Colloques de la Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie, René-Ginouvès
14
Collection dirigée par Frédéric Hurlet
(Re)Fonder
Les modalités du (re)commencement
dans le temps et dans l’espace
sous la direction de
Philippe GERVAIS-LAMBONY, Frédéric HURLET et Isabelle RIVOAL
Éditions de Boccard
4, rue de Lanneau - 75005 Paris
2017
DIRECTEUR DE LA COLLECTION
Frédéric HURLET (Université Paris Nanterre)
RELECTURE DES TEXTES EN ANGLAIS
Anna NEMANIC (ReportOn)
SECRÉTARIAT DE RÉDACTION
Astrid ASCHEHOUG (CNRS), Fabienne FLAMANT (CNRS), Ilias PETALAS (CNRS)
MISE EN FORME DES ILLUSTRATIONS
Nicolas COQUET (CNRS), Virginie TEILLET (Italiques)
MAQUETTAGE INTÉRIEUR ET COUVERTURE
Virginie TEILLET (Italiques)
ILLUSTRATIONS DE COUVERTURE
1re page et dos : monnaie de bronze de Caesar Augusta (Espagne citérieure), Roman Provincial
Coinage, I, 1992, nos 317-318. Dessin d’après Jacques Fr., éd., Les Cités de l’Occident romain : du I er siècle
avant J.-C. au VI e siècle après J.-C., Paris, Les Belles Lettres, 1990, pl. II, no 6. Sur la 1re page : carte d’après
le fond de carte « Europe étendue littoraux (G) », cartothèque de D. Dalet © Daniel Dalet.
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être mis en accès libre sur quelque base de données ou par quelque portail que ce soit.
© Éditions de Boccard, 2017
http://www.deboccard.com
ISBN 978-2-7018-0537-5
ISSN 1775-6626
SOMMAIRE
Philippe GERVAIS-LAMBONY, Frédéric HURLET et Isabelle RIVOAL
Fonder/refonder. Réflexions croisées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
9
Guy DI MÉO
Essai de synthèse. (Re)fonder... Quels usages de l’espace et du temps ? . . . . . . . . . . . . . . . .
21
Origines et (re)fondations coloniales
Anne RAULIN
Recommencer New York
.......................................................
39
Chloé ANDRIEU, Johann BEGEL, Marie-Charlotte ARNAULD,
Philippe NONDÉDÉO, Dominique MICHELET, Julie PATROIS, Naya CADALEN
et Julien SION
Qu’est-ce que fonder et refonder quand le temps est à la fois cyclique et linéaire ?
Le cas des Mayas de l’époque classique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
51
Irad MALKIN
Vers une conception élargie des cercles de l’identité collective : la fondation des citésÉtats dans la Méditerranée antique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
63
Caroline BLONCE
La construction de la mémoire civique dans les colonies d’Afrique romaine : mémoire
de la fondation ou de la refondation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
79
Frédéric HURLET et Christel MÜLLER
(Re)fondation et colonies romaines : regards croisés sur Carthage et Corinthe. . . . . . . . .
93
Denis REGNIER
La fondation d’une nouvelle terre ancestrale dans le Sud betsileo (Madagascar) :
dilemme, transformation, rupture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
121
Faire lieu : les échelles de la (re)fondation
Fanny CHAGNOLLAUD
Expériences de fondations andines en milieu urbain. Le cas des quartierscomunidades d’Ayacucho (Pérou) : quartiers périphériques ou villages andins
urbains ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
131
Emeline PRIOL
Refonder en Grèce à l’époque hellénistique : acte total ou mutation partielle ? Les
synœcismes dans le cadre des sympolities des années 350 aux années 150 av. J.-C. :
l’exemple de Latmos et Pidasa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
143
Sommaire
Marion FOREST
La transition urbaine du Centre-Ouest mexicain au XIII e siècle : entre fondations
et refondations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
157
Christelle MAZÉ
« C’est comme son monument qu’il a fait cela ». Fondations et restaurations cultuelles
en Égypte ancienne (III e millénaire – mi-II e millénaire av. J.-C.) : de l’occupation
de l’espace à l’ordonnancement du temps ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
169
Daphné LE ROUX
Comment le mariage catholique fonde-t-il le couple ? Une réflexion sur le rôle
de l’espace dans le rituel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
187
Mettre en récit(s), légitimer, instituer
Clélia CORET
« Voici le sultan qui fonda Witu » : refondation d’une cité-État swahili et légitimation
du pouvoir au XIX e siècle (côte est-africaine). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
201
Anna DESSERTINE
Du centre aux limites : la question de la fondation et de l’autorité en Haute-Guinée
(Guinée) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
217
Margaux DABIN
Fondation et refondation des temples en Mésopotamie aux IV e et III e millénaires
av. J.-C. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
229
Cédric BECQUEY
Rituel de fondation de maison chez les Chol : une étude ethnolinguistique . . . . . . . . . . .
