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Le Temps de la maison … Le Temps de la culture

De la maison en tant que fait total L'habiter et le « rendre habitable » relèvent de ces « révolutions mentales dans l'appréhension et le traitement des frontières du soi et de l'autre » que Philippe Descola évoque dans cet ouvrage. Ainsi, et comme l'exprime — si magnifiquement — la constitution des Kanak (Bensa in Boulay 1990), c'est « à partir d'un lieu d'habitation et de vie » que peuvent être objectivés, pensés et perpétués — dans l'espace et dans le temps — la famille, les relations de parenté, les alliances et, au-delà, l'organisation et l'identité de la société. Mieux encore, l'architecture domestique — structuration et co-dification spatiales, par excellence — produit et reproduit, dans le temps et pour chaque maisonnée, la vision partagée que la société a du monde. La maison est donc un objet particulièrement universel et particulièrement intérieur … Un objet qui, comme le disait Isac Chiva (1988, p. 5), « impose de ne jamais — sauf de façon provisoire — disjoindre le matériel du social et du mental ». Un fait total en quelque sorte où la maison matérielle, la maison sociale et la maison mentale ne cessent de se combiner et de se recombiner selon une symétrie 1 dont l'une des parties — le matériel — est un produit social (et idéel) qui fabrique du social (et de l'idéel), et l'autre — le social — une entité durable parce que matérialisée et pensable dans l'espace et dans le temps 2. (1) Je fais allusion ici à la notion de « symétrie généralisée » qui a été proposée par Michel Callon à l'égard de la culture des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs de la baie de Saint-Brieux ; repris et développé par Latour (1991), cet outil explicatif considère le matériel et le social comme étroitement et librement imbriqués. (2) Mais alors que les représentations purement spatiales (affranchies des contraintes temporelles qui leur donnent un sens ou qui prévalent dans l'action sur la matière) se prêtent à de multiples remaniements, les relations topologiques et géométriques sont immuables lorsque — associées à une partition du monde et à une sequentia — elles servent à cartographier le geste technique ou l'espace vécu. Le lec-teur pourra se reporter ici à la relation que Sander van der Leeuw établit entre topologie, « partonomie » et « séquentialisation » (pages). Dès lors, on admettra qu'une société ne peut modifier sa manière d'habiter sans risquer de remettre en cause sa conception de l'univers. Mais parce qu'elle est aussi une métaphore explicite et concrète du statut de l'unité individuelle qui l'habite, l'architecture domestique peut se prêter à de multiples rema-niements — dans le cadre d'une crise sociale ou d'une situation « catastrophique » (comme la coloni-sation, l'immigration, l'acculturation ou la juxtaposition « forcée » de plusieurs cultures, par exemple). Ceci alors même qu'en période de « stabilité », le modèle architectural est volontairement peu soumis aux transformations et qu'il ne se transmet pas d'une culture à une autre — sauf dans des situations très particulières qui sont généralement à rapprocher des états catastrophiques que l'on vient d'évoquer. Mais aussi, et à l'inverse de ce qui se passe pour la plupart des objets mobiliers, la maison est fabriquée à partir d'une multitude de cartographies techniques. Une hétérogénéité qui — paradoxa-lement au fait que le modèle architectural ne se transmet habituellement pas d'une culture à une autre — rend la maison potentiellement perméable aux transformations et à la culture des autres. L'habitation est donc modulable. Mais la partition conceptuelle de l'espace tel qu'il se vit n'en est pas pour autant modifiable ; ainsi, par exemple, partie féminine et partie masculine, locus public et locus privé, aire de réception et aire de repos, zone domestique et zone sacrée ne cesseront de structurer l'espace habité. Le lecteur aura donc compris que, du fait de son « hétérogénéité » technique et de sa dimension méta-phorique, une architecture traditionnelle peut — dans une situation « catastrophique » — disparaître

Coudart A. 1994. « Le Temps de la maison… Le Temps de la culture ». In : De la Préhistoire aux missiles balistiques : l’intelligence sociale des techniques (sous la direction de B. Latour et P. Lemonnier), pp. 228–252. Paris : La Découverte. Le Temps de la maison … Le Temps de la culture Anick COUDART Les fondements de l'histoire reposent sur le secteur technologique des études ethnologiques. André Leroi-Gourhan, 1952. De la maison en tant que fait total L'habiter et le « rendre habitable » relèvent de ces « révolutions mentales dans l'appréhension et le traitement des frontières du soi et de l'autre » que Philippe Descola évoque dans cet ouvrage. Ainsi, et comme l'exprime — si magnifiquement — la constitution des Kanak (Bensa in Boulay 1990), c'est « à partir d'un lieu d'habitation et de vie » que peuvent être objectivés, pensés et perpétués — dans l'espace et dans le temps — la famille, les relations de parenté, les alliances et, au-delà, l'organisation et l'identité de la société. Mieux encore, l'architecture domestique — structuration et codification spatiales, par excellence — produit et reproduit, dans le temps et pour chaque maisonnée, la vision partagée que la société a du monde. La maison est donc un objet particulièrement universel et particulièrement intérieur … Un objet qui, comme le disait Isac Chiva (1988, p. 5), « impose de ne jamais — sauf de façon provisoire — disjoindre le matériel du social et du mental ». Un fait total en quelque sorte où la maison matérielle, la maison sociale et la maison mentale ne cessent de se combiner et de se recombiner selon une symétrie1 dont l'une des parties — le matériel — est un produit social (et idéel) qui fabrique du social (et de l'idéel), et l'autre — le social — une entité durable parce que matérialisée et pensable dans l'espace et dans le temps2. (1) Je fais allusion ici à la notion de « symétrie généralisée » qui a été proposée par Michel Callon à l'égard de la culture des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs de la baie de Saint-Brieux ; repris et développé par Latour (1991), cet outil explicatif considère le matériel et le social comme étroitement et librement imbriqués. (2) Mais alors que les représentations purement spatiales (affranchies des contraintes temporelles qui leur donnent un sens ou qui prévalent dans l'action sur la matière) se prêtent à de multiples remaniements, les relations topologiques et géométriques sont immuables lorsque — associées à une partition du monde et à une sequentia — elles servent à cartographier le geste technique ou l'espace vécu. Le lecteur pourra se reporter ici à la relation que Sander van der Leeuw établit entre topologie, « partonomie » et « séquentialisation » (pages ). Dès lors, on admettra qu'une société ne peut modifier sa manière d'habiter sans risquer de remettre en cause sa conception de l'univers. Mais parce qu'elle est aussi une métaphore explicite et concrète du statut de l’unité individuelle qui l’habite, l'architecture domestique peut se prêter à de multiples remaniements — dans le cadre d’une crise sociale ou d’une situation « catastrophique » (comme la colonisation, l'immigration, l'acculturation ou la juxtaposition « forcée » de plusieurs cultures, par exemple). Ceci alors même qu'en période de « stabilité », le modèle architectural est volontairement peu soumis aux transformations et qu'il ne se transmet pas d'une culture à une autre — sauf dans des situations très particulières qui sont généralement à rapprocher des états catastrophiques que l'on vient d'évoquer. Mais aussi, et à l'inverse de ce qui se passe pour la plupart des objets mobiliers, la maison est fabriquée à partir d'une multitude de cartographies techniques. Une hétérogénéité qui — paradoxalement au fait que le modèle architectural ne se transmet habituellement pas d'une culture à une autre — rend la maison potentiellement perméable aux transformations et à la culture des autres. L'habitation est donc modulable. Mais la partition conceptuelle de l'espace tel qu'il se vit n'en est pas pour autant modifiable ; ainsi, par exemple, partie féminine et partie masculine, locus public et locus privé, aire de réception et aire de repos, zone domestique et zone sacrée ne cesseront de structurer l'espace habité. Le lecteur aura donc compris que, du fait de son « hétérogénéité » technique et de sa dimension métaphorique, une architecture traditionnelle peut — dans une situation « catastrophique » — disparaître Mais parce qu'une société humaine est à la fois un tout (une entité culturelle) et un ensemble d'unités distinctes (des individus et des maisonnées), la maison se charge de significations particulières et crée du sens individuel : celui de l'unité domestique qui l'habite. La symétrie est alors duelle. Non seulement le matériel et le social se coproduisent, mais le groupe culturel et l'individu s'entre-définissent. Pour l'archéologue que je suis, la maison est aussi, et surtout, un objet porteur et créateur de durée. Une durée qui peut être très longue — comme pour la civilisation « danubienne » des VIe et Ve millénaires avant notre ère ; ou moyenne — comme pour les habitants des villages lacustres de la fin du Ve millénaire présentés par Pierre Pétrequin (cet ouvrage) ; ou, encore, très courte — dans les situations de crise sociale et culturelle. C'est notamment parce qu'à l'image des Kanak, les êtres humains délèguent en priorité à un habitat fabriqué une large part de la construction et de la conservation de leurs liens sociaux que les sociétés humaines ont une durabilité et une histoire, au contraire des sociétés des autres primates3. S'il est une contribution de l'archéologie aux sciences de l'homme et de la société, c'est bien celle de pouvoir explicitement conjuguer culture matérielle et temporalité. Une temporalité sans laquelle l'histoire serait impossible. Une histoire qui seule — parce que les relations qui se créent entre temps chronologique, nature et société ne sont pas uniformes — permet d'expliquer, de façon complète et cohérente, les événements que nous observons. Mais comment l'architecture domestique peut-elle afficher du sens individuel et des différences de maison à maison (autrement dit structurer une partie du système social et culturel) sans remettre en cause l'inertie et l'équilibre des traditions ? La réponse se trouve probablement dans la liaison qu'entretiennent représentations collectives et production individuelle de sens — une relation où se combinent identité relationnelle et identité substantive. La symétrie est alors triangulaire. Non seulement le matériel et le social se coproduisent et le groupe culturel et l'individuel s'entre-définissent, mais la stabilité et l'instabilité se soutiennent mutuellement. Car l'uniformité — par laquelle l'unité domestique affirme et confirme son appartenance au groupe culturel — est forcément compatible avec les différenciations à travers lesquelles la maisonnée exprime ses particularités. Une habitation bien adaptée est donc une construction soustendue par un concept architectural (un modèle) où l'uniformité et la différenciation ne peuvent jamais exister l'une sans l'autre — une structuration de l'inertie en quelque sorte. Certes les deux extrémités de la symétrie sont distinguables. D'une part, une uniformité architecturale stricte et extrêmement stable. Et, d'autre part, des différenciations qui impliquent une discontinuité, une juxtaposition de formes culturellement aléatoires ou contingentes sans liaison apparente entre elles. Mais c'est dans l'entre-définition, c'est-à-dire dans la variation, que les choses sont cohérentes. Uniformité et diversité y sont articulées en une seule et même dynamique : une variabilité qui — au contraire de la différenciation — suppose un registre de formes culturellement définies, une régularité et une continuité (une typologie). Au sens où elles sont entendues ici, les variations sont donc conceptuellement plus proches de l'uniformité que des différenciations. Ainsi, les composantes de l’architecture varient, grâce à quoi les maisonnées peuvent agir — en tant qu’individualités — dans et sur la globalité du système culturel. Mais les démarcations dues aux « agissements » individuels ne sont jamais ostentatoires. La diversité est en effet intégrée, presque invisible : elle intervient bien avant que l'identité culturelle du groupe ne soit profondément remise en cause. Ceci contrairement à ce qui se passe en période de stabilité. Comme vient de nous le rappeler Stephen J. Gould (1989), il serait scientifiquement risqué de ne considérer les choses que de façon linéaire, et de ne pas tenir compte des contingences historiques. (3) Comme le souligne si bien Shirley Strum à propos des Babouins (pages ). 2 à l'intérieur d'une typologie acceptée par tous. Il y a donc également cohérence (société). On devrait alors parler d'uniformité variable et de variation uniforme ou typologique plutôt que d'uniformité et de diversité au sens strict. Ainsi, la transformation de la maison relève d'un processus interne. D'une part, parce qu'une possibilité d'agir sur le système architectural est dévolue aux unités individuelles de la société par le système lui-même (variabilité), et que ces unités agissent à l'intérieur de limites définies par ce système (uniformité). D'autre part, par ce que — les sociétés humaines étant à la fois « ouvertes » et par essence tolérantes — les unités peuvent agir dans un cadre non défini mais toléré par le système culturel (différenciation). Mais la transformation du concept architectural est également irréversible : la transformation est en effet socialement objectivée (il s'agit de culture matérielle) et, de ce fait, intrinsèquement persistante. Nous avons vu que la maison était un objet social qui fabriquait du social et du sens, en d'autres termes qu'elle était un produit socialement intelligent. En toute logique, nous devrions supposer qu’elle devrait également pouvoir créer de la connaissance, des idées, des concepts, et fournir des règles ou des explications à l'usage des chercheurs. En tant qu'archéologue, je souhaiterais montrer ici comment l'articulation des trois termes — uniformité, variabilité et différenciation — qui sous-tendent la maison peuvent nous aider à comprendre le processus de transformation d'une tradition architecturale, et à prédire la durée théorique d'une culture. Comment interpréter l'architecture domestique. De la correspondance entre les variations architecturales, le temps de la maison et la durée culturelle du groupe Parce que les formes des composantes architecturales y sont particulièrement limitées en nombre, j’ai choisi de situer ma démarche dans le cadre de sociétés « égalitaires » de petite taille, qui — au contraire des nôtres — ne semblent pas avoir d'autres problèmes à résoudre que leur reproduction au plus identique. Il ne faut par ailleurs pas oublier que l'identité culturelle est généralement « stable » et que la singularité des faits individuels ne domine qu’en période de crise sociale, lorsque les repères de l'identification collective deviennent fluctuants. Au regard de cette stabilité, on postulera, en paraphrasant Fernand Braudel, que la transformation « normale »4 de l'identité culturelle sera lente et participera du mouvement long et structurel de l'histoire, au contraire des modifications culturellement peu significatives que pourront subir les identités individuelles inscrites dans la diversité et les conjonctures courtes de l'histoire. Parmi les sociétés « lentes » que j'ai pu fréquenter, celles du néolithique danubien des VIe et Ve millénaires avant notre ère5 et les Anga de Nouvelle-Guinée6 se prêtent (4) Transformation normale s'oppose aux transformations catastrophiques que sont, par exemple, la colonisation, l'immigration, etc. évoquées dans la note 2. (5) Le terme de danubien sert à qualifier deux ensembles néolithiques qui se sont succédé dans le temps mais qui relèvent d'une même tradition culturelle — dite danubienne parce qu'originaire des pays du Danube) : (1) les groupes rubanés (parce que leurs poteries étaient ornées d'incisions en forme de ruban) et (2) des groupes régionaux que l'on regroupera ici sous le terme de post-rubanés. Il s'agit des premières populations agricoles sédentaires d'Europe tempérée. Essentiellement éleveurs de bovidés et cultivateurs de céréales, de structure sociale égalitaire et de petite taille, ces groupes ont colonisé et occupé, pendant près d'un millénaire (de la deuxième moitié du VIe à la première moitié du Ve millénaires avant notre ère), un immense territoire (fig. 1). Celui-ci s'étendait entre la mer Noire et la Vistule à l'est et la Seine à l'ouest, et entre le Danube au sud et une ligne joignant le cours inférieur de la Vistule à l'estuaire de l'Escaut, au nord. (6) A propos des Anga, le lecteur doit se reporter à la présentation et à la bibliographie proposées par Pierre Lemonnier (pp. ). Je me contenterai ici de rappeler que les Kukukuku ou Anga (littéralement « maison ») comptent environ quatre-vingt-mille individus, organisés en sociétés 3 particulièrement bien à la démonstration que je voudrais établir. Quatre termes sont en jeu : (1) la culture matérielle, (2) la société, (3) l'identité culturelle et (4) la durabilité. Analysés dans le cadre de l'archéologie ou de l'histoire (en tant que discipline) les plus classiques, ces quatre termes s'inscrivent dans un scénario historique, celui de la civilisation étudiée. Une histoire contingente d'où il est malaisé de dégager des correspondances générales entre ces