AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX
DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE :
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ENTRE SOURCES ÉCRITES ET ARCHÉOLOGIE
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qui, aux XIe-XIIe siècles, voit
apparaître de nouvelles villes et des bourgs castraux qui seront l’une des
bases de la vie régionale pour les siècles suivants est partout en France difficile à saisir. Mais en Saintonge et en Aunis, dans une région qui est sans doute
l’une des plus pauvres de France en archives antérieures à 1250-1300, cette
question l’est plus encore. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible d’étudier la question qui nous intéresse ici, grâce notamment à une documentation
archéologique riche et originale, couvrant l’ensemble du haut Moyen Âge et
issue d’observations faites dans le lit mineur du fleuve Charente. Mais ces
données archéologiques posent des problèmes d’interprétation qu’il convient
d’examiner attentivement.
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A GENÈSE DE LA RÉVOLUTION URBAINE
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1. Introduction. Le réseau urbain dans la vallée de la Charente au XIe siècle
La Charente aux XIe-XIIe siècles (fig. 1) est dans une situation bien différente
de ce que l’on connaît dans d’autres bassins fluviaux de l’Atlantique et de la
Manche à la même époque. Une seule cité antique existe, celle de Saintes, et
elle ne semble guère utiliser le fleuve sur lequel elle est bâtie puisque les
* Centre de recherches historiques, Unité mixte de recherche 8558 EHESS/CNRS, Paris.
Château, ville et pouvoir au Moyen Âge, Publications du CRAHM, 2012, p. 81-156
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spécialistes de la période considèrent que son port est à Barzan, une importante agglomération secondaire située sur la Gironde à 28 km au sud-ouest1.
Dans l’ensemble de l’Aunis et de la Saintonge et en dehors de Barzan, le
nombre d’agglomérations secondaires gallo-romaines connues est très faible
et aucune n’est sur le fleuve ou dans son estuaire2.
Saintes reste au XIe siècle une cité essentielle, mais l’activité dans le bassin
fluvial est alors avant tout le fait de sites qui apparaissent à cette époque. Sur
le littoral et un peu au nord du débouché du fleuve, existent un château et un
port, Châtelaillon, dont nous ne connaissons rien avant la fin du Xe siècle3 et,
sur le cours du fleuve, entre la mer et Cognac, quelques bourgs. André Debord
en a recensé quatre attestés dans les sources écrites avant 11504. Deux, TonnayCharente et Cognac, sont des bourgs castraux, Salignac est un bourg rural et
Notre-Dame de Saintes un bourg abbatial au débouché, en rive droite, du pont
qui permet de quitter la cité. On peut ajouter quelques bourgs castraux qui
existent le long du fleuve au XIe siècle sans être ainsi qualifiés par des textes de
cette époque. Taillebourg est le cas le plus certain5. Mais dès le milieu du
XIe siècle Saint-Savinien, un peu en amont de Taillebourg et situé dans cette
baronnie, doit déjà être une sorte de petit bourg castral ou au moins ce qu’il
est avec certitude au début du XIIIe siècle : un site portuaire à la charnière entre
cabotage et batellerie6. On peut aussi s’interroger sur la nature de lieux situés
plus en aval comme Rochefort ou Soubise, où des châteaux existent dans le
cours du XIe siècle et qui apparaissent dans la suite du Moyen Âge comme de
petits ports de rivière et de cabotage complétés par des péages et des bacs7. Il
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1. L. MAURIN avec A. DEBENATH, J. GOMEZ DE SOTO, L. LAPORTE, G. MARCHAND
et J.-L. TOURNEPICHE, Histoire de l’Aunis et de la Saintonge sous la direction de Jean Glénisson :
1. Des origines à la fin du VIe siècle après J.-C., Geste éditions, 2007, p. 176 ; voir aussi p. 168.
2. Ibid., p. 168 et ss.
3. P. BOISSONNADE, « La renaissance et l’essor de la vie et du commerce maritime en Poitou,
Aunis et Saintonge du Xe au XVe siècle », Revue d’histoire économique et sociale, t. XII, 1924,
p. 259-325 et plus particulièrement, p. 277-279 ; A. DEBORD, La société laïque dans les pays de
la Charente, Xe-XIIe s., Paris, 1984, p. 82, 144, 358, 367 et 456.
4. Ibid., fig. 77, p. 446.
5. J. CHAPELOT, « Société rurale et économie de marché en Saintonge aux XVe-XVIe siècles :
l’exemple de la seigneurie de Taillebourg et de ses environs », Revue de la Saintonge et de l’Aunis,
10, 1984, p. 63-104 et ID., « Le pont et la chaussée de Taillebourg (Charente-Maritime) :
l’histoire complexe d’un grand aménagement médiéval », actes du colloque La rivière aménagée
entré héritages et modernité. Formes, techniques et mise en œuvre, DRAC de la région Centre,
Orléans, 15-16 octobre 2004, Æstuaria, 2005, 7, p. 151-205.
6. Ibid., passim.
7. Le port de Soubise est cité vers 1159-1169 : O. JEANNE-ROSE, « Ports, marchands et
marchandises. Aspects économiques du littoral poitevin (IXe-XIIe siècles) », dans D. GUILLEMET
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faut aussi évoquer Saint-Jean-d’Angély qui émerge dans le cours du Xe siècle
sous la forme d’un bourg abbatial dont l’activité économique avant le XIe siècle
est mal connue8, mais où existe à la fin du XIe siècle un lieu-dit le Port9 sur la
Boutonne qui sera aménagée dans le cours du XIIIe siècle pour permettre la
navigation vers la Charente. En 1048-1050, Saint-Jean-d’Angély est qualifié
de burgus avec une série de droits caractéristiques de ceux-ci10. Sur le cours de
la même rivière, Tonnay-Boutonne – où un oppidum apparaît dans une charte
de Guillaume Fier à Bras, duc d’Aquitaine et comte de Poitou (963-995) –
mérite d’être cité11. Un diagnostic archéologique semble y avoir découvert en
2008 les traces du fossé et du talus protégeant un bourg castral dès la fin du
Xe-première moitié du XIe siècle12. L’existence postérieure de ce bourg castral,
où un port est créé en 1207, est assurée.
Quoi qu’il en soit, au milieu du XIe siècle et entre la mer et le port saunier
de Cognac, le réseau urbain sur le cours de la Charente reste faible avec une
ville et quatre à six bourgs castraux sur plus de cent kilomètres.
Une genèse difficile à reconstituer à partir des sources écrites
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Il ne faut pas attendre beaucoup des textes pour saisir la genèse de ces bourgs
castraux. Tous les auteurs qui se sont penchés sur l’histoire de la Saintonge et
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et J. PERET (éd.), Les sociétés littorales du centre-ouest atlantique de la Préhistoire à nos jours,
actes du colloque international de la mer, Rochefort, 18-20 avril 1995, Mémoires de la
Société des Antiquaires de l’Ouest et des musées de Poitiers, 5e série, tome IV, 1996, p. 115142, p. 135.
8. A. DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, op. cit., p. 361 et 362.
9. Cartulaire de l’abbaye royale de Saint-Jean-d’Angély, t. 1 et 2, G. MUSSET (éd.), Paris, 1901
et 1903 (Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, 30 et 38), voir t. I, charte LIII et
t. II, charte CCCCLV.
10. T. ENDEMANN, Markturkunde und Markt in Frankreich und Burgund von 9 bis
11 Jahrhundert, J. Thorbecke, 1964, 247 p. (Konstanzer Arbeitskreis für mittelalterliche
Geschichte. Sonderband, 4), voir p. 138. La mention dans cet ouvrage, ibid. et carte p. 60-61,
du bourg de Saint-Vivien à Saintes en 961 repose sur une charte qui est un faux du XVIIe siècle
(J. DUGUET, « La fausse charte de restauration de l’abbaye de Saint-Michel en l’Herm (année
961) », Revue de Saintonge et d’Aunis, Bulletin de la société des archives historiques de la Saintonge
et de l’Aunis et de la Société d’archéologie et d’histoire de l’Aunis, XLVIIIe volume, 7e fascicule, 1972,
p. 144-147).
11. Cartulaire de l’abbaye royale de Saint-Jean-d’Angély, op. cit., t. I, charte II : voir p. 16.
Cette charte pose des problèmes délicats parce qu’il s’agit d’un original du début du XIIe copiant
des documents perdus du Xe siècle (voir le commentaire de Georges Musset, éditeur de ce
cartulaire, ibid., note a, p. 12-13 et celui de dom Fonteneau, ibid., note a, p. 13), mais l’attribution de ce don à Guillaume Fier à Bras semble probable à la lecture.
12. B. GISSINGER, « Nouvelles données concernant le système défensif médiéval de TonnayBoutonne », Revue de la Saintonge et de l’Aunis, t. XXXV, 2009, p. 7-18.
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de l’Aunis soulignent le manque de sources écrites médiévales anciennes. Des
raisons spécifiques expliquent pour une part cette situation : absence d’abbayes
mérovingiennes et carolingiennes ou disparition de leurs archives de cette
époque dans le cas de celle de Saint-Jean-d’Angély, éloignement des centres
de pouvoirs royaux et impériaux mérovingiens et carolingiens, marginalité de
ce secteur entre un royaume d’Aquitaine qui peine à se constituer dans la
première moitié du IXe siècle et un comté de Poitiers que l’on ne voit guère
intervenir ici qu’à partir du milieu du XIe siècle.
Dans son étude des pays charentais au IXe-XIIe siècle, André Debord utilise
avant tout 61 cartulaires d’abbayes et recueils d’actes de seigneuries laïques.
Il n’a pas analysé la représentativité de cette documentation, ce qui est pourtant
très intéressant. Si l’on examine les périodes couvertes par ces cartulaires, on
constate qu’aucun ne contient de textes antérieurs au IXe siècle concernant
l’Aunis et la Saintonge. Cela tient à la fondation tardive de certaines de ces
abbayes ou bien aux périodes couvertes par les textes conservés dans leurs
cartulaires : celui de Saint-Cyprien de Poitiers couvre seulement la période
888-1155, celui de Saint-Jean-d’Angély ne conserve rien d’antérieur à 941. Les
abbayes du Poitou et celles extérieures au Centre-Ouest, même quand elles
sont plus anciennes que le IXe siècle, comme par exemple celle de Nouaillé,
n’ont de possessions en Aunis et en Saintonge qu’à partir de l’extrême fin de
ce siècle et leurs cartulaires ne nous apportent donc rien sur ces deux provinces
avant cette date13.
La conclusion est simple : mis à part quelques diplômes (parfois connus
seulement par des analyses) des rois d’Aquitaine Pépin Ier (817-838) et Pépin II
(839-852) ou des empereurs du IXe siècle, quelques mentions concernant
l’Aunis et la Saintonge dans des annales d’époque carolingienne comme celle
de Saint-Bertin, nos seules sources écrites sur ces deux provinces avant le
XIe siècle, en dehors de cartulaires, sont les Annales Engolismenses, le Chronicon
Aquitanicum, Adémar de Chabannes et l’Historia pontificum et comitum
Engolismensium, des textes écrits pour l’essentiel au XIe siècle et même au
XIIe siècle pour le dernier et centrés avant tout sur l’Angoumois ou l’Aquitaine.
Dans les deux départements de la Charente et de la Charente-Maritime, les
13. J. DUGUET, « Les possessions de l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers en Aunis et en
Saintonge, de 928 à 1125 (d’après le cartulaire) », dans Actes du XXe congrès des sociétés savantes
du Centre-Ouest, Rochefort, 1965, p. 22-30 ; ID., « Les possessions de l’abbaye de Nouaillé en
Aunis et en Saintonge des environs de 940 à la fin du XIIe siècle », Bulletin de la Société des
antiquaires de l’Ouest, 4e trimestre 1967, p. 313-317 ; ID., « Les possessions de l’abbaye de
Saint-Maixent en Aunis et Saintonge », Bulletin de la Société de géographie de Rochefort, 2e série,
t. 2, 1968, p. 73-85.
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textes conservés par siècle, presque exclusivement donnés par des cartulaires,
sont une trentaine pour le IXe siècle, un peu plus de 200 pour le Xe siècle, un
peu moins de 200 pour la première moitié du XIe siècle et un millier pour la
seconde moitié de ce même siècle et par leur nature ils n’évoquent guère les
sujets qui nous intéressent ici.
On ajoutera que les chartes antérieures à l’an Mil des cartulaires concernent
essentiellement l’Angoumois ou l’Aunis, l’absence d’abbayes en Charente-Maritime
avant le milieu du XIe siècle en dehors de celle de Saint-Jean d’Angély et la disparition complète des archives de l’évêché de Saintes expliquant cette situation. En
dehors de l’Aunis, qu’évoquent une centaine de chartes d’abbayes poitevines et
autres antérieures à l’an Mil et issues des cartulaires de seulement quatre abbayes
(Saint-Jean-d’Angély, Nouillé, Saint-Cyprien de Poitiers et Saint-Maixent), le
cartulaire de l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély est pratiquement notre seule source
pour le département de la Charente-Maritime et la période 950-1050.
Ce qui a moins retenu l’attention, c’est l’absence, parmi les possesseurs de
salines en Aunis et en Saintonge aux IXe-Xe siècles, de certains grands établissements ecclésiastiques qui existent à cette époque et même bien avant et
dont certains auront des biens dans ces deux provinces un peu plus tard : ainsi
les abbayes de Saint-Savin-sur-Gartempe et Charroux (Vienne) ou de celles
de l’Angoumois comme Saint-Cybard ou Saint-Amand-de-Boixe. Un seul
exemple est éclairant : celui de l’abbaye de Déols (Indre). Une bulle de
Jean XIII de janvier 968 confirme ses biens, dont salinas quoque in pago
Alnense14. Nous n’en savons pas plus sur ces salines, que certains auteurs sont
tentés de localiser autour de La Rochelle à cause de la possession par cette
même abbaye au XIIe siècle de la paroisse Saint-Nicolas de La Rochelle15.
Une conclusion s’impose : la documentation écrite dont nous disposons est
rare et peu représentative et elle ne nous apporte que très peu de choses sur
la situation dans le bassin de la Charente avant le XIe siècle. Or, c’est à cette
époque que se situe la genèse des sujets qui nous intéressent ici.
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L’historiographie récente sur les origines de la seconde révolution urbaine
L’examen de la réflexion actuelle des historiens permet d’identifier les questions
auxquelles il faudrait pouvoir répondre. En procédant ainsi, nous verrons
mieux les faiblesses de nos connaissances actuelles sur l’Aunis et la Saintonge.
14. Gallia christiana in provincias ecclesiaticas distributa…, t. 2 [provinces de Bourges et
Bordeaux], Paris, 1720, Instrumenta, texte LII, col. 44.
15. R. FAVREAU, « Les débuts de l’histoire de l’Aunis », Bulletin de la Société des Antiquaires
de l’Ouest, Poitiers, 5e série, 1990, t. IV, p. 11-38, voir particulièrement p. 16. Le cartulaire de
cette abbaye, conservé à la Bibliothèque nationale de France, est inédit.
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Les IXe-Xe siècles sont désormais considérés par les historiens comme le
début de la croissance économique de l’Occident médiéval16. Mais une
question reste en débat : les bases de cette croissance. Pour le Xe et surtout le
XIe siècle, l’explication avancée a été longtemps l’essor urbain né du développement du commerce international, les exemples classiques, dans la suite des
travaux d’Henri Pirenne, étant quelques villes de l’actuelle Belgique. Pour les
périodes antérieures, ce modèle a été transposé aux emporia des bords de la
Manche et de la mer du Nord, à partir des données archéologiques acquises
quand certains de ces sites, comme Dorestad ou Hamwih, ont commencé à
être fouillés à partir des années 1960-197017.
Mais parallèlement, le débat s’était déplacé autour du rôle dans cette croissance du monde rural et de ses productions. Dès 1968, Georges Despy avait
montré l’importance dans la renaissance urbaine du pays mosan aux IXeXe siècles des surplus agricoles18. D’autres historiens sont allés ensuite dans le
même sens, s’inscrivant en contradiction avec l’idée dominante dans les années
1970-1980 et à la suite des travaux de Georges Duby, celle d’un monde rural
carolingien fortement régressif19. Un colloque tenu en 1988 marque ce
tournant de l’historiographie en soulignant la croissance du monde agraire et
de ses productions au moins dès le VIIIe siècle20.
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16. Pour ne citer que quelques ouvrages récents marquants et différant par leurs approches :
R. HODGES, Dark Age Economics : A New Audit, Duckworth Publishers, 2010; M. MCCORMICK,
Origins of the European Economy : Communications and Commerce, A.D. 300-900, Cambridge,
UK New York, Cambridge University Press, 2001 ; P. TOUBERT, L’Europe dans sa première
croissance. De Charlemagne à l’an Mil, Paris, Fayard, 2004 ; A. VERHULST, The Carolingian
Economy, Cambridge University Press, 2002, dont l’introduction, p. 1-8, est un bon résumé
de l’historiographie récente sur le sujet, avec notamment l’irruption des données archéologiques
dans le débat. Olivier Bruand, dans son chapitre sur « Le poids de l’historiographie », donne
une synthèse de l’évolution de la réflexion des historiens sur ces questions depuis le début du
XXe siècle (O. BRUAND, Voyageurs et marchandises aux temps carolingiens. Les réseaux de communication entre Loire et Meuse aux VIIIe et IXe siècles, De Boeck Université [Bibliothèque du Moyen
Âge, 20], 2002, p. 15-38), avec néanmoins une faible part accordée à l’archéologie et aux
publications récentes dans ce domaine.
17. R. HODGES, Dark Age Economics…, op. cit., fait la synthèse de cette approche.
18. G. DESPY, « Villes et campagnes aux IXe et Xe siècles : l’exemple du pays mosan », Revue
du Nord, n° 50-197 (avril-juin 1968), p. 145-168.
19. J.-P. DEVROEY, « Un monastère dans l’économie d’échanges : les services de transport à
l’abbaye Saint-Germain-des-Prés au IXe siècle », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 1984,
vol. 39, n° 3, p. 570-589, fait le point sur la question à une époque charnière de l’historiographie.
20. La croissance agricole du haut Moyen Âge. Chronologie, modalités, géographie, Dixièmes
journées internationales d’histoire, 9-10-11 septembre 1988, Centre culturel de l’Abbaye de
Flaran, 1990.
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Dans le même temps, deux approches nouvelles se sont fait jour et elles
sont essentielles pour nous ici. La nature même des sources écrites a longtemps
imposé deux idées : pendant le haut Moyen Âge, le grand commerce ne porte
que sur des denrées de luxe ou de prix réservées aux classes dirigeantes laïques
et ecclésiastiques ou à certains habitants des villes; l’économie agraire est fondée
sur le système domanial. Sur ces deux points, le changement de vision des
historiens est net ces dernières années et il repose pour une part sur des données
archéologiques, comme la découverte d’objets importés ou de qualité dans des
sites ruraux ou la diffusion parfois lointaine de certaines productions artisanales.
Enfin, le développement de l’archéologie urbaine a eu une autre conséquence historiographique importante pour nous : l’idée, qui s’est imposée
progressivement, que l’essor des villes est, dans certaines régions, bien plus
ancien que les XIe-XIIe siècles, et qu’il commence sous des formes variées et originales, notamment celles de burgus ou de portus fluviaux. Parmi d’autres,
Adriaan Verhulst a fortement développé ces idées21 qui sont désormais entrées
dans l’historiographie22.
Dans ces débats récents, des points essentiels pour nous, mais très mal
documentés dans les sources écrites ne sont pas ou guère abordés et leur
importance est probablement minorée : la nature et la diffusion des productions artisanales, les trafics intérieurs, fluviaux et plus encore terrestres, les
échanges cantonnés à certaines sections d’un fleuve, les centres urbains et
commerciaux secondaires. Quand le commerce fluvial ou terrestre est évoqué,
il est souvent présenté comme dépendant du commerce maritime. Jusqu’à ces
toutes dernières années, la tendance est restée celle de synthèses historiques qui
buttent sur une difficulté incontournable : les lacunes des sources écrites.
Pour Olivier Bruand, le renouvellement peut venir d’études régionales,
intégrant des observations de toutes sortes23. En fait, cette approche
21. Pour illustrer ce renouveau historiographique, on peut, en dehors des ouvrages d’Adriaan
Verhulst cités ici par ailleurs, utiliser celui qu’il a édité en 1996, Anfänge des Städtewesens an Schelde,
Maas und Rhein bis zum Jahre 1000, Köln-Weimar-Wien, Böhlau Verlag, 1996, XLI (Veröffentlichung des Instituts für Vergleichende Städtegeschichte in Münster, Reihe A, Städteforschung,
vol. 40) : après une introduction où il analyse les origines urbaines avant l’an Mil dans les anciens
Pays-Bas et 240 articles consacrés à ce sujet, il republie dix-huit articles classiques déjà édités à partir
de 1958 par divers auteurs européens et qui illustrent ce renouveau historiographique.
22. P. BOUCHERON et D. MENJOT avec la collaboration de M. BOONE, « La ville médiévale »,
dans J.-L. PINOL (dir.), Histoire de l’Europe urbaine. I. De l’Antiquité au XVIIIe siècle. Genèse des
villes européennes, Paris, Éditions du Seuil, 2003, p. 285 et ss., voir particulièrement p. 323-340,
constitue un bon état de la réflexion actuelle des historiens sur la ville avant les XIe-XIIe siècles ;
sur le rôle des burgus et portus avant 1150 : A. CHÉDEVILLE, J. LE GOFF et J. ROSSIAUD, La ville
en France au Moyen Âge, des Carolingiens à la Renaissance, Paris, Seuil, 1998, p. 31 et ss.
23. O. BRUAND, Voyageurs et marchandises…, op. cit., p. 29.
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« régionale », qui semble en effet désormais la seule orientation possible pour
avancer dans l’étude des problèmes qui nous intéressent ici, est typiquement
celle de l’archéologie qui est aussi le seul moyen pour comprendre ce qui se
passe avant les XIe-XIIe siècles et pour mettre l’histoire de l’Aunis et la Saintonge
à un niveau qui permette une confrontation avec la réflexion actuelle des
médiévistes sur ces sujets dans d’autres régions.
Des données archéologiques abondantes mais qui posent
des problèmes d’interprétation
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Les sources écrites resteront toujours une base documentaire essentielle et
incontournable pour étudier les sujets qui nous intéressent ici, mais il faut
souligner avec force trois choses : elles doivent être confrontées aux données
archéologiques ; cette confrontation conduit nécessairement à une relecture
dialectique constante de l’apport des unes et des autres ; surtout, point essentiel, seules les données archéologiques sont susceptibles de croître en volume
et surtout en nature dans les années à venir.
Pour illustrer cette situation nouvelle de l’archéologie médiévale, l’exemple
du fleuve Charente avant le XIIe siècle est très éclairant car nous disposons
désormais d’une masse considérable d’informations. Nous ferons d’abord un
état de ces découvertes en analysant leur représentativité. Puis, à partir de
l’exemple du château et du bourg castral de Taillebourg, nous exposerons
comment, en utilisant les techniques d’acquisition de données développées
désormais par l’archéologie, il serait possible d’analyser la genèse d’un tel site,
fondamental dans l’histoire du fleuve Charente aux IXe-XIe siècles. Puis nous
exposerons comment, en utilisant d’une manière rationnelle et programmée
l’archéologie et les sources écrites, il serait possible de mieux comprendre le
développement urbain de ces deux provinces.
2. Une abondante documentation archéologique issue du lit mineur
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Introduction : l’état du fleuve
Pour bien comprendre les observations archéologiques faites dans le fleuve
Charente, il faut connaître celui-ci tel qu’il pouvait être au Moyen Âge et
quelques problèmes essentiels de navigation.
La distinction entre zone soumise à la marée – dans le cas de la Charente,
la section qui va jusqu’à Saintes – et zone non soumise à celle-ci est essentielle.
Dans le premier secteur, les besoins et les possibilités d’aménagement sont
réduits : pour franchir les hauts-fonds, on attend la marée. Dans ce secteur,
les obstacles majeurs sont les radiers des ponts de Taillebourg et Saintes dont
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Fig. 1 : Ponts, bacs et péages au Moyen Âge dans la moyenne et basse Charente.
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le franchissement dépend de l’état du fleuve. Par ailleurs, en aval de Saintes,
la largeur de celui-ci et l’influence des marées font qu’il est impossible d’établir en travers du lit mineur des barrages fixes portant moulins et pêcheries.
Ce secteur de la Charente est donc resté jusqu’aux aménagements du XXe siècle
en courant libre. En amont de Saintes en revanche, la construction de chaussées de moulins au Moyen Âge modifie complètement les conditions
d’écoulement de l’eau et de navigation : ces chaussées sont des obstacles à la
navigation, mais en même temps, en régulant l’écoulement, elles ont rendu
possible la remontée des bateaux dans cette section du fleuve24.
Le courant de flot joue un rôle considérable dans la navigation sur la
Charente en aval de Saintes, avec cependant l’obstacle des eaux douces, un
obstacle dont l’intensité variait selon les périodes. Les crues modifiaient considérablement la remontée de l’onde de marée. Les possibilités de remontée
dépendent aussi du seuil de Saint-Savinien qui était un obstacle naturel. Aux
marées de vives eaux au contraire ce seuil jouait en sens inverse : il arrêtait le
24. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial au XIe siècle. L’épave d’Orlac
(Charente-Maritime), Paris, Maison des Sciences de l’Homme (Documents d’archéologie
française, 48), 1995, voir p. 118.
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flot montant. Les possibilités de passage de ce seuil pouvaient donc être très
variables selon le niveau du fleuve et le coefficient de marée. De la même
manière, le franchissement du radier du pont de Taillebourg était parfois
impossible, tout particulièrement aux navires de cabotage aux formes rondes
et au tirant d’eau nettement plus important que celui des gabares au fond plat
qui calaient rarement plus de 1,50 m avant le XVIIIe siècle.
La durée des trajets dans le fleuve est une donnée importante. D’après des
comptes de la seigneurie de Taillebourg, il fallait aux gabares qui faisaient
régulièrement des allers et retours pour transporter de l’avoine ou du vin
entre Rochefort et ce château de Taillebourg (soit deux fois 37 km) le plus
souvent trois jours et deux nuits25, mais parfois cinq jours26. Une barque ou
une gabare faisait aux XVIe-XVIIIe siècles le trajet entre Saint-Savinien et
Taillebourg, soit douze kilomètres, en un peu plus d’une douzaine d’heures.
Vers l’amont, le radier du pont de Saintes était un obstacle à certaines
périodes, de même que les moulins et les pêcheries en amont de cette ville.
Le trajet entre Saintes et Cognac pouvait donc prendre plusieurs jours allerretour.
