Université de Bourgogne
UFR de Sciences humaines
Département d'histoire
Année universitaire 2013/2014
Mémoire de Master 1 Recherche
en Histoire contemporaine
Le mouvement Punk Rock à Chicago
de 1979 à 1991
Présenté par :
BACHELET Rémy
Juin 2014
Sous la direction de Philippe Poirrier
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne
1
Remerciements :
Avant d'ouvrir ce mémoire, je souhaite remercier les personnes qui en ont permis la
réalisation. Leur aide m'a été d'un grand secours au cours de cette année de Master 1
recherche.
Je souhaite en premier lieu remercier monsieur Philippe POIRRIER dont l'expérience et
les conseils ont été de précieux alliés. Son aide m'a permis de réussir cette difficile
entreprise qu'est la rédaction d'un mémoire de recherche sur un sujet peu étudié par
l'historiographie nationale et internationale.
En second lieu, je remercie particulièrement Anne Sophie qui a toujours su m'aider
notamment dans la mise en page de ce travail ainsi que dans la relecture.
Ma famille a elle aussi toujours su me soutenir et m'a poussé à aller de l'avant et à ne
pas voir mes ambitions à la baisse. Je la remercie pour cela.
Les artistes et autres personnes cités dans ce mémoire m'ont tous inspiré, de manière
plus ou moins importante, et je tiens à les remercier pour cela.
Enfin, je remercie particulièrement l'équipe des enseignants en Histoire de l'Université
de Bourgogne. Leur travail de recherche et d'enseignement ont eu une grande influence
sur mon parcours universitaire.
2
Sommaire
Remerciements :..............................................................................................................2
Introduction :..................................................................................................................5
I.La musique Punk Rock à Chicago..............................................................................19
1.Une scène plus tardive................................................................................................19
a.Les influences musicales, l'importance des groupes centraux de la scène Punk Rock
.......................................................................................................................................19
b.Les vecteurs d'influences principaux : les fanzines....................................................22
c.L’apprentissage par la copie........................................................................................26
2.Une identité musicale.................................................................................................29
a.Des influences plus expérimentales............................................................................29
b.L'existence d'un son différent ?...................................................................................35
3.Le rapport à l'évolution musicale................................................................................39
II.Les composantes sociales et politiques du mouvement.............................................51
1.Le portrait des acteurs.................................................................................................51
a.Des participants plus éduqués ?..................................................................................51
b. La question du genre au sein de la scène Punk Rock de Chicago.............................55
c. Des figures centrales..................................................................................................60
2.Le discours politique...................................................................................................65
a.Les groupes engagés politiquement au sein de la scène Punk Rock de Chicago........66
b.Un non discours politique...........................................................................................70
c.L'importance du DIY, une volonté de contrôle économique et politique ?.................74
III. Les relations entre le mouvement Punk Rock de Chicago et son espace................82
1.Les liens entre les milieux Punk Rock nationaux et celui de Chicago.......................82
a.Une forte proximité entre les formations de Chicago et des états voisins du Middle
West...............................................................................................................................82
b.Le cas des acteurs s'installant à Chicago....................................................................88
2.La conscience d'une scène implantée localement.......................................................93
a.Le sentiment d'appartenance à une scène locale existe-t-il ?......................................93
b.Les lieux Punk Rock de Chicago..............................................................................100
Conclusion générale de notre analyse : .....................................................................108
3
Bibliographie :............................................................................................................115
Annexe n°1 :................................................................................................................126
Annexe n°2 :................................................................................................................128
Annexe n°3 :................................................................................................................130
Index lexical :..............................................................................................................131
4
Introduction :
Le 23 avril 1976 sort, aux États Unis dans un premier temps, l'album éponyme des
Ramones. Cité par les amateurs de musique Punk Rock ainsi que par la critique
musicale comme un des disques fondateurs du style musical qui nous intéressera tout au
long de notre travail. Mais si ce disque, tout comme le groupe qui l'a enregistré, sont au
centre du Punk Rock, il n'en est pas de même pour la scène de Chicago, tout du moins
pas à première vue. Une seule visite sur le site chartsinfrance.net nous montre en effet le
fossé médiatique séparant des groupes ayant acquis un statut culte au sein du milieu de
la musique Punk Rock tels que les Sex Pistols ou les Ramones des formations venant de
la ville de Chicago.
Notre étude n'aura pas pour but de montrer pourquoi une telle différence de succès
existe entre des groupes pourtant musicalement proches bien que des éléments de notre
réflexion nous proposeront des réponses mais d'étudier la scène Punk Rock de Chicago,
durant les années 80.
Présentation du sujet d'étude :
Dans un souci de clarté vis-à-vis du lecteur, nous allons donc définir dès maintenant
ce qu'est la musique Punk Rock.
Le Punk Rock est un mouvement musical né à New York dans le milieu des années
19701, trouvant ses origines auprès de groupes de Garage Rock de la fin des années
1960 comme les Stooges2 ou les MC5. Ces groupes développent une musique rapide et
agressive qui inspirera de nombreux artistes de Punk Rock. D'autres formations
musicales plus expérimentales, basées à New York, ont également une influence
importante sur les groupes de Punk Rock. C'est notamment le cas du Velvet
Underground, formé en 1965 ou du duo Suicide, formé en 1970.
De jeunes musiciens, amateurs des formations citées ci-dessus, créent ainsi une musique
nouvelle qui se veut différente du Rock qui triomphe durant les années 1970 3. La
1 Nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage de Christophe Pirenne de notre bibliographie, et notamment aux
pages 288 à 301.
2 En guise de preuves de cette influence, nous citerons les nombreuses reprises des Stooges, notamment
celle des Sex Pistols qui reprennent « No Fun » en 1977, présent en face B de leur single « Pretty
Vacant » paru chez Virgin Records.
3 Comme le précise Tommy Ramone, batteur du groupe Ramones, le but est de rompre avec le rock
5
technique musicale et la complexité mélodique se retrouvent relayées au second plan
afin de revenir aux bases du Rock4, c'est à dire une musique puissante et agressive. Ces
musiciens, comme Richard Hell par exemple, créent également un style vestimentaire
propre à ce nouveau mouvement musical en détruisant en partie leurs vêtements 5 et en
adoptant les blousons en cuir qui constitueront la tenue de scène des Ramones.
Le Punk Rock se développe également grâce à un lieu, le CBGB, un club de concerts
New Yorkais autour duquel se crée une véritable « scène » c'est à dire un ensemble de
groupes se connaissant et partageant des similarités musicales. Le plus célèbre d’entre
eux est incontestablement les Ramones, qui se forment en 1974 et enregistrent leur
premier album en 1976.
Mais le Punk Rock n'est pas un style musical cloîtré à la ville de New York et très
rapidement le mouvement se développe dans d'autres villes américaines mais aussi à
l'étranger. Les Sex Pistols, groupe de Punk Rock anglais, se forment en 1975 et les
Clash naissent l'année suivante. Ce mouvement culturel semble donc trouver un
véritable écho à l'étranger et les frasques médiatiques6 des Sex Pistols attirent l'attention
des médias du monde entier sur ce nouveau mouvement musical pourtant peu connu et
reconnu par les masses. Cette célébrité soudaine devient difficile à vivre pour nombre
de ces musiciens qui voient en la reconnaissance populaire 7 une contradiction avec le
but original du Punk Rock, c'est à dire créer une musique agressive, en marge de la
société.
Le Punk Rock se transforme alors, sous l'impulsion d'artistes désireux de toujours
créer une musique plus innovante. Aux États-Unis se développe le mouvement
4
5
6
7
hérité de Jimi Hendrix, Led Zeppelin, jugé trop complexe et trop éloigné du « vrai » Rock'N'Roll. Le
musicien précise alors : « Dès 1973, je savais que ce dont nous avions besoin était du Rock'N'Roll pur,
sans conneries. »
La plupart des compositions Punk Rock, notamment présentes sur les disques des années 1970,
présentent une structure simple, emprunté au Garage Rock des années 1960. Il s'agit alors de
compositions construites autour d'une alternance couplet-refrain et une signature en 4/4, très simple et
présentant peu de difficultés.
« Il [Richard Hell ] donna même une tournure artistique à son T-shirt déchiré et sa coiffure négligée
qui sera rapidement importée en Angleterre comme l’emblème du Punk » dans GENDRON Bernard,
Between Montmartre and the Mudd Club: Popular Music and the Avant-Garde, Chicago, University
of Chicago Press, 2002.
L'apparition télévisuelle des Sex Pistols le 1er décembre 1976 dans l'émission « Today » présenté par
Bill Grundy fut responsable d'une véritable tempête médiatique de plusieurs semaines au Royaume
Uni, le groupe ayant prononcé plusieurs insultes en direct à la télévision.
Signalons que les Sex Pistols sont, dès leur premier single, en contrat avec un label important, EMI,
puis avec Virgin et Barclay. Ces changements de label et la préférence des Sex Pistols pour les majors
fut vécu par certains musiciens comme une trahison de l'état d'esprit original du mouvement Punk
Rock.
6
« Hardcore » qui vise à radicaliser l'approche musicale du Punk Rock, le but étant de
créer une musique encore plus agressive et brutale afin de s'assurer que les médias ainsi
que les masses populaires ne puissent plus s'approprier le mouvement Punk Rock
comme cela a été le cas, selon ces artistes, par le passé. Des groupes comme Dead
Kennedys ou Black Flag, tous deux californiens, sont considérés comme les pionniers
de ce mouvement8. En parallèle à cette volonté de durcissement musical, d'autres
artistes ne vont pas hésiter à transformer le Punk Rock en le mariant à d'autres styles
musicaux afin de créer une musique expérimentale, originale et surtout très hétérogène.
Ce mouvement, le Post Punk, se développe tant aux États-Unis, notamment à New
York, qu'en Angleterre et ce de manière simultanée. S’il est difficile de définir le Post
Punk, cela est en partie dû au fait que tous ses représentants s'inspirent du Punk Rock
mais aussi de musiques diverses et variées. Le groupe Talking Heads marie avec brio le
Punk Rock et la musique Funk. The Fall, fondé en 1976, mais aussi Public Image
Limited, second groupe du chanteur des Sex Pistols, Johnny Lydon, appartiennent à la
mouvance du Post Punk britannique mais leur musique est tout aussi similaire et
différente à la fois que celle de Talking Heads.
Le mouvement Punk Rock s'exporte donc massivement dans de nombreux pays,
notamment Anglo-saxons et se transforme rapidement. Si la musique se transforme,
l'unité est alors à chercher majoritairement dans un état d'esprit commun à tous les
acteurs des scènes Punk Rock à travers le monde. Celui-ci se caractérise notamment par
de nombreuses désillusions artistiques, sociales et politiques9. Au « flower power » de la
génération des hippies succèdent ainsi le « no future » des Sex Pistols. Si cette formule
n'est pas adoptée par l'intégralité des groupes de Punk Rock pour définir ce mouvement,
il reste que son succès est important. Une autre caractéristique de ce nouveau
mouvement culturel est sa volonté d'indépendance, notamment artistique mais aussi
financière.
Nous venons de le voir, le Punk Rock est un mouvement musical qui évolue
rapidement et s'exporte tout aussi vite dans de nombreuses villes américaines dont
Chicago ne fait pas exception. Afin de nous concentrer de manière plus accrue sur notre
sujet, nous allons ainsi situer Chicago et apporter quelques éléments généraux de
8 Steven Blush, auteur de l'ouvrage « American Hardcore, une histoire tribale » évoque ces deux
groupes comme parmi les plus importants de ce mouvement, aux côtés de Minor Threat et Bad Brains.
9 Nous renvoyons le lecteur aux ouvrages de Christophe Pirenne et Simon Reynolds présents dans notre
bibliographie.
7
définition de cette ville afin d'aider le lecteur à mieux comprendre cet espace.
Chicago est une ville située dans l'état de l'Illinois. Elle est la capitale économique de ce
même état mais n'est pas la capitale politique, privilège qui revient à la ville de
Springfield. La population de la région métropolitaine de Chicago est de 8,5 millions de
personnes en 199510, ce qui en fait la troisième concentration urbaine la plus peuplée des
États- Unis. La ville est également la capitale économique de la région du Middle West
mais aussi culturelle et industrielle.
En effet, s’il est évident que Chicago ne jouit plus de la même puissance industrielle
qu'auparavant, notamment pendant le début du XXème siècle, la ville reste un centre de
production très important à l'échelle du pays mais aussi à l'échelle mondiale 11. Si les
productions industrielles plus traditionnelles comme la fabrication d'équipements
agricoles sont encore présentes dans la ville, des changements ont été opérés,
notamment dans la structuration de l'espace urbain, afin de libérer les quartiers des
nombreuses friches industrielles qui se dressaient auparavant.
Chicago est certes un centre industriel puissant, mais la ville reste également un
centre décisionnel tout aussi central, notamment grâce à l'importance des places
financières et des sièges sociaux installés au sein de la ville. En effet, 44 sièges des 500
premières compagnies industrielles avaient installé leur siège social à Chicago en 1993
contre 50 dans la métropole de New York12.
Enfin, il est frappant de constater que, malgré un dynamisme urbain faible, le
rayonnement de Chicago s'étend non seulement sur une part de l'Illinois mais aussi sur
une partie du Wisconsin, de l'Indiana et du Michigan. Se dresse alors un réseau urbain,
dense, relié à Chicago par de nombreuses voies de communication, principalement
autoroutières.
Il est évident que Chicago rayonne sur la région géographique du Middle West.
Celle-ci est une région, majoritairement rurale, qui s'étend, selon encyclopedia
universalis13 entre « les Appalaches et les montagnes Rocheuses, au nord de la rivière
10 Ces chiffres sont issus de l'ouvrage de Jacques Bethemont et Jean Michel Breuil intitulé Les États
Unis, une géographie régionale présentée dans notre bibliographie.
11 Nous renvoyons notre lecteur à l'ouvrage deJacques Bethemont et Jean Michel Breuil déjà évoqué,
« Les Etats Unis, une géographie régionale et notamment aux pages 95 à 104 qui concernent
spécifiquement la ville de Chicago. Les pages précédentes sont quant à elles consacrées aux états
centraux du Middle West.
12 Ces compagnies internationales basées à Chicago incluent Boeing, McDonald's et Abbott laboratories
par exemple.
13 Voir l'article « MIDDLE WEST », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 21 mai 2014.
8
Ohio et du 37e parallèle ». Selon le gouvernement fédéral, cette région comprend les
états du Dakota du Nord, du Dakota du Sud, de l'Illinois, de l'Indiana, de l'Iowa, du
Kansas, du Michigan, du Minnesota, du Missouri, du Nebraska, de l'Ohio et du
Wisconsin.
Cette zone est donc immense et est aujourd'hui considéré comme une idée
théorique plus que comme une réalité géographique, les conditions de vie de l’État du
Michigan ayant peu à voir avec celles du Nebraska par exemple. Il nous semble
cependant important d'ajouter que le Middle West est l'une des régions les plus
importantes des États-Unis, tant pour sa puissance industrielle que pour son importance
agricole. En effet, les états du Middle West sont des états agricoles par excellence,
produisant notamment beaucoup de céréales. Les propriétés immenses s'étendent sur la
majorité des espaces cultivables tant dans l'Illinois, état pourtant industriel comme nous
l'avons vu grâce à la présence de villes comme Chicago, que dans l'Iowa, état
relativement peu peuplé. La puissance industrielle du Middle West se développa au
cours du XIX ème siècle, notamment grâce à l'installation de nombreuses usines dans
les villes de Detroit dans le Michigan, Cleveland dans l'Ohio ou St Louis dans le
Missouri14.
Nous venons de constater que Chicago est une ville principalement ancrée
économiquement à l'espace du Middle West mais aussi à l'espace national et
international grâce notamment à l'importance des centres financiers présents dans la
ville15. L'importance de cette ville ne peut être ignorée et doit être prise en compte dans
notre sujet d'étude. En effet, nous l'avons également vu précédemment, le mouvement
Punk Rock se développe principalement dans les grandes villes américaines, tout du
moins dans un premier temps. Les villes de New York, Los Angeles et San Francisco
comptent en leur sein des formations qui deviendront, par la force des choses, des
groupes majeurs de ce mouvement culturel. Mais qu'en est il alors de la situation au sein
de Chicago ? Il semble logique qu'une scène Punk Rock se développe, au vu de la
population élevée mais aussi grâce à l'importance notamment des nombreuses
universités présentes dans la ville, la population prenant part à la création du
URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/middle-west/
14 L'article de Daniel Hartley, intitulé « Urban decline in Rust Belt Cities » cite Detroit ainsi que
Cleveland comme deux parmi les quatre villes industrielles les plus importantes du pays.
http://www.clevelandfed.org/research/commentary/2013/2013-06.pdf
15 La ville de Chicago compte en effet la plus vieille bourse de commerce du monde, la Chicago Board
of Trade, fondée en 1848.
9
mouvement Punk Rock étant majoritairement jeune16.
Il est en effet impossible de nier le fait que des amateurs de Punk Rock existent à
Chicago et ce dès la fin des années 1970 comme le prouve le fait qu'un groupe tel que
les Ramones se déplace dans la ville dès 197717. La même année, La Mère Vipère,
première salle de concert accueillant majoritairement des concerts Punk Rock, ouvre ses
portes tandis que se forme le groupe Immune System, l'un des premiers groupes si ce
n'est le premier à pratiquer une musique Punk Rock à Chicago. Mais la majorité des
groupes les plus importants naissent durant les premières années de la décennie 19801990 et les quatre formations centrales sont à n'en pas douter Articles Of Faith, formé en
1981, Naked Raygun, formé en 1980, The Effigies, formé en 1980 et Big Black, fondé
en 1981.
Ces quatre formations sont celles qui ont rencontré le plus de succès, tant critique
que populaire18. Notre étude nous obligera donc à nous concentrer sur ces groupes
même s’il est certain que nous ne nous contenterons pas de les étudier exclusivement.
Des formations musicales, moins connues et dont l'héritage fut moins important, seront
également étudiées et mises au centre de notre analyse. Nous étudierons ainsi cette
scène musicale dans son intégralité ou tout du moins tous les aspects que nos sources
nous permettrons d'étudier avec soin.
Notre étude débutera en 1979 puisqu'il s'agit de la date de parution du premier
numéro du magazine Touch & Go dont l'influence sur les groupes de Chicago est
fondamentale. Nous irons ainsi, grâce à nos sources, jusqu'au début des années 1990,
car cette décennie, et plus précisément les années 1991 et 1992, correspondent à une
période de changement dans la musique Punk Rock aux États-Unis mais aussi dans le
monde. En effet, un mouvement musical, très influencé par la musique Punk Rock,
notamment produite à Chicago mais aussi en Californie, explose médiatiquement grâce
au groupe Nirvana et à son second album, Nevermind, sorti en 199119. Ce style, nommé
« Grunge » et pratiqué par des groupes venant majoritairement de Seattle et de sa
16 Cette affirmation est une thèse centrale de l'ouvrage de Dick Hebdige Sous cultures, le sens du style
cité en bibliographie.
17 Le groupe se produit en effet le 6 juillet 1977 à Chicago comme le précise Jim Bessman dans son
ouvrage Ramones, An American band paru en 1993.
18 L'importance de ces groupes est notamment attesté par les carrières importantes de certains des
musiciens ayant appartenu à ces formations mais surtout par la quantité impressionnante d'interviews
disponibles sur internet de ces mêmes musiciens.
19 Michael Azerrad, dans son ouvrage Come as you are : the story of Nirvana publié en 1993 estime que
l'album se vend à 300 000 exemplaires par semaine durant les premiers mois de l'année 1992.
10
région, accélère la carrière de nombreux musiciens, dont certains appartenant à la scène
de Chicago en leur permettant, par le biais d'interviews de Kurt Cobain notamment, de
signer des contrats sur des majors du disque. De plus, la majorité des groupes de
Chicago, dont les quatre plus importants que nous avons cité précédemment, n'existent
plus en 1992. La situation change donc du tout au tout et c'est pour cela que nous avons
choisi d'étudier ce mouvement culturel au sein de ces bornes chronologiques.
Présentation critique des sources :
Il nous semble logique de présenter les sources que nous utiliserons afin d'étudier
au mieux ce mouvement musical. Ces sources sont multiples et amènent chacune une
réflexion importante et un regard unique sur celui-ci.
Les informations proviennent ainsi majoritairement de magasines musicaux, imprimés
de manière artisanale par les amateurs de musique Punk Rock, nommés fanzines. Ces
fanzines fournissent un regard unique sur les acteurs musicaux de ces mouvements peu
exposés aux regards des critiques travaillant pour les magasines dits « traditionnels ».
Cependant, ces fanzines souffrent d'un manque d’accessibilité pour l'historien, dû à leur
faible distribution notamment mais également à leur durée de vie souvent faible dû au
manque d'archivage de ces journaux. Le magasine Touch & Go, servant de source
principale à notre travail de recherche, n'a ainsi été édité que de 1979 à 1983, pour un
total de 22 numéros20.
L'utilisation d'internet a donc été centrale afin de remédier à la difficulté d'accès à
ces sources puisqu'un certain nombre de ces fanzines peuvent se trouver, en partie le
plus souvent, sur internet. Les interviews citées dans notre bibliographie ont donc été,
pour une grande partie, retrouvées grâce à ce moyen. En effet, de nombreux amateurs
collectionnant ces périodiques mettent tout simplement en ligne sur leurs sites
personnels des interviews dans une volonté d'archivage de la scène Punk Rock locale ou
nationale. Ces initiatives sont souvent personnelles et ne dépendent d'aucune volonté
institutionnelle et sont donc relativement rares.
La presse musicale plus traditionnelle, éditée au niveau national ou international ne
20 Voir l'ouvrage Touch and Go : the Complete Hardcore Punk Zine '79-'83 cité dans notre bibliographie
compilant les 22 numéros de ce magazine, édité sous le contrôle des fondateurs même du magazine,
Tesco Vee et Dave Stimson.
11
nous aura été que d'une aide réduite pour se renseigner sur les groupes de Punk Rock de
Chicago mais se révéla précieuse lorsqu'il s'est agi de trouver des informations sur les
formations de Punk Rock rencontrant un succès massif.21
Au centre de nos sources se situent également les disques de musique Punk Rock
qui nous ont fournis des informations bien plus nombreuses que ce que nous aurions pu
espérer. La musique en elle-même est tout d'abord une source que le sujet ne nous
permet pas d'ignorer et celle-ci sera analysée en mettant en avant des instrumentations
originales mais aussi des volontés de production sonore originale.
Les disques ne sauraient être analysés pour eux-mêmes cependant. Les pochettes et
autres « inserts » sont des sources que notre réflexion prendra en compte puisque ceuxci nous renseignent sur le groupe, nous apprenant le nom des membres, mais aussi les
lieux d'enregistrement, la date de ce même enregistrement, la façon dont ce dernier s'est
déroulé. Il n'est pas rare que les « inserts »22 servent de lieux d'expression pour le groupe
sur le milieu de la musique par exemple.
Les paroles seront aussi une source centrale puisque celles-ci sont indissociables de
la musique et donc de notre analyse. Il s'agira ainsi de les étudier afin de comprendre si
celles-ci sont, à la manière des paroles de Bob Dylan par exemple, la tribune pour un
combat politique ou social ou, au contraire, si celles-ci n'ont qu'un but artistique. Dans
les deux cas, il nous faudra déterminer les thèmes abordés en priorité par ces groupes en
nous aidant des interviews lorsque cela est nécessaire.
Les documents vidéos ont également trouvé leur place, plus restreinte que les autres
sources, dans notre analyse23. Trouvables sur internet, de nombreuses prestations de
groupes de Punk Rock, venant de Chicago ou non, nous auront permis de comprendre
par exemple le succès, ou l’absence de succès, de chacun de ces groupes mais aussi les
conditions dans lesquels ceux-ci jouent. Le public, souvent muet au sein des sources,
trouvent ici une manière de s'exprimer puisque les réactions et danses sont originales au
mouvement Punk.
21 La presse musicale anglaise, notamment les magazines Sounds(1970-1991) et Melody Maker (19262000) couvrent de manière importante le mouvement Punk Rock, notamment au niveau national et ce
dès la fin des années 1970.
22 Les inserts sont des feuilles, la plupart du temps en papier glacé, qui sont glissés à l'intérieur des
pochettes en carton, avec le disque. Celles-ci permettent de noter les paroles, le nom des membres du
groupe, le lieu d'enregistrement ainsi que la date ainsi que toute information que le groupe juge
nécessaire.
23 Les sites de partage vidéo permettent aujourd'hui de retrouver des documents intéressants notamment
des représentations lives des groupes cités ici mais aussi des interviews par exemple.
12
Enfin, des témoignages directs d'acteurs mais aussi d'observateurs de la scène Punk
Rock américaine et britannique nous serviront de sources24, nous apportant dans un
premier temps des informations pratiques, notamment événementielles, sur ces
formations mais aussi sur les musiciens, dans leur vie privée tout comme dans leur vie
artistique. De plus, les rédacteurs de ces textes étant souvent des amateurs de musique
Punk Rock, leur ton, lorsqu'il est critique ou élogieux, nous renseigne sur les valeurs de
ce groupe social.
Afin d’apporter une analyse plus critique sur ces sources, nous nous devons de
prévenir le lecteur que celles-ci sont relativement rares et difficilement exploitables,
compte tenu notamment de leur parti pris très fort. La rareté de ces sources nous a de
plus posé des problèmes puisque de nombreux autres éléments auraient mérité une
analyse plus approfondie que nous n'avons pu effectuer ici par manque d'informations.
Enfin, la faible importance démographie et médiatique de la scène Punk Rock de
Chicago, notamment durant la première moitié des années 1980, ne fait qu'ajouter à ce
manque de sources qui nous a posé un dernier problème qui est la représentation de
certaines formations. En effet, les groupes les plus importants sont représentés de
manière tout à fait correcte dans les entretiens mais d'autres groupes, moins importants
et donc moins reconnus, sont partiellement ou totalement absents des sources, ne nous
permettant pas alors de les incorporer à notre étude. Il est donc important que le lecteur
garde en tête que ce travail a été réalisé avec des sources peu nombreuses et que nous
avons choisi de nous baser sur ce que nous pouvions affirmer avec force afin de ne pas
prétendre soutenir des théories pour lesquelles nous ne pouvions présenter de preuves
écrites.
Historiographie du sujet :
Les travaux historiques relatifs à ce sujet, précisément sur la scène Punk Rock de
Chicago, sont inexistants en langue française. De la même manière, les travaux
académiques, historiques ou sociologiques sur le milieu du Punk Rock américain sont
24 Nous faisons ici référence aux écrits de certains acteurs musicaux, parmi lesquels l'ouvrage de
Michael Azerrad, primordial au sein de notre analyse, intitulé Our Band Could Be Your Life : Scenes
from the American Indie Underground, 1981-1991 et publié en 2001. Cet ouvrage, basé sur des
interviews, des sources similaires aux nôtres ainsi que sur les souvenirs de l'auteur, entend décrire la
carrière de dix formations musicales américaines et indépendantes.
13
rares en langue française ce qui nous a conduit à nous tourner vers les travaux de
chercheurs anglophones. Les universités américaines et anglaises produisent en effet
une masse d'écrits sur ces sujets bien plus importants et ce, dès les premières années
d'existence de ce mouvement culturel. L'ouvrage de 1979 de Dick Hebdige, intitulé
« sous culture : le sens du style » et ayant pour sujet les différentes sous cultures
anglaises dont le Punk Rock est souvent considéré comme l'un des ouvrages fondateurs
non seulement des études de ces cultures mais aussi d'une étude plus académique du
mouvement Punk Rock. Nous avons cependant, après la lecture de cet ouvrage, était
confronté à un véritable problème. En effet, la majorité des travaux portant sur le
mouvement Punk Rock traitent en premier lieu des groupes venant du Royaume-Uni, ce
qui n'est pas notre cas puisque nous avons choisi de nous intéresser au cas de la musique
Punk Rock venant des États Unis. Ce premier manque de production d'écrits sur la
scène Punk Rock américaine nous est donc apparu comme un premier obstacle qu'il
nous a fallu franchir de la meilleure manière possible, ceux-ci n'étant en effet pas
inexistants mais restant relativement rares, la plupart du temps existant uniquement sous
la forme d'articles dans des revues diverses. Parmi les exemples importants, nous
citerons la revue « volume ! », revue française dont la ligne d'édition est d'étudier les
musiques populaires et actuelles sous différents angles, notamment en s'inspirant des
écrits des cultural studies afin de permettre une lecture plus sociologique de ces
mouvements culturels. Cependant, la revue « volume ! » semble être une exception
puisque la ligne éditoriale est ici basée sur l'étude de la musique et la langue de
rédaction est le français, deux particularités qui sont relativement rares dans notre
domaine de recherche. Ainsi, afin de nous documenter sur notre sujet, nous avons dû
nous contenter de trouver des articles dans des revues diverses dont la ligne éditoriale
est éloignée de notre sujet. Un exemple parmi celles-ci est la revue anglaise « Women's
Studies » publiée par l'université de Durham dans laquelle, dans le numéro 41:2,
consacré aux femmes dans le mouvement Punk Rock, nous avons trouvé de nombreuses
informations. Ceci n'est qu'un exemple parmi tant d'autres d'articles relatifs de près ou
de loin à notre sujet qui parsèment les productions intellectuelles au sein de nombreuses
revues.
Nous le constatons la production académique autour du mouvement Punk Rock,
notamment américain, est faible malgré le nombre de groupes, importants, ayant
14
participé durant les années 1980 à l'émergence de ce genre. Afin de nous renseigner sur
notre sujet et de comprendre de quelle manière nous devions l'aborder, nous avons alors
lu des ouvrages sur le mouvement Anglais, notamment celui de Dick Hebdige mais pas
uniquement comme le montrera notre bibliographie, afin de comprendre comment une
telle étude doit être menée. Cependant, afin de nous renseigner sur notre sujet d'étude, et
plus particulièrement sur la scène Punk Rock américaine et de Chicago, il nous a fallu
faire appel à des ouvrages rédigés par des auteurs n'appartenant pas au monde
universitaire. Il convient cependant de mettre au premier plan la qualité de certains de
ces travaux. En effet, de nombreux acteurs du mouvement Punk Rock mettent un point
d'honneur à archiver ce mouvement culturel riche. Ces travaux sont alors basés sur des
recherches sérieuses, la plupart du temps faisant appel aux mêmes procédés que ceux
utilisés par les sociologues. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer la sociologie participative
afin de comprendre le milieu dans lequel évoluent les musiciens, car la plupart de ces
auteurs sont en réalité en premier lieu des acteurs de la scène qui décident de la
documenter quelques années après les faits. Nous pouvons ici citer l'excellent ouvrage
de Steven Blush intitulé American Hardcore, une histoire tribale publié en 2001 et
traduit en 2010 en français grâce à la maison d'édition Camion Blanc qui tente
d'apporter un point de vue sur la scène Punk Rock américaine entre 1980 et 1986.
L'acteur participa lui aussi à la construction de ce mouvement en tant que musicien
notamment et souhaite transmettre de la manière la plus précise les faits dont il a été
témoins et ce, de façon encyclopédique, chronologique et exhaustive. En effet, chaque
scène régionale est abordée et décrite, des questions sociales y sont évoquées comme
l'importance du sexe des participants, de la violence au sein de ce milieu. De manière
assez similaire aux sociologues également, l'acteur donne la parole aux participants
grâce à des interviews, croisant les points de vue en permettant à chacun de décrire sa
manière de voir les choses et ainsi ne pas montrer une histoire unique et biaisée du
mouvement Punk Rock. La dimension exhaustive de cet ouvrage s'étend même
jusqu'aux productions discographiques puisque l'auteur inclue une discographie
sélectionnée ayant l'ambition de présenter tous les disques de Punk Rock américain
enregistrés durant cette période et cités dans son ouvrage.
Les productions non académiques ont donc été au centre de nos lectures plus encore
que les livres produits par des chercheurs lorsqu'il a s'agit de se renseigner de manière
15
factuel sur le sujet.
Enfin, nous préciserons que les acteurs du mouvement Punk Rock prennent depuis
quelques années conscience de l'importance d'archiver les documents et les faits relatifs
à ce mouvement culturel. Cependant, ces intentions sont personnelles et peu suivies. Il
s'agit alors la plupart du temps de mettre en ligne différentes photos, articles ou flyers.
Malheureusement, ces initiatives sont peu reconnues, notamment par les chercheurs qui
n'utilisent que peu ces nouveaux éléments mais aussi par le public qui ne semble que
modestement intéressé par celles-ci. Ainsi, la photographe Marie Kanger Born, grâce à
son site http://www.chicagopunkpix.com/, prit l'initiative de mettre en ligne et d'archiver
de nombreuses photos, flyers et fanzines de la scène Punk Rock de la ville de Chicago
datant des années 1980. Cependant, devant le peu d'attentions que son projet suscita, de
la part notamment des personnes engagées dans ce milieu, celle-ci décide de le stopper
et de supprimer les différentes images et textes mis en ligne.25
Nous avons donc, au cours de notre analyse, été confronté à un double problème,
celui de nous renseigner sur une scène locale peu importante et peu documentée et celui
de savoir comment étudier cette même scène sans avoir d'exemples d'études
académiques se rapportant à notre sujet. Il nous a alors paru naturel de prendre exemple
sur les écrits académiques afin de comprendre de quelle manière nous devions analyser
les faits, faits que nous avons trouvé dans les ouvrages produits par les acteurs de la
scène, ceux ci se révélant la plupart du temps des sources très sérieuses et le plus proche
possible de l'exhaustivité factuelle.
Annonce du plan et de la problématique :
Notre analyse portera ainsi sur la scène Punk Rock de Chicago. Nous tenterons de
démontrer s’il est ou non possible de parler d'une « scène Punk Rock » pour la ville de
Chicago. Cela passera ainsi par la démonstration de l'existence ou non d'une identité,
musicale ou autre, unique au sein de cette ville. Notre plan nous permettra ainsi de
répondre à une question simple : existe il une scène Punk Rock à Chicago, c'est à dire
un ensemble de groupes présentant d'importantes similarités notamment musicales,
idéologiques ou sociales par exemple ou au contraire, cet ensemble de groupes existants
25 Cette information nous a été confirmé par Marie Kanger Born à la suite d'un entretien par mail qu'elle
nous a demandé de ne pas rendre public pour des raisons personnelles.
16
durant la même période est il simplement un agrégat de formations diverses trop
différentes pour être considérées comme appartenant à un groupe commun ?
Notre première partie de démonstration étudiera la scène Punk Rock de Chicago
dans sa dimension musicale. Nous verrons tout d'abord que la scène de Chicago est en
réalité une scène plus tardive que les autres scènes. En effet, si nous venons de voir que
le Punk se développe dès la fin des années 1970 à Chicago, les groupes les plus
importants naissent dans le début des années 1980. Ce retard, même s’il est léger, est
pourtant important dans un mouvement aussi rapide et impulsif que celui du Punk Rock.
Nous verrons ainsi que cette jeune scène est notamment sous l'influence de nombreux
groupes formés quelques années auparavant, venant de villes diverses et variées,
notamment Washington mais aussi de Californie. Nous tenterons de comprendre de
quelle manière ces influences parviennent jusque Chicago, car un mouvement culturel
ne peut pas se créer à partir de rien. Il s'agit ainsi de montrer l'importance des concerts
d'autres formations Punk Rock n'étant pas originaires de la ville de Chicago mais aussi
le rôle central des fanzines par exemple. Nous tenterons également de voir s’il est
possible de définir une identité musicale spécifique à la scène Punk Rock de Chicago ou
si au contraire cette spécificité vient de son absence d'hétérogénéité musicale. Ces
différences viennent ici aussi des influences des mouvements musicaux expérimentaux
sur les nouvelles formations de la ville de Chicago car, en parallèle du mouvement Punk
Rock se développent de nouveaux mouvements musicaux qui sont liés, de près ou de
loin, à celui-ci et qui inspirent les musiciens.
Lors de notre seconde partie de démonstration nous nous attarderons sur les
composantes sociales et politiques de ce mouvement. Dans la veine des membres des
cultural studies, nous étudierons ce mouvement non pas comme un simple genre
musical en nous basant uniquement sur une étude de la forme mais comme un courant
culturel complexe, révélateur d'une époque donnée et de la vision qu'en ont certains
groupes sociaux, ici en l’occurrence les Punks de la ville de Chicago. Nous tâcherons
ainsi de déterminer qui sont ces acteurs du mouvement Punk Rock local en nous
demandant si ceux-ci viennent bien de la ville de Chicago ou non mais aussi quel rôle
ont joué leurs études dans leur formation artistique. Nous établirons également quel est
leur lien à cette musique, de quelle manière ils ont découvert celle-ci et quelle a été le
rôle de la musique Punk Rock dans leur vie, de manière professionnelle ou non. Nous
17
constaterons également que la question de l'âge des protagonistes est centrale surtout
pour un courant musical qui se veut radical et cette question, liée à celle de l'éducation,
nous amènera à avancer des explications permettant de comprendre la spécificité des
groupes de Chicago. Les questions du sexe des acteurs sont également primordiales et
nous tenterons ici d'analyser non seulement la proportion de femmes au sein du
mouvement mais aussi le rapport à celles-ci qu'en ont les groupes. Le discours politique,
ou son absence dans certains cas, sera également partie intégrante de notre analyse afin
de comprendre si oui ou non le mouvement Punk Rock de Chicago est politisé ou non,
de quelle manière et jusqu'à quel point. Toutes ces analyses ne seront pas faites de
manière indépendante puisque chaque point ici évoqué est lié, de près ou de loin, à
d'autres détails que nous traiterons de la façon la plus complète possible.
