Grèce
Crise de la dette publique
et « thérapie de choc »
Maria KARAMESSINI *
D
epuis le début de 2010, la Grèce
est entrée dans la plus grave crise structurelle de son histoire récente, déclenchée
par l’éclatement de la crise de la dette. En
tant que lieu de résolution des contradictions et des conflits d’intérêts de classe, la
répartition des revenus a été remise en
cause par la crise, ainsi que le compromis
de classe qui la sous-tendait.
La crise a débuté avec la spéculation
des marchés financiers contre les obligations de la dette grecque à partir de la
mi-novembre 2009, après la suggestion
faite par le commissaire européen aux
Affaires économiques et monétaires
d’appliquer les sanctions de la procédure
pour déficit excessif engagée par l’Union
européenne contre la Grèce. Les intervenants sur le marché financier, anticipant
que l’Union européenne ne renflouerait
pas les caisses de l’Etat, exigèrent des
taux de rendement plus élevés sur les
obligations de l’Etat grec et augmentèrent
le prix des Credit default swaps (CDS),
servant à se prémunir contre le risque de
défaut ou de restructuration de la dette
grecque. La crise s’est déclenchée le
22 décembre 2009, lorsque l’agence de
notation Moody’s a baissé la note de la
Grèce, et s’est intensifiée les mois suivants.
Respectueux de ses engagements auprès des institutions européennes (Conseil européen, Eurogroupe et ECOFIN) et
soucieux de rassurer les marchés financiers, le gouvernement grec a annoncé
quatre ensembles de mesures destinées à
réduire le déficit public, qui était passé de
6,4 % du PIB en 2007 à 15,4 % en 2009.
Le premier « paquet » était incorporé au
budget de l’Etat pour 2010 adopté par le
Parlement le 23 décembre 2009, et le
deuxième faisait partie de la mise à jour
du Programme grec de stabilité et de
croissance (PSC) présentée au Conseil
ECOFIN le 15 janvier 2010 (Hellenic Republic, Ministry of Finance, 2010a). Les
deux autres paquets contenant des mesures d’austérité supplémentaires ont été
annoncés par le gouvernement au début
de février puis en mars 2010.
Malgré l’annonce de ces mesures de
réduction du déficit, la spéculation sur les
marchés financiers s’est amplifiée et le
* Professeur associée d’économie, université Panteion des Sciences Sociales et Politiques,
Athènes (
[email protected]).
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Chronique internationale de l'IRES - n° 127 - novembre 2010
CRISE DE LA DETTE PUBLIQUE ET « THERAPIE DE CHOC »
taux des obligations de l’Etat grec est
monté en flèche. Dans ces conditions, le
gouvernement s’est vu contraint de demander une aide financière aux pays de la
zone euro. Dès lors, il était évident que
les spéculateurs s’attaquaient à l’euro
lui-même et que le défaut de la Grèce ne
conduirait pas seulement à l’effondrement de ses principaux créanciers (banques françaises et allemandes), mais
pourrait aller jusqu’à faire éclater l’Union
économique et monétaire. Le 2 mai 2010,
le gouvernement grec, la Commission européenne, la Banque centrale européenne
(BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) annoncèrent un accord sur un
programme d’ajustement économique
(PAE), et l’Eurogroupe décida à l’unanimité d’apporter un soutien financier à la
Grèce sous forme de prêts bilatéraux coordonnés par la Commission européenne.
Ce soutien est accordé par tranches successives dont l’ouverture est subordonnée
à la stricte mise en œuvre du programme
d’ajustement (Commission européenne,
2010a).
Le principal objectif du PAE qui s’appliquera de 2010 à 2013 est de restaurer la
crédibilité de la Grèce sur les marchés financiers. Sa priorité est l’assainissement
budgétaire et la stabilité du système bancaire. En même temps, il se propose
d’améliorer la compétitivité de l’économie grecque et de la réorienter vers un
mode de croissance davantage centré sur
l’investissement et les exportations.
Le PAE comporte des mesures fiscales
et budgétaires, financières et structurelles.
Sa logique s’inspire du « consensus de
Washington » incarné dans les programmes
d’ajustement structurel du FMI mis en
œuvre dans de nombreux pays en développement depuis le début des années 1980.
Cette même logique se retrouve dans les
recommandations détaillées adressées à
la Grèce par le Conseil ECOFIN de février 2010, qui ont toutes été incorporées
dans le PAE. La consolidation budgétaire
est la pierre angulaire de ce programme
de trois ans. Les mesures fiscales qu’il
contient sont de grande ampleur et visent
à obtenir dès la première année une réduction massive du déficit, égale à
5,6 points de PIB. Pour les auteurs du
PAE, cette « thérapie de choc » conduit
inévitablement à une récession à court
terme, mais c’est le prix qu’il faut payer
pour corriger les déséquilibres budgétaire
et extérieur, et pour restaurer la crédibilité
sur les marchés financiers. Toutefois, de
nombreux économistes grecs et étrangers
estiment que, sans même parler des effets
sociaux du PAE, l’économie grecque
risque d’être enfermée dans le carcan de
la dette et dans une stagnation durable.
Dans cet article, nous traiterons exclusivement des mesures d’assainissement budgétaire prises en 2010 et prévues
par le PAE et les quatre paquets qui l’ont
précédé. Cet ensemble de mesures constitue la politique d’austérité la plus sévère
jamais appliquée en Grèce depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle a provoqué
une vague de protestation sociale et un intense débat public. Nous rappellerons ensuite brièvement les déterminants de la
crise de la dette grecque afin de présenter
les mesures dans leur contexte. Puis nous
présenterons et évaluerons les mesures,
pour enfin analyser les réactions sociales
et la position des acteurs sociaux.