Pour la connaissance des niveaux de mouillage, les sources écrites de la fin
du Moyen Âge, de l’Ancien Régime et du XIXe siècle sont décisives. Un rapport
de 1865 indique par exemple que de Saintes à Tonnay-Charente il y a à l’étiage,
aux basses mers de mortes-eaux et sur les hauts-fonds de 1,20 à 1,50 m au
minimum dans les passages les plus difficiles et 1,60 m sur ces mêmes points
dans les périodes de bonnes eaux de navigation. L’archéologie apporte aussi des
données irremplaçables, notamment pour les époques anciennes. La publication de l’épave d’Orlac, découverte en amont de Saintes, a donné les premiers
éléments de ce genre27. Celle de l’épave de Port-Berteau 2, un peu en aval de
Saintes, a montré que dans ce secteur, au début du VIIe siècle, le lit mineur avait
un tracé semblable à l’actuel, mais qu’il était plus étroit et que l’influence des
marées était très forte, la végétation environnante différente de l’actuelle et
surtout que le niveau de mouillage évoluait entre un minimum de 0,80 m à
l’étiage et 2 m en eaux moyennes28. Ceci est très différent du niveau de
25. Arch. nat., compte de 1467-1469, 1 AP 2013, fol. 24v ; compte de 1469-1471, 1 AP
2014, quittance du 25 janvier 1469 a. s. ; Bibl. mun. La Rochelle, manuscrit 2465 : compte
de 1478-1479.
26. Bibl. mun. La Rochelle, manuscrit 2465 : compte de 1478-1479.
27. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit.
28. É. RIETH, C. CARRIERRE-DESBOIS et V. SERNA, L’épave de Port-Berteau II (CharenteMaritime). Un caboteur fluvio-maritime du haut Moyen Âge et son contexte nautique, Paris,
Maison des Sciences de l’Homme (Documents d’Archéologie Française, 86), 2001, p. 24 et ss.
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
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mouillage actuel en ce même lieu : il est de 7 m, pratiquement fixe depuis
l’inauguration en amont, en 1968, du barrage de Saint-Savinien.
Ces niveaux de mouillage en aval de Saintes sont largement suffisants pour
les unités de quelques dizaines de tonneaux qui caractérisent pour l’essentiel
le cabotage et la batellerie pendant le Moyen Âge29. Le caboteur de PortBerteau 2 sera examiné plus bas : il date du début du VIIe siècle (fig. 3,
n° 12-14), déplace 17 t avec une charge de 10 t, a un tirant d’eau lège de
0,36 cm et en pleine charge de 0,66 m (fig. 6, infra)30. En amont de Saintes
et prêt à naviguer, avec une coque lège d’un poids de 4 t, un équipage de trois
hommes pesant chacun 65 kg et deux pierres de mouillage d’au moins 40 kg
chacune, le chaland d’Orlac qui date du début du XIe siècle (fig. 3, n° 32)
déplace 4,3 t et, avec une charge de 8,3 t, son tirant d’eau est de 0,45 m
(fig. 6, infra).
Localisation, nombre et nature des opérations archéologiques dans le lit mineur
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Les premières observations archéologiques dans la Charente sont des fouilles
d’épaves en 1971-1973, puis l’étude du fleuve se développe et se diversifie
(fig. 2 et 4, infra). Pour la seule décennie 1995-2004, le lit mineur regroupe
59 opérations de fouille et de prospection (20 en Charente, 39 en CharenteMaritime), ce qui est énorme et sans équivalent dans un bassin fluvial français,
surtout si l’on tient compte de la relative petite taille de celui-ci en comparaison
de la Seine, du Rhône ou de la Loire31. Quand on regarde de plus près la localisation de ces 59 opérations, on constate qu’elles concernent seulement certains
secteurs du fleuve (fig. 2) : de l’amont vers l’aval, la section Châteauneuf-surCharente-Cognac (18 opérations), les environs de Dompierre (9 opérations),
le secteur Saintes-Taillebourg (31 opérations, majoritairement centrées sur
Taillebourg-amont et plus récemment sur l’immédiat aval de Saintes), plus une
opération en amont de Châteauneuf sans parler d’une dans le secteur de
Rochefort. Toutes les opérations conduites entre 1971 et 1995 étaient dans
ces mêmes trois secteurs. Pratiquement, la Charente étant navigable au Moyen
Âge jusqu’à Cognac, éventuellement Jarnac, cela signifie avant tout un intérêt
pour le secteur navigable.
29. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 146-147.
30. É. RIETH, C. CARRIERRE-DESBOIS et V. SERNA, L’épave de Port-Berteau II…, op. cit.,
p. 101 et 104 et ss.
31. J. CHAPELOT, Bilan décennal des opérations d’archéologie médiévale en Poitou-Charentes
(1995-2005). Programmes H 27 (Voies de communication), H 28 (Aménagements portuaires),
H 29 (Archéologie navale), avril 2008, 48 p. ill. (Texte à paraître dans le Bilan décennal de
l’archéologie médiévale en Poitou-Charentes).
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JEAN CHAPELOT
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Zone de prospection diffuse
diffuse
ou ponctuellement intensive
Zone de prospection diffuse
diffuse
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Dompierre : commune
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Limite supérieure
supérieure de la
navigation au XIe s.
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Fig. 2 : Secteurs prospectés dans la Charente depuis trente ans.
Trois zones sont étudiées depuis une trentaine d'années. La première est la plus en aval.
Dès 1971-1973 Éric Rieth y commence l'étude du port de Port-Berteau (commune de
Bussac) puis dans les années quatre-vingt il passe à la fouille de pirogues monoxyles à
Saintes, Port-d'Envaux et Taillebourg, dans les années quatre-vingt-dix à celle d’épaves à
Port-Berteau puis à partir de 2001 à Taillebourg-amont. Cette même année commence
une prospection pluriannuelle sur le même site par Jean-François Mariotti et plus récemment et plus ponctuellement entre ce lieu et Saintes par André Deconinck et Vincent
Lebaron. La zone centrale, centrée sur Dompierre, est prospectée par Jean-Lionel Henriet
à partir des années quatre-vingt, des fouilles programmées d’un chaland assemblé et de
pirogues monoxyles étant faites ensuite à Orlac et Dompierre par Éric Rieth. La troisième
zone, la plus en amont, est prospectée depuis les années quatre-vingt par Jean-Pierre
Gailledreau et d'autres qui ont travaillé sur une grande longueur du fleuve. On remarquera que ces trois zones de prospection se situent en amont et en aval des points les plus
en amont de remontée de la navigation au Moyen Âge, Cognac-Jarnac. Dans ces trois zones,
les prospections ont été d'une intensité variable et en dehors d'elles plusieurs secteurs n'ont
pas été prospectés : l'aval de Port-d'Envaux et le secteur Saintes-Chaniers.
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Limite supérieure
supérieure de la
navigation au XIIIe s. ?
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AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
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Autre élément notable : le nombre et l’importance des fouilles programmées, par ailleurs toutes publiées (fig. 4 et 6). Trois fouilles importantes
d’épaves ont été faites successivement et une est en cours : la grande pirogue
monoxyle EP1 de Port-Berteau (commune de Bussac)32, le chaland monoxyle
assemblé d’Orlac (commune de Dompierre)33, le caboteur EP2 de PortBerteau (commune de Bussac)34 et enfin l’épave EP1 de Taillebourg-amont
dont la fouille commence en 200235. Deux pirogues monoxyles ont été
fouillées parallèlement à Mortefont (commune de Dompierre)36.
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du
32. É. RIETH, « Pirogue monoxyle et port fluvial de Port-Berteau (Charente-Maritime) »,
dans S. MCGRAIL (dir.), Medieval Ships and Harbours, British Archaeological Reports, International Series, 66, Oxford, 1979, p. 201-210 : ID., « Bussac (Charente-Maritime).
Port-Berteau », Archéologie médiévale, 27, 1997, p. 279-280 ; ID., « De la fouille subaquatique
du site portuaire de Port-Berteau à celle du site fluvial de Port-Berteau II : un bilan (1971-1997)
des recherches conduites dans la Charente », dans L. BONNAMOUR (dir.), Archéologie des fleuves
et des rivières, Paris, Éditions Errance, 2000, p. 199-202.
33. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit.
34. É. RIETH, « Essay to Restore the Operating Process of a Shipyard in the Early Medieval
Period : the Example of the Port-Berteau II Wreck, Charente-Maritime, France », dans
C. BELTRAME (dir.), Boats, ships and shipyards, Proceedings of the ninth ISBSA (Venice, 2000),
Oxford, Oxbow Books, 2003, p. 113-118 ; É. RIETH, « From Wreck to Shipyard : the Example
of the Port-Berteau II Wreck, France (VIIth c.) », dans H. NOWACKI et M. VALLERIANI (dir.),
Shipbuilding Practice and Ship Design Methods from the Renaissance to the 18th Century,
A Workshop report, Max Planck Institut für Wissenschaftgeschichte, Preprint 245, Berlin, 2003,
p. 93-101 [et version en ligne : E. Prints. History of Ship Design : Shipbuildind Pratice and
Theory,
[email protected]] ; É. RIETH, C. CARRIERRE-DESBOIS et V. SERNA, L’épave
de Port-Berteau II…, op. cit.
35. É. RIETH, Épave EP 1 de Taillebourg (Charente-Maritime). Rapport de fouille. Campagne
2002, CNRS, Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris, UMR 8589, Musée national
de la Marine, Paris, décembre 2002, 28 p. (rapport multigraphié) ; É. RIETH, Épave assemblée
EP1 de Taillebourg, étude architecturale, Taillebourg, Fleuve Charente, Renfermis de Brainaud (entre
PK 38 et 39), 2003 (rapport multigraphié) ; É. RIETH, « A preliminary report on the hull
characteristics of the Gallo-Roman EP1-Taillebourg wreck (Charente-Maritime, France) :
archaeological evidence of regional practices of ancient flat-bottomed construction ? », dans
L. BLUE, F. HOCKER et A. ENGLERT (dir.), Connected by the Sea, Proceedings of the Tenth
ISBSA (Roskilde, 2003), Oxford, Oxbow Books, 2006, p. 78-83 ; É. RIETH et P. TEXIER, avec
la collaboration de C. LAVIER C. et V. SERNA, Épave EP1 de Taillebourg (Charente-Maritime),
Rapport de fouille. Campagne 2004, Paris, décembre 2004 ; Bilan scientifique du département
des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM), 2002, p. 104-105 ; Bilan
du DRASSM, 2004, p. 113-116.
36. É. RIETH, avec la collaboration de M. GINISTY et J.-L. HENRIET, Pirogue I de Mortefon,
Dompierre-sur-Charente (Charente-Maritime), Campagne de fouille 2001, rapport multigraphié,
décembre 2001 ; ID., « La pirogue 2 de Mortefon (Charente-Maritime) : remarques sur l’architecture monoxyle et le système nautique du bassin de la Charente (France) au Moyen Âge »,
dans Archéologiques (Québec), 2003, p. 43-61 (Collection Hors Série 1, Mer et Monde.
Questions d’archéologie maritime).
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94
IVe s.
s.
Ve s.
s.
VIe s.
s.
VIIe s.
s.
VIIIe ss..
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IXe s.
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XIe s.
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XIIe ss..
XIIIe s.
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XIVe s.
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XV
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VIe s X
VIIe ss..
XVI
XVII
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76-Saintes, La Menarderie, Epave 1
75-Saint-Fraigne Pirogue
74-Chaniers Pieu 6 de la pêcherie
73-Merpins Pieux (Cf. n° 2, 18 et 71)
72-Dompierre pieu dans la structure 2 (Cf. n° 61, 63, 64, 69)
71-Merpins Pieux (Cf. n° 2, 18 et 73)
n° 71
70-Saint-Simon Pieux (Cf. n° 7 et 47)
69-Dompierre Pieu a de la structure 2 (Cf. n° 61, 63, 64 et 72)
n° 69
68-Taillebourg
68-Taillebour
68-T
aillebourg Pieu n° 24 ensemble ouest site du pont (Cf. 57 et 59)
67-Dompierre Bois pris dans la structure 1 (Cf. n° 15, 65 et 66)
n° 67
66-Dompierre Pieux de la structure 1 (Cf. n° 15, 65 et 67)
n° 65
65-Dompierre Bois pris dans la structure 1 (Cf. n° 15, 66 et 67)
64-Dompierre Pieu d de la structure 2 (Cf. n° 61, 63, 69 et 72)
n° 63
63-Dompierre Pieu c de la structure 2 (Cf. n° 61, 64, 69 et 72)
62-Taillebourg-amont
62-Taillebourg-amont Pieu n° 37 du seuil 2 (Cf. 52 et 55)
n° 61
61-Dompierre Pieu b de la structure 2 (Cf. n° 63, 64, 69 et 72)
60-Taillebourg
60-Taillebourg Pieu n° 33 ensemble est sur le site du pont (Cf. 53 et 58)
59-Taillebourg
59-Taillebour
59-T
aillebourg Pieu n° 2 ensemble ouest sur le site du pont (Cf. 57 et 68)
n° 59
58-Taillebourg
58-Taillebourg Pieu n° 34 ensemble est sur le site du pont (Cf. 53 et 60)
57-Taillebourg
57-Taillebour
57-T
aillebourg Pieu n° 1 ensemble ouest sur le site du pont (Cf. 59 et 68)
56-Bour
g-Charente Pieux (Cf. n° 11
11 et 42)
56-Bourg-Charente
55-Taillebourg-amont
55-Taillebour
55-T
aillebourg-amont Pieux du seuil 2 (Cf. n° 52 et 62)
n° 55
54-T
54-Taillebourg-amont
aillebourg-amont Pieux seuil 1 (traversent épave 1 et pirogue 15)
53-Taillebourg
53-Taillebour
53-T
aillebourg Pieu n° 26 ensemble est site du pont (Cf. 58 et 60)
n° 52
52-Taillebourg-amont
52-Taillebourg-amont Pieu 30 seuil 2 (Cf. n° 55 et 62)
Datations par 14C
51-T
51-Taillebourg-amont
aillebourg-amont Pirogue 7
n° 51
Bateau assemblé
50-Le
Priouté, EP 2 (pirogue monoxyle)
Monoxyle assemblé
49-T
49-Taillebourg-amont
aillebour
g-amont Pirogue 1
n°
49
Pirogue monoxyle
48-Taillebourg-amont
48-Taillebourg-amont Pirogue 17
Pieu(x), bois, travaillé ou non
47-Saint-Simon Pieux (Cf. n° 7 et 70)
n° 47
46-Taillebourg-amont
46-Taillebour
46-T
aillebourg-amont Pirogue 14
Datations dendrochr
dendrochronologiques
dendr
ochronologiques
ochronologiques
45-Chateaubernard Pieux (pêcherie ?)
n° 45
-Période d'incertitude
44-Taillebourg-amont
44-T
aillebourg-amont Bois travaillé TAI
TAI 145
43-Saint-Laurent-de-Cognac Pieux (Cf. n° 28)
n° 43
-Période d'abattage du bois
42-Bourg-Charente Pieux (Cf. n° 11et
11et 56)
42-Bourg-Charente
41-Saintes, La Ménarderie, Pirogue 2
n° 41
40-T
40-Taillebour
aillebourg-amont Pirogue 13
40-Taillebourg-amont
39-Taillebour
aillebourg-amont Pirogue 10
39-Taillebourg-amont
39-T
n° 39
38-Taillebour
aillebourg-amont Pirogue 16
38-Taillebourg-amont
38-T
37-Taillebour
aillebourg-amont Pirogue 3
37-T
37-Taillebourg-amont
n° 37
36-Le Priouté Bateau assemblé (EP 1)
35-Port-Berteau Pirogue EP 1
n° 35
34-T
34-Taillebourg-amont
aillebourg-amont Pirogue 12
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IIIe s.
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36-Le Priouté Bateau assemblé (EP 1)
35-Port-Berteau Pirogue EP 1
34-T
34-Taillebourg-amont
aillebourg-amont Pirogue 12
33-Dompierre Pirogue 2 fouillée en 2001
n° 33
32-Orlac Chaland monoxyle assemblé
31-Rochefollet Pirogue assemblée
n° 31
30-Taillebourg-amont,
30-Taillebour
30-T
aillebourg-amont, Bois 101
29-Saint-Brice Pieux (aménagement d'un gué)
n° 29
28-Saint-Laurent-de-Cognac Pieux (Cf. n° 43)
27-Taillebourg-amont
27-Taillebour
27-T
aillebourg-amont Pieu n° 63 du seuil 3
n° 27
26-Saint-Vaize,
26-Saint-V
aize, Port la Pierre, Epave 1 (pirogue assemblée)
25-Saint-Vaize,
25-Saint-V
aize, Port la Pierre, Epave 1 (pirogue assemblée)
n° 25
24-Taillebourg-amont
24-Taillebourg-amont Pirogue 4
n° 23
23-Taillebourg-amont
23-Taillebour
23-T
aillebourg-amont Pirogue 11
11
22-Taillebourg-amont
22-Taillebour
22-T
aillebourg-amont Pirogue étudiée en 1984 (Cf. n° 5, 9 et 19)
n° 21
21-Port-d'Envaux Pirogue
20-Saintes Pirogue 1
19-Taillebour
19-T
aillebourg-amont Planche près pirogue étudiée en 1984 (Cf. n° 5, 9 et 22)
19-Taillebourg-amont
n° 19
18-Merpins Pieux (Cf. n° 2, 71 et 74)
17-Saintes Pirogue 2
n° 17
16-Dompierre Tronc
Tronc d'arbre creux
15-Dompierre Bois pris dans la structure de pieux 1 (Cf. n° 65, 66 et 67)
14-Port-Berteau Bateau assemblé EP 2 (Cf. n° 12 et 13)
13-Port-Berteau Bordé rive gauche VRG4 de l'épave EP 2 (Cf. n° 12 et 14)
12-Port-Berteau Planche PLP9 du pont arrière de l'épave EP 2 (Cf. n° 13 et 14)
11-Bourg-Charente
11-Bourg-Charente Pieu (Cf. n° 42 et 56)
10-La Menarderie, Pirogue 1
aillebourg-amont Pirogue 15 sous épave 1 et traversée par deux pieux (Cf. n° 1 et 54)
9-Taillebourg-amont
9-Taillebour
9-T
8-Taillebourg-amont
8-Taillebour
8-T
aillebourg-amont Pieu près de la pirogue étudiée en 1984 (Cf. n° 5, 19 et 22)
7-Saint-Simon Ensemble de pieux (Cf. n° 47 et 70)
6-T
6-Taillebourg-amont
aillebourg-amont Pirogue 9
5-Taillebourg-amont
aillebourg-amont Pieu près de la pirogue étudiée en 1984 (Cf. n° 8, 19 et 22)
5-Taillebour
5-T
4-Courbiac Epave 2 (bateau assemblé)
3-Courbiac Epave 3 (bateau assemblé)
2-Merpins Pieu (Cf. n° 18, 71 et 73)
1-Taillebourg-amont
1-Taillebour
1-T
aillebourg-amont Epave 1 (bateau assemblé) sur la pirogue 15 (n° 9) et traversée par deux pieux (n° 54)
n° 35
n° 111
1
n° 7
n° 5
s.
IIe s.
s.
IIIe s.
s.
IVe s.
Ve s.
s.
VIe s.
s.
VIIe s.
s.
VIIIe s.
s.
IXe s.
s.
Xe s.
s.
XIe ss..
XIIe s.
s. XIIIe s.
s.
XIVe s.
s.
X
XV
Ve s.
s.
XVI
XVIe s
XVII
XVIIe s.
s.
DAO J.C.
Fig. 3 : Datations 14C et dendrochronologiques réalisées sur des épaves, des pieux ou des bois venant du lit mineur de la Charente (la pirogue
de Saint-Fraigne, n° 75 dans le diagramme, n’a pas été découverte dans la Charente : elle était utilisée dans un marais en amont d’Angoulême).
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n° 3
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n° 9
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
n° 13
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n° 15
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JEAN CHAPELOT
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Ce tableau prend en compte tous les éléments datés venant du lit mineur de la Charente et actuellement connus. Les dates, notamment les datations 14C (qui sont les dates calibrées), sont présentées telles
qu’elles sont données dans les publications ou fournies par les fouilleurs : les données scientifiques d’appréciation ne sont pas toujours disponibles, en particulier dans le cas des 14C. Dans certains cas, les datations
14C concernent une épave ou un pieu, dans d’autres plusieurs pieux appartenant à un ensemble : des
renvois permettent de retrouver les éléments, notamment des pieux, qui viennent d’une même structure,
par exemple celles fouillées à Dompierre.
Plusieurs résultats de datations 14C, réalisées sur des échantillons venant de fouilles programmées ou
de prospections et confiés par les responsables de ces opérations au Service régional d’archéologie, n’ont
jamais été communiqués aux titulaires des autorisations. Il s’agit notamment des deux pieux qui traversent l’épave EP1 de Taillebourg dont la fouille programmée est en cours par Éric Rieth, mais ces dates sont
prises en compte dans le tableau car elles ont été publiées par ailleurs (J.-F. MARIOTTI et al., « Prospection
du lit mineur… », art. cit., fig. 3 p. 304 et p. 306 et fig. 4 p. 307). De même, les résultats de prélèvements
pour datation faits par le Service régional de l’archéologie sur la pirogue 1 de Dompierre et celle découverte en 2004 n’ont jamais été communiqués au titulaire des autorisations de prospection. Ces deux
datations doivent être dans une liste de seize datations d’éléments venant du lit mineur de la Charente, toutes
attribuées au haut Moyen Âge et publiées par J.-F. Mariotti (Ibid., note 112, p. 333) : sont citées à propos
de Dompierre les références suivantes de datations : GIF 7143, GIF 7390, GIF 7393, GIF 7395, LY 9647,
ARC 2209 et ARC 2462. La datation LY 9647 doit être celle de la pirogue 1 et ARC 2462 celle de la pirogue
de 2004. Ces deux pirogues sont donc probablement à ajouter aux épaves datées qui figurent dans le
présent tableau. Il en sera sans doute de même, quand leurs datations seront connues, pour les trois
pirogues découvertes récemment par Xavier Barraud à Chauveau et Portublé (commune de Chaniers)37.
(Références des datations données dans le diagramme : Bilan scientifique du Département des recherches
archéologiques subaquatiques et sous-marines pour l’année 2004, Marseille, p. 122 ; J. CHAPELOT et É. RIETH,
Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 24 et annexe 1 p. 96 et ss ; p. 28 ; note 7, p. 35 ; p. 39-40 ; p. 85 ;
p. 86; p. 89; p. 91 et note 3 ibid.; p. 92; A. DECONINCK, «Du Priouté à Taillebourg», art. cit.; A. DUMONT,
« Taillebourg-Port-d’Envaux (Charente-Maritime). Approche archéologique, environnementale et historique du fleuve Charente à Taillebourg-Port-d’Envaux (Charente-Maritime). Étude interdisciplinaire et
transchronologique du lit mineur et des berges », Archéologie médiévale, t. 34, 2004, « Chronique des
fouilles médiévales en France », p. 302 ; A. DUMONT, « La Charente-Projet collectif de recherche », dans
Bilan scientifique 2005 du DRASSM, Ministère de la culture, Direction de l’architecture et du patrimoine,
2007, p. 137-140, p. 139 ; J.-P. GAILLEDREAU avec la collaboration de O. SEUVE-MARTIN, Inventaire des
sites subaquatiques dans le lit du fleuve Charente, département de la Charente, entre le port du Lys et Châteauneuf-sur-Charente, Inventaire au 16/01/2005 de l’aval vers l’amont, Texte dactylographié de 4 p. communiqué
par l’auteur en janvier 2008 ; P. GRANDJEAN, « La Charente. Entre Bourg-Charente et Cognac », Archéologie médiévale, 25, 1995, « Chronique des fouilles médiévales en France », p. 359 ; P. GRANDJEAN et
É. RIETH, « La pirogue monoxyle du pont de Saintonge à Saintes », Revue de la Saintonge et de l’Aunis, 16,
1990, p. 75-87; V. LEBARON, «De l’aval de Saintes au Priouté», 2008, art. cit.; J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT,
V. MATHÉ, A. CAMUS, F. LÉVÊQUE, A. NISSEN-JAUBERT, O. HULOT, S. GRECK et B. SZEPERTYSKI, « Prospection du lit mineur et des berges sur le site médiéval de Taillebourg-Port-d’Envaux (Charente-Maritime) :
un secteur d’activité lié à la Charente », Aquitania, 21, 2005, p. 299-336, fig. 4 p. 307 ; note 28 p. 309 ;
note 34 p. 313 ; note 35, p. 313 ; note 112, p. 333 ; J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT et B. ZÉLIE, avec la collaboration de A. DECONINCK et P.-E. AUGÉ, « Un port fluvial et un pont du haut Moyen Âge sur la Charente
à Taillebourg-Port-d’Envaux (Charente-Maritime) », dans L. BOURGEOIS (éd.), Wisigoths et Francs autour
de la bataille de Vouillé (507). Recherches récentes sur le haut Moyen Âge dans le Centre-Ouest de la France,
Actes des XXVIIIes Journées internationales d’archéologie mérovingienne, Vouillé et Poitiers (Vienne,
France) – 28-30 septembre 2007, Mémoires publiés par l’Association française d’Archéologie mérovingienne,
22, 2010, p. 279-299, p. 281 et 295 ; J.-F. MARIOTTI et A. DUMONT, avec la collaboration de B. ZÉLIE et
B. BRÉJEON, Prospection thématique subaquatique fleuve Charente Taillebourg-Port-d’Envaux. Rapport de
synthèse 2006, 2007, rapport multigraphié, p. 138 ; É. RIETH, « La pirogue 2 de Mortefon… », art. cit. ;
É. RIETH et al., L’épave de Port-Berteau…, op. cit., p. 45 ; p. 113 ; note 41 p. 116 ; p. 131 ; É. RIETH, Le
Priouté EP1, note d’expertise faite à la demande du SRA de Poitou-Charentes, mai 2007).
37. X. BARRAUD, « Courcoury-Portublé-Chauveau (Charente-Maritime) », 2008.
http://adlfi.fr/SiteAdfi/document?base=base_notices&id=N2008-WA-0004.
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
Représentativité des observations archéologiques
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Toutes les autres opérations subaquatiques réalisées à ce jour dans la
Charente sont des prospections, souvent thématiques, c’est-à-dire centrées
sur des aménagements installés dans le lit mineur et sur la recherche d’épaves,
mais en réalité plusieurs de ces prospections masquent des fouilles, par exemple
de 2003 à 2007 à Rochefollet (commune de Bussac-sur-Charente) le dégagement d’une pirogue monoxyle assemblée du haut Moyen Âge longue de douze
mètres (fig. 3, n° 31)38.
Depuis une bonne vingtaine d’années, les datations au 14C et plus récemment et moins systématiquement la dendrochronologie et l’étude xylologique
sont mises en œuvre sur les prélèvements de bois qui sont régulièrement effectués : nous disposons donc d’informations chronologiques, mais aussi de
données sur la nature et les origines du bois d’un certain nombre de pieux et
d’épaves.
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La surreprésentation des pieux et des épaves des VIIe-XIe siècles, soulignée dès
1991 et 199539, est remarquable (fig. 4). Il a été reconnu, dans le lit mineur
entre Dompierre et Port-d’Envaux, 41 pirogues monoxyles, trois pirogues
monoxyles assemblées, huit bateaux assemblées, plus, très en amont, à Vibrac,
Saint-Simeux et Châteauneuf-sur-Charente, trois épaves probablement du
XIXe-début XXe siècle. Les datations au 14C et par dendrochronologie pratiquées
sur 30 de ces épaves découvertes entre Port-d’Envaux en aval et Dompierre
en amont indiquent que trois sont des IIe-IVe siècles, 27 des Ve-XIe siècles (étant
entendu que deux autres pirogues découvertes à Dompierre doivent être aussi
du haut Moyen Âge : voir la légende de la fig. 3), deux des XIIe-XVe siècles et
une postérieure au Moyen Âge. Cette observation appelle deux remarques :
tous ces bateaux ont été découverts dans le secteur de la Charente dont on sait
qu’il est navigué au moins dès le milieu du XIe siècle ; les pirogues monoxyles
(22 sur les 30 épaves datées) sont massivement représentées, mais elles sont
absentes en amont de Cognac où l’état de la Charente permettait pourtant leur
utilisation. Nous en avons la preuve par la pirogue monoxyle de Saint-Fraigne
(Charente), datée par le 14C des XVIe-XVIIIe siècles (fig. 3, n° 75) et qui était
38. Cette épave, dont la plus grande partie était engagée dans l’argile, a été découverte en
2003 (Bilan du DRASSM 2003, p. 130) ; A. DECONINCK, « Du Priouté à Taillebourg »,
2008, http://www.adlfi.fr/SiteAdfi/document?base=base_notices&id=N2008-WA-0006.
