenante, une étude archéométrique a montré que, dans ce cas précis, les mélanges de terre utilisés sont les mêmes que ceux de la faïence classique 11. Faïences culinaires de Rouen trouvées à Québec, milieu du XVIIIe siècle (Métreau, 2016) 26 D’une utilisation bien adaptée aux nouveaux modes de vie et d’un prix de revient nettement inférieur à celui de la faïence classique, cette faïence culinaire utilitaire a incontestablement constitué l’enjeu économique majeur de la céramique au XVIIIe siècle. On a même avancé des chiffres stupéfiants : peu avant la Révolution, la faïence brune valait sept livres le mille, alors que la blanche en coûtait 80 (Roche, 1981, p. 284). 27 Il ne serait pas surprenant qu’une étude plus complète arrive à la conclusion que la « faïence brune » a représenté plus du tiers de la production d’un bon nombre de manufactures de la seconde moitié du XVIIIe siècle, essentiellement situées dans les grandes zones d’influence de Rouen et, plus généralement, du Centre et du Centre-Est de la France, mais pas exclusivement. « Terre d’Angleterre », « terre de pipe » et « faïence fine » Origine 28 Un autre matériau a révolutionné la céramique au XVIIIe siècle : la « terre d’Angleterre », comme on la nommait à l’époque, est composée d’une pâte d’argiles blanches revêtue d’une simple glaçure plombifère transparente vitrifiée, cuite à une 119 température légèrement supérieure à celle de la faïence stannifère. Même si on a voulu lui trouver des antécédents dans certaines céramiques réalisées à partir d’un principe identique – comme celles dites « de Saint Porchaire » du XVI e siècle –, il semble qu’il s’agisse avant tout d’une production d’origine anglaise, fruit de la Révolution industrielle initiée dans ce pays. Dès la fin du XVII e siècle, des céramistes comme Thomas Miles ou les frères Elers utilisaient une argile spécifique qui permettait d’obtenir des produits d’un brun pâle glaçurés au sel, en utilisant la propriété qu’a cet élément, à haute température, de se combiner avec la silice et l’alumine de l’argile pour former une pellicule vitrifiée à la surface de la pièce. On utilisa également une technique qui consistait à recouvrir la pièce d’une pellicule d’argile blanche ou de terre de pipe, sur laquelle on réalisait une glaçure au sel en cours de cuisson. L’invention d’une véritable pâte claire glaçurée au sel est en général associée au nom de John Astbury (1688 ?-1743), mais d’autres essais semblent également avoir été réalisés à une époque antérieure par John Dwight et Thomas Heath 12. 29 Les développements de cette céramique, comme des autres industries, furent très influencés par la pénurie de bois du début du XVIIIe siècle qui finit par obliger les entrepreneurs à déplacer leurs manufactures à proximité des gisements de charbon dans le nord du Staffordshire qui offrait, en outre, des argiles de bonne qualité, à l’origine d’une tradition potière locale. Cette nouvelle céramique, cuite au charbon et produite avec succès à partir des environs de 1710, fut à l’origine du développement considérable des « cinq villes » de la région de Stoke-on-Trent au cours du XVIII e siècle. On obtenait un biscuit totalement blanc en remplaçant l’argile calcaire commune cuisant rouge par un mélange d’argile blanche et de silex calciné. Le premier moulin à broyer le silex fut construit à Hanley en 1726. D’autre part, la glaçure au sel fut progressivement remplacée par une glaçure plombifère appliquée dans un deuxième temps sur un corps préalablement cuit. La mise au point de cette technique et la production industrielle de ce cream-coloured ware devaient entraîner une révolution majeure dans l’histoire de la céramique. La production augmenta rapidement entre 1750 et 1760 13. À cette époque, on commença également à utiliser le décor imprimé par transfert, autre invention révolutionnaire promise à un brillant avenir. Alors que la Révolution industrielle gagnait le Staffordshire, l’installation du célère Josiah Wedgwood (1730-1795) à Burslem, en 1759, et la création du Queen’s ware, sous protection royale, lancèrent le mouvement qui devait balayer toute l’Europe, et finalement causer la perte de la faïence stannifère un siècle plus tard. À la veille de la Révolution française, dans le Staffordshire, 200 maîtres potiers employaient 20 000 ouvriers 14. Les débuts de la « terre d’Angleterre » en France 15 30 En France, on considère que la première tentative d’imitation de ce matériau correspond à l’installation en 1743, par Claude Imbert Gérin, de la « manufacture royale de terre d’Angleterre » rue de Charenton à Paris, qui occupait déjà 20 personnes en 1745 (Le Duc, 1993, p. 20 et Guillebon, 1995, p. 58) et qui devait devenir la célèbre fabrique du Pont-aux-Choux. En 1745, dit-on, Etienne François Mazois, marchand faïencier et membre de la grande famille de propriétaires-manufacturiers à Nevers, s’associait avec Jacques Chapelle – futur directeur de Sceaux – et avec l’Anglais John Hill pour créer une manufacture à Montereau-Faut-Yonne, en Seine-et-Marne. « En 1749, il obtient l’autorisation d’utiliser un fourneau rond à l’anglaise et un privilège exclusif de 120 dix ans pour fabriquer de la poterie blanche cuite et vernie d’un seul feu » (Ariès, 1979, p. 11). Quand on évoque ces premières tentatives d’imitation de la terre d’Angleterre, on mentionne toujours la région parisienne, mais il est probable que d’autres techniciens se sont penchés sur le problème dans d’autres régions. Ainsi, on oublie trop souvent que dans le titre exact du célèbre manuscrit de Pierre-Paul Caussy sur L’art de la fayence, rédigé à Rouen et daté de 1747, lon apprend à fairre […] la porcelaine, et terre dangleterre (sic)16. 31 Ainsi, malgré l’interdiction d’importation en France de la « faïence anglaise », renouvelée en 1740 à la suite d’un mémoire du Conseil du Commerce – et sans doute, par contre coup, à cause d’elle –, un réel intérêt pour cette nouvelle céramique anglaise, considérée alors comme un produit de luxe, se manifeste en France aux environs de 1745. Cet intérêt doit sans doute être considéré comme un effet de l’anglomanie qui caractérise cette époque, soulignée par tous les économistes et les historiens, et dont la publication de l’esprit des lois de Montesquieu, en 1748, présente une facette autrement significative. Dans le même ordre d’idée, on remarque la présence de Voltaire – sans doute le plus anglophile de tous –, flanqué de la marquise du Châtelet, aux côtés de Stanislas, duc de Lorraine, à Lunéville lors des premiers essais publics de terre de Lorraine réalisés par Jacques Chambrette en 1748 (Noël, 1961, p. 38). Il est utile de rappeler que la plaque de fondation de la manufacture de Chambrette, datée de la même année, fait directement référence à la « fayence façon d’Angleterre ». Voltaire était d’ailleurs à ce point intéressé par cette céramique qu’il faillit devenir propriétaire de la faïencerie de Champigneulles, près de Nancy, en 1758 (Geindre, 1974, p. 181). Peut-être même, en bon défenseur du luxe, avait-il l’intention d’y faire fabriquer de la terre d’Angleterre car Champigneulles avait déjà maîtrisé la porcelaine tendre depuis plusieurs décennies. À la suite de Lunéville, presque toutes les manufactures lorraines, comme Saint-Clément (1758), Rambervillers (1762), Moyen (1763), Toul-Bellevue (1773) et Niderviller (1778), allaient par la suite produire de grandes quantités de faïences en terre blanche à décor polychrome de réverbère. Le baron de Dietrich l’atteste à la fin du XVIIIe siècle en rapportant que pratiquement toutes les manufactures lorraines produisent simultanément « de la faïence fine et commune, du réverbère et de la vaisselle en terre de pipe, recouverts d’un très beau vernis »17. 32 Dans le sillage de ces premières réalisations, après 1760, époque où la terre de pipe anglaise commençait à atteindre des records de production, quelques manufactures françaises de grande réputation tentèrent également – souvent avec succès – de produire de luxueuses faïences à pâte blanche destinées à imiter celles des Anglais. Si l’appellation de « fayance de terre blanche purifiée », citée dès 1753 à Orléans, s’applique plus à de la porcelaine tendre qu’à de la terre de pipe, on voit apparaître dans les carnets de la manufacture d’Aprey, en octobre 1764, la première « composition de terre blanche », puis, en 1765, une recette de « terre à pipe donnée par Lassalle tourneur » avec une composition de « frite » et un mélange de « craix de trois » (craie de Troyes) et de terre locale dite « de Collogne ». Le 25 novembre 1765, enfin, on voit apparaître une recette à base de « frite, crée, caliout blan calsiné et terre de Montraux » (sic) dont les essais se poursuivront jusqu’en 1766, avec des formules cabalistiques pour les glaçures et les décors polychromes au réverbère car rédigées en code secret ! À la même époque, les fouilles de Meillonnas ont mis en évidence une fabrication identique avec des pièces en terre blanche à décor de réverbère polychrome rehaussé d’or (Rosen, 121 1993 / 1). Chapelle en a également produit à Sceaux, et l’on peut en citer bien d’autres : l’éphémère production de Lille, réalisée en 1773 par l’Anglais Guillaume Clarke, les essais malheureux de Jacques Robert à Nevers en 1775, de même que ceux de JeanBaptiste Fauquez à Saint-Amand, ceux de Gaspard Bécar à Valenciennes (Bonifas, 1985, p. 76) ou la terre de pipe de Douai, produite par les Anglais Charles et Jacques Leigh en 1781. La même année, William Sturgeon tentait d’établir une manufacture de terre de pipe à la façon d’Angleterre à Rouen, mais se heurtait à l’opposition des faïenciers. Il est fort probable que d’autres recherches mettraient en évidence de semblables réalisations dans d’autres manufactures à la même époque. 33 En dépit de ces tentatives locales à l’efficacité économique limitée, et malgré les interdictions d’entrée en France, la terre de pipe à l’anglaise prenait une place de plus en plus importante dans le panorama de la faïence stannifère classique. En 1786, elle allait lui porter un coup décisif. Tisanière, terre de pipe, h. 23,5 cm, Lunéville, c. 1760, Château de Lunéville. NOTES 1. Rosen J., « Faïences à décor polychrome de Saint-Cloud et de Champigneulles au début du XVIIIe siècle », La Lettre n° 45, juin 2018. 2. Voir Rosen J., La faïence de Nevers, t. II, 2009, op. cit. 122 3. Rosen J., Maggetti M., et Druet S., « En passant par la Lorraine… », Keramik-Freunde der Shweiz Mitteilungsblatt n° 126, 2012, p. 32, note 67. 4. Pour tout ce qui concerne Strasbourg, voir Bastian J., Strasbourg : faïences et porcelaines, 1721-1784, 2 vol., éd. MAJB, Strasbourg, 2002. 5. Rosen, 2011, op. cit., t. 3, p. 202. 6. L’intéressante étude de Leturcq J.-J., « Les faïences à cul noir décorées à la corbeille rouennaise dans le Nord de la France du XVIIIe au XIXe siècle », Bulletin du GRECB n° 22, 1999, p. 173-191, accompagnée de photos de pièces marquées, en constitue un bon exemple. Elle ne concerne qu’une douzaine de manufactures du Nord, ce qui est déjà une bonne piste de départ, à laquelle on pourrait ajouter les productions reconnues en fouilles, comme celles de Nevers, Dijon, Le Bois d’Epense dit « Les Islettes », et quelques ateliers de la Bourgogne dite « auxerroise ». 7. Rosen 2009, op. cit. 8. On en trouve même jusqu’au Québec. Parmi les nombreuses publications qui parlent de ces céramiques, voir Amouric H., « L’apothéose des Ligures », in Vingt mille pots sous les mers, cat. expo. musée d’Istres, Edisud, Aix-en-Provence, 1999, ch. VII, p. 119-124. 9. Rosen 2011, op. cit., t. 3, p. 104-106 et 120-121. 10. Voir Rosen J. Maggetti M. et al., En passant par la Lorraine… 2012, op. cit., p. 40 -45. 11. En conséquence, ces faïences nivernaises ne présentent pas de tressaillures disgracieuses (Rosen, 2011, op. cit., t. 3, p. 22, 188-189 et 261). Il faudra attendre le début du XIXe siècle pour que le faïencier Dubois fabrique de véritables « faïences brunes » en terre réfractaire, par ailleurs marquées (ibid., t. 4, p. 94). 12. Savage G., La céramique anglaise, Office du Livre, Fribourg, 1961, p. 116-119. 13. Pour les évolutions de ces céramiques au XVIII e siècle en Angleterre, on consultera l’excellent : Scott Sir L., « Pottery », in A history of technology, vol. I, Oxford, 1954-1955 (2e éd.), p. 341-357 et, plus récemment, Walford T. et Massey R. éd., Creamware and pearlware re-examined, English Ceramic Circle, 2007. 14. Scott 1954-1955, p. 353. 15. Sur cette délicate question, et tout ce qui concerne la suite au XIX e siècle, voir Maire C., La faïence fine française, 1743-1843, le triomphe des terres blanches, RMN, Paris, 2008, catalogue de l’exposition présentée au musée de Sèvres (oct. 2008-fév.2009). 16. De la Hubaudière 2007, op. cit. 17. De Dietrich baron P. F., Description des gîtes de minerai et des bouches à feu de la France, t. 3, 5e et 6e parties, Didot Jeune, Paris, an VIII (1800). 123 Chapitre 10. Entrepreneurs et entreprises Les entrepreneurs Les nobles 1 Au XVIIIe siècle, dans l'industrie en général, les groupes les plus dynamiques sont constitués par les grands propriétaires, nobles ou non, qui possèdent, outre des capitaux, des espaces forestiers propres à l'activité industrielle. Le bois reste, en effet, la seule source d'énergie utilisée dans les fours alors que l'énergie hydraulique sert le plus souvent à actionner les moulins, dont ceux destinés à broyer les émaux. Les nobles, souhaitant mettre en valeur leurs vastes domaines souvent nouvellement acquis, se lancent dans l'aventure industrielle. On les trouve aux origines de nombreuses entreprises minières et métallurgiques de l'époque, mais ils jouent un rôle tout aussi essentiel dans la création des verreries ou des papeteries et ont largement contribué à la multiplication du nombre des manufactures de faïence ainsi qu'à leur dispersion géographique dans tout le royaume. 2 Il paraît utile de montrer ici comment l'exploitation des faïenceries a pu rester compatible avec l'état de noblesse. Soulignons tout d'abord que la notion de dérogeance a bien plus correspondu à une certaine conception de la « vie noble » qu'à une liste d'interdictions bien définies, même si de telles listes ont parfois pu être publiées. De manière constante, le commerce de détail ou l'hôtellerie, accompagnés de la tenue de boutiques ouvertes et d'enseignes, ainsi que l'exercice de certaines charges, comme celles de notaire, de sergent ou d'huissier constituent des cas de dérogeance assurée. De même, l'exploitation des fermes d'autrui et l'exercice de tout métier corporel, comme les « arts mécaniques », restent également interdits. Mais, au cours du XVIIe siècle, et surtout après la demande formulée par les États Généraux de 1614 concernant le « grand commerce », les nobles furent autorisés, voire encouragés, à se livrer à toutes les formes de commerce en gros – d'abord maritime – en 1629. Dans l'édit de Saint-Germain, en 1669, Louis XIV affirmait « qu'il importait à sa propre satisfaction d'effacer entièrement les restes d'une opinion qui voulait, bien à tort, que 124 le commerce fût incompatible avec la Noblesse ». En règle générale, la noblesse fut non seulement autorisée mais également encouragée à participer aux activités industrielles, comme les mines, la sidérurgie, les papeteries, les verreries et les faïenceries. En fait, « la théorie de la dérogeance n'a pas cessé d'évoluer au fur et à mesure des besoins, et nombre de dispositions furent prises par la monarchie pour favoriser l'extension, ou la naissance en France de telle ou telle industrie considérée comme d'intérêt public » (Bigne de Villeneuve, 1918, p. 100). 3 Toutefois, dans ce panorama général, les arts du feu dits « nobles » que sont la verrerie et la faïence constituent un cas particulier et semblent avoir bénéficié d'une considération particulière depuis fort longtemps. Déjà, l'empereur Alexandre Sévère, au IIIe siècle, classait la verrerie au rang des arts somptuaires. Philippe le Bel, en 1312, autorisait les verriers nobles à souffler le verre sans déroger. La Charte de 1448 affirmait essentiellement « l'éminente dignité de Maître Verrier », privilège confirmé jusqu'à Louis XIII. À l’époque des premiers développements importants de la faïence en France, à la fin du XVIe siècle, on a déjà fait observer les rapports étroits existant entre les verriers et les faïenciers, dont les matières premières comme les techniques de fabrication sont fort proches. Nombre de textes mentionnent les « gentilshommes verriers », à telle enseigne qu'on a même pu croire que la pratique de cette activité conférait la noblesse. Un arrêt de 1601, rendu en faveur de divers verriers dont ceux de Princeaux près de Nevers, précise bien « sans qu'à l'occasion de l'exercice et trafic de verrerie, ces verriers puissent prétendre avoir acquis le degré de Noblesse ni le droit d'exemption ; comme aussi sans que les habitans des lieux puissent prétendre que les verriers fassent acte dérogeant à Noblesse » (Bigne de Villeneuve, 1918, p. 102). En 1644, Antoine Conrade, de Nevers, est nommé « faïencier ordinaire du Roi » et, dès lors, il se déclarera « noble Antoine Conrade, maître-potier en vaisselle de faïence ». En 1699, le duc du Maine, prince des Dombes, accorde à Gaspard Boisson l'autorisation d'établir une verrerie au château de Beauregard « étant bien entendu, conformément aux coutumes, que les nobles pourront s'adonner à cette industrie sans déroger » (Rosen, 1993, p. 55). 4 On peut attribuer l'intérêt particulier des nobles pour les faïenceries à trois causes essentielles, et probablement simultanées. La première tient sans doute à l'ancienneté de cette reconnaissance de la pratique des Arts du feu comme activité noble et au fait que le verre et, par extension historique, la faïence peuvent être considérés comme « le premier effet de la philosophie chimique tant estimée des anciens », selon la formule de Gilles André de la Roque, historien de la noblesse. La deuxième tient au détournement d'un phénomène de mode. En effet, on a vu à quel point Louis XIV a pu s'intéresser à la faïence ; Louis XV se montra encore davantage adepte de la porcelaine, au point de souhaiter l'établissement d'une manufacture capable de rivaliser avec celle de Meissen dès 1740, et d'avoir sa propre fabrique à Sèvres en 1756. Il y encourage la création et la protège par des monopoles et des interdictions, tout en s'assurant le privilège d'utiliser ses productions comme cadeaux de luxe offerts à des hôtes d'exception (on constatera d'ailleurs que la manufacture de Sèvres, de ses origines à nos jours, n'a point failli à cette mission). Les nobles ont pu alors voir dans l'établissement d'une manufacture dans leur domaine un moyen d'imiter le roi sans toutefois contrevenir aux interdictions. À ce titre, l'exemple déjà cité du baron et de la baronne de Meillonnas, de 1763 à 1766, est flagrant. La troisième cause est plus réaliste et tient au fait que, dès la fin du XVIIe siècle, le roi, en encourageant la noblesse à créer des manufactures, tendait à empêcher la France de demeurer tributaire du commerce et de l'industrie de 125 l'étranger pour les productions dont elle avait besoin, en sollicitant ceux qui pouvaient supporter les avances de fonds nécessaires à ces établissements. 5 De multiples exemples montrent que les nobles sont à l'origine de la création, dans leur domaine particulier, d'un nombre considérable de manufactures de faïence au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, et pendant presque tout le siècle suivant. Ce genre d'installation est si caractéristique du XVIIIe siècle que la manufacture de faïence type représentée à la planche I du Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux, et les arts méchaniques de la célèbre Encyclopédie de Diderot et d'Alembert montre qu'elle est installée à proximité immédiate du château seigneurial, séparée du parc par un simple mur et cachée par une rangée d'arbres. À très peu de détails près, la manufacture d'Ancy-le-Franc en Bourgogne auxerroise, fondée par le marquis de LouvoisCourtanvaux en 1766, telle qu'on peut encore la voir aujourd'hui, peut être considérée comme une reproduction fidèle de celle de l'Encyclopédie, dont elle est contemporaine. En général, tous ces établissements présentent des caractéristiques communes. Ils sont de taille modeste, extrêmement dispersés dans tout le royaume et éloignés des grands centres. L'énumération en serait trop longue, mais on peut néanmoins choisir quelques cas particulièrement exemplaires. 6 Dès 1646, peu après l'achat de sa charge, puis jusqu'en 1656, Bénigne Legrand, premier président de la Chambre des Comptes de Bourgogne, fait l'acquisition d'un important domaine proche de Dijon. Son fils Jacques, devenu comte de Saulon, écrit en 1664 à l'intendant de Bourgogne à Paris, le priant d'intercéder en sa faveur auprès du roi afin d'obtenir des lettres patentes pour l'installation d'un haras, d'une tuilerie, d'une faïencerie, d'une émaillerie et d'une savonnerie (Rosen, 1986, p. 13). En 1675, à Toulouse, Georges d'Olive, seigneur de Bruguières, fonde la première manufacture du Sud-Ouest. En 1711, le comte de Fontenoy, premier chambellan du duc Léopold de Lorraine, établit une tuilerie, une faïencerie et une papeterie dans le vaste domaine de Champigneulles, près de Nancy, qu'il a acheté quelques années auparavant (Geindre, 1974, p. 180). Pour prendre des exemples de semblables créations, à la fois très dispersées géographiquement mais chronologiquement proches, on peut citer l'abbé de Roquépine à Samadet, dans les Landes, en 1732 ; Jean-Baptiste Fayard, seigneur de Sinceny, dans l'Aisne, vers 1733 ; Jean-François de Lafue, issu d'une famille de marchands, à Marignac, en 1737 ; Giraud de Briqueville à Vaucouleurs, dans la Meuse, en 1738. Jacques Lallemant, marchand-épicier de Langres, s'étant enrichi dans les fournitures aux armées royales et les forges, achète la charge anoblissante de secrétaire du roi en 1722 ; son fils Claude fait l'acquisition de la seigneurie d'Aprey en 172, et y installe une faïencerie en 1742. D'autres cas sont plus souvent cités, comme le célèbre baron de Bruny, à La Tour d'Aigues en 1756. Si le phénomène se ralentit considérablement après les difficultés qui marquent la fin des années 1770, on en observe encore quelques manifestations sporadiques et isolées, comme l'établissement d'une faïencerie par le marquis de Montigny, en Bourgogne auxerroise, en 1785. Les entrepreneurs-marchands 7 En ce qui concerne les grands centres producteurs, dans les faïenceries comme dans les autres branches de l'industrie, le personnage central est souvent l'entrepreneurmarchand. Il organise l'approvisionnement en matières premières et l'écoulement, sans toujours participer directement à la production. Contrairement à ce qui se passe dans l'industrie textile, où la production peut être éclatée, l'entrepreneur-marchand 126 faïencier ne contrôle pas les diverses étapes du travail, tâche confiée au directeur de la fabrication, mais il est mieux organisé pour vendre. Il peut résider soit sur le lieu de production, soit dans une ville où il écoule la plus grande partie de la marchandise. Le rôle des marchands parisiens dans le développement des manufactures, déjà observé au XVIIe siècle, se poursuit au siècle suivant avec une importance grandissante, et les démêlés avec les faïenciers ne sont pas rares. L'exemple des Mazois est l'un des plus caractéristiques. Cette famille de riches marchands originaires d'Orléans, possédant des entrepôts quai de la Tournelle à Paris, eut des intérêts dans au moins quatre manufactures de Nevers 1. 8 À Paris, Pierre-Antoine Mazois obtient le titre de « marchand faïencier privilégié suivant la cour » en 1680, date à laquelle on trouve sa trace à Rouen. Il devient « maître verrier et faïencier suivant la cour » en 1684, et dépose alors ses armoiries. « Ces marchands suivaient la cour partout où elle se transportait. Ils étaient considérés comme des officiers et des commensaux de la maison du roi. À ce titre, ils étaient pourvus par le prévôt de l'Hôtel, grand prévôt de France, juge, gardien et conservateur des privilèges. Dans leurs lettres, il est dit qu'ils sont « francs, quittes et exempts de tous ponts, ports, passages, entrées, issues, gabelles et autres droits et impôts quelconques » (du Broc de Segange, 1863, p. 214). Dès 1679, Pierre-Antoine Mazois investit à Nevers, à la manufacture du « Bout du Monde », puis à celle de « l'Autruche » en 1695. À la maîtresse de la faïencerie, il fournira exclusivement les matières premières, sauf le bois qu'il paiera par une avance de 300 livres, et sera présent, lui ou un délégué, aux défournements. En contrepartie, il s'assure la quasi-totalité de la production pendant trois ans, à raison de trois fournées par mois, et avec cinq peintres qui ne peindront que « genre d'Hollande et de porcelaine » 2 (Montagnon, 1987, p. 112). Lors de la transmission de la fabrique en 1708, les conventions sont maintenues avec les successeurs. En 1722, on retrouve le même Antoine Mazois dans la fabrique LefèbvrePansseron, à Nevers, où la veuve Mazois possède également des moulins sur la Passière. En 1710, un Louis Mazois est faïencier à Paris. « En 1730, le sieur Louis Mazois, de Paris, avait affermé rue de la Tarte [à Nevers] une manufacture aux faïenciers Cardot et Dubourg, qui devaient assurer le travail avec le concours financier du propriétaire ». En 1741, il leur réclama une dette de 15 000 livres en raison des avances qu'il avait faites. Un procès s'ensuivit, au cours duquel Mazois usa de son influence pour faire déclarer les juges de Nevers incompétents et mettre les faïenciers en faillite (Gueneau, 1919, p. 297). En 1745, comme on l’a vu plus haut, Etienne-François Mazois, marchandfaïencier, fils de Pierre-Antoine, s'associait avec l'Anglais John Hill pour créer une manufacture à Montereau-Faut-Yonne. En 1748, propriétaire d'un four à faïence dans cette ville, il y faisait des essais de terre de pipe de type anglais, céramique révolutionnaire à l'époque. En 1755, le même Mazois, chevalier, conseiller du roi en ses conseils et trésorier de France, était à Nevers, et, malgré les interdictions, y implantait la douzième manufacture. Celle-ci devait voir le jour grâce à l'apport des capitaux de sa mère, veuve de Pierre-Antoine Mazois, bourgeois de Paris, demeurant quai de la Tournelle. Ils réussirent d'ailleurs à lui faire obtenir le titre honorifique de « Manufacture royale », par lequel cet établissement fut ensuite nommé. EtienneFrançois Mazois mourut à l'âge de 43 ans, dans la maison de Mottret, maître de la Royale, selon du Broc, mais, en 1763, Tardy mentionne également un Etienne Mazois faïencier à Paris. 127 Les techniciens 9 Les techniciens jouent également un rôle non négligeable dans les initiatives industrielles en matière de céramique. Ils n'ont certes guère de capitaux, mais leur association avec un patron peut se révéler fructueuse. Souvent d'origine étrangère, initiateur et dégagé des forces qui s'opposent à l'innovation, le technicien tire sa force de ses connaissances pratiques et peut être appelé à un grand destin. Parmi de nombreux exemples, on cite souvent celui d'Olérys, de Moustiers D'abord appelé par le comte d'Aranda à Alcora en Espagne, il revint en Provence en rapportant les secrets de la polychromie, ce qui lui permit de lancer cette mode, de renouveler les décors et de devenir le plus important des faïenciers de ce centre. Vers le milieu du siècle, on connaît également l'exemple des Löwenfinck, appelés d'Allemagne et employés à Strasbourg par Paul Hannong pour lancer la production au réverbère. De même, les techniciens anglais devaient jouer un rôle capital dans le développement de la terre de pipe à l’anglaise en France dès la fin du XVIIIe siècle. 10 Au fur et à mesure que se développent la production et la consommation vers le milieu du siècle, parmi les principaux créanciers et les propriétaires de faïenceries, on trouve également des artisans et de petits entrepreneurs qui constituent un vaste groupe d'où se distinguent ici et là des innovateurs possédant une bonne expérience technique et commerciale. « Alors se produit la modification de l’organisation de nos fabriques. L’accession à la direction des affaires par des titulaires étrangers au métier, l’extension des entreprises feront disparaître les artisans et ouvriront l’ère des manufactures » (Montagnon, 1941, p. 80). Ils peuvent assurer sans trop de problèmes leurs besoins en capitaux, qui restent relativement faibles dans ce secteur par rapport à d'autres. À l’aide d'exemples pris dans des fabriques fort diverses (Lyon, Bergerac, Meillonnas, etc.), on a pu évaluer l'investissement de base nécessaire au lancement d'une faïencerie régionale de moyenne importance à 4 000 livres environ (Rosen, 1993, p. 167), ce qui représente bien peu de choses en comparaison des autres investissements industriels qui peuvent aller jusqu'à plusieurs centaines de milliers de livres et bien davantage. Il est évident que la grande majorité des faïenceries se situent dans la tranche des petites sociétés, dont le capital est inférieur à 75 000 livres ; tranche dans laquelle on retrouve la plupart des industries comparables établies en fonction de critères identiques, comme les verreries et les papeteries. On est loin des 300 000 livres nécessaires à l'établissement d'une grande manufacture de coton, et a fortiori des sommes investies dans les très grandes industries comme les mines ou la métallurgie, qui représentent parfois plus d'un million de livres (Braudel-Labrousse, 1993, p. 256). Les grands centres constituent cependant des exceptions : à Nevers, en 1789, cinq manufacturiers possèdent une fortune de plus de 200 000 livres. Avec 500 000 livres, « Jérôme Lestang possède l'une des plus grosses fortunes de la province, les Prysie s'intéressent aux forges et aux houillères de Decize, certains manufacturiers exercent même le métier de banquier. Il n'y a que le plus jeune d'entre eux, le Sr Gautheron dont la fortune soit médiocre », note l'intendant en 1788 (Thuillier, 1966, p. 167). 