Images visionnaires
Cahier dirigé par David Dupuis et Maddalena Canna
Les images visionnaires, qu’elles soient induites par l’ingestion de substances
psychotropes, suscitées par des dispositifs rituels ou saisies à l’occasion d’un
débordement perceptif, constituent de véritables agents de la vie sociale. Ce volume
explore, dans une perspective comparatiste, la nature de la relation liant ces images
aux cultures qui les inspirent ou en sont inspirées. Modes d’attribution d’agentivité,
statut ontologique des images, processus de constitution des identités et des collectifs,
relations entre figuration, mémoire et problématiques du présent sont autant de thèmes
auxquels l’étude anthropologique des images visionnaires offre une contribution
significative. Abordant ces images à la lumière de la critique du grand partage
entre nature et culture, ce volume accorde une attention particulière à l’intersection
des processus biologiques et sociaux ainsi qu’aux transformations en cours dans le
panorama mondial de circulation des images.
Contributeurs
Contributeurs
: :
15 €
Esteban
Esteban
Arias
Arias
Roberto
Roberto
Beneduce
Beneduce
Maddalena
Maddalena
Canna
Canna
Nadège
Nadège
Chabloz
Chabloz
Michèle
Michèle
Cros
Cros
David
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Dupuis
Dupuis
Martin
Martin
Fortier
Fortier
Emmanuel
Emmanuel
Grimaud
Grimaud
Yann
Yann
Hutin
Hutin
Arnaud
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Morvan
Morvan
Claire
Claire
Vidal
Vidal
L’Herne
La collection des Cahiers d’anthropologie sociale publie les travaux menés au Laboratoire
d’anthropologie sociale du Collège de France, en particulier les journées d’études
régulièrement organisées en son sein qui réunissent des membres du laboratoire et des
chercheurs d’autres institutions autour de grands thèmes d’actualité abordés dans la
perspective réflexive de l’anthropologie.
Philippe Descola
Images visionnaires
Sous le haut patronage de Claude Lévi-Strauss, Françoise Héritier et Nathan Wachtel
cahiers d’anthropologie sociale
Cahiers d’anthropologie sociale
17
cahiers 17
d’anthropologie
sociale
Images
visionnaires
L’Herne
CAHIERS D’ANTHROPOLOGIE SOCIALE
L’Herne
Ouvrage publié avec
le soutien du
Collège de France
© Éditions de l’Herne, 2019
2 rue de Bassano, 75016 Paris
[email protected]
Images visionnaires
Ce Cahier a été dirigé par
David Dupuis et Maddalena Canna
L’Herne
Cahiers d’anthropologie sociale
Comité d’honneur
Claude Lévi-Strauss (†), Françoise Héritier (†),
Nathan Wachtel
Directeur
Philippe Descola
Coordinateurs de la collection
Salvatore D’Onofrio, Monique Jeudy-Ballini
Comité de rédaction
Julien Bonhomme, Andréa-Luz Gutierrez Choquevilca,
Frédéric Keck, Perig Pitrou
Secrétaire de rédaction
Christophe Sabouret
Les Cahiers d’anthropologie sociale publient les journées d’étude et les séminaires
du Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS), unité mixte de recherche du Collège
de France, de l’École des hautes études en sciences sociales et du Centre national de
la recherche scientifique.
Sommaire
David Dupuis et Maddalena Canna
Introduction ........................................................................................ 9
David Dupuis
Apprendre à voir l’invisible. Pédagogie visionnaire et socialisation des
hallucinations dans un centre chamanique d’Amazonie péruvienne ............... 20
Maddalena Canna
La contagion visionnaire. Modulation interactionnelle de la conscience et
reconfiguration du Soi : une variation afro-amérindienne (Nicaragua) ............ 43
Esteban Arias
L’iconicité sonore et la maîtrise des hallucinations.
L’iragaveane du chamanisme Matsigenka (Amazonie péruvienne) ..................61
Claire Vidal
Voir Guanyin au Putuoshan.
Présentifier le divin par l’image dans le bouddhisme chinois..........................91
Michèle Cros
Visions de génies du lobi burkinabè ....................................................... 108
Martin Fortier
Le façonnement neuropharmacologique de la culture. Anthropologie
comparée des rituels à hallucinogènes sérotoninergiques et anticholinergiques .... 132
Emmanuel Grimaud
La face obscure de la clairvoyance. Petite histoire des machines à mesurer l’aura .. 152
Nadège Chabloz
Chamanisation des visions de l’iboga ...................................................... 177
Arnaud Morvan
Rêve et réminiscences plurielles dans l’art de Rover Thomas (Australie) .........198
Roberto Beneduce
Voir et faire voir.
Des images et de leur usage dans un traitement rituel dogon ........................ 218
Yann Hutin
Visions, présages et visages de cerf dans le rituel des Huichol du Mexique .......241
Images visionnaires
Visions de génies du lobi burkinabè
Michèle Cros
Décembre 2017, je remets à Diniaté Pooda l’article où il est question de l’expérience que nous conduisons ensemble depuis une dizaine d’années à chacun
de mes retours dans le sud-ouest du Burkina Faso, en pays lobi animiste, à la
frontière de la Côte d’Ivoire. Le titre de cet écrit est clair : « Jeux de regards avec
l’invisible. Une partie lobi en huit dessins » (Cros, 2017). J’y rends compte de la
portée heuristique de ce médium apte à révéler quelques méandres ou « effets
de présence » de l’invisible (E. Grimaud, A.-C. Taylor, D. Vidal et T. Dufrêne
2015 : 13) et narre la relation privilégiée entretenue avec Diniaté Pooda, auteur
de véritables nouvelles graphiques réalisées à ma demande sur toutes sortes
de sujets : du don de sang à la recherche de l’or dans cette région. Le pays
lobi burkinabè d’aujourd’hui est en proie à un boom minier qui renouvelle les
rapports des hommes entre eux et avec ceux qu’il est usuel de dénommer les
petits génies de la brousse ou kontee en lobiri, la langue des lobi (Mégret, 2 008).
