TELS PARENTS, TELS ENFANTS ?
Une approche de la transmission culturelle
Sylvie Octobre et Yves Jauneau
Ophrys | Revue française de sociologie
2008/4 - Vol. 49
pages 695 à 722
ISSN 0035-2969
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Pour citer cet article :
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Octobre Sylvie et Jauneau Yves, « Tels parents, tels enfants ? » Une approche de la transmission culturelle,
Revue française de sociologie, 2008/4 Vol. 49, p. 695-722.
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R. franç. sociol., 49-4, 2008, 695-722
Sylvie OCTOBRE
Yves JAUNEAU
Tels parents, tels enfants ?
Une approche de la transmission culturelle*
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La transmission est une question ancienne en sociologie. Elle a été étudiée sur des
terrains aussi divers que l’identité sociale et professionnelle, l’économie, la religion, les
opinions politiques, les modes de vie ou la culture. Le plus souvent, il s’agit de comparer les
attitudes, biens ou valeurs de générations successives, soit en collectant des informations
rétrospectives à l’âge adulte, soit en comparant les générations, plus rarement des populations d’enfants et de parents appariées. C’est cette dernière approche qui a été retenue ici,
afin de préciser les modalités de la transmission culturelle à partir de données collectées sur
des adolescents et préadolescents de 10 à 14 ans ainsi que sur leurs parents, puis de modéliser les facteurs favorables à la transmission du rapport aux activités culturelles prises dans
leur ensemble, enfin, de mettre en évidence les statiques et les dynamiques culturelles entre
générations, et d’esquisser quelques traits caractérisant l’évolution de la place de la culture
dans la définition même des générations.
Les recherches menées en sociologie de la culture apportent des réponses aux questions
que pose la compréhension des phénomènes culturels et de leur dynamique : comment se
construisent les habitudes et les comportements culturels, comment s’opèrent les transmissions culturelles entre générations, comment se reproduisent ou se produisent les comportements culturels d’une génération à l’autre ? Ces questions se rejoignent dès lors que l’on
s’intéresse à la place des comportements culturels dans la définition même des générations,
puisque la culture tient une place dans la définition de l’appartenance générationnelle et, ce
faisant, des différences entre générations. C’est à ces questions que cet article est consacré.
Transmission culturelle et socialisation
La transmission est une question ancienne en sociologie. Elle a été étudiée
sur des terrains aussi divers que l’identité sociale et professionnelle, l’économie, la religion, les opinions politiques, les modes de vie ou la culture. La
plupart du temps, il s’agit de comparer les attitudes, biens ou valeurs de générations successives, soit à partir de données rétrospectives collectées à l’âge
adulte, soit en comparant les générations, plus rarement en comparant des
* Les auteurs remercient Georges Felouzis, Louis-André Vallet ainsi que les relecteurs de la
Revue française de sociologie des conseils, suggestions et commentaires qu’ils leur ont adressés sur
les diverses versions de ce texte.
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RÉSUMÉ
Revue française de sociologie
populations appariées d’enfants et de parents, et plus rarement encore en
considérant l’ensemble de la famille (les deux parents mais aussi l’ensemble
des membres de la fratrie). De l’ensemble de ces travaux, il ressort que la
transmission « moderne » revêt un sens tout à fait particulier, celui d’un héritage laissant une large initiative aux héritiers.
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Les analyses quantitatives sont moins nombreuses. Des travaux anglosaxons (Kaufman et Gabler, 2004 ; Dumais, 2006) étudient les pratiques
culturelles en lien avec le milieu scolaire (1), tandis qu’en France certaines
grandes enquêtes accréditent le rôle des transmissions familiales en identifiant
des « passeurs » de culture, généralement les mères (Michaudon, 2001 ;
Tavan, 2003 ; Donnat, 2004). La plupart de ces travaux se fondent sur l’analyse de déclarations rétrospectives, collectées à l’âge adulte, et passées au
prisme de la recomposition mémorielle. Car pour de nombreuses raisons, tant
théoriques que méthodologiques, les enfants sont longtemps restés un objet
rare de la sociologie française (Corsaro, 2001 ; Sirota, 2006), à l’exception de
la pratique de la lecture. Pratique à forte dimension symbolique – elle est
considérée comme la voie d’accession à la citoyenneté et fonde tout le
discours éducatif depuis les Lumières –, la lecture a fait l’objet de
nombreuses recherches qui, en interrogeant directement les enfants, notamment au moment du collège et du lycée, ont mis en évidence les facteurs de
prise et de déprise et les modes de construction des goûts (Singly, 1989 ;
Schön, 1993 ; Baudelot, Cartier et Detrez, 1999). Les questions de la formation des goûts et de la transmission de la lecture y sont souvent sollicitées en
contrepoint d’un discours largement répandu sur la « baisse » de la pratique
de la lecture et sur ses « risques » sociaux. Ainsi l’intérêt pour la jeunesse estil intimement lié à l’analyse des « crises », des « risques » et des « échecs de
la transmission ».
(1) Ce pan de recherche anglo-saxon se situe très explicitement dans une perspective bourdieusienne ou néo-bourdieusienne.
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Dans le domaine culturel, cette question a été approchée de plusieurs
manières en analysant les conditions de socialisation. Une partie des travaux
s’est attachée à l’analyse de la construction des goûts, le plus souvent de
manière qualitative (Lahire, 1995 ; Bromberger, 1988 ; Pasquier, 2005). Les
conditions de familiarisation puis d’attachement des individus à une pratique
ou une consommation culturelles y sont décrites, que cette socialisation culturelle ait lieu dans le cercle familial, dans le cercle amical ou bien à l’occasion
de rencontres extérieures ou d’accidents de vie. Ainsi, les transmissions familiales peuvent être observées, y compris dans des domaines où les jeunes sont
réputés plus compétents que leurs parents, en interrogeant les modalités et
conditions d’émergence de cette compétence (Fluckiger, 2007).
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
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Le diagnostic de « crise » dépend des indicateurs utilisés pour mesurer les
transmissions. Dans de nombreux travaux, l’analyse des transmissions se
fonde sur l’utilisation d’un indicateur principal : l’origine sociale. Celui-ci,
pour puissant qu’il soit, présente des limites majeures puisqu’il ne dit rien ni
de la trajectoire sociale, ni des différences intrafamiliales entre les parents
(seul le chef de famille est généralement pris en compte), ni de la réalité
concrète des comportements et pratiques (qui peuvent fortement varier à l’intérieur d’une même classe sociale), ni encore des relations parents/enfant.
Tous ces éléments sont d’importance en matière de transmission, notamment
de valeurs politiques comme l’a montré Percheron (1993). Mohr et Di Maggio
(1995) ont, quant à eux, mis l’accent sur la notion de « home climate » (ou
climat familial) pour expliquer la transmission des comportements culturels (2). Leurs travaux fournissent des pistes pour tenter de mieux comprendre
les transmissions intergénérationnelles : la notion de climat familial élargit
l’appréhension des facteurs influant sur la transmission culturelle en intégrant
des variables décrivant les exemples parentaux en matière de loisir culturel et
plus largement de projet éducatif, ou encore les relations familiales. Autrement dit, on passe d’une analyse positionnelle à une analyse plus compréhensive des mécanismes de la transmission, qui envisage ses diverses modalités
et facteurs : imprégnation, styles éducatifs, type de relations parents/enfant,
homogénéité des choix parentaux, etc. Que les stratégies parentales s’appuient sur des mécanismes d’imprégnation ou d’inculcation (Muxel, 1984 ;
Percheron, 1991), ou bien de persuasion clandestine ou de pédagogie explicite (Singly, 1995), sur fond d’autonomisation croissante sans indépendance
(Singly, 2006), il faut alors décrire les modalités de la transmission pour
chaque objet culturel afin d’appréhender le rapport de chaque génération à la
culture.
La question des transmissions culturelles doit également être étudiée à la
lumière de celle du genre, et ce au moins à trois niveaux. Le genre des pratiquants est le plus souvent analysé, que ce soit de manière quantitative
(Octobre, 2008 ; Baudelot et Establet, 2007) ou qualitative (Moulin, 2005 ;
Detrez, 2002). Il s’imbrique étroitement avec celui du genre des interactions
parents/enfant : sur cet aspect, les enquêtes successives « Emploi du temps »
de l’Insee (Économie et statistique, 2002) nous renseignent durablement sur
l’inégale répartition des tâches domestiques et éducatives, de même que les
analyses compréhensives (Kaufmann, 1997 ; Singly, 2003). Pour être
complet, il faut encore prendre en considération le genre des objets culturels,
eux-mêmes soumis à une catégorisation sexuée participant des stéréotypes de
genre. Ces trois niveaux considérés, on peut alors précisément répondre à la
question suivante : quel parent (père ou mère) transmet à quel enfant (fille ou
garçon) quelle pratique ou consommation culturelle ?
(2) Cette notion sert d’intermédiaire aux effets des positions parentales, de leur niveau de
diplôme, de leur revenu sur le capital culturel de l’enfant, qui sont indirects.
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Les modalités de la transmission
Revue française de sociologie
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La transmission n’épuise pas l’explication des comportements. En effet,
outre que l’on ne peut certifier qu’il y a transmission que lorsque les comportements perdurent jusqu’à l’âge adulte, quand le différentiel de statut
parents/enfant s’estompe, il faut, préalablement, que l’enfant adopte les
comportements transmis pour qu’ils deviennent siens. Cette adoption peut
achopper sur l’émancipation liée à l’avancée en âge de l’enfant, mécanisme
généralement lié à l’adolescence, largement commenté par les sociologues et
les psychologues, et qui alimente un discours sur la « crise » de l’adolescence,
qui n’est autre qu’une crise de la transmission (Fize, 2003). La construction
des choix culturels des enfants peut par ailleurs obéir à d’autres influences
que celle des transmissions familiales, influences qui peuvent compléter ou
contrevenir aux premières : notamment les influences des pairs et de l’école.