11 Dans les périodes de prospérité, les bénéfices de cette industrie excitent les convoitises et stimulent l'envie des propriétaires, ceux des entrepreneurs industriels et commerciaux, dont les gains sont les plus rapides : le profit peut doubler ou tripler en deux ou trois décennies. Pour prendre l'exemple de Nevers, on connaît parfois le nom des créanciers des principales faïenceries, parmi lesquels plusieurs marchands locaux 128 comme Lamiral et Antoine Brécat, mais aussi les chanoines du chapitre de Saint-Cyr et l'avocat Claude Lévêque. « Au XVIIIe siècle, la plupart des maîtres de manufacture ne sont même plus faïenciers. Tous ceux qui ont des capitaux, épiciers, hôteliers, marchands, avocats, fonctionnaires, bourgeois ou nobles, se disputent l'accensement ou l'achat des manufactures » (Gueneau, 1919, p. 308). Les manufactures 12 On peut certes penser que « la réalité manufacturière est trop riche pour prendre place sur le lit de Procuste des catégories conceptuelles des économistes-historiens » (Bayard-Guignet, 1991, p. 33). Il n'en reste pas moins que la grande majorité des faïenceries du XVIIIe siècle se situe entre l'entreprise rurale dispersée et la fabrique compacte, et joue dans le paysage industriel un rôle modéré, mais significatif : ce type d'organisation intermédiaire entre l'artisanat et la manufacture se développa d'abord et surtout dans le textile dès le XVIIe siècle. Il était déjà bien représenté dans le Languedoc, la Normandie du Nord et le Bassin parisien, régions où la faïence commençait à se développer parallèlement à la même époque. Ce type de structure devait s'affirmer tout au long du XVIIIe siècle dans toutes les branches de l'industrie, et tout particulièrement dans celle de la faïence. On peut également constater que, dans la seconde moitié du siècle, la lutte observée dans l'industrie en général entre fabriques rurales et artisanat urbain des métiers a tendance à tourner à l'avantage des campagnes qui voient se créer davantage de fabriques. Elles prennent une place croissante dans la production d'articles manufacturés, parfois destinés à la vente à longue distance, comme à Moustiers, et peuvent se révéler particulièrement dynamiques jusque vers 1850, date à laquelle ces manufactures traditionnelles disparurent presque toutes. 13 Au XVIIIe siècle, la faïencerie, en tant que manufacture, ne se distingue pas vraiment de l'outil de production du modèle dominant, qui est celui de l'industrie textile. « La fabrique rassemble des outils et des travailleurs dans un espace productif, qui représente le premier poste de l'investissement, en l'absence du bouleversement des techniques ». Il est bien entendu extrêmement difficile d'évaluer le nombre d'ouvriers de chaque entreprise et la moyenne des employés dans les manufactures de faïence au XVIIIe siècle n'a jamais été faite. On peut cependant affirmer que la faïencerie type est d'une taille légèrement inférieure à la moyenne des entreprises industrielles du même genre, qui emploie moins d'une centaine d'ouvriers, avec quelques cas exceptionnels. À Rouen, concernant le nombre des manufactures et celui des ouvriers, les chiffres fournis par Pottier pour 1759, puis pour 1781, donnent respectivement une moyenne de 30 et 31. Pour 1786, le même Pottier parle de « ces établissements auxquels on supposait en moyenne une cinquantaine d'ouvriers » (Pottier, 1869, p. 242). À Nevers, que l'on peut prendre comme l'exemple type d'un centre à forte concentration, lors d'une requête en 1788, l'intendant déclare que chacune des douze manufactures « emploie l'une dans l'autre 150 à 160 ouvriers, dont les femmes et les enfants sont presque toujours occupés à l'usine » (Gueneau, 1919, p. 315). Il est probable que de tels chiffres concernent le maximum de personnel employé dans toutes les opérations de la fabrication et de la commercialisation. Dans tout le royaume, si l'on veut avancer un chiffre moyen qui resterait à confirmer, et d’après les monographies qui ont pu être réalisées ici et là, un bon nombre d'établissements fonctionnaient avec un effectif situé 129 entre vingt et cinquante personnes. Bien des établissements n'avaient qu'une dizaine d'ouvriers qualifiés et rares devaient être ceux qui dépassaient la centaine. À titre de comparaison, on évalue à 70 environ le nombre moyen d'ouvriers par atelier à Athènes à la période classique (Scott, 1955, p. 408). Ainsi, dans la France du XVIII e siècle, les faïenceries constituent un bon exemple d'activité situé entre l'artisanat et la petite industrie, à la fois omniprésent et très diffus, tenant une place intermédiaire entre le textile, davantage concentré, et les forges, pour lesquelles on estime que 1 000 maîtres, répartis à travers plus de 700 paroisses, dirigeaient une multitude d'établissements employant entre trois et dix travailleurs. 14 En résumé, au cours du XVIIIe siècle, on note une relative stabilité de la taille des manufactures, et une absence de progression vers des structures plus importantes. Il y a à cela des raisons économiques qui tiennent à l'étroitesse du marché et à la concurrence ainsi qu'à la fragilité globale du pouvoir d'achat de la clientèle à qui s'adressent les faïenceries. On peut aussi y voir des raisons techniques car le regroupement de la main-d’œuvre ne suffit pas à donner à la manufacture une supériorité décisive aussi longtemps que la production repose entièrement sur le travail manuel, ce qui est particulièrement vrai dans le cas de la faïence stannifère au XVIIIe siècle. Seule la mise en œuvre de nouvelles céramiques et de nouvelles techniques, vers le milieu du siècle suivant, permettra une véritable extension des structures. Dans le domaine de la faïence, comme Jean-Charles Asselain le note pour les autres industries françaises, « l'expansion s'est déroulée dans un cadre qui, du point de vue de l'organisation et des méthodes, reste largement traditionnel » (Asselain, 1984). À la veille de la Révolution, ce cadre n'a pas fondamentalement changé depuis l'époque de Louis XIV ; seules les quantités produites diffèrent. Faïencerie, l’Encyclopédie, Diderot et d’Alembert. 130 NOTES 1. Voir détails dans Rosen 2009, op. cit. 2. Le terme de « porcelaine » désigne alors la faïence hollandaise à décor en camaïeu bleu. 131 Chapitre 11. Le traité « de Vergennes », cause du déclin des faïenciers français ? L'anglophilie 1 Tous les économistes et les historiens ont souligné l'importance du courant d'anglophilie qui traverse le siècle, et dont on a déjà parlé à propos de Montesquieu, de Voltaire et de la « terre d’Angleterre ». Le développement technologique et industriel britannique fascine les Français. Il se manifeste d'abord dans le textile, puis dans la soierie, la métallurgie lourde, la quincaillerie, les mines, la papeterie, la verrerie et, bien entendu, la céramique, avec les développements que l'on connaît. Cette révolution technique touche essentiellement, il est vrai, les entreprises les plus dynamiques. À leur tour, les Français sont saisis d'émulation et tout un mouvement de recherches se développe. Depuis 1750, existent en outre des missions secrètes d'espionnage économique : on cite souvent l'exemple de Holker, Ecossais catholique arrivé en France dès 1746 et introducteur à Rouen, puis dans toute la France, des « mécaniques » pour l'industrie textile. Son fils Jean, Inspecteur général des manufactures de France, s'associa en 1774 avec d'autres britanniques à la tête de la manufacture de terre de pipe de Montereau, et fut soutenu et protégé par Trudaine, très intéressé par cette nouvelle céramique. L'installation de tels techniciens anglais est facilitée et s'intensifie régulièrement à partir de 1760-1770. L'avance anglaise commence à s'amplifier dans les années 1770 : elle repose sur des innovations techniques qui représentent des réponses pratiques et progressives à des situations de rareté : comme on l’a vu, la pénurie de bois impose l'utilisation systématique de la houille et du coke, et la rareté de la maind’œuvre favorise la recherche et la diffusion du machinisme. 2 Mais, en 1760, il n'y a pas véritablement de pénurie de main-d’œuvre ni de bois en France, d'où moins d'incitation au changement. Les innovations techniques anglaises, qui ont eu une application industrielle rapide, ont une diffusion très lente en France, dans le textile comme dans la faïence, même si, à partir de 1775-1780, il n'y a plus guère de secrets : les missions techniques prennent un caractère officiel, les hommes et les 132 machines passent librement et de nombreux techniciens anglais viennent proposer leurs services en France. En 1779, on assiste à l'introduction de la machine à vapeur. On doit néanmoins faire observer que, globalement, et malgré une opinion trop répandue, la croissance industrielle française n'a pas été inférieure à celle de la Grande Bretagne pendant la plus grande partie du XVIIIe siècle. Malgré tout, il n'existait encore, à la veille de la Révolution, qu'un îlot d'industrie moderne en France. Le Traité 3 Charles Gravier, comte de Vergennes, est né à Dijon en 1717. Appelé par Louis XVI au ministère des affaires étrangères en 1774, il participa à toutes les négociations diplomatiques préludant à l'intervention française dans la Guerre d'Amérique en 1778. La fin de la guerre d'Amérique, en 1803, permit la reprise des échanges. Ainsi, un traité de commerce avec l'Angleterre fut signé avec le gouvernement anglais de William Pitt le jeune le 26 septembre 1786 grâce aux négociations menées par Rayneval pour la France et Eden pour l'Angleterre. Ce « Traité de Vergennes » était une mise en pratique des idées concernant le libre-échange, fort répandues en Angleterre et défendues en France notamment par Vincent Gournay, intendant du commerce originaire de SaintMalo. Celui qui est l'un des plus brillants économistes français des années 1750 déclarait, en 1758, dans ses Considérations sur le Commerce que « dans le commerce, l'industrie naît de la liberté, la consommation intérieure et extérieure du bon marché, suite de la concurrence ; de la consommation, enfin, l'emploi des hommes et de la population, seuls principes actifs et créateurs d'un état ». 4 « C'est une application de l'article 18 du traité de 1783, dont le but est de consolider la bonne harmonie qui subsiste entre Leurs Majestés Très Chrétienne et Britannique et d'en étendre les heureux effets sur leurs sujets respectifs. Les moyens les plus efficaces pour remplir ces objets étaient d'adopter un système de commerce qui eût pour fondement la réciprocité et la convenance mutuelle, et qui, en faisant cesser l'état de prohibition et les droits prohibitifs qui ont existé depuis près d'un siècle entre les deux nations, procura de part et d'autre les avantages les plus solides aux productions et à l'industrie nationale et détruisit la contrebande qui est aussi nuisible au revenu public qu'au commerce légitime, qui seul mérite d'être protégé ». L'article 4 stipule que « les droits des marchandises dans les deux États seront alignés sur le tarif de la nation la plus favorisée ; vins de France, vinaigre, eau-de-vie, huile d'olive, bière, quincaillerie, tabletterie, coton, lainage, toile et baptistes, selleries, gazes, mousselines ». Le paragraphe 12 de l'article 6 stipule que « la porcelaine, la faïence et la poterie paieront mutuellement 12 % de la valeur, de même que les glaces et la verrerie » (Léoncel, 1995, p. 36). 5 Il est permis de penser que, d'un côté comme de l'autre, il y eut sous-estimation de la différence industrielle entre les deux pays. Ainsi, ce traité eut globalement un effet négatif pour l'industrie française. Les exportations de la Grande-Bretagne vers la France furent multipliées par quatre alors que les échanges dans l'autre sens ne l'étaient que par trois. Dans le plus court terme, les effets du traité furent cause d'incontestables difficultés pour les fabriques de cotonnades, de quincaillerie et de faïences, essentiellement parce que le droit de 10 à 12 % ad valorem prévu initialement ne fut pas effectivement perçu à ce taux mais à un taux inférieur qui ne dépassa pas en moyenne 4 à 6 %. Très rapidement se répandirent des campagnes hostiles émanant des 133 chambres de commerce comme celle de Rouen. « À l'occasion d'un traité de commerce avec l'Angleterre, ce fut comme un cri de détresse poussé dans toute la France par les fabricants de faïence et de porcelaine » (du Broc de Segange, 1863, p. 214). Les plaintes 6 Pour des raisons évidentes, les plaintes les plus vives émanèrent des plus grands centres, et tout d'abord de ceux qui se trouvaient les plus directement et les plus immédiatement touchés par les importations. Dès 1786, Charles-Antoine Boyer, qui avait ouvert une manufacture à Bordeaux en 1765, est ruiné par la concurrence de la terre de pipe anglaise (du Pasquier, 1991, p. 30). À Rouen, en décembre 1787, le Rapport sur l'état du Commerce déclare que : « les faïenceries de Rouen occupent un grand nombre d'ouvriers. Leurs productions se débitent pour la consommation du royaume et ont été préférées jusqu'ici dans nos colonies. Mais le bas prix du charbon en Angleterre permet aux Anglais de vendre cette marchandise en France à vingt et vingt-cinq pour cent au-dessous de la nôtre ; ils en envoient des cargaisons considérables qui sont enlevées rapidement. La faïence de Rouen ne peut pas soutenir cette concurrence dans le royaume, et il est fort douteux qu'elle conserve le débouché des colonies » (Pottier, 1986, p. 347). Attaquée sur son propre terrain par les produits anglais, il n'est pas certain que la manufacture royale des terres d'Angleterre, dite du « Pont-aux-choux », à Paris, doive sa fermeture en 1788 au seul décès de son directeur Adrien-Pierre Mignon. Avec 250 ouvriers et deux fours en 1754, c'était le plus gros et le seul établissement moderne français de taille industrielle comparable aux manufactures anglaises produisant cette céramique. Elle avait 119 000 pièces en stock (de Guillebon, 1995, p. 62). À Paris, dans une lettre circulaire servant de publicité, datée du 1 er février 1789, le négociant Cagniart écrit : « Les fayances anglaises, si estimées par leurs formes agréables, et leur bon usage, étant notre principal commerce, nous avons l’honneur de vous annoncer, que nous en tenons un assortiment considérable, rue de la Monnoie, au coin de celle Saint-Germain l’Auxerrois, au bas du Pont-Neuf. Nous avons aussi des camés, du plaqué anglais et des porcelaines de France ; le tout à un prix très modéré » (Le décor au chinois…, 1982, p. 180). Dans le Nord, le 16 août 1789, les manufactures de Douai et de Saint-Amand déclinent : « La fabrique de faïence est tombée de moitié depuis le traité de commerce avec l'Angleterre par la quantité de vaisselle de grès anglais qui est entrée. Au lieu de 45 ouvriers qu'on employait ordinairement, il n'y en a plus que 25 ». L'analyse de la situation faite par le préfet du Nord en 1804 permet de comprendre les raisons de ces difficultés : « La cause principale qui paralyse les manufactures de grès façon anglaise, en France, est la concurrence de la même faïence venant d'Angleterre. En effet, toutes les manufactures anglaises de cette nature sont placées dans le Stafford, au milieu des mines à charbon, où elles occupent 10 000 à 12 000 ouvriers. Les terres y sont amenées du Devonshire et les cailloux de la Tamise. Les vaisseaux qui, du Devonshire et de la Tamise, vont chercher du charbon dans le Stafford, se lestent de ces terres et de ces cailloux, en sorte que ces fabriques n'en acquittent pas même le prix réel. Le charbon de terre est en Angleterre à un prix infiniment moindre qu'en France, et la concurrence des chargements par eau, beaucoup plus considérable. Les manufactures de faïence en France ne peuvent prospérer que par l'interdiction absolue et sévère en France des poteries anglaises » (Bonifas, 1985, p. 75). De la même manière, dans l’Est, le préfet de la Meurthe relate qu’à Nancy, aussitôt après le traité, un Anglais nommé Moiana établit un comptoir de 134 vente de produits céramiques anglais « débités en-dessous des cours, et ruinant ainsi les produits locaux » (Le décor au chinois…, 1982, p. 181). 7 À Nevers, c'est l'ensemble du corps des faïenciers qui pâtit et s'inquiète pour son sort. Le 8 octobre 1788, dans une requête au roi, la dame Champesle, manufacturière à Nevers, déclare : « Dans un moment où les Français font retentir partout des cris d'allégresse pour célébrer vos vertus et leur bonheur, je crains de mêler à une harmonie si touchante les accents de la douleur […] Je suis à la tête d'une manufacture de faïence, où je soutiens huit cents personnes. Depuis le traité fait avec l'Angleterre, ce genre de commerce est presque anéanti, et je suis sur le point de cesser des travaux qui procuraient l'existence aux ouvriers malheureux, que j'ai employés jusqu'à ce jour. Depuis plus d'un an, je les nourris à ma perte, et j'ai mieux aimé sacrifier mon propre bien que de les réduire au désespoir en les renvoyant. Mais, Monseigneur, je suis mère de six enfants, et la religion aussi bien que la tendresse maternelle m'obligent à leur conserver mes premiers soins. J'ose vous demander, pour les infortunés, dont je vous ai peint la situation, les secours nécessaires pour leur faire passer un hiver qui sera d'autant plus rigoureux que le blé ayant manqué dans notre province se vend un prix considérable ». Sous l'emphase et l'exagération habituelles dans ce genre de demande, on sent néanmoins poindre un réel désarroi et apparaître des raisons qui n'ont pas toutes un rapport direct avec le traité mais qui, cumulées avec ses effets, créent une situation véritablement problématique. Le 12 décembre, l'intendant de Moulins, consulté sur l'état des manufactures, reconnaît que « depuis huit mois, celle du sieur Boizeau-Deville, homme cependant très aisé, a cessé tout travail : toutes les autres ont diminué leur fabrication d'un quart ». Les magasins regorgent de marchandise et il a fallu baisser les prix de vente d'un quart, en dépit de l'augmentation constante du bois et du plomb. Pendant ce temps, « les Anglais ont fait et font encore des versements considérables de faïences légères et de formes agréables, surtout dans les ports de Bordeaux et de Marseille ; qu'il nous en vient jusqu'ici et à un prix si modique que nos manufactures ne peuvent longtemps soutenir une pareille concurrence ». Pour l'instant, les faïenciers sont encore à l'aise car ils se sont considérablement enrichis pendant les bonnes années, mais la situation deviendrait catastrophique si elle devait se prolonger. Les ouvriers, dont le salaire est réduit d'un quart, sont les premiers à souffrir, même si leurs femmes sont employées comme aides dans les manufactures ou comme lingères et blanchisseuses. L'intendant propose de distribuer les secours aux maîtres des manufactures, à condition qu'ils gardent le même personnel avec les mêmes tarifs pendant tout l'hiver, et qu'ils se distribuent les ouvriers de BoizeauDeville, de peur que « ces gens ne se portassent à s'expatrier, ou au moins à augmenter le nombre des vagabonds à charge et dangereux aux campagnes » 1. La demande, renvoyée à la Commission intermédiaire « vu la position actuelle des finances », ne connut pas de suite. 8 Moustiers n'échappa pas non plus à ce phénomène car les faïences anglaises arrivaient également par le port de Marseille. La trace que nous en conservons, à peine plus tardive, est un mémoire rédigé peu après 1789, qui déclare : « Mais les fabricants de Moustiers, qui avaient autrefois un si grand débit de faïence, ne font plus rien aujourd'hui. Le traité de commerce entre l'Angleterre et la France, et les circonstances extérieures […] en ont été la cause » (Davillier, 1863, p. 63). À Marseille, la chambre de commerce étudie longuement les causes du déclin des manufactures : « Le discrédit de la faïence artistique est dû avant tout à la concurrence que lui fait sur le marché 135 européen la faïence d'Angleterre vulgairement appelée terre de pipe » (Arnaud d'Agnel, 1910). 9 Les grands centres ne furent pas les seuls à protester. Dans la célèbre pétition des faïenciers à l'Assemblée nationale présentée par Glot en 1790 sur l'État des manufactures de faïence et de porcelaine établies dans le royaume, il précise qu'« il existe dans le royaume plus de deux cent soixante fabricans, tant en porcelaine que faïences fines 2 et communes, non compris les établissemens de potier de terre. Nombre de ces fabricans ont fait leurs réclamations contre le traité d'Angleterre » (cité par du Broc de Segange, 1863, p. 273). Le traité « de Vergennes », cause du déclin des faïenciers français ? 10 Même s'ils ne connaissaient pas encore avec précision tous les documents cités cidessus, les premiers historiens de la faïence, dès le milieu du XIX e siècle, reprirent à l'envi l'idée que l'introduction de la terre de pipe anglaise, à la suite du Traité de Vergennes, avait causé la perte de la faïence stannifère traditionnelle. C’est à Brongniart, vers 1825-1830, que l’on doit la première utilisation moderne de l’expression « faïence fine » pour désigner la terre de pipe anglaise, terme qui désignera dès lors toutes les productions en terre blanche améliorée, et notamment – mais pas seulement – celles qui portent un décor imprimé 3. Il fut un des premiers à écrire : « C'est à l'introduction des faïences fines anglaises, et à celle de la porcelaine, qu'on attribue la dégénérescence de l'art. Les formes pures, les peintures soignées et délicates portaient à un prix trop élevé une Poterie dont le corps était moins estimé que celui des deux nouvelles Poteries qui paraissaient alors » (Brongniart, 1877, t. 2, p. 45). Cette hypothèse courante était d'ailleurs également exprimée par les historiens euxmêmes, tels Levasseur qui écrivait, dans son Histoire des classes ouvrières en France, en 1859 : « Les verriers et les faïenciers étaient aussi dans une bonne situation, et y restèrent jusqu'à l'époque où le traité d'Eden amena dans nos ports les faïences anglaises, cuites à meilleur marché avec le charbon de terre » (Levasseur, 1859, t. 2, p. 372). De très nombreux auteurs ont repris cette idée, associant généralement le déclin de la faïence stannifère aux conséquences du traité de Vergennes. Celles-ci auraient fini par provoquer la fermeture définitive de la plupart des manufactures à la fin du XVIIIe siècle, la faïence stannifère ne se relevant pas de ce coup fatal. 11 Aujourd'hui, à la lumière de nouveaux éléments d’analyse, nous pouvons considérer que ce schéma est un peu trop simpliste. Plusieurs auteurs ont d’ailleurs réagi contre cette interprétation, à leur manière. Henry-Pierre Fourest écrivait déjà en 1980 : « On a souvent dit que le traité signé par Vergennes en 1786, libérant l'importation de la faïence fine anglaise, était à l'origine de la ruine de la faïence française. […] En fait, ni un traité signé sous l'Ancien Régime, ni l'évolution de l'histoire économique ne constituent des explications suffisantes pour la compréhension de ce phénomène. Mieux vaut évoquer un changement du goût » (Faïences françaises, 1980, intr., p. 13). Il attribue exclusivement, pour sa part, cette responsabilité à l'apparition de la porcelaine dure, hypothèse qui nous paraît quelque peu discutable. 12 Claude Bonnet a également mis en doute cette idée, dont il attribue la paternité à Champfleury, qui n'a, en fait, publié qu'après 1867. L'argument avancé est ici que « seul 136 le déversement aléatoire des faïences sur le marché peut donner une idée – très approximative – de la production du XVIIIe siècle, contrairement aux collections de musées et des amateurs où un tri a été opéré. […] Pour ce qui est de la terre de pipe anglaise, on ne peut pas dire que le marché français en regorge, loin de là ! Est-ce donc tout ce qui reste de ce prétendu raz-de-marée ? » (Bonnet, 1990, p. 55). Il ne nous semble pas possible de retenir un tel argument pour diverses raisons. Il faut d’abord tenir compte de la durée de ce déversement, qui ne concerne guère plus de cinq années, de 1787 à 1793, date de rupture du traité. Ces produits utilitaires, d'un prix de revient modique, étaient en outre bien plus fragiles et périssables que la faïence stannifère : très sensibles aux chocs thermiques ainsi qu’à l’attaque des acides et des graisses, ils étaient utilisés quotidiennement et leur durée de vie peut être calculée à l'aune de leur prix de vente. Si l'on suit ce raisonnement, on pourrait dire la même chose des écuelles à oreilles en faïence brune, dont toutes les fouilles de faïenceries et les archives montrent à l'évidence qu'elles ont constitué l'un des articles les plus fabriqués de 1750 à 1850, alors qu'on n'en trouve pratiquement jamais dans le commerce ! Qui se risquerait à une pareille affirmation concernant, par exemple, les objets en fer blanc, dont l'utilisation et le prix devaient être comparables à l'époque ? 13 L'examen des sources écrites comme celles citées ci-dessus, et, plus généralement, l’étude des archives de même que l’archéologie nous montrent, au contraire, que l'usage de la terre de pipe anglaise commençait à se répandre d'une manière significative à l'époque de la Révolution. Dans l’inventaire du marchand de faïences et cristaux rouennais J.-B. Soudet réalisé le 10 janvier 1786, on voit déjà que, sur un nombre total de près de 4 000 objets dont l’origine est mentionnée, les faïences anglaises représentent près de 43 %, loin devant celles de Rouen (32 %), de Strasbourg (17 %) et de Montereau (8 %). L'inventaire de l'abbaye de Fontevrault, en 1792, mentionne « douze douzaines tant plats qu'assiettes de fayance de France et d'Angleterre » (Angla, 1995). Un lot de céramiques datables de l'époque de la Révolution, dans une cave de Fontaine-Française en Côte-d'Or, renferme un nombre non négligeable de plats et d'assiettes en terre de pipe anglaise caractéristique, voisinant avec des productions locales de Dijon et de la Franche-Comté (non publié). Bien loin des ports où arrive cette terre de pipe, à Bourg-en-Bresse, l'inventaire de la famille Marron de Meillonnas daté de 1795 indique, à côté d'un exceptionnel service de 680 pièces en réverbère, « 80 pièces de faïence commune blanche, et 239 pièces de "terre anglaise", constituées de douze douzaines d'assiettes, dont deux douzaines à soupe, 23 tasses à café avec leurs soucoupes, deux pots à lait, quatre seaux, quatre casseroles, deux sucriers garnis de leurs couvercles et petites assiettes, une petite écuelle avec son assiette et son couvercle, dix petits pots à crème, deux moutardiers, trois soupières garnies de leur couvercle, sept plats longs de différentes grandeurs, deux verrières, dix compotiers, deux saladiers, et, dans le bureau, au-dessus de la commode, un pot à eau et une cuvette, le tout en terre anglaise et en bon état », c’est-àdire un véritable service entier (Rosen, 1993 / 1, p. 180). Par rapport au total des céramiques, qui comprennent également de la porcelaine, la « terre anglaise » représente dans ce cas près de 22 %. D'autres découvertes dans d'autres endroits pourraient encore certainement venir compléter ces quelques exemples. 14 En conclusion, on peut dire que, dans les années qui suivirent le traité de commerce avec l'Angleterre, les faïenciers français manifestèrent une profonde inquiétude, probablement justifiée en grande partie par le succès envahissant de cette nouvelle céramique à la mode et bon marché, dans une période où la crise économique forçait 137 les consommateurs à la restriction sur tous les produits qui n'étaient pas de première nécessité, comme la faïence stannifère. Plus généralement, et comme on l'a déjà vu dans le chapitre consacré à la terre de pipe, on sait que cette céramique, dans le contexte de l'anglomanie, parée des plumes du paon de la nouveauté, avait déjà commencé à faire des ravages bien avant le traité de Vergennes à la faveur de multiples importations clandestines. On peut sans doute alors considérer la protestation des faïenciers français davantage comme une manifestation de peur émanant d'un secteur d'activité proto-industrielle encore largement tributaire de modes de production hérités du XVIIe siècle, incapable d'amorcer par lui-même des transformations structurelles décisives face à la concurrence d'une industrie véritablement moderne. Il ne faut pas non plus négliger, dans cette crise, « la reconnaissance des facteurs structurels de faiblesses : archaïsme des structures de fabrication, abaissement de la qualité, saturation du marché au lendemain de la Guerre de Sept Ans, effet de concurrence des nouveaux produits, plus attractifs et plus commodes d'usage, et qui valent 20 % de moins » (Asselain, 1984). La responsabilité directe du traité a sans doute été exagérée : ses effets représentent seulement un facteur aggravant d'une crise dont les causes essentielles sont ailleurs. 