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La nouvelle métaphysique thomiste - New Thomist Metaphysics

«La nouvelle métaphysique thomiste» in: Le statut actuel de la métaphysique. Actes du colloque des 6-8 juillet 2018, edited by Claude Brunier-Coulin et Jean-François Petit, Paris: Orizons, 2019, ISBN: 979-10-309-0197-9, pp. 339-365.

In this paper the author deals with the new development of Metaphysics among American Thomists. In contrast to Gilson, there is revaluation of 'essence' among some authors, insofar form has an instrumental role for the existence of things (see e.g. Lawrence Dewan). The example of Stephen L. Brock is presented as an alternative to the excessive Apophaticism of some interpretations of Aquinas such as the one of J.-L. Marion.

La nouvelle métaphysique thomiste D a v id T o r r ij o s -C a s t r i l l e jo a croissance du thomisme au cours du XXe siede est bien co nnue; L elle fut le fruit de la vigueur qu’il avait commencé ä acquérir au siede précédent, en grande partie grace ä l’impulsion donnée par la célebre encyclique Aeterni Patris du pape Léon XIII. Cependant, dans le monde catholique, la théologie du dernier siede a suscité une révision de la tradition philosophique et la théologique, bien que cela ait contribué ä un certain manque d’intérét pour le thomisme. Ä cet égard, nous pouvons jeter un coup d’oeil sur la description du processus d’abandon de Saint Thomas dans les centres catholiques américains exposée par Alfred J. Freddoso, professeur d’études thomistes ä l’Université de Notre-Dame1. II nous explique, d’une part, comment l’étude et Tenseignement de la pensée thomiste déclinérent dans le monde catholique pendant la seconde moitié du XXe siede et, d’autre part, comment ce déclin aura aussi des conséquences pa radoxales ä notre temps, comme, par exemple, que les ceuvres des théologiens les plus célebres du XXe siede sont devenues beaucoup moins compréhensibles pour leurs jeunes lecteurs. En effet, Rahner, De Lubac, Congar, Schillebeeckx, etc. deviennent beaucoup moins significatifs si Ton se retrouve dépourvu de la formation traditionnelle 1. Cf. Alfred J. Freddoso,« The Vindication of St, Thomas: Thomism and Contempora ry Anglo-American Philosophy », Nova et vetera. English Edition 14 (2016), p. 565-584. 342 Le S t a t u t a c t u e l d e l a m é t a p h y s i q u e thomiste qu’eux-mémes et leurs contemporains ont regue et contre laquelle ils ont, en partie, réagi. Freddoso, pour sa part, déclare que, aprés des années oü le thomisme a été écarté comme faisant partie d’une maniere de faire Philosophie et théologie stérile et dépassée, ces derniéres années un renouveau de l’intérét pour les études thomistes est en train de gagner du terrain. Cette renaissance du thomisme dans le domaine de la langue anglaise ä laquelle il fait allusion est menée par des érudits qui ne viennent pas de la « vielle scolastique » mais qui essaient simplement de penser le monde en utilisant la polyvalence explicative fournie par la pensée thomiste. Ils ne sont pas non plus les héritiers du soi-disant « thomisme analytique » qui a prospéré au cours du XXe siécle, mais constituent une nouvelle génération de chercheurs qui ont trouvé dans la pensée de Saint Thomas une veine dont on peut tirer des éclaircissements pour comprendre la réalité dans le moment present. Freddoso mentionne, pour donner un exemple de ce nouveau mouvement, trois auteurs : Oderberg, Feser et White. Ces érudits croient que le thomisme contient un potentiel rationnel digne d’etre pris en compte par ses contempo rains appartenant ä des traditions philosophiques tres différentes, souvent en contradiction explicite non seulement avec ce que nous pourrions appeler « la pensée catholique », aussi avec une pensée théiste en général. Dans ma présentation, je voudrais parier d’un autre courant de chercheurs qui écrivent aussi en anglais et qui, en ce sens, font partie du nouveau thomisme qui se développe aux États-Unis. En particulier, j’aimerais parier du travail d’un des professeurs qui dirigeait mes recherches lorsque j’étais étudiant, Stephen L. Brock. En collaboration avec le groupe de recherche « Lumen » de l’Université Sergio Arboleda en Colombie, la professeure Liliana Irizar et moi avons publié en espagnol il y a deux ans la deuxiéme compilation de ses articles traduits dans notre langue matemelle2. Cette publh 2. C / Stephen L. Brock, Estudios metafísicos. Selección de ensayos sobre Tomás de Aquino, edité par Liliana Irízar et David Torrijos-Castrillejo, Bogotá, Ediciones Universidad Sergio Arboleda, 2017. La n o u v e l l e m é ta p h y s iq u e th o m is te 343 cation fait partie du projet « Dewan en español », car ce groupe de recherche a commencé son travail en faisant connaítre Γoeuvre du dominicain Lawrence Dewan. Dewan, qui est mort en 2015, a enseigné au College de philosophie et de théologie dominicaine dOttawa, ä PInstitut Pontifical des Etudes Médiévales ä Toronto, ä l’Université Catholique d ’Amérique, lTJniversité d’Ottawa... II a étudié avec quelques des plus célebres représentants du thomisme du siede dernier comme Gilson, Owens ou Pegis. Dewan représente un regard critique mais reconnaissant sur ce thomisme qui Pa précédé. Avec des figures comme lui, il commence quelque chose que j’aimerais appeler un « nouveau » thomisme en langue anglaise qui se développe actuellement avec des autres savants vivants comme Brock, son disciple, qui est Pauteur sur lequel je vais concentrer mon discours3. Dans les pages qui suivent, je vais centrer mon argumentaire sur Pun des aspects centraux de la métaphysique thomiste, notamment, la distinction réelle entre Pessence et Pacte d’etre. Ce trait est étroitement lié au caractére distinctif de Dieu ä différence des créatures, car Dieu est« etre subsistant» (ipsum esse subsistens) tandis que les créatures sont, selon la métaphysique de Saint Thomas, composées de Pacte d’etre et de Pessence. Bien qu’ä premiere vue ce sujet pourrait sembler un peu lointain des mouvements philosophiques contemporabis, il est curieusement devenu assez actuel grace principalement ä la pensée de Pun des philosophes les plus influents dans les études métaphysiques ces derniers temps : Martin Heidegger. Je crois que son idée de la distinction entre l’étre et les étants a contribué ä obscurcir notre accés ä la véritable philosophie de Thomas d ’Aquin, Cependant, des auteurs comme Brock ont contribué ä la clarifier ces derniéres années. Par conséquent, dans mon exposé, je présenterai d ’abord le point de vue de Heidegger sur la compréhension onto-théo-logique de la métaphysique, ensuite je 3. Sur Dewan, Brock a écrit:« Personalmente, puedo decir, sin exageración alguna, que ningún otro pensador contemporáneo ha tenido sobre mí, mayor influencia que é l» (« Prólogo », dans Lawrence Dewan, Lecciones de metafísica, Bogotá, Publicaciones Universidad Sergio Arboleda, 2009, p. 17). 344 Le St a t u t a c t u e l d e l a m é t a p h y s iq u e montrerai comment la pensée de Jean-Luc Marion et Étienne Gilson a essayé de donner ce que nous pourrions appeler une « réponse catholique » au défi posé par ladite onto-théo-logie. Enfin, je vais parier de la nouvelle exposition de Brock sur ces questions dans le but de montrer comment elle est capable de mettre en lumiére certains points qui sont passes inapergus en partie ä cause du conditionnement de la lecture de Heidegger. Heidegger et la question de Tonto-théo-logie Nul n’est besoin de rappeler que je ne peux pas exposer ici suffisamment les points de vue de Heidegger sur Pétre et la métaphysique. Permettez-moi de donner uniquement quelques notes. Comme on le salt, pour Heidegger, la métaphysique occidentale a porté Phomme contemporain ä « Poubli de Pétre » et ceci dépendrait en grande par tie de la constitution « onto-théo-logique » de la métaphysique. Dans une conférence sur ce sujet, Heidegger expose sa compréhension personnelle de cette science telle que déterminée par sa relation intrinséque avec la logique, Pontologie et la théologie4. Cette approche s’explique comme une investigation de la £a?on dont Dieu entre dans la philosophic. Cela n’arrive pas parce que le christianisme aurait utilise la philosophic classique pour construiré sa propre théologie sinon ä cause de la nature méme de la métaphysique. Elle s’occupe de l’étant en tant qu’étant, c’est-a-dire l’étant dans sa propre entité. Par conséquent, elle doit découvrir la fondation de Pétant, qui se montre, ä son tour, comme fondé. Dieu apparaít comme Pétant infondé et fondateur de tout le reste. En d’autres termes, il apparaít comme causa sui. Cependant, selon Heidegger, celui-ci n’est pas le Dieu de la religion, car devant Lui, on ne peut pas le prier ou tomber en adoration5. Cette constitution onto-théo-logique de la métaphysique a conduit la pensée occidentale ä oublier la différence ontologique entre Pétre et Pétant. En fin de compte, le probléme de 4. C f Martin Heidegger, Die onto-theo-logische Verfassung der Metaphysik, GA 11, p. 51-79. 