Différents travaux qualitatifs et quantitatifs concernant l’influence de la
sociabilité horizontale, notamment à partir des années collège et lycée
(Pasquier, 2005 ; Poetics, 2004), ont mis en évidence la force des sociabilités
horizontales, qui viennent infléchir les effets de la socialisation verticale,
mesurée par le poids de l’origine sociale. L’école joue comme un autre agent
de socialisation culturelle. Ainsi, le degré de connaissance des équipements
culturels (musées, monuments, théâtres) des jeunes générations doit beaucoup
à l’influence de l’école et les sorties scolaires ont joué un rôle majeur en
matière de démocratisation de l’accès à certains lieux culturels (Coulangeon,
2003 ; Octobre, 2003). Si l’effet d’initiation de l’école est en outre avéré en
matière de lecture (Schön, 1993), son influence ne se limite pas au champ des
pratiques légitimes et s’exerce également en matière de médias (Coulangeon,
2007). Certes, les liens entre école et pratiques et consommations culturelles
justifient des explications variables selon que l’on se situe du côté de la sociologie de l’éducation (recherche des impacts sur les performances scolaires des
pratiques et consommations culturelles extrascolaires) ou de la sociologie de
la culture (mise en évidence de l’effet du niveau de diplôme sur l’accès aux
activités et consommations), mais tous les travaux mettent en évidence le jeu
subtil, parfois paradoxal, de leurs influences croisées.
Enfin, il faut compter avec des effets de contexte, notamment ceux liés à
l’évolution de l’offre culturelle. Dans le secteur culturel, l’apparition de
nouveaux objets culturels (notamment en matière de multimédia) impose que
l’on prenne en considération des effets de période pour l’analyse des transmissions entre générations.
Culture et génération
Une « bonne » transmission (i.e. une transmission efficace) favorise la
reproduction des comportements culturels d’une génération à l’autre (qu’il
s’agisse de comportements de consommation ou de retrait), tandis que les
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Au-delà de la transmission
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
jeux croisés des autres influences peuvent permettre la production de
nouvelles attitudes culturelles (de consommation ou de retrait, c’est-à-dire
d’adhésion à des comportements nouveaux ou de désaffection à l’égard de
comportements préexistants). Entre transmissions et mutations culturelles,
quels sont les équilibres par pratique et les équilibres globaux ? Une question
plus générale émerge alors, qui porte sur le rôle de la culture dans la définition des générations. Considérée comme un élément de définition fort des
générations depuis le milieu du XXe siècle, faisant partie explicitement des
revendications générationnelles et des conflits intergénérationnels (Galland,
2007), la culture ne voit-elle pas son rôle être modifié par les mutations qui
affectent les transmissions ? Ne passe-t-on pas d’une position centrale et
conflictuelle à une position plus marginale et plus consensuelle, alors que les
tensions générationnelles se durcissent dans d’autres champs (Chauvel,
2006) ? L’acuité de cette question est accréditée par les récentes analyses
globales et prospectives menées à partir des enquêtes « Pratiques culturelles
des Français », puisque celles-ci confirment la dimension générationnelle de
certains comportements culturels, mettent en évidence les tendances intergénérationnelles de certains d’entre eux et fournissent des pistes concernant la
place de la culture dans la définition des jeunes générations, entre mutations
des pratiques et des représentations des pratiques (Donnat et Lévy, 2007).
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Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, cet article s’appuie
sur l’enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », dont l’une des richesses
est de fournir des informations collectées directement et séparément auprès
des enfants et de leurs parents (père et mère), de manière synchronique. Ces
informations portent sur les comportements culturels de l’enfant et de ses
parents, la sociabilité enfantine, la position sociale des parents, l’insertion
scolaire de l’enfant, le projet éducatif parental, le type de relations
parents/enfant et la description de la famille et de l’habitat (voir
Encadré I) (3). Seules les réponses portant sur les 10-14 ans seront prises en
compte dans ce qui suit, pour deux raisons : la première, théorique – c’est à la
préadolescence que l’influence des agents de socialisation autres que la
famille est tangible – et la seconde, de méthode – pour ces classes d’âge, on
dispose de l’ensemble des informations listées plus haut.
(3) Du fait de la multiplicité des informations à recueillir (interrogation sur les parents et
les enfants), certaines variables « habituelles »
telles que le diplôme ou le revenu des parents
n’ont pas été collectées. On dispose néanmoins,
pour chacun des parents, de la catégorie socioprofessionnelle et de la position sur le marché du
travail.
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Une approche de la transmission culturelle
Revue française de sociologie
ENCADRÉ I. – Données entrant dans l’analyse
Variable à expliquer
Pratiques et consommations de loisirs des enfants
Des informations sont disponibles pour sept pratiques : télévision, écoute musicale, lecture (de livres, de presse, de magazines), pratique informatique, jeux vidéo,
sport et pratique artistique amateur.
Le niveau de pratique est initialement décrit en quatre classes d’intensité croissante, recodées de la manière suivante : « faible » pour « jamais ou presque
jamais » ou pour « 1 à 2 fois par mois » ; « moyenne » pour « 1 à 2 fois par
semaine » ; « élevée » pour « tous les jours ou presque ».
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1) Sexe et âge de l’enfant (en réalité c’est la classe qui s’est substituée à l’âge,
celle-ci étant plus efficace pour l’analyse : CM2, 6e, 5e, 4e, 3e).
2) Données concernant le « home climate »
– Position sociale : PCS du chef de famille.
– Sociodémographie familiale et conditions matérielles de vie : nombre d’enfants, type de famille (classique avec père et mère biologiques, recomposée, monoparentale, autre cas), type d’habitat, type d’agglomération, et disposition d’une
chambre réservée ou pas pour l’enfant.
– Projet éducatif et rapport aux parents : niveau de discussion avec les parents,
niveau d’autonomie de l’enfant, niveau d’implication des parents dans le travail
scolaire.
Pour disposer d’éléments qualifiant la relation parents/enfant, des indicateurs de
deux ordres ont été calculés. L’indicateur d’autonomie est calculé en faisant la
somme des réponses des enfants aux questions portant sur les autorisations en
matière de loisirs (réponse non/oui, soit une note de 0 ou 1 à chaque question) :
« regarder certaines choses à la télévision », « jouer à certains jeux vidéo », « faire
certaines choses sur ordinateur », « pratiquer certains sports », « écouter certaines
émissions de radio », « faire une boum chez soi », « aller à une boum ».
L’indicateur de discussion est calculé en faisant la somme des réponses des
enfants aux questions portant sur les discussions au sujet des loisirs (réponse
non/oui, soit une note de 0 ou 1 à chaque question). Le champ des discussions
couvert est large : parler « de ce que tu vois à la télévision », « des musiques que tu
écoutes », « de ce que tu lis : livres, journaux, magazines, revues, etc. », « des jeux
vidéo auxquels tu joues », « de ce que tu fais sur ordinateur », « des sports que tu
pratiques », « des activités artistiques que tu fais : musique, théâtre, danse, dessin,
etc. ».
– Pratiques et consommations de loisirs des parents : on dispose des mêmes
informations que pour les enfants, construites de manière identique, pour chacun
des deux parents (voir supra).
Il s’agit de mesurer l’effet de l’imprégnation de l’enfant par les pratiques parentales. La logique d’analyse étant celle de « l’exposition » de l’enfant à la pratique
domestique de l’adulte éducateur, la notion de « pratique des parents » désigne soit
la pratique du parent dans le cas d’une famille monoparentale, soit la pratique des
.../...
700
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Variables explicatives
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
deux parents. Une acception extensive du champ des pratiques auxquelles l’enfant
était exposé a été privilégiée, en codant la pratique des parents en « tous les jours
ou presque » si l’un des parents au moins pratique tous les jours ou presque, de
même pour « 1 à 2 fois par mois », etc. Ceci a également pour avantage de ne pas
créer de distorsion des scores en cas de famille monoparentale.
3) Données concernant l’adhésion de l’enfant aux normes scolaires : niveau
scolaire de l’enfant.
4) Données concernant les relations avec les copains : on dispose pour les discussions avec les copains d’un indicateur identique à celui disponible en matière de
discussion avec les parents.
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Les transmissions familiales peuvent recourir à deux mécanismes : d’une
part, l’éducation volontaire, plus largement nommée « inculcation », et qui
passe par des normes (contrôle, incitation, co-consommation en sont trois
modalités usuelles) ; de l’autre, l’imprégnation, par exposition de l’enfant aux
exemples parentaux. De nombreux travaux portant sur ces deux formes de
transmission, qu’il s’agisse de religion, de politique, ou de modes de vie, ont
montré que le second mécanisme prime nettement sur le premier en termes de
poids explicatif. Le même phénomène prévalant en matière culturelle
(Octobre, 2004), on s’attachera donc au second terme dans la présente
analyse (4).
Si des comparaisons existent entre ces deux termes, rares sont les travaux
qui mesurent les forces relatives de l’imprégnation et des facteurs « objectifs » plus connus (âge, sexe, origine sociale, etc.), du climat familial ou
encore des autres instances de socialisation (école, copains), et ce pratique par
pratique. Comment savoir, par exemple, si un enfant mauvais élève à l’école
dont les parents lisent beaucoup a plus de « chances » de lire beaucoup qu’un
enfant ayant de bons résultats scolaires mais dont les parents sont de faibles
lecteurs ? Ou encore, si un enfant de milieu ouvrier dont les parents font
beaucoup de sport a plus de chances de faire beaucoup de sport que si son
père ou sa mère est cadre mais ne fait jamais de sport ?
(4) Dans l’enquête, pour chaque activité
considérée, on demandait aux parents s’ils
exerçaient un contrôle sur l’activité, s’ils
incitaient leur enfant à la faire ou s’ils la
faisaient avec lui/elle (pour le libellé exact des
questions, voir annexe II de Octobre, 2004). Ces
questions n’ont pas été retenues ici pour deux
raisons : leur analyse montre que les logiques
qui président au contrôle, à l’incitation et à la
copratique sont variables (elles mêlent
notamment compétence réelle et perçue de
l’enfant, modèle genré de rôle pour l’enfant,
division des tâches éducatives, catégorisation
genrée des objets culturels, voir Octobre, 2008).