39. É. RIETH, « Voies d’eau, commerce fluvial, archéologie navale », dans Les archéologiques
Poitou-Charentes 1991, Bilan et perspectives de la recherche régionale (1944-1990), Poitiers, 2324 novembre 1991, Poitiers, 1991, p. 112 ; J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu
fluvial…, op. cit.
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Pirogue monoxyle
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Fig. 4 : Localisation des épaves médiévales découvertes
dans le lit mineur de la Charente de 1971 à 2009.
utilisée en amont d’Angoulême dans les marais d’Aigré, un affluent de la
Charente40.
40. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 91. Une autre
pirogue monoxyle a été découverte en même temps, mais elle a été détruite avant datation. Par
ailleurs, un ouvrage cite la présence de pirogues monoxyles en 1644 dans la Touvre, un affluent
de rive gauche de la Charente, dans le secteur d’Angoulême (Ibid.).
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On constate que les pieux ou ensemble de pieux découverts dans le secteur
qui va de Taillebourg-amont à Saint-Simeux (fig. 2 et 3 supra) sont de la
même époque que les bateaux : un des IIIe-IVe siècles, 29 des Ve-XIe siècles, cinq
des XIIe-XVe siècles.
La rareté des épaves ou des pieux d’époque antique ou postérieures au
XIe siècle est une donnée de base dans l’ensemble du secteur étudié. Pour
l’époque antique, nous avons un chaland à Taillebourg (EP 1) et à Courbiac,
un peu en amont de Saintes, deux bateaux aux formes rondes qui sont peutêtre des caboteurs et qui sont datés des IIIe-Ve siècles (fig. 3, n° 3 et 4)41. En
dehors des trois épaves du XIXe-début XXe siècle évoquées plus haut et qui
sont très en amont, à l’approche d’Angoulême, ne date d’après le XIe siècle et
en aval de Cognac que le chaland de la Ménarderie (commune de Saintes) qui
est de la fin XVIIe-début XXe siècle (fig. 3, n° 76)42.
Les manques typologiques sont nets et liés à l’absence d’épaves postérieures
au XIe siècle. L’épave EP2 de Port-Berteau est celle d’un caboteur du VIIe siècle,
les deux épaves de Courbiac, datables du IIIe-Ve siècle, sont peut-être des
caboteurs, mais il n’a été trouvé aucun bateau de ce genre pour la période
postérieure au VIIe siècle. Nous avons deux chalands, l’un d’époque galloromaine à Taillebourg (fig. 3, n° 1), l’autre du début du XIe siècle à Orlac
(fig. 3, n° 32 et 10b), ce qui est intéressant, mais problématique : ce sont des
bateaux capables de faire des transports lourds et réguliers, mais qui sont
spécifiques à un bief, l’un en amont et l’autre en aval de Saintes. Comme
l’épave EP2 de Port-Berteau (fig. 3, n° 12-14), ce sont des bateaux à fond plat,
que l’on échoue sur une rive pour charger ou décharger. Il nous manque
actuellement au moins deux types de bateaux : des caboteurs aux formes
rondes comme ceux qui fréquentent La Rochelle depuis le XIIe siècle et qui,
quand ils entrent dans la Charente, peuvent remonter jusqu’à Saintes ou
Cognac ; des représentants de la batellerie à fond plat de la fin du Moyen Âge
et de l’époque moderne.
La datation des observations archéologiques et le nombre de pirogues
monoxyles posent une question essentielle : la représentativité du corpus
documentaire constitué. La surreprésentation des pirogues monoxyles a été
interprétée dans un premier temps comme étant la conséquence d’un abandon
volontaire de ces bateaux dont le bois ne méritait pas une récupération, alors
qu’il n’en était pas ainsi pour les caboteurs ou les gabares du Moyen Âge et
41. V. LEBARON, « De l’aval de Saintes au Priouté », 2008, http://www.adlfi.fr/
SiteAdfi/document?base=base_notices&id=N2008-WA-0005 ; ID., « De l’aval de Saintes au
Priouté », 2009, http://adlfi.fr/SiteAdfi/document?base=base_notices&id=N2009-WA-0004.
42. V. LEBARON, « De l’aval de Saintes au Priouté », 2008, art. cit., cf. supra.
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de l’Ancien Régime43. Outre que certaines de ces pirogues monoxyles sont de
grande taille et représentent un cubage important de bois, la datation des
pieux met à mal cette hypothèse : il n’y a pas de raisons particulières pour que
les pieux du haut Moyen Âge se conservent mieux que ceux des époques
postérieures, de même qu’il n’y a pas de raison pour que l’on ait alors construit
moins de pêcheries ou d’aménagements de toutes sortes utilisant des pieux
qu’avant le XIe siècle. Par ailleurs, la découverte de pieux du haut Moyen Âge
dans le secteur en amont de Cognac-Jarnac, non navigué au Moyen Âge,
permet de penser que dans cette partie du lit mineur de la Charente les conditions d’observation et de conservation sont les mêmes qu’en aval.
Il faut alors s’interroger sur les conditions de découverte de ces pieux et
surtout de ces épaves. Jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, les prospections dans la Charente sont le fait d’un tout petit nombre de plongeurs qui
interviennent dans des secteurs très limités (fig. 2). C’est l’époque de la découverte de quelques épaves, à Saintes, Dompierre, Port-d’Envaux, Taillebourg.
Quand ces découvertes sont exploitées par des fouilles programmées, comme
à Taillebourg, Saintes44 ou Port-Berteau, celles-ci restent centrées sur les épaves,
sans prospections systématiques aux abords. Le seul cas différent a été la
fouille de l’épave d’Orlac, déjà évoquée.
À partir de 2000 environ, certaines découvertes fortuites d’épaves sont
suivies de fouilles, comme à Dompierre, ou prolongées par des prospections
aux environs comme à Taillebourg-amont. Parallèlement, le nombre de
plongeurs sportifs pratiquant la prospection archéologique augmente et ils
travaillent d’une manière plus systématique, en étudiant certains secteurs du
fleuve, par exemple entre Taillebourg et Saintes. C’est alors que les découvertes
d’épaves se multiplient. Quelques exemples illustrent très bien ce phénomène.
À Mortefont (commune de Dompierre), une première pirogue, découverte en août 2000 par Jean-Lionel Henriet, est expertisée en septembre45. La
même année 2000 et en octobre, Frédéric Villacampa découvre une autre
pirogue à 200 m en amont : elle est fouillée en juin 2001 par Éric Rieth
43. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 142.
44. P. GRANDJEAN et É. RIETH, « La pirogue monoxyle du pont de Saintonge à Saintes »,
Revue de la Saintonge et de l’Aunis, 16, 1990, p. 75-87 ; ID., « Note relative à la seconde pirogue
monoxyle du pont de Saintonge à Saintes », Revue de la Saintonge et de l’Aunis, 18, 1992, p. 716.
45. J.-L. HENRIET, Dompierre-sur-Charente Pirogue I de Mortefont Prospections 2000, s.d.
(rapport multigraphié non paginé) et É. RIETH, avec la collaboration de M. GINISTY et
J.-L. HENRIET, Pirogue I de Mortefon, Dompierre-sur-Charente (Charente-Maritime), Campagne
de fouille 2001, rapport multigraphié, décembre 2001, 23 p.
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(fig. 6a)46. Pendant cette fouille, plusieurs des plongeurs qui participent à
l’opération prospectent aux environs et découvrent trois autres pirogues le
12 juin (par Philippe Moyat et Jean-Luc Verdier), le 19 juin (par
André Deconinck et Jean-Luc Verdier) et le 20 juin (par Philippe Moyat et
Jean-Luc Verdier). Une prospection d’ampleur bien que réduite par les moyens
et dans le temps a donc permis ici la découverte de trois pirogues en quelques
jours. Depuis, dans le même secteur, Jean-Lionel Henriet a signalé plusieurs
autres pirogues : nous en connaissons désormais dans cette commune dix, dont
six sur 400 m du lit mineur (fig. 4).
En 1998, Jean-Lionel Henriet découvre en peu en aval et à Chauveau
(commune de Chaniers) une série de pieux. Entreprenant à partir de 2004 une
prospection systématique du lit mineur entre Saintes et Merpins (Charente),
Xavier Barraud observe deux pirogues monoxyles qui semblent bloquées par
les pieux observés précédemment à Chauveau puis, six kilomètres en aval, une
nouvelle pirogue monoxyle à Portublé (commune de Chaniers)47. Ces trois
découvertes, dont la datation est en cours, sont à quelques kilomètres seulement en aval de celles faites à Dompierre quelques années auparavant (fig. 4).
Le secteur de Taillebourg-amont à un kilomètre en amont du château du
même nom illustre aussi très bien ces conditions de découverte (fig. 5). En
1984, un plongeur sportif, G. François, reconnaît une pirogue qui est étudiée
peu après par Éric Rieth et Patrick Grandjean. En 2000-2001, des plongeurs
sportifs signalent dans le même secteur d’autres découvertes qu’une prospection rapide organisée en 2001 par Jean-François Mariotti, assistant technicien
au Service régional de l’archéologie de Poitou-Charentes, permet de recenser :
il s’agit de dix pirogues, d’une épave assemblée (l’EP1 actuellement en cours
de fouille), de pieux et d’un mobilier métallique et céramique48. Trois semaines
de prospection systématique et des prospections diffuses organisées en 2002
sur le même site conduisirent à la découverte de six autres pirogues et de
deux autres épaves assemblées49. L’extension de la prospection vers l’aval
pendant les quatre années suivantes, avec des moyens importants, un décapage
46. É. RIETH, « La pirogue 2 de Mortefon… », art. cit.
47. X. BARRAUD, « Courcoury-Portublé-Chauveau (Charente-Maritime) », art. cit.
48. J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT, V. MATHÉ, A. CAMUS, F. LÉVÊQUE, A. NISSEN-JAUBERT,
O. HULOT, S. GRECK et B. SZEPERTYSKI, « Prospection du lit mineur et des berges sur le site
médiéval de Taillebourg-Port-d’Envaux (Charente-Maritime) : un secteur d’activité lié à la
Charente », Aquitania, 21, 2005, p. 299-336, p. 301.
49. Bilan du DRASSM, 2002, p. 103 ; J.-F. MARIOTTI, « Taillebourg-Port-d’Envaux
(Charente-Maritime). Fleuve Charente », Chronique des fouilles 2003, Archéologie médiévale,
34, 2004, p. 301. Deux de ces pirogues (les n° 2 et 8) se sont avérées plus tard n’être que des
ensembles de morceaux de bois.
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Fig. 5 : Le site de Taillebourg
(extrait du tableau d’assemblage du cadastre de Taillebourg).
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à la suceuse et une utilisation systématique de détecteurs de métaux ne permit
la découverte que d’une autre pirogue50.
Plus récemment et en amont de Taillebourg, le lieu-dit le Priouté (commune
de Port-d’Envaux) prospecté par André Deconinck a livré sur une distance
d’un kilomètre trois pirogues (dont l’EP2 datée au 14C de 779-794) et un
bateau assemblé EP1 daté de la même manière de 680-87451.
Il est donc évident que, lorsqu’une prospection est organisée dans certains
secteurs, des épaves sont découvertes en nombre et souvent très près les unes
50. A. DUMONT (coord.), J.-F. MARIOTTI, P.-E. AUGÉ, C. ANGEL, B. BRÉJEON,
A. CHAMPAGNE, A. DECONINCK, V. MATHÉ, F. LÉVÊQUE, A. CAMUS, B. MARIE, É. NORMAND,
C. REDIEN-LAIRÉ et F. TÉREYGOL, « Méthodes d’étude d’un site fluvial du haut Moyen Âge :
Taillebourg-Port-d’Envaux (Charente-Maritime) », dans Congrès Medieval Europe Paris,
septembre 2007 (téléchargeable sur http://medieval-europe-paris-2007.univ-paris1.fr/Fr.htm)
qui indique qu’à cette date sont connues à Taillebourg 15 pirogues et trois épaves assemblées.
51. É. RIETH, Le Priouté EP1, op. cit. ; A. DECONINCK, « Du Priouté à Taillebourg », 2008,
art. cit.
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des autres. Il semble aussi que d’autres secteurs pourtant tout proches des
précédents sont vides d’épaves, comme paraît le montrer pour sa partie la
plus en aval la prospection subaquatique en cours depuis 2001 à Taillebourgamont. Il est très probable qu’il existe des concentrations d’épaves, notamment
de pirogues monoxyles, dans certains points et que des conditions naturelles
liées à l’état du fleuve favorisent les recherches à certaines périodes.
La variabilité des conditions de prospection et de visibilité ne peut cependant expliquer la surreprésentation des épaves et des pieux des VIe-XIe siècles
et l’absence de découvertes se rapportant aux XIIe-XVIIIe siècles. On sait depuis
la première fouille de Port-Berteau en 1972-1973 qu’il y a au fond du fleuve une
stratigraphie : en surface, les éléments récents, en dessous ce qui relève de
l’époque moderne, plus bas du Moyen Âge52. Une couche d’argile couvre le
substrat calcaire et c’est dans cette argile que se trouvent les éléments anciens,
antiques ou médiévaux, qui ne sont pas toujours immédiatement visibles et
qu’il faut dégager. On peut donc envisager que des phénomènes d’érosion, liés
à une évolution plus ou moins récente des conditions d’écoulement de l’eau,
détruisent dans certains endroits les niveaux les plus hauts, ce qui expliquerait
la disparition des épaves postérieures au XIe siècle. Cette hypothèse devra être
appuyée sur des observations précises et argumentées car ce point est essentiel.
Dans l’état actuel des observations, des épaves antiques sont en effet immédiatement visibles au fond du fleuve à Taillebourg-amont (épave 1 : fig. 3, n° 1) et
deux autres un peu en amont à Courbiac (fig. 3, n° 3 et 4). Cette érosion du
fond du fleuve est peut être limitée à certains secteurs. Elle semble peu probable
dans ceux qui, en amont de Chaniers, sont dans les biefs de chaussées de moulins
qui remontent au Moyen Âge : or aucune épave postérieure au XIe siècle n’a été
observée ici, sauf très en amont et aux approches d’Angoulême.
Bilan des opérations archéologiques 53
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Trois grands thèmes ont été étudiés d’une manière plus ou moins soutenue
dans les années passées : les aménagements transversaux (chaussées de moulin,
52. J. CHAPELOT et al., Potiers de Saintonge. Huit siècles d’artisanat rural, Catalogue de
l’exposition du musée national des arts et traditions populaires (Paris, novembre 1975-mars
1976), Paris, Éditions de la réunion des musées nationaux, 1975, 132 p., voir p. 118. Les fouilles
ultérieures des épaves d’Orlac et de Port-Berteau 2 ont confirmé ces observations.
53. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit. ; J. CHAPELOT et
É. RIETH, « Navigation et ports fluviaux dans la moyenne Charente, de l’Antiquité tardive
au XIe siècle d’après l’archéologie et les textes », dans Ports maritimes et ports fluviaux au
Moyen Âge, actes du XXXVe congrès de la SHMESP (La Rochelle, 4-6 juin 2004), Paris,
Publications de la Sorbonne, 2005 ; J. CHAPELOT et É. RIETH, « L’archéologie des fleuves et
des rivières, une thématique de recherche originale : l’exemple du fleuve Charente », dans
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points de franchissement et pêcheries) ; les aménagements longitudinaux des
berges ou du lit mineur ; des zones ponctuelles comme les secteurs de
mouillage et les épaves.
Les aménagements transversaux
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L’étude des chaussées de moulins et de traversée du lit majeur lors des crues
est l’exemple type d’une recherche archéologique fort peu pratiquée en France,
mais pourtant potentiellement très riche d’enseignements.
Les chaussées de moulin
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Si en aval de Saintes le fleuve, très large, est resté en courant libre jusqu’au
XXe siècle, il n’en est pas de même en amont : sa largeur plus faible, l’existence
d’îles divisant le lit mineur en plusieurs bras ont permis l’établissement de
chaussées portant moulins. Comme ce fut l’usage pour tous les travaux de
rivière jusqu’au XIXe siècle, ces chaussées sont fondées sur des pieux battus que
l’on peut dater par le 14C ou la dendrochronologie. En 1310 un très rare
texte, qui évoque les moulins à draps de la Baine (commune de Chaniers),
appartenant aux doyen et chapitre de la cathédrale de Saintes et situés à
quelques kilomètres en amont de cette ville (fig. 2), montre que ces moulins
sont sur une chaussée, constructam de palis a lateribus et in medio de lateribus
socis et sine cemento et équipée aussi de fuernam sive piscariam, constructam de
lignis sive stipidibus in duobus lateribus, et in fundo de pabulis lignei et supra
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Medieval Europe Paris, Quatrième congrès international d’archéologie médiévale et moderne,
3-8 septembre 2007 (téléchargeable sur : http://medieval-europe-paris-2007.univparis1.fr/J.%20Chapelot%20E.%20Rieth.pdf ) ; É. RIETH, Des bateaux et des fleuves,
archéologie de la batellerie du Néolithique aux temps modernes, Paris, 1998 ; ID., « Espaces
nautiques fluviaux et côtiers et “familles architecturales” : approche archéologique du cas de
la Charente (France) au haut Moyen Âge », dans Archeologia delle Acque, 1-3 Luglio-dicembre
1999, Forli, Abaco Ed., 1999, 2, p. 53-66 ; ID., « Fouilles subaquatiques d’épaves médiévales
et connaissance de l’architecture nautique fluviale : l’exemple de la Charente », dans
A. HAFNER, U. NIFFELER et U. RUOFF (dir.), Une nouvelle dimension de l’histoire. L’apport de
l’archéologie subaquatique (Actes du 2e Congrès International d’Archéologie Subaquatique,
Rüschlikon bei Zurich, 21-24 octobre 2004), Antiqua, 40, Basel, 2006, p. 216-219 ; ID.,
Archéologie de la batellerie. Architecture nautique fluviale, Cahiers du Musée de la Batellerie,
45, Conflans-Sainte-Honorine, 2006 ; É. RIETH, C. CARRIERRE-DESBOIS et V. SERNA, L’épave
de Port-Berteau II…, op. cit. ; É. RIETH et P. POMEY (dir.), Construction navale maritime et
fluviale. Approches archéologique, historique et ethnologique, Archaeonautica, 14, 1998, Paris,
1999 ; É. RIETH et V. SERNA, « Archéologie de la batellerie et des territoires fluviaux au
Moyen Âge », Dossiers d’Archéologie, 314, L’archéologie médiévale en France depuis 30 ans,
2006, p. 88-93 ; É. RIETH et V. SERNA, « Archéologie de la batellerie et des territoires fluviaux
au Moyen Âge », dans J. CHAPELOT (éd.), Trente ans d’archéologie médiévale en France. Un bilan
pour un avenir, Actes du congrès de la Société d’archéologie médiévale (Vincennes, 1618 juin 2006), Caen, Publications du CRAHM, 2010, p. 291-304.
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
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dictam fuernam erant tabule ad transeudum de super ex utraque parte aque
Carantonis54. Plus tard, cette chaussée fut reconstruite intégralement en pierre
et mortier : elle existe toujours sous cette forme et constitue le dernier aménagement transversal de la Charente vers l’aval.
Dater les étapes de la création de ces chaussées est essentiel, en particulier
parce que c’est très probablement leur construction qui a rendu accessible
aux caboteurs et à la batellerie la section du fleuve entre Saintes et Cognac55.
En 1047 nous trouvons mention de l’existence d’un port saunier à
Cognac56.
André Debord considère que dans les pays de la Charente, les moulins à
eau sont relativement nombreux dès le milieu du Xe siècle et qu’ils connaissent un « essor continu à partir de 950 avec une période d’expansion
particulièrement rapide entre 1050 et 1 10057 ».
Il existe encore entre Angoulême et Cognac une vingtaine de barrages
représentant plus de 3 000 m de longueur cumulée. Ces constructions sont
fragilisées, des travaux de réfection étant indispensables. Or, beaucoup sinon
toutes ces chaussées doivent remonter au Moyen Âge, elles ne sont pratiquement jamais citées dans les textes avant le XIVe siècle et leurs dates de
construction sont inconnues. Leur réfection, déjà réalisée pour certaines, ne
doit pas être faite sans observations archéologiques préalables aux travaux,
faute de quoi des données essentielles pour connaître l’histoire du fleuve
disparaitront.
Les aménagements de traversée des lits majeur et mineur
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L’étude des aménagements de franchissement du fleuve a elle aussi été très peu
pratiquée. Dans le cas de la Charente, le franchissement du fleuve peut prendre
trois formes : des gués ou des bacs ; des ponts ; des chaussées insubmersibles
établies dans le lit majeur et permettant lors des crues aux piétons et surtout
aux charrois d’atteindre les ponts ou les bacs.
Il existait divers gués et des bacs dans la moyenne et la basse Charente au
Moyen Âge (fig. 1, supra), avec à chaque fois un minimum d’aménagement
d’accès sur les deux berges. Des pieux relevés par Jean-Pierre Gailledreau à
54. Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, t. XII, 1884, texte LI, p. 106-111 (juin
1313) (voir p. 110).
55. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 118.
56. R. FAVREAU, « Le port saunier de Cognac au Moyen Âge », Comptes-rendus du 99e congrès
national des sociétés savantes à Besançon, 1974, Paris, Bibliothèque nationale, 1976, Fascicule V,
p. 69-81. Le portus de Cognac est mentionné pour la première fois en 1047 et celui de Jarnac
en 1140 (J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 129).
57. A. DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, op. cit., p. 324.
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Les pêcheries
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Saint-Brice, sur le Site G (La Maure), et qui ont été datés au 14C de 639-883,
appartiennent à un aménagement de gué (fig. 3, n° 29)58. Depuis 2001, des
prospections subaquatiques, déjà évoquées et sur lesquelles nous reviendrons,
sont organisées à un kilomètre en amont du château de Taillebourg, entre
autres raisons parce que la présence de trois hauts-fonds relevés par une bathymétrie réalisée auparavant par la direction départementale de l’équipement
pouvait faire penser à la présence d’un point de franchissement (fig. 5) 59.
Rien à ce jour n’a permis de vérifier cette hypothèse.
Pour l’histoire du fleuve et de la région, les ponts et les chaussées qui
aboutissent à ces derniers ou à des bacs sont essentiels : dater leur création par
des fouilles terrestres est capital car ces aménagements structurent les
circulations terrestres et fluviales et sont à l’origine du développement des
habitats situés à l’une ou l’autre de leurs extrémités, le plus souvent en rive
droite dans la moyenne et basse Charente.
Plusieurs chaussées parfois longues de plusieurs centaines de mètres et pour
certaines associées, au plus tard au XVe siècle, à des bacs sont encore visibles
en amont de Saintes60. Leur origine est dans tous les cas inconnue.
Au Moyen Âge, trois ponts existent entre Cognac et la mer : celui de Saintes
est d’origine gallo-romaine61, ceux de Cognac et de Taillebourg sont médiévaux (fig. 1 supra). Ce dernier nous retiendra plus bas car il est caractéristique
de la manière dont l’archéologie peut éclairer une question difficile : la genèse
d’un site castral aux IXe-XIe siècles.
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Formées de pieux plantés au fond du lit mineur, certaines pêcheries sont des
aménagements ponctuels, d’autres peuvent barrer totalement le fleuve.
Au-dessus de Dompierre, des pieux parfois isolés, parfois en ligne, ont été
relevés dans plusieurs endroits : dans six cas (Saint-Laurent-de-Cognac,
58. P. GRANDJEAN, « La Charente. Entre Bourg-Charente et Cognac », art. cit., p. 359 ;
J.-P. GAILLEDREAU avec la collaboration de O. SEUVE-MARTIN, Inventaire des sites subaquatiques
dans le lit du fleuve Charente, département de la Charente, entre le port du Lys et Châteauneufsur-Charente, Inventaire au 16/01/2005 de l’aval vers l’amont, Texte dactylographié de 4 p.
communiqué par l’auteur en janvier 2008.
59. J.-F. MARIOTTI, M. PICHON, A. DUMONT, D. DEGEZ, J.-L. HENRIET et O. HULOT,
Prospection thématique subaquatique fleuve Charente, Taillebourg-Port-d’Envaux, 2002, SRA
Poitou-Charentes, Poitiers, décembre 2002 (rapport multigraphié) ; J.-F. MARIOTTI,
A. DUMONT et J.-L. HENRIET, Prospection thématique subaquatique fleuve Charente TaillebourgPort-d’Envaux 2004, 2005 (rapport multigraphié).
60. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 122.
61. C. DANGIBAUD, Le vieux pont de Saintes, La Rochelle, 1986 (réédition de Saintes
ancienne, 1900, qui contenait trois études : « Le Vieux pont de Saintes », « Les Rues », « Les
vieilles enseignes à Saintes »).
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
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Merpins, Châteaubernard, Saint-Brice, Bourg-Charente, Saint-Simon), ils
sont pour l’essentiel des VIIe-Xe siècles (supra fig. 2 et 3, n° 28 et ss., 2 et ss.,
45, 29, 11 et ss., 7 et ss.). Comme toujours quand des pieux sont découverts,
l’interprétation de ces trouvailles est délicate car, le plus souvent, les observations ne sont pas complètes.
Des installations de pêche existaient dans la Charente au XIe siècle, particulièrement dans le secteur en amont de Saintes, encore de nos jours réputé
très poissonneux. Des textes en mentionnent l’existence dans la seigneurie de
Taillebourg dès le XIe siècle, mais le vocabulaire employé est tel qu’il est impossible de savoir ce qu’il recouvre exactement62. Nous connaissons la présence
dans ce secteur après le Moyen Âge de pêches à la seine, utilisant comme
point fixe des pieux plantés dans le lit mineur. Il existe des mentions du droit,
antérieur à 1196, de l’abbaye de Sablonceaux d’exiger des habitants de Saintes,
cum navibus suis, de faire à son profit entre Saintes et Merpins, une fois par
an, la levée des anguilles ou du droit de l’évêque de Saintes et du comte de
Poitiers en 1245 sur la levée des pêcheries dans la Charente en amont de
Saintes, levaturas piscariarum in Charenta de Dorreone usque ad portum de
Lys63. Un texte de 1473-1474 mentionne l’existence dans les trois paroisses de
Coulonges, Saint-Savinien et Agonnay, en aval de Taillebourg, d’engins de
pêche appelés « apparoils » et « galadours » dont nous ne savons rien, mais qui
devaient être portés par des pieux ou utiliser ceux-ci d’une manière ou d’une
autre64. Dans la seconde moitié du XVe siècle, des textes montrent l’emploi dans
la seigneurie de Rochefort de pieux pour caler des « bourgnes », des pièges de
bois ou d’osier destinés à prendre des anguilles.
