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Curtius et Ortega : sur la réception de Spengler

Ein weiterer Zug seiner Originalität liegt in der Art, wie er deutsche und französische Kultur verarbeitet und zusammenführt. Ich wüßte keinen Kritiker in Europa, der mit derselben Sympathie und demselben Verständnis über Madame de Noailles und Simmel, über Marcel Proust und Max Scheler zu schreiben vermöchte.

AILC XXème Congrès, 18–24 juillet 2013, Paris-Sorbonne (Paris IV) Curtius et Ortega - sur la réception de Spengler Masayuki Tsuda (Université d’Osaka) 1. Introduction J’aimerais commencer aujourd’hui par citer un extrait autobiographique d’Ernst Robert Curtius. À la fois historien de la littérature et critique littéraire, Curtius est largement connu comme ardent partisan de la littérature européenne. Quand on discute sur la littérature européenne, Curtius est toujours évoqué. Je cite: Für einen Deutschen, zumal für einen im Elsaß geborenen und aufgewachsenen wie mich, war Frankreich die notwendige Ergänzung. Es war zugleich eine Spannung, die man nirgends stärker fühlte als im Elsaß. Die Dichtung meiner Elsässer Generationsgenossen Ernst Stadler und René Schickele gibt davon Kunde. In dieser Spannung erfuhr man zugleich Europa: fordernder als in Berlin oder München. (Curtius, Kritische Essays zur europäischen Literatur, Francke, Bern, 1954, S. 7) Cette citation révèle la conscience de son identité en tant que citoyen européen. Naturellement Curtius était sensible aux conflits entre la France et l’Allemagne depuis sa jeunesse parce qu’il est né en Alsace d’un père pasteur après la Guerre franco-allemande de 1870. Or, on ne peut expliquer son action de rassembler l’idée d’Europe simplement par son identité alsacienne. Cette identité est un élément naturel. Dans cette intervention, j’aimerais discuter les conditions de l’époque où il a vécu pour relever une influence extérieure dans l’idée d’Europe chez Curtius. Concrètement dit, je voudrais m’attacher à sa relation avec le philosophe espagnol José Ortega y Gasset. Regardez la citation suivante: Il tema dell’Europa è fondante nella relazione fra Curtius e Ortega, anche se la visione della cultura europea è nel tedesco permeata di cristianesimo mentre nello spagnolo è più indipendente dalla religione; esso costituisce la base del loro sodalizio, e poi lo sfondo di tutte – o quasi – le loro osservazioni. (Donatella Pini, “La corrispondenza fra Curtius e Ortega y Gasset”, in: Ivano Paccagnella e Elisa Gregori (a cura di), Ernst Robert Curtius e l’identità culturale dell’Europa, Esedra, Padova, 2011, pp. 178-179) L’œuvre représentative d’Ortega, La rebelión de las masas, dont le sujet est l’intégration européenne, émerge sous l’influence de l’historien allemand Oswald Spengler. C’est pourquoi je veux comparer Curtius et son ami intime José Ortega y Gasset en ce qui concerne la réception de Spengler. 1 2. Les représentations de la décadence : Spengler et Eliot Permettez-moi d’abord de jeter un court regard sur les travaux de Spengler. Celui-ci était un prophète plutôt qu’un historien. Qu’est-ce que il a prédit? Sous l’influence du éternel retour nietzschéen, Spengler a relevé la périodicité historique. Pour cela, dans Der Untergang des Abendlandes il a consacré beaucoup de pages à la culture arabe, avec laquelle des espagnols comme Ortega étaient très familiarisés. En outre il a dit que la culture occidentale se trouvait dans un état de décadence. Spengler a nié l’eurocentrisme dans ce livre alors qu’il n’a jamais voyagé dans le monde extra-européen et il avait de l’attachement pour la culture de la haute bourgeoisie allemande. À l’instar de l’Untergang des Abendlandes de Spengler, le thème du ravage a été traité par The Waste Land de Thomas Stearns Eliot. Il est notable que la traduction allemande par Curtius de ce long poème plurilingue soit parue dans Neue Schweizer Rundschau en 1927. Regardez les citations, s’il vous plaît. Unwirkliche Stadt, Im braunen Nebel eines Wintermorgens Strömte die Menge über London Bridge, so viele, Ich glaube nicht, der Tod fälle so viele. (T. S. Eliot, Das wüste Land, Übertragen von E. R. Curtius, Insel, Wiesbaden, 1957, S. 11) It is therefore no surprise that Eliot should have spotted Curtius at an early stage of his career and enlisted him in his fight to re-establish the European cultural unity which the First World War, Anglo-Saxon provincialism, and the rise of nationalism within European countries