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LES FONCTIONS PATERNELLES 1

2004

l'évolution des rôles et statuts du père

A. Approche diachronique des fonctions paternelles.

a. le modèle traditionnel du père.

Il traverse la majorité des siècles de l'histoire de notre société, c'est-àdire des origines jusqu'en 1970.

Jusqu'en 1970, la paternité est marquée par le plein exercice de la puissance paternelle. Les recherches historiques (P. Ariès, J. Delumeau, E. Schorter 1 ) confirment les théories psychanalytiques (S. Freud), qui sont contextuelles et ne font que reproduire la réalité sociale de l'époque. Ainsi, seul le père a l'exercice de la pleine autorité légale sur ses enfants et même sur sa femme. Ne perdons pas de vue que la femme française, jusque à très récemment, reste sous la tutelle de son père jusqu'à son mariage et qu'en se mariant, elle est placée sous la tutelle de son époux. La femme française n'a jamais été majeure. Jusqu'au XX° siècle, une femme mariée ne peut pas retirer d'argent dans une Caisse d'Epargne au motif qu'elle est placée sous la tutelle de son mari. N'oublions pas non plus, que la Turquie a donné le droit de vote aux femmes bien avant la France. La société traditionnelle française est fondée sur l'inégalité de statuts et de rôles masculins et féminins. Et le modèle de la famille dominant est celui décrit par Emile Durkheim à la fin du XIX° siècle (fondateur de la revue « l'Année Sociologique », au P.U.F. en 1898). Les écrits de René Spitz 2 (psychanalyste expérimentaliste pourtant novateur par rapport à S. Freud) considèrent toujours en 1965 que la mère est le seul objet libidinal d'attachement pour l'enfant, et que le père n'est, pour le bébé, qu'un « étranger ». Cette toute puissance paternelle (héritière du modèle Romain) est tellement forte que le père peut se permettre d'être totalement absent dans l'éducation et l'élevage (« caregiving ») des enfants. Il représente l'autorité ; il est craint et il fait peur : c'est le père fouettard. Paris, Seuil, 1984. 2 René Spitz, De la naissance à la parole, Paris, PUF, 1965& 1976 monoparentales (800.000) et permet aux femmes le nouveau droit de transmettre uniquement leur propre nom dans la filiation. La loi sur l'interruption volontaire de grossesse (janvier 1975) permet aussi aux femmes de réguler (avec les contraceptions) leurs maternités et de moins subir les grossesses. Là encore le nombre d'I.V.G. reste stable et représente le tiers des naissances, mais les femmes ne meurent plus des suites d'avortement clandestins et ne vont plus en prison. Enfin la réforme du divorce (juillet 1975) supprime la répudiation des femmes par leurs maris dans le code civil précédent (code Napoléon).

Tous ses changements législatifs vont être accompagnés de changements radicaux dans l'histoire des idées: ainsi se développe, chez les intellectuels, le mythe de l'équivalence fonctionnelle entre l'homme et la femme, le père et la mère (C. Olivier, E. Badinter 1 ). Cette utopie souhaitée et désirée, au nom de l'égalité des rôles et des statuts enfin retrouvés, prône le principe symétrique suivant : le père = la mère et inversement. C'est à cette époque qu'apparaît le "papa poule", caricature, à la télévision, de ses "nouveaux pères" qui sont un pur produit de la mise en pratique d'idées généreuses et égalitaires. Mais si les pères s'adoucissent et se "féminisent", les mères, au nom de cette équivalence fonctionnelle, vont se "viriliser" et se durcir quelque peu dans leur émancipation sociale. Cette indistinction des rôles va donner naissance à une androgynie, non seulement psychique, mais aussi somatique et vestimentaire. Tout un travail des apparences "virilise" ainsi les femmes: cheveux courts, blousons jean's, pantalons, chaussures basses, etc. L'hédonisme et le consensus deviennent ainsi dans les années 90 les 2 piliers de la famille moderne française.

c. le modèle actuel du père.