Par ailleurs, ces questions étaient posées après
celles concernant les consommations, qui
servaient de filtre. Elles ne peuvent donc être
intégrées à l’analyse toutes choses égales par
ailleurs.
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L’imprégnation, facteur majeur de transmission culturelle
Revue française de sociologie
Pour tenter de répondre à ce type de questions, le niveau de pratique de
l’enfant a été modélisé en fonction de celui des parents, toutes choses égales
par ailleurs, c’est-à-dire en faisant intervenir dans le modèle les diverses
caractéristiques de l’enfant et de sa famille. Sur chacune des sept pratiques et
consommations considérées (télévision, musique, lecture, ordinateur, jeux
vidéo, sport, activité artistique), un modèle logit polytomique a été utilisé afin
de tester simultanément la probabilité d’une pratique élevée ou d’une pratique
faible chez l’enfant (par rapport à la situation de référence : pratique moyenne
chez l’enfant) en fonction d’un ensemble de facteurs (voir Tableau I).
TABLEAU I. – Niveau de pratique ou consommation culturelle des enfants,
toutes choses égales par ailleurs
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Sexe
Fille
Garçon
Classe
CM2
6e
5e
4e
3e
Type de famille
Classique
Monoparentale
Recomposée, autre
Catégorie socioprofessionnelle du ménage
Agriculteur
Artisan, commerçant, cadre, profession libérale
Profession intermédiaire
Employé
Ouvrier
Inactif
Disposition d’une chambre
Chambre réservée
Chambre partagée
Niveau d’autonomie de l’enfant
Élevé
Moyen
Faible
Niveau de discussion avec les parents
Élevé
Moyen
Faible
Niveau scolaire de l’enfant
Très bon élève
Bon élève
Quelques difficultés ou beaucoup de difficultés
Niveau de discussion avec les copains
Élevé
Moyen
Faible
Odds ratios
Musique
Lecture
Ordinateur
Pratique Pratique Pratique Pratique Pratique Pratique
faible
élevée
faible
élevée
faible
élevée
vs pratique
vs pratique
vs pratique
moyenne
moyenne
moyenne
Réf.
1,52
Réf.
1,00
Réf.
3,76 ***
Réf.
0,87
Réf.
1,47 **
Réf.
1,06
Réf.
0,78
Réf.
1,56 ***
0,89
0,96
Réf.
0,84
1,47
0,53 **
0,47 **
Réf.
0,83
1,43
3,22 **
4,34 **
Réf.
1,43
1,66
0,81
2,10 **
Réf.
1,58 **
1,76 **
0,76
0,94
Réf.
1,17
1,28
1,00
0,92
Réf.
1,00
0,65 *
1,81 **
1,54 *
Réf.
0,96 **
0,83
0,73
0,97
Réf.
1,20
1,04
Réf.
0,35
0,37
Réf.
0,78
0,57
Réf.
0,56
2,81 *
Réf.
0,93
0,91
Réf.
0,84
1,09
Réf.
1,03
0,83
Réf.
1,63 **
0,92
Réf.
1,51
0,77
1,52
0,55
0,49
Réf.
0,98
0,40
2,10
0,60 **
0,59 **
Réf.
0,96
0,81
0,37
0,86
1,10
Réf.
1,37
1,15
0,88
1,61 *
1,90 **
Réf.
2,07 **
2,16
0,92
0,81
0,86
Réf.
1,06
0,99
0,68
1,62 **
1,41
Réf.
0,89
0,99
0,57
0,80
0,78
Réf.
1,86
0,88
0,59
1,05
1,22
Réf.
1,23
0,81
Réf.
2,36
Réf.
1,81 *
Réf.
1,10
Réf.
0,81
Réf.
0,87
Réf.
0,82
Réf.
1,78 **
Réf.
1,33
1,79
Réf.
1,23
1,64 *
Réf.
0,70 *
0,52
Réf.
1,94 *
1,99 ***
Réf.
1,14
1,17
Réf.
1,05
0,83
Réf.
1,31
1,35
Réf.
1,14
1,52
Réf.
1,30
1,36
Réf.
2,33 *
0,65 **
Réf.
1,30
0,81
Réf.
0,56
1,27
Réf.
1,02
0,77
Réf.
0,94
0,96
Réf.
0,75
0,84
Réf.
0,99
0,81
Réf.
0,92
1,87
Réf.
0,62
0,73
Réf.
0,60 **
1,60
Réf.
1,08
0,92
Réf.
1,44 *
0,99
Réf.
1,14
0,94
Réf.
1,01
1,18
Réf.
0,88
0,49
Réf.
1,09
1,25
Réf.
0,57 ***
0,91
Réf.
1,03
1,25
1,36
Réf.
Réf.
0,48 *** 1,44 **
1,12
Réf.
0,97
0,79
Réf.
1,23
1,16
Réf.
1,19
1,25
Réf.
1,05
... /...
702
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Télévision
Pratique Pratique
faible
élevée
vs pratique
moyenne
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
Odds ratios
Musique
Lecture
Ordinateur
Pratique Pratique Pratique Pratique Pratique Pratique
faible
élevée
faible
élevée
faible
élevée
vs pratique
vs pratique
vs pratique
moyenne
moyenne
moyenne
Télévision
Pratique Pratique
faible
élevée
vs pratique
moyenne
Niveau de pratique des parents
Pratique élevée
Pratique moyenne
Pratique faible
0,56
Réf.
3,00 *
1,16
Réf.
0,32 ***
0,50
Réf.
1,38
1,00
Réf.
0,98
0,96
Réf.
2,45 ***
1,59 **
0,99
1,27
Réf.
Réf.
Réf.
0,93
3,36 *** 0,55 ***
Note : Les odds ratios sont issus de modèles logit polytomiques (un pour chaque type de pratique). En plus des variables
du tableau, le nombre d’enfants dans le ménage, le lieu de résidence (rural, centre d’agglomération, ville isolée, banlieue
d’agglomération) et le type d’habitat (maison individuelle, appartement, autre) ont été inclus dans le modèle. Les coefficients correspondant à ces variables, très rarement significatifs, n’ont pas été reproduits ici.
Lecture : Toutes choses égales par ailleurs (c’est-à-dire une fois contrôlés les effets estimés pour les autres variables
introduites dans le modèle), un garçon a 3,76 fois plus de chances qu’une fille d’avoir une pratique faible de musique
(écoute musicale) que d’avoir une pratique moyenne de musique.
Seuils de significativité : 1 % (***), 5 % (**), 10 % (*), non significatif (partout ailleurs).
Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents.
Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC.
TABLEAU I (suite). – Niveau de pratique ou consommation culturelle
des enfants, toutes choses égales par ailleurs
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Sexe
Fille
Garçon
Classe
CM2
6e
5e
4e
3e
Type de famille
Classique
Monoparentale
Recomposée, autre
Catégorie socioprofessionnelle du ménage
Agriculteur
Artisan, commerçant, cadre, profession libérale
Profession intermédiaire
Employé
Ouvrier
Inactif
Disposition d’une chambre
Chambre réservée
Chambre partagée
Niveau d’autonomie de l’enfant
Élevé
Moyen
Faible
Niveau de discussion avec les parents
Élevé
Moyen
Faible
Odds ratios
Sport
Pratique
Pratique
faible
élevée
vs pratique moyenne
Activité artistique
Pratique
Pratique
faible
élevée
vs pratique moyenne
Réf.
0,23 ***
Réf.
3,51 ***
Réf.
0,80
Réf.
3,02 ***
Réf.
5,11 ***
Réf.
0,70 *
1,37
1,28
Réf.
1,01
2,30 ***
1,10
0,95
Réf.
0,81
0,74
1,23
0,90
Réf.
1,51 *
1,78 **
0,79
0,53 **
Réf.
0,68
0,70
0,47 *
0,71
Réf.
0,80
1,22
0,60
0,56 *
Réf.
0,54 *
0,65
Réf.
1,96 **
1,17
Réf.
1,20
0,71
Réf.
0,76
1,67
Réf.
1,05
1,38
Réf.
1,08
0,84
Réf.
1,35
0,65
1,34
1,19
1,04
Réf.
0,85
1,24
0,74
1,05
1,36
Réf.
1,27
2,50 **
0,68
0,74
1,18
Réf.
1,56 *
1,65
0,37
0,81
0,86
Réf.
0,73
1,07
0,55
0,72 *
0,65 *
Réf.
0,92
0,86
0,42
0,97
1,12
Réf.
0,90
0,74
Réf.
1,08
Réf.
1,13
Réf.
0,93
Réf.
0,77
Réf.
1,19
Réf.
1,85 **
0,92
Réf.
0,99
1,36 **
Réf.
0,83
1,03
Réf.
1,49 **
1,22
Réf.
0,77
0,73 *
Réf.
0,79
0,74
Réf.
1,14
0,88
Réf.
1,23
0,71 *
Réf.
0,98
0,87
Réf.
0,99
1,05
Réf.
0,94
0,66 **
Réf.
1,24
1,30
Réf.
1,15
... /...
703
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Jeux vidéo
Pratique
Pratique
faible
élevée
vs pratique moyenne
Revue française de sociologie
Jeux vidéo
Pratique
Pratique
faible
élevée
vs pratique moyenne
Niveau scolaire
Très bon élève
Bon élève
Quelques difficultés ou beaucoup de difficultés
Niveau de discussion avec les copains
Élevé
Moyen
Faible
Niveau de pratique des parents
Pratique élevée
Pratique moyenne
Pratique faible
Odds ratios
Sport
Pratique
Pratique
faible
élevée
vs pratique moyenne
Activité artistique
Pratique
Pratique
faible
élevée
vs pratique moyenne
0,88
Réf.
