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Tels parents, tels enfants?

2009, Revue française de sociologie

TELS PARENTS, TELS ENFANTS ? Une approche de la transmission culturelle Sylvie Octobre et Yves Jauneau Ophrys | Revue française de sociologie 2008/4 - Vol. 49 pages 695 à 722 ISSN 0035-2969 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2008-4-page-695.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Octobre Sylvie et Jauneau Yves, « Tels parents, tels enfants ? » Une approche de la transmission culturelle, Revue française de sociologie, 2008/4 Vol. 49, p. 695-722. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Ophrys. © Ophrys. 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Une approche de la transmission culturelle* Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys La transmission est une question ancienne en sociologie. Elle a été étudiée sur des terrains aussi divers que l’identité sociale et professionnelle, l’économie, la religion, les opinions politiques, les modes de vie ou la culture. Le plus souvent, il s’agit de comparer les attitudes, biens ou valeurs de générations successives, soit en collectant des informations rétrospectives à l’âge adulte, soit en comparant les générations, plus rarement des populations d’enfants et de parents appariées. C’est cette dernière approche qui a été retenue ici, afin de préciser les modalités de la transmission culturelle à partir de données collectées sur des adolescents et préadolescents de 10 à 14 ans ainsi que sur leurs parents, puis de modéliser les facteurs favorables à la transmission du rapport aux activités culturelles prises dans leur ensemble, enfin, de mettre en évidence les statiques et les dynamiques culturelles entre générations, et d’esquisser quelques traits caractérisant l’évolution de la place de la culture dans la définition même des générations. Les recherches menées en sociologie de la culture apportent des réponses aux questions que pose la compréhension des phénomènes culturels et de leur dynamique : comment se construisent les habitudes et les comportements culturels, comment s’opèrent les transmissions culturelles entre générations, comment se reproduisent ou se produisent les comportements culturels d’une génération à l’autre ? Ces questions se rejoignent dès lors que l’on s’intéresse à la place des comportements culturels dans la définition même des générations, puisque la culture tient une place dans la définition de l’appartenance générationnelle et, ce faisant, des différences entre générations. C’est à ces questions que cet article est consacré. Transmission culturelle et socialisation La transmission est une question ancienne en sociologie. Elle a été étudiée sur des terrains aussi divers que l’identité sociale et professionnelle, l’économie, la religion, les opinions politiques, les modes de vie ou la culture. La plupart du temps, il s’agit de comparer les attitudes, biens ou valeurs de générations successives, soit à partir de données rétrospectives collectées à l’âge adulte, soit en comparant les générations, plus rarement en comparant des * Les auteurs remercient Georges Felouzis, Louis-André Vallet ainsi que les relecteurs de la Revue française de sociologie des conseils, suggestions et commentaires qu’ils leur ont adressés sur les diverses versions de ce texte. 695 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys RÉSUMÉ Revue française de sociologie populations appariées d’enfants et de parents, et plus rarement encore en considérant l’ensemble de la famille (les deux parents mais aussi l’ensemble des membres de la fratrie). De l’ensemble de ces travaux, il ressort que la transmission « moderne » revêt un sens tout à fait particulier, celui d’un héritage laissant une large initiative aux héritiers. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Les analyses quantitatives sont moins nombreuses. Des travaux anglosaxons (Kaufman et Gabler, 2004 ; Dumais, 2006) étudient les pratiques culturelles en lien avec le milieu scolaire (1), tandis qu’en France certaines grandes enquêtes accréditent le rôle des transmissions familiales en identifiant des « passeurs » de culture, généralement les mères (Michaudon, 2001 ; Tavan, 2003 ; Donnat, 2004). La plupart de ces travaux se fondent sur l’analyse de déclarations rétrospectives, collectées à l’âge adulte, et passées au prisme de la recomposition mémorielle. Car pour de nombreuses raisons, tant théoriques que méthodologiques, les enfants sont longtemps restés un objet rare de la sociologie française (Corsaro, 2001 ; Sirota, 2006), à l’exception de la pratique de la lecture. Pratique à forte dimension symbolique – elle est considérée comme la voie d’accession à la citoyenneté et fonde tout le discours éducatif depuis les Lumières –, la lecture a fait l’objet de nombreuses recherches qui, en interrogeant directement les enfants, notamment au moment du collège et du lycée, ont mis en évidence les facteurs de prise et de déprise et les modes de construction des goûts (Singly, 1989 ; Schön, 1993 ; Baudelot, Cartier et Detrez, 1999). Les questions de la formation des goûts et de la transmission de la lecture y sont souvent sollicitées en contrepoint d’un discours largement répandu sur la « baisse » de la pratique de la lecture et sur ses « risques » sociaux. Ainsi l’intérêt pour la jeunesse estil intimement lié à l’analyse des « crises », des « risques » et des « échecs de la transmission ». (1) Ce pan de recherche anglo-saxon se situe très explicitement dans une perspective bourdieusienne ou néo-bourdieusienne. 696 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Dans le domaine culturel, cette question a été approchée de plusieurs manières en analysant les conditions de socialisation. Une partie des travaux s’est attachée à l’analyse de la construction des goûts, le plus souvent de manière qualitative (Lahire, 1995 ; Bromberger, 1988 ; Pasquier, 2005). Les conditions de familiarisation puis d’attachement des individus à une pratique ou une consommation culturelles y sont décrites, que cette socialisation culturelle ait lieu dans le cercle familial, dans le cercle amical ou bien à l’occasion de rencontres extérieures ou d’accidents de vie. Ainsi, les transmissions familiales peuvent être observées, y compris dans des domaines où les jeunes sont réputés plus compétents que leurs parents, en interrogeant les modalités et conditions d’émergence de cette compétence (Fluckiger, 2007). Sylvie Octobre, Yves Jauneau Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Le diagnostic de « crise » dépend des indicateurs utilisés pour mesurer les transmissions. Dans de nombreux travaux, l’analyse des transmissions se fonde sur l’utilisation d’un indicateur principal : l’origine sociale. Celui-ci, pour puissant qu’il soit, présente des limites majeures puisqu’il ne dit rien ni de la trajectoire sociale, ni des différences intrafamiliales entre les parents (seul le chef de famille est généralement pris en compte), ni de la réalité concrète des comportements et pratiques (qui peuvent fortement varier à l’intérieur d’une même classe sociale), ni encore des relations parents/enfant. Tous ces éléments sont d’importance en matière de transmission, notamment de valeurs politiques comme l’a montré Percheron (1993). Mohr et Di Maggio (1995) ont, quant à eux, mis l’accent sur la notion de « home climate » (ou climat familial) pour expliquer la transmission des comportements culturels (2). Leurs travaux fournissent des pistes pour tenter de mieux comprendre les transmissions intergénérationnelles : la notion de climat familial élargit l’appréhension des facteurs influant sur la transmission culturelle en intégrant des variables décrivant les exemples parentaux en matière de loisir culturel et plus largement de projet éducatif, ou encore les relations familiales. Autrement dit, on passe d’une analyse positionnelle à une analyse plus compréhensive des mécanismes de la transmission, qui envisage ses diverses modalités et facteurs : imprégnation, styles éducatifs, type de relations parents/enfant, homogénéité des choix parentaux, etc. Que les stratégies parentales s’appuient sur des mécanismes d’imprégnation ou d’inculcation (Muxel, 1984 ; Percheron, 1991), ou bien de persuasion clandestine ou de pédagogie explicite (Singly, 1995), sur fond d’autonomisation croissante sans indépendance (Singly, 2006), il faut alors décrire les modalités de la transmission pour chaque objet culturel afin d’appréhender le rapport de chaque génération à la culture. La question des transmissions culturelles doit également être étudiée à la lumière de celle du genre, et ce au moins à trois niveaux. Le genre des pratiquants est le plus souvent analysé, que ce soit de manière quantitative (Octobre, 2008 ; Baudelot et Establet, 2007) ou qualitative (Moulin, 2005 ; Detrez, 2002). Il s’imbrique étroitement avec celui du genre des interactions parents/enfant : sur cet aspect, les enquêtes successives « Emploi du temps » de l’Insee (Économie et statistique, 2002) nous renseignent durablement sur l’inégale répartition des tâches domestiques et éducatives, de même que les analyses compréhensives (Kaufmann, 1997 ; Singly, 2003). Pour être complet, il faut encore prendre en considération le genre des objets culturels, eux-mêmes soumis à une catégorisation sexuée participant des stéréotypes de genre. Ces trois niveaux considérés, on peut alors précisément répondre à la question suivante : quel parent (père ou mère) transmet à quel enfant (fille ou garçon) quelle pratique ou consommation culturelle ? (2) Cette notion sert d’intermédiaire aux effets des positions parentales, de leur niveau de diplôme, de leur revenu sur le capital culturel de l’enfant, qui sont indirects. 