Il va des années 90 à nos jours.

Les intellectuels vont devoir renoncer, dans la douleur, à ce mythe tant désiré de l'indistinction des rôles qui ne résistera ni à l'analyse, ni aux résultats des recherches contemporaines. Tout nous montre (J. Le Camus) que l'homme et la femme ont en définitives des fonctions différenciées et complémentaires. Un père ne sera jamais une mère et inversement. Cette perspective diachronique témoigne d'un véritable déclin social de la paternité. La famille française est devenue "incertaine" et le taux de divorces (44,7% pour la France entière en 2011) reste stable depuis 1988. Plus que le divorce, c'est le nombre total de gardes confiées aux mères (92% en 2009) et l'augmentation des systèmes monoparentaux qui font problèmes. La loi sur la garde alternée (mars 2002) précise que la résidence de l'enfant peut-être fixée en alternance au domicile des parents divorcés ou au domicile de l'un des deux. Il faut savoir que moins de 30% des pères réclament la garde des enfants au moment du divorce, et que la justice tranche en leur faveur dans 60% des cas. Cependant, la garde alternée n'est demandée que dans 10% des procédures et n'est accordée que dans 8,8% des cas. 78% des gardes alternées se font par rotations hebdomadaires. De nombreux psychologues sont contre cette loi d'alternance: ils considèrent que l'enfant a besoin d'un référant spatial stable (un lieu bien à lui) et l'éloignement géographique de très nombreux parents divorcés reste un obstacle réel à la garde alternée. En France, en cas de divorce, 36% des pères ne voient jamais leurs enfants en bas âge, ou moins d'une fois par an. Ainsi, la conception psychanalytique classique du père assumant le rôle d'interdicteur pour les nourrissons semble-t-elle obsolète aujourd'hui. L'absence du père n'en fait plus le personnage médiat garantissant l'interdiction de la réalisation des voeux incestueux entre l'enfant et sa mère. Cet affaiblissement juridique et social du statut paternel conduit, paradoxalement, les pères à revendiquer (associations de pères divorcés, etc.) un lien plus étroit avec leurs enfants et à investir davantage dans les soins et les relations qu'auparavant.

Plus grave à nos yeux, l'autorité partagée juridiquement par le père et la mère n'est plus exercée dans la réalité: le mythe de l'enfant roi interdit d'interdire. L'autorité défaillante remplacée, nous l'avons déjà souligné, par le consensus, amène l'enfant à vivre dans un rapport de force avec l'autre. Peuvent s'ensuivre des mégalomanies précoces, des tyrannies vis-à-vis des parents, car les objets externes ne sont plus introjectés.

Et cette absence d'autorité se traduit par une crise sociale du sur-moi. Il n'y a plus de sur-moi individuel: la loi et l'interdit n'existent plus, comme en témoignent, pour partie, l'augmentation des passages à l'acte, des transgressions, de l'indiscipline à l'école, de la violence, etc. Mais il n'y a plus de sur-moi collectif non plus (les affaires, les délits d'initiés, les scandales politiques à répétition, etc. montrent que l'état lui-même a faillit).

L'éducation des enfants se modifie elle aussi. Ainsi les pathologies jadis engendrées par la période de la toute puissance paternelle (inhibitions, névroses obsessionnelles, névroses d'échecs et névroses caractérielles) sont remplacées par de nouvelles pathologies, dues essentiellement à l'absence d'autorité (troubles de l'attachement [dépressions, anxiétés, angoisses de séparations] et troubles du comportement).

