Pierre Couprie
(docteur en musicologie, chercheur associé à l’Université De Montfort de Leicester)
L’ÉCOUTE INDIVIDUELLE
ET LES TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES
1. INTRODUCTION
Jamais les technologies numériques1 n'ont pris autant de place dans notre vie
quotidienne. Beaucoup d'entre nous font l'expérience de les utiliser plusieurs fois par jour
avec les téléphones portables, les ordinateurs, les organiseurs électroniques, les baladeurs
mp3, etc. Mais, si l'image numérique fait de plus en plus l'objet de publications techniques
ou esthétiques de grande qualité2, le son semble être le grand oublié. Pourtant, les sites
Internet, les CD-ROM, les DVD-ROM, les musiques à télécharger, les bornes
interactives, pour ne citer que quelques exemples, utilisent pratiquement tous des
musiques d'accompagnement. Certains font même de la musique le centre autour duquel
sont organisés les autres médias. Ma contribution à cette journée d'étude n'a pas l'ambition
de combler le manque de réflexion en la matière mais plutôt de proposer quelques angles
de recherche à travers l'observation d'exemples concrets.
D'emblée, je me place dans la situation de l'auditeur en face de son ordinateur et
ayant un accès à Internet. Je limiterai le corpus aux musiques savantes actuelles
(instrumentales et/ou électroacoustiques) et j'articulerai mon exposé en deux phases : une
première cherchant à cerner les conditions techniques d'écoutes et une seconde
envisageant une typologie des produits numériques à travers leurs configurations.
2. LES CONDITIONS TECHNIQUES DE L'ÉCOUTE NUMÉRIQUE
2.1. L'empreinte de la science
Si les relations entre l'art et la science ont toujours été reconnues, les influences de
la science sur l'art ont souvent été masquées par la mise en avant du style de l'artiste
indépendamment de toute technologie. Cette conception est probablement vraie pour les
créateurs des siècles passés. Aujourd'hui, l'artiste utilise une technologie de plus en plus
envahissante et le rapport de l'artiste à la technologie a profondément changé depuis la fin
du vingtième siècle. Sans se substituer à l'artiste, la technologie, et à travers elle, la
science, conditionnent fortement les étapes de la création, de la fabrication et de la
1. Nous préférons ce terme à celui de nouvelles technologies.
2. Voir : BUREAUD, Annick et MAGNAN, Nathalie, Connexions art réseaux media, Paris, Ecole
Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Guide de l'étudiant, 2002, 642 p.
COUCHOT, Edmond et HILLAIRE, Norbert, L'Art numérique. Comment la technologie vient au
monde de l'art, Paris, Flammarion, 2003, 261 p.
MÉREDIEU, Florence (de), Arts et nouvelles technologies. Art vidéo. Art numérique, Paris, Larousse,
2003, 240 p.
52 - Les pratiques d’écoute individuelles
distribution de l'œuvre d'art
Cette utilisation de plus en plus importante de l'informatique peut démultiplier les
possibilités de l'artiste tant sur le plan de la technique que de la visibilité de son travail,
ou devenir envahissante au point de submerger, voire de se substituer à l'artiste qui ne
maîtrise plus son outil. De plus, le passage aux technologies numériques ne signifie pas
seulement un changement d'outil. L'informatique modifie fortement les conditions
d'existence de l'art en transformant les conditions de création mais aussi de perception. Il
y a un écart plus important entre l'écoute musicale à travers un CD-ROM et l'écoute sur
disque compact qu'entre cette dernière et l'écoute en concert. Cette modification agit donc
à deux niveaux : celui des conditions de création et de perception mais aussi celui de la
relation entre l'artiste, l'œuvre d'art et le spectateur.