5. Cf. ibid., p. 77. La n o u v e l l e m é t a p h y s i q u e t h o m i s t e 345 cette comprehension reside dans Γétude de l’étant par la logique, de sorte qu’il sera toujours présente comme pensé. Dieu apparaitra comme le fondement {Grund) ou la raison (λόγος) de Tétant et sera done enfermé dans la fermeture de la pensée. En bref, si« la métaphysique occidentale depuis son début avec les Grecs [...] est ä une fois ontologie et théologie »6, alors tousles efforts accomplis depuis lors, conduisent inexorablement ä l’oubli de le tre : e’est la situation dans laquelle nous nous retrouvons. Effectivement, la métaphysique, dans sa constitution onto-théo-logique, ne fait pas considérer l’étant et l’etre dans leur différence, mais elle le fait en pensant ä l’étant dans son ensemble de sorte qu’elle ignore la différence « en tant que différence » ; celle-ci est précisément la raison pour laquelle nous tombons dans Toubli de letre7. Compte tenu du panorama désolant que Heidegger a découvert dans la philosophie occidentale en raison de la structure on to-théo-logique de la métaphysique, le philosophe allemand luiméme répond par un refus de toute presentation de Dieu inserite dans la philosophie en tant que telle. II pense que la théologie chrétienne devrait prendre au sérieux la parole de Γapótre Paul8 selon laquelle Dieu aurait rendu folle la sagesse du monde, e’est-a-dire la philosophie9. La réaction la plus cohérente ä cette pensée devrait étre de renoncer ä mentionner « l’étre » pour parier de Dieu et ainsi il l’exprime résolument10. Cette approche de Heidegger a eu un écho dans la pensée catholique, dont je ne citerai que deux exemples qui, de méme, ont 6. 7. 8. 9. 10. « Nun ist aber die abendländische Metaphysik seit ihrem Beginn bei den Griechen — und noch ungebunden an diese Titel — zumal Ontologie und Theo logie », {ibid., p. 63 ). « Insofern die Metaphysik das Seiende als solches im Ganzen denkt, stellt sie das Seiende aus dem Hinblick auf das Differente der Differenz vor, ohne auf die Diffe renz als Differenz zu achten » {ibid., p. 76). iCo 1,20. Cf. id., Einleitung zu: »Was ist Metaphysik?«, GA 9, p. 379. « Sein und Gott sind nicht identisch, und ich würde niemals versuchen, das Wesen Gottes durch das Sein zu denken. Einige wissen vielleicht, daß ich von der Theologie herkomme und ihr noch eine alte Liebe bewahrt habe und einiges davon verstehe. Wenn ich noch eine Theologie schreiben würde, wozu es mich manchmal reizt, dann dürfte in ihr das Wort „Sein“ nicht Vorkommen. Der Glaube hat das Denken 346 Le St a t u t a c t u el de l a m é t a p h y s iq u e leurs répercussions face ä la pensée de saint Thomas : je parle des réponses de Etienne Gilson et Jean-Luc Marion. Tout d’abord, je vais faire référence ä la position prise par Etienne Gilson, qui « a voulu montrer que la tentative de Heidegger ä transcender Γ< ontothéologie > avait déja été accomplie dans la théologie thomiste, oü Dieu n ’est pas une entité »1!. En effet, c’est ainsi que le penseur frangais s’est exprimé : [...] chez saint Thomas, Yens est Yhabens esse; dans une métaphysique oü I’étant est con^u comme « ce qui a l’étre », Íl est impossible de penser a Tun sans penser á I’autre. C’est méme pourquoi la métaphysique thomiste s’accommode mal du nom d ’onto-logíe, car elle est une considération de l’étre plus encore qu’un discours sur letan t. Elle n’est méme pas une onto-théologie, pour la simple raison q u elle pose Dieu au-dela de l’étant, comme l’Etre méme : ipsum purum esse. Bref, cette philosophic est tout ce que, selon Heidegger, la métaphysique ne peut pas é tre ...12 Pour Gilson il est clair que la métaphysique thomasienne échappe de l’accusation d ’etre une onto-théo-logie, grace ä sa conception de l’étre. Cependant, sa conception de Vesse thomasien oblige Gilson ä payer le prix de l’éloignement de la philosophie chrétienne de la métaphysique classique. Ainsi, la pensée chrétienne 11. 12. des Seins nicht nötig. Wenn er das braucht, ist er schon nicht mehr Glaube » (id., Zürchar Seminar, GA 15, p. 436-437). « Der einzige, der die Lösung suchte, Meister Eckhart, sagt: Gott „ist“ überhaupt nicht, weil „Sein“ ein endliches Prädikat ist und von Gott gar nicht gesagt werden kann » (id., Das Aristotelische Fragen nach der Vielfalt und Einheit des Seins, GA 33, p. 46). Francesca Aran Murphy, Art and Intellect in the Philosophy o f Étienne Gilson, Co lumbia, University of Missouri Press, 2004, p. 303 : « Gilson wanted to show that Heidegger’s quest to transcend “onto-theology” is fulfilled in Thomist theology, in which God is not an entity ». Sur l’existentialiste interprétation de Gilson de la diviníté selon Thomas d’Aquin, voir « Being as Existence and Essence. Etienne Gilson, 1884- » dans Arthur C. Cochrane, The Existentialists and God. Being and the Being in the Thought ofSören Kierkegaard, Karl Jaspers, Martin Heidegger, Jean-Paul Sartre, Paul Tillich, Étienne Gilson, Karl Barth, Philadelphia, The Westminster Press, 1956, p. 100-112. Néanmoins, Kearney croit que non settlement Thomas d’Aquin, mais aussi Gilson se meuvent pleinement dans une perspective onto-théo-logique : voir Richard Kearney, « The God Who May Be », dans John D. Caputo, Mark Dooley, and Michael J. Scanlon (éds.), Questioning God, Bloomington, Indiana UP, 2001, p. 157. Étienne Gilson, L ’étre et I’essence, Paris, Vrin, 1994, p. 372. Cf Étienne Gilson,« Dieu au-delä de 1’essence », Introduction a la philosophie chrétienne, Paris, Vrin, 2007, p. 59-85. La n o u v e ll e m é ta p h y s iq u e th o m is te 347 s eloignerait de la position « essentialiste » dominante dans le monde grec13145. En effet, bien que Gilson reconnaisse que pour Aristote l’étre est lié ä I’actualité et celle-ci ne se produit que chez les individus, il finit par étre tout aussi essentialiste que son maítre Platon, car l’étre au vrai sens est donné dans les essences universelles et, ainsi, Texistence actuelle et individuelle est reléguée ä un plan secondaire. « De cette fagon, le monde d’Aristote est composé d existants sans existence »14. Par conséquent, Gilson semble croire qu’Aristote, en négligeant la distinction entre Tétre et les étants, serait tombé dans ce que Heidegger appelait « l’oubli de Tétre ». Qa n’a ríen de surprenant, pense Gilson, parce que l’existence ne se distingue parfaitement que par l’idée judéo-chrétienne de la création15. En échange, Dieu, pour Aristote, ne serait pas Γauteur de Tétre, mais une simple cause physique qui ne connaitrait méme pas le monde : « Prier le Dieu d ’Aristote serait inutile, jusqu’a au moins, que la priére comprenne la demande >>1617. Du ä sa fagon de concevoir Dieu, Gilson pensait qu’il avait délivré Saint Thomas de tomber dans une métaphysique d’approche onto-théo-logique, mais il se sentait obligé ä distancier, dans une large mesure, Thomas de la tradition aristotélicienne. Le résultat serait, comme l’a exprimé Dewan, un Dieu « sans essence »n. Dans le but d’aboutir ä un apophatisme comme celui que Heidegger favorise, Gilson doit nier en Dieu toute essence pour le concevoir comme esse pur. Dewan, pour sa parte, montre que l’interprétation de la 13. 14. 15. 16. 