L'absence des pères, de moins en moins comblée par des substituts masculins au cours de l'éducation, est remplacée par la télévision (l'enfant a sa télé dans sa chambre): la "morale" des pères fait place à la "morale" des médias (mondialisée, hyper sexuée et violente). On peut même envisager l'augmentation exponentielle de l'obésité des jeunes en France comme étant le résultat d'une absence de sur-moi "alimentaire" dans les familles: grignotages continuels, malbouffe, peu d'hygiène de vie, trop d'heures passées devant la télé, les consoles de jeux et l'ordinateur. Nous sommes en train de rejoindre le club des "potatoes" américains (expression utilisée aux USA pour désigner les personnes qui restent vautrées devant la télé, des dizaines d'heures d'affilées, à manger n'importe quoi).

B. Approche synchronique des fonctions paternelles.

Pour cette seconde et dernière approche, nous aborderons l'étude des fonctions paternelles à travers quatre thématiques : le père pendant la grossesse, le père à la naissance, le père durant l'élevage (caregiving) et les nouvelles paternités dues aux procréations médicalement assistées (P.M.A.).

1. Le père pendant la grossesse.

Dans l'histoire française de la maternité, le père brille encore par son absence pendant des siècles. La maternité va être très longtemps une saga de femmes entre femmes où les hommes, comme dans beaucoup de sociétés traditionnelles, sont (et/ou s'auto) excluent. Les raisons de cette absence masculine sont, somme toute, assez simple à comprendre et tourne autour d'un concept unique: l'impureté de la femme. Cette impureté supposée et plurimillénaire de la femme est stigmatisée sur les règles, la grossesse, l'accouchement et les suites de couches. Nous n'abordons ici que l'impureté des règles et de la grossesse : celle de la naissance sera passée en revue dans le paragraphe infra b. De tout temps les règles ont fait peur, et les hommes craignent cet écoulement de sang "impur" qui risque de les contaminer. D'où, dans la quasi-totalité des sociétés, l'apparition d'interdits 1 nombreux et de tabous très forts que l'on ne pouvait pas, sous peine de mort imminente, transgresser. Le plus répandu concerne l'interdit des relations sexuelles pendant les menstrues. L'église punira sévèrement les fautifs en les excommuniant et les condamnant lourdement. L'enfant roux, au Moyen-Âge, est l'enfant du péché, il est la preuve vivante de la faute de ses géniteurs, car le sang menstruel a déteint sur lui : il est la marque de la transgression. Des interdits de déplacements frappent les femmes ayant leurs règles: ne pas s'approcher d'un saloir, sous peine de faire "tourner" la viande... Des interdits de gestes domestiques: faire de la pâtisserie ou de la mayonnaise...et déjà chez les Romains, les menstrues des femmes servaient d'insecticide dans les champs en protégeant les cultures. Des interdits de proximité : faire rouiller le fer, oxyder le cuivre, disparaître le tain d'un miroir en se regardant dedans, etc. Cette souillure de la femme va la laisser longtemps dans l'ignorance médicale (le savoir est masculin) de la gynécologie et de l'obstétrique : aucun médecin n'osera s'approcher d'une femme impure au risque d'être contaminé et malade. Ce n'est qu'à partir de 1750, que l'accoucheur fera une entrée timide en France (plus difficile à la campagne qu'en milieu urbain et plus lente dans le Sud de la France que dans le Nord). La grossesse est, pour la société traditionnelle, un second moment d'impureté. La raison évoquée, en France, est que la grossesse rend la femme bestiale et la ramène au rang d'un animal: elle est "grosse" comme une vache est « pleine ». Le dogme religieux nous place en effet entre les animaux et Dieu, mais plus prés de Dieu que de la bête. Les mêmes interdits (notamment sexuels) frappent la femme enceinte. Et les pathologies de la naissance (présentations, enfants mal formés, etc.) seront toujours interprétées en une causalité rétrospective, comme le résultat de la transgression, par la femme uniquement, d'un interdit pendant la grossesse : la femme paye toujours.