À l’aide d’un feutre jaune fluo, j’ai surligné son nom qui apparaît à chaque page
de cet article de la revue : Visual Ethnography. Diniaté Pooda n’en tente pas la
lecture, cela fait trop longtemps qu’il a quitté « les bancs » du collège. Ce sont
ses propres dessins qui captent son attention. Comment traduire en lobiri ce
vocable de dessin dont je fais un grand usage ?
« Donc tu vois les dessins, ce sont des photos. Les dessins, les images sont des photos, en
lobiri : ce sont des doubles (tuh). C’est quelque chose qui ne parle pas, comme un tuh. La
photo, c’est le tuh de quelqu’un que l’appareil a coupé. Tu vois quelqu’un, tu vois pas son
double, mais si tu es un féticheur, tu peux voir son tuh devant ou derrière. »
Nous échangeons en français. Diniaté Pooda va au-delà de ma demande et se
108
Visions de génies du lobi burkinabè
joue de la limitation de mes sens. Je visualise ses images et suis souvent happée
par leur force. Diniaté Pooda me les commente une à une, parfois longuement.
Diniaté Pooda a été féticheur, devin ou voyant. Il a vu des tuh. Il a laissé tomber
le travail harassant lié à la vision des doubles et à l’écoute des fétiches, qu’il a
exercé en Côte d’Ivoire lors des conflits. Il est rentré blessé au Burkina Faso et
s’est converti au protestantisme. Il est reparti en Côte d’Ivoire où il a exercé le
métier de planteur. Il est « revenu aux fétiches » et se déclare à nouveau animiste
ou fétichiste lorsque je le retrouve cette année, au Burkina Faso. C’est ainsi,
son père défunt n’a cessé jour et nuit de se manifester à lui, le contraignant à
retrouver la voie religieuse de ses aïeux. Inutile d’épiloguer sur son chemin de
vie mais nos propres existences s’entrecroisent, voire se télescopent. C’est Sié
Pooda, son propre père qui nous a conduits, au début des années quatre-vingt
à la grande initiation des lobi qui a lieu tous les sept ans. Diniaté Pooda n’était
alors qu’un enfant mais il semble se souvenir du moindre détail de ce périple
singulier. Lorsqu’au détour d’une conversation, je lui avoue ne pas en garder
une trace aussi vive, il s’empresse de me demander un cahier qu’il ne tardera
pas à remplir de dessins à ma seule intention. Il est hors de question d’en faire
un article contrairement à cette sorte de pacte conclu entre nous où chaque
dessin qu’il réalise est susceptible de se retrouver dans un de mes écrits, voire
constitue le point de départ narratif d’une réflexion anthropologique qui s’appuie
sur une production graphique qui dépasse mon entendement du réel.
Des images telles des visions
Janvier 2018, je demande à Diniaté Pooda de me représenter graphiquement
les petits génies de la brousse et les animaux qui leur sont liés. Je voudrais
mieux comprendre les liens qu’ils entretiennent dans les papu para où lieux
dangereux (interdits aux humains) qu’ils occupent. À première vue, cela ne lui
semble pas relever de l’ordre du possible puisque, justement, les génies sont
invisibles. Cela, je le sais. On a beaucoup écrit sur l’invisibilité de ces entités que
déjà Henri Labouret dans ses Tribus du rameau Lobi décrivait tels « de petits
dieux à grosses têtes, à cheveux longs, et au corps tellement couverts de poils
roux qu’on ne voit pas leur peau (Labouret, 1931 : 437). Dans toute l’Afrique,
l’évocation de ces génies perdure (Hamberger, 2012 ; Dugast, 2015 ; Leblan,
2017 et Kedzierska-Manzon, 2018), même en contexte urbain (Guitard, 2012)
et en situation de migration en Occident (Grandsard et Nathan, 2011). On ne
109
Images visionnaires
cesse de décrire leur caractère belliqueux, leurs pieds retournés, leur chevelure abondante et leur extrême agilité. En pays lobi burkinabè, seuls quelques
grands chasseurs et devins-guérisseurs sont en mesure de nouer des relations
pacifiées avec ces entités suite à des cérémonies initiatiques – culte du Bamba1
pour les chasseurs et du Mar pour les devins – analysées en détail dans mon
Anthropologie du sang (Cros, 1990).
Dans la mesure où Diniaté Pooda, l’auteur des dessins sur lesquels repose cet
article, a été devin, son savoir en la matière est de nature pratique. Il sait que
je le sais. Il sait que j’ai travaillé et continue de travailler au quotidien avec des
chasseurs, des devins en exercice (dont nombre d’entre eux sont aussi des chasseurs) où il est toujours question de ces fameux génies2. Diniaté Pooda sait que
j’ai acquis bien des connaissances sur les us de ces entités mais la recherche que
je mène avec lui est de nature différente. Ses images, telles des visions données
à partager, des « mises en scènes » graphiques qu’il orchestre à sa façon3 me
permettent d’entrevoir cet invisible présent au quotidien. La plus-value heuristique de ses dessins réside dans cette approche ethno-projective ancrée dans
une anthropologie visuelle où le chercheur s’efface une fois le matériel donné et
la consigne passée. L’enregistrement du récit dessiné de et dans cette succession
d’images composant un cahier constitue une sorte de plongée en apnée dans
les fondations de « l’armature ontologique du réel » (Descola, 2010 : 17) qui va
jusqu’à surprendre son propre auteur lorsqu’il me le commente. L’ethnologue
ne pose pas de questions. Elle se contente d’appréhender les grandes lignes de
la logique du scénario dont elle a donné le simple « la » sur des génies jamais
mis en images contextuelles dans les écrits des anthropologues africanistes. Le
parti pris de la narration associée à une suite de fictions graphiques autorise
un échange de paroles semblables à celles qui se livrent lors d’un entretien
clinique de nature non directive. Des souvenirs émergent, l’imaginaire est
une composante du vécu, le symbolique s’incarne, de menus incidents du réel
deviennent pathognomoniques.