quatre termes, même si l'on admet par ailleurs que les événements n'ont pu violer les lois de la nature et les principes fondamentaux qui sous-tendent le social. Mais ce qui nous est interdit dans le cadre de l'histoire traditionnelle devient possible lorsqu'on se place dans le cadre d'une anthropologie comparative restreinte, comme je l'ai fait en Nouvelle-Guinée, à la suite de Pierre Lemonnier. Restreinte, en l'occurrence, à un même ensemble ethnique rassemblant divers groupes contemporains vivant dans des environnements sociaux et/ou naturels partiellement différents, mais qui partagent la même origine historique et globalement la même culture matérielle. Passer de groupe en groupe revient alors à remonter le film de l'histoire pour le dérouler à nouveau, sachant que les différences introduites lors de la séparation ont forcément conduit chacun des groupes à vivre un scénario différent. On est ainsi en mesure d'observer plusieurs des transformations possibles d'un même ensemble initial. C'est alors que des mécanismes généraux et des lois de correspondance peuvent être dégagés de la contingence. De l’articulation entre l’uniformité, la variabilité et la différenciation des composantes architecturales Essayer de montrer que la maison peut créer de la connaissance et fournir des explications générales implique la comparaison de plusieurs cultures, toutes particulières. Une manière de pouvoir alors comparer des choses comparables serait de mettre au jour le schéma générateur — la structuration — sous-jacent à chaque tradition architecturale. On a admis que ce qui relevait de l'identité culturelle et des représentations collectives était stable et participait du mouvement lent et structurel de l'histoire, et que ce qui dépendait du registre culturellement moins déterminé des faits individuels et des événements contingents relevait de conjonctures courtes et d'une diversité souvent impossible à classer dans une typologie. Une manière d'essayer d'apprécier ce qui, dans la maison, relèverait de la stabilité culturelle d'une part, et de la diversité des contingences d'autre part, consiste à ordonner les composantes et les traits architecturaux de la maison rubanée (fig. 2) selon deux catégories analytiques (voir tableau 1)7. Par composante, élément et trait architecturaux, on entendra, par exemple, le plan de la maison, le regroupement des poteaux à l'intérieur de l'habitation, l'emplacement de l'entrée, l'orientation, la division de l'espace, la façade, les murs, l'espace extérieur, la longueur, le nombre de poteaux, etc. On regroupera, d'un côté, les éléments et les traits architecturaux qui ne peuvent prendre qu’une seule forme8 et ceux dont l’aspect varie à l'intérieur d'un registre typologique culturellement défini. On rassemblera, de l'autre, les acéphales. Ils occupent un territoire de cent trente sur cent quarante kilomètres au cœur de la forêt tropicale des Highlands de la Papouasie Nouvelle-Guinée (figure , pp. ). Divisés en une trentaine de tribus ou groupes locaux, ils relèvent d'une identité culturelle commune. (7) L'échantillon, à partir duquel ont été élaborées les hypothèses qui vont suivre, est constitué de trois cent quarante-neuf plans de maison rubanée, répartis dans quarante-neuf sites différents. (8) Il s'agit d'éléments ou de traits architecturaux qui diffèrent entre eux. Ils sont considérés comme uniformes parce que chacun d'entre eux ne peut prendre qu'une seule forme : celle-ci est toujours la même quelle que soit la maison considérée. Dans l'habitation rubanée, le regroupement des poteaux (toujours trois par trois) et l'orientation de la maison (toujours le dos tourné vers la mer la plus proche) sont, par exemple, des traits architecturaux uniformes. 4 éléments et les traits architecturaux dont la forme est différenciée d'une maison à l'autre9. Une première « structuration » apparaît que l'on peut exprimer mathématiquement : on constate que le nombre des éléments uniformes, et ceux dont l'aménagement varie à l'intérieur d'un registre typologique, dominent nettement celui des éléments dont la forme est différenciée. Ainsi, un élément architectural qui relève de l'identité culturelle (le plan de la maison, par exemple) peut varier à l'intérieur d'une typologie culturellement définie10. Mais en aucun cas, il ne peut se démarquer — être différent —, c'est-à-dire prendre une forme non inscrite dans le registre typologique. En revanche, un élément qui dépend de l'individuel ou d'une situation contingente peut se différencier d'une maison à l'autre. Par exemple, la longueur de la maison (qui ne peut être définie typologiquement parce qu'elle est différente d'une maison à l'autre) est, vraisemblablement, en corrélation avec le nombre d'habitants. Une façon d'essayer de saisir ensuite le mécanisme de transformation, qui a entraîné la conversion d’un modèle architectural rubané unique en différents types régionaux post-rubanés, consiste à considérer les éléments et les traits architecturaux de la maison rubanée en fonction de leur degré de stabilité. Pour ce, il suffit de classer les éléments et les traits dont la forme varie à l'intérieur d'un registre typologique, en fonction du degré de leur variation relative. C'est-à-dire selon le nombre d’options que chacun d'entre eux est culturellement « autorisé » à prendre (tableau 1). Les composantes architecturales s’ordonnent alors en trois niveaux de variation. Le premier niveau est constitué d'éléments et de traits absolument uniformes (il n'existe pour chacun d'eux qu'une seule option possible). Le deuxième niveau de variation est constitué de composantes qui ne sont pas uniformes mais qui tendent à l'être : l'éventail des formes que chaque composante peut prendre n'est, en effet, composé que de deux ou trois variantes, dont l'une domine souvent très largement les autres (autour de 85%). On retrouve ces deux ou trois variantes dans toutes les régions occupées par les Rubanés. Le troisième niveau de variation comprend des éléments et des traits architecturaux dont les formes sont relativement diversifiées mais strictement définies : chaque éventail de formes comprend entre cinq et six options que l'on retrouve dans toutes les régions du territoire ; cependant, certaines options se raréfient et/ou disparaissent au cours du temps : en particulier, les greniers (en ce qui concerne la partie avant de l'habitation), les tranchées de drainage et les fosses de construction (en ce qui concerne l'espace extérieur). Il est intéressant de constater que la relation qu'entretiennent le type d'aménagement et la surface de la partie centrale de la maison est aléatoire11 ; alors que pour les autres parties de l'habitation, chaque disposition architecturale est associée à une classe de surface particulière12. Tout se passe comme si la fonction de la partie centrale était indépendante de la superficie occupée. On suppose, par ailleurs, que la partie centrale était (9) Ces éléments et ces traits architecturaux existent dans toutes les maisons. Mais, tout en n'étant pas due au hasard, la forme qu'ils peuvent prendre n'est pas déterminée par des normes culturelles. C’est, par exemple, le cas du nombre des poteaux qui forment l’ossature des parties avant et arrière de la maison rubanée. On dira que celui-ci est contingent ou culturellement aléatoire. (10) Le plan de la maison rubanée est soit strictement rectangulaire, soit légèrement trapéziforme, soit pseudo-rectangulaire (rectangulaire sur les deux tiers de sa longueur, et trapéziforme vers l'arrière). (11) La surface de la partie centrale de la maison rubanée varie entre quarante-cinq et trente mètres carrés, indépendamment du nombre de travées qui la composent (deux, trois ou quatre) et du type de regroupement des poteaux qui soutiennent le toit (par trois en formant une ligne transversale ou par quatre en dessinant au sol le schéma d'un Y). (12) Par exemple : une partie frontale qui possède une plate-forme de stockage soutenue par des poteaux doublés est « très longue » (sa longueur est de sept mètres et demi, en moyenne) ; celle qui abrite une plate-forme de stockage soutenue par des poteaux simples est seulement « longue » (avec une longueur moyenne de cinq mètres et demi) ; celle qui n’est constituée que d'une seule travée est courte (sa longueur moyenne est de deux mètres). 