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L’écoute et les technologies numériques

2005

Pierre Couprie (docteur en musicologie, chercheur associé à l’Université De Montfort de Leicester) L’ÉCOUTE INDIVIDUELLE ET LES TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES 1. INTRODUCTION Jamais les technologies numériques1 n'ont pris autant de place dans notre vie quotidienne. Beaucoup d'entre nous font l'expérience de les utiliser plusieurs fois par jour avec les téléphones portables, les ordinateurs, les organiseurs électroniques, les baladeurs mp3, etc. Mais, si l'image numérique fait de plus en plus l'objet de publications techniques ou esthétiques de grande qualité2, le son semble être le grand oublié. Pourtant, les sites Internet, les CD-ROM, les DVD-ROM, les musiques à télécharger, les bornes interactives, pour ne citer que quelques exemples, utilisent pratiquement tous des musiques d'accompagnement. Certains font même de la musique le centre autour duquel sont organisés les autres médias. Ma contribution à cette journée d'étude n'a pas l'ambition de combler le manque de réflexion en la matière mais plutôt de proposer quelques angles de recherche à travers l'observation d'exemples concrets. D'emblée, je me place dans la situation de l'auditeur en face de son ordinateur et ayant un accès à Internet. Je limiterai le corpus aux musiques savantes actuelles (instrumentales et/ou électroacoustiques) et j'articulerai mon exposé en deux phases : une première cherchant à cerner les conditions techniques d'écoutes et une seconde envisageant une typologie des produits numériques à travers leurs configurations. 2. LES CONDITIONS TECHNIQUES DE L'ÉCOUTE NUMÉRIQUE 2.1. L'empreinte de la science Si les relations entre l'art et la science ont toujours été reconnues, les influences de la science sur l'art ont souvent été masquées par la mise en avant du style de l'artiste indépendamment de toute technologie. Cette conception est probablement vraie pour les créateurs des siècles passés. Aujourd'hui, l'artiste utilise une technologie de plus en plus envahissante et le rapport de l'artiste à la technologie a profondément changé depuis la fin du vingtième siècle. Sans se substituer à l'artiste, la technologie, et à travers elle, la science, conditionnent fortement les étapes de la création, de la fabrication et de la 1. Nous préférons ce terme à celui de nouvelles technologies. 2. Voir : BUREAUD, Annick et MAGNAN, Nathalie, Connexions art réseaux media, Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Guide de l'étudiant, 2002, 642 p. COUCHOT, Edmond et HILLAIRE, Norbert, L'Art numérique. Comment la technologie vient au monde de l'art, Paris, Flammarion, 2003, 261 p. MÉREDIEU, Florence (de), Arts et nouvelles technologies. Art vidéo. Art numérique, Paris, Larousse, 2003, 240 p. 52 - Les pratiques d’écoute individuelles distribution de l'œuvre d'art Cette utilisation de plus en plus importante de l'informatique peut démultiplier les possibilités de l'artiste tant sur le plan de la technique que de la visibilité de son travail, ou devenir envahissante au point de submerger, voire de se substituer à l'artiste qui ne maîtrise plus son outil. De plus, le passage aux technologies numériques ne signifie pas seulement un changement d'outil. L'informatique modifie fortement les conditions d'existence de l'art en transformant les conditions de création mais aussi de perception. Il y a un écart plus important entre l'écoute musicale à travers un CD-ROM et l'écoute sur disque compact qu'entre cette dernière et l'écoute en concert. Cette modification agit donc à deux niveaux : celui des conditions de création et de perception mais aussi celui de la relation entre l'artiste, l'œuvre d'art et le spectateur. Ces modifications dues au numérique engendrent une transformation de l'état mais aussi du statut de l'œuvre d'art : 1. l'œuvre d'art numérique ou numérisée devient reproductible à l'infini sans