0,94
0,87
Réf.
0,68 *
0,70
Réf.
0,88
1,20
Réf.
1,00
1,32
Réf.
0,87
1,22
Réf.
1,41
0,49 ***
Réf.
1,17
1,42 *
Réf.
1,12
0,65 **
Réf.
1,11
1,41 *
Réf.
1,38
0,80
Réf.
1,29
1,26
Réf.
0,94
0,90
Réf.
1,55 *
0,84
Réf.
0,43 ***
1,19
Réf.
1,76 ***
1,91 **
Réf.
1,41 *
0,90
Réf.
0,91
1,32
Réf.
0,74
Note : Les odds ratios sont issus de modèles logit polytomiques (un pour chaque type de pratique). En plus des variables
du tableau, le nombre d’enfants dans le ménage, le lieu de résidence (rural, centre d’agglomération, ville isolée, banlieue
d’agglomération) et le type d’habitat (maison individuelle, appartement, autre) ont été inclus dans le modèle. Les
coefficients correspondant à ces variables, très rarement significatifs, n’ont pas été reproduits ici.
Lecture : Toutes choses égales par ailleurs (c’est-à-dire une fois contrôlés les effets estimés pour les autres variables
introduites dans le modèle), un garçon a 3,51 fois plus de chances qu’une fille d’avoir une pratique élevée de jeux vidéo
que d’avoir une pratique moyenne de jeux vidéo.
Seuils de significativité : 1 % (***), 5 % (**), 10 % (*), non significatif (partout ailleurs).
Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents.
Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC.
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À l’exception de l’écoute de musique enregistrée et des pratiques artistiques amateurs (5), le comportement culturel des parents exerce bien, en soi,
un effet important sur le comportement culturel de l’enfant, que cet effet soit
principal (comme pour la télévision, la lecture et la pratique informatique) ou
secondaire (pour les jeux vidéo et le sport, d’abord marqués par un effet de
genre) (6). Dans la plupart des cas, cet exemple parental semble intervenir de
façon plutôt « négative ». Ainsi, le fait que les parents regardent la télévision
faiblement multiplie par trois la probabilité que l’enfant la regarde faiblement
par rapport à des parents qui la regardent de façon modérée : ce ratio est de
(5) La faiblesse des résultats sur ce point est
due à l’enquête elle-même : celle-ci ne saisit que
les pratiques artistiques amateurs actuelles des
parents, dont le niveau de diffusion est bas, alors
que d’autres enquêtes ont montré d’une part que
les transmissions en la matière étaient plus
larges et pouvaient porter sur des pratiques
réalisées dans l’enfance par les parents – voire
seulement souhaitées dans l’enfance – et
abandonnées depuis (Donnat, 2004), et d’autre
part que le niveau de diffusion des pratiques
amateurs suivait une pente descendante avec
l’avancée en âge (Donnat, 1996). Il est très
vraisemblable que la comparaison de la pratique
704
amateur de l’enfant avec celle des parents durant
leur propre enfance aurait mis en évidence un
effet parental plus net.
(6) Les coefficients commentés ici sont les
odds ratios du Tableau I. Il s’agit des rapports de
chances entre deux situations : par exemple, les
situations « l’enfant regarde peu la télévision/les
parents regardent peu la télévision » et « l’enfant
regarde moyennement la télévision/les parents
regardent moyennement la télévision ». Un odds
ratio supérieur à 1 indique une augmentation du
rapport de chances, un odds ratio inférieur à 1 une
diminution de celui-ci.
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La force de l’imprégnation : la transmission du retrait
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
3,36 dans le cas de l’ordinateur, de 2,45 pour la lecture, de 1,75 pour le sport,
de 1,5 pour les jeux vidéo et de 1,38 pour l’écoute musicale. Pour certaines
pratiques, l’exemple parental intervient également de manière « positive » : le
fait que les parents lisent beaucoup multiplie par 1,59 la probabilité que l’enfant lise également beaucoup par rapport à une position moyenne, ce ratio est
de 1,27 pour l’ordinateur, de 1,91 pour le sport et de 1,32 pour les pratiques
amateurs. Mais, pour toutes les pratiques, l’exemple parental pèse plus négativement que positivement : comme dans le champ politique (Percheron, 1993),
c’est la posture de retrait qui se transmet le mieux (7).
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L’imprégnation culturelle dépend du modèle éducatif en place dans la
famille. Le type de relation parents/enfant, mesurable par l’intensité des
échanges, fait partie de la culture familiale non explicite mais discriminante
des rapports interindividuels (Singly, 2006). Deux modèles s’opposent : le
modèle « positionnel », que l’on rencontre plutôt dans les milieux populaires
et qui définit l’enfant par son statut (âge et sexe), sur lequel sont directement
indexés le permis et l’interdit ; et le modèle « relationnel » ou « à orientation
personnelle », plus typique des classes sociales supérieures, qui privilégie
l’autonomie, la négociation avec l’enfant, lequel est défini plus par ses
qualités personnelles que par son statut (Octobre, 2004). Pour différents que
soient ces modèles, leur impact sur l’effet d’imprégnation paraît relativement
faible (sauf dans le cas de la télévision où un faible niveau de discussion
parents/enfant à ce sujet augmente la probabilité de retrait de l’activité) (8).
Car toutes les activités culturelles ne sont pas prises en compte de la même
manière dans les dynamiques familiales et identitaires des jeunes. Ainsi, les
pratiques artistiques amateurs ne sont pas support de sociabilité juvénile forte,
ne s’inscrivent pas dans la culture jeune, ne relèvent pas d’un entre-soi juvénile, mais plutôt d’un pour-soi familial, notamment parce que le lieu d’exercice de bon nombre de ces pratiques est le domicile, et le public sollicité,
quand il y en a un, celui de la famille. Le fait qu’un fort niveau de discussion
avec les parents diminue la probabilité de s’adonner rarement à une pratique
artistique amateur en est un signe, alors qu’aucun effet similaire n’existe en
ce qui concerne la sociabilité juvénile. Ces variations traduisent ainsi
l’inscription symbolique des pratiques dans l’identité du jeune.
(7) « Ces parents qui pratiquent le plus
constamment de tous la politique du chacun pour
soi et du retrait sont en définitive ceux qui
forment le plus souvent leurs enfants à leur
image. » (Percheron, 1993, p. 116).
(8) On ne dispose pas dans cette enquête
d’un indicateur de qualité perçue des relations
parents/enfant, indicateur dont Percheron a
montré qu’il était, en matière de socialisation
politique, positivement corrélé avec la transmission des valeurs parentales.
705
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Imprégnation et modèle éducatif
Revue française de sociologie
Imprégnation et origine sociale
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Certes, l’affaiblissement des distinctions liées à l’origine sociale chez les
10-14 ans est réel : si l’effet de l’origine sociale perdure chez les enfants en
matière de consommation de loisirs culturels, il est en général moins fort que
dans la génération des parents (Tableau II). Ceci suppose un double phénomène : une diffusion de la culture populaire (la télévision) antérieurement
plus prisée chez les ouvriers que chez les cadres, et une popularisation des
pratiques les plus élitaires (ordinateur, activité artistique amateur et écoute
musicale). Seule la lecture n’est affectée par aucun des deux phénomènes : sa
position de pratique élitaire est inchangée. Plus encore, il s’agit d’une
pratique en voie de désaffection puisque c’est la seule dont le niveau de diffusion est très sensiblement inférieur dans la génération des enfants par rapport
à celle des parents.
Mais atténuation n’est pas disparition : l’effet propre de l’origine sociale
reste tangible, notamment pour les pratiques les plus légitimes (lecture) ou
celles pour lesquelles les coûts d’équipement restent élevés (ordinateur),
même si les consommations médiatiques, notamment celle de musique enregistrée, produisent une forme d’homogénéisation des comportements culturels à l’intérieur de la classe d’âge.
706
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Cette imprégnation n’est pas non plus réductible à l’effet du milieu social,
comme le montre l’exemple de la lecture : le fait d’être enfant de cadre ou
d’être enfant de fort lecteur augmente tout autant la probabilité que l’enfant
soit lecteur (les odds ratios cadres/employés et parents lisent beaucoup/parents lisent peu valent environ 1,6 à chaque fois). Ce point nécessite
d’être précisé, puisqu’il nuance certaines analyses qualitatives sur l’effacement de l’origine sociale comme facteur de différenciation des pratiques des
jeunes. Les cultures juvéniles sont parfois supposées apporter une forme
d’homogénéisation, voire faire disparaître les différenciations liées à l’origine
sociale : l’âge jouerait comme un contrevenant aux lois de la stratification
sociale des pratiques culturelles, dont la permanence est pourtant attestée
(Donnat, 1999), en faisant notamment (ré)apparaître le poids du genre
(Pasquier, 2005).
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
TABLEAU II. – Part des enfants et des parents ayant un niveau de pratique « élevé »
Parents
Cadres
Enfants
Odds ratios
Ouvriers
Cadres/ouvriers
Cadres
Ouvriers
Odds ratios
Cadres/ouvriers
Télévision
69
92
0,2
77
86
0,6
Musique
91
78
2,8
80
79
1,1
Lecture
80
61
2,6
48
28
2,4
Ordinateur
46
10
7,3
36
23
1,9
3
5
0,7
36
33
1,1
Sport
13
10
1,4
25
20
1,4
Activité artistique*
14
3
5,0
22
22
1,0
Jeux vidéo*
Note : * Pour les jeux vidéo et la pratique artistique amateur, les odds ratios relatifs aux parents doivent être interprétés
avec prudence, en raison des très faibles niveaux de diffusion observés dans l’enquête.
Lecture : Parmi les parents, 92 % ont une pratique élevée de télévision chez les ouvriers et 69 % chez les cadres. L’odds
ratio de ces proportions est de 0,2. Chez les enfants, 86 % ont une pratique élevée de télévision si le chef de famille est
ouvrier et 77 % si le chef de famille est cadre. L’odds ratio est de 0,6. Les odds ratios sont ici calculés de façon « brute »
et ne sont pas issus d’un modèle toutes choses égales par ailleurs.
Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents.
Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC.
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Si l’imprégnation paraît régner sinon en maître du moins en facteur explicatif important des transmissions culturelles, reste à en décrire les modalités
de mise en œuvre, en distinguant les facteurs qui constituent les « forces » des
transmissions – ceux qui les favorisent – et les facteurs qui constituent ses
« faiblesses » – ceux qui les perturbent.
Des « forces », on retiendra ici trois registres d’analyse – l’homogénéité
des comportements parentaux (ou homopraxie parentale) (9), le genre et l’origine sociale – à la fois parce qu’ils semblent les plus explicatifs des phénomènes et qu’ils donnent lieu aux débats les plus animés dans les publications
de recherche, mais aussi parce que leurs effets s’imbriquent et doivent être
analysés conjointement. La question de la force de l’homopraxie parentale est
d’importance, dans le contexte de mutation des formes de la famille, la
recomposition familiale présentant des modèles culturels pluriels aux enfants,
parfois supposés augmenter leur ouverture culturelle. L’homopraxie parentale
favorise-t-elle l’émergence de la pratique chez l’enfant ou bien est-ce plutôt la
diversité des comportements parentaux ; autrement dit la transmission est-elle
favorisée par la congruence des comportements parentaux ou bien par la
diversité des modèles proposés ? L’effet du genre peut, quant à lui, être
analysé via la répartition des rôles éducatifs et domestiques entre le père et la
(9) Nous désignerons ainsi le fait que les
deux parents aient un investissement fort dans
une pratique ou consommation culturelle. Nous
avions jusqu’à présent raisonné sur l’exemple
parental comme une somme non inclusive des
comportements des deux parents.
707
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Les transmissions culturelles : « forces » et « fragilités »
Revue française de sociologie
mère – dont on sait qu’ils sont inégaux (Kaufmann, 2007 ; Colin, Djider et
Ravel, 2005) – et selon que l’enfant est une fille ou un garçon – et l’on sait
également que les attentes envers les enfants des deux sexes diffèrent
(Baudelot et Establet, 2007) – mais également selon la catégorisation sociale
sexuée des activités culturelles. La question de l’origine sociale se mêle à la
précédente puisque les modèles du féminin et du masculin ne se déclinent pas
à l’identique dans tous les milieux (Maccoby, 1990). On peut alors décrire
finement les modalités de la transmission, et savoir, par exemple, si les
modèles maternel et paternel ont le même impact, s’ils s’exercent à l’identique sur une fille ou sur un garçon, ou encore s’il existe des effets différenciés selon les pratiques (10).
Symétriquement, on peut mettre en évidence certaines « fragilités » de
cette transmission, ou plus exactement le jeu des influences contraires aux
transmissions culturelles familiales. On en retiendra trois également : le jeu
des influences des autres espaces de socialisation de l’enfant (école, groupe
des pairs notamment), l’action propre de l’enfant (notamment en fonction de
l’avancée en âge), et les effets de contexte (intervenant sur la modification
dans le temps de l’offre culturelle).
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L’imprégnation est sensible à l’homogénéité des choix parentaux pour la
plupart des pratiques (Tableau III). Ainsi, un enfant dont les deux parents
lisent souvent a plus de 2 fois plus de chances de lire lui-même souvent qu’un
enfant dont un seul des deux parents lit souvent. Le même phénomène prévaut
pour l’engagement sportif, la consommation télévisuelle et la pratique informatique de loisir. Pour ces activités, l’efficacité de la transmission dépend
bien de l’intensité de l’investissement des deux parents, ce qui n’est pas le cas
dans les consommations de musique enregistrée et de jeux vidéo, qui en sont
relativement indépendantes.
Le cas de l’activité artistique amateur est plus complexe. Lorsque deux
parents ont une pratique artistique amateur élevée, 62 % des enfants sont eux
aussi dans ce cas, contre 54 % lorsqu’un seul parent a une pratique élevée,
soit un rapport de chances de 1,4 qui semble indiquer une influence positive
de l’homopraxie parentale. Cependant, une fois contrôlé des autres caractéristiques de l’enfant et de son milieu, cet odds ratio n’est égal qu’à 1,2 et n’est
plus significatif. Il ne le redevient que lorsque l’on « retire » du modèle la
variable correspondant à la catégorie sociale. Pour les pratiques artistiques
amateurs, l’effet de l’homopraxie parentale apparaît donc comme un effet
induit de celui de l’origine sociale.
(10) Pour répondre à ces questions, seules
sont prises en compte les familles « classiques »
ou « recomposées », c’est-à-dire celles dans
lesquelles l’enfant est au quotidien confronté à
708
deux exemples parentaux (que les adultes soient
mariés ou non et qu’il s’agisse des parents
ou des beaux-parents), soit environ 85 % des
10-14 ans de l’échantillon.
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La « force » des transmissions culturelles
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
TABLEAU III. – Pratiques culturelles et de loisirs des enfants,
selon la pratique des deux parents
Part des enfants ayant une pratique élevée (*)
Sport
Lecture
Télévision
Ordinateur
Activité artistique
Musique
Jeux vidéo
Aucun parent
Un seul parent
Deux parents
Odds ratio
(deux parents/
un seul parent)
64
57
69
42
49
74
29
74
68
82
79
54
81
40
86
79
87
86
62
81
41
2,2
1,7
1,4
1,7
1,4
1,0
1,0
Odds ratio
« contrôlé »
(deux parents/
un seul parent)
2,3
2,1
1,7
1,4
(1,2)
(1,0)
(1,2)
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Les transmissions culturelles sont sensibles à la répartition selon le genre
des rôles éducatifs, des activités et des modèles identitaires proposés aux
enfants (Tableau IV) (11). Pour les activités fortement transmises par la
cellule familiale, le rôle de la mère apparaît majeur. En matière de lecture et
d’ordinateur, ce sont elles qui transmettent plus que les pères, trait déjà relevé
dans les analyses rétrospectives concernant les passions (Donnat, 2004) : elles
transmettent le goût de lire aux enfants des deux sexes et la pratique informatique plus fortement à leur fille qu’à leur fils. Pourtant, on note des cas de
polarisation masculine des transmissions : le sport et la télévision sont des
activités pour lesquelles les transmissions du père au fils sont plus fréquentes
et ne connaissent pas leur symétrique féminin (mère/fille).
Ceci suggère l’existence d’un triple registre explicatif du genre en matière
de transmission culturelle : dans les répartitions des tâches éducatives, qui
incombent tendanciellement plus aux mères, dans les modèles de rôles sexués
incorporés par les enfants, les filles étant tendanciellement plus réceptrices, et
dans la catégorisation sexuée des activités et pratiques elles-mêmes, certaines,
(11) Afin d’observer si les transmissions
varient selon le sexe du parent et celui de
l’enfant, on a effectué, pour chaque item étudié,
deux régressions logistiques dichotomiques (une
pour les filles, une pour les garçons) qui testent
la probabilité d’une pratique élevée chez
l’enfant suivant les caractéristiques de l’enfant
(voir variables précédentes) et celle des parents
classée de la façon suivante : aucun parent n’a
une pratique élevée, seul le père a une pratique
élevée, seule la mère a une pratique élevée, les
deux parents ont une pratique élevée. Les
valeurs relatives à « père seul » et « mère seule »
sont ensuite comparées.
709
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Champ : Ensemble des familles biparentales.
Note : * Le niveau de pratique choisi est « élevé » pour tous les items sauf pour la lecture (enfants : moyen ou élevé),
jeux vidéo (parents : moyen ou élevé), activité artistique (parents et enfants : moyen ou élevé), sport (parents et enfants :
moyen ou élevé). Il a été choisi d’adapter ces fréquences d’une part pour que parents et enfants aient un niveau de
pratique testé comparable, d’autre part pour ne pas travailler sur des événements trop rares (par exemple : pratique
élevée des jeux vidéo pour les parents).
Lecture : Parmi les enfants dont aucun parent n’a une pratique élevée du sport, 64 % en ont une élevée. Cette part est de
74 % quand un seul des deux parents a une pratique élevée du sport (et l’autre faible ou moyenne) et de 86 % quand les
deux parents ont une pratique élevée. L’odds ratio correspondant est égal à (87/(100-87))/(74/(100-74)) soit 2,2. L’odds
ratio « contrôlé » est estimé à l’aide d’un modèle logit dichotomique qui teste la probabilité d’une pratique élevée chez
l’enfant, les variables explicatives étant celles du Tableau I, sauf pour la pratique parentale où la variable est aucun
parent/un seul parent/deux parents. Les odds ratios présentés entre parenthèses sont ceux qui ne sont pas significatifs au
seuil de 10 %.
Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC.
Revue française de sociologie
comme le sport, étant masculines et d’autres, comme les activités artistiques
amateurs, féminines. Cette dernière catégorisation doit autant au profil sexué
des pratiquants de chaque activité qu’à la représentation symbolique des
valeurs que celle-ci véhicule et qui sont en adéquation, ou non, avec les
modèles de genre socialement construits pour les enfants des deux sexes.
Les données analysées permettent également de saisir certaines des dynamiques à l’œuvre en matière de genre dans ces trois registres : ainsi, il semble
que le caractère masculin attaché aux activités technologiques s’atténue dans
le cas de la pratique informatique, puisque celle-ci se range dans le champ des
activités éducatives prises en charge par les mères. On peut y trouver
plusieurs explications : la première tient à la domestication des usages, qui
facilite l’incorporation de l’ordinateur dans le champ des activités couvertes
par l’expertise/le contrôle maternel ; la deuxième à la généralisation de l’outil
dans les mondes professionnels des parents des deux sexes (et peut-être
tendanciellement plus dans celui des femmes, plus nombreuses dans le secteur
des services) ; enfin, la troisième tient aux mutations des outils et des usages
eux-mêmes, avec la quasi-disparition des « obligations » de programmation
depuis les années 1980 au profit d’usages non proprement technologiques.