17. Étienne Gilson, L ’étre et Tessence, op. cit., p. 371 et suivantes. Etienne Gilson, The Being and Some Philosophers, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1952, p. 50 : « Thus, the world of Aristotle is made up of existents without existence ». Étienne Gilson, L ’esprit de la philosophic tnédiévale, Paris, Vrin, 1989, p. 66-71. Étienne Gilson, The Being and Some Philosophers, op. cit., p. 71 : « To pray to the God of Aristotle would be pointless, in so far, at least, as prayer includes asking ». C f Lawrence Dewan, « Étienne Gilson and the Actus Essendi », Maritain Studies / Études maritainiennes 15 (1999), p. 71-80. Voir aussi Liliana B. Irizar, « Étienne Gil son, Lawrence Dewan y el actus essendi », dans Liliana B. Irizar et Tamara Saeteros (éds.), La fascinación de ser metafísico: Tributo al Magisterio de Lawrence Dewan, O.R, Bogotá, Publicaciones Universidad Sergio Arboleda, 2015, p. 305-344. 348 Le St a t u t a c t u el de l a m é t a p h y s iq u e via negativa chez Saint-Thomas élaborée par Gilson n’est pas entiérement correcte : le but de Thomas est de ne pas éliminer l’essence de l’identité divine, mais plutót d’éliminer la composition entre la forme et son actualité, entre l’essence et son esse18. De plus, saint Thomas ne nie pas que Dieu a de l’essence, mais affirme méme que le terme « essence » peut étre attribue avec plus de vérité ä Dieu qu’aux créatures. D ’autre part, Dewan avertit que le point de vue de Gilson altére le concept méme á'esse chez Saint Thomas et il le sépare paradoxalement de I’existence actuelle. Tandis que, pour saint Thomas, Yesse est Factualité de Fessence et ceci inclut aussi Fexistence, Gilson va jusqu’ä dire que Yesse est la « cause efficiente » de Fexístence d’un étant19. Dans une certaine mesure, Gilson tend ä identifier Yesse avec Dieu lui-méme, de sorte que « Facte d’etre mains Ϊ essence surajoutée est exactement Facte d’etre infini, qui est Dieu »20. Ceci, en plus d’identifier Facte d’etre finí des créatures avec une participation de Dieu comprise comme possession partielle du méme étre divin, il se fait que l’acte de letre fini devient uniforme et que sa variété dépend seulement de Fessence, comme si toutes choses existaient de la méme maniére21. Si Gilson a tenté de sauver la critique de Heidegger en entrant dans la bataille du flanc de Fessence, Jean-Luc Marion a méme remis 18. 19. 20 . 21. C f Lawrence Dewan, op. cit., p. 75. Cf. Lawrence Dewan, op. cit., p. 94; voir Étienne Gilson, The being and some philo sophers, op. cit., p. 172. Étienne Gilson, introduction ä la philosophic chrétienne, Paris, Librairie philosophi que J. Vrin, collection « Bibliothéque des Textes Philosophiques », París, 2007, p. 182. Bien que Gílson ne défende pas 1’univocité de l’étre, je voudrais faire ici une réflexion sur ce su je t: les auteurs qui defendent l’univocité de l’étre le font, il semble, parce qu’ils l’identifient ä une simple « existence », mais ce faisant, ils s’en sont éloignés de la philosophic de Thomas qui comprend plutot cela comme la « actualité » de l’essence (qui inclut aussi l’existence). Au contraire, ils interpretent l’existence comme un simple concept négatif: « exister hors des causes, hors du n éant». Mais ce concept peut tres bien étre consideré comme « univoque » au sens ou une négation est toujours vérifiée de la méme maniere dans tous les individus sur lesquels elle est dite. Or, une simple négation ne constitue pas une « nature », c’est-ä-dire un élément pouvant représenter le concept univoque d’un genre. Par exemple, Γ« exister » du blanc et le « exister » de l’ceuf ne so n t« univoques » que dans le sens oü tous les deux choses « sont donnés », et sous cet aspect, ils ne different de ríen; mais c’est un simple concept négatif. La n o u v e l l e m é ta p h y s iq u e t h o m i s t e 349 en question « Tetre » en tant que tel. D ’oü Téloquent titre de son bien connu livre, Dieu saris l’étre (1982). Cet auteur accepte Targumentation de Heidegger et Tintégre dans sa critique philosophique des idoles. L’idole est un dieu fait par les hommes qui empéche la reconnaissance de Dieu dans sa divinité. La divinité atteinte par la métaphysique serait done pour Marion, non le vrai Dieu, mais plutót une idole conceptuelle22. L’idole n’est pas capable de fonder la religion, mais Tempéche par sa propre nature blasphématoire. Pour cette raison, Marion croit nécessaire ne pas comprendre Dieu d’une maniere idolatre, au point d ’écrire une croix de Saint-André sur le nom « Dieu » pour se référer ä Lui. Sa proposition est, en fait, la méme que celle de Heidegger : on doit chercher un moyen de se référer ä Dieu sans faire usage de « Tetre », en utilisant d’autres ressources qui ne L’enferment pas dans nos concepts. Ainsi, un discours sur Dieu qui conduit ä la rencontre avec Lui peut étre fait mais cela ne pourra pas étre fait en utilisant la notion d’etre, toutefois il serait possible seulement par Tamour23. En principe, la position de Marion pourrait nous forcer ä renoncer ä toute reflexion métaphysique sur Dieu, puisque Tobjet de cette science est Tétant en tant qu’étant. Cependant, en 1994, il donna une conférence dans laquelle il compara le jugement critique de Heidegger sur la théologie avec la théologie naturelle de Saint Thomas d’Aquin24. Dans ce nouveau travail, il change sa position sur le probléme, en laissant une certaine place pour une métaphysique telle que celle utilisée par cet auteur médiéval25. En effet, il se rend compte que Dieu ne peut pas étre compris en philosophic comme s il s’agissait d ’un autre étant, et la connaissance que nous pouvons 22. 23. 24. 25. Jean-Luc Manon, Dieu sans l’étre· Presses Universitaires de France, Paris, 2002, p. 55 : « La causa sui n’offre de “Dieu” qu’une idole, si limitée qu’elle ne peut ni prétendre ä un cuite et une adoration, ni méme les supporter, sans trahír aussitót son insuffisance ». ibid., p. 73. Elle fut publiée : « Saint Thomas d’Aquin et l’onto-théo-logie », Revue Thomiste 95 (i995), p. 51-66. Aprés, cet article sera imprimé comme dernier chapitre de la deuxiéme édition de Dieu sans l’étre, que j’utilíse. Pour connaitre sa posture initiale, on voit, par exemple, Dieu sans l’étre, op. cit., p. 109-125. 350 Le St a t u t a c t u e l d e l a m é t a p h y s iq u e acquérir selon saint Thomas est tres limitée et constitue plus une doc ta ignorantia qu’une connaissance positive. En ce sens, Dieu ne serait pas un « étant» et ne posséderait pas non plus Γ« étre » de la fagon comme ces deux concepts sont corpus par Heidegger, mais Yesse avec lequel Thomas identifie la réalité divine peut étre considéré comme dépourvu de « étre ». Dans ce sens, Thomas serait d ’accord avec le projet primitif de Marion. En d’autres termes, il ne serait pas nécessaire d’inclure le docteur angélique dans la récusation de toute la métaphysique qui essaie de penser Dieu26. Dans la conférence mentionnée, en premier lieu, Marion fait valoir que, pour saint Thomas, Dieu ne tombe pas sous le sujet de la métaphysique. La métaphysique a pour objet l’étant en tant qu’étant, de sorte que Dieu est considéré par elle comme la cause de son objet mais, contrairement ä d’autres auteurs, II ne fait pas partie de l’objet au sens strict. En second lieu, Marion insiste sur les affirmations de Thomas oú il montre clairement que 1'esse divin ne correspond pas avec Yesse des créatures ni encore moins avec Yens commune qui n’est qu’une abstraction, une généralisation dépourvue des perfections des créatures. Ainsi, selon Marion, il« se libére aussi de son type d’intelligibilité, jusqu’ä apparaítre, ä son égard, ríen de moins qu’inconnu »27. Puisque l’essence est identifiée en Dieu avec Yesse,« [c]e mode d’étre revient en propre ä Dieu et le sépare de tout autre étant, ou plutót de l’étantité en général »28. YJanalogia entis serait done ea26. 27. 28. ibid., p. >31, note 68. ibid., p. 296-297. ibid., p. 298. « Dieu se dit proprement esse et non pas ens » (ibid., p. 309). Nonobstant, Thomas affirme avec ciarte que le mot ens est proprement dit de Dieu : « In Π enim Metaphys. [Aristoteles] ostendit quod ea quae sunt maxime vera, sunt et maxime entia. In IV autem Metaphys. ostendit esse aliquid maxime verum, ex hoc quod videmus duorum falsorum unum altero esse magis falsum, unde oportet ut alterum sit etiam altero verius; hoc autem est secundum approximationem ad id quod est simpliciter et maxime verum. Ex quibus concludi potest ulterius esse aliquid quod est maxime ens. Et hoc dicimus Deum » (ScG., I, c. 13).