5 la zone des activités domestiques et le lieu de réception des visiteurs. C'était donc un emplacement où exprimer un message — à travers l'agencement de l'espace — pouvait avoir une raison d'être vis-à-vis du reste de la communauté et des visiteurs étrangers. D'autre part, et contrairement à ce qui se passe pour les autres sections de la maison, il arrive parfois que toutes les unités domestiques d'un village « choisissent » d'aménager la partie centrale de leur habitation de la même manière — ainsi, lorsque le site est de petite taille ou isolé. En revanche, lorsque l'habitat est important ou installé dans un large réseau de sites, on rencontre plusieurs types d'aménagement ; ceux-ci étant néanmoins inscrits dans un registre culturel très précis. On remarque également que, dans les marges de l'aire culturelle rubanée (dans le Bassin parisien, surtout), la variabilité des aménagements de la partie centrale des maisons est toujours moins importante qu'elle ne l'est dans l'aire culturelle d'origine, en Europe centrale, au moment de la plus grande extension de la culture rubanée. Tout se passe comme si l'existence d'un réseau d'échanges bien développé et une bonne connaissance du milieu (pour les zones les plus anciennement colonisées) avaient été compatibles avec l'expression d'une variation entre les maisonnées, et comme si l'isolement et une exploration inachevée avaient, à l'inverse, conduit à renforcer la ressemblance entre les unités et, selon mon hypothèse, à fortifier l'identité collective. J’ai essayé de formaliser la variabilité de la maison rubanée. Il m’a suffi de mettre en rapport les trois niveaux de variation et la classe des éléments qui diffèrent avec le nombre de leurs composantes architecturales. Une deuxième relation mathématique — une structuration — apparaît que l'on peut traduire par un graphique (fig. 3). Le nombre des éléments uniformes ou tendant à l'être (premier et deuxième niveaux de variation) y dominent nettement ceux dont la forme varie à l'intérieur d'un registre typologique de cinq à six formes (troisième niveau). On constate également une dominance de ces derniers sur les composantes dont la forme est contingente. Mais essayer de montrer que la maison peut fournir de la connaissance et des explications générales implique de se dégager des spécificités du néolithique européen. Je propose que nous rejoignons ici les groupes anga de Nouvelle-Guinée. Sachant qu'il ne peut y avoir identité de culture entre les Anga d'aujourd'hui et les premières populations paysannes d'Europe tempérée, nous sommes assurés de ne pouvoir recourir qu'à une comparaison de structures. Il s'agit donc de voir si — à l'image de la maison rubanée — l'architecture domestique anga est structurée selon une relation, où interviennent nécessairement des composantes uniformes, des éléments variables et des traits aléatoires. Et, si oui, de regarder en quoi cette structuration se rapproche ou se différencie de celle de la maison rubanée. Maisons néolithiques, maisons d'aujourd'hui, maisons européennes, maisons néoguinéennes … C'est de structuration architecturale dont il s'agit Reprenant la méthode appliquée aux maisons rubanées, j'ai ordonné les composantes architecturales des habitations anga (fig. 4) selon leur degré de variabilité13. Je n'évoquerai ici que deux groupes, les Baruya14 et les Ankave15, en raison des contrastes qui les opposent (voir tableau 4). (13) L'échantillon étudié comprend cent vingt-six maisons, réparties en dix-sept villages (représentant six groupes anga et une tribu voisine non-anga). Les constructions saisonnières établies en forêt et les abris de jardin n'ont pas été retenus dans l'analyse présentée ci-dessous, notamment parce que les activités en forêt conduisent les groupes dans des écosystèmes peu comparables. (14) Etudiés par Maurice Godelier, Jean-Luc Lory et Pierre Lemonnier. (15) Etudiés par Pascale Bonnemère et Pierre Lemonnier. 6 Il s'avère que les composantes architecturales anga structurent la maison baruya et ankave selon un schéma général semblable à celui de la maison rubanée (fig. 3). Comme pour celle-ci, celui-là montre la très nette dominance des éléments uniformes (ou tendant à l'être) sur ceux dont la forme varie à l'intérieur d'un registre typologique plus large, ainsi que la dominance de ces derniers sur les composantes et les traits dont l'aspect semble culturellement aléatoire. Mais on s'aperçoit que les deux structurations diffèrent dans le détail (fig. 5) — notamment en ce qui concerne les termes de l'uniformité sur la partie gauche du graphique. La variabilité de l'habitation baruya s'organise en trois degrés de variation, dont un constitué d'éléments uniformes (voir tableau 2). En revanche, aucun élément architectural de la maison ankave n'est strictement uniforme, même si plusieurs d'entre eux tendent à l'être (tableau 3). En effet, et telle qu'on peut la cerner dans les années 1990, la tradition architecturale ankave est moins homogène. Chacune des composantes architecturales de la traditionnelle maison circulaire peut revêtir plusieurs aspects (y compris le plan). Considérant que le premier niveau (affichant une stricte uniformité) observé dans les maisons rubanées et baruya se place à l'extrême d'un axe théorique, on admettra qu'il est absent de la maison ankave. Il n'est pas inintéressant de constater que — comme pour l'aménagement de la partie centrale de la maison rubanée — certains éléments de la maison baruya sont tantôt uniformes (une seule des variantes de la typologie de chacun de ces éléments a été retenue), tantôt variables (toutes les formes de la typologie de chacun de ces éléments coexistent dans le village). C'est le cas des revêtements intérieur et extérieur de la maison qui affichent une nette variation dans les villages situés au centre du territoire (à Wiobo et à Yani, par exemple) mais qui tendent à être uniformes dans le village de Garipme, situé à quelques centaines de mètres du monde moderne. Comme si la cohésion culturelle du groupe devait s'afficher là où elle est la plus menacée. La plupart des éléments architecturaux qui, dans la maison baruya, figurent dans le niveau des composantes uniformes se trouvent, chez les Ankave, dans le deuxième niveau de variation. Certains éléments sont même décalés d'un degré supplémentaire ou placés dans la catégorie des éléments dont le caractère est contingent ou aléatoire (l'orientation de l'entrée, par exemple). Deux autres, socialement fondamentaux (la harangue publique et le repas collectif qui, chez les Baruya, ont lieu à la fin de la construction) n'existent pas. Quelques situations sont cependant inverses : le seuil et le revêtement intérieur de l'habitation ankave sont formellement moins variables que ceux de la maison baruya ; en fait, ce sont les multiples combinaisons entre types bien caractérisés qui confèrent à la maison baruya une plus grande variabilité dans ce domaine, et c'est l'absence des matériaux « occidentaux » qui confère à la maison ankave une plus grande uniformité. Il en va de même pour ce qui sert à fermer l'entrée. Chez les Baruya, il s'agit d'une composante dont l'aspect est culturellement aléatoire ; chez les Ankave, en revanche, c'est un élément dont la forme varie à l'intérieur d'une typologie culturellement définie (troisième niveau de variation). Là encore, ce sont les contingences de l'occidentalisation qui ont fourni aux Baruya une multitude de matériaux dont chacun dispose comme il l'entend. Ceci, au contraire de l'orientation de l'entrée qui est profondément uniforme chez les Baruya (toujours dirigée vers la partie la plus haute du sol ou du paysage), mais qui ne semble relever d'aucun système de représentations collectives chez les Ankave. Mais il importe finalement moins de reconnaître les faits individuels (savoir quels sont les éléments qui constituent tel ou tel niveau de variation) que de discerner — comme dans la maison rubanée — des éléments dont l'aspect varie à l'intérieur d'un registre culturel de ceux qui ont une forme qui semble culturellement aléatoire, et de comprendre que, parmi les éléments variables, certains varient moins (ou plus) que 7 d'autres. Autrement dit, ce qui compte c'est que les composantes architecturales se supportent mutuellement, non juxtaposées, mais articulées en une structuration (fig. 3) qui, seule, nous autorise à faire des comparaisons entre les traditions architecturales rubanée et anga. Prédire les rythmes et le temps de la maison Qu'en est-il de la signification de la structuration de l'architecture domestique ? On se rappelle que nous avons postulé que l'uniformité allait de conserve avec l'identité culturelle et le mouvement lent de l'histoire, et que la diversité se plaçait — avec l'identité individuelle, les réponses contingentes et les conjonctures courtes — à l'autre extrême de l'axe théorique que nous avions ainsi créé. Même s'il est impossible de reconstituer la chaîne des événements historiques qui ont finalement modelé les architectures danubiennes post-rubanées, ce postulat nous permet de faire certaines prédictions (en l’occurrence, des rétrodictions) concernant le mécanisme de transformation de l'architecture danubienne : 1. Le processus de transformation — au sens d'une modification culturelle — du concept architectural rubané devrait avoir débuté par une altération des composantes et des traits architecturaux les moins stables (les plus variables) dans leur forme, c'est-àdire des éléments architecturaux dont la forme varie à l’intérieur d’une typologie relativement large. En d'autres termes, le processus de transformation du concept architectural rubané aurait d'abord concerné des éléments architecturaux du troisième niveau de variation. 