Ces modifications dues au numérique engendrent une transformation de l'état mais
aussi du statut de l'œuvre d'art :
1. l'œuvre d'art numérique ou numérisée devient reproductible à l'infini sans perte
de qualité et pratiquement gratuitement3 ;
2. la disponibilité de la musique s'étend à toute personne connectée sur Internet pour
un prix dérisoire par rapport aux disques compacts ;
3. l'œuvre n'est plus dépendante d'un lieu ou d'une temporalité. La visibilité d'une
œuvre d'art numérique peut se faire à partir de n'importe quel endroit du globe à
n'importe quel moment (anamorphose du temps et du lieu) ;
4. la perception de l'œuvre est conditionnée par le support (CD-ROM, Internet) et
la technologie de consultation (ordinateur). Dans le cas d'Internet, le réseau peut
devenir lui-même le support de l'œuvre. Dans ce cas, l'œuvre n'est donc plus située
dans un lieu précis (ordinateur serveur) mais elle se déplace.
Il est probable que nous ne mesurons pas encore les implications de tels
bouleversements dans la création et dans la perception de l'œuvre d'art. Il nous faudra de
nombreuses années avant d'en constater les modifications.
2.2. La technologie parasite
En observant la création numérique, il est aisé de constater les nombreux handicaps
du son par rapport aux autres médias. En effet, là où la vidéo et la photographie jouent
avec les défauts du support, notre perception supporte assez mal ces mêmes défauts dans
le cas de la musique. De plus, confronté aux autres médias, le son passe au second plan.
Bien souvent, celui qui consulte un CD-ROM ne se rend même pas compte de l'existence
d'une musique. Cette partie va me permettre de cerner les différents problèmes techniques
posés lors de l'écoute des musiques situées sur un ordinateur.
3. Malheureusement, cette possibilité bénéficie probablement bien plus au distributeur qu'à l'artiste luimême.
Pierre Couprie, L’écoute individuelle et les technologies numériques - 53
2.2.1. Les conditions d'écoute et la qualité du son
L'écoute est avant tout conditionnée par l'utilisation de l'ordinateur. Ecouter un son
présent sur son ordinateur nécessite d'avoir au moins un casque audio et au mieux des
enceintes. La musique du vingtième siècle exploite des configurations extrêmes du son
dans le domaine du timbre (du son pur au bruit blanc), avec un ambitus d'intensité très
important et un ambitus de hauteur allant des sons perceptibles les plus graves aux plus
aigus. L'utilisation d'un casque audio ne permet pas de percevoir ces gammes de jeux
imaginés par l'artiste. Mais, à l'opposé, les défauts de la compression du son4 sont
particulièrement mis en évidence sur un dispositif de bonne qualité (carte son
professionnelle et enceintes de bonne qualité). L'utilisateur averti est donc tiraillé entre la
volonté d'écouter dans de bonnes conditions mais sans percevoir les défauts du son
numérique compressé.
Puisque la musique disponible en téléchargement ou insérée dans des documents
multimédias (CD-ROM, sites Internet) est pratiquement toujours compressée5, il convient
d'étudier la perte réelle de qualité occasionnée par cette compression. Le tableau 1
présente diverses qualités de compression du son en MP36.
qualité
échantillonnage
mode
taux de transfert
ratio
téléphone
2,5 KHz
mono
8 Kb/s
96/1
supérieur au
téléphone
4,5 KHz
mono
16 Kb/s
48/1
radio AM
7,5 KHz
mono
32 Kb/s
24/1
débit modem
haut débit (câble, ADSL)
radio FM
11,5 KHz
stéréo
56-64 Kb/s
26/1 – 24/1
proche du CD
15 KHz
stéréo
96 Kb/s
16/1
CD
> 15 KHz
stéréo 112-128 Kb/s
14/1 – 12/1
Tableau 1 : caractéristiques de quelques fichiers compressés MP37
Lors d’une compression, certaines fréquences, censées ne pas être perceptibles, sont
supprimées. La figure 1 représente deux sonagrammes du même son à deux taux de
4. La compression du son est toujours utilisée dans les environnements multimédias.
5. Les autres médias (photographies, vidéo) sont aussi compressés.
6. Le MP3 (ISO-MPEG Audio Layer-3) est un format de compression du son inventé en 1987 et
largement répandu sur Internet. Il devrait être remplacé par le MP4 (nommé aussi AAC).