« [S]ubstantia est ens per se, quod Deo constat convenire » (ScG., I, c. 25). « Licet autem ea quae sunt et vivunt, perfectiora sint quam ea quae tantum sunt, Deus tamen qui non est aliud quam suum esse, est universaliter ens perfectum. Et dico universaliter perfectum, cui non deest alicuius generis nobilitas » (ScG., I, c. 28). Merne Marion doit reconnaitre ce fait, et La n o u v e l l e m é ta p h y s iq u e t h o m is te 351 pable de sauver la disparité entre Tetre de Dieu et des créatures, en expulsant l’univocité cTun concept d’étant qui effectivement cadrait sur une constitution onto-théo-logique de la métaphysique. Alors Thomas parle de Dieu comme fondement de toutes choses, mais aussi cette fondation laisserait Dieu dehors de ce que nous trouvons dans la création, done il affirme que « <bon >, <beau >, <vrai >ne disent sans doute ríen de la bonté, de la vérité et de la beauté divines, sinon qu’ils proviennent par efficience indiscutable, mais abstraite, sans contenu réel »29. Selon Marion, la création produirait une discontinuité essentielle entre Dieu et les créatures :« [...] non seulement entre Dieu et les étants, mais aussi bien entre Dieu et Tétre de ces étants »30. Comme nous le voyons, les créatures pourraient difficilement nous dire quoi que ce soit au sujet de Dieu, qui resterait fondamentalement inconnu devant nos yeux, parce que 1'esse divin serait quasi-équivoque par rapport ä Tétre créé. Par vote de conséquence, Dieu ne peut pas étre considéré, selon le saint Thomas de Marion, comme causa sui, non seulement en raison de Tinconvénient logique de la formule si elle est prise au sens strict, mais parce qu’Il serait détachée de Tordre de la causalité créée. Enfin, Marion est d’accord avec Gilson sur le fait qu’il était une caractéristique particuliére de Thomas d’Aquin Tavoir développé la soi-disant « métaphysique de TExode » quand il a mis Taccent 29. 30. íl cite aussi STh., I, q. 2, a. 3, co.; q, 3, a. 6, co.; q. 3, a. 7, co.; q. 9, a. 1, co.; q. 11, a. 4; ScG., I, cc. 20.80. Son interpretation sur ce fait nous permet dire que Marion croit que le mot ens indique finitude ; mais ce n’est pas compris dans l’usage de Thomas. Marion, Dieu sans l’étre, op. cit., p. 302. Cependant, dans STh., I, q. 13, a. 2 deux positions sont réfutées. La premiere soutient que tous les prédicats affirmatifs ä propos de Dieu ont en réalité une signification négative. La seconde declare que ces prédicats signifient seulement que Dieu est la cause de ces perfections chez les créatures. Cette seconde position coincide avec la these défendue par Marion dans le texte cité. Dans Γarticle suivant, on indique expressément que certains prédicats (tels que, précisément, « bon », « sage », « vrai ») sont dits de Dieu proprement; en fait, ils sont dits avec plus de vérité de Dieu que des créatures. Brock montre que la doctrine ici réfutée appartient également ä la these selon laquelle il est nécessaire de nier que Dieu a une essence (a laquelle Marion aussi adhérera, comme nous le verrons plus tard): voir Stephen L. Brock, The philosophy o f Saint Thomas Aquinas: A Sketch, Eugene, Cascade, 2015, p. 132. J'a,nLucM ario n , Dieu sans Tétre, op. at., p. 307. 1 352 Le S t a t u t a c t u e l d e l a m é ta p h y s iq u e sur la notion d’« étre » pour parier de la nature incommunicable de la divinité31. Á cet égard, il juge insuffisante la « défense » de l’accusation de l’onto-théo-logie ä la pensée de saint Thomas me née par Gilson, car elle n’est pas capable de libérer Dieu du discours sur Fétant mais aussi sur de celui de l’étre32. De plus, il dit que sa proposition « s’oppose done absolument ä la tactique d’E. Gilson »33. En effet, selon Marion, Gilson aurait tenté de montrer que la différence ontologique défendue par Heidegger avait déja été anticipée par saint Thomas. Cependant, Marion croit que, pour saint Thomas, ce qui importe ce n’est pas Yesse mais Dieu en tant que tel. Par conséquent, Yesse doit étre compris ä la lumiére de Dieu et non l’inverse, sinon Dieu serait enfermé dans une compréhension préalable de l’étant et de l’étre. En ce sens, Marion comprend sa propre interprétation comme une apologie de Thomas bien plus radicale que celle de Gilson. Etant donné que l’étre de Dieu est différent de letre créé, on pourrait admettre que la théorie thomiste accepterait de parier d’un « Dieu sans l’étre », c’est-a-dire, sans l’étre créé. Mais Marion finit par concorder avec Gilson quand il pense que la notion d ’« es sence » devrait étre écartée pour parier de Dieu34. De la méme maniere que Gilson35, Marion affirme aussi que, puisque l’étre ne 31. 32. 33. 34. 35. Jean-Luc Marion, Dieu sans l’étre, op. cit., p. 316. Marión dit que « la majorité des théologiens chrétiens antérieurs ä Thomas d ’Aquin avaient soit privilegié Phorizon du Bien ä la suite du néo-platonisme, soit directement préféré celui de la charité, mais en leur subordonnant dans les deux cas celui de Pétre » {ibid.). Cette affirmation est surprenante car la consideration de Dieu comme « Etant » par excellence est non settlement dominante depuis les origines de la pensée patristique, en particulier chez l’école alexandrine (déja chez Philon d ’Alexandrie), mais elle apparaít fortement méme dans les Ecritures. D ’abord, il faut rappeler que le traducteur de la Septante a écrit ä la place de Ex 3,14 : Έγώ εί ι ó ών. Voir aussi: Sp 13,1; Jn 4,26; 6,20 ; 8,24.28.58 ; 13,19 ; 18,5-6.8 ; Ap 1,4.8 ; 4,8. Jean-LucMarion, Dieu sans l’étre, op. cit., p. 317, note 54. ibid., p. 320, n o te 57. ibid., p . 323-324. Etienne Gilson, Le Tbomisme: Introduction a la philosophic de Saint Thomas d’Aquin* Librairie philosophique J. Vrin, collection « Etudes de philosophic médiévale », Paris, 1997, p. 184 : « [...] Pentendement humain se meut ä Paise dans le concept, et que nous avons un concept de Pétre, mais non de Pexister [...]. Ce qui tombe en La n o u v e l l e m é t a p h y s iq u e t h o m is t e 353 peut pas étre réduit ä Fessence, il est done inconnaissable36. Ainsi, en fin de compte, « Vesse que Thomas cFAquin reconnait ä Dieu n’ouvre aucun horizon métaphysique, n ’appartient ä aucune on to- théo-logie et entretient une si distante analogic avec ce que nous concevons sous le concept d’<étre >, en sorte qu’il n’en est pas, n ’y est pas, voire — aussi paradoxal qu’il y paraisse — n’est pas. L'esse ne désigne Dieu que dans la stricte mesure oü il le dit sans Fétre »?7. L’esse de Dieu selon S.L. Brock Dans son dernier livre, The philosophy o f Saint Thomas Aquinas, Ste phen L. Brock consacre quelques pages ä aborder la question de Yes se, Fessence et Fappellation de Dieu comme ipsum esse subsistens38. II s’agit ici d’un sujet abordé par lui dans d autres travaux antérieurs oü, selon les mots de L. Irizar,« il a aussi sauvé Vipsum esse de Tho mas de Fonto-théo-logie, bien que les prémisses desquelles il part et la conclusion ä laquelle il arrive sont remarquablement différentes de celles de Jean-Luc Marion »39. De plus, comme Brock Fa dit lui- 36. 37. 38. 39. premier lieu dans Pentendement, c’est done bien l’étre essentiel ou de nature, ce n est pas encore Pexister ». Jean-Luc Marion, Dieu sans Tétre, op. cit., p. 324-325. Il y a plusieurs erreurs herméneutiques dans cette page de Marion. D ’une part, il y a l’identification de « l’étre » avec « l’étre de Dieu » ; voir, par exemple, le moment quand on cite les mots de Thomas sans rien ajouter :« [ ...] sicut Dei substantia ignota, ita et esse » (De pot., q. 7, a. 2, ad l). Dans ce contexte, on voit clairement que esse ne signifie pas dans ce sentence simplement « étre », mais « l’étre de Dieu ». Pour cette raison, dire que l’étre de Dieu n’est pas limité par une essence finie ne signifie pas, comme le comprend Marion, que Dieu n’a pas d ’essence. En outre, Marion commet une tres grave erreur en confondant l’incapacité de Phomme ä « comprendre » Pessence divine (notitia comprehensionis) avec la capacité de « savoir » quelque chose de celle-ci ( notitia intellectionis) : cf. STh., I, q. 12, a. 7 ; Super Io., I, lect. 3, §102. Jean-LucMarion, Dieu sans l’étre, op. cit., p. 327-328. Cf. Brock, The philosophy o f Saint Thomas Aquinas, p. 120-144. Liliana Irizar, « El esse, el ipsum esse y la naturaleza del ser », dans Brock, Estudios metafisicos· p. 28 : « [...] también consigue rescatar al ipsum esse de Tomás de la ontoteología, si bien las premisas de las que parte y la conclusión a la que arriba son notablemente diferentes de las de Jean-Luc Marion ». 