2. Les composantes architecturales du deuxième niveau — celles pour lesquelles il n'existe que deux ou trois variantes formelles — n'auraient logiquement dû être affectées qu'après celles du troisième. 3. Enfin, la rupture, c'est-à-dire la transformation de ce qui est sous-tendu par les éléments du premier niveau, ne serait intervenue qu'en toute dernière instance, après que les composantes du deuxième furent modifiées. Tant que la forme traditionnelle des éléments du premier niveau définit l'aspect général de la maison, on admettra être en présence d'une identité culturelle rubanée (ou danubienne), même si d'autres influences culturelles sont manifestes. En revanche, leur transformation signifiera la fin de l'identité danubienne — à condition toutefois que l'événement ne dépende pas d'un rapport de force lié à un processus de colonisation ou d'acculturation (cf. notes 2 et 4). On supposera, par ailleurs, que la disparition d'une option sera moins traumatisante — quant à l'identité collective du groupe — pour une composante architecturale qui disposerait d'un large éventail de formes. On peut même imaginer que la disparition de certaines options pourrait aller de soi, si celles-ci n'avaient pas suffisamment d'assises objectives ou n'étaient pas indispensables à la reproduction culturelle du groupe. Qu'en est-il ? On constate que des formes de certains éléments architecturaux du troisième niveau fluctuent dès les phases moyennes du rubané. Quantitativement d'abord : un type de partie avant, le grenier lourd, devient de plus en plus rare. Qualitativement ensuite, durant le rubané récent : le grenier lourd, puis le grenier léger disparaissent définitivement. L'aménagement de l'espace extérieur bouge également très tôt : les tranchées de drainage disparaissent bien avant les phases finales du rubané. Il est intéressant de noter que ces premières modifications touchent des formes dont la fonction est explicitement très physique ou économique, comme si le processus de transformation se devait de débuter dans un champ matériel d’un ordre plus pratique qu'idéel. Les premiers traits architecturaux à disparaître ensuite (pendant le rubané tardif) appartiennent également au troisième niveau de variation : certaines maisons 8 perdent leurs fosses de construction (les maisons post-rubanées n'en n'auront plus). Il en va de même pour la manière dont les travées se succèdent longitudinalement dans la maison. Le « rythme monotone de travées longues », que l'on rencontre fréquemment durant le post-rubané, se met en place dès le rubané tardif ; la « distribution amorphe de travées longues » ou le « rythme monotone de travées très longues » des maisons postrubanées n'ont, par ailleurs, plus rien à voir avec la « succession de travées progressives » qui caractérisait l'habitation rubanée. La forme que les murs peuvent prendre se diversifie également tout au long du post-rubané, et ceux-là finissent par avoir un tracé très irrégulier. Si la tripartition de la maison disparaît de certaines régions dès le début du postrubané, les formes de la majorité des composantes architecturales du deuxième niveau de variation (et la présence même de ces composantes) sont remises en cause beaucoup plus tardivement (durant les phases récentes ou tardives du post-rubané) ou bien leur transformation s'est faite sans discontinuité16. Quant à l'aspect des composantes architecturales les plus uniformes de la maison rubanée (premier niveau de variation), il a été maintenu jusqu'au bout de la civilisation danubienne, sauf en ce qui concerne la fonction physique des murs — là encore, comme si la transformation devait d'abord toucher une composante dont le rôle aurait été plus pratique qu'idéel. Mais jusqu'à la fin, les maisons danubiennes post-rubanées sont — à l'image de la maison originelle — longues et quadrangulaires avec un dos orienté vers la côte maritime la plus proche, et contiennent des poteaux regroupés en tierces transversales. Autant de traits architecturaux qui, dans la maison rubanée, relèvent tous du premier niveau de variation. On constate également que le rythme des transformations qui affectent les composantes architecturales du troisième niveau est plus rapide et plus court que celui des transformations qui interviennent parmi les éléments du deuxième niveau. Pour un même laps de temps, les changements successifs qui affectent un trait architectural sont en effet plus nombreux — et donc de plus courte durée — dans le troisième que dans le deuxième niveau. Enfin, les traditions architecturales post-rubanées — moins uniforme et plus variables que l'architecture rubanée — ont été, dans l'absolu, de plus courte durée que le modèle architectural originel. La modélisation des articulations des composantes architecturales des maisons rubanée et anga — appuyée par un présupposé théorique sur la stabilité de l'identité culturelle et l'instabilité des contingences — nous a permis de prédire le mécanisme de la transformation de l'architecture danubienne. Les prédictions avancées ont été vérifiées sur les maisons danubiennes post-rubanées. Cette procédure nous amène à proposer une hypothèse qui met en relation la quantification issue de la modélisation et les observations. Il semble bien qu’une correspondance inversement proportionnelle existe entre le nombre de formes qu'un élément architectural peut prendre et sa durée culturelle. Il semblerait qu'une correspondance existe également entre le rôle physique (ou perçu comme tel) de la composante architecturale et sa durée. Plus la signification physique d'un élément architectural tendrait à l'emporter sur sa signification sociale ou symbolique, plus cet élément serait aisément — mais pas obligatoirement — remis en cause. Compte-tenu du rôle — théoriquement admis — de l'habitation dans le processus de l'identité culturelle, il se pourrait qu'on ait là une règle qui puisse servir à juger de la durabilité d'une culture. Nous avons vu que l’architecture domestique et l’identité culturelle relevaient d’un même principe de symétrie. Il faudrait maintenant confronter (16) Les plans « trapéziforme » et « naviforme » (caractéristiques du post-rubané) étaient, par exemple, conceptuellement déjà contenus dans les types « légèrement trapéziforme » et « pseudo-rectangulaire » du plan de la maison rubanée. 9 la maison à des manières différentes de structurer la culture, telle qu’elle est collectivement pensée et vécue. De la correspondance entre la structuration de la maison et celle des représentations collectives Je suggère d’en venir ici à l’anthropologie sociale, et plus particulièrement à celle des deux groupes anga dont nous connaissons désormais la structuration architecturale : les Ankave et les Baruya. On se souvient que nous avons considéré les différents groupes anga comme autant de développements possibles d'une même histoire — en l'occurrence, comme autant de manières différentes de conceptualiser le même monde. On admettra alors que, dans la comparaison, l'espace géographique anga se substitue à la profondeur chronologique de la civilisation néolithique danubienne. Parmi les Anga, les tribus ankave et baruya correspondent à deux scénarios relativement contrastés (tableau 4) dans le (1) destin historique, (2) la densité de population, (3) la fabrication des genres féminin et masculin, (4) le degré d’antagonisme qui sépare des catégories conceptuelles opposées (féminin / masculin, cultivé / sauvage, etc.), (5) le mariage, (6) le comportement vindicatoire, (7) l'écosystème occupé, (8) les tâches vivrières et les pratiques horticoles, (9) la forme d'habitat, et enfin (10) la manière sociale de construire la maison ronde traditionnelle, tout en suivant pourtant des procédés et des étapes techniques très similaires17. Les catégories qui, dans le système des représentations collectives anga, entretiennent entre elles des relations antagoniques18 me paraissent jouer un rôle particulièrement crucial dans la structuration idéelle du monde anga. Nous supposerons que plus les attributs d'une catégorie sont inconciliables avec ceux de la catégorie opposée (autrement dit plus les différences entre catégories antagoniques sont tranchées), plus la société sera « structurée ». Mon hypothèse est qu'une structuration forte implique un système de représentations et des règles sociales difficiles à remettre en cause ; en d'autres termes, une société très « conservatrice » et relativement « imperméable » aux concepts des autres cultures. On présumera alors que cette « résistance » à la