Un exemple récent en témoigne. Avec Fuworé Pooda, jeune devin-guérisseur
avec lequel je mène une partie de mes enquêtes ethnographiques depuis 2015,
nous rentrons au village. Il conduit la moto. La piste est aussi caillouteuse que
sablonneuse sans compter les trous laissés par la dernière saison des pluies.
Nous ne sommes pas pressés, l’important est d’arriver à bon port. Janvier est
là et l’harmattan commence à souffler. Soudain, il freine avec violence et nous
manquons de tomber. Ma réaction est vive, la sienne tout autant, nous l’avons
110
Visions de génies du lobi burkinabè
échappé belle, un tourbillon de vent s’est retrouvé juste devant la moto et
s’il n’avait pas freiné brusquement, nous allions l’atteindre. Comme je peine
à comprendre, il m’explique qu’il s’agissait d’un génie ainsi métamorphosé.
Heureusement qu’il l’a reconnu. La veille, un homme en aurait percuté un et le
voici désormais hagard, n’arrivant plus à retrouver sa route. Il a abandonné sa
moto dans le fossé et il ne peut plus parler. Cet homme, nous l’avions vu peu
avant, en pleine forme, chez un autre devin avec lequel nous nous entretenons
régulièrement. C’était déjà Fuworé Pooda qui, lors d’une mission précédente,
m’avait donné à voir, en pleine brousse, de petites termitières du Mar qu’il ne
m’avait cependant pas laissé photographier pour ne pas risquer de déranger les
génies qui y avaient peut-être trouvé refuge. Bref, le quotidien lobi est émaillé
de récits de génies et à l’ethnologue aussi de se tenir sur ses gardes.
Passage à l’acte graphique
Pour en revenir à ma proposition, Diniaté Pooda ne m’a-t-il pas déjà, de luimême, dessiné ces génies et ce à deux reprises dans un de ses cahiers consacrés
à l’exploitation de l’or, activité particulièrement dangereuse puisque s’opérant
en brousse, là où des génies occupent peut-être l’espace. « L’espace-brousse »
(Cartry, 1979) des génies est mouvant car les kontee se déplacent sans cesse.
On connaît les endroits reculés qu’ils affectionnent tout particulièrement, là où
se trouvent leurs arbres et leurs termitières, mais on peut aussi les retrouver
sur une piste voire dans la cour d’une maison où se prépare de la bière de mil
dans laquelle ils chercheraient à se baigner… En revanche, ce dont on est bien
assuré, c’est que l’or appartient aux génies et pour l’extraire sans trop de risque,
il convient de dédommager leurs propriétaires, comme cela se fait lors de toute
expédition cynégétique d’envergure (Cros, 1995 et 2010).
L’une de ces visions partagées par Diniaté Pooda dans le cadre de cette investigation graphique se retrouve en bonne place dans l’article de Visual Ethnography
que je viens de lui montrer. Je m’empresse de lui donner à voir cette scène qu’il
a lui-même dépeinte en 2011-2012 où « les génies voient les orpailleurs mais
les orpailleurs ne les voient pas ». Leurs têtes émergent de termitières du Mar
qui leur font office de chapeaux. Les génies représentés sont de grande taille
afin d’édifier celui qui visionne ce dessin m’explique Diniaté Pooda. Dans
ces conditions, même si cela lui semble vraiment très difficile, il ne peut que
laisser libre cours à son inspiration en poursuivant dans cette même veine.
111
Images visionnaires
Je lui apporte des cahiers Canson, des feutres pinceaux etc. À lui de dessiner4.
Et lorsqu’il aura achevé son ou ses cahier(s) sur les génies, il me fera appeler.
Je m’extasierais avant de consigner avec précision les commentaires qu’il me
livrera afin de tenter de commencer à « entendre ses dessins ». Le recueil des
données et a fortiori son analyse demeurent au stade exploratoire. L’exercice
demandé s’apparente à un défi graphique qui n’enchante guère Diniaté Pooda.
Les génies ne sont pas de l’ordre du visible, il ne voit pas comment procéder.
Ceux qu’il a dessinés dans son précédent cahier sur l’or sont venus sous son
crayon sans crier gare. Ce que je lui demande lui paraît impossible à réaliser.
Comment remplir un cahier, imaginer une histoire dessinée avec ces êtres si
particuliers. L’embarras est grand. Je suis assurée qu’il va se tirer de ce bourbier
narratif. Il me demande un autre sujet. J’évoque les chauves-souris d’Ebola et
il est soulagé. Je lui parle également du sang des femmes. Il peut aisément en
rendre compte, les interdits ont évolué, ils sont plus stricts m’explique-t-il avec
assurance. Je lui laisse donc plusieurs cahiers et si d’aventure, l’inspiration lui
venait pour traiter des génies, il aurait le matériel idoine.
Au final, Diniaté Pooda nous donne à voir dix-huit nouvelles images de génies
réunies dans deux cahiers. Il ne me les présentera qu’à la toute fin de notre
mission et le temps nous manquera pour aller très loin dans les commentaires.
L’exercice demandé était vraiment difficile, l’inspiration ne lui serait venue qu’au
dernier moment. Alors que je lui demande le titre du premier cahier, il m’arrête
en me demandant : « Est-ce qu’on peut rentrer dans l’histoire avant de trouver le
titre »… Il va s’agir d’une histoire qui, de prime abord, me semble fort décousue.
Dans la moitié du corpus, les génies sont entre eux, en brousse, avec les animaux
et les arbres qu’ils affectionnent. Dans les neuf dessins qui restent, aux animaux
et aux arbres s’ajoutent des humains. Ne pouvant tout traiter dans les limites
de cet article, je me limiterai à l’examen de cette seconde partie du corpus où
les humains sont vus par les génies. Ce sont des visions de génies, à percevoir
à la façon d’un kaléidoscope où des perceptions troublantes attestent d’effets
de présence. Un cas de figure revient, quasi emblématique du trouble éprouvé
par l’homme et tout particulièrement le chasseur. Les animaux ne semblent
plus être ce qu’ils sont, le chasseur les « tire » » mais la balle ne les atteint pas.