Ce n'est que dans les années 70 que les publications psychologiques et psychanalytiques commenceront à évoquer timidement la grossesse des futurs pères. L'idée très simple est que quand on attend un enfant il y a un couple, c'est-à-dire une femme enceinte et un homme « enceint 2 ». L'homme (l'espèce) est très certainement le seul être vivant capable de s'attacher à un enfant qui n'existe pas encore dans la réalité. Cet attachement précoce et fantasmatique est fondamental. Il fait partie (pour paraphraser D. Winnicott) de la "préoccupation parentale primaire", permet d'établir un lien et de tisser des interactions fantasmatiques avec le futur enfant. Longtemps on a cru que cet attachement était l'apanage exclusif des futures mères. Il y a bien attachement car quand un couple fait une fausse couche, il traverse une période de deuil. Cet objet d'attachement se nomme enfant imaginaire et il est le résultat d'une évocation psychique, onirique d'un enfant à venir. Il est présent chez les deux sexes et comme son nom l'indique, il est l'évocation d'un enfant terminé et achevé, en décalage constant et important avec la réalité somatique. Et le savoir qu'on en a ne change rien à sa représentation: je n'ai jamais entendu de femme médecin enceinte me dire : "mon oeuf va bien, mon embryon se porte à merveille ou mon foetus est content". Certes, l'enfant imaginaire du père n'est pas celui de la mère car il s'enracine dans une histoire, une généalogie psychique de chacun des futurs parents. Mais il est aussi différent dans sa représentation incarnée: celui du futur père a, en moyenne, entre 3 et 4 ans et il joue avec lui, alors que celui de la future mère reste plus proche d'un nourrisson. Cette différence, qui s'explique par la distance physique du futur père à la grossesse, n'est pas importante. L'important est que chacun des futurs parents ait dans le psychisme cette évocation de l'enfant à venir, car l'enfant imaginaire va être littéralement le carburant énergétique qui permet d'aller jusqu'au terme de la grossesse. Le primipère (père pour la première fois) comme la primimère vont, pendant la grossesse, se livrer à un véritable rite de passage. "Il existe [chez le futur père] un "précité" fantasmatique et un remaniement libidinal pendant que sa conjointe est enceinte, aussi important qualitativement et quantitativement que celui que classiquement les psychanalystes décrivent chez la femme enceinte" (G. Delaisi de Parseval 1 ).

Nous limiterons donc ici notre propos au moment de la grossesse tel qu'il est vécu, ressenti, parlé et souvent non dit par le primipère. Rappelons avant tout que l'accès à la parentalité est, à chaque fois, une aventure singulière et très personnelle. En cela le vécu de la grossesse, tel qu'il est rapporté en clinique, ne peut être que "pluriel" et chaque futur parent va vivre ce moment à sa manière qui lui est propre.