La crise de la dette
La crise de la dette souveraine
grecque s’explique par la conjonction de
facteurs internes et externes, structurels et
liés à la crise mondiale. Même si, en effet,
Chronique internationale de l'IRES - n° 127 - novembre 2010
123
GRECE
les principaux déterminants de la crise de
la dette sont de nature structurelle et interne, celle-ci n’aurait pas éclaté si la
crise économique mondiale n’avait pas
eu lieu, si la mondialisation avait été
mieux régulée et si l’architecture institutionnelle et politique de l’Union européenne n’avait pas été conçue en fonction
de principes néo-libéraux et monétaristes.
S’agissant des facteurs internes, le niveau élevé de la dette publique atteint avant
le déclenchement de la crise mondiale reflétait avant tout l’effet cumulé d’un déficit
de recettes publiques remontant à plusieurs
années (Stathakis, 2010). En 2007, les recettes totales des administrations publiques
étaient de 39,8 % du PIB, contre 45,3 %
dans l’Union européenne à 27, tandis que
les dépenses totales s’élevaient à 46,4 % du
PIB, contre 46 %.
Cet énorme déficit découle de la tradition d’évasion fiscale des entreprises et
des travailleurs indépendants, des privilèges fiscaux accordés aux banques, aux armateurs, à l’Eglise, aux professions
libérales, etc.? ainsi que des réductions
d’impôt bénéficiant aux plus hauts revenus depuis 2000. De plus, le niveau d’endettement public atteint avant la crise
reflétait les effets cumulés des dépenses
excessives en matière d’armement 1, le
coût du sauvetage des entreprises privées
surendettés dans les années 1980 et, plus
récemment des banques, ainsi que le déficit croissant de la sécurité sociale depuis
le début des années 1990, financé par le
budget de l’Etat (4,5 % du PIB en 2008).
Il faut y ajouter le déficit des Jeux olympiques d’Athènes de 2004 et la corruption
généralisée du personnel politique de
l’Etat et des cadres du secteur public qui a
conduit à une surévaluation des travaux et
marchés publics 2.
Tableau 1. Principaux indicateurs économiques
2007
2008
2009
2,0
2010* 2011** 2012** 2013** 2014**
Taux de croissance (%)
4,5
- 2,4
- 4,2
- 3,0
1,1
2,1
Taux de croissance
de l’emploi (%)
1,4
0,1
- 0,7
- 2,8
- 2,6
0,1
0,9
Taux de chômage (%)
8,3
7,7
9,1
12,1
14,6
14,8
14,3
- 9,4 - 15,4
- 9,4
- 7,4
- 6,5
- 4,9
142,7
152,6
158,6
160
- 14,7 - 13,8 - 13,1 - 10,6
- 8,0
- 6,6
- 5,4
Déficit public (% PIB)
Dette publique (% PIB)
Déficit extérieur (% PIB)
- 6,4
105
110,3
126,8
2,1
- 2,6
- 4,4
* Données provisoires ** Projections.
Sources : données 2007-2009 : Commission européenne (2010b) ; estimations 2010 et projections : budget de
l’Etat 2011.
1. Dragasakis (2010) estime à 100 milliards d’euros l’excès – cumulé sur les vingt dernières
années – de dépenses militaires par rapport à la moyenne de la zone euro et des pays
membres de l’OTAN. Ce montant représente un tiers de la dette publique grecque.
2. La corruption a été alimentée par l’augmentation sensible de la sous-traitance des activités
publiques au secteur privé depuis le début des années 1990. Elle devrait être considérée
comme une composante essentielle du modèle économique grec plutôt que comme un
obstacle à une économie libérale (Tsakalotos, 2010).
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Chronique internationale de l'IRES - n° 127 - novembre 2010
CRISE DE LA DETTE PUBLIQUE ET « THERAPIE DE CHOC »
Après l’entrée de la Grèce dans la
zone euro le 1er janvier 2001, les très bas
taux d’intérêt ont incité l’Etat à s’endetter
massivement. Dans le même temps, une
croissance rapide et des taux de rendement élevés ont encouragé les investisseurs internationaux à financer les dettes
publiques et privées (Milios, Sotiropoulos, 2010). Entre 2001 et 2007, le poids
de la dette publique en pourcentage du
PIB a baissé, en raison de la croissance
relativement forte de l’économie grecque
au cours de la période (4,2 % par an en
moyenne) et d’une réduction substantielle du coût du service de la dette. Dans
la crise récente, le déficit des administrations publiques a augmenté de 6,4 % du
PIB en 2007, à 9,4 % en 2008 puis 15,4 %
en 2009, tandis que la dette publique passait de 105 % du PIB en 2007 à 126,8 %
en 2009. Le creusement du déficit peut
être imputé pour 68 % au recul des recettes fiscales et, pour les 32 % restants, à
l’accroissement des dépenses.
Parmi les facteurs externes, le plus
important renvoie à la nouvelle phase
dans laquelle est entrée la crise économique mondiale à partir de l’automne
2009. Celle-ci s’est transmise des banques aux Etats, et de financière, elle est
devenue fiscale. Cela a fait augmenter le
risque portant sur la dette publique
grecque, et conduit les intervenants financiers à fuir le risque des titres émis par les
Etats les plus endettés et à se tourner vers
des titres plus sûrs, comme ceux de la
dette publique allemande ou américaine.