15 En définitive, tout au long de la deuxième moitié du XVIII e siècle, il semble bien que l'idée de la terre de pipe anglaise ait progressivement fait son chemin en France et, qu'à la faveur du traité de 1786, elle ait sérieusement commencé de mettre à mal la faïence stannifère française, déjà affaiblie par une crise aussi bien structurelle que conjoncturelle. En 1788, tous les secteurs se trouvaient touchés par la crise économique, mais ce sont les événements politiques de la Révolution qui ont donné à cette crise sa dimension historique, et portent la responsabilité d'avoir brutalement interrompu le décollage amorcé dans la seconde moitié du XVIII e siècle, désorganisant l'appareil commercial et industriel et créant des dommages considérables. En 1792, la Grande-Bretagne avait déjà creusé l'écart. NOTES 1. Pour toute cette étude, voir Gueneau 1919, p. 306 sqq. 2. Comme on l’a déjà vu, l’expression « faïence fine » désigne ici les productions à décor de réverbère. 3. Peiffer J., « Une confusion historique : terre de pipe et faïence fine », in Minovez J.-M. dir., Faïence fine et porcelaine : les hommes, les objets, les lieux, les techniques, CNRS, université de Toulouse-Le Mirail, 2003, p. 23-50. 138 Chapitre 12. La faïence française pendant la Révolution Situation et plaintes 1 Jusqu'au milieu de 1792, la conjoncture économique générale est globalement en prolongement de celle du XVIIIe siècle. On constate néanmoins une amélioration par rapport aux années 1788-1789, même si les industries de luxe, dont certains secteurs de la faïence, pâtissent de l'émigration. À partir de 1792-1793, début des années noires de la Révolution, l'effondrement économique résulte de la conjonction de l'inflation, de la guerre civile et extérieure. Ses effets en sont toutefois atténués dans les régions rurales qui se replient sur une économie de subsistance. On sent toutefois une légère reprise à partir de 1796 : à l'effondrement économique général de la façade atlantique s'opposent les progrès du Nord et de l'Est dans le domaine du coton, de la draperie, de la sidérurgie et de la chimie. En 1800 et sous le Consulat, l'activité industrielle française n'a retrouvé que 60 % de son niveau de 1789. En ce qui concerne l'histoire de la faïence pendant la Révolution, comme pour les périodes précédentes et malgré ses spécificités, on peut constater une fois de plus que l'évolution suit les mêmes tendances générales que celles de l'économie dont elle fait partie intégrante. Avant d'examiner ce qu'a véritablement été la situation des manufactures pendant la Révolution française, un tour d'horizon des documents de l'époque doit tout d'abord nous permettre d'évaluer la nature des réactions manifestées pendant les événements. On verra ensuite quelle a été l'interprétation qu'en ont donnée les historiens de la faïence, avant d'examiner s'il convient d'apporter un crédit total aux idées généralement répandues sur la question. 2 Les premières réactions se situent tout naturellement dans la suite logique de celles évoquées au chapitre précédent. Les grands centres, Paris, Nevers, Rouen, Marseille, Moustiers, qui ont les plus grosses structures, sont les plus touchés, mais les protestations fusent de partout, de Saint-Clément à Bordeaux, et du Nord au Midi. On retrouve un certain nombre de constantes, quels que soient l'époque, la fonction des protestataires et le lieu de la protestation. On incrimine immanquablement le traité de commerce avec l'Angleterre et la concurrence déloyale de la terre de pipe anglaise, mais aussi les difficultés d'approvisionnement de toutes sortes : les matières premières 139 importées d'Angleterre, mais surtout le bois, dont le prix augmente considérablement, quand on en trouve. On évoque également le grossissement des stocks et la mévente, les difficultés monétaires et de trésorerie, et on déplore parfois le chômage et la situation sociale qui en découlent. Très souvent, on assiste à des tentatives avortées de fabrication de terre de pipe à la façon de l'Angleterre, vainement destinées à sauver la situation mais qui ne font, en général, que mettre l'accent sur l'inadaptation structurelle et technique de l'industrie française. 3 Le document le plus fréquemment cité lorsqu'on évoque la situation des faïenciers après 1789 est la pétition nationale collective déjà évoquée plus haut, présentée à l'Assemblée nationale en 1790 par Glot, maître de la manufacture de Sceaux, sur l'État des manufactures de faïence et de porcelaine établies dans le Royaume. « Il faut donc compter dans le royaume près de deux cent trente ou quarante établissemens, dont la situation actuelle a donné lieu à l'énumération d'ouvriers sans ouvrage portée au résultat du présent mémoire. […] Chacun de ces établissemens ne pouvoit employer moins de cinquante ouvriers, ce qui fait un nombre de treize mille deux cents, dont on peut supposer la moitié célibataire ; il restera donc six mille six cents hommes avec femmes et au moins deux enfants, alors on aura quatre têtes par famille, ce qui donnera vingtsix mille quatre cents individus, auxquels ajoutant six mille six cents célibataires, on trouvera que le traité d'Angleterre prive trente-deux mille cinq cents hommes des moyens de subsister que leur offroient les manufactures, et dont la nation est surchargée ; et par une suite toute naturelle, on jugera facilement que ces trente-deux mille cinq cents hommes résidans habituellement dans les lieux où étoient fixées les diverses manufactures, y répandoient le produit de leurs travaux, qui en faisoit souvent toute la richesse. Si l'on ajoute à cet effrayant tableau ceux que peuvent mettre sous les yeux des représentans de la nation, la quantité innombrable de fabricans de tous genres, l'Assemblée nationale, jugeant de l'immensité des maux occasionnés par le traité de commerce fait avec l'Angleterre, ne pourra, sans douleur, suspendre d'aviser aux moyens les plus prompts pour arrêter le cours, ou les effets d'un traité si destructeur du commerce français, et si peu respecté par la nation angloise » (cité par du Broc de Segange, 1863, p. 273). 4 À Paris, la liste de Glot mentionnait 14 établissements en 1789. En 1790, selon un document de l'époque, il n'en restait plus que sept (de Guillebon, 1995, p. 29). À Nevers – probablement le centre le plus durement touché par la Révolution –, cinq faïenceries sont réduites au chômage dès 1789 1. En octobre 1790, 200 familles d'ouvriers faïenciers adressent à l'Assemblée nationale un Mémoire des ouvriers peintres tourneurs en fayence de la ville de Nevers, et les manufacturiers une Requête des maîtres de manufacture de fayence de Nevers tendant à la rupture du traité d'Angleterre et à l'abolition des droits réservés étant contraires à leur manufacture. Les faïenciers exposent même, dans leurs doléances, qu’on emploie de la faïence anglaise dans les banquets officiels patriotiques ! À la fin de 1790, Simon Robert propose de fabriquer de la terre de pipe, mais sa demande est rejetée car ses essais « n'ont produit que les ouvrages les plus défectueux ». Un nouveau mémoire daté de 1791 évoque les raisons de la crise : le traité de commerce et l'introduction de la faïence anglaise en France ; l'augmentation survenue depuis ce traité dans le prix du plomb et de l'étain que les faïences de Nevers sont obligées de tirer d'Angleterre ; la supériorité des autres manufactures sur celles de Nevers ; la cherté du bois et des droits réservés payés à son entrée dans cette ville ; la préférence donnée à la faïence creuse sur la plate ; le cours forcé des assignats et la difficulté de les convertir en argent ; celle de payer les ouvriers en papier-monnaie ; la 140 difficulté de transporter les faïences par eau pendant l'hiver ; le défaut de bois sec ; le défaut de vente ; le défaut de place dans les magasins qui sont pleins, et le défaut de fonds. Ils accusent également de graves handicaps qui sont un aveu d'incompétence : « nos bois sont chers et ne peuvent être, comme en Angleterre, avantageusement remplacés par le charbon ; notre main d'œuvre ne peut se perfectionner rapidement en employant les mêmes agens routinés dès l'enfance à une autre manière de faire ». Au début de 1792, les maîtres de manufacture, pour satisfaire au paiement de leurs ouvriers, font une troisième émission de billets de secours et invitent les porteurs de ces billets à venir les échanger contre des assignats de cinquante livres et au-dessus. En 1793 a lieu une nouvelle tentative pour établir une manufacture de faïence « à pâte douce, dont la beauté puisse nous empêcher de regretter celle qui venait d'Angleterre », mais elle n'eut pas de suite (Thuillier, 1966, p. 170). En 1796, les ouvriers exposent l'état déplorable de détresse où ils sont réduits par le prix excessif des denrées de première nécessité ; à leur tour, les manufacturiers menacent de fermer les fabriques si on élève les salaires : ils ne peuvent pas faire leurs approvisionnements de bois et de plomb, et leurs moulins à émaux sont réquisitionnés. Plusieurs fabriques changent de main, et une nouvelle manufacture, celle des Conrade, est obligée de fermer avant 1800. On connaît le tableau navrant dressé dans l'Aperçu sur la situation des manufactures de fayence de la ville de Nevers, daté du 12 Germinal an VIII (1800). Sur les dix établissements existant encore, dont les magasins encombrés contiennent 66 000 douzaines de faïences – c’est-à-dire un nombre au moins triple de pièces effectives –, « deux seuls manufacturiers ont travaillé cet hiver et se voient au bout de leurs moyens ; croit-on les engager efficacement à continuer… en les écrasant de nouveau par des impôts ? » (cité in Montagnon, 1987, p. 19). En l'an IX, Jacques Souroux tente une nouvelle expérience de terre de pipe, mais doit fermer au bout de trois ans (Thuillier, 1966, p. 170). 5 À Rouen, le constat est très semblable. La Statistique manuscrite du département de la Seine Inférieure de 1798-1800 retrace l'évolution de la situation pendant ces années et en analyse les causes et les effets. « Rouen possédait avant la Révolution beaucoup plus de manufactures qu'aujourd'hui. Ainsi, en 1781, elles entretenaient 570 ouvriers, dont un sixième de peintres ; elles avaient 25 fours en activité. L'apprêt d'une fournée exigeait hui jours. En 1789, elles occupaient 380 ouvriers, mais la peinture avait déjà reçu un grand échec ; on ne comptait plus que 24 fours en médiocre activité. En 1796, il ne restait plus que 150 ouvriers faiblement occupés, et neuf fours qui l'étaient encore moins. L'apprêt d'une fournée exigeait trois décades. Aujourd'hui, il y a dix manufactures de faïence qui emploient 250 ouvriers, nombre qui représente une augmentation sensible, si on le compare à celui de l'an IV ». La cause de tout cela est « la concurrence de la poterie anglaise, et les événements inséparables de la Révolution, [dont] les conséquences n'ont pas été moins funestes à la prospérité de ces manufactures. L'excessive cherté des matières premières, la parcimonie dont on a usé nécessairement à l'égard de l'émail et de la fabrication en général ; l'emploi de la soude de warech en remplacement de celle d'Alicante ; celui de l'étain de vaisselle allié de plomb, au lieu d'étain en pièce et de bonne qualité ; celui de la mine de plomb de Paris, au lieu de celle d'Angleterre etc.…, toutes ces causes ont eu une grande influence sur la décadence des manufactures de faïence ; si plusieurs d'entre elles sont parvenues à lutter contre cette foule d'obstacles ou de préventions, ce n'a été qu'au prix de sacrifices de tout genre dont elles ne seront indemnisées qu'à la paix. […] Rouen a fait plusieurs essais pour imiter la poterie ou faïence anglaise ; malheureusement, ils n'ont 141 pas obtenu le succès qu'on s'était promis. […] On n'a pu donner à la faïence blanche, façon d'Angleterre, les qualités qui distinguent celle que nous recevons des Anglais […] Aussi les divers établissements qui s'occupaient de cette fabrication ont-ils cessé leurs travaux » (Pottier, 1986, p. 347). 6 À Moustiers, en 1789, dans le Registre des cahiers de doléances de la sénéchaussée de Digne, « la communauté sollicite des encouragements pour la fabrication de la faïence, la diminution des droits sur l'exportation de cette marchandise, et proscription des faïences anglaises » (Viré, 1992, p. 63). Pendant les événements, les faïenciers sont nombreux parmi les édiles et nombre d'entre eux participent à la milice locale : en 1790, on en compte au moins quinze, dont cinq officiers, qui représentent treize ateliers (Mompeut, 1984, p. 27). Cependant, fait significatif, la célèbre manufacture Laugier-Chaix ferme et Moustiers ne compte plus que onze fabriques. À Varages, « la production s'est effondrée. Trois fabriques sur huit ont fermé leur porte ; les effectifs sont tombés de moitié » (Bertrand, 1983, p. 70). À Marseille, « l'époque révolutionnaire annoncera le déclin définitif de l'ensemble des manufactures marseillaises ; les guerres, la chute des échanges commerciaux, le manque d'argent, ou d'acheteurs, morts ou exilés, la hausse des prix de revient, la concurrence et enfin les phénomènes de mode provoquent l'anéantissement de cette industrie traditionnelle. La Veuve Perrin ferme en 1803, et seules deux fabriques seront encore en activité en 1806 : celles de JeanBaptiste Sauze et d'Antoine Bonnefoy » (Maternati, 1990, p. 49). 7 Dans tout le pays, il n'est guère de centre, grand ou petit, où une manufacture n'ait eu, peu ou prou, à déplorer des difficultés d'approvisionnement, une baisse de productivité, voire une cessation totale ou partielle de son activité. Résistances 8 Le tableau général des faïenceries en France, pendant les années de la Révolution, apparaît effectivement bien sombre, à telle enseigne que c'est devenu une habitude bien ancrée que de faire s'arrêter l'histoire de la faïence française à cette époque. Les exemples issus des anciens auteurs classiques abondent pour trouver une consécration dans le catalogue Faïences françaises de 1980. On y lisait par exemple : “Bien peu de fabriques survivront à la tourmente révolutionnaire. […] Seule une fabrication locale, et surtout rurale, se maintiendra » ou « Contrairement à presque toutes les faïenceries françaises qui ont disparu entre 1786 et 1800, Saint-Clément survivra à la tourmente révolutionnaire » (Faïences françaises, 1980, p. 14 et 234). Si l'on s'en tient à une pure appréciation esthétique relevant de l'académisme classique hérité des amateurs de « curiosités » de la fin du XIXe siècle, on peut effectivement considérer comme une évidence que la Révolution française marque la fin de la plupart des belles fabrications faïencières caractéristiques des styles Louis XV, Louis XVI et Néo-classique, ouvrant la route à la porcelaine, support dorénavant privilégié des « grands décorateurs ». 9 Suivons plutôt Marcel Proust qui, évoquant Swann, écrivait : « Ayant laissé s'affaiblir les croyances intellectuelles de sa jeunesse, et son scepticisme d'homme du monde ayant à son insu pénétré jusqu'à elles, il pensait […] que les objets de nos goûts n'ont pas en eux une valeur absolue, mais que tout est affaire d'époque, de classe, consiste en modes, dont les plus vulgaires valent celles qui passent pour les plus distinguées » (Du côté de chez Swann). Il semble en effet que l'on puisse examiner la situation de plus près, sans a priori esthétiques, pour constater que la Révolution a surtout eu pour effet, 142 comme souvent en pareil cas, d'éliminer les structures les plus fragiles et les moins adaptées, et de permettre un réajustement aux nouvelles données économiques. La loi d'Allarde, du 2 mars 1791, accordant aux ouvriers la liberté d'établissement en supprimant les corporations et les jurandes, et établissant la taxe de la patente, a également pu permettre l'épanouissement de nombreuses compétences, fussent-elles purement commerciales. Les exemples ne manquent pas, de résistances locales ou d'entreprises nouvelles, qui ont vu s'affirmer des talents divers. Ainsi, Verdiez et Husson créèrent une manufacture prospère à Paris en 1791 et en acquirent d'autres par la suite. À Paris encore, le faïencier Louis-François Ollivier semble avoir connu des affaires prospères sous la Révolution. En 1792, dans un élan de patriotisme touchant, il offrit à la Convention un poêle imitant la Bastille (aujourd'hui au musée Carnavalet) dont son ami Camille Desmoulin fit publiquement l'éloge (de Guillebon, 1995, p. 71). Beaucoup trouveraient aujourd'hui à ce « chef d'œuvre » une vulgarité puissamment sympathique, plus estimable au demeurant que certaines imitations sans grâce des porcelaines allemandes par les peintres français de réverbère. 10 Après les années noires, entre 1793 et 1796, contrairement aux idées reçues, de nombreuses fabriques, et non des moindres, reprirent rapidement leur activité et retrouvèrent le chemin de la prospérité en adjoignant souvent à leur production, mais pas toujours, celle de la terre de pipe qui poursuivit sa progression, encouragée par la rupture du traité de Vergennes le 1er mars 1793. Mais lors de la première Exposition des produits de l’industrie française, organisée par le Directeur François de Neufchâteau au Champ-de-Mars en 1798 pour développer l’industrie nationale et la rendre moins dépendante des importations, on ne comptait encore que cinq manufacturiers de céramique, parmi lesquels plusieurs fabricants de porcelaine. 11 On peut prendre quelques exemples de manufactures qui ont traversé cette période sans trop en souffrir, alors qu'on sépare le plus souvent leur production en deux périodes très nettement marquées, avant la Révolution pour la production estimable et le XIXe siècle pour la faïence commune. L'examen précis des faits, quand il est possible, montre que la réalité est différente et que la transformation, beaucoup plus lente, ne se termine en général vraiment que sous l'Empire. À Sinceny, la faillite de Chambon en 1790 est surtout le fait des dettes accumulées depuis 1780. « Après quelques mois d'interruption qui permet au seigneur du château voisin de Rouy d'ouvrir une faïencerie avec les ouvriers au chômage de Sinceny, Jacques Fayard reprend la gestion de sa fabrique, aidé par Jean-Chrysostome Le Comte, nouveau directeur. Au moment où il est arrêté comme ci-devant noble (février 1794), il fait travailler soixante ouvriers, ce qui, avec ses idées progressistes, ne sera pas étranger à sa libération en septembre. Le retour à la normale a lieu en décembre 1796, lorsque Le Comte prend la manufacture à bail pour neuf années. Dès lors, la famille assure la bonne santé de la faïencerie jusqu'en 1824 […] Le passage du XVIIIe au XIXe siècle se fait si insensiblement qu'on est bien en peine de fixer une barrière » (Soudée Lacombe, 1993, p. 12). 12 À Meillonnas, en ce qui concerne la période révolutionnaire, l'étude historique s'inscrit en faux contre l'affirmation reprise par tous les auteurs selon laquelle la Révolution aurait sonné le glas de la production « digne d'intérêt » pour inaugurer une période de « décadence artistique ». C'est là le schéma d'interprétation classique qu'on retrouve plaqué immuablement sur l'histoire de toutes les faïenceries ou presque, et qui continue à être encore largement répandu. Il faut voir que cette considération est bien plus le fait d'a priori politiques et esthétiques des autorités céramologiques du dernier 143 tiers du XIXe siècle, qui avaient la Révolution française en horreur, que le reflet de la stricte vérité. Si les structures importantes de quelques grands centres de production comme Nevers ont effectivement mis longtemps à se rétablir après 1791, ce n'est pas le cas des nombreuses petites fabriques provinciales dont Meillonnas est un exemple. Si les événements de l'été 1793 ont entraîné l'arrêt de la manufacture pendant presque exactement deux années, jusqu'à l'été 1795, cette interruption n'a absolument pas constitué une rupture importante dans l'histoire de la faïencerie qui a recommencé à fonctionner aussitôt après avec les mêmes ouvriers et la même direction, et a continué sur un rythme accru jusqu'après 1810 (Rosen, 1993, vol. I, p. 78). On pourrait faire exactement la même observation à propos de la manufacture d'Aprey, par exemple, et sans doute d'un bon nombre de centres plus ou moins connus dans tout le pays. 13 Dans le Nord-Est, dont on a déjà souligné la résistance et le dynamisme dans le domaine industriel en général, c'est le cas de Lunéville, en Lorraine, mais aussi de Saint-Clément et de Niderviller, qui regagna vite le terrain perdu après l'exécution du comte de Custine en 1793. Des régions entières semblent avoir trouvé à cette époque un souffle nouveau : les faïenceries de l'Argonne prirent alors une importance remarquable, emmenées par François Bernard, directeur de la manufacture du Bois d'Epense dite « des Islettes » jusqu'à sa mort en 1800. Dès 1786, la manufacture emploie 80 ouvriers et double sa production. « À partir de 1800, la faïencerie "des Islettes" acquit de plus en plus d'importance, le nombre des ouvriers s'accrut ; l'introduction des fours à réverbère permit de donner aux couleurs un éclat remarquable, et la variété des décors assura à cette manufacture une prospérité qui ne diminua qu'à la mort de Mme Bernard » (Demeufve, 1932, p. 535). En l'an IX (1801), elle présenta des pièces à l'Exposition de l'Industrie française organisée par les Consuls à Paris. Dans le Nord-Est en général, le mouvement est particulièrement sensible, mais c’est surtout la terre de pipe qui bénéficie de cette impulsion : la faïencerie de Vaudrevange est créée en 1789, celle de Sarreguemines, promise à un brillant avenir, en 1790, et celle de Longwy en 1798. En 1801, les propriétaires de Sarreguemines déclarent que leurs produits « remplacent sous tous les rapports la vaisselle des manufactures anglaises » (Céramique lorraine, 1990, p. 204). 14 Non loin du monstre nivernais paralysé, dans la Bourgogne dite « auxerroise », on constate la résistance caractéristique des zones rurales épargnées par la crise. La période révolutionnaire voit s'installer de nouveaux établissements à Clamecy en 1789, Egriselles, Vausse et Varzy en 1793, les Capucins à Auxerre, et Chevannes en 1797, ainsi que la Perreuse à Ancy-le-Franc en 1798, qui vont constituer une véritable nébuleuse régionale de petites fabriques 2. Dijon retrouve même une certaine activité avec deux manufactures, dont une transportée dans de nouveaux bâtiments en 1789. À Lyon, le nombre de fabriques n'a pas changé avant 1815, même si leur activité a subi une brusque chute après 1789. Malgré l'exécution des trois frères Revol en 1793-1794, la fabrication reprendra : « Au sortir de la tempête révolutionnaire, Lyon se redresse et innove en réactivant sa vie littéraire et artistique. La faïence, elle aussi, va partager cet élan de renouveau » (Deloche, 1994, p. 187). Quant à Grenoble, où Très-Cloîtres a fermé en 1780, les deux fabriques de François et Antoine Potié connaissent pendant cette période une prospérité jamais égalée. « On peut être sûr maintenant que les affaires de notre faïencier n'ont pas trop souffert des troubles économiques engendrés par la Révolution » (Bosso, 1980, p. 19). À Rouen, un timide mouvement de reprise s'amorce également. Dans la Statistique de Seine-Inférieure, vers 1798, on déclare : « On peut donc espérer que incessemment nous rivaliserons avec avantage les produits de l'Angleterre 144 dont les progrès ont été lents comme les nôtres » (Pottier, 1986, p. 339, à propos de Forges-les-Eaux). Dans la première Exposition industrielle locale organisée en 1802, la faïence occupa un rang important, et on présenta au Premier Consul Bonaparte les principales productions de la région (Pottier, 1986, p. 348). À Samadet, dans les Landes, la manufacture fut dirigée par les Dyzez sans interruption jusqu'en 1810, et la statistique de 1811 déclare que « les produits de cet établissement se sont beaucoup améliorés depuis quelques années, parce que ce directeur intelligent a trouvé le moyen de donner aux ouvrages un degré de perfection qu'ils n'avaient jamais atteint jusqu'ici » (Borredon, 1990, p. 53). Conclusion 15 Il est indéniable que la Révolution, désorganisant l'appareil industriel et commercial, a profondément affecté toute l'économie française, et plus particulièrement la faïence stannifère traditionnelle, fabrication de demi-luxe exclue des produits de première nécessité et par là même plus fragile et plus durement touchée. Ces dommages irréparables ont surtout frappé les grands centres faïenciers, mettant en évidence les insuffisances structurelles, l'inadaptation technologique et les pesanteurs sociologiques, qui viennent s'ajouter, dans bien des cas, aux difficultés déjà causées par la crise de la fin des années 1780, étudiée au chapitre précédent. Dans le même temps, et pour les mêmes raisons, les petites structures les plus inadaptées et les moins dynamiques ont été condamnées, comme souvent en pareil cas. Il ne faudrait cependant pas croire que toute la faïence subit le même sort pour autant. Après 1796, et sous le Consulat, de nombreuses manifestations de vitalité attestent, sinon un renouveau, du moins une résistance caractéristique, montrant à l'évidence que la faïence n'a pas disparu. Pendant la Révolution française, elle a certes subi un sérieux coup, mais les causes de son déclin sont antérieures aux événements des années 1789-1793 et les effets de cet effondrement se feront surtout sentir à la fin du Premier Empire. 145 Assiette, Ø 23 cm, prise de la Bastille, Nevers, 1789, coll. part. NOTES 1. Pour un développement plus complet sur la période révolutionnaire à Nevers, voir Rosen 2011 op. cit., t. 3. 2. Sur ce phénomène de « nébuleuses », voir Rosen J., « La Bourgogne dite "auxerroise", une nébuleuse régionale comme tant d’autres, et un modèle méthodologique pour leur étude », in De silex, de terre et de faïence, la mémoire du sol en Bourgogne. Hommage à JeanPaul Delor, sous la direction de Luc Baray, collection Archéologie et Histoire Romaine, éd. Mergoil, 2017, p. 283-293. 146 Chapitre 13. Une reprise en demiteinte (1800-1814) Le contexte économique 1 Au sortir de la Révolution, sous le Consulat, la remise en ordre monétaire, l'instauration du franc ainsi que la maîtrise de l'inflation marquèrent la reprise déjà amorcée depuis 1796, et la croissance se poursuivit malgré tout globalement jusqu'en 1812. Sous l'Empire, on assista tout d'abord à une reprise de l'économie vers 1804, avant la crise consécutive au Blocus continental de 1806. Ainsi, alors qu'en 1800, le produit industriel était encore de 40 % inférieur à celui de 1790-1792, il lui était supérieur de 25 à 50 % entre 1805 et 1810. Après la légère reprise de 1810, cependant, une nouvelle crise se produisit vers 1812. L’ensemble du commerce et de l'artisanat fut touché à cause du suréquipement, du manque de débouchés ainsi que du rétrécissement du marché et du pouvoir d'achat des salariés comme des riches. En 1813 et 1814, la morosité économique marqua la fin du Premier Empire. Pendant cette période de mutations socio-économiques et d'alternance de conjoncture, les faïenciers, tout comme la faïence qu'ils produiront, tenteront – parfois avec un certain succès – de s'adapter aux nouveaux modes de vie et aux nouveautés techniques. La fin de l'Empire marquera véritablement la chute d'un grand nombre des structures les plus caractéristiques du XVIIIe siècle qui avaient réussi à se maintenir jusque-là en suivant tant bien que mal un monde en plein changement. Situation de la faïence française jusqu'en 1814 2 Pour des raisons déjà évoquées au chapitre précédent, peu d'études monographiques de faïenceries ont considéré cette période en détail et nous manquons encore cruellement d'exemples précis. Mais pendant ces années encore mal connues, la faïence, au même titre que les autres productions, profita dans une certaine mesure du développement industriel, caractérisé par le rattrapage, la croissance du pouvoir d'achat et de la demande. En outre, elle put bénéficier de quelques facteurs non négligeables de développement dont on parle peu souvent. Alors que de nombreuses manufactures du 147 XVIIIe siècle étaient à l'étroit dans des locaux urbains peu pratiques et mal adaptés à la fabrication – comme à Nevers –, dans un certain nombre de cas, de nouvelles faïenceries furent installées dans d'anciens bâtiments conventuels à la suite de la vente des Biens nationaux, ces locaux se prêtant particulièrement bien à leur nouvelle destination. C'est, par exemple, un cas de figure plusieurs fois observé en Bourgogne. Évincé de la faïencerie du château à Ancy-le-Franc en 1793, Adrien-Joseph Dumortier monte sa propre manufacture dans un bien national acheté en 1791, le prieuré de Vausse. En 1797, Claude Boutet quitte à son tour Ancy et va installer la fabrique des Capucins dans un ancien couvent d'Auxerre acheté en 1791 par un négociant. En 1802, l'Anglais Warburton établit une manufacture de terre de pipe anglaise à La Charité-surLoire dans une partie de l'ancien prieuré bénédictin acheté par Le Bault comme bien national en 1796 (Inventaire raisonné, 1994). En Franche-Comté, pour prendre un autre exemple proche, c'est également le cas de Clairefontaine et de Migette, établies en 1802 et 1803 (de Buyer, 1983, p. 15). L’un des exemples les plus frappants est celui de la manufacture de Longwy, installée dans un couvent des Carmes en 1798, et qui devait devenir l’un des grands établissements novateurs du XIXe siècle. 