Du 6 au 18 septembre 2017
Centre Pompidou—Galerie 3
Un projet d’Eric Baudelaire
September 6 to 18, 2017
Centre Pompidou—Gallery 3
A project by Eric Baudelaire
après
Après est un projet sur le temps présent.
Un temps ressenti comme un enchevêtrement
constant d’après : après l’événement, après la catastrophe, après le bouleversement des certitudes.
Un enchevêtrement qui conditionne l’espace
de la pensée, un temps dominé par les impératifs
de l’urgence.
Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris
et Saint-Denis, j’ai ressenti l’urgence de chercher
une forme pour penser ce qui était en train
de se dérouler. Le premier ministre avait déclaré :
« il ne peut y avoir aucune explication qui vaille.
Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »
Le philosophe Alain Badiou avait répondu :
« La déclaration de l’impensable c’est toujours
une défaite de la pensée, et la défaite de la pensée
c’est toujours la victoire précisément des comportements irrationnels, et criminels. »
Il y a, il y a toujours eu urgence à interroger
l’embrasement des violences et des contreviolences. Mais interroger les violences, ce n’est
pas les expliquer, c’est nous interroger nousmêmes face à elles. J’ai abandonné les outils que
je maniais auparavant, ceux des sciences politiques,
parce qu’ils ne me permettaient plus de restituer
ce que je discernais du monde. Je cherche, depuis,
un principe de travail qui admette que l’on
se sente perdu face à l’indicible, en sachant
que l’indicible doit pourtant avoir ses raisons.
Après [after] is a project about the present time.
A time experienced as a constant entanglement
of afters: after the event, after the disaster, after
the upheaval of certainties. An entanglement that
conditions our thoughts, a time that is dominated
by the imperatives of urgency.
After the attacks of 13 November 2015 in Paris
and Saint-Denis, I felt it was urgent to ind a form
to relect on what was occurring. The French
prime minister had stated, “there can be no
meaningful explanation. To explain is akin to
wanting to ind excuses.” The philosopher Alain
Badiou replied, “The declaration of the unthinkable
is always a defeat of thought, and the defeat of
thought is always a victory, precisely, of irrational
and criminal behaviour.”
There is, and always has been, an urgent
need to question spirals of violence and counterviolence. But questioning violence does not mean
explaining it, it means questioning ourselves
in the face of it. I left behind the tools I was used
to handling—those of political science—because
they no longer helped me render what I perceived
of the world. I have since sought a working
principle that accepts being at a loss in the face
of the unspeakable, while acknowledging that
the unspeakable must have its reasons.
I began working on Also Known As Jihadi, the
starting point of this exhibition, with the idea of
J’ai commencé à travailler sur le ilm
Also Known As Jihadi, point de départ de
cette exposition, avec l’idée de faire le portrait
d’un jeune Français qui a choisi de partir en Syrie.
C’est un ilm qui ne donne pas à voir un personnage
mais qui tente de tracer son cheminement par
l’auscultation quasi-méthodique des lieux dans
lesquels il a vécu et des paysages qu’il a traversés.
La clinique où il est né à Vitry, les ensembles où
il a grandi, son lycée, l’université, le travail, et
puis l’envol pour l’Égypte, la Turquie et inalement
la route d’Alep, où il a rejoint le Front al-Nosra en
2012. C’est un ilm sans paroles. Un ilm où les
mots sont donnés à lire, où les mots font image.
Ils sont extraits du dossier judiciaire impliquant
le protagoniste : procès verbaux d’interrogatoires
de police, écoutes téléphoniques, ilatures,
perquisitions. La rencontre de ces mots-images
avec les paysages visuels et sonores crée un espace
dans lequel le personnage n’est plus singulier.
Il pourrait être un autre. Il pourrait être soi-même.
Il ne s’agit pas de déceler de vérité, il n’y en a
pas dans cette histoire. Il s’agit plutôt de poser
un cadre. Un cadre dans lequel s’exprime,
pour reprendre les mots de Pierre Zaoui, « une
sorte de volonté constamment double, volonté
de comprendre et de ne pas comprendre, volonté
de comprendre ce que l’on ne comprend pas et
volonté de ne pas comprendre ce que l’on craint
de comprendre trop bien. Ce qu’on pourrait
écrire : volonté de (ne pas) comprendre, en
son triple sens de voir, entendre et partager. »
Cette volonté, ce principe de travail, m’ont mené
à vouloir montrer le ilm au sein d’un projet plus
large. Interroger les événements qui nous inquiètent non pas en tant que journalistes, politologues
ou spécialistes, mais dans un rapport à l’art.
Chercher dans les réserves du Centre Pompidou
des œuvres et des documents qui dialoguent avec
le ilm, et les présenter au sein d’un programme
d’événements et de discussions quotidiens.
Ce journal est la partition du projet. Il est
organisé, comme l’exposition, selon un principe d’abécédaire incomplet, arbitraire et intuitif :
A pour Architecture, C pour Commémorer, H pour
Hypnose, R pour Rendre des comptes, T pour
le Temps presse… Douze lettres qui ont instruit
les discussions avec Marcella Lista, commissaire
de cette exposition, lorsque nous avons choisi des
œuvres, initié des invitations, et rédigé des textes.
Douze jours pour penser ensemble le rapport
entre art et actualité, entre image et événement.
L’urgence évoquée ici s’inscrit dans un temps
long. Les certitudes qui me permettaient,
avant, d’imaginer un horizon meilleur
drawing the portrait of a young Frenchman
who chose to go to Syria. The ilm does not
show a character. It tries instead to trace his story
through a quasi-methodical auscultation of the
places where he lived, the landscapes he inhabited—the clinic where he was born in Vitry,
the housing estates he grew up in, his high school
and university, his workplaces. And then, the light
to Egypt, Turkey, and inally the road to Aleppo,
where he joined the al-Nusra Front in 2012.
It is a ilm without words. Or rather, a ilm where
the words are read on screen, where words become
images. They are excerpts from the protagonist’s
judicial ile: transcripts of police interrogations,
wiretaps, surveillance reports and search warrants.
The encounter of these words-as-images with
the visual and sound landscapes of the ilm creates
a space in which the character is no longer singular. He could be another. He could be oneself.
It is not about inding truth: there is none
in this story. Rather, it is a matter of establishing
a framework. A framework to express, in the words
of Pierre Zaoui, “a kind of ever-divided desire:
the desire to understand and to not understand,
the desire to understand what we do not understand and the desire not to understand what
we are afraid of understanding all too well. Or it
could be written: the desire (not) to understand,
in its threefold sense—to see, to hear, and to share.”
This desire, this working principle, led me
to want to show the ilm within a broader project,
one that would allow us to examine the events that
trouble us not as journalists, political scientists
or specialists, but in relation to art. To experience
other works and documents drawn from the
Pompidou collection that interact with the ilm,
and present them as part of a programme
of daily events and discussions.
This journal is the score of the project. It is
organised, like the exhibition, around an incomplete, arbitrary and intuitive list of words and
corresponding letters: A for Architecture, C for
Commemoration, H for Hypnosis, R for Reckoning,
T for running out of Time... Twelve words that
guided my discussions with Marcella Lista,
curator of this exhibition, as we selected works,
drew up invitations, and drafted texts. Twelve
days to relect on the relationship between art
and actuality, between images and events.
The urgency evoked here has settled in, we
will face its duration. The certainties that allowed
me, before, to envision a brighter horizon have
deteriorated along the way. The solutions proposed
today are usually driven by haste and short-term
considerations. So we must rethink duration.
se sont abîmées en chemin, et les solutions
proposées aujourd’hui sont le plus souvent celles
de la précipitation et du court terme. Alors il faut
repenser la durée. Chercher, du côté de l’histoire de l’art, des formes critiques et des idées.
Le temps presse d’envisager le temps autrement.
We must seek, within the history of art, critical
forms and ideas. Time is pressing to consider
time diferently.
Eric Baudelaire
Eric Baudelaire
Du 6 au 18 septembre 2017
Also Known As Jihadi,
d’Eric Baudelaire
2017, 101 min
Séance chaque jour
à 11 h, 13 h, 15 h et 17 h
Mercredi 6 septembre, 19 h
A pour Architecture
Échange entre
Patrick Bouchain, architecte,
Salika Amara, auteure et
militante associative,
et Eric Baudelaire, modéré
par Xavier Wrona, architecte.
Jeudi 7 septembre, 19 h
C pour Commémorer
La Bombe, de Peter Watkins,
1965, 48 min.
Vendredi 8 septembre, 19 h
E pour École
Discussion avec trois
enseignants : Philippe Mangeot,
Laurence de Cock et
Anne Tristan, et des élèves
de la région parisienne.
Samedi 9 septembre, 19 h
F pour Fûkeiron,
la théorie du paysage
AKA Serial Killer,
de Masao Adachi, 1969, 86 min
( japonais, sous-titré en anglais).
Projection suivie d’une
discussion avec Claire Atherton,
monteuse, Nicole Brenez,
historienne et théoricienne
du cinéma, et Eric Baudelaire.
Dimanche 10 septembre, 19 h
H pour Hypnose
Discussion avec
Zohra Harrach-Ndiaye,
juriste et directrice de services,
Sauvegarde de Seine-St-Denis,
Camilo Ramirez, psychanalyste,
et Catherine Perret, philosophe,
modérée par Ariane Chottin,
psychanalyste.
Lundi 11 septembre, 19 h
J pour Justice
Plaidoirie à charge
par un procureur et plaidoirie
à décharge par Negar Haeri,
avocate. Rapport d’enquête
par Zineb Dryef, journaliste.
Discussion sur les enjeux
de justice animée par
Antoine Garapon, magistrat.
Mercredi 13 septembre, 19 h
L pour artistes en Lutte
Conversation avec
Jon Hendricks,
membre fondateur du GAAG
(Guerrilla Art Action Group).
Jeudi 14 septembre, 19 h
M pour Mouvement-image
Mohamed Salah Azzouzi
(Collectif Mohamed), cinéaste
et militant, en conversation
avec Olivier Marboeuf, auteur,
critique et commissaire.
Vendredi 15 septembre
O pour Ô mon pays !
Deux spectacles du Théâtre
Pôle Nord : Chantal dans les
étoiles à 14 h, et Sandrine à 19 h.
Samedi 16 septembre, 19 h
P pour Présent / Passé
Reprise, de Hervé Le Roux,
1997, 185 min.
Dimanche 17 septembre, 19 h
R pour Rendre des comptes
The Emperor’s Naked Army
Marches On, de Kazuo Hara,
1987, 122 min (en japonais,
sous-titré en anglais).
Projection suivie d’une conversation avec Eric Baudelaire,
Marcella Lista et
Hyeseon Jeong.
Lundi 18 septembre, 19 h
T pour le Temps presse
Discussion avec Pierre Zaoui,
Hala Abdallah, Salam Kawakibi
et Véronique Nahoum-Grappe,
du Comité Syrie–Europe.
Du 6 au 18 septembre 2017
Also Known As Jihadi
d’Eric Baudelaire
Séance chaque jour
à 11 h, 13 h, 15 h et 17 h
September 6 to 18, 2017
Also Known As Jihadi
by Eric Baudelaire
Screening each day at
11 am, 1 pm, 3 pm and 5 pm
L’histoire possible d’un homme, Aziz, racontée
à travers les paysages qu’il a traversés : la clinique
où il est né à Vitry, les quartiers où il a grandi,
son lycée, l’université, le travail, et puis l’envol
pour l’Égypte, la Turquie et inalement la route
d’Alep, où il a rejoint le Front al-Nosra, en 2012.
Un trajet jalonné par une seconde strate de récit,
portée par des extraits d’une archive judiciaire :
interrogatoires de police, écoutes téléphoniques,
ilatures… Des documents, comme les pages
d’un scénario, qui se mêlent aux images et aux
sons, pour composer un ilm qui porte moins
sur un sujet singulier, Aziz, que sur le paysage
architectural, politique, social et judiciaire dans
lequel son histoire s’est déroulée.
Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017,
couleur, français sous-titré anglais, 101 min.
The possible story of a man, Aziz, told through
the landscapes he traversed: the clinic where
he was born in the Parisian suburb of Vitry,
the neighbourhoods he grew up in, his schools,
university and workplaces. Then, his departure
to Egypt, Turkey and the road to Aleppo where
he joined the ranks of the al-Nusra Front in
2012. A journey tracked by a second storyline,
made of extracts from judicial records: police
interrogations, wiretaps, surveillance reports...
Documents, like pages from a script, intertwined
with images and sounds to compose a ilm
that pertains less to a singular character, Aziz,
than to the architectural, political, social and
judicial landscapes in which his story unfolds.
Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi,
2017, colour, French, English subs, 101 min.
Le ilm Also Known As Jihadi s’ouvre sur
un panorama du Val-de-Marne. On y discerne
plusieurs strates de bâti : les cheminées des
sites industriels, les pavillons d’une banlieue
ouvrière, et les barres des grands ensembles.
L’abécédaire d’Après débute avec la lettre
A pour Architecture, il ouvre sur la réalité de
cette périphérie. Cette nouvelle forme de ville,
inspirée des préceptes de l’urbanisme moderniste, a été promue dans l’après Seconde
Guerre mondiale. Progrès social considérable que cette in provisoire des bidonvilles,
comme en témoignent de nombreuses images
documentaires des années 1960. Environnement rapidement aliéné et aliénant, que les
politiques publiques peinent à réinventer
depuis plusieurs décennies.
The ilm Also Known As Jihadi opens with
a panorama of Val-de-Marne. We see several
layers of construction: the chimneys of
industrial sites, the houses of a working-class
suburb, and rows of high-rise housing estates.
Après [after] begins with the letter A for
Architecture, opening the exhibition with the
reality of this urban periphery. A new type of
city plan, inspired by the principles of modernism, was promoted after the Second World War.
Numerous documentary images from the
sixties show how this temporary solution to
shantytowns was seen to represent considerable social progress. But these same urban
landscapes rapidly became an alienated and
alienating environment, which public policy has
been trying to reinvent for several decades.
A pour Architecture
A for Architecture
L’utopie annoncée par la vision moderniste
a cédé la place à un réel dystopique dans les
banlieues. Une histoire complexe qui ne saurait se
résumer à des questions d’architecture — à moins
d’étendre le sens du terme à tout un système
politique, comme l’a fait George Bataille. Quelques
étapes de cette histoire nous paraissent importantes pour envisager d’autres futurs.
The utopia of the modernist vision has given
way to the dystopian reality of the banlieue.
This complex history cannot be reduced strictly
to issues of architecture—unless we expand the
meaning of the term to an entire political system,
as Georges Bataille did. A few stages in this
history seem particularly relevant if we are
to envision alternative futures.
Œuvres exposées
Exhibited works
En 1922, l’architecte Le Corbusier décrit la « crise
intense » qui traverse selon lui les villes : il les juge
inadaptées, malades, propres à « déclencher des
révolutions » et annonce qu’elles « ne peuvent
répondre aux transformations de la vie moderne.
Il faut les transformer. » La même année, il présente
à Paris son premier projet de cité idéale, la Ville
Contemporaine de 3 Millions d’Habitants. Usant
de dispositifs immersifs, dont un immense
diorama, il dévoile sa vision du futur mode
de vie urbain. Conçue autour d’unités d’habitation
groupées, sa cité contemporaine veut créer les
conditions d’une « collectivité harmonieuse » : mise
à disposition de services communs, orientation
solaire optimale pour chaque appartement,
In 1922, the architect Le Corbusier described
a “severe crisis” he believed was sweeping across
towns and cities: he deemed them to be unsuitable, sickly, likely to “spark revolution”, and
declared that they were “incapable of responding
to the transformations of modern life. They must
be transformed”. That same year, in Paris, he
presented his irst plan for an urban ideal, titled
Contemporary City for 3 Million Inhabitants. Using
immersive techniques, including a huge diorama,
he unveiled his vision of a future urban way of
life. Conceived around grouped living units,
his contemporary city sought to create the conditions for a “harmonious collectivity” that included
common services, optimal solar orientation
des espaces extérieurs, des jardins… Un projet
de société monumental, égalitaire dans ses intentions, où viendraient vivre les mal logés des
bidonvilles de Nanterre et d’ailleurs.
Le ilm documentaire Le Joli Mai (1962) de
Chris Marker et Pierre Lhomme montre la promesse de cette vision, notamment dans une scène
où une famille nombreuse, après plusieurs
requêtes auprès de l’administration, voit
sa demande de relogement aboutir. Les cinéastes
ilment l’émotion de la mère quittant le baraquement exigu où elle vit avec ses neuf enfants, et
sa joie lorsqu’ils emménagent dans l’appartement
spacieux d’une cité toute neuve. L’usage et
le temps tempèreront l’enthousiasme des habitants, comme en témoigne un document de l’INA
datant de 1992. L’architecte Georges Candilis
retourne à Toulouse, au Mirail, un des ensembles
massifs qu’il a dessinés vingt ans plus tôt avec une
ambition qui renvoie à l’imaginaire de la Ville
Contemporaine de 3 Millions d’Habitants du
Corbusier. À la question « Reconnaissez vous
Le Mirail ? », l’architecte répond « Oui et non ».
L’habitant lui dit « Je ne vous félicite pas monsieur ».
L’architecte poursuit sa visite chez un couple de
retraités, très heureux de l’appartement de 110 m2
qu’ils occupent : « Avoir un F4 à ce prix-là à
Toulouse, je me demande si je retrouverais ça…
Certainement pas. »
Il ne pourrait y avoir de procès de l’architecture sans procès des politiques économiques
et sociales qui ont déterminé les conditions de vie
dans les grands ensembles de banlieue. Il ne suit
pas de détruire le bâti pour résorber le malaise.
Au moment où l’on dynamitait les barres du
quartier Balzac à Vitry, devenu emblématique
du problème de délabrement et de criminalité
dans les cités, les habitants pleuraient.
Quelques mois avant le krach de 1929, dans
un article pour le deuxième numéro de la revue
Documents, l’écrivain Georges Bataille repense
le terme Architecture, qu’il ne considère plus
comme « le jeu savant correct et magniique des
volumes assemblés sous la lumière » qu’y voyait
Le Corbusier. Aux yeux de Bataille, l’architecture
n’est plus la production d’un bâti exemplaire
qu’il faut démocratiser, mais la soumission à un
ordre, la mise en projet d’une société toute entière
« où tout est prévu dans une existence sans air ».
Une autre perspective sur la portée et
la méthodologie du travail architectural nous
semble pertinente aujourd’hui, alors que le Grand
Paris se dessine sans consultation efective de ses
habitants. Au Portugal, au lendemain de la Révolution des Œillets de 1974, le SAAL (Serviço
for each apartment, outdoor spaces, gardens
and more. It was a monumental social project,
egalitarian in its intent, where the bereft inhabitants of shantytowns in Nanterre and elsewhere
would come live.
