PAESAGGI, COMUNITÀ,
VILLAGGI MEDIEVALI
Atti del Convegno internazionale di studio
Bologna, 14-16 gennaio 2010
a cura di
PAOLA GALETTI
TOMO PRIMO
FONDAZIONE
CENTR O ITALIANO DI STUDI
SULL’ALTO MEDIOE VO
SPOLETO
2012
JEAN-MICHEL POISSON
POUVOIR SEIGNEURIAL ET COMMUNAUTÉS
RURALES EN ZONES DE MONTAGNE. MONTMAYEUR
ET LA VALLÉE DU GELON (SAVOIE), XIIE-XVIE S.
La question du peuplement médiéval des zones occupées dès
l’époque gallo-romaine et les réorganisations dues notamment aux
créations de châteaux aux XIe et XIIe siècles ont fait l’objet de nombreuses études historiques et archéologiques qui ont mis en évidence de
profondes restructurations. Concentrations, regroupements, naissance
d’agglomérations castrales remodèlent en profondeur dans de nombreuses régions la physionomie de l’occupation du sol en milieu rural. Il
convient cependant de nuancer un schéma qui a été largement modélisé
à partir de la mise en évidence du phénomène de l’incastellamento en
Italie centrale 1. En examinant, hors du domaine méditerranéen, le cas
spécifique des zones de montagne qui semblent présenter des situations
plus atypiques, il est possible de compléter ainsi le cadre général 2. Nous
nous proposons de présenter ici un exemple savoyard: la seigneurie de
Montmayeur, dans la vallée du Gelon à l’est de Chambéry, à partir
d’une enquête effectuée à l’occasion d’un programme de fouilles
archéologiques menées sur le site du castrum éponyme 3.
1. P. TOUBERT, Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du IXe à la
fin du XIIe siècle, 2 voll., Rome, 1973 (BEFAR, 221); L’incastellamento, a cura di M. BARCELÓ, P.
TOUBERT, Rome, 1998 (“Collection de l’Ecole française de Rome”, 241).
2. En dernier lieu, N. CARRIER, F. MOUTHON, Paysans des Alpes. Les communautés montagnardes
au Moyen Âge, Rennes, 2010.
3. Fouilles archéologiques programmées, menées de 1992 à 1998 au lieu-dit « Les Tours de
Montmayeur », commune de Villard-Sallet (Savoie) par l’auteur, assisté de V. Bastard, C.
Duguy et C. Thirard, et une équipe d’étudiants. Cf. J.-M. POISSON, Villard-Sallet (Savoie),
Montmayeur, Les Tours de Montmayeur, in Archéologie médiévale, 26 (1996), pp. 320-322, et les
rapports annuels d’opération (Service régional de l’Archéologie, Lyon).
62
JEAN-MICHEL POISSON
Le secteur concerné est une petite vallée alpine située sur le flanc
méridional du sillon alpin, en relation avec un axe de communication
ancien reliant Lyon à l’Italie, par Chambéry et le col du Mont-Cenis.
Localement, cette voie, parallèle à la Combe de Savoie, relie la cluse de
Chambéry à la vallée de la Maurienne. C’est à cet endroit que le trafic
en provenance de Grenoble, par la vallée de l’Isère, et de Chambéry, se
rejoignent pour contourner le massif des Hurtières, avancée septentrionale de la chaîne de Belledonne 4. Cet itinéraire à longue distance
empruntait localement, dès l’antiquité, deux itinéraires parallèles: l’un
dans la vallée, l’autre sur une ligne de crête (Fig. 1). En hauteur, le
parcours de cette ancienne voie romaine, qui formait au Moyen Âge la
limite orientale de la seigneurie (aujourd’hui limite communale de
Villard-Sallet et Saint-Pierre-de-Soucy), est jalonné par deux églises
médiévales: celle du castrum de Montmayeur, dédiée à saint Julien
l’Hospitalier, patron des pèlerins et des voyageurs, et plus loin au nord,
de Saint-Michel de Montmayeur 5. Plus bas, la voie suit le pied du
relief, et traverse plusieurs villages et hameaux attestés à l’époque
médiévale: La Croix de La Rochette, Villard-Sallet, La Trinité, La
Charrière (un toponyme significatif), Le Fléchet, Le Betton, et
Bettonet. C’est un axe assez densément fréquenté sur la longue durée, à
tel point qu’on a pu émettre l’hypothèse, sans doute erronée, de son
utilisation en 1076 par l’empereur Henri IV pour se rendre auprès du
pape à Canossa 6. Il n’est pas utile de revenir sur l’importance qu’a
revêtu le contrôle des voies de passage transalpines dans l’affirmation du
pouvoir des comtes de Savoie dès l’époque des Humbertiens, car elle est
bien connue. Ce contrôle s’appuyait en bonne part sur des fondations
castrales, comme c’est le cas ici de Montmayeur 7. Par ailleurs ces voies
4. C. CARCEL, La région du Gelon (Savoie), in Revue de géographie alpine, 24/2 (1936), pp.
261-313.
5. La vallée étudiée est orientée SSO-NNE. Pour la commodité de l’exposé, on reportera
cette orientation à nord-sud.
6. F. BERNARD, Montmayeur dans l’histoire et la légende, in Revue de Savoie, 4 (1944), pp. 9-18
e 67-76. On doit à l’abbé Félix Bernard plusieurs publications sur l’histoire de cette région: Au
pays de Montmayeur, in agro pignonensi 1036. Etudes d’histoire féodale sur l’ager de Montmayeur,
Chambéry, 1933; Histoire du décanat de La Rochette, Chambéry, 1931.
7. Parmi une bibliographie abondante: A. DE LAVIS STRAFFORD, Etude sur les voies transalpines
dans la région du Mont-Cenis depuis l’Antiquité classique jusqu’au début du XIIIe s., in Bulletin
philologique et historique du C.T.H.S., 1961/1, pp. 61-91; G. TABACCO, La formazione della potenza
sabauda come dominazione alpina, in Die Alpen in der Europaïschen Geschichte des Mittelalters,
POUVOIR SEIGNEURIAL ET COMMUNAUTÉS RURALES
63
de circulation ont été très tôt des lieux d’implantation de dépendances
de grands monastères alpins: la Novalaise (église Saint-Michel de
Montmayeur, Aiton, Coise) Saint-Michel de la Cluse (Aiton), SaintRambert en Bugey (église de Villard-Sallet, St Julien de Montmayeur,
Chamoux), notamment 8. C’est également une zone stratégique de
frontière entre la Savoie et le Dauphiné, entre le XIIe et le XIVe s. En
témoignent les nombreux châteaux et maisons fortes implantés sur ce
front; dans la vallée du Coisin: Planaise, Combefort, Puy Gautier,
Chastel Blanc, Mont Chabod; dans la vallée du Gelon: La Rochette, La
Croix de La Rochette, Villard-Sallet, Le Bornel, La Trinité, La
Charrière.