3 En outre, la faïence a pu bénéficier ici ou là du soutien aux inventeurs instauré par la loi du 7 janvier 1791 instituant les brevets d'invention. Ceci permit également à certains techniciens de perfectionner des procédés parfois étrangers ou d'œuvrer pour en trouver de nouveaux. Ces innovations devaient rapporter à leur propriétaire inventeur tout en servant au progrès de la collectivité. C'est le cas, à Paris, du faïencier Ollivier qui obtint le premier brevet concernant huit « découvertes », à savoir « la terre bambou, les camées, une terre blanche à l'imitation de celle d'Angleterre, un procédé concernant la fabrication de poêles, une couverte imitant le bronze antique, un procédé s'appliquant aux carreaux propres à lambrisser et rosaces pour plafonds, une terre imitant le marbre, et une terre rouge qui imite parfaitement l'antique Etrusse et autre d'Italie ». A cela s’ajoute un procédé de peinture de grand feu au pochoir de cuivre, technique économique qui devait connaître un grand succès tout au long du XIX e siècle (de Guillebon, 1995, p. 64). En 1805 à Apt, Bonnet construit un four à trois étages, particulièrement efficace. Il est vite imité par Fouque à Toulouse. En 1806, le faïencier Revol, de Lyon, prend un brevet « pour cuire avec le combustible minéral ». 4 Dans un contexte plus général, la faïence bénéficia également d'une nouvelle clientèle : dans les vingt premières années du XIXe siècle, la prospérité consécutive à la nette augmentation des revenus agricoles entraîna dans les campagnes un accroissement considérable de la consommation en général, et de celle de faïence en particulier. La petite propriété fut consolidée et un climat de confiance s'installa dans la paysannerie qui s'accrochait à la terre dans l'espoir d'agrandir sa propriété, avide de considération et de notabilité. Cette catégorie particulière fournira l'essentiel de la clientèle pour les plus belles pièces de commande que les faïenceries traditionnelles pouvaient encore fabriquer, mais dont les circonstances économiques, la mode et les événements avaient restreint de plus en plus la fabrication depuis les années 1780. Toutefois, pour satisfaisant qu’il puisse paraître, ce bilan ne doit pas masquer les problèmes réels rencontrés par les structures les plus lourdes où les profonds changements qui sont à l’œuvre donnent à l’ensemble de l’activité faïencière l’aspect d’une reprise en demiteinte. 5 Pour mettre tous ces phénomènes en évidence, on peut prendre l'exemple des belles pièces de commande de Nevers ou de Rouen datées et conservées dans les collections, 148 malgré les limites évidentes d’une telle démonstration. Après une raréfaction certaine, et une quasi-disparition des spécimens entre 1793 et 1800, on constate une recrudescence notable des pièces de commande postérieures à cette date, et jusqu'en 1815, attestant bien que le savoir-faire n'a pas disparu et qu’il réapparaît dès que la demande se manifeste (Pottier, 1986, p. 415). À Nevers, « en 1810, la marche ascendante avait repris. On secoue la torpeur. La France renaît dans la gloire, Nevers dans le travail. Manufactures, rues et quais s’animent » (Montagnon, 1987, p. 20). Cependant, le prix du bois, les difficultés de trésorerie et la concurrence des autres céramiques ainsi que des autres centres rendent cette industrie beaucoup moins rentable qu’auparavant, et huit manufactures seulement subsistent. Elles n’emploient plus que 400 ouvriers, et les peintres sont payés à la tâche, ce qui n’encourage guère la qualité de la production décorée courante, même si les salaires s’élèvent sensiblement. En 1811, certains manufacturiers déplorent qu’il ne se forme plus d’apprentis pour remplacer ceux des ouvriers que la mort vient frapper journellement et que « l’usage plus répandu de la porcelaine et celui de la terre de pipe devenu presque universel, ont relégué dans les dernières classes de la société notre faïence, dont les gens riches se contentaient il y a vingt ans » (Thuillier, 1966, p. 171). À Rouen, également très touché par la Révolution, il ne reste que sept faïenceries en activité en 1802 (Pottier, 1986, p. 125) ; à Lille, en 1804, elles sont au nombre de trois. À Moustiers, en 1811, huit fabriques occupent encore 80 ouvriers, mais deux manufactures vont fermer en 1812 et 1814, et la plupart des peintres sont partis, tandis que Marseille compte encore quatre établissements en 1808. À Varages, où trois fabriques ont fermé leurs portes, on parvient à retrouver le niveau de 1770 grâce au travail des cinq qui ont résisté (Bertrand, 1983, p. 72). 6 En ce qui concerne les petites manufactures régionales, les quelques études menées sur le sujet montrent une résistance encore plus marquée. Grâce à des archives particulièrement riches, il a été possible d’observer de près le fonctionnement de la manufacture de Meillonnas pendant cette période, avec les conclusions suivantes : « Juste au commencement du nouveau bail de Maurel, en septembre 1801, on détruit l'ancien grand four, et on en reconstruit un nouveau, qui sera terminé le mois suivant. En 1804 et 1805, le moulin à vernis est entièrement refait et sa capacité doublée. La même année voit la réfection de la chambre du blanc et celle de la calcine, et celle du toit des fours et du hangar à bois. Toutes ces réparations montrent clairement qu'une nouvelle impulsion est donnée à la fabrique, qui se traduira par une activité record en 1808 et 1809. […] Si, à Meillonnas, on constate une activité en croissance régulière, alors que dans l'histoire classique de la faïence française, la période 1795-1814 correspond en général à une crise profonde qui affecte tous les grands centres, c'est parce qu'il s'agit là d'une fabrique provinciale modeste dont la production est destinée à une clientèle locale d'habitués qui ne sont pas encore influencés par la mode de la porcelaine et de la terre de pipe. Ce phénomène à contre-courant est également observable dans une région comme la Bourgogne auxerroise, à l'écart des grands mouvements de l'économie et de la mode. À Meillonnas, si l'on constate un glissement très progressif vers une production plus rustique, il n'y a pas de cassure entre le XVIII e et le XIX e siècle avant 1815 au moins » (Rosen, 1993 /1, p. 75). 7 Concernant la faïence, ce tableau montre une industrie en cours de réorientation, qui ne se porte somme toute pas si mal, même si on est loin de la prospérité des années 1760-1780. En définitive, on voit que, de 1800 à 1815, faute d’une véritable renaissance, et privées des débouchés qui leur fournissaient l’occasion d’une production de qualité suivie, la plupart des manufactures produisent les mêmes choses qu’à la fin du siècle 149 précédent, mais à un degré bien moindre, assurant surtout leur survivance en fabriquant de la faïence commune peu décorée ainsi que de la faïence blanche et brune. Les années noires de la Révolution semblent surtout avoir été une parenthèse traumatisante qui a, pour un temps, interrompu un phénomène de déclin progressif amorcé dès le milieu des années 1780. 8 Pendant ce temps, la céramique dans son ensemble suivait l'évolution des autres industries comme les textiles, et surtout le coton, en subissant une révolution proprement économique, dont le courant imposait la diffusion massive de techniques importées d’Angleterre ou imitées depuis la seconde moitié du XVIII e siècle. La terre de pipe de type anglais, qui avait déjà commencé à attaquer la faïence stannifère par deux fois vers 1760 et après 1786, continuait sa progression inéluctable, un moment interrompue par la Révolution. À la deuxième Exposition des produits de l'industrie française de 1801, qui se tint dans la Cour du Louvre, une médaille d’or fut attribuée à Montereau, qui comptait entre 160 et 180 ouvriers, alors qu’un nombre grandissant de manufactures se concentraient dans le Bassin parisien et autour de Paris, devenue la capitale commerciale de la France. La manufacture de Choisy-le-Roi fut fondée en 1804 et prit une très grande importance au cours du XIXe siècle. À Creil, un nouveau groupe d'actionnaires, dont François-Charles Saint-Cricq, prit la tête de la manufacture active depuis 1797 : alors qu'elle avait 60 ouvriers en 1804, elle atteignit les 800 en 1811 (Cahiers, n° 44, 1969, p. 185). À Sèvres, Lambert travailla de 1798 à 1815 et Val-sousMeudon s'établit au début du XIXe siècle. Dans le Nord et l'Ouest, Ferrières-la-Petite fut fondée en 1798, et Villeroy, de Vaudrevange, s'associa avec la famille luxembourgeoise Boch. On trouve également d'autres manufactures, à Forges-les-Eaux vers 1800, au Havre avant 1802, à Rouen avec Letellier de 1800 à 1808, et même à Nevers avec Dubois et Senly de 1794 à 1806, puis avec les Dubois seuls jusque vers 1812. Dès 1801, dans l'Est, à Sarreguemines, Utzschneider met au point une variété de « cailloutage », composé de terre blanche de Coblence et de quartz de la Sarre, qui « remplace sous tous les rapports la vaisselle des manufactures anglaises ». Il fabrique des grès colorés jaspés imitant les pierres dures, des grès noirs black basalt, des faïences à lustre métallique et des terres rouges imitant l’antique. Grâce à ces produits originaux de qualité, il collectionne les médailles d’or aux expositions. Présenté à l'Empereur en 1808 à Metz, il en obtient de nombreuses commandes (Cahiers…, 1969, p. 216). 9 En 1806, parmi les 1 400 exposants à l'Exposition des produits de l'industrie française, on compte surtout des fabricants de terre de pipe et de porcelaine. À la section « poteries », dans l'introduction de la notice, on dresse un bilan de la situation de la terre de pipe en France : « la fabrique de la poterie dite "terre de pipe" est au nombre des nouvelles acquisitions de l'industrie française ; il n'y a pas plus de quinze ans que se sont formés la plupart des établissements qui alimentent aujourd'hui cette branche […] Le Jury leur recommande de s'appliquer à donner encore plus de perfection au goût de leurs formes et à la composition de leur pâte et plus de dureté à leurs couvertes ; il les invite particulièrement à porter leur attention sur les moyens économiques de fabrication qui pourraient procurer à cet article une diminution des prix suffisants pour soutenir avec succès la concurrence des étrangers ». 150 Le blocus continental et l'enquête des préfets 10 Le 21 novembre 1806, à Berlin, Napoléon Ier, bien décidé à ruiner le commerce anglais, décrétait un ensemble de mesures destinées à fermer au commerce de l'Angleterre tous les ports du continent. L’idée de ce « Blocus continental » remontait à 1793, date de la résiliation du traité de Vergennes, et l’on pensait depuis quelque temps, comme Le Chancelier du Pasquier, qu’il faudrait employer tous les stimulants possibles pour amener l'industrie continentale à suppléer à ce que ne fournirait plus l'industrie anglaise. Dans le domaine de la céramique, l’idée avait déjà été soumise en 1805 par Champigny, alors Ministre de l’Intérieur, à Alexandre Brongniart, administrateur de la Manufacture de Porcelaine de Sèvres depuis 1800. « Depuis longtemps, on cherche à remédier aux inconvénients que présentent nos poteries, et à réformer ce que les principes de nos manufacturiers ont de défectueux à cet égard. […] L’art feroit de grands pas vers sa perfection si on substituoit les substances terreuses indigènes au plomb et à l’étain qu’on emploie dans la fabrication des vernis, et qu’il faut tirer de l’étranger. Il importe donc de propager une découverte qui offre de si grands avantages à notre commerce ». Concernant la faïence stannifère, on peut même déceler dans cette initiative officielle la chronique d’une mort annoncée puisque la même année, le ministre précisait aux préfets que « ces considérations portent à désirer qu’on remplace nos fayences et nos poteries actuelles par une porcelaine commune plus généralement utile… pour exécuter à bas prix une poterie propre aux usages domestiques les plus variés… qu’on en revienne… à une méthode plus simple et à la recherche de matières premières indigènes plus abondantes et d’une plus facile exploitation » (Vaudour, 1984, p. 81). 11 Brongniart avait commencé dès lors à lancer son « Enquête du Ministère de l'Intérieur (Bureau des Arts & Manufactures) en vue de l'établissement à Sèvres d'une collection d'argiles, de matières à poterie et de poteries » plus connue sous le nom de « Enquête des Préfets ». Ce bilan-inventaire, en 1805, partait du principe économique que « la fabrication est au désavantage de notre balance de commerce, par l'emploi qui s'y fait du plomb et de l'étain que l'étranger nous fournit en grande partie », mais la nécessité d’une solution se fera de plus en plus urgente après le Blocus continental, l’industrie française étant profondément affectée par les difficultés d'approvisionnement en matières premières. À l’époque, la France comptait 130 départements, couvrant une bonne partie de l'Europe, notamment en Hollande et en Italie. Les réponses s’échelonnèrent jusqu’en 1812, mais seuls 30 départements répondirent à cette enquête : Ain, Allier, Aude, Charente, Cher, Doubs, Finistère, Forêts, Gard, Isère, Jura, Haute-Vienne, Loire-Inférieure, Lot, Manche, Montenotte, Moselle, Nièvre, Oise, Pasde-Calais, Piémont, Puy-de-Dôme, Bas-Rhin, Rhin-et-Moselle, Rhône, Rœr, Sambre-etMeuse, Seine Inférieure, Vaucluse, Vendée. Il est heureux que ce document ait fait l’objet d’une publication intégrale car l’étude synthétique des réponses permet de dresser un état intéressant de la céramique en France à l’époque 1. 12 Nous possédons quelques études qui permettent une première approche de la question. Ainsi, pour un certain nombre de manufactures de la Seine-Inférieure, Catherine Vaudour a fait le bilan suivant : « Ces informations traduisent un état de transition : apparaissent déjà comme significatifs l’extinction de certains procédés comme la faïence stannifère, la vulgarisation de techniques récemment éprouvées et la mise à l’essai de factures nouvelles […] L’intérêt des autorités scientifiques et 151 gouvernementales contribua fortement à l’expansion de cette technique de faïence fine dont on sait qu’elle fut particulièrement prolifique au XIXe siècle » (Vaudour, 1984, p. 87). Grâce à la réponse de Salazard, maire de Meillonnas, le 6 mai 1809, on sait par exemple que « la faïence [...] a perdu en beauté et en qualité, soit en raison des économies par les fermiers sur les qualités et quantités de plomb et de l'étain [...] soit qu'ils ne peuvent s'en procurer facilement depuis la guerre ». Mais, d’autre part, les archives nous montrent que la fabrique connaissait alors une activité sans précédent et se tournait de plus en plus vers la fabrication de vaisselle courante, et notamment de « faïence brune ». Le mémoire du département de Montenotte, l’un des plus riches en informations, avec les 50 manufactures d’Albisola Marine, Albisola Supérieure et Savone, qui emploient 2 170 ouvriers, « mentionne six à sept qualités de produits, dont la faïence blanche, la faïence brune, la faïence fine, et la poterie plombifère » (Dubus, 1993, p. 110). 13 En 1809, le premier rapport remis au ministre de l’Intérieur dans le cadre de l’Enquête des préfets sonne officiellement le glas de la faïence stannifère. « La fabrication des faïences diminue de jour en jour. Le haut prix des métaux qu’elle consomme en est la principale cause. On finira par l’abandonner tout à fait. Ce n’est donc guère la peine de s’en occuper. Au moins peut-on ajourner cette besogne » (Vaudour, 1984, p. 86). 14 Comme pour donner raison à cette analyse, beaucoup de petites faïenceries qui avaient réussi à survivre jusque-là furent contraintes de cesser toute activité. Le bilan exact en est difficile à établir car nous manquons souvent d’informations précises sur le XIXe siècle et la fin historique des principales manufactures, comme on a déjà eu l’occasion de le signaler. L’exemple de certaines régions pour lesquelles ce travail a été fait donne cependant une idée du phénomène. Ainsi, en Bourgogne, la manufacture d’Ancy-le-Franc-Château ferme en 1807, Montigny-sous-Perreux en 1809, les manufactures Ollivier et Chantemerle à Nevers en 1809 et 1810, La Charité-sur-Loire en 1812, Dijon-l’Ile en 1812 et Ligny-le-Châtel en 1815. Dans le Nord, le bilan est tout à fait semblable : Fauquez à St-Amand ferme vers 1805, Sta-Dupré à Desvres vers 1810, Boussemart-Petit à Lille en 1810, et Dorez vers 1820. À Grenoble, « les difficultés ont dû réellement débuter pour nos faïenciers vers 1810-1815 » (Bosso, 1980, p. 45). Dans le grand Sud-Ouest, où un bon nombre de manufactures avait déjà cessé toute activité avant la Révolution, Nègrepelisse, par exemple, ferma en 1809 et Garrigues, à Montauban, en 1810. À Samadet, on signale en 1812 que « cette manufacture, ne trouvant presque plus à vendre ses produits, est presque dans un état de stagnation » (Borredon, 1990, p. 54). À Meillonnas, les difficultés et les problèmes apparaissent dès 1809. Toutes les fabriques subissent le contrecoup du Blocus continental, dont les effets catastrophiques pour les faïenceries viennent s'ajouter aux circonstances économiques déjà peu favorables de la période. 15 Les suites du Blocus provoquèrent également l’effondrement du grand commerce maritime : vers 1812-1814, le volume du commerce extérieur représentait la moitié de ce qu'il était en 1784-1788. La fermeture de ces débouchés traditionnels des grands centres occasionna une redistribution des rôles. Ainsi, Nevers perdit une part considérable de ses marchés au profit de Rouen à l’Ouest, et de la Lorraine et de la Champagne à l’Est. Cette période, jusqu'en 1815, a laissé son empreinte sur la géographie industrielle de la France comme sur la carte de ses faïenceries : l'axe de l'industrialisation se déplace vers le Nord-Est, tandis que les provinces de l'Ouest et du 152 Sud-Ouest amorcent une désindustrialisation durable. L’avenir de la faïence, s’il lui en reste un, viendra du Grand-Est de la France. Gobelet, h. 15 cm, Nevers, 1806, coll. part. NOTES 1. Dubus M. et Pannequin B., La céramique française sous l'Empire à travers l'enquête des préfets (1805-1810), éd. RMN, Paris, 1999. 153 Chapitre 14. Le dernier acte (1815-1850) Le contexte économique 1 De 1815 à 1914, malgré l’irrégularité de la croissance économique et l’instabilité des régimes politiques, le grand XIXe siècle se caractérise par une exceptionnelle continuité. Une paix relative, une stabilité monétaire sans précédent et un libéralisme économique peu contesté permettent l’épanouissement d’une société bourgeoise, favorable à la croissance de la grande comme de la petite industrie, au sein de laquelle la prépondérance est donnée aux industries productrices de biens de consommation et qui encourage la spécialisation dans les articles de qualité. De 1815 à 1840, la croissance est irrégulière, mais forte, à telle enseigne que le produit industriel est multiplié par 2,5 de 1815 à 1855. La période 1840-1860 connaîtra également une croissance forte, marquée cependant par la grave crise de 1846-1848, à l’issue de laquelle bien peu de manufactures de faïence auront résisté. Évolution des faïenceries 2 Pour les fabriques de faïence stannifère traditionnelle qui avaient passé le cap difficile évoqué au chapitre précédent, le renouveau amorcé dans un premier temps dut s'accompagner de restructurations souvent délicates. Les facteurs historiques et les difficultés économiques de cette période eurent pour conséquence inévitable la diversification et la nécessaire industrialisation de la production ainsi que l’adaptation aux nouveaux types de céramique et aux améliorations techniques constantes. La faïence – dont la technique traditionnelle n’évoluait que fort peu – ne pouvait que très difficilement faire face à ces changements. Pour survivre, les manufactures durent également adopter de nouveaux modes d’organisation destinés à augmenter leur rendement et abaisser leur prix de revient. Dans certaines fabriques jusque-là consacrées à la faïence traditionnelle, la faïence stannifère passa même au second plan, 154 dominée par les grès utilitaires et les nombreux avatars de la faïence fine et autres céramiques plus au goût du jour. 3 Les faïenciers français n’utilisèrent que très tard, et très progressivement, la cuisson à la houille, pourtant déjà employée depuis longtemps par les manufacturiers anglais. Brongniart signale ce retard technique des faïenciers et écrit, dans les années 1830, que « la faïence commune étant une poterie presque abandonnée depuis que des poteries plus élégantes, plus légères, telles que les faïences fines […] ont été si abondamment répandues, on n’a pas cherché à améliorer beaucoup ni ses procédés ni son mode de cuisson. Presque partout, on la cuit au bois » (Brongniart, 1877, p. 31). Il signale cependant les essais de Mony fils, faïencier à Bourg-la-Reine, ou ceux de Tourasse, à Paris, et évoque les problèmes d’approvisionnement ainsi que les difficultés techniques rencontrées par ces industriels. En effet, le coût élevé du charbon représenta, dans toute la première partie du XIXe siècle, un handicap important pour l’industrialisation. Le charbon du Massif Central étant bien plus utilisé que celui du Nord, il devait être transporté depuis Andrézieux, par la Loire, le canal de Briare et le Loing. On en importait également beaucoup de Belgique. Malgré cela, selon Brongniart, « ce fabricant assure qu’il trouve dans l’emploi de la houille substituée au bois pour la cuisson de la faïence, même aux portes de Paris, une économie de près de 50 % ». Ce n’est guère que vers 1840, bien tardivement, que le charbon de terre fera son apparition dans quelques rares manufactures de faïence traditionnelle. Nevers n’abandonnera la cuisson au bois qu’après 1920 (Thuillier, 1966, p. 180). 4 Les innovations techniques permirent également à un certain nombre de manufacturiers plus entreprenants de maintenir la fabrication de faïence, voire de montrer le chemin. À Paris, Brongniart signale que Masson, successeur d’Ollivier, « a appliqué à la fabrication de la faïence commune les moyens puissants qu’on a mis en usage pour la première fois dans la fabrication de la faïence fine, c’est-à-dire de la force de la vapeur pour le broyage et le pétrissage ; des gâchoirs pour mêler en grand les éléments de la pâte et la tamiser ensuite ; il a fait voir que l’émail bien préparé et fait avec soin donnait à la faïence un blanc éclatant qui le dispute à celui de la porcelaine ». 5 Alors que de nombreuses faïenceries luttent pour survivre péniblement, certains centres, au contraire, se développent. La manufacture de Saint-Clément, en Lorraine, semble avoir constitué une référence pour un certain nombre de concurrents tout au long de la première moitié du XIXe siècle. Dès 1816, elle était citée dans les archives comme la référence obligatoire pour Meillonnas, qui tentait alors l’expérience de la terre de pipe à couverte stannifère : « Travaillez l'argile blanche que vous avez à Meillonnas : tâchez de fabriquer comme à Saint-Clément une faïence à biscuit blanc, très légère, souffrant le feu, couverte d'un émail mince, blanc azuré, non susceptible de gercer, qui conserve les formes angulaires aux pièces, et moins cher que l'émail ordinaire […] La manufacture de Saint-Clément est seule en possession d'envoyer partout la fayence dont vous avez des échantillons à Meillonnas [...] elle est fort recherchée à cause de ses excellentes qualités [...] votre fayence tient le milieu pour la perfection entre la fayence de Saint-Clément et celle de Lorraine » (Rosen, 1993 / 1). Vers 1840, Saint-Clément et Lunéville sont parmi les centres faïenciers les plus importants. On y produit de la faïence commune et de la terre de pipe, en grand feu comme en réverbère, toutes « recouvertes d’un émail stannifère qui est d’une très belle et bonne qualité en dureté, blancheur, éclat et solidité, car il ne tressaille ou ne gerce que très rarement, même dans les circonstances les plus défavorables » (Brongniart, 155 1877, p. 37). Dans le Beauvaisis, Jean-François Seauce, dit « Valencienne », s’installe à Voisinlieu comme « fabricant de carreaux de faïence ». En 1824, il sera à l’origine d’un développement extraordinaire de cette industrie dans le village de Ponchon, qui comptera jusqu’à sept fabriques employant 168 ouvriers en 1861 (Cartier, 1993, p. 19). À Tours, en 1819, huit manufactures emploient de 150 à 180 ouvriers qui fabriquent de la faïence brune et de la blanche, ce qui est également le cas d’Orléans. Huart, à Longwy, après avoir introduit la cuisson à la houille en 1838, « a commencé à prouver qu’on pouvait donner à la vraie faïence commune un bel émail blanc très glacé et peu épais, et des pièces légères d’une bonne forme ». 6 Néanmoins, parmi les exemples les plus parlants de dynamisme en matière de céramique, les établissements les plus prospères sont le plus souvent situés dans le Nord-Est et la région parisienne. Créés aux alentours de 1800 et produisant de la terre de pipe de type anglais, ils poursuivent un développement spectaculaire en mettant sans cesse en œuvre les nouvelles inventions et les perfectionnements qui s’y rattachent. Cette fabrication de céramiques proto-industrielles est très technique et sa mise en œuvre de plus en plus mécanisée. « Ceci s’accompagne d’une approche plus agressive de la gestion commerciale, où le faire-savoir devient aussi important que le savoir-faire. Les expositions nationales ou universelles, les dépôts de brevets, la création des réseaux de vente exigent de la part des faïenciers d’autres compétences : à côté de l’ancien artisan, habile, mais lié à son terroir, naît une nouvelle caste, celle des techniciens et des gestionnaires. Peu à peu, les faïenceries s’engagent dans la concurrence technologique et la course aux investissements. La nécessité de vastes locaux, l’utilisation d’énergies motrices plus performantes, l’embauche de praticiens très qualifiés tels que les modeleurs-mouleurs sont des charges financières hors de portée des petites entreprises ». Dans ce domaine, on a déjà eu l’occasion de souligner la réussite spectaculaire de Sarreguemines et de son célèbre directeur Utzschneider. En 1819, il donne à la terre de pipe qu’il fabrique le nom de « porcelaine opaque, qui supporte mieux que la porcelaine l’alternative du froid au chaud. Quoiqu’extérieurement elle ait quelque ressemblance avec la faïence, elle en diffère essentiellement ; c’est une tout autre pâte, c’est une tout autre couverte » (Céramique lorraine…, 1990, p. 203). Cette nouvelle « faïence fine » feldspathique, reprise par de nombreuses usines, était promise à un brillant avenir et allait devenir la principale céramique à usage domestique de la fin du XIXe siècle. Autre exemple du même type : à Vaudrevange, où l’on cuit au charbon depuis 1800, les premiers essais de décors par impression ont lieu en 1815. 7 Pour pouvoir lutter plus efficacement contre les problèmes économiques et commerciaux, on finit par adopter un nouveau système d’organisation. À Nevers, en 1818, la plupart des maîtres de manufacture forment une société essentiellement destinée à organiser le stockage et la commercialisation des marchandises produites séparément par chacun des faïenciers. Elle marque sa production au tampon de ses initiales, jointes au mot NEVERS. L’acte de fondation stipule que « l’exploitation des fayences de leurs manufactures aura lieu à profit et perte commune et qu’elle sera déposée dans un local convenable où tous les associés s’engagent à y faire porter toutes les fayences qu’ils auront dans leurs magasins particuliers ». On achète même des locaux destinés à devenir le « Magasin Général des Manufactures réunies ». De 1818 à 1826, le chiffre d’affaires annuel se situe aux alentours de 500 000 francs. Après 156 quelques défections et plusieurs péripéties, les « Manufactures associées » subsisteront jusque vers 1844 (Thuillier, 1966, p. 173 et Montagnon, 1987, p. 20). 8 Les faïenciers essayèrent parfois de profiter d'évènements historiques pour exécuter quelques décors de circonstance, à la gloire de l'Empire, de la Restauration, voire de la girafe – cadeau du Bey de Tunis à Charles X –, dont la mode ne dura que fort peu de temps, après 1827. Toutes ces tentatives ne furent bien souvent que des sursauts sans lendemain. Dans les grands centres, l’examen des rares pièces datées montre une indiscutable baisse de la qualité et une disparition progressive des savoir-faire des environs de 1815 jusque vers 1850. Face aux progrès des nouveaux centres plus dynamiques, les vieilles structures de production, handicapées par leurs diverses pesanteurs, font l’objet d’un constat impitoyable : le Mémoire sur la fabrication de la faïence à Nevers, rapport manuscrit rédigé en 1831 par le jeune ingénieur de l’École des mines S. H. Harlé, venu y faire un stage de six mois chez Debonnaire (Fleur de Lys) et Bonneau (Ecce Homo), en offre un exemple caractéristique : « Les faïences de Nevers étant restées dans les formes antiques et ridicules pour le temps actuel ont fini à ne convenir qu’à la classe indigente, les procédés dans l’exploitation ont été constamment les mêmes depuis un demi-siècle, il y aurait de l’absurdité à avancer que l’art a fait des progrès lorsque les produits sont évidemment inférieurs. Le malthusianisme entrave tout esprit d’entreprise, limite toute tentative d’innovation : par scepticisme, par apathie, on se borne à une routine séculaire ». De temps à autre, quelques fabriques isolées – le plus souvent rurales et souvent dans la moitié nord de la France, comme le Beauvaisis ou Sinceny – parviennent encore à produire quelques pièces de commande, dont l’exécution plus soignée évoque parfois l’écho des productions du siècle précédent. 