7. « Audio & Multimedia MPEG Layer-3 », article en ligne sur : http://www.iis.fraunhofer.de/amm/
techinf/layer3/index.html
54 - Les pratiques d’écoute individuelles
compression différent. Le second apparaît nettement incomplet par rapport au premier. Ce
deuxième graphique correspond à un son écouté en flux continu8 sur Internet avec une
connexion modem (la qualité est alors à peine supérieure au téléphone).
La lecture du son sur un ordinateur, qu'elle soit réalisée à partir d'un fichier situé
dans l'ordinateur ou à partir d'un fichier en cours de transfert depuis Internet, peut être
interrompue si l'un des éléments de la chaîne de chargement (figure 2) est défaillant.
MP3 - 44100 KHz - stéréo - 128 Kb/s
MP3 - 44100 KHz - stéréo - 24 Kb/s
Figure 1 : les sonagrammes d’un même fichier audio compressé en MP3
avec 2 taux de transfert différents
Figure 2 : la chaîne de chargement et de lecture d'un document multimédia
2.2.2. L'interface et les actions de l'utilisateur
Le deuxième point de perturbation de l'écoute est situé dans l'interface logicielle. La
première étape consiste à trouver des musiques à écouter. Que ce soit sur Internet ou sur
un CD-ROM, la recherche n'est pas évidente à mener. Jacques Perriault9, à propos
d'Internet, met en évidence ce qu'il nomme la sérendipité. Il s'agit de trouver par hasard
quelque chose d'intéressant que l'on ne cherchait pas. Ce peut être aussi le cas dans
certains CD-ROM dans lesquels l'utilisateur ne peut que très difficilement se faire une
image du plan global. Trouver une musique est alors l'aboutissement d'une exploration
aléatoire des données.
8. Technique qui consiste à commencer la lecture d’un son avant son téléchargement complet. L’attente
est alors réduite à quelques secondes.
9. PERRIAULT, Jacques, L'accès au savoir en ligne, Paris, Odile Jacob, 2002, 267 p.
Pierre Couprie, L’écoute individuelle et les technologies numériques - 55
Lorsque la musique est intégrée à d'autres médias, le visuel tend à prendre une place
beaucoup plus importante dans la perception. Les expériences réalisées lors de
représentations graphiques de musiques électroacoustiques (figure 3) m'ont permis de
remarquer que les utilisateurs avaient un repérage visuel des musiques. Ces
représentations ont pour objectif de figurer les différents sons ou structures sonores par
des formes géométriques. L'emplacement, le contour, la couleur et la texture des formes
dépendent de critères analytiques précis comme la hauteur, le type de spectre, la
morphologie dynamique, le grain ou l'appartenance à une même catégorie
paradigmatique. L'auditeur est ainsi guidé dans une écoute analytique : la mémorisation
et l'anticipation sont facilitées. Mais cette image graphique peut, dans certains cas,
occuper une place très importante, voire se substituer à la musique : l'auditeur parlera
alors du son vert en forme de bulle10. L'équilibre entre l'interface graphique et la musique
est donc très difficile à réaliser car elle dépend des habitudes de l'utilisateur.
Figure 3 : un exemple de représentation de la musique électroacoustique sur
Internet11, Sud de Jean-Claude Risset
L'interface contient aussi, dans certains cas, une possibilité de contrôler le son. Il
existe trois types de configurations :
1. le son sans contrôle direct mais lié à une page, une image ou un texte. Lorsqu'un
média apparaît, un son l'accompagne. L'utilisateur ne peut donc contrôler la lecture
10. François Bayle parle de la représentation graphique de la musique électroacoustique comme d'un
leurre pour l'écoute (séminaire de l'Ina-GRM en ligne : http://www.ina.fr/grm/outils_dev/theorique/
seminaire/index.fr.html)
11. Reproduction avec l'aimable autorisation du GRM de l'Institut National de l'Audiovisuel : http://
www.ina.fr/grm/acousmaline/polychromes/index.fr.html
56 - Les pratiques d’écoute individuelles
du son (généralement play et stop) qu'en agissant sur les autres médias. Le son en
question n'est alors bien souvent qu'un simple accompagnement ;
2. le son avec un contrôle simple (play, stop et volume). De nombreux CD-ROM
musicaux proposent ce type d'interface ;
3. le son au centre du dispositif avec une interface d'expérimentation. Le CD-ROM
La musique électroacoustique12 de l'Ina-GRM propose à l'utilisateur
d'expérimenter des technologies de transformation du son. La figure 4 représente un
extrait du CD-ROM Prisma13 de Kaija Saariaho. L'utilisateur réalise une œuvre
pour flûte et violoncelle en assemblant différents fragments composés pour le
support multimédia. Ces deux exemples sont caractéristiques de ce type de
dispositif.