Dans certains cas, il est possible d’identifier une pêcherie barrant totalement
le fleuve : ainsi à Chaniers où cet aménagement a été daté du XVe-début
XVIIe siècle65. Ce type de pêcherie, connu dans d’autres fleuves ou rivières, est
formé d’une ligne de pieux plantés en V en travers du cours d’eau avec
éventuellement un pertuis permettant le passage des bateaux et un piège à
poissons installé au centre. En aval de Saintes, l’existence de telles grandes
pêcheries barrant l’ensemble du lit mineur est peu probable.
62. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit., p. 166-167.
63. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 120.
64. J. CHAPELOT, « La Charente, drain économique », dans G. JOUANNET (éd.), Charente,
fleuve et symbole, Paris, 1992, p. 117-183, avec quatorze encarts portant sur le Moyen Âge,
p. 56-57, 62, 64-65, 72-73, 83, 120-121, 123, 126, 130, 136, 138-139, 144-145, 164-165,
233-234.
65. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., fig. 19, p. 29.
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Les aménagements longitudinaux
Les aménagements de berge
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La fouille d’aménagements de berge est une pratique qui s’est développée
dans les villes des îles Britanniques dès les années 1970 et plus récemment en
France. En Poitou-Charentes, dans quelques villes médiévales qui bordent le
fleuve Charente ou la mer comme Angoulême, Saintes ou La Rochelle, les
secteurs fouillés n’ont jamais mis au jour des waterfronts analogues à ceux
découverts récemment à Bordeaux66 ou ailleurs en France.
Il est vrai que le long de la Charente les aménagements de berge ont
vraisemblablement été peu nombreux et très sommaires avant la seconde
moitié du XIXe siècle qui voit la construction de pratiquement tous les quais
de pierre qui bordent le fleuve en aval d’Angoulême67. Il n’en reste pas moins
qu’il existait forcément au plus tard à la fin du Moyen Âge des aménagements, même sommaires et de bois, dans des villes comme Saintes, dans les
bourgs castraux de Cognac, Taillebourg et Tonnay-Charente. À Saint-Savinien,
des textes de 1441, 1450 et 1493 mentionnent la présence d’une grue, ce qui
est exceptionnel dans les ports médiévaux, y compris maritimes, et d’autres
de 1274 et de 1450 celles de quais. Il est inutile de souligner que l’apparition
des bourgs castraux et de leur fonction portuaire pourrait être fixée grâce à la
fouille d’éventuelles berges aménagées.
Des pieux alignés sur plusieurs dizaines de mètres de longueur ont été observés
en prospection sur le seuil 1 de Taillebourg-amont, le plus en amont : la date
d’abattage, donnée par la dendrochronologie, est située entre 850-851 et 918933 (fig. 3, n° 54)68. Les hypothèses d’interprétation données par les prospecteurs
ont évolué : ils pensaient en effet qu’ils pouvaient être les vestiges d’un aménagement de berge, la trace d’une pêcherie, servir « à canaliser le flux vers la roue »
d’un moulin à pile ou appartenir « à un ancien quai ou à un clayonnage destiné
à protéger la berge contre l’érosion69 ». Plus récemment, ils en sont venus à une
interprétation plus plausible : un aménagement de berge ou de quai70.
66. F. GERBER (dir.), S. KONIK et N. PLATEAU (avec la collaboration de G. POUPEAU et
D. SANTALLIER), « Chantiers archéologiques “Bourse, Saint-Rémi, Jean Jaurès et Gabriel” », dans
L’archéologie fluviale : Archéologie du bord d’eau ou essai de Waterfront archaeology appliquée à un
port français, INRAP, Rapport final d’opération de fouille préventive, septembre 2006 (Aquitaine
Gironde Bordeaux Parkings, livre III).
67. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 115-116.
68. J.-F. MARIOTTI et al., « Prospection du lit mineur et des berges… », art. cit., p. 304-307,
fig. 3, p. 304 et p. 306 et fig. 4, p. 307.
69. Ibid., p. 305.
70. J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT et B. ZÉLIE, « Un port fluvial et un pont du haut Moyen
Âge… », art. cit., p. 282.
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Cet aménagement linéaire est constitué d’une manière intéressante. Deux
des pieux traversent en effet l’épave EP1, fouillé par Éric Rieth et datée par
le 14C de 145-420 (fig. 3, n° 1)71. Cette épave est posée sur la pirogue monoxyle
n° 15, datée par le même procédé de 430-610 (fig. 3, n° 9) et traversée elle
aussi par deux pieux72. Ceux qui traversent l’épave EP1 datent d’entre 890 et
899 pour le premier et 918-933 pour le second et les deux pieux 3b et 5b qui
traversent la pirogue n° 15 viennent d’arbres abattus entre 850-851 et 923924 (fig. 3, n° 54)73. Ces observations peuvent conduire à conclure qu’au
milieu du IXe siècle, lors de l’installation de ces pieux, on a intégré dans cet
aménagement de berge deux épaves antérieures74. L’incorporation volontaire
d’épaves dans de tels types d’aménagement est bien connue par de multiples
exemples fouillés en Europe, mais ici l’une est antérieure de plus de trois
siècles et l’autre de plus de cinq siècles à l’aménagement de berge.
Il faudra attendre l’achèvement de la fouille de l’épave EP1 de Taillebourgamont pour avancer dans l’étude de cet aménagement, notamment grâce à la
stratigraphie au contact de cette épave et dans celle-ci, mais il paraît possible
d’avancer l’idée que nous sommes plutôt en présence de deux épaves anciennement tirées au sec en rive gauche et au travers desquelles, plus tard et sans
lien, on est venu planter des pieux de protection de la berge. Si cette hypothèse
se vérifie, nous aurions, avec la présence de ces deux épaves (et à condition
d’expliquer l’inversion de stratigraphie entre elles…) peut-être la preuve de
l’abandon volontaire en ce point de deux bateaux des IIe-VIIe siècles, ce qui
serait très intéressant. Mais il restera à expliquer la raison de l’aménagement
d’une protection de berge en rive gauche inondable. Ce qui est certain c’est
que cet aménagement de berge signifie qu’au IXe siècle le lit mineur était
moitié moins large qu’actuellement, ce qui est conforme aux observations
faites un peu en amont lors de la fouille de Port-Berteau et pour le VIIe siècle75.
Les aménagements d’écoulement de l’eau en lit mineur
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L’aménagement du lit mineur afin de canaliser l’écoulement de l’eau, en
remonter le niveau et ainsi faciliter la navigation à certaines périodes de l’année
71. Cf. Note 35.
72. Bilan du DRASSM, 2007, p. 139 ; J.-F. MARIOTTI et A. DUMONT, avec la collaboration
de B. ZÉLIE et B. BRÉJEON, Prospection thématique subaquatique fleuve Charente Taillebourg-Portd’Envaux…, op. cit., p. 138.
73. J.-F. MARIOTTI et al., « Prospection du lit mineur et des berges… », art. cit., fig. 4,
p. 307.
74. J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT et B. ZÉLIE, « Un port fluvial et un pont du haut Moyen
Âge… », art. cit., p. 282.
75. É. RIETH, C. CARRIERRE-DESBOIS et V. SERNA, L’épave de Port-Berteau II…, op. cit.,
p. 26.
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Les zones ponctuelles d’activité
Les zones de mouillage
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implique une vision d’ensemble dépassant les seuls intérêts immédiats des
riverains : il s’agit donc d’observations importantes.
La ligne de pieux observée à la hauteur du seuil 1 à Taillebourg-amont a
été interprétée dans un premier temps par les plongeurs qui prospectent ici
comme pouvant être un aménagement d’écoulement des eaux du IXe siècle.
Nous avons vu qu’ils ont depuis renoncé à cette idée. À ce jour, le seul aménagement d’écoulement de l’eau du lit mineur observé est à Orlac. Ici, près de
l’épave du chaland déjà évoquée, un alignement de pieux, installé vers 998,
a donc précédé d’une vingtaine, peut-être une quarantaine d’années, la
construction de ce bateau76. L’analyse xylologique indique que le bois de ces
pieux provient du même milieu naturel, peut-être du même endroit que les
pièces employées pour bâtir ce bateau. Nous pouvons donc penser, sinon à une
simultanéité, du moins à des initiatives conjointes, procédant d’un même
besoin et émanant peut-être du même maître d’ouvrage.
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L’identification de zones de mouillage est un problème délicat, mais très
important car on détermine ainsi des secteurs de pêche, d’atterrissage ou de
manœuvre des bateaux fréquentant le fleuve.
Des zones de mouillage ont été identifiées à Orlac et à Chauveau grâce à
une forte concentration au fond du lit mineur de grosses pierres, mais la taille
de celles-ci témoigne de la présence de bateaux de tonnage réduit, du type des
pirogues monoxyles, et d’une activité de pêche77. Dans le cas du chaland
d’Orlac, deux pierres de mouillage de 40 kg chacune étaient suffisantes, alors
que ce bateau déplace en charge un peu plus de huit tonnes78. Pour les unités
plus importantes dont le tonnage est de vingt ou trente tonnes, il fallait
utiliser, en l’absence de possibilités d’amarrage en berge, des pierres et plus
vraisemblablement des ancres d’un certain poids : or les chalands et même
certains caboteurs ou unités de batellerie des derniers siècles du Moyen Âge
ne possèdent pas tous des engins de levage.
Une ancre métallique assez légère a été trouvée en prospection à Taillebourg-amont79. Cette découverte n’est pas la preuve de la présence ici d’un
site de mouillage du haut Moyen Âge, d’autant que sa datation est incertaine.
76. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 150-151.
77. Ibid., p. 28-32.
78. Ibid., p. 103.
79. J.-F. MARIOTTI et al., « Prospection du lit mineur et des berges… », art. cit., fig. 14.
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
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En temps normal les grosses unités de cabotage ou de batellerie du Moyen
Âge n’avaient pas besoin de mouiller dans le lit mineur : elles venaient
s’échouer contre une berge plus ou moins aménagée pour payer un péage, être
jaugées, charger ou décharger, ou quand elles étaient désarmées. Dans des
circonstances particulières, par exemple pour franchir le radier des ponts de
Taillebourg ou de Saintes, en cas de crues ou de fortes marées ou en attendant
l’arrivée de moyens de halage humains ou animaux, elles pouvaient être
contraintes de stationner, mais elles le faisaient alors dans des points précis et
offrant des possibilités d’amarrage à terre.
Les conditions naturelles imposent souvent une navigation nocturne ou
semi-diurne quand on veut utiliser le courant de flot dans un fleuve. Les
navires qui remontent ainsi un fleuve naviguent régulièrement de conserve
parce qu’ils profitent ensemble du même courant de flot : cette pratique peut
avoir pour conséquence des abordages et des naufrages dont les sources écrites
gardent des traces dans le cas de la Charente, et elle implique l’existence de
rades d’attente, bien connues ailleurs, par exemple dans la Gironde ou la
Garonne, et caractéristiques de la navigation dans un fleuve soumis aux
marées. Mais encore une fois on préfère alors un amarrage fixe sur la berge au
mouillage d’une ancre.
Les seuls autres cas assurés de mouillage de caboteurs ou de la batellerie sont,
dans ce fleuve, ceux où un transbordement est fait de bord à bord, vers un
navire de mer équipé d’engins de levage : des manœuvres de ce genre, qui sont
attestées en Charente dans les textes de la fin du Moyen Âge, peuvent se faire
devant un port, par exemple Tonnay-Charente, mais aussi devant des sites
ruraux où les maîtres de navires se sont donné rendez-vous préalablement.
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Les unités de batellerie et de cabotage
La connaissance des épaves est le grand acquis de la recherche archéologique
dans le bassin de la Charente qui est désormais l’un des très rares où l’on
connaisse dans le détail des représentants des trois grands types de construction alors utilisés en Europe : les monoxyles, pirogues creusées dans un seul
tronc d’arbre ; les monoxyles assemblés, où à partir d’un tronc creusé on
construit une embarcation d’une certaine taille en assemblant d’autres éléments
monoxyles ; les bateaux assemblés, éventuellement de grande taille, et qui
relèvent, contrairement aux précédents, d’une authentique batellerie ou de la
navigation au cabotage (fig. 6, infra).
La fouille des épaves est essentielle pour comprendre l’état de la navigation
dans la Charente. Les études xylologiques qu’il est désormais possible de faire
nous permettent, entre autres choses, de déterminer l’âge d’un arbre à l’abattage, la date de celui-ci, mais aussi l’origine du bois. Il a ainsi été possible de
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dire que le chaland d’Orlac a été construit avec des chênes pour certains vieux
de plus de deux siècles, abattus entre 1021 et 1042 et d’origine régionale. Cela
signifie qu’il existait en amont de Saintes, au début du XIe siècle, des charpentiers capables de construire un bateau assez complexe et des bateliers capables
de le manœuvrer. Dans le cas de l’épave de Port-Berteau 2, il s’agit d’un
caboteur construit avec des bois jeunes et régionaux, abattus en une seule
coupe, rien ne permettant de localiser précisément le chantier de construction
dans le fleuve ou sur le littoral proche de l’embouchure. À la fin du Moyen
Âge, les forêts de la seigneurie de Taillebourg ou des environs de Rochefort
fournissent beaucoup de bois, y compris pour la construction navale80. La
détermination d’une origine non régionale pour le bois d’épaves trouvées
dans la Charente serait d’un très grand intérêt.
Il est évident, après ce qui précède, que dans le domaine de la fouille des
épaves, il convient de privilégier les fouilles de bateaux assemblés ou de grandes
pirogues monoxyles assemblées et non celle des pirogues monoxyles dont la
typologie est, à partir des fouilles du bassin de la Charente ou d’autres bassins
fluviaux, désormais assez bien connue.
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Les acquis et les limites de l’archéologie dans le lit mineur
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La grande réussite de l’archéologie dans le lit mineur de la Charente est d’avoir
défini en quelques décennies ce que doit être l’étude d’un milieu fluvial et
d’avoir produit des résultats sans guère d’équivalent en Europe.
Si la découverte et la fouille d’épaves du haut Moyen Âge dans le lit mineur
d’un fleuve ou d’une rivière est très rare actuellement en Europe, il faut souligner que l’étude d’aménagements du type de ceux que nous avons examiné
ci-dessus l’est tout autant. Pour ne prendre que deux exemples, dans le bassin
de l’Escaut rien de ce genre n’est connu à ce jour et dans celui de la Meuse le
seul est celui des slipways des VIe-VIIe siècles, récemment fouillés à Namur sur
le site du Grognon, au confluent de la Sambre et de la Meuse81. Les données
80. J. CHAPELOT, « Société rurale et économie de marché en Saintonge aux XVe-XVIe siècles :
l’exemple de la seigneurie de Taillebourg et de ses environs », Revue de la Saintonge et de l’Aunis,
10, 1984, p. 63-104, p. 78-79.
81. F. MARIAGE, « Les portus de la vallée de l’Escaut à l’époque carolingienne : des
dynamiques urbaines contrastées », dans L. VERSLYPE (dir.), Villes et campagnes en Neustrie.
Sociétés - Économies - Territoires - Christianisation (Actes des XXVes Journées Internationales
d’Archéologie Mérovingienne de l’AFAM), 2007, p. 249-259, voir plus particulièrement p. 256;
R. VANMECHELEN avec la collaboration de A. DEFGNÉE, S. DE LONGUEVILLE, D. HOUBRECHTS,
N. MEES, F. PIGIÈRE et C. ROBINET, « Structures portuaires mérovingiennes sur le confluent
Sambre-et-Meuse, à Namur (Gragnon, fin VIe-VIIe siècle) », dans L. VERSLYPE (dir.), Villes et
campagnes en Neustrie…, op. cit., p. 231-248, voir plus particulièrement p. 238.
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
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archéologiques présentées ci-dessus sont remarquablement nombreuses, mais
leur représentativité est une préoccupation essentielle. Il faut tenir compte à
ce propos d’au moins deux grands filtres : les conditions de conservation et
d’observation du patrimoine archéologique dans le fleuve Charente ; la nature
des prospections et les moyens déployés pour celles-ci.
L’autre point dont il faut être conscient et qui est caractéristique de la
documentation archéologique, c’est qu’il faut utiliser aussi bien des observations ponctuelles et d’ampleur réduite que les résultats d’une fouille
programmée pluriannuelle. À ce propos, l’étude d’épaves comme celles de
Port-Berteau ou d’Orlac est exemplaire : de telles opérations nous apportent
des données nombreuses et diversifiées, mais dont la principale caractéristique reste qu’elles sont uniques, difficiles à comparer avec des opérations de
même nature qui restent très peu nombreuses à l’échelle européenne.
Notre niveau de connaissance des aménagements longitudinaux ou transversaux du fleuve est encore trop insuffisant pour qu’il soit possible de dire
quand ils apparaissent (avant le IXe ou le Xe siècle), leur nombre et leurs conséquences en ce qui concerne l’utilisation du fleuve. Rien ne nous permet
actuellement de fixer, en amont de Saintes, la date d’établissement des
premières chaussées de moulin, mais nous disposons désormais de quelques
données bien établies pour ce qui concerne les autres types d’aménagements.
Des pieux de pêcheries ponctuelles ne barrant pas le lit mineur sont observés
à partir du VIIe siècle. Dès le IXe siècle existent des aménagements de berge et
dès la fin du Xe des aménagements d’écoulement de l’eau. Au plus tard au
XIIe siècle et éventuellement dès le IXe siècle, un grand franchissement du
fleuve comme le pont de Taillebourg est bâti comme nous le verrons plus
bas. En prolongement de ce pont ou ailleurs de gués ou de bacs, il existe des
chaussées insubmersibles de plusieurs centaines de mètres, au plus tard dès le
XIIe siècle dans le cas de Taillebourg, ailleurs à des époques qui restent à préciser
par des fouilles terrestres.
Des dizaines d’épaves gisent dans le lit mineur ou le long de ses berges : ce
sont avant tout des pirogues monoxyles dont on ignorait jusqu’à ces découvertes – confirmées par d’autres faites dans les quinze dernières années dans
d’autres bassins fluviaux ou lacs de France – qu’elles étaient aussi souvent
utilisées au Moyen Âge. Ces épaves appartiennent aux trois types de construction navale connus par ailleurs en Europe (monoxyle, monoxyle assemblé,
assemblé). Certaines sont celles de caboteurs, comme l’épave de PortBerteau 2, ce qui atteste une remontée de la Charente depuis la mer dès le
début du VIIe siècle, d’autres des chalands fluviaux comme l’épave de
Taillebourg EP1, datable de la fin de l’époque gallo-romaine, ou celle d’Orlac,
du début du XIe siècle, ce qui prouve qu’il y a très anciennement des transports
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a - Coupe de la pirogue de Mortefon
b - Plan et coupe du chaland d'Orlac
c - Restitution du caboteur fluvio-maritime de Port-Berteau II
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Fig. 6 : Trois épaves des VIIe-XIe siècles fouillées dans la Charente.
lourds et réguliers dans certains biefs de la Charente, en amont ou en aval de
Saintes.
Un socle de connaissance existe et nous maîtrisons les techniques d’acquisition de données archéologiques en milieu fluvial. Il nous est désormais
possible de construire des thématiques de recherche fondées sur une collecte
maîtrisée des données archéologiques et un réexamen des sources écrites et en
ayant à l’esprit une évidence : le bilan archéologique est remarquable dans le
cas de la Charente, mais ce qui vient d’en être dit conduit à affirmer qu’il est
temps, si l’on veut exploiter au mieux ces découvertes, de dépasser la seule
étude du lit mineur et d’étudier, en complément, le milieu terrestre.
L’exemple du château et du bourg castral de Taillebourg, un site essentiel
pour comprendre la mutation de la Saintonge aux IXe-Xe siècles, va nous
permettre d’illustrer ce que peut être cette démarche.
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Fig. 7 : Le site de Taillebourg vu du nord.
3. Une recherche à élargir grâce à des fouilles terrestres :
l’exemple de Taillebourg
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Taillebourg est un site exemplaire des problèmes que pose la genèse des
châteaux et des bourgs castraux et il est nécessaire, après l’examen qui vient
d’être fait des possibilités de l’archéologie dans le lit mineur, d’examiner
comment il serait possible d’étudier attentivement ce lieu, clé d’un grand
nombre de questions qui nous intéressent ici.
Le château et les deux bourgs castraux
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Le château de Taillebourg est mentionné pour la première fois en 100782 et
c’est aux XIe-XIIe siècles l’un des plus importants de la région. Dans le prolongement du château vers le nord-est se trouvait une vaste basse cour protégée
par un fossé à l’est (fig. 7 et 8). Il existait deux bourgs castraux, chacun clos
d’une muraille. La « vieille ville » ou « ville haute » selon les textes du XVe siècle
est dans le prolongement de la basse cour, au départ de l’éperon barré qui porte
le château, avec quatre portes, dont une permettant de descendre vers la ville
basse et le fleuve. Elle abritait l’église paroissiale et la halle où se tenaient aux
XIVe-XVe siècles quatre foires annuelles et un marché chaque mardi. La « basse
ville » bordait le château au nord et à l’ouest le long de la Charente. Une porte
82. Cartulaire de l’abbaye royale de Saint-Jean-d’Angély, op. cit., t. I, charte n° LXXVIII.
Georges Musset, éditeur de ce cartulaire, a daté cette charte de 1016, mais cette datation doit
être revue (Cf. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit., n. 6, p. 156).
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Fig. 8 : Plan de Taillebourg vers 1714 par Claude Masse. Certaines des légendes de
Claude Masse ont été simplifiées ou modernisées, d’autres, très significatives, ont été
conservées sous leur forme originale (Service historique de la Défense, Vincennes,
J10 C1293, n° 30).
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X : demy bastion revestu de pierre de taille
Y : piles du pont
Z : tour a la teste du pont en partie ruinée
&: chaussée de Saint-James
2 : bac ou on traverse la Charente quand
on arrive par les ponts
3 : porte de la garenne
4 : colombier du seigneur
5 : maison de ville ou le parquet et la place
6 : ville haute ou il y a beaucoup de
maisons ruinées
7 : église paroissiale
8 : porte du Péré
9 : porte de Annepont
10 : porte vers Saint-Jean-d’Angély, Saintes et
Cognac
11 : cimetière de la ville
12 : seconde enveloppe dont il ne reste que
les vestiges
13 : blanchirie
14 : garenne qui est de bois taillis sur un
rocher escarpé
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A : château
B : emplacement d’une ancienne chapelle
détruite en 1716
C : emplacement du donjon détruit en 1716
D : logement du fermier du château
E : porte du château
F : plate-forme d’artillerie
G, H, I et K : vestiges de bastionnement
L : basse cour du château
M : porte de communication entre la haute
et la basse ville
N : basse ville ou presque toute les maisons
sont ruinées
O : porte du faubourg de Saint-Savinien
du port
P : faubourg du port ou il y a quelques
marchans aisés et le bureau des fermes
Q : pont bâti en 1717 sur un ruisseau
R : place et basse ville du pont
S : porte du pont qui est encore en assez
bon état
T : moulin à eau
V : port
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de son enceinte donnait accès au pont. Un récit du siège de 1179 montre qu’à
cette date le château, la basse cour et au moins la « ville haute » sont déjà
protégés par une enceinte83. Il faut souligner l’importance de la surface totale
enclose : 12,10 ha pour la ville haute (avec le château et sa basse cour) et la
ville basse, ce qui place Taillebourg parmi les plus grands des 24 sites clos d’une
enceinte médiévale en Aunis et en Saintonge, derrière les trois villes de
communes (La Rochelle, Saintes et Saint-Jean-d’Angély) et deux bourgs
castraux (Pons et Cognac)84.
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Le pont : un aménagement essentiel
L’existence du pont – qui était jusqu’au XIXe siècle le dernier sur le fleuve
avant la mer – est attestée par un don en 1136-1149 par le seigneur du lieu
à l’abbaye de Fontevrault de 100 s. à prendre chaque année pontis mei de
Taliburgo castro meo85 (fig. 7 et 8). Mais ce pont, comme la chaussée qui le
83. RAOUL DE DICETO, « Imaginibus historiarum », dans Recueil des historiens de France,
t. XIII, Paris, 1752, p. 183-205, nouvelle édition 1869, p. 202 ; J. CHAPELOT, « Le pont et la
chaussée de Taillebourg… », art. cit., p. 162.
84. Ibid., p. 162-163.
85. J. DE LA MAINFERME, Clypeus nascentis fontebraldensis ordinis […], Saumur et Paris,
3 vol., 1684-1692 : t. II, p. 315.
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Fig. 9 : La chaussée Saint-James : état en 1856 (extrait de Anonyme,
« La chaussée Saint-James et le château de Taillebourg », Le Magasin Pittoresque,
24e année, 1856, p. 363-365, p. 364 : « La Chaussée Saint-James et le Château de
Taillebourg.- Dessin de Grandsire »).
prolonge en rive gauche, est certainement plus ancien : du XIe siècle comme
le château, de l’époque gallo-romaine comme cela est avancé, sans preuve,
depuis longtemps, ou construit vers 866 selon une hypothèse récente86.
Charles le Chauve en 862 puis en juin 864 par le deuxième édit de Pîtres
a défini contre les Vikings une politique de défense qui repose avant tout sur
des castra et des ponts fortifiés barrant les cours d’eau. Les deux exemples les
mieux connus sont Pont-de-l’Arche (Eure), situé près du palais carolingien de
86. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit., p. 195-199, qui
présente en détail les fondements de cette hypothèse personnelle.
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Fig. 10 : Le pont de Taillebourg inauguré en 1891 un peu en amont
de l’ancien pont médiéval dont l’emplacement est marqué
par une pile détruite seulement après la seconde guerre mondiale.
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Pîtres, et Les Ponts-de-Cé (Maine-et-Loire). En 866, Vulgrin, apparenté à
l’empereur, est envoyé par celui-ci pour défendre la région. Comte
d’Angoulême et de Périgord et probablement aussi de Saintes, il met en place
une politique de défense dont nous connaissons deux éléments : réparation
des fortifications d’Angoulême en 86887 et construction sur le chemin saunier
allant de Saint-Savinien et Taillebourg à Angoulême et au Limousin de fortifications à Matha et Marcillac88. Une telle politique de défense n’a pas de
sens si l’on abandonne Saintes et le cours de la Charente en aval de cette
ville : rappelons que c’est près d’elle qu’en 863 le comte d’Angoulême Turpion
est tué en se battant contre les Danois89.
En aval de Saintes, deux lieux se prêtaient à un barrage du fleuve : SaintSavinien et Taillebourg. Dans les deux cas, la vallée est relativement étroite et
il existe en rive droite une éminence surplombant le fleuve et permettant de
87. A. DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, op. cit., p. 62.
88. ADÉMAR DE CHABANNES, Chronique publiée d’après les manuscrits, J. CHAVANON (éd.),
Paris, A. Picard et fils (Collection de textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’histoire, 20), 1897, p. 138.
89. A. DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, op. cit., p. 52, avec références
aux sources.