The documentary ilm Le Joli Mai [The Lovely
Month of May] (1962) by Chris Marker and Pierre
Lhomme shows us the promise of this vision,
in particular in a scene where a large family
inally has its application for rehousing granted
after several requests to the authorities. The ilmmakers capture the emotion of the mother leaving
the cramped shack where she lives with her
nine children, and her joy when they move into
a spacious lat in a brand new housing estate.
But time and wear were to temper the enthusiasm
of the inhabitants, as demonstrated by an archival
document from 1992: the architect Georges
Candilis returns to Toulouse to visit Le Mirail,
one of the massive complexes he designed twenty
years earlier with a scale and ambition that seems
drawn from Le Corbusier’s Contemporary City
for 3 Million Inhabitants. Asked “Do you recognise
Le Mirail?”, the architect replies, “Yes and no.”
The inhabitant tells him, “This is nothing to be
proud of.” Continuing his visit, the architect drops
in on a retired couple who are very happy with
their 110 m2 living space: “A three-bedroom lat at
this price in Toulouse... I doubt I would be able
to ind anything like this now—surely not.”
Architecture alone cannot be put on trial
without also calling to the stand the economic and
social policies that have determined living conditions in these grim suburban housing estates.
Destroying buildings and erecting new ones
is not enough to cure the malaise. When the highrises of Vitry’s Balzac estate, which had become
emblematic of dilapidation and high crime rates,
were inally demolished, the inhabitants
were in tears.
A few months before the 1929 crash, in an
article for the second issue of the journal Docu
ments, Georges Bataille re-examined the word
Architecture, no longer seeing in it “the masterly,
correct and magniicent play of masses brought
together in light” that Le Corbusier believed
it to be. In Bataille’s view, architecture no
longer meant producing an exemplary type
of building that is to be democratised, it meant
submitting to an order, the organising of an entire
society “where everything was planned ahead
in an airless existence”.
A diferent perspective on the range and
methodology of architectural work appears
relevant today, as an expanded Paris continues
Ambulatório de Apoio Local / Service Ambulant de
Soutien Local) a réalisé 170 projets impliquant plus
de 40 000 familles pendant deux ans. SAAL
fut une expérience architecturale autant que politique. Rompant avec la pratique démiurgique de
l’urbanisme, les « brigades » de SAAL, animées
par des architectes, ont tenté de développer des
solutions de logement destinées aux quartiers les
plus délabrés, conçues et dessinées avec la contribution directe des résidents eux-mêmes.
Xavier Wrona,
Eric Baudelaire & Marcella Lista
to be developed without efective consultation
of its inhabitants. In Portugal, in the wake of
the Carnation Revolution of 1974, SAAL (Serviço
Ambulatório de Apoio Local /Ambulatory Local
Support Service) carried out 170 projects involving
more than 40,000 families over a two-year
period. SAAL was as much an architectural
experience as a political one. Breaking with the
demiurgic practices of urban planning, SAAL’s
“brigades”, steered by architects, sought to develop
housing solutions for the most dilapidated neighbourhoods, conceived and designed in direct
collaboration with the residents themselves.
Xavier Wrona,
Eric Baudelaire & Marcella Lista
Programme
6 septembre à 19 h
Échange entre Patrick
Bouchain, Salika Amara
et Eric Baudelaire, modéré
par Xavier Wrona
Programme
6 September, 7 pm
Discussion between Patrick
Bouchain, Salika Amara
and Eric Baudelaire,
moderated by Xavier Wrona
C’est sous le signe de la déinition de Georges
Bataille que Xavier Wrona, architecte, propose
d’échanger et de regarder des documents
d’archives qui jalonnent cette histoire de la
construction de la banlieue, du début du XXe siècle,
et du second Après Guerre. Ce moment de discussion collective rassemblera l’architecte Patrick
Bouchain, conseiller de Jack Lang sous la présidence de François Mitterrand, Salika Amara,
auteure et militante associative, et Eric Baudelaire.
In light of Georges Bataille’s deinition, architect
Xavier Wrona proposes a discussion and examination of archival documents punctuating
this history of the construction of the “banlieue”,
both in the early 20th century and in the period
after the Second World War. The group debate
will feature architect Patrick Bouchain, adviser
to Jack Lang, minister of culture during François
Mitterrand’s presidency, Salika Amara, a writer
and community activist, and Eric Baudelaire.
A
F
B
D
A Le Corbusier, Ville Contemporaine de 3 Millions d’Habitants,
perspective aérienne, 1922, encre de chine sur calque cuir
B Le Corbusier, Ville Contemporaine de 3 Millions d’Habitants,
perspective en couleur, 1922, gouache sur papier C Le Corbusier,
Ville Contemporaine de 3 Millions d’Habitants, diorama, 1922, tirage n&b
D Documents, n o 2, mai 1929 E Chris Marker et Pierre Lhomme,
Le Joli Mai, 1963, 16 mm (numérisé), n&b, 156 min F Les Courtillières,
Pantin, 1999, tirage couleur
C
E
A Le Corbusier, Contemporary City for 3 Million Inhabitants, aerial
view, 1922, China ink on tracing paper B Le Corbusier, Contemporary
City for 3 Million Inhabitants, 1922, gouache on paper C Le Corbusier,
Contemporary City for 3 Million Inhabitants, diorama, 1922, b&w print
D Documents, n o 2, may 1929 E Chris Marker and Pierre Lhomme,
Le Joli Mai [The Lovely Month of May], 1963, 16 mm (digitised), b&w,
156 min F Les Courtillières, Pantin, 1999, colour print
Faire un ilm après une catastrophe, c’est aussi
faire un ilm avant les nouvelles catastrophes
qui suivront inéluctablement. Faire œuvre
dans un rapport avec les tragédies du présent
ouvre donc la question de la commémoration.
Pour Maurice Blanchot, « il y a une limite où
l’exercice d’un art, quel qu’il soit, devient une
insulte au malheur ». Certains artistes ont abordé
le problème en sens inverse : ce serait faire
insulte au malheur que de ne pas exercer l’art
pour en repousser les limites. Dans les deux
cas, une chose est certaine : la prolifération
de monuments commémorant les catastrophes
n’endigue aucunement la prolifération des catastrophes. Alors à quoi bon cet acte de mémoire ?
Commémorer pour quoi, et comment ?
To make a ilm after a catastrophe is also
to make a ilm before the catastrophe that will
inevitably follow. Work that draws on current
tragedies naturally engages the question
of commemoration. For Maurice Blanchot,
“there’s a limit beyond which practicing
art, whatever it may be, becomes an insult
to misfortune”. Some artists have approached
the problem from the opposite angle: it would
be an insult to misfortune not to practice
art to push back its limits. In either case, one
thing is certain: in no way does the proliferation
of monuments commemorating catastrophes
halt the proliferation of catastrophes themselves. So, what good is there in the act of
remembrance? Why commemorate—and how?
A
B
C pour Commémorer
C for Commemoration
À contre-courant des cycles ultra-rapides, du
bruit constant de l’information et de l’inéluctable
récupération politique des tragédies hebdomadaires, certaines œuvres problématisent l’échelle
temporelle dans la forme du mémorial lui-même,
aspirent à briser le rythme des catastrophes
et de leur commémoration dans le silence, ou
l’inini. D’autres proposent d’inverser la séquence
catastrophe / mémorial, et de commémorer non
pas un événement passé, mais les tragédies
à venir. Pour ces artistes, il faut ériger des monuments de manière préventive, comme autant
de pamphlets anticipatoires de cataclysmes
éminents mais évitables.
Against the grain of ultra-rapid news cycles,
the constant clamour of information and the inevitable political hijacking of weekly tragedies, some
works problematise timescales within the very
form of the memorial: seeking to disrupt the
pace of catastrophe, invoking silence, tending
towards ininity. Others mean to reverse the catastrophe / memorial sequence by commemorating,
not the past, but future tragedies. For these artists,
monuments must be erected as checks—like
anticipatory denunciations of imminent yet
avoidable catastrophes.
Œuvres exposées
Set along an axis stretching 1300 metres east to
west is a group of three sculptures by Constantin
Brancusi, commissioned in 1935 by a citizens’
association from the artist’s hometown to
commemorate Romanian soldiers fallen while
defending Târgu Jiu in 1916. A table like a clock
face surrounded by twelve hourglass-shaped
stools set just far enough from the table to prevent
leaning on it (Table of Silence); a marble arch with
sensually-adorned pilasters to walk through,
its title inviting contemplation on the notion of
reconciliation (Gate of the Kiss); and an abstract
S’étirant d’ouest en est sur un axe de 1300 mètres,
un ensemble de trois sculptures de Constantin
Brancusi répond à une commande d’une association citoyenne de sa ville natale, en 1935, pour
commémorer les soldats roumains tombés
en défendant Târgu Jiu en 1916. Une table, comme
un cadran d’horloge entouré de douze tabourets
en forme de sabliers, suisamment éloignés
de la table pour qu’on ne puisse s’y accouder :
c’est la Table du silence. Un portique en marbre
C
Exhibited works
D
E
A Constantin Brancusi, Maquette pour le pilier de la Porte du Baiser,
vers 1935–1937, plâtre, crayon B Constantin Brancusi, Porte du Baiser
achevée, vue de face, vers 1938, épreuve gélatino-argentique
C Constantin Brancusi, La table du silence à Târgu Jiu, vers 1938,
épreuve gélatino-argentique D Constantin Brancusi, Vue générale
de la Colonne sans in de Târgu Jiu, 1938, épreuve gélatino-argentique
E Robert Filliou, Sans objet, 1984, brique
A Constantin Brancusi, Model for the Pillar of the Gate of the Kiss,
circa 1935–1937, plaster and pencil B Constantin Brancusi,
The Completed Gate of the Kiss, Front View, circa 1938, gelatin-silver
print C Constantin Brancusi, The Table of Silence in Târgu Jiu,
circa 1938, gelatin-silver print D Constantin Brancusi, General
View of the Endless Column in Târgu Jiu, 1938, gelatin-silver print
E Robert Filliou, Without Object, 1984, brick
dont on traverse les pilastres ornés de formes
sensuelles ; son titre donne à méditer l’idée d’une
réconciliation : la Porte du baiser. Une structure
modulaire abstraite, haute de près de trente
mètres, chargée d’une transcendance muette :
la Colonne sans in. Brancusi dialogue avec le site
par l’agencement sobre et pudique de formes
élémentaires, ouvrant un habitacle mental
à la mémoire. Dédié aux morts de la Première
Guerre mondiale, cet ensemble fut inauguré
le 27 octobre 1938, quelques mois à peine avant
que n’éclate la Seconde.
Deux pièces de Robert Filliou sont mises en
regard des photographies du mémorial de Brancusi.
D’abord une brique, toute simple, dont le titre
révèle qu’elle est Sans Objet (1984). Ensuite,
un portfolio qui documente le projet COMMEMOR
(Commission Mixte d’Échange de Monuments aux
Morts) de 1970. Robert Filliou y orchestre, avec
la légèreté puissante qui le rend ici indispensable,
un échange ictif de monuments aux morts
entre des villes de Hollande, d’Allemagne et
de Belgique en lieu et place de guerres véritables.
Le projet est annoncé par un communiqué de
presse illustré par de simples collages qui montrent le déplacement des mémoriaux, pour
en faire des ante-mémoriaux, par inversion
des temps de la commémoration.
modular structure nearly thirty metres tall,
all silent transcendence (Endless Column). Brancusi
communed with the site through a sober, chaste
arrangement of elemental shapes, carving out
a mental niche to memory. The works were inaugurated on 27 October 1938 to honour the victims
of the First World War, just months before
the outbreak of the Second.
Two works by Robert Filliou serve as companion
pieces to the photographs of Brancusi’s memorial.
First, a simple brick, titled Without Object (1984).
Next, a portfolio documenting the 1970 project
COMMEMOR (Commission Mixte d’Échange
de Monuments aux Morts, or Joint Commission
on the Exchange of Monuments to the Dead).
In it, Filliou—with the powerful levity that makes
him so crucial here—orchestrates an imaginary
exchange between cities in Holland, Germany and
Belgium of monuments to the dead, as a substitute
for real wars. The project was announced in
a press release with simple collages depicting the
rotation of the memorials from one city to the next,
thus transforming them into ante-memorials by
reversing the temporality of commemoration.
Programme
7 septembre à 19 h
Projection du ilm
La Bombe
de Peter Watkins
Programme
7 September, 7 pm
Screening of
The War Game
by Peter Watkins
En écho à l’urgence politique de l’ante-mémorial
de Filliou, projection de La Bombe (1965) de Peter
Watkins. Le monument factographique du cinéaste
était à l’origine une commande de la BBC, et le ilm
en reprend les codes documentaires : voix-of
froide et factuelle accompagnant des séquences
noir et blanc d’un simili-reportage décrivant
les conséquences dévastatrices d’un bombardement nucléaire dans le Kent. Tourné en pleine
Guerre Froide, le ilm a été refusé et longtemps
censuré par la chaîne nationale britannique.
Sa brutalité graphique démontre pourquoi il
faut commémorer l’apocalypse nucléaire avant
qu’elle n’advienne : parce qu’après il sera trop tard.
Peter Watkins, La Bombe, 1965, n&b, anglais
sous-titré français, 48 min.
To echo the political urgency of Filliou’s
ante-memorial, there will be a screening of
The War Game (1965) by Peter Watkins. Originally
commissioned by the BBC, the ilmmaker’s factographic monument uses documentary devices:
a cold, factual voice-over narrating black-and-white
footage in a mock-reportage, describing the
devastating aftermath of a nuclear attack in Kent.
Made in the middle of the Cold War, the ilm was
rejected and for a long time censored by the
British national network. Its graphic brutality
demonstrates why nuclear apocalypse must be
commemorated before it occurs—after, it is too late.
Peter Watkins, The War Game, 1965, b&w,
English, French subs, 48 min.
Eric Baudelaire & Marcella Lista
Eric Baudelaire & Marcella Lista
G
F
F Robert Filliou, Commemor, 1970, portfolio, 29 feuillets,
Aix-la-Chapelle : édition Neue Galerie G Peter Watkins, La Bombe,
F Robert Filliou, Commemor, 1970, portfolio, 29 pages,
Aix-la-Chapelle: edited by Neue Galerie G Peter Watkins, The War
1965, 16 mm (numérisé), n&b, 48 min
Game, 1965, 16 mm (digitised), b&w, 48 min
Des jeunes gens élevés en France avant de
s’engager dans ce qu’ils tiennent pour une guerre
sainte ont fréquenté une institution républicaine plus que toute autre : l’École. Ils y ont été
accueillis, écoutés, lus. Ou pas. Impossible,
à cet égard, de ne pas tenir l’École pour comptable de leur destin. Diicile, pour un enseignant
de ne pas interroger ses propres pratiques et
ses propres convictions à l’aune des existences
de ceux qu’il a, un moment, accompagnés.
Before enlisting in what they see as a holy
war, young people, raised in France, attend
one institution of the French Republic far more
than any other: school. There they were enrolled,
acknowledged, heard. Or not. It’s impossible
not to hold school accountable for their fate.
And diicult for a teacher not to question his
own practices and convictions with respect to
the lives of those he once helped to educate.
A
E pour École
E for Education
B
Un jour on apprend qu’un ancien élève est mort
de l’autre côté de la frontière syrienne. On avait
été l’un de ses professeurs en seconde. On peine
à remettre un visage sur son nom : c’était il y
a dix ans. On consulte des archives, on retrouve
un brouillon d’appréciation pour son bulletin
scolaire : c’était un adolescent sans drame apparent,
manifestement assez intégré dans sa classe pour
en avoir été élu délégué. Aucune aspérité à
laquelle accrocher la mémoire, la volonté de
savoir et de comprendre.
Ce jeune homme n’est pas le djihadiste du
ilm d’Eric Baudelaire. Mais il a croisé la même
histoire, il s’y est engagé, il y a laissé sa peau.
Comme lui, il a connu l’école primaire, le collège,
le lycée. Sa mort confère à sa brève existence
la courbe incertaine et désolante d’un destin.
Elle nous engage. Elle engage au premier chef
la responsabilité de ceux qui ont été ses
professeurs.
Responsabilité impossible : l’idée qu’on eût
pu inléchir le cours des choses est invériiable.
Et puis l’École ne peut pas tout, c’est tant mieux :
on ne saurait lui demander à la fois d’ouvrir, chez
chacun, l’espace d’une liberté et d’en repérer à
l’avance les débordements imprévisibles et possiblement dangereux.
Mais responsabilité fatale, aussi. Éduquer,
c’est accompagner dans la recherche d’une place
et d’un sens. Si, chez certains, cette quête ne trouve
d’autre forme que l’aventure mortifère proposée
par Daech, cela nous oblige : pour aujourd’hui,
pour ce que nous faisons dans nos classes avec
de très jeunes gens.
One day, you ind out a former student of yours
was killed on the other side of the Syrian border.
You were his teacher two years before he graduated. You struggle to put a face to his name:
it was 10 years ago. You consult your records,
come across scribbled comments for his report
card. He had been a young man with no obvious
issues, apparently well enough integrated
into the school to have been elected class
representative. Nothing remarkable jogs your
memory; nothing helps your need to know
and understand.
This young man is not the jihadi featured
in Eric Baudelaire’s ilm. But his story is similar;
he enlisted in the war, lost his life there. He, too,
went to primary, then secondary school here
in France. His death lends his brief existence the
sad and uncertain arc of destiny. It implicates us.
It implicates above all the responsibility of those
who were his teachers.
Ours is an impossible responsibility: the notion
that one can change the course of things is doubtful. Besides, school is not everything—and
that’s a good thing. How can it be expected
both to provide a space of freedom, and detect,
early on, signs of unpredictable and potentially
dangerous behaviour?
But it’s an inevitable responsibility, too.
To educate a person is to accompany them in
their search for place and meaning. If, for some,
this quest inds no other form than a life-negating
adventure provided by Daesh, we remain
responsible: for today, for what happens in
our classrooms.
C
A
C
A Anida Ait Abdesselam, Andres Castro Henao, Assia Chaihab,
A Anida Ait Abdesselam, Andres Castro Henao, Assia Chaihab,
Melinda Damis, Alyssa David, Dafa Diallo, Louaye Dolla, Océane El
Faqir, Sabou Fofana, Gaëtan Gichtenaere, Lina Ikhlef, Bintou Kamate,
Guy-Yanis Kodjo, Ibrahima Konate, Basile Leignel, Gabriel-David
Pop, Aissé Sacko, Rabyatou Saho, Mohammed Samassa, Fatimata Sarr,
Manelle Zigh, 2015, 16 dessins, crayon sur papier B Isidore Isou,
L’école des créateurs, cours no1, 2, 3, 4, 1967– 1968, feuillets polycopiés
édités par Isidore Isou, Paris C Jean-Luc Godard et Anne-Marie
Miéville, France / tour / détour / deux / enfants, 1978 – 1980, série difusée
sur A2 dans le cadre du Cinéclub, vidéo, BVU PAL, couleur, 12 épisodes
de 26 min, co-production A2 / INA / Sonimage
Melinda Damis, Alyssa David, Dafa Diallo, Louaye Dolla, Océane El
Faqir, Sabou Fofana, Gaëtan Gichtenaere, Lina Ikhlef, Bintou Kamate,
Guy-Yanis Kodjo, Ibrahima Konate, Basile Leignel, Gabriel-David
Pop, Aissé Sacko, Rabyatou Saho, Mohammed Samassa, Fatimata Sarr,
Manelle Zigh, 2015, 16 drawings, pencil on paper B Isidore Isou,
L’école des créateurs [School for the Creative], courses n o 1, 2, 3, 4,
1967–1968, photocopied edition self-published by Isidore Isou, Paris
C Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville, France / tour / détour /
deux / enfants [France / tour / detour / two / children], 1978–1980, show
broadcast on French public network A2, video, colour, 12 episodes,
26 min each, co-production A2 / INA / Sonimage
Repartir, donc, de cette inquiétude où se joue
le sens du métier d’enseignant ; la partager avec
des élèves, en déplaçant le terrain de la discussion
hors de l’espace de la classe et de ses hiérarchies,
pour reposer les questions de la démocratie
scolaire, des formes de la laïcité, de la place de
l’École, de la distance juste — s’il en est — qu’elle
peut adopter à l’égard de chaque enfant, de chaque
adolescent, dans sa singularité.