Ce risque accru est la cause principale de
l’augmentation des différentiels de taux
(spreads) sur les obligations de l’Etat
grec. En outre, l’absence de régulation
des marchés financiers a permis une spéculation excessive sur les « CDS nus »
achetés par des investisseurs ne détenant
pas de titres de la dette publique grecque.
D’autres facteurs externes tiennent à
la réaction de l’Union européenne et à son
architecture institutionnelle. Il faut citer
ici la décision prise à l’automne par l’Eurogroupe et le Conseil ECOFIN de réactiver le Pacte de croissance et de stabilité
afin de fermer la « parenthèse keynésienne » correspondant à la première
étape de la crise économique (Karamessini, 2010). Appliquée à la Grèce de manière particulièrement intransigeante à
cause de la sous-déclaration du déficit par
son gouvernement, cette décision a alimenté la spéculation sur les obligations
de l’Etat grec. En outre, la décision de la
BCE de ne plus accepter ces obligations
comme garantie pour les prêts des banques privées – suivant en cela les évaluations des agences de notation privées
américaines – a contribué à l’augmentation des taux sur la dette grecque en début
2010. Enfin, si les spéculateurs ont pu parier sur un scénario de défaut de la Grèce
suivi d’un éclatement de la zone euro,
c’est en raison des faiblesses structurelles
de l’Union économique et monétaire. En
particulier, la BCE ne joue le rôle de prêteur en dernier ressort qu’à l’égard des
banques et il n’existe aucun mécanisme
de solidarité financière entre les Etats
membres en cas de risque de défaut.
Pour résumer, la Grèce ne paie pas
seulement ses déséquilibres budgétaires
passés et l’imprudence de son gouvernement pendant la crise, mais aussi la
montée générale des risques qui résulte
d’une crise mondiale que la Grèce n’a pas
déclenchée. Elle paie aussi les déficiences
de la construction européenne et des politiques suivies, où sa part de responsabilité
est minime.
Chronique internationale de l'IRES - n° 127 - novembre 2010
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GRECE
La « thérapie de choc » budgétaire
Nous avons mentionné plus haut que
l’objectif immédiat du budget de l’Etat
pour 2010, du PSC grec et du PAE est
l’assainissement budgétaire. Le PAE vise
à ramener le déficit des administrations
publiques de 15,4 % du PIB en 2010 à
2,6 % en 2014, afin de répondre aux exigences du Pacte de croissance et de stabilité. La réduction des dépenses devrait
contribuer pour 64 % à cet ajustement, et
l’augmentation des recettes pour 36 %.
Pour rendre cet ajustement durable, le
PAE prévoit également des réformes
structurelles qui ont un effet sur le déficit
à moyen et long termes. Les réformes
structurelles portent sur le système de retraites, le secteur de la santé, l’administration publique et le cadre budgétaire et
fiscal.
Mesures immédiates
Les mesures fiscales prises en 2010
peuvent être classées selon qu’elles augmentent les recettes ou baissent les dépenses. Les mesures visant à accroître les
recettes sont les suivantes :
– importante augmentation de la fiscalité indirecte ; les taux de TVA sont respectivement passés de 4,5 %, 9 % et 19 %
à 5 %, 11 % et 23 % ; les taxes sur les cigarettes, l’alcool et le diesel ainsi que sur
les téléphones mobiles et l’essence ont
été augmentées à plusieurs reprises ; mise
en place de nouvelles taxes indirectes sur
l’électricité pour les ménages et sur les
biens de luxe (voitures, yachts, etc.) ; extension de la TVA à des act i vi t és
jusque-là exemptées ;
– mise en place d’un barème progressif d’imposition sur les successions et les
legs ;
126
– contribution spécifique sur les pensions supérieures à 1 400 euros ;
– « prélèvement de crise » de 5 à 7 %
sur les entreprises ayant des bénéfices
nets de 5 millions d’euros ou plus en 2008
(report du budget 2009), de 4 à 10 % sur
les entreprises ayant des bénéfices nets de
100 000 euros ou plus en 2009 ;
– prélèvement de crise de 1 à 9 ‰ sur
les biens immobiliers de 400 000 euros ou
plus (report du budget 2009) ;
– prélèvement de crise sur les ménages au revenu de 60 000 euros ou plus en
2008 (report du budget 2009) ; prélèvement de crise sur les ménages au revenu
de 100 000 euros ou plus en 2009 ;
– et recettes nouvelles tirées de l’encadrement des banques (report du budget
2009).
En plus de ces mesures, le Parlement
a adopté en avril 2010 une nouvelle loi introduisant des réformes du système fiscal.
Les principaux changements sont les suivants :
– introduction d’un barème progressif
unifié, qui traite toutes les sources de revenu de manière uniforme ;
– suppression de l’imposition autonome et de la plupart des exemptions fiscales sur le revenu des particuliers ;
– détermination des revenus des travailleurs indépendants sur la base de la
comptabilité ;
– augmentation de la fiscalité sur les
salaires en nature, y compris par l’imposition de la location de voitures ;
– et distinction entre profits nondistribués et dividendes. La taxation des
profits non-distribués va progressivement
diminuer de 25 % à 20 % en 2014. Les dividendes seront imposés au même barème que l’impôt sur le revenu.