Les paroles de Diniaté Pooda sont reproduites. Elles ont été enregistrées, à
l’ancienne, dans un simple cahier. « C’est une dictée », me dit-il, en se moquant
de mon intense prise de notes, seule façon de faire me permettant de garder
une certaine contenance face au malaise ressenti par certaines des images
112
Visions de génies du lobi burkinabè
qu’il me livre où je pense à l’évocation de la violence du « commando des invisibles » relatée par de nombreux médias au moment des récents conflits en
Côte d’Ivoire. Lors d’une précédente mission, Diniaté Pooda m’avait dessiné de
lui-même une variante de ce fameux « médicament des armes » qui rendrait
celui qui en use invincible (Cros, 2010). Comme dans quelques dessins qui vont
être exposés plus loin, les balles ricochent, elles ne peuvent atteindre les corps
visés mais « protégés ». Quoi qu’il en soit, les commentaires en écho plus qu’en
réponse à mes étonnements, viennent en un second temps, après l’exposé du
synopsis des images. Le mot « sacré » est omniprésent car c’est par ce vocable
que Diniaté Pooda traduit directement en français tout à la fois la notion de
dangereux, mauvais (pu) et amer (kha). Tout ce qui est amer symboliquement
relève en effet du dangereux, du « mauvais » et d’une certaine façon du sacré,
donc du domaine des génies. Ce qui n’est pas amer est froid, autrement dit : sans
interdit. Ce qui, de loin ou de près, se réfère à « l’espace-brousse » des génies
est soumis à de multiples règles.
Génie compréhensif et coupeuse de bois
Cependant il n’est pas toujours aisé de respecter à la lettre cet implicite code
de bonnes conduites en matière d’usage de la brousse où les humains, quels qu’ils
soient, se rendent de façon régulière. En zone rurale, là où j’habite, non loin de la
maison de Diniaté Pooda, électricité et eau courante ne sont pas encore arrivées.
Le travail des femmes est lourd. Elles doivent partir en brousse « chercher du
bois » pour faire la cuisine, chauffer de l’eau, préparer de la bière de mil ou même
vendre quelques fagots aux orpailleurs sur les sites nouvellement implantés
dans la région. Le besoin en bois des orpailleurs est tel qu’aujourd’hui, face à
une déforestation rampante, les femmes vont toujours plus loin, en brousse,
pour ramener sur leurs têtes les précieux fagots.
113
Images visionnaires
Cros, Fig. 1 : Vision 1.
« C’est un endroit sacré des génies, un papu par en lobiri. C’est un endroit où on ne peut
rien faire là-dedans, ni prendre des fagots de bois, ni des feuilles, ni des racines. Comme
le génie est invisible, chez nous quand on dit un coin sacré, on voit juste le coin et c’est
le génie qui nous voit.
La femme est allée couper des bois secs pour faire des fagots, donc le génie, chef de ce
coin se présente devant la femme mais la femme ne le voit pas. La femme est là, le génie
la regarde avec son gboussoun, une sorte de lance en bois ou en fer, comme celle que les
grands féticheurs plantent derrière leurs fétiches. Le génie sait que la femme ne sait pas
que c’est un coin sacré, c’est pour cela qu’il ne lui fait pas de mal. »
114
Visions de génies du lobi burkinabè
Cros, Fig. 2 : Vision 2.
« Il voulait pas lui faire du mal mais il lui signale, il lui donne des signes pour réveiller
la femme, c’est une signalisation. Il va te montrer qu’il y a quelque chose, et là dans la
journée ce sont les moustiques. La femme a coupé une branche pour se fouetter. Tout
près d’elle, il y a la face du génie. »
Le premier cahier de dessins de Diniaté Pooda s’ouvre sur ces deux représentations d’un génie à l’allure débonnaire, aux traits fortement humains. Il va
cependant nu pieds, ce qui n’arrive jamais aux hommes même les plus démunis.
Quelques femmes marchent ainsi, mais cela est de plus en plus rare. La tenue du
génie est minimaliste. Les hommes, y compris lorsqu’ils partent travailler aux
champs, portent des vêtements qui couvrent l’entièreté de leurs corps. Aucun
adulte ne montre ses jambes. Les cheveux du génie le trahissent, ils sont longs,
ce qui, une fois de, plus le distingue totalement des hommes lobi qui se rasent
la tête très régulièrement. « L’apparence pileuse » du kontee est à l’image de
« l’espace qui lui est associé », à savoir la forêt ou la brousse (Bromberger, 2010 :
182). Son chapeau en forme de cône, tel celui que portent les lutins du Nord, n’a
rien à voir avec les simples bonnets qui recouvrent la tête de quelques hommes.
115
Images visionnaires
Je m’étonne de la présence de ce chapeau rouge et Diniaté Pooda m’explique :
« C’est comme les corps habillés, les bérets rouges, c’est un danger. Les vrais
génies ont des cheveux rouges », signe révélateur d’une vitalité débordante
(Karadimas, 2010 : 25). Le génie représenté est bien un kontee bu : un petit génie
de la brousse quasi invisible dans le second dessin. Le génie prévient la femme de
manière détournée, à l’aide des moustiques qui l’assaillent pour la « réveiller ».
Elle devrait le savoir : « la coupe du bois » est interdite sur un « site excepté »
(Dugast, 2010 : 169), mais elle l’ignore. Le génie se montre donc compréhensif.
Feu de la génie rouge et homme piégé
Le second cahier de Diniaté s’ouvre par ce dessin 3 (Cros, Fig. 3 : Vision 3, Cahier
central) mettant en scène une entité toute vêtue de rouge qui passe à l’action de
façon bien plus radicale, en lien probable avec une transgression jugée moins
anodine que « la coupe du bois », en prenant en compte le point de vue de cette
génie dont Diniaté Pooda se fait, de manière indirecte, le porte-image et parole.
« Les génies sont différents. Il y a des génies qui se transforment comme des caméléons,
certains ont les pieds directs comme nous, d’autres le talon devant et les orteils derrières.