perte de qualité et pratiquement gratuitement3 ; 2. la disponibilité de la musique s'étend à toute personne connectée sur Internet pour un prix dérisoire par rapport aux disques compacts ; 3. l'œuvre n'est plus dépendante d'un lieu ou d'une temporalité. La visibilité d'une œuvre d'art numérique peut se faire à partir de n'importe quel endroit du globe à n'importe quel moment (anamorphose du temps et du lieu) ; 4. la perception de l'œuvre est conditionnée par le support (CD-ROM, Internet) et la technologie de consultation (ordinateur). Dans le cas d'Internet, le réseau peut devenir lui-même le support de l'œuvre. Dans ce cas, l'œuvre n'est donc plus située dans un lieu précis (ordinateur serveur) mais elle se déplace. Il est probable que nous ne mesurons pas encore les implications de tels bouleversements dans la création et dans la perception de l'œuvre d'art. Il nous faudra de nombreuses années avant d'en constater les modifications. 2.2. La technologie parasite En observant la création numérique, il est aisé de constater les nombreux handicaps du son par rapport aux autres médias. En effet, là où la vidéo et la photographie jouent avec les défauts du support, notre perception supporte assez mal ces mêmes défauts dans le cas de la musique. De plus, confronté aux autres médias, le son passe au second plan. Bien souvent, celui qui consulte un CD-ROM ne se rend même pas compte de l'existence d'une musique. Cette partie va me permettre de cerner les différents problèmes techniques posés lors de l'écoute des musiques situées sur un ordinateur. 3. Malheureusement, cette possibilité bénéficie probablement bien plus au distributeur qu'à l'artiste luimême. Pierre Couprie, L’écoute individuelle et les technologies numériques - 53 2.2.1. Les conditions d'écoute et la qualité du son L'écoute est avant tout conditionnée par l'utilisation de l'ordinateur. Ecouter un son présent sur son ordinateur nécessite d'avoir au moins un casque audio et au mieux des enceintes. La musique du vingtième siècle exploite des configurations extrêmes du son dans le domaine du timbre (du son pur au bruit blanc), avec un ambitus d'intensité très important et un ambitus de hauteur allant des sons perceptibles les plus graves aux plus aigus. L'utilisation d'un casque audio ne permet pas de percevoir ces gammes de jeux imaginés par l'artiste. Mais, à l'opposé, les défauts de la compression du son4 sont particulièrement mis en évidence sur un dispositif de bonne qualité (carte son professionnelle et enceintes de bonne qualité). L'utilisateur averti est donc tiraillé entre la volonté d'écouter dans de bonnes conditions mais sans percevoir les défauts du son numérique compressé. Puisque la musique disponible en téléchargement ou insérée dans des documents multimédias (CD-ROM, sites Internet) est pratiquement toujours compressée5, il convient d'étudier la perte réelle de qualité occasionnée par cette compression. Le tableau 1 présente diverses qualités de compression du son en MP36. qualité échantillonnage mode taux de transfert ratio téléphone 2,5 KHz mono 8 Kb/s 96/1 supérieur au téléphone 4,5 KHz mono 16 Kb/s 48/1 radio AM 7,5 KHz mono 32 Kb/s 24/1 débit modem haut débit (câble, ADSL) radio FM 11,5 KHz stéréo 56-64 Kb/s 26/1 – 24/1 proche du CD 15 KHz stéréo 96 Kb/s 16/1 CD > 15 KHz stéréo 112-128 Kb/s 14/1 – 12/1 Tableau 1 : caractéristiques de quelques fichiers compressés MP37 Lors d’une compression, certaines fréquences, censées ne pas être perceptibles, sont supprimées. La figure 1 représente deux sonagrammes du même son à deux taux de 4. La compression du son est toujours utilisée dans les environnements multimédias. 5. Les autres médias (photographies, vidéo) sont aussi compressés. 6. Le MP3 (ISO-MPEG Audio Layer-3) est un format de compression du son inventé en 1987 et largement répandu sur Internet. Il devrait être remplacé par le MP4 (nommé aussi AAC). 