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Sport
Lecture
Ordinateur
Télévision
Activité artistique
Musique
Jeux vidéo
Odds ratio contrôlé (mère et pas père/père et pas mère)
Filles
Garçons
(0,9)
0,5
1,4
1,4
2,7
1,8
(1,3)
0,3
(1,3)
(0,7)
(1,1)
(1,2)
(0,7)
(1,5)
Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents, familles biparentales uniquement.
Lecture : Si l’odds ratio est 1 l’effet de la mère est supérieure à celui du père et inversement.
Les odds ratios présentés entre parenthèses sont ceux qui ne sont pas significatifs au seuil de 10 %.
Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC.
On note en outre que l’influence de l’homopraxie parentale est nettement
plus marquée chez les jeunes filles que chez les jeunes garçons (Tableau V)
comme le montrent les odds ratios contrôlés des autres caractéristiques de
l’enfant, significatifs dans 4 cas sur 7 pour les filles (contre 2 sur 7 pour les
garçons). Les modèles familiaux culturels d’investissement dans des activités,
tels que dessinés à travers les comportements des deux parents, ont donc un
impact plus grand chez les filles que chez les garçons. En ce sens, les filles
font preuve d’un plus grand conformisme. Certaines activités doivent même
aux filles le maintien de leur niveau de consommation d’une génération à
l’autre : c’est le cas en particulier pour la télévision et les activités artistiques
amateurs.
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TABLEAU IV. – Pratiques ou consommations culturelles des enfants
selon la pratique du parent par sexe du parent et sexe de l’enfant
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
TABLEAU V. – Pratiques ou consommations culturelles des enfants,
selon la pratique des deux parents, par sexe
Sport
Lecture
Ordinateur
Télévision
Activité artistique
Musique
Jeux vidéo
Odds ratio contrôlé (deux parents/un seul parent)
Filles
Garçons
2,6
1,9
2,5
1,7
1,6
(1,1)
3,7
(0,9)
2,0
(1,1)
(1,0)
(1,1)
(1,3)
(0,9)
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Par ailleurs, la transmission fonctionne globalement mieux dans les catégories supérieures. On constate ainsi que l’homopraxie parentale a globalement
plus d’effet sur les enfants de cadres que sur ceux d’ouvriers, notamment en
matière de télévision et d’activité artistique amateur (Tableau VI). Le cas de
la lecture est particulièrement intéressant : cette pratique est moins bien transmise par des parents forts lecteurs cadres qu’ouvriers, alors même que le
nombre de forts lecteurs est supérieur chez les cadres. Si cette dynamique se
poursuit, elle pourrait se traduire par une désaffection progressive des catégories qui jusqu’alors fournissent les contingents de forts lecteurs, cette perte de
lectorat n’étant pas compensée par l’arrivée de forts lecteurs issus d’autres
catégories sociales.
TABLEAU VI. – Pratiques ou consommations culturelles des enfants,
selon la pratique des deux parents par PCS du chef de ménage
Sport
Lecture
Ordinateur
Télévision
Activité artistique
Musique
Jeux vidéo
Odds ratio contrôlé (deux parents/un seul parent)
Cadres
Ouvriers, inactifs
2,9
2,1
1,8
2,3
1,4
1,4
3,1
(1,1)
3,6
(0,8)
(0,9)
(1,0)
(1,0)
(0,9)
Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents, familles biparentales uniquement.
Note : Les odds ratios sont issus des mêmes modèles logit dichotomiques que ceux du Tableau III, mais effectués
cette fois de façon séparée chez les cadres et chez les ouvriers/inactifs.
Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC.
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Champ : Ensemble des familles biparentales.
Note : Les odds ratios sont issus des mêmes modèles logit dichotomiques que ceux du Tableau III, mais effectués cette
fois de façon séparée chez les filles et chez les garçons.
Les odds ratios présentés entre parenthèses sont ceux qui ne sont pas significatifs au seuil de 10 %.
Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC.
Revue française de sociologie
Les « fragilités » de la transmission culturelle
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On ne peut pas analyser la transmission culturelle sans intégrer dans la
réflexion les effets de la modification de l’offre culturelle d’une génération à
l’autre. Cette modification porte pour une large part sur les nouvelles technologies, les parents appartenant aux premières générations de diffusion de ces
outils alors que les enfants ont grandi dans un monde largement multi-médiatique. Ainsi, l’absence d’effet de l’homopraxie parentale en matière de jeux
vidéo est-elle liée au caractère générationnel de cette activité : on observe que
la situation de forte pratique du couple parental est rare et relativement déconnectée du niveau de pratique de l’enfant. En outre, certaines activités
– comme l’écoute musicale – sont devenues des invariants générationnels, ce
qui explique la faiblesse de l’exemple parental comme facteur différenciant
du rapport à la consommation, en termes d’accès et d’intensité de consommation, et suggère de déplacer les analyses vers les choix de contenus, qui révèlent des distinctions fines et puissantes, comme les phénomènes de « mise en
genre musical » l’attestent (Glevarec, 2005).
L’enfant exerce lui-même une action autonome en matière de choix et de
détermination de ses comportements culturels. Cette action se traduit notamment dans les effets d’âge, l’avancée en âge agissant comme une mise à
distance des modèles familiaux. C’est le cas par exemple en matière de
lecture : l’avancée en âge favorise la diminution du rythme de cette activité,
voire son abandon, et ce même dans les milieux fortement lecteurs qui transmettent « bien » cette pratique à leur enfant. Avancée en âge, qui, parallèlement, favorise l’adoption de consommations sans lien avec les transmissions
familiales et qui sont « typiquement » juvéniles, comme l’écoute musicale.
L’avancée en âge, qui s’accompagne d’une autonomisation croissante, favorise les consommations juvéniles pour lesquelles l’effet de transmission est
faible : écoute de musique ou jeux vidéo. Cependant, l’effet de concurrence
entre transmission familiale et avancée en âge n’est pas systématique : dans
certains cas, le rapprochement des goûts des parents et des enfants avec
l’avancée en âge de ces derniers accentue les effets de la transmission
culturelle (c’est le cas en matière de télévision).
712
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D’autres facteurs que ceux qui ont retenu notre attention jusqu’à présent
paraissent explicatifs des rapports des 10-14 ans aux activités culturelles
(Tableau I). Si certains viennent contredire les effets des transmissions familiales en matière culturelle, d’autres au contraire les renforcent. Ces facteurs
proviennent non seulement d’autres espaces de socialisation (la sociabilité
juvénile viendrait concurrencer les transmissions familiales, l’école proposerait des modèles parfois éloignés des modèles familiaux) ou de la distanciation liée à l’âge, mais aussi des objets culturels eux-mêmes. On peut ainsi
distinguer quatre registres : la modification de l’offre culturelle d’une génération à l’autre (effet de contexte), les effets de l’autonomie croissante de l’enfant en matière de choix de comportements culturels (effet d’âge), les effets
de l’école (effet de socialisation scolaire) et les effets de l’insertion dans des
réseaux de pairs (effet de socialisation juvénile).
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
À ces fragilités s’ajoutent celles que peuvent représenter les autres espaces
de socialisation : scolaire et juvénile. L’adhésion aux normes scolaires, au
« programme institutionnel de l’école » (mesuré ici par le niveau scolaire), est
souvent considérée comme un facteur d’adhésion aux pratiques culturelles
légitimes, alors que la sociabilité juvénile (saisie ici par l’intensité des discussions avec les copains) favoriserait l’attachement aux pratiques médiatiques.
On peut vérifier la pertinence de cette hypothèse pour certaines pratiques : les
élèves en difficulté scolaire ont, à autres caractéristiques égales, deux fois
moins de chances d’avoir une pratique de lecture élevée que les élèves de
situation scolaire moyenne ; de même, développer une faible sociabilité juvénile divise par deux la probabilité d’être un fort consommateur de musique
enregistrée. Mais, là non plus, les oppositions entre transmission familiale et
influence juvénile ne sont en rien systématiques : le sport et les jeux vidéo
voient ainsi les effets de l’exemple parental et du niveau de discussion avec
les copains se redoubler pour expliquer le retrait face à ces activités, puisque
les enfants les moins sportifs ou les moins joueurs se recrutent parmi ceux
dont les parents le sont également le moins, mais également parmi ceux qui
discutent le moins avec leurs copains.
Statique et dynamique intergénérationnelles
des comportements culturels
Certains facteurs favorisent une « bonne » transmission, c’est-à-dire une
reproduction chez les enfants des comportements culturels des parents (qu’ils
soient de consommation ou de retrait), et alimentent une lecture statique de
l’histoire culturelle des générations, tandis que d’autres favorisent l’apparition ou la production de nouveaux comportements (de consommation ou de
retrait également) et mettent en évidence les dynamiques à l’œuvre. Pour
mieux cerner ces statiques et ces dynamiques intergénérationnelles dans le
rapport global à la culture, il faut d’une part passer de l’étude des transmissions par pratique à l’étude de la transmission d’un rapport plus global à la
culture, c’est-à-dire s’interroger sur les liens existant entre les transmissions
par pratique ; d’autre part, passer de l’étude des pratiques à celle des pratiquants, et à la catégorisation des enfants en fonction du degré de ressemblance de leurs comportements culturels avec ceux de leurs parents.
713
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La transmission fonctionne donc bien selon une logique de tri, et non selon
une logique d’assimilation passive, les modèles parentaux étant revisités par
l’action propre des enfants et complétés par d’autres influences (copains,
école, etc.). Ce que nous avons nommé fragilités de la transmission est le
terreau des évolutions des rapports à la culture des nouvelles générations et la
force des dynamiques futures.