C’est ce qu’on tentera de faire, dans l’ombre
portée d’Also Known As Jihadi, et à la lumière
oblique des œuvres qu’Eric Baudelaire a choisies
pour penser ce qu’est, ce qu’a été, et ce que pourrait être l’École.
We must go back to this concern that is
crucial to the job of teaching; we must share
it with students, by taking the discussion outside
the classroom and away from its hierarchies;
we must revisit the question of democratic education, forms of secular education, a school’s place
in society, and the proper distance—if there is
one—between school and these students, these
adolescents, in all their singularity.
This is what we’ll attempt, in the shadow of
Also Known As Jihadi, and in the oblique light of
the works chosen by Eric Baudelaire, as we consider
what education in schools is, what it once was,
and what it could be.
Œuvres exposées
Exhibited works
Les douze épisodes de la série réalisée pour
la télévision publique en 1978 – 1980, France / tour /
détour / deux / enfants, où Jean-Luc Godard et
Anne-Marie Miéville rejouent, déplacent et font
dérailler la relation pédagogique. À travers Camille
et Arnaud, l’inconnu et l’individualité de l’enfance
prennent leurs droits, exposent l’adulte dans
l’échange verbal capté par la caméra et, à un autre
niveau, dans le langage ilmique contraint de sortir
du bois. « Les enfants », disait Godard à l’époque,
« sont des prisonniers politiques. »
Les manuels, précis et rêveurs, imaginés
par Isidore Isou en 1967 – 1968 pour une École des
créateurs. Les quatre cahiers prolongent méthodiquement l’appel des Manifestes pour le soulève
ment de la jeunesse, lancés depuis les années 1950
par le poète roumain. Un soulèvement contre
la prise d’otage de la productivité, passant par
une réinvention complète de l’enseignement
et des branches mêmes du savoir, parce qu’« il faut
transformer les programmes scolaires pour que
les créateurs soient compris. »
Pour inir, seize dessins réalisés par des élèves
de sixième du collège Dora Maar, à Saint-Denis (93),
une semaine après les attentats du 13 novembre
2015. Depuis 2015, et jusqu’en 2019, Eric Baudelaire
travaille avec un groupe de 22 collégiens. Il prépare
une série de ilms réalisés dans un premier
temps sur eux, puis progressivement avec eux,
avant de terminer avec des ilms par eux, pendant
leur année de troisième. Ces dessins sont des
« story-boards », imaginés par les élèves, comme
une étape de travail pour tourner des images dans
les jours qui ont suivi les attentats.
All twelve episodes of a series made for television
in 1978–1980—France/tour/détour/deux/enfants
[France/tour/detour/two/children] by Jean-Luc
Godard and Anne-Marie Miéville—in which the
pedagogical relationship is reviewed, transformed
and derailed. As we follow Camille and Arnaud,
the mystery and individuality of childhood are
given their due; adults are exposed through the
verbal exchanges captured by the camera, and, on
some level, by a ilm language laid bare. “Children,”
said Godard at the time, “are political prisoners.”
Isidore Isou’s detailed, visionary manuals
written in 1967–1968 calling for a “school for the
creative”. The Romanian poet’s four notebooks
meticulously develop his Manifestes pour le soulè
vement de la jeunesse [Manifestos for the Uprising
of Youth] launched in the 1950s. An uprising
against stiling productivity, and a call for the
reinvention of education and the very branches
of knowledge, because “we must rewrite school
programmes so that they embrace creativity”.
Finally, sixteen drawings made by grade
7 students at Dora Maar secondary school in SaintDenis, a suburb of Paris, one week after the attacks
on 13 November 2015. Since 2015, Eric Baudelaire
has been working with a group of 22 schoolchildren for a project that will last until 2019.
Together they are preparing a series of ilms that
will initially be made about them, then gradually
made with them, and eventually made by them.
The drawings exhibited are story-boards they
made in the days following the attacks, as the irst
step in creating a ilm.
Philippe Mangeot
Philippe Mangeot
Programme
8 septembre à 19 h
Discussion avec
Philippe Mangeot,
Laurence de Cock et
Anne Tristan, enseignants,
et des élèves de
la région parisienne
Programme
8 September, 7 pm
An open discussion
with three teachers—
Philippe Mangeot,
Laurence de Cock and
Anne Tristan—and students
from the Paris region
D
Une discussion, ouverte à tous, avec des élèves
scolarisés à Paris et en région parisienne et trois
enseignants : Laurence de Cock, Anne Tristan,
et Philippe Mangeot, qui ont en commun
d’avoir travaillé dans des établissements très
diférents, avec une grande diversité d’élèves.
On projettera également un extrait d’un ilm
tourné par Eric Baudelaire au Collège Dora Maar
en novembre 2015.
A public discussion with schoolchildren from
Paris and its suburbs, and three teachers:
Laurence de Cock, Anne Tristan, and Philippe
Mangeot. All three have worked in very diferent
schools, with a great diversity of students.
An excerpt from a ilm shot by Eric Baudelaire
at Dora Maar secondary school in November 2015
will also be screened.
D Eric Baudelaire, Dora Maar, Début (2015 – 2019),
ilm en cours de tournage, vidéo HD
D Eric Baudelaire, Dora Maar, Début (2015–2019),
work in progress, HD video
En Japonais, fûkei signiie paysage. Fûkeiron :
la théorie du paysage. Dans la tradition du documentaire social engagé des années 1960, le sujet
est au centre. La caméra cadre les hommes
et les femmes révoltés, en lutte, et au son
on entend leurs paroles. Que se passe-t-il si l’on
tourne la caméra à 180 degrés, pour ilmer non
pas le sujet, mais ce que le sujet a vu ? C’est
ce qu’a tenté Masao Adachi en 1969 dans un
ilm nommé AKA Serial Killer. Filmer les décors
d’une vie : la ville où le sujet est né, le quartier
où il a grandi, les lieux où il a étudié, les sites de
son travail. Et par ce geste de cinéma, chercher
à déceler, avec la caméra, des indices dans
le paysage, des signes des structures de pouvoir
qui ont contribué à son aliénation, à ses choix.
Telle est la proposition de la théorie du paysage, principe repris explicitement dans Also
Known As Jihadi, et peut-être, implicitement,
dans d’autres œuvres de la collection qui interrogent à leur manière les traces de l’homme
dans le paysage.
In Japanese, fûkei means landscape. Fûkeiron,
landscape theory. In socially engaged documentaries from the 60s, the focus was traditionally on the subject. The camera centred on men
and women in struggle; the sound captured
their speech. What happens when the camera
shifts 180 degrees—instead of ilming the
subject, it ilms what the subject has seen?
This is precisely what Masao Adachi attempted
in 1969 with AKA Serial Killer. To ilm the landscapes of the subject’s life: the city he was
born in, the neighbourhood where he grew up,
the institutions he frequented, the places in
which he worked. Through this cinematic
gesture, Adachi’s camera sought clues in the
landscape, signs of the power structures that
may have contributed to the subject’s alienation
and led him down the path he chose. This is
what landscape theory advances, a hypothesis
revisited in Also Known As Jihadi and, perhaps,
implicitly, in other works from the Pompidou
collection that are searching, in their own way,
for traces left by men within the landscape.
F pour Fûkeiron,
la théorie du paysage
F for Fûkeiron, the landscape theory
Le terme fûkeiron émerge en 1969 alors que
Masao Adachi tourne AKA Serial Killer avec
un groupe de cinéastes de l’avant-garde japonaise.
Leur intention est d’éclairer l’énigme d’un jeune
Japonais, Norio Nagayama, arrêté quelques mois
plus tôt pour avoir tué quatre personnes avec un
pistolet volé dans une base de l’armée américaine.
Le jeune homme n’a jamais expliqué ses actes,
mais Adachi et ses co-réalisateurs ont l’intuition
qu’une lecture politique de ces meurtres est
importante, alors que les manifestations étudiantes
enlamment les rues de Tokyo. Pendant le tournage
des images de repérage du ilm, Adachi introduit
cette idée radicale : les images de repérage
suisent, elles sont le ilm. AKA Serial Killer est
composé d’une série de paysages — de Hokkaido
où Nagayama est né, aux diférents lieux où il a
voyagé pendant les dix-neuf années de sa
The term fûkeiron emerged in 1969 as Masao
Adachi was ilming AKA Serial Killer with a group
of avant-garde Japanese ilmmakers. Their aim
was to shed light on the mystery surrounding
a young man, Norio Nagayama, arrested a few
months earlier for the murder of four people
with a gun he stole from an American army base.
Though Nagayama never explained why he did
what he did, Adachi and his fellow ilmmakers felt
that a political reading of these murders was
essential at a time when student demonstrations
were setting the streets of Tokyo ablaze. While
location scouting for the ilm, Adachi was struck
with a radical idea: the location shots were all that
was needed, they would be the ilm. AKA Serial
Killer consists of a series of landscapes: from
Hokkaido where Nagayama was born, to the various
places he travelled over the nineteen years of his
courte vie jusqu’aux meurtres à Tokyo. La voix-of
d’Adachi égraine quelques éléments biographiques.
Ce que le paysage révèle de Nagayama dans le
ilm d’Adachi, ou ce qu’il révèle du jeune Français
qui part au front en Syrie dans Also Known As
Jihadi, est loin d’être limpide. Il est probable que
le fûkeiron opère plus fortement comme question
que comme réponse. Il s’agit moins d’un outil
structuraliste précis (et quelque peu déterministe) que d’une manière d’interroger le sens du
paysage, la signiication politique et sociale du bâti.
Il s’agit donc, ici, de penser la dimension critique
de l’acte de faire image.
Œuvres exposées
Alors que l’image de l’Irlande du Nord pendant
la période des « troubles » est dominée par le
photojournalisme, Paul Graham y a photographié
le paysage avec un regard plus proche de la peinture. Mais en observant de plus près les grands
formats de sa série Troubled Land (1984 – 1988),
on s’attarde sur certains détails : dans Paint
on Road, Gobnascale Estate, Derry [Peinture sur
route, domaine de Gobnascale à Derry], des traces
sur l’asphalte, aux couleurs du drapeau républicain, infusent le paysage d’une narration politique
et sociale déterminante.
Dans le sud-ouest de l’Angola, Jo Ractlife
sonde un territoire désertique, habité par les seuls
vestiges militaires. Ici, une piste pour hélicoptère
croise un sentier rectiligne. Là, des pierres s’alignent en coursives ouvertes sur le néant. La guerre
de la frontière sud-africaine, entre 1966 et 1988,
brief life, to where the murders took place in
Tokyo. Adachi’s voice-over narration adds a few
biographical details.
What the landscape reveals about Nagayama
in Adachi’s ilm—and what it reveals in Also Known
As Jihadi about the young French man who travelled to ight in Syria—is far from clear. Fûkeiron
is probably more efective as a way to ask questions than to provide answers. Rather than a
precise (and somewhat deterministic) structuralist
tool, it helps examine the meaning of landscape,
the political and social signiicance of the built
world. Here we consider the critical dimension
of the act of making images.
Exhibited works
During “The Troubles”, most images of Northern
Ireland were photojournalism. Paul Graham,
however, photographed landscapes there in
a manner more closely associated with painting.
A closer look at the large formats in his series
Troubled Land (1984–1988) draws the eye to linger
on a few details. In Paint on Road, Gobnascale
Estate, Derry, stains on the asphalt in the colours
of the Irish Republican lag instil in the landscape
a prescient social and political narrative.
In southwest Angola, Jo Ractlife explores
a deserted landscape inhabited only by military
remains. A helicopter pad carves a circle around
the straight line of a footpath. Stones lined up
on the ground curve their way into the void.
The 1966–1988 war along the South African border
permanently “militarised” the landscape of the
A
A Paul Graham, Paint on road, Gobnascale Estate, Derry
[Peinture sur route, domaine de Gobnascale à Derry], 1985, de la série
Troubled Land, épreuve chromogène
A Paul Graham, Paint on road, Gobnascale Estate, Derry, 1985,
from the series Troubled Land, c-print
a durablement « militarisé » le paysage de l’ancienne colonie portugaise, soutenue dans sa lutte
d’indépendance par l’URSS et par Cuba. Dans
une série de photographies réalisée en 2009 – 2010,
Ractlife interroge cette topographie persistante
du conlit, loin des regards et de tout travail de
mémoire.
Eric Baudelaire & Marcella Lista
former Portuguese colony, backed in its struggle
for independence by the USSR and Cuba. In a
series of photographs from 2009–2010, Ractlife
surveys this lingering topography from the conlict,
miles away from any human gaze or act of remembrance.
Eric Baudelaire & Marcella Lista
Programme
9 septembre à 19 h
Projection de AKA Serial
Killer de Masao Adachi,
suivie d’une discussion
avec Claire Atherton, Nicole
Brenez et Eric Baudelaire
Programme
9 September, 7 pm
Screening of AKA Serial
Killer by Masao Adachi,
followed by a discussion
with Claire Atherton, Nicole
Brenez and Eric Baudelaire
E
B
C
D
B Jo Ractlife, SAM missile bunkers, Cuban base, Namibe [Abris
anti-missile surface-air, base cubaine, province de Namibe, Angola],
2010, de la série As Terras do Fim do Mundo [Les terres de la in du
monde], épreuve gélatino-argentique C Jo Ractlife, Runway
with helipad at Longa [Hélisurface à Longa, Angola], 2009, de la série
As Terras do Fim do Mundo [Les terres de la in du monde], épreuve
gélatino-argentique D Jo Ractlife, Stone cairns and circles, Cuban
base, Namibe [Cercles et cairns de pierre, base cubaine, province de
Namibe, Angola], 2010, de la série As Terras do Fim do Mundo [Les terres
de la in du monde], épreuve gélatino-argentique E Masao Adachi,
AKA Serial Killer, 1969, 35 mm (numérisé), couleur, 86 min
B Jo Ractlife, SAM missile bunkers, Cuban base, Namibe, 2010,
from the series As Terras do Fim do Mundo [The Lands of the
End of the World], gelatin-silver print C Jo Ractlife, Runway with
helipad at Longa, 2009, from the series As Terras do Fim do Mundo
[The Lands of the End of the World], gelatin-silver print D Jo Ractlife,
Stone cairns and circles, Cuban base, Namibe, 2010, from the series
As Terras do Fim do Mundo [The Lands of the End of the World],
gelatin-silver print E Masao Adachi, AKA Serial Killer, 1969,
35 mm (digitised), colour, 86 min
Projection d’une copie nouvellement restaurée
du ilm AKA Serial Killer (1969) de Masao Adachi.
La séance sera suivie d’une discussion avec
Eric Baudelaire et la monteuse de Also Known As
Jihadi, Claire Atherton, dont le travail questionne
souvent le rapport entre histoire et paysage,
notamment dans les ilms de Chantal Akerman.
La soirée sera modérée par Nicole Brenez,
qui a programmé la rétrospective de Masao
Adachi à la cinémathèque Française en 2010, et
édité le livre Masao Adachi, Le Bus de la révolution
passera bientôt près de chez toi. Écrits sur le cinéma,
la guérilla et l’avantgarde (1963 – 2010).
Masao Adachi, AKA Serial Killer, 1969,
couleur, japonais sous-titré anglais, 86 min.
A screening of a newly restored print of AKA
Serial Killer (1969) by Masao Adachi, followed
by a discussion with Eric Baudelaire and the editor
of Also Known As Jihadi, Claire Atherton, whose
work often probes the relationship between
history and landscape, especially in the ilms
of Chantal Akerman. The talk will be moderated by
Nicole Brenez, who programmed a Masao Adachi
retrospective at the Cinémathèque Française
in 2010, and edited the book Masao Adachi,
The Revolutionary Bus Will Soon Be Stopping
Near You. Writings on Cinema, Guerrilla and the
AvantGarde (1963–2010).
Masao Adachi, AKA Serial Killer, 1969,
colour, Japanese, English subs, 86 min.
Désir fou d’ailleurs. Fugue. Exil. Voyage hypnotique : celui dans lequel on s’engoufre, par choix
ou par nécessité, dans un état psychique ou
par aspiration spirituelle autre que la disposition
de ceux qui restent. Voyage qui mène parfois
à la mort, par désir d’un ailleurs inconnu,
par la force d’attraction d’une promesse,
par épuisement, par impossibilité de vivre ici.
Aucun de ces voyages n’est l’équivalent des
autres. Peut-on mettre en corrélation l’actuel
phénomène occidental du voyage djihadiste
avec le voyage hypnotique des « aliénés voyageurs » de la in du XIXe siècle, étudié par Tissié
et Charcot ? Ou avec ces vers de Charles
Baudelaire dans le dernier poème des Fleurs
du mal : « Un matin nous partons, le cerveau plein
de lamme, Le cœur gros de rancune et de désirs
amers, Et nous allons, suivant le rythme de
la lame, Berçant notre inini sur le ini des mers » ?
Quel il conducteur entre le « dernier voyage »
des poètes romantiques et la quête contemporaine d’une perte de soi, tentée par une
promesse d’altérité rédemptrice ?
A desperate longing to be elsewhere. To escape.
A thirst for exile. The hypnotic journey: where
one plunges, by choice or necessity, into a psychic state or spiritual aspiration that is emphatically not the one in which those who remain
ind themselves. A journey to death, at times,
driven by a craving for an unknown elsewhere,
the attraction of a promise, exhaustion,
or simply the impossibility of living here. None
of these journeys resemble any other. What
parallels can be drawn between current Western
jihadist journeys and the hypnotic wanderings
of “alienated travellers” at the end of the 19th
century as studied by Tissié and Charcot?
What correspondences are to be found in
the verses of Charles Baudelaire’s last poem
of Flowers of Evil? “One morning we set out,
our minds illed with ire, We travel, following the
rhythm of the seas, Hearts swollen with resentment and bitter desire, Soothing, in the inite
waves, our own ininities.” What common thread
between the “last voyage” of Romantic poets
and contemporary trips to lose oneself, drawn
by a promise of redemption through otherness?