C'est initialement autour des "couvades" (emprunt, par analogie, à l'éthologie animale et qui ne s'applique qu'aux futurs pères) que la littérature scientifique a concentré ses premières recherches. Le terme est dû à l'anthropologue E.B. Tylor 1 qui, en 1865, décrit les rites de paternité chez les indiens caraïbes aux Antilles. Il sera repris ensuite par les psychologues et les psychanalystes qui amèneront à distinguer, outre les couvades rituelles (ethnographiques), les couvades comportementales, les couvades d'expressions somatiques et les couvades psychopathologiques. Cependant cette couvade semble être attestée depuis l'antiquité. Pascal Dibie 2 , dans « Ethnologie de la chambre à coucher », affirme qu'Apollonios de Rhodes, 200 ans avant notre ère en parle chez les Tibarènes. Le Docteur Maurel, médecin militaire, en 1884, publie un article intitulé : « de la couvade ». Il recense toutes les régions et tous les pays où cette couvade est pratiquée : le Brésil, la Guadeloupe, la Guyane, le sud de l'inde et de la Chine, de l'archipel Malais, l'Irlande, les Etats-Unis, la Hollande, l'Albanie, à Chypre, à l'île de la Réunion, en Bolivie, etc. M.J. Vendryes, membre de l'Académie, écrit en 1934, que Diodore de Sicile mentionne cette couvade à propos des Corses. une couvade rituelle où le père prend littéralement la place de l'accouchée dans le lit, se faisant soigner à sa place, se plaignant de douleurs, recevant des cadeaux et restant alité un certain nombre de jours. Et des manifestations psychosomatiques individuelles (prise de poids, douleurs lombaires, etc.) traduisant une volonté inconsciente de participation du futur père aux rôles maternels. Aujourd'hui les interprétations des différentes disciplines telles la sociologie, l'anthropologie, la psychologie et la psychanalyse sont nombreuses et variées. Pour la sociologie, les couvades assurent un lien de protection du foetus contre des influences néfastes, par le futur père par le principe de « magie par sympathie 1 ». Bronislaw Malinowski 2 voit dans la couvade une légitimation du père de sa paternité sur l'enfant. D'autres chercheurs y voient un « certificat de légitimité » de la paternité du futur père dans des sociétés où le père est très souvent absent et où l'enfant dort avec la mère. D'autres encore expliquent la couvade comme étant une des stratégies pour défendre et prouver les droits paternels sur l'enfant à venir. Dans les sociétés où les hommes sont hyper virils, la couvade serait un « aménagement défensif » de la part d'hommes qui redouteraient plus que d'autres leur part de féminité. Pour l'anthropologie, la couvade est bien sûr elle aussi polysémique. Ainsi pour Peter Rivière 3 , professeur émérite à l'université d'Oxford, la couvade serait une façon pour le père de nourrir, non pas physiquement comme la plupart des conceptions anthropologiques classiques, mais spirituellement son enfant. Et de mettre en parallèle la couvade et le baptême. Ruy Coelho 4 , cité par Geneviève Delaisi de Parseval page 77, considère que « la couvade concerne la relation entre le monde spirituel et le monde quotidien, entre le mari et la femme, la mère, le père et l'enfant, entre l'inconscient et le conscient ». La psychologie va insister, par exemple, sur l'existence d'un lien très fort qui unissant l'enfant et son père (plus important que celui de la mère à l'enfant) repose sur des croyances très ancrées dans les cultures. La couvade est aussi plus longue chez le primipère (6 mois) que pour les multipères (5 jours) 1 . Très souvent, chez les indiens d'Amérique du Sud, le père entre en couvade dès le début de la grossesse en cessant toute activité, devenant apathique et paresseux pour ne pas nuire à l'enfant. Généralement c'est le père qui joue le rôle de l'enfant à travers sa couvade et non le rôle de la mère. Enfin, pour la psychanalyse, à partir du moment où l'on peut penser que le plus grand rival du père dans la relation à sa femme est son propre enfant, la couvade va apparaître comme un moyen de canaliser les pulsions agressives du père à l'égard du nouveau-né. Georges Deveureux 2 interprète ces rites de couvades particuliers où le nouveau père est baigné, soit par sa femme, soit par sa propre mère, comme des attitudes contra-phobiques paternelles.