A l’époque gallo-romaine, la zone qui nous intéresse est déjà assez
peuplée, comme en témoignent la densité des toponymes en « Villard »
(Villard-Sallet, Villard-Mougin, Villard-Léger, Villard-Dizier, dans la
vallée du Gelon, Villard-d’Héry, Villard-Siard, Villard-Lamard, dans la
vallée du Coisin), ainsi que de nombreuses trouvailles fortuites 9. Ainsi
à Détrier, c’est une agglomération d’une certaine importance, occupée
du Ier au IVe s. qui a été mise en évidence par des trouvailles depuis le
XIXe s. et des fouilles ponctuelles plus récentes. Elle comportait
plusieurs bâtiments maçonnés aux lieux-dits « Les Granges » et « la
Cité » accompagnés d’un abondant mobilier céramique, en verre et en
pierre ollaire, ainsi que de nombreux matériaux (marbre, briques, tuiles,
enduits). Deux zones de nécropoles, aux lieux-dits « la Potence » et « la
Cité » comportent des sépultures en coffres, en sarcophage et en pleine
terre, accompagnés de mobilier, ainsi que des incinérations. Cet
établissement semble avoir été occupé lors du haut Moyen Âge, au
moins par une nécropole 10. C’est à cet endroit que la route se divisait
Constance, 1965, pp. 233-244; G. SERGI, Potere e territorio lungo la strada di Francia. Da Chambéry a
Torino fra X e XIII secolo, Napoli, 1981.
8. Cf. L. RIPART, La Novalaise, les Alpes et la frontière (VIIIe – XIIe s.), in Attraverso le Alpi: S.
Michele, Novalesa, S. Teofredo e altre reti monastiche, a cura di F. ARNEODO, P. GUGLIELMOTTI,
Roma, 2008, pp. 95-114; R. RIQUET, Trois réseaux monastiques en Savoie au XIIe s.: La Novalese,
Nantua et Saint-Rambert-en-Bugey, Maîtrise d’histoire, Université Lyon 2, 2004; S. BILLARD,
Implantation monastique dans l’espace alpin. Cinq réseaux de dépendance en Savoie et Dauphiné du XIe
au XIVe siècle, Mémoire de master 1, Université Lyon 2, 2007.
9. Carte dans J.-Y. MARIOTE, A. PERRET, Savoie. Atlas historique français, Paris, 1979.
10. B. REMY, F. BALLET, E. FERBER, Carte archéologique de la Gaule. La Savoie, Paris, 1996, pp.
154-156; M. COLARDELLE, Sépulture et traditions funéraires du Ve au XIIIe s. ap. J.-C. dans les
campagnes des Alpes françaises du Nord, Grenoble, 1983, pp. 290-291.
64
JEAN-MICHEL POISSON
en deux tronçons parallèles, jalonnés de lieux habités. La voie de crête
sur l’arête du Mont Raillant (dont le nom doit être en relation avec
cette fonction), est matérialisée aujourd’hui par un ancien chemin le
long duquel se trouvent plusieurs habitats, désertés ou non: Mont-Cenis,
Montmayeur, Saint-Michel, Cochette 11. Cette route a été anciennement
reconnue comme d’origine antique. En 1684, lors de la réfection de la
route, on rapporte qu’on y aurait découvert « les vestiges d’une voie
romaine » 12; le cadastre savoyard de 1723 (« Mappe sarde ») mentionne
également à Montmayeur une « chaussée des Romains ». Les fouilles
menées sur le site de Montmayeur, sans trouver de traces d’occupation
antique en place, ont procuré un peu de mobilier résiduel (céramique,
verre, tuiles) datable des premiers siècles de notre ère. Ce chemin, qui
évite un fond de vallée marécageux et souvent inondé, avant la
bonification du XIXe s., rejoint ensuite Châteauneuf au nord. La voie
de piémont, dans la partie basse du Mont Raillant, en rive gauche du
Gelon, est jalonnée par les centres paroissiaux de Villard-Sallet et La
Trinité. Les éléments les plus anciens sur ce tronçon se rapportent au
village de La Trinité, où ont été mis au jour deux sarcophages
monolithiques avec alvéole céphalique attestant la présence d’une
nécropole du haut Moye Âge, sans doute située à l’emplacement de
l’ancienne église paroissiale, à 300 m environ au sud de l’actuelle,
construite au XIXe s. 13.
Sur la rive droite du Gelon, une autre voie de piémont, parallèle,
part de La Rochette et suit la vallée en passant par Villard-Mougin,
Villard-Léger, Villard-Dizier et Chamoux. Aujourd’hui ces itinéraires
servent à la desserte locale, le trafic à plus longue distance étant assuré par
une route nouvelle, aménagée dans la première moitié du XIXe s. dans
le fond de la vallée après canalisation du Gelon. De l’autre côté du Mont
Raillant, à l’ouest, une autre route de piémont, parallèle, est attestée au
Moyen Âge, la « route des trailles », jalonnée par les villages de Planaise,
Le Puiset et Rubaud, qui rejoint également Châteauneuf 14.
11. J.-J. VERNIER, Dictionnaire topographique du département de la Savoie, Chambéry, 1896; A.
GROS, Dictionnaire étymologique des noms de lieux de la Savoie, Belley, 1935.
12. A. DE FORAS, Armorial et nobiliaire de l’ancien duché de Savoie, 5 voll., Grenoble, 1878–1938.
13. REMY, BALLET, FERBER, Carte archéologique de la Gaule cit., p. 208.
14. Attestée en 1480 d’après F. BERNARD, Coise et ses anciens châteaux, in Bulletin de la Société
d’histoire et d’archéologie de Maurienne, 8/2 (1936), p. 58.