H pour Hypnose
H for Hypnosis
Le XIX e et le XX e siècles ont mis en acte ces
déchirures individuelles où se jouent des césures
plus profondes, culturelles, sociales, anthropologiques, engageant le psychisme au plan collectif.
Des prémisses de la modernité jusqu’à l’époque
contemporaine, ces césures ont été objets de
l’art autant que de la culture clinique.
The 19th and 20th centuries set the stage where
individual lacerations of this kind allowed deeper
cultural, social and anthropological schisms
of the collective psyche to play out. From early
modernity through to contemporary times,
such schisms have provided relevant material
to both art and clinical culture.
Œuvres exposées
Exhibited works
« Il ne pouvait s’empêcher de partir quand le
besoin l’en prenait ; alors saisi, captivé par un désir
impérieux, il quittait famille, travail, habitudes
et allait tout à coup devant lui, marchant vite,
faisant 70 kilomètres à pied dans la journée,
jusqu’à ce qu’enin il fut arrêté comme vagabond et
mis en prison. » Ainsi le Docteur Philippe-Auguste
Tissié décrit le trouble psychologique d’Albert
Dadas, employé de la Compagnie du Gaz à
“He could not stop himself from leaving when
the desire took hold. Captivated by imperious
desire, held in its grasp, he left family, work,
daily life and suddenly walked straight ahead,
fast, covering 70 kilometres in a day, until he was
inally arrested for vagrancy and imprisoned.”
Dr. Philippe-Auguste Tissié’s description of Albert
Dadas’ psychological trouble was part of his 1887
thesis focusing on the Bordeaux gas company
Bordeaux, dans la thèse qu’il lui consacre en 1887 :
Les aliénés voyageurs : essai médicopsychologique.
Dans son étude parue en 2002, Les Fous voyageurs,
le philosophe des sciences Ian Hacking fait remarquer que l’épidémie de fugues pathologiques,
diagnostiquée à la in du XIX e siècle en Europe,
a partie liée avec une mutation sociale et culturelle
dont participe la démocratisation du tourisme,
qui élargit l’horizon fantasmatique. Dans ces états
altérés de conscience, auxquels il tentait d’accéder
par l’hypnose, Tissié voyait un phénomène
d’hystérie masculine. Ian Hacking, quant à lui,
observe que les voyages incontrôlables d’Albert
« sont moins des voyages de découverte de
soi que des tentatives de s’éliminer soi-même ».
Il y discerne une maladie créée conjointement
par le médecin, le patient, et l’Europe in de siècle.
En 1937, Kurt Schwitters quitte Hanovre et
l’Allemagne nazie pour s’exiler en Norvège,
où il efectuait des séjours réguliers depuis 1929.
L’artiste s’était mis dès les années 1920 en marge
de l’avant-garde. Il avait créé dans son domicile
le Merzbau, sorte d’habitacle proliférant contenant,
parmi des cavités dédiées à d’autres artistes,
des grottes « des meurtriers », « des héros désapprouvés », ou encore une grotte contenant une iole
de sa propre urine. Ici, deux collages, Et Minne
fra Norge [Souvenir de Norvège] (1930) et Nsport
Bu (1948), mettent la photographie au service
de constructions oniriques, parlent d’un exil
intérieur autant que géographique.
Dans le même temps, le strasbourgeois Jean
Arp chemine de ses papiers découpés au massicot
des années 1910 à des formes plus brutes de fragmentation du matériau. Ses Papiers déchirés (1930)
se prennent à décrire, à l’échelle d’une miniature,
des constellations d’entités disjointes, lottant
à la manière de continents à la dérive. Homme
vu par une leur (1958) propose une autre image
de la trajectoire humaine : l’artiste cède l’anthropocentrisme à une rêverie d’altérité absolue.
The Slogan, une action menée par Andrei
Monastyrsky le 9 avril 1978, nous fait penser au
poème Le Voyage de Charles Baudelaire, dont on
montre ici une édition de 1859. Le voyage de
Baudelaire clôt les recherches du poète pour
échapper au spleen, et il aboutit à la mort. Celui
de Monastyrsky aboutit, lui, à Zvenigorod, près
de Moscou, dans une clairière enneigée où
une banderole suspendue annonce : « Je me
demande pourquoi je me suis menti à moi-même,
en pensant n’avoir jamais été ici et tout ignorer de
ce lieu — en réalité, ce lieu est comme tout autre
lieu, seulement le sentiment est plus fort,
l’incompréhension plus profonde. »
employee and entitled Les aliénés voyageurs:
essai médicopsychologique [Alienated travellers.
Medico-psychological essay]. In his 2002 study,
Mad Travellers, Ian Hacking, a philosopher of
science, notes that the epidemic of mad travelling,
diagnosed at the end of the 19th century in Europe,
was linked to social and cultural mutations
informed by the popularisation of tourism
and the resulting widening of imaginative
horizons. Tissié considered such altered states
of consciousness, which he attempted to reach
through hypnosis, a manifestation of male hysteria.
Ian Hacking, for his part, noted that Albert’s
uncontrollable travelling was “less a voyage
of self-discovery than an attempt to eliminate
the self ”. To his mind, the pathology was created
collectively by doctors, patients and late 19thcentury Europe.
In 1937, Kurt Schwitters left Hanover and
Nazi Germany to go into exile in Norway, which
he had visited regularly since 1929. As of the 1920s,
the artist had positioned himself at the margins
of the avant-garde. In his house, he created
the Merzbau, a kind of multifarious habitation
containing, among chambers dedicated to other
artists, grottoes for “murderers”, “deplored heroes”
and even one with a vial of his own urine.
Here, two collages, Et Minne fra Norge [Memory
from Norway] (1930) and Nsport Bu (1948), use
photographs to create dreamscapes about exile;
exile from both place and self.
At the same time, Jean Arp, from Strasbourg,
was making his way from cutting paper with a
mechanical cutter in the 1910s to more accidental
ways of tearing it. His pieces Papiers déchirés
[Torn Papers] (1930) depict, in miniature,
a constellation of disjointed entities, loating like
so many drifting continents. Homme vu par une
leur [Man Seen by a Flower] (1958) presents
another vision of the arc of humanity: Arp abandons the human perspective as the central fact
of the universe and dreams of absolute otherness.
The Slogan, an action performed by Andrey
Monastyrsky on 9 April 1978, reminds us of
Charles Baudelaire’s Le Voyage, presented here
in an edition from 1859. Baudelaire’s journey
concludes his search for means to escape his spleen
with hopes for death, the only true unknown.
Monastyrsky’s travels end in a snowy clearing in
Zvenigorod, near Moscow, where a hanging banner states “I wonder why I lied to myself that
I had never been here and was totally ignorant
of this place—in fact, it’s just like anywhere else
here, only the feeling is stronger and incomprehension deeper.”
Une Carte postale de Francis Alÿs (2010) retrace
l’itinéraire d’un voyage efectué entre San Diego
(USA) et Tijuana (Mexique), de l’autre côté de la
frontière, empruntant non pas le trajet le plus court,
mais au contraire la circumambulation la plus
longue — tout en réfutant toute implication critique
autre que « le déplacement du corps de l’artiste. »
Francis Alÿs’ Carte postale [Postcard] (2010)
describes a trip from San Diego, USA, to Tijuana,
Mexico just across the border. In his journey
the artist did not follow the shortest route
but rather the very longest—all while rejecting
any critical implications other than “the physical displacement of the artist”.
Eric Baudelaire & Marcella Lista
Eric Baudelaire & Marcella Lista
Programme
10 septembre à 19 h
Discussion avec
Zohra Harrach-Ndiaye,
Camilo Ramirez
et Catherine Perret,
modérée par Ariane Chottin
Programme
10 September, 7 pm
Discussion with
Zohra Harrach-Ndiaye,
Camilo Ramirez
and Catherine Perret,
moderated by Ariane Chottin
E
A
De Rimbaud à Dostoïevski, jusqu’aux récits
actuels de départs pour la Syrie, diverses igures
du voyage seront évoquées dans une discussion
ouverte, modérée par Ariane Chottin, psychanalyste, rassemblant Catherine Perret, philosophe,
Zohra Harrach-Ndiaye, juriste et directrice
de services à l’association Sauvegarde de SeineSaint-Denis, et Camilo Ramirez, psychanalyste.
Stories of various journeys, from Rimbaud to
Dostoyevsky and current travellers to Syria, will
be considered in an open discussion moderated
by psychoanalyst Ariane Chottin, with philosopher
Catherine Perret, Zohra Harrach-Ndiaye, services
director of Sauvegarde de Seine-Saint-Denis
[Protecting Seine-Saint-Denis], a civil society
organisation, and psychoanalyst Camilo Ramirez.
A Kurt Schwitters, Et Minne fra Norge [Souvenir de Norvège] 1930,
photocollage B Jean Arp, Papier déchiré, 1932, papiers déchirés
et collés sur papier C Fernand Panajou, Photographies d’Albert
A Kurt Schwitters, Et Minne fra Norge [Memory from Norway] 1930,
photocollage B Jean Arp, Papier déchiré [Torn Paper], 1932, torn
papers glued on paper C Fernand Panajou, Photographs of Albert
Dadas, in : Albert Pitres, Leçons cliniques sur l’hystérie et l’hypnotisme,
tome 2, Paris, Octave Doin, 1891 D Andrei Monastyrsky et le groupe
Actions collectives, The Slogan [Le Slogan], 1978, 8 mm (numérisé),
n&b, silencieux, 2 min 29 s E Le docteur Tissié hypnotisant Albert
en présence du professeur Azam, in : Ian Hacking, Les Fous Voyageurs,
Paris, Le Seuil, 2002
Dadas, in Albert Pitres, Clinical Lessons on Hysteria and Hypnotism,
vol. 2. Paris : Octave Doin, 1891 D Andrey Monastyrsky and the
Collective Actions Group, The Slogan, 1978, 8 mm (digitised), b&w,
silent, 2 min 29 s E Dr. Tissié hypnotizing Albert in the presence
of Professor Azam, in Ian Hacking, Les Fous Voyageurs [The Mad
Travellers], Paris: Le Seuil, 2002
C
B
D
Dans le ilm Also Known As Jihadi, il ne s’agit
pas de cerner une vérité, puisqu’il n’en existe
aucune qui soit unique et partagée par ceux qui
partent et ceux qui jugent leurs départs. Mais
il est question de « justice » puisque le scénario
du ilm est tiré de documents produits par
des magistrats. Comment rendre justice quand
il y a peu de preuves matérielles, et que le climat
politique réclame ce qui ressemble parfois
à une justice préventive, à la « Minority Report »
de Philip K. Dick, nouvelle d’anticipation où les
criminels sont arrêtés avant de passer à l’acte ?
In Also Known As Jihadi, there is no truth
to discern, since none exists that is shared
by those who have left for Syria and those who
judge them for having been there. Yet the ilm
does raise the matter of “justice”, since its script
is based on documents written for or by judges.
How can justice be rendered in such cases
where material proof is usually quite scarce,
and when the political climate clamours for
what may seem like preventative justice,
reminiscent of Philip K. Dick’s “Minority Report”,
a science-iction short story in which criminals
are arrested before they commit their crimes?
J pour Justice
De nombreux poèmes de Carl Andre, composés à partir de textes trouvés, prélevés et assemblés,
renvoient à la société américaine son histoire
violente et le poids de son idéologie. Dans Oswald
in Russia [Oswald en Russie], l’artiste invoque
le séjour de jeunesse en Union Soviétique de
l’assassin présumé de John Kennedy. La poétique
dactylographique pourrait être lue comme un supplément à l’immense archive judiciaire, littéraire,
cinématographique, et conspirationniste qui
entoure la igure mystérieuse, et non-jugée,
de Lee Harvey Oswald.
La pièce de Vito Acconci s’appelle Security Zone
[Zone de sécurité]. Une performance, sur un ponton à New York, en 1971. Marchant à l’aveugle au
bord de l’eau alors qu’il ne sait pas nager, Acconci
se laisse guider par une personne envers qui
the weight of its ideology. In Oswald in Russia,
the artist alludes to the time JFK’s presumed
assassin spent in the Soviet Union as a young
man. His typed poems can be read as supplementing the extensive legal, literary, cinematographic
and conspiracy-related archive surrounding
the mysterious—and never-tried—igure of
Lee Harvey Oswald.
Vito Acconci’s work—a performance piece
set on a pier in New York in 1971—is called Security
Zone. In it, Acconci allows himself to be guided
by a person for whom his “feelings are ambiguous”
as he walks, blindfolded, at the edge of the water,
despite his not being able to swim. The artist
writes: “I’m blindfolded, my hands are tied
behind me, my ears are plugged; in my deprived
position, I’m forced to have trust—there’s only
J for Justice
On s’interroge, ici, sur le fonctionnement de
la justice et sur les idées qui la portent, en conviant
des artistes qui s’y confrontent, et des acteurs de
cette même justice qui en déplieront avec nous
les rouages.
Here, we examine the inner workings of our
justice system and the ideas that uphold it, with
the help of legal professionals who are directly
involved, and various perspectives from artists who
have explored the subject in more indirect ways.
Œuvres exposées
Exhibited works
Souvent, Lawrence Abu Hamdan ne se décrit
pas comme artiste, il préfère dire qu’il est « private
ear », détective privé de l’oreille. Abu Hamdan est
un expert acoustique reconnu dans l’examen
de dossiers judiciaires, et ses projets autour
du son mêlent dispositif d’enquête et rélexion
politique. Dans la vidéo Rubber Coated Steel,
l’artiste réunit les spectrogrammes résultant de
coups de feu tirés par un soldat israélien sur des
jeunes Palestiniens sans armes, le jour de la Nakba
en 2014, enregistrés fortuitement par la chaîne
CNN. L’étude d’Abu Hamdan prouve que les balles
meurtrières n’étaient pas des balles en caoutchouc
mais des balles bien réelles, tirées depuis un
équipement destiné à en déguiser le son. L’association Defence for Children International, qui
a commandité l’enquête, n’est pourtant pas parvenue à porter le dossier devant la justice. Rubber
Coated Steel met donc en scène un tribunal non
advenu où, comme le dit Abu Hamdan, « quelque
part, d’une certaine manière, ces sons de
meurtres en série sont mis en accusation ».
Lawrence Abu Hamdan doesn’t always describe
himself as an artist; at times he prefers to be
called a “private ear”. He is an acoustic expert,
well known for his studies of legal cases. His sound
projects combine investigation and political relection. In his video Rubber Coated Steel, the artist
renders spectrograms from gunshots ired by
Israeli soldiers on unarmed young Palestinians
on Nakba Day in 2014, recorded by chance by CNN.
Abu Hamdan’s study proved that the fatal bullets
were not rubber-coated but, in fact, live ammunition ired from weapons equipped to mask
their sound. The organisation commissioning
the study, Defence for Children International,
was never able to bring the case to trial. As such,
in Rubber Coated Steel, Abu Hamdan stages
a court hearing that was never held, “in which,”
he says, “somewhere, somehow, these serial
killing sounds are put on trial.”
Many of Carl Andre’s poems, created from
found text, stripped and reassembled, confront
American society with its violent history and
A
B
A Carl Andre, Oswald in Russia [Oswald en Russie], 1964, double
au carbone et mine graphite sur papier, 6 feuillets B Lawrence Abu
Hamdan, Rubber Coated Steel [Acier gainé de caoutchouc], 2016,
vidéo HD, couleur, 21 min 49 s
A Carl Andre, Oswald in Russia, 1964, carbon copy and graphite on
paper, 6 pages B Lawrence Abu Hamdan, Rubber Coated Steel, 2016,
HD video, colour, 21 min 49 s
il dit avoir « des sentiments ambivalents ». L’artiste
écrit : « On me bande les yeux, on m’attache les
mains dans le dos et on me bouche les oreilles.
Dans cette position démunie, je suis obligé de faire
coniance — il n’y a qu’une seule personne ici qui
peut m’empêcher de tomber dans l’eau. Cette pièce
mesure ma coniance ; plus que ça, elle renforce
ma coniance. (La question est : la coniance durerat-elle — cette coniance mérite-t-elle de durer —
une fois la pièce terminée ?) »
one person here who can stop me from walking
of into the water. The piece measures my trust;
more than that, it builds up trust. (The question is:
will the trust last—does this trust deserve to last—
once the piece is over?)”
Eric Baudelaire & Marcella Lista
Eric Baudelaire & Marcella Lista
Programme
11 septembre à 19 h
1. Plaidoirie à charge
par un procureur,
et plaidoirie à décharge
par Negar Haeri.
2. Rapport d’enquête
par Zineb Dryef.
3. Discussion sur les
enjeux de justice animée
par Antoine Garapon
Programme
11 September, 7 pm
1. An exchange of oral
arguments between a state
prosecutor and defence
lawyer Negar Haeri.
2. Investigation report
by Zineb Dryef.
3. Summary and
discussion moderated
by Antoine Garapon
D
Une soirée en trois actes pour déplier, étape
par étape, la mécanique du parcours judiciaire
d’un prévenu hypothétique. À partir d’une poignée
de pièces judiciaires d’un « dossier terro » comme
on les appelle désormais, deux plaidoiries :
la première à charge, par un procureur, et
la seconde, à décharge, par une avocate, Negar
Haeri, ancienne Secrétaire de la Conférence.
Après la joute oratoire, une chronologie précise
des étapes que traverse un prévenu, présentée par
la journaliste Zineb Dryef : quid des conditions
d’incarcération et des programmes de « dé-radicalisation » ? Existe-t-il un « Guantanamo intérieur » ?
Que se passe-t-il après la prison ? Et pour inir,
une discussion collective des enjeux de justice
autour de la question des « djihadistes » présumés,
présentée et orchestrée par Antoine Garapon,
magistrat et chroniqueur sur France Culture.
C
C Vito Acconci, Pier 18 : Security Zone, New York [Pier 18 : Zone
de sécurité, New York], action photographiée par Harry Shunk et
Janos Kender, New York, 28 février 1971, tirages gélatino-argentiques
D Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017, photogramme
C Vito Acconci, Pier 18: Security Zone, New York, action photographed
by Harry Shunk and Janos Kender, New York, 28 February 1971, gelatinsilver prints D Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017, ilm still
An evening in three acts to examine, step by step,
the mechanics behind the legal journey of a hypothetical defendant. Based on a handful of legal
documents taken from what is nowadays called
a “dossier terro” (“terror case”), two arguments
will be heard: the irst, by a state prosecutor,
and the second, for the defence, by attorney
Negar Haeri. The legal joust will be followed by
an in-depth account by journalist Zineb Dryef of
every step in the process a defendant must go
through, raising a series of questions: What are
the current detention conditions in these cases?
What are so-called de-radicalisation programmes?
Is there currently an “internal Guantanamo”
in France? What happens after prison? Finally,
a group discussion around the question of justice
and presumed jihadis will be held, introduced
and led by Antoine Garapon, judge and radio
columnist at France Culture.