243
Yann RIVIÈRE
Justinien et la (re)fondation du droit romain. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
259
Clément BUR
Une refondation ordinaire : lustrum condere et recensement dans la Rome
républicaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
269
Christian DÉCOBERT
Figurer et instruire. À propos de la fondation d’une religion révélée . . . . . . . . . . . . . . . . .
281
RECOMMENCER NEW YORK
Anne RAULIN*
Résumé
Manhattan a connu deux noms de villes étrangères européennes, New Amsterdam et New
York, mais l’île a gardé celui qui fut attribué par ses premiers habitants. Comment cette
double fondation coloniale, hollandaise puis anglaise, a-t-elle survécu, dans l’espace urbain, à
l’indépendance d’un pays qui avait établi sa première capitale entre ses rives ? Comment cette
ville, qui fut le théâtre de l’investiture de la première présidence des États-Unis, élevant à cette
fonction un père fondateur de la nouvelle nation, a-t-elle réagi à sa destitution en tant que centre
du pouvoir politique au profit de Washington ? À partir des traces mnésiques de la toponymie
et du plan urbain de Manhattan qui conjuguent mémoire coloniale et grille américaine, on
peut reconstituer ces différents moments fondateurs qui ont structuré l’identité de la ville. Un
siècle après l’achèvement de l’urbanisation de l’île, les attentats du 11 septembre 2001 et la
destruction des tours emblématiques sont venus briser l’image d’une ville hors de l’histoire et de
ses tragédies. Pour surmonter le désastre humain et urbain, c’est celle d’un Manhattan toujours
renaissant, ville-phénix, animée par ce que Walt Whitman appelait déjà en son temps « pulldown-and-build-over-again spirit » qui a resurgi. Cette célébration du dépassement permanent
se nourrit d’une mythologie urbaine qui puise dans la mémoire des lieux et cherche à conforter
un ancrage garant de la pérennité d’une ville, par excellence globale, qui doit se repenser et se
reprendre dans sa temporalité locale à seule fin de se surpasser dans l’avenir.
Mots-clés : New York, Manhattan, New Amsterdam, traces mnésiques, désastre, mythologie
urbaine.
Abstract
Manhattan was successively given two different names borrowed from European cities: New
Amsterdam and New York. However, the island succeeded in keeping its native name alive. How
did this colonial foundation—first Dutch then British—survive the independence of a nation that
established its first capital city on this island of Manhattan? How did it react to the shift of the
center of political power to Washington D.C. when Washington, founding father, was appointed first
president of the new nation in New York? From the traces of its urban toponyms and maps, which
combine colonial references with its hallmark gridiron plan, it is possible to decipher the founding
eras that have given the city of New York its structural identity. A century after the completion of
urbanization, the 9/11 attacks and the destruction of Lower Manhattan’s two emblematic towers
have shattered the image of a city preserved from history and its tragic events. To overcome this human
and urban disaster, the narrative of an ever resuscitating, phoenix-like city was evoked, echoing
Walt Whitman’s assertion that Manhattan was driven by a “pull-down-and-build-over-again spirit”.
Urban mythology shaped this ethos of an unabashed overcoming of one’s self. This city, first among all
global cities, appears then, paradoxically, to be capable of re-thinking its local memory and times only
to surpass itself in the future.
Keywords: New York, Manhattan, New Amsterdam, memory, disaster, urban mythology.
*
Université Paris Nanterre, EA 3932 Laboratoire de sociologie, philosophie et anthropologie politiques
(Sophiapol) [
[email protected]].
(Re)Fonder. Les modalités du (re)commencement dans le temps et dans l’espace,
GERVAIS-LAMBONY Ph., HURLET Fr. et RIVOAL I., éd., 2017, p. 39-50
(Colloques de la MAE, René-Ginouvès, 14)
40
Recommencer New York
N
ommer est un acte de fondation par excellence, un acte performatif qui a le pouvoir
de déclarer l’origine d’une nouvelle existence, ou d’une renaissance. Selon LéviStrauss, qu’il s’agisse de personnes, de lieux, d’objets ou d’institutions, en attribuant un
nom propre, on effectue plusieurs opérations à la fois : on identifie, on classe, on signifie1
et éventuellement on instaure une nouvelle ère. C’est donc par cette forme de création
symbolique que nous abordons ici le sujet de la refondation pour une ville qui peut se
vanter d’avoir reçu plusieurs noms, et dont l’histoire est à même d’éclairer son étonnante
capacité à se refonder à travers les siècles.