POUVOIR SEIGNEURIAL ET COMMUNAUTÉS RURALES
65
Le point central de cette petite région est au Moyen Âge le site de
Montmayeur (lieu-dit « Les Tours de Montmayeur »), qui comporte un
castrum dès le XIIe s., siège d’une seigneurie comprenant trois paroisses:
Saint-Julien de Montmayeur, Moustiers-La Trinité et Villard-Sallet. A
l’origine c’est un château comtal placé dans une position stratégique de
contrôle sur la crête qui sépare les deux vallées. Le document le plus
ancien concernant cet établissement est en effet un projet de mariage en
1173 entre Alix fille du comte de Savoie Humbert II et Jean sans Terre,
fils du roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt. Cet acte précise que le lieu
Mons Maior fait partie de la dot de la princesse 15. Même si le document
ne mentionne pas de château à cette époque – le premier document de
ce type est de 1212 (in castello Montismaioris) 16 – il paraît clair que cet
emplacement était suffisamment important pour justifier sa place dans le
patrimoine comtal, et destiné à constituer un point fort. Dès le XIIe
siècle également est mentionnée une paroisse, c’est-à-dire un habitat: en
1191, la confirmation par le pape Célestin III des biens de l’abbaye de
Saint-Rambert [en Bugey], mentionne ecclesiam sancti Juliani de Monte
Maiori 17. On peut donc affirmer que dès cette époque le site de Montmayeur comporte un château et une communauté d’habitants, implantés
sur la voie de crête du Montraillant. Cependant la documentation écrite
contemporaine ne nous offre pas l’image d’un habitat très concentré: en
effet, le lieu de Montmayeur comporte au XIIe s. un autre lieu de culte
dédié à saint Michel, mentionné en 1129 (capella sancti Michaelis Montis
Maioris 18). Le site qui comporte les ruines de ce bâtiment se trouve à 3
km au nord du castrum, sur la même voie de crête.
Au XIIIe s. deux faits apparaissent conjointement dans les textes:
c’est d’abord la mention concrète du château (1212: actes en faveur de la
Chartreuse Saint-Hugon), et ensuite l’apparition d’un lignage portant le
nom de Montmayeur (Amédée, 1213 19): le château a semble-t-il été
15. L. DELISLE, Recueil des actes d’Henri II, roi d’Angleterre et duc de Normandie, concernant les
provinces françaises, Paris, 1826-1910, doc. 455; L. WURSTENBERGER, Peter der Zweite, Graf von
Savoyen, Markgraf in Italien, sein Haus und seine Land, Berne, 1856-1858, doc. 31.
16. E. BURNIER, La chartreuse de Saint-Hugon en Savoie, Chambéry, 1869 (cartulaire de
Saint-Hugon, p. 250-366), doc. 245.
17. S. GUICHENON, Histoire de la Bresse et du Bugey, 2, Lyon, 1650, preuves, p. 234.
18. C. CIPOLLA, Monumenta Novaliciensa vetustiora, 1, Roma, 1898, doc. III (“Fonti per la
storia d’Italia”, 31-32).
19. BURNIER, La chartreuse de Saint-Hugon cit., doc. 246.
66
JEAN-MICHEL POISSON
confié par les comtes de Savoie à une famille aristocratique qui s’y
installe à ce moment et en prend le nom 20. Ce lignage (on connaît
ensuite un Hugues de Montmayeur en 1221-24 21, Hugonnet de Montmayeur en 1241 22, etc.) remplit fréquemment au siècle suivant des
offices comtaux: châtelains de La Rochette (1290-94, 1358-60,
1364-68), de Tarentaise (1369-83) etc., gouverneur du Dauphiné
(1297), bailli du Bugey (1298), du Chablais (1304, 1311), de Bourg
(1321-23) etc. Il acquiert par la suite une grande importance et joue un
rôle éminent dans l’État savoyard: Gaspard Ier de Montmayeur est
maréchal de Savoie et président du conseil du comte au milieu du XIVe
s., Gaspard II, maréchal et ambassadeur au début du siècle suivant. C’est
en faveur de Jacques de Montmayeur, également maréchal, que la
seigneurie est érigée en comté en 1449 23.
Si l’histoire de cette famille, devenue l’une des principales baronnies
de Savoie, est assez bien connue, en revanche les textes sont beaucoup
plus rares concernant la seigneurie elle-même et le castrum. Après l’acte
de 1212 cité ci-dessus, il faut attendre un siècle pour retrouver mention
du site castral, et encore ne s’agit-il ni du château ni du bourg: on y
apprend que Humbert de Montmayeur possède en 1313 unum casale
domus apud Montem Maiorem juxta domum fortem 24; Jacques de Vilette
tient en fief du comte de Savoie en 1381 « la maison et tour forte de
Montmayeur » 25. Plus tard encore, le château apparaît ruiné: en 1415, la
reconnaissance de fief de Hugonnet de Montmayeur évoque « une
muraille d’une tour à Montmayeur » 26, en 1523 il est précisé que « les
tours de ce comté ne sont ni fortes ni de grande déffense », et en 1700
« la maison et tour forte de Montmayeur réduite en mazures » 27.
L’abandon progressif du château à partir du XIVe s. semble avoir eu
plusieurs causes: l’absence des seigneurs occupés au loin au service du
prince, la construction d’un nouveau château en contrebas du site, à
20. Guigue de Theys Cf. C. DUCOURTHIAL, Châteaux, pouvoirs et peuplement dans les comtés de
Belley, de Savoie et de Maurienne, 2 voll., Mémoire de DEA, Université Lyon 2, 2000, et thèse en
cours.
21. BURNIER, La chartreuse de Saint-Hugon cit., doc. 118.
22. Archives Départementales de Savoie (ADS) 2 Mi 8 f. 82.
23. ADS SA 28.
24. FORAS, Armorial et nobiliaire de l’ancien duché cit., 4 p. 150.
25. ADS SA 2 Mi 8 f. 85.
26. ADS SA 2 Mi 8 f. 87.
27. ADS SA 7.
POUVOIR SEIGNEURIAL ET COMMUNAUTÉS RURALES
67
Villard-Sallet, et l’extinction du lignage en 1487. Pour ce qui est du
village, les textes sont encore moins nombreux: si la mention d’une
église Saint-Julien de Montmayeur au XIIe s. implique bien l’existence
d’une paroisse et donc d’une communauté d’habitants, la situation
semble s’être dégradée au cours du Moyen Âge. En 1437, la commune
de Montmaieur est encore imposée pour 239 l. 19 s., mais elle ne figure
plus sur les rôles de taille en 1610 28. Quant à la paroisse, elle n’est
mentionnée ni dans le compte de décimes de 1275, ni dans les pouillés
de 1349 et de 1437, ni dans la visite pastorale de 1446.