Enfin, notre troisième partie d'analyse nous permettra d'analyser la pertinence, ou
non, d'une existence d'une scène Punk Rock de Chicago.
Nous constaterons que le Punk Rock est un mouvement culturel qui investit l'espace de
la ville, notamment grâce aux salles de concerts. Nous tenterons de définir dans quels
quartiers celles-ci se situent. Nous montrerons également que la scène Punk Rock de
Chicago est autant liée à celle des états du Middle West que ne l'est n'importe quel
aspect économique de la ville. Cette proximité avec les groupes du Middle West n'est
pas sans rappeler les connexions entre les différentes scènes que nous évoquerons en
première partie de notre analyse, notamment lorsque nous parlerons des influences
musicales des musiciens. S'ouvre alors l’hypothèse qu'une scène Punk Rock, notamment
celle de Chicago, n'existe que grâce à la réalité géographique et non pas grâce à une
proximité stylistique. Enfin, il nous sera indispensable de conclure sur la reconnaissance
des groupes eux-mêmes de cette scène. En effet, ceux-ci évoquent-ils une scène de
Chicago, du Middle West, Américaine ou aucune ? S’ils évoquent une scène de
Chicago, la définissent-t-elle grâce à une approche géographique, laissant entendre
qu'aucune unité stylistique, sociale ou même éthique n'est envisageable ou au contraire,
voient ils en l'ensemble des amateurs et groupes une scène unie ? Toutes ces questions
seront traitées dans notre dernière partie.
18
I. La musique Punk Rock à Chicago
1. Une scène plus tardive
Au cours de cette partie, nous allons tenter de comprendre quelles sont les
influences principales du milieu Punk Rock de Chicago mais également grâce à quels
vecteurs d'influences celles-ci parviennent jusqu'aux musiciens de la ville. Nous nous
demanderons également quelle place joue la copie dans l'apprentissage musical pour ces
mêmes musiciens.
a. Les influences musicales, l'importance des groupes centraux de la scène
Punk Rock
La scène de Chicago est certes une scène riche et intéressante, forte de nombreuses
personnalités que nous évoquerons tout au long de notre travail mais il est également
évident que les grands groupes de Punk Rock, anglais et américains, ont beaucoup
influencé cette scène locale, de la même manière qu'ils l'ont fait partout dans le monde.
Car le Punk Rock est un genre musical qui se répand à travers le monde notamment
grâce à l'influence de ses groupes les plus importants parmi lesquels les Ramones mais
aussi les Sex Pistols. Nous tenterons ainsi de déterminer quels furent les groupes qui
eurent l'influence la plus importante sur les musiciens de Chicago.
Nous l'avons vu, ce sont les groupes les plus importants du mouvement Punk Rock
qui semblent avoir eu l'influence la plus importante. Tout d'abord, la plupart des
musiciens découvrent la musique Punk Rock grâce à des groupes ayant une influence
internationale, parmi lesquels les Ramones ou les Sex Pistols.
Il est ainsi notable que lorsqu'on lui demande quel groupe lui a donné envie de se
tourner vers la musique que Steve Albini cite-les Ramones.1 Ceux-ci, tournant de
manière intensive, semblent avoir influencé un nombre important de musiciens, grâce à
leurs prestations énergiques mais également au volume sonore dégagé lors de ces
concerts. Jeff Pezzati, chanteur du groupe Naked Raygun, dans une interview récente,
tente de se remémorer son premier concert et évoque les Ramones mais aussi les
Buzzcocks, formation de Punk Rock anglais parmi les plus populaires aux USA mais
1
Interview de Steve Albini datant du 23 Mars 2005 donnée pour le blog « Random outbursts of a
frustrated nomad » http://mindhorn.blogspot.fr/2005/03/steve-albini-interview.html
19
aussi en Europe. 2
Si les artistes les plus populaires du Punk Rock ont bien une influence indiscutable,
ce sont les groupes moins connus, mais tout aussi intéressants, qui furent les plus
influents pour la scène de Chicago. En effet, comme nous l'avons vu, les milieux Punk
Rock Californiens mais aussi originaires de Washington et de New York sont parmi les
plus importantes du pays. Les groupes phares de ces régions ne peuvent prétendre avoir
la popularité d'artistes tels que les Sex Pistols ou les Buzzcocks mais leur influence fut
tout aussi grande notamment grâce à des tournées passant par la ville de Chicago.
Il en va ainsi de nombreux groupes de Washington, ville comptant un grand nombre de
formations Punk et ce dès la fin des années 1970. Ce succès pour les groupes de la
capitale étonne d'ailleurs les propres acteurs de cette scène, ceux-ci étant persuadés que
personne ne s'intéresse à leurs productions musicales.3 Même si le fanzine Touch & Go
n'est pas rédigé par des acteurs directs de la scène de Chicago, l'influence de ce fanzine
et du label qui porte le même nom est indéniable et nous y reviendrons notamment dans
notre dernière partie. Si ce soutien de la part des amateurs de Punk Rock de la ville de
Chicago et même du Middle West surprend dans un premier temps les musiciens de
Washington, elle n'est en réalité pas originale puisque les contacts entre groupes et
artistes des différentes régions des États Unis sont légions. La scène de Washington
nous fournit d'ailleurs un excellent exemple puisque le chanteur Henry Rollins,
originaire de la capitale, rejoint le groupe californien Black Flag après avoir assisté à
l'un de leurs concerts en 19814.
L'influence de ces groupes venant d'autres régions est multiple, puisque celle-ci
passe à travers les disques mais aussi les concerts. Steve Albini explique ainsi que, en
entrant à l'université de Chicago, il se rend à tous les concerts de Punk Rock donné dans
la ville. Certains des groupes qui influenceront Big Black ainsi que Rapeman, ses deux
formations musicales, se retrouvent dans la liste des artistes qu'il a vu se produire en
live lors de son année d'arrivée à Chicago. Parmi ceux-ci se trouvent Flipper,5 un groupe
2
Interview de Jeff Pezzati à l'occasion de la réunion de Naked Raygun mise en ligne le 18 septembre
2003 sur le site internet Denver Westword :
http://blogs.westword.com/backbeat/2013/09/riot_fest_interviews_naked_raygun.php
3 Voir l'interview de Ian Mackaye au début de l'ouvrage Touch and go, the complete hardcore punk zine,
1979 – 1983 mentionnée dans la bibliographie.
4 Nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage de Steven Blush, American Hardcore : une histoire tribale
mentionné dans notre bibliographie et notamment au chapitre centré autour du groupe Black Flag (p.
105 à 159.)
5 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad mentionné dans notre bibliographie à la page 314.
20
originaire de San Francisco qui influence non seulement ses formations musicales mais
d'autres groupes comme Naked Raygun ou The Effigies. La particularité de Flipper sont
les compositions lentes du groupe qui, au début des années 1980, sont un véritable choc
pour la scène Punk Rock qui comprend que l'agressivité musicale peut également venir
de tempi lents et angoissants.
Nous constatons que la scène Punk Rock de Chicago trouve son inspiration grâce à
un grand nombre de formations musicales sans véritablement se préoccuper de leurs
provenances géographiques. En réalité, ce que nous pouvons constater pour la scène de
Chicago mais qui serait également existant pour la scène Californienne ou de
Washington sont des liens forts entre les différentes groupes de Punk Rock,
particulièrement à l'échelle nationale. En effet, la solidarité semble être une qualité
primordiale parmi les formations Punk Rock. Comme le dit Ian MacKaye, celui-ci
envoie les démos de son premier groupe au fanzine Touch & Go, car celui-ci connaît le
fanzine et sait qu'il en fera une chronique qui sera lue dans le Middle West, ouvrant peut
être la voix à un succès autre que local. 6
Les influences de la scène de Chicago sont donc multiples et surtout celles-ci sont
internationales, malgré le fait que nous n'ayons abordé ici que celles appartenant au
mouvement Punk Rock, les groupes influents sur cette scène et jouant des musiques
autres seront en effet évoqués dans une autre partie afin de comprendre d'où viens le son
si original de certaines formations musicales de la ville de Chicago.
Nous pouvons également voir, à l'issue de cette sous partie, que les influences Punk
Rock et surtout la manière dont celles-ci se propagent jusque la ville de Chicago ne sont
que peu originales. En effet, les liens entre les différents groupes Punk Rock et
Hardcore éparpillés à travers le pays sont monnaies courantes durant les années 1970,
1980 et 1990, notamment par l'intermédiaire des fanzines mais aussi des tournées, des
échanges de lettres et de disques entre musiciens ainsi que grâce aux disquaires qui
vendent des disques de Punk Rock de tout le pays mais aussi des disques importés
d'Angleterre. Il serait alors faux de croire qu'un mouvement local vivant en autarcie
existe, à Chicago, Washington ou dans tout autre ville. La situation est en réalité le
contraire puisque les liens, musicaux ou non, sont nombreux entre les groupes de Punk
Rock à l'échelle nationale.
6 Voir l'interview de Ian MacKaye présente dans l'ouvrage Touch and go, the complete hardcore punk
zine, 1979 – 1983 mentionné dans la bibliographie.
21
Les concerts donnés par un groupe étranger à la ville sont d'ailleurs l'occasion
d'échanger entre musiciens, de se donner rendez vous lors des prochaines tournées dans
la ville d'origine du groupe jouant le soir et de tisser des liens de sociabilité. Il est
d'ailleurs vraisemblable que le Punk Rock devienne un outil de sociabilité pour certains
jeunes marginaux qui trouvèrent, grâce à ce mouvement solidaire et soudé, une manière
de trouver une place qui leur échappait jusque-là.
Les formations musicales des autres zones géographiques sont donc tout autant des
influences musicales que des camarades et des relations. Ceux-ci permettent de monter
des tournées en commun7, puisqu'il est très fréquent qu'un groupe local fasse la première
partie d'un groupe « étrangers » à la ville. L'entraide passe également par le prêt de
matériel, l'accueil des musiciens qui ne peuvent se permettre de loger à l'hôtel et même
l'offre du gîte et du couvert.
La relation devient alors plus personnelle que ne peux l'être une relation entre
simples groupes influencés et groupes influents puisque des relations personnelles se
tissent. Plus qu'une influence dans le sens premier du terme, il nous semble plus exact
de parler d'émulation entre chaque groupe et entre chaque scène locale. Chaque
formation s'inspire ainsi tant de groupes importants mais aussi d'amis et de groupes
proches stylistiquement. Attardons-nous maintenant sur les différents éléments qui
permettent aux musiciens de prendre connaissance de ces influences, notamment les
fanzines mais aussi les radios.
b. Les vecteurs d'influences principaux : les fanzines
Il est évident que les jeunes musiciens doivent découvrir par un moyen ou un autre
la musique Punk Rock. Cette partie nous montrera par quels moyens les jeunes
musiciens ou futurs musiciens découvrent ce mouvement musical.
Le principal vecteur d'influence reste la presse musicale. Cependant, la presse
musicale traditionnelle couvre de manière très superficielle, tout du moins dans les
premières années, le mouvement Punk Rock. De plus certains acteurs de cette scène
musicale décident de créer leur propre presse, centrée autour des groupes qu'ils
apprécient et dont ils jugent que la couverture médiatique au sein des médias musicaux
7 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, mentionné dans notre bibliographie, celui-ci déclarant « Albini,
comme à peu près tout le monde impliqué dans la scène de Chicago, organisé parfois des concerts
pour des groupes non originaires de Chicago » (p.334)
22
de grande échelle n'est pas assez importante. Ces magazines, nommés fanzines, sont
centraux dans notre étude puisqu'ils constituent, tout d'abord, notre source principale.
Mais ils sont également des vecteurs d'influences si importants qu'il peut être tentant de
considérer les acteurs de ces magazines comme de premier ordre dans la naissance du
Punk Rock et dans sa circulation. Intéressons-nous alors à quels types de fanzines
existent et surtout de quelle manière ceux-ci influencent les groupes de Chicago. En
effet, les fanzines s'imbriquent dans un réseau national. Il est possible de s'abonner à
ceux-ci tout simplement comme le ferait n'importe quel lecteur pour n'importe quel
magazine traditionnel. Ce moyen de circulation favorise les échanges culturels au sein
de la scène américaine, car les rédacteurs des fanzines écrivent tout d'abord sur les
groupes locaux. Le fanzine We got power !, fondé en 1981, s'inscrit tout d'abord dans un
registre local très important. Les auteurs, David Markey et Jordan Schwartz, choisissent
ainsi, devant la grande profusion de groupes intéressant et uniques en Californie, de
fonder un fanzine afin de documenter cette scène naissante. Le succès est cependant
plus important non seulement pour les groupes Californiens mais aussi pour le
magazine. Des groupes tels que Black Flag par exemple, comme nous l'avons vu,
influencent les formations de Punk Rock à un niveau national et même international. Il
en va de même pour le fanzine We got power ! qui participe à la reconnaissance et à la
diffusion des groupes Californiens en dehors des frontières de l’État.
Il en va naturellement de même pour d'autres fanzines, comme Search and Destroy,
magazine publié entre 1977 et 1979, centré sur la scène de San Francisco. Tesco Vee,
fondateur du fanzine Touch & Go, le cite en effet comme l'un des fanzines lui ayant
donné l'envie de créer un magazine couvrant la scène Punk Rock locale1.
Car si les publications extérieures à la scène de Chicago sont importantes, il est
indéniable que celles appartenant à la scène de Chicago sont tout aussi importants. Car
celles-ci couvrent tant la scène locale que la scène nationale. Il est ainsi rendu plus aisé
aux amateurs de Punk Rock non seulement de découvrir des groupes plus importants
comme les Dead Kennedys ou Black Flag, mais aussi de découvrir des groupes locaux.
Steve Albini ; guitariste de Big Black et Rapeman, indique que le fanzine « Coolest
Reatard » est l'un des acteurs majeurs de la scène Punk Rock de Chicago des années
1980. Des groupes de Chicago, comme Naked Raygun, sont interviewés par le
1 Voir l'interview de Tesco Vee aux pages X et suivantes dans l'ouvrage Touch and go, the complete
hardcore punk zine, 1979 – 1983 mentionné dans la bibliographie.
23
magazine tout comme des groupes anglais (The Clash, Bauhaus) ou américain (Dead
Kennedys, Black Flag) qui connaissent un succès plus important.
Il est ainsi intéressant de se demander quelles sont les raisons qui expliquent le
succès des fanzines auprès des amateurs de Punk Rock. Le prix semble être tout d'abord
un facteur important. Le fanzine étant manufacturé la plupart du temps dans des
conditions très spartiates, à l'aide de photocopies en noir et blanc, celui-ci est vendu
pour un coût très modique. Mais la raison principale est sans aucun doute le ton utilisé
par les rédacteurs ainsi que le contenu lui-même des fanzines.
Car, comme le dit Ken Mierzwa, rédacteur au sein du fanzine « Coolest Retard » et
photographe, ce qui est le plus important dans la naissance de ces fanzines est la
capacité d'auto édition. « Peut-être que la plus grande innovation de la période Punk et
Post Punk fut l'auto édition. »2 Ainsi, le droit de parole n'est plus confisqué par les
médias traditionnels mais il est redonné aux amateurs de musique Punk Rock qui sont
considérés comme les plus compétents pour en parler. Chacun, selon ses capacités, peut
ainsi aider la scène à se développer. Le cas de Mierzwa est intéressant, car celui-ci entre
tout d'abord comme simple photographe puis, dès sa deuxième participation, il réussit à
publier quelques critiques d'albums grâce à ses talents de rédacteur.
L'auto édition et le fait que ces fanzines soient rédigés par des amateurs de Punk
Rock sont donc un atout essentiel pour la réussite de ceux-ci. Mais le ton utilisé par les
rédacteurs ainsi que le contenu sont tout autant primordiaux. Attardons-nous alors sur ce
contenu. Les traditionnelles critiques de disques, interviews et chroniques de concerts
sont bien évidemment présentes mais le ton se fait bien plus familier que dans les
magazines traditionnels. Les jurons sont omniprésents, tout comme l'humour noir et
scatophile. Les questions posées durant les interviews aux artistes sont souvent moins
pertinentes artistiquement et s'attardent sur des détails de la vie de tous les jours durant
les tournées. Les réponses des artistes font souvent appel au second degré, répandant
délibérément de fausses rumeurs sur leur groupe ou bien même sur certains autres
musiciens avec lesquels ils ont une relation amicale. Mais, si ce contenu traditionnel est
traité de manière non conventionnel, attardons nous également sur un contenu qui est lui
aussi traditionnel qu'est le courrier des lecteurs. Nombreux sont les magazines et
2 http://kmier.net/mixed/punks5.html, mémoires de Ken Mierzwa, rédacteur au sein de « coolest
retard » mais aussi photographe. Celui ci décrit le début des années 1980 et l'ambiance qui règne au
sein de la scène Punk Rock mais aussi Post Punk et Art Rock de Chicago, décrivant de quelle manière
il entre au sein de ce fanzine ainsi qu'un nombre important d'anecdotes concernant ce milieu musical.
24
fanzines à laisser leurs colonnes ouvertes à leurs lecteurs 3 et il n'est pas rare que les
lecteurs de fanzines adoptent un langage correspondant à celui employé dans ledit
périodique. Les amateurs signifient alors leur contentement ou leur mécontentement
dans des termes très crus. Il n'est également pas rare que certains groupes subissent les
attaques de ces mêmes lecteurs, là aussi de manière parfois violente. Le courrier des
lecteurs est ainsi l'élément qui nous permet de vérifier que le ton employé par les
rédacteurs du fanzine est bien le même que celui des lecteurs et que chacun peut bien
entrer dans cette même équipe rédactionnelle en théorie tout du moins. Les fanzines
peuvent également compter des bandes dessinées. Le magazine Touch & Go en fournit
quelques exemples. Celles-ci sont là aussi souvent vulgaires, violentes et traitent de
thèmes que d'aucun jugerait déplacés.
La présence de colonnes, ou d'éditos, est là aussi assez récurrente. Un acteur de la
scène, le plus souvent respecté par ses pairs, donnent alors son avis sur ce qu'il souhaite.
Steve Albini publie ainsi une rubrique intitulée « Tired of Ugly Fat ? » dans le fanzine
Matter,4 dans laquelle celui-ci donne son avis très vindicatif sur les groupes ne lui
plaisant pas. Le ton d'Albini est très agressif et est une véritable inspiration à la haine
comme en témoigne ses attaques très violentes contre le chanteur du groupe Ministry, Al
Jourgensen.5 Il est bien évident que des attaques si violentes ne sont pas quotidiennes
dans les fanzines de Punk Rock mais le ton reste relativement agressif, notamment visà-vis des groupes qui ne sont pas appréciés par l'auteur mais aussi à l'encontre d'une
certaine partie du public, jugée comme fausse, la plupart du temps sans aucune
justification réelle si ce n'est une coupe de cheveux ou des habits différents.
Si le ton est évidemment brutal et violent, il est également évident que cette franchise,
cette liberté de parole et de critique est l'une des qualités recherchées par les lecteurs de
ces fanzines qui voient en leurs auteurs la véritable voix de leur mouvement que seuls
des amateurs peuvent retranscrivent de manière véritable.
Comme nous l'avons vu au cours de cette partie, les fanzines sont vraisemblablement le
vecteur d'influences le plus important au sein du milieu Punk Rock de Chicago. En
effet, le contenu, le ton ainsi que le faible prix sont trois qualités essentielles qui
3 Parmi ceux-ci, nous pouvons citer « Touch And Go » qui accorde une page entière au minimum pour
le courrier de ses lecteurs.
4 Voir page 314 du livre de Michael Azerrad, chapitre Big Black.
5 Voir page 315 du livre de Michael Azerrad, notamment la citation suivante « I'll cut your balls off and
sew them shut in your mouth »
25
permettent à ces périodiques de se développer rapidement et de devenir centraux dans la
construction de ce milieu. Le fait que de simples amateurs décident de créer leurs
propres magazines prouve une nouvelle fois que le Punk Rock se fonde avant tout sur la
notion d'une participation ouverte à tous. Au cours de notre prochaine partie, nous
analyserons de quelle manière ces musiciens apprennent à jouer de la musique et nous
découvrirons que les logiques d'une participation ouverte à tous et d'un apprentissage
« sur le tas » sont là aussi primordiales.
c. L’apprentissage par la copie
L'apprentissage de la pratique instrumentale passe, traditionnellement, par la prise
de leçons auprès de professeurs, expérimentés, afin de comprendre le fonctionnement de
son instrument, les différentes gammes et notes. Cet apprentissage académique de la
théorie tout comme de la pratique musicale fait partie des usages que rejettent l'immense
majorité des musiciens de Punk Rock.
Steve Albini pourrait être un exemple, parmi les nombreux autres que la scène de
Chicago nous fournit de cette volonté de ne pas maîtriser de manière traditionnelle son
instrument, celui-ci se considérant comme un handicapé de la guitare1. Cependant,
malgré le fait que certains de ces musiciens ne souhaitent pas se considérer comme de
fins virtuoses, il est évident qu'ils se doivent de posséder des bases instrumentales, aussi
limitées soient-elles, afin de parvenir à créer de la musique mais aussi à jouer en rythme
dans un groupe.
Apprendre à jouer d'un instrument devient alors une activité solitaire puisque la
plupart des amateurs de Punk Rock apprennent par eux-mêmes à jouer de la musique
qui les intéresse, la plupart du temps grâce à l'appui des disques de Punk Rock. Il s'agit
alors de déchiffrer, à l'oreille, les mélodies utilisées par le groupe puis d'essayer de les
reproduire. Cette méthode présente l'avantage pour l'amateur d'apprendre des motifs
mélodiques qu'il apprécie et qu'il peut jouer en même temps que le disque afin
d'améliorer sa dextérité, son sens du rythme et de la cohésion avec le groupe.
Cependant, elle présente le désavantage d'être très exclusive. Ainsi, les musiciens Punk
Rock, pour les moins curieux d'entre eux, n'apprennent pas à maîtriser d'autres formes
1« C'est parce que je suis un infirme de la guitare » déclare Albini dans une interview publiée le 4 mars
2012 sur le site Louder Than War http://louderthanwar.com/steve-albini/
26
musicales, rendant ainsi leur formation instrumentale très pauvre mais également, par
extension, leurs capacités de composition. Ces jeunes musiciens qui apprennent à créer
de la musique en se basant uniquement sur le Punk Rock est d'ailleurs perçu comme l'un
des phénomènes de la mort du mouvement Hardcore Punk, selon Steven Blush.2
Si l'apprentissage de l'instrument est, nous l'avons vu, quelque chose de personnel,
la composition et la création de disques peut l'être tout autant. Bien sûr, il est évident
que la majorité des disques de Punk Rock de la scène de Chicago sont composés en
groupe, grâce à la réunion d'idées de plusieurs individus. Mais, parfois, le premier
disque d'un groupe peut être une démarche solitaire et d'apprentissage. C'est ainsi le cas
pour le premier disque de Big Black, Lungs, enregistré en 1981 en l'espace d'une
semaine dans la chambre universitaire de Steve Albini. Ce disque peut être considéré
comme un apprentissage musical plus poussé de ce musicien. Tout d'abord, il est
frappant de voir que celui-ci est déçu du résultat, le considérant comme l'un de ses rares
regrets musicaux3. Mais ce qui est central dans la création de ce disque est non
seulement la manière dont celui-ci a été composé mais aussi enregistré. En effet, Albini
ne joue pas de guitare mais de la basse, depuis ses années de lycée. Il achète ainsi une
guitare le jour même du début de l'enregistrement. Souhaitant tout faire lui-même afin
d'avoir un contrôle total sur sa création, il ne fait appel à aucune personnalité étrangère
et utilise une boite à rythme afin de ne pas avoir à compter sur un batteur étranger à son
processus de création. La composition se fait donc à l'aide de la basse, Albini calquant
les parties de guitare sur la basse, tentant de trouver comment produire des sons
intéressants plus que des mélodies. L'apprentissage de l'instrument se fait ici en même
temps que l'enregistrement, processus assez rare pour être souligné.
Enfin, la méthode d'enregistrement est là aussi originale puisque Albini décide
d'enregistrer dans sa chambre d'étudiant l'intégralité du disque. Empruntant un
enregistreur quatre pistes, il enregistre l'intégralité de Lungs, seul, dans sa chambre en
tentant de comprendre le fonctionnement de cet appareil et en tentant de maîtriser ce
nouvel instrument qu'est la guitare électrique. Cette démarche de l'apprentissage par soimême, que Steve Albini pousse ici à son apogée, ne quittera jamais ce musicien qui
continuera à apprendre à maîtriser son instrument de la manière qui lui convient mais
2 Voir l'ouvrage de Steven Blush, American Hardcore, une histoire tribale, page 640.
3 Nous conseillons au lecteur la lecture des premières pages du chapitre concernant Big Black dans
l'ouvrage de Michael Azerrad indiqué en bibliographie.
27
aussi les méthodes d'enregistrement, considérant le studio comme un instrument à part
entière.
Mais si le premier disque de Big Black est une preuve de la volonté d'Albini de tout
apprendre par lui même, il est également la preuve qu'apprendre la musique en se basant
sur ses groupes favoris peut porter préjudice à la composition. En effet, le disque laisse
paraître, de manière très évidente, les influences musicales du jeune musicien qui mettra
encore quelques mois à digérer celles-ci afin de créer une musique bien plus
personnelle. Michael Azerrad qualifie ainsi Lungs :
«[Lungs est] très influencé par les artistes favoris d'Albini comme Cabaret
Voltaire, Killing Joke ou the Cure. Si le disque sonne comme une démo composée
par le geek enragé du premier étage de votre résidence universitaire, c'est parce
que c'est exactement ce que c'est »4
Naturellement, ce processus d'apprentissage par soi-même peut être mis en parallèle
avec des contre exemples, certains artistes de Punk Rock ayant une formation de
musiciens « classiques », apprenant à composer des musiques populaires ou savantes
dans les règles de l'art. C'est ainsi le cas de David Wm. Sims et de Rey Washam,
respectivement bassiste et batteur du groupe Rapeman, fondé en 1988 à Chicago. En
effet, après avoir découvert le Punk Rock, ceux-ci décident d'apprendre la théorie
musicale afin de comprendre les bases de la composition, de les dépasser et de créer des
pièces musicales Punk Rock empruntant aux meilleurs des deux mondes.5
Il s'agit ainsi, pour certains de ces musiciens Punk Rock, de revenir à des racines plus
traditionnelles après une phase d'apprentissage par soi-même, non conformiste, afin
d'accumuler un maximum de savoirs musicaux. Si nous avons choisi ces deux exemples
parmi les nombreux dont nous avions connaissance, c'est tout simplement, car ces deux
musiciens forment, avec Steve Albini, le trio Rapeman prouvant par là que la fusion
d'une méthode classique de composition, représentée ici par Sims et Washam, et d'une
méthode déviante de composition, celle qu'Albini a prôné tout au long de sa carrière, ne
sont pas incompatibles.
Quelques années auparavant, en effet, Dave Riley, bassiste de Big Black, déclarait
que la virtuosité technique ne l'effrayait pas mais que, au contraire, la connaissance
4 Citation présente dans l'ouvrage de Michael Azerrad à la page 316.
5 Voir cette interview éditée le 4 mars 2012 de Steve Albini par le magazine en ligne « Louder Than
War » http://louderthanwar.com/steve-albini/
28
musicale, théorique et instrumentale était source de pouvoir, de composition et de
talent.6
Enfin, il est possible de trouver des trajectoires différentes au sein des groupes Punk
Rock de Chicago, notamment celle du chanteur de Articles Of Faith, Vic Bondi. Celui-ci
écoute durant toute sa jeunesse des chanteurs de Soul, tels que Marvin Gaye ou Stevie
Wonder. Après avoir déménagé en Floride, celui-ci s'intéresse à la musique Rock,
notamment grâce à des formations telles que les Who, les Rolling Stones ainsi que les
Beatles. Celui-ci apprend la musique, notamment la guitare, grâce à ces artistes,
apprenant à rejouer des morceaux de ses groupes favoris.
Nous constatons donc, au cours de ce développement que de nombreux acteurs du
milieu Punk Rock de Chicago apprennent par eux-mêmes à pratiquer d'un instrument
afin de savoir jouer la musique qui les intéresse. D'autres, au contraire, apprennent au
contraire à jouer de la musique de manière plus traditionnelle et incorpore ces acquis
dans leur méthode de composition, donnant à leur musique des caractéristiques
différentes. Nous faisons donc face, une fois de plus, à une grande hétérogénéité de
situation qui ne nous permet pas, une fois de plus, de donner l'exemple d'un cas
représentatif de l'ensemble du milieu Punk Rock de Chicago.
2. Une identité musicale
Au cours de cette partie, nous tenterons de déterminer s’il existe oui ou non une
identité musicale propre à la scène Punk Rock de Chicago notamment caractérisé par
des influences musicales plus expérimentales qui amènent des spécificités sonores et
artistiques.
a. Des influences plus expérimentales
Les groupes Punk Rock de Chicago puisent, nous l'avons vu, leurs influences dans
les groupes Punk Rock internationaux et nationaux, à grande ou plus petite échelle.
Mais d'autres musiques, plus expérimentales et plus ou moins liées au monde du Punk
Rock sont également centrales dans le processus de création de ces jeunes formations. Il
s'agira ici de tenter de comprendre quelles sont ces musiques mais aussi de quelles
6 Voir cette interview originellement publiée dans le « Melody Maker », magazine anglais, en 1987 et
réalisé par Simon Reynolds. http://reynoldsretro.blogspot.fr/2008/04/big-black-interview-melodymaker-1987.html
29
manières celles-ci ont influencé les groupes qui nous intéressent.
L'un des styles musical le plus important pour la scène de Chicago est le Post Punk
qui, de manière très logique, entretient des liens privilégiés avec la musique Punk Rock.
Le Post Punk est un mouvement qui se développe simultanément ou presque au Punk
Rock originel, conservant certains aspects de ce style, parmi lesquels les guitares
saturés, la volonté de changer le monde et de faire passer un message mais auquel
s'ajoute des influences musicales beaucoup plus larges. Des groupes comme Public
Image Limited incorporent très tôt des sonorités proches du reggae tandis que Gang Of
Four n'hésite pas à s'inspirer de la musique Funk, de la Disco et de la Dub. Donner une
définition du Post Punk est difficile puisque le mouvement se caractérise justement par
ses très grandes différences musicales, chaque groupe tentant de créer une identité
musicale qui lui est propre. Le terme englobe ainsi des groupes aussi différents que
Talking Heads, Gang Of Four, mais aussi Public Image Limited ou The Fall.
La scène de Chicago est très marquée par certaines de ces formations musicales,
dont l'univers musical très riche est une influence bouleversante pour ces jeunes
musiciens. Il s'agit pour eux d'une expérience qui leur montre que jouer de la musique
Punk peut également se faire par le biais d'une hybridation des genres musicaux.
L'un des groupes les plus importants à exercer une influence sur ces musiciens est
The Birthday Party, groupe australien, formé autour du chanteur Nick Cave qui
deviendra célèbre par la suite notamment grâce à sa carrière solo très prolifique. La
musique de The Birthday Party, torturé et teinté de Blues, permet à certains musiciens
de comprendre que la dimension bruitiste d'une musique peut être une qualité. Michael
Azerrad, lorsqu’il évoque le son de Big Black ou de Naked Raygun, estime que
l'influence de The Birthday Party fut primordiale. 1
Il est assez rare de constater une telle influence de la part d'un groupe australien, la
plupart des groupes de Post Punk venant de New York ou d'Angleterre. L'aura de ces
deux régions géographiques est en effet toujours aussi importante pour les amateurs de
musique qui s'arrachent notamment les disques importés du Royaume-Uni, très
difficiles à trouver. Malgré cela, l'existence de The Birthday Party nous prouve bien que
le mouvement Punk Rock et le Post Punk sont des genres se développant à une grande
échelle et ce de manière très rapide, le groupe étant fondé en 1980.
1 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, page 312.
30
Parmi les groupes exerçant une influence importante, nous pouvons signaler le
groupe Joy Division, fondé en 1976 et qui, après le suicide de son chanteur en 1980, est
contraint de se séparer. L'identité de cette formation musicale est originale à bien des
aspects, que ce soit par les paroles, souvent sombres et mélancoliques que par la
musique, plus lente et plus oppressante avec une basse plus en avant afin de souligner
cette tension. Ken Mierzwa, rédacteur dans le fanzine « Coolest Retard », explique que
le succès du groupe est important à Chicago notamment grâce à l'effort promotionnel
d'une boutique sur laquelle nous reviendrons en cette fin de partie. 2
D'autres formations, parmi lesquelles The Fall sont également importantes. Si Joy
Division semble être la version mélancolique et sombre du Post Punk, The Fall est alors
la version nihiliste et moqueuse de ce mouvement. La figure centrale du chanteur et
compositeur principale, Mark E. Smith, permet aux prestations scéniques du groupe
d'entrer dans la légende. En effet, celui-ci n'hésite pas à dérégler le matériel de ses
camarades, à insulter et invectiver le public. Les paroles ne sont pas en reste puisque
Smith écrit des textes très véhéments mais toujours pleins de verves. En effet, si les Sex
Pistols ont eux aussi écrits des textes agressifs, Smith reste tout de même un excellent
écrivain, intelligent, qui usent de nombreuses références littéraires. Le nom du groupe
lui-même fait d'ailleurs référence au roman philosophique de Camus, La Chute. Des
morceaux tels que « English Scheme »3
4
critiquent le système anglais, montrant la
situation difficile des habitants du pays, le groupe étant originaire de la ville de
Manchester. Si ce groupe est important pour les groupes Punk Rock de Chicago, cela
s'explique certainement par les nombreux concerts que donnera le groupe dans la ville.
Ainsi, en 1981, le groupe joue le 16 juillet à Chicago. 5 Ken Mierzwa, qui est présent
lors du concert, semble ne remarquer que le leader du groupe qui grâce à ses paroles et
son chant, plus parlé que chanté en réalité, aura une influence profonde sur des groupes
tels que Naked Raygun, the Effigies ou Big Black. Ces trois groupes ne reprendront pas
en totalité le ton de Smith, les paroles restant critiques et cyniques mais la dimension de
2
Extrait des mémoires de Ken Mierzwa, la citation suivante est la plus intéressante pour le sujet qui
nous préoccupe actuellement : « Chicago était l'un des rares endroits en dehors du Royaume Uni où
les ventes d'albums du groupe étaient importantes grâce à un grand effort promotionnel de Wax
Trax.. »http://kmier.net/mixed/punks3.html
3 Nous renvoyons le lecteur à la lecture des paroles de ce morceau prècis à la page suivante, faisant
partie du site officiel du groupe The Fall : http://fall.byethost13.com/lyrics.html
4 Voir annexe discographique, piste n°1.
5 Extrait des mémoire de Ken Mierzwa, rédacteur et photographe au sein du fanzine « Coolest Retard »
publié sur son site personnel. http://kmier.net/mixed/punks5.html
31
critique sociale n'est pas présente chez ces groupes.
Nous l'avons vu à l'instant grâce à ces quelques exemples, la scène Anglaise est
importante mais le Post Punk se développe également à New York, en parallèle à
d'autres mouvements musicaux. Il devient alors difficile de définir précisément le style
musical de chaque groupe, les différences entre Post Punk, No Wave et New Wave étant
minces et floues, d'autant plus que ces réflexions sur les différentes nominations
musicales n'intéressent que peu les artistes6. Nous tâcherons ici de rendre notre propos
le plus clair possible mais les artistes, spécialistes et journalistes eux-mêmes éprouvent
des difficultés pour définir, par exemple, si un groupe New Yorkais appartient au
mouvement Post Punk ou au mouvement No Wave. Car ce dernier est bien difficile à
définir de manière claire et précise. Si nous devions prendre une définition
généralement admise, la No Wave est un mouvement artistique expérimental, incluant la
musique, les arts plastiques mais aussi le cinéma, qui prend place à New York durant la
fin des années 1970 et le tout début des années 1980. Le nom No Wave est une sorte
d'idée selon laquelle le mouvement rejette tout idéal commercial afin de se concentrer
uniquement sur la création artistique d'avant garde. Il est ainsi très difficile de séparer
les groupes Post Punk et No Wave, d'autant plus que certains se revendiquent des deux
mouvements de manière indifférente. Nous tâcherons ici, pour plus de clarté, de montrer
quelles formations originaires de New York ont une influence centrale sur la scène de
Chicago sans véritablement nous préoccuper du style précis auquel appartient chaque
formation citée.
Les formations New Yorkaises les plus influentes pour les groupes qui nous
intéressent ici sont les Swans, Suicide et Glenn Branca.
La première formation musicale, les Swans, est formée en 1982 par Michael Gira.