New York, un nom qui est devenu « prêt-à-porter » sur une casquette de baseball, un
T-shirt ou un sac. NY, un nom qui se porte surtout en acronyme, forme linguistique follement à la mode, y compris dans les milieux scientifiques. New York, New York, un nom
qui se prête à la répétition en se déclinant côté ville, NY City, et côté État, NY State. Il
plaît à l’oreille et sied à la comédie musicale, « New York, New York, it’s a wonderful town! 2 »
Ville d’entertainment, c’est un nom qui amuse, un nom muse qui inspire, un nom marchandisé qui fait vendre ! On peut lui déclarer son amour en langue devenue universelle :
I ♥ NY, en quatre signes, trois lettres noires et un cœur rouge.
On sait que ce nom vient d’un passé colonial, de la prise de la ville par les Anglais et
que cette « nouvelle York » fut fondée en l’honneur du Duke of York, futur roi d’Angleterre, en 1664. Si l’acte de fondation est ici indissociable d’une figure fondatrice et de
son titre nobiliaire, il est surtout réminiscence d’une ville de la nation conquérante. Ce
procédé se conforme à la pratique de translation d’un nom de l’ancien monde vers le
nouveau, comme l’avait fait en premier lieu la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, en attribuant à son comptoir au sud de l’île de Manhattan le nom de sa capitale
tutélaire, Nieuw Amsterdam ou New Amsterdam. Dans ces cas apparaît encore une nouvelle fonction de la dénomination, qui est celle de lier et de relier deux sites entre eux par
simple duplication onomastique, par relation homonymique3.
Manhattan, que les New-Yorkais prononcent avec un h aspiré, fut, on le sait aussi
bien, le nom indien des lieux, signifiant probablement « l’île aux collines ». Il perdura alors
que la colonisation et l’urbanisation – les deux sont le plus souvent confondues – firent
tout pour en faire table rase – littéralement, au sens propre d’araser les reliefs. NouvelleAmsterdam commença par faire du sud de l’île une réplique de la ville mère européenne
en reproduisant ses canaux concentriques, dont il ne reste plus rien, pas même Canal
Street qui ne doit rien aux Hollandais. Nouvelle-York poursuivit le travail en les rebouchant et en introduisant progressivement un plan en damier, quartier par quartier. L’un
des premiers à avoir été aménagé sous cette forme orthogonale, en 1728, couvrait des terrains appartenant à l’Église d’Angleterre ou anglicane, qui deviendra après la Révolution
américaine, l’Église épiscopale, tout en demeurant l’une des institutions religieuses les
plus riches et les plus puissantes des États-Unis. Puisque mon propos va se prolonger
au-delà des attentats du 11 septembre 2001, il importe de repérer que le World Trade
Center et ses tours jumelles se situaient très précisément sur ce périmètre historique des
terres de la Couronne d’Angleterre qui virent la naissance du King’s College, ancêtre de
Columbia University.
1.
2.
3.
LÉVI-STRAUSS 1962 ; voir aussi ZONABEND F. (1987) 2010.
On the Town, musique de Leonard Bernstein, 1944.
Découvreur du site en 1524, Giovanni da Verrazano, armé par François Ier, né à Cognac, avait donné à la
baie le nom de Nouvelle-Angoulême.
Anne RAULIN
41
Chemin chronologique faisant, trois moments fondateurs ou refondateurs de la ville
de New York sont déjà répertoriés : Manhattan, site de l’île anté-urbaine, garde fièrement
ce nom d’origine lenape, langue algonquine ; New Amsterdam, qui initia l’ère urbaine
européenne des lieux ; New York, qui implanta la Couronne d’Angleterre avec ses institutions religieuses et universitaires. D’autres s’ajouteront comme 9/11, qui n’est pas un
nom de lieu, mais une date, un numéro d’urgence, car New York connaît la puissance
onomastique des numéros, j’y reviendrai.
Ce défilé des noms donne ainsi un premier aperçu de la question de la fondation/
refondation, qui traduit la succession des formes de domination territoriale sur un site
privilégié, ici la baie de New York à l’embouchure de l’Hudson. En adéquation avec cette
question, la réflexion que je poursuis ici concerne moins l’espace que les temporalités
propres à la ville de New York et la façon dont elles se gravent dans l’espace urbain, dont
elles s’intègrent intimement à son plan et à ses lieux de vie. C’est par les noms de rue,
noms qui forment dans la ville le cadre d’une orientation quotidienne pour ses citadins
que j’en avais commencé l’étude. Une archéologie toponymique avait permis d’en exhumer les logiques fondatrices plus cryptiques, héritées des rapports complexes de cette ville
à l’histoire de la nation américaine4.