Figure 4 : Prisma, CD-ROM de Kaija Saariaho, un exemple d'interface dans
laquelle la musique est au centre du dispositif14
3. UNE TYPOLOGIE DES PRODUITS NUMÉRIQUES
Après avoir analysé les contraintes techniques de l'écoute dans un environnement
numérique, je vais maintenant présenter différents produits multimédias (Internet et CDROM) en y détaillant la place de l'écoute. Trois configurations semblent émerger des
nombreuses publications dans le domaine des musiques savantes actuelles : l'écoute
seule, l'écoute d'accompagnement et l'écoute guidée. Chacune d'elle donne au son un rôle
particulier à travers son articulation aux autres médias.
12. La musique électroacoustique, Paris, Ina-GRM/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC.
13. Prisma. L'univers musical de Kaija Saariaho, Paris, Finnish Music Information Centre/IrcamCentre Georges Pompidou/Chester Music, 1999, CD-ROM Mac et PC.
14. Reproduction avec l'aimable autorisation de Kaija Saariaho.
Pierre Couprie, L’écoute individuelle et les technologies numériques - 57
3.1. L'écoute seule
Cette première catégorie est la plus représentée sur Internet. Elle regroupe les sites
permettant l'écoute de musiques par le biais du téléchargement ou de la lecture en flux
continu. Le site Ubuweb (figure 5) est remarquable par la grande richesse des
enregistrements qu'il offre. Les fichiers sont proposés aux formats MP3 et Real Audio et
doivent êtres téléchargés. Ils sont aussi accompagnés de notices détaillées.
Les sites de Ron Hannah15 et Thomas Moore16 permettent d'accéder à plusieurs
centaines de sites de compositeurs. Ceux-ci proposent très souvent des extraits de leurs
œuvres en format compressé. De même, sur les sites de musiciens, comme celui de
l'ensemble Aleph17, il est facile de trouver des extraits de leurs enregistrements. Les
ressources sonores sur la musique contemporaine ne manquent donc pas sur Internet. On
peut toutefois regretter que les performances des connexions modem obligent souvent les
administrateurs de sites à ne mettre en ligne que de cours extraits ou à compresser
fortement les fichiers audio au point d'en dénaturer les qualités musicales.
Les CD-ROM ne proposant qu'une écoute sans autres médias n'existent pas.
Toutefois, il est possible de trouver, comme dans la partie “connaître” du CD-ROM La
musique électroacoustique18, des juke-box dont l'utilité est de pouvoir écouter de
nombreux extraits d'œuvres, voire des œuvres complètes, afin de découvrir les différentes
facettes d'un genre musical. L'interface est alors simplifiée au maximum, le son est au
cœur du dispositif.
3.2. L'écoute d'accompagnement
Dans cette catégorie, le son est un des médias sans être prédominant. Il est même
souvent secondaire. La relation entre les médias est variable :
1. le son n'est qu'un accompagnement ; les autres médias sont prédominants et le son
peut être arrêté sans perturber la consultation du CD-ROM. C'est le cas le plus
fréquent ;
2. le son est en relation avec le contenu des autres médias sans toutefois y être
directement lié. C'est le cas du CD-ROM du MINT (figure 6) ;
3. le son alterne entre un lien indirect et direct avec les autres médias (CD-ROM sur
le sculpteur Jean Tinguely19).
15. http://composers21.com/
16. http://research.umbc.edu/~tmoore/musiclinks.html
17. http://perso.wanadoo.fr/aleph/
18. La musique électroacoustique, Paris, Ina-GRM/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC.
19. Le musée Tinguely à Bâle, Suisse, Victory Interactive/Museum Jean Tinguely, 2000, CD-ROM Mac
et PC.