Chronique internationale de l'IRES - n° 127 - novembre 2010
CRISE DE LA DETTE PUBLIQUE ET « THERAPIE DE CHOC »
Les principaux changements dans la
fiscalité du capital et de l’immobilier sont
les suivants :
– introduction d’une imposition progressive des biens immobiliers et des actions des sociétés immobilières ;
– introduction d’une imposition des
donations de biens immobiliers et des
dons en espèces au profit d’entités publiques ou privées à but non lucratif, auparavant exonérées ;
– augmentation de la fiscalité sur les
immeubles des sociétés offshore et sup-
pression de toutes les exemptions
existantes ;
– augmentation de la fiscalité sur les
biens immobiliers de l’Eglise et introduction d’un impôt sur le revenu des biens de
l’Eglise ;
– exemption de contrôle fiscal pour
tous les dépôts transférés vers la Grèce
dans un délai de six mois sous condition
de paiement d’une taxe de 5 % sur le capital transféré. Il s’agit d’une incitation au
rapatriement des capitaux de l’étranger.
Encadré
Mesures de réduction de la masse salariale
dans le secteur public et des dépenses de sécurité sociale
– réduction de 30 % du nombre de contrats à court terme dans le secteur public
en 2010 ;
– gel de l’embauche en 2010, avec quelques exceptions dans les secteurs de la
santé, de l’éducation et de la sécurité publique ;
– remplacement d’un départ à la retraite sur cinq à partir de 2011 ;
– baisse de 12 à 16 % du traitement annuel des fonctionnaires par réduction des
primes, y compris celles de Pâques, d’été et de Noël ;
– baisse globale des pensions d’environ 9 % par réduction des pensions les plus
élevées et des primes de Pâques, été et Noël ;
– gel des pensions pour tous les retraités de 2011 à 2013 ;
– réduction de 10 % de la rémunération du premier ministre, des ministres et secrétaires généraux des ministères ;
– baisse de 16 à 20 % de la rémunération annuelle des employés d’entités ou
entreprises publiques, par réduction des salaires et des primes de Pâques, d’été
et de Noël ;
– réduction de 50 % de la rémunération des membres des conseils d’administration d’entités et entreprises publiques ;
– plafonnement des gains des employés, cadres et dirigeants de l’ensemble du
secteur public ;
– interdiction des bonus aux dirigeants et réduction des jetons de présence dans
le secteur public ;
– baisse de 30 % de la rémunération des heures supplémentaires et plafonnement plus strict des remboursements pour frais de voyage dans le secteur public.
Chronique internationale de l'IRES - n° 127 - novembre 2010
127
GRECE
L’essentiel des baisses de dépenses
publiques sera obtenu en 2010 au moyen
des mesures suivantes :
– baisse des traitements, réduction du
nombre de contrats de courte durée et gel
du recrutement dans le secteur public ;
– baisse généralisée des pensions dans
le secteur public aussi bien que privé ;
– réduction de 27,5 % des dotations
de l’Etat aux communes dans le budget
de 2010 et réduction de 10 % des dotations de l’Etat aux organismes de sécurité
sociale ;
– réduction de 10 % des dépenses de
fonctionnement des ministères et des collectivités locales en plus des baisses inscrites au budget de 2010 ;
– réduction de 11,3% % de l’investissement public ; réduction de 200 millions euros des dépenses d’équipement militaire ;
– réduction des dépenses de santé et
d’éducation, annulant les hausses prévues
initialement par le budget de l’Etat 2010 ;
– suppression de la deuxième tranche
de l’allocation de solidarité dont le versement était prévu pour la première moitié
de 2010 en faveur de groupes sociaux
vulnérables : chômeurs indemnisés, chômeurs de longue durée, personnes handicapées, salariés à faible revenu, retraités,
paysans, etc.
Mesures structurelles
Au deuxième trimestre 2010, le Parlement grec a adopté un certain nombre de
réformes structurelles destinées à réduire
les dépenses publiques ou à encadrer leur
évolution future :
– réforme des retraites privées et publiques ;
– réforme des collectivités locales et
des administrations publiques régionales ;
– lutte contre l’évasion fiscale ;
128
– mise en place d’un nouveau cadre
de gestion des finances publiques et
d’une autorité unique chargée de gérer les
salaires dans le secteur public ;
– ouverture toute la journée des hôpitaux et des centres de santé afin de dégager des recettes supplémentaires et
réduction des dépenses pharmaceutiques
pour l’assurance maladie ;
– annonce d’un programme de privatisation de grande envergure.
La récente réforme des retraites vise explicitement à réduire à 2,5 points de PIB
l’augmentation des dépenses publiques de
retraite prévue sur la période 2010-2060.
Elle introduit un système à deux piliers,
constitué d’une pension de base sous condition de ressources à 65 ans et de pensions
contributives, pour remplacer l’ancien système à un seul pilier. Les différents régimes
de sécurité sociale seront regroupés en trois
grands régimes, et les employés nouvellement embauchés dans le secteur public seront rattachés, à partir du 1er janvier 2011, à
la caisse de sécurité sociale des salariés du
secteur privé (IKA). Désormais, l’Etat n’est
plus responsable financièrement que de la
pension de base sous condition de ressources.
A partir de décembre 2013, l’âge légal
de la retraite des femmes qui ont commencé à cotiser avant 1993 sera aligné sur
celui des hommes (65 ans) ; l’âge minimum de départ en retraite anticipée sera
repoussé à 60 ans au début de 2011 ; la
période minimale de cotisation pour une
retraite à taux plein passera de 35 ou
37 ans à 40 d’ici à 2015, puis sera indexée
sur l’espérance de vie ; une décote de 6 %
sera introduite pour les personnes partant
à la retraite entre 60 et 65 ans et qui auront cotisé pendant moins de 40 ans. Le
mode de calcul des droits à pension sera
changé : le taux annuel de revalorisation
Chronique internationale de l'IRES - n° 127 - novembre 2010
CRISE DE LA DETTE PUBLIQUE ET « THERAPIE DE CHOC »
des revenus d’activité portés au compte
sera ramené de 2 % à 1,2 % et la période
prise en compte sera étendue à l’ensemble de la vie active au lieu des cinq
dernières années. Enfin, la réforme aligne
les retraites des fonctionnaires sur celles
du privé en éliminant toutes les dispositions plus favorables. Le résultat attendu
de la réforme est que l’âge moyen effectif
de départ à la retraite augmentera notablement et que le niveau des pensions diminuera considérablement, pour les
femmes en particulier.