modification des choses irait de conserve avec une identité collective forte, des liens formels et des obligations entre individus nombreux, et un champ d'expressions individuelles limité. Inversement — et sans remettre en cause le caractère fondamentalement conservateur de la société —, un système de représentations collectives où les antagonismes seraient moins marqués signifierait un groupe conceptuellement plus « flexible » dans le domaine des représentations qui lui servent à construire le monde et, de ce fait, un groupe plus réceptif aux concepts des autres cultures. Parmi les catégories conceptuelles, à partir desquelles les Baruya se représentent le monde, certaines forment des paires antagoniques particulièrement contrastées. Le monde féminin et le monde masculin sont, par exemple, radicalement séparés l'un de l'autre19. (17) Pascale Bonnemère est la première à avoir opposé ces deux groupes selon certaines des modalités vindicatoires qu'on y rencontre (suicide pour les Baruya et homicide pour les Ankave). Une opposition à laquelle elle a pu associer deux modalités de « fabrication » de la masculinité des jeunes hommes (initiations) et deux degrés d'antagonisme sexuel. (18) Par relations antagoniques, j'entends ce qui sépare conceptuellement, par exemple, les genres féminin et masculin, le cultivé (les jardins) et le sauvage (la forêt, les surgeons, les mauvaises herbes, …), les processus liés à la dégradation (les rejets détritiques) et la vie domestique, etc. (19) Il est, en effet, inimaginable qu'un homme baruya puisse intervenir au sein de la sphère des activités « féminines » (s'occuper d'un enfant en bas-âge, lui montrer son affection, désherber un jardin, nourrir des porcs, porter du bois de chauffe, etc.) ; réciproquement, une femme baruya ne se risquera jamais 10 On retrouve un degré d'antagonisme similaire entre le cultivé et le sauvage20 ; et de même, entre la dégradation détritique et l'espace de vie21. A titre d'hypothèse, je considérerai que le caractère particulièrement inconciliable des catégories opposées confère, à l'ensemble des systèmes de représentations collectives baruya, une cohérence forte et un certain degré de résistance vis-à-vis des autres cultures22. Les catégories qui, dans le monde ankave, forment des paires opposées sont, quant à elles, conceptuellement beaucoup moins inconciliables — plus adaptables, en quelque sorte23. Pour autant, l'actualité et l'histoire de la société ankave n'en sont pas moins cohérentes que celles des Baruya. Mais j'admettrai (là encore à titre d'hypothèse) que le système des représentations idéelles ankave recèle une capacité théorique de conciliation (et donc d'adaptation aux contingences) plus élevée que celle dont dispose le système conceptuel baruya24. Les hasards de l'histoire ont fait que les Ankave sont aujourd'hui coupés des moyens logistiques du monde moderne. En conséquence de quoi, ils sont peu engagés dans le processus d'occidentalisation. Mais des conditions théoriques existent pour que l'identité culturelle ankave — et l'histoire montre qu'en tant que groupe, elle peut s'incorporer à celle d'une autre société — puisse s'adapter et s'intégrer plus rapidement au monde industrialisé que ne peuvent théoriquement le faire les Baruya. Ainsi, et dans des conditions historiques similaires, l'identité culturelle ankave serait — en théorie — plus rapidement transformable que celle des Baruya. Mais, comme le dans la sphère masculine, ni même à agir en « homme » (menacer un homme d'un bâton, par exemple). A cet égard, les initiations, qui ont pour objectif de séparer les jeunes garçons du monde féminin et de « fabriquer » leur masculinité, durent plusieurs années ; beaucoup des activités des hommes consistent d'ailleurs à réaffirmer la masculinité de leur sexe. Le fait que la maison des hommes soit, autant que faire se peut, invisible aux femmes ne peut que renforcer la dichotomie féminin / masculin. (20) Il est même très facile à l’étranger (l’anthropologue néophyte que je suis) de ne pas confondre les jardins et la forêt proche ; ceux-là sont en effet toujours impeccablement débroussaillés et désherbés. (21) Par exemple, les rares détritus produits par la vie quotidienne sont systématiquement enterrés ou cachés. (22) Il semble que cela soit même le cas lorsque l'on considère le processus d’occidentalisation auquel les Baruya ont à faire depuis trois décennies. S'ils ont intégré plusieurs dimensions du monde moderne (postes de police, infirmeries, terrains d'atterrissage, bière, boites de conserve, riz, culture et commerce du café, récipients métalliques et tôle ondulée, tee-shirts et shorts, etc.), les Baruya ne semblent pas pour autant avoir perdu leur identité culturelle : les noms chrétiens sont très rares, les initiations (qui, chez les Baruya, constituent le plus haut niveau d'intégration sociale) ont toujours lieu ; la maison des hommes domine toujours le village, les maisons traditionnelles sont amplement majoritaires ; on continue de fabriquer le sel végétal nécessaire aux échanges et aux rituels ; les relations de parenté définissent toujours les rapports sociaux de production ; et on continue de faire la guerre — sachant qu'en Nouvelle-Guinée, les guerres traditionnelles consistent plus à fabriquer ou à reproduire des relations sociales (notamment au moment du processus de paix) qu'à conquérir de nouveaux territoires. (23) Comme chez les Baruya, le monde des Ankave est partagé en genres masculin et féminin (les critères qui séparent les hommes et les femmes y sont d'ailleurs plus ou moins les mêmes). Mais à l'inverse de ce qui est inconcevable chez les Baruya, il est par exemple fréquent de voir un homme ankave porter un enfant, le nourrir ou lui manifester de la tendresse — activité et gestes pourtant conceptuellement reconnus comme féminins. Conjointement, certaines femmes peuvent agir « en homme » et, ainsi, menacer un Ankave, voire même le frapper. Les initiations qui permettent de séparer les jeunes garçons du monde féminin sont très courtes, et les maisons des hommes sont rares ou absentes. Dans un autre registre, il est parfois difficile, pour l'observateur non entraîné, de distinguer entre le cultivé et la végétation spontanée, les jardins étant généralement envahis par les souches et les troncs des arbres abattus lors du débroussaillement, les rejets, les surgeons et les plantes adventices. Par ailleurs, si les détritus sont entassés à l'extérieur des enclos d'habitation, ils le sont toujours à proximité des maisons. (24) Signalons au passage qu'une telle capacité d'adaptation peut conférer des avantages non négligeables à une population qui, comme les Ankave, est de faible densité, a été repoussée vers les basses terres et vit regroupée en petits hameaux souvent désertés pour la forêt voisine. 11 souligne remarquablement Stephen J. Gould (1989), il serait dangereux de négliger le rôle des contingences historiques. Car, de même que les lois de la biologie ne peuvent à elles seules reconstituer l'histoire de la vie ou que celles de la physique et de la chimie ne permettent pas de prédire le temps atmosphérique, aucune théorie sociologique — quand bien même explique-t-elle un mécanisme de transformation — ne peut prédire les événements historiques dans lesquels ce mécanisme agit et s'organise. On peut en effet supposer que, grâce au bénéfice de la cessation actuelle des conflits internes aux Anga et des migrations qui les accompagnaient toujours, la société ankave pourrait, à l'avenir, demeurer culturellement plus inchangée que cela ne s'est jamais produit au cours de son histoire. D’avoir pu rebobiner et dévider à deux reprises le film d’une histoire, nous a permis d’observer qu’à deux scénarios possibles (les Baruya et les Ankave) ou, si l’on préfère, qu'aux deux degrés d’antagonisme qui caractérisent les systèmes culturels baruya et ankave, correspondaient deux types de comportement architectural. Ces deux comportements relèvent d’une même structure (fig. 3), tout comme les manières différentes qu’ont les Baruya et les Ankave de structurer le monde relèvent d’une même culture. Cependant, la valeur des termes de la partie gauche permet de les distinguer (fig. 5), de même que le degré d’antagonisme des catégories opposées permet de discerner le système des représentations baruya de celui des Ankave. Les composantes de la maison baruya sont beaucoup plus uniformes que variables, et celles de la maison ankave ne sont jamais strictement uniformes. Dans les deux cas, des éléments architecturaux dont la forme est franchement variable et des traits dont l’aspect est aléatoire coexistent, mais leur nombre est plus élevé chez les Ankave. Aux Baruya — groupe dont les représentations collectives sont très fortement structurées — correspondent vingt traits architecturaux à comportement uniforme (ou tendant à l'être), et deux