Dynasties foncières et gloires littéraires
Colonisations hollandaise et anglaise ont laissé des marques toponymiques très importantes en nommant les rues de la pointe sud de Manhattan par les patronymes des grands
propriétaires fonciers qui s’approprièrent d’immenses domaines le long de l’Hudson, faisant venir d’Europe des fermiers au statut proche du servage pour cultiver ces terres,
tout en possédant aussi des propriétés sur le territoire même de l’île. Hollandais, Anglais,
Wallons, Français, Écossais et Allemands y apposèrent, souvent de leur vivant, leur
empreinte dynastique, celle d’absentee landlords, plus présents en ville qu’à la campagne.
Ces grandes familles constituèrent l’aristocratie new-yorkaise d’où sont issues nombre de
ses gloires littéraires : James Fenimore Cooper, qui romança la disparition des Indiens dans
l’État de New York, épousa une Delancey, descendante d’une lignée huguenote française
dont les propriétés étaient autant rurales qu’urbaines ; Herman Melville qui, accusant la
ruine de sa noble famille, se fit matelot au long cours, se retrouve sous le nom de rue de
son illustre ancêtre Gansevoort dans les parages de Greenwich Village5 ; Edith Wharton
(1924), conjugue une ascendance hollandaise du nom de Rensselaer, famille possédant la
plus grande propriété foncière le long de l’Hudson, et une ascendance anglaise, celle des
Jones, autre dynastie puissamment implantée à Manhattan : elle retourna en Europe où
elle avait déjà passé une partie de son enfance ; elle y passa le reste de sa vie (elle est enterrée à Versailles) et formula dans ses écrits une virulente critique du monde aristocratique
new-yorkais qui se prétendait démocratique6. Il s’agissait d’épingler le genre de personnages tel Alexander Hamilton, un des pères fondateurs longtemps oubliés, qui bénéficie
aujourd’hui d’un regain d’intérêt sans précédent grâce à une comédie musicale hip-hop de
grand succès sur Broadway. Originaire des îles de la Caraïbe, cet homme d’État fut, parmi
ses diverses contradictions qui en font un personnage romantique, à la fois un fervent
défenseur de la libération des esclaves et un allié, par son mariage, d’une des plus grandes
4.
5.
6.
Voir RAULIN 1997.
Filiation lignagère qu’il décrit dans Pierre ou les ambiguïtés.
WHARTON (1924) 1993.
42
Recommencer New York
fortunes de l’île, les Schuyler, qui possédaient un très grand nombre d’esclaves. Ancien
étudiant de King’s College, il mourut, comme son fils, en duel, dans la plus grande tradition aristocratique.
Cette aristocratie foncière, de confession épiscopalienne le plus souvent, a joué un
rôle de premier plan dans la Révolution américaine, puis au xxe siècle : la dynastie newyorkaise des Roosevelt – Theodore et Franklin Delano – est là pour en témoigner. La
fierté des origines nobles européennes, la fortune acquise grâce au capitalisme marchand,
l’attachement aux terres ancestrales7, où F. D. Roosevelt naquit, grandit, exerça (en grande
partie) ses quatre mandats et mourut, sont l’autre face du style présidentiel qu’il créa,
cultivant un ton de familiarité avec ses auditeurs, et dont le New Deal et ses politiques
sociales restent l’héritage historique.
Révolution/rivalité
Après la Révolution, les noms de rue dédiés à la Couronne d’Angleterre furent remplacés par des titres plus adaptés : Crown devint Liberty, et ainsi de suite, on connaît le procédé. Mais la grande refondation new-yorkaise après la Révolution ne vint pas de l’Indépendance, mais de la destitution de son statut de capitale du nouvel État. En effet, George
Washington, père fondateur sans conteste et premier président des États-Unis d’Amérique, fut investi à New York, capitale de 1789 à 1790, mais jugea qu’il était plus prudent
de suivre les principes du Roi Soleil et de dissocier capitales économique et politique du
pays. En conséquence, il fonda sur ses propres terres – lui aussi était un très puissant propriétaire terrien – situées plus au sud, la capitale de son nom. New York connaissait alors
une expansion économique et démographique sans précédent et un plan d’aménagement
s’imposait pour contenir cette croissance urbaine : les choix des commissaires du plan
Randel conçu pour couvrir toute l’île jusqu’à la 155e Rue traduisent la volonté de se distinguer de la monarchiste Washington – monarchiste en ce qu’elle s’inspirait du plan du
parc de Versailles, bien que capitale du premier État démocratique moderne. New York
afficha sa préférence pour un strict plan en damier, sans fioriture en étoile symbolique du
pouvoir central, un découpage garant d’une égalité spatiale tout arithmétique, propice
aux transactions immobilières. Elle opta pour la grille numérale, sans nom, remettant à
zéro les compteurs de l’histoire et de la mémoire, plaquant une grille tant sur l’espace que
sur le temps : elle offrait une surface de projection libre pour le futur, et non pas pour le
passé. La rivalité entre grandes métropoles américaines connut ici un moment fondateur,
qui allait se répéter avec Chicago dans la hauteur des gratte-ciel à la fin du XIXe siècle : au
début de ce siècle, elle se joue à l’horizontale, dans les plans et les systèmes toponymiques.