697 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Les modalités de la transmission Revue française de sociologie Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys La transmission n’épuise pas l’explication des comportements. En effet, outre que l’on ne peut certifier qu’il y a transmission que lorsque les comportements perdurent jusqu’à l’âge adulte, quand le différentiel de statut parents/enfant s’estompe, il faut, préalablement, que l’enfant adopte les comportements transmis pour qu’ils deviennent siens. Cette adoption peut achopper sur l’émancipation liée à l’avancée en âge de l’enfant, mécanisme généralement lié à l’adolescence, largement commenté par les sociologues et les psychologues, et qui alimente un discours sur la « crise » de l’adolescence, qui n’est autre qu’une crise de la transmission (Fize, 2003). La construction des choix culturels des enfants peut par ailleurs obéir à d’autres influences que celle des transmissions familiales, influences qui peuvent compléter ou contrevenir aux premières : notamment les influences des pairs et de l’école. Différents travaux qualitatifs et quantitatifs concernant l’influence de la sociabilité horizontale, notamment à partir des années collège et lycée (Pasquier, 2005 ; Poetics, 2004), ont mis en évidence la force des sociabilités horizontales, qui viennent infléchir les effets de la socialisation verticale, mesurée par le poids de l’origine sociale. L’école joue comme un autre agent de socialisation culturelle. Ainsi, le degré de connaissance des équipements culturels (musées, monuments, théâtres) des jeunes générations doit beaucoup à l’influence de l’école et les sorties scolaires ont joué un rôle majeur en matière de démocratisation de l’accès à certains lieux culturels (Coulangeon, 2003 ; Octobre, 2003). Si l’effet d’initiation de l’école est en outre avéré en matière de lecture (Schön, 1993), son influence ne se limite pas au champ des pratiques légitimes et s’exerce également en matière de médias (Coulangeon, 2007). Certes, les liens entre école et pratiques et consommations culturelles justifient des explications variables selon que l’on se situe du côté de la sociologie de l’éducation (recherche des impacts sur les performances scolaires des pratiques et consommations culturelles extrascolaires) ou de la sociologie de la culture (mise en évidence de l’effet du niveau de diplôme sur l’accès aux activités et consommations), mais tous les travaux mettent en évidence le jeu subtil, parfois paradoxal, de leurs influences croisées. Enfin, il faut compter avec des effets de contexte, notamment ceux liés à l’évolution de l’offre culturelle. Dans le secteur culturel, l’apparition de nouveaux objets culturels (notamment en matière de multimédia) impose que l’on prenne en considération des effets de période pour l’analyse des transmissions entre générations. Culture et génération Une « bonne » transmission (i.e. une transmission efficace) favorise la reproduction des comportements culturels d’une génération à l’autre (qu’il s’agisse de comportements de consommation ou de retrait), tandis que les 698 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Au-delà de la transmission Sylvie Octobre, Yves Jauneau jeux croisés des autres influences peuvent permettre la production de nouvelles attitudes culturelles (de consommation ou de retrait, c’est-à-dire d’adhésion à des comportements nouveaux ou de désaffection à l’égard de comportements préexistants). Entre transmissions et mutations culturelles, quels sont les équilibres par pratique et les équilibres globaux ? Une question plus générale émerge alors, qui porte sur le rôle de la culture dans la définition des générations. Considérée comme un élément de définition fort des générations depuis le milieu du XXe siècle, faisant partie explicitement des revendications générationnelles et des conflits intergénérationnels (Galland, 2007), la culture ne voit-elle pas son rôle être modifié par les mutations qui affectent les transmissions ? Ne passe-t-on pas d’une position centrale et conflictuelle à une position plus marginale et plus consensuelle, alors que les tensions générationnelles se durcissent dans d’autres champs (Chauvel, 2006) ? L’acuité de cette question est accréditée par les récentes analyses globales et prospectives menées à partir des enquêtes « Pratiques culturelles des Français », puisque celles-ci confirment la dimension générationnelle de certains comportements culturels, mettent en évidence les tendances intergénérationnelles de certains d’entre eux et fournissent des pistes concernant la place de la culture dans la définition des jeunes générations, entre mutations des pratiques et des représentations des pratiques (Donnat et Lévy, 2007). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, cet article s’appuie sur l’enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », dont l’une des richesses est de fournir des informations collectées directement et séparément auprès des enfants et de leurs parents (père et mère), de manière synchronique. Ces informations portent sur les comportements culturels de l’enfant et de ses parents, la sociabilité enfantine, la position sociale des parents, l’insertion scolaire de l’enfant, le projet éducatif parental, le type de relations parents/enfant et la description de la famille et de l’habitat (voir Encadré I) (3). Seules les réponses portant sur les 10-14 ans seront prises en compte dans ce qui suit, pour deux raisons : la première, théorique – c’est à la préadolescence que l’influence des agents de socialisation autres que la famille est tangible – et la seconde, de méthode – pour ces classes d’âge, on dispose de l’ensemble des informations listées plus haut. (3) Du fait de la multiplicité des informations à recueillir (interrogation sur les parents et les enfants), certaines variables « habituelles » telles que le diplôme ou le revenu des parents n’ont pas été collectées. On dispose néanmoins, pour chacun des parents, de la catégorie socioprofessionnelle et de la position sur le marché du travail. 699 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Une approche de la transmission culturelle Revue française de sociologie ENCADRÉ I. – Données entrant dans l’analyse Variable à expliquer Pratiques et consommations de loisirs des enfants Des informations sont disponibles pour sept pratiques : télévision, écoute musicale, lecture (de livres, de presse, de magazines), pratique informatique, jeux vidéo, sport et pratique artistique amateur. Le niveau de pratique est initialement décrit en quatre classes d’intensité croissante, recodées de la manière suivante : « faible » pour « jamais ou presque jamais » ou pour « 1 à 2 fois par mois » ; « moyenne » pour « 1 à 2 fois par semaine » ; « élevée » pour « tous les jours ou presque ». Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys 1) Sexe et âge de l’enfant (en réalité c’est la classe qui s’est substituée à l’âge, celle-ci étant plus efficace pour l’analyse : CM2, 6e, 5e, 4e, 3e). 2) Données concernant le « home climate » – Position sociale : PCS du chef de famille. – Sociodémographie familiale et conditions matérielles de vie : nombre d’enfants, type de famille (classique avec père et mère biologiques, recomposée, monoparentale, autre cas), type d’habitat, type d’agglomération, et disposition d’une chambre réservée ou pas pour l’enfant. – Projet éducatif et rapport aux parents : niveau de discussion avec les parents, niveau d’autonomie de l’enfant, niveau d’implication des parents dans le travail scolaire. Pour disposer d’éléments qualifiant la relation parents/enfant, des indicateurs de deux ordres ont été calculés. L’indicateur d’autonomie est calculé en faisant la somme des réponses des enfants aux questions portant sur les autorisations en matière de loisirs (réponse non/oui, soit une note de 0 ou 1 à chaque question) : « regarder certaines choses à la télévision », « jouer à certains jeux vidéo », « faire certaines choses sur ordinateur », « pratiquer certains sports », « écouter certaines émissions de radio », « faire une boum chez soi », « aller à une boum ». L’indicateur de discussion est calculé en faisant la somme des réponses des enfants aux questions portant sur les discussions au sujet des loisirs (réponse non/oui, soit une note de 0 ou 1 à chaque question). Le champ des discussions couvert est large : parler « de ce que tu vois à la télévision », « des musiques que tu écoutes », « de ce que tu lis : livres, journaux, magazines, revues, etc. », « des jeux vidéo auxquels tu joues », « de ce que tu fais sur ordinateur », « des sports que tu pratiques », « des activités artistiques que tu fais : musique, théâtre, danse, dessin, etc. ». – Pratiques et consommations de loisirs des parents : on dispose des mêmes informations que pour les enfants, construites de manière identique, pour chacun des deux parents (voir supra). Il s’agit de mesurer l’effet de l’imprégnation de l’enfant par les pratiques parentales. La logique d’analyse étant celle de « l’exposition » de l’enfant à la pratique domestique de l’adulte éducateur, la notion de « pratique des parents » désigne soit la pratique du parent dans le cas d’une famille monoparentale, soit la pratique des .../... 700 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Variables explicatives Sylvie Octobre, Yves Jauneau deux parents. Une acception extensive du champ des pratiques auxquelles l’enfant était exposé a été privilégiée, en codant la pratique des parents en « tous les jours ou presque » si l’un des parents au moins pratique tous les jours ou presque, de même pour « 1 à 2 fois par mois », etc. Ceci a également pour avantage de ne pas créer de distorsion des scores en cas de famille monoparentale. 3) Données concernant l’adhésion de l’enfant aux normes scolaires : niveau scolaire de l’enfant. 4) Données concernant les relations avec les copains : on dispose pour les discussions avec les copains d’un indicateur identique à celui disponible en matière de discussion avec les parents. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Les transmissions familiales peuvent recourir à deux mécanismes : d’une part, l’éducation volontaire, plus largement nommée « inculcation », et qui passe par des normes (contrôle, incitation, co-consommation en sont trois modalités usuelles) ; de l’autre, l’imprégnation, par exposition de l’enfant aux exemples parentaux. De nombreux travaux portant sur ces deux formes de transmission, qu’il s’agisse de religion, de politique, ou de modes de vie, ont montré que le second mécanisme prime nettement sur le premier en termes de poids explicatif. Le même phénomène prévalant en matière culturelle (Octobre, 2004), on s’attachera donc au second terme dans la présente analyse (4). Si des comparaisons existent entre ces deux termes, rares sont les travaux qui mesurent les forces relatives de l’imprégnation et des facteurs « objectifs » plus connus (âge, sexe, origine sociale, etc.), du climat familial ou encore des autres instances de socialisation (école, copains), et ce pratique par pratique. Comment savoir, par exemple, si un enfant mauvais élève à l’école dont les parents lisent beaucoup a plus de « chances » de lire beaucoup qu’un enfant ayant de bons résultats scolaires mais dont les parents sont de faibles lecteurs ? Ou encore, si un enfant de milieu ouvrier dont les parents font beaucoup de sport a plus de chances de faire beaucoup de sport que si son père ou sa mère est cadre mais ne fait jamais de sport ? (4) Dans l’enquête, pour chaque activité considérée, on demandait aux parents s’ils exerçaient un contrôle sur l’activité, s’ils incitaient leur enfant à la faire ou s’ils la faisaient avec lui/elle (pour le libellé exact des questions, voir annexe II de Octobre, 2004). Ces questions n’ont pas été retenues ici pour deux raisons : leur analyse montre que les logiques qui président au contrôle, à l’incitation et à la copratique sont variables (elles mêlent notamment compétence réelle et perçue de l’enfant, modèle genré de rôle pour l’enfant, division des tâches éducatives, catégorisation genrée des objets culturels, voir Octobre, 2008). Par ailleurs, ces questions étaient posées après celles concernant les consommations, qui servaient de filtre. Elles ne peuvent donc être intégrées à l’analyse toutes choses égales par ailleurs. 701 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys L’imprégnation, facteur majeur de transmission culturelle Revue française de sociologie Pour tenter de répondre à ce type de questions, le niveau de pratique de l’enfant a été modélisé en fonction de celui des parents, toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire en faisant intervenir dans le modèle les diverses caractéristiques de l’enfant et de sa famille. Sur chacune des sept pratiques et consommations considérées (télévision, musique, lecture, ordinateur, jeux vidéo, sport, activité artistique), un modèle logit polytomique a été utilisé afin de tester simultanément la probabilité d’une pratique élevée ou d’une pratique faible chez l’enfant (par rapport à la situation de référence : pratique moyenne chez l’enfant) en fonction d’un ensemble de facteurs (voir Tableau I). TABLEAU I. – Niveau de pratique ou consommation culturelle des enfants, toutes choses égales par ailleurs Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Sexe Fille Garçon Classe CM2 6e 5e 4e 3e Type de famille Classique Monoparentale Recomposée, autre Catégorie socioprofessionnelle du ménage Agriculteur Artisan, commerçant, cadre, profession libérale Profession intermédiaire Employé Ouvrier Inactif Disposition d’une chambre Chambre réservée Chambre partagée Niveau d’autonomie de l’enfant Élevé Moyen Faible Niveau de discussion avec les parents Élevé Moyen Faible Niveau scolaire de l’enfant Très bon élève Bon élève Quelques difficultés ou beaucoup de difficultés Niveau de discussion avec les copains Élevé Moyen Faible Odds ratios Musique Lecture Ordinateur Pratique Pratique Pratique Pratique Pratique Pratique faible élevée faible élevée faible élevée vs pratique vs pratique vs pratique moyenne moyenne moyenne Réf. 1,52 Réf. 1,00 Réf. 3,76 *** Réf. 0,87 Réf. 1,47 ** Réf. 1,06 Réf. 0,78 Réf. 1,56 *** 0,89 0,96 Réf. 0,84 1,47 0,53 ** 0,47 ** Réf. 0,83 1,43 3,22 ** 4,34 ** Réf. 1,43 1,66 0,81 2,10 ** Réf. 1,58 ** 1,76 ** 0,76 0,94 Réf. 1,17 1,28 1,00 0,92 Réf. 1,00 0,65 * 1,81 ** 1,54 * Réf. 0,96 ** 0,83 0,73 0,97 Réf. 1,20 1,04 Réf. 0,35 0,37 Réf. 0,78 0,57 Réf. 0,56 2,81 * Réf. 0,93 0,91 Réf. 0,84 1,09 Réf. 1,03 0,83 Réf. 1,63 ** 0,92 Réf. 1,51 0,77 1,52 0,55 0,49 Réf. 0,98 0,40 2,10 0,60 ** 0,59 ** Réf. 0,96 0,81 0,37 0,86 1,10 Réf. 1,37 1,15 0,88 1,61 * 1,90 ** Réf. 2,07 ** 2,16 0,92 0,81 0,86 Réf. 1,06 0,99 0,68 1,62 ** 1,41 Réf. 0,89 0,99 0,57 0,80 0,78 Réf. 1,86 0,88 0,59 1,05 1,22 Réf. 1,23 0,81 Réf. 2,36 Réf. 1,81 * Réf. 1,10 Réf. 0,81 Réf. 0,87 Réf. 0,82 Réf. 1,78 ** Réf. 1,33 1,79 Réf. 1,23 1,64 * Réf. 0,70 * 0,52 Réf. 1,94 * 1,99 *** Réf. 1,14 1,17 Réf. 1,05 0,83 Réf. 1,31 1,35 Réf. 1,14 1,52 Réf. 1,30 1,36 Réf. 2,33 * 0,65 ** Réf. 1,30 0,81 Réf. 0,56 1,27 Réf. 1,02 0,77 Réf. 0,94 0,96 Réf. 0,75 0,84 Réf. 0,99 0,81 Réf. 0,92 1,87 Réf. 0,62 0,73 Réf. 0,60 ** 1,60 Réf. 1,08 0,92 Réf. 1,44 * 0,99 Réf. 1,14 0,94 Réf. 1,01 1,18 Réf. 0,88 0,49 Réf. 1,09 1,25 Réf. 0,57 *** 0,91 Réf. 1,03 1,25 1,36 Réf. Réf. 0,48 *** 1,44 ** 1,12 Réf. 0,97 0,79 Réf. 1,23 1,16 Réf. 1,19 1,25 Réf. 1,05 ... /... 702 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Télévision Pratique Pratique faible élevée vs pratique moyenne Sylvie Octobre, Yves Jauneau Odds ratios Musique Lecture Ordinateur Pratique Pratique Pratique Pratique Pratique Pratique faible élevée faible élevée faible élevée vs pratique vs pratique vs pratique moyenne moyenne moyenne Télévision Pratique Pratique faible élevée vs pratique moyenne Niveau de pratique des parents Pratique élevée Pratique moyenne Pratique faible 0,56 Réf. 3,00 * 1,16 Réf. 0,32 *** 0,50 Réf. 1,38 1,00 Réf. 0,98 0,96 Réf. 2,45 *** 1,59 ** 0,99 1,27 Réf. Réf. Réf. 0,93 3,36 *** 0,55 *** Note : Les odds ratios sont issus de modèles logit polytomiques (un pour chaque type de pratique). En plus des variables du tableau, le nombre d’enfants dans le ménage, le lieu de résidence (rural, centre d’agglomération, ville isolée, banlieue d’agglomération) et le type d’habitat (maison individuelle, appartement, autre) ont été inclus dans le modèle. Les coefficients correspondant à ces variables, très rarement significatifs, n’ont pas été reproduits ici. Lecture : Toutes choses égales par ailleurs (c’est-à-dire une fois contrôlés les effets estimés pour les autres variables introduites dans le modèle), un garçon a 3,76 fois plus de chances qu’une fille d’avoir une pratique faible de musique (écoute musicale) que d’avoir une pratique moyenne de musique. Seuils de significativité : 1 % (***), 5 % (**), 10 % (*), non significatif (partout ailleurs). Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents. Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC. TABLEAU I (suite). – Niveau de pratique ou consommation culturelle des enfants, toutes choses égales par ailleurs Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Sexe Fille Garçon Classe CM2 6e 5e 4e 3e Type de famille Classique Monoparentale Recomposée, autre Catégorie socioprofessionnelle du ménage Agriculteur Artisan, commerçant, cadre, profession libérale Profession intermédiaire Employé Ouvrier Inactif Disposition d’une chambre Chambre réservée Chambre partagée Niveau d’autonomie de l’enfant Élevé Moyen Faible Niveau de discussion avec les parents Élevé Moyen Faible Odds ratios Sport Pratique Pratique faible élevée vs pratique moyenne Activité artistique Pratique Pratique faible élevée vs pratique moyenne Réf. 0,23 *** Réf. 3,51 *** Réf. 0,80 Réf. 3,02 *** Réf. 5,11 *** Réf. 0,70 * 1,37 1,28 Réf. 1,01 2,30 *** 1,10 0,95 Réf. 0,81 0,74 1,23 0,90 Réf. 1,51 * 1,78 ** 0,79 0,53 ** Réf. 0,68 0,70 0,47 * 0,71 Réf. 0,80 1,22 0,60 0,56 * Réf. 0,54 * 0,65 Réf. 1,96 ** 1,17 Réf. 1,20 0,71 Réf. 0,76 1,67 Réf. 1,05 1,38 Réf. 1,08 0,84 Réf. 1,35 0,65 1,34 1,19 1,04 Réf. 0,85 1,24 0,74 1,05 1,36 Réf. 1,27 2,50 ** 0,68 0,74 1,18 Réf. 1,56 * 1,65 0,37 0,81 0,86 Réf. 0,73 1,07 0,55 0,72 * 0,65 * Réf. 0,92 0,86 0,42 0,97 1,12 Réf. 0,90 0,74 Réf. 1,08 Réf. 1,13 Réf. 0,93 Réf. 0,77 Réf. 1,19 Réf. 1,85 ** 0,92 Réf. 0,99 1,36 ** Réf. 0,83 1,03 Réf. 1,49 ** 1,22 Réf. 0,77 0,73 * Réf. 0,79 0,74 Réf. 1,14 0,88 Réf. 1,23 0,71 * Réf. 0,98 0,87 Réf. 0,99 1,05 Réf. 0,94 0,66 ** Réf. 1,24 1,30 Réf. 1,15 ... /... 703 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Jeux vidéo Pratique Pratique faible élevée vs pratique moyenne Revue française de sociologie Jeux vidéo Pratique Pratique faible élevée vs pratique moyenne Niveau scolaire Très bon élève Bon élève Quelques difficultés ou beaucoup de difficultés Niveau de discussion avec les copains Élevé Moyen Faible Niveau de pratique des parents Pratique élevée Pratique moyenne Pratique faible Odds ratios Sport Pratique Pratique faible élevée vs pratique moyenne Activité artistique Pratique Pratique faible élevée vs pratique moyenne 0,88 Réf. 0,94 0,87 Réf. 0,68 * 0,70 Réf. 0,88 1,20 Réf. 1,00 1,32 Réf. 0,87 1,22 Réf. 1,41 0,49 *** Réf. 1,17 1,42 * Réf. 1,12 0,65 ** Réf. 1,11 1,41 * Réf. 1,38 0,80 Réf. 1,29 1,26 Réf. 0,94 0,90 Réf. 1,55 * 0,84 Réf. 0,43 *** 1,19 Réf. 1,76 *** 1,91 ** Réf. 1,41 * 0,90 Réf. 0,91 1,32 Réf. 0,74 Note : Les odds ratios sont issus de modèles logit polytomiques (un pour chaque type de pratique). En plus des variables du tableau, le nombre d’enfants dans le ménage, le lieu de résidence (rural, centre d’agglomération, ville isolée, banlieue d’agglomération) et le type d’habitat (maison individuelle, appartement, autre) ont été inclus dans le modèle. Les coefficients correspondant à ces variables, très rarement significatifs, n’ont pas été reproduits ici. Lecture : Toutes choses égales par ailleurs (c’est-à-dire une fois contrôlés les effets estimés pour les autres variables introduites dans le modèle), un garçon a 3,51 fois plus de chances qu’une fille d’avoir une pratique élevée de jeux vidéo que d’avoir une pratique moyenne de jeux vidéo. Seuils de significativité : 1 % (***), 5 % (**), 10 % (*), non significatif (partout ailleurs). Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents. Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys À l’exception de l’écoute de musique enregistrée et des pratiques artistiques amateurs (5), le comportement culturel des parents exerce bien, en soi, un effet important sur le comportement culturel de l’enfant, que cet effet soit principal (comme pour la télévision, la lecture et la pratique informatique) ou secondaire (pour les jeux vidéo et le sport, d’abord marqués par un effet de genre) (6). Dans la plupart des cas, cet exemple parental semble intervenir de façon plutôt « négative ». Ainsi, le fait que les parents regardent la télévision faiblement multiplie par trois la probabilité que l’enfant la regarde faiblement par rapport à des parents qui la regardent de façon modérée : ce ratio est de (5) La faiblesse des résultats sur ce point est due à l’enquête elle-même : celle-ci ne saisit que les pratiques artistiques amateurs actuelles des parents, dont le niveau de diffusion est bas, alors que d’autres enquêtes ont montré d’une part que les transmissions en la matière étaient plus larges et pouvaient porter sur des pratiques réalisées dans l’enfance par les parents – voire seulement souhaitées dans l’enfance – et abandonnées depuis (Donnat, 2004), et d’autre part que le niveau de diffusion des pratiques amateurs suivait une pente descendante avec l’avancée en âge (Donnat, 1996). Il est très vraisemblable que la comparaison de la pratique 704 amateur de l’enfant avec celle des parents durant leur propre enfance aurait mis en évidence un effet parental plus net. (6) Les coefficients commentés ici sont les odds ratios du Tableau I. Il s’agit des rapports de chances entre deux situations : par exemple, les situations « l’enfant regarde peu la télévision/les parents regardent peu la télévision » et « l’enfant regarde moyennement la télévision/les parents regardent moyennement la télévision ». Un odds ratio supérieur à 1 indique une augmentation du rapport de chances, un odds ratio inférieur à 1 une diminution de celui-ci. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys La force de l’imprégnation : la transmission du retrait Sylvie Octobre, Yves Jauneau 3,36 dans le cas de l’ordinateur, de 2,45 pour la lecture, de 1,75 pour le sport, de 1,5 pour les jeux vidéo et de 1,38 pour l’écoute musicale. Pour certaines pratiques, l’exemple parental intervient également de manière « positive » : le fait que les parents lisent beaucoup multiplie par 1,59 la probabilité que l’enfant lise également beaucoup par rapport à une position moyenne, ce ratio est de 1,27 pour l’ordinateur, de 1,91 pour le sport et de 1,32 pour les pratiques amateurs. Mais, pour toutes les pratiques, l’exemple parental pèse plus négativement que positivement : comme dans le champ politique (Percheron, 1993), c’est la posture de retrait qui se transmet le mieux (7). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys L’imprégnation culturelle dépend du modèle éducatif en place dans la famille. Le type de relation parents/enfant, mesurable par l’intensité des échanges, fait partie de la culture familiale non explicite mais discriminante des rapports interindividuels (Singly, 2006). Deux modèles s’opposent : le modèle « positionnel », que l’on rencontre plutôt dans les milieux populaires et qui définit l’enfant par son statut (âge et sexe), sur lequel sont directement indexés le permis et l’interdit ; et le modèle « relationnel » ou « à orientation personnelle », plus typique des classes sociales supérieures, qui privilégie l’autonomie, la négociation avec l’enfant, lequel est défini plus par ses qualités personnelles que par son statut (Octobre, 2004). Pour différents que soient ces modèles, leur impact sur l’effet d’imprégnation paraît relativement faible (sauf dans le cas de la télévision où un faible niveau de discussion parents/enfant à ce sujet augmente la probabilité de retrait de l’activité) (8). Car toutes les activités culturelles ne sont pas prises en compte de la même manière dans les dynamiques familiales et identitaires des jeunes. Ainsi, les pratiques artistiques amateurs ne sont pas support de sociabilité juvénile forte, ne s’inscrivent pas dans la culture jeune, ne relèvent pas d’un entre-soi juvénile, mais plutôt d’un pour-soi familial, notamment parce que le lieu d’exercice de bon nombre de ces pratiques est le domicile, et le public sollicité, quand il y en a un, celui de la famille. Le fait qu’un fort niveau de discussion avec les parents diminue la probabilité de s’adonner rarement à une pratique artistique amateur en est un signe, alors qu’aucun effet similaire n’existe en ce qui concerne la sociabilité juvénile. Ces variations traduisent ainsi l’inscription symbolique des pratiques dans l’identité du jeune. (7) « Ces parents qui pratiquent le plus constamment de tous la politique du chacun pour soi et du retrait sont en définitive ceux qui forment le plus souvent leurs enfants à leur image. » (Percheron, 1993, p. 116). (8) On ne dispose pas dans cette enquête d’un indicateur de qualité perçue des relations parents/enfant, indicateur dont Percheron a montré qu’il était, en matière de socialisation politique, positivement corrélé avec la transmission des valeurs parentales. 705 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Imprégnation et modèle éducatif Revue française de sociologie Imprégnation et origine sociale Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Certes, l’affaiblissement des distinctions liées à l’origine sociale chez les 10-14 ans est réel : si l’effet de l’origine sociale perdure chez les enfants en matière de consommation de loisirs culturels, il est en général moins fort que dans la génération des parents (Tableau II). Ceci suppose un double phénomène : une diffusion de la culture populaire (la télévision) antérieurement plus prisée chez les ouvriers que chez les cadres, et une popularisation des pratiques les plus élitaires (ordinateur, activité artistique amateur et écoute musicale). Seule la lecture n’est affectée par aucun des deux phénomènes : sa position de pratique élitaire est inchangée. Plus encore, il s’agit d’une pratique en voie de désaffection puisque c’est la seule dont le niveau de diffusion est très sensiblement inférieur dans la génération des enfants par rapport à celle des parents. Mais atténuation n’est pas disparition : l’effet propre de l’origine sociale reste tangible, notamment pour les pratiques les plus légitimes (lecture) ou celles pour lesquelles les coûts d’équipement restent élevés (ordinateur), même si les consommations médiatiques, notamment celle de musique enregistrée, produisent une forme d’homogénéisation des comportements culturels à l’intérieur de la classe d’âge. 706 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Cette imprégnation n’est pas non plus réductible à l’effet du milieu social, comme le montre l’exemple de la lecture : le fait d’être enfant de cadre ou d’être enfant de fort lecteur augmente tout autant la probabilité que l’enfant soit lecteur (les odds ratios cadres/employés et parents lisent beaucoup/parents lisent peu valent environ 1,6 à chaque fois). Ce point nécessite d’être précisé, puisqu’il nuance certaines analyses qualitatives sur l’effacement de l’origine sociale comme facteur de différenciation des pratiques des jeunes. Les cultures juvéniles sont parfois supposées apporter une forme d’homogénéisation, voire faire disparaître les différenciations liées à l’origine sociale : l’âge jouerait comme un contrevenant aux lois de la stratification sociale des pratiques culturelles, dont la permanence est pourtant attestée (Donnat, 1999), en faisant notamment (ré)apparaître le poids du genre (Pasquier, 2005). Sylvie Octobre, Yves Jauneau TABLEAU II. – Part des enfants et des parents ayant un niveau de pratique « élevé » Parents Cadres Enfants Odds ratios Ouvriers Cadres/ouvriers Cadres Ouvriers Odds ratios Cadres/ouvriers Télévision 69 92 0,2 77 86 0,6 Musique 91 78 2,8 80 79 1,1 Lecture 80 61 2,6 48 28 2,4 Ordinateur 46 10 7,3 36 23 1,9 3 5 0,7 36 33 1,1 Sport 13 10 1,4 25 20 1,4 Activité artistique* 14 3 5,0 22 22 1,0 Jeux vidéo* Note : * Pour les jeux vidéo et la pratique artistique amateur, les odds ratios relatifs aux parents doivent être interprétés avec prudence, en raison des très faibles niveaux de diffusion observés dans l’enquête. Lecture : Parmi les parents, 92 % ont une pratique élevée de télévision chez les ouvriers et 69 % chez les cadres. L’odds ratio de ces proportions est de 0,2. Chez les enfants, 86 % ont une pratique élevée de télévision si le chef de famille est ouvrier et 77 % si le chef de famille est cadre. L’odds ratio est de 0,6. Les odds ratios sont ici calculés de façon « brute » et ne sont pas issus d’un modèle toutes choses égales par ailleurs. Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents. Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Si l’imprégnation paraît régner sinon en maître du moins en facteur explicatif important des transmissions culturelles, reste à en décrire les modalités de mise en œuvre, en distinguant les facteurs qui constituent les « forces » des transmissions – ceux qui les favorisent – et les facteurs qui constituent ses « faiblesses » – ceux qui les perturbent. Des « forces », on retiendra ici trois registres d’analyse – l’homogénéité des comportements parentaux (ou homopraxie parentale) (9), le genre et l’origine sociale – à la fois parce qu’ils semblent les plus explicatifs des phénomènes et qu’ils donnent lieu aux débats les plus animés dans les publications de recherche, mais aussi parce que leurs effets s’imbriquent et doivent être analysés conjointement. La question de la force de l’homopraxie parentale est d’importance, dans le contexte de mutation des formes de la famille, la recomposition familiale présentant des modèles culturels pluriels aux enfants, parfois supposés augmenter leur ouverture culturelle. L’homopraxie parentale favorise-t-elle l’émergence de la pratique chez l’enfant ou bien est-ce plutôt la diversité des comportements parentaux ; autrement dit la transmission est-elle favorisée par la congruence des comportements parentaux ou bien par la diversité des modèles proposés ? L’effet du genre peut, quant à lui, être analysé via la répartition des rôles éducatifs et domestiques entre le père et la (9) Nous désignerons ainsi le fait que les deux parents aient un investissement fort dans une pratique ou consommation culturelle. Nous avions jusqu’à présent raisonné sur l’exemple parental comme une somme non inclusive des comportements des deux parents. 