Le site du castrum de Montmayeur occupe une position remarquable
de perchement sur la crête du Mont Raillant qui à cet endroit culmine à
800 m. d’altitude. L’ensemble des vestiges reconnus s’étend sur une
plate-forme étroite et allongée, orientée nord-est/sud-ouest, longue de
250 m et large de 30 à 50 m, bordée de tous côtés par des parois
abruptes. Cette aire de forme elliptique présente un relief assez
mouvementé et un ensemble de ruines de bâtiments. A l’extrémité
nord, point culminant de la crête, une éminence supporte l’ensemble
castral comportant une tour carrée conservée en élévation, et les restes
de bâtiments résidentiels. Cette partie du site, de forme triangulaire, est
séparée du reste de la plate-forme par une dénivellation marquée et
constitue le château proprement dit.
Au centre, s’étend une surface presque plane (léger pendage sudnord de 3 m de différence de niveau sur 45 m de long), comportant à
l’est un enclos rectangulaire à la surface uniforme bordé par un muret en
pierres sèches, et une structure maçonnée qui a été identifiée comme
l’église Saint-Julien; à l’ouest, c’est un ensemble de vestiges de constructions alignées (au moins quatre bâtiments sont décelables). Ces édifices
construits en moellons liés de terre appartiennent à des maisons
rustiques, sans doute disposées le long d’une rue, marquant la présence
d’un ancien quartier d’habitations. Plus au sud, le relief s’accentue: le site
présente une éminence à deux bosses, hautes respectivement de 7 et 8
m par rapport à la zone précédente. La bosse septentrionale présente un
plan presque rectangulaire, avec un angle maçonné, au sud-est, interprétable comme les restes d’un vaste bâtiment ruiné. Quant à celle de
l’ouest, informe, elle semble naturelle.
L’extrémité méridionale du site présente les mêmes caractéristiques
que celle du nord: elle est isolée par un fossé de 2 m de profondeur et
28. BERNARD, Histoire du décanat de La Rochette cit., p. 133; visite pastorale ADS C 1830.
68
JEAN-MICHEL POISSON
porte une tour carrée, maçonnée, et les vestiges de plusieurs constructions.
Ces constructions sont établies sur une sorte de plate-forme maçonnée
dont l’angle nord-est est bien visible. L’ensemble du site est entouré par
des vestiges qui pourraient avoir appartenu à une enceinte, installée sur
le rebord abrupt de la plate-forme. On a semble-t-il affaire, dans la
partie septentrionale du site, à un établissement de type classique
comportant un château et un bourg castral médiévaux. A l’extrémité
sud une autre fortification a été installée, pour compléter la défense ou
pour offrir une résidence seigneuriale plus confortable. Quant à la zone
centrale peut-être comportait-elle, à côté d’un secteur villageois, un
autre bâtiment aristocratique: l’état des vestiges ne permet pas de
l’affirmer.
L’élément principal est un donjon carré de 7,60 m de côté et de
19,60 m de haut, puissant (1,90 m d’épaisseur à la base) édifié en
moellons de schiste local (Fig. 2). La construction est soignée (assises
régulières, angles assemblés en besace, chaînages horizontaux visibles sur
le parement), mais fruste (pas d’ouvertures de tir ni d’aménagements de
confort). L’intérieur est organisé en quatre niveaux séparés par des
planchers sur ressauts de la maçonnerie: au-dessus d’un rez-de-chaussée
aveugle, un premier étage où se trouve la porte d’accès sur la face nord,
et une petite fenêtre sur celle de l’est, un second étage aveugle, et une
plateforme sommitale couronnée par les restes d’un crénelage comportant des merlons d’angles larges et trois créneaux étroits sur chaque face.
L’analyse architecturale a montré que cette tour a été édifiée au XIIe s.,
puis modifiée et surélevée aux XIIIe et XIVe siècles. Il s’agit à l’évidence d’un bâtiment destiné essentiellement à la défense et au contrôle
visuel. A l’ouest du donjon a été mis au jour un vaste édifice comportant
une grande salle (10,80 m sur 8,00 m) s’ouvrant à l’est et comportant un
étage aux murs revêtus d’enduits peints décorés et doté d’une cheminée
monumentale. A ce bâtiment a été adjoint par la suite deux autres
pièces, s’ouvrant au sud, qui sont venues occuper l’espace d’une cour
entre la salle et la tour. Ces édifices, réalisés du XIIIe au XVIe siècle,
étaient à usage résidentiel et de réception (aula).
Le plan cadastral du XVIIIe s. (Mappe sarde) présente comme des
bâtiments encore en élévation les deux tours, et dans la partie centrale
du site le dessin d’une série de carrés suggérant la présence de bâtiments,
mais sans utiliser les signes conventionnels qui désignent des
constructions en état (et imposées comme telles). Par ailleurs, un texte
de 1758, la vente de la seigneurie de Montmayeur au marquis d’Arvillard,
POUVOIR SEIGNEURIAL ET COMMUNAUTÉS RURALES
69
mentionne à cet endroit des ”masures”, c’est-à-dire d’anciennes maisons
abandonnées et plus ou moins ruinées. Le rapprochement de ces
informations avec les vestiges décelables en surface dans la partie centrale
du site s’impose assez logiquement pour désigner dans la partie centrale
du site une zone d’habitations rustiques (Fig. 3). Dans la partie nord de
ce quartier, la fouille a mis au jour un édifice de culte. C’est une
construction rectangulaire (11 x 7 m) aux murs faits de moellons de
schiste liés d’argile, orientée est-ouest et établie contre le rebord est du
plateau. A l’intérieur, au centre de la paroi orientale, la présence de la
base d’un autel a permis de l’identifier comme une église à nef unique.
De plus, étaient présentes à l’intérieur 21 sépultures en fosses creusées
dans le sol de terre battue, par endroits recouvert de dalles de pierre.
Quatre phases d’utilisation ont été mises en évidence, à partir d’un
premier édifice, antérieur au XIVe s., plus long vers l’est et avec un
choeur légèrement. Il fut modifié par la suite et ne cessa d’être utilisé
pour des fonctions funéraires qu’au XVIe s., sans être pour autant
abandonné. Il est très probable qu’il s’agisse de l’église Saint-Julien de
Montmayeur, mentionnée au XIIe s., dont les fonctions paroissiales
sont confirmées par la présence de ces sépultures, qui appartiennent en
majorité aux XIVe et XVe siècles (Fig. 4).