La première étude systématique portant sur un échantillon de 1500 futurs pères est publiée en 1979 par la maternité de Strasbourg 3 . Elle montre que les futurs pères réagissent physiquement, corporellement, comportementalement et psychiquement à la grossesse de leurs partenaires. Dans leur corps d'abord par la fameuse prise de poids, mais aussi par des lombalgies, coxalgies, céphalées, les hémorroïdes, indigestions, les insomnies, les dents de sagesse qui poussent, les amygdales, et même des grossesses nerveuses, ainsi que l'orgelet, etc. Dans leurs comportements, par l'augmentation significative des accidents de la circulation, des changements professionnels, des prises de décision inadaptées, de vouloir faire lit à part, de changer de chambre, voir de déménager, de se mettre à bricoler, etc. Et enfin psychiquement par l'apparition de comportements féminisés 4 : c'est dans les milieux professionnels hyper virils et machistes tels que l'armée, la gendarmerie, les sapeurs pompiers et la police, ainsi que les milieux sportifs, qu'ils sont les plus nombreux 5 . Comme si l'hyper virilité était un rempart face à une homosexualité latente inavouable et inacceptable. Souvenons nous de Yves Duteil déguisé en gendarme et chantant « prendre un enfant par la main » à la télévision en 1977. Enfin la paranoïa de paternité, accès psychiatrique nécessitant une prise en charge du père, représente la forme la plus grave des transformations psychiques du futur père pendant la grossesse. Pourquoi ces transformations chez les futurs pères ? Parce que un homme a 3 manières bien à lui, et imprévisibles, de vivre la grossesse de sa partenaire. La première est l'identification au bébé (la forme la plus courante). Dans ce cas l'homme régresse et devient en quelque sorte un enfant ou un bébé : il parle bébé en palatalisant, joue comme un enfant, peur sucer son pouce, etc. La seconde est l'identification à la femme qui attend l'enfant : il se féminise psychiquement, parle de son envie d'être enceint, de porter le bébé, etc. Pour Delaisi de Parceval, les hommes qui se féminisent le plus pendant la grossesse sont ceux qui vivent et travaillent dans des milieux professionnels et institutionnels hyper virils : l'armée, la gendarmerie, les pompiers, les sportifs de hauts niveaux, comme si l'institution était un rempart et une protection vis-à-vis d'une homosexualité latente non révélée ou non assumée. La troisième, plus rare et plus grave, réactive la position oedipienne : le futur père est et vit avec la mère de son futur enfant. Le versant maternel domine et l'investissement sexuel est impossible 1 .

2. Le père pendant la naissance.

La présence du père en salle de travail et de naissance est très récente. Nous avons vu que les hommes ont longtemps été exclus par les femmes et les hommes eux-mêmes de l'accouchement. Ne pas oublier qu'un médecin déguisé en femme a été brûlé en 1552 pour avoir osé assister clandestinement à une naissance. La présence du père « tolérée » par l'institution hospitalière remonte à la fin des années 40. C'est dans la mouvance de l'accouchement sans douleur importée de Russie que les premiers futurs papas peuvent assister (voyeurs et/ou aides) à la naissance. Mais quelle place leur donner ? A la vulve comme l'obstétricien ou la sage femme ? A la tête pour aider et encourager la future mère ? La question est importante et certains hommes risquent d'être traumatisés pour de nombreux mois. La vulve est pour le père un objet érotique et de désir. A l'accouchement, la vulve se désexualise totalement et la femme peut brutalement se transformer en mère. Or dans nos représentations culturelles les plus anciennes (ancien et nouveau testament) il y a antinomie radicale entre la femme (désir) et la mère.

Il est intéressant de noter qu'à la tolérance initiale des pères, une présence active a été demandée puis de nos jours la présence est devenue obligatoire.

On peur bien sûr caricaturer les pères : Les premiers seront toujours absents de la naissance (ils invoquent du travail, une réunion de dernière minute), en fait ils ne peuvent pas être présents car cela les fragilisent trop. Les seconds sont là mais absents car s'intéressent plus aux appareils (monitoring) qu'à la maman. Les troisièmes sont souvent voyeurs : ils filment la naissance, ce qui est une mise à distance. Les quatrièmes se réfugient derrière un journal et trouvent le temps longs en manifestant leur impatience. Enfin les cinquièmes sont ceux qui accouchent comme la mère, ils poussent très fort et respirent en petit chien comme leur femme. Ils sont ensuite très fatigués.