La réforme de l’administration publique locale et régionale vise essentiellement à réaliser des économies, évaluées à
1,5 milliard d’euros, en ramenant de
1 014 à 325 le nombre des entités locales
(communes et collectivités locales). Les
économies devraient provenir de la baisse
des coûts de fonctionnement et de la réduction de moitié des effectifs des collectivités locales qui passeraient de 50 000 à
25 000 salariés (Hellenic Republic, Ministry of Finance, 2010b:12).
La modernisation de l’administration
fiscale et la lutte contre la fraude fiscale
sont inscrites dans la nouvelle loi fiscale
d’avril 2010, dont les principales dispositions sont les suivantes :
– détermination du revenu imposable
sur la base des services, biens et propriétés
possédés ou utilisés par le contribuable ;
– incitations à délivrer et collecter les
pièces justificatives des achats de biens et
de services ;
– suppression des procédures de négociation des amendes et mise en place
d’un système par points ;
– sanctions plus sévères pour fraude
fiscale et commerce illicite ;
– réorganisation des services fiscaux.
Pourtant, bien qu’en pleine contradiction avec cet effort modernisateur, le gou-
vernement, pour faire face au décalage
des recettes publiques par rapport aux objectifs du PAE pour 2010, vient d’adopter
une loi de règlement de tous les litiges en
cours opposant l’administration fiscale
aux entreprises et aux travailleurs indépendants. En s’engageant à verser un certain montant d’impôt annuel prédéfini, le
contribuable peut obtenir un règlement de
sa situation fiscale. La même loi abolit les
amendes pour retards de paiement.
Le nouveau cadre de gestion des finances publiques a fait récemment l’objet
d’une loi sur la gestion fiscale qui impose
au ministère des Finances de présenter
une orientation budgétaire triennale ; elle
introduit une procédure budgétaire descendante comportant une contrainte globale pour les dépenses de l’Etat et une
prévision pluriannuelle pour chaque ligne
budgétaire, assortie de rapports mensuels
sur la mise en œuvre du budget.
Enfin, le gouvernement a annoncé au
mois de juin dernier un vaste programme
de pr i vat i s at i on pour l a pér i ode
2011-2013. Il prévoit la privatisation partielle ou totale de presque toutes les entités publiques ainsi que la vente ou la
concession du parc immobilier de l’Etat.
Les privatisations sont aujourd’hui en
cours de préparation dans les transports
(chemins de fer), la banque (Banque postale, Banque agricole, etc.), les infrastructures (autoroutes, ports et aéroports),
l’approvisionnement en eau et l’assainissement, l’énergie (électricité, gaz et essence), les télécommunications (postes et
téléphone), et dans l’industrie du jeu (casinos et pronostics de football). Même si
ce programme ne fait pas officiellement
partie du PAE et a été présenté comme
une initiative gouvernementale autonome, il peut être considéré comme une
Chronique internationale de l'IRES - n° 127 - novembre 2010
129
GRECE
annexe du PAE en matière de consolidation budgétaire.
L’une des mesures structurelles prévues dans le PAE pour 2010 qui n’a pas
encore été mise en place est l’introduction d’une nouvelle échelle des salaires
unifiée dans la fonction publique. La mesure est classée parmi celles contribuant à
l’assainissement budgétaire et est en
cours de préparation. Elle vise à réduire la
masse salariale et les dépenses publiques
par la suppression des primes spécifiques
touchées par les différentes catégories de
fonctionnaires.
L’impact de l’ajustement
De toute évidence, le coût de cette
« thérapie de choc » pèsera beaucoup plus
sur les ménages que sur les entreprises, et
sur les ménages à bas et moyens revenus
plutôt que sur les ménages à revenus élevés. Certes les « prélèvements de crise »
de la fin 2009 et du premier trimestre
2010 ont concerné les hauts revenus et les
patrimoines immobiliers, mais l’essentiel
des recettes publiques supplémentaires
viendra d’une forte augmentation des impôts indirects qui alimentera l’inflation,
pénalisant de manière disproportionnée
les ménages à bas et moyen revenus de
retraités, de salariés et de travailleurs indépendants prolétarisés. Cette augmentation des impôts indirects a déjà fait
monter le rythme annuel d’inflation de
2,3 % en janvier à 5,7 % en septembre
2010.
En outre, bien que certains des changements concernant l’impôt sur le revenu
peuvent conduire à une meilleure justice
fiscale, la nouvelle loi a réduit l’imposition des profits non-distribués des entreprises, n’a pas vraim ent abol i l es
privilèges fiscaux des armateurs et des
banques, est restée extrêmement timide
130
en matière d’imposition des activités et
des propriétés de l’Eglise, a promis une
amnistie fiscale peu coûteuse à ceux qui
rapatrieraient leurs capitaux de l’étranger
et a été incapable d’améliorer la capacité
de recouvrement de l’impôt de l’administration fiscale ou de progresser dans la
lutte contre l’évasion fiscale. Quant à la
loi de « règlement fiscal », il va sans dire
que cette mesure est d’autant plus favorable à ses bénéficiaires que l’évasion fiscale était importante.