had seriously undermined. (J. H. Copley, “’The Politics of Friendship’: T. S. Eliot in Germany Through E. R. Curtius’s Looking Glass”, in : The International Reception of T.S. Eliot, ed. Elisabeth Däumer and Shyamal Bagchee, Continuum, London, 2007, p. 243) Les premières citations sont des extraits de la traduction allemande par Curtius de la première partie du Waste Land, dont le titre est « The Burial of the Dead ». Les sources de ces représentations catastrophiques sont les descriptions infernales chez Dante ou Baudelaire. Les deuxièmes citations nous montrent la relation intellectuelle entre Curtius et Eliot. Dans les années 20, Curtius a contribué à la revue d’Eliot, The Criterion, en espérant que ce dernier poursuive un idéal de la littérature européenne. En fait, Eliot a recherché la littérature anglaise du 16ème siècle au 18ème siècle, tandis qu’il restait indifférent à la littérature espagnole ou à la littérature allemande. Par conséquence, Curtius graduellement a perdu son intérêt pour les activités d’Eliot. Au contraire, c’était le philosophe espagnol José Ortega y Gasset, qui entretenait l’esprit européen. Passons alors au sujet d’Ortega. 2 3. La reception d’Ortega sur Spengler Ici je voudrais me pencher sur le processus de l’intégration européenne chez Ortega. Grâce à son environnement familial, il était un citoyen européen plutôt qu’un citoyen espagnol. Dans sa jeunesse, l’Espagne a perdu les colonies et sa situation internationale à la suite de la guerre hispano-américaine en 1898. La régénération espagnole en Europe était le problème essentiel pour Ortega. Il était habitué à la notion de « régénération » depuis sa jeunesse. Comme les intellectuels espagnols de la génération de 98, Ortega a tenté la modernisation de l’Espagne ou l’européanisation de ce pays. C’est pour cette raison qu’il a fait ses études de philosophie en Allemagne pendant quelques années. Voyez les citations, s’il vous plaît. L’historien Norman F. Cantor décrit l’apogée des sciences allemandes au début du vingtième siècle. The twentieth century was supposed to have been Germany’s century. In 1914 German science, humanistic scholarship, medicine, and technology were best in the world. (Norman F. Cantor, Inventing the Middle Ages, William Morrow and Company INC, New York, 1991, p. 87) Pour Ortega, l’Allemagne était la seconde patrie. Il était très sensible aux mouvements intellectuels en Allemagne. C’était lui qui a introduit Der Untergang des Abendlandes de Spengler en Espagne pour la première fois. Sous sa direction, la traduction espagnole de ce livre a été publiée. En 1923, il note dans la préface de cette traduction: El libro de Oswald Spengler, La decadencia de Occidente, es, sin disputa, la peripecia intelectual más estruendosa de los últimos años. (Ortega, Obras Completas, t.6, Revista de Occidente, Madrid, 1957, p. 309) Ortega était préparé à la crise européenne après la première guerre mondiale parce qu’il recevait les travaux des intellectuels espagnols de la génération de 98. Il est probable qu’il a volontiers reçu Spengler à cause de ses considérations sur le déclin de l’Espagne et de sa réception de la philosophie de la vie. Ortega et Spengler, tous les deux, pensent que l’origine de la décadence culturelle est l’apparition de la masse, en évoquant le déclin de l’Empire romain. J’aimerais citer les phrases de La rebelión de las masas d’Ortega. Europa mandaba, y bajo su unidad de mando, el mundo vivía con un estilo unitario, o menos progresivamente unificado....Originariamente, el Estado consiste en la mezcla de sangres y lenguas....Ahora llega para los europeos la sazón en que Europa puede convertirse en idea nacional. (Ortega, Obras Completas, t.4, Revista de Occidente, Madrid, 1957, pp. 232-270) Dans ce livre, Ortega de manière convaincante explique comment la civilisation moderne est devenue au 20ème siècle et il en appelle à l’intégration européenne dont la 3 particularité est le multiculturalisme ou le multilinguisme. Der Untergang des Abendlandes de Spengler a dû être l’occasion de la germination de l’idée d’Europe chez Ortega alors que Spengler n’a pas proclamé l’intégration européenne. 