La naissance sans violence (NSV) introduite par Frédéric Leboyer 1 en 1967, va radicalement modifier la place du père et son rôle. F. Leboyer est d'abord un obstétricien classique qui, au détour d'une analyse didactique va, en utilisant les derniers travaux de la psychologie, élaborer une nouvelle manière de mettre au monde. Jusqu'ici les techniques d'accouchement très médicalisées et prophylactiques (ASD accouchement sans douleur Russe et ASC accouchement sans crainte Anglais, puis Américain 2 ) sont centrées sur la mère. F. Leboyer va réfléchir au nouveau né en déclarant qu'il est déjà une personne à part entière et qu'il a droit, en venant au monde, à des égards et du respect. La salle de naissance va être beaucoup moins médicalisée (en apparence) et plus chaleureuse pour que le couple ait l'impression d'être comme à la maison (avec la sécurité en plus). Plantes vertes, piano, appareil de musique, aquarium avec poissons, baignoire pour le premier bain, pénombre, etc. La naissance peut, puisque l'enfant se doit d'être maintenant désiré, devenir une fête. L'accueil se fait dans la joie partagée (par les amis présents, les enfants, etc.) et le père va être l'acteur de la séparation : c'est lui qui coupe le cordon. Se faisant la séparation qui était symbolique et dévolue au père dans la résolution de l'oedipe passe maintenant dans le réel. Progressivement la place du père va évoluer : il n'est pas rare qu'il prenne l'enfant dans ses mains à l'accouchement pour le poser ensuite sur le ventre maternel. Et puis les femmes vont travailler et réfléchir sur la place de leur corps dans la naissance : debout, accroupies, à quatre pattes et sur le côté. C'est la femme qui choisit et le médecin s'adapte. Cette révolution de la naissance sera très mal accueillie par la médecine traditionnelle qui invoquera l'absence de sécurité, d'asepsie et de sérieux. Mais la sécurité et ma médicalisation sont à la fois très discrète et très importante à la maternité des Lilas. Et si une femme a le moindre risque potentiel, elle accouchera classiquement. De toute, aujourd'hui, il n'y a pas une maternité française qui ne propose pas une salle de naissance « nature ». Le succès de F. Leboyer est dû aux femmes (parturientes et sages femmes) qui ont très vite compris l'importance d'une telle manière de mettre au monde. Tout juste après la naissance, les choses ont elles aussi beaucoup changées : la mère assise en tailleurs a son bébé dans les bras, le père est présent. Les échangent chimiques entre les acteurs de ce moment sont très importants (même les sages femmes la savent et le vivent : elles sont « accros » aux naissance). Des substances très puissantes comme les endorphines, la dopamine, les enképhalines, la lulibérine, etc. vont agir sur la mère, son bébé et le père pour produire des états psychiques et physiques de bien être et de dépendances affectives 1 .

3. Le père pendant l'élevage.

Geneviève Delaisi de Parseval 2 dans son, premier chapitre « Les théories de la paternité » aborde le rôle et l'importance de l'oncle maternel dans l'éducation des enfants dans des cultures non occidentales. Reprenant les travaux de Bronislaw Malinowski chez les Trobrians de Mélanésie, elle démontre avec brio que donner à l'oncle maternel le statut de père est un moyen habile de « court-circuiter l'OEdipe et donc de déplacer sur l'oncle maternel les sentiments naturellement ambivalents des enfants à l'égard de leur père (et réciproquement) : cette astuce inconsciente possède l'avantage de ménager la paix des familles et favorise des rapports sans nuages et « amicaux » entre le géniteur et sa progéniture² », ce que n'avait pas compris Malinowski. Pierre Grelley 1 montre qu'en Afrique 2 modèles familiaux coexistent : un modèle patrilinéaire où les enfants sont rattachés à la famille de leur père (qui est responsable de ses enfants) et un modèle matrilinéaire où le lien lignager l'emporte sur le lien conjugal, et c'est alors l'oncle maternel qui a l'autorité sur les enfants de sa soeur (autorité supérieure à celle du père par le sang, c'est lui qui décide, par exemple, du sevrage). Mais l'oncle paternel peut lui aussi être considéré comme un père et être directement responsable de l'enfant 2 .

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