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La citerne Ibn Battouta dans le quartier de Kôm el-Nadoura

2009, Du Nil à Alexandrie – Histoires d’Eaux

Alexandrie - Égypte cr li s H arpo Centre d’Études Alexandrines hin g Du Nil à Alexandrie Histoires d’Eaux ates P u b Centre National de la Recherche Scientiique Exposition conçue par le Centre d'Études Alexandrines et réalisée conjointement avec Le Laténium Réalisation de l’exposition CommissaiRes généRaux Jean-Yves Empereur (CEAlex, CNRS) Denis Ramseyer (Laténium) CommissaiRe sCientifique Isabelle Hairy (CEAlex, CNRS) diReCtion du latenium Marc-Antoine Kaeser équipe de ConCeption Burçak Madran (Tetrazon), muséographe ; Isabelle Hairy (CEAlex, CNRS) ; assistants : Jacques Roethlisberger (Laténium), Özgür Çimen (Tetrazon) iConogRaphie Oueded Sénoune (CEAlex) gRaphisme Isabelle Hairy, Amélie Lamarche (Amélie L.), Burçak Madran, Jacques Roethlisberger mode de Citation pRéConisé maquettistes : des CiteRnes et des maChines de l’eau Du Nil à Alexandrie, histoires d’eaux Catalogue d’exposition, dir. Isabelle Hairy Michel Coqueret (CEAlex), Ali Sayed Ali (CEAlex), Sheriff El Sayed (CEAlex) RédaCtion des textes et des CaRtels © éditions haRpoCRates Alexandrie (Égypte), 2009. ISBN : 977-5845-24-6 Dar el Kotob : 17105 - 2009 Isabelle Hairy, Laurent Borel (CEAlex, CNRS), Philippe Fleury (Université de Caen), Kathrin Machinek (CEAlex), Géraldine Nater (Laténium), Marie-Christine Petitpa (CEAlex) Oueded Sennoune (CEAlex), Patrice Pomey DU..NIL..À..ALEXANDRIE La citerne Ibn Battouta dans le quartier de Kôm el-Nadoura L Kathrin Machinek a citerne appelée Ibn Battouta se trouve dans le quartier populaire de Kôm el-Nadoura à Alexandrie, dans la rue Kobri el-qadim. Le quartier se situe au sud de la colline éponyme et du quartier ottoman et à l’est du grand port industriel. L’architecture de cette partie de la ville est caractérisée par des immeubles de hauteur moyenne, souvent délabrés, qui abritent un habitat simple et une multitude de petits ateliers artisanaux (1.). La construction de la citerne est datée entre le Xe et le XVe siècle. Elle tient son nom du voyageur maghrébin Ibn Battouta, qui passa deux fois à Alexandrie au cours de ses périples, au XIVe siècle, et nous laissa des récits précieux de ses visites. Il s’agit de l’une des grandes citernes publiques de l’époque médiévale. Sa morphologie est typique des citernes de cette période : souterraine, elle est bâtie sur un plan carré. Son agencement interne est constitué d’une série de colonnes entrecroisées d’arcs qui supportent sa toiture (2). Après une phase d’abandon, elle fut réaménagée au XXe mer Méditerranée siècle comme abri antiaérien. Cette citerne figure N aujourd’hui parmi les sites touristiques d’Alexandrie. Dépourvu de toute signalétique, le monument est difficile d’accès pour les amateurs d’architecture, puisqu’il faut s’adresser au Service des Antiquités pour obtenir la clef du site. Sa visite n’est pas facile Ibn Battouta non plus, car son réservoir est constamment inondé 458 par la nappe phréatique, dont le niveau atteint environ 70 cm au-dessus du sol. Un petit jardin est installé sur la toiture de l’édifice. Les soins que lac Mariout le jardinier apporte à sa pelouse et à ses fleurs contribuent largement à maintenir des infiltrations p 1. Localisation de la citerne Ibn Battouta constantes dans le monument. 0 1000 mètres 2000 La citerne Ibn Battouta dans le quartier de Kôm el-Nadoura H istoire du quartier En 2003, une équipe d’architectes archéologues du CEAlex, – K. Machinek, J.