Les femmes sont très, très, très méchantes, les corps habillés comme les femelles dans
la brousse. Cela, c’est une femme génie, tout habillée en rouge et dans la forêt sacrée,
un homme est venu trouver un trou. Il est en train de planter les piquets pour pouvoir
mettre des cordes pour attraper les animaux qui se trouvent dans le trou. C’est une forêt
sacrée, comme les génies sont invisibles, l’homme ne voit pas cette génie et elle l’a vu visà-vis, elle est très méchante. Au lieu de tirer son oreille, de lui donner quelque malheur,
directement elle lui souffle du feu et le feu est parti sur le gars et l’homme va mourir. »
Aucun complément d’information ne semble avoir été demandé puisque rien
n’a été noté dans mon cahier. Je suis restée pétrifiée par la force de cette scène
qui contraste avec la précédente. Il me semblait voir vraiment cette entité invisible à l’action mortifère. On le sait, l’une des caractéristiques des génies est
justement cette capacité à agir vite. La génie représentée a de longs cheveux,
comme n’en portent jamais les femmes en pays lobi, et un bonnet rouge assorti
à sa tenue qui laisse voir une partie de ses jambes contrairement, ici à nouveau,
à l’usage qui prévaut ou les pagnes couvrent les chevilles. On retrouve le danger
du rouge des corps habillés associé à la « méchanceté féminine5 ». Le porteimage et parole de la génie est un dessinateur masculin ! L’issue est fatale pour
l’homme pris à son propre piège, en position courbée. La posture de la génie, en
dehors de cette capacité à cracher du feu avec force, interroge. Elle tourne son
116
Visions de génies du lobi burkinabè
buste en direction du chasseur vers la droite alors que le mouvement de son
bassin et de ses jambes est inverse, conformément en fait à quelques représentations collectives, consignées dans la littérature africaniste mais jamais, à ma
connaissance, mises en images. Aucune « iconographie instituée » (Canna, 2016)
ne peut être retrouvée dans cette région, mais des images mentales circulent et
elles s’incarnent à la faveur de ce dispositif méthodologique déjà expérimenté
à plus large échelle pour la représentation de constituants de la personne qui
relèvent du non visible (Cros, 2005).
Dans le corpus ici présenté, le feu de la génie rouge constitue une sorte de
version extrême de cette fumée censée attester de la présence de ces entités
(Grandsard et Nathan, 2011) dans les lieux « exceptés » appelés dans le langage
courant « forêts sacrées » ou « bosquets fétiches » (Fournier, 2016). Ainsi en
est-il également en pays lobi de certaines collines ou montagnes dont on dit
qu’elles renferment beaucoup d’or et que les populations tentent de préserver
de l’avidité des orpailleurs venant du centre du Burkina Faso ou des pays frontaliers sans compter celle des grandes compagnies minières. La nuit, de la fumée
s’échapperait de ces collines et montagnes d’or gardées par de dangereux génies.
Génie accommodant et médicament de voyant
Diniaté Pooda fait souffler littéralement le chaud et le froid aux génies qu’il
offre à notre regard. Mais comme dans l’image 1, le génie suivant porte son
gboussoun, cette lance semblable à celle des féticheurs et il va se montrer fort
bienveillant envers celui dont il est proche, puisqu’il s’agit d’un voyant venu tout
exprès dans un papu par, en pleine brousse ou forêt.
117
Images visionnaires
Cros, Fig. 4 : Vision 4.
« C’est une forêt sacrée et un monsieur est venu pour prendre des racines pour faire
son médicament. Il sait bien que c’est une forêt sacrée de génies. Il est voyant, a hire :
il voit. Il charlatte pas mais il voit, et ici il voit un passage de génies. Il a déjà consulté
ses fétiches. Il doit préparer son médicament. Il est venu avec une poule noire, 15 F et
3 cauris. Il tue sa poule noire pour demander aux génies du coin s’il peut prendre son
médicament et s’il n’y aura pas de problème, voici, je vais payer, tu as gagné. Tu regardes
la poule, si ça a pris, le génie est d’accord, si la poule n’a pas pris, il a refusé. Tu laisses
ça. Si la poule a pris, tu creuses tes racines comme tu veux, tu ramasses, tu retournes à la
maison et tu fais ton médicament noir. »
Diniaté Pooda, se souvenant du temps où il procédait ainsi soupire : « arrivé
à la maison, c’est ton problème, toi et les fétiches de ta maison, tu dois faire ton
médicament noir » avant d’en conclure : « Ah les féticheurs, nous souffrons… ».
Je compatis, nombre de devins-guérisseurs avec lesquels je travaille ont ainsi
l’habitude de se plaindre à moi des kontee avec lesquels ils doivent négocier pour
pouvoir faire leurs médicaments à base de racines coupées d’arbres « amers ».
Ils n’ont pas le choix. Et avant de creuser la terre, puis de couper les racines en
question, un sacrifice s’impose, semblable à celui ou à ceux que doivent opérer les
chasseurs lorsqu’ils partent en expédition cynégétique (Cros, 1995) où il s’agit
118
Visions de génies du lobi burkinabè
pour eux de négocier avec les génies de la zone le nombre et de type d’animaux
qu’ils pourront tuer. L’entente sacrificielle avec les kontee est un préalable. Si le
volatile sacrifié « tombe bien », en général les ailes ouvertes et le poitrail face
au ciel, alors le génie se montre accommodant.
La mise en garde du génie au « chasseur de trou »
Cros, Fig. 5 : Vision 5.
« Voici un chasseur de trou, s’il voit un trou il laisse pas, il a son fusil au dos et une pièce
en fer à la main droite. Il a vu une piste dans la forêt, il se dit que c’est une piste des
animaux et il est allé pour placer sa pièce en fer pour attendre les animaux, or que c’est
une piste des enfants d’une forêt sacrée et cette piste ce sont les génies, on voit juste une
trace. Et voici le génie arrêté, en train de lui demander en lui donnant un seul doigt : c’est
vous qui tuez mes enfants ? »
Je le sais, mais Diniaté Pooda insiste : « Les animaux de là-bas ce sont les
enfants des génies », autrement dit, il ne faut pas les tuer. Pour l’heure, aucun
animal n’a été pris et le génie se contente d’indexer le « chasseur de trou » qui
119
Images visionnaires
porte un fusil en bandoulière sans en faire usage contrairement aux trois scènes
qui vont suivre. Notons que dans l’image 3, pour une situation somme toute
assez proche, la réaction était bien plus radicale, mais il s’agissait d’une génie !