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surveiller celui-ci et de se fortifier. À Saint-Savinien, le choix a été de barrer
la voie terrestre plus à l’est, ce qui n’est pas incompatible avec une éventuelle
fortification de ce site. Implanter en amont et à Taillebourg un castrum et un
pont fortifié protégeant Saintes est un choix logique, l’installation à l’époque
carolingienne de castra sur le site d’anciens oppida, comme l’a été probablement Taillebourg, étant assez courante. La construction d’un castrum et d’un
pont fortifié à Taillebourg par Vulgrin aurait trois significations d’importance : la désorganisation du pouvoir impérial dans ce secteur face aux Vikings
n’est pas totale ; ce castrum est une création publique, avec probablement la
mise en place, comme à Marcillac à la même époque, d’un membre de la
clientèle de Vulgrin ; dès la seconde moitié du Xe siècle au plus tard, il rend
possible l’existence d’un diverticule de la voie romaine Poitiers-Saintes passant
par Saint-Jean-d’Angély pour franchir ici la Charente et aller vers Saintes90.
Comme à Pont-de-l’Arche et aux Ponts-de-Cé, le castrum et le pont
carolingiens auraient survécu et été refaits en pierre, Taillebourg comme
ces deux lieux devenant un centre de châtellenie. Dans ces trois cas, la
longueur des aménagements des XIe-XIIe siècles, qui comprennent pont et
chaussée, est considérable91. La construction de tels couples pont-chaussée
est couramment liée à l’apparition de puissantes châtellenies dans des bassins
fluviaux comme la Loire et entraîne classiquement, comme à Amboise
(Indre-et-Loire), la création, à partir du réseau antérieur de voies romaines,
de diverticules routiers qui deviennent souvent ensuite des chemins médiévaux importants.
Dans le cas de Taillebourg, la chaussée, très remaniée à la fin du XIXe siècle,
subsiste encore, mais le pont, partiellement détruit au milieu du XVIIe siècle,
l’a été totalement au XIXe siècle. Dater la chaussée et en même temps le pont
de Taillebourg est facile : il faut « rechercher et extraire les bois qui ont servi
dans le lit mineur pour fonder les piles du pont ou plus certainement et plus
facilement ceux qui supportent en rive gauche l’extrémité est de la chaussée
Saint-James92 ». L’intérêt d’une intervention sur l’extrémité est de la chaussée
Saint-James au plus près du fleuve serait de fournir des pieux battus issus
d’un contexte précis et indiscutablement associé à cette chaussée et éventuellement à la culée du pont en rive gauche.
90. Sur l’absence de traces d’occupation et d’une voie franchissant la Charente à Taillebourg
à l’époque gallo-romaine : J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit.,
p. 155 et 164.
91. J. MESQUI, Le pont en France avant le temps des ingénieurs, Paris, Picard (Grands manuels
Picard), 1986, p. 62-63, 71 et 85.
92. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit., p. 199.
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Les plongeurs qui prospectent à Taillebourg-amont depuis 2001, sensibilisés par cet article, ont tenté de répondre à cette question par une autre voie :
la recherche de pieux dans le lit mineur à l’emplacement, bien connu par des
documents des XVIIe-XIXe siècles, du pont médiéval. Ils ont relevé 56 pieux en
prospection et dans des conditions qui ne sont pas précisées93. Dix-neuf, tous
en conifère, seraient les restes du batardeau de construction de l’une des piles
du pont inauguré en 1891. On remarque que ces dix-neuf pieux, s’ils semblent
en effet dessiner le tracé d’un tel aménagement, sont à une douzaine de mètres
en amont de la pile du pont de la fin du XIXe siècle : un tel décalage est problématique puisque cette pile n’a été détruite que dans les années 1980 et qu’il
en existe des plans précis.
Les autres pieux forment en aval du pont de 1891 deux ensembles plus ou
moins alignés dans le sens du courant. La ligne la plus proche de la rive droite
se développe sur environ 20 m et est constituée de treize bois (quatre en chêne
et les autres en conifère). L’autre, implantée à dix mètres environ vers le centre
du lit mineur, est plus diffuse, composée de 24 pieux (cinq en chêne et le reste
en conifère), une majorité formant deux alignements proches et parallèles
(l’un long de six mètres, l’autre de deux mètres), quelques autres étant
erratiques.
Reprenant à leur compte sans référence l’hypothèse d’un pont bâti par
Vulgrin vers 866, ces plongeurs pensent que certains de ces pieux pourraient
appartenir aux fondations de cette construction94. Cette affirmation est, dans
l’état actuel de leurs observations, infondée. Ce ne sont pas les datations 14C
réalisées sur six de ces pieux qui conduisent à mettre en doute leur affirmation95 : le 14C donne en effet la fin du IXe-tout début du Xe siècle pour cinq de
ces pieux, début du XIe siècle-milieu du XIIe siècle pour le sixième (fig. 3,
n° 53, 57-60 et 68), ce qui peut s’accorder avec des réparations d’un pont déjà
en place. Mais ces pieux ont été découverts et observés dans des conditions
et dans un environnement qui ne sont pas précisés. Ensuite, sur ces 37 pieux,
28 sont en résineux et 9 seulement en chêne. Les plongeurs pensent que cela
signifie que ces pieux ont été mis en place lors de plusieurs phases de construction ou de réparation du pont96. En fait, le problème est très différent :
93. J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT et B. ZELIE, « Un port fluvial et un pont… », art. cit.,
fig. 13, p. 295.
94. Ibid., p. 294 et 296.
95. La légende de la fig. 13, p. 295, indique que sept pieux, identifiables sur le plan, ont
été datés, mais cette même légende ne donne que six datations.
96. J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT et B. ZELIE, « Un port fluvial et un pont… », art. cit.,
p. 294.
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l’emploi au Moyen Âge et dans ce secteur géographique de résineux pour des
pieux battus est très peu probable compte tenu de ce que l’on sait de la couverture arborée de la Saintonge et de l’Aunis à cette époque. Il est essentiel que
soit précisée l’essence des pieux datés au 14C et qu’une étude xylologique soit
réalisée, afin de rechercher leur origine géographique. Pour une interprétation
sérieuse des observations, il est aussi indispensable que résineux et chêne
soient distingués sur le plan. Les traces d’un batardeau en résineux montre
qu’un gros chantier de construction de la fin du XIXe siècle, situé à quelques
mètres des deux ensembles considérés comme médiévaux, utilisait cette
essence, ce qui conduit à penser que d’autres pieux trouvés en prospection
peuvent être liés à ce même chantier.
Plus largement, les deux ensembles de pieux présentés comme médiévaux
sont disposés d’une manière qui ne correspond guère à un dispositif de fondation d’un radier ou d’une pile de pont. Le plan publié, qui ne donne aucun
repère topographique, pas même le tracé des quais actuels, ne permet pas de
situer précisément ces observations dans le lit mineur. Il comporte par ailleurs
diverses anomalies d’échelle et de positionnement relatif des deux ponts du
Moyen Âge et de 1891 et est peu cohérent avec ce que l’on sait du premier
de ces ponts à partir des textes, des gravures, des plans et des photographies
(fig. 10). Les auteurs de la publication en sont conscients : ils remarquent, sur
le plan qu’ils publient, « un décalage entre la localisation de ces bois et l’emplacement des piles du vieux pont tel qu’il a été relevé avant sa destruction97 ».
La datation des restes éventuels du premier pont de Taillebourg exige une
méthodologie et un travail de terrain maîtrisés. Dans l’état actuel des observations subaquatiques devant le site de Taillebourg, nous n’avons aucune
indication d’éventuelles traces du radier du pont médiéval : or, il est douteux
que les dragages du XIXe siècle en aient fait disparaître tous les vestiges puisqu’il
subsiste des pieux. Le statut de l’opération, en principe une prospection
conduite par des plongeurs, fait que nous ne savons pas dans quelles conditions précises les pieux ont été observés, nous ignorons leur environnement
et donc la représentativité des observations qui ont été faites. Dans ces conditions, la seule conclusion possible est que ces 56 pieux appartiennent à des
ensembles distincts chronologiquement et fonctionnellement et qu’ils
devaient, notamment ceux que l’on peut dater d’entre la fin du IXe et le milieu
du XIIe siècle, servir à des aménagements dont la nature précise nous échappe.
97. J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT et B. ZELIE, « Un port fluvial et un pont… », art. cit.,
p. 294.
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L’hôpital et la chaussée Saint-James
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Pour achever de caractériser le site de Taillebourg aux XIe-XIIe siècles, il faut
évoquer quelques points importants98. Le pont était prolongé au Moyen Âge
en rive gauche par une chaussée insubmersible longue de 1100 m, laquelle
permettait un accès au pont lors des crues qui s’étalent couramment ici sur un
kilomètre de largeur (fig. 5 et 8). Dès 1170 est attesté à Saint-James, au départ
de cette chaussée en rive gauche, un hôpital pour les pèlerins de Saint-Jacques
de Compostelle99 : sa présence prouve l’existence à cette époque de cette
chaussée. On sait qu’après la restauration de l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély
en 942, celle-ci devint dès le début du XIe siècle un lieu de pèlerinage très
important sur la route vers Compostelle, les pèlerins cheminant ensuite de
cette abbaye vers Saint-Eutrope de Saintes en passant par le pont de Taillebourg. À une date que nous ignorons, mais avant 1266, l’hôpital de
Saint-James est administré par les Trinitaires, un ordre fondé en 1198 et que
l’on peut rattacher aux Mendiants. En Aunis et en Saintonge, au XIIIe siècle,
les ordres mendiants, dont l’implantation est le signe bien connu d’un
dynamisme urbain, sont installés dans seulement huit des 24 villes closes ou
bourgs castraux, ceux pourvus des enceintes les plus grandes (outre Taillebourg,
ce sont La Rochelle, Saintes, Saint-Jean-d’Angély, Cognac, Pons, Barbezieux
et Mauzé)100. Un autre signe de l’importance ancienne de Taillebourg est qu’il
est le siège de l’un des quinze archiprêtrés du diocèse de Saintes, avec comme
ressort les paroisses de la baronnie101. Sur les quinze archiprêtrés du diocèse,
douze sont installés dans ou près d’un castrum.
Une activité portuaire précoce
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Ce qui précède permet de dire qu’aux XIIe-XIIIe siècles, Taillebourg est un site
urbain parmi les plus développés et les plus dynamiques de la province.
La bataille des vins, célèbre poème d’Henri d’Andeli composé peu après la
mort de Philippe Auguste et qui énumère les meilleurs crus dignes d’être
servis à la table de ce souverain, cite parmi d’autres les « Vin d’Auni & de la
98. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit., p. 173-176.
99. Bulle de 1170 d’Alexandre III (1159-1181) analysée dans un inventaire des actes de la
baronnie de Taillebourg (Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, t. XXIX, 1900, p. 335).
Cette bulle n’apparaît pas dans les vestiges de la chancellerie pontificale antérieurs à 1198 et
concernant la Saintonge (Papsturkunden in Frankreich, Reiseberichte zur Gallia Pontificia 19061913, L. DUVAL-ARNOULD (éd.), 2 vol., Vatican, Acta Romanorum pontificum, 7-8, 1985).
100. R. FAVREAU, « Les ordres mendiants dans le Centre-Ouest au XIIIe siècle », Bulletin de
la société des antiquaires de l’Ouest, t. XIV, 1977, p. 9-35.
101. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit., p. 176-177.
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Rocele, de Saintes & de Tailleborc », c’est-à-dire d’Aunis et de La Rochelle, de
Saintes et de Taillebourg, ce qui marque la place qu’occupent alors ceux de la
moyenne vallée de la Charente dans ce commerce fondamental pour la
région102.
En l’absence presque totale de textes antérieurs au XIIIe siècle, il est délicat
de fixer l’apparition d’une activité portuaire à Taillebourg. Nous n’avons rien
dans l’ensemble des sources écrites médiévales qui évoque ici des aménagements portuaires. Nous savons seulement qu’à la fin de cette époque le port
était situé en aval de la culée du pont en rive droite, dans une petite anse près
de l’angle de l’enceinte de la ville basse, là où il était encore au début du
XVIIIe siècle (fig. 8, V). Cette localisation est liée à l’existence du pont. À la
montée et à la descente, les bateaux doivent démâter pour franchir l’arche
marinière. La présence du port en aval du pont et juste au débouché de la rue
saunière signifie que l’essentiel du trafic fluvial qui s’arrête à Taillebourg vient
de l’aval alors que celui qui descend le fleuve se contente de franchir le pont
et de continuer son chemin. Dans les villes fluviales qui sont alimentées à la
montée et à la descente et où il existe un pont, il y a un port en amont et un
autre en aval de celui-ci. Cette localisation du port marque l’importance du
débarquement du sel, sur lequel nous allons revenir, et le fait que les produits
de la seigneurie de Taillebourg ou des environs qui sont embarqués ici partent
vers l’aval.
Des droits sur la navigation et le commerce fluvial nombreux et très diversifiés
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Nous n’avons pas trace de l’existence de péages terrestres, notamment sur
le pont, sinon un prélèvement connu seulement dans l’Ancien Régime et qui
est situé à Saint-Savin, un prieuré à l’est du « vieux » bourg castral (fig. 8,
n° 11). En revanche, les droits sur la navigation et le commerce fluvial sont
nombreux, complexes et très intéressants.
La multiplicité et la nature de ces droits qui appartiennent au seigneur et
qui pèsent sur les bateaux qui passent sous le pont ou sur les produits qui sont
embarqués ou débarqués à Taillebourg permettent de dire que ce lieu est avec
Tonnay-Charente l’un des deux grands ports fluviaux de la Charente et cela
dès le XIe siècle. Il est impossible de dater avec certitude l’apparition de ces
droits dont nous ne connaissons le détail que par des textes des XIVe-XVe siècles.
Une charte de 1096-1107, par laquelle le seigneur de Taillebourg exempte de
droits de « rivage » et de « coutume » les bateaux de l’abbaye Notre-Dame de
102. Œuvres de Henri d’Andeli, trouvère normand du XIIIe siècle, A. HÉRON (éd.), Paris, 1881
(Réédition : Slatkine Reprints, Genève, 1974), vers 18-19, p. 23-24.
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Saintes passant devant son château, montre que dès cette époque certains
existent103. Cette abbaye étant fondée en 1047, cela ne préjuge pas d’une plus
grande ancienneté de ces coutumes qui ont été mises en place par le seigneur
de Taillebourg en liaison avec son droit de vicaria castri dont l’existence est
attestée dès 1007.
Au XVe siècle sont connus quatre droits portant sur les bateaux passant
devant Taillebourg, tous d’un faible montant, signe d’une certaine ancienneté.
Le droit d’ancrage de vingt sous porte sur ceux de plus de 40 tonneaux arrivant
à Taillebourg, tous les bateaux devant aussi des droits de lestage et de délestage quand ils relâchent à Taillebourg, de mâtage quand ils passent sous le pont
et cinq deniers pour l’amarrage au port. Un tonnage de plus de 40 tonneaux
est, d’après ce que l’on sait par les textes des XIVe-XVe siècles, peu courant en
Aunis et en Saintonge pour les caboteurs et surtout pour la batellerie dont
les unités jusqu’à la fin du Moyen Âge portent de 20 à 30 tonneaux104. Le
droit d’ancrage concerne donc les caboteurs, de même que l’essentiel des trois
autres qui rémunèrent un service rendu par des aménagements mis en place
par le seigneur. Le lestage et le délestage sont des pratiques réglementées dans
les ports de mer et dans ceux de rivière quand ils accueillent des bateaux de
mer. Il s’agit d’éviter des rejets sauvages dans le fleuve en affectant des endroits
précis pour le dépôt lors du délestage et de permettre aux bateaux qui partent
à vide de trouver facilement du lest pour s’équilibrer. Le lestage est une
pratique liée au cabotage, les bateaux de rivière n’utilisant pas de lest. La
réglementation du lestage et du délestage est attestée à La Rochelle dès 1279105,
à Saint-Savinien en 1371106, à Tonnay-Charente en 1433107, à Soubise au
XVe siècle. Le droit de mâtage et de démâtage évoque l’obligation d’une double
manœuvre pour les caboteurs et la batellerie quand ils franchissent le pont :
abaisser le mât, mais aussi, pour rester manœuvrant pendant cette opération,
la nécessité d’un amarrage sinon même d’un halage à partir de la berge.
Tous les produits qui passent sous le pont doivent la petite coutume et ceux
qui sont embarqués ou débarqués à Taillebourg la grosse coutume.
103. […] concedimus […] ribatgium, et penitus quicquid consuetudinis habebamus in navibus
Beate Marie afferentibus vel referentibus per Taleburgum ea que sunt necessaria ipsi ecclesie sive victui
dominarum […] (Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes, T. GRASILIER (éd.), 2,
Des Cartulaires inédits de la Saintonge, Niort, 1871, charte LXIV).
104. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 146-147.
105. R.-H. BAUTIER, « Une requête au roi des maire et échevins de La Rochelle (1279 ?) »,
dans Actes du 91e congrès national des sociétés savantes tenu à Rennes en 1966, Paris, CTHS, 1968,
t. I, p. 115-129, voir p. 128-129.
106. Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, t. XXIX, 1900, p. 111-112.
107. Arch. nat., H4 3020.
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La petite coutume n’est connue qu’à partir de 1345. Au début du XVe siècle,
elle porte notamment sur les barres à faire pipes et tonneaux et le « fretage de
la couldre et chastaigneraye », c’est-à-dire le bois nécessaire pour faire les
vaisseaux vinaires, l’une des bases du commerce fluvial local108. Mais à cette
époque l’essentiel du revenu de la petite coutume vient du sel à la montée, du
vin et des céréales à la descente. Le 17 septembre 1435, un arrêt du Parlement
siégeant à Poitiers fixe ce droit sur le sel à douze boisseaux plus six deniers de
furnage sur chaque navire109.
La grosse coutume qui, comme son nom l’indique, est d’un revenu plus
important que la petite, porte sur tous les produits débarqués ou embarqués à Taillebourg et tout spécialement deux des exportations classiques de
la baronnie au moins dès le XIIIe siècle : le bois à brûler, à bâtir et à faire
des tonneaux et le vin110. En 1461-1462, elle est de quatre deniers obole
sur chaque tonneau de vin chargé dans la châtellenie111. L’arrêt du Parlement de 1435 évoqué précédemment fixe à treize deniers obole la grosse
coutume sur chaque muid de sel débarqué à Taillebourg112. Si, comme
c’est probable, 24 boisseaux de sel composent un muid au XVe siècle comme
dans l’Ancien Régime et sachant que chaque gabarre transporte au XVe siècle
une quinzaine de muids en moyenne, on voit que la petite coutume, avec
un prélèvement de l’ordre du trentième d’une cargaison moyenne, est
nettement plus lourde que la grosse coutume qui, pour une même gabarre,
ne prélève qu’environ 16 sous. La modicité du tarif de la grosse coutume
sur le sel en 1435 permet de penser que ce prélèvement est de création
ancienne.
Taillebourg et Saint-Savinien sont des ports de déchargement du sel qui est
acheminé ensuite vers Angoulême et le Limousin par un chemin saunier
terrestre déjà évoqué plus haut et dont l’ancienneté est prouvée par la fortification sur son tracé et en 866 par Vulgrin, chargé de défendre le secteur
contre les Normands, des sites de Matha (Charente-Maritime) et Marcillac
(Charente)113. Ces deux fortifications sont traditionnellement interprétées, à
la suite d’Adémar de Chabannes qui nous rapporte le fait au début du XIe siècle,
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108. J. CHAPELOT, « Société rurale et économie de marché en Saintonge… », art. cit., p. 71-
72.
109. Cet arrêt est transcrit dans Arch. nat., P 14061, VIc III (une feuille parchemin). Le
furnage fait référence au passage des bateaux par la furne, l’arche marinière du pont.
110. J. CHAPELOT, « Société rurale et économie de marché en Saintonge… », art. cit., p. 7178.
111. Arch. nat., 1 AP 2137 : fermes de la seigneurie de Taillebourg pour 1461-1462.
112. Arch. nat., P 14061, VIc III (une feuille parchemin).
113. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit., p. 196.
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
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comme la volonté du comte de barrer aux Danois la route vers Angoulême et
le Limousin. Mais ces deux créations de fortifications montrent surtout l’existence de cette voie terrestre créée en complément des vieux itinéraires
romains114. Nous savons, par des textes des XIe-XIIe siècles, que cette route,
jalonnée de péages sur le sel, est un chemin saunier qui part de deux ports
fluviaux, Saint-Savinien et Taillebourg, et aboutit à Angoulême115. La rue
principale de Taillebourg, qui monte du port vers le plateau à l’est en traversant les deux bourgs castraux, portait dès le début du XVe siècle le nom de rue
saunière : elle se prolongeait vers l’est jusqu’à Matha où elle rejoignait le
chemin saunier qui partait de Saint-Savinien où il y avait aussi au début du
XVe siècle une rue saunière116.
Par sa nature, la grosse coutume de Taillebourg correspond au quint sur le
sel attesté à Cognac dès le milieu du XIe siècle et ce prélèvement doit être plus
ancien à Taillebourg, situé très en aval117. La grosse coutume sur le sel serait
donc perçue ici dès que le château existe, c’est-à-dire le début du XIe siècle.
L’existence de ce droit et ses modalités de perception à Taillebourg ont
structuré le port et le trafic fluvial. Il faut évoquer à propos de ce second
point la règle de l’étier de Saintonge, connue au XIVe siècle et qui contraignait
un bateau chargé de sel ayant remonté la Charente jusqu’à ce lieu situé à
Chaniers, en amont de Saintes, à décharger seulement à Cognac118. Une telle
règle, liée à l’existence du port saunier de Cognac, a dû apparaître en même
temps que celui-ci. Elle a pour conséquence de concentrer le débarquement
du plus rémunérateur des produits remontant le fleuve dans ce lieu seulement
au détriment des petits ports ruraux qui se situent entre l’étier de Saintonge
114. L. BOURGEOIS (dir.), Une résidence des comtes d’Angoulême autour de l’an Mil : le
castrum d’Andone. Fouilles d’André Debord (1971-1995), Caen, Publications du CRAHM,
2009, fig. 5.10, p. 406 et p. 407.
115. A. DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, op. cit., p. 357 et n. 149 et
150 ; J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit., p. 153-154 et 196. Une
arrivée du sel à Angoulême par le biais de la Charente aux XIe-XIIe siècles est impossible à cette
date, le fleuve n’étant pas navigable jusqu’à cette ville avant le XVIIIe siècle.
116. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit., p. 153-154.
117. A contrario, dans une requête du duc d’Orléans, comte d’Angoulême et seigneur de
Cognac, formulée en 1406 auprès des généraux des aides contre la levée du quart du sel à Taillebourg pour le compte du roi, il est indiqué que le port de Cognac est de plus grande ancienneté
que celui de Taillebourg (Arch. nat., P 14061, VIc IIII : rouleau de parchemin contenant
65 articles, daté du 24 novembre 1406 : voir l’article V).
118. L’étier de Saintonge est le bras sud de la Charente autour de l’île de la Baine, non loin
de l’ancienne limite de la Saintonge et de l’Angoumois, actuellement proche de celle des départements de Charente et Charente-Maritime. En travers du bras nord était installé le moulin de
la Baine, évoqué ci-dessus.
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et Cognac. L’absence de grands châteaux anciens, de bourgs castraux et de
péages importants entre Saintes et Merpins-Cognac (fig. 1, supra) est probablement la conséquence de l’existence de cette règle au moment où nous
voyons ceux-ci apparaître ailleurs dans le cours de la Charente, c’est-à-dire la
première moitié du XIe siècle. Dans tous les cas, l’absence d’un grenier à sel à
Saintes avant le XVe siècle signifie que cette réglementation existe avant que
cette ville ne pèse d’un poids suffisant, matérialisé par l’obtention d’une charte
de commune en 1199.
Un autre indice de l’ancienneté de la grosse coutume sur le sel ressort du
mode de paiement des treize derniers obole par muid de sel débarqué à Taillebourg : ce prélèvement n’est possible qu’avec un stockage du sel débarqué
dans les salines du seigneur de Taillebourg et un mesurage par les soins d’officiers institués par lui. C’est cette organisation qui caractérise un port saunier
comme celui dont l’existence est assurée à Cognac dès le milieu du XIe siècle
et il ne peut qu’en être de même au même moment à Taillebourg119.
La fiscalité royale sur le sel qui se met partout en place dans le cours du
XIVe siècle confirme l’existence antérieure de cette organisation des ports
sauniers sur la Charente. Le quart du sel est l’équivalent dans la Charente de
la gabelle mise en place dès 1331 ou peu avant dans une part du royaume. Il
est créé par une ordonnance du 1er décembre 1383120, mais c’est seulement en
1406 dans une procédure qu’engage contre sa perception le duc d’Orléans,
comte d’Angoulême et seigneur de Cognac, que nous voyons pour la première
fois mentionner le prélèvement à Taillebourg de cette nouvelle imposition121.
Le sel partant des marais salants devait, pour être autorisé à débarquer dans
un port du fleuve, payer un impôt correspondant à la valeur du quart de son
prix de vente en ce lieu. Cette perception ne se faisait à la fin du Moyen Âge
que dans des endroits déterminés et peu nombreux, héritiers d’une organisation plus ancienne, liée à la grosse coutume dans le cas de Taillebourg. Dans
le cours de la Charente, les ports où le quart du sel est perçu sont TonnayCharente, Taillebourg, Cognac et, en haut de la partie navigable de la
Boutonne, Saint-Jean-d’Angély, Saintes n’apparaissant que dans un second
temps dans le cours du XVe siècle.
Le paiement du quart du sel exige, comme la grosse coutume, une estimation précise du volume transporté par les bateaux. Deux procédés sont
119. C’est aussi l’opinion de Robert Favreau (R. FAVREAU, « Le port saunier de Cognac au
Moyen Âge », art. cit., p. 75 et n. 26).
120. Ordonnances des rois de France de la troisième race, M. DE LAURIÈRE et D.-F. SECOUSSE
(éd.), t. VII : 1383-1394, Paris, 1745, p. 753-754.
121. Arch. nat., P 14061, VIc IIII.
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possibles : le jaugeage des barques et gabarres lors de leur premier passage dans
le port saunier où elles sont alors enregistrées ou, quand il s’agit d’un bateau
inconnu, le mesurage de la cargaison. Dans tous les cas, pour permettre le
prélèvement de la grosse coutume puis du quart du sel, les salines de
Taillebourg et les mesureurs seigneuriaux, en place depuis longtemps, ont été
utilisés.
Conclusion
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Au moins dès le milieu du IXe siècle, le sel remonte le fleuve et il quitte celuici à partir de quelques ports bien placés au départ de voies terrestres comme
Saint-Savinien et Taillebourg. Au début du XIe siècle, le trafic fluvial et terrestre
donne des moyens financiers à ceux des seigneurs qui, comme celui de Taillebourg, ont mis en place des prélèvements qui leur permettent des
investissements importants comme la construction du château, la fortification
des deux bourgs castraux, la construction ou la reconstruction du pont et de
la chaussée.
Le problème est de fixer le moment où se cristallise à Taillebourg un tel site
portuaire et castral. Pour cela la datation du pont et de la chaussée est essentielle. Les décennies passées nous ont donné une expérience qui permet de dire
que pour répondre à cette question la seule possibilité est l’archéologie, mais
en même temps cette expérience indique ce qu’il faut faire ou ne pas faire.