9 Dans un certain nombre de cas, les manufactures se tournent vers d’autres types de céramique mieux adaptés au goût du jour et aux nécessités du marché. À Meillonnas, à la suite de l’échec des tentatives concernant la terre de pipe, après 1820, on se tourne vers la fabrication de creusets de fonderie et de grès, sans pour autant abandonner la faïence. Une lettre de 1823 explique fort clairement les circonstances et les raisons de ce choix. Le directeur Bouvier y déclare que « MM Alexandre et Charles de Meillonnas viennent depuis deux ans d’ajouter à cet établissement [la faïencerie] une fabrique de cruches à bière (soit grès) dont la qualité supérieure à toutes celles qui se fabriquent en France ne laisse rien à désirer. Les principaux brasseurs de Lyon les ayant comparées à celles d’Allemagne dont ils faisaient usage avant l’innovation de cette fabrique, les ont reconnues pour le moins égales en qualité à ces dernières. L’établissement qui compte un grand nombre d’ouvriers est d’autant plus intéressant que non seulement la qualité de ses marchandises rivalise avec celles des manufactures étrangères, mais offre sous le rapport des prix un grand avantage au consommateur, enlève une industrie à l’étranger, et empêche des capitaux à sortir de France. La fabrication de la présente année 1823 s’élèvera à 100 000 cruches. L’intention des propriétaires eu égard aux demandes qui leur sont faites est de la porter à 200 000 pour l’année 1824 » (Rosen, 1991, p. 108). 10 Pour toutes ces raisons, dans la première moitié du XIX e siècle, les mutations économiques et sociales eurent une influence considérable sur la nature et l’aspect des productions de faïence stannifère traditionnelle, qui subirent des transformations significatives. La faïence, telle qu'on la concevait au XVIII e siècle, souffrit de l'absence de classe moyenne nombreuse et, partant, de marché pour les biens de qualité 157 intermédiaire. Les produits de luxe comme la porcelaine trouvèrent auprès des riches rentiers un marché expliquant la prospérité du secteur. La masse paysanne et le petit peuple des villes, soit 90 % de la population, consommaient de la qualité courante pour laquelle les structures de production traditionnelles étaient suffisantes. On assista ainsi à une multiplication extraordinaire des faïences culinaires brunes et « culs noirs » aux motifs répétitifs figés et partout identiques. On vit se généraliser l’utilisation du pochoir ou « vignette » et des décors « à la girelle », constitués de filets exécutés sur la tête de tour du même nom, qui permettent de gagner du temps et d'employer des ouvriers sans grande qualification. Les progrès techniques concernant les couleurs – et notamment la diffusion du « rouge de Thiviers » 1, en Dordogne, tiré d’une pierre ferrugineuse d’abord utilisé dans le Sud-Ouest à partir du début du siècle, et de plus en plus employé dans tout le pays après 1830 – favorisèrent la réalisation de vigoureux effets de polychromie qui pallièrent le manque d’habileté des peintres. Dans une autre technique, Saint-Clément et Lunéville, entre autres, multiplièrent la production de faïences bon marché à décor de réverbère, dont l’aspect général est fort semblable, et en inondèrent tout le pays. Ces productions se multiplièrent de Dax et Auvillar, dans le Sud-Ouest, au Bois d’Epense et à Saint-Clément, dans le Nord-Est, et de Sinceny, près du Nord, à Roanne et Lyon, dans le Centre-Est. On a beaucoup dit et écrit qu'il s'agissait là de « décadence », et du Broc de Segange parlait de la « barbarie de la décoration » des faïences de cette époque (du Broc de Segange, 1863, p. 235). Peu d'auteurs se sont penchés sur ces productions, jugées dépourvues d'intérêt esthétique. Elles font encore aujourd'hui l'objet d'un oubli presque complet, tout comme les faïences « populaires » et patriotiques il n'y a encore que quelques décennies. Sauf en ce qui concerne les productions marquées, qui se multiplièrent, la plus grande confusion règne toujours à propos de ces modestes témoins de notre proche passé céramique qui subsistent et n'intéressent guère aujourd'hui que quelques érudits et collectionneurs locaux. 11 Au début du XIXe siècle, et de plus en plus nettement, la faïence devient un objet d'utilisation quotidienne dans toutes les couches de la société : à Meillonnas, vers 1817, les ouvriers de la fabrique emportent régulièrement des pièces, dont le prix est déduit de leur salaire, pour leur consommation personnelle. Ces sommes vont de 1 à 13 francs (Rosen, 1993 / 1). Vers le milieu du siècle, la faïence stannifère traditionnelle est devenue un produit de consommation courante de moindre importance, largement devancé par la faïence fine et la porcelaine, domaine où les améliorations techniques permettent des prouesses et dont les structures de production largement industrialisées fournissent des produits plus au goût du jour et d’un coût bien moindre. On en vient à mépriser la faïence. Dans son rapport au Conseil Général de 1858, le préfet de la Nièvre la qualifie de « vaisselle des petits ménages ». On la décrit aussi comme « cette porcelaine des hameaux sur laquelle le riche citadin laisse tomber un regard dédaigneux ». En 1862, Dalloz, dans Le Moniteur, parle de ces « assiettes de paysans grossièrement enluminées de fleurs imaginaires ou de devises de mirlitons ». Elle continue, en effet, à se vendre dans les campagnes. L’enrichissement des petits paysans sous l’Empire contribue à maintenir l’activité des manufactures, dont les prix sont extrêmement modérés : en 1864, on vendait au même prix qu’en 1800 (Thuillier, 1966, p. 177) 158 Causes de la disparition des faïenceries traditionnelles 12 Sur le plan économique dans son ensemble, la période 1815-1850 est caractérisée par la coexistence dans l’industrie de méthodes de production modernes et d’autres plus traditionnelles, qui perdent peu à peu du terrain, entraînant la ruine sans recours de certaines activités traditionnelles brusquement confrontées à une concurrence nouvelle et incapables de s’y adapter. La formidable crise de 1846-1848, agricole par son origine mais dont les manifestations et les conséquences touchèrent avant tout l’industrie, provoqua un long temps d’arrêt dans l’accroissement de la production, accélérant le déclin des systèmes archaïques de production comme les hauts-fourneaux au charbon de bois ou la faïence stannifère. Aux environs de 1850, en dépit de toutes les tentatives de survie, la quasi-totalité des fabriques de faïence traditionnelle disparut. L’influence catastrophique conjuguée de plusieurs facteurs tant structurels que conjoncturels en est la cause. 13 De 1815 à 1840, on avait assisté à la modernisation progressive des transports traditionnels. Après 1842, le chemin de fer se développa de plus en plus, pour connaître une brusque accélération après 1848 et l’achèvement des grandes lignes après 1860. L’attraction exercée par les grandes villes à la suite du développement urbain, jointe à la facilité des transports, favorisa l’exode des populations rurales mais aussi la circulation des productions. Sur les marchés régionaux, débouché essentiel des fabriques de l’époque, la concurrence des nouvelles céramiques, produites à bas prix et en quantité considérable de manière industrielle, ruina définitivement les petites manufactures qui subsistaient grâce à une clientèle locale. 14 L’examen de la situation des grands centres met bien le phénomène en évidence. À Nevers, le nombre d’ouvriers passa de 236 en 1808 à 46 en 1843, et on ne comptait plus que quatre manufactures en 1859. Une des responsabilités de ce déclin réside dans le travail aux pièces, qui instaure une concurrence nuisible à l’apprentissage, à la transmission des savoir-faire et au renouvellement des ouvriers. Un rapport de 1844 pour l’application de la loi sur le travail des enfants note que « les ouvriers, qui sont à leurs pièces, occupent, lorsque le travail l’exige, quelques enfants de 15 à 16 ans, mais ils les congédient aussitôt et toutes les fois que les commandes diminuent, ce qui occasionne des mutations continuelles parmi ces enfants » (Thuillier, 1966, p. 175). À Rouen, Amédée Lambert, époux de Sophie de la Mettairie, veuve de Levavasseur, meurt en 1851. Avenelle cesse les travaux la même année. « De ce moment, l’industrie de la faïence fut éteinte à Rouen, et ne se releva plus » (Pottier, 1986, p. 145). À Moustiers, situé trop loin du chemin de fer, Barbaroux ferme en 1840, Bondil en 1841, Ferrat en 1843, Thion en 1846 et Fouque en 1850. Un responsable constate que « l’arrivée du chemin de fer dans le département amène un changement des mentalités. On dirait que le progrès est un mal, que la vapeur est un agent radical et a pour mandat d’effacer les traditions » (renseignements Bernadette de Rességuier). Féraud reste seul jusqu’en 1876, à telle enseigne qu’on en viendra même à oublier l’existence de Moustiers. À Varages, en 1789, il y avait une vingtaine de peintres ; ils ne sont plus que quatre en 1830, et plus que deux en 1850, alors que six fabriques sont pourtant encore en activité. « Ainsi, la crise économique qui sévit en France vers 1847 n’épargna pas la faïence de Varages, qui dut subir la concurrence du Nord ; assaut qui, soit dit en passant, emportera ce qui restait des fabriques de Provence, Salernes, Berne, Moustiers, 159 contraintes à éteindre leurs fours ou à reconvertir leurs fabrications » (Bertrand, 1983, p. 144). 15 Autre élément déterminant, l’équipement en machines à vapeur fut très rapide dans les régions les plus industrialisées, dans lesquelles la décennie de 1850 à 1860 vit une accélération de la productivité et un accroissement du capitalisme. Les taux d’investissement connaissent alors leur niveau le plus élevé du siècle. En 1860, on a une économie en voie d’industrialisation rapide, sinon complète. Dans l’Est, la faïence stannifère avait particulièrement bien résisté jusque-là. Mais entre 1840 et 1870, la plupart des entreprises traditionnelles disparaissent, minées par les difficultés économiques, comme Épinal en 1840, Saint-Avold en 1845/1846, le Bois d’Epense dit « les Islettes » en 1848, Lavoye en 1847/1848, Rarecourt en 1853, Gérardmer en 1854, Cirey en 1855, Salvange en 1861, Froidos en 1862, Clermont-en-Argonne en 1863, La Trouche et Rambervillers en 1866. 16 De même que le phylloxéra quelques années plus tard, le phénomène atteint progressivement tous les types de structures, pour une raison ou pour une autre, et on peut prendre des exemples dans toutes les régions. À Lyon, où l’on comptait encore cinq fabricants en 1830, Artaud ferme en 1838, Merck peu après 1839 et les Revol en 1846. Samadet, dans les Landes, disparaît en 1839 et Vron, dans le Nord, en 1840. À Meillonnas, en 1845, la mort du dernier peintre, Georges Laurent Raymond, marque l’arrêt définitif de la production de faïence. La dernière fabrique de Dijon cesse en 1848 et ses ouvriers se répartissent dans les manufactures proches, à Rioz et Longchamp. « Les années fastes de la production d’Auvillar [près d’Agen] s’arrêteront vers 1848, lorsque le chemin de fer favorisera la production bordelaise » (La faïence de Toulouse…, 1993). 17 À l’approche de l’Exposition Universelle de 1878, seules demeureront en activité de grandes usines modernes qui produiront essentiellement de la faïence fine bon marché à usage domestique et sanitaire. Les principales sont celles de Creil et Montereau, de Choisy-le-Roi, de Gien, de Longwy ou de Sarreguemines, qui crée une succursale à Digoin en 1876, attiré par la proximité du bassin houiller, des canaux, et du chemin de fer achevé en 1869 (Céramique lorraine…, 1990, p. 203, et Chaussard 1990). À la même époque, à Bordeaux, Vieillard occupe 1 300 ouvriers. À Vaudrevange, cousine de Mettlach, les Villeroy, associés aux Boch, emploient près d’un millier de personnes… 18 Certes, la crise de 1846-1848, en dehors des changements politiques, marque un coup de frein brutal au développement industriel et provoque une nette stagnation de la production, mais elle n’est pas à elle seule responsable de la chute de la plupart des faïenceries traditionnelles. Elle ne fait qu’accélérer un processus inéluctable déjà largement entamé depuis quelques décennies. Si le choix de l’année 1850 ne correspond qu’à une date moyenne pratique pour signaler un acte de décès, il recouvre cependant bien une réalité indéniable. La faïence stannifère traditionnelle est morte, et bien morte. On va pouvoir commencer alors à s’intéresser de plus près aux productions anciennes. 160 Saladier, Ø 36 cm, « l’Inexplosible », Gallas, Nevers 1840, Cosne-Cours, musée de la Loire, inv. CoF 2008. NOTES 1. Voir Rosen, 2006, Le rouge est mis, op. cit. 161 Chapitre 15. À la découverte des productions anciennes... 1 Dans son introduction à la première Bibliographie céramique en 1881, le célèbre Champfleury, pseudonyme de Jules François Félix Husson, alors conservateur du musée de Sèvres, définit d’emblée le sujet de la première partie de ce chapitre, quand il écrit : « Il était réservé au XIXe siècle, vers 1850, d’entrer de plain-pied dans l’histoire des arts céramiques, d’y pousser, d’en donner l’historique, d’étudier en même temps les grands centres comme leurs plus petits réseaux et d’en faire pressentir la renaissance » (Champfleury, 1881, p. I). Une histoire de la faïence doit se terminer par une historiographie de la redécouverte des productions anciennes, d’autant plus que cette aventure a eu sur les amateurs des cent dernières années, et jusqu’à aujourd’hui, une influence déterminante, dont on a peine à imaginer aussi bien l’importance que le rôle de frein qu’elle peut encore exercer dans toute tentative d’approche globale et d’appréciation sereine de ce qu’a pu réellement être la faïence à l’époque où elle a été produite. 2 Pour des raisons en partie exposées à la fin du chapitre précédent, les années 1850 marquent effectivement le début d’un nouvel intérêt porté aux productions anciennes qui ira en s’amplifiant, et ne faiblira plus jusqu’à la veille de la première guerre mondiale, au moins. Ne perdons pas de vue cependant que, d’une part, ce phénomène a été préparé par la perspicacité et l’activité infatigable de quelques pionniers et que, d’autre part, il est le fruit logique des préoccupations et de la pensée d’une époque ainsi que le reflet précieux de l’histoire du goût. Malgré des périodes plus ou moins intenses portant la marque de quelques personnalités incontestées du monde de la céramologie, cette quête vieille d’à peine plus d’un siècle ne s’est jamais véritablement arrêtée. Les pionniers : le musée de Sèvres 3 Né en 1770, directeur de la manufacture de Sèvres de 1800 à 1847, date de sa mort, Alexandre Brongniart a joué un rôle déterminant dans cette redécouverte et peut être considéré comme le véritable fondateur de la céramologie moderne. L’impulsion nécessaire à ce mouvement remonte à 1805, date à laquelle il décida de lancer l’« Enquête des Préfets » déjà évoquée plus haut. Le but proclamé de cette démarche, 162 visant à « l'établissement à Sèvres d'une collection d'argiles, de matières à poterie et de poteries », est à l’origine de ce qui devait peu à peu devenir le Musée national de céramique, aujourd’hui Sèvres, Cité de la Céramique. Créé par Alexandre Brongniart, il se nomma d’abord « Musée Céramique et Vitrique de la Manufacture Royale de Porcelaine de Sèvres », titre dans lequel est affichée clairement la nature essentiellement scientifique et technique des préoccupations de Brongniart, chose qui lui fut d’ailleurs reprochée. Il a lui-même expliqué sa démarche et l’utilité de cet établissement dans son Traité, en 1844, lorsqu’il écrit : « J’ai trouvé dans le Musée céramique de Sèvres des ressources efficaces et nombreuses que je m’étais pour ainsi dire préparées en formant cette collection. Sans elles, et sans la visite que j’ai faite des principales manufactures céramiques de l’Europe, mon ouvrage eût dû se réduire à une simple description des procédés de la porcelaine ; mais cette collection, amenée maintenant à son but d’utilité et d’intérêt au moyen des dons qu’elle a reçus de tant d’industriels et de voyageurs, au moyen surtout de l’ordre qui y est établi, et qui y est maintenu et perfectionné par les soins éclairés et constants de son conservateur, M. Riocreux, cette collection, dis-je, qui peut servir à l’instruction de tous ceux qui veulent l’étudier, a fourni à mon traité une multitude de faits. Le public en jugera par l’ouvrage qui paraîtra peu après celui-ci et qui, rangé dans le même ordre que ce traité, offrira dans un catalogue raisonné, dirigé par M. Riocreux, et accompagné de 90 planches, la description, l’origine et la représentation des pièces céramiques les plus instructives ou les plus remarquables, qui entrent dans sa composition » (Brongniart, 1877, t. 1, introduction p. XIII). Si Brongniart était ingénieur, Denis-Désiré Riocreux, né en 1791 à Sèvres même, était un ancien peintre de la Manufacture. Il devint conservateur du musée en 1823 et resta à ce poste jusqu’en 1872, date de sa mort. Progressivement, aux échantillons envoyés par les fabricants vinrent s’ajouter de nombreuses pièces anciennes, telles les deux premières assiettes de Delft, achetées en 1829, ou un plat de Moustiers décoré d’une scène de chasse en 1833, époque à laquelle le nom de ce centre prestigieux était tombé dans l’oubli complet. La collection s’orienta de plus en plus vers l’esthétique et les arts décoratifs. En 1845, Riocreux cosignait avec Brongniart le premier catalogue de l’ensemble des collections sous le titre de Description méthodique du Musée Céramique de la Manufacture Royale de Sèvres. En 1856, il remarqua l’existence d’une série homogène de pièces jusque-là attribuées à Rouen et redécouvrit ainsi l’existence du centre de Moustiers grâce à une correspondance avec le faïencier Fouque, installé à Toulouse (Collard-Moniotte, 1988, p. 24). L’influence du classement établi par Brongniart dans son Traité de 1844, adoptée par tous les auteurs suivants, fut déterminante pour la recherche de l’époque. Le musée actuel, construit sous le Second Empire, ne fut inauguré qu’en 1876 à cause de la guerre. Ainsi, des environs de 1844 jusqu’en 1876, l’histoire du musée de Sèvres s’inscrit en toile de fond et fournit un cadre chronologique parfait pour étudier les publications qui devaient marquer les étapes de la redécouverte et influencer l’orientation de toute la recherche céramique de manière déterminante. 4 Parallèlement au musée de Sèvres, d'autres structures furent créées à l’époque pour montrer les fameux objets, cause de toute cette agitation. Elles font encore aujourd’hui partie des principaux hauts lieux de la faïence. On a déjà eu l'occasion de mentionner le musée municipal de Nevers dont les collections, après l’échec de la donation Grasset en 1846, furent constituées autour du fonds Gallois, acheté en 1847 pour une somme modique. Le musée de céramique de Rouen sera inauguré en 1864 après l’achat de la collection Pottier, consécutive à l’exposition de faïences de Rouen organisée en 1861. Le 163 musée de Limoges, actuellement second musée national de céramique, fut fondé en 1867 par Adrien Dubouché, qui acheta la collection d’Albert Jacquemart en 1875. Les expositions industrielles 5 L’action des premières grandes figures de la céramologie s’inscrit aussi dans un contexte économique qui jette sur la redécouverte des productions anciennes un éclairage complémentaire. La première « Exposition des produits de l’Industrie française », organisée par François de Neufchâteau, eut lieu au Champ-de-Mars en 1798, puis la manifestation fut reconduite tous les deux ans jusqu’en 1806. Il s’agissait, pour le Directoire comme pour l’Empire, de stimuler ainsi le développement des industries nationales obligées de subvenir aux besoins du pays, tout en luttant contre les productions étrangères, et notamment anglaises. Le nombre des exposants, de 68 en 1798 – dont cinq manufacturiers de céramique – passa en 1806 à 1 400, dont un bon nombre de fabricants de terre de pipe et de porcelaine. Après les guerres de l’Empire, la nouvelle exposition industrielle eut lieu en 1819, puis tous les quatre ans par la suite. Louis XVIII, qui tint à la visiter le jour de sa fête, y passa cinq heures. La porcelaine jouait la carte de l’esthétique et du prestige tandis que la terre de pipe misait sur les innovations, les perfectionnements techniques et la production de masse (PlinvalSalgues, 1961, p. 84). Ces expositions industrielles furent d’abord nationales ou régionales, mais l’initiative d’une confrontation internationale des produits européens vint de l’Angleterre qui organisa la première exposition universelle en 1851 à Hyde Park, au Crystal Palace, construit spécialement pour la circonstance. Les fabricants français renoncèrent à exposer, par crainte de se mesurer aux Anglais, et la faïence participa très peu à ces manifestations. En 1855, ce fut le tour de la France, au Palais de l’Industrie des Champs-Élysées. La céramique sous toutes ses formes y tint une place de choix et se montra à un public émerveillé. « Aux expositions, c’est un monde pêle-mêle qui va de la tuile de toit aux cornues de laboratoire, ou aux porcelaines princières » (Ernould-Gandouet, 1969, p. 40). Une joute amicale s’engage : c’est à nouveau le tour de Londres en 1862, puis de Paris en 1867. Léon Arnoux se fait le chroniqueur de la céramique aux expositions universelles de 1851, 1857 et 1871, et Salvetat rédige un Rapport sur les arts céramiques, etc. à l’exposition universelle de Londres en 1854 et 1862. En 1878, c’est la fête de la Paix à Paris. Le mythe de Bernard Palissy 6 En dehors de l’impulsion donnée par Brongniart avec le musée de Sèvres et du contexte économique généralement favorable à la céramique montrée dans les expositions industrielles et universelles, il semble bien que la création du mythe de Bernard Palissy ait largement contribué à la naissance de l’intérêt pour les productions anciennes et à leur redécouverte. Ainsi, les auteurs de nombreuses publications commenceront par rendre un vibrant hommage à ce grand homme, ou y feront référence à un titre ou à un autre. Après la consécration décisive de l’Encyclopédie et la publication moderne de ses œuvres par Faujas de Saint-Fond en 1777, on peut dire que « la réhabilitation complète de Bernard Palissy fait partie du mouvement romantique », selon l’expression de Philippe Burty en 1886. « Dès que fut apaisé le tumulte de la Révolution et de l’Empire, l’engouement croissant pour le Moyen Age et la Renaissance, hier encore méprisés ; 164 l’amour du drame et du pittoresque ; l’essor de l’Histoire ; le souci patriotique de substituer aux héros de l’Antiquité classique les grands hommes issus du sol national, tout concourut, en effet, à conférer à Maître Bernard le nimbe héroïque du martyre, l’auréole du génie spontané des humbles et des simples supérieur à toute la culture livresque des docteurs » (Glénisson, 1990, p. 99). 7 En 1825, à Beaumont-le-Rotrou, près de Tours, le céramiste Charles-Jean Avisseau fait la découverte émerveillée d’une coupe ajourée et d’un bassin du XVIe siècle, attribués à Bernard Palissy dans la collection du Baron de Béseval, propriétaire de la fabrique qui l’emploie. En 1829, il installe un atelier à Tours, en compagnie de Landais, et tente d’imiter ces productions. Il a lui-même retracé sa recherche en ces termes : « Depuis ce moment jusqu’en 1843, essais infructueux, recherches, peines, misères et déceptions de toutes sortes ! En 1843, essais satisfaisants, réussite, progrès les années suivantes » (La céramique dans la région Centre, 1980, p. 105). Dès 1832-1833, Balzac projetait d’écrire un roman dont le héros serait Bernard de Palissy. On le retrouve sous les traits de David Séchard, l’inventeur malheureux des Illusions perdues, qui s’écrie : « A deux pas d’ici, à Saintes, au seizième siècle, un des plus grands hommes de la France, car il ne fut pas seulement l’inventeur des émaux, il fut aussi le glorieux précurseur de Buffon, de Cuvier, il trouva la géologie avant eux, ce naïf bonhomme ! Il souffrait la passion des chercheurs de secrets, mais il voyait sa femme, ses enfants et tout un faubourg contre lui. Sa femme lui vendait ses outils… Il errait dans la campagne, incompris !… Pourchassé, montré du doigt ! ». Présenté ainsi, on comprend qu’il ait fourni à cette époque l’image idéale du héros qu’elle se cherchait. En 1838, E. J. Delecluze publiait un Bernard Palissy, et Eugène Piot La vie et les travaux de Bernard Palissy en 1842. Significativement, la publication de ses Œuvres complètes date de 1844, année du Traité de Brongniart qui lui consacre un long développement et, l’année suivante, fait l’acquisition pour le musée de Sèvres d’un plat « au brochet » exécuté par Avisseau. Loué par Lamartine et Michelet, Palissy est considéré dès 1852 comme un des grands hommes de l’humanité, aux côtés d’Homère, de Cicéron, de Gutenberg et, bien entendu, de Jeanne d’Arc. Sous le second Empire, les travaux et les controverses se multiplient. On exhume quelques restes de la grotte des Tuileries, en 1855, 1865 et 1878. Tout le monde connaît son étonnante céramique – le plus souvent confondue avec celle de ses suiveurs – et l’ardeur ne faiblira plus jusqu’à ce que Bernard Palissy rejoigne dans l’iconographie officielle de l’école de la République le coureur de Marathon et l’incontournable vase de Soissons – céramique oblige –, pour qu’enfin le Stouvilhou des Faux monnayeurs dise tout haut ce que des générations d’élèves pensaient tout bas : « Bernard Palissy… nous a-t-on assez rasé avec celui-là ». Depuis, les précieux travaux archéologiques effectués près du Carrousel de 1984 à 1986 ont permis de recueillir plusieurs milliers de fragments, témoignages irréfutables de l’activité réelle de ce grand homme, et de réévaluer plus sereinement son œuvre et son importance (Revue de l’art, n° 78, 1987)1. Le goût pour la « curiosité » et les premières publications 8 Au moment même où disparaissaient les dernières manufactures de faïence stannifère traditionnelle, le tournant du XIXe siècle vit un regain d’intérêt considérable pour toutes les formes de productions anciennes, meubles, statuettes, monnaies et médailles, 165 émaux, livres rares et, bien entendu, céramiques antiques, faïences de la Renaissance et des siècles passés, témoignages de l’art des glorieuses époques révolues qui relevaient alors du domaine généralement évoqué comme celui de la « curiosité ». Au fur et à mesure que les nouvelles céramiques se répandaient dans tous les usages les plus quotidiens et les plus triviaux de la vie domestique, se faisait également sentir le besoin d’un retour aux pièces anciennes qui paraissaient échapper à ce mouvement. Comme toujours, ce courant avait été précédé par quelques précurseurs, érudits passionnés ou collectionneurs régionaux – tel ce baron de Béseval cité plus haut – qui avaient amassé des quantités incroyables d’objets rares et précieux, d’autant plus que, la mode ne s’en étant pas encore répandue, ils pouvaient se les procurer sans grandes difficultés. Peu ou prou, chaque région rend grâce aujourd’hui à ces excentriques visionnaires – héritiers des possesseurs de « cabinets de curiosités » des siècles précédents, comme Peiresc, l’abbé Nicaise ou La Mure – qui, par un don ou une vente, ont posé les premières pierres des collections d’art décoratif de nos musées de Province. La région de Nevers en offre quelques exemples caractéristiques. Louis-Auguste Grasset (1799-1879), dit « Grasset-aîné », propriétaire et maître de forges à La Charité-sur-Loire, possédait un important cabinet d’antiquités égyptiennes, grecques, romaines et chinoises, et collectionnait émaux, tableaux, médailles et faïences. En 1846, il offrit le tout à la Ville de Nevers, mais les partenaires ne purent se mettre d’accord. Finalement, en 1847, l’Alliance des Arts organisa la vente publique de ses collections d’« Histoire naturelle, Curiosités, Médailles, Faïences de Palissy, de Nevers, de Rouen, etc. ». Établi à Varzy, dans la Nièvre, il recommença une autre collection et, à la fin de sa vie, en fit un don qui constitue aujourd’hui l’essentiel du fonds du musée local qui porte son nom. Jacques Gallois (1790-1852), qui possédait une importante bibliothèque nivernaise, était collectionneur d’émaux, de monnaies et médailles, de statuettes, de meubles, de boiseries, de médaillons de Nini et de faïences, qu’il céda à la ville de Nevers et à son musée en 1847 pour la modique somme de 5 000 francs. 9 Dès la première publication de Brongniart intitulée Essai sur les arts céramiques, en 1830, quelques études sur la faïence se mirent à éclore. C’est ainsi que l’on commença à s’intéresser à la faïence de Nevers bien avant le livre de du Broc de Segange, publié à Nevers en 1863 : Champfleury signale une publication anonyme intitulée Art céramique. Manufactures de faïence de Nevers en 1843, et un De l’art céramique dans le Nivernais, par un certain Groüet, en 1844, suivis, en 1847, d’un ouvrage sur Le musée de la Nièvre et la cession du cabinet de M. Gallois, par F. Wagnien. De même, avec la vogue de la Renaissance, les « curieux » tournèrent très tôt leurs yeux vers la majolique italienne du XVe et du XVI e siècles. Henry Barbet de Jouy faisait paraître Les Della Robbia et leurs travaux en 1855, deux ans avant la publication de l’incontournable Li tre libri dell’arte del vasaïo, du Cavalier Picolpasso, aussitôt traduit dans un vieux français caractéristique de l’époque et publié par Claudius Popelyn en 1860. 