58 - Les pratiques d’écoute individuelles
Figure 5 : Ubuweb, un exemple de site proposant le téléchargement de fichiers MP3
sur la poésie sonore, la performance, Fluxus, etc.20
Figure 6 : le CD-ROM Rencontres entre musique et électronique du MINT21
20. Reproduction avec l'aimable autorisation d'Ubuweb : http://www.ubu.com/
21. BATTIER, Marc, COUPRIE, Pierre, LANGLOIS, Philippe, Rencontres entre musique et
électronique, Paris, OMF-MINT, 2000, CD-ROM Mac (inédit).
Pierre Couprie, L’écoute individuelle et les technologies numériques - 59
Bien évidemment, ces trois options ne sont pas fixes et il n'est pas rare de les
rencontrer toutes les trois dans un même produit. La dernière est très proche de notre
catégorie suivante : l'écoute guidée. En effet, dans cette option, le contenu des autres
médias peut servir de commentaire sur le son.
3.3. L'écoute guidée
3.3.1. Le ludique
Les produits ludiques proposent de découvrir une ou plusieurs notions musicales
par le jeu. Le site Internet de Philippe Lalitte sur Sud de Jean-Claude Risset en présente
une analyse complète et très détaillée. Par ailleurs, il est complété par huit jeux d'écoute
permettant de s'entraîner à l'identification des différents sons de l'œuvre.
Figure 7 : jeux d'écoute à partir de l'analyse de Sud de Jean-Claude Risset
par Philippe Lalitte22
22. Reproduction avec l'aimable autorisation de Philippe Lalitte : http://www.ac-dijon.fr/pedago/music/
bac2002/accueil.htm
60 - Les pratiques d’écoute individuelles
Dans une direction identique, Kaija Saariaho23 (figure 4) propose à l'utilisateur de
créer une œuvre à partir de fragments composés pour l'occasion. Ce jeu permet à
l'utilisateur d'entrer d'autant plus facilement dans l'univers sonore de la compositrice. De
même, le CD-ROM La musique électroacoustique24 intègre un mini-studio afin de
s'essayer aux transformations sonores les plus utilisées par les compositeurs. Les Dix jeux
d'écoute25 publié par l'IRCAM la même année et dans la même collection propose à
l'utilisateur d'éduquer son oreille à travers l'association de critères d'analyse à des réalités
sonores. Toutefois, il est regrettable que ce CD-ROM reste au niveau du sonore sans
explorer le musical. L'ensemble des réalisations ludiques allie donc l'intérêt du jeu à une
véritable expérimentation sonore.
3.3.2. Le didactique
Les réalisations didactiques s'apparentent souvent à la publication sur papier plutôt
qu'à un véritable travail multimédia. Toutefois, il y a quelques exceptions. Ainsi, les Clés
d'écoute26, développées par le Laboratoire d'ethnomusicologie du Musée de l'Homme,
proposent, à partir d'un thème comme le chant diphonique ou les polyphonies sardes, un
parcours multimédia d'une dizaine de minutes. Ce parcours contient peu de texte et
s'articule surtout à travers des exemples musicaux et du visuel (partitions, photographies,
vidéos, graphiques, sonagrammes). Dans la même direction, Anne Aubert27 a réalisé dans
son remarquable CD-ROM des analyses multimédias d'œuvres de 19 compositeurs.
L'image à travers des plans fixes ou des animations, les textes, les photographies, les
reproductions de partitions, les commentaires oraux et les exemples musicaux sont
organisés, pour chaque analyse d'œuvre, sous la forme d'un parcours dans lequel sont
détaillés plusieurs points précis. Ce CD-ROM est probablement l'une des meilleures
réalisations en la matière. Dans ces exemples, le modèle du livre est cassé pour lui préférer
celui d'une véritable publication multimédia.
Toutefois, certains produits remarquables sont construits sur le modèle du livre : les
analyses hypermédias28 comme celles réalisées par l'Atelier de Feuillantines (figure 8), le
CD-ROM La musique électroacoustique29 de l'Ina-GRM, ou l'Encyclopedia
Universalis30. Les analyses hypermédias (figure 8) sont pratiquement toujours réalisées
sur le même modèle : une analyse découpée en pages selon différents chapitres
(présentation, matériau, structure, etc.) avec une alternance entre le texte et des extraits de
23. Prisma. L'univers musical de Kaija Saariaho, Paris, Finnish Music Information Centre/IrcamCentre Georges Pompidou/Chester Music, 1999, CD-ROM Mac et PC.