Dans ce but, fouiller le site du château serait long, coûteux et incertain, et
prospecter dans le lit mineur en relevant des pieux erratiques et sans contexte
n’a guère d’intérêt. Une fouille dans le bourg castral derrière les quais de pierre
du XIXe siècle en rive droite pourrait donner des résultats, mais elle serait difficile à mettre en place et coûteuse. La solution la plus simple, la plus sûre et
la moins coûteuse est une fouille terrestre en rive gauche : la chaussée et la culée
du pont sont forcément fondées sur des pieux battus qu’il devrait être facile
de dater par les techniques classiques. Si ces deux aménagements existent au
IXe ou au Xe siècle, nous aurons une donnée essentielle pour fixer une étape de
la formation du site médiéval de Taillebourg.
Plus largement et au delà de cet exemple, il faut maintenant, en élargissant
notre approche, examiner comment il est possible de construire des problématiques de recherche sur le thème qui nous intéresse ici : l’éveil de la
Saintonge et de l’Aunis et plus précisément de la vallée de la Charente au
commerce régional et maritime et la manière dont s’est construit ici aux XeXIIe siècles un nouveau réseau urbain fondé sur des villes neuves comme La
Rochelle ou des bourgs castraux comme Taillebourg.
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4. Les problèmes en suspens
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Comme l’ont montré diverses recherches récentes, le commerce maritime
n’est pas indispensable pour animer un fleuve : les trafics locaux, l’approvisionnement des villes en produits agricoles ou autres sont des éléments de
développement dont on saisit mieux, grâce à des données archéologiques plus
nombreuses et plus denses, la réalité et le rôle pendant le haut Moyen Âge.
Cette question est d’autant plus importante dans le cas de l’Aunis et de la
Saintonge que nous ne connaissons sur ce littoral ou dans l’estuaire de la
Charente et avant la fin du Xe siècle aucun lieu qui joue le rôle de point de
contact entre le commerce maritime et le trafic fluvial : Châtelaillon n’apparaît dans cette fonction qu’à partir de la fin du Xe siècle et La Rochelle ne prend
sa place qu’à partir du milieu du XIIe siècle. Cette absence d’un emporium du
haut Moyen Âge sur le littoral ou dans l’estuaire de la Charente conduit à se
poser une question : la Charente n’est-elle pas avant le XIe siècle utilisée seulement pour des trafics locaux ? Une telle situation est connue dans le cas de la
Meuse : Georges Despy, dans un article célèbre, a montré que les portus
carolingiens et post-carolingiens de la Meuse étaient, dans le secteur central, entre
Dinant et Maastricht, très proches les uns des autres avec une journée de navigation entre ces deux villes, alors qu’en amont de Dinant le site de Mouzon est à
120 km et Verdun 70 km en amont de Mouzon. Surtout, en aval de Maastricht
et jusqu’à la mer à 200 km de distance, il n’y a pas de portus connu. Ces derniers
sont donc installés dans la partie centrale de la Meuse aux débouchés des routes
drainant les produits des campagnes voisines et leurs trafics concernent avant
tout le fleuve, très marginalement la mer122. La situation est toute différente avec
l’Escaut : le portus d’Anvers est à l’embouchure de ce fleuve123.
Toute la question est de savoir comment et à partir de quoi il est possible,
dans le cas de la Charente, d’alimenter notre réflexion. À l’examen de l’historiographie et des réflexions actuelles des spécialistes, on peut considérer que
deux éléments sont à étudier en priorité : les rapports entre la navigation
littorale et le fleuve ; la manière dont peut être identifié un port fluvial.
122. G. DESPY, « Villes et campagnes aux IXe et Xe siècles », art. cit., cf. aussi M. SUTTOR,
Vie et dynamique d’un fleuve : La Meuse de Sedan à Maastricht (des origines à 1600), De Boeck
Université, 2006, 695 p.
123. F. MARIAGE, Les portus de la vallée de l’Escaut à l’époque carolingienne. Analyse archéologique et historique des sites de Valenciennes, Tournai, Ename, Gand et Anvers du IXe au XIe siècle,
Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de licencié en archéologie et histoire de
l’art, Année académique 2002-2003, Université catholique de Louvain, Promotor : Prof. Dr.
R. Brulet (téléchargement : http://www.ethesis.net/portus_escaut/portus_escaut_contenu.htm);
F. MARIAGE, « Les portus de la vallée de l’Escaut à l’époque carolingienne… », art. cit.
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
Les rapports entre batellerie et navigation littorale pendant le haut Moyen Âge
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Quatre éléments montrent que pendant au moins une partie du haut Moyen
Âge il y a des contacts entre la navigation littorale et le commerce maritime
d’une part, l’intérieur de la Saintonge de l’autre : l’existence de flottes d’abbayes
saintongeaises ou poitevines, le transport du sel, les lieux de découverte de
monnaies, l’exportation de productions céramiques vers les îles Britanniques.
Les flottes d’abbayes aux IX e- XI e siècles
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Au XIe siècle, deux abbayes saintongeaises possèdent des bateaux : Saint-Jeand’Angély et Notre-Dame de Saintes.
La flotte de Notre-Dame de Saintes nous est connue grâce à deux textes.
En 1047, la charte de fondation de cette abbaye contient le droit de prendre
dans la forêt de Bacones, dans l’arrière-pays de Broue, le bois nécessaire pour
divers usages, dont la construction de bateaux124. Par une charte datée d’entre
1096 et 1107 et déjà évoquée plus haut, le seigneur de Taillebourg exempte
d’un droit de rivage et de coutume les bateaux de cette même abbaye passant
au pied de son château et effectuant le transport de ce qui est nécessaire à cet
établissement religieux125.
Le cas de Saint-Jean-d’Angély est plus ancien et mieux documenté. Une
exemption de tous droits de péage sur tous les fleuves est accordée entre 817
et 838 à cette abbaye (donc à l’époque de sa création) par Pépin Ier, roi d’Aquitaine126. Ce type d’exemption est donné à beaucoup d’abbayes dès le VIIe siècle
et à l’époque carolingienne, sans que l’on sache si elles correspondent toujours
à une réalité127. Mais au XIe siècle deux exemptions accordées aux navires de
cette même abbaye sont la preuve de l’existence de ceux-ci et de leur fréquentation de centres commerciaux du littoral. Vers 1076, Pierre de Bog, seigneur
du castrum de Rié (Saint-Hilaire de Rié, Vendée), donne à l’abbé de Saint-Jean
d’Angély tous les droits, cens et coutumes qu’il percevait sur les bateaux qui
traversaient « sa mer » et affranchit de tous péages les bateaux de l’abbaye128.
124. Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes, op. cit., p. 3.
125. Ibid., charte LXIV (voir ci-dessus, note 103).
126. Cartulaire de l’abbaye royale de Saint-Jean-d’Angély, op. cit., t. II, p. XXII (analyse de
ce diplôme perdu). Cf. de même L. LEVILLAIN, Recueil des actes de Pépin Ier et de Pépin II, rois
d’Aquitaine (814-848), publié sous la direction de M. PROU, Paris (Chartes et diplômes relatifs
à l’histoire de France), 1926, n° XLI, p. 170.
127. A. STOCLET, Immunes ab omni teloneo. Étude de diplomatique, de philologie et d’histoire
sur l’exemption de tonlieux au haut Moyen Âge et spécialement sur la Praeceptio de navibus,
Bruxelles-Brussel-Rome, 1999, 577 p. (Institut historique belge de Rome).
128. Cartulaire de l’abbaye royale de Saint-Jean-d’Angély, op. cit., t. II, charte CCCCXVIII.
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En 1105, les seigneurs de Châtelaillon accordent aux bateaux de l’abbaye le
droit de transporter, où ils le voudront et sans payer de droits, le vin et le sel,
tout en percevant néanmoins une « coutume » sur le sel qu’ils vendront à
l’abbaye quand celle-ci en manque pour faire le plein de ses bateaux129. Dans
le premier texte, nous avons l’indication d’une fréquentation de la baie de
Bourgneuf qui est en train de devenir un grand centre de commerce du sel.
Dans le second, la mention du commerce de vin permet de penser qu’une
partie de celui conduit à Châtelaillon peut venir des domaines de l’abbaye
situés en bordure du fleuve Charente.
Cela étant, il faut se garder de penser qu’une flotte d’abbaye dessert forcément celle-ci. Dans le cas de Saint-Jean-d’Angély, la réponse est simple puisque
la Boutonne, sur laquelle cette abbaye est établie, ne sera navigable que dans
le cours du XIIIe siècle. Trois exemples de bateaux d’abbayes à l’époque carolingienne permettent de préciser ce point pour d’autres lieux. Un diplôme de
Louis le Pieux autorise la navigation sur la Loire sans paiement de droits pour
trois navires de l’abbaye de Charroux (Vienne)130 : il est évident qu’ils ne
pouvaient atteindre cette abbaye, installée sur le bord de la Charente, mais très
en amont d’Angoulême, dans un secteur qui n’a jamais été navigable. Un
diplôme de Pépin II, roi d’Aquitaine, datable de 848, affranchit de tous droits
de circulation sur la Charente, la Dordogne et la Garonne les navires de
l’abbaye de Saint-Maixent (Deux-Sèvres) qui est très en amont de la partie
navigable de la Sèvre niortaise131. On peut évoquer enfin le cas de l’abbaye de
Ferrières (Loiret), très éloignée de tout fleuve navigable, mais qui avait
néanmoins, en 858, un bateau, apparemment d’assez gros tonnage, naviguant
dans le bassin de la Seine, comme nous l’indiquent des lettres de son abbé132.
Ces bateaux doivent assurer avant tout le commerce des produits du
domaine de leurs abbayes : l’exemption accordée aux bateaux de l’abbaye de
Saint-Jean-d’Angély par Pépin Ier indique qu’elle est accordée pour fructus
suus transfere 133 et celle accordée à ceux de Notre-Dame de Saintes par le
seigneur de Taillebourg ne vaut que pour le transport de ce qui est nécessaire
à celle-ci et à l’approvisionnement de ses domaines134.
On peut en conclure qu’au moins dès le XIe siècle le commerce des produits
agricoles et du sel a atteint en Saintonge un niveau qui justifie l’entretien de
129. Cartulaire de l’abbaye royale de Saint-Jean-d’Angély, op. cit., t. II, charte CCCCXCII.
130. Recueil des historiens de France, t. VI, Louis le Pieux, Paris, 1870, n° CLIX, p. 567.
131. L. LEVILLAIN, Recueil des actes de Pépin Ier…, op. cit., n° LXVI, 25 mars 848.
132. Loup de Ferrières 1964 : t. II, 132-133, 138-139, 156-157, 184-185.
133. L. LEVILLAIN, Recueil des actes de Pépin Ier…, op. cit., n° XLI, p. 170.
134. Cf. ci-dessus note 103.
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
telles flottes, mais aussi que les abbayes ne doivent plus être les seules à posséder
des bateaux pour assurer de tels transports. Même si les textes sont très rares,
ils nous montrent néanmoins l’existence, dès le IXe siècle et dans plusieurs
bassins fluviaux, de marchands indépendants possédant des bateaux135.
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La date d’apparition des marais salants en Aunis et en Saintonge
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Olivier Bruand, qui a donné à propos du commerce du sel pendant le haut
Moyen Âge la synthèse la plus récente, a montré que dans les bassins de la Loire
– et dans une moindre mesure de la Garonne et de la Seine – mieux et plus
anciennement documentés que celui de la Charente, le sel remonte dès les VIeIXe siècles ces fleuves et leurs affluents et est diffusé ensuite par la voie
terrestre136. Ce trafic a certainement été le premier qui justifie pendant le
haut Moyen Âge la remontée régulière de fleuves par des caboteurs ou des
unités de batellerie. Dans le cas de la Loire, les actes des VIIIe-IXe siècles
montrent des péages sur le sel jusqu’à Orléans. Les textes indiquent, de la part
du fisc impérial ou de certaines abbayes, des prélèvements qui « sont souvent
modestes mais montrent l’existence d’un trafic diffus de sel en milieu rural dès
l’époque carolingienne137 ». Au-delà d’un fleuve, le sel est ensuite diffusé par
des colporteurs : nous connaissons l’un d’entre eux qui part d’Orléans et
remonte vers Paris en détaillant sa marchandise là où il passe138. C’est ce qui
devait se passer dès le IXe siècle au départ des ports fluviaux de Taillebourg et
de Saint-Savinien et vers Angoulême et le Limousin.
Pour préciser ce problème du commerce du sel à partir de la Charente et
vers l’intérieur du pays par la voie terrestre, nous buttons sur une interrogation : la date d’apparition des salines de l’Aunis et de la Saintonge car il semble
normal d’établir un lien entre celles-ci et leur arrière-pays.
C’est seulement dans un texte de la fin du IXe et en fait au Xe siècle
qu’apparaissent des marais salants que nous ne connaissons qu’en Aunis et
135. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 136.
136. O. BRUAND, Voyageurs et marchandises aux temps carolingiens…, op. cit. ; O. BRUAND,
« Diffusion du sel de l’Atlantique et circulation monétaire au haut Moyen Âge », dans
J.-C. HOCQUET et J.-L. SARRAZIN, Le sel de la Baie. Histoire, archéologie, ethnologie des sels
atlantiques, Rennes, PUR, 2006, p. 197-221 (actes du colloque tenu à Nantes en 2004) ;
O. BRUAND, « Pénétration et circulation du sel de l’Atlantique en France septentrionale (VIIIeXIe siècles) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 115-3, 2008 (mis en ligne le 30 septembre
2010 : http://abpo.revues.org/284). Je remercie Olivier Bruand, professeur à l’université de
Clermont-Ferrand, qui a bien voulu me communiquer deux de ses articles récents avant même
leur publication.
137. O. BRUAND, « Pénétration et circulation du sel… », art. cit.
138. Ibid.
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grâce aux cartulaires des quatre abbayes de Saint-Cyprien de Poitiers, Nouaillé,
Saint-Maixent et Saint-Jean-d’Angély qui sont alors avides de posséder des
salines139. Le siège de trois de ces abbayes se situe au nord-est, dans les actuels
départements des Deux-Sèvres et de la Vienne.
L’examen des sources écrites qui mentionnent ces marais salants autour de
ce qui deviendra, au XIIe siècle, le havre de La Rochelle montre que l’importance et surtout l’ancienneté des salines de l’Aunis sont minimisées à cause de
la nature de la documentation écrite dont nous disposons. Une centaine
d’actes antérieurs à l’an Mil concernent l’Aunis dans les cartulaires des abbayes
de Saint-Jean-d’Angély, Saint-Maixent, Nouaillé et Saint-Cyprien de Poitiers :
ces documents « sont presque tous relatifs à des marais salants, quatre d’entre
eux mentionnent des pêcheries, un des moulins à farine, un autre une
vigne140 ».
C’est à Tasdon, immédiatement au sud de l’actuelle ville de La Rochelle,
qu’en 892 le cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers cite le premier marais
salant d’Aunis141. Pour le Xe siècle, les quatre cartulaires de Saint-Jean-d’Angély,
Saint-Maixent, Nouaillé et Saint-Cyprien situent autour de l’actuel havre de
La Rochelle deux zones de marais salants : à Lafond à l’ouest de la ville actuelle
et à Tasdon-Périgny à l’est. Ces chartes mentionnent, au Xe siècle, plus de
400 aires de marais salants dans le premier lieu et plus de 700 aires dans le
second. Ces 1 100 aires saunantes ne sont qu’une part, d’ampleur inconnue,
de la surface totale alors exploitée : bien d’autres abbayes de l’actuelle région
Poitou-Charentes ou d’ailleurs devaient posséder en Aunis au Xe siècle, comme
nous l’avons vu précédemment à propos de celle de Déols, des marais salants
dont nous ne savons rien. Il faut aussi penser aux possessions des laïques, que
nous ne connaissons que par les dons qu’ils font alors aux établissements
ecclésiastiques.
Une évaluation de la production possible de ces 1 100 aires saunantes
donne des indications très éclairantes. En Aunis et en Saintonge, à la fin de
l’Ancien Régime, une aire est un carré mesurant entre 14 et 17, au plus
18 pieds de côté142, soit entre 20 et 33 m2. Cela correspond pour les 1 100 aires
139. J. DUGUET, « Les possessions de l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers… », art. cit. ; ID.,
« Les possessions de l’abbaye de Nouaillé… », art. cit. ; ID., « Les possessions de l’abbaye de SaintMaixent… », art. cit.
140. R. FAVREAU, « Les débuts de la ville de La Rochelle », Cahiers de civilisation médiévale,
t. XXX, n° 1, janvier-mars 1987, p. 3-32, voir p. 4.
141. Chartes et documents pour servir à l’histoire de l’abbaye de Saint-Maixent, A. RICHARD
(éd.), (Archives historiques du Poitou, t. XVI et XVIII), Poitiers, 1886, t. I, n° VI, p. 17-18.
142. BEAUPIED-DUMENILS, Mémoire sur les marais salans des provinces d’Aunis et de Saintonge,
La Rochelle, 1765, tableau p. 26 et p. 28.
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connues au Xe siècle autour du havre de La Rochelle à, au moins, 22 000 m2.
À la fin de l’Ancien Régime, on estime qu’une aire de marais salants produit
en moyenne chaque année 840 livres de sel, soit environ 400 kg143. Les
1 100 aires attestées de marais salants entourant, au Xe siècle, l’actuel havre de
La Rochelle peuvent donc produire chaque année en moyenne 440 tonnes de
sel. Cette évaluation, fondée sur des unités de mesure en usage au XVIIIe siècle,
est d’une fiabilité discutable, mais l’incertitude qui découle de ce mode d’évaluation est moindre que celle liée au fait que nous ne connaissons qu’une
part, peut-être très minoritaire, des surfaces réellement exploitées au Xe siècle.
Pour donner une idée du potentiel exploitable en marais salants, il faut savoir
que la surface totale de la zone marécageuse de Lafond et de Tasdon-Périgny
est de plusieurs centaines d’hectares si l’on en juge par les cartes des XVIIeXIXe siècles. Si l’on rapporte ces chiffres aux 22 hectares d’aires saunantes
connues au Xe siècle autour de ce même havre de La Rochelle, on a une idée,
grossière mais éclairante, de notre marge d’incertitude quant à la surface qui
pouvait être réellement exploitée dans ce même secteur. On peut donc affirmer
qu’il existe au Xe siècle, à l’ouest et à l’est de l’actuel havre de La Rochelle, une
activité de production de sel qui justifie l’existence de deux petits ports
d’embarquement exportant chacun au moins quelques centaines de tonnes de
sel chaque année, soit la charge de plusieurs dizaines de caboteurs comme celui
de Port-Berteau, présenté précédemment.
Les chartes qui mentionnent les aires saunantes situées à l’ouest et à l’est
du havre de La Rochelle montrent qu’il ne s’agit pas en 892-923, date des
premiers textes, d’aménagements récents : les quatre abbayes qui se font céder
ici des salines à partir de cette époque reçoivent des exploitations salicoles qui,
cela est visible à la lecture des textes, existent déjà depuis au moins quelques
décennies, donc la seconde moitié du IXe siècle. N’oublions pas, pour apprécier ce point, que la création de marais salants suppose un travail de
terrassement d’ampleur, individuel mais aussi collectif, et que leur exploitation exige une main-d’œuvre importante et sur place en permanence.
Dans la seconde moitié du IXe siècle, le secteur de la baie de La Rochelle
abrite donc des ports de sauniers. Les deux plus anciennes mentions de ce lieu
143. BEAUPIED-DUMENILS, Mémoire sur les marais salans…, op. cit., p. 58 ; P. TARDY, Sel et
sauniers : d’hier et d’aujourd’hui, Groupement d’études Rétaises, 1987, p. 298 et tableau des
mesures de capacité en usage dans l’île de Ré, p. 116 ; A.-J.-M. GAUTIER, Statistiques du département de la Charente-Inférieure, La Rochelle, 1839, p. 356 et 359; A. DROUIN, Les marais salants
d’Aunis et de Saintonge jusqu’en 1789, Royan, 1999 (Texte intégral de la thèse soutenue à
l’École des chartes en 1935 et qui n’avait été publiée que partiellement dans la Revue de
Saintonge et d’Aunis, 1933-1935, p. 293-303 ; 1935-1940, p. 17-33, 102-114, 148-156, 224234, 282-290 ; 1941, p. 38-39), voir p. 59.
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L’apport de la numismatique
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sont relativement tardives, peu après 996 : deux dons à l’abbaye de SaintCyprien de Poitiers de 50 aires saunantes in Rochella et de trois filets de pêche
en mer sub Roca144. Mais compte tenu de l’état des sources écrites, cela ne peut
fixer la naissance de ce site. Dès que des marais salants apparaissent ici, c’està-dire dans la seconde moitié du IXe siècle, le débouché des étiers de Lafond
à l’ouest, de Rompsay et de la Moulinette à l’est, a joué un rôle qui prépare
celui que tiendra à une autre échelle et sur d’autres bases commerciales le
port de La Rochelle à partir du milieu du XIIe siècle. Ces petits fleuves étaient,
à proximité immédiate des marais salants, le lieu idéal d’aménagement de
ports d’embarquement du sel accessibles à des bateaux comme le caboteur
fouillé à Port-Berteau : ce sont des embarcations de la même dimension et du
même port en charge qui encore au XVe siècle animaient en Aunis et en
Saintonge de tels petits ports sauniers littoraux.
La conclusion qui ressort de l’analyse des chartes et de la présence du
chemin saunier au départ de Saint-Savinien et Taillebourg est qu’au milieu du
IXe siècle au plus tard il y a des marais salants sur le littoral de l’Aunis et que
ce produit remonte la Charente dès cette époque.
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Comme l’a montré Olivier Bruand, l’étude des ateliers, de la circulation et des
trésors monétaires peut permettre de jalonner la remontée du sel vers l’intérieur145. Sa démonstration, qui concerne avant tout les VIIe-IXe siècles, intéresse
d’abord le bassin ligérien et, à la marge, celui de la Charente, moins bien
documenté. Olivier Bruand considère que la répartition des ateliers monétaires
de cette époque et la circulation du monnayage des salines ligériennes confirment l’importance de ces dernières par rapport à celles du littoral de l’Aunis
et de la Saintonge. La faible activité salicole du littoral charentais avant le
milieu du VIIIe siècle lui paraît aussi confirmée par la rare présence dans ce
secteur de monnaies venues de l’intérieur du pays146.
144. Cartulaire de l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers, L. REDET (éd.), Archives historiques du Poitou, t. III, 1874, n° 519, p. 313 et n° 538, p. 321. Pour la date de ces deux textes,
peu après 996, il convient de suivre les remarques de Robert Favreau (R. FAVREAU, « Les débuts
de la ville de La Rochelle », art. cit., p. 4) plutôt que la datation plus large proposée par l’éditeur du cartulaire. La charte datée de 961 avancée depuis le XVIIIe siècle comme la première
mention de La Rochelle est un faux rédigé au XVIIe siècle (sur la critique de ce texte, édité dans
la Gallia Christiana, op. cit., t. II, Instrumenta, colonnes 408-410, voir entre autres auteurs
J. DUGUET, « La fausse charte de restauration… », art. cit.).
145. O. BRUAND, Voyageurs et marchandises aux temps carolingiens…, op. cit. ; ID., « Diffusion du sel de l’Atlantique… », art. cit. ; ID., « Pénétration et circulation du sel… », art. cit.
146. ID., « Diffusion du sel de l’Atlantique… », art. cit.
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Il est nécessaire de soulever un point de méthode à propos de ce mode
d’analyse du trafic du sel. Dans l’état de la documentation archéologique, on
ne peut guère, dans le bassin de la Charente et ailleurs, utiliser autre chose que
des trésors monétaires, par ailleurs peu nombreux. Le petit nombre de publications des quelques sites du haut Moyen Âge fouillés font que nous avons en
Poitou-Charentes très peu d’exemples de monnaies découvertes dans des
contextes d’habitat. Contrairement aux îles Britanniques, la France contrôle
très mal les activités des utilisateurs de détecteurs de métaux, ce qui enlève
encore d’autres possibilités d’étude des circulations monétaires. Le problème
n’est pas seulement celui d’une perte d’information : des travaux récents
publiés dans les îles Britanniques montrent que les découvertes en fouille
d’habitat ou par les utilisateurs de détecteurs de métaux nous donnent des
circulations monétaires du haut Moyen Âge une image originale, bien différente de celle que fournissent les seuls trésors147. Nous touchons là à un
problème que nous évoquerons de nouveau plus loin : il n’est pas possible
d’avancer dans la connaissance des modalités et des motifs d’utilisation et
d’aménagement du fleuve Charente pendant le haut Moyen Âge sans l’archéologie, mais cela n’est possible qu’avec un développement d’ensemble de la
discipline dans tous ses aspects, connaissances des sites ruraux et urbains,
mais aussi des mobiliers archéologiques, monnaies ou céramique.
L’apport de l’étude céramique
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La diffusion de certaines céramiques produites dans le Centre-Ouest et découvertes dans les îles Britanniques prouve que du IIIe au VIIe siècle des contacts
maritimes existent entre ces deux régions. Successivement dans le temps, on
peut parler de la céramique dite à l’éponge, datable des IIIe-Ve siècles, puis des
dérivées des sigillées paléochrétiennes d’origine atlantique (DSPA) dont la
production est attribuable aux IVe-Ve siècles148. Chronologiquement, le
troisième exemple est l’E Ware, un groupe technique défini en 1959 par
Charles Thomas149. Caractéristique des VIe-VIIe siècles, cette céramique a été
découverte dans plusieurs dizaines de sites de la côte ouest de l’Angleterre, de
la Cornouailles à l’Écosse, et de la côte est de l’Irlande, souvent des habitats
aristocratiques où elle est associée à des objets de qualité d’origine continentale
147. Voir notamment l’introduction et les textes de James Campbell, Mark Blackburn,
Michael Metcalf et Ben Palmer dans T. PESTELL et K. ULMSCHNEIDER (éd.), Markets in Early
Medieval Europe : Trading and Productive Sites, 650-850, Bollington, Windgather Press, 2003.
148. P. TYERS, Roman Pottery in Britain, Londres, Routledge, 1996.
149. C. THOMAS, « Imported Pottery in Dark-Age Western Britain », Medieval Archaeology,
t. III, 1959, p. 89-111.
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ou méditerranéenne150. Au départ, Charles Thomas pensait qu’elle était
produite en Rhénanie, mais dès 1967 il penche pour la Saintonge après
examen de trouvailles faites au Camp de Chaillot (Charente-Maritime), très
semblables par la texture et la couleur, mais qui sont des XIe-XIIe siècles151.
Diverses analyses pétrographiques qui portent presque uniquement sur des
trouvailles faites dans les îles Britanniques n’ont jamais été décisives.
Charles Thomas, dans un article publié en 1990, conclut que le problème
du lieu de fabrication de ce groupe n’est toujours pas résolu152. Très récemment,
Ewan Campbell, spécialiste de la céramique de la basse Antiquité et du haut
Moyen Âge dans les îles Britanniques, en reste, comme la plupart des spécialistes, à une production venant d’ateliers situés entre les embouchures de la
Loire et de la Garonne, y compris la Charente153.