10 La parution de la Gazette des Beaux-Arts, en 1859, correspond exactement à la reconnaissance de l’engouement pour la « curiosité ». Sa lecture attentive permet d’expliquer le processus de découvertes successives qui se mit alors en place, en suivant pas à pas les diverses manifestations des érudits locaux et autres auteurs céramologues. L'auteur de l'introduction au premier numéro de cette revue, Charles Blanc, analyse le phénomène de la « curiosité » de manière générale avec beaucoup de discernement. Il y voit des causes qu'il est utile de rappeler rapidement pour comprendre dans quel esprit on a commencé, à travers la Gazette des Beaux-Arts, à s'intéresser aux productions de 166 faïence, pour les collectionner aussi bien que pour faire des recherches à leur sujet, l’un allant bien souvent de conserve avec l’autre. Le premier élément d'explication est d'ordre socio-économique : « La France a vu surgir de toutes parts des fortunes subites comme au temps de Law, et il s'est trouvé que les millionnaires de la veille, s'improvisant amateurs, se sont passé la fantaisie d'aimer la peinture, et le luxe de s'y connaître. De là ce renchérissement extraordinaire de tous les objets d'art, et particulièrement des livres où l'on espérait puiser à la hâte et en secret l'érudition du quart d'heure. De là cet encombrement des salles de ventes ». L'auteur met également en avant le rôle capital joué par l’exposition universelle de Londres évoquée plus haut, et « l'occasion de voir de belles choses et d'être averti de leur beauté, de se trouver en présence de tant de merveilles accumulées dans ces palais lumineux où l'univers se montre à l'univers, où l'art se fait illustre », qui ne manque pas de susciter ce « désir d'initiation aux grands mystères de l'art ». En troisième lieu, il souligne à juste titre que la critique d'art s'est transformée, sous l'influence de celle de l'Allemagne, pour devenir « réservée, attentive, studieuse », donnant davantage de satisfaction à un « lecteur, devenu à son tour, plus difficile, demandant moins de raisonnements vagues et plus de faits certains ». Enfin, il ne manque pas de noter le rôle actif de ceux qu'on nomme souvent les « érudits locaux » : « Et, pendant ce temps, du fond de leur province, mille et mille amateurs [nous] envoient le fruit de leurs avides recherches » (Gazette des Beaux-Arts, t. I, p. 8-15). Le premier article sur les Anciennes faïences françaises apparaît dès le t. II de 1859, p. 142, et la revue consacre un espace à la bibliographie céramique dès le t. III, daté de 1861. 11 Le cas de Meillonnas fournit un bon exemple du processus d’aller-retour mis en œuvre par l’existence et l’activité de La Gazette des Beaux-Arts. Dès sa naissance en 1859, Albert Jacquemart se signalait comme un des hommes les plus actifs dans le domaine de l'étude de la faïence, auteur, avec E. Le Blant, du premier article sur les « Anciennes faïences françaises » paru dans le n° 2 de cette revue la même année. En 1863, dans « Les Poteries du midi de la France, Étude à propos d'un livre publié par M. J. C. Davillier », Albert Jacquemart mentionnait pour la première fois « Meillones », et l’existence d’une pièce signée de la fabrique de Meillonnas. Cette publication « suscita des explications de M. Etienne Milliet ; et, dès lors, l'histoire de Meillonas (sic) fut éclairée ». En 1871, Albert Jacquemart, dans son ouvrage intitulé Les merveilles de la Céramique, reprenait l'essentiel des renseignements que Milliet lui avait fournis en 1864, données que Milliet développera par la suite dans ses propres publications de 1876 et 1877. Etienne Milliet offre l’exemple type de ces correspondants régionaux qu'évoque Charles Blanc, et que l'on a parfois tendance aujourd'hui à qualifier d'« érudits locaux » avec une légère condescendance, en oubliant trop le rôle déterminant que ces pionniers ont souvent joué dans l'étude des arts décoratifs durant le dernier tiers du XIX e siècle. Leur principal mérite est d'avoir publié les archives qui retracent précisément l'histoire des débuts des fabriques, et décrit des pièces importantes dont nous avons parfois malheureusement perdu la trace. La reproduction photographique permit également aux amateurs d'avoir une idée précise de l'aspect de ces faïences à une époque où la grande majorité des rares pièces reproduites dans les publications l'étaient sous la forme de gravures qui ne donnaient bien souvent qu'une vague idée des objets. Dans la même veine, il faut également signaler l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux. Notes and queries français. Questions et réponses, « Communications diverses à l’usage de tous », dont le premier numéro parut en 1864, et dans lequel Riocreux eut souvent l’occasion d’intervenir. 167 Les années folles : publications, controverses, collectionneurs, faussaires et copies Une avalanche de publications 12 « Parmi tous les objets d’origine diverse dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle la curiosité, la céramique occupe une place tellement envahissante qu’on la dirait en passe de tout absorber. La révolution qu’elle provoque aujourd’hui, dans ce monde fantasque qui peuple les cabinets et les étagères, n’est pas sans analogie, toute proportion gardée, avec la révolution sociale qui marqua la fin du siècle dernier » écrivait André Pottier avant sa mort en 1867. Le déferlement progressif des publications céramiques se manifesta dès les années 1858-1859 avec des études aujourd’hui peu connues comme les Anciennes industries marseillaises, faïences, émaux, verres, porcelaine d’A. Morteuil, Les carrelages émaillés du Moyen-Age d’Émile Amé, les Anciennes faïences françaises d’Albert Jacquemart et Edmond Le Blant, et la Notice sur les faïences de Moustiers, d’A. Tainturier. Parmi les nombreux titres qui suivront à une cadence soutenue, on retiendra surtout la Notice sur les faïences du XVIe siècle, dites de Henri II de Tainturier et l’Histoire des faïences hispano-moresques du Baron Davillier, parus en 1860 et1861, car ils ont marqué le vocabulaire et le goût de nombreuses générations d’amateurs jusqu’à une date fort récente. Le Guide de l’amateur des faïences et porcelaines, première tentative de synthèse en date sur le sujet, publié par Auguste Demmin en 1861 et réédité plusieurs fois jusqu’en 1873, mérite cependant que l’on s’attarde un peu. En effet, il a non seulement été la première bible des collectionneurs de ces décennies – et la source de bon nombre d’erreurs largement propagées –, mais il a également alimenté une ardente polémique menée dans les colonnes de la Gazette des Beaux-Arts. Il faut dire qu’Auguste Friedrich Demmin était allemand, né en 1817 à Berlin, ce qui explique en grande partie la 168 violente et non moins savoureuse critique qu’en fit le Républicain Champfleury, et permet également de retrouver toute l’atmosphère de l’époque, d’en comprendre les enjeux, et de replacer ces ouvrages dans leur contexte historique. « Ayant attaqué d’un ton acerbe la plupart de ceux qu’il mettait à contribution, il devait s’attendre à de légitimes représailles ; aussi était-ce surtout avec M. Demmin qu’il convenait de faire appel à la plus large impartialité. Etranger et cordialement accueilli de tous en France, il a dans ses livres, systématiquement rabaissé la nation qui lui donnait l’hospitalité ; après avoir fait appel aux lumières des savants et des chercheurs, il a essayé d’entamer la réputation de ceux qui avaient mis leurs connaissances à son service. Connaissant plus qu’imparfaitement la langue française, M. Demmin l’a malmenée avec brutalité dans ses écrits ; plus ignorant encore des termes scientifiques, il parle technique, chimie, fabrication, comme s’il jetait en l’air tous les mots du dictionnaire pour les rattraper au vol. Loin de chercher à faire oublier son manque de méthode, son ignorance par la modestie, M. Demmin s’est montré arrogant, se donnant comme possédant à lui seul la connaissance de la céramique industrielle et artistique. Et cependant, malgré de nombreuses bévues, les livres de M. Demmin auront offert peutêtre quelque utilité à ceux qui, posant un pas prudent au seuil de toute science, réfléchissent, contrôlent et rectifient. Pour le gros des lecteurs qui croient à toute affirmation d’un auteur, une cacologie aussi considérable que le guide de M. Demmin eût été nécessaire […] le confusionnisme germain des petits esprits se montre aussi clairement que de l’huile dans du vinaigre quand il prétend se mêler à la clarté française » (Champfleury, 1881). 13 La faïence, les faïenciers et les émailleurs de Nevers, publié par Louis du Broc de Segange en 1863, et Histoire de la faïence de Rouen, ouvrage posthume d’André Pottier paru en 1869, parmi les plus connus et les plus cités, constituent un cas particulier de monographies de centres faïenciers réalisés par des auteurs collectionneurs. Leur motivation première venait du fait qu’ils s’étaient découvert des liens de parenté avec des faïenciers célèbres des centres considérés. Il n’en est pas moins vrai qu’ils restent de bons exemples d’un travail fort consciencieux pour l’époque. Le « Pottier » a été réédité tel quel en 1986 – avec adjonction de superbes photos, toutefois – et j’ai moi-même tenté, avec de nouveaux moyens, de donner une suite moderne au livre de du Broc de Segange 2. 14 Parmi les autres publications importantes, quelques-unes méritent plus particulièrement d’être signalées, pour une raison ou pour une autre. L’Histoire de la poterie et de la porcelaine de Joseph Marryat, d’abord publiée à Londres en 1857, avant son Histoire des poteries, faïences et porcelaines de 1866, a eu son heure de gloire, mais elle a également souvent été l’objet de controverses en raison de son imprécision. Faïences et porcelaines de Moustiers, Marseille, et autres fabriques méridionales. par le baron J. Charles Davillier, en 1863 – dédié à Riocreux –, donna les premiers éléments de référence sérieux sur les fabrications provençales de Moustiers, Varages, Marseille, Aubagne, Apt, Montpellier, etc. Cette étude relativement bien documentée pour l’époque semble avoir involontairement participé à la propagation d’erreurs célèbres comme l’attribution à Marseille des pièces signées d’une fleur de lys, aujourd’hui largement reconnues comme issues de la manufacture de Chapelle, à Sceaux. À travers cet exemple, on peut mettre en évidence un processus souvent constaté, générateur d’erreurs qui ont longtemps perduré et qui continuent encore à être commises par bon nombre d’amateurs. Davillier disait par exemple qu’« on a attribué à Savy certaines pièces 169 portant au revers une fleur de lis qu’il aurait adoptée comme marque après la permission qui lui fut accordée par le frère du roi de mettre sa fabrique sous sa protection. Cette attribution, qui ne manque pas de vraisemblance, a été adoptée au musée de Sèvres… Je dois faire observer que la fleur de lis a dû être adoptée comme marque par plusieurs fabriques, car elle se trouve sur des pièces d’aspect trop différent pour qu’on puisse leur attribuer la même provenance. Cette fleur de lis est quelquefois accompagnée des lettres C et S. Les pièces ainsi marquées n’ont pas d’analogie avec les faïences marseillaises ; de plus, on ne saurait y retrouver les initiales de Savy, dont le prénom était Honoré » (Davillier, 1863, p. 111). Hélas, les sages précautions fréquemment énoncées par les premiers auteurs sérieux ont souvent été reprises sans autre état d’âme par les auteurs postérieurs, beaucoup moins bien documentés et beaucoup moins circonspects, qui ont transformé des hypothèses prudemment annoncées en vérités assénées avec force auprès d’un public crédule avide de certitudes simplistes. On pourrait en citer ainsi un bon nombre d’exemples concernant toutes sortes de fabrications, jusqu’à une date fort récente. 15 Après des études nouvelles sur des centres importants comme Sinceny ou Lyon, les amateurs purent découvrir Les merveilles de la céramique, en trois tomes, par Albert Jacquemart, paru en 1866 et réédité en 1871, avant son Histoire de la céramique de 1873. Dans un style caractéristique de la culture et des habitudes de cette époque, Riocreux y est présenté comme le « Nestor des études céramiques » (p. 55). Le classement adopté, ici comme dans la plupart des ouvrages de l’époque, est d’ordre géographique, permettant « de ne point scinder les grandes familles partielles qu’une conformité d’usages, une unité de goût, ont naturellement créées autour des grands centres intellectuels » (p. II). Des générations d’amateurs et de collectionneurs ont longtemps considéré ces publications encyclopédiques, extrêmement sommaires et souvent imprécises, propagatrices des erreurs majeures de l’époque, comme une véritable Bible, d’autant plus qu’elles étaient accompagnées de tables de marques qui permettaient des attributions présentées comme certaines, preuves apparentes qui suffisaient grandement au public d’amateurs de curiosités qui les consommait avec avidité. De tels ouvrages ont assuré à une terminologie aujourd’hui contestée une large diffusion qui perdure de nos jours. 16 On peut en citer quelques morceaux choisis, à titre d’exemples caractéristiques, comme « Cet émail peut être embelli par deux procédés différents : la peinture au grand feu et la peinture au moufle ou au petit feu » (III), expression erronée à l’origine du terme qui, comme on l’a vu plus haut, continue à être employé à la place de réverbère ; « Dans les spécimens ordinaires [de Strasbourg], les fleurs sont chatironnées, c’est-à-dire entourées d’un trait noir » (p. 11)3. On y retrouve les jugements esthétiques à l’emporte-pièce caractéristiques de l’époque, comme celle-ci, fort savoureuse : « L’École de Moustiers implante un rameau en Espagne pour nous ramener, en échange, un genre polychrome d’assez peu de goût : ce sont les bouquets jetés, les guirlandes, associées à quelques bribes d’ornementation française, et surtout les grotesques, dont nous sommes heureux de pouvoir rejeter la responsabilité sur un peuple voisin » (p. 11). On y retrouve fréquemment le terme de « décadence », manifestation caractéristique d’un jugement de valeur arbitraire relevant de l’histoire du goût, et dont les acceptions diverses et contradictoires selon les gens, les modes et les époques montrent à l’évidence l’inadaptation à décrire ou à apprécier quoi que ce soit. On pourrait relever ce terme employé par de nombreux auteurs dans un nombre impressionnant de publications jusqu’à ce jour sans pouvoir en tirer de conclusions sur les manifestations 170 spécifiques ou les dates supposées de ce phénomène. Il est symptomatique de constater que Jacquemart, par exemple, emploie l'expression de « décadence italienne » pour qualifier la production du Florentin Antoine Tempesta alors que ses gravures sont, en revanche, et selon les mêmes auteurs, à l'origine du « grand style » de l'époque glorieuse de Moustiers (G.D.B.A., 1863, p. 254). Autre exemple d’a priori manifesté par Davillier : parlant d’une pièce datée de 1778, il déclare que « la décoration était déjà en décadence à Moustiers », et ajoute plus loin : « cette recherche ne serait que d’un intérêt tout à fait secondaire, à cause de la vulgarité de ces faïences » (Davillier, 1863, p. 69-71). On pourrait faire un commentaire global quasiment identique à propos de l’Histoire générale de la faïence ancienne française et étrangère considérée dans son Histoire, sa Nature, ses Formes et sa Décoration, 200 planches en couleur retouchées à la main et 1 400 marques et monogrammes de Ris-Paquot, artiste peintre et éditeur, paru en 1874 et 1876 4. 17 Pour nous limiter à 1880, date adoptée par Champfleury dans sa Bibliographie céramique, il faut enfin signaler les diverses publications consacrées aux faïences dites « populaires » et « patriotiques », comme La faïence populaire au XVIII e siècle, du pionnier A. A. Mareschal (1872), Les faïences de l’Auxerrois d’Aimé Chérest (1874), l’ Histoire des faïences patriotiques sous la République de Champfleury (1876) ou l’ouvrage de Grasset aîné sur le Musée de la ville de Varzy (Nièvre), céramiques – historique de la faïencerie (1876). On considère aujourd’hui ces amateurs hardis comme les précurseurs d’un intérêt pour les faïences patriotiques, dites « populaires » ou régionales, qui ne s’est jamais démenti depuis. Mais dans une époque d’engouement général pour la faïence, il faut essentiellement y voir la manifestation politique chez ces auteurs céramologues de leurs idées républicaines. Par la nature même de la céramique qu’ils choisissent de mettre en avant, ils s’opposent à la bourgeoisie conservatrice représentée par les auteurs cités aux paragraphes qui précèdent ; auteurs qui opèrent dans les productions un tri esthétique arbitraire correspondant plus à leurs a priori personnels qu’à une véritable différence de nature entre les objets. Collectionneurs, faussaires et copies 18 Cette avalanche de publications, on s’en doute, n’allait pas sans une intense activité tournée vers les pièces de collection, alimentant des échanges commerciaux divers et des transactions de tous ordres. Les collectionneurs se lancèrent dans une quête frénétique, à la recherche de témoignages subsistant des productions des siècles passés, quel que soit leur état de conservation. Significativement, en 1865, P. Thiaucourt fit paraître un Essai sur l’art de restaurer les faïences. À travers les personnages de Dalègre et Gardilanne, Champfleury, dans Le violon de faïence, paru en 1877, immortalisera le type du collectionneur passionné à la recherche incessante de faïences anciennes, affublé de manies caricaturales, qui aurait mérité une place parmi les Caractères de La Bruyère. On sait qu’il était lui-même un collectionneur invétéré de pièces « populaires » et patriotiques, et qu’il connaissait à merveille le monde interlope des amateurs de curiosités. L’apparition d’un marché de la faïence fort actif allait constituer un nouvel élément capital de ce renouveau d’intérêt pour les productions anciennes, étendant aussi bien son influence sur la production honnête des ateliers de l’époque, avides d’historicisme, que sur l’activité moins ostensible des faussaires de toute nature, qu’ils soient écrivains ou céramistes. 171 19 Benjamin Fillon, dont on a déjà eu plus haut l’occasion de voir à quel point il faut se méfier, constitue sans doute le meilleur exemple de l’activité de ces faussaires qui, à cette époque, ont fait des torts notables à la connaissance des productions anciennes et dont les erreurs, peu à peu démasquées, ont encore largement cours aujourd’hui auprès d’un public peu informé. Ses méfaits – comme ceux qui concernent les tombeaux de Brou et d’Anet – touchent également de nombreux domaines autres que celui de la céramique. « Éminent archéologue poitevin » et « amateur distingué », il passa sa vie à s’acharner à trouver dans cette région l’origine d’un certain nombre de productions qui intéressaient peu ou prou les amateurs de l’époque. « Originaire de l’Ouest, il aimait braquer les projecteurs de la recherche sur des documents nouveaux capables d’exalter l’inventivité et la science de ses concitoyens, poitevins et saintongeais […] Grand remueur d’archives, grand acquéreur de pièces spectaculaires, il amassa un certain nombre d’autographes douteux, forgés dans quelque officine dont il était ou la victime involontaire ou le complice » (Revue de l’art, n° 78, 1987, p. 84). Sa première publication importante, Les faïences d’Oiron, parue en 1862, est fort influencée par le Recueil de toutes les pièces connues jusqu’à ce jour de la faïence dite de Henri II, publication douteuse de Karl et Henri Delange (1861). On sait aujourd’hui que cette céramique n’a pas été produite à Oiron, mais peut-être à Saint-Porchaire, voire dans la région parisienne, et que ces séries fort rares comportent un nombre considérable de faux. Il en va de même du Devys d’une grotte pour la Royne, mère du Roy, pièce majeure dans l’histoire de la réhabilitation de Bernard Palissy, récemment démasquée (idem, p. 84). Sa deuxième publication, la plus connue, s’intitule L’art de terre chez les Poitevins (1864), titre tiré directement de l’œuvre de Bernard Palissy. Benjamin Fillon est également à l’origine du mythe de la fabrique du Croisic, déjà évoquée plus haut, ainsi que de celle de l’Île d’Elle, près de La Rochelle, dont tous les auteurs modernes refusent l’existence. Il est encore à la base de l’affirmation à la vie dure qui voit dans une série de faïences de réverbère marquées M. R. la marque de Marans-La Rochelle. Ces faïences sont datables des années 1770-1780, date à laquelle la manufacture de Marans était fermée depuis belle lurette. De récentes analyses ont confirmé en outre que ces séries n’ont rien à voir non plus avec les productions de La Rochelle, mais proviennent de Lunéville/Saint-Clément (Rosen, 1995, p. 178, n° 275). 20 De manière générale, dans le domaine de la céramique comme dans bien d’autres, le XIXe siècle fut celui de l'imitation, avouée ou non. Henry Havard, inspecteur des BeauxArts, a brossé un tableau synthétique révélateur de l’esprit du dernier tiers du XIXe siècle à ce sujet : « Après avoir longtemps sommeillé, et même après avoir été sur le point de disparaître complètement devant l’invasion de la porcelaine, la faïence a pris tout à coup un nouvel essor. Sa production a brusquement atteint un développement inattendu. Des applications nouvelles ont été créées, et, grâce aux progrès réalisés par la chimie et par la mécanique, nos faïenciers peuvent aujourd’hui reproduire scientifiquement tous les ouvrages fameux que les céramistes anciens n’avaient obtenus qu’accidentellement, et par les heureux hasards d’un ingénieux empirisme » (Havard, s. d., t. II, p. 100). Déjà, sous la Restauration, à propos de Mme Jacquotot, peintre sur porcelaine et copiste célèbre, un commentaire admiratif soulignait : « Copier ainsi, c'est créer ». Le goût de la fin du XIX e siècle pour la céramique ancienne se porta bien évidemment sur les productions les plus prestigieuses, et surtout celles dont on parla en premier. On retiendra de toute façon que les faux et les copies n'ont pas pu être produits avant que les originaux soient connus et diffusés, ni avant qu'on ait commencé à s'intéresser aux pièces anciennes : 172 les faux sont des faïences à part entière et leur production s'inscrit dans un contexte historique, culturel, et économique bien déterminé, au même titre que celle des pièces authentiques. Le goût pour les faïences anciennes poussant à les reproduire, on assista, vers 1870-1880, à un déchaînement des faussaires 5. L'exposition universelle de 1889 sera encore envahie par les reproductions de Rouen, Nevers, Moustiers et Strasbourg. En l’absence de marques reconnaissables, il est aujourd'hui bien souvent impossible de distinguer les copies ou les pastiches des faux, c’est-à-dire les produits honnêtes nés de cette frénésie imitative de ceux qui sont effectivement le fait des faussaires. 21 Après l'extraordinaire vogue des imitations de Palissy, toutes les régions de France, ou presque, eurent leur atelier produisant, avec plus ou moins de bonheur et d'honnêteté, ce qu'il est convenu d'appeler pudiquement des « suites de Palissy ». Parmi celles-ci, les pièces signées d'Avisseau et de l'École de Tours ou de Pull et de l'École de Paris sont les plus célèbres, et souvent les meilleures, ce qui n'exclut pas quelques pièces d'une rare qualité, non signées, fleurons de quelques anciennes collections et dont la modernité récemment prouvée a causé bien des déconvenues. Autre style célèbre, très en vogue et par là même très imité, la majolique italienne de la Renaissance a donné lieu à de multiples répliques de toute nature, et pas seulement en Italie, comme dans les ateliers Cantagalli à Florence, Ginori à Doccia ou Minghetti à Bologne 6. Si l'on veut, par exemple, mesurer l'importance générale des imitations des Belle Donne, illustrées avec éclat par Castel Durante au XVIe siècle, on regardera avec intérêt des pièces peu connues, mais « honnêtes », comme celles signées de Brisson à Bourg-la-Reine (Musée de Grenoble, inv. IS 88), de Prost à Charolles ou de Lavalle à Premières, toutes réalisées vers 1880. On peut également évoquer ici les pastiches des céramiques silico-alcalines d'Iznik, réalisées à la suite des travaux de Théodore Deck – révélés eux aussi dès 1855, et d'une importance capitale dans l'évolution du goût pour les céramiques anciennes –, en montrant, par exemple, des pièces marquées de La Hubaudière à Quimper, dont la fabrique a par ailleurs multiplié les répliques d'anciennes faïences de Rouen, à l’exemple des grands plats à décor « à la double corne », également signés HB (Rosen, 1995, p. 210-218). 22 Une autre catégorie d'imitations signées, fabriquées au même endroit que les productions anciennes quelques années après la fermeture ou l'abandon des fabriques, alla jusqu'à utiliser les moules et les signatures des pièces du siècle précédent : ainsi Girard, puis Jacotin, à Aprey, de 1858 à 1885, dont quelques assiettes « aux oiseaux de Jarry » sont souvent confondues avec les originaux. On peut signaler également l'expérience d'Eugène Huillier, de 1868 à 1888, qui s'associa avec Signoret, l'un des derniers faïenciers de Nevers, pour fabriquer, à partir de biscuits fournis par celui-ci, des imitations d'anciens décors de Nevers et des pièces d'inspiration rouennaise, toutes signées de son monogramme NHE. D’autres exemples caractéristiques ont été inspirés par la production rouennaise, montrée dans le livre de Pottier en 1870 : c’est le cas du célèbre service aux armes d’Eustache de Bernart d’Avernes (Rosen, 1995, p. 216, n° 352) et de plusieurs pièces connues portant au revers la fausse marque faict à Rouen 1647, accompagnée d'une fleur de lys hachurée inspirée de la célèbre signature attribuée à Poterat figurant au revers d'une autre pièce du même centre. On pourrait multiplier les exemples de faux Strasbourg, de faux Marseille – la marque VP de la Veuve Perrin est sûrement celle qui a été la plus copiée –, de faux Niderviller, portant tous les célèbres marques H, VP et X. Il faut également mentionner les faux Moustiers, et tout spécialement les faux décors mythologiques d'Olérys, car ils ont donné lieu à une production abondante et caractéristique : on trouve souvent, à la sous-face de ces 173 pièces, une imitation des célèbres O et L mélangés, mais dans laquelle le L majuscule se lit davantage comme un P. Ces séries ont probablement été faites, comme beaucoup d'autres, dans les ateliers de la maison Samson, à Montreuil 7. Il y avait là toute une collection de « documents anciens », dûment étiquetés ; les mémoires de Pierre Suchaud, ouvrier faïencier à Nevers, rédigées vers 1926, nous disent qu’« on y travaillait beaucoup pour les antiquaires » (Guyonnet, 1938, p. 20). Les confusions ont dû commencer très tôt : le musée municipal de Vendôme en possède une assiette (inv. 1403), entrée dans les collections circa 1885. 23 Champfleury a bien résumé – quoique de manière un peu idyllique – l’esprit caractérisant le phénomène de redécouverte des productions anciennes par ces érudits : « La science qu’ils ont pu acquérir, ils se la communiquent comme des pierres que se passent les maçons pour élever un monument » (Champfleury, 1881, p. XI). On peut aussi bien évoquer l’expression de « république d’amateurs » utilisée récemment par Robert Montagut à propos de l’atmosphère liée à l’étude de la faïence pharmaceutique, de 1932 à 1962. « Tous autodidactes [ou presque], et pour cause, puisque tout dans ce domaine était à découvrir, ils avaient avec leurs objets à la fois cette familiarité matérielle et cette adhésion affective qui font les bons ouvriers de la recherche » (Montagut, 1992, p. 32). Les citoyens érudits de cette république étaient souvent liés d’amitié, échangeant entre eux objets et connaissances. La fructueuse collaboration entre le musée (Brongniart, Riocreux, Champfleury), l’édition (la Gazette des Beaux-Arts, entre autres), les érudits locaux innombrables, les amateurs et le marché a permis un développement extraordinaire des connaissances en un temps record. S’il n’est pas interdit de juger sévèrement quelques excès regrettables ou quelques auteurs particulièrement douteux et incompétents, en passant outre les élans stylistiques empreints d’un lyrisme pompeux et les phrases ampoulées qui caractérisent le ton de l’époque, force nous est aujourd’hui de reconnaître que, dans leur grande majorité, ces travaux ont lancé les bases de la connaissance, pour tracer des chemins qui ont longtemps permis d’explorer cette forêt inextricable. 24 Pour rester dans les limites chronologiques fixées au début de cet ouvrage – qui traite de l’histoire de la faïence stannifère en France, de son apparition à sa chute, et du phénomène de la redécouverte des productions anciennes – ; je ne parlerai guère des grandes étapes de la recherche qui caractérisent l’extrême fin du XIX e siècle et le siècle suivant. Qu’il me suffise de mentionner pêle-mêle, à titre d’hommage respectueux, quelques grandes figures disparues et quelques ouvrages incontournables de l’histoire de la céramologie : les abbés Requin et Arnaud d’Agnel, Georges Musset, Roger de Quirielle, Georges Papillon, Charles Damiron, Jean Thuile, Hans Haug, le docteur Jules Chompret, le Répertoire de la faïence française (1935) – aboutissement de la grande exposition parisienne La faïence française de 1525 à 1820, qui comprenait 3 337 pièces – et les Cahiers de la Céramique et des Arts du Feu (de 1955 à 1977), sans oublier Henry-Pierre Fourest, conservateur du Musée de céramique de Sèvres de 1945 à 1980. 