Force du génie et impuissance des chasseurs
Cros, Fig. 6 : Vision 6.
« Ça, c’est un buffle, un buffle est un animal puissant, on peut le tuer et il peut nous tuer.
Quand on dit qu’un buffle est puissant, c’est parce qu’il est accompagné d’un génie, il est
dessus. C’est la force du génie qui conduit le buffle. (…) Les animaux sont les enfants des
génies, l’animal est puissant quand il est accompagné par un génie. Le jour que le génie
l’a quitté, l’homme peut l’abattre, tu peux le gagner, sinon, c’est l’animal qui te tue, il a
bien visé sur la tête mais la balle monte. »
Ici, le chasseur ne vise pas le génie puisqu’il ne le voit pas. Le chasseur tire
sur un animal sauvage, mais il ne peut l’atteindre car un génie le conduit et la
balle ricoche. Pour le génie, le buffle est un bœuf de brousse, c’est son enfant, il le
protège. L’homme qui le « gagnera » devra « faire un médicament ». Il lui faudra
120
Visions de génies du lobi burkinabè
aller voir un Bambadar ou grand chasseur détenteur du fétiche de Bamba, dont
l’une des particularités est de rendre l’humain invisible aux yeux de certains
animaux, dès lors qu’il use d’une calebasse dite de Bamba que Diniaté Pooda a
dessinée lors d’un précédent travail sur la chasse aux lions (Cros, 2010). Dans
le cas présent, l’habit du génie se confond à la robe du buffle qu’il chevauche6.
Ses pieds ainsi que l’une de ses mains ne sont pas dans le même axe que le reste
de son corps. Sa chevelure est particulièrement imposante à l’instar des cornes
du buffle. Comme dans la vision 5, il indexe le chasseur et, à l’aide de ce simple
geste, il semble le frapper d’inertie en déviant la balle tirée. Dans la vision
suivante, le génie protège d’une autre façon l’animal qu’il monte.
Cros, Fig. 7 : Vision 7.
« Un chasseur est caché, il a entendu du bruit, il a attrapé son fusil pour viser. Face à
lui il y a un animal conduit par un kontee qui lui donne la force. Le génie est avec son
contrôleur : un oiseau qui fait son nid au milieu des cornes de l’animal. On voit l’oiseau à
l’œil mais pas le génie. Le jour où tu vas l’abattre, le kontee est parti. »
Pooda Diniaté duplique la scène précédente en y ajoutant cet oiseau-contrôleur.
Il ne s’agit plus d’un buffle, c’est un autre bœuf de la brousse, de couleur grise,
121
Images visionnaires
dont la peau ressemble à celle d’une souris. Le chasseur veut le viser m’est-il
précisé oralement. Le génie n’a pas besoin d’indexer le chasseur, son oiseau
contrôleur – également présent dans un récit récolté par Kedzierska-Manzon
(2018 : 75) – en se postant au milieu des cornes de l’animal monte la garde et
assure une protection telle que le chasseur caché ne tire pas, ou pas encore. Le
tracé marron de cette vision 7 (cf. supra Cros, Fig. 7 : Vision 7), à proximité du
canon de fusil, n’est que l’ombre de l’arbre. Dans la vision suivante (Cros, Fig. 8 :
Vision 8, Cahier central), le chasseur tire.
« Cet animal a lui-même du médicament noir comme du charbon. Il est très, très mauvais.
Il y a même des chasseurs qui lorsqu’ils le voient, ils ne le tuent pas. Si tu le tues, tu
deviens un grand chasseur, si tu n’as pas de médicament, tu meurs. Cet animal puissant
est accompagné par un génie, il est puissant car il est conduit par un génie. Le chasseur
est un dozo, mais il ne peut l’atteindre. »
Le génie en tenant l’une de ses cornes de ce « bœuf de forêt » tout en le montant
en amazone avec les pieds en sens inverse du haut de son corps témoigne de
son extrême agilité. La « technique du corps » (Mauss, 1934) dont il fait usage
est paradoxale (Tourre-Mallen, 2011) mais non moins redoutable. La balle du
chasseur, qualifié de dozo, comme en univers Mandingue (Bonche, 2007 et
Kedzierska-Manzon 2014), à nouveau « monte » face à cet animal doublement
protégé par le génie et son propre médicament noir.
122
Visions de génies du lobi burkinabè
Le génie qui fixe les orpailleuses
Cros, Fig. 9 : Vision 9.
« On en a fini avec les animaux, on est rentré dans les orpailleuses, les femmes qui
cherchent de l’or. Dans le pays lobi, il y a beaucoup de montagnes, de forêts, d’arbres,
de cailloux et d’eau sacrés qui n’appartiennent pas à des humains, ils appartiennent aux
génies. (…) Donc les femmes sont là en train de creuser et devant elles, un peu loin dans
la forêt, voici le chef, le propriétaire de la forêt. Il a mordu un doigt de sa main gauche
et il fixe les dames avec un doigt de sa main droite. Comme les génies sont invisibles, les
dames ne voient rien mais elles font leur travail dans un papu par, un endroit interdit… »
Les femmes s’activent, l’une creuse, l’autre prend du sable avec deux calebasses. Elles cherchent de l’or. Nous ne sommes pas sur un site d’or, les femmes
tentent leur chance, loin, en brousse, dans la forêt, mais comme le commente
Diniaté Pooda : « les coins sacrés, c’est pas pour quelqu’un, c’est pour le génie. »
En outre, l’or, on le sait, est le bien des kontee. Diniaté Pooda résume la situation
à l’aide de cette expression limpide : « où se trouvent les génies, il y a de l’or, ils
marchent de mêmes pieds avec les génies… » Dans ces conditions, les histoires
d’or en pays lobi finissent souvent mal (Cros et Mégret, 2017). Le génie non
seulement indexe de sa main droite – geste récurrent dans ce corpus lorsqu’il
123
n’est pas content – celui ou en l’occurrence celles qui empiètent sur son territoire, mais il se mord un doigt de sa main gauche. Le génie manifeste ainsi son
extrême mécontentement, à l’instar de la vision 3 où il retenait son couvre-chef
à l’aide également de cette main gauche (liée au monde masculin et au pouvoir
(J.-F. Vincent, 1978 : 488). De fait, le récit auguré par cette vision 9 s’achève
affreusement. Il se décline sur quatre autres dessins dans ce second cahier.