Telle qu’elle est décrite par les spécialistes des îles Britanniques, cette
céramique est d’une couleur qui varie du jaune clair au beige, sa pâte dure et
sa surface râpeuse contiennent des inclusions sableuses et des grains de fer
sidérolithique. Les formes, qui ne sont pas très variées, comprennent des
cruches à bec ou à anses et bec pincé ou tubulaire, de petites cruches ou des
bols carénés. En fait, par sa pâte, son aspect et ses formes, l’E Ware évoque un
type de céramique que l’on trouve dans des sites du haut Moyen Âge entre
Poitiers et Bordeaux et il est probable que cette céramique est issue d’un ou
plusieurs ateliers de ce secteur. Quelques très rares découvertes rattachables à
cette production auraient été faites en France et dans deux cas il s’agit de
Bordeaux : les fouilles des places Saint-Christoly et Camille Jullian154.
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150. Parmi une abondante littérature de langue anglaise, la synthèse la plus récente est
E. CAMPBELL, Continental and Mediterranean imports to Atlantic Britain and Ireland, AD 400800, Council for British Archaeology (CBA Research Reports, 157), 2007.
151. D. PEACOCK et C. THOMAS, « Class E imported Post-Roman Pottery : a suggested
Origin », Cornish Archaeology, 6, 1967, p. 35-46.
152. C. THOMAS, « Gallici Nautae de Galliarum Provinciis », Medieval Archaeology, t. 34,
1990, p. 1-26.
153. E. CAMPBELL, Continental and Mediterranean imports…, op. cit. ; cf. aussi P. TYERS,
Roman Pottery…, op. cit., p. 145-146.
154. Ces découvertes sont mentionnées sans précisions dans plusieurs publications anglaises
et dans un article français (A.-C. BÉLIER, « Note sur la céramique E (E-ware) », dans
J.-M. PICARD (éd.), Aquitaine and Ireland in the Middle Age, Four Courts Press, 1995, 272 p.).
Je remercie Frédéric Boutoulle, maître de conférences à l’université de Bordeaux III, qui m’a
signalé cet article. La présence de cette production dans ces deux fouilles inédites de Bordeaux
n’a pas pu être vérifiée. Armelle Guériteau, en cours de thèse sur la céramique du haut Moyen
Âge en Aquitaine, m’a indiqué qu’elle ne connaissait rien de tel venant de ces deux sites, mais
qu’elle avait identifié dans le matériel de la place Puy-Paulin, une fouille réalisée à Bordeaux
en 2008, quelques tessons datés des Ve-VIIe siècles qui sont analogues à ce que les spécialistes
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L’idéal pour nous serait bien évidemment de localiser le ou les ateliers de
production de l’E Ware et que ceux-ci se trouvent en Saintonge. Nous connaissons actuellement dans ce secteur des lieux de production céramique à partir
du XIe-XIIe siècle, mais nous ne savons pratiquement rien pour la période
antérieure155.
Ces trois types de découvertes céramiques faites dans les îles
Britanniques montrent que pendant cinq siècles des potiers du Centre-Ouest
ont pu introduire leurs productions assez communes dans le trafic maritime.
Nous ignorons les lieux exacts de fabrication de ces céramiques, mais il y a de
fortes chances pour qu’il s’agisse, comme c’est le plus souvent le cas, d’ateliers
ruraux ou établis en périphérie urbaine. Cela veut dire qu’autour ou à proximité du ou des ateliers céramiques produisant l’E Ware aux VIe-VIIe siècles il
y avait soit des « consommateurs » de produits importés par la mer, soit des
produits intéressant le commerce maritime. De ce point de vue, la céramique
est un marqueur incomparable parce qu’elle permet de reconstituer des voies
commerciales maritimes pour des périodes mal documentées, mais surtout et
avant tout parce qu’elle prouve l’entrée dans l’économie de marché du monde
rural où elle est produite. Le phénomène est net et connu depuis longtemps
pour ce qui concerne les céramiques saintongeaises à partir du XIIIe siècle156.
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anglais décrivent sous le terme d’E Ware (Cf. A. GUÉRITEAU, « Caractéristiques de la céramique
du haut Moyen Âge dans le Nord de l’Aquitaine [fin du IVe-XIe s.] », à paraître dans les actes
du colloque de L’Association française d’archéologie mérovingienne de Bordeaux, automne
2009). Je remercie Armelle Guériteau, de la société Hades, de ces informations et de m’avoir
montré ces tessons.
155. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit. ; J. CHAPELOT et
J.-L. HENRIET (coll.), « Le rapport à l’espace des potiers de La Chapelle-des-Pots (CharenteMaritime) du XIIIe au XVIIIe siècle », dans A. BOCQUET-LIÉNARD et B. FAJAL, À propo(t)s de
l’usage, de la production et de la circulation des terres cuites dans l’Europe du Nord-Ouest (XIVeXVIe siècle), table ronde organisée à Caen les 7-8 décembre 2007, Caen, Publications du
CRAHM, 2011, p. 53-76 ; B. VÉQUAUD, « La céramique du haut Moyen Âge en PoitouCharentes : état des connaissances (VIe-Xe siècles) », dans L. BOURGEOIS (éd.), Wisigoths et Francs
autour de la bataille de Vouillé (507). Recherches récentes sur le haut Moyen Âge dans le CentreOuest de la France, Actes des XXVIIIes Journées internationales d’archéologie mérovingienne,
Vouillé et Poitiers (Vienne, 28-30 septembre 2007), Mémoires publiés par l’Association
française d’Archéologie mérovingienne, t. XXII, 2010, p. 263-278, fait le point sur la céramique
du haut Moyen Âge en Poitou-Charentes en débordant un peu de la région, mais elle n’évoque
pas l’E Ware. On trouvera en revanche une étude de ce groupe dans un article à paraître
consacré à la céramique du haut Moyen Âge dans le Nord de l’Aquitaine (A. GUÉRITEAU,
« Caractéristiques de la céramique du haut Moyen Âge… », art. cit.).
156. J. CHAPELOT, « Société rurale et économie de marché en Saintonge… », art. cit.
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Nature et fonction des petits ports ruraux du haut Moyen Âge
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Identifier les ports fréquentés avant le milieu du XIe siècle par des caboteurs
ou des unités de batellerie est important pour comprendre le fonctionnement
de l’économie fluviale et la genèse des bourgs castraux, mais la difficulté est
grande car les textes sont très rares et, quand ils existent, laconiques, les
trouvailles archéologiques étant peu nombreuses et d’interprétation délicate.
Quelques remarques préliminaires sont nécessaires pour éclairer le
problème. La configuration du lit moyen de la Charente entre Cognac et
Saint-Savinien fait que les paysans de ce secteur devaient traverser régulièrement le fleuve : les habitats sont sur une ligne continue de hauteurs, le plus
souvent en rive droite, mais ils exploitent de vastes prairies qui sont sur la rive
opposée. L’emploi d’une part des monoxyles ou monoxyles assemblés découverts dans le lit mineur peut s’expliquer ainsi157. Ce type de bateaux est aussi
associé à l’exploitation des pêcheries dont nous avons des traces anciennes.
Il faut aussi rappeler que dans les premières décennies du XIIe siècle on
utilisait des pirogues monoxyles comme bateau collectif de passage à SaintJean-de-Sorde, aujourd’hui Sorde (Landes), sur la rive droite du Gave
d’Oloron, non loin de son embouchure dans le Gave de Pau. C’est ce que
rapporte le Guide du Pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle : Est etiam
navis illorum modica, unius arboris facta, equos minime recipiens, quam cum
intraveris te ipsum cante custodi, ne forte in aquam cadas. Oportebit enim,
equum tuum per frenum trahere post te, extra navim, per pelagum158. Le même
guide ajoute plus loin, toujours à propos des péagers du pays basque : Et
magnas etiam naves in quibus jumenta et homines largiter queant intrare, habere
debent159, ce qui ne permet pas d’assurer qu’il s’agit encore de pirogues
monoxyles, mais montre que les embarcations utilisées comme bac pouvaient
être relativement grandes.
Il faut distinguer ce qui constitue une navigation plus ou moins individuelle
et de proximité, ce qui est lié à des usages collectifs comme les bacs et enfin
157. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 120-121 et 144145.
158. « Or leur bateau, est petit, fait d’un seul tronc d’arbre, pouvant à peine porter les
chevaux ; aussi quand on y monte, faut-il prendre bien garde de ne pas tomber à l’eau. Tu feras
bien de tenir ton cheval par la bride, derrière toi, dans l’eau, hors du bateau, et de ne t’embarquer qu’avec peu de passagers, car si le bateau est trop chargé, il chavire aussitôt » (J. VIELLIARD,
Le guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, Texte latin du XIIe siècle, édité et traduit en
français d’après les manuscrits de Compostelle et de Ripoll, troisième édition, Mâcon, Imprimerie
Protat Frères, 1963, p. 20-21).
159. « Et en outre, les passeurs sont tenus d’avoir de grands bateaux dans lesquels peuvent
entrer largement les hommes et leurs montures » (Ibid., p. 24-25).
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ce qui relève de transports réguliers, commerciaux ou non. Parmi les épaves
des VIe-XIe siècles fouillées ou découvertes dans le lit mineur de la Charente,
on voit aisément que plusieurs dépassent par leur taille celle d’une simple
embarcation de pêche ou de franchissement du fleuve par une ou quelques
personnes. Sans parler du caboteur de Port-Berteau et du chaland d’Orlac, déjà
évoqués, il en est ainsi au moins pour trois autres bateaux. Le premier est la
grande pirogue monoxyle de 13 m datée au radiocarbone des années 665-1015
et fouillée à Port-Berteau (PB1). Le deuxième est la pirogue monoxyle assemblée de Rochefollet (commune de Bussac-sur-Charente) découverte en 2003
et dégagée dans les années suivantes : elle est longue d’une douzaine de mètres
et a été datée par le 14C du VIIe-VIIIe siècle160. Enfin, il faut citer le bateau
assemblé du Priouté (commune de Port-d’Envaux) daté au 14C de 680-874161.
Le mode de construction de ces bateaux leur permettait de charger et
décharger dans des lieux non aménagés, mais quand les transports devenaient
réguliers et répétés au départ d’un même lieu, un minimum d’aménagement
de l’accès à la berge pour les piétons et les charrois devenait nécessaire et on
peut alors parler d’un port.
Aux XIIe-XVe siècles, les textes montrent que les petits ports de la Charente
se consacrent à l’embarquement des productions de leur immédiat arrièrepays : vin, céréales, bois, poterie, mais aussi pierre pour certains d’entre
eux. Des carrières sont en effet – au moins à la fin du Moyen Âge – exploitées directement depuis la berge du fleuve dans les falaises qui bordent ce
dernier un peu en amont de Taillebourg. Des exportations de pierres dites
de Taillebourg apparaissent dans les comptabilités de chantiers du XVe siècle,
de la cathédrale de Bordeaux au sud à celle de Vannes au nord, parmi
d’autres lieux. À l’époque où navigue le chaland d’Orlac, une ville comme
Saintes a certainement en chantier plusieurs grands bâtiments de pierre qui
justifiaient pendant plusieurs années des transports réguliers de matériaux
de construction.
Sauf en amont de Saintes, aucun texte n’évoque de port avant le XIe siècle162.
En 1031 est mentionné le Port-du-Lys (commune de Salignac-sur-Charente),
160. A. DECONINCK, « Du Priouté à Taillebourg », art. cit. ; ID., « La Rochefollet », 2009,
http://adlfi.fr/SiteAdfi/document?base=base_notices&id=N2009-WA-0003.
161. É. RIETH, Le Priouté EP1, op. cit. ; A. DECONINCK, « Du Priouté à Taillebourg », art.
cit. Une prospection sur cette épave a été autorisée en 2010.
162. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 129. Comme
nous l’avons vu plus haut, c’est par erreur, en s’appuyant sur une charte de 961 qui est un faux
du XVIIe siècle, que Traute Endemann mentionne à Saintes un portus et un péage sur les bateaux
passant sous le pont de cette ville (T. ENDEMANN, Markturkunde und Markt in Frankreich und
Burgund…, op.cit., p. 11, 112, 116 et 172 notamment).
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à la limite des deux départements actuels et sur la rive gauche (fig. 2,
supra)163. Vers 1093, toujours à Salignac, apparaît le port de Montalut, relié
à l’église du lieu par un « vieux chemin », ce qui plaide en faveur d’une
existence plus ancienne de ce portus164. L’abbaye de Saint-Jean-d’Angély
avait reçu en don vers 1088-1089 l’église de Salignac avec ses dépendances
et, en cette même année 1093, elle possédait ici des parts dans des pêcheries ainsi que d’autres biens165. Ces deux ports de Salignac sont à plus d’un
kilomètre au nord du centre communal et de son église romane, seul celui
du Lys étant actuellement marqué par la présence de constructions : nous
sommes dans la même configuration que les ports d’Orlac et de Port-Berteau
que nous examinerons plus bas. La présence des deux ports de Salignac est
peut-être à mettre en relation avec le fait que ce lieu, dès 1088-1089, est
qualifié de bourg166, un terme souvent utilisé dans la région à partir de
1030 et qui désigne le plus souvent des agglomérations rurales167. Nous
avons vu précédemment le petit nombre de lieux ainsi qualifiés et existant
le long de la Charente : au XIe siècle, c’est le seul avec Tonnay-Charente,
Notre-Dame de Saintes et Cognac.
Ce type de petits ports ruraux apparaît ailleurs dans des textes d’époque
comparable. Georges Duby, qui avait la chance grâce au cartulaire de Cluny
de disposer de sources plus anciennes, a identifié en pays mâconnais, à la fin
du Xe siècle, de tels ports ruraux, échelonnés le long de la Saône entre Mâcon
et Belleville, sur l’une et l’autre rive et aux points où les chemins ruraux traversent la rivière168. Son opinion est qu’ils servaient au transport de produits,
agricoles ou autres, sur celle-ci.
Dans un contexte plus semblable à celui de la Charente, des petits ports
ruraux existent en nombre au IXe siècle des deux côtés de l’estuaire de la Seine :
à cette époque, ils sont utilisés par les grandes abbayes du secteur pour divers
transports169.
163. Cartulaire de l’abbaye de Savigny, suivi du petit cartulaire de l’abbaye d’Ainay, A. BERNARD
(éd.), Paris, 1853 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), n° 635, p. 313.
164. Cartulaire de l’abbaye royale de Saint-Jean-d’Angély, op. cit., t. II, charte CCCCLXXXI.
165. Ibid., t. I, charte CCLXXI (vers 1088-1089) ; ibid., charte CCLXIX (vers 1093) ;
t. II, charte CCCCLXXXI (vers 1093) ; t. I, charte CCLXX (vers 1098).
166. Ibid., t. I, charte CCLXXI.
167. A. DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, op. cit., p. 434-435.
168. G. DUBY, La société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise, Paris, SEVPEN, 1971,
p. 49-50.
169. J. LE MAHO, « The fate of the ports of the lower Seine Valley at the end of the ninth
century », dans T. PESTELL et K. ULMSCHNEIDER (éd.), Markets in Early Medieval Europe…, op.
cit., p. 234-247.
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Au premier abord, on peut estimer qu’il est peu vraisemblable que ces
petits ports ruraux de la Charente ou d’ailleurs soient fréquentés aux VIIeXIe siècles par des « commerçants au long cours » utilisant le fleuve : ceux-ci,
à cette époque, n’achèteraient rien en milieu rural car rien ne serait susceptible
de les intéresser parmi les productions des paysans170.
La réflexion récente des archéologues et des historiens conduit à nuancer
cette idée et montre qu’il faut analyser certains aspects de l’économie et des
échanges du haut Moyen Âge avec des schémas d’explication différents de ceux
qui avaient cours il y a vingt ou trente ans, avant la très forte croissance de
l’archéologie médiévale. Dans un article exemplaire, Chris Loveluck et
Dries Tys, étudiant le fonctionnement des sociétés côtières de la Manche et du
sud de la Mer du Nord entre 600 et 1100, montrent que les fouilles récentes
ont changé nos interprétations en nous faisant connaître l’arrière-pays des
emporia des VIIIe-IXe siècles, la diversité et le grand nombre des petits centres
commerciaux et d’artisanat côtier, l’existence de petits ports d’estuaires, sinon
même de lieux d’échange et de commerce plus ou moins temporaires installés
sur le littoral171. Grâce à ces fouilles et aux découvertes des utilisateurs de détecteurs de métaux, on voit qu’il y a des exemples nombreux d’objets de luxe
importés dans des sites variés et qui ne sont pas des emporia, des villes ou des
sites aristocratiques, mais des habitats ruraux, ce qui prouve que le commerce,
y compris international, irrigue la société du haut Moyen Âge, notamment du
IXe siècle, beaucoup plus que ce que l’on croyait naguère172. Dans un autre
sens, des historiens de l’économie ont montré que des artisans de l’époque
carolingienne, s’ils diffusent avant tout leur production d’objets métalliques,
de verrerie, de poterie, de textile, etc., autour de leurs lieux de travail, savent
aussi introduire celle-ci dans le grand commerce : ils évoquent notamment le
cas des ateliers céramiques proches de Cologne ou de Saran (Loiret)173.
170. G. DUBY, La société aux XIe et XIIe siècles…, op. cit., voir p. 275, insiste avec force sur
cela à propos du Mâconnais à cette époque.
171. C. LOVELUCK et D. TYS, « Coastal societies, exchange and identity along the Channel
and southern North Sea shores of Europe, AD 600-1000 », Journal of Maritime Archaeology,
vol. 1, n° 2, décembre 2006, p. 140-169 : p. 141, 143 et fig. 2, p. 145, et 4 p. 151. Je remercie
Chris Loveluck, Department of Archaeology, School of Humanities, University of Nottingham, Nottingham, qui a bien voulu m’envoyer cet article en réponse à ma demande.
172. C. LOVELUCK et D. TYS, « Coastal societies, exchange and identity… », art. cit., voir
p. 149.
173. R. MCKITTERICK, D. ABULAFIA, M. BRETT, E. POWELL, S. KEYNES, J. SHEPARD,
P. LINEHAN et P. SPUFFORD, The New Cambridge Medieval History : Volume 2, C. 700-C. 900,
Cambridge University Press, 1995, p. 503 ; A. VERHULST, The Carolingian Economy, op. cit.,
p. 80.
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Dans ces conditions, notre interprétation du rôle des petits ports ruraux
comme Orlac ou Port-Berteau ou de certaines des épaves fouillées dans la
Charente devient relativement ouverte, mais aussi riche de significations
variées.
À l’exception de deux pirogues à Saintes, toutes les découvertes d’épaves
dans le lit mineur ont été faites à proximité de sites terrestres du type de PortBerteau qui est actuellement un hameau de quelques maisons en bordure du
fleuve, à plusieurs centaines de mètres du centre communal de Bussac. Les
pirogues monoxyles ou monoxyles assemblées et les bateaux assemblés d’Orlac,
de Dompierre, de la Ménarderie en aval de Saintes, de Rochefollet, de Taillebourg-amont et du Priouté sont dans le même contexte (fig. 2 et 4, supra).
Toute la question est de savoir si leur localisation est le fait du hasard, d’une
dérive d’épaves au fond du fleuve – ce qui semble le cas pour beaucoup de
pirogues monoxyles – ou si elle est liée à l’existence d’un point d’atterrissage
ou d’attache proche, fréquenté par ces bateaux.
Le cas le plus clair et le mieux documenté est celui de Port-Berteau, dans
la paroisse et la seigneurie de Bussac qui est dans la baronnie de Taillebourg.
Le naufrage d’un caboteur du début du VIIe siècle venu ici en réparation est
l’indice de la présence de charpentiers et de contacts avec la batellerie et le
cabotage. La fouille a montré sans équivoque que ce lieu était un port d’embarquement de la céramique produite sur le plateau à La Chapelle-des-Pots et
dans les paroisses environnantes situées à une dizaine de kilomètres à l’est et
cela du XIIIe au XVIIIe siècle174. Les textes montrent qu’il y a à Port-Berteau
pendant l’Ancien Régime une ou deux familles de mariniers qui possèdent
quelques gabarres et qui se sont spécialisées dans le transport de cette
céramique vers La Rochelle. La localisation de ce port est logique : une route
qui descend du plateau en empruntant une vallée sèche conduit à Port-Berteau
qui est le site portuaire le plus commode d’accès et le plus proche des ateliers
de potiers. Une importante zone forestière médiévale traversée par ce chemin
fournissait aux gabarres de Port-Berteau l’appoint du bois de chauffage et de
construction.
Mais c’est l’analyse de cette épave qui nous donne les informations les plus
intéressantes et les plus décisives. Deux points sont essentiels. Le premier est
qu’il s’agit d’un bateau destiné à une navigation fluviale et littorale :
174. J. CHAPELOT, «Société rurale et économie de marché en Saintonge…», art. cit.; D. ORSSAUD,
Le trafic d’un port fluvial sur la Charente, Port-Berteau. Étude de la céramique des XIIIe-XVIIIe siècles
découverte en fouille subaquatique dans le lit de la rivière, maîtrise de l’Université de Paris I, 1975;
É. RIETH, C. CARRIERRE-DESBOIS et V. SERNA, L’épave de Port-Berteau II…, op. cit., p. 27-30.
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Les formes de la carène et le faible tirant d’eau, quant à eux, paraissent
significatifs d’une volonté de disposer d’un bateau susceptible de
naviguer dans des zones peu profondes, susceptible aussi de s’échouer
sans difficultés sur des grèves ou le long de berges pour effectuer des
opérations de chargement ou de déchargement. La faible hauteur de
franc-bord, au niveau de la cale tout particulièrement, et les deux
espaces de faible volume habitable sous les ponts avant et arrière
pouvant servir d’abri à l’équipage, sont révélateurs d’un programme de
navigation côtière et fluviale de proximité. En d’autres termes, il
semblerait que la formulation du projet architectural a été établie pour
répondre à des besoins économiques qui impliquaient, dans un cadre
nautique précis, des échanges réguliers entre l’arrière-pays charentais
– via la partie inférieure de la Charente – et le littoral.175
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Le second apport important du caboteur Port-Berteau 2 est que ses caractéristiques architecturales lui permettent de naviguer jusqu’au pertuis de
Maumusson au sud et au pertuis breton au nord, soit 25 milles, et vers les îles
de Ré et d’Oléron vers l’ouest, soit 8 milles.
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Cet espace est assimilable à une « mer intérieure des pertuis », protégée
de la grande houle de l’Atlantique par les îles de Ré et d’Oléron. Avec
des vents favorables à une navigation aux allures portantes et en faisant
route avec le courant, le caboteur de Port-Berteau II pouvait le parcourir,
dans sa plus grande longueur, en moins d’une douzaine d’heures.176
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Ce caboteur, qui ne peut avoir été construit pour une navigation épisodique,
nous montre qu’au début du VIIe siècle, il existe des relations régulières entre le
littoral et la basse Charente, donc des raisons qui justifient la venue régulière d’un
tel bateau dans un lieu comme Port-Berteau. Nous avons aussi la preuve que dès
cette époque est constitué un espace maritime littoral et fluvial circonscrit dans
lequel il collecte et transporte des produits, dont du sel puisque, comme nous
l’avons déjà dit, celui-ci est l’élément de base du commerce fluvial à la montée
dès le début du Moyen Âge dans tous les bassins fluviaux documentés, mais aussi
des productions de l’arrière-pays, dont nous ignorons tout.
La nature du site d’Orlac est moins facile à comprendre. Rien dans la
topographie des berges de la Charente sur plusieurs kilomètres, dans un secteur
qui appartient au chapitre de la cathédrale de Saintes au Moyen Âge, ne permet
de penser que ce lieu est dans une situation privilégiée pour constituer un petit
port rural où l’on pouvait embarquer par exemple des produits agricoles. Il n’y
175. É. RIETH, C. CARRIERRE-DESBOIS et V. SERNA, L’épave de Port-Berteau II…, op. cit.,
p. 114-115.
176. Ibid., p. 115.
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a pas de carrières de pierre à proximité, contrairement à d’autres secteurs plus
en amont ou en aval. Néanmoins, les conditions de découverte du chaland
d’Orlac permettent de penser que ce bateau a été tiré ici après son abandon. Par
ailleurs, il est trop important et trop complexe pour n’être qu’une construction
de circonstance. Il est la preuve que dès le début du XIe siècle il existe dans cette
section du fleuve en amont de Saintes des besoins de transports lourds suffisamment réguliers pour que soit réalisé un chaland emportant 8,2 tonneaux de
charge, construit et manœuvré par des spécialistes et bâti avec des arbres vieux
de plus de 250 ans177. Il faut ajouter qu’est encore aujourd’hui visible en rive
droite et à proximité de ce chaland d’Orlac une chaussée longue de plusieurs
centaines de mètres. Elle permettait d’accéder au bac qui, ici comme à PortBerteau, est attesté à la fin du Moyen Âge. La présence d’un bac est l’indice d’une
certaine vitalité portuaire dans ces deux lieux au moins à cette époque tardive.
Le cas de Taillebourg-amont, évoqué précédemment sous d’autres aspects,
est en revanche problématique (fig. 5, supra). André Debord, dans sa thèse
publiée en 1984, a avancé l’hypothèse d’un camp viking précédant le château
médiéval de Taillebourg178. La découverte par des plongeurs sportifs d’objets
attribués aux Scandinaves et la publication d’un livre peu sérieux destiné au
grand public reprenant cette idée d’un camp viking à l’emplacement du château
ont été aux origines de la prospection thématique organisée à Taillebourgamont à partir de 2001 par un plongeur du Service régional de l’archéologie
et du Projet collectif de recherche (PCR) constitué l’année suivante pour
étudier ce même site. L’un des trois objectifs assignés à ce PCR était de vérifier
cette hypothèse d’un camp viking179. Dans un premier temps, les responsables
de ces deux opérations ont considéré que trois objets métalliques d’origine
scandinave (deux haches et une bague) et des plaques de plomb naviformes,
dont l’origine scandinave est incertaine et qui sont dans tous les cas mal datées,
ainsi que le grand nombre d’épaves du haut Moyen Âge découvertes dans le
lit mineur confirmaient cette hypothèse d’un camp viking établi un kilomètre
en aval du site prospecté et sur le site du futur château médiéval180.
177. J. CHAPELOT et É. RIETH, Navigation et milieu fluvial…, op. cit., p. 149-151.
178. A. DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, op. cit., p. 53-54.
179 A. DUMONT, Approche archéologique, environnementale et historique du fleuve Charente
à Taillebourg-Port-d’Envaux (Charente-Maritime). Étude interdisciplinaire et transchronologique
du lit mineur et des berges, Projet collectif de recherche - CIRA sud-ouest, Annecy, décembre
2002, dactylographié, p. 2.
180. Bilan du DRASSM, 2002, p. 103. Cf. aussi Ibid., p. 11. Bilan du DRASSM, 2003, p. 12 et
p. 127 : «ces objets fournissent des arguments archéologiques à la thèse de l’historien André Debord
qui proposait d’associer Taillebourg à une base viking du IXe siècle et voyait dans la forme primitive
du toponyme un “Trelleborg” » ; J.-F. MARIOTTI, «Taillebourg-Port-d’Envaux…», art. cit., p. 301.