354 L e St a t u t a c t u e l d e l a m é t a p h y s iq u e méme expressément, sa posture sur notre connaissance de Dieu est en désaccord avec les opinions de Gilson et de Marion40. L’antipathie que ces auteurs expriment pour l’essence et Fétant y compris, dans le cas de Marion, pour Fétre, est due en grande me sure au fait que la « métaphysique » traditionnelle les aurait utilisé pour « conceptualiser » Yesse et, finalement, Dieu méme. Comme nous Favons vu, Gilson et Marion ont nié que saint Thomas ait parlé d’un véritable « concept » ά'esse. Cependant, Brock, dans le livre susmentionné, affirme qu’il est suffisamment démontré textuellement que saint Thomas a pensé que les étres humains forment une notion á'esse41. En fait, Brock avait déja insisté dans autres articles sur Fexpression de saint Thomas natura essendi, c’est-a-dire, « la nature de Fétre », qui désigne le contenu de ce concept42. Nonobstant, saint Thomas ne fait pas trop souvent appel ä cette « nature de Fétre » parce que Yesse existe d’une maniere différente dans chaqué chose. Cette « nature » n’a pas Funité d ’un genre mais celle d ’une certaine « proportion ». Si cette breve uníté fut alludée quand on décrit Dieu comme ipsum esse subsistens, alors nous attribuerons ä Dieu une sorte extremem ent précaire d’étre, car II manquerait les perfections contenues dans les créatures et il nous resterait seulement ce que les étants ont ä commun. C’est pourquoi saint Thomas 40. 41. 42. lis sont nommés dans Brock, The philosophy o f Saint Thomas Aquinas, p. 131-132, voir note 91. Brock {ibid., p. 131, note 85) mentionne la these de doctorat de Rosa Vargas Della Casa [Thomas Aquinas on the Apprehension o f Being: The Role o f Judgement in Light o f Thirteenth- Century Semantics, Marquette University, Phil. Diss., 2013). On peut aussi citer cet article : José Juan Escandell, « Para una metafísica del ente y de la esencia » dans Miguel Pérez de Laborda (ed.), Sapienza e liberta: Studi in onore del prof Lluís Clavell, Roma, Edusc, 2012, p. 147-160. STh., I, q. 14, a, 6, co.; De quodlibet III, q. l, a. l, co., etc. Cf. Brock, ibid., p. 131, notes 86 et 87; id.,« Acerca de si el ipsum esse de Tomás de Aquino es “platonismo” », dans Brock, Estudios metafísicos, p. 31-70. Voir aussi « On Whether Aquinas’s “Ipsum Esse” Is “Platonism” », The Review o f Metaphysics 60 (2006), p. 269-303. La n o ü v e l l e m é ta p h y s iq u e t h o m is te 355 nie que l’essence divine puisse étre identifiée ä notre « notion gené rale d ’etre », c’est-ä-dire ce qu’il appelle esse com m uni. II y a quelques années, Brock a écrit un article pour comprendre correctement la signification des mots ipsum esse subsistens parce que des auteurs, comme Anthony Kenny, les avaient compris comme une identification de Dieu avec une sorte d’idée platonicienne de « étre »4344. Comme nous l’avons vu, Gilson, de son cóté, déduisait de ces mots l’ínconvenance de parier d ’une « essence » en Dieu. Dieu est un esse pur afin qu’Il ne soit pas contraint par une essence qui Le limiterait ä une certaine maniere d’etre. Ceci est caractéristique de la conception de « l’essence » partagée par Gilson et Marion ainsi qu’une bonne partie des thomistes du XXe siécle. Sur la base des textes dans lesquels saint Thomas dit que l’essence « restreint» l’étre45, le role de l’essence est réduit ä la simple limitation de Yactus essendi. C’est en grande partie ici que résidel’une des contributions les plus importantes de Lawrence Dewan ä la métaphysique thomiste 43. 44. 45. « Divinum autem esse est absque additione non solum in cogitatione, sed etiam in rerum natura: nec solum absque additione, sed etiam absque receptibilitate addi tionis. unde ex hoc ipso quod additionem, non recipit nec recipere potest, magis concludi potest quod Deus non sit esse commune, sed proprium: etiam ex hoc ipso suum esse ab omnibus aliis distinguitur quod nihil ei addi potest » (ScG., I, c. 26; cité par Marion, Dieu sans 1’etre, p. 296). Par le fait qu’on dit que les perfections ne sont pas « ajoutées », nous ne pouvons pas conclure que ie texte entend indiquer que Dieu est dépourvu d ’essence ; mais plutot on veut exprimer qu’Il posséde d’abord toute perfection d ’une maniere eminente: « Cum ergo Deus sit prima causa effectiva rerum, oportet omnium rerum perfectiones praeexistere in Deo secundum eminentiorem modum. [...] ex hoc quod supra ostensum est, quod Deus est ipsum esse per se subsistens, ex quo oportet quod totam perfectionem essendi in se conti neat » (STh., I, q. 4, a. 2, co.). C’est pourquoi le texte de ScG., I, c. 26 se refere ä cet acte singulier de Petre divin dans lequel toute perfection est entiérement contenue pour indiquer que cet acte comme tel est tout ä fait exclusif et qu’il n’est partagé par personne d’autre que Dieu. Cf supra note 41. Voir, par exemple De ente et essentia, c. 4 : « Secundo modo invenitur essentia in substantiis creatis intellectualibus, in quibus est aliud esse quam essentia earum, quamvis essentia sit sine materia. Unde esse earum non est absolutum, sed receptum et ideo limitatum et finitum ad capacitatem naturae recipientis ». 1 356 Le St a t u t a c t u e l d e l a m é t a p h y s iq u e contemporaine46. Dewan a insiste sur la facette « existentielle » de Tessence, car c est par elle que les choses ont Tétre. Le coeur de sa théorie est dans la forme, qui, de soi-méme, est acte, tandis que Tétre est l’actualité de cet acte qui est la forme. Sans doute, saint Thomas dit expressément que les choses ont Yesse « par » la forme. Celle-ci jouit d’un certain role instrumental parce que Dieu donna Tetre ä travers elle en tant qu’elle est la cause formelle de Tétre. Si Tessence fait que Yesse des créatures soit limité, elle ne le fait pas parce qu’elle « supprime » quelque chose ä un certain esse nébuleux et indifférencié concrétisé dans les essences, mais plutót parce que Tessence fournit Yesse, méme si elle le fait d ’un mode fini, selon sa fagon d ’etre. Elle est une perfection limitée capable de jouer un role instrumental pour fournir Tétre, mais ςα veut dire qu’elle est une perfection. En aucun cas, Yesse ne devrait étre compris comme une sorte de liquide infini qui a été recueilli de maniere limitée par des verres de différentes capacités qui Tont regu dans différentes mesures47. Selon cette image, si Tensemble du esse était donné d’une maniere « in-finie », alors il ne serait regu dans aucun vase mais serait donné entiérement sans aucun vaisseau. Autrement dit, Yipsum esse sub sistens n’aurait aucune essence. On voit que cette compréhension de Tessence seulement la voit comme une réceptacle potentiel et fini. Mais tous les deux concepts répugnent la nature divine. Cette négation de Tessence en Dieu, selon Brock, a produit « une tendance généralisée ä lire la théologie de Thomas d ’une ma46. 47. Cf. Liliana B. Irizar, « Porm and Being in Thomas Aquinas. A Study of Lawrence Dewan’s Metaphysical Proposal », Science et Esprit 62 (2010), p. 39-59. L’image appartient ä A. Kenny, cité par Brock,« Acerca de si el ipsum esse de Tomás de Aquino es “platonismo” », dans Brock, Estudios meta/isicos, p. 38-39 ; id., « On Whether Aquinas’s “Ipsum Esse” Is “Platonism” », p. 275. Brock est retourné sur ce point dans ce dernier livre : « It [sc. the distinction between esse and essentia] is not between a thing’s essence or form and some extraneous, unspecified, and (as it were) amorphous nature that is called simply esse and nothing else. Rather, the esse of diverse things is itself diverse in each of them. That is, diverse thing are diverse according to their esse. This means that what their esse itself is is diverse [see De ver., q. 2, a. 11; De ente et essentia, c. 4 ; STh., I, q. 3, a. 5]. Why? Because in each case it is a direct function of a diverse form or essence. But it is not the form or the essence. It is the act of the essence » (Brock, The philosophy o f Saint Thomas Aquinas, p. 128). L a n o u v e l l e m é t a p h y s i q u e tth o m is te 357 niére fortement apophatique, c’est-ä-dire, en faisant valoir qu’il-y-a peu d’affirmer au sujet de Dieu et que, en fin de compte, méme les jugements affirmatifs — comme, par exemple, que Dieu est un esse subsistant — sont plus négatifs qu’affirmatifs »48. Cependant, une lecture attentive de Saint Thomas nous permet d’apprécier que son regard bienveillant sur Fapophatisme néoplatonicien et celui des auteurs islamiques ne signifie pas qu’il soit complétement d’accord avec eux. Selon lui, quand ils eurent affirmé que les termes positifs devraient étre plutot compris d’une fagon négative, ce qu’ils voulaient en fait dire n’était pas que Dieu était improprement« bon », « sage » ou « puissant», mais qu’Il l’était d’un mode « éminent »49. En d’autres termes, la négation ne faisait pas appel ä la perfection dite de Luí mais ä la fagon selon laquelle une telle perfection est donnée parmi les créatures. En Dieu, les perfections sont données d ’une maniere plus grande, ce qui dépasse notre capacité de savoir, mais cela ne signifie pas que nous parlons d’un mode impropre d’elles. Toutefois, nous pourrions croire que cela contredit la déclaration expresse de Thomas qui, d’accord avec la tradition, dit que sur Dieu on ne sait pas « ce qu’Il est» mais seulement on sait« qu’Il est », c’est-ä-dire, nous ignorons son essence, mais nous pouvons 48. 