En 1811, les commissaires de l’époque imaginaient qu’il faudrait plusieurs siècles avant
que la grille ne se remplisse. À la fin du siècle, l’urbanisation était achevée, la grille était
remplie et la densité de la population était telle qu’il devint urgent et nécessaire de concevoir dès les années 1850 un poumon vert dans la ville : à l’issue d’une campagne de presse
de grande envergure, la création de Central Park fut décidé. Son aménagement, qui dura
une vingtaine d’années, constitua en un sens un acte de refondation « écologique » en
7.
Elles s’étendent sur 6 km le long de l’Hudson et furent mises en valeur par plusieurs générations de
Roosevelt pratiquant un style de vie proprement aristocratique et fortement endogamique : F. D. Roosevelt
épousa Anna Eleanor Roosevelt, une cousine et nièce de Théodore Roosevelt, particulièrement engagée
dans les actions de justice sociale.
Anne RAULIN
43
plein cœur de la ville asphyxiée, remaniant radicalement le paysage, mais sans en effacer
absolument le relief, comme ce qui avait été fait précédemment dans Manhattan.
Ce nécessaire équilibre entre espace bâti et non bâti guida quelque peu le développement urbain du nord de l’île qui conserva en partie ses rochers et déclivités. Du point
de vue toponymique, une mixité numérale/nominale fut aussi au goût du jour : c’est
alors que la tradition des noms de grands propriétaires fonciers ou de notoriété strictement locale refit surface. Autrement dit, à l’heure de l’achèvement de l’urbanisation de
Manhattan, la tradition des origines, celles du sud de l’île, se réaffirmait à l’identique :
elle bouclait la boucle, suivant en cela un procédé de mémoire collective qui s’attache
au « tableau de ressemblances » comme le notait Halbwachs8. Pointe sud initiale, pointe
nord terminale, où furent transportés et reconstruits les Cloîtres médiévaux européens,
toutes les deux répètent le même registre onomastique. Entre les deux, les procédures de
renomination des rues n’ont cessé jusqu’à aujourd’hui de se multiplier, prouvant ainsi
l’importance symbolique de cette pratique ; toutes cultivent la mémoire locale en pratiquant la coïncidence toponymique, qui se traduit par l’adéquation stricte entre le nom et
le lieu (cf. fig. 1 à 3).
Depuis 1898, Manhattan n’est plus à elle seule New York. Elle devint (avec Brooklyn,
Queens, Bronx, Staten Island) un des cinq boroughs qui devaient former le grand New
York. Il lui reste son nom autochtone, natif, remontant à un temps d’occupation de
l’île par les Indiens Lenape, qui fut tout sauf urbaine. Source d’inspiration pour les écrivains, les poètes – Washington Irving le chérit, Walt Whitman célébra ce nom indien de
Manahatta avec une ferveur indépassable – ou les cinéastes, comme le film éponyme de
Woody Allen qui le mit à la verticale, sur une enseigne clignotante, sur fond de Gershwin
et de feux d’artifice. Son exotisme poétique exclut cependant toute réminiscence de ses
premiers occupants indiens, repoussés depuis les débuts de la colonisation hors de ses
limites. Il n’est cependant pas dit que l’histoire onomastique s’arrête là. The Big Apple,
nom lancé dans les années 1970 par une campagne promotionnelle de la ville alors en
faillite, a fait florès. Aujourd’hui, la part hispanique de ses habitants – les Neoyorquinos –
disent habiter « Nueva York ».
Catastrophes/destruction
Ces histoires de refondation new-yorkaise font (ou plutôt faisaient) partie de l’histoire
savante, explorée grâce aux matériaux d’archives, aux cartes et aux cadastres soigneusement conservés à la Map Division de la NY Public Library. Comment imaginer que ces
documents allaient refaire surface, s’afficher publiquement dans la rue, servir directement
et immédiatement les besoins de reconstruction d’une ville blessée, atteinte dans son
corps urbain par les attentats du 11 septembre 2001 ?
La désintégration des Twin Towers et l’excavation sur le site du World Trade Center
ont créé un vide qui – sans pouvoir être comparé à la perte d’êtres chers victimes des
attentats – n’en a pas moins constitué une source d’angoisse et de douleur, à la façon
dont un membre fantôme peut faire souffrir, sa sensation physique persistant malgré
l’amputation. Art Spiegelman publia en 2004 un album relatant sa propre expérience de
la tragédie sous le titre In the Shadow of No Towers, dont la traduction française accentue
encore la personnification : À l’Ombre des Tours Mortes. Ce vide physique s’est produit
8.