Plus de figuration de génie invisible. Inutile donc de reproduire ces images à
l’exception de la toute dernière où seuls les pieds de chercheuses d’or émergent
d’un éboulement.
Cros, Fig. 10 : Vision 10.
« C’est la montagne cassée, les deux femmes y sont enfermées. Elles étaient dans un
trou, elles cherchaient l’or et cette montagne s’est cassée et les gens sont là pour faire
un sacrifice au dithil pour pouvoir déterrer ces dames, pour pouvoir les enterrer. Celui
qui a pris sa tête, sa femme est dedans. Comme c’est le sacrifice, il ne peut pas pleurer
mais il a pris sa tête. La première poule a pris. Ils sont à la deuxième. Si elle prend, à ce
moment-là, ils vont aller déterrer les cadavres qui sont enfermés dans les trous de la
montagne qui est cassée. »
124
Visions de génies du lobi burkinabè
Ce second cahier de visions de génies se clôt ainsi. Les orpailleuses sont
devenues à leur tour invisibles, elles occupent l’espace gauche de la feuille, celui
qu’affectionnent les génies (à l’exception de l’image 1 relative à la chercheuse de
bois) dessinés par Diniaté Pooda. Seuls les rites de mort pourront leur redonner
un corps à exposer, comme il se doit, en pays lobi. Reste à consulter le dithil, le
fétiche de la terre du village, toujours édifié dans un papu par, là où les génies
veillent.
De « l’invisibilité relative »
« Comme c’est dans la photo, je représente le génie » me précise à plusieurs
reprises Diniaté Pooda qui donne également à voir cette « cape d’invisibilité »
(Kedzierska-Manzon, 2014b : 146) – ou « filet-sac » (Cartry, 1979 : 281) – portée
par ce type d’entité. Les visions 6 et 8 (Cahier central) en attestent. La balle
ricoche et se diffracte. Le génie ne peut être atteint et ce sans le recours à un
artefact comme en usent de grands chasseurs qui pourraient à leur tour se métamorphoser en cas d’attaques (Kedzierska-Manzon, 2014b : 145). Pour des Lobi,
« le médicament des armes » qui aurait servi au fameux « commando invisible »
lors des conflits en Côte d’Ivoire serait une variante de la calebasse de Bamba
liée aux génies et censée permettre au chasseur de se soustraire à la vue de son
assaillant (Cros, 2017 : 123). Quoi qu’il en soit, dans le corpus ici présenté, c’est
bien le génie que l’humain ne voit pas. Seul l’animal qu’il monte ou qui l’accompagne est repéré. Ce constat est à nuancer, la vision 4 l’illustre. « L’invisibilité
des génies de brousse ne les dissimule qu’au commun des mortels, mais aucunement à la vue perçante des individus que l’on nomme “clairvoyants’’ » (Dugast,
2015a : 118). Il s’agit donc d’une « invisibilité relative » qui « découle en partie
du fait qu’ils sont pourvus d’un corps » (ibid. : 117) que Diniaté Pooda restitue
avec une précision quasi clinique. Ce sont des génies tout à la fois intemporels et
clairement d’aujourd’hui avec leurs habits à l’occidentale et leurs couvre-chefs
originaux dont il n’est jamais fait état dans les récits des africanistes. Ces génies
contemporains doivent faire face à de nouveaux dangers – des chasseurs armés
de fusils puissants aux chercheurs d’or – en passant par les gardes-forestiers
un peu trop zélés.
Deux récents témoignages dans la littérature ethnologique apportent un éclairage
complémentaire. Vincent Leblan évoque en Guinée « la réticence » de ses guides
de terrain » à l’idée de pénétrer dans une forêt « jamais défrichée ». Ils finissent
125
par y entrer rapidement. L’un d’eux « se raidit soudainement et se tint coi ». Une
fois sorti de la forêt « il dit alors qu’il avait aperçu ‘’une main’’ lui adresser un
signe » (Leblan, 2007 : 51). Les chasseurs Malinkés rapportent de semblables
pseudo-rencontres avec des génies qui, est-il expliqué, « ne sont pas bavards »
(Kedzierska-Manzon, 2018 : 94)7. Dans notre corpus, les génies apparaissent
réservés tout en n’hésitant pas à tuer (vision 3 et 10) et/ou à pointer du doigt, à
indexer voire à viser de la sorte les humains (visions 5, 6 et 9). « Montrer du doigt,
c’est désigner de façon muette8 » donc dire sans user de la parole. Les génies en
agissant de la sorte mettent en relief cette « position charnière entre le visible
et l’invisible » (Dugast, 2015a : 118 et 2015b) qu’ils occupent dans ces univers
d’Afrique de l’Ouest. Les précieux dessins de Diniaté Pooda nous permettent de
faire l’expérience graphique du malaise éprouvé et ce bien au-delà des analyses
présentes de manière souvent éparse et détachée dans les travaux africanistes.
Les génies hantent le quotidien et l’ethnographe ressent le trouble de ceux dont
elle partage le fil des jours et des nuits. Reste à trouver les mots pour dire ce qui
ne se dit pas mais s’éprouve au plus intime. Épouser le point de vue graphique
de Diniaté Pooda participe de cette entreprise de dévoilement des génies saisis
en action, avec leurs animaux, lorsqu’ils se retrouvent face à des humains.
Leur « ambiguïté ontologique » à l’instar de nombre d’objets-sujets-fétiches
(Albert et Kedzierska-Manzon, 2016 : 18) ne serait que le reflet de leur « statut
hybride » mis en lien avec « le trouble perceptif qu’ils suscitent » (ibid. : 18).