-Ch. Querette, A. Pelle, C. Shaalan –, entreprit l’étude structurelle de ce monument. Pendant plusieurs mois, la citerne it l’objet d’un travail de documentation exhaustif sous forme de photographies et de relevés architecturaux détaillés. Elle fut alors repositionnée de manière exacte dans le cadastre* de la ville actuelle (3). Il est intéressant de noter que le bâtiment est désaxé d’environ 45° par rapport à la rue Kobri el-qadim qui traverse tout le quartier. Les deux citernes el-Gharaba, situées dans la même rue un peu plus au sud, sont également positionnées selon cet alignement (voir Y. Guyard, G. Hairy et I. Hairy dans ce volume). Cette orientation est cependant parallèle à l’actuelle rue Fouad, qui reprend le tracé de la « voie canopique », artère principale de la ville antique reliant les portes de l’est et de l’ouest de son enceinte. Toutes les autres rues de la cité étaient orthogonales ou parallèles à cet axe de circulation. Au moment de la construction des trois citernes, les traces de ce réseau viaire* antique devaient sans aucun doute encore être lisibles dans cette partie de la ville. Au Moyen Âge, Alexandrie était une cité portuaire arabe, située sur la frontière du pays. Sa position nécessitait une défense constante contre les divers agresseurs venant de la Méditerranée. Du IXe au XVIe siècle, les Alexandrins habitaient à l’intérieur de la puissante muraille construite par le sultan Ibn Touloun (voir « Eau et fortiication » de l’auteur dans ce volume). La ville entière se présentait alors comme une immense forteresse*. Dans ce contexte urbain, la citerne Ibn Battouta se trouvait au centre-ville. Sa capacité importante, ainsi que celles des deux citernes el-Gharaba, indique que le quartier devait être assez peuplé à cette époque. Il est vraisemblable que la couverture de la citerne supportait un espace apparenté à une place publique, avec un ou plusieurs oriices de puisage à la disposition des habitants (4). p 2. Vue de l’intérieur de la citerne Ibn Battouta Restitution en 3D de W. Machinek. 459 q 3. Plan cadastral du quartier de Kôm el-Nadoura Avec l’emplacement des citernes Ibn Battouta et el-Gharaba La carte de la ville dressée en 1798 par les topographes de l’expédition française sous les ordres de Napoléon Bonaparte indique un groupement de plusieurs citernes au sud de la colline Kôm el-Nadoura. Cet ensemble se trouvait à proximité d’une grande mosquée, ainsi que d’un aqueduc souterrain qui les approvisionnait probablement. L’aire méridionale était occupée par des vastes palmeraies. Les citernes servaient sans doute à l’arrosage de ces jardins, et malgré leur situation en dehors de la nouvelle ville, on les utilisait toujours pour la consommation domestique. Gratien Le Père, un savant de l’expédition d’Égypte en témoigne : « Les habitans les plus pauvres, qui n’ont dans leurs maisons ni puits ni citerne, sont contraints d’aller chercher dans les grandes citernes de l’ancienne ville l’eau nécessaire à leurs besoins journaliers. » bri฀el- Qadim Ibn฀Battouta Rue฀K o DU..NIL..À..ALEXANDRIE En 1517, les armées de l’Empire ottoman conquirent l’Égypte. Alexandrie devint alors turque. Les nouveaux occupants préférèrent s’installer extra muros, sur les terres vierges de la péninsule au nord de la ville. Ils abandonnèrent petit à petit l’ancienne cité arabe avec ses ruines antiques et médiévales. À la in du XVIIe siècle, l’ancienne ville était déserte et les alentours de la citerne Ibn Battouta étaient inhabités (5). Gharaba 460 Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la ville bâtie par les Ottomans se coninait à l’étroit isthme entre les deux ports. Mais l’explosion démographique de l’époque entraîna l’expansion de cette petite cité et la réoccupation des terrains jadis abandonnés de l’ancienne cité. Vers 1850, à la faveur d’une planiication urbaine, on élimina la limite sud de la ville ottomane en arasant la portion de la muraille arabe en contrebas de la colline. Ainsi le quartier de Kôm el-Nadoura fut créé. Contrairement au petit parcellaire irrégulier de la ville turque constitué de ruelles en chicanes, le nouveau quartier fut organisé selon une trame orthogonale, avec comme axe principal la rue Kobri el-qadim (6). Lors d’un grand projet d’inventaire opéré par le Service des Travaux Publics au Caire, en 1896, 121 citernes alexandrines furent répertoriées et dessinées. L’ingénieur A. Kamil dressa à cette occasion le plan et la coupe, ainsi que le plan de situation de la citerne Ibn Battouta qu’il