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Cette hypothèse d’un camp viking a été réfutée en 2005, sans contradiction depuis181. Les mêmes plongeurs prospecteurs estiment désormais que
ces objets et ces épaves ne prouvent rien quant à l’existence d’un camp viking
sur le site du château de Taillebourg182. Reprenant une idée avancée en 2004
à propos de leur zone de prospection et par analogie avec les sites d’Orlac et
de Port-Berteau183, ils se sont ralliés dans un premier temps avec précaution184
puis désormais totalement à l’idée qu’il s’agit d’un port du haut Moyen Âge,
les arguments restant les mêmes que ceux avancés précédemment pour
défendre l’idée d’un camp viking à un kilomètre en aval : le grand nombre
d’épaves découvertes sur quelques centaines de mètres de longueur du lit
mineur et l’importance du mobilier, céramique et surtout métallique, le tout
datable essentiellement des VIIe-Xe siècles. L’idée désormais avancée est que « les
cinq seuils (S1 à S5) marquent l’extension de la zone portuaire du haut Moyen
Âge »185. Au total, la prospection sur ces cinq seuils (soit environ 800 m de
longueur) et des trouvailles anciennes faites aux abords du pont médiéval à un
kilomètre en aval du seuil 1 ont produit 685 objets métalliques dont six épées
de types scandinaves ou anglo-saxons, vingt fers de lance et dix fers de hache
(dont deux de types scandinaves) qui vont de l’époque mérovingienne au
XIe siècle186.
Il est inutile de souligner la fragilité d’une telle argumentation qui repose
sur des découvertes d’objets sans contexte stratigraphique, pour beaucoup
indatables et dont la fonction est pour certains – comme des plaques de
plomb naviformes – indéterminée. Il faut néanmoins examiner soigneusement
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181. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit.
182. Bilan du DRASSM, 2004, p. 120 : « Cet ensemble d’objets archéologiques d’origine
ou d’inspiration nordique ne constitue pas une confirmation de la thèse d’André Debord sur
l’implantation d’une base viking à Taillebourg mais ils en sont seulement des indices » ; cf. Bilan
du DRASSM 2005, p. 9 ; cf. J.-F. MARIOTTI et al., « Prospection du lit mineur… », art. cit.,
p. 299 ; J.-F. MARIOTTI, « Un camp viking à Taillebourg ? », art. cit., p. 27 : « La thèse d’André
Debord ne trouve pas de réelle confirmation dans cet ensemble d’objets d’origine ou d’inspiration nordique. Ceux-ci témoignent seulement d’une présence scandinave, dont la durée et
les éventuelles conditions d’occupation sont dans l’état actuel de nos découvertes inconnues ».
183. J. CHAPELOT et É. RIETH, « Navigation et ports fluviaux… », art. cit.
184. J.-F. MARIOTTI et al., « Prospection du lit mineur… », art. cit. ; Bilan du DRASSM,
2005, p. 142 : « L’hypothèse d’un port fluvial en amont de Taillebourg est envisageable ».
185. J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT et B. ZELIE, « Un port fluvial et un pont… », art. cit.,
légende de la fig. 2, p. 280.
186. Ibid., p. 289-292. Cf. aussi le master 1 de Jean-François Mariotti : J.-F. MARIOTTI, Le
site subaquatique de Taillebourg-Port-d’Envaux, fleuve Charente (Charente-Maritime). Étude
chrono-typologique du mobilier métallique, mémoire de master I d’archéologie sous la dir. de
L. Bourgeois, 2 vol., Université de Poitiers, 2009.
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ces trouvailles car si un port des VIIe-Xe siècles a été actif ici un problème
intéressant apparaîtrait : ses rapports avec celui qui n’a pas manqué d’exister
très tôt quelques centaines de mètres en aval et au pied du site du château de
Taillebourg.
La première question qu’il convient de se poser est ce que l’on entend par
« port ». Dans le cas présent, un lien est fait par ces plongeurs entre hauts-fonds
et « zone portuaire », cette dernière s’étendant selon eux du seuil 1 en amont
au seuil 5 en aval (situé 400 m en amont du pont médiéval) sur une longueur
totale de 800 m (fig. 5). Trois épaves médiévales (deux pirogues et une pirogue
assemblée datables des VIIe-VIIIe siècles) trouvées à plusieurs centaines de mètres
en amont du seuil 1 à Port-la-Pierre (commune de Saint-Vaize) pourraient
marquer une extension de cette zone portuaire dans cette direction187. Inutile
de souligner qu’il est peu probable qu’une « zone portuaire » de plusieurs
centaines de mètres existe ainsi aux VIIe-Xe siècles le long de la rive droite de
la Charente.
Une deuxième question est la datation des trouvailles. Les pieux et des
épaves sont du haut Moyen Âge, comme le sont pratiquement toutes les
trouvailles de ce genre faites dans le lit mineur de la Charente. En revanche,
nous ne savons pas quelle est la part de cette époque dans le matériel archéologique : 685 objets métalliques, un nombre inconnu de tessons céramiques188
et 1763 objets récoltés entre 2001 et 2007 (plus une vingtaine de trouvailles
anciennes)189. L’absence de cette information est problématique puisqu’une
surreprésentation du mobilier archéologique du haut Moyen Âge est l’un des
arguments majeurs avancés pour faire de ce site un port de cette époque.
Le problème central est de savoir s’il existe des liens entre des découvertes
faites en prospection sur un kilomètre de longueur du lit mineur et un ou des
sites terrestres proches. D’un point de vue méthodologique, il est difficile de
lier la présence de 19 épaves, dont 16 pirogues monoxyles, à l’existence d’un
port en rive droite à Taillebourg-amont. D’abord parce que l’on voit mal des
pirogues monoxyles fréquenter un «port» et que par ailleurs on sait par les sites
de Chaniers et de Dompierre que ce type de bateaux, apparemment
abandonnés à leur sort quand ils sont inutilisables, dérivent dans le fleuve et
viennent se bloquer contre des pieux de pêcherie ou d’autres aménagements
ou s’accumuler dans certains points : leur lieu de découverte ne peut être relié
à un quelconque port ou habitat en berge. À Dompierre, il a été découvert au
187. A. DECONINCK, « Du Priouté à Taillebourg », art. cit.
188. J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT et B. ZELIE, « Un port fluvial et un pont… », art. cit.,
p. 283-289 pour la céramique et p. 289-292 pour les objets métalliques.
189. Ibid., note 18, p. 297.
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total neuf pirogues sur une longueur d’environ un kilomètre de lit mineur,
dont six sur 400 m (fig. 4), ce qui est comparable à Taillebourg-amont où sont
connues, après des prospections d’une tout autre ampleur, seize pirogues sur
une distance de 300 m. De même, le développement ces dernières années des
prospections entre Taillebourg et Saintes a permis, malgré leur caractère
ponctuel et limité et l’emploi de moyens nettement moins importants, la
découverte d’une quinzaine d’épaves de même époque qu’à Taillebourg-amont
et qui sont en majorité des pirogues monoxyles.
Par ailleurs, la présence à Taillebourg-amont d’un grand nombre d’objets
métalliques est liée à l’usage systématique de détecteurs de métaux, jamais
employés dans des opérations de fouille ou de prospection à Port-Berteau,
Dompierre ou ailleurs190. La découverte d’armes des VIIe-XIe siècles n’est
donc pas étonnante et cela d’autant plus que de tels objets sont depuis
longtemps remontés un peu partout du lit mineur de la Charente, entre le
pont médiéval de Taillebourg et Saintes, en passant par Port-Berteau. Il en
est de même dans bien d’autres rivières de France, la seule question étant
encore une fois la surreprésentation habituelle de trouvailles du haut Moyen
Âge par rapport à celles de la suite du Moyen Âge et des périodes postérieures191.
Dans ces conditions, rien, ni la nature, ni le nombre (qu’il faut rapporter
aux 800 m de longueur d’un lit mineur large d’une soixantaine de mètres au
moins et dont le fond est prospecté au détecteur de métal), ni la datation des
découvertes ne permet de dire que le site de Taillebourg-amont a une originalité par rapport à des secteurs moins intensément et extensivement
prospectés comme Dompierre, Port-Berteau, Orlac, le Priouté, etc. Le seul
argument archéologique qui permettrait de localiser un port du haut Moyen
Âge à Taillebourg-amont serait d’établir, comme c’est le cas à Orlac ou PortBerteau, un lien fonctionnel entre certaines des épaves et une occupation
humaine contemporaine sur l’une des rives.
Il ne suffit pas d’avoir en bordure du fleuve des sites occupés aux VIIee
XI siècles pour qu’un port existe comme une sorte de prolongement naturel192.
190. J. CHAPELOT, « Le pont et la chaussée de Taillebourg… », art. cit., p. 187.
191. Ibid., donne de nombreux exemples de découvertes d’armes des VIIe-XIe siècles dans la
Charente mais aussi la Loire, la Seine, des affluents de la Garonne, etc.
192. Cf. carte J.-F. MARIOTTI, A. DUMONT et B. ZELIE, « Un port fluvial et un pont… »,
art. cit., fig. 2, p. 280. Une très large part des sites portés sur cette carte, dont certains de nature
et de datation incertaines, est connue depuis très longtemps, comme le montre un ouvrage de
base qui n’est pas cité dans cet article : L. MAURIN, La Charente-Maritime, Paris, Maison des
Sciences et de l’Homme, 1999 (Académie des Inscriptions et Belles Lettres : Carte Archéologique de la Gaule, 17/1 - Charente-Maritime), voir les notices de Port-d’Envaux et Taillebourg.
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Les prospections et les diagnostics réalisés depuis vingt ou trente ans dans le
cadre de l’archéologie préventive montrent une forte densité de sites médiévaux au kilomètre carré dans toutes les régions, étant entendu que les bords
de rivière sont des secteurs privilégiés de peuplement. Une occupation
humaine le long d’un fleuve pendant le premier millénaire de notre ère n’est
pas automatiquement liée au cabotage, à la batellerie, à la présence d’un point
de franchissement ou d’une installation de pêche.
En conclusion, rien dans ce qui a été collecté en prospection subaquatique
sur le site de Taillebourg-amont ne montre l’existence d’un port au Moyen Âge
ou aux époques postérieures.
Conclusions
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La documentation dont nous disposons nous indique qu’il existe des
relations entre le littoral et la basse et moyenne Charente dès le VIIe siècle et
qu’une part de ces rapports est fondée sur la remontée du sel des marais
salants littoraux au moins dès le milieu du IXe siècle. L’un des points importants à approfondir concerne les lieux que fréquentent caboteurs et batellerie
dans le cours de la Charente pendant le haut Moyen Âge. Nous avons la certitude que dès le début du VIIe siècle il s’agit de petits ports ruraux et que
certains de ces derniers restent actifs bien au-delà du Moyen Âge. Ce qui nous
manque, ce sont des informations sur la genèse des ports des bourgs castraux
du XIe siècle comme Tonnay-Charente et Taillebourg, ou assimilés comme
Saint-Savinien.
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L’archéologie médiévale reste pour l’essentiel une activité opportuniste fondée
sur des effets d’aubaine liés à l’archéologie préventive. Une autre de ses caractéristiques fondamentales actuelles est que le développement du préventif à
partir des années 1980-1990 et la croissance du nombre d’opérations a souvent
conduit à considérer que le progrès de l’archéologie pouvait se réduire à
l’accroissement du volume d’informations brutes.
En fait, deux éléments peuvent faire progresser l’archéologie médiévale :
des publications de synthèse ou monographiques ; des travaux de terrain
exceptionnels par leur nature, la manière dont ils sont conduits et leur publication rapide. Quelques publications récentes montrent que certaines
opérations de terrain nous obligent à aborder d’une manière totalement
originale des questions inédites et qu’elles mettent l’archéologue dans une
situation particulière : celle d’un chercheur qui se trouve à un carrefour de
compétences le plus souvent collectives qu’il lui faut savoir identifier, maîtriser
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et rassembler193. L’étude d’une épave est exemplaire à ce propos : un bateau
est un système technique complet et complexe qui n’est compréhensible qu’au
prix d’une analyse spécifique qui ouvre toujours des horizons totalement
originaux et d’une très grande richesse.
Un des grands acquis de l’étude du fleuve Charente est l’apport de données
originales qui éclairent les questions qui nous intéressent ici et montrent qu’il
n’est possible à l’avenir de préciser ce tableau que grâce à l’archéologie. Il est
évident en effet qu’il ne faut pas espérer que les sources écrites nous apportent beaucoup de données nouvelles, ce qui ne veut nullement dire qu’elles
doivent être négligées : leur relecture et plus largement une bonne culture
historique seront toujours indispensables pour interpréter correctement des
données archéologiques nouvelles.
Seule l’archéologie permettra d’avancer dans l’étude des origines des
châteaux et surtout des bourgs castraux des bords de la Charente, mais cela
ne sera possible qu’avec une programmation de la recherche fondée sur des
problématiques sélectionnant les orientations de terrain. Pour ces questions
comme pour d’autres, nous sommes désormais dans une phase de maturité
intellectuelle de l’archéologie médiévale et cela nous contraint à changer nos
manières de travailler. On ne voit pas pourquoi l’archéologie médiévale ne
fonctionnerait pas comme toutes les disciplines scientifiques, en élaborant
des problématiques et en les confrontant à tous les documents possibles,
textuels ou matériels194.
Il faut être conscient de deux données essentielles : la qualité et la puissance
des outils créés par les archéologues médiévistes dans les deux ou trois dernières
décennies ; la dépendance totale actuelle de l’archéologie d’une demande
sociale qui s’exprime par le biais de l’archéologie préventive et qui ne tient
compte qu’à l’extrême marge des priorités intellectuelles des historiens et des
archéologues195.
Les secteurs de l’Europe du Nord-Ouest les plus avancés dans le domaine
de l’archéologie médiévale sur les sujets qui nous intéressent ici sont ceux où
les villes sont nombreuses et importantes et où des fouilles sont régulièrement organisées depuis longtemps et surtout publiées. Quand on examine le
193. J. CHAPELOT, «Retour critique sur l’évolution des dispositifs de recherche dans l’archéologie médiévale», dans E. BRILLI, J.-P. DITTMAR et B. DUFAL (éd.), Faire l’anthropologie historique
du Moyen Âge, juillet 2010 (téléchargeable : http://acrh.revues.org/index1911.html).
194. Ibid.
195. J. CHAPELOT (éd.), Trente ans d’archéologie médiévale en France. Un bilan pour un
avenir, Actes du congrès de la Société d’archéologie médiévale (Vincennes, 16-18 juin 2006),
Caen, Publications du CRAHM, 2010 ; ID., « Retour critique sur l’évolution… », art. cit.
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niveau de développement de l’archéologie médiévale en Europe, la situation
du bassin de la Charente est paradoxale. Nous disposons d’une documentation originale qui, en quelques décennies et avant tout grâce à des fouilles
programmées publiées, est devenue abondante. Mais, au regard des régions
européennes documentées par de nombreuses fouilles terrestres, il est facile de
voir les limites de cette situation. Les fouilles qui devraient être faites dans les
villes ou les bourgs castraux qui nous intéressent, dans les berges du fleuve ou
les chaussées de moulins resteront très rares. Pourtant, il ne sera possible de
progresser que si de telles fouilles terrestres sont réalisées et si, plus généralement, l’ensemble de l’archéologie médiévale – par exemple la connaissance de
la céramique – se développe.
L’exemple de la viticulture en Aunis à l’époque gallo-romaine montre très
bien comment à partir d’un ensemble d’observations archéologiques nouvelles
et par le biais d’une réflexion d’ensemble cohérente, il a été possible de revoir
complètement un aspect important de l’économie de cette région à cette
époque. Jusque dans les années 1970, la tradition historiographique régionale
a été de considérer l’Aunis comme dépourvue d’occupation à l’époque
romaine196. À partir de la fin de la décennie 1970, une attention nouvelle
accordée à la prospection et le développement des fouilles modifient cette
vision, même si les observations restent très limitées : seules les communes de
Dompierre, L’Houmeau, Nieul-sur-Mer, Périgny et surtout Aytré ont livré des
traces d’occupation gallo-romaine aux abords de la capitale de l’Aunis et
beaucoup de ces traces sont seulement le résultat de prospections ou de ramassages de surface197. C’est finalement le sous-sol de La Rochelle qui a produit
ces dernières années le plus grand nombre de témoignage d’une occupation
gallo-romaine en Aunis198. Le plus important est que récemment la détermination, grâce à un travail collectif de recherche sur l’ensemble de la Gaule, des
traces archéologiques permettant d’identifier une activité de viticulture a
permis grâce au réexamen de publications anciennes et aux fouilles récentes
de reconnaître une quarantaine de sites de ce genre dans l’ancienne cité de
Saintes, dont un grand nombre en Aunis. Louis Maurin, dans une synthèse
récente, a même pu écrire :
Si l’on considère l’ensemble du sud-ouest de la Gaule, on est fort
étonné de constater qu’actuellement l’Aunis, la Saintonge et la
Charente saintongeaise occupent de très loin la première place dans
196. L. MAURIN, La Charente-Maritime…, op. cit., note 12, p. 37.
197. Ibid., voir à Aytré (p. 95-96), Dompierre (p. 150), L’Houmeau (p. 181-183), Nieulsur-Mer (p. 212-214), Périgny (p. 217).
198. Ibid., La Rochelle (p. 231-236).
AUX ORIGINES DES CHÂTEAUX ET DES BOURGS CASTRAUX DANS LA MOYENNE ET BASSE CHARENTE
l’archéologie de la viticulture sous le Haut-Empire (il y a moins de dix
sites en Gironde) et tout autant de voir l’Aunis remporter la palme de
la viticulture à l’époque gallo-romaine.199
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Ces observations relancent le problème de la localisation du Portus Santonum,
le port des Santons qui, selon Ptolémée, géographe grec du IIe siècle, était à
proximité du Promontorium Santonum : les coordonnées de Ptolémée le placeraient de préférence entre les estuaires de la Charente et de la Sèvre Niortaise200.
Cet exemple de la viticulture en Aunis à l’époque romaine nous intéresse
de près par ses liens avec le commerce maritime et par la région concernée. Il
montre comment, grâce à une documentation archéologique examinée à la
lumière d’outils intellectuels et d’une problématique, il est possible de formuler
des conclusions originales.
L’archéologie médiévale, si elle veut avancer dans l’étude de problèmes
comme ceux que nous évoquons ici, a désormais deux obligations : constituer
des instruments spécifiques d’analyse et de collecte de données et élaborer des
problématiques de recherche.
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Créer ou affiner des instruments d’analyse et de collecte des données archéologiques
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La constitution d’instruments spécifiques d’analyse ou de collecte des données
est une démarche élémentaire, l’un des exemples les plus éclairants étant la
céramique. Deux articles fondateurs ont mis en évidence dès les années
cinquante des groupes céramiques illustrant les contacts maritimes entre les
îles Britanniques et le Continent pendant le haut Moyen Âge201. Dans la
mesure du possible, il faut trouver, grâce à une meilleure connaissance des
productions céramiques régionales et de celles utilisées dans la région, des
indicateurs comparables permettant d’apprécier la place de l’Aunis et de la
Saintonge dans le commerce maritime du haut Moyen Âge.
Au-delà d’une priorité de base comme la connaissance de la céramique,
quelques autres instruments d’analyse à créer apparaissent nécessaires dans
le cas du fleuve Charente : la plupart sont des types d’opérations de terrain
199. L. MAURIN et al., Histoire de l’Aunis et de la Saintonge…, op. cit., p. 192-193 qui
reprend les conclusions de C. BALMELLE et al., « La viticulture antique en Aquitaine », dans
J.-P. BRUN et F. LAUBENHEIMER (dir.), Dossier : La viticulture en Gaule, dans Gallia, numéro
58, 2001, p. 1-260.
200. L. MAURIN et al., Histoire de l’Aunis et de la Saintonge…, op. cit., p. 195.
201. G.C. DUNNING, « Trade relations between England and the continent », dans
D.B. HARDEN (éd.), Dark-age Britain, Londres, 1956, p. 218-233 ; C. THOMAS, « Imported
Pottery… », art. cit.
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qu’il faut activer afin de collecter des données originales ou d’affiner des
datations.
Une de ces questions originales que l’archéologie régionale doit se poser est
de savoir s’il est possible de dater l’apparition des marais salants. Les zones de
marais abandonnés ne manquent pas, certaines ayant été, jusqu’à des dates
récentes, urbanisées sans études préalables, notamment dans des secteurs
comme Tasdon ou Périgny, aux abords sud-est de La Rochelle, là où les sources
écrites mentionnent, dès la fin du IXe siècle, les premières salines de l’Aunis et
de la Saintonge.
Fouiller certains aménagements du fleuve permettrait de répondre à
beaucoup de questions. Ainsi la date d’implantation des chaussées de moulins :
il fallait des maîtres d’ouvrage mobilisant de gros moyens financiers et disposant d’une liberté ou d’une autorité suffisantes pour faire passer certains
secteurs du fleuve du courant libre à une série de biefs séparés par des chaussées. André Debord considère qu’il y a dans les pays charentais un essor
continu du nombre de moulins à partir de 950 avec une période d’expansion
rapide entre 1050 et 1100202. Nous retrouvons la date de création des châteaux
et celle de divers phénomènes évoqués plus haut, étant entendu que cette
convergence peut traduire, dans ce domaine comme dans d’autres, l’état des
sources et en particulier leurs lacunes…
Les dates de construction du pont et de la chaussée de Taillebourg ou
d’autres chaussées analogues servant d’accès à des bacs ou à des gués sont une
autre question essentielle, à laquelle seule l’archéologie pourrait peut-être
répondre.
L’analyse qui vient d’être faite conduit à penser que les grandes lignes de
l’aménagement du fleuve sont en place dès la première moitié du XIe siècle et,
a fortiori, quand naissent les bourgs castraux. Problème central, l’origine de
ceux-ci et des petits ports ruraux ne pourra être déterminée que par des fouilles
qui montreraient probablement que nous avons affaire à des phénomènes
plus anciens que ce que les textes nous indiquent.
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Construire et expérimenter des problématiques de recherche originales
La problématique de base est d’étudier et dater l’aménagement de la Charente
au profit du trafic fluvial et de chercher les liens entre ce phénomène et des
mutations historiques bien attestées dans le secteur et plus ou moins liées les
unes aux autres. Ainsi la naissance des châteaux entre 990 et 1100, avec une
période principale entre 990 et 1050203, la mise en place de la notion de
202. A. DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, op. cit., p. 324.
203. Ibid., p. 129.
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vicaria castri, qui apparaît ici en 1007 et à propos du château de Taillebourg204,
la constitution des châtellenies, évoquée à partir de 1067 mais antérieure de
quelques décennies205, la création des bourgs castraux206 et la mise en place sur
le trafic fluvial de prélèvements qui donnent aux seigneurs une part des
moyens financiers dont ils avaient besoin pour bâtir et aménager le fleuve. Ces
phénomènes sont assurés dès la première moitié du XIe siècle : il s’agit d’en
préciser la date d’apparition.
On est tenté, à titre d’hypothèse, de considérer qu’une évolution fondamentale explique ces mutations : le passage d’une époque caractérisée par
des trafics fluviaux de proximité et quelques contacts maritimes à une
économie animée par de grands ports littoraux exportant le sel des salines,
mais aussi les produits de l’intérieur, essentiellement le vin. Les XIe-XIIe siècles
sont totalement engagés dans cette nouvelle phase qu’exprime la naissance
et le développement de La Rochelle. Les données analysées ci-dessus
montrent que, dans la première moitié du XIe siècle, caboteurs ou batellerie
remontent loin dans le fleuve et qu’il existe le long de celui-ci des châteaux
et des bourgs castraux qui sont le relais intérieur d’une nouvelle situation
économique.
Divers éléments issus des sources écrites marquent le moment où cette
nouvelle situation est déjà bien engagée. Le premier est l’existence de salines
en Aunis dans la seconde moitié du IXe siècle, le deuxième celle du château de
Châtelaillon en 968 ou 969207 : nous avons alors sur le littoral un produit
exportable au loin et un port vers lequel peut converger le trafic maritime.
Trois autres éléments convergents précisent la chronologie et l’ancienneté
du phénomène : l’épave de Port-Berteau du début du VIIe siècle, le chemin
saunier qui part de Saint-Savinien et Taillebourg dès avant 866, l’importance
de l’axe fluvial pour l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély aux Xe-XIe siècles.
Ces observations sont cohérentes avec les sources écrites qui évoquent
l’ensemble du littoral du Centre-Ouest pendant le haut Moyen Âge. Dans la
meilleure synthèse actuelle sur ce sujet, Olivier Jeanne-Rose fixe quelques
étapes chronologiques : il considère qu’à partir des VIIe-VIIIe siècles il existe un
« trafic maritime non négligeable portant principalement sur le sel, le blé et
le vin » et centré sur l’embouchure de la Loire et la baie de Bourgneuf avec des
ramifications dans le bassin de la Loire208, que dès le IXe siècle « le littoral
204. A. DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, op. cit., p. 122 et 123.
205. Ibid., p. 160-161.
206. Ibid., p. 443-446.
207. Ibid., p. 456.
208. O. JEANNE-ROSE, « Ports, marchands et marchandises… », art. cit., p. 118-119.
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poitevin est animé d’une véritable vie maritime209 » et qu’entre le début du Xe
et le milieu du XIe siècle des « progrès de l’implantation humaine sur le littoral
poitevin deviennent perceptibles210 ». Il souligne aussi, après d’autres, la précocité de l’essor urbain dans le Centre-Ouest à partir du Xe siècle211.
L’état des sources écrites explique que cette analyse concerne avant tout le
littoral au nord de l’Aunis et non cette province et la Saintonge. Pour cellesci et le fleuve Charente, les données archéologiques qui viennent d’être
présentées sont cohérentes avec cette analyse d’ensemble, ce qui renforce l’idée
que dès le milieu du IXe siècle au plus tard ces deux provinces sont engagées
dans le développement des trafics maritimes et fluviaux.
Le bassin de la Charente apparaît alors dans une situation qui reste encore
à préciser, mais qui tranche avec ce que l’historiographie récente proposait pour
cette région. L’apport de l’archéologie pour la période antérieure au XIe siècle
est ici d’une complète originalité. Même encore peu développée, elle montre
avec l’exemple du fleuve Charente la qualité de sa documentation, sa capacité
à bousculer les schémas interprétatifs traditionnels et à susciter des problématiques nouvelles.
Pour dépasser notre vision actuelle du bassin de la Charente, il faut que
l’archéologie puisse s’appuyer sur des observations denses et précises acquises
par le biais de problématiques de terrain et analysées par une réflexion structurée. Il sera alors possible de préciser la chronologie du développement de
l’économie dans le bassin de la Charente pendant le haut Moyen Âge et de
comprendre l’origine des châteaux et des bourgs castraux de la Charente,
mais plus radicalement de reformuler nos problématiques d’étude en accordant aux données archéologiques la place très importante qu’elle mérite.
209. O. JEANNE-ROSE, « Ports, marchands et marchandises… », art. cit., p. 117.
210. Ibid., p. 128. Cf. A. DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, op. cit.,
p. 324 : la région « a donc connu une longue phase d’expansion depuis le milieu du Xe siècle,
avec un moment d’accélération particulièrement brutal dans la deuxième moitié du XIe siècle ».
211. O. JEANNE-ROSE, « Ports, marchands et marchandises… », art. cit., p. 132. Cf. aussi
R. FAVREAU, « La formation d’un nouveau réseau urbain dans le Centre-Ouest aux XeXIIIe siècles », dans P. GUIGNET, J. HIERNARD et P. MANRANT, Les réseaux urbains dans le
Centre-Ouest atlantique de l’Antiquité à nos jours, actes du colloque organisé par le GERHICO
à Poitiers du 13 au 15 mars 1993 (Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 5e s., t. III,
1996, p. 91-108).