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Financement durable du sport pro : un modèle à repenser !

2015

Abstract

Malgré des mesures législatives adoptées dans les années 1990 visant à limiter les aides publiques au sport professionnel, le soutien financier des collectivités locales reste important. Dans un contexte de raréfaction des fonds publics, la nécessité de rompre avec cette logique de cogestion privée/publique devient toutefois impérative.

L'essentieL

Le resserrement budgétaire des collectivités territoriales invite à repenser le modèle de financement public du sport professionnel.

L'étude des récentes initiatives gouvernementales et législatives montre les potentielles mutations du secteur.

La résurgence d'un serpent de mer

En France, les questions suscitées par le bien-fondé du recours à l'argent public pour financer les clubs sportifs professionnels ont émergé au début des années 1990. Faisant suite à des augmentations notables du montant d'aides publiques à destination des clubs sportifs professionnels au cours des années 1980 1 , cette période a été marquée par des dysfonctionnements financiers de certains clubs professionnels de sports collectifs majeurs (football, basket-ball…). Ces dérives financières ont alors été l'occasion pour les maires des grandes villes de France d'initier un débat sur le financement des clubs sportifs professionnels. En 1994, fut votée la loi prévoyant la conclusion de conventions spécifiques entre clubs et collectivités territoriales en contrepartie des subventions accordées par ces dernières ; cette première avancée devant précéder l'arrêt progressif desdites subventions à la fin de l'année 1999 2 . mise à disposition de personnel, fixation du montant de la taxe sur les spectacles à discrétion des mairies 6 …). La multiplicité des formes de soutien public a toutefois rendu nébuleux les liens entre collectivités et clubs, comme l'ont mis en évidence un certain nombre de rapports. L'un des plus marquants est celui de la Cour des comptes, publié en 2009, décrivant la sécurité et la transparence de ces relations comme n'étant « pas totalement garanties » 7 . Plus récemment, des conclusions issues de travaux gouvernementaux et parlementaires ont tenté de rompre avec cette logique de cogestion publique/privée. D'abord sectorisée aux activités les moins dépendantes de la sphère publique 8 , cette nécessité s'est depuis élargie à l'ensemble du sport professionnel.

Une mission commune d'information a ainsi été à l'origine d'un rapport, rendu public en avril 2014 9 , dont les principales préconisations ont alimenté une proposition de loi. Déposée au Sénat en juillet 2014, cette proposition vise notamment à rénover les rapports entre collectivités territoriales et clubs professionnels (voir encadré). Les mesures contenues dans ce projet législatif donnent des indications quant aux potentielles avancées.

queLs changements à prévoir ?

Au sein de ce projet de loi, seules les mesures ayant trait au financement public direct des clubs sportifs professionnels ainsi que celles justifiant l'emploi de ces aides sont ici examinées. Nous nous référons à la proposition de loi en tant que telle et aussi au rapport de la mission sénatoriale dont elle est issue. Ces documents ont été analysés puis ont fait l'objet d'un entretien d'une heure avec le sénateur Michel Savin, auteur de la proposition, portant sur le contexte de sa rédaction, son contenu et les enjeux sous-jacents à sa réalisation. Aussi, nous ne discutons pas des imprécisions rédactionnelles de la proposition de loi 10 mais plutôt des tendances de fond sur lesquelles elle repose : la réforme du cadre légal des aides publiques directes et le renforcement de la responsabilité sociale qui incombe aux clubs sportifs professionnels s'agissant de justifier les fonds publics perçus.

vers une suppression progressive des aides publiques directes ?

La proposition de loi prévoit de réformer le cadre du subventionnement public pour les sociétés sportives 11 dont le montant des droits d'exploitation audiovisuelle dépasserait 10 millions d'euros. Elle pose le principe d'une interdiction, pour ces sociétés, de percevoir Le changement de modèle se heurte toutefois à un certain nombre de difficultés d'opérationnalisation au niveau juridique.

toute aide publique, admettant toutefois une exception en autorisant ces sociétés à continuer de bénéficier de prestations de services par le biais de partenariats avec une fondation ou un fonds de dotation qu'elles auraient créés (voir ci-après). Les activités sportives professionnelles ont déjà été l'objet de typologies au regard de leur degré de dépendance vis-à-vis des aides publiques. Celle de Bourg et Nys les classe par exemple en fonction du rôle moteur, stabilisateur ou marginal des subventions perçues par rapport au poids qu'elles représentent dans le budget des clubs 12 . Distinguer ces activités semble donc pertinent mais pose toutefois le problème de la mise en oeuvre au niveau juridique. L'une des raisons se trouve dans le périmètre restreint de l'application de ces mesures. En fixant à 10 millions d'euros le seuil des droits d'exploitation audiovisuelle, la proposition de loi exclut du cadre légal de subventionnement public les seuls clubs de football de Ligue 1 13 . Mais le poids de ce subventionnement demeure relativement faible dans le sport professionnel. Après audition des dirigeants de l'Association nationale des ligues de sport professionnel (ANLSP) 14 , la mission commune d'information révélait dans son rapport que, pour la saison sportive 2011-2012, 17 millions d'euros de subventions publiques avaient été octroyés pour les vingt clubs de Ligue 1 contre 157 millions d'euros pour l'ensemble des championnats professionnels de sports collectifs. Plus largement, la volonté politique de diminuer voire de couper les financements publics (déjà souhaitée en 1994 par l'Association des maires de France) place le législateur dans une impasse. Même en ne retenant que le critère de la constitution en société commerciale, certains clubs sont trop dépendants des aides publiques pour pouvoir s'affranchir d'un tel soutien 15 . La solution retenue, adoptée dans la proposition de loi, est donc de fixer