Artistes en lutte ou art en lutte ? Depuis
les mouvements civiques des années 1960,
l’activisme a bousculé le régime critique du
langage de l’art. Si, comme le proposait Michel
Foucault en 1978, la critique « est un instrument,
un moyen pour un avenir ou une vérité qu’elle
ne saura pas et qu’elle ne sera pas », l’activisme
passe par la déclaration directe, la prise à
partie de l’opinion, l’efraction dans l’espace
public. À la question « que peut l’art ? » les
artistes répondent alors par un pur et simple
débrayage de l’habitus social, économique
et institutionnel de l’art.
Artists’ struggles or art’s struggles? Since the
civil rights movements of the 1960s, activism
has shaken up the critical paradigm of the
language of art. If, as Michel Foucault stated
in 1978, critique “is a tool, an instrument for
a future or a truth that it will neither know nor
embody”, activism occurs on a diferent playing
ield, channelled through straight talk, the
battle for public opinion, and direct action
in the public sphere. To the question “What can
art do?” artists answer purely and simply by
disrupting art’s social, economic and institutional habitus.
L pour artistes en Lutte
auteurs de la tuerie, paru dans le New York
Times du 24 novembre 1969. L’Art Workers’
Coalition avait obtenu l’accord du MoMA pour la
prise en charge de l’édition et de la difusion mais
le conseil d’administration du musée, comportant
des proches du gouvernement Nixon, mit son
veto à l’opération. Tirée à 50 000 exemplaires
avec les seuls moyens des artistes, l’aiche fut
exhibée par ceux-ci près de Guernica — la grande
toile de Picasso était alors conservée au MoMA —
et largement difusée à travers les États-Unis
et l’Europe.
En novembre 1970, Jon Hendricks et Jean
Toche participent avec Faith Ringgold à l’organisation de l’exposition « The People’s Flag Show »
[Drapeau du peuple] dans les locaux de la Judson
Memorial Church. L’aiche, dessinée par Faith
photograph. MoMA had agreed to print and distribute the poster for the Art Workers’ Coalition,
but the museum’s board, which included members
close to the Nixon administration, vetoed the
initiative. The artists themselves printed 50,000
copies and the poster was exhibited alongside
Picasso’s Guernica, which MoMA displayed
at the time, and was widely distributed across
the United States and Europe.
In November 1970, Jon Hendricks and Jean
Toche, along with Faith Ringgold, took part
in organising “The People’s Flag Show” at Judson
Memorial Church. The poster, designed by Faith
Ringgold, deied legislation banning “desecration”
of the American lag, and called on artists and
non-artists to exhibit works that freely re-appropriated the national symbol. On the day of the
L for drawing the Line (artists in struggle)
À la in des années 1960, un groupe d’artistes
américains réunis sous le nom de Art Workers’
Coalition déclare les Art Strikes (grèves artistiques),
et appelle les musées new-yorkais à prendre
position contre la Guerre du Vietnam. Plusieurs
musées répondent par un jour de fermeture symbolique. Le Metropolitan Museum fait la sourde
oreille : les artistes bloquent l’entrée du musée.
Composé à l’automne 1969 par Jon Hendricks
et Jean Toche, le Guerrilla Art Action Group
est issu de ce mouvement. « L’art peut-il encore
répondre à nos besoins humains élémentaires,
s’il continue à se compromettre avec une société
culturelle qui est engagée dans le processus même
d’aliénation des masses et ignore continuellement, consciemment, les besoins mêmes de cette
race humaine ? » Ces mots de Jean Toche, dans
son manifeste « J’accuse » du 10 mai 1968, ouvrent
la voie à une expérimentation activiste radicale.
Œuvres exposées
L’aiche And Babies ? [Des bébés aussi?], datée
du 26 décembre 1969, était destinée à une reproduction à large échelle. Elle reprend une photo
réalisée un an plus tôt par le photographe
de guerre Ronald R. Haeberle du massacre des
villageois de My Lai par les forces américaines. Sur
la photo, en lettres rouge sang, une question et une
réponse tirées de l’interview de l’un des soldats
At the end of the 1960s, a group of American artists joined together under the name Art Workers’
Coalition and declared Art Strikes, calling for
New York museums to take a stand against
the Vietnam War. Several museums responded
by closing their doors for a symbolic day. The
Metropolitan Museum did not, and artists blocked
its entrance. Founded in the fall of 1969 by Jon
Hendricks and Jean Toche, the Guerrilla Art Action
Group was born of this movement. “Can art still
fulill our basic human needs, if it continues
to compromise with a cultural society which is
engaged in the very process of alienation of the
masses, and repeatedly ignores, consciously,
the very needs of that human race?” These words,
by Jean Toche in his manifesto “I Accuse” dated
10 May 1968, opened the way to radical activist
experimentation.
Exhibited works
And Babies?, a poster from 26 December 1969, was
intended for wide-scale reproduction. It presents
a photograph taken a year earlier by war photographer Ronald R. Haeberle of the massacre
of villagers in My Lai by American troops. A question and an answer drawn from an interview with
one of the soldiers involved in the killings, and
published in The New York Times on 24 November
1969, are printed in blood red letters onto the
A
B
C
A Frazer Dougherty, Jon Hendricks, Irving Petlin, Q. And Babies?
A. And Babies. [Question. Des bébés aussi ? Réponse. Des bébés aussi.],
1970, lithographie ofset sur papier, à partir d’une photographie de
Ronald L. Haeberle, publié par l’Art Workers’ Coalition, New York
B Faith Ringgold, People’s Flag Show [Exposition drapeau du peuple],
1970, aiche de l’exposition, lithographie ofset sur papier
C John Reilly et Rudi Stern, People’s Flag Show, 11 – 15 novembre 1970,
Judson Church Theater, New York, bande vidéo (numérisée), 61 min
A Frazer Dougherty, Jon Hendricks, Irving Petlin, Q. And Babies?
A. And Babies, 1970, ofset print on paper, from a photograph by
Ronald L. Haeberle, published by the Art Workers’ Coalition, New York
B Faith Ringgold, People’s Flag Show, 1970, exhibition poster,
ofset print on paper C John Reilly et Rudi Stern, The People’s Flag
Show, 11–15 November 1970, Judson Church Theater, New York, video
tape (digitised), 61 min
Ringgold, déie la loi qui interdit la « profanation »
du drapeau américain et appelle artistes et nonartistes à exposer des œuvres se réappropriant
librement le symbole national. Le jour de l’ouverture, Yvonne Rainer présente Trio A, sa chorégraphie abstraite de 1966, accompagnée de cinq
autres danseurs entièrement nus, le drapeau
noué autour du cou. Un ilm documente l’exposition, la performance et un « Symposium sur la
Répression » précédé d’une action de Jean Toche,
lisant une déclaration de son Gouvernement
Belge en Exil devant le drapeau américain
en lammes. L’arrestation des révérends pères
Howard Moody et Al Carmines, programmateurs
de la Judson Memorial Church, eut lieu le lendemain, et celle des « Judson Three » : Jon Hendricks,
Faith Ringgold et Jean Toche, quelques jours
plus tard.
Les manifestes et photographies réunis dans
le volume GAAG. The Guerrilla Art Action Group,
1969–1976 : A Selection (1978) documentent l’essentiel des actions du groupe contre le militarisme,
le racisme, le sexisme, et l’emprise croissante
du marché sur l’activité artistique et la politique
muséale : du décrochage du Blanc sur Blanc de
Kazimir Malévich au MoMA, en 1969, pour demander qu’un certain nombre des œuvres de la collection soient vendues au proit « des pauvres
de toutes races de ce pays », à la mobilisation
pour la libération d’Angela Davis en juin 1971.
opening, Yvonne Rainer presented Trio A, her
abstract choreography from 1966, in the company
of ive other dancers, all completely naked save
for the lag tied around their necks. The exhibition,
performance and a “Symposium on Repression”,
which was preceded by Jean Toche reading a
declaration by his Belgian Government in Exile in
front of a burning American lag, are documented
on video. The next day, Reverends Howard
Moody and Al Carmines, coordinators of this
Protestant congregation that was open to artistic
experimentation, were arrested. Jon Hendricks,
Faith Ringgold and Jean Toche, known as
“The Judson Three”, were arrested a few days later.
The manifestos and photographs published in
GAAG. The Guerrilla Art Action Group, 1969–1976:
A Selection (1978) document the main actions
carried out by the group against militarism, racism,
sexism, and the growing power of the market over
artistic activity and museum policy. Actions
ranged from taking down Kazimir Malevich’s
White on White at MoMA in 1969, as a demand that
some works in the collection be sold to beneit
“the poor of all races of this country”, to mobilising to ight for Angela Davis’ freedom in June 1971.
Programme
13 septembre à 19 h
Conversation
avec Jon Hendricks,
membre fondateur du GAAG
(Guerrilla Art Action Group)
Programme
13 September, 7 pm
A conversation
with Jon Hendricks,
founding member of GAAG
(Guerrilla Art Action Group)
Artiste, activiste et curateur, Jon Hendricks
a été le directeur artistique de la Judson Gallery,
logée dans la Judson Memorial Church à
New York, de 1966 jusqu’en juin 1968, lorsqu’il fut
renvoyé par le révérend père Al Carmines pour
avoir accueilli une action de Destruction Art par
Jean Toche. Le Guerrilla Art Action Group,
qu’il a fondé avec l’artiste d’origine belge peu
après, développe une critique institutionnelle
et un activisme politique à partir d’une position de
marge. En parcourant les archives audiovisuelles
du GAAG, la soirée propose de revenir avec lui
sur cette cristallisation d’une lutte artistique.
Jon Hendricks, artist, activist and curator,
was artistic director of the Judson Gallery at
Judson Memorial Church in New York from 1966
to June 1968, when he was ired by Reverend
Al Carmines for hosting a Destruction Art action
by Jean Toche. Guerrilla Art Action Group,
which he founded shortly thereafter with the
Belgian artist, pursued critical analysis of institutions and political activism as directed from
a marginal position. A review of GAAG audiovisual archives in his company will be the focus
of an evening discussing how that artistic
struggle took shape.
Marcella Lista & Eric Baudelaire
Marcella Lista & Eric Baudelaire
F
D
E
D Jon Hendricks, Poppy Johnson, Jean Toche, GAAG : The Guerrilla
Art Action Group, 1969 –1976 : A selection, New York, Printed Matter Inc.,
2011, réédition de la première édition de 1978 E The Judson Three,
Artist Beneits for Civil Liberties [Tombola d’art au proit de la liberté
d’expression], 1972, lithographie ofset sur papier F Les Judson
Three (Jon Hendricks, Faith Ringgold et Jean Toche) à la sortie
du tribunal après décision du procureur de New York de fermer
le People’s Flag Show.
D Jon Hendricks, Poppy Johnson, Jean Toche, GAAG : The Guerrilla
Art Action Group, 1969–1976 : A selection, New York, Printed Matter Inc.,
2011, reprint of the irst edition of 1978 E The Judson Three, Artist
Beneits for Civil Liberties, 1972, ofset print on paper F The Judson
Three (Jon Hendricks, Faith Ringgold and Jean Toche), appearing
outside the courthouse after the People’s Flag Show was shut down
by the New York district attorney’s oice.
Tout cinéma qui se propose de représenter
les banlieues populaires en France afronte
immédiatement une diiculté. Ces banlieues
résistent à s’inscrire comme les images
ordonnées d’une Histoire dans les catégories
du paysage français. Terroirs sans qualité, patrimoines indéchifrables. Paysages fantômes
qui ne sauraient exister sans ceux qui les animent, les afectent et les décodent, en un mot,
les produisent. Communauté de destins
de corps étrangers avec le béton des tours.
When cinema sets out to portray working-class
suburbs in France, it faces an immediate challenge. These urban territories refuse to fall
in line with other expressions of the French
landscape as orderly historical images. They are
spaces without qualities, indecipherable legacies. Ghost landscapes that would not exist
but for the bodies that bring them to life,
bodies that shape and interpret them—in short,
that produce them. A community of fortunes
formed by foreign bodies and the brick and
mortar of housing estates.
M pour
Mouvement-image
M for Movement-image
La cité, le quartier, vibrent et soufrent de concert
avec ceux qui les habitent, comme un seul et même
corps que l’on ne saurait voir, igures innommables
que seule la violence — souvent policière —
fait apparaître. Motif récurrent de l’histoire
secrète du peuple qu’observe l’historienne Arlette
Farge dans la littérature de l’administration policière du XVIII e siècle, le meurtre d’un jeune
homme ou même parfois d’un enfant des classes
populaires est immanquablement le récit liminaire
de ce paysage marron d’Occident qu’est la Cité.
Aussi la tâche d’un cinéma, qui ne parle pas des
quartiers populaires mais qui est parlé par eux,
n’est pas immédiatement de faire récit mais de
constituer avant tout une communauté au-delà de
ce destin morbide. Assemblée vive et vivante qui
fait irruption dans le monde du visible, qui négocie son apparition, qui traique la photo nationale
pour y poser son visage.
Œuvres exposées
C’est clairement ce que réussissent, chacun
à sa manière, le Collectif Mohamed à Vitry et le
Black Audio Film Collective à Londres à l’orée des
années 1980. Et ce n’est pas un hasard si Mohamed
Salah Azzouzi, bien qu’il soit seul à réaliser ses
ilms, s’attache à l’appellation « collectif » tant
Zone immigrée et Ils ont tué Kader sont aussi des
ilms fabriqués par ceux qui les peuplent. S’il est
question dans les ilms d’Azzouzi de se saisir soimême de la caméra, de s’auto-documenter
pour échapper à la manipulation de la presse
et de la télévision — et jusqu’à celle du Parti
Communiste — il est aussi urgent de constituer
par un cinéma fruste un monde où des jeunes
prennent crânement la parole et prononcent
les impasses politiques d’un pays qui leur refuse
une histoire tout autant qu’un avenir.
Dans un cinéma direct, tourné en Super 8,
le Collectif Mohamed réussit en seulement
deux ilms courts remarquables à faire entendre
ce qui était inaudible jusqu’alors : le désarroi et
la vitalité des jeunes des banlieues populaires,
leur quête d’identité entre pays d’origine et
Rockabilly. Faire entendre et faire apparaître surtout une communauté invisible au lendemain du
meurtre d’un adolescent à Vitry. Donner à voir
en quelques scènes les enjeux politiques d’une
banlieue communiste et la clairvoyance
only one behind his ilms, insisted on being
called a “collective”: Zone immigrée [Immigrant
Zone] and Ils ont tué Kader [They Killed Kader]
are ilms made also by those who inhabit them.
Azzouzi understood the importance of taking
control of the camera oneself, self-documenting
to avoid manipulation by the media and television
(and even by the [French] Communist Party).
For him, it was urgent to build, through raw
cinema, a world where young people boldly
grab the mic and verbalise the political deadlock
of a country that denies them not only a history,
but a future as well.
Espousing direct cinema and ilming in Super 8,
Collectif Mohamed managed, in just two remarkable short ilms, to give voice to things that had
never been heard before: the energy and turmoil
of young people from tough neighbourhoods
searching for an identity somewhere between
their countries of origin and the rockabilly trend
of the 80s. It managed above all to give a voice and
a face to an invisible community in the wake of
The housing project and the neighbourhood
tremble and ache with those who live in them;
as one and the same body, painful to behold—
unspeakable igures that appear only when
an act of violence occurs, often at the hands of the
police. Historian Arlette Farge notes a recurring
theme in the secret history of the masses in police
literature of the 18th century: the murder of
a young man, sometimes even a child, from
the lower classes. Undoubtedly, such stories are
the liminal narrative behind the maroon occidental landscape that is the suburban housing project.
Which is why a cinema that speaks not about
working-class immigrant neighbourhoods,
but is spoken by them, does not dive straight into
the narrative. First, it builds a community that
reaches beyond this morbid fate. A vibrant, vital
congregation that bursts into the world of the
visible, that negotiates its presence, that cuts up
the portrait of the nation to insert its own face.
Exhibited works
This is clearly what Collectif Mohamed
[Mohamed Collective] in Vitry and Black Audio
Film Collective in London succeeded in doing in
the early 80s, each in its own way. There was a
reason why Mohamed Salah Azzouzi, albeit the
A
B
A Collectif Mohamed, Zone immigrée, 1980, Super 8 mm (numérisé),
couleur, 35 min 37 s B Collectif Mohamed, Ils ont tué Kader, 1980,
Super 8 mm (numérisé), couleur, 21 min 4 s
A Collectif Mohamed, Zone immigrée [Immigrant Zone], 1980,
Super 8 mm (digitised), colour, 35 min 37 s B Collectif Mohamed,
Ils ont tué Kader [They Killed Kader], 1980, Super 8 mm (digitised),
colour, 21 min 4 s
de sa jeunesse qui saisit très tôt que tout se jouera
dorénavant, au-delà de l’idéologie, dans la maîtrise
de l’empire des images.
L’opération du Black Audio Film Collective
est autre, même si, là aussi, les violences policières
dans l’Angleterre des années 1980 fabriquent le
début de l’histoire. Avec son magistral Handsworth
Songs, John Akomfrah et ses compagnons inventent un dub cinéma. Fabriqué presque intégralement par le montage musical d’images d’archives
de la BBC, le ilm nous donne à ressentir une
généalogie des émeutes raciales, le surgissement
d’un corps qui n’a pas encore de nom et se présente
à nous sans annonce. Plus qu’un ilm, c’est l’instrument d’un rituel sans cesse à reconduire.
Une fresque musicale bâtie comme une reprise
et un désenvoûtement du matériau de la BBC qui
va transporter dans le temps cet héritage populaire en le rejouant à l’inini et en faisant ainsi
des morts les alliés des vivants.
Comme Ils ont tué Kader, Handsworth Songs
saisit l’urgence du rituel de la parole, mais n’oublie
pas l’impératif d’un cinéma qui traique le temps.
Il fabrique ainsi un vocabulaire qui pressent
une nouvelle circulation possible des images et
des sons sans propriétaire — comme celle d’Internet et des DJs. Il ne s’agit pas de simples récits
contestataires qui retournent la puissance de la
télévision, mais de ilms animistes qui font parler
les images et rompent la fatalité de la répétition
de l’Histoire.
Olivier Marboeuf
the murder of a teenager in Vitry; to show, in just
a few scenes, the political stakes in this communist suburb, and how its clear-sighted youth
quickly understood that from then on, more than
any ideology, everything would be about conquering the realm of the image.
Black Audio Film Collective difers in its
method, though here, too, the story is triggered
by police violence in the 1980s—this time in
England. In the masterful Handsworth Songs, John
Akomfrah and his companions created dub cinema.
Made up almost entirely of a musical montage
of images taken from BBC archives, the ilm
takes us through a history of race riots, the rising
of a yet unnamed body that presents itself to us
with no warning. More than a ilm, it’s the instrument of an endlessly repeated ritual. A musical
fresco created as if by repossessing and exorcising
material from the BBC, transporting this legacy
of the people through time by playing it in an
endless loop, and in so doing making the dead
the allies of the living.