Revue française de sociologie
Statique et dynamique intergénérationnelles par pratique
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Pour chaque pratique ou consommation, chaque enfant a été classé en fonction
du degré de ressemblance entre son rapport à la culture et celui de ses parents, en
comparant son degré d’investissement dans les sept activités retenues à celui de ses
parents (Schéma I et Tableau VII).
On distingue quatre configurations utiles pour l’analyse : les deux premières
étant de « reproduction » – « reproduction positive » quand il s’agit d’une forte
consommation de l’enfant et de ses parents et « reproduction négative » quand il
s’agit d’une faible consommation de l’enfant et de ses parents ; les deux suivantes
de « dynamique » – « dynamique positive » quand l’enfant est plus consommateur
que ses parents, ce qui correspond en général à ce que l’on désigne par le terme
« diffusion » et, phénomène inverse, « dynamique négative » quand l’enfant est
moins consommateur que ses parents, ce qui recouvre ce que l’on désigne en
général sous le terme « désaffection ». Cette analyse étant réalisée pour chacune
des sept activités culturelles étudiées, on définit ensuite la configuration majoritaire
afin de déterminer si les reproductions par pratiques sont liées entre elles
(Tableau VIII) (12).
La première configuration correspond à la position médiane où enfant et parents
ont une consommation moyenne, que nous considérerons comme une situation de
« référence » à laquelle les autres situations seront comparées.
Les cinq configurations sont les suivantes :
1 – Groupe médian : enfant et parents ont une pratique moyenne.
2 – Groupe de reproduction positive : enfant et parents ont une pratique élevée.
3 – Groupe de reproduction négative : enfant et parents ont une pratique faible.
4 – Groupe de dynamique positive (ou de diffusion) : l’enfant a une pratique
strictement supérieure à la pratique des parents (élevée/moyenne, élevée/faible,
moyenne/faible).
5 – Groupe de dynamique négative (ou de désaffection) : l’enfant a une pratique
strictement inférieure à la pratique des parents (faible/moyenne, faible/élevée,
moyenne/élevée).
(12) Ce classement s’opère par rapport aux
cinq positions possibles : position médiane,
reproductions positive et négative, adhésion et
désaffection. Si, pour un enfant, deux modes de
transmissions arrivent « ex æquo », on privilégie
le plus « rare » dans le sens suivant : désaffection, puis adhésion, puis reproduction
négative, puis reproduction positive. Ce
classement dépend évidemment fortement des
714
sept pratiques et consommations étudiées : ainsi,
le fait de ne pas sélectionner la télévision dans
l’analyse diminuerait nettement le poids relatif
de la reproduction positive. On s’intéresse ici
plutôt aux caractéristiques qui peuvent expliquer
la prépondérance de tel ou tel mode de reproduction/production chez l’enfant et on centre
donc l’analyse sur les positions extrêmes, par
rapport à celle du groupe médian.
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ENCADRÉ II. – Classification intergénérationnelle
des comportements culturels : cinq configurations
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
SCHÉMA I. – Classification intergénérationnelle des comportements culturels :
cinq configurations
Niveau de pratique de l’enfant
Faible
Niveau de pratique
des parents
Moyenne
Faible
Reproduction
négative
Moyenne
Dynamique négative
ou « désaffection »
Élevée
Élevée
Dynamique positive Dynamique positive
ou « diffusion »
ou « diffusion »
Niveau médian
Dynamique négative Dynamique négative
ou « désaffection » ou « désaffection »
Dynamique positive
ou « diffusion »
Reproduction
positive
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Groupe médian
Reproduction positive
Reproduction négative
Sous-total reproduction
Dynamique positive
(ou diffusion)
Dynamique négative
(ou désaffection)
Sous-total dynamique
Total
Télévision
Musique
Lecture
29
66
1
67
27
65
1
66
49
28
4
32
48
12
27
39
44
2
29
31
69
3
16
19
Activité
artistique
40
2
39
41
2
3
1
9
24
10
17
2
4
18
4
1
2
2
4
100
7
100
19
100
13
100
25
100
12
100
19
100
Ordinateur Jeux vidéo
Sport
Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents.
Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC.
TABLEAU VIII. – Répartition des enfants selon la configuration
de transmission majoritaire (en %)
Groupe Médian
Groupe 1
Reproduction
positive
Groupe 2
Reproduction
négative
Groupe 3
Dynamique
positive
(ou diffusion)
Groupe 4
Dynamique
négative
(ou désaffection)
50
19
15
9
7
Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs parents.
Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC.
L’analyse par pratique met en évidence le poids de la reproduction,
laquelle explique plus de la moitié des situations en matière de télévision et
d’écoute de musique (Tableau VII). Ces deux activités justifient toutefois des
analyses distinctes, puisque l’on a montré précédemment que, pour la
première, l’exemple parental pèse fortement, tandis qu’il ne pèse pas pour la
seconde. On se trouve donc face à deux cas de figure. D’un côté, la télévision
où le lien intergénérationnel peut s’expliquer par le caractère souvent collectif
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TABLEAU VII. – Répartition des enfants selon les cinq configurations
de transmission par pratique ou consommation culturelle (en %)
Revue française de sociologie
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Pour l’ensemble des autres pratiques, si les tendances sont moins nettes, on
observe que les configurations de reproduction sont toujours plus nombreuses
que celles d’adhésion ou de désaffection. Certaines dynamiques peuvent ainsi
être esquissées : l’hypothèse d’une désaffection tendancielle de la lecture (que
l’importance du groupe médian masque encore partiellement), de la permanence d’une fracture numérique intergénérationnelle (qui se traduit par la
permanence d’un retrait à l’égard de cette activité de l’enfant et de ses parents
dans un cas sur quatre). Les jeux vidéo et les activités artistiques amateurs,
pour leur part, conjuguent la reproduction intergénérationnelle d’une distance
à l’activité et un effet de génération et/ou d’âge : effet de génération, quand
les jeux vidéo sont beaucoup plus prisés des enfants que des parents (ce qui se
traduit par un très faible niveau de reproduction positive et un fort niveau
d’adhésion), qui se combine avec un effet d’âge, puisque les jeunes années
sont plus propices à certaines activités, notamment les activités artistiques
amateurs mais également l’ensemble des activités de loisirs ludiques.
Produire ou reproduire un rapport global à la culture
Comment ces différents éléments contribuent-ils à construire un rapport
d’ensemble aux activités culturelles ? La classification des enfants
(Tableau VIII) indique que 50 % d’entre eux appartiennent au groupe médian
en termes de transmission intergénérationnelle des pratiques culturelles et de
loisirs, l’autre moitié occupant des positions caractéristiques à l’égard de la
transmission. C’est à ces situations contrastées, au nombre de quatre, que l’on
va s’intéresser pour comprendre les facteurs expliquant le fait qu’un enfant
est plutôt du côté de la reproduction (positive ou négative) ou de la production (adhésion ou désaffection) de culture.
Les comportements de reproduction – donc de statique intergénérationnelle – sont les plus nombreux : au total, 34 % des enfants se classent dans les
deux groupes de reproduction (positive et négative), soit le double de ceux
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des moments d’écoute, et par l’audience de programmes communs, l’offre
télévisuelle étant finalement assez peu segmentée (Chéreau et Lanlay, 2004).
La télévision apparaît ainsi comme le média pour lequel les comportements
des deux générations sont les plus semblables : compte tenu de son fort
niveau de consommation dans les deux générations, cette similitude s’exprime à travers de forts niveaux de consommation chez l’enfant et ses parents.
De l’autre côté, l’écoute musicale, pour laquelle l’exemple parental ne joue
pas : cette activité, répandue dans les deux générations, apparaît comme un
invariant générationnel plus que comme une consommation « commune ».
Les analyses des consommations musicales montrent d’ailleurs que des
systèmes de distinction très fins interviennent entre les différentes catégories
et sous-catégories de musique, qui scandent assez profondément le rapport
des jeunes à l’écoute musicale tant de manière intragénérationnelle que de
manière intergénérationnelle, et que les moments d’écoute musicale
rassemblent rarement parents et enfants (Octobre, 2004).
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
qui se classent dans les groupes dynamiques. Par ailleurs, la dynamique culturelle positive l’emporte sur la dynamique négative, ce qui conforte l’hypothèse d’une généralisation tendancielle, voire d’une banalisation, des
consommations culturelles.
Si l’on retrouve des facteurs « classiques » au rang de ceux qui expliquent
la propension des enfants à reproduire le rapport de leurs parents à la culture,
comme l’influence de l’âge, du genre ou du milieu social de l’enfant, l’analyse met également en évidence des effets moins attendus, concernant notamment le type de famille, la taille de la fratrie et les relations avec les copains,
etc., qui sont d’autant plus à souligner qu’ils jouent toutes choses égales par
ailleurs (Tableau IX).
TABLEAU IX. – Les facteurs explicatifs de la statique et de la dynamique
intergénérationnelles des comportements culturels
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Pratique de loisirs de l’enfant
Pratique de loisirs des parents
Probabilité de référence
Sexe
Fille
Garçon
Classe
CM2
6e, 5e
4e, 3e
Catégorie socioprofessionnelle du ménage
Artisan, commerçant, cadre, profession libérale
Profession intermédiaire
Ouvrier, employé, agriculteur, inactif
Nombre d’enfants dans le ménage
1 enfant
2 enfants
3 enfants et plus
Type de famille
Classique
Monoparentale
Recomposée
Type d’habitat
Maison, ferme
Appartement
Niveau scolaire de l’enfant
Très bon élève
Bon élève
Quelques difficultés ou beaucoup de difficultés
Disposition d’une chambre
Chambre réservée
Chambre partagée
Niveau d’autonomie de l’enfant
Élevé
Moyen, faible
Élevée
Élevée
29 %
Odds ratios
Statiques
Groupes
Groupe 2 (*)
Groupe 3 (*)
Reproduction
Diffusion
négative
vs Groupe 0 (groupe médian)
Faible
Élevée
Faible
Faible
15 %
4%
Dynamiques
Groupe 4 (*)
Désaffection
Faible
Élevée
4%
Réf.