Malgré le fait que la date puisse sembler assez tardive, l'impact de ce groupe fut
immense au point qu'Albini, par exemple, cite les premiers disques des Swans comme
l'une de ses influences les plus importantes. En effet, le son des Swans est extrêmement
agressif, bruitiste, lourd et souvent basé sur un rythme très martial, rappelant alors la
musique industrielle. Les thèmes évoqués sont en adéquation avec la musique puisque
le premier album s'intitule Filth. Les paroles d'un titre comme « Power for Power »7
6 Nous en voulons pour preuve l'ouvrage de Simon Reynolds cité en bibliographie qui incluse dans son
analyse sur le Post Punk un grand nombre de formations pourtant très diverses musicalement et dont
l'appartenance au style musical du Post Punk fait débat.
7 Voir annexe discographique, piste n°2.
32
donnent une idée assez précise de l'image que peut renvoyer un groupe tel que les
Swans.8
Les paroles des Swans ainsi que l'idée générale se cachant derrière cette musique
est une idée de contraste mais également de destruction des règles sociales et artistiques.
Même si les groupes de Punk Rock de Chicago n'établissent pas clairement de liens
avec une recherche artistique si poussée, il est indéniable que la musique agressive,
lourde, hypnotique et surtout leur volume sonore joue un rôle dans la création musicale
des groupes de cette scène.
La musique de Suicide joue également un rôle particulièrement important. Suicide
est un groupe formé en 1970 qui sort son premier album en 1977. La particularité
principale de Suicide est l'utilisation de synthétiseurs et de boîtes à rythmes plutôt que
d'instruments plus traditionnels afin de créer une musique hybride, entre la Musique
Électronique et le Punk Rock. Le son est ainsi un son très synthétique et le chant se fait
là aussi très original, le chanteur Alan Vega ayant une technique très reconnaissable,
faisant régulièrement appel aux hurlements. 9 Ce son, ainsi que cette hybridation, sont
des influences toutes aussi importantes pour les groupes de Chicago parmi lesquels le
groupe Naked Raygun ou Big Black qui tentent, à leur manière grâce à des guitares, de
produire un son aussi abrasif que celui de Suicide, notamment grâce à une basse très en
avant et très saturée ainsi qu'une guitare mise moins en avant mais produisant un fond
sonore bruitiste.
Enfin, Glenn Branca est une figure à part, même parmi la scène No Wave New
Yorkaise puisque celui peut être considéré comme un compositeur de musique classique
pour guitares. Il donne ainsi naissance à des compositions écrites pour plusieurs
guitares, allant parfois jusqu'à une dizaine d'entre elles, chacune utilisant des accordages
différents afin de mettre à jour des sonorités intéressantes et uniques. Si son influence
semble moins importante, aucun groupe de Chicago n'utilisant d'accordages alternatifs à
l'accordage traditionnel des guitares en MI, il n'est pas rare de le retrouver cité en
interviews par de nombreux musiciens qui admirent son utilisation de la répétition et de
la dissonance afin de créer des pièces musicales agressives et hypnotiques.10
8 http://swans.pair.com/WRITING/lyr_FILTH.html site officiel du groupe, les paroles de l'album sont
ici présentes à la suite. Voici ici un extrait parmi les plus éloquents : « Use sex for control/ use power
for power/ use money for cruelty/ use hate for freedom »
9 La piste « Frankie Teardrop » sur l'album éponyme du groupe est un exemple du son si caractéristique
de Suicide grâce à l'usage de synthétiseur notamment.
10 https://rateyourmusic.com/list/PervertedByLanguage/steve_albinis_top_15_records/ Cette liste
33
Les musiques expérimentales, plus ou moins liées à la musique Punk Rock sont
ainsi une source d'inspiration nécessaire pour ces jeunes musiciens qui, de cette
manière, apprennent à composer leur musique en ne s'enfermant pas dans un genre
musical unique. Mais cette situation n'est pas générale à tous les groupes venant de
Chicago. En effet, certains artistes semblent au contraire critiquer ces influences jugées
trop expérimentales et éloignées des réalités sociales ou politiques et surtout du message
originelle du Punk Rock. Vic Bondi, leader de Articles Of Faith dénonce cette scène et
des influences, trop prétentieuses selon lui.11 Reste que ces critiques sont souvent
minoritaires et que ce qui est dénoncé par Vic Bondi n'est pas tant l'ouverture musicale
des jeunes musiciens que leur attitude, jugée prétentieuse et surtout très fermée, le jeune
chanteur et guitariste ayant eu des difficultés à s'adapter au mouvement Punk de
Chicago, qu'il juge trop clanique et sujet aux luttes intérieures.
Les groupes de Chicago de Punk Rock développent très tôt un goût pour les
musiques différentes de la musique Punk Rock qui profite aux musiciens, leur donnant
des clés pour composer une musique originale et plus personnelle. Il nous semble alors
intéressant de nous demander quels sont les facteurs qui ont rendu possible cet
éclectisme musical.
Nous avons évoqué plus haut la première raison. Le disquaire Wax Trax, installé à
Chicago12 depuis la fin des années 1970, est également un label qui signe, en 1981, le
groupe Strike Under, afin de mettre sur le marché leur seul et unique disque intitulé
Immediate Action. Ce disque, pur produit de Punk Rock traditionnel, sort sur ce label
qui n'a que des liens ténus avec ce genre musical. En effet, Wax Trax est un label de
musique industrielle, New Wave et Gothique. La boutique Wax Trax, point de rendez
vous incontournable des amateurs de musique Punk Rock mais aussi New Wave et
Industrielle de Chicago, devient ainsi un moyen pour les amateurs de chacun de ces
genres musicaux d'élargir leurs horizons musicaux. L'action de Jim Nash et Daniel
contient les 15 disques que Steve Albini juge comme ses favoris. Si la date nous est inconnue,
l'intéressé lui même a eu vent de cette liste par le biais d'un forum internet et ne l'a cependant pas
commenté en mal, estimant que celle ci était tout à fait correcte. Le forum en question est celui de son
studio d'enregistrement, Electrical Audio, que nous pourrons consulter à l'adresse suivante :
http://www.electricalaudio.com/phpBB3/index.php
11 http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm Interview de Vic Bondi publiée par le magazine
en ligne Scanner Zine durant laquelle il revient, entre autre, sur les années passées dans Articles Of
Faith. Une citation intéressante pour le sujet qui nous intéresse : «La scène Punk Rock de Chicago
était très arty, rempli de prétention et une admiration sans borne de tout ce qui venait du Royaume
Uni. »
12 Voir l'annexe cartographique.
34
Flesher, le couple dirigeant le label ainsi que la boutique, est donc centrale lorsque nous
évoquons la variété d'influences des formations Punk Rock de Chicago. Si nous
évoquons ici uniquement le cas de Wax Trax, il est évident que les fanzines pourraient
ainsi être évoqués. Ainsi Touch And Go publie des critiques de disques enregistrés par
des groupes aussi variés que Joy Division, The Fall et d'autres groupes britanniques et
américains.13
Ce premier point nous amène à proposer une seconde partie d'explication, peut être
encore plus importante. En effet, si nous avons présenté les amateurs de Punk Rock et
de musique Expérimentale, comme deux groupes différents, il n'en est bien souvent
rien. Les scènes ont souvent en commun non seulement leur public, mais aussi les
labels, les lieux de rencontre et de spectacle.
Il n'y a ainsi pas de véritable séparation entre amateur de Punk Rock, de Post Punk
et de No Wave ce qui permet une émulation musicale bien plus constructive et nous
permet d'affirmer qu'il est difficile d'évoquer une scène Punk Rock qui serait « pure »,
c'est à dire qui ne comporterait que des formations jouant un Punk Rock traditionnel,
dépourvu d'influences extérieures à ce genre musical.
Nous venons de le voir, les influences des groupes Punk Rock de Chicago sont
variées et éclectiques. Nous tâcherons dans la partie suivante de définir ce qu'est alors le
son du Punk Rock de Chicago et surtout si un groupe peut représenter ou non une telle
réalité si elle existe.
b. L'existence d'un son différent ?
Comme nous venons de le préciser, cette partie tentera de déterminer si oui ou non
il existe un groupe qui serait un représentant de ce qu'est le Punk Rock à Chicago, tout
au moins d'un point de vue musical. Pourquoi avoir dès lors choisit le terme de « son »
et non pas le terme de « musique » par exemple ? Nous pensons que le terme de « son »
se réfère de manière plus précise à ce que nous tenterons de mettre à jour. En effet, le
terme « musique » s'attarde plus volontiers sur les techniques de composition musicale,
laissant de côté certains éléments qui nous semblent particulièrement important,
notamment la production sonore, c'est à dire le rendu sonore et la manière dont
13 Voir ici l'ensemble des numéros du fanzine de Touch & Go, les groupes cités étant présents dans
plusieurs numéros du périodique. L'ouvrage de Tesco Vee et Dave Stimson cité dans notre
bibliographie contient par ailleurs l'intégralité des numéros de ce magazine.
35
« sonnent » les instruments lors de l'écoute des disques. Nous nous pencherons ainsi sur
la manière dont un auditeur peu formé à l'art traditionnel de l'analyse musicale reçoit le
disque. Nous avons choisi cette méthode, car comme nous l'avons vu précédemment
dans notre développement, la très grande majorité des acteurs du milieu Punk Rock ne
possède pas de formation musicale traditionnelle, l'obligeant alors à créer un nouveau
langage d'analyse musicale et sonore, celui-ci se basant parfois sur les sonorités des
instruments.
Tentons alors de définir si nous pouvons oui ou non désigner un groupe qui serait
alors un représentant « idéal » de la musique Punk Rock de Chicago. Nous pourrions
être tenté de choisir le groupe Naked Raygun comme point de départ. En effet, ce
groupe fondé en 1980 est présenté comme l'un des groupes de Punk Rock les plus
importants de la ville notamment par sa production artistique, le groupe enregistrant au
pic de sa carrière 5 albums entre 1984 et 1990. Nous pourrions dès lors rechercher des
points communs avec d'autres formations musicales de la ville et en trouver. Car le
groupe partage de nombreux points communs avec Big Black, fondé lui en 1981 par
exemple. Il suffit pour s'en convaincre de comparer des morceaux des deux formations.
Sur l'album All Rise, sorti en 1985 de Naked Raygun figure la piste n°10 intitulée
« Peacemaker » qui est très similaire dans le son tout comme dans la composition à des
pistes de Big Black. En effet, la guitare est particulièrement distordue et bruyante, le son
étant presque métallique et très aigu. La basse est très en avant et saturée tandis que la
batterie est jouée d'une manière robotique, peu expressive afin de donner l'illusion d'une
boite à rythme plutôt que d'un kit de batterie traditionnel. Enfin, le chant relève plus de
la parole que du chant à proprement parler.
Tous ces éléments peuvent être retrouvés dans les compositions de Big Black. Nous
prendrons ici l'exemple de « Kerosene »1, piste présente sur l'album Atomizer, sorti en
1986. Cette piste présente également une basse très distordue, une guitare extrêmement
saturée, très aiguë et métallique voir même criarde tandis que la boite à rythme ne peut
prétendre à créer un rythme autre qu'inhumain, Albini ayant d'ailleurs choisit ce modèle
particulier, la Roland TR-606, pour sa sonorité inhumaine 2. Enfin, le chant se fait certes
plus souvent chanté, notamment lors du refrain, mais celui-ci reste globalement parlé,
1 Voir annexe discographique, piste n°3.
2 L'ouvrage de Michael Azerrad, dans le chapitre qui est consacré au groupe Big Black, insiste à de
nombreuses reprises sur l'importance de la boite à rythme dans le rendu sonore du groupe et sur la
sonorité froide et synthétique de celle ci.
36
sans importante variation rythmique ou mélodique.
Des points communs sont alors visibles entre ces deux formations. Mais notre
problématique, c'est à dire trouver un groupe qui serait un représentant général du Punk
Rock de Chicago trouve-t-elle ici sa réponse ? Nous pouvons en douter de manière très
légitime et ce pour plusieurs raisons. En effet, il est possible d'expliquer cette proximité
entre les deux formations musicales de manière très simple. Tout d'abord, Steve Albini
présente Naked Raygun comme l'une de ses principales influences. 3 Il est alors logique
qu'une part importante du son qui fait la réputation de Naked Raygun se retrouve dans le
son de Big Black si le compositeur principal de ce dernier groupe estime autant cette
formation musicale. De plus, une autre raison qui explique ces proximités stylistiques
est la présence au sein des deux formations de Santiago Durango et de Jeff Pezzati.
Durango est le guitariste de Naked Raygun de 1980 à 1983 et le guitariste de Big Black
de 1983 à 1987. Pezzati est quant à lui le chanteur de Naked Raygun durant toute la
durée de vie du groupe ainsi que le bassiste de Big Black de 1983 à 1984. Il nous est
alors plus facile de comprendre pourquoi ces deux entités musicales semblent très
similaires.
Si ces deux formations sont très proches, cela s'explique sûrement plus par ces deux
explications et notamment la présence de musiciens communs aux deux formations que
par la proximité géographique.
De plus, il est tout à fait possible de trouver des divergences musicales entre ces
deux formations pourtant très proches. Si Big Black reste fidèle au son que nous venons
de détailler durant toute leur carrière, les musiciens de Naked Raygun se laissent plus de
liberté, créant alors des disques dont les pistes peuvent être différentes de celle que nous
avons évoquer. Sur ce même album, All Rise, la piste « Those Who Move » fait appel à
une structure plus traditionnelle pour la musique Punk Rock notamment influencée par
le groupe anglais Discharge.4 Hors, une telle structure ne saurait être trouvée chez Big
Black qui, à cause de l’absence d'un batteur, ne saurait jouer un tel rythme ou n'en a tout
simplement pas la volonté.
De plus, là où les groupes de Punk Rock venant de la ville de Washington par
3 Voir dans l'ouvrage de Michael Azerrad, page 314. Albini dit lui-même, en parlant de Naked Raygun :
« J'étais convaincu que j'avais vu le meilleur groupe qui ait jamais existé. J'allais religieusement à tous
leurs concerts. »
4 L'utilisation du rythme de batterie dit « D Beat » est ici le principal indice qui nous permet d'affirmer
l'influence de Discharge. Ce rythme de batterie, très reconnaissable, est l'une des structure rythmique
inventée par le batteur du groupe Anglais afin de donner une impression de vitesse accentuée.
37
exemple présentent peu de différences stylistiques, les formations de la ville de Chicago
sont quant à elles très différentes. Nous venons d'en avoir ici l'exemple grâce à deux
formations musicales pourtant très proches stylistiquement. Nous pourrions cependant
continuer notre démonstration en expliquant les différences qui existent entre de
nombreux groupes de Chicago, comme entre Naked Raygun et Articles Of Faith par
exemple.
Ces différences s'expliquent naturellement par la très grande variété d'influences
que nous avons détaillé auparavant. En effet, si les influences sont multiples, elles ne
sont que très rarement partagées dans leur intégralité par l'ensemble des acteurs de la
scène locale, d'autant plus lorsque celles-ci n'appartiennent pas à la scène Punk Rock
« traditionnelle ». Il est alors logique que la création musicale de la ville soit très variée.
Il nous est alors impossible de nommer une formation musicale qui représenterait le son
de la majorité de la scène de Chicago durant nos années d'études, les différences étant
bien trop importantes.
De plus, même si nous pouvons retrouver des similarités entre la plupart des
groupes que nous étudions, cela s'explique-t-il principalement par la proximité
géographique ? Nous pouvons légitimement en douter. En effet, il est logique que ces
formations musicales partagent de nombreux points communs puisque celles-ci
pratiquent un genre musical similaire, c'est à dire le Punk Rock. Nous l'avons vu, la
musique Punk peut être très différente selon ses incarnations et selon les formations
musicales et leurs influences mais il reste de nombreux points communs non seulement
entre formations de la même ville mais aussi de zones géographiques diverses. Parmi
ces points communs, le chant hurlé, mais aussi des guitares très saturées et des rythmes
rapides même si ce dernier point peut être sujet à discussion notamment après la
parution de l'album My War de Black Flag en 1984.
Ces ressemblances ne sont donc pas liées, de près ou de loin, à la dimension
géographique de ces groupes et surtout, celles-ci sont bien trop peu importantes pour
que nous puissions évoquer un « son de Chicago » dans notre analyse.
Il nous semble cependant important de mesurer ici nos propos. En effet, il semble
certes difficile de distinguer un son propre à la scène Punk Rock de Chicago. Peu de
musiciens l'évoquent en effet, préférant mettre en avant l'identité très forte de ces
groupes et leur originalité, sans toutefois faire de généralisation. Car il semble
38
dangereux pour ces artistes de devenir en quelque sorte prisonniers d'une identité trop
liée à une ville, leur aliénant alors le succès dans d'autres régions mais niant également
l'importance de leur travail personnel. Cependant, le chanteur Vic Bondi évoque une
identité sonore très marquée. 5 Nous remarquons que celui-ci évoque Naked Raygun et
The Effigies, deux groupes en effet proches stylistiquement. Mais les éléments qu'il
avance semblent faible, car de nombreux groupes Punk Rock, dès le milieu des années
1980, commencent à proposer une musique moins rapide, notamment à la suite de
l'album My War du groupe Black Flag. La face B du disque propose en effet une
musique plus sombre et lente, des titres comme « Nothing Left Inside »6 et « Scream »
s'étendant sur près de sept minutes. Il n'est donc pas légitime d'affirmer en se basant
uniquement sur le tempo plus lent de Naked Raygun et The Effigies et le son de guitare
que ceux-ci représentent l'identité sonore de Chicago quand ces éléments sont présents
chez de nombreuses formations Punk Rock à travers l'ensemble du pays.
Il semblerait donc que l'homogénéité de la scène Punk Rock de Chicago ne vienne
pas de son identité musicale mais plutôt de son hétérogénéité musicale, les groupes
pratiquant une version très personnelle de cette musique, aidés par des influences
diverses et variées, des instrumentations originales et un phénomène d'émulation qui ne
devient pas un phénomène de copie. Nous allons donc maintenant nous demander si au
cours de notre période l'identité sonore, variée donc, évolue et si oui, de quelle manière.
3. Le rapport à l'évolution musicale
Nous étudierons dans cette partie la manière dont est vue par les artistes et amateurs
l'évolution musicale au sein de la scène Punk Rock de Chicago. En effet, si nous avons
évoqué les différences entre les formations musicales de la ville mais aussi leurs
influences, il nous semble intéressant de nous pencher sur l'évolution musicale ou son
absence dans certains cas.
De prime abord, nous pourrions penser que, face à la diversité d'influences que
nous avons précédemment détaillé, les musiciens seraient favorables à une évolution
5 Interview de Vic Bondi pour le magazine en ligne Scanner Zine pour lequel celui ci déclare : « […]
que The Effigies ou Naked Raygun. Nous n'avons jamais eu ce son bourdonnant de guitare mi-tempo
qui a rendu Chicago si différent.» http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm
6 Voir annexe discographique, piste n°4.
39
musicale mais nous constaterons que la situation est bien souvent différente.
Car il est facile de remarquer que nombre de groupes n'évoluent que de manière
très réduite dans leur approche musicale. De nombreux exemples pourraient être
observés parmi lesquels le groupe Naked Raygun qui, durant l'ensemble de sa carrière,
change peu. Il suffit alors pour s'en convaincre d'écouter plusieurs disques de ce même
groupe, parmi lesquels Throb Throb, premier album sorti en 1984 et Understand ? sorti
en 1989 afin de constater que malgré une très légère évolution, notamment du point de
vue des mélodies, celles-ci étant plus subtiles et plus centrales dans les disques plus
récents, le style reste très caractéristique et reconnaissable. Nous avons ainsi affaire à
une musique agressive, basée sur des structures rythmiques simples.
De nombreuses raisons pourraient être évoquées afin d'expliquer cette similarité,
notamment le faible laps de temps séparant la réalisation de ces disques, le groupe étant
très productif et produisant quatre albums en cinq ans. Une sorte de maturation musicale
aurait alors pu apparaître si les périodes entre chaque disque avaient été plus longues,
laissant place à des recherches musicales plus longues. De plus, le noyau central du
groupe reste inchangé et le personnel responsable de la composition, Jeff Pezzati et Eric
Spicer (batteur depuis 1984), n'évolue pas.
Mais Naked Raygun n'est pas la seule formation à peu évoluer dans sa manière de
produire de la musique. Un groupe tel que Articles Of Faith évolue lui aussi de manière
plus que nuancée. Si, là encore, la mélodie semble prendre une place légèrement plus
importante dans les dernières réalisations du groupe notamment grâce à une production
sonore plus claire1, les paroles engagées socialement et politiquement ainsi que
l'agressivité musicale restent au centre de la création musicale de cette formation. Il
s'agit alors pour la plupart de ces artistes de ne pas trahir le sentiment originel qui a
donné naissance au groupe. De fait, l'évolution musicale n'est pas vue comme un
sentiment bénéfique mais comme une trahison envers la logique qui a amené à la
création du groupe même s’il n'est pas rare que les artistes s'en défendent. En effet,
évoluer musicalement peut signifier s'aliéner une partie de son public, risque que seul
une minorité de musiciens semble prêt à courir.
L'exemple le plus frappant de cette association entre évolution et sentiment de
1 Le travail de Bob Mould, guitariste d'Hüsker Dü sur les albums Give Thanks (1984) et In This Life
(1987) apporte au groupe une meilleure production sonore, permettant à certains éléments mélodiques
de mieux se faire entendre, chose impossible avec le budget limité utilisé pour la réalisation des
premiers albums du groupe.
40
trahison est la séparation de Big Black. Car, si le groupe semble rencontrer un succès de
plus en plus important2, cela ne satisfait en rien les musiciens, notamment Steve Albini.
Celui-ci décide, en 1987, de mettre un terme à l'existence de son groupe. Les raisons
que le musicien évoque sont nombreuses et révélatrice de cette peur de l'évolution
musicale. Celui-ci évoque tout d'abord le succès grandissant du groupe comme une
menace, ne supportant pas de jouer devant un public constitué d'inconnus. La crainte de
l'influence de personnalités extérieures au groupe est également présente chez ces
musiciens désirant garder leur indépendance créatrice par-dessus tout. En effet, si Albini
ne le dit pas clairement, il est clair que celui-ci est effrayé par ce que la promesse d'un
gros contrat venant d'une maison de disque importante pourrait engendrer. Afin d'éviter
cette tentation il décide alors de supprimer son groupe.
Mais la raison du succès grandissant, qui pour de nombreuses autres formations
serait un moteur, n'est pas la seule motivation qui pousse Steve Albini à saborder Big
Black. 3Son ami et guitariste, Santiago Durango choisit de quitter le groupe, à l'amiable,
afin de devenir avocat, les problèmes financiers des musiciens étant nombreux. 4 Albini
lui-même explique d'ailleurs dans de nombreuses interviews l'importance de Durango
dans le processus de création du groupe5. Ainsi, avec le départ de son plus proche
collaborateur et la peur d'un succès trop important, Albini choisit de détruire son groupe
avant de créer une musique qui ne serait pas digne de l'entité Big Black.
Il s'agit là d'un phénomène courant, notamment dans le mouvement Punk Rock. En
effet, chaque formation musicale a une identité propre qui ne saurait trop évoluer sans
se dénaturer, de la même manière qu'un individu. Hors, Albini juge ici que cette
évolution serait trop importante ou trop dangereuse et risquerait de changer la nature du
groupe, le changeant en quelque sorte en une sorte de caricature d'elle même. Nous
pouvons alors tenter d'expliquer ici, grâce à cet exemple, les raisons de ces évolutions
2 Le groupe effectue une tournée européenne durant le courant de l'année 1986 comme le précise
Michael Azerrad dans son ouvrage à la page 334.
3 Interview de Steve Albini par Simon Reynolds publiée dans le Melody Maker en 1992. Albini
déclare : «Alors que nous grandissions, certains essayaient de jouer avec le groupe, d'en appeler à
notre vanité et nos ambitions, ou essayaient de nous forcer à faire quelque chose. Et il était évident
que la seule pour court-circuiter ça était de nous séparer. Nous n'avions jamais était en paix avec l'idée
qu'il y ait des gens dans le public que nous ne connaissions pas personnellement. »
http://reynoldsretro.blogspot.fr/2008/04/big-black-interview-melody-maker-1987.html
4 Renvoi similaire à la note précédente, l'interview mettant en lumière la volonté de Durango de quitter
le groupe afin de se consacrer à sa carrière d'avocat. « Le prétexte était la décision longuement
retardée de Santiago de finalement remplir son devoir familial et de devenir avocat. »
http://reynoldsretro.blogspot.fr/2008/04/big-black-interview-melody-maker-1987.html
5 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, page 318 : «Il [Durango]finit pas devenir crucial pour Big Black ».
41
peu importantes au sein des formations Punk Rock de Chicago.
Nous l'avons vu, une partie des groupes n'évoluent que peu dans leur pratique
musicale. Hors ceci s'explique dans un premier temps par des raisons très pragmatiques.
La première de ces raisons est la faible expérience musicale des musiciens. Nous l'avons
vu, ceux-ci sont le plus souvent des musiciens ayant une éducation musicale assez
pauvre et peu conventionnelle. Hors, si ces musiciens apprennent à jouer de la musique
grâce au Punk Rock, il est évident que cela ne leur permet pas d'appréhender la
composition en s'inspirant de pratiques instrumentales propres à d'autres genres
musicaux. Ceci est d'ailleurs l'une des causes qu'évoque Steven Blush lorsqu'il décrit ce
qu'il nomme « la mort du mouvement Hardcore Punk. »6
Si la pauvreté technique de certains musiciens peut être évoquée et signalée, le
contraire peut l'être également. En effet, les meilleurs musiciens progressent et ne
veulent plus jouer de Punk Rock, rebuter par tant de facilité technique et de composition
mélodique. Les musiciens ayant acquis un bon niveau instrumental et continuant à jouer
du Punk Rock sont rares. Là aussi, Blush évoque cette raison dans son livre, estimant
que les meilleurs musiciens ne souhaitent plus jouer cette musique par lassitude. 7
Ainsi, des artistes qui auraient pu faire évoluer leur musique en conservant des
racines Punk Rock préfèrent tout simplement renoncer à jouer une musique qui
ressemble de près ou de loin au Punk Rock, abandonnant alors ce milieu.
Nous pourrions également évoquer la faible durée de vie des formations musicales.
En effet, si un groupe comme Naked Raygun reste en activité durant la totalité des
années 1980 jusqu'au début des années 1990, cela reste une exception. Rapeman, second
groupe de Steve Albini, se sépare en 1990, deux ans après sa formation, après avoir
enregistré un unique album et un unique EP. Le groupe Strike Under, pourtant considéré
comme une formation culte au sein du milieu Punk Rock de Chicago, n'est actif que de
1980 à 1981. Hors, il est évident que la longévité d'un groupe favorise son évolution
musical. La faible durée de vie ne permet pas aux musiciens d'apprendre à se connaître
et à composer de manière originale et nouvelle.
Enfin, si la faible évolution de ces formations musicales peut être vue comme
négative, il n'en est peut être rien. Nous l'avons vu, chaque groupe possède une identité
propre qui convient à l'ensemble des musiciens. Hors, une évolution artistique signifie
6 Voir dans l'ouvrage de Steven Blush, American Hardcore, une histoire tribale, à la page 640.
7 Voir la page 639 de l'ouvrage de Steven Blush, American Hardcore, une histoire tribale.
42
donc trouver une nouvelle identité qui convient à tous les musiciens ce qui peut être
sujet à de nombreux conflits entre musiciens. La stagnation stylistique peut donc être
perçue comme une manière de conserver l'intégrité du groupe mais aussi une sorte de
paix sociale à l'intérieur du même groupe, évitant du même coup les dissensions au prix
d'un immobilisme parfois tout aussi épuisant pour les musiciens.
Cet immobilisme musical peut justement être la cible de critiques de la part même
des musiciens. Nous l'avons vu, l'évolution est sujet à la critique et à l'auto critique, que
ce soit de la part des fans tout comme de la part des musiciens. En effet, le changement
semble être similaire à une trahison des idéaux originaux du mouvement Punk Rock, à
savoir une musique agressive, sans compromis. Hors, l'évolution musicale passe
inévitablement par des compromis artistiques, avec d'autres styles musicaux ou avec
d'autres méthodes de composition. Mais, comme nous le disions, cet immobilisme peut
également être la cible de critiques de la part des musiciens Punk Rock qui voient dans
le Punk Rock autre chose qu'un dogme bridant les évolutions musicales mais une
manière de penser et d'aller de l'avant. Parmi ces critiques figurent Vic Bondi, chanteur
et guitariste d'Articles Of Faith, notamment à l'encontre du groupe The Effigies. En
effet, celui-ci explique leur immobilisme musical non pas par une volonté de rester
fidèle à leur identité musicale d'origine mais tout simplement par un déclin qualitatif de
leur musique.8 Celui-ci va même plus loin puisque selon lui, cette stagnation a pour but
de trahir leurs idéaux en créant une musique moyenne et de signer un gros contrat avec
une major du disque, devenant alors un groupe à succès et riche. 9
Cependant, il nous semble important d'indiquer que ces critiques restent
relativement rares. De plus, si Vic Bondi estiment que la musique de The Effigies
évoluent peu, il est également utile de noter que la musique de son propre groupe,
Articles Of Faith, évoluent de manière très mesurée dans le même temps.
Nous pourrions donc être tenté de dire que, devant de tels exemples, la scène Punk
Rock de Chicago n'évolue pas et tourne sur elle-même. S’il est vrai que certaines
formations ne changent pas ou peu, il convient également de rappeler que si les groupes
8
Interview de Vic Bondi par le magazine en ligne You Breed Like Rats publiée le 14 mai 2008, celui-ci
déclarant : «Vous pouvez l'entendre dans leur musique : après Haunted Town, presque tous leurs
disques sonnaient de la même façon et n'étaient pas très inventifs. »
http://youbreedlikerats.blogspot.fr/2008/05/vic-bondi-from-articles-of-faith.html
9 Dans cette interview pour le magazine en ligne You Breed Like Rats publiée le 14 mai 2008, Vic
Bondi déclare : «Mais les membres de The Effigies se sont laissés aller à une sorte de routine (pour
réussir à sortir un « hit » ) »http://youbreedlikerats.blogspot.fr/2008/05/vic-bondi-from-articles-offaith.html
43
ne changent pas, les musiciens le font. Ces changements s'inscrivent donc dans une
carrière plus personnelle et non pas uniquement dans le cadre d'une formation musicale
unique.
Nous venons de le voir, une formation musicale peut être liée à une identité
musicale ou à un message très précis et ses créateurs peuvent choisir de renier toute
sorte d'évolution afin de ne pas trahir les idéaux originaux ayant mené à la naissance de
celle-ci. Mais il n'est en aucun cas impossible de créer de nouveaux groupes afin de
jouer une musique différente. Hors, c'est justement cette voix qu'emprunte Albini après
la fin de son premier groupe, Big Black puisque celui-ci forme en 1988 le nouveau
groupe Rapeman, avec le bassiste David Wm. Sims et le batteur Rey Washam. Hors,
c'est bien la présence de ce dernier qui montre une première évolution musicale chez
Albini qui refusait auparavant de travailler avec un batteur.
10
Car le son caractéristique
de la boîte à rythme était une caractéristique musicale centrale de ce qui était la
signature sonore de son précédent groupe. La musique créée par les musiciens de
Rapeman reste relativement proche de la musique sur laquelle Big Black et Albini
avaient fondé leur réputation mais cette évolution, qui peut sembler mineure, reste tout
de même la preuve que si les groupes n'évoluent pas, les individus ne suivent pas
nécessairement le même chemin.
Nous allons maintenant nous intéresser plus particulièrement à ces évolutions
stylistiques et tenter de comprendre pourquoi et de quelle manière celles-ci naissent. Car
, si nous avons expliqué quelles sont les réactions aux changements musicaux, que
celles-ci soient positives ou non, et que nous avons montré que certaines formations
évoluent peu, il ne faut pas omettre pour autant de décrire les phénomènes qui
permettent aux musiciens d'évoluer. Car la scène Punk Rock, notamment de Chicago, ne
reste pas verrouillée et immuable malgré le quasi-immobilisme musical de certains
artistes. Ces transformations sont variées et prennent place à la fin des années 1980 et
aux débuts des années 1990.
De nombreux changements ont ainsi lieu dans tout le pays, Chicago ne faisant pas
exception, sous l'impulsion de différents acteurs des scènes Punk Rock locales, anciens
ou nouveaux arrivants.
10 Celui ci explique d'ailleurs que ce changement n'est rendu possible que grâce à l'amélioration de ses
capacités de communication. Voir le livre de Michael Azerrad, page 315 notamment ainsi que les
dernières pages du chapitre consacré à Big Black.
44
Tout d'abord, l'un des faits marquant est que les musiciens Punk Rock, notamment
jouant un Hardcore Punk « traditionnel », c'est à dire ne proposant aucune originalité
musicale, lyrique ou conceptuelle et se contentant donc d'imiter les groupes les plus
connus de ce mouvement comme Black Flag ou les Dead Kennedys, commencent à se
lasser de ce genre. En effet, de nombreux acteurs commencent à réaliser que si les
débuts étaient intéressants notamment grâce à la grande liberté artistique que fournissait
le Punk Rock, celui-ci s'est au fur et à mesure doter de règles de compositions certes
simples d'un point de vue technique mais très codifiées. Il semble donc ne rester que
deux solutions, jouer une musique codifiée et devenue ennuyeuse, car copiée sur des
groupes plus anciens et de meilleure qualité, ou évoluer afin de ne pas sombrer dans
l'ennui et l’anonymat. De nombreux amateurs et musiciens critiquent d'ailleurs cet
immobilisme et cette « codification » de la musique Punk Rock. Bob Mould, guitariste
d'Hüsker Dü, groupe de Saint Paul dans le Minnesota, fondé en 1979, exprime d'ailleurs
son envie de changement.
11
Si ce musicien n'appartient pas directement à la scène de
Chicago, malgré des liens très forts que nous expliquerons plus tard dans notre
développement, les musiciens et acteurs de la ville ne sont pas en reste et critiquent le
peu d'inventivité du mouvement Punk Rock et Hardcore Punk, jugé trop peu ambitieux
et tournant sur lui-même. Ken Mierzwa, écrivain et photographe pour le fanzine Coolest
Retard que nous avons déjà rencontré dans notre argumentaire, exprime lui aussi
son opinion envers les groupes de Punk Rock traditionnels et notamment de Hardcore
Punk.
12
Nous tenons donc ici l'une des premières raisons qui poussent les artistes à
évoluer. Le style Punk Rock et notamment le Hardcore Punk, trop codifié, se mord tout
simplement la queue. Ainsi, afin d'éviter de devenir un groupe lambda ressemblant à
toutes les autres formations pratiquant du Punk Rock, il s'agit d'évoluer afin de rester
original.
Hors, cette évolution prend place grâce à de nouvelles influences ou à des
influences anciennes remises au goût du jour par certains musiciens, assumant d'aimer
une musique différente du Punk Rock.
11 Voir dans l'ouvrage de Michael Azerrad, page 172. Bob Mould déclare ainsi : «En somme, ils disaient
[Les amateurs de Hardcore Punk refusant une évolution musicale : "Soyez différents, soyez différent,
soyez comme nous ou nous vous tuerons" ».
12 Mémoires de Ken Mierzwa contenant de nombreuses anecdotes sur le milieu Punk Rock de Chicago.
Celui ci indique : « Il y avait deux problèmes avec les groupes de Hardcore Punk, ou de Thrash Metal.
Premièrement, ils ont tous commencé à sonner de la même manière au bout d'un moment. De la
musique bruyante, rapide et en colère avec un chant incompréhensible. »
http://kmier.net/mixed/punks5.html
45
Attardons-nous tout d'abord sur les nouvelles influences qui vont, grâce à certains
musiciens plus aventureux que d'autres, donner naissance à des hybridations entre le
Punk Rock et d'autres genres musicaux. En effet, nous avons évoqué plus haut que ces
changements ne sont pas circonscris à la ville de Chicago. Ainsi, dans d'autres villes et
états, des évolutions similaires prennent place.
Le musicien Ian MacKaye, chanteur du groupe de Washington Minor Threat, fonde
en 1986 Fugazi. MacKaye part du même constat que Mierzwa et Mould et celui-ci
décide de faire évoluer sa musique. Prenant alors la décision radicale de produire une
musique Punk Rock par son état d'esprit mais beaucoup moins agressive, basée sur des
paroles plus réfléchies et plus personnelles. Hors, si la personnalité de MacKaye est
centrale au sein de la scène musicale de Washington DC, son aura est importante
également à Chicago chez qui il compte de nombreux admirateurs tant pour son travail
avec Minor Threat que Fugazi. Vic Bondi, leader d'Articles Of Faith estime d'ailleurs
que la transformation musicale que MacKaye met en place opère également un
changement dans son caractère. 13
Nous pouvons également citer d'autres groupes qui tentent d'opérer des
changements dans leur musique, afin de faire évoluer la scène musicale Punk Rock.