Like Ils ont tué Kader, Akomfrah’s Handsworth
Songs fully embraces the importance of speech
as a ritual, without forgetting the need for
a cinema that manipulates time, and so creates
a language that foresaw a new way of circulating
images and sounds owned by no one—as did
the DJs, and as would the Internet. These are
not simple protest narratives aiming to reverse
the power of television; they are animist ilms that
let images speak for themselves, and so disrupt
the inevitable course of history repeating itself.
Olivier Marboeuf
C
C John Akomfrah / Black Audio Film Collective, Handsworth Songs,
1986, 16 mm (numérisé), couleur, 58 min 33 s D Collectif Mohamed,
Ils ont tué Kader, 1980 , Super 8 mm (numérisé), couleur, 21 min 4 s
C John Akomfrah / Black Audio Film Collective Handsworth Songs,
1986, 16 mm (digitised), colour, 58 min 33 s D Collectif Mohamed,
Ils ont tué Kader [They Killed Kader], 1980, Super 8 mm (digitised),
colour, 21 min 4 s
Programme
14 septembre à 19 h
Projection de Zone
immigrée et Ils ont tué
Kader du Collectif Mohamed.
Suivi d’une discussion entre
Mohamed Salah Azzouzi,
cinéaste et militant,
et Olivier Marboeuf,
auteur et commissaire
Programme
14 September, 7 pm
Screening of Zone immigrée
and Ils ont tué Kader by
Collectif Mohamed, followed
by a discussion between
Mohamed Salah Azzouzi,
ilmmaker and activist,
and Olivier Marboeuf,
author and curator
D
Il y a trente-sept ans, Mohamed Salah Azzouzi
réalisait Zone immigrée et Ils ont tué Kader, avec
le soutien de René Rodriguez et Laurent Huet.
Certains extraits avaient été difusés au Journal
Télévisé en mars 1980, puis les ilms ont circulé
de manière plus conidentielle. Après ces gestes
forts, Azzouzi n’a pas poursuivi son travail
de cinéaste. Nous consacrons la soirée à ses deux
courts-métrages, l’occasion d’aborder aussi avec
lui le mouvement (au sens militant) qu’il a animé
pendant qu’il faisait les images de ses ilms.
Collectif Mohamed, Zone immigrée, 1980,
couleur, 35 min 37 s. — Ils ont tué Kader,
1980, couleur, 21 min 45 s.
Thirty-seven years ago, Mohamed Salah Azzouzi
directed Zone immigrée [Immigrant Zone] and
Ils ont tué Kader [They Killed Kader] with encouragements from René Rodriguez and Laurent
Huet. Some excerpts had been broadcast on
the national network news in March 1980,
before circulating in underground networks.
After these two strong statements, Azzouzi did not
pursue his work as a ilmmaker. This evening will
be dedicated to him and to his ilms. It will also
be an opportunity to talk about the movement, in
the militant sense of the word, which he initiated
while capturing images for his ilms.
Collectif Mohamed, Zone immigrée
[Immigrant Zone], 1980, colour, 35 min 37 s —
Ils ont tué Kader [They Killed Kader], 1980,
colour, 21 min 45 s.
On aurait pu choisir la lettre P pour Pays. Mais
le Ô exprime de manière plus forte la déférence,
et la douleur, que la question de l’appartenance
nationale nous évoque. En iligrane, derrière
chaque lettre de cet abécédaire, se pose, d’une
manière ou d’une autre, la question du pays,
ou de la nation, et de l’inclusion ou non-inclusion
à cette « communauté imaginaire », comme
l’appelait l’anthropologue Benedict Anderson.
The letter P, for Patria, could also have been
chosen here. But O, land of mine! seemed more
powerful an expression for the deference and
pain that questions of national identity and
belonging raise in today’s world. Every letter
in this alphabetical primer is illuminated, in
one way or another, by the unspoken question
of country or nation, what anthropologist
Benedict Anderson called an “imagined
community”, and the sense of inclusion or
non-inclusion that these concepts engender.
O pour Ô mon pays !
O for O, land of mine!
Pour Ernest Renan, la nation est un principe
spirituel, une âme constituée de deux choses :
« la possession en commun d’un riche legs
de souvenirs » et « le consentement actuel, le désir
de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire
valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. » Aujourd’hui,
l’héritage dont parle Renan est-il encore indivis ?
Comment faire durer la nation lorsque ce
désir n’est plus commun ? Il est possible que
les blessures qui nous préoccupent ici soient les
symptômes de la diiculté à répondre, désormais,
à ces questions. Ou peut-être est-il temps de
trouver des déinitions alternatives à la nation,
pour remplacer celle de Renan.
To the mind of Ernest Renan, nation is a spiritual
principle, a soul made of two parts: “the possession
in common of a rich legacy of memories” and
“present-day consent, the desire to live together,
the will to perpetuate the value of the heritage
that one has received in an undivided form.”
Is the heritage Renan refers to still undivided?
How does one extend the life of the nation when
the desire to live together is no longer shared?
It is possible that the wounds addressed in Après
are symptomatic of the complexity raised by
answering these questions today. Or perhaps it
is time to ind alternative deinitions of the nation
to replace the principles enumerated by Renan.
Œuvres exposées
Exhibited works
« Préférez-vous que la France soit un hexagone
ou un triangle équilatéral ? Pourquoi ? » « Préférezvous mettre en danger votre identité nationale ou
votre produit national brut ? Pourquoi ? » L’artiste
Esther Ferrer a quitté l’Espagne franquiste
pour la France en 1973. Ici, elle adresse quatre
« Questions aux Français » sur une aiche issue
d’un portfolio collectif intitulé Art ?
L’artiste américain Paul Thek peint, sur des
pages du New York Times, des igures de la culture
populaire. Dans cette pièce de 1974, il représente
Bojangles, surnom de Bill Robinson, danseur
de claquettes américain qui commença sa carrière
dans la rue et la termina au cinéma, devenant l’une
des premières vedettes noires du show business
“Would you prefer France to be hexagonal or
an equilateral triangle? Why?” “Would you rather
put your national identity or your gross domestic
product at risk? Why?” The artist Esther Ferrer
left Franco’s Spain in 1973 to move to France.
Here, she asks “Four Questions for the French”
on a poster from a collective portfolio titled Art?
American artist Paul Thek paints igures from
popular culture onto pages of The New York Times.
In this piece from 1974, Thek paints Bojangles,
as American tap dancer Bill Robertson was
known. Robertson started his career in the streets
and ended in Hollywood, becoming one of the
irst black stars in show business at a time when
America was still segregated. Bojangles is also
dans une Amérique encore ségréguée. Bojangles
est aussi le clochard qui raconte son histoire en
taule, héros d’une chanson de Jerry Jef Walker,
composée en 1968 avant d’être reprise par
Nina Simone et par Bob Dylan. Dans son portrait
de l’Amérique en vignettes sur fond de pages de
journal, Paul Thek rend hommage à cet homme
qui danse, à la fois showman et martyr, indiférent,
semble-t-il, à la soufrance.
« On ne peut pas aller chez les gens comme
ça et leur dire : Racontez-nous votre vie », dit
Nil Yalter. Avec RisOrangis, l’artiste turque née
au Caire prend le temps de réaliser un réel travail
de mémoire sur l’immigration, en collaboration
avec des sociologues, des associations et des
municipalités. En 1983, elle ilme des ouvriers
et leurs familles au sein de la communauté portugaise d’une cité-dortoir en banlieue parisienne.
Ils évoquent leur vie en France, la nostalgie
du pays qu’ils ont quitté, la volonté d’intégration,
les conditions de leur travail, et la diiculté de
trouver une place dans la patrie-refuge. Dans un
entretien accordé en 2009, Nil Yalter est revenue
sur ce travail en disant : « Rien n’a évolué,
seules les populations ont changé. »
the hero of an iconic Jerry Jef Walker song,
covered by Nina Simone and Bob Dylan among
others. Here, Paul Thek pays homage to a man who
tap-dances, his body on ire, part showman part
martyr, seemingly untouched by sufering.
“You can’t just go up to people and say: tell
us about your life,” says Nil Yalter. In RisOrangis,
the Turkish artist born in Cairo takes the time
to develop an actual analysis of immigration,
with the help of sociologists, civil society groups,
and municipal employees. In 1983, she ilmed
workers and their families from Portuguese
communities in dormitory towns in the Paris
suburbs. They speak about their lives in France,
their nostalgia for the country they left, their desire
to integrate, their working conditions, and their
trouble inding a place for themselves in their host
country. In a 2009 interview, Nil Yalter looked
back at this piece, saying, “Nothing has evolved.
Only the population has changed.”
Eric Baudelaire & Marcella Lista
Eric Baudelaire & Marcella Lista
A
B
C
A Nil Yalter, RisOrangis, 1979, Betacam, n&b, 33 min B Paul Thek,
Bojangles in lames [Bojangles en lammes], 1974, peinture
acrylique sur papier journal (The New York Times) C Esther Ferrer,
tirage n o 29 issue du portfolio Art ?, 1998, sérigraphie en couleurs
sur papier, imprimeur-éditeur : Alain Buyse et Frédéric Schlanser
A Nil Yalter, RisOrangis, 1979, Betacam, b&w, 33 min
B Paul Thek, Bojangles in lames, 1974, acrylic paint on newspaper
(The New York Times) C Esther Ferrer, print n o 29 from the portfolio
Art?, 1998, colour silkscreen on paper, printer / publisher: Alain Buyse
and Frédéric Schlanser
D
D Théâtre Pôle Nord, Sandrine, 2017, aiche
D Théâtre Pôle Nord, Sandrine, 2017, poster
Programme
15 septembre
Deux spectacles
du Théâtre Pôle Nord,
Chantal dans les étoiles
à 14 h, et Sandrine à 19 h
Programme
15 September
Two plays by Théâtre
Pôle Nord, Chantal
dans les étoiles at 2 pm,
and Sandrine at 7 pm
Dans mon pays on oublie.
Dans mon pays on défait.
Dans mon pays on disparaît.
Ô mon pays !
In my country we forget.
In my country we undo.
In my country we disappear.
O, land of mine!
Ô mon pays ! est le nom d’une création de Lise
Maussion et Damien Mongin du Théâtre Pôle
Nord. Ce diptyque théâtral nous a inspiré. Il décrit
l’itinéraire de plusieurs personnages, Sandrine,
enferrée dans sa vie comme dans un bloc de granit,
et Chacal, sans racines et sans nom, à travers
l’actualité française et le sentiment d’une misère
difuse. Nous accueillons, à 14 h, un troisième
chapitre à cette galerie de portraits, Chantal
dans les étoiles, une création en cours de travail,
dont nous savons ceci :
Nous traversons la vie d’une femme de son
enfance à sa disparition. Chantal a rendezvous
dans les étoiles, et dans sa dernière heure resurgiront
les traces de vies gravées sur sa peau, comme un fruit
qu’on presse pour en boire le jus, avant de le jeter.
Chantal dans les étoiles émerge d’un long chemin,
à travers le recueil de paroles brutes récoltées
par le Théâtre Pôle Nord autour des questions
de l’appartenance, de la foi et de l’empreinte.
À 19 h, nous reprendrons Sandrine, qui retrace
la destinée d’une trieuse de verre :
Sandrine mène une vie normale : elle fait du
6 h / 13 h 30 (ou du 13 h 30 / 21 h — ça dépend) dans l’usine
de tri UPack, à séparer le verre des « corps étran
gers ». Elle appelle sa mère 5 fois par jour. À ses
heures libres, Sandrine reste assise dans sa cuisine.
Seulement… Les glaces fondent quelque part dans
la Baltique, et audelà. Sandrine entend la mer,
qui approche. Elle sent l’eau qui traverse subreptice
ment, par en dessous… Le monde bascule et l’ordre
des choses, lentement, se désagrège.
Production : Théâtre Pôle Nord,
Coproduction : La Traînée Bleue,
Écriture, jeu et scénographie:
Lise Maussion et Damien Mongin,
Musique : David Georgelin et Yellow Flight.
Ô mon pays ! [O, land of mine!] is the title of a play
created by Lise Maussion and Damien Mongin
of Théâtre Pôle Nord. Their theatrical diptych
has inspired us. Two characters, Sandrine, locked
into her life as into a block of stone, and Chacal,
rootless and nameless, travel through French
current events burdened by a vague feeling
of wretchedness. At 2 pm, we will unveil a third
chapter in this theatrical portrait gallery: Chantal
dans les étoiles [Chantal in the Stars]. A work in
progress, about which we know this:
We watch the life of a woman from childhood
until death. Chantal is expected among the stars.
In her last moments, traces of her life, inscribed in
her very skin, resurface—like pressing fruit to draw
out its juices before throwing it away. Chantal
dans les étoiles is the result of lengthy travels
through a compendium of raw words collected by
Théâtre Pôle Nord around questions of belonging,
faith and the traces we leave.
At 7 pm, a performance of Sandrine, tracing
the destiny of a worker in a glass recycling plant:
Sandrine leads a normal life, working from
6 am to 1.30 pm (or 1.30 to 9 pm—it depends) in the
UPack plant, separating glass from “foreign bodies”.
She calls her mother 5 times a day. In her spare
time, Sandrine sits in her kitchen. Meanwhile...
The ice melts somewhere in the Baltic and beyond.
Sandrine hears the sea approaching. She feels the
water surreptitiously progressing, from below...
The world is tilting and the order of things is slowly
disintegrating.
Production: Théâtre Pôle Nord,
Coproduction: La Traînée Bleue,
Text, performance and scenography:
Lise Maussion and Damien Mongin,
Music: David Georgelin and Yellow Flight.
Le paysage politique, autant que le paysage
artistique, apparaissent aujourd’hui hantés par
ce qui, du XX e siècle, semble refaire surface
et demande examen tout en restant pris
dans le lux ressassé de l’information.
Le « mal d’archive » que théorisait Derrida au
seuil des années 1990, pointant la prolifération
documentaire et son pouvoir propre, n’est pas
indiférent à ces arrêts sur images. La densiication matérielle de la mémoire a irréversiblement transformé l’espace et le mouvement
de la pensée. Mais si la nostalgie des combats
d’idées du XX e siècle anime aujourd’hui les
débats, elle expose aussi cette mémoire fragile
à ce qui est l’inverse du travail historique : les
fétichisations douteuses et autres détournements idéologiques.
Du présent au passé et retour : ce mouvement à double-sens reste à penser, non pas
dans l’image igée d’un relet en miroir mais
dans une circulation tâtonnante, attentive aux
taches aveugles, aux fausses évidences et aux
perspectives biaisées. Les artistes de cette
section en font l’objet spéculatif de leurs
œuvres. Entre présent et passé, plus largement,
l’exposition tout entière s’attache à proposer
un espace de rélexion commun.
These days, political and artistic landscapes
alike appear haunted by aspects of the 20th
century that resurface and demand our attention, while also being entangled in a constant
low of information. The “archive fever”
theorised by Derrida in the early 1990s, which
draws attention to the proliferation and inherent power of the document, is not without
relevance to this contemporary desire to linger
on the past. The material densiication of memory has irrevocably transformed the space
and movement of thought. But if nostalgia
for the “battles of ideas” of the 20th century
is a driving force behind current debate,
it also exposes this fragile memory to dubious
processes of fetishisation and ideological distortion—in other words, the opposite of
historical work.
From present to past and back again:
this two-way movement needs careful thinking.
Rather than contemplation of a frozen mirror
image, it takes a circular process of exploration
that guards against blind spots, false axioms
and biased perspectives. For the artists in this
section, this process is the speculative subject
of their work. Between past and present,
the exhibition as a whole seeks to create
a broader shared space for relection.
P pour Présent / Passé
Œuvres exposées
Exhibited works
Un livre cloué au mur, aiché, ramené à un
signe : Passé et Présent, le quatrième volume des
Cahiers de prison de Gramsci. Elisabetta Benassi
a fait ce geste net et précis dans l’ancienne
usine automobile Lancia à Turin, un édiice
des années 1930 devenu l’espace d’exposition de
la Fondation Mario Merz. Dans son œuvre, l’artiste
italienne s’emploie à mettre au travail l’Histoire
du XX e siècle à travers ses indices : comme dans
sa série d’images de presse dont elle ne reproduit
que le verso et ses informations lacunaires,
elle dit ici, par une expérience indirecte du
document, l’éloignement d’une certaine mémoire
sociale et politique. Son propre Passato e presente
(2013), dont les pages sont devenues illisibles,
matérialise une coupe elliptique à travers le temps.
À la « philologie vivante » de Gramsci, le livre cloué
répond par l’immédiateté d’une question persistante, laissée ouverte, interpelant le spectateur.
« Comment retourne-t-on ? À un pays, à un
lieu de naissance, à un endroit où empestent les
sensations remémorées ? Mais que sont ces sensations ? Est-il possible de tracer la manière dont
elles font irruption ? Et pourquoi sont-elles
accompagnées d’efroi autant que d’anticipation ? »
Dans sa vidéo de 1996, Partially Buried [Partiellement enterré], Renée Green aborde frontalement
ce qu’elle observe comme une « vogue des
années 1970 ». Elle revient sur le campus de l’université de Kent où, enfant, elle avait aidé sa mère
à installer un instrumentarium inédit dans
un atelier de musique expérimentale. En 1970,
A book nailed to the wall, put on display,
brought back to a sign: Past and Present, the fourth
volume of Gramsci’s Prison Notebooks. This clear
and strong gesture was initially presented by
Elisabetta Benassi at the old Lancia automobile
factory in Turin, a 1930s building converted
into an exhibition space for the Mario Merz
foundation. In her work, the Italian artist seeks
to engage with 20th-century history through
the clues it has left behind. As in her series about
press images where she only reproduces the backs
of the photos and the incomplete information they
provide, here she expresses, via an indirect experience of the document, the distancing of a certain
social and political memory. Her own Passato
e presente (2013), the pages of which we can no
longer read, represents an elliptical cross-section
through time. To Gramsci’s “living philology”,
the impaled book responds with an immediate,
insistent, and unresolved question for the viewer.
“How does one return? To a country, to a place
of birth, to a location which reeks of remembered
sensations? But what are these sensations?
Is it possible to trace how they are triggered?
And why they are accompanied with as much
dread as anticipation?” In her 1996 video Partially
Buried, Renée Green tackles head-on a nostalgia
for the 70s: “The 1970s are in vogue now. Were
they in vogue then?” She returns to the Kent State
University campus where, as a child, she helped
her mother install a set of instruments in an
experimental music studio. In 1970, while her
P for Present/Past
La pensée critique de la modernité a cristallisé
une série de questions quant à la construction du
sujet face à l’Histoire — autant de dilemmes au
regard des utopies modernistes : continuité
et rupture, mémoire et oubli, rélexion et action.
Pour Antonio Gramsci, qui écrivit le plus gros
de son œuvre dans les prisons fascistes, le rapport
entre passé et présent ne peut être que dialectique.
Il suppose de répondre au programme d’« Histoire
contemporaine » des régimes totalitaires par
une étude critique du passé et une adhérence
créative au présent.