49. « These [readings] mesh with a broader recent tendency to read Thomas’s theology as highly apophatic, that is, as holding that there is little or nothing that can be affir med about God, and that ultimately even such judgments as that God is a subsistent esse are rather negative than affirmative » (Brock, The philosophy o f Saint- Thomas Aquinas, p. 132). Brock se référe ici ä Marion parmi des autres auteurs. Sa critique de son extreme apophatisme est aussi partagé, au moins partiellement, par Shanley : « Marion’s reading simply cannot be reconciled with what we have seen of Aquinas’s position that certain terms can be predicated of God positively and substantially (though non-quidditatively) through analogy. For all of his progress on analogy, Marion still seems somewhat under the spell of Scotus insofar as he continues to construe analogy as an account of how formal concepts can apply to God rather than as an account of the lived use of language in religious affirmations » (Brian J. Shanley, The Thomist Tradition, vol. 2, Handbook o f Contemporary Philosophy o f Religion, New York, Springer, 2002, p. 66). Voir aussi id., « St. Thomas, Onto-Theology and Marion », The Thomist 60 (l996), p. 623. Cf. Brock, The philosophy o f Saint Thomas Aquinas, p. 132. Voir Sent., I, d. 2, q. 1, a, 3. 358 Le S t a t u t a c t u e l d é l a m é ta p h y s iq u e savoir son existence50. Ä cette objection, Brock offre la clarification suivante : En fait, puisque tout ce qui est en Dieu est Dieu et Dieu est sa propre essence, la connaissance que ces termes [positifs] expriment doit étre une sorte de connaissance de l’essence de Dieu. Certes, Thomas affirme que rien de notre connaissance de Dieu soit« quidditative », c’est-ä-diré, ríen de notre connaissance nous donne merne une réponse partielle ä la question « qu’est-ce que Dieu est ? » Mais ce n’est pas la meine chose que dire que nous ne possédons aucune connaissance sur ce qu’est Dieu. De plus, Thomas insiste sur le fait qu’il est impossible de savoir qu’une chose existe sans savoir quelque chose sur ce que cette chose est, au moins de maniere imparfaite et confuse51. En tout cas, afin de nous convaincre du fait qu’attribuer une es sence ä Dieu n’enléve rien ä sa divinité, nous devons comprendre ce que Γ« essence » signifie pour Saint Thomas. En effet, il n’y voit pas d’abord une source de « limitation » mais la congoit plutöt comme une « perfection ». Si l’essence signifie limitation dans les creatures, c’est seulement parce que leur essence est quelque chose de fini et elle n’est pas aussi parfaite que l’essence divine52. Mais méme parmi les créatures, l’essence est une perfection qui se manifeste principalement dans la forme. La forme, comme Dewan aime de le rappeler, est « quelque chose de divin dans les créatures » et fait partie de 50. 51. 52. q. 3, proemium:« Cognito de aliquo an sit, inquirendum restat quomodo sit, ut sciatur de eo quid sit. Sed quia de Deo scire non possumus quid sit, sed quid non sit, non possumus considerare de Deo quomodo sit, sed potius quomodo non sit». Brock- The philosophy o f Saint Thomas Aquinas- p. 132-133, note 95: « In fact, since everything in God is God, and God is His own essence, the knowledge that these terms express must be some sort of knowledge of God’s essence. Thomas certainly denies that any of our knowledge of God is “quidditative.” That is, none of it provides even a partial answer to the question, “What is God?” But this is not to say that we have no knowledge about what God is. Indeed, Thomas insists that it is impossible to know that a thing exists without knowing something about what it is, at least in some imperfect and confused way ». « The forms that limit esse and contract it to a species of a genus are forms that are distinct from esse and contain potency—imperfect forms, forms that are not act alone » {ibid., p . 136). STh.· I, La n o u v e l l e m é t a p h y s i q u e t h o m i s t e 359 la similitude que les créatures ont avec Dieu53. C’est pourquoi que saint Thomas déclare expressément que Dieu est forme54. Ce qui est source de la limitation de soi-méme est la matiére et pas tellement la forme. Mais il est bien connu que Thomas parle non seulement de la composition entre la matiére et la forme, mais aussi de celle entre la forme et Yesse. Toutefois,« il n’y a rien comme une forme qui soit identique ä sa propre matiére, mais il peut y avoir un esse qui soit identique ä sa propre forme »55. Ihy-a done quelque affinité entre la forme et l’étre. C’est parce que Yesse est la chose la plus « formelle » qui existe. Tandis que la matiére ne peut pas étre identifiée ä la forme parce qu’elle est intrinséquement potentielle (elle est pure puissance), la forme est d’elle-méme acte. C’est pour* quoi la forme peut étre esse, car tous les deux sont acte. Si Dieu est une forme, alors la théologie naturelle de saint Thomas est beaucoup mieux expliquée, puisque l’activité seule ment peut appartenir ä une forme. D ’oü nous pouvons concevoir le pouvoir divin qui s’étend vers l’extérieur de Soi. La forme est aussi celle qui soutient les activités spirituelles de Dieu, y compris sa connaissance. S’il n ’y avait pas d’essence en Dieu, les défenseurs de l’apophatisme strict devraient expliquer la suivante question : Dieu est inconnaissable juste pour nous ou est-Il inconnaissable méme en Lui-méme ? Cependant, Thomas explique que Dieu est le plus connaissable en Lui-méme et que l’apparente obscurité de notre intelligence ä cet égard ne réside pas dans les ténébres divines, mais plutót dans l’excés de lumiére : nous pourrions dire, elle ne réside pas dans le carence d’essence mais dans un excés de perfection. Par la perfection de la connaissance divine, Dieu se connait entiérement: alors II sait tout ce qui est connaissable. Dieu est alors connu, par son essence, par sa forme, mais cela ne veut pas dire qu’Il 53. 54. 55. Cf. Lawrence Dewan, Si. Thomas and Form as Something Divine in things, Milwaukee. Marquette UP, 2007. Brock {ibid., p. 134) cite une série de passages oú il le dit expressément: cf. STh., I, q. 3, a. 2, co. et ad 3; q. 13, a. 11, co.; a. 12, obj. 2; q. 86, a. 2, ad 1. « There is not such a thing as a form that is identical with its own matter, but there. can be esse that is identical with its own form » (Brock, The philosophy o f Saint Thomas Aquinas, p . 134). 