Parmi ceux-ci, nous tenons à mettre en lumière deux formations, particulièrement
innovantes et ayant un rapport très particulier avec la ville de Chicago. Hüsker Dü, que
nous avons cité auparavant, est l'une d'entre elles. Ce groupe, produisant dans ses
premières années d'activité un Hardcore Punk peu original, évolue grâce aux qualités de
compositeur et de parolier de Bob Mould, guitariste et chanteur, mais aussi grâce aux
progrès techniques opérés par l'ensemble des musiciens du groupe. Ne reniant pas leurs
influences Pop Rock, Bob Mould étant un amateur éclairé de The Beatles,14il va ainsi
opérer une fusion entre la musique agressive Punk Rock, des paroles éclairées et
personnelles ainsi que des mélodies simples et efficaces. Des disques tels que New Day
Rising (sorti en 1985) et Zen Arcade (album double, sorti en 1984) sont d'ailleurs des
témoignages d'une musique agressive et mélodique, teintée d'influences très diverses qui
13 Dans cette interview publiée le 14 mai 2008 sur le site You Breed Like Rats, Vic Bondi expose :«Ian
[MacKaye] était définitivement un trou du cul les premières années. Mais je n'ai jamais rencontré
quelqu'un qui a autant évolué et grandi que lui. En donnant naissance à Fugazi,il y a eu un tournant dans
sa personnalité.C'est une personne formidable. » http://youbreedlikerats.blogspot.fr/2008/05/vic-bondifrom-articles-of-faith.html
14 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, page 159. « Fan avide des Beatles, Mould plongea dans l'univers
de la Pop des années 60. »
46
se confondent pour créer un style très personnel. Le morceau « Never Talking To You
Again » (présent sur Zen Arcade) comporte de la guitare acoustique tandis que la piste
de fin du même album, « Reocurring Dreams »15, d'une durée de plus de quatorze
minutes, démontre les capacités de ces musiciens à créer une musique unique, le
morceau empruntant bien plus au Rock Psychédélique et aux expérimentations bruitistes
d'artistes comme John Cale, Lou Reed ou Jimi Hendrix qu'aux Ramones ou aux Sex
Pistols. Hors, les liens entre Hüsker Dü et la scène de Chicago sont très forts. Le groupe
se produit de nombreuses fois en concert dans la ville (41 concerts entre 1981 et 1991
uniquement sur la commune de Chicago) 16. Cette influence ne s'arrête pas là puisque
Bob Mould, guitariste et principal compositeur de la formation, entretient des liens très
personnels avec certains acteurs de la scène, parmi lesquels Vic Bondi et son groupe
Articles Of Faith. Ainsi Mould produit le disque « Give Thanks » de Articles Of Faith,
sorti en 1984, confirmant alors l'estime réciproque que se porte chacun de ces
musiciens. Hors, ceci n'est qu'un des nombreux exemples des liens qu'entretient Mould
avec la scène de Chicago.
La seconde formation qui nous intéresse est le groupe Slint, formé en 1985 à
Louisville dans le Kentucky. La musique de Slint est originale en de nombreux points
car celle-ci s'éloigne particulièrement du genre Punk Rock afin de créer un nouveau
genre que certains prénomment le Post Rock17, appellation que les musiciens n'acceptent
pas. Nous nous concentrerons alors sur les faits, le groupe étant formé de musiciens
issus des formations locales de Punk Rock qui entreprend de créer une musique très
personnelle, s'inspirant du Punk Rock mais aussi du Jazz, de la musique classique,
d'écrivains compositeurs et même de Madonna.18 Le premier disque du groupe, intitulé
Tweez et enregistré en 1987 avec l'aide de Steve Albini, illustre bien cette musique
originale, ancrée tant dans la logique Punk Rock par son son de guitare saturée et ses
hurlements que dans une logique bien plus expérimentale. Hors, nous l'avons indiqué
15 Voir annexe discographique, piste n°9.
16 Base de données en ligne recensant tous les concerts du groupe Hüsker Dü.
http://www.thirdav.com/hd_discog/dates.html
17 « Post Rock » est un terme utilisé pour la première fois par Simon Reynolds, critique et écrivain, dans
une chronique musicale publiée en 1994 dans le magazine Mojo. Reynolds développe son analyse
dans de nombreux articles notamment celui ci, publié la même année dans le magazine anglais Wire
http://web.archive.org/web/20011202075606/http://www.thewire.co.uk/out/1297_4.htm
18 Interview de Britt Walford pour le magazine en ligne Fact publiée le 12 mars 2014, l'ensemble de
l'entretien comprend des informations sur les influences du groupe parmi lesquels sont cités Ac/Dc,
Madonna, Philip Glass, Big Black, Leonard Cohen et d'autres artistes.
http://www.factmag.com/2014/03/12/murder-ballads-an-interview-with-slint/
47
précédemment, les liens entre Slint et la ville de Chicago sont importants. Tout d'abord,
l'influences de groupe comme Big Black est admise par les musiciens eux-mêmes. De
plus, ceux-ci admettent également que leur ville d'origine n'est en rien comparable à une
ville aussi importante sur tous les plans, notamment artistique et économique, que ne
l'est Chicago. Les membres de Slint admettent alors que les connections artistiques entre
Louisville et Chicago furent primordiaux pour le groupe notamment pour les concerts. 19
Nous venons de voir des exemples de ce que nous appellerons les nouvelles
influences qui vont modifier l'identité musicale des groupes Punk Rock de Chicago.
Nous allons maintenant voir quelles sont les influences plus anciennes qui permettent
ces changements avant de détailler plus en avant quelles sont les formations qui
représentent cette évolution au sein de la scène Punk Rock de Chicago.
Nous l'avons vu précédemment, le mouvement Punk Rock se construit en
opposition à certaines cultures et musiques, notamment le Rock des années 1960 et
1970 ainsi que la culture dite « hippie ». Hors, ces influences sont non seulement
admises mais revendiquées par de nouvelles formations, de la ville de Chicago ou non.
Parmi celles-ci se trouvent le groupe The Jesus Lizard, formé en 1987 à Austin, Texas
mais qui déménage dès l'année suivante à Chicago. Duane Denison, guitariste, déclare
d'ailleurs à de nombreuses reprises que si le Punk Rock est indéniablement un style très
influent, il n'est pas le seul. Car Denison ne renie pas l'importance du Punk, citant
notamment des groupes tels que Cro-Mags (formé en 1982 et originaire de New York)
et Agnostic Front (formé la même année dans la même ville) comme une influence
première.
20
Mais celui-ci exprime de la même manière son amour et l'influence qu'ont
eu d'autres groupes comme Led Zeppelin21 mais aussi des styles musicaux en apparence
éloigné du Punk Rock, parmi lesquels le Blues et le Jazz. 22 Nous l'avons vu
19 Interview avec le groupe par le magazine en ligne Pitchfork publiée le 30 janvier 2014 à l'occasion de
la réédition de leur disque Spiderland. Brian McMahan indique alors : « Je pense cette époque comme
un ensemble de relations personnelles et géographiques. Il y avait une forte connexion de Louisville
avec Chicago » http://pitchfork.com/features/update/9319-slint/
20 Voir cette interview de Denison réalisée à l'occasion de la tournée de reformation de The Jesus Lizard
par le magazine en ligne Guitar World et publiée le 22 juillet 2011.
http://www.guitarworld.com/interview-duane-denison-recalls-jesus-lizard-s-glory-days-creation-anddemolition
21 Dans l'interview évoquée dans la note précédente, Denison stipule : « [...]Alors que beaucoup de
groupes de cette époque n'arriverait jamais à apprécier Led Zeppelin ou n’admettrait pas qu'ils
possédent un album de Brand X Et nous, nous étions plus que ravis de le faire et de faire référence [à
ces artistes] dans notre musique ».
22 Dans l'interview évoquée précédemment, le journaliste questionne Denison sur ses connaissances en
musique Jazz et Blues, ce à quoi le guitariste répond : « J'ai un diplôme [universitaire] en musique. J'ai
étudié la musique à l'université, donc ça m'a été utile. Comme la plupart des gens qui débutent à la guitare
48
précédemment, des musiciens tels que Bob Mould et Vic Bondi sont des amateurs de
Pop Rock des années 1960 et 1970.
Il s'agit alors une fois de plus de sortir d'une sorte de codification trop astreignante
du Punk Rock. En effet, le mouvement s'étant bâti en opposition à ces musiques, jugées
trop savantes notamment, il devient en quelque sorte inavouable d'apprécier des
formations musicales telles que Led Zeppelin ou The Beatles. Hors, ces musiciens
l'admettent plus que volontiers et se servent de ces références afin de construire une
musique nouvelle et hybride.
Nous pourrions donc résumer la situation comme la suivante : les formations les
plus anciennes qui sont en activités durant toute notre période ayant trouvé une identité
musicale personnelle n'évoluent que peu, à l'image de Naked Raygun. D'autres
musiciens changent, mais de manière relativement peu importante, à l'image de Steve
Albini ou de Vic Bondi qui forment de nouveaux groupes, comme nous l'avons vu
précédemment pour le cas particulier du premier. Certaines nouvelles formations tentent
quant à elles, à l'instar des musiciens les ayant précédées, de trouver une manière
originale et personnelle de composer de la musique, la plupart du temps grâce à une
hybridation des genres.
Car le milieu Punk Rock semble, à partir de la fin des années 1980, se rapprocher
d'autres genres musicaux, créant alors d'autres scènes et une culture nouvelle. Nous
l'avons vu, des groupes comme Fugazi, Slint ou Hüsker Dü appartiennent à cette
logique puisque ceux-ci, bien qu'influencés par le Punk Rock, dépassent ce milieu et
sont définis par les journalistes et amateurs de musique comme des groupes de Rock
Indépendant ou de Rock Alternatif. Il est toujours difficile de nommer précisément les
genres musicaux auxquels appartiennent ces formations, tant les évolutions ont pu être
nombreuses au cours de leurs carrières respectives mais également grâce aux multiples
enchevêtrements d'influences de ces musiciens. De plus, ces genres sont largement
synonymes, les différences sont donc floues et ces appellations sont plus souvent liées à
une époque ou un mode de création et de diffusion musicale qu'à une réelle identité
musicale.
À Chicago, nous l'avons expliqué, le groupe The Jesus Lizard est un produit de
cette évolution. La musique du groupe est souvent décrite comme appartenant au
électrique, j'ai commencé à jouer des morceaux de Blues Rock et de Blues ».
49
courant Noise Rock, précisément décrit comme un hybride entre le Punk Rock, le Post
Punk et le Rock Alternatif. Ce groupe ne reniera jamais ses influences Punk Rock tout
comme ses influences Jazz, le principal compositeur utilisant des structures mélodiques
empruntant autant à ces deux genres afin de créer une musique dissonante et originale.
D'autres formations peuvent être nommées comme Urge Overkill, groupe fondé en
1985. Les musiciens fondent leurs premiers groupes au sein de la scène Punk Rock mais
rapidement ceux-ci intègrent de nouveaux genres musicaux dans leur répertoire, créant
alors une musique bien plus originale et hybride. Ceux-ci admettent alors ne plus
vraiment faire partie de la scène Punk Rock, ayant tout de même conservé ce qui est le
plus important selon eux, « l'état d'esprit Punk ».23
Cette évolution de la scène musicale à partir d'une base Punk Rock est d'ailleurs ce
qui caractérise la scène musicale de Chicago, mais également nationale, des années
1990. Nous pouvons ici affirmer que ces transformations et les formations
expérimentant grâce à de nouvelles influences, hybridant le Punk Rock, sont les
embryons de ce qui sera une logique musicale durant la décennie suivante.
23 Interview de Urge Overkill pour le magazine en ligne The Phoenix publiée le 29 juin 2011.
http://blog.thephoenix.com/BLOGS/onthedownload/archive/2011/06/29/q-amp-a-urge-overkill-snash-and-eddie-on-grunge-medallions-irony-and-making-one-s-dark-heroin-album.aspx
50
II. Les composantes sociales et politiques du mouvement
Au cours de cette partie nous allons tenter de définir socialement les acteurs du
mouvement Punk Rock de Chicago. Nous évoquerons ainsi des questions liées à l'âge
de ces acteurs mais aussi à leur éducation, leur sexe ainsi que leurs convictions
politiques et de quelle manière ces mêmes questions s’intègrent à leur démarche
artistique.
1. Le portrait des acteurs
Au cours de cette partie nous nous attarderons sur différents thèmes, notamment celui
de l'éducation universitaire des acteurs du milieu Punk Rock de Chicago mais aussi leur
sexe et la dimension très masculine de ce milieu avant de conclure en nous intéressant
aux figures centrales de ce même milieu.
a. Des participants plus éduqués ?
Au cours de cette partie nous allons revenir sur le parcours intellectuel, scolaire et
universitaire, entre autre, des acteurs de la scène de Chicago et essayer de comprendre
de quelles manières cette formation a pu impacter la musique que ces musiciens créent.
La musique Punk Rock a en effet la réputation, surtout au Royaume-Uni, d'être un genre
pratiqué par des jeunes gens issus des classes moyennes, peu diplômés. Dick Hebdige
exprime ainsi, de manière claire dans son ouvrage, la nature prolétarienne, entre autre,
du Punk anglais.
Mais la scène Punk Rock de Chicago obéit-elle aux mêmes logiques ? En effet,
cette musique est elle composée et interprétée par des jeunes issus des classes les plus
populaires, comme c'est là la thèse de Dick Hebdige dans son ouvrage afin de
comprendre le Punk anglais.
Les différences sont en effet plus nombreuses que nous ne pourrions le penser car,
nous l'avons évoqué précédemment, la scène Punk Rock de Chicago se développe plus
tardivement que la scène Punk Rock londonienne ou même de Washington par exemple,
pour comparer la situation à celle d'une ville du même pays.
Hors, la situation est différente aux États Unis, notamment du point de vue des
participants et de leurs cursus scolaires et universitaires. Il n'est ainsi pas rare que les
51
musiciens soient des jeunes issus des classes moyennes qui découvrent ce genre musical
et cette culture dès le lycée mais s'y investissent grâce à leur arrivée dans une grande
ville, comptant donc logiquement plus d'amateurs de musique Punk Rock, notamment à
l'occasion de leur entrée à l'Université. La majorité de ces musiciens fréquentent
d'ailleurs des facultés d'arts, de musicologie ou de journalisme.
La scène de Chicago n'est ainsi pas en reste, des universités prestigieuses étant
situées dans cette agglomération. Il est donc normal que de nombreux jeunes soient
attirés par la ville, au départ pour leurs études mais, découvrant la scène locale, ceux-ci
décident de s'y investir. Un exemple précieux nous est fourni par Steve Albini. Celui-ci
quitte la ville de Missoula, dans le Montana, afin d'entreprendre des études de
journalisme à Chicago, plus précisément à la faculté de Northwestern. Dès son arrivée,
il se renseigne sur les différents groupes Punk Rock locaux, les lieux à fréquenter afin
de voir des concerts intéressants.1 De plus, celui-ci est issu des classes moyennes
puisque le père d'Albini est ingénieur, travaillant notamment sur les fusées.
Albini n'est pas le seul exemple de musicien ayant déménagé afin de suivre des
cours à l'université puisque Vic Bondi, chanteur de Articles Of Faith, déménage lui aussi
à Chicago afin d'entreprendre des études d'Histoire. 2 De la même manière qu'Albini, la
famille de Vic Bondi n'est pas à proprement parler issue des classes populaires, son père
étant membre de l'armée américaine au grade de capitaine dans la marine.
Enfin, un dernier exemple peut être donné en la personne de Santiago Durango. Ce
guitariste, membre des Naked Raygun puis de Big Black, est le fils d'un docteur
Colombien et a étudié les sciences politiques à l'université de l'Illinois.
Ces trois personnes ne sont certes que des exemples mais ils prouvent bien que la
scène de Chicago est composée de jeunes gens, la majorité du temps étudiants, issus des
classes moyennes. Leurs formations universitaires ont d'ailleurs une influence sur leur
musique et sur leurs activités au sein de la scène de Chicago.
Tout d'abord, chacun utilise ses capacités afin de « servir » ce milieu musical et
leurs ambitions artistiques de la meilleure des façons possible. Comme nous l'avons vu,
Albini suit des études afin de devenir journaliste, il choisit ainsi, au-delà de ses activités
dans différentes formations musicales, de s'investir dans des fanzines. Il devient ainsi
1 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, notamment les pages 313 et 314.
2 Extrait des mémoires de Ken Mierzwa, rédacteur pour le fanzine Coolest Retard concernant le milieu
Punk Rock de Chicago au début des années 1980. http://kmier.net/mixed/punks5.html
52
rédacteur au sein du magazine Matter.3 De la même manière, Vic Bondi, étudiant
d'histoire, se sert de ses connaissances afin d'écrire des paroles très politisées, rendant
compte parfois des combats politiques passés. On peut ainsi dire que celui-ci, même s’il
ne l'admet qu'à demi mot dans les interviews, notamment plus récentes, se considère
comme un intellectuel qui aurait alors sa place dans le débat social et politique.
D'un point de vue artistique, particulièrement de la musique, cette formation
intellectuelle permet à ces jeunes musiciens de découvrir de nouvelles formes d'arts, de
nouveaux artistes et surtout les inspire. Une fois de plus, Albini nous fournit un exemple
marquant puisque celui-ci prend des cours divers et variés à l'université, notamment
d'arts appliqués et de peinture4 (tout du moins leur équivalent dans les universités
américaines). Hors, celui-ci choisit, pour son projet de fin d'année relatif à la validation
de son semestre, de s'enfermer dans une cabine de verre et de provoquer les passants,
incitant ces derniers à bombarder la cabine avec divers objets qui, une fois le jeune
musicien sorti, deviendrait alors l’œuvre d'art. Cet épisode, documenté par Azerrad
notamment, montre bien que, dès sa première année à l'université, Albini tente de créer
un art basé sur la confrontation avec le public. Nous retrouverons cette particularité
lorsque nous évoquerons les textes de Big Black.
Enfin, les musiciens ayant entrepris des études de musicologie utilisent le plus
naturellement leurs compétences au sein de leurs formations musicales. Nous avons
connaissance du cas de Duane Denison, guitariste du groupe The Jesus Lizard. Celui-ci
suit une formation musicale classique puisqu'il étudie la musicologie à la faculté du
Michigan. Hors, son cursus se compose surtout de l'étude du Jazz, des musiques
classiques, notamment grâce à la pratique de la guitare classique, et des musiques
d'avant garde.5 Cette formation instrumentale et de composition lui sert alors afin de
composer une musique unique dans son groupe. Celui-ci évoque par ailleurs le son
dissonant de sa formation musicale et les réactions des amateurs tout comme de son
entourage6 et confirme d'ailleurs que la dissonance des mélodies, notamment grâce à la
3 Comme le confirme l'ouvrage de Michael Azerrad mentionné en annexe bibliographique, notamment à
la page 315.
4 Interview de Steve Albini réalisée en 2011 par un magazine internet, le Gothamist, basé à New York.
Le musicien évoque les cours de peinture et son professeur, Ed Paschke.
http://gothamist.com/2011/09/28/steve_albini.php
5 Interview avec Duane Denison réalisée en 1993 et publiée sur ce site le 30 janvier 2013 dans lequel
celui ci évoque sa formation universitaire. http://smithlahrman.blogspot.fr/2012/01/interview-withduane-denison-february-3.html
6 Interview de Duane Denison réalisée par le magazine internet Guitar World, publiée le 22 juillet 2011,
53
guitare, n'est pas le fruit du hasard mais d'une volonté artistique ferme.7
Nous avons donc la preuve, pour ces artistes, que la formation universitaire et
intellectuelle a opéré un rôle, plus ou moins important, sur leur démarche artistique et
sur leur musique.
Mais une fois de plus, il nous est indispensable de nuancer les propos que nous
tenons. Tout d'abord, certains musiciens n'ont laissé une trace que peu importante. S’il
est très facile de retrouver les noms de ces musiciens, notamment grâce à l'archivage sur
internet de tous les membres des groupes ainsi que la durée de leurs passages au sein de
ces mêmes formations, il est très difficile de se renseigner sur la vie de ces musiciens.
De plus, il nous semble d'autant plus important de préciser que, malgré une formation
universitaire, certains musiciens ne portent pas en grande estime l'université et
l'enseignement qui y est dispensé.
Nous prendrons une fois de plus l'exemple de Steve Albini, puisque, dans de
nombreuses interviews, celui-ci remet en cause l'importance de l'université et de ce que
l'on peut y apprendre et surtout de ce qu'il nomme les savoirs « académiques ».8 Ainsi,
nous retrouvons une fois de plus la volonté de ces artistes de ne pas prendre pour acquis
un savoir jugé trop « académique » et de remettre en cause le système déjà établi, que
celui-ci soit scolaire, artistique ou, plus précisément, musical. De plus, il est à noter que
dans cette même interview, Albini évoque les choses qu'il apprend alors qu'il est à
l'université mais qu'il a appris de lui-même. Nous retrouvons ici une caractéristique du
mouvement Punk Rock que nous avons évoqué plus haut qui est l'apprentissage par soimême. Hors, cette qualité est l'une des plus importantes selon Albini puisque, nous
l'avons également découvert plus en amont dans notre développement, celui-ci apprend
à enregistrer un album dans sa totalité par lui-même par exemple mais aussi à maîtriser
des instruments de musique par le même moyen.
Nous constatons donc que la formation universitaire des participants n'est pas, pour
ceux-ci, une fin en soi. Elle leur permet une ouverture plus large d'esprit mais n'est pas
se focalisant sur la pratique instrumentale de la guitare. http://www.guitarworld.com/interview-duanedenison-recalls-jesus-lizard-s-glory-days-creation-and-demolition
7 Dans l'interview mentionnée dans la note précédente, Duane Denison déclare : « Mon beau frère me
disait :“Tu joues toujours les mauvaises notes.” Mais en réalité elles ne sont pas mauvaises, elles sont
intentionnelles ».
8 Interview publiée par le magazine en ligne Gothamist dans laquelle Albini déclare notamment : «J'ai
appris beaucoup de choses lorsque j'étais à l'université, je ne dis pas le contraire, mais pas grand chose
de ce que j'y ai appris était académique et encore moins de cela m'a été enseigné. J'ai appris la plupart
de ce que j'ai appris par moi même » http://gothamist.com/2011/09/28/steve_albini.php
54
portée en très haute estime et n'est pas définie comme une valeur importante et centrale
de ce milieu. En effet, le milieu Punk Rock, national ou local, comme c'est le cas ici, ne
met pas au centre de ses valeurs une éducation passive mais l'auto apprentissage comme
nous l'avons vu dans notre première partie.
b. La question du genre au sein de la scène Punk Rock de Chicago.
Nous allons dans cette partie nous intéresser à la question du genre, dans la
tradition notamment des cultural studies qui accordèrent une grande place à l'étude des
femmes et de leur rôle. Car le mouvement Punk Rock est un phénomène culturel en
majorité masculin, dans sa dimension internationale, nationale ou régionale. Steven
Blush, dans son ouvrage sur le Hardcore Punk américain, confirme d'ailleurs cela à de
nombreuses reprises.1
Les groupes, acteurs et amateurs de cette musique sont en grande partie des jeunes
hommes, notamment à Chicago. Un exemple parlant est la répartition entre les deux
sexes au sein des quatre groupes principaux de la ville, c'est à dire The Effigies, Naked
Raygun, Articles Of Faith et Big Black. Hors, il est frappant de constater qu'aucune de
ces formations ne comporte de musiciens de sexe féminin sur vingt-cinq au total. Les
chiffres semblent alors parler d'eux-mêmes.
Nous allons donc tout d'abord tenter d'apporter des éléments de réponse à la
question suivante : pourquoi ce genre musical, à Chicago ou ailleurs, est il si
majoritairement masculin ?
La première réponse est la violence musicale. En effet, le Punk Rock est un
mouvement musical violent qui appelle une réaction violente, notamment lors des
concerts. Des phénomènes de danses, baptisés Moshing, naissent alors. Cette pratique,
brutale, consiste la plupart du temps à se jeter les uns contre les autres, à se bousculer
mais également à se jeter depuis la scène sur les autres spectateurs afin de «surfer » sur
ces derniers. Blush, dans son ouvrage intitulé American Hardcore, une histoire tribale
explique que les concerts se finissent la plupart du temps en bagarres. 2 À Chicago, Ken
Mierzwa évoque lui aussi la fosse et la violence qui y prend place, précisant qu'il n'était
1 À la page 72 de son ouvrage, Blush nous dit « Le Hardcore était une subculture où les hommes étaient
majoritaires ».
2 À la page 73 de son ouvrage, Blush insiste sur le fait que les concerts « finissaient en moulons ou en
bagarres ».
55
pas rare que des photographes refusent de s'avancer sous peine de voir leurs appareils
photos détruit par certains danseurs trop violents.3 Il est alors évident que les jeunes
hommes trouvent, grâce à ces pratiques, un moyen de se défouler et de mettre en avant
leur virilité, trouvant alors une manière de découvrir leur corps grâce à ces pratiques
physiques et assez violentes.
La violence physique lors des concerts semble alors être un premier frein à
l'investissement des femmes au sein du mouvement Punk Rock. Mais est ce le seul frein
existant ? Il semble en effet, tout du moins à première vue, que les paroles de certaines
formations originaires de Chicago soient particulièrement violentes à l'égard des
femmes. Une fois de plus, la figure de Steve Albini et de ses groupes, Big Black et
Rapeman, se retrouvent au centre de notre analyse. Nous pourrions nous contenter dans
un premier temps d'évoquer le simple nom de ce second groupe, Rapeman, c'est à dire
« l'homme violeur », nom issu d'une bande dessinée japonaise. Le personnage principal,
nommé Rapeman, est une sorte de super héros inversé dont la profession est de violer
les gens. Albini ainsi que le batteur du groupe, Ray Washam, tombèrent sous le charme
de ce héros et décidèrent de nommer le groupe Rapeman.4 Le fait que le nom de cette
formation porte un appel si clair au viol peut en effet être perçu, à très juste titre, comme
une violence morale vis-à-vis des femmes. Le premier groupe de Steve Albini, Big
Black, comporte lui aussi son lot d'attaque envers les femmes, notamment par
l'intermédiaire des paroles. Les paroles de « Precious Thing »5, présent sur l'album
Songs About Fucking sont en effet particulièrement explicites. Dès les premières
secondes, Albini déclare : « Je voudrais nouer tes cheveux autour de ton cou tel un
nœud coulant » et celui-ci de continuer « Tu es ce que j'ai de précieux, tant que tu restes
en dessous de moi »6. Il semble alors que, face à des attaques physiques, dans la fosse
3 Au sein de ce blog recensant les mémoires de Ken Mierzwa, celui-ci évoque dans cette page certains
concerts ayant eu lieu durant l'année 1981. Parlant de la violence à l'intérieur de la fosse durant les
concerts, il dit : « Généralement, j'étais le seul de l'équipe [de rédacteurs et photographes du fanzine]
assez fou pour m'aventurer à travers les slam dancers et me mettre devant la scène pour prendre de
bonnes photos. » http://kmier.net/mixed/punks5.html
4 Nous nous basons ici sur cette interview issue du livre Rock Names écrit par Adam Dolgins en 1993.
Ce livre s'intéresse, grâce à de nombreuses interviews, au nom des groupes et notamment à l'impact
qu'ils ont eu sur la carrière des musiciens, la manière dont ces patronymes ont été trouvé et bien
d'autres choses. Ici, l'extrait propose l'interview de Steve Albini qui explique le choix des noms de ses
deux premiers groupes, Big Black et Rapeman.
http://www.petdance.com/actionpark/bigblack/press/rocknames.php
5 Voir annexe discographique, piste n°5.
6 Site de partage de paroles sur internet, celles ci ayant été consultées sur plusieurs sites et à l'oreille
notamment, pendant l'écoute de l'album. http://lyrics.wikia.com/Big_Black:Precious_Thing
56
durant les concerts, et à des attaques morales, notamment par l'intermédiaire des paroles
de groupes parmi les plus respectés du milieu Punk Rock de Chicago, les femmes soient
condamnées à ne pas tenir de rôle important.
Hors, il n'en est rien et c'est bien cela que nous allons tenter de prouver. Car, nous
l'avons vu, les formations musicales d'Albini semblent de premier abord se répandent en
attaques envers les femmes. Hors, il s'agit ici de remettre au centre de notre explication
plusieurs points. L'un d'entre eux est que ces attaques ne sont pas fréquentes. Les
thèmes abordés par ces musiciens sont variés et vont de la violence envers les femmes
jusqu'à la pédophilie, en passant par la violence physique ou même la vie dans une
petite ville d'un état rural du Middle West. Il n'est alors pas exact de voir ces groupes
comme la tribune d'une attaque sexiste permanente. Il est d'ailleurs assez intéressant de
constater que Albini fut à de nombreuses reprises confronté à ces paroles, notamment au
cours d'interviews. Celui-ci défendit souvent son œuvre d'une manière pour le moins
originale. En effet, il ne renie pas les paroles sexistes prononcées, bien au contraire, et
les assume parfaitement. Sa position paraît surprenante mais semble compréhensible,
tout du moins c'est ce qu'il affirme. Albini déclare que la parole n'est pas si importante
tant que ses convictions personnelles demeurent inchangées et il lui est donc permit de
dire ce qu'il veut afin, non seulement de choquer, mais également de faire avancer la
situation en attirant le regard de certains auditeurs sur des problèmes de société. De
plus, celui-ci estime qu'en tant que féministe convaincu, il peut dire ce qu'il souhaite sur
les femmes tant que ses convictions profondes ne changent pas. En somme, tant que les
convictions de l'artiste, qu'il soit musicien, écrivain, philosophe ou peintre, sont connues
par tous, il peut dire ce qu'il lui plaît tant que cela reste logique artistiquement et que
cela n'influe pas sur sa manière de penser.7
Nous pourrions discuter ici de l'importance de ce mode de pensée mais il en sera
question dans une autre partie d'explication. Ce qui est central au sein de notre
explication est que Albini se défend d'être sexiste et se définit au contraire comme un
féministe convaincu. Malgré cette explication, la violence des paroles reste forte et peut
être un frein à l'investissement des femmes au sein du mouvement Punk Rock,
7 De nombreuses interviews rendent compte de la pensée d'Albini, notamment par rapport aux paroles
violentes vis à vis des femmes qui créèrent des réactions assez fortes, surtout au Royaume Uni.
L'ouvrage de Michael Azerrad livre des pistes de réflexion aux pages 324, 325 et 326. Tout comme
l'interview suivante, datée du 5 juillet 1988, réalisée pour le fanzine Cult of the dead cow :
http://www.cultdeadcow.com/cDc_files/cDc-0084.txt
57
notamment si Big Black n'est pas un cas isolé. Hors, et c'est ici notre second point, c'est
le cas puisque les autres groupes les plus importants n'écrivent et ne revendiquent aucun
texte violent spécifiquement envers les femmes.
Ce frein de la violence verbale envers les femmes ayant disparu, grâce à l'absence
notable de textes sexistes chez la majorité des formations Punk Rock de Chicago, il
nous semble logique de chercher des raisons qui pourraient pousser celles-ci vers le
mouvement Punk Rock. Hors, comme l'ont très justement prouvé de nombreux
chercheurs, les femmes se sont investies massivement au sein du mouvement Punk
Rock. Nous l'avons vu, ce mouvement prône la libération et l'émancipation, notamment
artistique. Les femmes vont s'emparer de cette énergie artistique afin de s'émanciper,
notamment sexuellement et socialement durant les années 1970 et 1980.8
Il n'est d'ailleurs pas surprenant que le Punk Rock soit choisi par de nombreuses
femmes pour se faire entendre sur le plan social, sexuel, ou artistique par exemple. Nous
l'avons vu à de nombreuses reprises, le Punk Rock est un mouvement qui porte en sa
base la volonté d'une action possible pour tous. Hors, les femmes, malgré l'importance
des mouvements féministes des années 1970 aux États Unis, restent une part de la
société qui a une voix moins facilement audible au sein de celle-ci. Elles trouvent alors
grâce à cette culture un moyen d'apprendre à connaître leur condition physique et
sexuelle, leur corps mais aussi leur place dans la société.
Nous pouvons donc affirmer que le mouvement Punk Rock est l'un des moyens que
les femmes utilisent, de la même manière que les hommes, afin de s'exprimer mais qu'il
englobe une seconde signification, libéralisante d'un point de vue social principalement,
pour celles-ci. Il est donc tout à fait logique que de nombreuses femmes s'investissent
dans ce mouvement et deviennent musiciennes. Les exemples ne manquent pas en effet
puisque certaines figures les plus importantes de ce mouvement sont en effet des
femmes. Nous pourrions prendre pour exemple Lydia Lunch, musicienne de New York
qui forma notamment Teenage Jesus And The Jerks et dont l'influence fut centrale pour
des groupes tels que Sonic Youth. D'autres musiciennes, comme Siouxsie Sioux,
chanteuse du groupe Siouxsie and the Banshees, utilisent le Punk Rock comme une
manière de prendre conscience de leur condition sexuelle notamment par l'intermédiaire
8 Nous consulterons l'article de Julia Downes, intitulé « The Expansion of Punk Rock: Riot Grrrl
Challenges to Gender Power Relations in British Indie Music Subcultures » qui nous livre dans sa
première partie d'article un excellent résumé sur la condition des femmes au sein du mouvement Punk
Rock. Cet article est cité dans notre annexe bibliographique.
58
d'une tenue scénique comportant des vêtements en cuir et des lanières. Le Punk Rock et
son style, tenue scénique, attitude, maquillage, sont alors une part importante et
nécessaire de l’émancipation sexuelle de ces chanteuses dont Siouxsie Sioux est un
exemple parmi les plus connus et les plus intéressants. La dimension sexuelle du Punk
Rock est en effet très importante pour les femmes puisque la libéralisation vis-à-vis du
sexe pour les hommes est antérieur au mouvement Punk et existe depuis la
reconnaissance d'artistes tels que David Bowie par exemple. Celui-ci permet aux
hommes de se libérer vis-à-vis de leur image très sexuée et basée sur la virilité,
notamment grâce à l'utilisation de tenues scéniques très androgynes. De leur côté, les
femmes s'investissant dans le milieu Punk Rock se lancent dans un processus contraire
et affirment, grâce à des tenues scéniques comportant une forte connotation sexuelle,
leur volonté de liberté.
Nous venons de citer deux exemples de musiciennes, impliquées dans le
mouvement Punk Rock, dans deux pays différents mais notre travail porte sur la ville de
Chicago. Il convient donc de se demander si des acteurs de sexe féminin ayant une
importance centrale existent à Chicago.
Hors, il n'existe rien de tel pour la scène Punk Rock de Chicago. Nous l'avons dit
précédemment, aucune femme ne fait partie des groupes les plus importants de la scène
Punk Rock de cette ville. Peu d’entre elles sont également présentes au sein des
rédactions de fanzines, au sein des radios ou même dans le public se rendant aux
concerts. Le site communautaire punkdatabase.com9 lui-même ne cite quasiment aucun
nom féminin parmi la liste des personnages les plus importants présente sur la page
d'accueil du site. Parmi les sources que nous avons utilisé durant notre mémoire, les
mentions de femmes font souvent références à des musiciennes ne venant pas de la ville
de Chicago mais de l'extérieur comme Siouxsie Sioux ou Lydia Lunch par exemple.
Il semble donc que les femmes tiennent un rôle bien moins important au sein de la scène
Punk Rock de Chicago qu'au sein de celle de New York ou de Londres.
Nous pourrions être tenté d'avancer plusieurs éléments de réponse à la question
suivante : pourquoi les femmes n'ont elles pas tenues de rôle plus important au sein du
mouvement Punk Rock de Chicago ? La réponse la plus évidente semble être l’absence
de jeunes femmes assez intelligente et talentueuse pour s'imposer avec assez de force
9 Site communautaire ayant pour but de rassembler le plus d'informations possible sur la scène Punk
Rock de Chicago. http://punkdatabase.com/wiki/Main_Page
59
afin de laisser une trace importante au sein de cette scène. Mais un autre élément de
réponse, peut être plus intéressant, est également à mettre en lumière. En effet, Julia
Downes, dans l'article que nous avons évoqué dans ce même paragraphe, parle de
l'importance d'une historiographie du Punk Rock ayant donné une place trop centrale
aux hommes, plaçant au sommet de ce courant musical la figure du jeune musicien mâle
comme l'archétype du représentant de ce même mouvement. Hors, il est possible que la
scène de Chicago, encore peu étudiée par les chercheurs, soient victimes de cette
approche et que le faible nombre de sources n'aident en rien les chercheurs à se pencher
sur la situation des femmes au sein de ce milieu.
Il est cependant clair que nos sources ne nous donnent aucun moyen d'éclairer cette
situation autrement qu'en formulant des hypothèses que nous ne développerons pas plus
en avant que ce que nous venons de faire. Il nous semble qu'il est au cœur de la mission
d'historien de discuter des faits grâce à des preuves qui, dans ce cas, sont inexistantes.
Nous venons de voir que les femmes tiennent un rôle mineur dans la vie du mouvement
Punk Rock dans la ville de Chicago. Qui sont alors les musiciens et acteurs de ce même
mouvement qui ont la plus grande influence ?
c.
Des figures centrales
Au cours de cette partie de notre développement nous nous attarderons plus
spécifiquement sur les figures centrales de la scène Punk Rock de Chicago,
principalement des musiciens mais sans toutefois nous limiter à ces derniers.