événements liés à l'architecture (harangue et repas collectifs) qui contribuent à reproduire l'identité collective. Aux Ankave — groupe dont les catégories opposées sont plus conciliables — correspondent des traits architecturaux qui ne sont jamais strictement uniformes ; parmi ceux-ci, quinze seulement tendent à l'être et quatre ont une forme liée aux contingences. Il existerait donc une correspondance entre l'ampleur de la variabilité de l'architecture domestique et le degré d'opposition (ou de perméabilité) qui sépare (ou concilie) les catégories antagoniques des mondes baruya et ankave. En d’autres termes, il existerait une correspondance entre la structuration de l’architecture domestique et la structuration des représentations collectives propres à chaque culture. Ce constat ne fait que confirmer les notions de « fait total » et de « système » qui supposent qu'une structure donnée agisse à tous les niveaux de la société. Mais, à la différence de ce qui se passe pour les représentations collectives, la structuration architecturale peut être mathématisée. Il est donc possible de mesurer l'ampleur relative des termes qui la dessinent. Chacun de ces termes relevant d'une plus ou moins grande stabilité (ou d'une plus ou moins grande instabilité), il devient possible de mesurer — à l'échelle du système — le rapport qu'entretiennent état d'équilibre et état de déséquilibre. Grâce à la maison, on pourrait donc évaluer la durée potentielle d'un système culturel. Une règle du temps inscrite dans une histoire qui a toute latitude de décider des événements et des genèses Des présupposés théoriques nous ont permis d'interroger l'architecture domestique. Ils concernent, en premier lieu, le rôle de la culture matérielle (et plus particulièrement celui de la maison) quant à la durabilité des sociétés humaines ; mais également la stabilité de l'identité culturelle, l'instabilité des faits individuels et des contingences, le 12 degré de résistance (ou d'adaptabilité) d'une société aux concepts des autres cultures. Cependant, l'habitation a été modélisée et interprétée — et les règles, qui nous ont permis de prédire la transformation de la maison rubanée, vérifiées — à partir d'observations archéologiques et de la culture matérielle. Il s’agit là d’une procédure scientifique assez banale. Mais une procédure qui nous a conduits à inscrire l’habitation traditionnelle à l’intérieur d’un cycle de production de connaissance où l’observation est reliée à la théorisation. Plus précisément, la structuration de la maison nous a permis de remonter à une hypothèse de la transformation et de la durée architecturales, où seraient également impliquées la transformation et la durée de l’identité culturelle. Les conséquences en seront probablement modestes. Mais, pour une fois, la procédure explicative semble archéologique. En effet, celle-ci été produite à partir des données de l'archéologie, et non pas superposée à ces données. Ainsi, dans le cadre d'une science essentiellement descriptive et narrative (l'archéologie), un artefact (la maison) producteur et reproducteur de spécificité culturelle nous a permis de dépasser, au moins partiellement, la particularité de plusieurs histoires et formes de pensée collective. Pour être pleinement validée, ce début d’explication devra cependant répondre à d'autres expérimentations (d'autres observations). Nonobstant, la valeur relative des termes qui constituent la structuration de l'architecture domestique pourrait être utilisée pour apprécier le potentiel de durabilité d'une culture. Dans cette perspective deux hypothèses peuvent être formulées : (1) le nombre des formes que peut revêtir un élément architectural donne la mesure du rythme de transformation de cet élément ; plus la forme de celui-ci possède de variantes, plus la transformation de l’élément est rapide. Conjointement, il semblerait que le rapport « éléments architecturaux uniformes / éléments architecturaux variables » puisse être utilisé pour juger de la durabilité d’une entité culturelle. Ce qui nous amène à la deuxième hypothèse : (2) lorsque le nombre de composantes architecturales uniformes (possédant une seule ou un nombre très limité de variantes) est important (relativement aux composantes qui varient), la durée culturelle du groupe sera longue ; inversement, lorsque le nombre des composantes architecturales variables (possédant un grand nombre de formes), augmenté des éléments de forme « contingente », dépasse le nombre des composantes uniformes, la durabilité culturelle du groupe sera théoriquement moins assurée. Cependant, les mathématiciens et les physiciens nous ont appris qu'une séquence temporelle, sous-tendue par un système d'équations déterministes, pouvait se comporter de manière « chaotique ». En effet, la sensibilité aux « conditions initiales » est telle que la moindre variation est susceptible d'entraîner à long terme des effets irréguliers, et de déplacer le système d'un état vers un autre très différent. De telles variations étant inévitables, l'histoire — pourtant conditionnée par des principes sociaux et des lois de la nature déterministes — est forcément contingente. Je n'aurai donc pas la naïveté de prétendre pouvoir prédire (ou rétrodire) une chaîne d'événements à partir d'une origine ou de la reconstituer à partir d'une fin, alors même que chacun d'entre eux serait parfaitement explicable25. L'Histoire a en effet toute latitude de décider des événements et des genèses — et ce d'autant que les raisons de la « survie » en période de crise sont généralement différentes des raisons du succès durant les temps normaux. Mes hypothèses sur la structuration de l'architecture, son mécanisme de transformation et la correspondance entre le degré de variation des composantes de la maison et la durée (25) La non-linéarité des processus historiques a préoccupé les historiens bien avant que ces phénomènes n'aient été explicités en physique. Dans son ouvrage publié en 1949 et consacré au monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, Fernand Braudel avait en effet déjà opéré un « découplage » du temps pour parler du mouvement séculaire, des conjonctures longues et des conjonctures courtes de l'histoire qu'« il serait trop simple, trop beau de pouvoir ramener […] à un rythme majeur », autrement dit linéaire. 13 culturelle d'une société ne peuvent à elles-seules expliquer le cheminement ou le devenir historique celle-ci. Ce ne sont d'ailleurs que des règles transculturelles et transchronologiques que, grâce à ses capacités cognitives et à la maîtrise du symbolique qui leur est liée, l'homme peut remanier, remodeler et traduire en autant de formes culturelles particulières. Remerciements Mes réflexions doivent beaucoup aux discussions que j'ai eues avec Pierre Lemonnier et Sander van der Leeuw, ainsi qu'à ma rencontre avec Bruno Latour — sachant qu'ils n'en partagent évidemment pas tous les points de vue. Je suis très reconnaissante à Laurent Olivier d’avoir compris et, par ricochet, de m'avoir fait comprendre que mon bricolage scientifique avait une modeste dimension théorique. Cet article doit aussi à la connaissance profonde que Pascale Bonnemère a des Ankave. Il est évident que sans la contribution financière de la Maison des Sciences de l'Homme et l'aide amicale de Jean-Luc Lory, sans l'accueil de Michael Alpers et de Deborah Lehmann et sans l'appui logistique de l'Institute of Medical Research de Goroka, je n'aurais jamais pu réaliser mes enquêtes sur l'architecture anga — la sérénité d'esprit nécessaire à leur bonne conduite doit, par ailleurs, à l'attention quotidienne qu’a su m'accorder Meyana de la tribu des Baruya. Je remercie Madame Schlumberger, la musique et tous ceux de la Fondation des Treilles qui m'ont permis d'élargir le cadre des deux ou trois disciplines qui avaient jusqu'alors délimité ma problématique. Bibliographie Boulay R. (1990), La Maison kanake, Marseille, Editions Parenthèses. Chiva I. (sous la direction de) (1988), Terrain, 9 (Habiter la maison). Gould S.J. (1989), Wonderful Life. The Burgess Shale and the Nature of History, W.W. Norton & Company. Republié en 1991, Londres, New York, Victoria, Toronto, Auckland, Penguin Books Group. Traduction française (1991), La Vie est belle. Les surprises de l'évolution, Paris, Editions du Seuil. Latour B. (1991), Nous n'avons jamais été modernes. Essai d'anthropologie symétrique, Paris, La Découverte (Armillaire) Leroi-Gourhan A. (1952), « Sur la position scientifique de l’ethnologie », Revue philosophique, CXLII, p. 506-518. Republié in (1983), Le Fil du temps, Paris, Fayard. Figure 1. — L'Europe de la civilisation néolithique danubienne (les points correspondent aux sites archéologiques qui ont livré des plans de maison). Figure 2. — La Maison néolithique rubanée (Europe tempérée, deuxième moitié du VIe - première moitié du V° millénaires). Figure 3. — La structuration des maisons rubanée (néolithique européen), baruya et ankave (Anga, Papouasie Nouvelle-Guinée) d’après la variabilité des formes de leurs composantes architecturales. Figure 4. — La Maison anga de Nouvelle-Guinée. Figure 5. — Comparaison entre la structuration de la maison baruya et la structuration de la maison ankave (Anga, Papouasie Nouvelle-Guinée). Tableau 1 : Les Différents niveaux de variation des traits architecturaux de la maison rubanée (néolithique européen). Tableau 2. — Les Différents niveaux de variation des traits architecturaux de la maison anga baruya (Papouasie Nouvelle-Guinée). Tableau 3. — Les Différents niveaux de variation des traits architecturaux de la maison anga ankave (Papouasie Nouvelle-Guinée). Tableau 4. — Les Différents traits qui opposent les Anga baruya et les Anga ankave de Nouvelle-Guinée. 