1,1 *
Réf.
0,7 **
Réf.
1,6 **
Réf.
2,1 **
0,9
Réf.
1,1
0,8
Réf.
1,5 **
1,2
Réf.
0,8
1,2
Réf.
1,3
1,5 **
Réf.
0,9
0,8
Réf.
1,9 **
1,2
Réf.
0,9
2,3**
Réf.
0,9
1,4 *
Réf.
0,7 *
1,0
Réf.
1,1
1,1
Réf.
1,0
2,0 **
Réf.
0,8
Réf.
0,7 **
0,8
Réf.
1,1
0,9
Réf.
1,4 **
1,1
Réf.
0,9
3,2 **
Réf.
0,9
Réf.
0,9
Réf.
1,6 **
Réf.
1,1
0,9
Réf.
0,7
1,0
Réf.
1,1
1,3
Réf.
1,0
0,5
Réf.
0,9
Réf.
0,9
Réf.
0,9
Réf.
1,2
Réf.
1,6 **
1,1
Réf.
0,9
Réf.
1,6 **
Réf.
0,8
Réf.
... /...
717
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Groupes
Groupe 1 (*)
Reproduction
positive
Revue française de sociologie
Niveau
Élevé
Moyen,
Niveau
Élevé
Moyen,
de discussion avec les parents
faible
de discussion avec les copains
faible
1,1
Réf.
0,5 **
Réf.
0,7
Réf.
1,0
Réf.
1,2
Réf.
0,5 **
Réf.
1,9 **
Réf.
0,4
Réf.
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Ainsi, en matière de reproduction positive (Groupe 1), l’origine sociale
joue un rôle puisque les enfants des catégories supérieures ont une probabilité
plus élevée de reproduire le fort investissement culturel de leurs parents, de
même que les enfants uniques, qui concentrent l’attention éducative des
parents. Symétriquement, les enfants qui reproduisent la distance culturelle de
leurs parents (Groupe 2) se recrutent plus parmi les enfants d’ouvriers, d’employés ou d’agriculteurs. Si les filles sont plus « conservatrices de culture »,
c’est plutôt en matière de distance à la culture – elles ont une probabilité plus
grande de figurer dans le groupe de reproduction négative – puisque la transmission de l’investissement culturel positif s’exerce à l’identique sur les
enfants des deux sexes. Ainsi, la force des stéréotypes sexués est-elle
confirmée et précisée. Enfin, le modèle éducatif relationnel joue également un
rôle, puisque les enfants qui discutent peu avec leurs parents ont plus de
chances de reproduire le retrait parental à l’égard de la culture (Groupe 2).
La diffusion culturelle, situation où les enfants ont des pratiques et
consommations culturelles supérieures à celles de leurs parents (Groupe 3)
est, quant à elle, plus fréquente chez les garçons, chez les enfants disposant
d’un fort degré d’autonomie et chez ceux qui développent un niveau élevé de
discussion avec les copains. L’autonomie, qui traduit ici le fait de disposer de
liberté dans les choix culturels et en matière d’invitations juvéniles chez soi
ou chez autrui, dénote deux choses : d’une part, l’influence positive du
modèle éducatif que nous avons précédemment appelé « relationnel », d’autre
part, l’influence positive de la sociabilité juvénile. Cette dernière influence est
elle-même double : il s’agit autant pour chaque enfant de se trouver en
présence, via les copains, de modèles parentaux dont ces derniers sont euxmêmes héritiers, ce qui crée une diversité supplémentaire de modèles de référence, que d’être confronté aux effets culturels propres de la jeunesse, notamment au sujet des objets technologiques où jouent à la fois effet de génération
et effet d’âge, comme c’est le cas pour les jeux vidéo. Par ailleurs, l’influence
de l’école en matière de diversification des modèles culturels ne semble pas
avérée. Il faudrait probablement d’autres indicateurs que celui du niveau
scolaire, approchant plus qualitativement l’opinion de l’enfant à l’égard du
système scolaire, pour préciser les résultats sur ce point. Mais ce premier
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Champ : Enfants de 10 à 14 ans et leurs familles.
* La construction de ces groupes est présentée dans le Schéma I et le Tableau VIII.
Lecture : Les odds ratios sont issus d’un modèle logit polytomique. Toutes choses égales par ailleurs (c’est-à-dire une
fois contrôlés les effets estimés pour les autres variables introduites dans le modèle), un garçon a 2,1 fois plus de chances
qu’une fille d’être dans le groupe 4 que d’être dans le groupe 0 (groupe médian). Autrement dit, à autres caractéristiques
égales, la « désaffection » des pratiques et consommations culturelles et de loisirs (c’est-à-dire la situation où les
enfants ont un niveau de pratique ou de consommation inférieur à celui de leurs parents) semble plus marquée chez les
garçons que chez les filles.
Seuils de significativité : 1 % (***), 5 % (**), 10 % (*), non significatif (partout ailleurs).
Source : Enquête « Les loisirs culturels des 6-14 ans », DEPS/MCC.
Sylvie Octobre, Yves Jauneau
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Enfin, la désaffection culturelle, situation dans laquelle les enfants ont un
niveau global d’investissement dans les activités culturelles inférieur à celui
de leurs parents (Groupe 4), est favorisée par un effet peu attendu de l’origine
sociale puisque l’on note une tendance à la désaffection des loisirs culturels
chez les adolescents issus des catégories supérieures, publics traditionnels de
la culture. Cette évolution est importante, car elle généralise les observations
faites précédemment pour la lecture et fait peser une ombre sur l’évolution
des publics et consommateurs de la culture dans les générations futures,
puisque l’assise sociale traditionnelle de ces publics semble s’effriter au fil
des générations. La désaffection est également liée à la situation familiale.
Alors que le fait de vivre dans une famille monoparentale n’apparaît pas
comme un handicap culturel puisque ces adolescents ont tendanciellement un
niveau de consommation et de pratique culturelles plus élevé que celui de
leurs parents, la recomposition familiale semble s’accompagner d’une
augmentation de la probabilité pour l’enfant d’être moins consommateur
culturel que ses parents. Il n’y a en effet rien de mécanique à ce que recomposition familiale rime avec diversification des modèles culturels en présence, à
la différence de l’ouverture volontaire constituée par le degré d’autonomie de
l’adolescent ou le niveau élevé de discussion avec les copains ou les parents,
facteurs qui impactent positivement la probabilité d’adhésion de nouveaux
comportements. La taille de la fratrie a également une influence : les enfants
uniques, qui sont à ce titre privés de la diversité des modèles potentiels offerts
par les membres d’une fratrie et concentrent sur eux toute l’intensité des
intentions éducatives formelles et informelles, semblent les plus enclins à
refuser le modèle parental (Groupe 4), plus encore qu’à le reproduire
(Groupe 1).
*
* *
Si l’exemple parental est donc bien prépondérant pour expliquer la position
des 10-14 ans à l’égard des loisirs culturels, ce facteur se combine avec d’autres influences, notamment celle du groupe des pairs, pour expliquer la dynamique ou la statique des comportements culturels dans une perspective
intergénérationnelle. De même, la force de l’exemple parental varie en fonction de l’homogénéité des comportements parentaux, de l’origine sociale de
l’enfant et de son sexe. Il n’y a donc pas tant concurrence que complémentarité entre les modèles explicatifs, souvent présentés de manière sans doute un
peu rapide comme substitutifs. Le rapport de l’enfant à la culture se construit
ainsi par imprégnation de l’exemple parental, négocié, métissé par l’influence
des pairs : placé de plain-pied au centre des mutations sociales et technologiques, ce rapport réactive la différenciation de genre selon des modalités socialement clivées qui donnent à l’analyse des transmissions culturelles et de
leurs modalités une nouvelle acuité.
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indice laisse à penser que l’influence de l’école dans la diffusion des comportements culturels chez les adolescents est relativement faible.
Revue française de sociologie
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Sylvie OCTOBRE
Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS)
Ministère de la Culture et de la Communication (MCC)
182, rue Saint-Honoré
75001 Paris
[email protected]
Yves JAUNEAU
Insee
Division études sociales – Timbre F 120
18, boulevard Adolphe Pinard
75014 Paris
[Au moment de la rédaction de l’article, Y. Jauneau appartenait au DEPS/MCC]
[email protected]
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Cette analyse des transmissions culturelles conduit à une réflexion sur la
position de la culture dans la définition des générations, puisqu’il apparaît
assez nettement que des recompositions sont en cours, tant en termes d’affaiblissement des mécanismes traditionnels de reproduction de l’investissement
culturel des catégories supérieures que d’influences croisées des exemples
familiaux et juvéniles, ou encore en termes de caractérisation sexuée de pans
entiers de la culture. Même si des lignes de partage générationnelles existent
(en matière de jeux vidéo, de lecture notamment), on dénote également
certaines similitudes des rapports des 10-14 ans et de leurs parents avec la
culture (en matière de musique notamment ou de télévision), sans doute en
lien avec la recomposition des modèles éducatifs et des rapports statutaires
entre parents et enfants (Singly, 2006), qui trouvent un écho dans le rapprochement des valeurs des différentes générations (Galland et Roudet, 2001).
C’est plus largement dans la négociation des répertoires culturels des jeunes
générations avec les précédentes que s’observe une évolution : le modèle de
la négociation, de « l’agora familiale », semble répandu (Octobre, 2004), avec
la reconnaissance pour les jeunes d’une autonomie de choix, qui ne se vit pas
sur le mode de l’opposition générationnelle, comme cela avait pu être le cas
entre les parents actuels et leurs propres parents. La revendication culturelle,
qui avait été l’un des étendards de la jeunesse de la seconde moitié du XXe
siècle (génération yéyé, beatnik, hard rock, etc.) dans son opposition avec ses
aînés, semble avoir disparu au profit d’une cohabitation de modes culturels
variés, tant intergénérationnels qu’intragénérationnels.
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