4. Les échanges mutuels entre Curtius et Ortega Curtius faisait tous ses efforts pour introduire et traduire la littérature française en Allemagne dans les années 20. Il était différent des autres savants allemands, ne serait-ce que par ses amitiés avec les écrivains français gravitant autour de La Nouvelle Revue Française. Grâce à son ami intime, l’écrivain français Valery Larbaud, Curtius a connu les circonstances intellectuelles de l’Espagne contemporaine. Pourquoi est-ce que Curtius et Ortega étaient attachés par des liens d’amitié? Parce qu’il est caractéristique pour Curtius d’incorporer l’importance des intellectuels espagnols à son idée d’Europe. Alors que l’Espagne était marginale à l’époque moderne, les yeux de Curtius étaient fixés sur la Péninsule Ibérique. Il est probable que Fernand Braudel, l’auteur de La Méditerranée et le Monde Méditerranéen à l'époque de Philippe II, a beaucoup apprécié l’ouvrage principal de Curtius parce que celui-ci était absorbé dans la relativisation de l’Espagne en Europe. Regardez la citation, s’il vous plaît. Deutschland ist seit Krieg und Revolution immer mehr östlichen (russischen und asiatischen) Einflüssen verfallen. Nach meiner Überzeugung ist es notwendig, diesen Tendenzen wieder die klare Gestalt lateinisch-mittelmeerischer Kultur entgegenzustellen. Und dabei will es mir scheinen, als ob Spanien in dieser Beziehung gegenwärtig wichtiger sei als Italien, dessen Geist mir allzu egozentrisch erscheint. („Ernst Robert Curtius – José Ortega y Gasset. Ein Briefwechsel“, in: Merkur, 18, 1964, S. 904) Ce passage provient d’une lettre de Curtius à Ortega datant de 1924. Il nous montre la transformation de la signification de l’Espagne pour Curtius. Ils se sont écrits de 1923 à 1954 en allemand. Donatella Pini analyse la correspondance échangée entre ces deux intellectuels européens ainsi: Non si tratta di lettere molto personali quanto alla finalità. Eppure, anche qui, affiorano avvenimenti importanti della vita personale: malattie, il matrimonio di Curtius, gli impegni e gli intrighi accademici, i trasferimenti da una sede all’altra, e poi la vita culturale e politica spagnola e tedesca, la guerra, l’esilio. (Donatella Pini, “La corrispondenza fra Curtius e Ortega y Gasset”, in: Ivano Paccagnella e Elisa Gregori (a cura di), op.cit. p. 171) Dans cette correspondance échangée, ils jouissaient du dialogue et formaient l’esprit européen. Ils partageaient une curiosité pour la philosophie de la vie, la littérature française comme Balzac ou Proust, l’Empire romain et le manque d’intérêt pour l’Europe orientale. 4 Quel est la différence entre ces deux intellectuels? Contrairement à Ortega, Curtius était aveugle au monde extra-européen comme le monde islamique, l’Afrique ou la Chine. Sous l’influence de Spengler, Ortega étudiait les travaux de l’ethnologue Leo Frobenius. D’autre part, Curtius a limité ses études à la culture européenne. Donc, par rapport à Ortega et Spengler, Curtius n’avait pas un point de vue mondial. 5. Conclusion Curtius a grandi en Alsace. Grâce à cette identité alsacienne, dans sa jeunesse, il a introduit la littérature française en Allemagne. Toutefois, le processus de son idée d’Europe était bien compliqué. Regardez les citations, s’il vous plaît. Die Seele Europas ist noch seit Jahrtausenden nicht so bedroht gewesen wie heute. Sie wird zerrissen von inneren Konflikten, verseucht von Giften eigener Zersetzungsprozesse, bedroht von außen: von amerikanischer Mechanisierung, die schon Baudelaire voraussah, aber auch von neu erwachenden Kräften Asiens. Der Untergang des Abendlandes ist prophezeit worden. (Curtius, Französischer Geist im neuen Europa, Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart, Berlin und Leipzig, 1925, S. 306) Der Ausgang des ersten Weltkriegs schuf in Deutschland die Resonanz für Spenglers Untergang des Abendlandes. (Curtius, Europäische Literatur und Lateinisches Mittelalter, Francke, Tübingen und Basel, 1993, S. 14) Les premières citations sont des extraits de son essai, publié en 1924. Dans ce passage, Curtius touche la conscience de la crise européenne après la première guerre mondiale. En outre il déclare son attachement pour l’Europe, en gardant la distance avec l’Amérique et l’Asie. Il est évident que Curtius fait allusion à Spengler à la fin de cette citation. Les deuxièmes citations sont les phrases au commencement d’Europäische Literatur und Lateinisches Mittelalter. Qu’est-ce que cette mention de Spengler veut dire? Elle indique sa volonté consciente de s’opposer aux travaux de Spengler. Curtius n’a pas avoué l’influence de Spengler. Toutefois, il partageait l’intérêt pour Spengler avec Ortega parce qu’il était traducteur allemand du Waste Land. Je vous remercie de votre attention. 5