7. « Audio & Multimedia MPEG Layer-3 », article en ligne sur : http://www.iis.fraunhofer.de/amm/ techinf/layer3/index.html 54 - Les pratiques d’écoute individuelles compression différent. Le second apparaît nettement incomplet par rapport au premier. Ce deuxième graphique correspond à un son écouté en flux continu8 sur Internet avec une connexion modem (la qualité est alors à peine supérieure au téléphone). La lecture du son sur un ordinateur, qu'elle soit réalisée à partir d'un fichier situé dans l'ordinateur ou à partir d'un fichier en cours de transfert depuis Internet, peut être interrompue si l'un des éléments de la chaîne de chargement (figure 2) est défaillant. MP3 - 44100 KHz - stéréo - 128 Kb/s MP3 - 44100 KHz - stéréo - 24 Kb/s Figure 1 : les sonagrammes d’un même fichier audio compressé en MP3 avec 2 taux de transfert différents Figure 2 : la chaîne de chargement et de lecture d'un document multimédia 2.2.2. L'interface et les actions de l'utilisateur Le deuxième point de perturbation de l'écoute est situé dans l'interface logicielle. La première étape consiste à trouver des musiques à écouter. Que ce soit sur Internet ou sur un CD-ROM, la recherche n'est pas évidente à mener. Jacques Perriault9, à propos d'Internet, met en évidence ce qu'il nomme la sérendipité. Il s'agit de trouver par hasard quelque chose d'intéressant que l'on ne cherchait pas. Ce peut être aussi le cas dans certains CD-ROM dans lesquels l'utilisateur ne peut que très difficilement se faire une image du plan global. Trouver une musique est alors l'aboutissement d'une exploration aléatoire des données. 8. Technique qui consiste à commencer la lecture d’un son avant son téléchargement complet. L’attente est alors réduite à quelques secondes. 9. PERRIAULT, Jacques, L'accès au savoir en ligne, Paris, Odile Jacob, 2002, 267 p. Pierre Couprie, L’écoute individuelle et les technologies numériques - 55 Lorsque la musique est intégrée à d'autres médias, le visuel tend à prendre une place beaucoup plus importante dans la perception. Les expériences réalisées lors de représentations graphiques de musiques électroacoustiques (figure 3) m'ont permis de remarquer que les utilisateurs avaient un repérage visuel des musiques. Ces représentations ont pour objectif de figurer les différents sons ou structures sonores par des formes géométriques. L'emplacement, le contour, la couleur et la texture des formes dépendent de critères analytiques précis comme la hauteur, le type de spectre, la morphologie dynamique, le grain ou l'appartenance à une même catégorie paradigmatique. L'auditeur est ainsi guidé dans une écoute analytique : la mémorisation et l'anticipation sont facilitées. Mais cette image graphique peut, dans certains cas, occuper une place très importante, voire se substituer à la musique : l'auditeur parlera alors du son vert en forme de bulle10. L'équilibre entre l'interface graphique et la musique est donc très difficile à réaliser car elle dépend des habitudes de l'utilisateur. Figure 3 : un exemple de représentation de la musique électroacoustique sur Internet11, Sud de Jean-Claude Risset L'interface contient aussi, dans certains cas, une possibilité de contrôler le son. Il existe trois types de configurations : 1. le son sans contrôle direct mais lié à une page, une image ou un texte. Lorsqu'un média apparaît, un son l'accompagne. L'utilisateur ne peut donc contrôler la lecture 10. François Bayle parle de la représentation graphique de la musique électroacoustique comme d'un leurre pour l'écoute (séminaire de l'Ina-GRM en ligne : http://www.ina.fr/grm/outils_dev/theorique/ seminaire/index.fr.html) 11. Reproduction avec l'aimable autorisation du GRM de l'Institut National de l'Audiovisuel : http:// www.ina.fr/grm/acousmaline/polychromes/index.fr.html 56 - Les pratiques d’écoute individuelles du son (généralement play et stop) qu'en agissant sur les autres médias. Le son en question n'est alors bien souvent qu'un simple accompagnement ; 2. le son avec un contrôle