nomma « Zawieh el-Magharba ». Sur ses documents igurent également une canalisation, un puits, une sakieh* et une fontaine publique à l’extérieur de la citerne. Ces représentations comportent La citerne Ibn Battouta dans le quartier de Kôm el-Nadoura p 4. Positionnement de la citerne Ibn Battouta sur la carte de Mahmoud el-Falaki, 1865 cependant quelques incohérences et nous ne pouvons pas les considérer comme totalement idèles à l’architecture de l’édiice. Le plan reste schématique, la coupe ne correspond pas à nos observations faites sur place et le nombre des oriices de puisage du réservoir varie selon les plans (7 a-c). C’est vers la in du XIXe siècle que la plupart des citernes cessèrent de servir au stockage d’eau potable à la suite de la mise en place d’un réseau de canalisations modernes. En 1911, un décret municipal ordonna la fermeture des dernières citernes publiques, pour éviter que l’eau stagnante qu’elles contenaient ne provoque des épidémies. Après leur abandon, de nombreuses citernes furent détruites, d’autres servaient de dépotoirs aux Alexandrins. On y versait des déchets au travers des puits toujours apparents à la surface, comblant ainsi progressivement ces réservoirs souterrains. À cette époque, le Comité de Conservation des Monuments de l’Art Arabe commença à s’intéresser aux citernes d’Alexandrie. Avec beaucoup de regret, les membres p 5. Positionnement de la citerne Ibn Battouta sur le plan levé par les ingénieurs de Bonaparte en 1798 Description de l’Égypte, E.M., vol. II, pl. 84 461 p 6. Positionnement de la citerne Ibn Battouta sur la carte dressée en 1887 par le Tanzim - G. Jondet, 1921, pl. XLVII DU..NIL..À..ALEXANDRIE du Comité virent disparaître une part importante de ce patrimoine et en irent rapport dans les procès-verbaux de leurs séances. u 9. Vue du plafond moderne en béton armé établi en 1940 - La structure est posée sur l’ancien mur de refend qui supportait les voûtes en berceau de la toiture originale. 462 p 7 a. Coupe de la citerne Ibn Battouta Levée et dressée par A. Kamil en 1896. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement égyptien décida de transformer plusieurs monuments des grandes villes en abris antiaériens. À Alexandrie, il s’agissait surtout des vastes citernes souterraines que l’on jugea appropriées pour la protection de la population civile. Quelques-unes d’entre elles, dont la citerne Ibn Battouta, furent ainsi transformées en abri. Sur le plan cadastral, on lit la légende arabe suivante qui désigne l’entrée à l’abri souterrain : « Modkhol makhbâ’ el ghârât el gaweyyah » – « entrée de la cachette contre les attaques aériennes » (8). Ces mesures prises par le gouvernement étaient plus psychologiques que réellement eficaces. En effet, la population ne prenait pas le danger des attaques aériennes trop au sérieux. De plus, l’architecture des citernes ne permettait pas de supporter le poids d’un plafond sufisamment résistant, étant uniquement conçu pour recouvrir le réservoir (9). La citerne Ibn Battouta dans le quartier de Kôm el-Nadoura p 7 b. Plan de situation de la citerne Ibn Battouta, positionnement dans le parcellaire moderne p 8. Positionnement de la citerne dans le cadastre actuel Survey of Egypt, série 1/500e et 1/1000e de 1933-1948, pl. 784. Levé et dressé par A. Kamil en 1896. Description architecturale de l’état original L’eau potable représentait une denrée précieuse dans cette contrée aride dépourvue de sources naturelles d’eau douce. La nécessité de la stocker entraîna la création des citernes publiques à l’époque médiévale. Ces édiices se présentaient sous forme de grands réservoirs clos, étanches, solides et préservant la fraîcheur de l’eau. Ils étaient déinis à travers un type d’architecture caractéristique. Des volumes souterrains de forme cubique furent aménagés dans le substrat naturel. Leur capacité volumétrique pouvait atteindre 2500 m3. Les excavations étaient chemisées d’une maçonnerie en moellons calcaires sur les parois et le sol. Le réservoir était recouvert d’une toiture pour éviter les contaminations extérieures. Cette couverture était 463 464 DU..NIL..