360 Le St a t u t a ct uel de l a m é t a p h y s iq u e est« définissable ». S’Il pourrait étre défini, alors D serait connu par autre chose, puisque nous définissons quelque chose quand nous exprimons une chose par une autre. Or, cela n’empéche pas qu’une chose soit connue par elle-méme. C’est ainsi que Dieu se connait Lui-meme. Brock attire également Γattention sur la maniere thomasienne d ’énoncer les mots ipsum esse s u b s is te n sII est facile de les interpréter en pensant qu’en Dieu il y aurait « le méme étre » que nous trouvons dans les creatures mais, en lieu et place d’etre donné dans une essence finie, il subsisterait en Lui par lui-meme. Nonobstant, il serait difficile penser qu’il voudrait exprimer une telle idée simplement parce que saint Thomas se référe souvent ä l’étre divin en pariant de « son » esse, c’est-a-dire que Dieu ne serait pas « Γ » esse subsistant mais, quand Thomas parle & esse subsistens, il s’agit d’« un » étre qui subsisterait tout seul, qui serait identifié avec son essence. II est des lors bien clair que Dieu est le tout seul« étre » qui subsiste par lui-méme, mais ςζ ne signifie pas que l’article « un » ne soit pas justifié. Quand Brock utilise ici Particle « un », il ne veut pas non plus dire que l’étre de Dieu est simplement un cas d’un concept général, mais il indique simplement qu’on parle d’un étre indwiduel, non de « l’étre méme », le concept général hypostasié. Enfin, Dieu est « étre pur » de la méme maniere qu’Il est « forme pure », mais cela ne désigne aucunement l’identification de l’étre de Dieu avec l’étre des autres choses, parce que Thomas rejette expressément cette identification, comme nous l’avons déja vu. Parier d ’essence et forme en Dieu ne signifie en aucun cas une réduction « conceptualiste » et c’est pourquoi Brock propose un texte du commentaire sur Dionysius57 oü on trouve clairement que, si Dieu est l’origine de tout étre créé, H est aussi l’origine de toute limite dans les créatures. II est vrai que, par rapport aux essences créées, letre créé ne est pas limité, puisqu’ä travers lui on comprend toute créature ; mais, par rapport ä Dieu, méme Vesse créé est déficient du ä la délimitation de sa propre ratio. Cette ratio est un certain 56. 57. Cf. Brock, The philosophy o f Saint Thomas Aquinas, ρ. 136. De div. nom., XIII, lect. 3, § 989. La n o u v e l l e m é ta p h y s iq u e t h o m is te 361 « concept » de Tetre creé qui est limité par sa propre nature, tel qu’il a été prévu par Tesprit divin, L'esse incréé, au contraire, n’est pas affecté par la finitude du concept de Yesse. C’est en ce sens que Yesse de Dieu transcende Yesse commune. Selon les mots de Brock, « nous pouvons parier de Dieu comme de quelque chose de réel, mais nous ne devrions pas Le considérer comme en faisant partie de la réalité »58. Une fois de plus, nous ne pouvons pas connaitre la quiddíté divine ni la fagon dont Dieu dispose de son esse, mais « cela ne signifie pas que nous ne pouvons ríen savoir de positif sur Dieu, sinon que nous ne pouvons pas connaitre sa propre maniere d’etre, lequel est — pour ainsi dire — une fonction de ce qu’Il est proprement »59. Toutefois, nous pouvons nier d’une fagon correcte toutes Ies manieres d ’etre qui ne Lui appartiennent pas. La via negationis concerne cet aspect, c’est-a-dire, la maniere de se donner la perfec tion, plutöt que la perfection elle-méme. Brock revient ä la notion d ’ipsum esse subsistens Iorsqu’il s’agit de la perfection divine qui se donne infiniment dans sa simplicité, tandis que dans le reste des dioses, la perfection ne se produit qu’avec une progressive complexité60. Dans cette particularité qui échappe notre compréhension, la transcendance divine est pleinement manifestée. Selon Thomas, si Yipsum esse subsistens est un esse non regu dans aucune autre chose, il posséde toute la perfection possible sans aucune limitation. Cette these pourrait nous amener ä penser que la seule « perfection » dont on peut parier en Dieu serait Yesse, bien que cette perfection fut possédée d’une maniere infinie. 58. 59. 60. « [...] we may speak of God as something real, but we must not think of Him as part of reality » (Brock, The philosophy o f Saint Thomas Aquinas, p. 138). « He [sc. Aquinas] says that since we cannot know what God is {quid sit), neither can we know how He is (quomodo sit). This however, does not mean that we cannot know anything positive about Him, but that we cannot know His proper mode of being, which is (so to speak) a function of what He properly is » {ibid.). Voir ibid., p. 138-139. « So in the same way in which the divine form transcends all other forms, it also transcends the nature of esse itself. The entire perfection of esse is inferior to the perfection of God. In other words, esse itself must be related to God as imperfect act to perfect act. The nature of esse is included in the divine nature, as in its cause, but it does not constitute the divine nature » (Brock, « On Whether Aquinas’s “Ipsum Esse” Is “Platonism” », p. 301 ; id., « Acerca de si el ipsum esse de Tomás de Aquino es “platonismo” », dans Brock, Estudios metafísicos, p. 68), 362 L e St a t u t a c t u e l d e l a m é t a p h y s iq u e Cependant, Thomas ne croit pas que Yesse soit la seule perfection authentíque qui appartient ä Dieu. II y a d’autres perfections que Yactus essendi. Socrate n’a pas seulement la perfection d ’exister, mais il est aussi sage. Mais la perfection de sa sagesse ne consiste pas simplement en son « étre sage » puisque Socrate est sage « par » sa sagesse, c’est-a-dire par une forme qui est distincte de sa propre äme, c’est-ä-dire, la forme par laquelle il est un homme. En effet, chaqué forme, qu’elle soit substantielle ou accidentelle, est une perfection et c’est par les formes que les choses ont un étre substantiel ou accidentel. Cependant, toutes ces perfections qui, dans les creatures sont contenues dans leurs formes respectives, elles sont données en Dieu d ’une maniere simple et éminente, d’une maniere plus excel lente que le mode selon lequel elles se donnent dans les creatures. En Dieu, ces perfections font partie de « son » esse. Finalement, ce qu’est Yesse et ce qu’est Γessence ou ce qu’est la forme ou ce qu’est la puissance ou ce qu’est la sagesse ou ce qu’est l’amour, elles ne sont pas des choses identiques. Mais en Dieu toutes elles sont identiques : chacune de ces perfections est ce que Dieu est. Par conséquent, ce qu’est Yesse et ce qu’est Yesse de Dieu ne sont pas la meine chose. Esse est seulement esse. Dieu lui-meme, dit Thomas, est esse tantum, il n’est qu’un esse, mais Thomas dit aussi que Yesse de Dieu n ’est pas seulement essel Quand nous élevons notre pensée vers Dieu, nous devons certainement enlever la matiére de la forme, laissant la forme sans restriction. Mais nous ne devons pas supprimer toutes les formes ou toutes les perfections de Yesse, en laissant Yesse sans aucune spécífication. Nous ne devons pas non plus retirer Yesse commun de Yesse de Dieu, rendant le mot purement equivoque ou plutöt insignifiant61. La procedure mentale que nous devons adopter est plutót de considérer l’affinité que toutes les perfections possédent avec Yesse 61. « Absolutely speaking, what esse is, and what essence or form or power or wisdom or love is, are not the same. But in God they are identical; each is just what God is. And so, what esse is, and what G od’s esse is, are not the same. Esse is just esse. God himself, Thomas says, is esse tantum, just an esse\ but Thomas is also saying that God’s esse is not just erre! In raising our thought to God, we must certainly strip matter from form, leaving form uncontracted. But we must not then strip all forms La n o u v e l l e m é ta p h y s iq u e th o m is te 363 commun et ensuite nous devons les réunir en supprimant toutes les limitations qu’elles ont et en les rendant quelque chose d’absolument simple qui transcende Yesse commun méme. C’est aínsi que nous arrivons ä connaitre Dieu par analogie, certes imparfaitement, mais d u n mode nullement equivoque. Considérations conclusives Je crois que l’approche de Brock parvient ä sauver les inquiétudes qui agitent Gilson et Marion, mais il a des avantages : d’une part, il ne nous oblige ä séparer Thomas complétement de la tradition aristotélicienne62 ; d’autre part, Taristotélisme « sauve » Yesse de Dieu d ’etre une idée platonicienne qui embrasserait tout mais qui resterait dénuée de contenu ; de l’autre coté, il ne nous conduise pas ä un apophatisme aussi prononcé que celui que Marion défend. Il est clair que la nature incommunicable de Dieu n’est pas simplement Yesse des creatures au grade supreme ; au contraire, l’etre divin, dans sa singularité, a une préférence par rapport ä Yesse créé. Cependant, cela ne nous empéche pas connaitre quelque chose de la nature divine ; Yesse créé ne peut pas non plus Tempécher, mais plutót il constitue une ressemblance divine dans les créatures qui permette montrer Dieu, non Le cacher. Je voudrais finir cette réflexion en évoquant une conférence au sujet de la troisiéme voie thomiste, prononcée par Brock il y a quelques années65. Alors il commen£a son discours en se référant au fameux passage de Heidegger que nous avons cité, dans lequel le philosophe allemand disait que le Dieu de la métaphysique, le 62. 