simple (play, stop et volume). De nombreux CD-ROM musicaux proposent ce type d'interface ; 3. le son au centre du dispositif avec une interface d'expérimentation. Le CD-ROM La musique électroacoustique12 de l'Ina-GRM propose à l'utilisateur d'expérimenter des technologies de transformation du son. La figure 4 représente un extrait du CD-ROM Prisma13 de Kaija Saariaho. L'utilisateur réalise une œuvre pour flûte et violoncelle en assemblant différents fragments composés pour le support multimédia. Ces deux exemples sont caractéristiques de ce type de dispositif. Figure 4 : Prisma, CD-ROM de Kaija Saariaho, un exemple d'interface dans laquelle la musique est au centre du dispositif14 3. UNE TYPOLOGIE DES PRODUITS NUMÉRIQUES Après avoir analysé les contraintes techniques de l'écoute dans un environnement numérique, je vais maintenant présenter différents produits multimédias (Internet et CDROM) en y détaillant la place de l'écoute. Trois configurations semblent émerger des nombreuses publications dans le domaine des musiques savantes actuelles : l'écoute seule, l'écoute d'accompagnement et l'écoute guidée. Chacune d'elle donne au son un rôle particulier à travers son articulation aux autres médias. 12. La musique électroacoustique, Paris, Ina-GRM/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC. 13. Prisma. L'univers musical de Kaija Saariaho, Paris, Finnish Music Information Centre/IrcamCentre Georges Pompidou/Chester Music, 1999, CD-ROM Mac et PC. 14. Reproduction avec l'aimable autorisation de Kaija Saariaho. Pierre Couprie, L’écoute individuelle et les technologies numériques - 57 3.1. L'écoute seule Cette première catégorie est la plus représentée sur Internet. Elle regroupe les sites permettant l'écoute de musiques par le biais du téléchargement ou de la lecture en flux continu. Le site Ubuweb (figure 5) est remarquable par la grande richesse des enregistrements qu'il offre. Les fichiers sont proposés aux formats MP3 et Real Audio et doivent êtres téléchargés. Ils sont aussi accompagnés de notices détaillées. Les sites de Ron Hannah15 et Thomas Moore16 permettent d'accéder à plusieurs centaines de sites de compositeurs. Ceux-ci proposent très souvent des extraits de leurs œuvres en format compressé. De même, sur les sites de musiciens, comme celui de l'ensemble Aleph17, il est facile de trouver des extraits de leurs enregistrements. Les ressources sonores sur la musique contemporaine ne manquent donc pas sur Internet. On peut toutefois regretter que les performances des connexions modem obligent souvent les administrateurs de sites à ne mettre en ligne que de cours extraits ou à compresser fortement les fichiers audio au point d'en dénaturer les qualités musicales. Les CD-ROM ne proposant qu'une écoute sans autres médias n'existent pas. Toutefois, il est possible de trouver, comme dans la partie “connaître” du CD-ROM La musique électroacoustique18, des juke-box dont l'utilité est de pouvoir écouter de nombreux extraits d'œuvres, voire des œuvres complètes, afin de découvrir les différentes facettes d'un genre musical. L'interface est alors simplifiée au maximum, le son est au cœur du dispositif. 3.2. L'écoute d'accompagnement Dans cette catégorie, le son est un des médias sans être prédominant. Il est même souvent secondaire. La relation entre les médias est variable : 1. le son n'est qu'un accompagnement ; les autres médias sont prédominants et le son peut être arrêté sans perturber la consultation du CD-ROM. C'est le cas le plus fréquent ; 2. le son est en relation avec le contenu des autres médias sans toutefois y être directement lié. C'est le cas du CD-ROM du MINT (figure 6) ; 3. le son alterne entre un lien indirect et direct avec les autres médias (CD-ROM sur le sculpteur Jean Tinguely19). 