Il n'aura pas échappé au lecteur au cours de notre analyse que la mention de certains
personnages est récurrente. Il s'agit la plupart du temps d'acteurs ayant une place de
première importance au sein de la scène Punk Rock et c'est ceux-là même qui
constituerons la partie centrale de notre analyse.
Il est tout d'abord frappant de constater qu'à de nombreuses reprises, ceux-ci sont
des musiciens, leaders des groupes les plus importants du milieu Punk Rock de
Chicago. Ils sont ainsi le membre le plus important d'un des groupes les plus importants
de la ville. Au sein de leurs formations musicales, ceux-ci composent la majorité des
créations musicales, s'occupent des relations avec la presse, notamment lors des
interviews et prennent en charge une part importante des responsabilités économiques,
juridiques ou même administratives.
60
Nous allons tenter de voir si nous pouvons définir quelques schémas généraux afin
de comprendre de quelle manière ces musiciens réussissent à accéder à une certaine
popularité au sein de la scène Punk Rock de Chicago, réputation qui peut parfois
dépasser les limites de la ville.
Le premier cas que nous allons étudier est celui d'un musicien ayant fait partie de
nombreuses formations. L'exemple que nous avons choisi est celui de Santiago Durango
puisque ce musicien fait partie au cours de sa carrière de plusieurs groupes dont le
premier est Silver Abuse qui ne laisse que peu de traces de son existence puisque seul
un disque sept pouces est enregistré par le groupe. C'est cependant en rejoignant Naked
Raygun que Santiago Durango accède au succès, ou tout du moins à la reconnaissance
au sein de la scène Punk Rock de Chicago. Naked Raygun étant dès le début des années
1980 un groupe très reconnu par ses pairs. Michael Azerrad évoque d'ailleurs la
réputation de Durango dans son ouvrage, le décrivant comme une sorte de célébrité
locale.1 Enfin, Santiago Durango quitte Naked Raygun dès 1983 pour se concentrer à
plein temps sur le dernier groupe qu'il rejoint, à savoir Big Black, au sein duquel il
prend le poste de guitariste et chanteur de 1983 à 1987.
Ce qui rend ici populaire au sein de ce milieu si fermé ce musicien est le fait qu'il
participe à de nombreux groupes qui sont, de plus, de première importance pour le
mouvement Punk Rock au sein de la ville de Chicago.
Une autre façon d'être reconnu par les acteurs du milieu Punk Rock est de
multiplier les rôles et de ne pas se contenter d'être uniquement un musicien. Cela est en
effet perçu comme le signe d'une volonté d'intégration importante. L'investissement en
temps est également un gage de respect et l'acteur en question peut rapidement devenir
une figure centrale et indispensable pour la scène selon les rôles qu'il décide de prendre
en charge. Steve Albini nous fournit une fois de plus un exemple indispensable puisqu'il
est la figure de l'acteur aux rôles multiples que la scène de Chicago compte dès le début
des années 1980. Tout d'abord, son rôle de musicien aux seins de Big Black et
Rapeman, deux formations importantes, tant au niveau local que national, le pousse
incontestablement dans ce rôle d'artiste central pour le milieu Punk Rock de la ville.
Hors, Albini tient d'autres rôles importants au sein de la scène Punk Rock de Chicago.
Parmi ceux-ci, celui de rédacteur de fanzine au sein de Matter, un périodique local. À
1 Voir dans l'ouvrage de Michael Azerrad, notamment aux pages 316 et suivantes, documentant la
rencontre entre Steve Albini et Santiago Durango.
61
cela s'ajoute également son rôle en tant qu'ingénieur du son qu'Albini développe en
parallèle des enregistrements de ses propres formations musicales afin de donner à sa
musique la puissance sonore qu'il désire. Enfin, celui-ci gère un label qu'il n'a pas fondé,
Ruthless Records, fondé en 1981 par les membres du groupe The Effigies. Cependant,
Albini prend le contrôle du label dès 1985 lorsque le groupe fondateur du label, The
Effigies, signe chez Enigma Records, un label Californien mieux distribué sur le
territoire américain. Albini aide donc les groupes signés sur le label, peu nombreux
certes, à gérer la distribution européenne de leurs disques, à créer des pochettes
originalles pour leurs albums et bien plus. Albini nous propose ici l'exemple type d'un
acteur de la scène Punk Rock qui n'a pas voulu se cantonner à un seul rôle mais tenter
d'aider du mieux possible celle-ci, en utilisant toutes ses capacités. Cependant, même lui
admet que les nombreux rôles qu'il occupe furent parfois trop chronophages, celui-ci
ayant jusque 1987 un emploi à temps plein en tant que retoucheur photo.2
Enfin, une troisième manière de devenir une figure reconnue au sein de la scène
Punk Rock de Chicago est tout simplement d'être un personnage original, ayant des
idées à contre courant des autres acteurs. L'un de ces exemples est le chanteur et
principal compositeur du groupe Articles Of Faith, Vic Bondi. Celui-ci devient une
figure reconnue du milieu Punk Rock de Chicago notamment grâce à son groupe mais
surtout grâce à ses prises de positions politiques très fermes, tant durant les interviews
qu'au sein des textes qu'il écrit. Une part de notre démonstration étant spécifiquement
centrée sur les groupes engagés politiquement au sein du milieu Punk Rock de Chicago,
nous reviendrons sur ces thèmes dès la partie suivante. Cependant, afin de continuer
notre démonstration, Vic Bondi devient un acteur de premier plan non seulement grâce à
ses prises de positions politiques très fermes mais également grâce aux qualités
musicales de ses compositions. Il est donc notable que sa reconnaissance au sein du
milieu Punk Rock de Chicago vienne non seulement de son originalité mais aussi de ses
capacités musicales.
Nous allons ainsi nous demander si d'autres explications ne sont pas nécessaires
afin de comprendre pourquoi certains acteurs occupent une place si primordiale au sein
de ce milieu.
2 Dans l'ouvrage de Michael Azerrad, l'auteur ainsi qu'Albini décrivent l'emploi du temps trop chargé de
ce dernier aux pages 334 et 335. Albini va même jusqu'à dire « C'était stupide de ma part de
m'embarquer là-dedans » en parlant du label Ruthless Records.
62
Tout d'abord, il convient de montrer que ce phénomène n'est nullement original à la
scène de Chicago ni même au milieu Punk Rock. Tout mouvement culturel comporte
des chefs de file et en réalité ces personnages que nous avons cité ne sont que des
acteurs du milieu Punk Rock de Chicago dont l'influence est plus importante sur ce
même milieu et dont le point de vue ou la démarche artistique sont plus respectés.
Nous pourrions en effet être tenté de placer le mouvement Punk Rock à part de
cette logique puisque ce courant artistique tente de rompre, c'est du moins sa volonté
première, avec les autres formes artistiques. Hors il n'en est rien et les exemples sont
nombreux. La liste de noms décrite plus en amont de notre démonstration en est un tout
aussi parlant que ceux que nous allons exposer. Ainsi, la scène Punk Rock de
Washington se construit autour de figures centrales parmi lesquelles des musiciens,
comme Guy Picciotto qui est le dénominateur commun de nombreux groupes parmi les
plus connus de la ville, ou des acteurs cumulant les responsabilités comme Ian
MacKaye, musicien mais aussi directeur de label, organisateur de concerts et archiviste
autoproclamé de la scène Punk Rock de la capitale des États Unis.
Notre première explication est donc que le Punk Rock, comme tout mouvement
artistique ou culturel, a besoin de chefs de file et de figures centrales afin de se
construire autour de certaines valeurs, que celles-ci soient philosophiques, artistiques,
politiques ou autre, qui sont souvent définies, consciemment ou non, par ces acteurs
centraux.
Notre seconde explication est liée aux prises de position, parfois très fortes, de
certains de ces acteurs centraux pour la scène Punk Rock. En effet, nous l'avons dit, ces
figures centrales inspirent ce milieu artistique et le modèlent de différentes manière.
Hors, il n'est pas rare que ces musiciens donnent leur avis et ce notamment au cours des
interviews. Ces avis peuvent concerner des groupes de musique locaux, nationaux voir
étrangers mais aussi des personnalités politiques, artistiques. En réalité, la plupart des
interviews traitent en grande partie de cela, puisque l'avis des musiciens sur de
nombreux points semblent être une préoccupation importante des lecteurs et des
rédacteurs. Nous renvoyons le lecteur à la grande majorité des interviews disponibles
dans notre bibliographie afin de constater nos dires. Hors, de nombreuses figures
centrales de la scène Punk Rock de Chicago sont connues notamment pour leurs prises
de position extrêmement fermes sur des points précis, artistiques ou économiques par
63
exemple. Steve Albini, dans son édito qui n'avoue pas son nom intitulé « Tired of ugly
fat ? » au sein du magazine Matter, critique de nombreux musiciens comme Al
Jourgensen fondateur du groupe local Ministry3. Au cours de plusieurs interviews, celuici donne son avis sur l'industrie musicale mais aussi sur des formations musicales
locales ou nationales.4 De la même manière, l'importance de Vic Bondi, la dimension
politique de ses paroles ainsi que la nature des questions qui lui sont posées durant les
interviews trahissent la volonté de connaître le point de vue de ce musicien. 5 Ce que
cela nous apprend est en réalité le besoin de la part de la scène Punk Rock d'une figure
proche de l'intellectuel engagé. En effet, il s'agit pour les lecteurs de s'identifier à ces
artistes qui, grâce à leur manière de voir le monde musical, l'économie musicale et
parfois même le monde dans sa généralité, fournissent une sorte de code conduite. Nous
pouvons même aller plus loin dans notre raisonnement en estimant que les figures
centrales que nous avons évoqué sont nécessaires au développement du mouvement
Punk Rock puisqu'elles modèlent ce milieu non seulement par leur action artistique
mais également par leurs idéaux, leurs créations et leurs prises de parole. Il semble donc
que ces acteurs centraux, proches des intellectuels engagés toute proportion gardée,
soient responsables localement de l'évolution artistique, musicale et parfois même
économique. Théorie qui semble confirmée par les évolutions différentes constatées
entre la ville de Chicago et la ville de Washington.
Nous l'avons vu, il est difficile de citer une seule figure centrale pour la scène de
Chicago puisque de nombreux acteurs, parfois avec des convictions différentes sont à
l’œuvre dans cette ville. Hors, il est également marquant que nous ayons constaté au
cours de notre première partie, qu'il était difficile voir impossible d’identifier un « son
Punk Rock de Chicago ». Hors, la scène Punk Rock de Washington comporte plusieurs
figures centrales mais elle compte également un personnage qui est unanimement
reconnu comme au centre de celle-ci en la personne de Ian MacKaye6. Celui-ci modèle
3 Voir à la page 315 de l'ouvrage de Michael Azerrad.
4 Au cours de cette interview aec Simon Reynolds publiée à l'origine dans le Melody Maker au cours de
l'année 1987, Albini décrit le fait de signer chez un label important comme une « stupidité » par
exemple : http://reynoldsretro.blogspot.fr/2008/04/big-black-interview-melody-maker-1987.html
5 Au cours de cette interview d'Articles Of Faith publiée à l'origine dans le fanzine Suburban Voice au
mois de juillet 1984, la majorité des questions portent sur la dimension politique des paroles du
groupe qui expliquent de fait leur point de vue au journaliste.
http://www.killfromtheheart.com/interviews.php?id=4
6 Notre étude ne concernant pas la scène Punk Rock de Washington, nous renvoyons le lecteur à
l'excellent chapitre consacré à Fugazi dans l'ouvrage de Michael Azerrad ainsi qu'au chapitre consacré
à la scène de Washington dans l'ouvrage de Steven Blush.
64
l'ensemble de ce milieu grâce à ses positions économiques, son rôle dans deux
formations musicales parmi les plus importantes de la ville et son label, Dischord
Records. De plus, les autres personnages les plus importants ne prennent pas des
positions différentes à Ian MacKaye mais complémentaires voire identiques. Hors, il est
frappant de constater que les groupes Punk Rock de Washington ont une identité
musicale et sonore marquante et très proche. De nombreux spécialistes parlent même du
« Son Hardcore de DC7 ».
Nous pouvons donc au moins estimer que les figures centrales sont indispensables à
la formation de la scène Punk Rock puisque, comme tout mouvement artistique ou
culturel, celui-ci en a besoin. Pour preuve, nous pouvons mettre en avant le fait que, dès
1985 et 1986, la situation évolue. En effet, la séparation d'Articles Of Faith et le départ
de Vic Bondi qui quitte Chicago prive la scène d'une figure de premier plan mais qui
s'était fait la voix d'une autre vision du Punk Rock, partagée par une très faible portion
de la scène locale. Hors, ce départ ainsi que l'importance de nouveaux acteurs centraux
parmi lesquels Corey Rusk, directeur du label Touch And Go, installé à Chicago depuis
1983 et qui, à partir de 1987 et la signature de Big Black à l'occasion de la sortie du
disque Heartbeat. Ces deux faits conjugués, c'est à dire la disparition d'une figure
importante et la montée en puissance de nouvelles figures centrales, musicales ou non,
au sein de la scène ouvre d'ailleurs, dès le début des années 1990, une nouvelle époque
pour la scène Punk Rock de Chicago. Cependant, ces changements drastiques ne
concernent pas notre étude puisque ceux-ci ne sont non seulement pas inclus dans nos
bornes chronologiques mais relèvent également d'une scène empruntant autant au Punk
Rock qu'à d'autres mouvements musicaux.
2. Le discours politique
Le Punk Rock, notamment durant les années 1980, est emprunt d'une coloration
politique, cette décennie voyant arriver au pouvoir Ronald Reagan, conservateur qui
met au centre de sa politique une image forte, militarisée et impérialiste de son pays.
Hors, de nombreux artistes engagés dans le courant Punk Rock trouvent dans la
musique un moyen de faire exister une critique politique forte. Nous allons donc au sein
7
Voir notamment l'ensemble des ouvrages sur le Punk Rock, dont celui de Michael Azerrad et Steven
Blush qui évoque une identité musicale forte, propre au mouvement Punk Rock de Washington,
représenté par des groupes tels que Fugazi ou Minor Threat.
65
de cette partie nous attarder sur les dimensions politiques du milieu Punk Rock de
Chicago.
a. Les groupes engagés politiquement au sein de la scène Punk Rock de
Chicago
Le Punk Rock est un mouvement culturel et musical qui, dès ses premières années
d'existence a été utilisé afin de faire passer des messages politiques, construits ou non.
Les Sex Pistols eux même, malgré le fait qu'aucun de leur morceau ou de leurs
interviews ne prouvent qu'ils n'aient eu un discours politique réfléchi, peuvent être
qualifié tout de même de groupe politique. En effet, le morceau « God Save The
Queen »1 enregistré en 1977, année du vingt-cinquième anniversaire de règne
d’Élisabeth II, remet en cause le système politique du Royaume-Uni, à savoir la
monarchie constitutionnelle. Mais plus qu'une réelle remise en cause construite du
système politique de leur pays, il faut surtout voir dans ce morceau une posture antisystème visant à démontrer l'incapacité de certains jeunes à s'adapter à une société jugée
trop archaïque et dont la Reine semble être l'un des symboles.
Il n'est alors pas surprenant que d'autres formations musicales utilisent le Punk
Rock afin de transmettre un message politique. Aux États Unis, les groupes politisés, en
partie ou non, sont nombreux. Parmi ceux-ci nous pouvons citer le groupe californien
Dead Kennedys, fondé à San Francisco en 1978. Les paroles du groupe entendent
critiquer de nombreux éléments parmi lesquels les changements ou plutôt les non
évolutions sociales et économiques de l’Amérique des années 1980, présidée par le
président républicain Ronald Reagan. Ainsi, des morceaux tels que « Kill The Poor » ou
« California Über Alles »2 présentent des paroles critiquant les hommes politiques et les
inégalités sociales et économiques.3
Il n'est donc pas étonnant de constater qu'au sein de la scène Punk Rock de
Chicago, des formations musicales suivent le même chemin en tentant de faire passer un
1 Voir annexe discographique, piste n°6.
2 Voir annexe discographique, piste n°7.
3 Nous nous reporterons aux paroles de ces deux morceaux présents sur le site officiel des Dead
Kennedys :http://www.deadkennedys.com/albums_fresh.html#1 « Kill The Poor » s'attarde
notamment sur les dérives du système capitaliste tandis que « California Über Alles » est une critique
du gouverneur californien Jerry Brown en fonction de 1975 à 1983.
66
message politique. L'exemple que nous étudierons est celui de Articles Of Faith, groupe
fondé en 1981 et séparé en 1985. Celui-ci est fondé par Vic Bondi, principal
compositeur et parolier du groupe ainsi que chanteur et guitariste.
La tendance de cette formation est la gauche politique assumée puisque les
membres du groupe le revendique clairement durant leurs interviews.4 Le but affiché
d'Articles Of Faith est de convaincre, notamment grâce aux paroles, du bien fondé des
valeurs politiques prônées par ces musiciens. Cela semble même aller plus loin puisque
la politique fait partie intégrante du projet artistique de cette formation, les paroles
mêlant alors, selon eux, textes personnels et politiques. Au cours d'une interview, ceuxci déclarent « toutes nos chansons sont très personnelles, mais la politique fait
grandement partie de notre personnalité »5. Nous pouvons ainsi dans un premier temps
déclarer sans aucune ambiguïté que le message politique est tout d'abord central pour
cette formation mais qu'il est également vécu comme une volonté personnelle. Il aurait
en effet été possible que l'auteur des textes écrivent ces derniers sans en faire part au
groupe et sans mettre en commun ses convictions avec les autres musiciens hors il n'en
est rien, ces idées politiques étant partagées par l'ensemble des membres du groupe.
Un autre fait que nous pouvons écarter est celui selon lequel la musique passerait au
second plan, rendant alors le message plus important que celle-ci. Le style musical
n'aurait alors aucune importance et les musiciens pourraient tout aussi bien se contenter
de jouer du Rock Psychédélique ou du Punk Rock sans que cela n'ait aucune
importance. Hors, il n'en est rien puisque Vic Bondi décrit dans les termes suivants le
projet de base ayant donné naissance à Articles Of Faith : « L'idée était que nous
détruisions les conventions musicales de la même manière que nous détruirions les
conventions fédérales »6. La qualité politique et la dimension musicale du projet
artistique ne font alors qu'un et sont ainsi liées entres elles. Il semble donc que les deux
soient indissociables de l'entité Articles Of Faith.
Attardons-nous maintenant sur les thèmes développés par ce groupe. Ceux-ci
4 Dans cette interview publiée par le magazine en ligne Scanner Zine que nous avons choisi parmi les
nombreuses du groupe qui évoque leur ligne de conduite politique, Vic Bondi déclare « Joe [Scuderi,
guitariste du groupe] et moi sommes de la gauche »
http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm
5 Voir cette interview donnée au fanzine Suburban Voice, dans le numéro 11 sorti en juillet 1984.
http://www.killfromtheheart.com/interviews.php?id=4
6 Voir cette interview publiée le 14 mai 2008 sur le blog You Breed Like Rats durant laquelle Vic Bondi
revient sur sa carrière. http://youbreedlikerats.blogspot.fr/2008/05/vic-bondi-from-articles-offaith.html
67
restent similaires aux thèmes évoqués par les groupes de Punk Rock politisés américains
ou même britanniques. Le pacifisme est l'un des thèmes évoqués par la formation,
notamment par le morceau « Buy This War »7, enregistré en 1983, qui critique les
conflits armés et notamment le sacrifice des conscrits ainsi que la politique impérialiste
des États Unis durant les années de Guerre Froide, 1983 correspondant à une année de
durcissement des relations diplomatiques entre l'URSS et les USA.8
Un second élément souvent critiqué et mis en lumière par les textes de Vic Bondi
est l'aliénation de l'individu et la société de consommation. En effet, le mode de vie
américain, fondé selon ces musiciens, sur la consommation massive, est critiquable et
aliène l'individu de ses véritables envies. Nous le voyons particulièrement dans le
morceau « What We Want Is Free » enregistré en 1982. Voici des extraits choisis tirés de
celui-ci : « Je n'ai pas besoin de la production de masse », « Je ne passerai pas ma vie à
payer » ou bien « production de masse, marché de l'esclavage ». Au cours d'interviews,
Vic Bondi expliquent plus en avant cela, précisant que le marché économique force les
travailleurs à abandonner leurs passions, leurs envies et leur identité au profit de leur
métier afin d'avoir un salaire plus important.9
Le groupe se positionne donc comme le révélateur des problèmes de la société
américaine et a donc une mission double. La première est une mission artistique qui est
de changer le monde musical en proposant une musique nouvelle. Cette volonté est en
réalité très similaire à celle de la grande majorité des formations de Punk Rock. La
seconde est celle de changer la société grâce à un message critique politique et social.
Le cas de l'art engagé est toujours intéressant, notamment vis-à-vis des réactions qu'il
suscite. En l’occurrence, Articles Of Faith est difficilement accepté par le milieu Punk
Rock de Chicago. Les musiciens eux-mêmes semblent renier leur appartenance à la
scène locale, expliquant qu'ils se sentent plus proches d'autres formations venant
d'autres villes. Vic Bondi, dans une interview revenant sur l'intégralité de sa carrière
7 Voir annexe discographique, piste n°8.
8 Les paroles de ce morceau sont disponibles sur ce site d'archivage de paroles de la scène Punk Rock
de Chicago : https://files.nyu.edu/cch223/public/usa/lyrics/aof_core.html
Nous prendrons en note cet extrait : « la sécurité nationale est ce dont nous avons besoin pour nous sentir
libre/ Quelqu'un doit saigner [pour cela] »
9 Ceci est évoqué dans l'interview suivante, donné par le groupe au mois de juillet 1984 pour le fanzine
Suburban Voice :http://www.killfromtheheart.com/interviews.php?id=4. Nous prendrons plus
précisément en note le passage suivant durant lequel Vic Bondi parle des employés de compagnies
financières : « Le fait est que cela [le métier d'homme d'affaires] devient votre nouvelle identité.]
68
déclare ceci: «Peut-être que nous nous serions mieux intégrés à [Washington] DC» 10. De
la même manière, Vic Bondi critique l'attitude des musiciens de cette ville, notamment
leur volonté de se rapprocher de milieux artistiques trop éloignés des difficultés
politiques et sociales que connaît le pays à la même époque.11
Cette différence entre les groupes principaux de la scène Punk Rock comme The
Effigies ou Naked Raygun et Articles Of Faith est telle que bientôt ces derniers doivent
organiser eux même leurs concerts sous peine de ne plus pouvoir en donner. En effet,
Vic Bondi précise que certains groupes refusent de les aider en leur demandant de faire
leur première partie. Comme le précise d'ailleurs le leader d'Articles Of Faith: «Quand,
au départ, j'essayais de m'intégrer à la scène de Chicago, j'ai pensé qu'ils [The Effigies]
m'aideraient mais c'était le contraire»12. Naturellement, nous avons ici l'exemple d'un
seul groupe mais il est notable que dans d'autres entretiens celui-ci ne cite quasiment
aucun groupes de la ville lorsqu'on lui demande de quelles formations il se sent proche.
Dans une interview, Bondi déclare qu'il a dû créer une scène nouvelle et proche de son
groupe au sein même de la scène Punk Rock de Chicago. 13 Celle-ci est extrêmement
réduite, le musicien ne pouvant citer que trois formations, parmi lequel son propre
groupe ainsi que Negative Element, groupe local qui n'a enregistré qu'un unique album
en 1983, et Rights Of The Accused, formation n'ayant laissé que deux albums à la
postérité, jugés de qualité médiocre.
Articles Of Faith semble donc le seul groupe d'importance au sein de cette scène
réduite à l'intérieur du mouvement Punk Rock de Chicago et tout simplement le seul
groupe engagé politiquement de la ville à avoir un certain succès tant localement que
nationalement, Articles Of Faith programmant une tournée d'assez grande envergure en
1982 qui devait passer par le Texas, le Canada et la côte ouest des États Unis. De plus,
lors de leur première réunion en 1991, le groupe se lance dans une tournée
Européenne.14
10 Voir cette interview pour le magazine en ligne Scanner Zine non datée mais enregistrée à l'occasion de
la sortie du premier album de Report Suspicious Activity, nouvelle formation de Vic Bondi, qui est
sorti en 2005. http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm
11 Vic Bondi déclare dans la même interview que celle présentée précédemment que « la scène Punk de
Chicago était trop « arty » et prétentieuse ».
12 Voir cette interview publiée le 14 mai 2008 dans le magazine en ligne You Breed Like Rats
http://youbreedlikerats.blogspot.fr/2008/05/vic-bondi-from-articles-of-faith.html
13 Au sein de cette interview par email, publiée le 5 décembre 2007 sur le site Chicago Punk Pix, Vic
Bondi revient sur l'histoire d'Articles Of Faith. http://chicagopunkpix.com/CPP/?p=32 Il déclare
notamment : « Nous avons monté nos propres concerts et crée notre propre scène »
14 Nous nous référons au site du label Alternative Tentacles et notamment à la biographie du groupe.
69
Afin de conclure cette partie, nous pouvons tout d'abord dire que des groupes
engagés politiquement existent bien au sein de la scène Punk Rock de Chicago.
Cependant, leur nombre est très fortement réduit tout comme leur importance au sein de
la scène. Ces formations semblent même marginalisées comme le démontrent le fait que
certains musiciens refusent d'aider ces artistes engagés. Malgré cela, l'importance
d'Articles Of Faith au niveau national est importante puisque de nombreux groupes,
comme Hüsker Dü, Big Boys ou Die Kreuzen15 les considèrent comme des musiciens
intéressants et proches. Ces liens, avec des groupes du middle west, seront au cœur de
notre analyse à la de notre troisième chapitre mais il nous semble important de montrer
en conclusion que Articles Of Faith reste un groupe central qui est regardé comme l'une
des formations les plus importantes de la ville, en témoigne la reformation du groupe en
1991 et surtout le succès de celle-ci.
Cependant, si Articles Of Faith semble être une des rare formation politisée de
Chicago, cela signifie-t-il pour autant que les autres groupes de la ville ne s'engagent
pas sur ce même terrain ?
b. Un non discours politique
La majorité des groupes Punk Rock de la scène de Chicago ne revendiquent aucun
message politique, dans le sens où, contrairement à un groupe comme Articles Of Faith
qui se définit comme appartenant à la gauche, ceux-ci ne se déclarent pour aucun parti
ou aucun mouvement politique. Il serait alors tentant de déclarer que ces groupes ne
délivrent aucun message mais il n'en est rien.
Dans un premier temps, il est évident que certains de ces groupes ont un message
purement artistique, ne se rapprochant absolument pas d'un message social ou politique.
Prenons l'exemple d'une pièce musicale telle que « Peacemaker », présente sur l'album
All Rise du groupe Naked Raygun, paru en 1985 sur le label Homestead Records. Ce
morceau met en scène un personnage fictif et raconte son histoire 1. Il n'y a ici aucun
http://www.alternativetentacles.com/bandinfo.php?band=articlesoffaith
15 Au sein de cette interview, publiée le 5 décembre 2007 sur le site Chciago Punk Pix, Vic Bondi
déclare : « Hüsker [Dü], Big Boys, Die Kreuzen […] nous ont ouvert beaucoup de portes »
http://chicagopunkpix.com/CPP/?p=32
1 En l'absence de paroles présentes sur un site officiel, nous avons été contraint de nous d'un site non
officiel. Cependant, celles-ci ont été vérifiées lors de plusieurs écoutes de ce morceau afin de nous
assurer de la véracité des informations citées :
http://www.plyrics.com/lyrics/nakedraygun/peacemaker.html
70
sens derrière ces paroles autre que le message premier.
Un autre exemple frappant est le morceau « Kerosene » disponible sur l'album
Atomizer du groupe Big Black sorti en 1986 sur le label Homestead Records. Le
morceau décrit la vie ennuyeuse des adolescents vivant dans les petites villes
américaines, notamment dans les états du Middle West dont est originaire Albini.2
3
Mais ces paroles, pourtant si peu intéressantes de premier abord, le sont-elles
réellement ? Ne sont-elles pas la mise en lumière d'une génération qui s'ennuie et qui,
dans les années 1980, synonyme de conservatisme politique aux États Unis, cherche à
se divertir par tous les moyens possibles ?
Cela nous amène alors à notre second point qui nous pose la question d'un message
plus subtil mais tout aussi important. En effet, peu de groupes de la ville de Chicago ont
un discours politique clair et établi. Mais il est également tout aussi vrai que les
dénonciations sont nombreuses de la part de ces mêmes formations. Nous allons ici
prendre des exemples qui ne pourrons évidemment pas être exhaustifs mais des groupes
tels que Naked Raygun, qui ne se réclament d'aucune mouvance politique, dénoncent de
manière très importante les violences physiques faites aux femmes dans le morceau
« Potential Rapist » disponible sur le disque Basement Screams sorti en 1983 sur le
label Ruthless Records ainsi que la société américaine dans son intégralité dans le
morceau « Only In America » présent sur le disque Throb Throb sorti en 1984 sur le
label Homestead Records.
Les faits dénoncés par ces formations sont en effet variés, la violence envers les
femmes, le racisme, la société américaine et le mode de vie américain ou bien même des
faits divers. La plupart du temps, ces critiques sont liées au vécu de ces artistes. Deux
exemples sont ici intéressants, les deux liés à Steve Albini. Celui-ci, originaire du
Montana, est particulièrement choqué par les tensions raciales au sein de la ville de
Chicago et notamment par le racisme d'une partie de la population de la ville. 4 Le
premier morceau du disque Lungs, « Steelworker », enregistré en 1982, parle ainsi d'un
employé des aciéries évoquant les personnes de couleur comme des « Darkie », terme
2 Cela est notamment explicitée dans cette interview réalisée par Simon Reynolds, daté de l'année 1987,
présente dans le magazine anglais Melody Maker: http://reynoldsretro.blogspot.fr/2008/04/big-blackinterview-melody-maker-1987.html
3 Ici aussi, en l'absence de sources officielles pour les paroles, nous avons utilisé une source non
officielle que nous avons contrôlée : http://lyrics.wikia.com/Big_Black:Kerosene
4 Dans l'ouvrage de Michael Azerrad, notamment à la page 324, il nous est rapporté que Steve Albini
déclare : « La moitié de la population ne parle pas, n'interagit pas, ne mange pas ou ne traîne pas avec
l'autre moitié de la population […] et cela m'a juste paru étrange »
71
péjoratif. Le deuxième exemple est le nom du premier disque enregistré par le second
groupe d'Albini, Rapeman. Ce disque s'intitule Budd et fait référence à Robert « Budd »
Dwyer, un politicien accusé de corruption qui, poussé par la honte et une campagne
médiatique importante, mis fin à ses jours le 22 janvier 1987 en direct devant les
caméras de télévision de tout le pays. Si le groupe n'a jamais fait part du message réel
derrière le nom de ce disque, paru en 1988, nous pouvons légitimement nous demander
s’il ne s'agit pas là d'une critique d'un système qui a poussé un homme à se suicider.
Mais nous l'avons énoncé au début de notre démonstration, les groupes ayant un
message politique sont rares et c'est en effet vrai. Car si nous pouvons constater des
dénonciations politiques, sociales ou toute autre au sein des paroles des groupes Punk
Rock de Chicago, il reste difficile de trouver un véritable message politique et pour
cause, puisque la plupart de ces formations se revendiquent comme non engagées
politiquement. Naked Raygun se déclare ainsi comme un groupe apolitique dans de
nombreuses interviews.5De la même manière, The Effigies se déclare également comme
un groupe non politique dans de nombreuses interviews.6
Il s'agit alors pour ces artistes de pointer du doigt des faits mais de ne pas donner de
réponses aux auditeurs qui doivent alors choisir que penser de ces mêmes faits. Au
contraire donc d'artistes engagés comme Articles Of Faith qui vont demander à leurs
auditeurs d'adhérer à un mode de pensée, ceux-ci se contentent de pointer du doigt des
faits sans leur dire quoi faire ou que penser, pensant que la clé se trouve dans la
réflexion. Chacun est alors libre de se constituer son propre avis et la clé est donc de
provoquer une réflexion chez l'auditeur qui doit ensuite faire un choix sur la démarche à
suivre devant ces faits.7
Le but est alors de placer l'auditeur non pas devant une ligne de conduite à suivre
mais devant des faits que l'artiste expose de la manière qu'il choisit. Celle-ci est
d'ailleurs souvent importante et résulte également d'un choix artistique, car il n'est pas
5 Parmi ces interviews, nous en avons retenu une, extraite du fanzine de Los Angeles Ink Disease,
numéro 14, paru en 1988 : http://www.dementlieu.com/users/obik/arc/other/nakedraygun_id14.html
dans laquelle le groupe déclare « Beaucoup de gens nous écoutent car nous ne sommes pas politisés »
6 Celle que nous avons retenu est une interview donnée par le groupe dans le fanzine de San Jose en
Californie, Ripper, lors du numéro 7 paru en 1982 :
http://www.dementlieu.com/users/obik/arc/effigies/int_ripper7.html le groupe déclarant : « Nous ne
sommes pas politisés en aucune façon ».
7 Au cours de cette interview donnée au fanzine Flipside dans le numéro 30, paru en 1982, l'un des
membres de The Effigies déclare : « Tu dois dire aux gens de penser par eux-mêmes »
http://www.dementlieu.com/users/obik/arc/effigies/int_flip30.html
72
rare que les paroles soient aussi agressives que la musique. De nombreuses formations
n'hésitent alors pas à créer des paroles frontales afin d'obtenir une réaction de la part de
l'auditeur. Albini, comme nous l'avons vu précédemment, n'hésite pas à écrire des
paroles violentes vis-à-vis des femmes afin d'attirer l'attention de ses auditeurs sur la
situation de ces dernières au sein de la société. L'attitude de Steve Albini ainsi que ses
paroles lui attirent à de nombreuses reprises des problèmes mais celui-ci se voit comme
un révélateur des difficultés de la société même s’il ne l'avoue qu'à demis mots lors des
entretiens, notamment ceux réalisés avec Michael Azerrad. Il est en effet clair que
l'attitude de ce musicien et notamment de ses paroles, vise à choquer de manière pure et
simple afin d'attirer l'attention du plus de monde possible sur les problèmes mis en
lumière. Le but est alors de confronter, chez Albini comme chez des formations comme
Naked Raygun, The Effigies et bien d'autres, les auditeurs à un point précis. Une fois
cela fait, le but est alors de les faire réfléchir sans leur apporter de réponses.
C'est en ce sens que ces formations ne se définissent pas comme politiques
puisqu'elles ne demandent à aucun de leurs amateurs de suivre leur avis, elles ne sont
pas des tribunes pour une sensibilité politique ou pour tenter de diffuser un message de
la même nature. Mais peut-on alors dire que ces formations musicales ne sont pas pour
autant engagées en politique ?
En effet, celles-ci tentent d'attirer l'attention sur différents problèmes sociaux ou
politiques par exemple. De plus, la manière dont ces musiciens écrivent les paroles peut
être perçue comme une sorte d'engagement. Nous l'avons vu, Albini écrit des paroles
très agressives pour provoquer une réaction qui, parfois, sont prises au premier degré. Il
n'est alors pas rare que les paroles du groupe provoquent un scandale. Un exemple
frappant sont les réactions non pas à un morceau mais au nom du second groupe de ce
musicien, Rapeman. Au Royaume-Uni, les réactions sont violentes, notamment de la
part d'organisations féministes qui appellent au boycott des représentations du groupe.8
Albini explique à de nombreuses reprises que les paroles ainsi que l'imagerie de son
groupe sont ici par une volonté artistique ferme, celle de confronter son auditeur à toute
sorte de chose. Mais il est également notable de préciser que cela apporte à ces
formations musicales un certain succès. En effet, grâce à ses prises de positions très
8 Voir au sein de cette interview, extrait du livre Rock Names écrit par Adam Dolgins, durant laquelle
Albini parle de la décision de nommer ses deux formations musicales, Big Black et Rapeman, de cette
manière : http://www.petdance.com/actionpark/bigblack/press/rocknames.php
73
fermes sur de nombreux sujet, sa capacité à choquer notamment grâce à ses paroles et
ses noms de groupes ainsi que son attitude, Albini devient une figure centrale de la
scène de Chicago. Il est donc évident que si la dénonciation de ces faits grâce à des
paroles violentes est artistique, elle est également un immense pourvoyeur de popularité
pour ce musicien. Il est donc difficile de déterminer si ces formations sont effectivement
engagées politiquement d'autant plus que certaines, dans leurs interviews, expriment
leur aversion pour le système politique, notamment vis-à-vis de la corruption des
hommes politiques ainsi que des hommes politiques en général, accusés de ne pas
représenter assez bien les intérêts du peuple.
Cette volonté de ne pas devenir un groupe fortement politisé passe par le fait de ne
jamais commenter certaines paroles ou de ne pas expliquer ses prises de positions mais
aussi tout simplement par la critique pure et simple du monde politique durant les
interviews. 9
Afin de conclure notre partie, nous pouvons affirmer que la majorité des formations
Punk Rock de Chicago ne souhaite pas s'engager politiquement. Certains groupes
dénoncent de nombreux faits et les paroles sont alors révélateurs des tensions sociales
ou politiques de l'époque étudiée ici même. Cependant, le but n'est pas ici de faire
passer un message mais de mettre l'auditeur face à un problème et de lui laisser trouver
une solution par lui-même.