L’emplacement du village proprement dit est décelable par une série
de ruines (microtopographie accidentée, affleurements de structures et
dépressions remplies de pierres) dans la partie centrale du site au nord de
l’église, qui dessine un groupe d’au moins sept bâtiments d’une ou deux
pièces chacun, alignés contre le bord occidental de la crête et disposés
perpendiculairement à une rue centrale. Les fouilles ont concerné deux
de ces bâtiments rustiques (Fig. 5). Le premier, le plus au sud, présente
deux pièces, séparées par un mur de refend; ses murs liés d’argiles étaient
revêtus à l’intérieur d’un crépi et son toit était couvert de lauzes. La
pièce est, la plus grande, s’ouvre sur la rue, et celle de l’ouest s’appuie sur
l’enceinte. Le centre de la grande pièce est occupé par un four culinaire
qui ne laisse au sud qu’un étroit passage pour communiquer entre les
deux parties. Sa sole circulaire, surélevée, avec ouverture à l’est, était
couverte de dalles de schiste et bordée par la base d’une coupole de
pierre. Aussi bien la partie est, plus large, que la partie ouest avaient un
sol couvert d’un dallage grossier de pierres. Derrière le four était
aménagé un foyer construit, désignant sans doute cette zone comme
une cuisine. Il est probable qu’il faille identifier ce bâtiment comme un
70
JEAN-MICHEL POISSON
four collectif, destiné à l’usage des habitants du lieu. Sa phase d’abandon
est datable du XVIe s.
Le second bâtiment fouillé est situé à l’extrémité sud du quartier. Il
forme un ensemble en forme de L comportant trois pièces, dont seule
celle du sud-est, sans communication interne avec les autres, a été
fouillée. C’est un espace de 6,80 x 4,50 m (dimensions intérieures),
présentant les mêmes caractères architecturaux (murs de moellons liés
d’argile, toit de lauzes), et les traces d’un crépi intérieur de mortier de
chaux. Il comportait plusieurs ouvertures: une porte au sud, assez large
(1,40 m) avec barre de fermeture, et une autre à l’est (1,20 m), donnant
sur la rue, murée, ainsi qu’un jour étroit (0,50 m) ouvert dans le mur sud
à 2,45 m de haut. Le sol est composé du rocher soigneusement taillé et
aplani, avec deux cavités carrées d’un mètre de côté, aménagées contre
la paroi ouest. Les parois intérieures présentent également des aménagements sous la forme de placards de pierres: deux au nord (de 1 m de
large, à 1,60 m du sol), un à l’est (0,86 m de large, à 1,12 m du sol). Ces
dispositifs, de même que la présence d’objets particuliers (une bulle
pontificale en plomb du XIVe s. et des fragments métalliques d’un
coffret), ont fait penser qu’il pourrait s’agir de la maison d’un officier
seigneurial (mistral?) ou peut-être d’un notaire.
Ce que l’on doit retenir de cette enquête archéologique est que l’on
est en présence d’un château qui comporte un ensemble monumental
précoce (XIIe s.) et complexe, associant un donjon au rôle essentiellement
défensif à une résidence aristocratique plus spacieuse. L’évolution
architecturale des bâtiments est complexe et s’étend sur une période de
plus de quatre siècles, au cours de laquelle on voit se succéder bâtiments
de bois et de pierre aux fonctions parfois imprécises. L’édification du
donjon, principal élément du site, le plus ancien, le plus important et le
plus prestigieux, semble avoir été réalisée dans un souci autant militaire
que symbolique. L’évolution du château suit les vicissitudes de la
carrière de ses détenteurs, devenus trop importants pour y résider, et de
la variation du contexte militaire: le site perd petit à petit le rôle éminent
qu’il avait à l’origine de contrôle, dans une situation de perchement
maximum, d’un axe de communication d’importance moyenne, et
d’un domaine foncier dont le centre s’est déplacé. Le bourg castral est
étroitement lié au château: il occupe une portion restreinte de cette
étroite crête rocheuse choisie à l’origine pour ses atouts défensifs et
visuels, et où une communauté rurale a dû s’installer pour bénéficier de
la protection du relief et de la fortification. Cette population peut
POUVOIR SEIGNEURIAL ET COMMUNAUTÉS RURALES
71
apparaître comme une communauté de colons qui s’implante dans le
sillage de la forteresse comtale érigée dans une zone de montagne
inexploitée. L’existence de l’église paroissiale au sein du site perché
renforce cette impression. Au cours du Moyen Âge, cette communauté
rurale déserte petit à petit le site primitif, au bénéfice d’une implantation
dans la vallée plus proche des terroirs cultivés. Quant à la chronologie de
l’occupation du site, elle est fournie par les résultats indiscutables de la
fouille. Les éléments les plus anciens, mis à part les rares traces antiques
résiduelles, remontent aux alentours du XIIe siècle; ils forment un
ensemble associant des caractéristiques architecturales et de rares
éléments mobiliers à quelques mentions documentaires. C’est aux
XIVe et XVe siècles qu’appartiennent les traces les plus nombreuses et
les plus denses: monnaies, céramiques, datations au C14 de sépultures,
objets. Enfin, l’abandon peut être daté du XVIe s., représenté par
quelques fragments de verre ou de céramique.
Qu’en est-il des autres habitats médiévaux situés sur la ligne de crête
du Mont Raillant? Au lieu-dit « Saint-Michel » sont visibles les restes
d’une petite église rurale en pierres (structure voûtée), au voisinage
desquels se trouvent quelques restes de maçonneries qui ont pu
appartenir à au moins un autre bâtiment. Ces vestiges ne présentent pas
de caractères qui puissent les faire attribuer avec certitude à la période
médiévale, si ce n’est, avec prudence, la structure voûtée. Cependant,
plusieurs informations textuelles se rapportent à ce site: on a vu que la
première mention de la chapelle remonte à 1119. Curieusement, alors
que l’autre église de Montmayeur, Saint-Julien, disparaît de la documentation, bien que les fouilles aient attesté de son utilisation permanente jusqu’à l’époque moderne, celle-ci continue à être mentionnée.
En 1215, les chanoines de Tarentaise négocient avec l’évêque de
Maurienne à propos de la chapelle Saint-Michel de Montmayeur:
l’évêque se réserve le droit d’y nommer un curé au cas où elle deviendrait paroisse 29. Cette information est importante car elle montre qu’on
est alors dans un contexte sinon d’expansion démographique, au moins
de peuplement: la création d’une petite agglomération autour du
château de Montmayeur et de l’église Saint-Julien a pu créer une
attraction de population dispersée, dont les contemporains étaient en
29. J. A. BESSON, Mémoires pour l’histoire ecclésiastique des diocèses de Genêve, Tarentaise, Aoste et
Maurienne et du décanat de Savoye, Moutiers, 1871, doc. 47.
72
JEAN-MICHEL POISSON
droit de penser qu’elle aurait pu également bénéficier au lieu-dit de
Saint-Michel, situé dans une position semblable sur la voie de crête.