15. http://composers21.com/ 16. http://research.umbc.edu/~tmoore/musiclinks.html 17. http://perso.wanadoo.fr/aleph/ 18. La musique électroacoustique, Paris, Ina-GRM/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC. 19. Le musée Tinguely à Bâle, Suisse, Victory Interactive/Museum Jean Tinguely, 2000, CD-ROM Mac et PC. 58 - Les pratiques d’écoute individuelles Figure 5 : Ubuweb, un exemple de site proposant le téléchargement de fichiers MP3 sur la poésie sonore, la performance, Fluxus, etc.20 Figure 6 : le CD-ROM Rencontres entre musique et électronique du MINT21 20. Reproduction avec l'aimable autorisation d'Ubuweb : http://www.ubu.com/ 21. BATTIER, Marc, COUPRIE, Pierre, LANGLOIS, Philippe, Rencontres entre musique et électronique, Paris, OMF-MINT, 2000, CD-ROM Mac (inédit). Pierre Couprie, L’écoute individuelle et les technologies numériques - 59 Bien évidemment, ces trois options ne sont pas fixes et il n'est pas rare de les rencontrer toutes les trois dans un même produit. La dernière est très proche de notre catégorie suivante : l'écoute guidée. En effet, dans cette option, le contenu des autres médias peut servir de commentaire sur le son. 3.3. L'écoute guidée 3.3.1. Le ludique Les produits ludiques proposent de découvrir une ou plusieurs notions musicales par le jeu. Le site Internet de Philippe Lalitte sur Sud de Jean-Claude Risset en présente une analyse complète et très détaillée. Par ailleurs, il est complété par huit jeux d'écoute permettant de s'entraîner à l'identification des différents sons de l'œuvre. Figure 7 : jeux d'écoute à partir de l'analyse de Sud de Jean-Claude Risset par Philippe Lalitte22 22. Reproduction avec l'aimable autorisation de Philippe Lalitte : http://www.ac-dijon.fr/pedago/music/ bac2002/accueil.htm 60 - Les pratiques d’écoute individuelles Dans une direction identique, Kaija Saariaho23 (figure 4) propose à l'utilisateur de créer une œuvre à partir de fragments composés pour l'occasion. Ce jeu permet à l'utilisateur d'entrer d'autant plus facilement dans l'univers sonore de la compositrice. De même, le CD-ROM La musique électroacoustique24 intègre un mini-studio afin de s'essayer aux transformations sonores les plus utilisées par les compositeurs. Les Dix jeux d'écoute25 publié par l'IRCAM la même année et dans la même collection propose à l'utilisateur d'éduquer son oreille à travers l'association de critères d'analyse à des réalités sonores. Toutefois, il est regrettable que ce CD-ROM reste au niveau du sonore sans explorer le musical. L'ensemble des réalisations ludiques allie donc l'intérêt du jeu à une véritable expérimentation sonore. 3.3.2. Le didactique Les réalisations didactiques s'apparentent souvent à la publication sur papier plutôt qu'à un véritable travail multimédia. Toutefois, il y a quelques exceptions. Ainsi, les Clés d'écoute26, développées par le Laboratoire d'ethnomusicologie du Musée de l'Homme, proposent, à partir d'un thème comme le chant diphonique ou les polyphonies sardes, un parcours multimédia d'une dizaine de minutes. Ce parcours contient peu de texte et s'articule surtout à travers des exemples musicaux et du visuel (partitions, photographies, vidéos, graphiques, sonagrammes). Dans la même direction, Anne Aubert27 a réalisé dans son remarquable CD-ROM des analyses multimédias d'œuvres de 19 compositeurs. L'image à travers des plans fixes ou des animations, les textes, les photographies, les reproductions de partitions, les commentaires oraux et les exemples musicaux sont organisés, pour chaque analyse d'œuvre, sous la forme d'un parcours dans lequel sont détaillés plusieurs points précis. Ce CD-ROM est probablement l'une des meilleures réalisations en la matière. Dans ces exemples, le modèle du livre est cassé pour lui préférer celui d'une véritable publication multimédia. Toutefois, certains produits remarquables sont construits sur le modèle du livre : les analyses hypermédias28 comme celles réalisées par l'Atelier de Feuillantines (figure 8), le CD-ROM La musique électroacoustique29 de l'Ina-GRM, ou l'Encyclopedia Universalis30. Les analyses hypermédias (figure 8) sont pratiquement