Au contraire de groupes engagées comme Articles Of Faith, qui tente alors
d'imposer un point de vue et de créer un changement politique, ici le but est simplement
de montrer des faits avec l'appui le plus souvent de paroles agressives, plaçant ainsi la
musique, les textes et les thèmes abordés sur le même seuil d'intensité.
c. L'importance du DIY, une volonté de contrôle économique et politique ?
Au sein de cette partie nous allons voir quelle importance le DIY a-t-il connu au
sein de la scène Punk Rock de Chicago et quel rôle l'économie DIY a-t-elle tenu au sein
de cette même scène.
Il convient de débuter cette partie par une définition du DIY. Ces trois lettres sont
9 Dans une interview donnée au fanzine Californien Flipside, publié entre 1977 et 2000, dans le numéro
46, le groupe Naked Raygun déclare : « La politique craint. Même si peu en parler est une perte de
temps. Le Congrès se réunit tous les ans pour voter des lois, régurgiter les mêmes vieux problèmes
inutiles […] » https://files.nyu.edu/cch223/public/usa/info/nakedraygun_FSinter.html
74
l’acronyme de Do It Yourself, littéralement à traduire par « Fait le toi même ». Cette
expression se réfère à la pratique d'une activité sans l'aide d'une institution, légale ou
non. Au sein du mouvement Punk Rock, le DIY désigne le plus souvent le fait
d'enregistrer des disques de manière indépendante, avec un budget fourni par les
musiciens et non par un label, de presser ces mêmes disques avec une faible somme
d'argent, de gérer un label indépendamment des circuits de distribution traditionnels de
la musique et même de rédiger et d'imprimer son fanzine avec les moyens du bord. Le
Do It Yourself est donc tant devenu un mouvement économique que politique, celui-ci
étant très souvent compris comme un synonyme d'indépendance artistique et financière.
Nous l'avons vu à de nombreuses reprises, l'une des qualités principales du
mouvement Punk Rock est de mettre au premier plan la possibilité de l'action pour tous.
Hors, le DIY est l'un de ces moyens d'actions. En effet, l'accent est ici mit sur le fait de
parvenir à ses fins uniquement en comptant sur ses propres ressources.
Attardons-nous justement sur ce que cela implique de faire fonctionner un groupe
par soi-même. Car cela consiste à s'occuper de tous les aspects de la formation
musicale, de la plus évidente à la moins évidente. Dans son article intitulé « Le DIY
comme dynamique contre culturelle : l'exemple de la scène Punk Rock », Fabien Hein
montre justement l'importance de la tâche que représente gérer tous les aspects d'un
groupe. Ian MacKaye développe son propos, expliquant qu'il doit gérer le groupe, les
horaires de répétition, les dates de tournée, l'entretien du matériel, les déclarations
fiscales, la publicité, les interviews et bien d'autre choses encore comme les réservations
de studio lors des enregistrements.1 Cette masse de travail, pourtant conséquente, ne
représente qu'une partie des obligations administratives qu'un groupe indépendant doit
gérer au mieux s’il ne veut pas déléguer certaines missions. Nous pourrions arguer que
Ian MacKaye n'est pas un acteur de la scène de Chicago. Cependant, cet exemple est
particulièrement parlant puisqu'il présente le cas d'un musicien totalement indépendant
et s'occupant de la totalité des aspects administratifs, artistiques ou autres de son groupe.
À Chicago, de nombreuses formations choisissent d'ailleurs de rester indépendantes et
de prendre en charge la plus grande partie des responsabilités qui incombent, au sein de
la musique « grand public » à des salariés, managers ou avocats par exemple. Des
1 Voir l'article intitulé « le DIY comme dynamique contre culturelle : l'exemple de la scène Punk Rock »
écrit par Fabien Hein et présent dans notre bibliographie. Le paragraphe « le DIY c'est du travail ! »
fut le principal utilisé dans cette partie de notre développement.
75
formations telles que Big Black, Naked Raygun, Articles Of Faith, The Jesus Lizard
choisissent de rester au sein de ce qui va devenir un « circuit DIY ». Les membres de
Big Black n'engagent pas de roadie durant leurs tournées et gèrent eux-mêmes celles-ci,
s'occupant d'organiser les dates afin de créer un circuit logique.2
Car, l'exemple de Ian MacKaye, figure centrale de Washington, n'est pas totalement
similaire à ce qui se passe à Chicago. En effet, Ian MacKaye fonde son propre label
afin de gérer son groupe dans tous les aspects. Hors, les groupes de Chicago ne fondent
pas leurs propres labels, à de rares exceptions parmi lesquels des singles pressés à de
faibles exemplaires, mais se reposent sur d'autres labels, locaux ou non.
Une exception notable est le label Ruthless Records, créé par les membres du
groupe The Effigies en 1981 afin de presser leurs disques et ceux de leurs amis. Cet
exemple met parfaitement en valeur la volonté d'indépendance de ces artistes qui, plutôt
que de démarcher des maisons de disques plus « traditionnelles » choisissent de prendre
un contrôle total sur leurs œuvres.
Nous l'avons dit il y a peu, la notion d'amitié est centrale au sein du monde du Punk
Rock indépendant. En effet, le DIY est vécu comme une véritable valeur et une manière
de concevoir la musique et son économie. Hors, il est évident que chaque groupe ne
peut se permettre de créer son propre label, pour des raisons économiques mais
également, car cela entraînerait une saturation de ce marché qui, malgré une taille si peu
imposante et des ventes bien plus faibles que le milieu musical traditionnel, en reste tout
de même un. C'est donc cette notion d'amitié et de partage des mêmes valeurs qui
permet à ces groupes de choisir quel label sera celui qui pressera le disque de leur
groupe.
Ce partage des valeurs se fait, le plus souvent, grâce à des contrats uniques, c'est à
dire qu'ils n'engagent le groupe au label que pour un seul disque. Le label, en échange,
n'intervient pas dans le processus créatif des artistes et verse une part bien plus
importante aux musiciens que les labels traditionnels ne pourraient le faire. Le label
Touch & Go, fondé sur la base du fanzine du même nom, s'installe à Chicago dès 1983
et verse la moitié des revenus dégagés par la vente des disques aux musiciens. L'autre
moitié est versée au label qui l'utilise afin de rembourser les frais d'impression du disque
ainsi que les autres frais parmi lesquels le transport par exemple. Le groupe, quant à lui,
2 Voir dans l'ouvrage de Michael Azerrad, à la page 328, lorsque l'auteur évoque les conditions de
tournée du groupe.
76
doit payer les frais de studio.3
Touch & Go est considéré comme un label DIY et indépendant, notamment, car
celui-ci ne repose sur aucun réseau de distribution puisque le label distribue ses disques
par lui-même. L'origine du label, fondé en 1981, est liée au fanzine du même nom. Afin
de pouvoir distribuer leur musique, Tesco Vee et Dave Stimson décident de créer un
label qui porte le même nom que leur fanzine. Le bassiste du groupe Necros, Corey
Rusk, aide dans un premier temps ses amis afin de mieux gérer le label. Cependant,
l'abandon successif de Tesco Vee et Dave Stimson pousse Corey Rusk à prendre la barre
de manière personnel du label. Celui-ci déménage à Chicago dès 1983 et réussit à signer
des groupes de la ville, de la région du Middle West et même de la scène nationale. Ce
succès s'explique-t-il par la dimension indépendante et économiquement viable du
label ? Il est évident, pour les musiciens tout au moins, que oui. Le musicien David
Wm. Sims, bassiste de Rapeman et The Jesus Lizard, explique d'ailleurs le succès du
label grâce à la personnalité de Rusk mais aussi grâce à sa gestion. Celui-ci va plus loin,
expliquant que la façon claire de gérer l'argent, la musique et les profits entre le label et
les groupes de Rusk sont ce qui fait de Touch And Go un label si sain économiquement
parlant.4 Pour résumer, nous pouvons dire que les musiciens font confiance à ce label
non seulement, car les conditions de travail et de rémunération sont claires et limpides,
ce qui n'est pas le cas, selon ces artistes, chez les labels plus traditionnels, dits
« majors » mais aussi, car le responsable du label tout comme les groupes viennent du
même milieu, c'est à dire le milieu Punk Rock. C'est donc cela que nous entendons par
« circuit DIY », les arrangements entre acteurs du milieu Punk Rock partageant le même
point de vue notamment sur la manière de distribuer la musique et de vendre les disques
mais
aussi
sur
l'économie
du
marché
musical.
Car il convient de ne pas se bercer d'illusion et, tout aussi indépendant que le sont les
labels dits « DIY », il s'agit tout de même d'une économie spécifique qui a pour but de
vendre afin de pouvoir continuer à exister, comme toute entreprise mais d'une manière
différente. Le « DIY » et son mode d'action peut donc être vu comme la volonté de créer
3 Dans cet article du Chicago Reader daté du 15 avril 1999, l'auteur revient sur l'histoire du label Touch
& Go, son modèle économique mais aussi le procès intenté par le groupe Butthole Surfers afin de
récupérer les droits de leurs disques sortis chez Touch & Go.
http://www.chicagoreader.com/chicago/touch-and-go-v-the-buttholes/Content?oid=898923
4 Nous faisons ici référence à la même interview que celle évoquée dans la note précédente, publiée
dans le Chicago Reader à la date du 15 avril 1999. http://www.chicagoreader.com/chicago/touch-andgo-v-the-buttholes/Content?oid=898923
77
une économie indépendante et alternative dans le sens où elle garde des valeurs qui
semblent antinomiques à la construction d'une entreprise capitaliste, notamment le fait
de ne pas rechercher le profit aux dépends de la liberté artistique des musiciens.
Pourtant, la plupart des acteurs jettent leur dévolu sur le DIY tout d'abord pour une
raison simple, faire des économies. Nous l'avons dit, les groupes et labels indépendants
choisissent de s'investir le plus possible dans cette activité, afin de rester seuls maîtres
de leurs intentions mais aussi, car ils n'ont guère le choix. Dans le cas d'un groupe, ne
pas devoir payer d'avocats, de comptables, d'organisateur de tournée ou de chauffeur est
une économie certaine qui, pour de nombreuses formations, sont des dépenses inutiles et
dispensables. Dans le cas d'un label, ne pas passer par un circuit de distribution permet
d'éviter les intermédiaires et donc le paiement de marges tout comme le fait de ne pas
payer les frais de studio. Naturellement, certaines dépenses restent incompressibles,
comme les frais de pressage des différents disques par exemple.
Ainsi, le DIY est tout d'abord une nécessité économique. Les labels indépendants
tout comme les groupes investissent leur argent personnel et ne peuvent donc se
permettre d'investir des sommes aussi importantes qu'une entreprise ou une « major ».
Comme le précise Corey Rusk, directeur du label Touch and Go dans une interview
accordée à Pitchfork en 2006 afin de revenir sur l'histoire du label, celui-ci n'était pas vu
comme une entreprise et comme un moyen de gagner sa vie. Il est donc clair que les
sommes investies étaient faibles et provenaient de leurs économies personnelles.5
Nous pouvons également considérer le DIY comme une sorte de programme
économique, comme l'évoque dans son article Fabien Hein, que nous avons cité
auparavant. Il est évident que le circuit indépendant vise à consommer d'une autre
manière en remettant au centre l'artiste et en lui proposant une part importante des
revenus tout en permettant aux amateurs de musique Punk Rock de se procurer des
disques à un prix assez bas. En somme, cela semble être un système où tout le monde y
gagne. Les économies réalisées en sacrifiant des dépenses inutiles sont ainsi transformés
en rémunération pour les groupes qui touchent, toujours pour l'exemple de Touch and
Go, la moitié des revenus. De son côté, l'acheteur gagne également à acheter chez ce
label puisque la distribution directe fait chuter le prix du disque, les marges des
5 Voir cette interview accordée au magazine en ligne Pitchfork, le 5 septembre 2006, durant laquelle
Corey Rusk revient, à l'occasion du 25 ème anniversaire de Touch And Go, sur l'histoire du label :
http://pitchfork.com/features/interviews/6419-corey-rusk/
78
distributeurs n'étant pas répercutées sur le prix total de l'objet. Enfin, le label y trouve
également son compte puisque les économies réalisées permettent de la même manière
d'économiser de l'argent qui retombent automatiquement dans les caisses de celui-ci.
Le circuit DIY ou indépendant, puisque les deux noms peuvent être utilisés, est
donc un moyen de créer une économie plus viable, avec un nombre d'intermédiaire bien
moins important qu'ailleurs, et qui permet aux artistes et labels de mieux vivre tout en
proposant des disques ou des produits à des tarifs avantageux.
Il nous semble également important de comprendre qu'elle a été l'importance, d'un
point de vue sociale, du DIY. Car il est indéniable que ce mouvement a eu des
répercussions sur la qualité de vie de certains de ses acteurs. En effet, le Punk Rock et le
DIY mettent au centre de leurs applications l'auto apprentissage. Certains acteurs,
musiciens ou non, ont ainsi changé de métiers grâce au mouvement Punk Rock. Nous
pouvons alors être tenté de considérer ce mouvement comme un phénomène d'élévation
sociale. Prenons l'exemple de deux personnages qui sont devenus des entrepreneurs du
DIY. Le premier est Corey Rusk, le directeur du label Touch And Go. Celui-ci n'a
aucune formation dans la gestion d'entreprise.6 C'est donc grâce à un apprentissage « sur
le tas » que celui-ci a appris à gérer son entreprise afin de la développer dans les
meilleures conditions possibles. Dans la même interview avec le magazine Pitchfork
que nous avons évoquée précédemment, celui-ci explique que ce qu'il a compris afin de
mieux gérer le label n'est dû qu'à des « essais et des erreurs »7. Malgré une formation
inexistante, celui-ci est tout de même devenu un entrepreneur grâce au Punk Rock et au
DIY. Nous pouvons donc déclarer que le DIY a été un phénomène d’ascension sociale
dans le cas de Corey Rusk.
Un autre exemple qui peut être révélateur des possibilités qu'offrent le DIY est le
cas de Steve Albini. Celui-ci, nous l'avons vu, apprend par lui-même à enregistrer sa
propre musique dans un premier temps puis, dès 1985, il se lance dans l'enregistrement
de manière plus sérieuse. Il s'agit pour lui d'aider des amis à enregistrer un disque
rapidement et pour une somme peu importante, en comparaison à la somme demandé
dans un studio d'enregistrement « traditionnel ». Dès 1987, Albini achète une maison à
6 Comme le précise l'auteur dans cet article sur Corey Rusk et le label Touch and Go à l'occasion du
25ème anniversaire de l'entreprise. L'article est issu du magazine en ligne Stop Smiling
http://www.stopsmilingonline.com/story_detail.php?id=652
7 Voir cette interview donnée au magazine Pitchfork et publiée le 5 septembre 2006 la question et la
réponse n°6 afin de voir la totalité de la citation utilisée ici :
http://pitchfork.com/features/interviews/6419-corey-rusk/
79
Chicago, démissionne de son travail alimentaire et décide de construire un studio
d'enregistrement à l'intérieur de son domicile. Les prix pratiqués par Albini restent très
abordables puisque celui-ci ne loue par le studio mais ses propres compétences. Ainsi,
des musiciens peuvent louer le studio gratuitement mais non pas ses services, ce qui
permet au groupe d'enregistrer un album dans de bonnes conditions sans rien avoir à
payer.
Les talents d'ingénieur du son d'Albini, la qualité de l'équipement de son studio
ainsi que les prix bas pratiqués lui attirent cependant une clientèle importante de
groupes Punk Rock, venant de Chicago ou non. Dès les premières années, Albini réussit
à vivre du studio d'enregistrement. Une fois de plus, nous avons l'exemple d'un acteur
du DIY, ici en l’occurrence un étudiant en journalisme qui, grâce au circuit indépendant
et à sa capacité à apprendre de lui-même, a réussit une élévation sociale.
Enfin, il nous semble important de voir jusqu'à quel point la scène Punk Rock de
Chicago a été investie dans le circuit indépendant. Nous pouvons ici donner une réponse
simple puisque la quasi-totalité de la scène Punk Rock de Chicago est liée au DIY. En
effet, la volonté de la plupart des musiciens de la scène Punk Rock de Chicago est de
rester lié à ce circuit DIY qui est, pour eux, l'assurance d'une indépendance financière et
artistique sans égal dans le monde plus traditionnel de l'économie musicale. Sortir de ce
circuit semble donc être un phénomène que les groupes ne recherchent pas, bien au
contraire. Tout d'abord, il est évident que pour sortir du circuit indépendant, l'une des
conditions est d'avoir une proposition par une entreprise importante, c'est à dire une
« major ». Hors, peu de groupes de Punk Rock se voient offrir cette opportunité. De
plus, les groupes ayant la possibilité d'évoluer et de sortir du circuit indépendant
choisissent de ne pas le faire, par respect de leurs choix passés mais aussi pour des
raisons financières. En effet, nous l'avons dit, le circuit DIY permet des économies
importantes. Hors, il est fréquent que ces économies soient si importantes que les
musiciens gagnent mieux leur vie en restant indépendants qu'en signant des contrats
« traditionnels ». Là aussi, Steve Albini nous sert d'exemple puisque celui-ci reçoit à de
nombreuses reprises des propositions de maisons de disques importantes. Hors, il les
refuse toutes pour choisir de travailler avec un label indépendant. 8 Albini déclare
d'ailleurs que son choix fut guidé par une volonté d'indépendance artistique totale, ce
8
Voir dans l'ouvrage de Michael Azerrad, aux pages 335 et 336, les nombreux passages décrivant le
choix de Steve Albini et ses motivations.
80
que des labels plus traditionnels n'auraient pu accepter.
Nous venons de voir, au sein de ce développement, que le DIY voit se créer un
véritable circuit, lié non pas par des contrats mais par une vision commune de la
musique, de sa distribution et de sa création. La volonté d'indépendance est en effet ce
qui caractérise la majorité, si ce n'est la totalité de la scène Punk Rock de Chicago
durant les années 1980. Ainsi, à l'instar de la ville de Washington par exemple, il est
évident que nous pouvons ici nommer le DIY et la volonté d'indépendance totale
comme l'un des facteurs d'unité de ce mouvement pourtant si hétérogène sur de
nombreux plans comme le plan musical ou politique.
81
III. Les relations entre le mouvement Punk Rock de Chicago et son espace
Au cours de ce développement, nous nous intéresserons aux rapports entre le milieu
Punk Rock et son espace, c'est à dire quels sont les liens entre les groupes de cette ville
et ceux venant des états voisins. Nous tenterons également de comprendre si une
« immigration musicale » existe, c'est à dire si des musiciens s'installent à Chicago
principalement par la musique, attirés par la réputation musicale de cette ville. Nous
nous attarderons également sur l'importance de la ville et des lieux Punk dans le
développement de ce mouvement à Chicago.
1. Les liens entre les milieux Punk Rock nationaux et celui de Chicago
Au cours de cette partie nous analyserons en profondeur les liens qui unissent les
groupes de Punk Rock originaires de Chicago aux acteurs venant de l'extérieur de la
ville. Notre première partie tentera de comprendre quel rôle jouent les formations
originaires de la région du Middle West dans la construction de ce milieu et quelle a été
la fonction des acteurs de la ville de Chicago vis à vis de ces mêmes formations. Nous
nous attarderons ensuite sur le nombre important d'acteurs n'étant pas originaires de la
ville de Chicago mais qui choisissent de s'y installer, pour des raisons musicales ou non.
a. Une forte proximité entre les formations de Chicago et des états voisins
du Middle West
Les relations entre les groupes de Punk Rock de la scène de Chicago et d'autres
formations, nationales ou internationales, sont nombreuses et s'expliquent par de
multiples raisons parmi lesquelles les tournées communes, la signature sur un label
commun ou tout simplement une amitié épistolaire, phénomène répandue durant les
années 1980 et 1990.
La ville de Chicago est la métropole politique, économique et bien plus encore de la
région du Middle West. Les relations de la ville avec les États voisins sont constantes et
primordiales, les uns ne sauraient vivre sans l'autre et inversement. Hors, le mouvement
Punk Rock relève d'une logique similaire. En effet, si les relations entre groupes de
Chicago et les nombreuses formations nationales ou internationales sont existantes, il
82
est frappant de constater que les contacts les plus fréquents et les plus importants sont
ceux entre les groupes de la capitale économique de l'Illinois et des états voisins.
Tout d'abord l'importance de la ville, en tant que capitale culturelle, économique et
politique, n'est pas remise en question par les groupes venant des états voisins. La
majorité précisant que la ville, comprendre ici la scène Punk Rock de Chicago et donc
l'ensemble de ses acteurs, a jouée un rôle important. Des groupes tels que Slint, Hüsker
Dü ou Negative Approach confirment, en interview ou dans les faits, l'importance des
liens qui les lie à la capitale de l'Illinois.1 2
Cette solidarité entre acteurs Punk Rock se produit d'ailleurs dans les deux sens.
Les groupes de Chicago aidant ceux des états voisins qui leur rendent la pareil dès que
ceux-ci en ont l'occasion.
Attardons-nous tout d'abord sur les groupes de la capitale de l'Illinois qui aident du
mieux qu'ils le peuvent les musiciens des états voisins. Cela passe tout d'abord par
l'organisation de nombreux concerts. De manière concrète, lorsqu'une formation joue à
domicile il lui est possible d'inviter d'autres groupes afin de faire la première partie du
spectacle. Les musiciens ont alors le choix entre inviter un groupe de la ville ou un
groupe des états voisins. Cette aide se manifeste le plus souvent lorsque des groupes
plus importants, jouant plus rarement à Chicago, passent en concert dans la ville. En
effet, lorsqu'un groupe important comme les Dead Kennedys ou Black Flag se
produisent en concert ceux-ci font appel à des groupes locaux afin d'assurer les
premières parties. Ainsi, en 1981, lors d'un concert des Dead Kennedys les 17 et 18
septembre 1981, des groupes de Chicago ouvrent pour cette formation culte et
renommée à travers tout le pays mais nous trouvons également un groupe du Minnesota,
Hüsker Dü3. Cela ne peut s'expliquer que par les liens forts entre les acteurs de Chicago
et du Minnesota puisque Hüsker Dü n'a sorti en 1981 qu'un seul disque, un single en
l’occurrence, intitulé « Statues ». Le but est alors clairement de permettre à ces
musiciens de bénéficier d'une visibilité supérieure. L'organisation de concerts en
1 Nous prendrons pour exemple cette interview de Slint, groupe de Louisville, Kentucky, donné au
magazine online Pitchfork le 30 janvier 2014 durant laquelle le groupe revient sur la création de leurs
deux disques, respectivement sortis en 1989 et 1991. Le groupe déclare « Il y avait une connexion
importante entre Louisville et Chicago, qui était la ville importante la plus proche »
http://pitchfork.com/features/update/9319-slint/
2 Le groupe Hüsker Dü se produit quant à lui 41 fois en concert à Chicago entre 1981 et 1991 comme
nous l'avons déjà évoqué dans notre première partie. http://www.thirdav.com/hd_discog/dates.html
3 Notre source ici est notamment le flyer du concert, retrouvé sur le site thirdav.com, site d'archives
consacrées au groupe Hüsker Dü. http://www.thirdav.com/hd_posters/p19810917.gif
83
commun afin d'augmenter la taille de son auditoire est donc une technique de solidarité
efficace, les styles musicaux pratiqués étant relativement proche. Un autre moyen afin
de signifier son attachement à une formation particulière est tout simplement d'en faire
la publicité et ce de plusieurs manières. Cela peut être grâce à des déclarations
publiques, lors d'interviews par exemple. Ainsi, certains musiciens connus et reconnus
usent de leur voix afin de faire connaître d'autres artistes. Nous allons ici choisir
plusieurs exemples parmi les interviews des groupes les plus importants de la scène de
Chicago. En effet, comme nous l'avons dis, l'impact est bien plus important lorsque les
acteurs sont reconnus par leurs pairs. The Effigies citent ainsi de nombreux groupes du
Middle West parmi lesquels Necros, groupe de Detroit ou The Fix, de la même ville.4
Articles Of Faith, et notamment Vic Bondi, citent d'autres groupes parmi lesquels
Hüsker Dü mais aussi Toxic Reasons, groupe de l'Ohio, ou Zero Boys, venant
d'Indianapolis. Les interviews sont donc un moyen important de donner son avis et de
soutenir des amis d'autant plus que, comme nous l'avons vu, les avis des personnages les
plus importants de ce milieu sont très respectés et recherchés. Il semble donc qu'une
sorte de publicité, gratuite et fondée sur la qualité musicale néanmoins, apparaissent
tandis que de l'autre côté, les formations moins reconnues se voient acceptées et
appréciées non pas forcément par de nombreux amateurs dans un premier temps mais
tout d'abord par leurs pairs, c'est à dire les musiciens. Hors, cette reconnaissance par les
musiciens est vue, par le public, comme un gage de qualité.
Ce soutien peut être rendu public par d'autres moyens notamment grâce aux inserts
au sein des disques. Pour rappel, les inserts sont des feuilles, souvent composés de
papier glacé, qui sont glissés à l'intérieur des pochettes de disques. Elles permettent
traditionnellement de noter les paroles mais aussi les informations relatives à
l'enregistrement du disque, au groupe ou même au label. Tout d'abord, pourquoi cette
manière d'apporter son aide à un groupe est elle si différente de l'aide durant les
interviews ? Tout d'abord car, d'une certaine manière, l'artiste se positionne encore plus
fermement puisqu'il lie le nom des artistes qu'il soutient au sien et surtout à son œuvre.
De plus, les interviews sont certes nombreuses mais il est frappant de constater que les
fanzines sont concentrés dans des régions importantes, notamment la Californie ou la
côte Est et que leur circulation peut donc être difficile. Il est donc fréquent que les
4 Voir cette interview du groupe pour le fanzine Ripper, dans le numéro 7 parue en 1982 :
https://files.nyu.edu/cch223/public/usa/info/effigies_ripperinter.html
84
seules informations auxquels les auditeurs peuvent avoir accès à propos d'un groupe se
situent dans ces inserts. Voilà donc les deux raisons principales qui rendent ce
positionnement si important. La manière concrète de procéder est simple, il s'agit tout
simplement de noter les noms de formations que les artistes apprécient dans les inserts
en intimant le conseil aux auditeurs de se procurer des disques de ces mêmes artistes.5
Enfin une dernière forme de soutien mérite de figurer dans notre analyse. Nous
avons jusqu'à présent évoqué des prises de position publiques puisque le but recherché
est ici d'attirer un public de plus en plus nombreux. Hors, il est évident qu'un groupe ne
peut exister en se basant uniquement sur un auditorat conséquent. Il s'agit alors de
trouver des soutiens, notamment parmi les figures centrales de ce milieu, c'est à dire les
musiciens les plus influents, les directeurs de labels ou bien même organisateurs de
concerts. Ce soutien permet à des groupes moins importants de se faire connaître et
surtout d'exister plus simplement ? Afin d'éclairer nos propos, il nous paraît nécessaire
d'illustrer nos propos par des exemples.
Une nouvelle formation peut par exemple compter sur le soutien d'un musicien
reconnu qui va parler de celle-ci et tenter de faire connaître ce groupe auprès de ses
amis mais aussi auprès d'autres acteurs reconnus. En effet, il s'agit de ne pas perdre de
vue que le milieu du Punk Rock est faible démographiquement parlant. Connaître une
personne reconnue par ce milieu ou être appréciée de celle-ci peut alors suffire à ouvrir
de nombreuses portes. Prenons ici un exemple simple grâce au groupe Slint, formé en
1985 à Louisville, Kentucky qui enregistre son premier album avec Steve Albini en
1987.6 Hors celui-ci est charmé par la musique du groupe et n'hésite pas à parler de ces
musiciens autour de lui. Albini introduit deux membres du groupe, McMahan et
Walford, aux acteurs de la scène de la ville lorsque les deux musiciens déménagent à
Chicago durant un an. Enfin, Albini est celui qui permet à Slint de créer leur second
album non seulement en les aidant à enregistrer des démos gratuitement afin de mettre à
plat leurs idées de composition mais surtout en trouvant un label puisque c'est lui-même
qui fit découvrir cette formation atypique à Corey Rusk, directeur du label Touch and
Go, qui finance exceptionnellement la création de Spiderland, en 1991.7 Cette forme de
5 Nous prendrons pour exemple les inserts ou plus exactement la reproduction de ces derniers figurant
dans les albums de Big Black joints en annexes n°2.
6 Information précisée par la biographie officielle du groupe sur le site de leur label, Touch And Go
http://touchandgorecords.com/bands/band.php?id=70
7 Ces informations sont tirées du livre Spiderland écrit par Scott Tennent qui a pour sujet l'album
Spiderland mais aussi le groupe Slint. Les informations citées ici ont été principalement trouvées aux
85
soutien n'est pas rare puisque Albini est un grand ami de Corey Rusk et a souvent joué
le rôle de conseiller auprès de ce dernier.8
Nous venons de voir que les groupes de Chicago soutiennent de manière massive
les musiciens du Middle West par des actions variées. Mais l'inverse existe également et
il serait en effet mal avisé d'en douter. Si la ville de Chicago peut être vu comme l'un
des foyers les plus importants du mouvement Punk Rock dans la région, cela ne veut
pas dire que des formations connues et reconnues n'émergent pas dans les états voisins.
Hors, avec cette reconnaissance naît la volonté d'aider d'autres formations, de Chicago
ou non mais c'est le premier cas qui nous intéressera ici.
Les méthodes qu'utilisent les groupes du Middle West afin d'aider les formations de
la ville de Chicago sont similaires en tous points à celles que nous venons d'évoquer.
Nous avons jugé important et même nécessaire de revenir en détail sur celles-ci afin
d'aider le lecteur à comprendre, de manière concrète comment une solidarité artistique
se créer dans un milieu culturel si peu peuplé et si peu représenté institutionnellement.
Nous passerons donc plus rapidement sur les explications et mettront plus en avant nos
exemples dans les lignes qui suivront.
Les concerts sont tout d'abord le lieu privilégié de cette aide comme nous l'avons
évoqué précédemment. Des groupes importants des états voisins invitent donc des
formations moins reconnues à se représenter devant un nouveau public. Cela permet
alors à la formation de réputation moins importante de diversifier son auditoire mais
également de lier des contacts à l'extérieur de la ville. Les exemples sont nombreux
parmi lesquels le premier concert du groupe Big Black à Detroit, organisé par Corey
Rusk qui cherche, pour une représentation de The Butthole Sufers en 1983, une
première partie. Hors, cet habitant de Detroit d'origine ne demande pas à un groupe de
la ville de jouer mais à Big Black, originaire de Chicago.9 Ici, l'exemple provient non
pas d'un groupe mais d'un organisateur de concerts. Cependant, ces derniers sont parmi
les acteurs les plus importants des milieux musicaux et il nous semble que cet exemple
prouve l'importance de Corey Rusk non seulement sur la ville de Detroit, mais aussi sur
pages 62 jusque 82.
8 Voir l'interview de Corey Rusk réalisée par le blog stop smilling publiée le 18 septembre 2006 durant
laquelle Corey Rusk revient sur l'histoire de son label avec quelques interventions de Steve Albini. Ce
dernier précise d'ailleurs : « je lui ai donné quelques enregistrements »
http://www.stopsmilingonline.com/story_detail.php?id=652
9 Albini et Rusk ont déclaré dans de nombreuses interview que cette rencontre fut la base de leur amitié.
Azerrad évoque d'ailleurs cet événement dans son ouvrage aux pages 336 et 337.
86
les villes voisines, ici en l’occurrence sur celle de Chicago puisque celui-ci permet à Big
Black de faire son premier concert à Detroit.
Il ne nous semble pas utile de revenir plus en avant sur les concerts donnés par les
groupes de Chicago en dehors de la ville grâce à l'aide de différents acteurs des états
voisins pour plusieurs raisons, notamment le fait que ces exemples ne feraient
qu'appuyer plus fermement une thèse que nous avons déjà expliquée de manière
approfondie mais aussi, car cela aboutirait en un catalogue d'exemples qui n'auraient en
soi aucune valeur scientifique ajoutée.
Nous allons maintenant nous attarder sur l'aide que fournit Hüsker Dü, groupe de
Saint Paul dans le Minnesota formé en 1979, aux formations de la ville de Chicago. Ce
groupe acquiert une certaine réputation dès la sortie de son premier single, intitulé
« Statues », sorti en 1980 sur le label fondé par le groupe 10, Reflex Records. Hors,
Hüsker Dü, et notamment le guitariste et chanteur Bob Mould, se lie d'amitié avec les
membres d'Articles Of Faith qu'il va s'efforcer d'aider du mieux qu'il le pourra. Le
guitariste organise donc de nombreux concerts dans le Minnesota et invite
régulièrement Articles Of Faith qui voit en cette opportunité un avantage double :
accoler son nom à celui d'une formation reconnue et voyager puisque Mould ne se
contente pas d'inviter le groupe uniquement dans le Minnesota. Dès que la réputation de
son groupe le permet, celui-ci emmène Articles Of Faith sur des tournées communes,
dans des états du Middle West voir parfois sur des dates nationales.11
Ce soutien ne s'arrête pas là puisque Bob Mould, devant les difficultés du groupe à
trouver un label pour mettre sur le marché leur premier album, propose au groupe le
label de son propre groupe. C'est donc sous l'étiquette de Reflex Records que Give
Thanks, premier album d'Articles Of Faith est mis en vente en 1984.12 Enfin, Bob
Mould produit, c'est à dire qu'il enregistre ce même disque, le groupe n'ayant pas les
moyens de se payer les services d'un ingénieur du son professionnel. Nous avons ici
10 Comme le note Michael Azerrad, le single est chroniqué dans de nombreux fanzines parmi lesquels le
fanzine de Boston Take It. Voir la page 164 de l'ouvrage de Michael Azerrad.
11 Nous prenons ici pour preuve la reproduction de ce flyer, mise en ligne le 4 février 2009 sur le site
Hardcore Show Flyers qui présente un concert devant se dérouler le 21 juin 1984. Parmi les groupes
se représentant, Hüsker Dü est la tête d'affiche, comme l'atteste sa position dominante sur le flyer
tandis que Articles Of Faith est ce que l'on appelle un groupe de soutien.
http://hardcoreshowflyers.com/images/02040901_84.jpg
12 Nous nous sommes ici, en l'absence de site officiel du label, Reflex Records ayant cessé ses activités
depuis 1985, servi du site discogs, base de donnée discographique la plus complète du monde afin de
vérifier nos informations. http://www.discogs.com/Articles-Of-Faith-Give-Thanks/release/1680707
87
donc l'exemple d'un groupe et d'un musicien, Hüsker Dü et Bob Mould, qui tentent
d'aider du mieux qu'ils peuvent une formation de Chicago, en l’occurrence Articles of
Faith.
Nous avons au cours de cette partie montré, grâce à l'exemple des interactions entre
les groupes de Chicago et des états voisins, que le milieu du Punk Rock se construit
grâce à une solidarité locale à plusieurs niveaux et sur plusieurs échelles qui passent par
des initiatives variées. Mais il est en réalité complexe d'évoquer des généralités dans ce
cas précis. En effet, l'aide apportée à telle ou telle formation est fondée, nous l'avons vu,
sur des initiatives personnelles, guidées par des goûts musicaux ou des valeurs
communes qui sont ainsi, par définition, subjective. Nos exemples nous ont alors permis
de comprendre quelles sont les méthodes les plus répandues afin de soutenir un groupe
qu'un acteur apprécie mais il ne saurait être question de limiter les moyens d'actions
possibles à ceux évoqués. Par absence de source, nous avons en effet été contraints de
ne pas insister sur certains autres moyens d'affirmer sa solidarité envers des formations
musicales et ce, de manière consciente ou inconsciente.
Au cours de notre prochaine partie, nous allons analyser le cas des acteurs du
milieu Punk Rock de Chicago qui choisissent de s'installer dans cette ville en tentant de
comprendre pourquoi ceux-ci font-ils ce choix.
b. Le cas des acteurs s'installant à Chicago
Au cours de cette partie nous allons nous interroger sur l'importance des apports
extérieurs à la ville de Chicago sur la scène de la ville et essayer de voir si ces ajouts,
d'influence ou de personnel, ne sont pas plus importants que ceux originaires de la ville.
Il est en effet frappant de constater que de nombreux acteurs ne sont pas originaires de
la ville de Chicago et s'installent, pour différentes raisons, dans la capitale économique
du Middle West. Parmi ceux-ci, nous retrouvons de nombreux acteurs que nous avons
évoqué précédemment comme Steve Albini qui, comme nous l'avons déjà vu, est
originaire du Montana mais aussi Rey Washam et David Wm. Sims, batteur et bassiste
de Rapeman originaires de Austin au Texas ou bien Corey Rusk, originaire de Detroit,
dans le Michigan. Il nous semble alors central de nous demander dans un premier temps
pourquoi ces musiciens décident de déménager et de rejoindre la ville de Chicago plutôt
qu'une autre.