174 Assiette, Ø 24 cm, copie de Moustiers, fausse marque F, fin du XIXe siècle attribuée à Montpellier XVIIIe siècle par J. Thuile, Montpellier, Musée de la Soc. Arch NOTES 1. Voir Une Orfèvrerie de terre, note 19 p. 54, Bernard Palissy, mythe et réalité, coll., Musée de Saintes, 1990 et Poirier J.-P., Bernard Palissy – Le secret des émaux, Pygmalion, Paris, 2008. Il existe actuellement un programme de recherche collectif officiel sur le sujet, baptisé Figulines. 2. Rosen 2009 et 2011. 3. Voir l’explication de cette erreur dans la partie technique. 4. On peut être pour le moins surpris de la très récente réédition de Ris-Paquot, O-E, Nouveau dictionnaire des marques et monogrammes des faïences, poteries, grès, terres de pipe, terre cuite, porcelaines, etc. anciennes et modernes... 2 700 marques, Hachette Livre, BNF, 2016. 5. Mareschal A. A., La céramique et les faussaires, 1875, et Rosen J., « Imitations et faux en faïence : quelques exemples », 5e Colloque national de céramologie, Paris, 1 et 2 décembre 1990. 6. In Sinne der Alten… Italienische Majolika des Historismus, Weserrenaissance Museum Schloss Brake, Hatje, Ostfildern-Ruit, 1995. 7. Slitine F., Samson, génie de l'imitation, Massin, Paris, 2002. 175 Chapitre 16. Les nouvelles voies de la recherche « Où manque le doute manque aussi le savoir » (Wittgenstein). 1 « Il en a été des faïences comme de toutes ces raretés qui passent de main en main. D’abord, on s’est mis à les rechercher, à les réunir en collection ; puis la science a demandé au passé les secrets de sa fabrication, puis enfin on a voulu connaître les origines de nos anciennes fabriques, distinguer leurs marques et reconstituer leur histoire. C’est bien là le caractère distinctif, la tendance de notre époque : dans son amour passionné de la recherche, elle ne dédaigne aucun détail ; elle se complaît à étudier l’art dans ses plus modestes produits aussi bien que dans ses plus brillantes manifestations ». Si ces belles paroles, exprimées par le comte de La Ferrière-Percy en 1862, restent plus que jamais d’actualité, il convient néanmoins de faire un examen critique des méthodes employées pour effectuer cette recherche et de présenter un bref panorama des apports les plus récents en la matière. Critique et limites de la méthode stylistique comparative 2 Dès la redécouverte des productions anciennes longuement évoquée ci-dessus, on a essentiellement eu recours à deux méthodes bien distinctes : la classique recherche d’archives et la comparaison stylistique effectuée à partir de pièces de référence, dans la mesure du possible signées ou sûres. La recherche d’archives, malgré des limites et des restrictions évidentes dues à l’immensité de la tâche et aux lacunes inévitables, ne pose que des problèmes connus. Une méthode assez rigoureuse peut permettre des résultats intéressants, comme ceux publiés par de nombreux auteurs de monographies de l'époque : du Broc de Segange, Pottier, l'abbé Requin, Thuile et bien d’autres. Quant aux pièces, elles posent un autre type de problème, quasiment insoluble, et l’on arrive vite au dilemme fort bien résumé par Robert Montagut : « L’examen critique de cette classification doit commencer par une remarque de principe. Ce n’est pas la première fois qu’un chercheur, disposant à la fois d’un certain nombre de potiers et d’un certain 176 nombre de pièces rencontre ce problème : à qui attribuer quoi ? Entreprise hasardeuse, dans laquelle nous serions aujourd’hui plus réservés, mais qui a l’avantage d’exprimer des hypothèses, et toujours la possibilité d’être rejetée » (Montagut, 1992, p. 33). 3 Jusqu’à une date récente, notre connaissance de la faïence ancienne reposait en fait le plus souvent sur ces études qui, partant d'objets exceptionnels ne reflétant qu'une partie infime de la réalité d'une production, procèdent par assimilations successives et finissent par s'étendre abusivement pour ne plus recouvrir la moindre réalité. Ces « beaux objets », pour la plupart collectionnés dès le milieu du siècle dernier et dont une grande partie se trouve aujourd'hui dans les vitrines des musées, ont été la préoccupation quasi-exclusive des auteurs « sérieux » et, dans l'ensemble, étudiés de manière correcte quoiqu'assez superficielle. Cependant, c'est à partir de ces études qu'on a progressivement étendu les champs d'attribution, dans un dangereux processus de glissement et de dépassement qui a surtout servi les intérêts d'amateurs avides et de commerçants peu scrupuleux ; d'autre part, on a abandonné aux collectionneurs régionaux le terrain moins prestigieux des productions plus modestes, pourtant souvent produites au même endroit, parfois en même temps et par les mêmes ouvriers, permettant aux affirmations sans fondement, aux études hâtives et aux idées les plus fantaisistes d'acquérir progressivement droit de cité jusqu'à être reconnues et acceptées par une grande partie de la communauté d'amateurs et de spécialistes. La seule méthode stylistique comparative, utilisée avec beaucoup de précautions par des auteurs compétents, a certes permis quelques études remarquables, et continue parfois d’en produire, mais elle atteint vite ses limites en se heurtant inévitablement au manque de références de base. Nécessité d’une nouvelle approche 4 Héritière des pionniers à qui elle doit les premières découvertes et les premiers tâtonnements, mais aussi tributaire de leurs qualités et de leurs défauts, la recherche actuelle s’oriente cependant vers de nouvelles directions avec des méthodes d’investigation spécifiques qui permettent une approche renouvelée de ces problèmes dont la complexité infinie nous autorise à penser qu’ils ne trouveront jamais de solution définitive. Contrairement à ce que peut parfois laisser penser la lecture des ouvrages de vulgarisation consacrés à la faïence, je ne crois pas qu'il s'agisse d'un domaine simple où les productions de telle ou telle fabrique pourraient se distinguer aisément par tel ou tel décor. On l’a assez montré ici, la faïence a été un produit manufacturé – dont les pièces décorées qui sont parvenues jusqu'à nous ne représentent qu'une bien faible partie – essentiellement fabriqué pour être vendu, et par là même soumis à l'évolution et aux contraintes de la mode. En tant que telle, elle a obéi à des impératifs historiques et économiques bien particuliers, et il n'est pas possible de déterminer les caractéristiques d'une production donnée ni d'envisager son étude ex nihilo sans tenir compte en même temps du contexte dans lequel elle a été fabriquée, pris dans son sens le plus large, aussi bien historique que géographique, national que local, et socio-économique qu'ornementique. 5 Nos connaissances actuelles en ce domaine commencent seulement depuis quelques décennies à nous permettre d'apprécier l'étendue de nos lacunes. En effet, si nous savons qu'à la fin de l'Ancien Régime, on comptait en France plusieurs centaines de fabriques, les attributions actuelles n'utilisent guère qu'une centaine de noms, et 177 encore cette partie émergée de l'iceberg est-elle bien mal connue. En dehors de quelques centres influents dont les plus belles productions des XVII e et XVIII e siècles ont fait l'objet d'études, que savons-nous au juste de la faïence de Paris ou de Mâcon, de Bordeaux et de Montauban, d’Ardus et d’Angoulême, pour n’en citer que quelquesunes ? Et connaissons-nous si bien celle de La Rochelle 1 ? Il semble qu'en ce domaine, on ait pris beaucoup de mauvaises habitudes et qu'on se contente trop souvent de quelques idées reçues, insuffisamment remises en question, pour se repérer au milieu de cette foule d'objets que le passé nous a laissés, évoqués par Paul Valéry dans un élan nostalgique empreint d'un doute salutaire, enchevêtrement complexe qui constitue ce que nous nommons la faïence française. Il n'est guère possible de s'appuyer uniquement sur les anciennes publications pour avoir un aperçu satisfaisant de la question, et une nouvelle approche est nécessaire : c'est la raison pour laquelle il semble important de mettre en œuvre des moyens d'étude plus approfondis, mieux adaptés et plus satisfaisants. 6 « Au moment où j’écris », disait du Broc de Segange en 1863, « c’est encore une science nouvelle à créer, surtout pour la France, que la science historique de la céramique. On a bien quelques documents épars, trouvés çà et là ; mais ils sont en si petit nombre et si peu concluants que, jusqu’ici, la lumière a peine à se faire au milieu de la confusion des différentes œuvres qui nous ont été léguées par une multitude de centres de fabrication, sans aucune marque de fabrique et avec des monogrammes indéchiffrables. Si encore ces documents étaient tous authentiques ; mais quelquefois ils n’existent que dans l’imagination des écrivains qui les ont publiés […] Quelle que soit néanmoins la difficulté de l’entreprise, je crois qu’elle peut être menée à bien, et que surtout elle n’est pas indigne de l’aptitude éminemment chercheuse de notre époque ». Peut-être est-il présomptueux de penser qu'une nouvelle science historique de la céramique commence effectivement à exister, mais toujours est-il que, depuis une quarantaine d’années, de nouveaux moyens d’investigation ont été mis en œuvre ici ou là, en France comme dans d'autres pays d'Europe. Ils concernent à la fois la recherche systématique d’archives et leur étude en grandes séries par des professionnels, l’archéologie des sites de production et d’utilisation de la faïence – considérée comme un produit, et non plus seulement à travers les belles pièces isolées – et les techniques d’étude du matériel et des pièces, reposant sur l’archéométrie et les analyses géochimiques de laboratoire. Ces progrès ont été rappelés en 1995 par le professeur Bojani, alors directeur du Musée International des Céramiques de Faenza : « Si, dans quelques cas, les critères d’attribution et les méthodologies traditionnelles se sont montrés une fois de plus obsolètes […] il est nécessaire de rappeler que le développement des techniques archivistiques, iconographiques et iconologiques, mais également et de façon encore plus pointue, des techniques archéométriques et celles de l’archéologie postclassique, a conduit à distinguer de façon plus nette la production des centres renommés et à en redécouvrir d’autres, oubliés par le temps. Dans l’ensemble, nous pouvons dire que ces techniques ont renouvelé notre vision de la céramique […], même si cette réalité doit encore être précisée par bien des aspects, et que de nombreuses incertitudes demeurent » (Bojani, 1995, p. 7). 178 L’archéologie de la faïence 7 On peut considérer l'archéologie de la faïence comme une branche spécifique de ce qu'il est convenu aujourd'hui d'appeler l'« archéologie industrielle », terme directement traduit de l’anglais industrial archaeology qui apparut pour la première fois sous forme imprimée dans un article de Michael Rix, de l'Université de Birmingham, dans la revue Amateur Historian en 1955. Il est souvent contesté aujourd'hui, et c'est la raison pour laquelle il figure ici entre guillemets (Raistrick, 1972, p. 2). Dans la mesure où elle permet de reconnaître et d'étudier des structures, des procédés de fabrication et des productions qui sont ceux des établissements céramiques datant notamment de l'époque de la Révolution industrielle, elle présente un intérêt historique, économique et sociologique incontestable, qui a le plus souvent été ignoré, négligé ou mal traité. On peut considérer que cet état de choses est maintenant révolu : « L'un des apports les plus remarquables de la recherche de ces dernières années a certainement été de dépasser la seule utilisation du tesson comme élément de datation pour en faire un document d'histoire », notait un rapport officiel du Ministère de la Culture en 1990 (La recherche archéologique en France, 1985-1989, 1990, p. 235). La production de faïence en France, du XIIIe à la fin du XIXe siècle, reflète très exactement l'évolution des structures de production – de l'atelier artisanal médiéval au stade industriel contemporain, en passant par toutes les phases de la Révolution industrielle –, mais aussi celle des techniques, des matériaux et des échanges entre les hommes. D'autre part, la faïence est un reflet exact des modes de vie des siècles précédents et son étude permet de constater la mise en place progressive d'habitudes de vie qui sont celles de l'époque moderne. Mais, alors qu'il est parfois possible d'identifier immédiatement la céramique gallo-romaine courante et de la dater à quelques années près, il n'est pas rare, pour la céramique utilitaire des XVIIIe et XIXe siècles, d'avoir des fourchettes de datation allant jusqu'à une centaine d'années. C'est bien parce que nos ancêtres, victimes du « mépris pour l'ordinaire », n'ont en général pas cru bon de parler des choses simples et courantes de leur quotidien. Ainsi, nous ignorons aujourd'hui la façon dont ils vivaient et, finalement, nous les connaissons bien mal. L'archéologie nous permet de les découvrir « à leur insu ». 8 Cependant, l'utilisation de l'archéologie comme base d'étude de la faïence en tant qu'art décoratif appliqué est peut-être l'aspect le plus spectaculaire de ces recherches, s'il n'en constitue pas forcément le but le plus intéressant. Il apparaît aujourd'hui – depuis assez peu de temps, mais de plus en plus clairement – que, dans ce domaine, l'archéologie de la faïence offre un moyen radical de dépasser le stade des études stylistiques comparatives traditionnelles effectuées à partir d'objets exceptionnels. Elle permet de ne pas opérer dans les productions un choix délibérément sélectif, dû pour une grande part aux hasards de la conservation des objets, et forcément soumis à la subjectivité et à l'histoire du goût. Elle constitue désormais un moyen d'investigation irremplaçable, situé à mi-chemin entre l'étude traditionnelle de la faïence en tant qu'art décoratif conservé dans les collections et la triviale considération de la céramique comme repère utile aux investigations plus nobles de l'archéologue. L'archéologie permet de constater à l'évidence que les pièces habituellement considérées en art décoratif comme les seuls éléments dignes d'étude ne peuvent en général pas être considérées comme des références assez satisfaisantes. Ainsi, l'expérience prouve que dans toutes les fouilles de manufactures que l'on croyait 179 connaître, on est surpris de constater que ce qui était considéré jusque-là comme la production standard n'en constitue en fait qu'une petite partie alors que de nombreuses autres séries de décors exhumés ne lui étaient pas attribuées. Cette relativisation salutaire, en forme de remise en ordre, a pour résultat essentiel de transformer la nature de la recherche : on peut alors considérer la faïence non plus sous la forme d'objets exceptionnels isolés de leur contexte de production, mais bien plutôt comme un matériau possédant ses contraintes techniques propres, ayant servi à réaliser des artefacts très divers – des plus beaux aux plus modestes – à des époques tout aussi diverses, produits de manière plus ou moins homogène et régulière dans une structure de type industriel et obéissant aux lois d'une socio-économie bien particulière, dans un cadre historique dont le présent ouvrage tente de définir les grands lignes. Il est alors possible, à partir de ces observations, de recomposer une image plus juste des productions, ce qui redonne ensuite aux pièces de collection que l'on veut éventuellement étudier leur véritable dimension. 9 Déjà, en 1986, Catherine Vaudour faisait une synthèse très parlante des caractéristiques et de l’intérêt de ce type de recherches : « L’étude actuelle menée sur la faïence de Rouen associe d’autres techniques de recherches, a recours à d’autres sources, utilise d’autres méthodes. Elle fait appel aux techniques archéologiques et de laboratoire. […] Ces investigations ont mis au jour les traces des anciennes manufactures : les infrastructures des bâtiments permettent de reconstituer le plan et l’organisation de ce type d’unité industrielle ; les fondations ou éléments subsistant des appareils (fours, moulins, canalisations…) sont confrontés avec les descriptions anciennes (Encyclopédies, traités…) ; les matériaux de fabrication (terres, émail, couleur…) sont prélevés sur les lieux de traitement pour être examinés et analysés, ainsi que la production défectueuse rejetée dans les dépotoirs dont la charge correspond aux différentes phases d’activité ou de transformation des manufactures. C’est ce rebut de fabrication qui, bien échantillonné et daté par la stratigraphie, permet réellement une approche de la production rouennaise, et plus encore, l’attribution à des manufactures précises de certaines formes, de motifs décoratifs, de caractéristiques techniques originales. Il devient alors intéressant de confronter les archives écrites avec les archives du sol et d’expliquer telle modification de fabrication par tel changement de direction ou tel événement au sein de l’entreprise, ou, au contraire, d’assister à la permanence d’un style, d’un décor, d’un artifice, bien au-delà de la durée de vie de telle ou telle personnalité qui l’avait institué et dont on retrouve la marque, parfois la signature. On s’aperçoit alors que la production échappe aux classifications couramment admises dans les collections et les publications. Que celles-là expriment davantage une sélection, fondée sur des critères esthétiques, qu’une représentation de la gamme des objets fournis par les manufactures. Ainsi ont été écartées les pièces communes qui constituaient une large part de la vente et que l’on identifie à peine aujourd’hui. D’autre part, de nouvelles méthodes sont appliquées aux pièces de collection, ces œuvres d’art déracinées, qui apparaissent comme objets de l’histoire » (Vaudour, préface de Pottier, 1986). Les résultats de ces dix années de recherches à Rouen n’ont malheureusement été exposés que pendant un temps en 1994 et, après le premier volume consacré à ce sujet 2, on attend toujours avec impatience la suite des publications prévues. 10 Des opérations semblables – concernant la fouille la plus exhaustive possible d’unités de fabrication – ont été menées un peu partout en France depuis une quarantaine d’années. À l’exception du travail rouennais mentionné plus haut, les régions du Grand- 180 Centre-Est font figure de pionnières dans ces démarches : Ancy-le-Franc depuis 1982 3 ; Dijon de 1985 à 1986 (Rosen, 1986 ; Blondel / Rosen, 1987 ; Rosen, 1990), Arthé, en Bourgogne auxerroise (Pellet, 1993) ; Montigny-sous-Perreux 4; Langres 5; Meillonnas (Rosen, 1993 / 1 et 2 ; Rosen, 2000) ; Le Bois d’Epense dit « Les Islettes » 6, Lunéville 7 ; Vaucouleurs 8. Il faut également mentionner d’autres chantiers dans d'autres régions, comme Lyon 9, Libourne 10, Bergerac 11, Le Castellet (fouilles Kauffmann), ainsi que la découverte fortuite ou les investigations de dépotoirs de faïenceries, comme celles de Cosne-sur-Loire, Dijon, Nevers, La Charité-sur-Loire, Lyon, Roanne, La Rochelle, Toulouse, Marignac-Laspeyres, Moyen, Belfort, etc.12. Enfin, les nombreuses études menées sur le matériel en faïence provenant des sites d'utilisation apportent de précieux renseignements sur la diffusion des produits. Parmi celles-ci, on peut citer pêle-mêle, et parmi les plus importantes, celles qui ont fait l'objet d'études publiées ou non : Paris (fouilles du Grand Louvre13), Montbéliard et Besançon14, Dijon, Chalon-surSaône15, Fontevraud16, Lyon17, Marseille, et beaucoup d'autres encore… Les analyses géochimiques en laboratoire 11 En 1863, du Broc de Segange affirmait : « Jusqu’ici la chimie a été impuissante pour aider au classement et à la séparation des différentes fabrications. Il n’est pas probable qu’elle puisse jamais reconstituer par l’analyse les matières premières que le feu a fondues dans une cohésion si étroite et, par conséquent, fournir les moyens de distinguer les différents produits entre eux. Il est d’ailleurs plus que douteux que jamais les amateurs puissent consentir à livrer au creuset un morceau (quelque petit qu’il soit), des pièces qui composent leurs collections » (du Broc de Segange, 1863, p. 6). Il y avait pourtant eu quelques tentatives isolées d'analyses chimiques des pâtes céramiques vers le milieu du XIXe siècle, mais il ne semble pas qu'elles aient abouti à la mise au point d'une méthode suivie, ni qu'elles aient permis à la céramologie de faire des progrès notables. Cependant, les études actuelles pourraient bien donner tort à l'honorable érudit. En effet, depuis les années 1960, les recherches archéologiques fondées sur les compositions chimiques des céramiques se sont considérablement développées, même si les faïences ne sont venues que tardivement prendre leur place naturelle aux côtés des autres productions céramiques post-médiévales, dont elles font intégralement partie. Déjà, en 1989, concernant la faïence, les conclusions du rapport établi par la Sous-Direction de l'Archéologie mettaient bien en évidence qu'« il est désormais indispensable de recourir de plus en plus aux analyses de laboratoire » (Recherche, 1990, p. 236) et citaient l'exemple des analyses de faïences de Rouen faites par Daniel Dufournier, directeur du laboratoire de céramologie du CNRS de Caen, et celles de Meillonnas par Maurice Picon, qui dirigeait alors le laboratoire de céramologie du CNRS de Lyon. Ce laboratoire est l'un des acteurs de cette branche aujourd'hui incontournable de la recherche, avec le Laboratoire de recherche des musées de France (C2RMF), le Centre de Recherches Archéologiques et Historiques Médiévales (CRAHM) de Caen et l’Institut de recherche sur les Archéomatériaux – Centre de recherche en physique appliquée à l’archéologie (IRAMAT-CRP2A) de Bordeaux. Parmi les nombreuses communications qui ont pu être faites sur les analyses en laboratoire de céramique en général, on peut retenir plus particulièrement celles qui ont trait aux faïences d'époque moderne 18. Les citations explicatives qui suivent sont extraites de ces publications. 181 12 « Le développement des méthodes d'étude en laboratoire des céramiques en vue de leur classification ou de la détermination de leur origine a suivi très étroitement celui des techniques physiques d'analyse : spectrographie optique, activation neutronique, fluorescence X… De fait, on sait à présent que le choix d'une technique analytique n'a pas une très grande importance dans ce type de recherches. Il est en revanche essentiel que l'on puisse disposer, pour chaque exemplaire, de l'analyse d'un assez grand nombre de constituants chimiques (de 10 à 20 le plus souvent) […] Les prélèvements subissent différentes opérations de préparation consistant par exemple, pour la fluorescence X, en un nettoyage des surfaces externes, suivi d'un grillage afin d'éliminer les constituants volatils, et d'un broyage ; la poudre ainsi obtenue est mélangée à un fondant et transformée en une perle de verre, par fusion et coulée » (Picon, 1993 / 2, p. 76). L'analyse détermine les pourcentages quantitatifs de vingt éléments qui sont des constituants qualitatifs constants de toutes les céramiques : dix éléments principaux – oxyde de calcium (Ca 0), oxyde de fer (Fe2 03), oxyde de titane (Ti 02), oxyde de potassium (K2 0), silicium (Si 02), alumine (Al2 03), oxyde de magnésium (Mg 0), oxyde de manganèse (Mn 0), oxyde de sodium (Na2 0), anhydride phosphorique (P2 05) – et dix éléments traces – zirconium (Zr), strontium (Sr), rubidium (Rb), zinc (Zn), chrome (Cr), nickel (Ni), lanthane (La), baryum (Ba), vanadium (V) et cérium (Ce). « Seuls dixsept d'entre eux sont retenus pour les classifications, Na, P et La étant éliminés pour des raisons de pollution et/ou d'imprécision des mesures. On ajoutera que ce sont les pâtes céramiques qui seules peuvent être rattachées à un lieu de fabrication déterminé et jamais, ou presque, les revêtements, émaux ou glaçures, dont les compositions par trop fluctuantes et complexes sont à peu près impossibles à attribuer à un atelier plutôt qu'à un autre […] Il se trouve que les compositions chimiques des céramiques qui sont produites dans un atelier ne présentent pas une composition unique, mais tout un ensemble de compositions qui, dans le cas le plus simple, est groupé autour d'une composition moyenne dont elles s'écartent plus ou moins. On ne peut donc fixer les caractéristiques de composition des céramiques d'un atelier par l'analyse d'un seul exemplaire, mais par l'analyse d'un nombre suffisamment élevé d'exemplaires produits dans cet atelier » (Picon, 1993 /2, p. 75). « Une conséquence de l'existence fréquente de mélanges dans la pâte des faïences concerne la détermination en laboratoire de l'origine des céramiques. Dans le cas des faïences, il est nécessaire de pouvoir disposer, pour établir des groupes de référence servant aux attributions d'origine, de matériaux d'ateliers, comme en fournissent abondamment les fouilles entreprises sur les sites des faïenceries » (Picon, 1993 / 1). 13 « L'objectif qu'on se propose d'atteindre en étudiant la composition chimique des céramiques consiste, pour l'essentiel, à regrouper les exemplaires dont les compositions se ressemblent, exemplaires pouvant donc avoir une même origine, et à écarter ceux dont les compositions diffèrent des précédentes, ces exemplaires pouvant être alors d'origine étrangère ». Les résultats des analyses se présentent sous la forme de données brutes qui, soumises à un programme informatique, s'organisent en un dendrogramme ou « grappe » mettant en évidence les regroupements ou l'exclusion d'échantillons. « La méthode de traitement des données utilisées est l'analyse de grappes, en affinité moyenne non pondérée sur variables centrées réduites relatives aux dix-sept constituants. Le résultat de la classification se présente sous forme d'un diagramme arborescent ou dendrogramme. Chaque céramique ou argile y est représentée par un trait vertical à la base du diagramme, et est repérée par un symbole définissant le type de céramique concerné, et par un numéro d'inventaire à l'intérieur 182 du type. Lorsque deux ou plusieurs céramiques ont des compositions qui se ressemblent, les traits verticaux correspondants se trouvent réunis en grappe à l'extrémité d'un même rameau vertical. Plus les compositions des céramiques d'une grappe se ressemblent, et plus le trait vertical réunissant ces exemplaires part à faible hauteur au-dessus de la base du diagramme ». 14 Dans le cadre de l'étude expérimentale du matériel issu des fouilles de Meillonnas, deux cents échantillons environ ont été retenus, situation exceptionnelle que seule la fouille exhaustive d’une manufacture peut permettre. Les analyses ont également porté sur les carrières où étaient extraites les argiles ainsi que sur tous les types de céramique produits par la manufacture à toutes les époques. Les buts théoriques de ces analyses ont été organisés en sept points. Sur les échantillons provenant du site : premièrement, établissement d'une fiche signalétique (sorte de carte d'identité chimique) de tous les types de céramique produits par la fabrique aux différentes périodes d'activité (dans le cas de Meillonnas, faïence stannifère de grand feu et de petit feu, faïence brune, terre de pipe, grès, creusets, terre vernissée) ; deuxièmement, recherche de l'origine et des quantifications spécifiques des composants des différents produits, qu'il s'agisse de céramiques « terminées » (par comparaison avec les prélèvements effectués dans les carrières), de matériaux ou de produits utilisés au cours de la réalisation de ces céramiques ; troisièmement, analyse des décors types de référence ; quatrièmement, vérification des échantillons « non orthodoxes » (afin de repérer les « pollutions » éventuelles ou de déterminer l'existence de modèles d'atelier). Ensuite, sur les échantillons extérieurs au site : cinquièmement, vérification d'attribution de pièces extérieures (analyse de pièces à problèmes pour confirmation d'attribution) ; sixièmement, élimination de séries extérieures (analyse d'attributions traditionnelles remises en question, et qui peuvent ainsi être exclues) ; septièmement, situation de la production considérée par rapport à d'autres productions voisines ou reliées (géographiquement, historiquement ou stylistiquement) à l'aide d'analyses d'échantillons de référence provenant de ces autres sites. 15 Jusqu'à présent, les analyses de laboratoire concernant la faïence n'avaient porté le plus souvent que sur quelques échantillons, soit isolés, soit étudiés pour répondre à une question bien spécifique. À notre connaissance, aucun programme global et systématique n'avait encore été élaboré dans ce domaine. En collaboration avec Maurice Picon, nous avons souhaité alors mettre au point un protocole qui permette d'évaluer les possibilités et, en même temps, de mesurer les limites de la méthode d'analyse, utilisant la fluorescence X, appliquée à l'étude des pâtes composées de mélanges qui caractérisent les céramiques d'époque moderne, et en particulier la faïence. Nous avons essayé de proposer un protocole qui devrait permettre, outre une bonne connaissance des productions locales, une possibilité d'extension du système à d'autres sites et à d'autres productions, ainsi qu'une lecture parallèle et comparative. Un projet qui reste à conduire pourrait permettre d'établir progressivement un réseau d'analyses de faïences conjointement avec d'autres sites de production, avec des fiches d'identification des diverses productions qui ont déjà pu être étudiées. Ces fiches pourraient ultérieurement servir de référence, pour attribuer des faïences trouvées en site d'utilisation, lorsque la recherche abordera les problèmes de diffusion et, plus généralement, de reconnaissance. 