HALBWACHS 1950.
44
Recommencer New York
là où existait un plein que beaucoup jugeaient excessif, voire redondant (un « vertige du
redoublement9 » avait écrit Baudrillard, trois ans après l’achèvement des tours). C’est à la
place de ce trop-plein que fut creusée la fosse, et la perception de cette énucléation n’en
fut que plus vive.
Comment alors combler ce vide, comment les institutions locales ont-elles travaillé
à la suite de l’attentat à pallier ce manque non seulement visuel, mais aussi présentiel,
cet anéantissement physique, au cœur même de la ville ? Question qui a dû être posée
dans l’urgence, exigeant une réponse de premier secours, afin de surmonter l’angoisse du
néant, comme l’avait perçue Georges Perec, dont il faut rappeler l’intérêt pour New York
et en particulier pour Ellis Island10 : « Comment penser le rien sans automatiquement
mettre quelque chose autour de ce rien, ce qui en fait un trou, dans lequel on va s’empresser de mettre quelque chose, une pratique, une fonction, un destin, un regard, un besoin,
un manque, un surplus11… ? ». La réalisation d’un « mur d’exposition » ou viewing wall
sur les grilles entourant le site, constitua la réponse première, voire primordiale, élaborée
au cours des années 2002-2003, d’une des institutions muséales de Lower Manhattan, le
Skyscraper Museum. Sur ce support monumental, fut exposé ce qui restait dissimulé dans
les fonds d’archives ou les ouvrages spécialisés. La liste des noms des victimes et les panneaux où s’affichèrent cartes historiques et photographies anciennes du bâti du quartier
furent pendant longtemps les seuls remparts contre le désarroi et la stupeur qui faisaient
accourir les foules au lieu même de la catastrophe, sans autre matière à méditer que cette
béance à la place des tours.
Cette exposition photographique de plein air a rendu, dans des circonstances catastrophiques, une mémoire et un savoir au public affecté. Il s’agissait d’une formule urbaine
encore peu commune, alors que son développement n’a cessé depuis de s’affirmer, gagnant
les grilles des parcs et les murs de nombreuses métropoles. Souvent images d’ailleurs exposées pour le plaisir ou la curiosité des passants, elles peuvent aussi servir à réhabiliter des
quartiers victimes de leur mauvaise réputation, en se faisant par exemple les vecteurs
de respectabilité des habitants qui s’y trouvent représentés12. À Manhattan, ce sont les
images du passé de la ville qui ont été sollicitées pour proposer d’autres visions des lieux
aujourd’hui atteints dans leur intégrité. Ainsi fut jetée une bouée de sauvetage morale et
psychologique dans cet espace anéanti par le désastre du 11 septembre 2001. Par son titre,
elle affichait le message : Manhattan, A City of Resilience, Strength and Hope, « ville de résilience, de force et d’espoir » : quelle que soit la période concernée, depuis ses origines
coloniales, la ville avec son énergie particulière a été en mesure de relever tous les défis, y
est-il dit. Même si elle a connu des contrecoups, des chocs, des stagnations, son expansion
urbaine ne connaît pas de limites, que ce soit en largeur, comme l’illustre l’importance des
terres urbaines gagnées sur la mer dès l’époque hollandaise, ou en hauteur, en s’imposant
longtemps comme le sommet architectural du monde : c’est à la fin du XIXe siècle que la
compétition architecturale entre les différents quartiers de Manhattan, ou avec des villes
comme Chicago, devint un puissant moteur de son développement.
9.
10.
11.
12.
BAUDRILLARD (1976)
PEREC (1980) 1995.
PEREC 1974, p. 67.
VEIGA GOMES 2016.
Anne RAULIN
45
Re-naming the Streets/Renommer les rues, (re)fondation toponymique à Manhattan
À New York, la distinction honoriique par l’attribution d’un nom de rue se fait sans supprimer les noms ou numéros antérieurs, mais en surajoutant les uns aux autres. Qu’elles portent
initialement un numéro ou un nom, les rues sont renommées d’après des personnes qui
vécurent ou exercèrent dans le voisinage, et qui se distinguèrent d’une façon ou d’une autre.
Fig. 1 - Intersection d’Isaac Bashevis Singer Boulevard (86th Street) et d’Amsterdam Avenue.
Romancier de langues yiddish et anglaise, prix Nobel de littérature (1978), I. B. Singer résida
dans l’immeuble Belnord qui occupe un block entier sur le même croisement
(voir luxuryrentalsmanhattan.com/buildings/the-belnord).