À..ALEXANDRIE t 7 c. Plan de la citerne Ibn Battouta La citerne Ibn Battouta dans le quartier de Kôm el-Nadoura Levé et dressé par A. Kamil en 1896. communément constituée d’une série de voûtes en berceau parallèles reposant sur une structure porteuse interne. Enin, le parement intérieur des parois, du sol et de la toiture était revêtu d’un enduit de tuileau étanche. Ces structures publiques s’élevaient sur un, deux, trois voire quatre niveaux. Des oriices de puisage aménagés dans la toiture et dotés de systèmes d’extraction mécaniques étaient utilisés par les habitants ain de puiser l’eau pour leur consommation quotidienne. Leur entretien s’effectuait grâce à un puits de curage qui permettait d’accéder au fond de la cuve, dont la profondeur pouvait aller jusqu’à 13 m. De plan semi-circulaire, ce puits était positionné en règle générale sur le périmètre de l’édiice et souvent dans un des angles. La descente s’opérait par un dispositif typique de paires d’échelons aménagés en vis-à-vis dans les parois du puits. Cet oriice permettait le nettoyage du réservoir avant le remplissage annuel, ce qui était indispensable pour garantir la bonne qualité de l’eau (10). Le système porteur interne de ce type de citerne est basé sur un module constructif de plan carré dont les dimensions en moyenne sont de 2,50 m sur 2,50 m en plan et de 3,50 m en élévation. Le module est constitué de quatre colonnes, reliées horizontalement les unes aux autres en partie supérieure par des arcs surbaissés. La multiplication de ce module en plan et en élévation crée une structure porteuse de trame orthogonale, légère et ouverte (11). p 10. Vue de l’intérieur de la citerne Ibn Battouta t 11. Isométrie schématique de la construction d’une citerne médiévale Le module de base constitué de quatre colonnes et arcs dans les angles d’un carré peut être multiplié dans la surface et en hauteur. 465 L’ensemble de cette structure constituée d’arcades* en trois dimensions est à la fois solide et DU..NIL..À..ALEXANDRIE qu 12. Plan et coupes de la citerne dans son état original. Coupe A-A 5 La structure interne Ibn Battouta se développe sur un étage dans lequel 42 colonnes supportent 97 arcs. De fait, 56 modules de base sont ainsi alignés en 8 travées* dans le sens nord-sud et en 7 travées dans le sens est-ouest. Cet agencement de forme légèrement trapézoïdale couvre une supericie totale de 361 m2, avec une longueur de 19 m et une largeur de 19,60 m. La hauteur sous plafond de la citerne est de 3,80 m à l’intrados* des voûtes reconstituées (12). 10 m B 0 sufisamment lexible pour supporter les secousses sismiques, fréquentes dans cette région. Les descentes de charges de la toiture sont transmises vers le sol par les colonnes, tandis que les arcs transmettent les poussées latérales vers les pilastres* des parois de la cuve. La structure porteuse est ainsi stabilisée sur son pourtour par les parois. Cette architecture en iligrane permet non seulement la construction d’importants volumes, mais aussi l’optimisation du rapport plein-vide en faveur du vide, offrant une capacité de stockage optimale. La toiture originale de la citerne Ibn Battouta a entièrement été remplacée par une dalle en béton armé dans les années 1940. Nous pouvons cependant en proposer une restitution sur la base de quelques éléments encore visibles. Dans le sens transversal, une des travées présente encore une série d’arcs diaphragmes où l’on peut apercevoir la secA tion semi-circulaire des anciennes voûtes en berceau (9). Dans le sens longitudinal, sur les extrados des arcs, au niveau des sommiers*, on voit les vestiges des départs de voûtes arasées. 