Dans le même temps, les salariés, les
retraités, les jeunes et les groupes les plus
vulnérables vont supporter des coûts
considérables :
– les suppressions massives de contrats à court terme et le gel du recrutement
dans le secteur public en 2010 ont tout
particulièrement affecté les jeunes travailleurs et fait augmenter le chômage
des jeunes ;
– la limitation des recrutements dans
le secteur public à partir de 2011 va considérablement réduire dans les années à venir les perspectives d’emploi des jeunes à
forte qualification entrant sur le marché
du travail, en particulier les femmes ;
– les baisses des traitements et des
pensions, combinées à l’inflation, conduiront à une baisse de 17 à 21 % du pouvoir
d’achat des fonctionnaires, de 21 à 25 %
des employés des entités et entreprises
publiques, et d’environ 14 % des retraités
des secteurs public et privé ;
– le gel des salaires dans le secteur privé prévu pour 2010, et entériné par la négociation collective sur le salaire minimum
national, entraînera une diminution de 5 à
6 % du pouvoir d’achat pour les bas salaires
et pour une grande partie des salariés ;
– la suppression de la deuxième
tranche de l’allocation de solidarité sociale représente un manque à gagner pour
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ses bénéficiaires (chômeurs, handicapés,
bas salaires, retraités et paysans).
Selon le PAE, l’augmentation des impôts indirects, la baisse des salaires et des
pensions, ainsi que la suppression de la
deuxième tranche de l’allocation de solidarité représentent au total 80 % du coût
d’ajustement budgétaire en 2010 (Commission européenne 2010a:51).
La détérioration des services publics
entraîne une charge supplémentaire pour
les ménages à bas ou moyen revenu. Le
non-renouvellement de contrats à court
terme et le gel de l’embauche dans le secteur public ainsi que les démissions massives de fonctionnaires e t aut r es
employés du secteur public proches de la
retraite (afin d’échapper à la réforme des
retraites) a conduit à un grave manque
d’effectifs dans de nombreux services publics. Dans le même temps, la baisse des
budgets de fonctionnement, de 10 % pour
les ministères et de 37,5 % pour les entités locales, a contribué à réduire le champ
d’intervention et la qualité des services.
La santé publique, l’éducation, la protection sociale, les transports sont particulièrement touchés par ces mesures. Dans les
écoles, le nombre d’élèves par enseignant
a augmenté, de nombreux parents ne peuvent plus trouver une place de crèche
pour leurs enfants, la fréquence des transports publics urbains a baissé et les hôpitaux manquent de matériel médical et
sanitaire, car les fournisseurs privés n’ont
pas été payés depuis des mois.
Les perspectives macro-économiques
et d’emploi ont été assombries par l’aggravation de la récession, les faillites de
petites entreprises se multiplient, on prévoit pour l’année 2010 une augmentation
de trois points du taux de chômage, et le
ratio de la dette publique augmente. Tels
sont les effets délibérés de la thérapie de
choc, la récession étant le coût nécessaire
à court et moyen termes de l’ajustement
budgétaire, lui-même présenté comme la
condition préalable à une croissance durable à long terme.
Mais cette cure d’austérité risque
d’enclencher une spirale récessive, qui
enfoncerait l’économie grecque dans le
piège de la dette et compromettrait sérieusement sa capacité productive à long
terme. C’est ce scénario, qui débouche
inévitablement sur une restructuration de
la dette publique, qu’anticipent les économistes keynésiens et de gauche en Grèce
et à l’étranger. Ce scénario est validé par
les investisseurs financiers qui maintiennent les spreads sur la dette grecque à un
niveau extrêmement élevé. Il est corroboré par un certain nombre de faits. La
consommation intérieure et les investissements ont fortement reculé, les marchés
européens sont en quasi-stagnation à
cause de la simultanéité des politiques
restrictives dans l’Union européenne et la
hausse de l’inflation érode la compétitivité. La récession a déjà montré la fragilité
des objectifs budgétaires, puisqu’à la fin
du mois d’octobre 2010, les recettes publiques n’avaient progressé que de 3,7 %,
alors que l’objectif est une augmentation
de 13,7 % sur l’ensemble de l’année.
Cette faible croissance des recettes
publiques, en dépit des importantes hausses d’impôts, est certainement liée à la carence chronique du fisc grec mais elle
découle aussi et en très grande partie de
l’évolution récente négative de l’activité
économique (tableau 2). Elle suggère que
la récession compromet l’efficacité de la
thérapie de choc dans la mesure où elle
fait obstacle à l’ajustement budgétaire.
C’est sans doute pourquoi le gouvernement grec a déjà entamé des discussions
informelles avec le FMI et les responsa-
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GRECE
Tableau 2. Evolutions récentes de l’activité économique
Production industrielle (janvier-août 2010)
- 5,8 %
Construction (janvier-juin 2010)
- 19,9 %
Construction de logements privés (janvier-juillet 2010)
- 25,8 %
Chiffre d’affaires du commerce de détail (avril-juillet 2010)
- 6,6 %
Nombre de touristes étrangers (janvier-juin 2010)
- 5,4 %
Recettes de voyages de non-résidents (janvier-juillet 2010)
- 10,8 %
Exportations (janvier-juillet 2010)
+ 2,4 %
Importations (janvier-juillet 2010)
- 19,9 %
Taux de variation (à prix constants sauf le nombre de touristes) par rapport à la même période de l’année précédente.