proposition de Loi n o 711

La proposition de loi n o 711 enregistrée à la présidence du Sénat le 9 juillet 2014 et présentée par les sénateurs Savin, Boog, Duffaut et Saugey fait suite aux conclusions de la mission commune d'information en charge de l'étude des relations entre sport professionnel et collectivités territoriales créée en octobre 2013. Ce projet de texte se compose de huit articles compris dans trois titres visant à : supprimer les subventions de fonctionnement aux clubs professionnels financés essentiellement par les droits d'exploitation audiovisuelle (art. 1 et 2) ;

permettre aux clubs professionnels de devenir propriétaires d'infrastructures (art. 3 à 5) ; renforcer la responsabilité sociale des ligues et clubs professionnels (art. 6 à 8). un critère seuil au-delà duquel ces sociétés commerciales cesseraient d'être subventionnées, mais elle est limitée dans sa portée. Cela est d'autant plus vrai que les projets de loi doivent faire l'objet, depuis 2009, d'études d'impact rendant compte des coûts et bénéfices attendus des dispositions envisagées 16 . Or, ainsi rédigée, la proposition de loi ne concernerait que 10 % du subventionnement public, rendant plus symbolique qu'efficiente la rénovation du modèle de financement public du sport professionnel.

InstItutIons

Article

Le renforcement de la responsabilité sociale comme réponse adaptée

Si l'arrêt progressif des aides publiques directes, y compris pour les clubs les moins dépendants du financement public, apparaît peu probable, la demande de justification quant à leur emploi constitue une mesure d'ajustement potentielle pour le législateur. Cela vaut notamment pour le cadre des MIG pour lequel la proposition de loi semble avoir été pensée. En effet, le contournement potentiel de ce dispositif, souligné en 2009 par le rapport de la Cour des comptes, a été rappelé par la mission commune d'information estimant « qu'une plus grande rigueur [devait] être appliquée par les élus locaux dans la motivation de ces subventions qui doivent constituer la contrepartie effective des missions d'intérêt général ». L'une des mesures adoptées consiste donc en un renforcement de la responsabilité sociale des clubs à travers l'obligation faite aux associations des clubs constitués en sociétés commerciales de créer un fonds de dotation ou une fondation. Cette seconde mesure paraît plus à même de répondre au besoin de refonte du modèle de financement public, permettant de s'assurer du contenu adossé aux MIG. Les structures telles que les fondations et les fonds de dotation sont des outils adaptés à la réalisation de ces missions et permettraient aux clubs professionnels d'affirmer leurs responsabilités sociales 17 . La mise en oeuvre de ce qui pourrait être une véritable mutation dans le secteur suppose néanmoins que soit mis en avant le caractère incitatif et non obligatoire de la création de ces structures, d'autant plus si celle-ci est portée par l'association et non la société sportive. Les moyens de financement des associations, déjà fragilisés dans le contexte économique actuel, sont en effet trop limités. Cette mesure constituerait de plus un frein à la professionnalisation de clubs situés sous les seuils les obligeant à créer une société commerciale mais désireux de le faire afin d'anticiper une éventuelle montée sportive. De même, pour les clubs les plus modestes, la création d'une fondation semble utopique dans la mesure où le minimum affecté à la réalisation du programme d'action pluriannuel (150 000 euros à étaler sur cinq ans) ne permet qu'à quelques grands clubs professionnels de football (PSG, OL, TFC) d'y recourir. Celle d'un fonds de dotation paraît plus adaptée mais est néanmoins consommatrice de ressources par les moyens humains qui devront y être affectés (nomination de membres au conseil d'administration) et les exigences financières à satisfaire. Cela est d'autant plus vrai que si jusqu'ici les fonds de dotation pouvaient être créés sans dotation en capital initiale, un récent décret a fixé un seuil minimal de dotation de 15 000 euros exigible au moment de la constitution du fonds 18 . Obliger la création de ces structures n'assure donc pas l'efficacité de leurs actions. Cette assertion rejoint certaines conclusions de chercheurs du champ de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) et plus largement celui des organisations (RSO) à rendre compte de l'engagement sociétal des organisations. Parmi les récents travaux, ceux distinguant les figures imposées des figures libres 19 montrent l'inefficacité des premières comparées aux secondes en matière d'engagement sociétal. L'obligation de création de fondations ou de fonds de dotation alimenterait ainsi la catégorie des figures imposées. Celles-ci ne garantissant pas un réel engagement des clubs, cela n'apporterait au final aucune justification à leur financement public.