707 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Les transmissions culturelles : « forces » et « fragilités » Revue française de sociologie mère – dont on sait qu’ils sont inégaux (Kaufmann, 2007 ; Colin, Djider et Ravel, 2005) – et selon que l’enfant est une fille ou un garçon – et l’on sait également que les attentes envers les enfants des deux sexes diffèrent (Baudelot et Establet, 2007) – mais également selon la catégorisation sociale sexuée des activités culturelles. La question de l’origine sociale se mêle à la précédente puisque les modèles du féminin et du masculin ne se déclinent pas à l’identique dans tous les milieux (Maccoby, 1990). On peut alors décrire finement les modalités de la transmission, et savoir, par exemple, si les modèles maternel et paternel ont le même impact, s’ils s’exercent à l’identique sur une fille ou sur un garçon, ou encore s’il existe des effets différenciés selon les pratiques (10). Symétriquement, on peut mettre en évidence certaines « fragilités » de cette transmission, ou plus exactement le jeu des influences contraires aux transmissions culturelles familiales. On en retiendra trois également : le jeu des influences des autres espaces de socialisation de l’enfant (école, groupe des pairs notamment), l’action propre de l’enfant (notamment en fonction de l’avancée en âge), et les effets de contexte (intervenant sur la modification dans le temps de l’offre culturelle). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys L’imprégnation est sensible à l’homogénéité des choix parentaux pour la plupart des pratiques (Tableau III). Ainsi, un enfant dont les deux parents lisent souvent a plus de 2 fois plus de chances de lire lui-même souvent qu’un enfant dont un seul des deux parents lit souvent. Le même phénomène prévaut pour l’engagement sportif, la consommation télévisuelle et la pratique informatique de loisir. Pour ces activités, l’efficacité de la transmission dépend bien de l’intensité de l’investissement des deux parents, ce qui n’est pas le cas dans les consommations de musique enregistrée et de jeux vidéo, qui en sont relativement indépendantes. Le cas de l’activité artistique amateur est plus complexe. Lorsque deux parents ont une pratique artistique amateur élevée, 62 % des enfants sont eux aussi dans ce cas, contre 54 % lorsqu’un seul parent a une pratique élevée, soit un rapport de chances de 1,4 qui semble indiquer une influence positive de l’homopraxie parentale. Cependant, une fois contrôlé des autres caractéristiques de l’enfant et de son milieu, cet odds ratio n’est égal qu’à 1,2 et n’est plus significatif. Il ne le redevient que lorsque l’on « retire » du modèle la variable correspondant à la catégorie sociale. Pour les pratiques artistiques amateurs, l’effet de l’homopraxie parentale apparaît donc comme un effet induit de celui de l’origine sociale. (10) Pour répondre à ces questions, seules sont prises en compte les familles « classiques » ou « recomposées », c’est-à-dire celles dans lesquelles l’enfant est au quotidien confronté à 708 deux exemples parentaux (que les adultes soient mariés ou non et qu’il s’agisse des parents ou des beaux-parents), soit environ 85 % des 10-14 ans de l’échantillon. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys La « force » des transmissions culturelles Sylvie Octobre, Yves Jauneau TABLEAU III. – Pratiques culturelles et de loisirs des enfants, selon la pratique des deux parents Part des enfants ayant une pratique élevée (*) Sport Lecture Télévision Ordinateur Activité artistique Musique Jeux vidéo Aucun parent Un seul parent Deux parents Odds ratio (deux parents/ un seul parent) 64 57 69 42 49 74 29 74 68 82 79 54 81 40 86 79 87 86 62 81 41 2,2 1,7 1,4 1,7 1,4 1,0 1,0 Odds ratio « contrôlé » (deux parents/ un seul parent) 2,3 2,1 1,7 1,4 (1,2) (1,0) (1,2) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Les transmissions culturelles sont sensibles à la répartition selon le genre des rôles éducatifs, des activités et des modèles identitaires proposés aux enfants (Tableau IV) (11). Pour les activités fortement transmises par la cellule familiale, le rôle de la mère apparaît majeur. En matière de lecture et d’ordinateur, ce sont elles qui transmettent plus que les pères, trait déjà relevé dans les analyses rétrospectives concernant les passions (Donnat, 2004) : elles transmettent le goût de lire aux enfants des deux sexes et la pratique informatique plus fortement à leur fille qu’à leur fils. Pourtant, on note des cas de polarisation masculine des transmissions : le sport et la télévision sont des activités pour lesquelles les transmissions du père au fils sont plus fréquentes et ne connaissent pas leur symétrique féminin (mère/fille). Ceci suggère l’existence d’un triple registre explicatif du genre en matière de transmission culturelle : dans les répartitions des tâches éducatives, qui incombent tendanciellement plus aux mères, dans les modèles de rôles sexués incorporés par les enfants, les filles étant tendanciellement plus réceptrices, et dans la catégorisation sexuée des activités et pratiques elles-mêmes, certaines, (11) Afin d’observer si les transmissions varient selon le sexe du parent et celui de l’enfant, on a effectué, pour chaque item étudié, deux régressions logistiques dichotomiques (une pour les filles, une pour les garçons) qui testent la probabilité d’une pratique élevée chez l’enfant suivant les caractéristiques de l’enfant (voir variables précédentes) et celle des parents classée de la façon suivante : aucun parent n’a une pratique élevée, seul le père a une pratique élevée, seule la mère a une pratique élevée, les deux parents ont une pratique élevée. Les valeurs relatives à « père seul » et « mère seule » sont ensuite comparées. 709 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Champ : Ensemble des familles biparentales. Note : * Le niveau de pratique choisi est « élevé » pour tous les items sauf pour la lecture (enfants : moyen ou élevé), jeux vidéo (parents : moyen ou élevé), activité artistique (parents et enfants : moyen ou élevé), sport (parents et enfants : moyen ou élevé). Il a été choisi d’adapter ces fréquences d’une part pour que parents et enfants aient un niveau de pratique testé comparable, d’autre part pour ne pas travailler sur des événements trop rares (par exemple : pratique élevée des jeux vidéo pour les parents). Lecture : Parmi les enfants dont aucun parent n’a une pratique élevée du sport, 64 % en ont une élevée. Cette part est de 74 % quand un seul des deux parents a une pratique élevée du sport (et l’autre faible ou moyenne) et de 86 % quand les deux parents ont une pratique élevée. L’odds ratio correspondant est égal à (87/(100-87))/(74/(100-74)) soit 2,2. L’odds ratio « contrôlé » est estimé à l’aide d’un modèle logit dichotomique qui teste la probabilité d’une pratique élevée chez l’enfant, les variables explicatives étant celles du Tableau I, sauf pour la pratique parentale où la variable est aucun parent/un seul parent/deux parents. Les odds ratios présentés entre parenthèses sont ceux qui ne sont pas significatifs au seuil de 10 %. Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC. Revue française de sociologie comme le sport, étant masculines et d’autres, comme les activités artistiques amateurs, féminines. Cette dernière catégorisation doit autant au profil sexué des pratiquants de chaque activité qu’à la représentation symbolique des valeurs que celle-ci véhicule et qui sont en adéquation, ou non, avec les modèles de genre socialement construits pour les enfants des deux sexes. Les données analysées permettent également de saisir certaines des dynamiques à l’œuvre en matière de genre dans ces trois registres : ainsi, il semble que le caractère masculin attaché aux activités technologiques s’atténue dans le cas de la pratique informatique, puisque celle-ci se range dans le champ des activités éducatives prises en charge par les mères. On peut y trouver plusieurs explications : la première tient à la domestication des usages, qui facilite l’incorporation de l’ordinateur dans le champ des activités couvertes par l’expertise/le contrôle maternel ; la deuxième à la généralisation de l’outil dans les mondes professionnels des parents des deux sexes (et peut-être tendanciellement plus dans celui des femmes, plus nombreuses dans le secteur des services) ; enfin, la troisième tient aux mutations des outils et des usages eux-mêmes, avec la quasi-disparition des « obligations » de programmation depuis les années 1980 au profit d’usages non proprement technologiques. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Sport Lecture Ordinateur Télévision Activité artistique Musique Jeux vidéo Odds ratio contrôlé (mère et pas père/père et pas mère) Filles Garçons (0,9) 0,5 1,4 1,4 2,7 1,8 (1,3) 0,3 (1,3) (0,7) (1,1) (1,2) (0,7) (1,5) Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents, familles biparentales uniquement. Lecture : Si l’odds ratio est 1 l’effet de la mère est supérieure à celui du père et inversement. Les odds ratios présentés entre parenthèses sont ceux qui ne sont pas significatifs au seuil de 10 %. Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC. On note en outre que l’influence de l’homopraxie parentale est nettement plus marquée chez les jeunes filles que chez les jeunes garçons (Tableau V) comme le montrent les odds ratios contrôlés des autres caractéristiques de l’enfant, significatifs dans 4 cas sur 7 pour les filles (contre 2 sur 7 pour les garçons). Les modèles familiaux culturels d’investissement dans des activités, tels que dessinés à travers les comportements des deux parents, ont donc un impact plus grand chez les filles que chez les garçons. En ce sens, les filles font preuve d’un plus grand conformisme. Certaines activités doivent même aux filles le maintien de leur niveau de consommation d’une génération à l’autre : c’est le cas en particulier pour la télévision et les activités artistiques amateurs. 