toujours réalisées sur le même modèle : une analyse découpée en pages selon différents chapitres (présentation, matériau, structure, etc.) avec une alternance entre le texte et des extraits de 23. Prisma. L'univers musical de Kaija Saariaho, Paris, Finnish Music Information Centre/IrcamCentre Georges Pompidou/Chester Music, 1999, CD-ROM Mac et PC. 24. La musique électroacoustique, Paris, Ina-GRM/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC. 25. Dix jeux d'écoute, Paris, Ircam/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC. 26. http://www.ethnomus.org/ecoute/index.html 27. AUBERT, Anne, Promenade en musique, Paris, Syrinx, 1998, CD-ROM Mac et PC. 28. COUPRIE, Pierre, Répertoire des analyses hypermédias disponibles sur Internet, 2003, OMFMINT, répertoire en ligne sur : http://www.omf.paris4.sorbonne.fr/ANAauteur.php3 29. La musique électroacoustique, Paris, Ina-GRM/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC. 30. Encyclopaedia Universalis, Paris, Encyclopaedia Universalis, 2002, version 8, CD-ROM Mac et PC. Pierre Couprie, L’écoute individuelle et les technologies numériques - 61 partitions ou de sonagrammes. Dans la partie centrale du CD-ROM La musique électroacoustique31, plusieurs musicologues et compositeurs ont réalisé des analyses avec des représentations graphiques de six œuvres32. Chaque œuvre est analysée et/ou représentée plusieurs fois par des personnes différentes. Certaines analyses sont purement graphiques, d'autres textuelles et d'autres encore allient le texte et le graphisme. La grande variété des approches donne à ce CD-ROM une incontestable valeur musicologique. Figure 8 : l'analyse de la La Rousserolle Effarvatte d'Olivier Messiaen par l'Atelier des Feuillantines (Paris – 5e arrondissement)33 Enfin, je terminerai cette présentation avec l'Encyclopedia Universalis sur CDDepuis un peu plus de trois ans, cette encyclopédie intègre un salon de musique dans lequel il est possible d'écouter de nombreux extraits d'œuvres en compulsant des notices sur les compositeurs, les genres musicaux ou les musiciens. La version 8 intègre aussi une analyse généalogique de 48 styles musicaux du XXe siècle. Les influences à ROM34. 31. La musique électroacoustique, Paris, Ina-GRM/Hyptique, 2000, CD-ROM Mac et PC. 32. Une première expérience avait déjà été réalisée dans ce sens à partir de musiques d'horizons très divers : BESSON, Dominique, Les Musicographies, Paris, Ina-GRM/Ville d'Echirolles/38es Rugissants, 1995, CD-ROM Mac (inédit). 33. Reproduction avec l'aimable autorisation de l'Atelier des Feuillantines : http:// atelier.feuillantine.free.fr/analyse/analyse.html 34.Encyclopaedia Universalis, Paris, Encyclopaedia Universalis, 2002, version 8, CD-ROM Mac et PC. 62 - Les pratiques d’écoute individuelles plusieurs niveaux sont visualisées par des lignes en pointillé et une notice accompagnée d'extraits musicaux est disponible pour chacun des styles. Les différents documents proposés pour compléter les extraits audio permettent d'enrichir considérablement l'écoute. 4. CONCLUSION Ce panorama des réalisations multimédias sur les musiques savantes actuelles n'est bien évidemment pas exhaustif d'autant plus que ce domaine évolue très vite grâce à Internet. Toutefois, je pense qu'il permet de se faire une image représentative de l'ensemble des produits. Finalement, le musicologue se trouve en face d'un dilemme assez complexe à résoudre. D'une part, les contraintes techniques pour la publication nécessitent un choix drastique des œuvres ou des fragments d'œuvres ainsi qu'un apprentissage des formats de compression et de publication. Mais, d'autre part, les avantages sont indéniables. En effet, la possibilité d'écouter, de lire un commentaire sur l'œuvre, voire d'en visualiser une représentation graphique est un excellent moyen, pour l'auditeur, d'entrer plus profondement dans l'œuvre, et pour le musicologue, de présenter d'une manière attractive son travail.