14 La Maison rubanée Eléments uniformes ou dont la forme varie à l'intérieur d'un registre typologique Premier niveau Uniformité (niveau fondamental) Deuxième niveau Légère variation tendant vers l'uniformité (deux à trois options) Représentations collectives Identité culturelle _______ _______ 1. caractère long de la 1. types de plan maison. (rectangulaire, lé2. plan quadrangulaire. gèrement trapézi3. surabondance de poforme, pseudoteaux (physiquerectangulaire). ment inutiles). 2. division de l’espace 4. groupement des pointerne (tripartition, teaux par trois bipartition). (tierce). 3. systèmes de sépara5. orientation (le dos tion entre parties de la maison est (couloir de deux tourné vers la côte tierces, une tierce la plus proche). profondément an6. emplacement de crée dans le sol). l’entrée (opposé au 4. façade (sans antes, dos). avec antes). 7. rôle physique des 5. agencement des parois (non pormurs de la partie artantes). rière : 3 options (poteaux discontinus, tranchées, poteaux doublés). 6. Rituel funéraire associé : 2 options (avec ou sans sépulture d'enfant). Troisième niveau Variation dans typologie de cinq à six options _______ 1. types de partie frontale : 6 options (grenier lourd, grenier léger, pseudo-grenier, simple, virtuelle, absente). 2. types de partie centrale : 5 variantes (de 4 à 1 travées, avec ou sans Y, avec couloir central). 3. types de partie arrière (de 1 à 5 travées). 4. rythme de succession des travées de la partie centrale : 6 types. 5. agencement des murs : 4 options (poteaux discontinus, tranchée, poteaux doublés). 6. espace extérieur : 6 options (fosses tout le long, sur les 2/3, à l'avant, rien, une seule petite fosse, tranchées de drainage). Tableau 1 15 Eléments dont la forme est liée aux contingences Différenciation Contingences Identité individuelle _______ 1. longueur absolue de la maison (entre 8 m et 50 m). 2. nombre absolu de poteaux (entre 18 et 70). La Maison baruya Eléments uniformes ou dont la forme varie à l'intérieur d'un registre typologique Premier niveau Uniformité (niveau fondamental) Deuxième niveau Légère variation tendant vers l'uniformité (deux à trois options) Représentations collectives Identité culturelle _______ _______ 1. le dessous du foyer : 1. plan (circulaire). 3 options (en cais2. toit (conique). son, en corbeille co3. plancher (surélevé). nique, suspendu 4. structure de la paroi dans un filet). (planches séparées). 5. structure portante du 2. technique de fabrication du début du plancher. toit : 3 variantes 6. pierres et forme du (assemblage de 4 foyer. perches, 2 cou7. entrée (placée là où ronnes superposées, le terrain est le plus un bâton de bamélevé). bou). 8. sommet du toit (baguettes de bois). 3. nombre de baguettes au sommet du toit 9. matériau de couver(4 ou 5). ture du toit (herbe 4. plancher (3 opapportée par les tions). femmes). 5. liaison extérieure 10. espace masculin plancher / paroi (3 (opposé à l'entrée et options). plus élevé que 6. liaison intérieure papartie féminine). roi / plancher (3 op11. harangue moralitions). sante à la fin de la 7. liaison intérieure construction. toit / paroi (4 op12. repas collectif à la tions dont 1 rare). fin de la construc8. espace extérieur : 2 tion. options (1 rigole de drainage, rien). 9. liaison des lattes du plancher : 3 options (nœud, point de devant , clous). Troisième niveau Variation dans typologie de cinq à neuf options _______ 1. revêtement extérieur de la paroi : 6 variantes dont 2 dominantes (écorce couvrante ou en bandeau, bandeaux de bambou, planches, feuilles de pandanus, natte, absente). 2. seuil : 9 options dont 6 variantes d'un même type. 3. revêtement intérieur de la paroi : 5 options dont 2 combinaisons de 2 types. 10. division interne (2 options) : partition sexuelle avec ou sans antichambre). Tableau 2 16 Eléments dont la forme est liée aux contingences Différenciation Contingences Identité individuelle _______ 1. plate-forme de stockage (souvent 3 fûts de bambou traversant la maison dans l'axe de la porte ; variantes très nombreuses : impossible d'éta-blir une typologie. 2. porte ou équivalent (autrefois : boucliers de guerre). La Maison ankave Eléments uniformes ou dont la forme varie à l'intérieur d'un registre typologique Deuxième niveau Légère variation tendant vers l'uniformité (deux à quatre options) Représentations collectives Identité culturelle _______ _______ Premier niveau Uniformité absent 1. plan : 3 options (circulaire, quadrangulaire, ovale). 2. toit (conique, conique asymétrique, 2 pentes, 3 pentes). 3. position du plancher (surélevé, à même le sol). 4. structure de la paroi : 2 options (planches séparées, jointives). 5. pierres et forme foyer : 3 options. 6. le dessous du foyer : 3 options (corbeille conique, poteaux, rien). 7. technique de départ de fabrication du toit : 2 options (assemblage de 4 perches, 1 poutre). 8. sommet du toit (baguettes ou rien). 9. liaison int. toit / paroi : 3 options. 10. espace ext. (rigole de drainage, rien). 11. seuil : 4 options (dont 1 dominante). 12. revêtement intérieur de la paroi : 3 options (planches, écorce, natte). 13. liaison des lattes du plancher : 2 options (ligature continue au point de tige, rien). 14. espace masculin (plus élevé ou au même niveau que l'espace féminin). 15. division interne (partition sexuelle, avec ou sans antichambre). Troisième niveau Variation dans typologie de cinq à six options _______ 1. structure portante du plancher : 5 options. 2. matériau de couverture du toit : 6 options (herbe, écorce, 3 espèces de feuilles, mixte). 3. liaison extérieure plancher / paroi : 5 options. 4. liaison intérieure plancher / paroi : 6 options. 5. porte ou équivalent : 6 options. Tableau 3 17 Eléments dont la forme est liée aux contingences Différenciation Contingences Identité individuelle _______ 1. direction de l'entrée. 2. matériau et technique du plancher. 3. revêtement extérieur de la paroi. 4. plate-forme de stockage. Ensemble ethnique anga originaire de la région de Menyamya réparti en plusieurs groupes sociétés acéphales avec clans patrilinéaires (certains noms de clans sont communs) langues apparentées culture matérielle globalement la même horticulteurs et éleveurs de porcs Premier scénario Deuxième scénario Baruya Ankave (séparés par quatre à huit jours de marche) 1— . colonisateurs et vainqueurs. . de nombreux Baruya connaissent les généalogies de leur tribu en tout ou partie. . 2 500 personnes (5,5 hab. / km2). . initiations masculines et féminines longues ; une maison des hommes par village ; antagonisme sexuel très marqué. . population refoulée vers les basses terres. . savoir généalogique peu partagé. . 900 personnes (1,2 hab. / km2). . initiations masculines seulement et courtes ; maisons des hommes absentes (ou rares) ; antagonisme sexuel relativement souple. . catégories conceptuelles opposées souvent 4 — . catégories conceptuelles opposées inconconciliables. ciliables. . l'échange des sœurs n'est pas spécifiquement 5 — . échanges des sœurs. dénommé, mariages avec compensation matrimoniale. . absence de suicide ; assassinats fréquents 6 — . suicides fréquents (6,2% des décès) ; as(6% des décès). sassinats rares (1,9% des décès). . vallées de moyenne altitude (600 m 7 — . vallées de haute altitude (1400 m - 2200 m). 1400 m). . horticulteurs sédentaires, jardins très soignés . horticulteurs semi-sédentaires, jardins en8— et parfaitement désherbés. vahis par végétation adventice. . villages permanents de 150 à 200 personnes. . petits hameaux de 30 à 50 individus, irré9 — . construction collective de la maison réalisée gulièrement occupés. en une journée. . construction individuelle de la maison ef10— fectuée en un mois ou deux. 2— 3— Tableau 4 30 Maison rubanée Maison baruya Maison ankave 0 1er et 2ème niveaux 3ème niveau Variations culturellement définies Différences Contingences 18 18 Maison bar. baruya Maison ank. ankave 0 1er niveau 2ème niveau 3ème niveau Variations culturellement définies 19 Différences Contingences