466 B A La citerne Ibn Battouta dans le quartier de Kôm el-Nadoura Les pilastres accolés aux parois forment des espaces apparentés à des niches. Les angles droits y sont façonnés ain de former des angles intérieurs arrondis. Techniquement, cette mise en œuvre réduit l’accumulation de sédiments et facilite le nettoyage de la citerne. Coupe B-B tp 12. Le réservoir a une capacité volumétrique de 1463 m3, distribuée sur une longueur de 19,60 m, une largeur de 19,19 m et une hauteur de 3,80 m. La toiture constituée de voûtes en berceau était percée de six petits orifices de puisage. Au milieu s’ouvrait le grand puits principal et dans l’angle nord-est le puits d’accès pour le curage de la cuve. Des 8 ouvertures d’origine de la citerne, visibles sur le plan de A. Kamil, seul le puits de curage subsiste de nos jours (7c). Situé dans l’angle ouest de la citerne, il a été aménagé en position saillante par rapport à la paroi. Le plan de A. Kamil nous montre que la toiture de la citerne était jadis dotée de six autres petits oriices de puisage sur plan circulaire. Ils étaient situés à intervalles réguliers sur le périmètre du réservoir et aménagés dans le sommet des voûtes, au centre d’une travée. Un oriice de puisage plus grand que les autres, de plan rectangulaire, était situé au-dessus de la travée centrale de l’édiice. Bien qu’ayant disparu de nos jours, sa position est toujours lisible dans la structure porteuse. Nous pouvons supposer qu’il s’agissait de l’oriice de puisage principal, destiné à l’usage public. L’architecture arabe à Alexandrie est souvent caractérisée par la mise en œuvre de pièces architecturales réemployées. Cet usage exprime l’aspect pratique des récupérations de blocs solides et déjà taillés. Dans la structure de la citerne Ibn Battouta, la composition des colonnes est très variée. On y trouve des fûts en granit gris et rose d’Assouan, des bases et des chapiteaux divers. Certains fûts sont composés de deux tambours*. Au sommet des colonnes, la présence de chapiteaux n’est pas systématique. Seules 19 des 42 colonnes de la structure sont couronnées de blocs faisant ofice de chapiteau. Mais nous y trouvons seulement sept chapiteaux réemployés, les 12 autres blocs étant des bases renversées utilisées comme chapiteaux. Pour la plupart, les chapiteaux 467 DU..NIL..À..ALEXANDRIE datent du IVe siècle ap. J.-C. Nous pouvons identiier parmi ces éléments un chapiteau ionique (13), un chapiteau à godrons, un chapiteau à feuilles lisses d’acanthe, un chapiteau islamique (15) et trois chapiteaux de type corinthien (14). Les chapiteaux corinthiens sont en marbre. Ils sont caractérisés par leur corbeille enveloppée de deux couronnes de feuilles d’acanthe*. Deux de ces pièces sont presque entièrement noyées dans la maçonnerie d’aménagements postérieurs. Sur l’un d’eux, un motif axial qui représente un aigle demeure visible. On retrouve ce même motif sur le troisième chapiteau corinthien, libre de toute maçonnerie postérieure. L’aigle y est endommagé dans sa partie supérieure. Les ailes sont symétriquement déployées de part et d’autre du torse. Ce chapiteau est décoré, sur sa face opposée, d’une croix grecque, entourée d’une couronne de laurier. Cette pièce provient vraisemblablement d’une église paléochrétienne. Si la croix évoque le langage spirituel et religieux, l’aigle symbolise, dans ce contexte, la victoire sur la mort et le caractère psychophore* de l’oiseau emportant les âmes des défunts. L’aigle est également le symbole de l’évangéliste Jean (14). 468 Parmi les autres chapiteaux, une pièce en particulier retient notre attention. Il s’agit d’un chapiteau islamique de type bulbeux sassanide qui date de la in du IXe siècle. La forme du bulbe imite un bourgeon de lotus, leur mythique en Égypte et au-delà de ses frontières orientales (15). Dans l’Égypte pharaonique, le lotus symbolisait l’abondance et la réincarnation ; le rapport de la vie à l’eau. Lors de la crue du Nil*, les bourgeons s’ouvraient. Cette stylisation est probap 13. Vue de l’intérieur avec les cloisons blement empruntée à l’iconographie indienne, où elle symqui subdivisent le réservoir - état actuel bolise le soleil levant après la crue du Gange. En Égypte, Les compartiments ont été créés lors de la Seconde ce type de chapiteau islamique apparaît pour la première Guerre mondiale pour servir de support aux fois au Caire, dans le nilomètre* de Rhoda, daté de 861/ banquettes. 