88
Nous pouvons ici distinguer plusieurs raisons qui évoluent avec le temps. Durant
les premières années de la décennie 1980, la principale raison n'a rien à voir avec la
musique. Steve Albini rejoint ainsi la ville pour des raisons universitaires, celui-ci étant
reçu à la faculté de Northwestern1 afin de poursuivre des études dans le but de devenir
journaliste. Vic Bondi, arrivent d'ailleurs pour des raisons similaires, liées à son cursus
universitaire.2 La faible importance de la scène, d'un point de vue démographique et
médiatique, n'attire alors pas les musiciens. Si ces deux acteurs s’intègrent au
mouvement Punk Rock de Chicago c'est avant tout pour des raisons pratiques, ces deux
musiciens choisissant de déménager dans cette ville pour d'autres raisons. Il ne s'agit pas
alors de choisir Chicago pour sa scène musicale mais avant tout pour d'autres raisons et
l'engagement dans le milieu Punk Rock n'est alors qu'une conséquence et non pas la
raison de l'installation de ces musiciens dans cette ville.
Cette situation évolue rapidement puisque dès 1982 et 1983 des musiciens
déménagent à Chicago pour des raisons liées à la musique. Parmi ces acteurs, nous
retrouvons Corey Rusk, le directeur du label Touch & Go, originaire de la ville de
Detroit. Celui-ci déménage dans la ville de Chicago pour des raisons pratiques, la ville
étant plus grande que Detroit, plus riche mais aussi assez proche de cette dernière. Mais
ces raisons ne sont pas les seules évoquées puisque dans une interview avec le magazine
pitchfork, celui-ci évoque aussi ses connaissances au sein du milieu Punk Rock de
Chicago.3 Mais est il réellement question de déménager afin de fonder une scène Punk
Rock à Chicago ? Rien ne saurait être moins sûr, surtout lorsque nous étudions les
déclarations de Rusk lorsque celui-ci déclare dans la même interview « Nous n'avions
pas de liens forts [avec Chicago] mais, d'une certaine façon, peut être que c'était la
grande ville la plus proche » il apparaît donc que la connaissance de quelques personnes
habitant à Chicago n'ait pas été déterminante dans le choix de Rusk qui semble choisir
la ville au hasard. Cela est d'ailleurs confirmé par la suite de l'entretien, celui-ci laissant
entendre que le développement du label dans la ville de Chicago est plus lié au hasard
1 L'ouvrage de Michael Azerrad évoque ce fait, notamment dès les premières pages du chapitre
consacré à Big Black.
2 Au cours de cette interview donné au magazine en ligne scannerzine Vic Bondi déclare « Mon oncle
m'a aidé à rentrer à l'université de l'Illinois » http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm
3 Dans cette interview donnée au magazine en ligne Pitchfork à l'occasion du vingt-cinquième
anniversaire du label, Corey Rusk déclare « Nous ne connaissions que trois personnes là bas [à
Chicago], les membres de Big Black et nous avions déjà été à Chicago deux ou trois fois. »
http://pitchfork.com/features/interviews/6419-corey-rusk/
89
du développement des groupes originaires de la ville plutôt que d'une volonté réfléchie. 4
L'influence de la musique, et notamment des musiciens, semble donc exister mais ne
pas être au premier plan dans le choix qui a conduit le directeur du label Touch and Go à
déménager à Chicago.
Enfin, à partir de la fin des années 1980, des musiciens emménagent à Chicago
grâce au milieu musical de la ville. Naturellement, cela n'empêche pas d'autres
musiciens de déménager à Chicago pour des raisons professionnelles ou universitaires,
comme c'est le cas pour Britt Walford et Brian McMahan, membre du groupe Slint qui
emménagent dans cette ville afin de suivre des études dans la faculté de NorthWestern. 5
Mais il est notable que des musiciens choisissent de venir à Chicago en ayant en tête
pour principale raison la musique. Parmi les acteurs que nous avons cité, le cas de Rey
Washam nous servira d'exemple. Ce musicien, originaire d'Austin au Texas, décide de
déménager à Chicago afin de fonder un groupe avec Steve Albini6. La raison principale
de son déménagement est alors la musique. Washam n'est d'ailleurs pas un cas isolé
puisque de nombreux musiciens déménagent également à Chicago pour des raisons
artistiques parmi lesquels David Yow, David Wm. Sims ou Duane Denison, tous trois
venant d'Austin. Hors, cette situation n'est pas le fruit du hasard, ces musiciens se
connaissant auparavant. En effet, s’il est indéniable que ces musiciens déménagent
avant tout pour des raisons artistiques, cela ne peut s'expliquer que par cette raison et il
est important de préciser que les relations amicales jouent ici un grand rôle. Car Rey
Washam déménage sur invitation de Steve Albini et ne prend donc pas cette décision de
manière irréfléchie mais bien parce qu'il est certain de rencontrer un musicien qui
souhaite former un groupe avec lui. Washam convainc alors son ami, David Wm. Sims,
bassiste originaire d'Austin, de déménager avec lui à Chicago. 7 Enfin, après la
séparation de Rapeman, David Wm. Sims ne souhaite plus quitter Chicago et demande à
4 Dans la même interview que celle évoquée au sein de la note précédente, Corey Rusk déclare « je
pense que Chicago était bien en quelque sorte, et je pense que nous sommes arrivés au bon moment.
Juste après avoir emménagé à Chicago, nous avons travaillé avec plusieurs groupes de Chicago qui
étaient de qualité. »
http://pitchfork.com/features/interviews/6419-corey-rusk/
5 Nous nous reporterons à l'ouvrage de Scott Tennent, Spiderland et notamment à la page 60 de
l'ouvrage.
6 Cela est notamment confirmé par Albini dans une interview donné à The Quietus, journal musical en
ligne anglais, entretien mis en ligne le 2 septembre 2013 :
http://thequietus.com/articles/13250-steve-albini-interview-rapeman-shellac
7 Cette interview, datée de 2005, de Rey Washam par Mark Prindle sur son site personnelle nous permet
de mieux comprendre la situation et la manière dont ces déménagements ont eu lieu :
http://www.markprindle.com/washam-i.htm
90
deux musiciens originaires d'Austin de le rejoindre. La perspective de fonder un groupe
est alors centrale mais elle est intimement liée à celle de rejoindre un ou plusieurs amis.
Nous constatons donc que les raisons pour lesquels ces musiciens emménagent à
Chicago sont variées et évoluent avec le temps et avec la réputation des groupes
originaires de la ville.
Une question peut alors se poser devant l'importance de ces acteurs extérieurs au
départ qui choisissent de déménager à Chicago afin de s'engager au sein de la scène
locale : la scène de Chicago peut-elle porter ce nom si une part importante de ses acteurs
les plus importants ne sont pas originaires la ville ? Il serait en effet possible de voir la
scène de Chicago comme une scène fragile, nécessitant l'arrivée de nouveaux acteurs et
donc, d'une certaine manière, dépossédée de son identité première.
Hors, affirmer cela serait faire preuve d'un manque de réflexion sûre. Tout d'abord,
il est évident que si la scène Punk Rock de Chicago était considérée comme fragile et
inintéressante, les musiciens ne s'y installeraient pas et choisiraient une autre
destination. Hors, ces musiciens quittent parfois des villes dans laquelle existe une scène
Punk Rock importante comme Austin8 ou Detroit9 afin de se rendre à Chicago. Cette
première preuve suffit ainsi à prouver que la scène de Chicago est perçue comme assez
intéressante et vivante auprès de ces jeunes musiciens.
aAffirmer que la scène Punk Rock de Chicago perd de son identité avec l'arrivée de ces
nouveaux musiciens ne peut être une position défendable et ce pour plusieurs raisons.
La première est que l'arrivée de ces musiciens ne condamnent pas les anciennes
formations. Certaines sont déjà séparées avant l'arrivée de ces nouveaux musiciens
comme Articles Of Faith dont la date de séparation est de 1984. De plus, ces nouveaux
acteurs vont se révéler être des aides précieuses pour ces anciens acteurs, notamment
Steve Albini qui, à partir de 198710, ne sort plus de disque sur un autre label que Touch
and Go. Ces nouveaux acteurs ne cherchent donc pas à prendre la place des anciens
musiciens présents sur place mais à intégrer la scène déjà existante et à s'intégrer de la
meilleure des façons possibles. Enfin, considérer que ces nouvelles formations et labels
dépossèdent la scène de Chicago de son identité première suppose l'existence d'une telle
8 Parmi les formations Punk Rock existantes à Austin, nous citerons Butthole Surfers, Scratch Acid, Big
Boys ou Meat Joy parmi d'autres formations.
9 Parmi les formations existantes à Detroit, nous pouvons citer The Fix, Necros ainsi que Negative
Approach qui sont parmi les plus connues et reconnues.
10 Nous recommandons au lecteur de vérifier les discographies des différentes formations de Steve
Albini en suivant ce lien : http://www.discogs.com/artist/59373-Steve-Albini
91
identité. Hors, nous l'avons précisé à de nombreuses reprises, celle-ci est inexistante
d'un point de vue politique mais aussi musicale. Nous pouvons cependant affirmer le
contraire : l'arrivée de ces nouveaux acteurs, musiciens ou non, est bénéfique et
nécessaire à la scène Punk Rock de Chicago.
aNous venons de le dire, certaines formations parmi les plus importantes se séparent dès
le milieu des années 1980 et la ville de Chicago brille par son absence d'un label
indépendant et solide qui soutiendrait les groupes locaux. Hors, ces manques sont
compensés par de nouveaux acteurs, ceux que nous avons évoqué précédemment, qui
vont permettre au mouvement Punk Rock de la ville de gagner un second souffle. Le
label Touch & Go devient ainsi, en l'espace de quelques années, l'un des acteurs
économique les plus importants de la scène locale grâce à la signature de groupes tels
que Big Black en 198711, Urge Overkill la même année12 ou The Jesus Lizard en 198913.
aLes nouveaux musiciens parmi lesquels Rey Washam et David Wm. Sims jouent dans
des formations musicales reconnues au niveau locale mais aussi nationale. 14 En somme,
nous avons donc de nouveaux acteurs cherchant à s'intégrer dans une scène locale bien
implantée mais qui ne souffre pas de l'arrivée de ces mêmes nouveaux acteurs et qui en
profite, ceux-ci permettant au milieu Punk Rock de la ville de se développer de façon
plus importante. Nous pouvons donc affirmer que l'arrivée importante d'influences
musicales mais aussi de nouveaux acteurs au sein du milieu Punk Rock de Chicago est
bénéfique à la scène Punk Rock. Ces effets bénéfiques sont d'ailleurs principalement
visibles durant la décennie des années 1990 mais la mise en place des conditions
nécessaires à cette évolution se déroule dès la fin des années 1980.
Enfin, nous nous devons d'attirer notre attention sur le fait que l'origine
géographique n'est pas centrale pour ces musiciens et autres acteurs. Ainsi, le directeur
du label Touch and Go, Corey Rusk, explique dans une interview que le choix de signer
des contrats avec de nombreux artistes originaires de la ville n'est pas motivé avant tout
11 Voir la biographie du groupe sur le site de Touch and Go
http://touchandgorecords.com/bands/band.php?id=34
12 Voir la biographie du groupe sur le site de Touch and Go
http://touchandgorecords.com/bands/band.php?id=83
13 Voir la biographie du groupe sur le site de Touch and Go
http://touchandgorecords.com/bands/band.php?id=78
14 Le groupe de David Wm. Sims, The Jesus Lizard, partage un disque avec Nirvana sorti le 15 février
1993 comme le précise discogs, plus grande base de donnée discographique au monde :
http://www.discogs.com/Jesus-Lizard-Nirvana-Puss-OhGuilt/master/6279
92
par la portée locale mais simplement par l'excellente qualité de ces formations.15 Il ne
s'agit pas de comprendre que l'aide à la scène locale ne compte pas pour ses artistes
mais qu'il n'est pas ici question de mettre au premier plan l'origine des acteurs mais
plutôt leurs qualités artistiques.
2. La conscience d'une scène implantée localement
Au cours de cette partie nous nous attarderons sur deux points. Le premier concerne
l'existence d'un sentiment de solidarité et d'appartenance à une scène locale chez les
acteurs du mouvement Punk Rock de Chicago. Le second point traitera de l'importance
des « lieux Punk » de Chicago, c'est à dire les salles de concerts ou les disquaires par
exemple.
a. Le sentiment d'appartenance à une scène locale existe-t-il ?
Puisque nous nous interrogeons sur l'existence d'une scène Punk Rock de Chicago
et sur ses caractéristiques, il convient de se poser la question suivante : existe-t-il un
soutien et une solidarité de la part des groupes de Chicago pour les formations locales?
Si oui, comment celle-ci se manifeste elle et dans quelle proportion ? Enfin, si les
musiciens eux-mêmes admettent qu'une scène existe localement et que ce
rassemblement de groupes est plus qu'un simple amas de formations jouant une musique
assez similaire dans la même ville sans lien fort entre elles, cela nous permettrait de
répondre par l'affirmative à notre problématique. La volonté et la conscience
d'appartenir à un groupe uni de formations musicales diverses qui se soutiennent est
l'une des qualités nécessaires à la création d'une scène Punk Rock à Chicago.
Hors, le soutien des musiciens de Chicago pour les autres formations venant de la
même ville ne semble faire aucun doute tant les exemples sont nombreux au sein de nos
sources. Un exemple simple est tout simplement l'admiration de Steve Albini pour
Naked Raygun.1 Naturellement, les exemples de soutien au sein des interviews sont
nombreux de la part d'Albini pour Naked Raygun mais le sont également pour une
variété de formations de Chicago envers d'autres formations, aussi connues ou non. Car,
15 Voir cette interview accordée au magazine online Pitchfork le 5 septembre 2006 :
http://pitchfork.com/features/interviews/6419-corey-rusk/
1 Comme le confirme entre autre cette interview donné au fanzine Californien Maximum Rock'n'Roll
dans le numéro 112 : http://petdance.com/actionpark/bigblack/press/mrr112.php Steve Albini déclare :
« Naked Raygun, qui était mon groupe favori quand j'ai emménagé à Chicago »
93
comme nous l'avons vu lors de notre partie sur les liens entre les groupes de Chicago et
ceux originaires des états voisins du Middle West, les interviews sont un moyen simple
et efficace d'afficher son attachement, musical ou personnel, envers d'autres artistes.
L'importance des interviews se comprend notamment lorsque l'on sait que les
apparitions médiatiques sont extrêmement faibles, voir inexistantes si nous considérons
les médias nationaux, pour ces artistes. Le simple fait de citer une formation dans ces
entretiens permet alors de faire connaître celle-ci et de lui accorder une visibilité
nouvelle qui est précieuse devant le peu de moyen de communication dont disposent ces
artistes.
Nous ne citons ici qu'un seul exemple, tant ceux-ci sont nombreux au sein de nos
sources et encourageons le lecteur à lire les nombreuses interviews utilisées par le
rédacteur comme sources principales. De plus, notre analyse est parsemée de nombreux
exemples de groupes montrant leur soutien à d'autres formations. Celles-ci fourniront un
ensemble de preuves complémentaires trop nombreuses pour être détaillées ici même, le
but n'étant pas de fournir un catalogue d'exemple, la plupart ayant déjà utilisés
précédemment.
La situation géographique semble également être une condition de soutien accru,
tout du moins à première vue. L'auteur entend par là le fait que les musiciens
emménageant à Chicago ou les formations fraîchement formées originaires de la ville
sont soutenus de manière plus importante encore par les groupes de la ville. Le fait
d'être originaire de Chicago engendrerait alors une sorte de réaction de solidarité de la
part des acteurs de la ville qui intégrerait la nouvelle formation à ce milieu. Un exemple
connu et déjà évoqué en partie est le groupe Slint puisqu'en 1988, les deux compositeurs
principaux emménagent à Chicago. Hors, Albini, déjà un soutien important de la
formation depuis l'enregistrement dans son studio du premier album du groupe, Tweez,
en 1987, aide le groupe de nombreuses manières, notamment en présentant ces deux
musiciens à de nombreux amis à lui dont Corey Rusk, directeur du label Touch and Go
qui offre un contrat à ceux-ci.2 Le soutien d'Albini à l'égard de Slint s'accentue alors dès
que les musiciens déménagent dans la même ville que celui-ci mais cela n'est il pas
avant tout dû à des raisons logiques ? En effet, la proximité géographique apporte
inévitablement des contacts plus nombreux et une simplicité dans la communication, qui
2 Nous renvoyons le lecteur au livre de Scott Tennent intitulé Spiderland et notamment aux pages 61 à
82 qui décrivent cette période.
94
devient alors plus rapide. De plus, comme nous l'avons dit, Albini est déjà un fervent
amateur de ce groupe bien avant l'emménagement des deux compositeurs principaux
dans la ville de Chicago. Enfin, ces derniers ne restent qu'une année dans la ville,
préférant retourner vivre à Louisville, dans le Kentucky, leur ville d'origine. Considérer
Slint comme un groupe de Chicago simplement parce que deux membres ont vécu une
année dans cette ville semble alors une erreur. Nous entrevoyons ici une première
limite, qui est le soutien important à des formations n'étant pas originaires de la ville.
Nous l'avons en effet évoqué précédemment, dans notre partie sur les rapports entre les
acteurs de la ville de Chicago et ceux originaires des états du Middle West. Le fait
qu'une telle solidarité existe ne détruit pas la possibilité de l'existence d'une scène Punk
Rock de Chicago à la condition que cette aide ne se fasse pas au détriment de
formations originaires de la ville. En effet, pour pouvoir prétendre à l'existence d'une
scène Punk Rock de Chicago, il s'agit de prouver l'existence, du moins dans la partie
nous occupant présentement, d'un sentiment de solidarité entre l'ensemble des
formations pratiquant de la musique Punk Rock et originaires de la ville de Chicago.
Hors, il semble bien que la provenance géographique d'une formation soit d'un
impact plus faible que la proximité musicale et plus encore les affinités personnelles. De
fait, il est difficile de nier que des formations telles que Naked Raygun ou Big Black
n'accordent leur soutien qu'à des artistes qui sont des amis, notamment Slint mais aussi
The Jesus Lizard3 ou des acteurs économiques, qui sont également des amis, tels que
Corey Rusk. Cela s'explique notamment par le caractère non institutionnel du
mouvement Punk Rock. Il n'y a de fait aucune force qui oblige tous les artistes venant
de la ville à se soutenir même s’il devient difficile de justifier de l'existence d'une scène
Punk Rock dans la ville si une partie des formations originaires de celle-ci est exclue de
cette logique de solidarité. Le cas d'Articles Of Faith est ici digne d'une analyse
notamment parce que cette formation est considérée comme l'une des quatre plus
importantes venant de Chicago ayant évoluée durant la première moitié des années
1980. Mais, pour des raisons personnelles et politiques, le groupe semble être rejeté par
la majorité des formations de Punk Rock de la ville. 4 La solidarité entre ces formations,
3 Le groupe comptant dans ses rangs David William Sims, bassiste du groupe Rapeman dans lequel se
produit également Steve Albini.
4 De nombreuses interviews évoquent l'isolement d'Articles Of Faith au sein du milieu Punk Rock de la
ville de Chicago, notamment cette interview publiée sur le blog Chicago Punk Pix le 5 décembre 2007
dans laquelle Vic Bondi déclare : « les groupes bien établis [il est ici fait référence aux groupes plus
anciens de la ville, notamment Naked Raygun ou Strike Under], comme The Effigies, ne nous
95
pourtant de la même ville, est alors à double vitesse. De nombreuses raisons peuvent
être évoquées pour expliquer cet isolement. La première est liée à l'aspect politique de
ce groupe qui estime que le Punk Rock doit être un mouvement politisé hors la majorité
des formations de la ville n’adhère pas à cette définition du Punk Rock comme nous
l'avons vu dans notre seconde partie. De plus, Articles Of Faith est formé en 1981 c'est à
dire une année après la formation de The Effigies, Naked Raygun et Strike Under, tous
trois formés en 1980 et ayant participé à la création du mouvement Punk Rock à
Chicago. Hors, ces premiers artistes modèlent profondément le milieu local en lui
donnant naissance et en lui inculquant une ligne directrice que les groupes,
« originaux » ou « héritiers » de ces précurseurs, s'efforceront de suivre. Articles Of
Faith a une approche relativement différente, musicalement dans une moindre mesure
mais principalement politiquement et socialement. De fait, ce groupe peut avoir été
considéré, consciemment ou non, par les groupes Punk Rock de Chicago comme une
menace envers l'esprit originel du mouvement Punk Rock de la ville. Si les acteurs plus
anciens de la ville n'avouent pas cela, Vic Bondi quant à lui semble certain de cette
version puisqu'il déclare : « Articles Of Faith était de gauche, The Effigies de droite,
Effigies était de la vieille école, Articles Of Faith était la nouvelle école »5. Vic Bondi ne
nomme ici que The Effigies, principalement, car les conflits entre les deux formations
furent violents, notamment par média interposés.6 Articles Of Faith est ici un exemple
de nouvelle formation qui, pour des raisons personnelles et politiques, est rejetée par des
acteurs centraux du mouvement Punk Rock de la ville.
Il s'agit alors de comprendre pourquoi de nombreux artistes soutiennent, du moins
en apparence, la scène Punk Rock de Chicago. Au cours de notre travail, nous avons
constaté que de nombreux rédacteurs de fanzines demandent fréquemment quelles
formations de Chicago sont proches de l'artiste avec qui l'entretient se déroule. Hors, il
existe des artistes critiquant le mouvement Punk Rock de la ville de Chicago durant ces
entretiens. Vic Bondi critique à de nombreuses reprises certaines formations originaires
de la ville notamment leur attitude, arguant que la majorité des groupes anciens
ouvraient aucune porte »http://chicagopunkpix.com/CPP/?p=32
5 Cette citation est extraite d'une interview publiée sur le blog scanner zine
http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm
6 De nombreuses interviews et mémoires relatent cette relation tumultueuse. Vic Bondi déclare par
exemple dans cette interview publiée dans le fanzine Suburban Voice au mois de juillet 1984 : « je
n'écoute pas ce groupe [The Effigies]. Je ne les apprécie pas. […] The Effigies font tous ce qu'ils
peuvent pour ennuyer tout le monde » http://www.killfromtheheart.com/interviews.php?id=4
96
participe à une sorte de développement clanique du milieu Punk Rock de la ville. 7 Il
semble alors que l'ouverture vis-à-vis des nouveaux arrivants du mouvement Punk Rock
de la ville, et notamment des formations les plus anciennes, soit limitée à des acteurs
s'intégrant personnellement, musicalement et idéologiquement à celles déjà en place. En
somme, il semble que pour s'intégrer rapidement et durablement à ce milieu, les
relations personnelles soient une fois de plus centrales et nécessaires. Dans ces
conditions, il est bien plus aisé de comprendre pourquoi des artistes revendiquant une
position politique et musicale différente ne sont pas intégrés à cette logique de solidarité
qui lie des formations comme The Effigies, Naked Raygun et Big Black par exemple. Il
semble donc que afin de gagner le soutien des formations les plus anciennes de la ville,
il faille s'intégrer à ce milieu grâce à une proximité musicale ou personnelle. L'exemple
de Steve Albini est d'ailleurs central pour illustrer ce phénomène puisque celui-ci réussit
à s'intégrer notamment grâce à son amitié avec Jeff Pezzati, membre de Naked Raygun,
qui lui permet de recruter Santiago Durango, autre figure centrale du milieu Punk Rock
de la ville grâce à sa participation à Naked Raygun. La reconnaissance locale et
nationale de son groupe Big Black permet à Albini, dans un second temps, de se
retrouver dans la situation d'une figure musicale reconnue et respecté dans le milieu du
Punk Rock à un niveau local et national qui, grâce à son influence nouvellement gagnée,
tente de mettre en avant des formations avec qui il se lie d'amitié. Nous pouvons ici citer
The Jesus Lizard pour laquelle Steve Albini enregistre de nombreux albums8 tout au
long de sa carrière d'ingénieur du son mais également d'autres formations comme Tar ou
Urge Overkill. Le lien personnel semble donc être l'élément central qui favorise l'accès,
ou non, à ce réseau de solidarité qui se crée entre certaines formations de Punk Rock
dans la ville de Chicago. Les proximités géographiques ou même musicales semblent
alors reléguées à un plan de moindre importance ce qui nous amène alors à nous
demander si la question de l'origine locale n'est alors pas surestimée lorsque nous
7 Voir cette interview publiée par le blog Scanner Zine dans laquelle Vic Bondi déclare : « Je voulais
désespérément m'intégrer à la scène de Chicago. Mais c'était tellement clanique »
http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm
8 Le groupe enregistre la majorité de ses productions discographiques dans le studio de Steve Albini
parmi lesquelles Pure en 1989 et Head en 1990. Devant l'absence de sources fiables sur internet, le site
officiel du groupe étant fermé et le site officiel du label Touch And Go ne fournissant pas ses
informations, nous renvoyons le lecteur à la page discogs, plus grande base de donnée discographique en
ligne, consacrée à Steve Albini et notamment à l'onglet permettant de constater l'ensemble des disques sur
lesquels celui-ci a joué un rôle dit « technique » c'est à dire d'ingénieur du son :
http://www.discogs.com/artist/59373-Steve-Albini?
limit=500&sort=title,asc&subtype=Technical&type=Credits
97
parlons de solidarité entre ces groupes.
Il semblerait alors que la logique de solidarité dont font preuve les artistes de
Chicago soit conditionnée avant tout par des raisons personnelles et nullement
artistiques ou même géographiques. Pourquoi alors une telle volonté de la part des
rédacteurs de fanzines, au cours des entretiens, pour ces questions portant sur les
groupes locaux ? Deux éléments de réponses peuvent être évoqués. La première raison
est intimement liée au manque d'exposition médiatique des groupes Punk Rock et à
l'origine de ces magazines. En effet, ces derniers sont de fait des créations amatrices,
rédigées par des amateurs de ce genre musical et ceux-ci disposent donc des mêmes
informations que les autres acteurs et spectateurs de ce mouvement. Hors, il est évident
que les informations circulent sporadiquement, notamment lorsqu'il s'agit de groupes
originaires d'autres régions. Le rédacteur trouve donc dans les acteurs d'une scène locale
une source d'information de première main. Les acteurs interrogés servent donc de
source d'information locale puisque, comme nous l'avons dit, celles-ci circulent
difficilement notamment lorsque l'éloignement géographique est important.
La seconde raison qui pousse la presse spécialisée à évoquer l'existence d'une
solidarité dans le milieu Punk Rock de la ville de Chicago est liée à ce que nous
pourrions définir comme du mimétisme. Le mouvement Punk Rock se développe aux
États Unis dans des zones géographiques variées parmi lesquelles Chicago mais aussi
Washington, New York City ou Los Angeles. Hors, l'importance de la localisation
géographique n'est pas secondaire mais première lorsqu'il s'agit de définir l'identité de
ces mouvements locaux. De fait, il n'est pas rare de mettre au premier plan la
provenance géographique d'une formation musicale afin de la définir. Ceci emprunte à
la théorie selon laquelle l'identité d'une scène locale est si fortement marquée et unique
que la simple évocation de la ville d'origine de celle-ci suffit à l'amateur de Punk Rock
pour se faire une idée précise du type de musique pratiquée par le groupe. Nous ne
sommes pas ici pour discuter de l'exactitude ou non de cette affirmation vis-à-vis des
milieux Punk Rock de Washington ou de New York City mais nous admettrons, et c'est
là le consensus commun non seulement chez les amateurs de Punk Rock mais aussi chez
les journalistes musicaux9, que ces deux villes possèdent un milieu Punk Rock
9 Nous renvoyons le lecteur vers les ouvrages de Steven Blush et Michael Azerrad qui, parmi d'autres
spécialistes, admettent durant la majorité de leurs réflexions, qu'une telle identité si marquée existe
bien pour les milieux Punk Rock de ces deux villes.
98
fortement identifiable tant musicalement qu'idéologiquement. Le milieu Punk Rock
national américain est donc en quelque sorte conditionné pour décrire une formation
musicale par son style musical puis, avec la même importance, par sa provenance
géographique. Cela est remarquable notamment grâce aux flyers de concerts qui
indiquent souvent la ville de provenance des formations musicales se produisant sur
scène. Cela ne concerne d'ailleurs pas uniquement les groupes originaires de Chicago
mais également de l'ensemble du territoire américain. 10 Il semble donc qu'un consensus
commun à l'ensemble du milieu national Punk Rock se crée selon lequel les formations
d'une même ville forment une scène unie, marquée par une identité musicale et
idéologique commune, un sentiment d'appartenance à une communauté et une volonté
de soutien de l'ensemble des acteurs au sein de celle-ci. Si cela peut être le cas, selon un
nombre important de spécialistes, à Washington ou New York City, cela n'est pas le cas
à Chicago comme nous l'avons dit, notamment, car des différences musicales et
idéologiques existent entre de nombreux acteurs centraux du mouvement Punk Rock de
la ville mais aussi parce que le soutien pour l'ensemble des formations venant de la
même ville n'est pas une réalité.
Le manque d'informations de la part des rédacteurs de magazine au sujet du milieu
Punk Rock de Chicago pousserait alors ceux-ci à calquer une logique applicable à de
nombreuses villes comme Washington ou New York City à des localités ou celle-ci ne
peut l'être à cause, notamment, de disparités idéologiques et musicales trop importantes.
Cette théorie nous semble intéressante notamment parce que les questions posées aux
formations de la ville de Chicago sont souvent orientées afin d'avoir une réponse locale.
Hors, dans le cas où un artiste se voit demander quels artistes l'inspirent sans que celuici ne doive restreindre ses choix à des formations locales, les réponses sont différentes.
Ainsi, lorsque l'on demande à Steve Albini quels sont les artistes qui l'inspire sans lui
demander de se limiter à des formations locales, celui-ci n'évoque que trois groupes
ayant appartenu au milieu Punk Rock de Chicago, Naked Raygun, The Effigies et David
Yow.11
10 Nous appuyons notre propos sur trois flyers, le premier illustre un concert donné le 6 mars 1981 à
Austin. http://hardcoreshowflyers.com/images/05010801.jpg Le second un concert donné le 21 juin
1984 à Easthampton dans le Minnesota http://hardcoreshowflyers.com/images/11010802_84.jpg.
Enfin, le troisième flyer illustre un concert donné le 26 avril probablement de l'année 1980 :
http://www.hardcoreshowflyers.com/images/02071186.jpg
11 Information tirée de cette interview de Steve Albini et Bob Weston publiée en mars 1998 :
http://web.tiscalinet.it/shellac/Interview2.htm
99
Afin de conclure, nous pouvons déclarer que le soutien entre formations Punk Rock
dans la ville de Chicago existe bel et bien. En effet, de nombreux artistes font preuve de
solidarité par le biais de déclaration publiques mais aussi d'autres moyens semblables à
ceux que nous avons détaillé lors de notre partie précédente portant sur les relations
entre le milieu Punk Rock de la ville et celui des états voisins du Middle West. Mais
cette solidarité n'est pas fondée principalement sur l'origine géographique mais plutôt
sur les affinités personnelles entre chaque acteur. Nous revenons donc à un point déjà
évoqué de nombreuses fois au cours de notre développement, à savoir le fait que la
solidarité au sein du milieu Punk Rock de Chicago fonctionne selon une logique
reposant sur des valeurs telles que l'amitié ou l'estime personnelle et non la proximité
stylistique ou géographique.
b. Les lieux Punk Rock de Chicago
Au cours de notre réflexion, nous avons remis en cause à de nombreuses reprises
l'existence d'une scène Punk Rock à Chicago. Au cours de cette dernière partie nous
analyserons de quelle manière ce mouvement s'est accaparé l'espace de la ville et quel
est le rôle de ces espaces Punk Rock au sein de la ville de Chicago ?
Il semble en effet difficile de nier l'importance que revêt la ville dans la naissance
de ce mouvement et dans son développement. En effet, afin de se développer, il est
indispensable que les acteurs se rencontrent dans des milieux publics. De plus, un
mouvement musical doit pouvoir accueillir des artistes afin de se produire en concert et
l'existence de salles de concerts est alors nécessaire.
Attardons-nous alors sur ces lieux Punk Rock au sein de la ville de Chicago ainsi
que leur rôle.
Les premiers lieux importants sont les disquaires et ceux-ci ont un rôle
particulièrement important dans le milieu Punk Rock de Chicago, car, nous l'avons vu
dès notre première partie, les influences des formations de la ville sont nombreuses. Le
disquaire doit alors proposer une sélection de disques de qualité et éclectiques afin de
couvrir ces besoins de découvertes musicales. De plus, nous avons constaté l'importance
des groupes étrangers, notamment Britanniques. Hors, la majorité de ces groupes ne
sont pas distribués sur un label américain et il s'agit alors pour la boutique de faire
importer ces disques directement du Royaume-Uni. Le rôle du disquaire est donc
100
multiple puisque celui-ci doit connaître les goûts musicaux de ses clients tout en
proposant des nouveautés, parfois difficilement accessibles. Au sein de la ville de
Chicago, le disquaire le plus important historiquement est Wax Trax Records,1 disquaire
situé sur l'avenue de Washington2. La réputation de cette boutique est justifiée
notamment par son ancienneté, puisque le magasin ouvre le 25 novembre 1978 et
devient un lieu de rendez-vous pour les amateurs de Punk Rock et de New Wave de la
ville. De plus, la sélection de disques importés du Royaume-Uni est un atout pour ce
disquaire puisque se procurer les nouvelles sorties européennes reste difficile. Le
disquaire est donc un lieu essentiel pour le développement et la naissance du milieu
Punk Rock à Chicago et Wax Trax semble être le plus important de la ville, notamment
durant la première moitié des années 1980. Son rôle de diffuseur musical, grâce à sa
sélection de disques britanniques difficiles à trouver, ne doit pas être négligé notamment
devant la multitude d'influences revendiquées par les formations de la ville.
Un second type de lieu, tout aussi important que les disquaires, sont les salles de
concerts. En effet, la représentation scénique est centrale au sein du mouvement Punk
Rock et il nous faut alors nous attarder sur les différents types de salle de concert. Il
convient alors de différencier deux types de salles accueillant des concerts. Les
premières sont des salles de concerts « traditionnelles », accueillant des représentations
d'artistes variés toute l'année. Lorsqu'un groupe de Punk Rock assez important passe par
Chicago, si celui-ci en a les moyens et si le public est assez nombreux, alors il peut se
produire dans ce type de salle. Malheureusement, nous ne disposons d'aucune source
afin de présenter ces salles plus précisément. En effet, les informations que nous avons à
notre disposition évoquent des concerts, les artistes se produisant ce soir-là ainsi que la
date du concert mais n'évoque que rarement le nom de la salle. De rares artistes,
fournissant des archives officielles sur leur site internet, nous permettent cependant de
nous renseigner sur ces salles mais dans des proportions relativement faibles. L'une de
ces salles est le théâtre Riviera3, d'une capacité de deux mille cinq cents personnes qui
accueille le 1er mai 1980 un concert de Public Image Limited4, groupe de Post Punk
britanique. Une dizaine d'année plus tard, le mouvement Punk Rock de Chicago ayant
1 Cette information est notamment confirmée par Ken Mierzwa, rédacteur dans le fanzine local Coolest
Retard qui déclare « Une institution permanente de Chicago était Wax Trax Records » dans ses
mémoires publiées sur son blog personnel : http://kmier.net/mixed/punks4.html
2 Voir l'annexe cartographique.
3 Voir annexe cartographique.
4 Information recueillie sur le site officiel du groupe http://www.pilofficial.com/showsarchive.html
101
grandit, des groupes locaux réussissent également à jouer dans des salles aussi
importantes mais il s'agit alors de formations reconnues et assez anciennes, disposant
d'une base solide et importante d'auditeurs.5 Le rôle de ces salles de concerts bien
qu'existant, n'est pas aussi important que celui d'autres, moins importantes. En effet, la
programmation de ces salles inclue en effet des groupes de Punk Rock mais ceux-ci ne
représentent qu'une partie de l'ensemble des formations se produisant dans ces lieux. De
fait, celles-ci ne sont pas ce que l'on pourrait appeler des lieux Punk Rock puisque ces
derniers doivent avoir un lien avec le mouvement Punk Rock de Chicago et,
principalement, être un lieu de rassemblement pour les acteurs de ce même mouvement.
Ces raisons empêchent donc les salles de concerts plus importantes d'être cités comme
des lieux Punk Rock mais il ne faut cependant pas diminuer leur importance, les
groupes les plus importants du mouvement Punk Rock national et international se
produisant dans ce genre de salle comme Public Image Limited au théâtre Riviera ainsi
que Iggy Pop par exemple dès 1976.