Cette attraction ne s’est semble-t-il pas produite, mais l’édifice religieux
a continué d’être fréquenté: le compte de décimes de 1275 mentionne
un capellanus Sancti Michaelis de Monte majori 30, et encore en 1502 l’église
fait l’objet d’un legs pieux 31. Ces notices témoignant non seulement de
la fréquentation de la route de crête pendant tout le Moyen Âge, mais
également de l’existence à cet endroit d’un hameau habité, dont les
ruines visibles, qu’il resterait à caractériser archéologiquement, constitueraient la trace. Dans la zone concernée par le toponyme « Montmayeur »
se trouvent d’autres traces: à 300 m environ en contrebas du castrum, à
l’est, sur le coteau est présent un groupe de maisons rurales en ruines qui
forment un petit hameau d’une dizaine de maisons disposées de part et
d’autre du chemin qui mène de Saint-Pierre de Soucy à Villard-Sallet.
Sur la Mappe sarde (1730) ces bâtiments figurent, associés au nom de
lieu « Sous la ville » (Fig. 8). On manque d’informations historiques ou
archéologiques pour dater cet habitat antérieurement au XVIIIe siècle,
mais il paraît néanmoins pouvoir témoigner de la permanence d’un
habitat dispersé, à très proche distance du bourg fortifié. Il en va de
même avec d’autres villages ou hameaux situés dans la même position
de perchement, même relatif, dans ce secteur. On peut citer les cas du
village du Mont-Cenis, à l’Ouest de La Rochette, mentionné en 1173
(cabannaria del Cinnons), si l’identification de F. Bernard peut être
retenue 32, des hameaux de Montbertrand, évoqué encore par F.
Bernard, de Montalbout, aujourd’hui déserté mais mentionné en 1561 33,
ou encore de Montraillant (aujourd’hui maison isolée « La Générale »),
sur la même route de crête, mentionné en 1760 34. Au nord de Montmayeur, on aurait encore le village de Cochette, et plus loin Villaraimond habité en 1275 35. Ces indices sont ténus, mais ils convergent vers
30. J. CALMETTE, E. CLOUZOT, Pouillé des provinces de Besançon, de Tarentaise et de Vienne, Paris,
1940, p. 463 (“Recueil des historiens de la France”, VII).
31. ADS C 1830.
32. BURNIER, La chartreuse de Saint-Hugon cit. doc. 30.
33. ADS SA 1908.
34. BERNARD, Au pays de Montmayeur cit.
35. Compte de la châtellenie de La Rochette, ADS SA 16621, a cura di M. CHIAUDANO, La
finanza sabauda nel secolo XIII, in Biblioteca della Società storica subalpina 131-133, 1933-37. « Les
Cochets » est mentionné en 1759 (SA 1 f. 26).
POUVOIR SEIGNEURIAL ET COMMUNAUTÉS RURALES
73
le constat d’un semis de petits lieux habités sans consistance, un habitat
dispersé de hauteur qui se maintient malgré l’attraction exercée par les
sites fortifiés d’une part, et aussi malgré un mouvement assez général
d’abandon de positions élevées au profit de zones basses.
Quelle est la situation au niveau inférieur, dans les vallées? Examinons la
voie de piémont en rive droite du Gelon. Le principal village de la
seigneurie est, dès le milieu du XIIIe siècle, Villard-Sallet (Fig. 6).
Comme Montmayeur, Villard-Sallet apparaît dans la documentation
écrite dans la seconde moitié du XIIe s.: une cella dépendant de l’abbaye
de Saint-Rambert y est attestée en 1191. L’église est ensuite mentionnée
dans le compte de décimes de 1275 et en tant que prieuré en 1284 36. A
une date inconnue, sans doute vers la fin du Moyen Âge, la paroisse a
englobé la partie de celle de Montmayeur qui s’étendait sur le versant
est du Mont Raillant. Par la suite, les visites pastorales mentionnent
régulièrement l’église, sous le vocable de l’Invention de saint Etienne
(1437, 1446, 1571, 1717). Le village quant à lui est attesté dans les textes
par les mentions de personnages qui en portent le nom: Petrus Giroudi de
Vilari Saleti en 1219 37, Gautier fils d’Omar en 1226 38, Hugues et son
frère Pierre en 1233 39, Silvion en 1234 40. Donateurs de biens aux
établissements religieux de la région (chartreuses de Saint-Hugon et
d’Aillon), ce sont sans doute des familles d’un certain rang. Le village est
constitué à cette époque (1294) de deux quartiers distincts implantés
tous les deux sur la route, un « village d’amont » et un « village d’aval »,
séparés par un espace libre entre les deux (de medio), où se trouvaient des
vignes et des prés (1294, 1329, 1408). Aujourd’hui encore cette
implantation est remarquable: le quartier sud (« L’huis du four », devenu
« Louise Dufour ») est séparé du quartier nord (« Le Mollaret ») par une
distance de 300 m environ, et l’église est implantée entre les deux, à l’est
de la route (Fig. 7). Cette agglomération est dotée d’un édifice public, la
maison du podestat (1277) appelée maison communale en 1437, et de
moulins, sans doute sur des bras du Gelon (1294, 1343) 41. Sur la Mappe
36. CALMETTE, CLOUZOT, Pouillé des provinces de Besançon cit.
37. BURNIER, La chartreuse de Saint-Hugon cit., doc. 335.
38. Ibid., doc. 264.
39. L. MORAND, Les Bauges, histoire et documents, (Chambéry, 1889) Marseille, 1978, doc.
LXVI.
40. Ibid., doc. LVII.
41. FORAS, Armorial et nobiliaire de l’ancien duché cit.
74
JEAN-MICHEL POISSON
sarde, est encore mentionné, parallèle au Gelon en rive gauche, un
« canal des moulins »). Les seigneurs de Montmayeur font construire à
Villard-Sallet un château, sur le coteau dominant le village à l’ouest, sans
doute dans le courant du XIVe s. Il n’est nommément mentionné pour
la première fois qu’en 1398, mais on peut raisonnablement situer sa
construction au moment où les Montmayeur obtiennent du comte de
Savoie l’inféodation de la paroisse et juridiction de Villard-Sallet (1360);
ils s’intitulent à partir de ce moment « seigneurs de Villard-Sallet »
(1382) 42. L’édifice, encore debout bien que profondément remanié,
forme un quadrilatère massif dont les façades est et sud au moins, de plus
de 1,50 m d’épaisseur, présentent un parement en grand appareil
régulier, avec un cordon saillant au niveau des fenêtres du deuxième
étage. La construction se développe sur trois niveaux: sur un niveau de
caves voûtées, deux étages planchéiés. Les ouvertures ont subi de
nombreuses modifications mais on peut discerner sur la façade sud les
restes de croisées et d’ouvertures plus petites. D’après une photo
ancienne, il est visible que le sommet du bâtiment présentait, au moins
sur les côtés est et sud, une ligne continue de mâchicoulis sur une
double rangée de consoles 43. La toiture était couverte en lauzes en
1503 44. A l’intérieur, dans les salles du premier étage, sont visibles des
restes d’enduits peints avec décor de faux appareil. Plusieurs bâtiments
complétaient l’ensemble: une chapelle (1398, 1597) 45, une écurie et un
grenier (1503, 1509) 46. Ce château est la résidence principale des comtes
de Montmayeur pendant tout le XVe siècle 47.