24. La musique électroacoustique, Paris, Ina-GRM/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC.
25. Dix jeux d'écoute, Paris, Ircam/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC.
26. http://www.ethnomus.org/ecoute/index.html
27. AUBERT, Anne, Promenade en musique, Paris, Syrinx, 1998, CD-ROM Mac et PC.
28. COUPRIE, Pierre, Répertoire des analyses hypermédias disponibles sur Internet, 2003, OMFMINT, répertoire en ligne sur : http://www.omf.paris4.sorbonne.fr/ANAauteur.php3
29. La musique électroacoustique, Paris, Ina-GRM/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC.
30. Encyclopaedia Universalis, Paris, Encyclopaedia Universalis, 2002, version 8, CD-ROM Mac et
PC.
Pierre Couprie, L’écoute individuelle et les technologies numériques - 61
partitions ou de sonagrammes. Dans la partie centrale du CD-ROM La musique
électroacoustique31, plusieurs musicologues et compositeurs ont réalisé des analyses
avec des représentations graphiques de six œuvres32. Chaque œuvre est analysée et/ou
représentée plusieurs fois par des personnes différentes. Certaines analyses sont purement
graphiques, d'autres textuelles et d'autres encore allient le texte et le graphisme. La grande
variété des approches donne à ce CD-ROM une incontestable valeur musicologique.
Figure 8 : l'analyse de la La Rousserolle Effarvatte d'Olivier Messiaen par
l'Atelier des Feuillantines (Paris – 5e arrondissement)33
Enfin, je terminerai cette présentation avec l'Encyclopedia Universalis sur CDDepuis un peu plus de trois ans, cette encyclopédie intègre un salon de musique
dans lequel il est possible d'écouter de nombreux extraits d'œuvres en compulsant des
notices sur les compositeurs, les genres musicaux ou les musiciens. La version 8 intègre
aussi une analyse généalogique de 48 styles musicaux du XXe siècle. Les influences à
ROM34.
31. La musique électroacoustique, Paris, Ina-GRM/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC.
32. Une première expérience avait déjà été réalisée dans ce sens à partir de musiques d'horizons très
divers : BESSON, Dominique, Les Musicographies, Paris, Ina-GRM/Ville d'Echirolles/38es
Rugissants, 1995, CD-ROM Mac (inédit).
33. Reproduction avec l'aimable autorisation de l'Atelier des Feuillantines : http://
atelier.feuillantine.free.fr/analyse/analyse.html
34.Encyclopaedia Universalis, Paris, Encyclopaedia Universalis, 2002, version 8, CD-ROM Mac et PC.
62 - Les pratiques d’écoute individuelles
plusieurs niveaux sont visualisées par des lignes en pointillé et une notice accompagnée
d'extraits musicaux est disponible pour chacun des styles. Les différents documents
proposés pour compléter les extraits audio permettent d'enrichir considérablement
l'écoute.
4. CONCLUSION
Ce panorama des réalisations multimédias sur les musiques savantes actuelles n'est
bien évidemment pas exhaustif d'autant plus que ce domaine évolue très vite grâce à
Internet. Toutefois, je pense qu'il permet de se faire une image représentative de
l'ensemble des produits. Finalement, le musicologue se trouve en face d'un dilemme assez
complexe à résoudre. D'une part, les contraintes techniques pour la publication
nécessitent un choix drastique des œuvres ou des fragments d'œuvres ainsi qu'un
apprentissage des formats de compression et de publication. Mais, d'autre part, les
avantages sont indéniables. En effet, la possibilité d'écouter, de lire un commentaire sur
l'œuvre, voire d'en visualiser une représentation graphique est un excellent moyen, pour
l'auditeur, d'entrer plus profondement dans l'œuvre, et pour le musicologue, de présenter
d'une manière attractive son travail.