710 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys TABLEAU IV. – Pratiques ou consommations culturelles des enfants selon la pratique du parent par sexe du parent et sexe de l’enfant Sylvie Octobre, Yves Jauneau TABLEAU V. – Pratiques ou consommations culturelles des enfants, selon la pratique des deux parents, par sexe Sport Lecture Ordinateur Télévision Activité artistique Musique Jeux vidéo Odds ratio contrôlé (deux parents/un seul parent) Filles Garçons 2,6 1,9 2,5 1,7 1,6 (1,1) 3,7 (0,9) 2,0 (1,1) (1,0) (1,1) (1,3) (0,9) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Par ailleurs, la transmission fonctionne globalement mieux dans les catégories supérieures. On constate ainsi que l’homopraxie parentale a globalement plus d’effet sur les enfants de cadres que sur ceux d’ouvriers, notamment en matière de télévision et d’activité artistique amateur (Tableau VI). Le cas de la lecture est particulièrement intéressant : cette pratique est moins bien transmise par des parents forts lecteurs cadres qu’ouvriers, alors même que le nombre de forts lecteurs est supérieur chez les cadres. Si cette dynamique se poursuit, elle pourrait se traduire par une désaffection progressive des catégories qui jusqu’alors fournissent les contingents de forts lecteurs, cette perte de lectorat n’étant pas compensée par l’arrivée de forts lecteurs issus d’autres catégories sociales. TABLEAU VI. – Pratiques ou consommations culturelles des enfants, selon la pratique des deux parents par PCS du chef de ménage Sport Lecture Ordinateur Télévision Activité artistique Musique Jeux vidéo Odds ratio contrôlé (deux parents/un seul parent) Cadres Ouvriers, inactifs 2,9 2,1 1,8 2,3 1,4 1,4 3,1 (1,1) 3,6 (0,8) (0,9) (1,0) (1,0) (0,9) Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents, familles biparentales uniquement. Note : Les odds ratios sont issus des mêmes modèles logit dichotomiques que ceux du Tableau III, mais effectués cette fois de façon séparée chez les cadres et chez les ouvriers/inactifs. Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC. 711 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Champ : Ensemble des familles biparentales. Note : Les odds ratios sont issus des mêmes modèles logit dichotomiques que ceux du Tableau III, mais effectués cette fois de façon séparée chez les filles et chez les garçons. Les odds ratios présentés entre parenthèses sont ceux qui ne sont pas significatifs au seuil de 10 %. Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC. Revue française de sociologie Les « fragilités » de la transmission culturelle Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys On ne peut pas analyser la transmission culturelle sans intégrer dans la réflexion les effets de la modification de l’offre culturelle d’une génération à l’autre. Cette modification porte pour une large part sur les nouvelles technologies, les parents appartenant aux premières générations de diffusion de ces outils alors que les enfants ont grandi dans un monde largement multi-médiatique. Ainsi, l’absence d’effet de l’homopraxie parentale en matière de jeux vidéo est-elle liée au caractère générationnel de cette activité : on observe que la situation de forte pratique du couple parental est rare et relativement déconnectée du niveau de pratique de l’enfant. En outre, certaines activités – comme l’écoute musicale – sont devenues des invariants générationnels, ce qui explique la faiblesse de l’exemple parental comme facteur différenciant du rapport à la consommation, en termes d’accès et d’intensité de consommation, et suggère de déplacer les analyses vers les choix de contenus, qui révèlent des distinctions fines et puissantes, comme les phénomènes de « mise en genre musical » l’attestent (Glevarec, 2005). L’enfant exerce lui-même une action autonome en matière de choix et de détermination de ses comportements culturels. Cette action se traduit notamment dans les effets d’âge, l’avancée en âge agissant comme une mise à distance des modèles familiaux. C’est le cas par exemple en matière de lecture : l’avancée en âge favorise la diminution du rythme de cette activité, voire son abandon, et ce même dans les milieux fortement lecteurs qui transmettent « bien » cette pratique à leur enfant. Avancée en âge, qui, parallèlement, favorise l’adoption de consommations sans lien avec les transmissions familiales et qui sont « typiquement » juvéniles, comme l’écoute musicale. L’avancée en âge, qui s’accompagne d’une autonomisation croissante, favorise les consommations juvéniles pour lesquelles l’effet de transmission est faible : écoute de musique ou jeux vidéo. Cependant, l’effet de concurrence entre transmission familiale et avancée en âge n’est pas systématique : dans certains cas, le rapprochement des goûts des parents et des enfants avec l’avancée en âge de ces derniers accentue les effets de la transmission culturelle (c’est le cas en matière de télévision). 712 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys D’autres facteurs que ceux qui ont retenu notre attention jusqu’à présent paraissent explicatifs des rapports des 10-14 ans aux activités culturelles (Tableau I). Si certains viennent contredire les effets des transmissions familiales en matière culturelle, d’autres au contraire les renforcent. Ces facteurs proviennent non seulement d’autres espaces de socialisation (la sociabilité juvénile viendrait concurrencer les transmissions familiales, l’école proposerait des modèles parfois éloignés des modèles familiaux) ou de la distanciation liée à l’âge, mais aussi des objets culturels eux-mêmes. On peut ainsi distinguer quatre registres : la modification de l’offre culturelle d’une génération à l’autre (effet de contexte), les effets de l’autonomie croissante de l’enfant en matière de choix de comportements culturels (effet d’âge), les effets de l’école (effet de socialisation scolaire) et les effets de l’insertion dans des réseaux de pairs (effet de socialisation juvénile). Sylvie Octobre, Yves Jauneau À ces fragilités s’ajoutent celles que peuvent représenter les autres espaces de socialisation : scolaire et juvénile. L’adhésion aux normes scolaires, au « programme institutionnel de l’école » (mesuré ici par le niveau scolaire), est souvent considérée comme un facteur d’adhésion aux pratiques culturelles légitimes, alors que la sociabilité juvénile (saisie ici par l’intensité des discussions avec les copains) favoriserait l’attachement aux pratiques médiatiques. On peut vérifier la pertinence de cette hypothèse pour certaines pratiques : les élèves en difficulté scolaire ont, à autres caractéristiques égales, deux fois moins de chances d’avoir une pratique de lecture élevée que les élèves de situation scolaire moyenne ; de même, développer une faible sociabilité juvénile divise par deux la probabilité d’être un fort consommateur de musique enregistrée. Mais, là non plus, les oppositions entre transmission familiale et influence juvénile ne sont en rien systématiques : le sport et les jeux vidéo voient ainsi les effets de l’exemple parental et du niveau de discussion avec les copains se redoubler pour expliquer le retrait face à ces activités, puisque les enfants les moins sportifs ou les moins joueurs se recrutent parmi ceux dont les parents le sont également le moins, mais également parmi ceux qui discutent le moins avec leurs copains. Statique et dynamique intergénérationnelles des comportements culturels Certains facteurs favorisent une « bonne » transmission, c’est-à-dire une reproduction chez les enfants des comportements culturels des parents (qu’ils soient de consommation ou de retrait), et alimentent une lecture statique de l’histoire culturelle des générations, tandis que d’autres favorisent l’apparition ou la production de nouveaux comportements (de consommation ou de retrait également) et mettent en évidence les dynamiques à l’œuvre. Pour mieux cerner ces statiques et ces dynamiques intergénérationnelles dans le rapport global à la culture, il faut d’une part passer de l’étude des transmissions par pratique à l’étude de la transmission d’un rapport plus global à la culture, c’est-à-dire s’interroger sur les liens existant entre les transmissions par pratique ; d’autre part, passer de l’étude des pratiques à celle des pratiquants, et à la catégorisation des enfants en fonction du degré de ressemblance de leurs comportements culturels avec ceux de leurs parents. 713 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys La transmission fonctionne donc bien selon une logique de tri, et non selon une logique d’assimilation passive, les modèles parentaux étant revisités par l’action propre des enfants et complétés par d’autres influences (copains, école, etc.). Ce que nous avons nommé fragilités de la transmission est le terreau des évolutions des rapports à la culture des nouvelles générations et la force des dynamiques futures. Revue française de sociologie Statique et dynamique intergénérationnelles par pratique Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Pour chaque pratique ou consommation, chaque enfant a été classé en fonction du degré de ressemblance entre son rapport à la culture et celui de ses parents, en comparant son degré d’investissement dans les sept activités retenues à celui de ses parents (Schéma I et Tableau VII). On distingue quatre configurations utiles pour l’analyse : les deux premières étant de « reproduction » – « reproduction positive » quand il s’agit d’une forte consommation de l’enfant et de ses parents et « reproduction négative » quand il s’agit d’une faible consommation de l’enfant et de ses parents ; les deux suivantes de « dynamique » – « dynamique positive » quand l’enfant est plus consommateur que ses parents, ce qui correspond en général à ce que l’on désigne par le terme « diffusion » et, phénomène inverse, « dynamique négative » quand l’enfant est moins consommateur que ses parents, ce qui recouvre ce que l’on désigne en général sous le terme « désaffection ». Cette analyse étant réalisée pour chacune des sept activités culturelles étudiées, on définit ensuite la configuration majoritaire afin de déterminer si les reproductions par pratiques sont liées entre elles (Tableau VIII) (12). La première configuration correspond à la position médiane où enfant et parents ont une consommation moyenne, que nous considérerons comme une situation de « référence » à laquelle les autres situations seront comparées. Les cinq configurations sont les suivantes : 1 – Groupe médian : enfant et parents ont une pratique moyenne. 