46
Recommencer New York
Fig. 2 - Intersection de Jane Jacobs Way ([faisant partie d’]Hudson Street) et de 11th Street. J. Jacobs,
auteur du célèbre Death and Life of Great American Cities (1961), habitait dans ce block. À son initiative,
une grande mobilisation a sauvé le quartier, menacé de démolition dans le cadre de la rénovation
urbaine envisagée par Robert Moses et inspirée de Le Corbusier.
Anne RAULIN
47
Fig. 3 - Intersection de James P. Leahy Street et d’Hudson Street. Policier au commissariat local,
J. P. Leahy est mort en venant en aide aux pompiers opérant aux Twin Towers le 11 septembre 2001.
De nombreuses victimes du 9/11 ou du sida furent également honorées par un toponyme.
48
Recommencer New York
De la résilience à la refondation
Message de résilience donc, exhortant au rebond, à la capacité de se reconstituer après
avoir « encaissé » un choc, éprouvé un traumatisme, en sollicitant ses ressources propres,
internes. Certes, le terme de résilience était approprié au lendemain des attentats, mais
aujourd’hui, une quinzaine d’années plus tard, peut-on penser ce discours en d’autres
termes ? Celui de refondation ne viendrait-il pas lui donner une profondeur historique et
mythologique qui fait défaut à la résilience ? Face à l’ébranlement de ses fondations architecturales, de ses édifices emblématiques (les Twin Towers), face à la prise de conscience de
sa vulnérabilité, quelle interprétation de son histoire, quelle iconographie, quelle image
d’elle-même Manhattan dut-elle mettre en avant pour se redéfinir, se reprendre, se réaffirmer comme ville toute puissante, invincible ?
Depuis la fin de la guerre de Sécession (dans cette période dite Gilded Age) jusqu’au
début des années 1930 – la crise de 1929 et son krach boursier interrompant brutalement
le développement immobilier dans son environnement immédiat –, ce long demi-siècle
a donné corps à un ensemble architectural unique au monde, réalisant une version inédite de la ville comme œuvre d’art. La diversité des styles de référence y est étonnante et
mobilise des sources d’inspiration issues de tous les continents et de toutes les périodes.
Bien des architectes new-yorkais furent formés à l’École des beaux-arts de Paris au milieu
du XIXe siècle, et ils n’ont pas hésité à se réapproprier tous les héritages architecturaux de
l’humanité, qu’ils soient de tradition profane ou sacrée. Le skyline de Lower Manhattan
(son « profil iconique »), arrêté dans son développement par la crise de 1929 puis par la
Seconde Guerre mondiale, se dressa inchangé jusqu’à la fin des années 1950, où commença une nouvelle vague de construction de style moderne ou international.
Les années 1960 et 1970 furent témoins d’une extraordinaire transformation physique
de Lower Manhattan : une nouvelle génération de gratte-ciel poussa à South Ferry et dans
le cœur historique, le World Trade Center et ses tours jumelles furent réalisés. Les Twin
Towers s’imposèrent alors comme un record tous azimuts dans le contexte de la conquête
spatiale qui vit des astronautes américains alunir en 1969.
Or cette compétition, qui s’affirme entre quartiers de développement distinct de
la même ville, entre villes de la même nation et entre nations, se traduit sur le sol de
Manhattan par un ballet de renouvellement architectural sans précédent, entraînant un
cycle de construction, démolition, reconstruction peut-être unique au monde. Parmi la
dizaine de ces gratte-ciel majestueux construits au tournant du XXe siècle, quatre d’entre
eux ont déjà été démolis (Gillender Building 1897-1910 ; Bankers Trust 1912-1931 ;
City Investing Company Building 1908-1969 ; Post Office 1875-1939), prouvant
une durée de vie relativement courte, entre une douzaine et une soixantaine d’années.
Particulièrement remarquée fut l’épopée du Singer Building : bâti à cette même époque,
en 1908, il demeura, cinq ans durant, le gratte-ciel le plus haut du monde (612 pieds)
avant d’être détrôné par le Woolworth Building à quelques rues de là sur la même artère
de Broadway, puis d’être détruit pour donner place à un immeuble de verre noir qui
survécut à la chute des tours. De même, la petite St. Paul’s Chapel, édifice religieux le
plus ancien de NY, miraculeuse rescapée du désastre, doit à cela son surnom de Little
chapel that stood. « La petite chapelle toujours debout » participe elle aussi de cette histoire
de refondation en ce qu’elle demeure un témoignage de la continuité des lieux et des
institutions : construite en 1764 comme chapelle de voisinage de la paroisse de Trinity
Church, appartenant à la puissante Église épiscopale héritière de l’Église d’Angleterre, elle
Anne RAULIN
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a survécu aux feux de la Révolution, puis aux destructions massives de la course immobilière, enfin à la chute des tours situées dans son immédiate proximité13.