En 1470, le comte de Montmayeur fonde à Villard-Sallet un couvent de Célestins pour douze religieux, un frère lai et quatre oblats, doté
d’un revenu annuel de 650 florins 48. L’établissement comprenait une
chapelle, démolie en 1778 lors de la suppression de l’Ordre, parallèle à
42. ADS SA 264 f. 127.
43. Carte postale début XXe s. publiée dans M. BROCARD, E. SIROT, Châteaux et maisons
fortes savoyardes, Roanne, 1980, p. 556.
44. Comptes de la châtellenie de La Rochette, ADS SA 10499. Une « carrière d’ardoise »
située dans la seigneurie, est mentionnée en 1759 (SA 7 f. 85).
45. Acte passé par Jacques de Montmayeur, dans son château de Villard-Sallet, devant la
porte de la chapelle (FORAS, Armorial et nobiliaire de l’ancien duché cit.)
46. Comptes de la châtellenie de La Rochette, ADS SA 10504.
47. F. MUGNIER, Orgueil féodal. Guy de Fésigny et Jacques de Montmayeur, in Mémoires de la
Société savoisienne d’histoire et d’archéologie, XXXIII (1894), pp. 1-92; documents, pp. 193-427.
48. ADS C 743.
POUVOIR SEIGNEURIAL ET COMMUNAUTÉS RURALES
75
l’église paroissiale, et un ensemble de bâtiments allongés formant un
carré au nord de l’église, autour d’un cloitre. L’aile sud, perpendiculaire
à la route, avec des baies à croisées et un sous-sol voûté, est encore en
place. L’église du couvent servira de nécropole familiale aux Montmayeur (1486, 1709). La population était de 60 feux en 1437, 134
habitants en 1561 et 276 en 1717 49. Il est remarquable que Villard-Sallet
prend dès la seconde moitié du XIIIe siècle, une importance croissante,
et devient la véritable capitale de la seigneurie au siècle suivant,
parallèlement au déclin du castrum de Montmayeur. L’accroissement de
la population, celui de l’équipement civil et religieux, s’accompagne de
celui des implantations seigneuriales. Plusieurs membres de la famille y
sont en effet installés: la documentation médiévale mentionne la maison
de Richard de Montmayeur (1277), la tour d’Hugonnet (1329),
l’hospitium de François (1346), la maison de Catherine femme de Claude
(1391), ou la maison forte de Gaspard [II] (1416). Il est difficile d’identifier
l’emplacement de ces édifices, certainement moins nombreux que les
occurrences, à part celui de la maison forte du Bornel, dont les restes se
dressent entre le château et l’église 50. Malgré l’essor du village, celui-ci
ne parvient pas à opérer la jonction entre les deux quartiers distants le
long de la route, ce qui montre là aussi la permanence de la forme
dispersée de l’habitat.
Plus au nord le long de la route de piémont, le village de La Trinité
forme la troisième agglomération de la seigneurie. Elle apparaît dans la
documentation au XIIe s. sous le nom de monasterium Sancti Iohannis,
dépendant de l’abbaye Saint-Chaffre du Monastier. Cet établissement
religieux a comme dépendances cinq églises de la zone: La Croix, La
Table, le Betton, Le Bourget et Le Pontet (1103, 1153) 51. Il s’agit sans
doute d’une fondation ancienne, comme l’indique la présence de
sarcophages mérovingiens dans le cimetière. Au cours du Moyen Âge,
ce village a pour nom Moustiers (1341, 1360, 1382) 52. L’absence de la
paroisse dans les comptes de décimes et les pouillés avant le XVIe s. est
peut-être dûe au litige qui a opposé l’évêque de Maurienne et les
49. BERNARD, Au pays de Montmayeur cit.
50. Cf. E. VIDIL, Les châteaux et les maisons fortes en basse Maurienne et en Val Gelon du XIIe au
XVe siècle, mémoire pour le Diplôme de l’EHESS, Lyon, 2004.
51. A. BILLIET, J.-M. ALBRIEUX, Chartes du diocèse de Maurienne, in Documents publiés par
l’Académie impériale de Savoie, Chambéry, 1861, doc. 9.
52. ADS 2 Mi 8 f. 82.
76
JEAN-MICHEL POISSON
moines bénédictins 53. Il y avait là une implantation seigneuriale, une
maison noble détenue d’abord par une famille de ce nom (Moustier),
qui passe ensuite avec le statut de maison forte aux Montmayeur. A
cette époque, le nom de Moustier est attaché à la seigneurie, alors que le
village est appelé (et le restera par la suite) La Trinité, sans doute à la suite
d’un changement de vocable de l’église (1415, 1468) 54. C’est une petite
agglomération: 49 feux en 1437, 267 en 1561 55. La Mappe sarde nous
montre un village d’une trentaine de maisons disposées de part et
d’autre de la route avec, dans la partie sud un « quartier religieux », avec
l’église paroissiale, une chapelle, et d’autres bâtiments religieux, et dans
la partie nord un « quartier seigneurial » avec la maison forte de
Putteville, dotée d’une tour, et ses dépendances. Cette dernière passe au
XIVe siècle d’une famille qui en portait le nom à une branche des
Montmayeur 56.
Deux autres hameaux sont présents dans la paroisse, sur la route
également: La Charrière, au nord, mentionné à partir de 1341, où se
trouve une autre maison forte, au sud, au bord de la route, La Bithieu
(mentionnée à partir de 1487). Encore plus au nord: Le Fléchet (une
rente féodale d’origine médiévale y est perçue par le comte de
Montmayeur en 1758 57. Sur l’autre versant (ubac) la situation est assez
semblable: des habitats de hauteur sont mentionnés au Moyen Âge
comme les villages de Presle, Etable, les hameaux de Montmalfou,
Tournaloup qui apparaissent dans le compte de 1275, de même que les
habitats le long de la route de piémont: La Bottière, Villard-Léger,
Villard-Dizier.