Modern critical thought has returned again and
again to a series of questions regarding the construction of the subject in the face of history,
each constituting a dilemma as far as modernist
utopias are concerned: continuity and rupture,
memory and forgetting, relection and action.
For Antonio Gramsci, who wrote the bulk of his
work in fascist prisons, the relationship between
past and present could only be dialectical. His
proposed response to the programme of “Contemporary History” prescribed by totalitarian regimes
involves a critical examination of the past and
a creative involvement in the present.
A
A Elisabetta Benassi, Passato e Presente
A Elisabetta Benassi, Passato e Presente
[Passé et Présent], 2013, livre, clou en fer forgé
[Past and Present], 2013, book, wrought iron nail
alors que sa mère y étudiait, quatre étudiants
furent abattus par la garde nationale pendant
les manifestations contre la Guerre du Vietnam,
et Robert Smithson réalisait Partially Buried
Woodshed [Abri partiellement enterré], une œuvre
entropique consistant à ensevelir presque entièrement, sous un monticule de terre, un abri
abandonné situé aux abords du campus. Une
expérience conlictuelle que ce cheminement
de l’artiste dans ces objets de mémoire épars.
« Ils occupèrent brièvement le même temps et le
même lieu. Est-ce important ? Pas nécessairement,
mais elle pondère la conjecture. » L’œuvre de
Smithson se fait le paradigme muet de l’architecture semi-émergée, précaire et encombrante,
du souvenir. Disparue sous la terre peu avant que
Renée Green ne parte à sa recherche, elle renvoie
le site au site, la mémoire à la mémoire.
mother was studying there, four students were
shot dead by the National Guard during protests
against the Vietnam War, and Robert Smithson
created Partially Buried Woodshed, an entropic
work in which he used a mound of earth to almost
completely bury an abandoned woodshed on
the outskirts of the campus. The artist’s journey
among these scattered objects of memory results
in a confrontational experience. “They occupied
the same time and location briely. Is that
important? Not necessarily, but she ponders the
conjecture.” Smithson’s work emerges as a silent
paradigm for the half-buried, precarious and
burdensome architecture of memory. The work,
which disappeared into the ground not long
before Renée Green began her search, brings
back the site to the site, and memory to memory.
Programme
16 septembre à 19 h
Projection du ilm
Reprise d’Hervé Le Roux
C
Marcella Lista & Eric Baudelaire
Documentaire sur le documentaire, Reprise
d’Hervé Le Roux (1996) fait retour sur les images
ilmées le 10 juin 1968 par trois étudiants de
l’IDHEC devant les usines Wonder à Saint-Ouen.
La reprise du travail vient d’y être votée après trois
semaines de grève. Une ouvrière en larmes tranche
d’une voix forte avec l’inertie de la foule : « Non,
j’y rentrerai plus là-dedans, je foutrai plus les
pieds dans cette taule ! » Sa rébellion sans partage,
à contrecourant du compromis syndical, reste
intacte au regard d’aujourd’hui. Elle dit les 54
heures de travail hebdomadaires, la plongée quotidienne dans la crasse, les insoutenables impératifs
de la chaîne : « on ne peut pas aller aux toilettes, on
n’a pas le droit », lance la jeune femme, que l’occasion autorise à habiter, fugitivement, le cadre
de l’image. L’enquête d’Hervé Le Roux part à la
rencontre de cette histoire et de ses acteurs, déplie
leurs paroles, donne à cet épisode une deuxième
impression, questionnant en iligrane une culture
ouvrière proche d’un demi-siècle et néanmoins
révolue. S’y relète, inversée, la sortie d’usine de
1895 qui donnait le coup d’envoi à l’industrie
cinématographique elle-même et à sa rhétorique
des loisirs. La projection sera suivie d’une conversation avec Eric Baudelaire et Marcella Lista.
Hervé le Roux, Reprise, 1996, n&b et
couleur, 185 min.
Marcella Lista & Eric Baudelaire
B
B Renée Green, Partially Buried [Partiellement enterré], 1996,
Betacam PAL, couleur, 20 min C Hervé le Roux, Reprise, 1996,
35 mm (numérisé), couleur et n&b, 185 min
B Renée Green, Partially Buried, 1996, Betacam, colour, 20 min
C Hervé le Roux, Reprise [Back to Work], 1996, 35 mm (digitised),
colour and b&w, 185 min
Programme
16 September, 7 pm
Screening of Reprise by
Hervé Le Roux
In Reprise [Back to work] (1996), a documentary
about the documentary process itself, Hervé
Le Roux revisits footage ilmed on 10 June 1968
by three students of the French Institute for
Advanced Film Studies (IDHEC) in front of the
Wonder battery factories in Saint-Ouen. The workers have just voted to return to work after three
weeks of strikes. The protests of one female
worker, in tears, contrast sharply with the inertia
of the crowd: “No, I’m not going in there again,
I’ll never set foot in that prison again!” Viewed
today, her solitary rebellion against the compromises made by the trade union has lost none
of its power. It echoes the 54–hour working week,
the ilthy conditions they endured daily, and the
impossible demands of the production line:
“We can’t go to the toilet, we’re not allowed!”
she shouts, leetingly able to inhabit the frame.
Hervé Le Roux sets out to discover this history
and its protagonists, gives them a voice, and
allows the episode to play out for a second time,
implicitly examining a working-class culture
that is only half a century old and yet already
a thing of the past. It also evokes, in a kind
of inverted relection, the 1895 scene of workers
leaving the factory that kick-started the ilm industry and its discourse of leisure. The screening
will be followed by a conversation with Eric
Baudelaire and Marcella Lista.
Hervé le Roux, Reprise [Back to Work],
1996, b&w and colour, 185 min.
Considérer l’art dans son rapport à la vérité,
comme forme sensible du vrai ou création
d’une vérité propre. Cette idée aristotélicienne
de l’art prend avec la modernité une tournure
politique : elle conie au geste artistique
la production d’une vérité autre, capable,
comme le disait Harun Farocki, de « déblayer
les décombres qui obstruent les images ». Cette
contre-vérité est à construire, à faire émerger
pied à pied dans un rapport dialectique au réel.
Le travail de terrain et d’investigation documentaire qui s’y emploie n’y suit pas. Car la
vérité artistique ne peut se réduire à une « image
accusatrice », elle reste une aporie et renvoie
sans cesse l’artiste à sa propre posture.
De quelle vérité l’art peut-il alors se prévaloir ?
C’est dans sa tentation extrême, de traverser
le réel en retour, d’en altérer le cours,
que l’artiste met à l’épreuve cette aporie.
In its relationship to truth, art has been considered both as an external realisation of a true
idea and as the creation of a truth of its own.
In the modern age, Aristotle’s notion of art takes
on a political dimension: it entrusts the artistic
act with creating alternative truth, capable
of “sweeping away the rubble obstructing
images”, in the words of Harun Farocki. This
countertruth is constructed, drawn out step
by step in a dialectical exchange with the real.
Fieldwork, the investigative documentary,
is not suicient, for artistic truth cannot be
reduced to an “accusatory image”; it remains
an aporia, constantly confronting the artist with
his or her own position. To what truth can art
lay claim? Sometimes, through radical attempts
to interact with the real through refraction to
alter its course, the artist challenges this aporia.
A
B
R pour Rendre des comptes
R for Reckoning
Demander à l’œuvre de faire justice, de combler
les failles de l’Histoire, c’est aussi exposer ses
propres failles. Rendre des comptes : par quels
chemins lucides, dans quelles limites ?
To expect art to render justice, and compensate
for the laws of History, is to expose one’s own
laws. R for reckoning: but with what clear reasoning to guide us, and under what terms?
Œuvres exposées
Exhibited works
Der Lachende Mann [L’homme qui rit] (1966),
réalisé pendant la Guerre Froide par le duo documentariste de RDA Walter Heynowski et Gerhard
Scheumann, va droit au but. Le ilm nous livre
la face cachée de la guerre au Congo, non du point
de vue des victimes, mais à travers le témoignage
d’un bourreau. Face à la caméra, Siegfried
‘Kongo’ Müller, ex-Lieutenant de la Wehrmacht
et désormais chef d’une troupe de mercenaires
au Congo, expose les crimes commis au nom
de ce qu’il appelle une « guerre de libération » anticommuniste. Mais sa confession n’est pas complètement consciente : Heynowski et Scheumann
ont mis à disposition de leur sujet, qui aime boire,
une bouteille de Pernot. Au fur et à mesure de
l’interview, l’ivresse s’installe et le masque
tombe : l’alcool au service du geste ilmique
Made during the Cold War by East German
documentary ilmmakers Walter Heynowski and
Gerhard Scheumann, Der Lachende Mann [The
Laughing Man] (1966) gets straight to the point.
The ilm shows the hidden face of the Congo
Crisis, not from the point of view of the victims,
but through the testimony of a persecutor. Straight
to camera, Siegfried ‘Kongo’ Müller, a former
Wehrmacht lieutenant who headed a group
of mercenaries in the Congo, recounts acts of violence committed in the name of what he called an
anti-Communist “war of liberation”. But his confession was not completely cognisant: Heynowski
and Scheumann had provided their subject,
who liked to drink, with a bottle of Pernot. Over
the course of the interview, Müller gets progressively drunk and his mask falls—alcohol becomes
C
B
D
D
A Gerhard Scheumann et Walter Heynowski, Der Lachende Mann
[L’homme qui rit], 1966, 35 mm (numérisé), n&b, 65 min B Rosemarie
Trockel, Vorstudien [Études préliminaires], 1989, acrylique sur papier
C Rosemarie Trockel, Sans titre, 1985, gouache sur papier
D Zineb Sedira, Mother Tongue [Langue maternelle], 2002, installation
composée de trois vidéos, français, anglais, arabe, 14 min 14 s
A Gerhard Scheumann and Walter Heynowski, Der lachende Mann
[The Laughing Man], 1966, 35 mm (digitised), b&w, 65 min
B Rosemarie Trockel, Vorstudien [Preliminary Studies], 1989, acrylic
on paper C Rosemarie Trockel, Untitled, 1985, gouache on paper
D Zineb Sedira, Mother Tongue, 2002, 3 channel video installation,
French, English, Arabic, 14 min 14 s
et de la vérité. Au montage, un contraste vertigineux s’installe entre le visage souriant du protagoniste et les images photographiques des corps
noirs mutilés, brutalisés, abattus puis froidement
exposés aux caméras des photojournalistes.
Un ensemble de gouaches de Rosemarie
Trockel montre des igures de dos ou de proil,
se dérobant aux regards. Dans la RFA des années
1980, le travail de Trockel active cette zone critique
de la perception qui est un lieu de doute, où ce
que l’on voit ne peut être décidé. Dans Sans titre
(1985), une tête à la chevelure féminine se détourne
tout en laissant pointer un long nez rectiligne,
attribut de marionnette et symbole phallique,
arme primitive et allégorie du mensonge.
Image trouble et burlesque, indirecte, où l’(auto-)
accusation le dispute à l’aveu. Une série d’Études
préliminaires, datées de 1989, évoque le code
visuel de la photographie de presse : images
volées, portraits à l’arraché. Là, l’artiste a maculé
trois silhouettes masculines — dont l’une porte
l’uniforme SS — de giclures blanches. Le coup
porté dans le dos, littéralement, vient trouer
l’image dans un geste difamatoire qui est lui-même
à la fois infâme et infâmant. Avec des images semblables à des invectives visuelles, l’artiste donne
matière à réléchir sur le choix des armes, exhibe
ses propres manœuvres aux yeux du spectateur.
Trois scènes de dialogue entre diférentes
générations de femmes, unies par un lien de sang
et éloignées par leur « langue maternelle ». Mother
Tongue (2002) de Zineb Sedira est une trilogie.
Dans la première vidéo, l’enfance de Sedira est
l’objet d’interrogation : en dialoguant avec sa mère,
retournée en Algérie après l’émigration française,
l’artiste cherche à réunir les facettes de sa mémoire.
Elle questionne en français et sa mère lui répond
en arabe. Dans la deuxième vidéo, un pivot s’opère
et Sedira échange avec sa propre ille sur leurs
enfances respectives. L’artiste continue de s’exprimer en français tandis que l’enfant lui répond
en anglais. Dans le dernier volet du triptyque,
le silence s’installe entre la grand-mère et sa
petite-ille — il n’y a pas de langage commun —
laissant la place à l’éloquence d’un lottement.
Dans la transparence du dispositif de Sedira,
chacune est renvoyée à son présent,
dans l’impossibilité de rendre compte.
a tool in the service of cinema and truth.
The editing provides a stark contrast between the
lieutenant’s broad smile and images of murdered
and mutilated black bodies callously exposed
to photojournalists’ cameras.
A series of gouaches by Rosemarie Trockel
shows igures drawn from the back, or in proile,
avoiding the viewer’s gaze. In 1980s West Germany,
Trockel worked in the critical zone of perception as locus of doubt, where what one sees is
uncertain. In Untitled (1985), a head with woman’s
hair is turned away from the viewer, though its
long straight nose like a marionette’s can still be
seen: phallic symbol, primitive weapon and
allegory of falsehood. A troubling and burlesque
image, an indirect enigma, where (self-)accusation
cohabits with confession. Her Preliminary Studies
from 1989 address the visual conventions of press
photography: stolen images, snatched portraits.
In them the artist has splashed three male silhouettes, one of them in an SS uniform, with white
paint. Literally stabbing the igures in the back,
the image is pierced in a defamatory gesture
both debased and debasing. With these visual
invectives, Trockel provides food for thought about
possible angles of attack, and exposes some of her
own manœuvres to the viewer.
Three dialogues between three generations of
women, united by blood yet divided by their native
languages. Zineb Sedira’s Mother Tongue (2002)
is a trilogy. In the irst video, Sedira’s childhood
is the subject: speaking with her mother, who
returned to Algeria after emigrating to France,
the artist attempts to tie together parts of her past.
Her questions to her mother are in French while
her mother answers in Arabic. The second video
switches to Sedira in conversation with her own
daughter about their respective childhoods.
The artist continues to speak in French while
the child answers in English. In the last video of
the triptych, silence settles between grandmother
and granddaughter—they have no common
language—drawing attention to the eloquence of
the pregnant pause. In Sedira’s clear triptych structure, each woman is forced back to her present,
faced with an inability to render account.
Programme
17 septembre à 19 h
Projection du ilm
The Emperor’s Naked Army
Marches On de Kazuo Hara
Programme
17 September, 7 pm
Screening of
The Emperor’s Naked Army
Marches On by Kazuo Hara
E
Tourné à travers le Japon pendant 5 ans,
The Emperor’s Naked Army Marches On [L’Armée
nue de l’empereur poursuit sa marche] (1987) fait
déborder tous les questionnements sur la responsabilité éthique et politique d’un cinéma qui
veut faire rendre des comptes. Le ilm accompagne l’itinéraire de Okuzaki Kenzō, un vétéran de
l’expédition coloniale nippone en Nouvelle Guinée,
alors qu’il fait des recherches sur les exactions
commises par ses supérieurs à la in de la Seconde
Guerre mondiale. Dans un climat d’amnésie historique sur les crimes de guerre de l’armée impériale, Hara ilme l’enquête de Kenzō, jalonnée
d’accidents et de confrontations qu’il initie : le protagoniste devient justicier, à la fois sujet ilmé et
auteur d’actes de violences allant jusqu’à l’assassinat d’un vieillard qui refuse d’admettre ses
crimes de guerre d’antan.
Kazuo Hara, The Emperor’s Naked Army
Marches On [L’Armée nue de l’empereur
poursuit sa marche], 1987, couleur, japonais
sous-titré anglais, 122 min.
Filmed over ive years throughout Japan,
The Emperor’s Naked Army Marches On (1987)
brings to a boil questions relating to ilm’s moral
and political responsibility in reckoning with
the past. The ilm follows Okuzaki Kenzō, a veteran
of the Japanese campaign in New Guinea, in his
quest to uncover crimes committed by his
superiors at the end of the Second World War.
At a time when the imperial army’s war crimes
were buried in historical amnesia, Hara ilms
Kenzō as he leads an investigation marked
by incidents and confrontations that he himself
provokes. Protagonist becomes vigilante, both
ilmed subject and perpetrator of violent acts that
include the killing of an old man who refuses to
admit to his past war crimes.
Kazuo Hara, The Emperor’s Naked Army
Marches On, 1987, colour, Japanese,
English subs, 122 min.
E Kazuo Hara, The Emperor’s Naked Army Marches On [L’Armée nue
E Kazuo Hara, The Emperor’s Naked Army Marches On, 1987,
de l’empereur poursuit sa marche], 1987, 16 mm (numérisé), 122 min
16 mm (digitised), 122 min
Hyeseon Jeong,
Eric Baudelaire & Marcella Lista
Hyeseon Jeong,
Eric Baudelaire & Marcella Lista
Toute œuvre, de la plus précieuse à la plus
modeste, se veut peut-être toujours en dernière
instance un cri et une alarme. Mais comment
crier au milieu du vacarme des guerres et
des attentats ? Comment sonner encore
l’alarme en plein « état d’urgence », surtout en
plein état d’urgence qui dure ? À certains égards,
un état d’urgence qui dure est une contradiction
dans les termes, à d’autres, c’est peut-être
le trait dominant de notre temps. Pour mieux
le comprendre, il peut être utile de inir cet abécédaire incomplet par la parole de ceux qui
expérimentent cette contradiction de la manière
la plus déchirante et la plus centrale : les révolutionnaires syriens.
Perhaps in the end, every work of art, from
the most precious to the most unassuming,
always means to be a cry and a warning.
Yet how can cries be heard amid the din of war
and terror? How does one sound the alarm in
the middle of a “state of emergency”, especially
when the state of emergency is unending?
It could be said that an everlasting state of
emergency is a contradiction in terms, but it
might also be the dominant feature of our times.
To better make sense of this, it may help to
conclude this incomplete alphabetical primer
by hearing out those living the contradiction
in the most dreadful and fundamental way:
Syrian revolutionaries.
T pour le Temps presse
T for running out of Time
Au premier abord, on a du mal à se représenter
aujourd’hui ce que pouvait signiier pour les
premiers Chrétiens l’annonce de la parousie,
du retour de Jésus sur terre et de la in des temps.
Ce n’était pas une afaire d’horizon lointain mais
d’urgence vitale, cela allait advenir très bientôt,
c’était sans doute pour leur génération ou celle
d’après. Donc pour eux le temps pressait considérablement : il était plus que temps de tout lâcher
et d’œuvrer à son salut. D’un autre côté, quoi
qu’en partie pour cette même raison, ils vivaient
dans un monde où le temps séculier lui-même
semblait igé par la pax romana : l’Empire paraissait éternel, les guerres repoussées aux frontières,
la politique réduite aux murs du palais. Les païens
ordinaires étaient donc aussi des hommes pressés,
mais d’une autre sorte de presse, plus littérale :
dans un présent sans promesse d’avenir, il est
urgent de cueillir le jour ou de gagner des places,
puisqu’après il n’y a plus rien. Autrement dit, si l’on
veut se représenter le rapport au temps dans le
monde romain des premiers siècles de notre ère,
il faut au moins parvenir à concevoir un monde régi
par deux temporalités antagonistes, presque incompréhensibles l’une à l’autre, et pourtant réduites
aux deux faces d’une même urgence : imminence
d’un côté, avidité ou carpe diem de l’autre.