Source : Autorité Statistique Hellénique, http://tinyurl.com/ELSTAT.
bles de l’Union européenne sur un éventuel allongement de la période de remboursement des prêts accordés par le FMI
et les pays de la zone euro. Selon les dernières informations de la presse grecque,
le nouvel arrangement serait subordonné
à la reconduction de la politique d’austérité et des réformes structurelles néo-libérales jusqu’en 2024 et assorti d’une
augmentation du taux d’intérêt sur les
prêts accordés par les pays de la zone
euro au-dessus de l’actuel 5,2 %.
La réaction des acteurs sociaux
Les réactions des acteurs sociaux à la
politique d’austérité ont beaucoup varié.
Nous nous en tenons ici à l’exposé des
positions des organisations patronales et
des syndicats.
La Fédération hellénique des entreprises (SEV) a pleinement approuvé les
mesures, jugées nécessaires pour éviter la
faillite de l’Etat, tout en reconnaissant
leur impact récessif et en soulignant
qu’elles auraient pu être moins sévères si
elles avaient été mises en œuvre plus tôt
(SEV, 2010). La SEV considère que la
crise de la dette est le résultat de l’étatisme et a donc renouvelé ses préconisations en faveur d’une réduction du poids
132
de l’Etat, d’une restructuration portant en
priorité sur les organismes, les services et
les entreprises publics et de la lutte contre
la bureaucratie. Le grand patronat a également plaidé pour l’ouverture des marchés, en particulier dans l’énergie et les
transports, pour la déréglementation des
professions fermées ainsi que pour l’accélération des procédures d’octroi des
subventions aux projets d’investissement.
Enfin, il s’est plaint de la taxe sur les entreprises bénéficiaires et a insisté sur
l’évasion fiscale de la part des PME, en
faisant valoir que les 1 500 plus grandes
entreprises grecques paient 72,2 % de
l’impôt sur les sociétés.
La position de l’ESEE (Fédération
nationale du commerce grec) et de la
GSEVEE (Confédération générale des
professions libérales, artisans et commerçants), qui représentent les intérêts des
professions libérales et des petites entreprises industrielles et commerciales, n’a
pas été la même que celle de la SEV. Ces
organisations ont vivement protesté
contre l’impact négatif des baisses de salaires et de retraites et des augmentations
d’impôts indirects sur la consommation
privée, qui conduit à la fermeture de nombreux petits commerces et petites entre-
Chronique internationale de l'IRES - n° 127 - novembre 2010
CRISE DE LA DETTE PUBLIQUE ET « THERAPIE DE CHOC »
prises. Elles se sont également opposées à
la réduction des subventions publiques à
la Caisse de sécurité sociale des professions libérales (OAEE). Ces deux organisations ont appelé leurs membres à éviter
de répercuter les hausses de TVA dans
leurs prix, et elles ont participé à la grève
générale du 5 mai, en fermant magasins et
entreprises. L’ESEE et la GSEVEE ont
également dénoncé à plusieurs reprises
les restrictions de crédit, ont demandé
l’ouverture de prêts aux professions libérales et aux PME et ont réclamé des procédures permettant d’étaler le règlement
des engagements auprès des banques, des
autorités fiscales et de la sécurité sociale.
Plus récemment, elles ont souligné le
risque de nouvelles augmentations d’impôts sur la consommation, que les entreprises seraient forcées de répercuter dans
leurs prix.
Du côté des syndicats, la Confédération
générale des travailleurs grecs (GSEE) qui
représente les salariés du privé et la Confédération des associations de fonctionnaires
(ADEDY) ont toutes deux protesté contre
la politique d’austérité et la réforme des retraites. En ce qui concerne l’action collective, cinq grèves générales ont eu lieu en
Grèce en 2010. Les manifestations qui se
sont déroulées le jour de la grève générale
du 5 mai sont considérées comme la plus
importante mobilisation de travailleurs depuis la chute de la dictature. L’ADEDY a
organisé treize grèves et douze manifestations, et la GSEE cinq grèves et deux manifestations qui ont coïncidé avec celles de
l’ADEDY.
L’ADEDY a surtout dénoncé les baisses des salaires et des pensions dans le
secteur public, l’érosion du pouvoir
d’achat des salariés via l’augmentation
des impôts indirects et de l’inflation, la
détérioration des services publics résultant de la réduction des budgets de fonctionnement, la hausse de l’âge de la
retraite et l’égalisation de l’âge légal de la
retraite entre hommes et femmes, la réduction des subventions publiques aux
deux fonds de fonctionnaires consacrés
aux retraites complémentaires et à l’assurance maladie, le passage à un système de
retraite à deux piliers, le gel du recrutement dans le secteur public et le licenciement de travailleurs sous contrats de
court terme qui répondent à des besoins
permanents de la fonction publique.
L’ADEDY s’est également opposée à la
privatisation de la Banque agricole et de
la Banque postale, soulignant la nécessité
d’un pôle bancaire public, et à la nouvelle
échelle des salaires unifiée dans la fonction publique qui sert de prétexte à de
nouvelles baisses de salaires.
Le point de vue de la GSEE est quelque
peu différent, car celle-ci concentre son action sur la réforme fiscale, la réforme des
retraites et la réforme du marché du travail 1. Elle a présenté des propositions détaillées pour une autre réforme fiscale et
de nouvelles sources de financement du
système de sécurité sociale lors de la
consultation sur le projet de loi fiscale
(GSEE, 2010). Elle a proposé un barème
unifié et progressif de l’impôt automatiquement indexé sur l’inflation, la taxation
des sociétés offshore, une imposition séparée des profits distribués et non distribués, assortie de taux d’imposition réduits
pour ces derniers dans les secteurs à grand
potentiel de développement et de créations
d’emplois, des mesures visant à lutter
1. La réforme du marché du travail est une composante importante des réformes structurelles
prévues par le PAE, mais on ne l’abordera pas ici.