63. or other perfections away from esse, leaving esse unspecified. Nor do we strip com mon esse from His esse, making the word purely equivocal, or rather meaningless » (Brock, The philosophy o f Saint dornas Aquinas, p. 142-143). Dans ma compte rendue du dernier livre de Brock, je moi-méme ai exprimé :« [Bro ck] Se aleja así de cierto número de tomistas que, durante el siglo XX y lo que lle vamos del XXI, han tratado de adherirse al Doctor Angélico, al parecer, a pesar de Aristóteles » {Anuario filosófico 49 [2016], p. 444). Stephen L. Brock, « Aquinas’ Third Way of Proving a God: Logic or Love? », Conférence ä TUniversité de Chicago prononcée le 2février 2012, URL = https:/Avww. youtube.com/watch ?v=UaoTkeTE3ZY. 364 L e St a t u t a c t u e l d e l a m é t a ph y s iq u e Dieu causa sui, n’est pas un Dieu religieux : « Ce Dieu, l’homme ne peut ni le prier, ni luí sacrifier, il ne peut, devant la causa sui, ni tomber ä genoux plein de crainte, ni jouer des instruments, chanter et danser »M. Á la fin de sa conférence, Brock rappelle que Yipsum esse sub sistens ne peut étre con£u comme le concept le plus vide, un simple produit de l’esprit pour justifier d ’une maniere séchement rationnelle l’existence de toutes choses. Par ailleurs, il essaie de montrer que le Dieu ipsum esse subsistens est un Dieu véritablement religieux, en éprouvant de montrer comment un « Dieu d ’amour » — comme celui proposé par Marion — ne s’oppose pas au « Dieu de la méta physique », mais l’intégre. Permettez-moi de clore ma contribution avec ses mémes mots conclusives : Il n’est pas vrai, comme le texte de Heidegger insinué, que Dieu cache l’étre de tout le reste des choses, et l’étre cache Dieu en tant qu’existence. Ce n’est pas vrai que pour Thomas l’étre méme est l’essence de Dieu. L’étre méme — on peut le dire — n’est qu’étre. Mais l’existence de Dieu n’est pas seulement étre. Elle est étre, mais elle est aussi forme, et est également pouvoir, et est aussi sagesse, et est aussi bonté, et est aussi amour, et l’exemple parfait de chaqué chose, et elle n’est pas une synthése de ces perfections, parce qu’elle n’est pas une synthése : elle est simple. Done, nous ne pouvons pas l’identifier avec l’essence de l’un d’eux, ni méme ä l’essence de l’étre lui-méme. Elle est au-dela de notre pouvoir de concevoir toutes ces choses dans une forme simple, et elle est leur source. Ainsi, la nature divine n’est pas la nature de l’étre méme, elle est la cause de cette nature. N ’oublions pas non plus comment cela se passe avec l’amour de Dieu, son amour spirituel bien sur, le genre qui appartient ä la volonté. La volonté de Dieu a toujours ce qu’elle aime, et elle est done toujours heureuse. Thomas appelle le plaisir de la volonté gaudium, joie. Le Dieu de Thomas est alors un acte de joie64 64. « Zu diesem Gott kann der Mensch weder beten, noch kann er ihm opfern. Vor der Causa sui kann der Mensch weder aus Scheu ins Knie fallen, noch kann er vor diesem Gott musizieren und tanzen » (Martin Heidegger, Oie onto-theo-logische Verfassung der Metaphysik, GA ll, p. 77). La n o u v e l l e m é ta p h y siq u e th o m is te 365 pure, étemelle et subsistante. Et c’est de sa joie qu’H a fait le monde. II me semble que devant un tel Dieu, on peut tres bien jouer de la musique, danser, et tomber ä genoux plein de crainte65. 65. « Therefore, it is not true, as Heidegger’s text insinuates, the well God drowns the being of everything else, being itself drowns God as existence. It is not true that, for Thomas, being itself is G od’s essence. Being itself—we can say—is only being. But God’s existence is not only being. It is being, but it is also form, and is also power, and is also wisdom, and is goodness, and is love, and the perfect exemplar of every single thing; and it is not a synthesis of these perfections, because it is not a synthesis; it is simple. So, we cannot identify it with the essence of any of them, nor even with the essence of being itself. It lies beyond our power to conceive in a simple form of all those things, and it is their source. So the divine nature is not the nature of being itself, it is the cause of that nature. Let’s also not forget how it stands with God’s love, His spiritual love of course, the kind that belongs to the will. God’s will always has what it loves, and so it is always pleased. Thomas calls the will’s pleasure gaudium, joy. Thomas’s God is a pure, eternal, subsisting act of joy. And it is out of its joy that He made the world. It seems to me that before such a God, one can very well play music, and dance, and fall to one’s knees in awe » (ma transcription du video). T A B L E DES MATTERES 419 Apport des métaphysiques rebelles pour une reflexion actuelle Y v e s M e e s s e n ..................................................................................329 Métaphysiques rebelles.................................................................332 Langage et expérience dans la philosophe contemporaine................................................ 335 Lignes de forces pour le sens........................................................ 338 La nouvelle métaphysíque thomiste D a v id T o r r ij o s -C a s t r il l e j o .......................................................341 Heidegger et la question de Tonto-théo-logie.................. 344 353 L’esse de Dieu selon S.L. Brock...................................... Considérations conclusives........................................................... 363 La métaphysíque et Féthique ä la rescousse d’une nouvelle réflexion de l’étre M o n a G r a d e s c u .............................................................................367 Préliminaires.................................................................................367 La nécessité d’une nouvelle réflexion de Tétre dans le contexte contemporain, dans la perspective du transcendantal du bien............................... 367 La problématíque actuelle de Tétre................................................372 Quelques considérations critiques au sujet de la connaissance de tétre..................................... La découverte du chemin de la pensée ä Tétre dans la philosophie contemporaine............................................... 377 Une philosophie de la rencontre chez Martin Buber.......................377 L’appel ä une éthique de I’altérité et du Bien chez E. Lévinas........ 383 Conclusion partielle..................................................................... 387 La théatralisation des dialogues platoniciens: la propédeutique de la médiation au savoir ä la question de Tétre..................................... 388 375 Daniel Cohen éditeur www.Editionsorizons.com Collection « Débats » Theme: Philosophie II y a, chez Orizons, nombre de collections qui ont vocation d’accueillir des textes dont Pinclination correspondrait ä l’idée que Γοη se fait de tel sujet, de tel mythe, etc. II est des écrits qui sortent des sentiers battus: de leur fond, de leur forme affleurent une probité et une richesse intellectuelles qu’on ne saurait contester; la question évoquée est au coeur des sensibilités, réelles ou ambigúes, dans la Cité. La personnalité de Pauteur, le théme qu’il articule méritaient une collection ä part entiére. S’il nest pas de sujet qui s exclurait des autres, il est des manieres de le traiter différemment et d’offrir, aux contemporains, une réflexion nourrie sans écarter le débat contenu souvent dans le développement de Pouvrage proposé ; ladite réflexion n’exciperaít pas d’une intention polémique par principe; elle s’ouvre ä la discussion, tranquillement ä coup sur, franchement parfois. Aussi cette collection s’ouvre-t-elle ä des thématiques variées et universelles : Histoire, Esthétique, Littérature, Philosophie, Sciences ä 1’occasion. ISBN: 979-10-309-0197-9 © Orizons, Paris, 2019 Sous la direction de Claude Brünier-Coulin et Jean-Frangois Petit Le Statut actuel de la métaphysique V rArxsrhJb vV/ UNIVERSIDAD SA N D A M A S ec0 2019