Au second abord, mutatis mutandis, ce monde
c’est évidemment aussi un peu le nôtre. D’un côté,
At irst glance, it is hard to imagine what, for
early Christians, The Second Coming of Christ
could have meant—his return to earth and the
End of Days. It was not something on the distant
horizon; it was of vital urgency. It would happen
very soon, probably during this generation,
or the next. For them, time was running out:
it was urgent to drop everything and focus solely
on one’s salvation. On the other hand (and perhaps
for this very reason), they lived in a world where
secular time seemed frozen by the pax romana...
the Empire appeared eternal, wars had been
pushed to its edges, politics were conined
inside the palace walls. Ordinary pagans were
also pressed for time, but in another, more literal
way. In a present that held no promise of a future,
you had to seize the day, improve your station,
because after this there was nothing. In other
words, to picture Roman society’s relationship to
time in the early centuries of our era is to imagine
a world ruled by two opposing senses of being
in time: each quite inconceivable to the other,
yet both conined to two sides of the same urgency:
imminence on one side, and greed—carpe diem—
on the other.
Upon closer look, and all other things being
equal, their world was clearly not so diferent
from our own. Here we have, on one side, protean
jihadism informed by apocalyptic urgency, and,
un djihadisme protéiforme emporté dans une
urgence apocalyptique, de l’autre une impatience
de jouissances et de succès qui fait presque aussi
peur, l’une et l’autre, urgence et impatience,
ne cessant de se nourrir mutuellement. Ce
phénomène a été maintes fois décrit en termes
de post-modernisme, in de l’histoire, présentisme,
accélérationnisme, ou encore modernité liquide,
c’est-à-dire modernité réduite à des micro-temporalités sans durée et sans horizon. Le problème
avec de telles analyses est qu’elles inissent par
nous faire complètement perdre le sens politique
de l’urgence en se cantonnant à décrire la psychologie de l’homme occidental (ou du djihadiste
illuminé qui, à certains égards, n’en est que
le double spéculaire).
Si l’on souhaite retrouver un tel sens, en
quelque sorte passer de l’autre côté de cette structure micro-temporelle en miroir, il est nécessaire
d’interroger ceux qui vivent en son cœur, c’està-dire les révolutionnaires syriens. Car c’est peutêtre en Syrie que se nouent et pourront peut-être
se dénouer seulement là-bas tous les traits de
cette crise du temps : le djihadisme sanguinaire
(Daech), le djihadisme sunnite de libération
(la nébuleuse de ceux qu’on appelle pudiquement
« islamistes modérés »), le djihadisme chiite, le totalitarisme d’État, les manœuvres des grandes puissances internationales. Et car seuls peut-être les
révolutionnaires syriens peuvent nous apprendre
ce que sont les vraies urgences politiques du
temps et comment elles ne prennent sens qu’en
articulant temps courts et temps longs. Depuis
2011, ils savent en efet ce que signiie l’urgence qui
dure et se déplace (à Damas, à Homs, à Yarmouk,
à Alep, à Idlib,…) parce que cette urgence est
articulée au temps long d’une exigence de liberté,
de justice et de dignité qui ne peut plus disparaître.
Et ils savent sans doute aussi ce que signiie
la perte de sens et de l’urgence et du temps long
dans une communauté internationale qui ne cesse
depuis six ans de les abandonner. En d’autres
termes, pour reprendre les mots de James Baldwin
à propos des étudiants noirs au début des années
1960, faisons le pari que les Syriens d’aujourd’hui
peuvent nous « prouver indéniablement ce
que la plupart des gens dans ce pays ont encore
à découvrir : que le temps est réel ».
Œuvres exposées
Une note manuscrite de Joseph Beuys : « les pas
nécessaires à la survie, nous allons les faire nousmêmes ». La plupart de ceux qui traversent
on the other, an eagerness for pleasure and
gain that is almost as scary; each one—eagerness
and urgency—perpetually feeding of the other.
The phenomenon has often been described as
post-modernism, the end of history, presentism,
accelerationism, even liquid modernity (modernity reduced to micro-temporalities, without
permanence and without perspective). The problem with these interpretations is that we lose sight
of any political sense of urgency, conined as we
are to describing the psychology of the Western
mind (or that of the enlightened jihadi, which,
in a way, is merely its mirror image).
If we wish to recover this sense, to cross to
the other side of the micro-temporal looking glass,
so to speak, we should talk to those who live at
its core: Syrian revolutionaries. It is in Syria
that the threads of this crisis of time are getting
tangled—blood-thirsty jihadism (Daesh), Sunni
liberation jihadism (a cluster euphemistically
described as “moderate Islamists”), Shiite jihadism,
state totalitarianism, and the manoeuvrings of the
great international powers; and it is perhaps
only in Syria that they can be untangled. Maybe
only Syrian revolutionaries can teach us what
true political urgency is, and how it only takes
on meaning if we connect the short term to
the long term. Since 2011 in fact they have known
an urgency that is ongoing, and drifting—from
Damascus, to Homs, Yarmouk, Aleppo and Idlib—
an urgency over the long term that can no longer
be ignored in its demands for freedom, justice
and dignity. And no doubt they know what
loss of meaning, and urgency, and permanence
means in an international community that for six
years has done nothing but repeatedly abandon
them. To borrow the words of James Baldwin,
referring to black students in the early 60s, let
us be conident that today’s Syrians can “prove
unmistakably what most people in this country
have yet to discover: that time is real.”
Exhibited works
A handwritten note by Joseph Beuys stating:
“the steps necessary to survival, we will take
them ourselves”. Most people who have experienced true survival—not its paranoid, survivalist
perversion—are aware of this ambivalence:
surviving is no longer really living, forced to exist
naked and stripped of everything; and yet surviving is also living superlatively, experiencing new
forms of afection and intensity. To take the steps
necessary for survival ourselves, says Beuys.
de vraies expériences de survie, avant leur perversion paranoïaque ou survivaliste, en connaissent l’ambivalence : survivre, c’est ne plus vivre
vraiment, être voué à une vie nue dépouillée
de tout, et survivre, c’est vivre supérieurement,
dans des formes d’afection et d’intensité inédites.
Faire nous-mêmes les pas nécessaires à la survie,
dit Beuys. Prendre son destin en mains et rester
dignes jusqu’au bout, disent tous les révoltés.
Une conférence de Gilles Deleuze nommée :
Qu’estce que l’acte de création ? Pour créer, nous
dit Deleuze, il ne faut pas se perdre dans des
projets ou des intentions vides mais d’abord
apprendre à vivre aux aguets, à attendre l’idée qui
vient, à se rendre disponible aux forces du dehors.
Ce en quoi la création artistique se rapproche
peut-être le plus décisivement quoi que le moins
visiblement des luttes politiques : dans une même
expérience d’un temps où l’attente ininie et le
geste fulgurant inissent presque par devenir
indiscernables.
Pierre Zaoui
To take our destiny in our own hands and keep
our dignity until the end, say those who revolt.
A conference by Gilles Deleuze entitled:
Qu’estce que l’acte de création? [What is the
creative act?] To create, says Deleuze, we must
not lose ourselves in empty projects or intentions;
we must learn to be on the lookout, to wait for
ideas to come, to be open to outside forces. This
may be how the creative act most decisively—yet
least obviously—resembles political struggle:
a shared experience of time in which the endless
wait and the explosive gesture become almost
indistinguishable.
Pierre Zaoui
Programme
18 septembre à 19 h
Discussion ouverte avec
Pierre Zaoui, Hala Abdallah,
Salam Kawakibi et
Véronique Nahoum-Grappe,
du Comité Syrie-Europe
Programme
18 September, 7 pm
An open discussion with
Pierre Zaoui, Hala Abdallah,
Salam Kawakibi and
Véronique Nahoum-Grappe
from the Comité Syrie-Europe
C
La séance proposera une discussion, ouverte
à tous, avec des membres du Comité Syrie–Europe
autour de la question du temps dans un conlit
qui dure depuis plus de six ans et ne semble
pas prêt de s’achever. Comment survivre aux basculements terribles qui strient ce conlit depuis
2011 : révolution improbable, passage à la lutte
armée, sentiment d’imminence de la victoire,
sentiment d’imminence de la déroute, statu quo…?
Comment expérimenter la démocratie au sein des
Conseils de ville quand la guerre presse tout
autour ? Qu’est-ce qui est encore urgent aujourd’hui
en Syrie après Alep ? (Le sort des prisonniers politiques, le sort d’Idlib, la chute attendue de Daech…).
La séance sera entrecoupée d’extraits de ilms
de Hala Abdallah.
A
B
A Gilles Deleuze, Qu’estce que l’acte de création ?, captation vidéo
de la conférence donnée par Gilles Deleuze à La Fémis en mars 1987,
46 min 45 s B Joseph Beuys, Die überlebensnotwendigen Schritte
werden wir nun selbst unternehmen ! / Gruss ! [Les pas nécessaires
à la survie, nous allons les faire nous-mêmes ! Salutations !], 1981, mine
graphite sur papier C Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017,
photogramme
A Gilles Deleuze, Qu’estce que l’acte de création? [What is the
Creative Act?], video recording of a public lecture by Gilles Deleuze
at La Fémis in March 1987, 46 min 45 s B Joseph Beuys, Die
überlebensnotwendigen Schritte werden wir nun selbst unternehmen! /
Gruss! [The steps necessary for survival, we are going to take them
ourselves! Greetings!], 1981, graphite on paper C Eric Baudelaire,
Also Known As Jihadi, 2017, ilm still
An open discussion with members of the Comité
Syrie–Europe [Syria–Europe Committee] on the
question of time in a conlict that has lasted
more than six years with no end in sight. How
does one survive the terrible upheavals that have
marked this conlict since 2011: unlikely revolution,
armed resistance, a feeling of imminent victory,
a feeling of imminent defeat, status quo...? How
can local city councils implement democracy
when war is raging all around them? What remains
urgent in Syria after Aleppo? (The fate of political
prisoners, the fate of Idlib, the long-awaited fall
of Daesh...). The evening will include excerpts
from the ilms of Hala Abdallah.
Ce livret a été publié
à l’occasion de l’exposition Après,
un projet d’Eric Baudelaire,
du 6 au 18 septembre 2017
dans la Galerie 3 du Centre Pompidou, Paris.
À Patrick Baudelaire
qui m’a transmis son amour des livres
E. B.
Centre national d’art
et de culture Georges Pompidou
Le Centre national d’art
et de culture Georges Pompidou
est un établissement public national
placé sous la tutelle
du ministère chargé de la culture
(loi n o 75–1 du 3 janvier 1975)
Serge Lasvignes
Président
Julie Narbey
Directrice générale
Julia Beurton
Directrice générale adjointe
Bernard Blistène
Directeur
Musée national d’art moderne –
Centre de création industrielle
Kathryn Weir
Directrice
Département du
développement culturel
Jack Lang
Président
Association pour le développement
du Centre Pompidou
Collections et crédits photographiques Fondation Le Corbusier :
Architecture (A, D, E) • Centre Pompidou, Musée national d’art
moderne-Centre de création industrielle, Paris : Introduction (A),
Commémorer (A, B, C, D, E), École (C), Fûkeiron (A, B, C, D),
Hypnose (A, B), Justice (A, B, D), Ô mon pays ! (A, B), Présent/Passé (B),
Rendre des comptes (B, C, D), le Temps presse (A). Photo : Centre
Copyrights © Adagp, Paris 2017 : Vito Acconci, Carl Andre, Jean Arp,
Pompidou, MNAM-CCI. Dist. RMN-GP/Georges Meguerditchian :
Commémorer (B, C, D, E), Fûkeiron (C, D), Hypnose (A), Justice (A),
Rendre des comptes (B) ; Philippe Migeat : Commémorer (A), Fûkeiron (A),
Ô mon pays ! (B), le Temps presse (B) ; Bertrand Prévost : Rendre
des comptes (C) ; droits réservés : École (C), Fûkeiron (B), Hypnose (B)
• Centre Pompidou, Musée national d’art moderne-Centre de
création industrielle, Bibliothèque Kandinsky, Paris : Architecture (D),
Commémorer (F), École (B) ; Fonds Shunk-Kender, Donation Roy
Lichtenstein Foundation, 2014 : Justice (C) • Collection de l’artiste :
École (A), artistes en Lutte (A, D) • Bibliothèque Interuniversitaire de
Santé, Paris : Hypnose (C). Photo : BIU Santé, Paris • Collection M HKA/
Museum of Contemporary Art Antwerp : Hypnose (D) • Jon Hendricks :
artistes en Lutte (B, C, E, F) • Mohamed Salah Azzouzi : Mouvement
image (A, B, D) • Collection du Centre national des arts plastiques,
Paris, FNAC 980569 (29). Photo : Cnap, Yves Chenot : Ô mon pays ! (C)
• Elisabetta Benassi et Magazzino d’arte, Rome. Photo : Andrea Rossetti :
Présent/Passé (A) • Collections ayant prêté des documents non
reproduits ici : Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine,
Paris et Bibliothèque municipale de Rouen.
Eric Baudelaire, Joseph Beuys, Constantin Brancusi, Esther Ferrer,
Fondation Le Corbusier, Isidore Isou, Faith Ringgold, Kurt Schwitters,
Zineb Sedira, Rosemarie Trockel © Lawrence Abu Hamdan.
AKA Serial Killer © Adachi Masao Screening Committee. La Bombe
(The War Game) © BBC © Elisabetta Benassi. Der lachende Mann
© Deutsches Rundfunkarchiv © Frazer Dougherty. Qu’estce que
l’acte de création ? DVD disponible aux éditions Montparnasse
© 2004 Editions Montparnasse. Tous droits réservés © Marianne
Filliou. Shunk-Kender © J. Paul Getty Trust. Tous droits réservés
© Paul Graham © Renée Green © Jon Hendricks. La Grande
Borne © INA. France/tour/detour/deux/enfants © INA. Reprise
© Les Films d’Ici © Andrei Monastyrsky © Irving Petlin. Le Joli Mai
© Potemkine Films © Printer Matter Inc., Kunstverein Publishing
and the Research Centre for Artists’ Publications at the Weserburg |
Museum of Modern Art © Jan van Raay © Jo Ractlife. Zone immigrée
et Ils ont tué Kader © Mohamed Salah Azzouzi. The Emperor’s Naked
Army Marches On © Shisso Production. Handsworth Songs © Smoking
Dogs Films, vidéo fournie par Lisson Gallery © Théâtre Pôle Nord
© Paul Thek © Jean Toche © Nil Yalter © Droits réservés.
Didier Grumbach
Président
Société des Amis
du Musée national d’art moderne
© Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2017
© Éditions Poulet-Malassis, Paris, 2017
Exposition
Remerciements
Commissaire :
Marcella Lista,
conservatrice,
chef du service
des nouveaux médias
Sonia Ahmimou
Luc Arasse
Claire Atherton
Christophe Bousquet
Gilles Carles
Thibault Carterot
Catherine David
Arnaud Dercelles
Guillaume Désanges
Sylvie Douala-Bell
Yvon Figueras
Mica Gherghescu
Isabelle Godineau
Stéphane Guerreiro
L’Harmënstejn
Lora Houssaye
Raphaëlle Jeandrot
Mathieu Lamy
Brigitte Léal
Alexandre Lebugle
Fabien Lepage
Kim Levy
Karolina Lewandowska
Dov Lynch
Olga Makhrof
Olivier Marboeuf
Anne Paounov
Laurence Perrillat
François Quintin
Didier Schulmann
Gaëlle Seltzer
Bernard Soens
Laurence Soens
Jonas Storsve
Brigitte Vincens
Cédric Walter
Sylvain Wolf
Galerie Barbara Wien
Galerie Greta Meert
Chargés de recherches
et coordination :
Alexandra Delage,
Julie Champion
et Etienne Sandrin
avec Pauline Roche
Chargées de production :
Maud Desseigne
avec Capucine Borde
Architectescénographe :
Pauline Phelouzat
Édition
Éditeurs :
Centre Pompidou
Poulet-Malassis
Conception
éditoriale :
Eric Baudelaire
Coordination
éditoriale :
Alexandra Delage
Graphisme :
Jean-Marie Courant
& Marie Proyart
avec Malou Messien
Traduction :
Francesca Devalier
Sepideh Anvar
Jesse Kirkwood
Relectures :
Alexandra Delage
Julie Champion
Impression :
Cassochrome
Ce projet a bénéicié du soutien de
Lafayette Anticipations –Fonds de dotation Famille Moulin, Paris
Cassochrome
Nous adressons nos
chaleureux
remerciements
aux participants de ce
projet ainsi qu’aux
partenaires et institutions qui ont permis par
leurs prêts, leur soutien
et leurs conseils
la réalisation d’Après.
Du 6 au 18 septembre 2017
Centre Pompidou—Galerie 3
Commissaire : Marcella Lista
September 6 to 18, 2017
Centre Pompidou—Gallery 3
Curator: Marcella Lista
après
Après réunit dans la Galerie 3 du Centre Pompidou,
pendant deux semaines, une exposition et une
programmation quotidienne. Le dernier ilm
d’Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi (2017),
est au cœur de ce projet. Il suit le parcours d’Aziz,
de Vitry-sur-Seine jusqu’au Tribunal Correctionnel,
mène une enquête tâtonnante sur une réalité qui
dépasse cet événement précis, une réalité saturée
de lectures interprétatives et dont la complexité,
pourtant, ne cesse de résister à la compréhension.
À ce ilm, sur le plateau d’exposition ouvert,
répondent les œuvres d’autres artistes, du passé et
du présent, issues des collections du musée national d’art moderne et de quelques autres institutions, de Constantin Brancusi à Jean-Luc Godard,
de Rosemarie Trockel à Andrei Monastyrsky,
Jo Ractlife ou Lawrence Abu Hamdan. Chaque
jour à 19 heures, une programmation amorce
un moment de débat et d’échange avec le public.
Après [after] brings together, for two weeks in
Gallery 3 of the Centre Pompidou, an exhibition
and a daily programme of encounters. Eric
Baudelaire’s latest ilm, Also Known As Jihadi (2017),
is central to this proposition. It follows the journey of Aziz from his native Vitry-sur-Seine to
the criminal courthouse, and focuses on a reality
that goes beyond individual events: a reality saturated by interpretations, but whose complexity
deies comprehension. In the exhibition space,
the works of other artists from the past and
present, drawn from the collections of the National
Museum of Modern Art and other institutions,
respond to the ilm: from Constantin Brancusi
to Jean-Luc Godard, Rosemarie Trockel, Andrey
Monastyrsky, Jo Ractlife and Lawrence Abu
Hamdan. Every day, at 7 pm, a public programme
of screenings and discussions with the public
will take place.