Concernant l’économie, on notera l’importance de la vigne sur le
versant bien exposé (adret): cette culture apparaît souvent dans la
documentation écrite, qu’il s’agisse de vignes, de pressoirs ou de
redevances en vin. Cela semble la principale activité agricole, comme
en témoigne aussi cette anecdote: en 1437, au cours de sa visite
pastorale, l’évêque reproche aux habitants de La Trinité d’utiliser l’église
53. CALMETTE, CLOUZOT, Pouillé des provinces de Besançon cit.
54. Parrochia Musterii Trinitatis 1481 (FORAS, Armorial et nobiliaire de l’ancien duché cit.).
55. ADS SA 1908.
56. E. VIDIL, Rôle des maisons fortes dans la défense des territoires en zone de frontière
(Savoie-Dauphiné : XIIIe-XVe s.), in Motte, torri e caseforti nelle ’ campagne medievali (secoli XII-XV),
a cura di R. COMBA, F. PANERO, G. PINTO, Cherasco, 2007, pp. 29-49.
57. ADS SA 1 f. 26.
POUVOIR SEIGNEURIAL ET COMMUNAUTÉS RURALES
77
pour y entreposer des tonneaux 58. Elle demeure encore de nos jours,
limitée à quelques parcelles. L’agriculture est également représentée par
les vergers et les jardins (curtils), et la céréaliculture de façon indirecte, si
l’on considère la présence d’un grenier au château de Villard-Sallet.
L’existence de moulins le long du Gelon peut être mise en relation soit
avec la production de farine, soit avec le battage du chanvre, dont la
culture est attestée par la mention de chabannaria. Les nombreux prés, en
altitude ou dans la vallée, attestent de l’élevage du bétail, ainsi que des
contestations portant sur le passage des troupeaux (1357). L’énergie
hydraulique a pu être utilisée également pour entraîner un martinet: un
document de 1440 fait état d’un litige entre le seigneur de Montmayeur
et le châtelain de La Rochette à propos d’un martinet nommé « Malaperrin », situé dans le mandement 59. On sait par ailleurs la production
de fer attestée dans la région, à Allevard et aux Hurtières, et son importance
pour l’économie régionale, tant en ce qui concerne l’exploitation que le
transport 60. Il faut en effet ajouter à ces activités agricoles et artisanales
les retombées économiques provenant du trafic routier. La fréquentation de cet axe, certes secondaire, mais à longue distance, par des
voyageurs et des marchands a sans doute été un apport non négligeable
pour ces communautés rurales installées sur la voie. Il est probable par
ailleurs que l’implantation seigneuriale et la multiplication des maisons
fortes dans ce secteur a certes un aspect familial et patrimonial,
représenté par l’installation de diverses branches et alliés de la famille de
Montmayeur, mais est aussi sans doute le résultat d’une attraction et
d’une implantation sur des domaines situés dans une région d’agriculture et d’activité économique qui semblent assez prospères.
Ce dossier, constitué d’éléments assez disparates, permet cependant
de mettre en évidence trois mouvements dans la répartition chronologique du peuplement médiéval de cette petite région. Le premier est une
concentration qui semble avortée, notamment à Montmayeur, où la
création d’un château au XIIe siècle n’a attiré qu’une infime partie de la
population rurale dispersée dans les environs. A côté du castrum où
résidaient quelques familles auprès de l’église paroissiale, et protégées par
58. ADS C 1830.
59. ADS SA 55/2.
60. Cf. Y. MAZURE, Chargiae ferri. Un aperçu du commerce du fer entre le Val Gelon et le
Genevois au début du XVe s. à travers les comptes de péage du Chatelard en Bauges. 1425-1433,
Mémoire pour le Diplôme de l’E.H.E.S.S. (dir. P. Braunstein), Paris, 1996.
78
JEAN-MICHEL POISSON
la fortification, se sont maintenus divers habitats, plus ou moins
éparpillés dans la montagne. Ces hameaux ont pu disparaître: certains,
mentionnés au Moyen Âge, n’ont pas laissé de traces 61, d’autres ne sont
plus que des lieux-dits, d’autres enfin n’apparaissent pas dans les textes.
Cependant les caractères d’un habitat dispersé semblent perdurer, et cela
malgré l’attraction qu’a pu jouer la présence d’un gros bourg aux abords
immédiats de la région: La Rochette.
Le second mouvement est celui d’une descente dans la vallée: on
voit bien qu’au cours du bas Moyen Âge se produit un mouvement qui,
sans faire disparaître complètement les habitats de hauteur, déplace une
partie de la population rurale des implantations de relief vers celles des
vallées. Le cas est particulièrement net pour Montmayeur et VillardSallet où se produit une sorte de phénomène de « vases communicants »,
entraînant la désertion complète et définitive du premier au bénéfice du
second. Les facteurs sont ici nombreux, en particulier le déplacement du
lieu de résidence seigneurial et du siège du pouvoir, et la modification
du trafic routier. Ce n’est pas un cas unique: même si les désertions de
sites de hauteur sont moins faciles à dater, il paraît que les habitats de
vallée se maintiennent mieux, grossissent ou même naissent, densifiant
progressivement le peuplement de la vallée le long de la voie. Le
troisième mouvement est lié à la multiplication des maisons fortes au bas
Moyen Âge, majoritairement dans la vallée, où les communications
sont faciles et le séjour plus agréable. Il vient renforcer les effets du
second mouvement et fixant et cristallisant l’habitat dispersé en même
temps qu’il joue un rôle dans le développement de l’économie rurale.
61. C’est le cas des manses Contali, Pugin et Rasclos, cités dans le compte de la châtellenie de
La Rochette en 1275 (ADS SA 16621).
J. M. POISSON
Fig. 1 - Carte de la zone étudiée (IGN, carte 1/25.000 n° 3433 est-ouest).
TAV. I
TAV. II
J. M. POISSON
Fig. 2 - Montmayeur: la tour nord, du sud.
Fig. 3 - Montmayeur: plan du site archéologique.
J. M. POISSON
TAV. III
Fig. 4 - Montmayeur: l’église, phase 1.
Fig. 5 - Montmayeur: la zone du village, du nord.
TAV. IV
J. M. POISSON
Fig. 6 - Villard-Sallet, cadastre 1730 (Mappe sarde).
Fig. 7 - Villard-Sallet, vue de l’est (début XXe s.).
J. M. POISSON
TAV. V
Fig. 8 - Montmayeur, lieu-dit « Sous la ville » (cadastre 1893).