Refondation permanente
Lower Manhattan se définit ainsi comme une ville en reconversion permanente, une
ville-phénix animée d’une capacité de renouvellement extrêmement rapide. Elle n’est pas
une ville de sédimentation historique, une ville éternelle à la façon de Rome, mais une ville
dont l’énergie est à elle-même une garantie d’éternité – ce que Walt Whitman qualifiait
de « pull-down-and-build-over-again spirit ». Cette énergie vitale exceptionnelle voue la ville
à se recomposer par delà toutes les ruptures, volontaires ou accidentelles, mieux, à être
dépassée par son propre élan, à se surprendre par sa flagrante « surcroissance ». Dans ces
cycles de building, unbuilding, rebuilding caractéristiques de l’histoire de New York prend
place la destruction des tours jumelles, mais par ce discours, elle est assimilée à une démolition, ce qui ne manque pas d’interroger. Ainsi David Harvey tourna-t-il la question : le
capitalisme financier ne serait-il pas plus destructeur, la boule du démolisseur ne serait-elle
pas plus ravageuse que les attentats14 ? Sur le plan immobilier et économique, l’argument se
justifie, mais il se révèle difficilement soutenable en ce qui concerne les victimes.
La capacité régénérative signe ici la personnalité urbaine de NY. C’est un hymne à
l’énergie constructive, créatrice de Manhattan, à sa puissance urbaine de fabrication, de
création. Pour ne pas en rester à l’interprétation psychologique de la résilience – qui eut
cependant ses mérites dans le désarroi post-catastrophe –, on pourrait dans ce cas parler d’une idéologie de « refondation permanente » puisant son énergie dans sa situation
insulaire, son sol même, son bedrock, sa table granitique, dans son histoire locale, autoréférentielle, qui l’autorise à se reconquérir, et à reconquérir à ses propres yeux sa place
de « capitale du monde ». Ville globale par excellence, NY reste attachée viscéralement à
Manhattan, à sa qualité d’île et à sa mémoire locale. En cela, elle inaugure certains traits
de la « ville générique » dépeinte par Rem Koolhaas15.
Pour revenir à notre point de départ, celui d’aborder la question de la refondation par
les noms, nom de la ville et noms dans la ville, qui solliciter d’autre que Walt Whitman ?
Évoquons une strophe de son poème Manahatta :
« Comme je recherchais du précis du parfait pour ma cité
Tout à coup surgit comment, mais bien sûr ! Son nom d’origine !
Ah ! Vraiment j’ai compris aujourd’hui tout ce qu’il pouvait y avoir dans un nom
Comme plénitude liquide débridée comme musicalité autonome
J’ai compris que c’était ce mot ancien qui convenait à ma cité16. »
Cette citation ne vient pas ici comme une formule de style convenue, mais pour rappeler combien le genre poétique participe du récit de fondation « qui satisfait un certain
patriotisme local17 », et ce depuis l’Antiquité. Or « ce mot ancien qui convenait à ma cité »
est strictement autochtone. Il enracine New York dans son exception topographique et la
rattache à une histoire précoloniale contrebalançant ses autres noms qui, eux, portent sans
équivoque la réminiscence de la geste coloniale et affirment les continuités européennes.
13.
14.
15.
16.
17.
Sur St. Paul’s Chapel au lendemain du 11 septembre 2001, voir RAULIN 2012.
HARVEY 2003.
KOOLHAAS (1995) 2011.
WHITMAN (1881) 1996.
PAYEN 2010.
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Recommencer New York
Ce paradoxe onomastique fondateur actualise l’une des dimensions propres aux « mythes
fondateurs de la nation américaine18 » : son ancrage dans la « sauvagerie » du continent
nord-américain lui permet d’affirmer son indépendance par rapport à ses anciennes
nations colonisatrices et alimente son sens de l’enracinement.
À New York, l’affleurement des origines est tout sauf nostalgique : aucun mal du retour,
aucune saudade. Si la refondation doit nécessairement en passer par le rappel des origines,
ce ne sera que pour repartir de plus belle, et pousser encore plus haut. New York se situe
du côté de la reprise, comme le formulait Kierkegaard : « [r]eprise et ressouvenir sont un
même mouvement, mais en direction opposée ; car, ce dont on a ressouvenir, a été ; c’est
une reprise en arrière ; alors que la reprise proprement dite est un ressouvenir en avant19 ».
La puissance mythologique de Manhattan s’affirme dans cette capacité de reprise « proprement dite » – qui fait prendre demain pour aujourd’hui.
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