16 L'analyse par la fluorescence X exige un prélèvement de quelques grammes. Selon Maurice Picon, « cela ne pose en principe aucun problème s'agissant d'un matériel de 183 fouilles. Il serait par ailleurs possible, au cas où l'analyse des pièces de musée connaîtrait un plus grand développement, de mettre au point des procédés analytiques n'exigeant que le quart ou le cinquième des prélèvements employés ici. En revanche, on ne peut guère espérer descendre un jour à des prélèvements beaucoup plus faibles encore, l'hétérogénéité naturelle des matériaux céramiques commençant alors à poser de sérieux problèmes de représentativité »19. Un programme expérimental a montré divers types de prélèvements opérés sur des pièces de collection, qu'elles soient cassées et en cours de restauration, simplement égrenées voire intactes 20. Dans ce cas, un outil diamanté spécifique est nécessaire. Les conditions de prélèvement sont bien déterminées dans un protocole préalable et la pièce peut présenter une « cicatrice noble » à un endroit bien déterminé en fonction de chaque cas particulier. Le problème déontologique posé par ce type de démarche est bien entendu ouvert, mais ne pourraiton pas considérer, dans ce cas, que la « cicatrice noble » qui apporte la possibilité de connaître la pièce – et, par voie de conséquence, toute la série à laquelle cet exemplaire correspond – a autant d'intérêt que l'étiquette d'une collection ou d'une exposition prestigieuse, au lieu de la regarder comme un défaut dépréciatif ? 17 Toutefois, le fait d'avoir recours aux analyses de laboratoire ne constitue pas une panacée et, si nous sommes persuadés de l'apport irremplaçable de cette technique, nous sommes également conscients de ses limites : « L'étude comparative et l'interprétation des résultats des analyses chimiques constituent en elles-mêmes un travail important, souvent délicat, parfois très complexe, qui exige la collaboration étroite des partenaires de l'étude. Mais il faut souligner que les études en laboratoire sont souvent coûteuses et qu'il n'est pas toujours opportun de vouloir tout étudier. Les questions de choix se posent en ce domaine peut-être encore plus qu'ailleurs » (Dufournier, 1989, p. 16). Quoi qu’il en soit, il faut bien être conscient du fait qu'il ne sert à rien de présenter des colonnes de chiffres – pas plus que des pages de profils de lèvres – et que les analyses ne doivent pas être considérées comme un but en soi, mais bien plutôt comme un outil permettant d'apprécier le matériel et d'évaluer les résultats de la fouille. En fait, le laboratoire permet d'améliorer considérablement l'appréciation des résultats d'une fouille si on sait comment l'interroger. Il peut se révéler un auxiliaire indispensable si on le considère non pas comme une machine, mais comme un interlocuteur et un partenaire privilégié. 184 Analyses mettant en évidence l’origine nivernaise de faïences dites « de La Rochelle ». Bilan des recherches 18 Dans le cadre de la démarche destinée à renouveler l'approche de la faïence grâce à l'archéologie, des recommandations officielles de la Sous-Direction de l'Archéologie au Ministère de la Culture stipulaient, en 1989, qu'« il devrait être possible d'associer, dans le cadre d'une opération commune, des historiens, des archéologues, des membres de l'inventaire et d'autres institutions auxquels s'adjoindraient probablement nombre de bénévoles attachés à leur "pays" et à leur passé professionnel [...] Les opérations les plus fécondes sont celles qui associent études d'archives, prospections à vue et géophysiques, fouilles programmées [...] Elles se font dans des cadres géographiques déterminés, elles regroupent des intervenants de toutes institutions et font largement appel à des non professionnels. Mais il est désormais indispensable de recourir de plus en plus aux analyses de laboratoire [...] Les sauvetages programmés, notamment urbains, permettront d'établir les typologies, les chronologies précises des matériels, mais les fouilles d'atelier doivent servir de références, et l'on ne saurait admettre qu'elles se désintéressent de telles questions » (Recherche, 1990, p. 235-237). 19 Toutefois, il faut avouer que le manque de méthodologies de référence pour ce type de chantier nous oblige bien souvent à faire nous-mêmes les expériences de mise au point de méthodes adéquates, qui constituent un frein non négligeable à l'approfondissement des autres aspects de la question. Dans le même texte de réflexion sur l'archéologie en général et celle de la période « industrielle » en particulier, on pouvait lire il y a peu que « la France souffre d'un retard considérable dans la mise au point d'instruments descriptifs, mathématiques et informatiques [...] Il est essentiel, dans ce programme, que l'information et la concertation se développent, que les réflexions méthodologiques se diffusent plus largement ». Les interrogations sur la problématique et la méthodologie ainsi que les expérimentations menées sur ce type de chantier depuis une quarantaine d'années peuvent et doivent servir à d'autres recherches dans 185 ce domaine d'investigation récent et encore peu exploré. C'était dans ce but que le Service Régional de l'Archéologie Provence-Alpes-Côte-d'Azur avait organisé à Moustiers-Sainte-Marie les 1, 2 et 3 novembre 1991, le colloque Faïence et archéologie 21. Dans la préface de Claude Badet et Jean-Paul Jacob, on peut lire : « Un certain nombre de travaux scientifiques et méthodologiques mettent, voici déjà quelque temps, l'accent sur l'intérêt réel de l'archéologie médiévale et, plus récemment, de l'archéologie moderne. C'est que, même pour ces périodes récentes, les lacunes sont énormes, surtout lorsqu'on recherche le geste quotidien qui est un des révélateurs des activités humaines. Ce geste quotidien s'exprime bien sûr et avant tout dans les activités domestiques, mais également dans les activités de production, fussent-elles industrielles ou proto-industrielles. Ainsi, de cette conjonction, est née l'archéologie des faïences et des faïenceries. On mesure, à l'aulne des actes de ce colloque, combien l'aventure méritait d'être tentée et combien les résultats dépassent les espoirs les plus fous » (p. 5). L'examen du cadre juridique tout autant que l'analyse critique des références et des méthodes y font l'objet d'une réflexion plus large. À travers de nombreux exemples (Marseille, Apt, Ancy-le-Franc, Langres), sont présentés et analysés aussi bien le bilan des différents types de résultats qu'apportent ces nouvelles recherches, que les nouvelles méthodes d'investigation et de traitement du matériel mises en œuvre : étude systématique des archives, prospection magnétique, analyses géochimiques, utilisation de l'informatique. 20 Nourris de ces divers éléments de réflexion et de ces expériences passées, on peut citer quelques études et projets qui constituent autant d'exemples pratiques permettant de faire progresser nos connaissances selon la stratégie définie ou évoquée dans les paragraphes qui précèdent. Je prendrai ici à titre d'exemple des opérations que je connais bien pour en avoir pris la responsabilité, tout en restant persuadé que d'autres exemples, dont je connais moins les finalités, auraient sans doute pu aussi bien faire l'affaire. Dans le cadre des possibilités infinies offertes aux études monographiques régionales, j'ai choisi – pour des raisons fort diverses – la petite manufacture de Meillonnas, dans l'Ain, comme exemple parmi des dizaines d'autres fabriques connues, de taille, de situation et d'importance comparables, qui sont dans le même cas, mais sûrement tout aussi représentative d'une foule d'établissements dont seuls les noms sont parfois évoqués. Profitant de sa taille modeste et des conditions privilégiées que ce petit village présentait au regard des possibilités de son étude, j'ai voulu le considérer comme un poste privilégié d'observation du fonctionnement d'une manufacture de faïence dans son tissu régional et dans son contexte historique propre, en tentant de connaître et de comprendre la mise en place et les buts de l'entreprise, la chaîne opératoire et les techniques, et l'histoire des hommes aussi bien que celle des productions, afin d'éclairer la véritable nature d'une manufacture, en la considérant avant tout comme une structure semi-industrielle bien représentative des évolutions et des changements du goût, des techniques et de la mode du XVIII e et du XIX e siècle, correspondant au passage historique de l'Ancien Régime à la période industrielle. 21 D'autre part, de 1994 à 1998, dans le cadre d’un Projet Collectif de Recherches interrégional baptisé Faïences françaises du Grand-Est, autorisé par le Conseil Interrégional de l'Archéologie, un inventaire raisonné des sites de production de céramique moderne de ces régions a été entrepris, assorti d'un programme systématique d'analyses de laboratoire 22. Cet inventaire, en forme de carte archéologique étendue, mentionne sous forme de fiches tous les renseignements fiables connus – ainsi que leurs sources – concernant tous les sites : micro-localisation, dates 186 de fonctionnement, importance probable, nature des productions, approvisionnement en terre, historique de l'établissement, directions successives et personnels connus, bibliographie complète, documents iconographiques de référence et productions attestées, situation archéologique et juridique, etc. L'élaboration d'une base de données informatique a permis des synthèses et des comparaisons à l'échelle de l'interrégion ainsi qu'une cartographie abondante, qui a mis en évidence des phénomènes socioéconomiques jusqu'ici inconnus ou peu étudiés 23. 22 Les résultats de nombreuses autres opérations menées par d'autres équipes dont la nature et les buts sont parfois bien différents – comme, entre autres, le Groupe de Recherches et d'Études de la Céramique du Beauvaisis 24 fondé par Henry-Pierre Fourest en 1967, le Laboratoire d'Archéologie Médiévale et Moderne en Méditerranée d'Aix-enProvence (CNRS) fondé par Gabrielle Démians d’Archimbaud dans les années 1970 25, ou certains bilans des connaissances archéologiques 26 – viennent également nourrir ces activités d'une foule de renseignements et d'analyses qui, comme les pierres des maçons de Champfleury citées plus haut, construisent peu à peu l'édifice. Restons cependant conscients qu'il s'agit plus d'une spirale sans fin que d'un donjon inexpugnable, et souhaitons que jamais ne se rompent les fils de la communication qui relient ses ouvriers pour éviter le sort funeste qu'a connu la Tour de Babel. 23 Ainsi, des observations les plus générales et les plus étendues jusqu'à ses aspects les plus locaux et les plus restreints, et du fond du Moyen Age jusqu'à notre nouveau siècle, la faïence, considérée comme la céramique spécifique de l'époque moderne, sort peu à peu de ses vitrines de cuivre poli pour découvrir la rugosité complexe du monde, et commence à revêtir un intérêt qui dépasse largement celui de la contemplation esthétique de quelques beaux objets épars, portés jusqu'à nos grèves par les vagues insouciantes du hasard, et qui nous possèdent bien plus que nous ne les possédons. NOTES 1. Rosen J., « Ces faïences de Nevers qu’on dit «de La Rochelle », Sèvres, revue de la Société des Amis du Musée national de Céramique, n° 16, 2007, p. 31-45. 2. Rioland S., dir., « Saint Sever : Le temps des manufactures de faïence », Rouen archéologie, Archéologie et histoire en Seine-Maritime ,1996. 3. Biton R. & S., La faïencerie de Fulvy & la faïencerie dite du château à Ancy-le-Franc, Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne, Auxerre, Musées d'art et d'histoire, 2001. 4. Delor J.-P., La faïencerie du château de Montigny à Perreux, en Bourgogne auxerroise, Auxerre : Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne ; Musée d'art et d'histoire d'Auxerre, 2000. 5. Marcout R., Thévenard J.-J., La faïencerie des Auges, Langres, éd. Guéniot, Langres, 1989. 6. Thévenard J.-J. et Copret D., Rapport de fouilles archéologiques effectuées au Bois d’Épense, (autorisation temporaire de sondage n° 93/56 du 15/06 au 15/07/1993), et 187 Rosen J. (dir.), Guibert E., Druet S. et Maggetti M., La faïencerie du Bois d’Épense dite « des Islettes », une manufacture à l’étude, éd. Ville de Bar-le-Duc, 2007. 7. Masquilier A., Copret D., Faye O., Le château de Frescaty, XVIII e siècle, Moulins-lès-Metz (57 487 004 AH) (Moselle) : documents iconographiques extraits du document final de synthèse, Metz, SRA Lorraine, 1998. 8. Pagnotta P., dir., Faïenceries du Valcolorois : le tesson manquant, Conservation départementale des Musées de la Meuse, Conseil général de la Meuse, 1995. 9. Horry A., Poteries du quotidien en Rhône-Alpes, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles : un panorama des techniques, des formes et des décors, DARA n° 43, ALPARA, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2015. 10. Ducasse B., « Jean-Michel Dumont, faïencier à Libourne au XVIII e siècle », Revue historique et archéologique du Libournais et de la vallée de la Dordogne, t. LIV n° 201 bis, 3e trim. 1986, p. 78-95 et « Rapport d’un sondage effectué pendant l’été 1986 sur l’emplacement d’une faïencerie du XVIIIe siècle au lieu-dit Belair, commune de Libourne », ibid., n° 202, 4e trim. 1986, p. 97-136. 11. Emery L., « Approches archéométriques des productions faïencières françaises du XVIIIe siècle : le cas de la manufacture Babut à Bergerac (env. 1740-1789) », thèse de doctorat sous la dir. de F. Bechtel et J. Rosen, Université de Bordeaux 3, 2012. 12. Liste non exhaustive. Pour toutes les manufactures du grand Centre-Est, voir Rosen J., Faïenceries françaises du Grand-Est, Bourgogne, Champagne-Ardenne, XIV e-XIXe siècles, éd. CTHS, Paris, 2001. 13. Trombetta P.-J., de Kisch Y., « Seine. Paris : fouilles archéologiques du GrandLouvre, cour Napoléon », Bulletin Monumental, 1984, 142-3, p. 319-322. Il est regrettable que la céramique étudiée par Jacqueline Bonnet n’ait pas fait l’objet d’une publication spécifique : Bonnet J., Fouilles du Louvre, Cour Napoléon, La faïence, Service régional archéologique d'Île de France, 1988 (inédit). 14. Guilhot J. O., Goy C., 20 000 m3 d'histoire. Les fouilles du parking de la mairie à Besançon, éd. musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon, 1992 ; Goy C. et Humbert S., dir., Ex pots…, céramiques médiévales et modernes de Franche-Comté, catalogue de l ´exposition et éd. Musée des ducs de Wurtemberg, Montbéliard, 1995. 15. Les Saintes Maries : Les Visitandines à Chalon-sur-Saône aux XVIIe et XVIII e siècles, coll., éd. Ville de Chalon-sur-Saône, 1994. 16. Angla A., « Faïences découvertes lors des récentes campagnes de fouilles à Fontevraud », in Fontevrault, Histoire et Archéologie, n° 3, 1995. 17. La manufacture royale de faïence de Lyon au XVIIIe siècle, (collectif), Lyon, 1994. 18. Picon M., « Le laboratoire d'analyses (I) : méthodes d'analyse et de traitement des données » et Rosen J., « Le laboratoire d'analyses (II) : l'exemple de Meillonnas », Actes du Colloque « Faïence et archéologie », numéro spécial du Bulletin de l'Académie de Moustiers, 1993, p. 76, ainsi que Picon M., « Analyse des faïences en laboratoire, objectifs et difficultés », Les carreaux de faïence stannifère européens du XIX e siècle, Actes du Colloque organisé par le GRECB à Beauvais en 1993, p. 75. 19. Il faut toutefois mentionner ici le travail de Métreau L., Les méthodes d’analyses non destructives in situ des céramiques glaçurées. État de la question, Master 1, Histoire, histoire de l’art, archéologie, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, 2006. 188 20. Deiller T. et Rosen J., « Détermination d’origine des pâtes à faïence par analyse en fluorescence X : quelques exemples de prélèvements sur des pièces de collection », CoRé n° 11, 2001, p. 38-42. 21. Colloque « Faïence et archéologie », Moustiers-Sainte-Marie, novembre 1991, numéro spécial du Bulletin de l'Académie de Moustiers, août 1993. 22. Rosen J., Faïenceries françaises du Grand-Est, Bourgogne, Champagne-Ardenne, XIV eXIXe siècles, éd. CTHS, Paris, 2001. 23. Cette synthèse non encore publiée a fait l’objet de mon travail pour l’Habilitation à diriger des recherches (HDR) obtenue le 25 juin 2003. 24. Voir le site http://grecb.fr/index.php?article21/revues-2. 25. Voir l’impressionnante liste de ses publications sur le site http://la3m.cnrs.fr. 26. Ravoire F. et Horry A., dir., Faïences et majoliques du XV e au XVI e siècle en France et en Belgique : pour un bilan des connaissances archéologiques, Dijon, éd universitaires de Dijon (EUD), coll. Art, Archéologie et Patrimoine, 2016. 189 Conclusion 1 Au terme de cet essai sur la technique et l'histoire de la faïence stannifère en France, de ses débuts jusqu'à son déclin, je voudrais souligner de manière plus précise encore la question qui est soulevée ici aussi bien que la nature de la réponse proposée. Mettre ainsi en évidence la technique et l'histoire comme préalable indispensable à toute analyse fragmentaire du phénomène, c'est commencer par définir le cadre général et les limites à l'intérieur desquelles il est contraint d'exister et d'évoluer. Cela n'exclut pas que l'on puisse envisager d'autres études par la suite, bien au contraire. Aborder la faïence par la synthèse de son histoire, c'est aussi relativiser toutes les influences conjoncturelles pour situer d'abord le phénomène en général, dans son véritable contexte, plus structurel, où les facteurs historiques, économiques et sociaux tiennent une place primordiale, trop longtemps ignorée par les céramologues. Considérer d'abord la faïence en général et dans le long terme, sans a priori et sous tous ses aspects, comme la céramique spécifique de la période moderne, sans se limiter à une sélection arbitraire des plus belles pièces de telle ou telle manufacture – qui n'en sont qu'une manifestation sporadique et exceptionnelle –, c'est, en définitive, opérer un « tournant critique » visant à formuler un nouveau rapport à la faïence, en en mettant au jour toutes les contingences et la complexité, considérées comme un postulat de départ. Ainsi, pour étudier ce phénomène, on devrait pouvoir adopter, en la transposant, la démarche de l'équipe de Bernard Lepetit, qui vise à établir « une autre histoire sociale » : « Il s'agit de penser les identités et les liens sociaux avec le plus de complexité possible, c’est-à-dire en les dégageant des catégories de l'histoire sociale classique [qui] ne sont ni évidentes ni idéales : les usages du quotidien, la pratique de la culture ou des institutions, le jeu avec la convention, le rapport à la norme, peuvent inventer ou briser des signes de reconnaissance identitaires et forger des liens insoupçonnés entre les acteurs du jeu social. Chacun des groupes d'acteurs étudiés doit ainsi être minutieusement situé, inscrit dans un tissu de relations, de liens que le chercheur désire le plus inextricable possible. L'ensemble de ces liens sociaux, reconstitués, éclairés et expliqués, permet, en retraçant les plans d'une mécanique précise et complexe, de répondre à la question qui organise la recherche » (Le Monde, 30 juin 1995, p. IX). En un mot, considérer la faïence de la sorte, c'est cesser de la regarder comme un support où se raconte un avatar de l'histoire de l'art – voire des arts appliqués –, en catégories distinctes et bien définies, en la resituant d'abord et tout 190 simplement dans l'histoire, sans se voiler les yeux devant la complexité de ce phénomène inextricable. 2 Ces préalables établis, il ne s'agit pas de rejeter en bloc toute tentative d'étude des faïences décorées, bien au contraire. Ce serait se priver là non seulement d'une des facettes les plus immédiates et les plus significatives, mais aussi de l'un des aspects les plus agréables et les plus appréciés de ces productions. La considération de la faïence sous l'unique angle des arts décoratifs a, depuis plus de cent ans, eu la quasi-exclusivité des préoccupations, avec des résultats fort inégaux. Ce n'est manifestement pas l'objet du présent ouvrage. Disons que, sans évacuer cet aspect de la question, le présent essai pourrait le convoquer pour une date ultérieure et en temps voulu. Toutefois, il ne faut pas cacher que, dans ce cas, on ne s'intéresse qu'à un aspect bien particulier du phénomène. La majorité des gens qui s'intéressent à la faïence aujourd'hui la considèrent avec l'œil des collectionneurs hérité de la « république des amateurs » de la seconde moitié du XIXe siècle, parfois déformé de surcroît par une masse plus récente d'informations de qualité extrêmement variée où se mêlent les intérêts du commerce, le manque de sérieux flagrant de quelques auteurs et l'appétit de certitudes trop simplistes de certains collectionneurs. Il ne s'agit pas ici de nier l'importance de certains phénomènes évidents, comme l'histoire évolutive des styles décoratifs ou l'ornementique, le rôle moteur des grands centres ou celui des productions les plus raffinées par rapport aux plus courantes, ni les phénomènes iconologiques comme la dégénérescence des motifs. Mais il faut cependant affirmer haut et fort quelques autres évidences : aucune manufacture de faïence, fût-elle perdue au fin fond de la province la plus reculée, n'a jamais fonctionné en dehors du contexte général bien précis évoqué plus haut. Les faïenceries, comme les motifs décoratifs qu'on y pratique, n'apparaissent pas n'importe quand, n'importe où et n'importe comment. Un artiste isolé, fût-il génial, ne crée pas de manière autonome dans sa misérable soupente. Il participe d'une époque, d'un style, d'un mouvement. Ses capacités exceptionnelles ne peuvent se manifester que dans l'adaptation et la transformation de ses influences par son génie propre. A fortiori, les faïenciers, qui sont loin d'être des artistes, ne sont, dans le meilleur des cas, que d'habiles exécutants, capables d'adapter à la faïence des motifs qui ont été créés ailleurs et par d'autres. L'erreur la plus courante consiste ainsi à croire (ou à faire croire) que telle ou telle manufacture pourrait se distinguer par tel ou tel motif particulier, qu'il soit pris ou non dans l'environnement immédiat de la fabrique, alors que le véritable signe distinctif d'une manufacture, à une époque donnée, réside dans le traitement local spécifique de tel ou tel motif à la mode, que l'on retrouve de manière presque identique dans toutes les manufactures de la région, voire du royaume. 3 Après ces quelques notions élémentaires, il est fondamental de rappeler que l'étude de la faïence n'est pas une science exacte, et qu'on doit beaucoup se méfier des certitudes apparentes et des recettes simplistes dont les amateurs trop crédules sont souvent friands. Nous avons une connaissance relativement bonne de quelques-uns des grands centres, de l'évolution générale des styles, des décors et des formes, mais cela ne représente, suivant la formule consacrée, que la partie visible de l'iceberg. Nous réagissons encore trop souvent à partir des données fournies par d'anciennes publications, trop approximatives, parfois erronées, et souvent largement dépassées aujourd'hui. Il est tentant mais dangereux d’expliquer ce que l’on trouve à partir de ce qu’on croit connaître sur ce qu’on cherche. Toutefois, si quelques notions bien établies 191 sont peu à peu remises en cause, nous devons à tout le moins nous garder de toute précipitation et ne pas ériger des résultats encore trop partiels en certitudes définitives. Si l'approche archéologique permet d'apporter des preuves qui semblent, a priori, plus satisfaisantes que les approximations dont on s'est contenté jusqu'à présent, la collecte hâtive de quelques tessons épars sur un ancien site de production ne peut sereinement servir de preuve scientifique à de nouvelles attributions, et une véritable archéologie de la faïence ne saurait être confondue avec ces pratiques un peu sommaires. Si les recherches actuelles mettent souvent en évidence l'étendue de nos lacunes, de nombreuses expériences seront encore nécessaires avant que nous puissions établir des critères fiables permettant de distinguer définitivement les productions. Il est indispensable que ces études et ces travaux soient plus systématiquement entrepris, encouragés, diffusés et publiés. Alors, seulement, armés d'une meilleure compréhension des phénomènes et d'une connaissance approfondie de leurs manifestations, on pourra se risquer à avancer quelques nouvelles attributions, en espérant que d'autres recherches viendront encore les préciser. 4 Et, pour terminer, posons-nous une question simple : en dehors de sa définition technique, qu'est-ce donc au juste que la faïence ? En l'absence évidente d'une seule formule définitive, on peut toutefois essayer de fournir quelques fragments de réponse. 5 En tant que phénomène culturel et social, en dehors de quelques manifestations qui sont autant de signes avant-coureurs, la faïence, de 1500 à 1850 environ, a pénétré partout, suscitant de puissants intérêts, envahissant l'art et la vie quotidienne. Elle peut être comparée à une forme de langage de l'époque moderne : il est possible d'y étudier à la fois l'équivalent des grandes œuvres de la littérature classique et les patois locaux, la grammaire et la syntaxe, le vocabulaire, les étymologies et les évolutions sémantiques, pour tenter d'y déceler et d'y retrouver tous les signes qui révèlent aussi bien la vie des hommes qui l'ont parlé que la culture, au sens le plus large, de l'époque à laquelle ils ont vécu. 6 Domaine très périphérique de l'histoire de l'art, la faïence est aussi, mais pas seulement, un art décoratif appliqué soumis à l'évolution des styles, nourri d'imitations, dont la fonction paradoxale est de véhiculer des images alors même qu'elle est incapable d'en créer. C'est même là l'originalité de sa situation, en équilibre souvent précaire entre les arts décoratifs et l'art populaire. Sans prétendre occuper la place de la peinture, art cultivé, elle a longtemps constitué le seul support acceptable, d'un prix abordable, et éventuellement utilitaire, d'images qui restent visibles dans la maison, sur le vaisselier, la gravure n'étant apparue qu'assez tard dans l'univers quotidien. 7 Enfin, entre la vaisselle de métal précieux des riches et la terre vernissée des pauvres, ni véritablement art décoratif, ni vraiment art populaire, la faïence occupe aussi une place « médiane ». C'est, bien souvent, l'endroit où a lieu la rencontre improbable entre les créations exceptionnelles des arts majeurs et le quotidien des gens ordinaires. En effet, dans la faïence décorée, les inventions esthétiques sont reprises avec un certain retard, puis progressivement mises en abîme par des artisans peu cultivés. Dans ce cas, les images acquièrent une vie autonome et subissent une transformation involontaire en fonction de paramètres qui dépendent largement de conditions socio-économiques. Dans le domaine de la faïence, comme Jean Baudrillard le faisait remarquer pour d'autres images, « les choses continuent de fonctionner alors que l'idée en a depuis 192 longtemps disparu. Elles continuent de fonctionner dans une indifférence totale à leur propre contenu. Et le paradoxe est qu'elles fonctionnent d'autant mieux ». 8 Pour de nombreuses raisons, on peut considérer la faïence, depuis son apogée au XVIIIe siècle, comme relevant du « moyen », catégorie qui révèle en même temps sa modernité. C'est ainsi que, statistiquement, la production dominante est la faïence peu décorée, catégorie moyenne qui se situe entre le très décoré et le blanc, entre la pièce unique et la production de masse. D'autre part, la faïence offre également toutes les caractéristiques de la modernité dans la mesure où, reflétant les progrès dans les modes de vie, elle a aussi été tributaire de notions d'hygiène, de progrès techniques et de fabrication en série. 9 Au cours de son long voyage, de pavements royaux en crédences princières et de tables aristocratiques en intérieurs bourgeois, la faïence stannifère a fini sur les vaisseliers paysans les plus modestes : sur le long terme, son histoire, à l’époque moderne, peut être lue comme celle d'un glissement progressif révélant la préférence de nos sociétés pour les matériaux fragiles et aisément renouvelables, caractéristiques indispensables au maintien et au développement du type d'économie qui s'est peu à peu imposé dans le monde occidental. 10 Depuis plus d'un siècle, on s'est surtout intéressé à la faïence en ne considérant que ses aspects les plus extraordinaires. Pourquoi pas ? Mais les beaux objets ont tendance à se suffire à eux-mêmes, à susciter la contemplation et le repli sur soi. Aujourd'hui, paradoxalement, on peut également s'intéresser à toute la faïence parce que, dans l'immense majorité des cas, elle a été un produit ordinaire. Résultant de multiples contingences, soumise aux caprices de l'histoire et à ceux du goût, elle nous parle de son époque aussi ingénument qu'elle reflète la lumière, et, par là même, peut aussi éclairer la connaissance de notre proche passé. Tesson avec initiale de peintre, Nevers, c. 1770, fouilles J. Rosen, 1989. 193 Bibliographies 1. Liste des ouvrages cités dans le texte de l’édition de 1995 (par ordre alphabétique des auteurs) AMÉ, 1859 = AMÉ Emile, Les carrelages émaillés du Moyen-Age, 1859. AMOURIC, 1993 = AMOURIC Henri, in Un goût d'Italie, Aubagne, 1993, cat. exp. «Argilla 93». ANGLA, 1995 = ANGLA Antoine, in Fontevrault, Histoire et Archéologie, n° 3, 1995. 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