Chronique internationale de l'IRES - n° 127 - novembre 2010
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GRECE
contre l’évasion fiscale, etc. En ce qui
concerne le financement supplémentaire
de la sécurité sociale, la GSEE a suggéré
la création d’un « Fonds de réserve de solidarité intergénérationnelle » financé par
des taxes sur les activités de jeu, sur les
hauts revenus, sur les revenus bruts des
entreprises, sur les factures d’électricité
ainsi que par des taxes écologiques.
Après l’adoption du PAE en mai, la
GSEE a dû faire face à plusieurs offensives simultanées :
– le refus par la SEV de négocier une
augmentation du salaire minimum national pour la période 2010-2012 ;
– les initiatives législatives du gouvernement visant à changer le système de
négociation collective, faciliter les licenciements, baisser la rémunération des
heures supplémentaires, introduire des
salaires inférieurs au minimum pour les
jeunes ;
– une réforme radicale des retraites
conduisant à la baisse des pensions, à
l’augmentation de l’âge de la retraite et à
la réduction du financement public de la
sécurité sociale.
Toutes ces mesures ont été finalement
adoptées, à l’exception de la nouvelle organisation de la négociation collective
qui a été reportée. Par ailleurs, une
convention collective triennale a été
signée par la GSEE et les organisations
patronales en juillet, qui prévoit un gel du
salaire minimum national en 2010 et une
indexation sur le taux moyen d’inflation
dans la zone euro en 2011 et 2012.
La GSEE et l’ADEDY ont toutes
deux dénoncé les mesures d’austérité et
critiqué le PAE 1 parce qu’il est sociale-
ment injuste et qu’il réduit unilatéralement les droits sociaux des salariés, mais
aussi parce qu’il est économiquement
dangereux, dans la mesure où il réduit la
demande globale et conduit à la récession. Cependant, la direction de la GSEE
a choisi d’adopter une position défensive
à l’égard des mesures, considérant que le
PAE était inévitable. Cette position de la
GSEE et le sentiment d’une mobilisation
collective insuffisante, expliquent la formation de l’« Initiative des 50 syndicats », qui a organisé des manifestations à
Athènes une fois par semaine au printemps et au début de l’été 2010. Elle regroupe des syndicats relativement récents
du secteur privé, organisés à partir de la
base et mobilisant de jeunes salariés dans
des secteurs d’emploi flexible.
L’ADEDY a critiqué le PAE, appelant
à plusieurs reprises à son rejet et s’engageant dans un mouvement de grève intensif. En outre, l’ADEDY a entamé une
procédure en illégalité des baisses de salaires et de pensions auprès de la Cour administrative suprême, avec le soutien de
l’Association des avocats d’Athènes, de
la Fédération des retraités de la fonction
publique, de la Chambre technique de
Grèce, de l’Association des journalistes
d’Athènes et d’autres associations profess i onnel l es . E n s ept em br e 2010,
l’ADEDY a adressé une lettre au Premier
ministre et aux responsables des partis
parlementaires, où elle franchit un pas en
incluant timidement, parmi d’autres propositions, la restructuration de la dette publique, alors que cette idée n’était
jusque-là avancée que sous la version
plus radicale de renégociation de la dette
1. Appelé en grec Mnimonio. Celui-ci renvoie au mémorandum signé par le gouvernement grec
avec la troïka (FMI, Commission européenne, Banque centrale européenne) qui fait partie du
PAE.
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par certains partis de gauche, désireux de
présenter une alternative viable au PAE.
Conclusion
En 2010, la crise de la dette publique
a fait éclater en Grèce la crise structurelle
la plus grave de son histoire économique
récente. Une cure d’austérité sans précédent a été mise en place. Dans cet article
nous avons décrit les mesures prises par
le gouvernement grec en 2010 visant à réduire le déficit budgétaire à court et plus
long terme et évalué leur efficacité économique et leur impact social. D’autres
mesures ayant le même but vont suivre
dans les années à venir. Le PAE pour
2011 inclut de nouvelles hausses d’impôts indirects ; de nouvelles réductions
des primes et du nombre des travailleurs
sous contrats de courte durée dans la
fonction publique ; la réforme du système
des pensions supplémentaires ; la suppression, restructuration et/ou privatisation d’entités et entreprises publiques (on
y envisage des réductions importantes de
salaires, des transferts du personnel et
probablement des licenciements) ; la réduction des dépenses publiques de santé
et d’éducation et des investissements publics, etc. On s’attend donc à ce que
l’économie grecque s’enfonce encore
plus dans la récession, le chômage
grimpe et les salariés du public et du privé
voient leur revenu diminuer, leur emploi
se déstabiliser et leurs droits sociaux revus à la baisse. Avec aujourd’hui une
dette publique à 143 % du PIB qui
continue d’augmenter, avec le taux de son
service à 14 % du PIB et une politique publique récessive, on voit bien pourquoi
les marchés financiers parient massivement sur la restructuration de la dette
grecque et pourquoi le FMI et le Conseil
Europegroupe jugent opportun d’allonger
la période de remboursement par l’Etat
grec des prêts accordés par le FMI et les
pays de la zone euro. Il faut toutefois souligner qu’une restructuration de la dette
après coup n’aura pas évité le désastre
économique et social causé par la thérapie
de choc.
Article traduit de l’anglais
par Michel Husson
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Near Eastern Studies, Volume 12, Number 3,
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Tsakalotos E. (2010), « Greek Economic Crisis », paper presented at the IIPPE conference
« Beyond the Crisis », Rethymno, Crète, 10-12
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