Leurs pieds si souvent retournés montrent que « détachés de tout lieu et de toute
direction, ils refusent de s’inscrire dans l’espace des humains » (Hamberger,
2012 : 206). Dans ces conditions, le défi graphique proposé et finalement relevé
par Diniaté Pooda s’apparente à un exercice visionnaire dont il n’est restitué
dans cet article qu’un versant. Dans le corpus de dessins du premier cahier de
Diniaté Pooda sur les génies, qui fera l’objet d’un autre article, les génies usent
de positions plus acrobatiques. Ils enjambent des montagnes, s’enlacent à des
lianes etc. mais leurs pieds ne sont pas retournés, peut-être parce qu’ils sont
entre eux, dans leur univers, avec leur enfants-animaux, leurs termitières du
Mar et leurs arbres-maisons où figurent des portes. Autrement dit, en l’absence
d’humains sur leurs chemins, inutile de brouiller les pistes… Mais ces génies
demeurent reconnaissables. Même habillés à l’occidentale avec une appétence
pour les étoffes rayées9 ou fortement dénudées pour deux plantureuses génies
femelles, ils arborent tous et toutes une chevelure afro indisciplinée à peine
contenue par des chapeaux bizarroïdes. Ces génies du lobi exhibent un corps
126
Visions de génies du lobi burkinabè
aux formes singulières en épousant les éléments du paysage où ils se meuvent.
Plus d’index accusateur, plus de doigt mordillé, plus de lance, ils vont et viennent
dans leur brousse familière et affichent ce qui ressemble à un grand sourire de
contentement y compris face à un crocodile ou à un énorme serpent.
Une mise en abyme à défaut de conclusion
L’étonnante « cohérence iconographique » (Canna, 2016) des images de
génies que Diniaté Pooda nous donne à voir figure cet invisible en restituant les
« contradictions perceptives » (de Vienne et Moiroux, 2011) qui participent de
son appréhension sensorielle. Ces contradictions ressortent avec force « du fait
des artifices de la composition » (Descola, 2016) propre à une mise en dessins dès
lors que son auteur s’engage dans la fiction qui transcende le récit du quotidien.
L’invisible participe de l’éprouvant éprouvé ordinaire. L’univers de la brousse, son
caractère mouvant en fonction des heures de la journée, en constitue l’horizon
touffu. Les kontee en sont les parangons. La figuration des extraordinaires « techniques du corps » de ces génies atteste d’une appréhension du réel où le visible
ne cesse de se dérober. Diniaté Pooda donne à voir autant qu’il brouille les pistes.
Il m’a d’abord semblé que cette histoire dessinée ou narration graphique du lobi
partait en tous sens mais ainsi vont les génies, leurs traces constituent autant
« un moyen de détruire l’orientation » (Hamberger, 2012 : 206) qu’elles attestent
de la présence de mondes autres avec lesquels les humains doivent composer.
Nous sommes dans l’univers des doubles. Pour Diniaté Pooda, « les dessins, les
images sont des photos » dont l’ethnologue tente de capter quelques vibrations
lors de sa quête orale. Dépasser le stade de la transcription semble hasardeux.
Ce serait comme suivre ces pseudo-traces de génies que Diniaté Pooda ne s’est
aventuré à dessiner qu’au terme de ma mission, alors qu’il savait qu’il ne serait
plus possible d’aller trop avant dans l’analyse.
« Quand on photographie, on voit le double de quelqu’un qui ne parle pas. C’est comme
un thilbu (une petite statuette fétiche) qui ressemble à un homme. Le thilbu parle mais
tu ne l’entends pas. Tu regardes l’image mais est-ce que le dessin va parler ? »
L’ultime scène de ces deux cahiers – la montagne cassée – ne se passe-t-elle
pas sous le regard probable de ces génies redevenus totalement invisibles à nos
yeux… L’image dessinée est une vision déstabilisante. Elle ne lève pas l’entièreté
du voile. Elle parle à demi-mot. Elle s’éprouve et met à mal telle une révélation
aux accents de mise en abyme.
127
NOTES
1. Ces cérémonies ne sont pas des cultes de possession comme on les trouve décrits dans le Sahel ou
au Maroc (Vidal, 1990 ; Hell, 1999 et Kedzierska-Manzon, 2018) où coexistent génies dits « musulmans » et génies de brousse parfois qualifiés d’animistes (Gibbal, 1982 : 170) jugés plus dangereux.
2. Les sculpteurs doivent aussi nouer des liens étroits avec ces génies (Bosc, 1999).
3. Sur les détails du protocole expérimental à caractère ethno-projectif mis en œuvre pour le recueil et
l’analyse de ces dessins, cf. M. Cros (2017 : 118 sq.). Sur l’usage du dessin dans le cadre d’une anthropologie visuelle, cf. Soukup (2011), Calandra (2013) et Canna (2016).
4. Cet article prolonge une réflexion sur la mise en dessins des entités invisibles, réflexion évoquée
lors d’une présentation au séminaire interne du LAS en novembre 2015 à l’occasion d’une délégation
CNRS effectuée au sein de ce laboratoire.
5. Au Mali, des chasseurs insistent sur cette méchanceté particulière de la génie qui tue (KedzierskaManzon, 2018 : 88).
6. En Guinée, V. Leblan et B. Bricka (2013 : 92) évoquent également la vision d’un « defassa waterbuck
which is surronded by genie that hide it from him ».
7. Ce constat est à nuancer car « la musique du balafon est assimilée à ‘’la voix des génies’’ – 1992) »,
l’arbre du balafon lobi constituant « un habitat privilégié pour les génies » (Royer, 2015 : 44).
8. Cf. le site https://www.diamantvoyance.fr/pointer-index-signification-et-utilisation-magique/
9. « Toute surface rayée apparaît souvent comme incontrôlable, presque insaisissable » rappelle, dans
un tout autre contexte, Michel Pastoureau (2014 :146).
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Michèle Cros
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Fig. 8 Vision 8.