2 – Groupe de reproduction positive : enfant et parents ont une pratique élevée. 3 – Groupe de reproduction négative : enfant et parents ont une pratique faible. 4 – Groupe de dynamique positive (ou de diffusion) : l’enfant a une pratique strictement supérieure à la pratique des parents (élevée/moyenne, élevée/faible, moyenne/faible). 5 – Groupe de dynamique négative (ou de désaffection) : l’enfant a une pratique strictement inférieure à la pratique des parents (faible/moyenne, faible/élevée, moyenne/élevée). (12) Ce classement s’opère par rapport aux cinq positions possibles : position médiane, reproductions positive et négative, adhésion et désaffection. Si, pour un enfant, deux modes de transmissions arrivent « ex æquo », on privilégie le plus « rare » dans le sens suivant : désaffection, puis adhésion, puis reproduction négative, puis reproduction positive. Ce classement dépend évidemment fortement des 714 sept pratiques et consommations étudiées : ainsi, le fait de ne pas sélectionner la télévision dans l’analyse diminuerait nettement le poids relatif de la reproduction positive. On s’intéresse ici plutôt aux caractéristiques qui peuvent expliquer la prépondérance de tel ou tel mode de reproduction/production chez l’enfant et on centre donc l’analyse sur les positions extrêmes, par rapport à celle du groupe médian. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys ENCADRÉ II. – Classification intergénérationnelle des comportements culturels : cinq configurations Sylvie Octobre, Yves Jauneau SCHÉMA I. – Classification intergénérationnelle des comportements culturels : cinq configurations Niveau de pratique de l’enfant Faible Niveau de pratique des parents Moyenne Faible Reproduction négative Moyenne Dynamique négative ou « désaffection » Élevée Élevée Dynamique positive Dynamique positive ou « diffusion » ou « diffusion » Niveau médian Dynamique négative Dynamique négative ou « désaffection » ou « désaffection » Dynamique positive ou « diffusion » Reproduction positive Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Groupe médian Reproduction positive Reproduction négative Sous-total reproduction Dynamique positive (ou diffusion) Dynamique négative (ou désaffection) Sous-total dynamique Total Télévision Musique Lecture 29 66 1 67 27 65 1 66 49 28 4 32 48 12 27 39 44 2 29 31 69 3 16 19 Activité artistique 40 2 39 41 2 3 1 9 24 10 17 2 4 18 4 1 2 2 4 100 7 100 19 100 13 100 25 100 12 100 19 100 Ordinateur Jeux vidéo Sport Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents. Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC. TABLEAU VIII. – Répartition des enfants selon la configuration de transmission majoritaire (en %) Groupe Médian Groupe 1 Reproduction positive Groupe 2 Reproduction négative Groupe 3 Dynamique positive (ou diffusion) Groupe 4 Dynamique négative (ou désaffection) 50 19 15 9 7 Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents. Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC. L’analyse par pratique met en évidence le poids de la reproduction, laquelle explique plus de la moitié des situations en matière de télévision et d’écoute de musique (Tableau VII). Ces deux activités justifient toutefois des analyses distinctes, puisque l’on a montré précédemment que, pour la première, l’exemple parental pèse fortement, tandis qu’il ne pèse pas pour la seconde. On se trouve donc face à deux cas de figure. D’un côté, la télévision où le lien intergénérationnel peut s’expliquer par le caractère souvent collectif 715 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys TABLEAU VII. – Répartition des enfants selon les cinq configurations de transmission par pratique ou consommation culturelle (en %) Revue française de sociologie Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Pour l’ensemble des autres pratiques, si les tendances sont moins nettes, on observe que les configurations de reproduction sont toujours plus nombreuses que celles d’adhésion ou de désaffection. Certaines dynamiques peuvent ainsi être esquissées : l’hypothèse d’une désaffection tendancielle de la lecture (que l’importance du groupe médian masque encore partiellement), de la permanence d’une fracture numérique intergénérationnelle (qui se traduit par la permanence d’un retrait à l’égard de cette activité de l’enfant et de ses parents dans un cas sur quatre). Les jeux vidéo et les activités artistiques amateurs, pour leur part, conjuguent la reproduction intergénérationnelle d’une distance à l’activité et un effet de génération et/ou d’âge : effet de génération, quand les jeux vidéo sont beaucoup plus prisés des enfants que des parents (ce qui se traduit par un très faible niveau de reproduction positive et un fort niveau d’adhésion), qui se combine avec un effet d’âge, puisque les jeunes années sont plus propices à certaines activités, notamment les activités artistiques amateurs mais également l’ensemble des activités de loisirs ludiques. Produire ou reproduire un rapport global à la culture Comment ces différents éléments contribuent-ils à construire un rapport d’ensemble aux activités culturelles ? La classification des enfants (Tableau VIII) indique que 50 % d’entre eux appartiennent au groupe médian en termes de transmission intergénérationnelle des pratiques culturelles et de loisirs, l’autre moitié occupant des positions caractéristiques à l’égard de la transmission. C’est à ces situations contrastées, au nombre de quatre, que l’on va s’intéresser pour comprendre les facteurs expliquant le fait qu’un enfant est plutôt du côté de la reproduction (positive ou négative) ou de la production (adhésion ou désaffection) de culture. Les comportements de reproduction – donc de statique intergénérationnelle – sont les plus nombreux : au total, 34 % des enfants se classent dans les deux groupes de reproduction (positive et négative), soit le double de ceux 716 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys des moments d’écoute, et par l’audience de programmes communs, l’offre télévisuelle étant finalement assez peu segmentée (Chéreau et Lanlay, 2004). La télévision apparaît ainsi comme le média pour lequel les comportements des deux générations sont les plus semblables : compte tenu de son fort niveau de consommation dans les deux générations, cette similitude s’exprime à travers de forts niveaux de consommation chez l’enfant et ses parents. De l’autre côté, l’écoute musicale, pour laquelle l’exemple parental ne joue pas : cette activité, répandue dans les deux générations, apparaît comme un invariant générationnel plus que comme une consommation « commune ». Les analyses des consommations musicales montrent d’ailleurs que des systèmes de distinction très fins interviennent entre les différentes catégories et sous-catégories de musique, qui scandent assez profondément le rapport des jeunes à l’écoute musicale tant de manière intragénérationnelle que de manière intergénérationnelle, et que les moments d’écoute musicale rassemblent rarement parents et enfants (Octobre, 2004). Sylvie Octobre, Yves Jauneau qui se classent dans les groupes dynamiques. Par ailleurs, la dynamique culturelle positive l’emporte sur la dynamique négative, ce qui conforte l’hypothèse d’une généralisation tendancielle, voire d’une banalisation, des consommations culturelles. Si l’on retrouve des facteurs « classiques » au rang de ceux qui expliquent la propension des enfants à reproduire le rapport de leurs parents à la culture, comme l’influence de l’âge, du genre ou du milieu social de l’enfant, l’analyse met également en évidence des effets moins attendus, concernant notamment le type de famille, la taille de la fratrie et les relations avec les copains, etc., qui sont d’autant plus à souligner qu’ils jouent toutes choses égales par ailleurs (Tableau IX). TABLEAU IX. – Les facteurs explicatifs de la statique et de la dynamique intergénérationnelles des comportements culturels Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Pratique de loisirs de l’enfant Pratique de loisirs des parents Probabilité de référence Sexe Fille Garçon Classe CM2 6e, 5e 4e, 3e Catégorie socioprofessionnelle du ménage Artisan, commerçant, cadre, profession libérale Profession intermédiaire Ouvrier, employé, agriculteur, inactif Nombre d’enfants dans le ménage 1 enfant 2 enfants 3 enfants et plus Type de famille Classique Monoparentale Recomposée Type d’habitat Maison, ferme Appartement Niveau scolaire de l’enfant Très bon élève Bon élève Quelques difficultés ou beaucoup de difficultés Disposition d’une chambre Chambre réservée Chambre partagée Niveau d’autonomie de l’enfant Élevé Moyen, faible Élevée Élevée 29 % Odds ratios Statiques Groupes Groupe 2 (*) Groupe 3 (*) Reproduction Diffusion négative vs Groupe 0 (groupe médian) Faible Élevée Faible Faible 15 % 4% Dynamiques Groupe 4 (*) Désaffection Faible Élevée 4% Réf. 1,1 * Réf. 0,7 ** Réf. 1,6 ** Réf. 2,1 ** 0,9 Réf. 1,1 0,8 Réf. 1,5 ** 1,2 Réf. 0,8 1,2 Réf. 1,3 1,5 ** Réf. 0,9 0,8 Réf. 1,9 ** 1,2 Réf. 0,9 2,3** Réf. 0,9 1,4 * Réf. 0,7 * 1,0 Réf. 1,1 1,1 Réf. 1,0 2,0 ** Réf. 0,8 Réf. 0,7 ** 0,8 Réf. 1,1 0,9 Réf. 1,4 ** 1,1 Réf. 0,9 3,2 ** Réf. 0,9 Réf. 0,9 Réf. 1,6 ** Réf. 1,1 0,9 Réf. 0,7 1,0 Réf. 1,1 1,3 Réf. 1,0 0,5 Réf. 0,9 Réf. 0,9 Réf. 0,9 Réf. 1,2 Réf. 1,6 ** 1,1 Réf. 0,9 Réf. 1,6 ** Réf. 0,8 Réf. ... /... 717 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Groupes Groupe 1 (*) Reproduction positive Revue française de sociologie Niveau Élevé Moyen, Niveau Élevé Moyen, de discussion avec les parents faible de discussion avec les copains faible 1,1 Réf. 0,5 ** Réf. 0,7 Réf. 1,0 Réf. 1,2 Réf. 0,5 ** Réf. 1,9 ** Réf. 0,4 Réf. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Ainsi, en matière de reproduction positive (Groupe 1), l’origine sociale joue un rôle puisque les enfants des catégories supérieures ont une probabilité plus élevée de reproduire le fort investissement culturel de leurs parents, de même que les enfants uniques, qui concentrent l’attention éducative des parents. Symétriquement, les enfants qui reproduisent la distance culturelle de leurs parents (Groupe 2) se recrutent plus parmi les enfants d’ouvriers, d’employés ou d’agriculteurs. Si les filles sont plus « conservatrices de culture », c’est plutôt en matière de distance à la culture – elles ont une probabilité plus grande de figurer dans le groupe de reproduction négative – puisque la transmission de l’investissement culturel positif s’exerce à l’identique sur les enfants des deux sexes. Ainsi, la force des stéréotypes sexués est-elle confirmée et précisée. Enfin, le modèle éducatif relationnel joue également un rôle, puisque les enfants qui discutent peu avec leurs parents ont plus de chances de reproduire le retrait parental à l’égard de la culture (Groupe 2). La diffusion culturelle, situation où les enfants ont des pratiques et consommations culturelles supérieures à celles de leurs parents (Groupe 3) est, quant à elle, plus fréquente chez les garçons, chez les enfants disposant d’un fort degré d’autonomie et chez ceux qui développent un niveau élevé de discussion avec les copains. L’autonomie, qui traduit ici le fait de disposer de liberté dans les choix culturels et en matière d’invitations juvéniles chez soi ou chez autrui, dénote deux choses : d’une part, l’influence positive du modèle éducatif que nous avons précédemment appelé « relationnel », d’autre part, l’influence positive de la sociabilité juvénile. Cette dernière influence est elle-même double : il s’agit autant pour chaque enfant de se trouver en présence, via les copains, de modèles parentaux dont ces derniers sont euxmêmes héritiers, ce qui crée une diversité supplémentaire de modèles de référence, que d’être confronté aux effets culturels propres de la jeunesse, notamment au sujet des objets technologiques où jouent à la fois effet de génération et effet d’âge, comme c’est le cas pour les jeux vidéo. Par ailleurs, l’influence de l’école en matière de diversification des modèles culturels ne semble pas avérée. Il faudrait probablement d’autres indicateurs que celui du niveau scolaire, approchant plus qualitativement l’opinion de l’enfant à l’égard du système scolaire, pour préciser les résultats sur ce point. Mais ce premier 718 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs familles. * La construction de ces groupes est présentée dans le Schéma I et le Tableau VIII. Lecture : Les odds ratios sont issus d’un modèle logit polytomique. Toutes choses égales par ailleurs (c’est-à-dire une fois contrôlés les effets estimés pour les autres variables introduites dans le modèle), un garçon a 2,1 fois plus de chances qu’une fille d’être dans le groupe 4 que d’être dans le groupe 0 (groupe médian). Autrement dit, à autres caractéristiques égales, la « désaffection » des pratiques et consommations culturelles et de loisirs (c’est-à-dire la situation où les enfants ont un niveau de pratique ou de consommation inférieur à celui de leurs parents) semble plus marquée chez les garçons que chez les filles. Seuils de significativité : 1 % (***), 5 % (**), 10 % (*), non significatif (partout ailleurs). Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC. Sylvie Octobre, Yves Jauneau Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Enfin, la désaffection culturelle, situation dans laquelle les enfants ont un niveau global d’investissement dans les activités culturelles inférieur à celui de leurs parents (Groupe 4), est favorisée par un effet peu attendu de l’origine sociale puisque l’on note une tendance à la désaffection des loisirs culturels chez les adolescents issus des catégories supérieures, publics traditionnels de la culture. Cette évolution est importante, car elle généralise les observations faites précédemment pour la lecture et fait peser une ombre sur l’évolution des publics et consommateurs de la culture dans les générations futures, puisque l’assise sociale traditionnelle de ces publics semble s’effriter au fil des générations. La désaffection est également liée à la situation familiale. Alors que le fait de vivre dans une famille monoparentale n’apparaît pas comme un handicap culturel puisque ces adolescents ont tendanciellement un niveau de consommation et de pratique culturelles plus élevé que celui de leurs parents, la recomposition familiale semble s’accompagner d’une augmentation de la probabilité pour l’enfant d’être moins consommateur culturel que ses parents. Il n’y a en effet rien de mécanique à ce que recomposition familiale rime avec diversification des modèles culturels en présence, à la différence de l’ouverture volontaire constituée par le degré d’autonomie de l’adolescent ou le niveau élevé de discussion avec les copains ou les parents, facteurs qui impactent positivement la probabilité d’adhésion de nouveaux comportements. La taille de la fratrie a également une influence : les enfants uniques, qui sont à ce titre privés de la diversité des modèles potentiels offerts par les membres d’une fratrie et concentrent sur eux toute l’intensité des intentions éducatives formelles et informelles, semblent les plus enclins à refuser le modèle parental (Groupe 4), plus encore qu’à le reproduire (Groupe 1). * * * Si l’exemple parental est donc bien prépondérant pour expliquer la position des 10-14 ans à l’égard des loisirs culturels, ce facteur se combine avec d’autres influences, notamment celle du groupe des pairs, pour expliquer la dynamique ou la statique des comportements culturels dans une perspective intergénérationnelle. De même, la force de l’exemple parental varie en fonction de l’homogénéité des comportements parentaux, de l’origine sociale de l’enfant et de son sexe. Il n’y a donc pas tant concurrence que complémentarité entre les modèles explicatifs, souvent présentés de manière sans doute un peu rapide comme substitutifs. Le rapport de l’enfant à la culture se construit ainsi par imprégnation de l’exemple parental, négocié, métissé par l’influence des pairs : placé de plain-pied au centre des mutations sociales et technologiques, ce rapport réactive la différenciation de genre selon des modalités socialement clivées qui donnent à l’analyse des transmissions culturelles et de leurs modalités une nouvelle acuité. 719 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys indice laisse à penser que l’influence de l’école dans la diffusion des comportements culturels chez les adolescents est relativement faible. Revue française de sociologie Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Sylvie OCTOBRE Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) Ministère de la Culture et de la Communication (MCC) 182, rue Saint-Honoré 75001 Paris [email protected] Yves JAUNEAU Insee Division études sociales – Timbre F 120 18, boulevard Adolphe Pinard 75014 Paris [Au moment de la rédaction de l’article, Y. Jauneau appartenait au DEPS/MCC] [email protected] RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Baudelot C., Cartier M., Detrez C., 1999. – Et pourtant ils lisent..., Paris, Le Seuil. Baudelot C., Establet R., 2007. – Quoi de neuf chez les filles ? Entre stéréotypes et libertés, Paris, Nathan. Bromberger C., 1988. – Passions ordinaires : du match de football au concours de dictée, Paris, Bayard Éditions. 720 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Cette analyse des transmissions culturelles conduit à une réflexion sur la position de la culture dans la définition des générations, puisqu’il apparaît assez nettement que des recompositions sont en cours, tant en termes d’affaiblissement des mécanismes traditionnels de reproduction de l’investissement culturel des catégories supérieures que d’influences croisées des exemples familiaux et juvéniles, ou encore en termes de caractérisation sexuée de pans entiers de la culture. Même si des lignes de partage générationnelles existent (en matière de jeux vidéo, de lecture notamment), on dénote également certaines similitudes des rapports des 10-14 ans et de leurs parents avec la culture (en matière de musique notamment ou de télévision), sans doute en lien avec la recomposition des modèles éducatifs et des rapports statutaires entre parents et enfants (Singly, 2006), qui trouvent un écho dans le rapprochement des valeurs des différentes générations (Galland et Roudet, 2001). C’est plus largement dans la négociation des répertoires culturels des jeunes générations avec les précédentes que s’observe une évolution : le modèle de la négociation, de « l’agora familiale », semble répandu (Octobre, 2004), avec la reconnaissance pour les jeunes d’une autonomie de choix, qui ne se vit pas sur le mode de l’opposition générationnelle, comme cela avait pu être le cas entre les parents actuels et leurs propres parents. La revendication culturelle, qui avait été l’un des étendards de la jeunesse de la seconde moitié du XXe siècle (génération yéyé, beatnik, hard rock, etc.) dans son opposition avec ses aînés, semble avoir disparu au profit d’une cohabitation de modes culturels variés, tant intergénérationnels qu’intragénérationnels. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.3.81.158 - 07/02/2012 13h34. © Ophrys Cardon D., Granjon F., 2003. – « Éléments pour une approche des pratiques culturelles par les réseaux de sociabilité » dans O. Donnat, P. Tolila (dirs.), Le(s) public(s) de la culture. Politiques publiques et équipements culturels, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 93-107. Chauvel L., 2006. – Les classes moyennes à la dérive, Paris, Le Seuil. Chéreau M., Lanlay A. (de), 2004. – Les marchés culturels et les jeunes, Paris, DEPS (Travaux du DEPS). Colin C., Djider Z., Ravel C., 2005. – « La parité à pas comptés », Insee première, 1006. Corsaro W. A., 2001. – We’re friends, right ? 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