862 ap. J.-C. Cette pièce nous permet donc de dater la construction de la citerne d’une période postérieure au Xe siècle. Une datation plus précise pourra être effectuée ultérieurement par le biais d’une analyse des mortiers de construction. Nos observations sur l’architecture et la topographie nous permettent de La citerne Ibn Battouta dans le quartier de Kôm el-Nadoura situer la construction de la citerne Ibn Battouta à une date postérieure au IXe siècle et antérieure à la conquête de la ville par les Ottomans en 1517. Description architecturale de l’état actuel Quelques siècles plus tard, la Seconde Guerre mondiale allait entraîner une dénaturation de l’édiice. En effet, les modiications que subit la citerne dans les années 1940 furent conséquentes. Si la structure porteuse originelle fut conservée, l’effet visuel harmonieux de l’édiice avec sa forêt de colonnes fut occulté par les aménagements modernes. L’espace intérieur de la citerne fut subdivisé en quatre compartiments de taille identique par la construction de trois cloisons de briques entre les colonnes. Des baies, aménagées dans ces maçonneries, permettaient de circuler d’un compartiment à l’autre (16). Trois escaliers en béton furent aménagés pour l’accès et la sortie du souterrain. L’espace fut exploité à son maximum : l’installation de banquettes permettait à 350 personnes d’y prendre place. Il ne subsiste de ces banquettes, probablement couvertes à l’origine de sièges en bois, que les soubassements en béton (17). L’aménagement de dispositifs techniques tels qu’un système d’aération et des installations sanitaires devint nécessaire : neuf cabinets de toilette à la turque furent adossés à la paroi orientale de l’édiice. Cependant, ce nombre n’était sans doute pas sufisant pour la totalité des occupants. Tous ces aménagements récents, qui font maintenant partie de l’histoire, sont réversibles et n’ont pas endommagé le monument ; seule l’ancienne toiture fut démontée et remplacée par un plafond moderne. Il repose sur des murets en p 14. Chapiteau protochrétien corinthien à feuilles d’acanthe datant de la fin du IVe/début Ve siècle ap. J.-C. En motif axial, ce chapiteau est décoré d’un côté d’un aigle, symbole de l’apôtre Jean, et de l’autre d’une croix grecque. q 15. Chapiteau islamique en forme de bulbe datant du IXe siècle 469 DU..NIL..À..ALEXANDRIE qu 16. Plan et coupes de la citerne Ibn Battouta aménagé en abri antiaérien en 1940 brique, installés sur les arcades. L’épaisseur de la dalle en béton armé, dissimulée sous la terre arable du jardin, est d’environ 0,70 m. Coupe A-A 5 10 m B 0 Nous ne savons pas si cette citerne fut pleinement occupée lors des alertes durant la Seconde Guerre mondiale, comme en Europe où les abris étaient souvent surchargés de réfugiés, au point que des gens devaient rester debout. Mais la faible épaisseur du plafond ne pouvait pas garantir une protection réelle contre un bombardement lourd. En cas d’impact direct de bombe, l’édiice se serait écroulé, entraînant la mort de la plupart de ses occupants. Ce monument d’une importance vitale pendant des siècles est aujourd’hui oublié de tous, et ce, depuis une soixantaine d’années. Il sommeille dorénavant dans les sous-sols d’un quartier d’Alexandrie dificile d’accès, où aucun touriste ne s’attarde. En attendant l’heure d’un réveil hypothétique à une nouvelle fonction, il nous livre petit à petit ses secrets. hn 470 A B A La citerne Ibn Battouta dans le quartier de Kôm el-Nadoura t 16. Dans les axes des Coupe B-B colonnades on a construit des cloisons, auxquelles s’adossent des banquettes. 350 personnes pouvaient prendre place dans l’abri. De même, on installa des systèmes de ventilation et sanitaire avec neuf toilettes turques. On pouvait descendre dans l’abri par le biais de trois cages d’escaliers. u 17. Vue interne de la citerne Le long des cloisons modernes, s’alignent les bases en béton qui supportaient les banquettes en bois. 471