Cependant, les lieux accueillant des concerts ayant eu la plus grande influence sur
le milieu Punk Rock de Chicago furent les salles de concerts de taille moins importante
mais se concentrant sur ce genre musical. La programmation est donc essentiellement
voir uniquement constituée de formations de Punk Rock qui se produisent dans ces
salles qui sont la plupart du temps des bars et des lieux de représentation de manière
simultanée. Nous allons tout d'abord tenter de nommer ces salles de concerts en donnant
des exemples de formations que celles-ci ont accueilli puis, dans un second temps, nous
tenterons d'expliquer pourquoi leur rôle est si important. Ces salles de concerts se
présentent la plupart du temps sous la forme de ce que les acteurs du mouvement Punk
Rock nomme un « club » c'est à dire une salle de concert dans laquelle la scène est de
petite taille avec une capacité limitée. Il n'est pas rare d'y trouver un bar ce qui empêche
les mineurs d'accéder aux concerts, la vente d'alcool aux personnes n'étant pas encore
majeurs étant strictement interdite aux États Unis et bien moins tolérée que dans les
pays européens et, afin d'éviter toute poursuite en cas d'incident, les propriétaires de ces
salles n'acceptent donc pas les mineurs. De nombreuses salles ouvrent alors leurs portes
au cours des années 1980. Parmi les plus importantes, il convient de signaler
5 Au cours de cette interview donnée durant le mois de septembre 1990 publiée par le fanzine Ink
Disease, le groupe Naked Raygun déclare jouer régulièrement au théâtre Riviera :
http://www.dementlieu.com/users/obik/arc/other/nakedraygun_id17.html
102
«O'Banion's »6, décrit par de nombreux acteurs comme l'une des salles de concert les
plus importante du mouvement Punk Rock de Chicago.7Le club ouvre en juin 1978 et
ferme quelques années plus tard, le 3 février 1982. L'importance de cette salle n'est pas
exagérée puisque les premières formations Punk Rock de la ville s'y produisent
fréquemment. Parmi celles-ci, nous pouvons citer Naked Raygun, The Effigies ou Strike
Under. Le lieu est également fréquenté par des groupes de plus grande importance et
venant d'autres régions, notamment Hüsker Dü s'y produisant le 5 août 1981 8 par
exemple ainsi que The Dead Kennedys qui s'y produisent le 19 septembre 1981.
L'importance de ce club est donc centrale dans la création du milieu Punk Rock de
Chicago puisque les gérants du club se positionnent clairement et choisissent de soutenir
ce mouvement et les groupes locaux.
Une autre salle dont l'importance est centrale porte le nom de « Oz 9» et fut fondé,
pour la première fois tout du moins, en 1977. Cette salle est centrale pour la scène Punk
Rock de Chicago pour de nombreuses raisons et les acteurs s'y référant sont nombreux.
« Oz » est en théorie un bar mais le lieu ne dispose ni d'un bar ni même d'alcool et la
naissance de ce lieu sert en réalité de couverture à la création d'une salle de concert à
moindre frais. De plus, les horaires de fermeture sont fréquemment ignorés, ce qui
conduit les forces de l'ordre à fermer le lieu. Cependant, après la fermeture de la salle,
celle-ci rouvre sous le même nom, avec le même fonctionnement, dans un autre quartier
de la ville.10 Ici aussi, le rôle de « Oz » est central dans la création du milieu Punk Rock
de Chicago, notamment grâce à son côté illégal qui permet aux amateurs de Punk Rock
mineurs d'assister à des concerts sans avoir à se fournir de faux papiers. De plus, la
programmation de la salle permet un soutien important des groupes de Punk Rock
locaux puisque des formations telles que Naked Raygun, The Effigies ou Strike Under
se produisent dans cette salle à de nombreuses reprises. L'importance des salles de
6 Voir annexe cartographique.
7 Le site communautaire Chicago Punk Database déclare que la salle est « considérée comme le zénith
du mouvement Punk Rock original de Chicago » http://punkdatabase.com/wiki/O'Banion's Steve
Albini, dans une interview donnée à une date inconnue au blog Epitonic, déclare que cette salle de
concert fut centrale dans la création de la scène Punk Rock de Chicago.
http://www.epitonic.com/features/interviews/interview-steve-albini/
8 Voir les archives de concerts du groupe Hüsker Dü présentes sur le site suivant
http://www.thirdav.com/hd_discog/dates.html
9 Voir annexe cartographique.
10 La majorité des informations à propos de cette salle sont tirées d'une partie des mémoires de Ken
Mierzwa, rédacteur pour le fanzine Coolest Retard disponible à cette adresse :
http://kmier.net/mixed/punks4.html
103
concert est en réalité primordiale, principalement durant les premières années
d'existence du mouvement Punk Rock à Chicago, de 1979 à 1982. En effet, le milieu
Punk Rock compte alors peu d'acteurs et ceux-ci ont non seulement besoin de lieux où
se retrouver afin de créer une communauté mais également de salles de concerts afin de
se produire musicalement et d'augmenter leur reconnaissance auprès des auditeurs de la
ville. Comme nous venons de le dire, le milieu Punk Rock compte, durant ses premières
années d'existence, peu d'acteurs et le fait que les « lieux Punk Rock » de la ville soient
peu nombreux est un atout. Ainsi, les acteurs de ce mouvement peuvent se retrouver
dans des lieux à l'identité forte qui attirent une forte vague de soutien de la part de
l'ensemble de la communauté Punk Rock de la ville. Il semble donc y avoir une
fédération autour de ces salles de concert dont le faible nombre constitue un atout
puisque la scène Punk Rock de Chicago est alors « localisée » dans peu d'endroits,
permettant alors des contacts plus nombreux avec les autres acteurs de ce milieu. En
effet, de manière logique, s’il existe peu de lieux Punk Rock dans la ville de Chicago,
alors il y a plus de chance que ceux-ci s'accaparent une part importante de la population
des amateurs de Punk Rock de la ville.
Enfin d'autres lieux jouent un rôle dans la création du milieu Punk Rock de Chicago
qui n'est cependant pas aussi central que celui des boutiques de disque ou des salles de
concerts. Il s'agit des habitations de certains musiciens qui, bien que privées, peuvent
devenir des lieux de rencontre et de rassemblement pour les acteurs du mouvement
Punk Rock de la ville. Il convient tout d'abord de préciser que l'importance de ces lieux
est bien moindre, surtout au niveau de l'impact sur la scène musicale de la ville, et que
nous n'avons connaissance que de deux lieux de cette catégorie qui jouent un rôle assez
important pour être ici cités au cours de notre explication. La première habitation assez
importante pour figurer dans cette catégorie est celle que partagent les membres de
Naked Raygun, plus précisément Santiago Durango et les frères Marko et Jeff Pezzati,
dans le quartier du Parc Lincoln. L'importance de cette maison est multiple puisque
celle-ci sert de lieu de rencontre entre les différents acteurs Punk Rock de la ville mais
sert aussi de lieu de répétition pour les musiciens et d'autres amis de ces derniers. 11.
Albini confirme d'ailleurs l'importance de cette maison dans de nombreuses interviews
puisque c'est dans ce lieu que la première répétition officiel de Big Black a lieu et que
11 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, notamment les pages 317 et 318. Michael Azerrad déclare dans
son ouvrage que « tous les groupes Punk de la ville répétaient dans la cave du bâtiment »
104
Santiago Durango rejoint le groupe, le même jour.12 La si grande importance d'un lieu
privé nous démontre le faible nombre de lieux consacrés au mouvement Punk Rock à
Chicago, notamment durant les premières années d'existence de ce milieu, c'est à dire de
1979 à 1982 environ. Les acteurs tentent alors de trouver des solutions en utilisant la
cave de l'habitation d'une des formations les plus importantes de la ville qui a la chance
d'être d'une taille assez importante pour pouvoir accueillir plusieurs musiciens ainsi que
leur matériel.
Le second lieu privé que nous évoquons ici est l'habitation de Steve Albini que
celui-ci transforme en partie, dès son achat en 1987, en studio d'enregistrement. Ce lieu
devient important notamment, car de nombreuses formations originaires de la ville
enregistrent dans ce studio, parmi lesquelles Tar, The Jesus Lizard ou Urge Overkill.13
Cependant, il est évident que ce lieu ne peut prétendre à la même importance que des
salles de concerts ou bien, pour rester dans une comparaison plus proche, l'habitation
des membres de Naked Raygun. La première raison qui explique cela est le fait
qu'Albini ne transforme pas sa cave en studio de répétition mais d'enregistrement, ce qui
ne correspond pas aux mêmes besoins. En effet, le local de répétition est nécessaire à
toute formation tandis que le studio d'enregistrement nécessite la composition de
musique, ce qui est un processus plus long et que les formations musicales mettent en
place moins souvent que la répétition. La seconde, et principale raison, est tout
simplement la multiplication, durant les années 1980, des lieux Punk Rock à Chicago.
En effet, durant les années 1980, de nombreuses salles de concerts programmant
des formations Punk Rock locales voient le jour. Parmi ces salles nous pouvons citer
« Cabaret Metro »14, une salle ouverte en juillet 1982 15 programmant de nombreuses
formations locales parmi lesquelles les plus célèbres et importantes de la scène locale
comme Naked Raygun ou The Effigies. « Cabaret Metro », tout comme la majorité des
nouvelles salles de concerts se concentrant majoritairement sur la musique Punk Rock
sont cependant différentes des premiers lieux de concert que nous évoquions et ce, pour
plusieurs raisons. La première est tout simplement la taille, puisque le Cabaret Metro
affiche une capacité de mille deux cents spectateurs ce qui représente un nombre
12 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, notamment les pages 317 et 318.
13 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad à la page 344 mais aussi les indications présentes sur chaque disque
de ces formations musicales.
14 Voir l'annexe cartographique.
15 Information retrouvée sur le site officiel de la salle de concert à l'adresse suivante :
http://metrochicago.com/info dans la rubrique « History ».
105
important dans le milieu Punk Rock de la ville de Chicago. La seconde différence est
tout simplement la rentabilité puisque les salles de concerts que nous évoquions
précédemment ferment rapidement et pour raisons financières. «Oz » ferment ainsi à de
nombreuses reprises et son propriétaire se voit contraint d'ouvrir une discothèque afin
de rembourser ses dettes.16
La multiplication des salles de concert, dont le « Cabaret Metro » n'est qu'un
exemple auquel nous pourrions ajouter des salles telle que « Exit » par exemple, qui
sont relativement similaires, notamment grâce à une programmation très proche, indique
que le milieu Punk Rock de Chicago a évolué et grandit, car ces salles de concerts sont
économiquement viables. Ces salles de concert servent donc de témoins à l'évolution du
milieu Punk Rock de Chicago, prouvant donc que le nombre d'amateurs de ce genre
musical n'a cessé d'augmenter au cours des années 1980. Mais ces salles ont elles la
même influence que les lieux évoqués durant les premières lignes de notre
développement?
Certes, leur influence est importante, notamment grâce à la programmation mettant
en avant les groupes locaux et permettant à des formations nationales, c'est à dire
rencontrant un succès relativement important dans l'ensemble du pays, de se produire à
Chicago devant un parterre d'amateurs fourni puisque les salles sont de taille
convenable. Il est cependant certain que leur influence n'est en aucun cas comparable
aux salles disparues évoquées plus en amont de notre développement et ce car celles-ci
sont moins anciennes. De fait, les salles disparues dès le milieu des années 1980 ont eu
une influence primordiale dans le sens où celles-ci ont aidé le mouvement Punk Rock de
Chicago à se structurer et à se développer au moment où celui-ci était le plus vulnérable,
c'est à dire au départ. Leur influence sur les musiciens est donc importante mais cellesci acquièrent également un statut culte auquel une salle moins ancienne ne peut
prétendre tout simplement, car celle-ci n'aura pas eu la même incidence sur la formation
originale de ce milieu malgré l'importance de ces lieux, plus récents, sur le
développement de celui-ci.
Les lieux Punk Rock de Chicago ont indéniablement une influence sur ce milieu et
ce, de plusieurs manières, notamment en fournissant des lieux de rencontre et de
sociabilité à ces acteurs, favorisant alors la naissance d'un mouvement pourtant fragile
16 Voir cette interview tiré du numéro 6 du fanzine Noise, publié dans l'Ohio, imprimé en 1981
http://www.dementlieu.com/users/obik/arc/effigies/int_noise6.html
106
et peu important démographiquement parlant dans ses premières années d'existence. Si
l'importance de lieux tels que les disquaires ou les salles de concerts reste centrale tout
au long de la période nous intéressant, celle-ci est primordiale durant les premières
années d'existence du milieu Punk Rock à Chicago, notamment car ces lieux aident à
mettre sur le devant de la scène les formations les plus respectées et les plus reconnues
par les acteurs de ce même mouvement. Les lieux de rencontre, privés ou non, peuvent
alors être vu comme un point commun entre de nombreuses formations et ainsi être
décrit comme l'une des caractéristiques qui permettrait de définir l'ensemble du
mouvement Punk Rock de Chicago comme une scène à part entière.
Il convient cependant de ne pas aller plus loin dans cette explication car, comme
nous l'avons vu, les lieux liés au Punk Rock évoluent avec le temps, notamment les
salles de concerts originales, qui font face à des problèmes économiques. Il est donc
logique que les formations voyant le jour après 1982 ne puissent jouer dans celles-ci.
Hors, si nous décidons que les lieux Punk Rock de la ville sont l'une des caractéristiques
centrales pour la formation d'une scène de Chicago, alors tout groupe fondé après 1982
ne peut prétendre appartenir à celle-ci simplement parce qu'il n'a pas eu la chance de
jouer dans des salles comme la salle « Oz ».
L'importance de ces lieux, notamment durant les premières années d'existence de ce
mouvement, ne peut être remise en cause car ceux-ci aident à former la scène de
différentes manières mais elle n'est pas suffisante pour faire de ces lieux de rendez-vous
et de sociabilité l'une des composantes les plus importantes pour pouvoir prouver
l'existence d'une scène Punk Rock de Chicago.
107
Conclusion générale de notre analyse :
Au cours de notre développement nous avons tenté d'apporter des éléments de
réponse afin de répondre à notre problématique et de savoir s’il existe une scène Punk
Rock à Chicago entre 1979 et 1991.
Dans un premier temps et ce de manière logique, nous nous sommes attardés sur la
dimension musicale de ce mouvement local. Nous avons alors détaillé quelles sont les
influences de ces acteurs en ne nous focalisant pas uniquement sur les formations les
plus reconnues médiatiquement ou stylistiquement proches des groupes étudiés mais sur
l'ensemble de ces mêmes influences. Nous avons alors découvert que des influences
diverses, parfois surprenantes, sont revendiquées par ces artistes. Nous avons également
pu prouver qu'une identité musicale forte existe pour les formations principales du
milieu Punk Rock local. De fait, il est pratiquement impossible de définir un « son Punk
Rock de Chicago » tant les différences musicales sont importantes entre ces formations.
Enfin, nous nous sommes attardés sur les évolutions musicales et les réactions que
celles-ci engendrent qui, tout au long de notre période, se sont fait là aussi variées, les
changements stylistiques étant repoussés par certains artistes tandis qu'au contraire,
d'autres les accueillent avec bienveillance.
Il semble alors qu'au cours de notre première partie, nous n'ayons pu faire en sorte
de dégager suffisamment d'éléments afin d'affirmer l'existence d'une unité artistique au
sein du mouvement Punk Rock de Chicago. Mais il est également vrai que nous avons
prouvé que la plupart de ces formations possèdent une identité très marquée et
différente des formations évoluant dans d'autres villes ou régions des États Unis.
Par la suite, nous avons axé notre réflexion sur une dimension sociale et politique,
en tentant d'étudier ce mouvement artistique non pas comme un simple mouvement
musical mais comme une manifestation sociale et politique. Nous avons donc étudié en
deux temps les caractéristiques sociales et politiques de ces artistes.
Nous avons ainsi mis au centre de notre réflexion les questions universitaires, c'est
à dire le rôle que jouent les études au sein de leur démarche artistique. Pour certains,
l'université est un moteur qui leur permet de s'éloigner de leur état natal et donc de
déménager à Chicago. Nous avons également constaté que les connaissances acquises à
l'université sont mises au service de leur engagement artistique et activiste au sein du
milieu Punk Rock. De fait, un étudiant en journalisme s'investit ainsi plus facilement
108
dans la rédaction d'un fanzine. La réaction et la place des études universitaires et du
cursus universitaire a également été étudié, révélant que les études ne sont pas
nécessairement ce que les acteurs de ce milieu portent en estime, notamment car
l'enseignement académique semble être rejeté par la plupart de ceux-ci.
Les questions de genre ont également trouvé une place dans notre réflexion en nous
interrogeant sur la proportion des deux sexes au sein de ce milieu. Comprenant que la
proportion de femmes agissant au sein de ce mouvement est extrêmement faible, nous
avons tenté d'en expliquer les raisons, tentant tout d'abord de lier ce fait aux paroles
machistes de certaines formations, notamment Big Black. Mais il nous a paru plus sage
de nous désolidariser, du moins en partie, de cette thèse pour mettre en avant la faible
population de cette scène et donc les chances moindres qu'une femme s'investisse dans
ce milieu et soit assez reconnue pour laisser une trace écrite, les sources étant par
ailleurs un problème récurrent de notre analyse.
La place des chefs de file, ou figures centrales, de ce milieu Punk Rock a également
occupé une part importante de notre réflexion et nous avons tenté d'expliquer quelle est
l'influence de ces personnages mais aussi pourquoi le Punk Rock a, comme tout
mouvement artistique, besoin de ceux-ci. Nous avons également tenté de définir quels
moyens sont les plus fréquents afin d'avoir une certaine influence au sein de ce milieu.
Nous avons ainsi comparé la figure centrale Punk Rock à celle des intellectuelles, son
avis étant recherché par les amateurs et porté en haute estime.
La dimension politique du mouvement Punk Rock nous a semblé impossible à ne
pas évoquer. Des formations originaires de la ville de Chicago s'investissent
politiquement par le biais de leur musique et de leur groupe. Nous avons ainsi déterminé
de quelle manière concrète cela se déroule et quelle place tient dans ce cas la musique
par rapport au message politique. L'absence d'engagement politique étant plus répandu à
Chicago, nous avons tenté d'en expliquer les raisons et les réactions des acteurs du
milieu Punk Rock de la ville vis-à-vis des deux situations. En effet, des conflits
surgissent de l'existence d'un engagement politique ou de son absence, deux visions du
mouvement Punk Rock s'affrontant alors.
Enfin, l'importance du DIY a été mise au centre d'une analyse qui nous a permit
d'affirmer dans un premier temps que le fait de rester indépendant et d'assumer des
responsabilités économiques et administratives est une nécessité pour de nombreux
109
groupes et labels. Cette volonté de « faire soi-même » est ensuite devenue une
caractéristique importante du mouvement Punk Rock de part le monde et Chicago ne
fait pas exception à la règle. De plus, le DIY met au centre de sa philosophie
l'importance de l'auto-apprentissage et de la participation active de chaque acteur et
amateur, ce qui est l'une des valeurs centrales du mouvement Punk Rock.
Au cours de notre dernière partie, nous nous sommes penchés sur les relations de ce
mouvement culturel local avec son espace de manière général. Dans un premier temps,
nous avons déterminé quelles sont les relations entre les groupes venant de la capitale
économique de l'Illinois avec les formations de Punk Rock venant des états voisins du
Middle West. Nous avons ainsi déterminé qu'une forte solidarité existe entre les
formations de ces états avec celles de la ville la plus importante de la région. Nous nous
sommes penchés sur les moyens concrets d'actions utilisés par chacun de ces acteurs
afin de prendre parti, publiquement ou non, pour une autre formation. Nous avons
également constaté que malgré son importance économique et politique, Chicago ne
peut prétendre à une domination si écrasante sur le plan du Punk Rock puisque de
nombreuses formations reconnues viennent de villes voisines bien moins importante,
comme Saint Paul, patrie d'Hüsker Dü.
Nous nous sommes également attardés sur le cas des musiciens qui ne sont pas
originaires de la ville de Chicago et qui choisissent cette ville afin de s'installer. Nous
avons alors évoqué les raisons de ce déménagement ainsi que l'évolution de celles-ci.
L'intégration au milieu Punk Rock et surtout la facilité de cette intégration a été
questionnée et nous avons constaté que chaque cas est différent. Les conséquences de
ces installations et de l'évolution des raisons poussant certains acteurs à s’installer dans
cette ville ont des conséquences nombreuses qui sont analysées au cours de notre partie,
notamment une évolution musicale de ce milieu.
Nous avons par la suite évoqué le sentiment d'appartenance à une scène locale chez
les acteurs de ce milieu Punk Rock et avons constaté une certaine ambiguïté chez un
grand nombre de ceux-ci. En effet, celui-ci semble être mis en avant et rejeté dans le
même temps et ce, parfois par la même personne. La fierté d'appartenir à une
communauté peu importante, fondée autour de valeurs communes est importante mais
comme nous l'avons vu, celles-ci ne sont pas généralisables à l'ensemble du milieu Punk
Rock de la ville de Chicago. Ces musiciens sont alors fiers d'être proches de certaines
110
formations locales mais pas d'un ensemble de formations ou même d'une scène unie. Il
semble donc que la volonté d'appartenir à un groupe d'amis et d'artistes soudés autour de
valeurs artistiques, économiques, ou politique communes soit importante mais qu'elle ne
puisse être généralisée à l'ensemble des formations Punk Rock de Chicago puisque
toutes ne partagent pas le même point de vue sur ces aspects.
Enfin, nous avons évoqué l'importance des « lieux Punk Rock » de la ville de
Chicago, c'est à dire les lieux dans lesquelles les acteurs de ce milieu se retrouvent.
Nous avons constaté l'influence non négligeables qu'ont les disquaires mais aussi
principalement les salles de concerts qui permettent, grâce à un soutien important aux
artistes locaux, d'aider un milieu culturel naissant à se stabiliser et à exister. Nous avons
également compris, grâce aux évolutions, notamment en terme de capacité mais aussi
grâce à leur longévité, que la naissance de nouvelles salles de concerts est aussi la
preuve que le milieu Punk Rock de Chicago évolue et que les amateurs augmentent,
permettant alors à des salles plus importantes de perdurer économiquement. Il nous a
cependant été impossible, une fois encore, de nommer un lieu Punk Rock central assez
fédérateur pour être évoqué par la majorité ou la totalité des formations de la ville de
notre période.
Au cours de notre analyse nous avons alors constaté que la généralisation est
impossible pour le chercheur qui s'intéresse au milieu Punk Rock de Chicago car ce
mouvement reste trop hétérogène pour permettre l'énonciation de généralités et ce sur le
plan artistique, mais aussi politique, social voir même géographique. Arrivant au terme
de notre réflexion, il nous apparaît alors que des éléments nous permettent de répondre
par l'affirmative à notre questionnement originelle tandis que d'autres ne nous
permettent pas d'affirmer l'existence d'une scène Punk Rock de Chicago. Car, comme
nous l'avons dit précédemment, le fait qu'une unité artistique n'existe pas est un
problème majeur car il ne faut pas perdre de vue la qualité musicale de ce mouvement.
Hors, s’il n'existe aucun moyen artistique de faire un lien entre l'ensemble des
formations de la ville, alors il devient difficile d'affirmer qu'une scène Punk Rock unie
existe à Chicago. De la même manière, la dimension politique d'un mouvement peut
être un facteur d'unité mais là aussi, comme nous l'avons vu, il est impossible d'admettre
de véritables généralités, de nombreux points de vue et moyens d'engagement ou de non
engagement politique existant.
111
Que pouvons nous affirmer alors au terme de notre analyse ? Il apparaît comme
difficile de prouver l'existence d'une scène unie à Chicago, englobant l'ensemble des
formations de la ville mais nous avons également constaté que chacune d'entre elle n'est
pas pour autant isolée et, à de nombreuses reprises, des rapprochements entre artistes.
Ainsi, des artistes de Chicago aident du mieux qu'ils peuvent des groupes plus jeunes de
la ville ou même des états voisins, participant alors à un élan de solidarité nécessaire au
sein d'un mouvement artistique si peu important tant au niveau de sa population que de
sa visibilité médiatique.
Ce qui pose réellement un problème un chercheur n'est pas de trouver des qualités
propres à un phénomène de « scène », c'est à dire un ensemble de groupes unies,
partageant des valeurs artistiques ou autres, dans un espace et un temps donné, mais de
les généraliser à l'ensemble de cet espace. Hors, dans le cas de notre espace et de notre
temps, cela est impossible. Il existe ainsi une proximité stylistique puisque chaque
formation pratique le Punk Rock qui n'est cependant pas assez importante, car comme
nous l'avons vu, chaque formation possède une identité musicale extrêmement forte.
De la même manière, il est difficile de trouver une véritable identité politique
unique dans ce milieu local puisque certains artistes s'engagent politiquement au sein de
leur démarche artistique tandis que d'autre choisissent de ne pas le faire. Les points de
vue politique de chacun de ces acteurs restent d'ailleurs très hétérogènes, ne permettant
pas ici aussi de mettre à jouer des caractéristiques généralisables à l'ensemble des
acteurs de ce milieu.
Nous avons également pu mettre à jour des phénomènes de solidarité importants,
tentant de prouver par là qu'un esprit d'unité existe bel et bien au sein de ce mouvement
artistique local malgré les différences politiques ou musicales existantes. Cependant,
nous avons vu que la proximité géographique n'était pas la qualité sur laquelle se
fondait ce phénomène de solidarité mais que celui-ci se basait sur des logiques très
personnelles, d'amitié et de respect et que certaines formations artistiques originaires de
la ville de Chicago étaient exclues de cette logique.
Il reste que des éléments sont à ajouter qui permettent, au contraire, d'affirmer
l'existence d'un milieu uni et soudé, à Chicago de 1979 à 1991. Tout d'abord, nous
pouvons constater que le portrait type de l'acteur de ce milieu est assez simple à établir
puisqu'il s'agit de jeunes hommes issus des classes moyennes, possédant la plupart du
112
temps une éducation universitaire. De plus, la volonté d'indépendance artistique et
économique est également une qualité que nous retrouvons chez l'ensemble des
participants à ce milieu artistique. Enfin, le fait que de nombreux artistes décident de
s'installer à Chicago, notamment dès la seconde moitié des années 1980, pour des
raisons musicales principalement, prouve bien qu'un milieu Punk Rock important existe
dans cette ville, milieu qui ne peut se développer que s'il est uni puisque, comme nous
l'avons vu, les médias traditionnels n'accordent que peu de place à ce mouvement
culturel. Tous ces éléments sont généralisables à l'ensemble, ou tout du moins à la
grande majorité, des formations Punk Rock de la ville mais elles ne permettent
cependant pas, selon nous, de déclarer qu'une scène Punk Rock existe à Chicago dans
ces années puisque ces caractéristiques peuvent également être retrouvés dans de
nombreux milieux Punk Rock aux États Unis mais aussi en Angleterre. Nous pouvons
alors affirmer que le mouvement Punk Rock de Chicago présente des points communs
importants avec ces milieux mais cela ne nous permet pas de définir en quoi celui-ci est
unique.
Il semble qu'au cours de notre analyse nous ayons constaté que le motif d'unité le
plus important n'est pas une caractéristique artistique, sociale, politique ou
géographique mais amicale. En effet, l'intégralité des relations au sein de ce milieu sont
avant tout guidées par les relations personnelles entre les différents acteurs. Il reste alors
difficile de prononcer l'existence d'une scène Punk Rock unie à Chicago de 1979 à 1991
quand des problèmes personnels apparaissent au sein de ce milieu et que des acteurs
préfèrent se tourner vers des formations qui ne sont pas originaires de la ville au
détriment d'acteurs locaux.
En guise de conclusion, nous affirmons alors qu'une scène Punk Rock aussi unie
que celle de Washington par exemple, n'a jamais existé à Chicago. Il doit cependant être
précisé que des logiques de solidarité très fortes existent mais que celles-ci ne se basent
pas tant sur la proximité géographique, politique ou idéologique que sur les relations
personnelles et que, en conséquent, certains acteurs éprouvent des difficultés à s'adapter
à ce milieu et n'y sont pas intégrés totalement.
Nous pouvons donc nous demander s'il n'existe pas, au sein du milieu Punk Rock
de Chicago, des formations appartenant à une scène Punk Rock spécifique, partageant
des codes sociaux, économiques, idéologiques et même politiques, qui ne serait pas
113
limitée à un espace géographique donnée ni à une période donnée, s'étendant alors audelà de la période que nous avons choisi d'analyser et englobant des formations de
l'ensemble du pays voir même de l'ensemble de la planète. Cette thèse semble être
plausible, notamment lorsque nous constatons les phénomènes de solidarité importants
dont font preuve certains acteurs de la ville envers des formations venues du Middle
West voir même d'autres régions géographiques mais aussi lorsque nous savons que dès
1991 et l'explosion médiatique du mouvement « Grunge », le milieu Punk Rock tend à
se mondialiser.
114
Bibliographie :
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125
Annexe n°1 :
Les lieux Punk Rock à Chicago
126
Légende de la carte :
A : « Cabaret Metro »
B : Disquaire « Wax Trax »
C : « O'Banion's »
D : Deuxième adresse de « Oz »
E : Troisième adresse de « Oz »
F : « Riviera Theatre »
127
Annexe n°2 :
Exemple d'insert :
128
Légende :
Ces deux images forment normalement un tout.
Cet insert est trouvable dans le disque Bulldozer de Big Black, édité en 1983 par le label
Ruthless Records et réédité en 1992 par le label Touch & Go.
129
Annexe n°3 :
Liste des titres figurant sur le support discographique ci joint.
Piste 1 :The Fall – English Scheme extrait de l'album Grotesque (After The Gramme)
sorti en 1980, Rough Trade Records.
Piste 2 : Swans – Power for Power extrait de l'album Filth sorti en 1983, Neutral
Records.
Piste 3 : Big Black – Kerosene extrait de l'album Atomizer sorti en 1986, Homestead
Records.
Piste 4 : Black Flag – Nothing Left Inside extrait de l'album My War sorti en 1984, SST
Records.
Piste 5 : Big Black – Precious Thing extrait de l'album Songs About Fucking sorti en
1987, Touch & Go.
Piste 6 : Sex Pistols – God Save The Queens extrait de l'album Nevermind the Bollocks
Here's The Sex Pistols sorti en 1977, Virgin Records.
Piste 7 : Dead Kennedys – California Uber Alles extrait de l'album Fresh Fruit for
Rotting Vegetables sorti en 1980, Cherry Red.
Piste 8 : Articles Of Faith – Buy This War extrait du disque Wait sorti en 1983,
Affirmation et Wasteland Records.
Piste 9 : Hüsker Dü – Reocurring Dreams extrait de l'album Zen Arcade sorti en 1984,
SST Records.
130
Index lexical :
Index lexical
Agnostic Front.........................................48
Albini19 sv, 23, 25 sv, 32, 36 sv, 41 sv, 44,
47, 49, 52 sv, 56 sv, 61 sv, 64, 71 sv, 79 sv,
85 sv, 88 sv, 93 sv, 97, 99, 104 sv
Articles Of Faith..10, 29, 34, 40, 43, 46 sv,
52, 55, 62, 65, 67 sv, 72, 74, 76, 84, 87, 91,
95 sv
Bauhaus...................................................24
Big Black...10, 20, 23, 27 sv, 30 sv, 33, 36
sv, 41, 44, 48, 52 sv, 55 sv, 58, 61, 65, 71,
76, 86 sv, 92, 95, 97, 104, 109, 115 sv, 129
sv
Big Boys..................................................70
Black Flag...7, 20, 23 sv, 38 sv, 45, 83, 130
Bob Dylan................................................12
Bondi...29, 34, 39, 43, 46 sv, 49, 52 sv, 62,
64 sv, 67 sv, 84, 89, 96
Branca.................................................32 sv
Buzzcocks...........................................19 sv
Cale..........................................................47
Cave.........................................................30
Clash....................................................6, 24
Coolest Reatard.......................................23
Cro-Mags.................................................48
Dead Kennedys...7, 23 sv, 45, 66, 83, 103,
130
Denison........................................48, 53, 90
Dick Hebdige................................14 sv, 51
Die Kreuzen.............................................70
Discharge.................................................37
Downes....................................................60
Durango..............37, 41, 52, 61, 97, 104 sv
Enigma Records......................................62
Flesher.....................................................35
Flipper.................................................20 sv
Fugazi................................................46, 49
Gang Of Four...........................................30
Gaye.........................................................29
Gira..........................................................32
Hendrix....................................................47
Homestead Records............................70 sv
Hüsker Dü...45 sv, 49, 70, 83 sv, 87 sv, 103
Iggy Pop................................................102
Immune System.......................................10
Johnny Lydon............................................7
Jourgensen.........................................25, 64
Joy Division.......................................31, 35
Kurt Cobain.............................................11
Led Zeppelin.......................................48 sv
Lunch..................................................58 sv
MacKaye.......................21, 46, 63 sv, 75 sv
Markey.....................................................23
Matter....................................25, 53, 61, 64
MC5...........................................................5
McMahan...........................................85, 90
Mierzwa............................24, 31, 45 sv, 55
Ministry.............................................25, 64
Minor Threat............................................46
Mould.................................45 sv, 49, 87 sv
Naked Raygun10, 19, 21, 23, 30 sv, 33, 36
sv, 42, 49, 52, 55, 61, 69 sv, 76, 93, 95 sv,
99, 103 sv, 117 sv
Nash.........................................................34
Necros................................................77, 84
Negative Approach..................................83
Negative Element....................................69
Nirvana....................................................10
Pezzati...........................19, 37, 40, 97, 104
Picciotto...................................................63
Public Image Limited..............7, 30, 101 sv
Ramones..............................5 sv, 10, 19, 47
Rapeman..20, 23, 28, 42, 44, 56, 61, 72 sv,
77, 88, 90, 117, 121
Reed.........................................................47
Richard Hell..............................................6
Rights Of The Accused............................69
Riley........................................................28
Rolling Stones.........................................29
Rollins.....................................................20
rusk........................................................121
Rusk.65, 77 sv, 85 sv, 88 sv, 92, 94 sv, 120
sv
Ruthless Records.........................62, 71, 76
Schwartz..................................................23
Search and Destroy..................................23
Sex Pistols.................5 sv, 19 sv, 31, 47, 66
Silver Abuse............................................61
Sims...........................28, 44, 77, 88, 90, 92
131
Siouxsie and the Banshees,.....................58
Siouxsie Sioux....................................58 sv
Slint.........................47 sv, 83, 85, 90, 94 sv
Smith.......................................................31
Sonic Youth.............................................58
Spicer.......................................................40
Stimson....................................................77
Stooges......................................................5
Strike Under........................34, 42, 96, 103
Suicide............................................5, 32 sv
Swans..................................................32 sv
Talking Heads......................................7, 30
Tar....................................................97, 105
Teenage Jesus And The Jerks..................58
The Beatles..................................29, 46, 49
The Birthday Party..................................30
The Butthole Sufers.................................86
The Effigies. .10, 21, 39, 43, 55, 62, 69, 72
sv, 76, 84, 96 sv, 99, 103, 105
The Fall.....................................7, 30 sv, 35
The Fix....................................................84
The Jesus Lizard...48 sv, 53, 76 sv, 92, 95,
97, 105
The Who..................................................29
Touch & Go....10 sv, 20 sv, 23, 25, 76, 77,
89, 92, 120, 129 sv
Toxic Reasons..........................................84
Urge Overkill.......................50, 92, 97, 105
Vee.....................................................23, 77
Vega.........................................................33
Velvet Underground..................................5
Walford..............................................85, 90
Washam.....................28, 44, 56, 88, 90, 92
Wax Trax.....................................34 sv, 101
We got power !........................................23
Who.........................................................29
Wonder....................................................29
Yow....................................................90, 99
Zero Boys................................................84
.....................................................................
...........................................................69, 77
...........................................................Albini
.................................................................52
132
Table des matières
Remerciements :..............................................................................................................2
Introduction :..................................................................................................................5
I.La musique Punk Rock à Chicago..............................................................................19
1.Une scène plus tardive................................................................................................19
a.Les influences musicales, l'importance des groupes centraux de la scène Punk Rock
.......................................................................................................................................19
b.Les vecteurs d'influences principaux : les fanzines....................................................22
c.L’apprentissage par la copie........................................................................................26
2.Une identité musicale.................................................................................................29
a.Des influences plus expérimentales............................................................................29
b.L'existence d'un son différent ?...................................................................................35
3.Le rapport à l'évolution musicale................................................................................39
II.Les composantes sociales et politiques du mouvement.............................................51
1.Le portrait des acteurs.................................................................................................51
a.Des participants plus éduqués ?..................................................................................51
b. La question du genre au sein de la scène Punk Rock de Chicago.............................55
c. Des figures centrales..................................................................................................60
2.Le discours politique...................................................................................................65
a.Les groupes engagés politiquement au sein de la scène Punk Rock de Chicago........66
b.Un non discours politique...........................................................................................70
c.L'importance du DIY, une volonté de contrôle économique et politique ?.................74
III. Les relations entre le mouvement Punk Rock de Chicago et son espace................82
1.Les liens entre les milieux Punk Rock nationaux et celui de Chicago.......................82
a.Une forte proximité entre les formations de Chicago et des états voisins du Middle
West...............................................................................................................................82
b.Le cas des acteurs s'installant à Chicago....................................................................88
2.La conscience d'une scène implantée localement.......................................................93
a.Le sentiment d'appartenance à une scène locale existe-t-il ?......................................93
b.Les lieux Punk Rock de Chicago..............................................................................100
Conclusion générale de notre analyse : .....................................................................108
133
Bibliographie :............................................................................................................115
Annexe n°1 :................................................................................................................126
Annexe n°2 :................................................................................................................128
Annexe n°3 :................................................................................................................130
Index lexical :..............................................................................................................131
134