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La scène Punk Rock de Chicago entre 1979 et 1991

Ce mémoire s'intéresse à la scène Punk Rock dans la ville de Chicago entre 1979 et 1991. Il tente de montrer que ce genre musical se construit grâce à des initiatives individuelles, la plupart du temps dans des milieux sociaux proches. De plus, les liens entre les formations musicales de la capitale économique de l'Illinois et les groupes Punk Rock du Midwest sont étudiés. Il s'agit d'un mémoire de première année de Master, ce qui explique sa taille peu importante mais il s'agit, à ma connaissance, du seul travail historique en français portant sur ce sujet.

Université de Bourgogne UFR de Sciences humaines Département d'histoire Année universitaire 2013/2014 Mémoire de Master 1 Recherche en Histoire contemporaine Le mouvement Punk Rock à Chicago de 1979 à 1991 Présenté par : BACHELET Rémy Juin 2014 Sous la direction de Philippe Poirrier Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne 1 Remerciements : Avant d'ouvrir ce mémoire, je souhaite remercier les personnes qui en ont permis la réalisation. Leur aide m'a été d'un grand secours au cours de cette année de Master 1 recherche. Je souhaite en premier lieu remercier monsieur Philippe POIRRIER dont l'expérience et les conseils ont été de précieux alliés. Son aide m'a permis de réussir cette difficile entreprise qu'est la rédaction d'un mémoire de recherche sur un sujet peu étudié par l'historiographie nationale et internationale. En second lieu, je remercie particulièrement Anne Sophie qui a toujours su m'aider notamment dans la mise en page de ce travail ainsi que dans la relecture. Ma famille a elle aussi toujours su me soutenir et m'a poussé à aller de l'avant et à ne pas voir mes ambitions à la baisse. Je la remercie pour cela. Les artistes et autres personnes cités dans ce mémoire m'ont tous inspiré, de manière plus ou moins importante, et je tiens à les remercier pour cela. Enfin, je remercie particulièrement l'équipe des enseignants en Histoire de l'Université de Bourgogne. Leur travail de recherche et d'enseignement ont eu une grande influence sur mon parcours universitaire. 2 Sommaire Remerciements :..............................................................................................................2 Introduction :..................................................................................................................5 I.La musique Punk Rock à Chicago..............................................................................19 1.Une scène plus tardive................................................................................................19 a.Les influences musicales, l'importance des groupes centraux de la scène Punk Rock .......................................................................................................................................19 b.Les vecteurs d'influences principaux : les fanzines....................................................22 c.L’apprentissage par la copie........................................................................................26 2.Une identité musicale.................................................................................................29 a.Des influences plus expérimentales............................................................................29 b.L'existence d'un son différent ?...................................................................................35 3.Le rapport à l'évolution musicale................................................................................39 II.Les composantes sociales et politiques du mouvement.............................................51 1.Le portrait des acteurs.................................................................................................51 a.Des participants plus éduqués ?..................................................................................51 b. La question du genre au sein de la scène Punk Rock de Chicago.............................55 c. Des figures centrales..................................................................................................60 2.Le discours politique...................................................................................................65 a.Les groupes engagés politiquement au sein de la scène Punk Rock de Chicago........66 b.Un non discours politique...........................................................................................70 c.L'importance du DIY, une volonté de contrôle économique et politique ?.................74 III. Les relations entre le mouvement Punk Rock de Chicago et son espace................82 1.Les liens entre les milieux Punk Rock nationaux et celui de Chicago.......................82 a.Une forte proximité entre les formations de Chicago et des états voisins du Middle West...............................................................................................................................82 b.Le cas des acteurs s'installant à Chicago....................................................................88 2.La conscience d'une scène implantée localement.......................................................93 a.Le sentiment d'appartenance à une scène locale existe-t-il ?......................................93 b.Les lieux Punk Rock de Chicago..............................................................................100 Conclusion générale de notre analyse : .....................................................................108 3 Bibliographie :............................................................................................................115 Annexe n°1 :................................................................................................................126 Annexe n°2 :................................................................................................................128 Annexe n°3 :................................................................................................................130 Index lexical :..............................................................................................................131 4 Introduction : Le 23 avril 1976 sort, aux États Unis dans un premier temps, l'album éponyme des Ramones. Cité par les amateurs de musique Punk Rock ainsi que par la critique musicale comme un des disques fondateurs du style musical qui nous intéressera tout au long de notre travail. Mais si ce disque, tout comme le groupe qui l'a enregistré, sont au centre du Punk Rock, il n'en est pas de même pour la scène de Chicago, tout du moins pas à première vue. Une seule visite sur le site chartsinfrance.net nous montre en effet le fossé médiatique séparant des groupes ayant acquis un statut culte au sein du milieu de la musique Punk Rock tels que les Sex Pistols ou les Ramones des formations venant de la ville de Chicago. Notre étude n'aura pas pour but de montrer pourquoi une telle différence de succès existe entre des groupes pourtant musicalement proches bien que des éléments de notre réflexion nous proposeront des réponses mais d'étudier la scène Punk Rock de Chicago, durant les années 80. Présentation du sujet d'étude : Dans un souci de clarté vis-à-vis du lecteur, nous allons donc définir dès maintenant ce qu'est la musique Punk Rock. Le Punk Rock est un mouvement musical né à New York dans le milieu des années 19701, trouvant ses origines auprès de groupes de Garage Rock de la fin des années 1960 comme les Stooges2 ou les MC5. Ces groupes développent une musique rapide et agressive qui inspirera de nombreux artistes de Punk Rock. D'autres formations musicales plus expérimentales, basées à New York, ont également une influence importante sur les groupes de Punk Rock. C'est notamment le cas du Velvet Underground, formé en 1965 ou du duo Suicide, formé en 1970. De jeunes musiciens, amateurs des formations citées ci-dessus, créent ainsi une musique nouvelle qui se veut différente du Rock qui triomphe durant les années 1970 3. La 1 Nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage de Christophe Pirenne de notre bibliographie, et notamment aux pages 288 à 301. 2 En guise de preuves de cette influence, nous citerons les nombreuses reprises des Stooges, notamment celle des Sex Pistols qui reprennent « No Fun » en 1977, présent en face B de leur single « Pretty Vacant » paru chez Virgin Records. 3 Comme le précise Tommy Ramone, batteur du groupe Ramones, le but est de rompre avec le rock 5 technique musicale et la complexité mélodique se retrouvent relayées au second plan afin de revenir aux bases du Rock4, c'est à dire une musique puissante et agressive. Ces musiciens, comme Richard Hell par exemple, créent également un style vestimentaire propre à ce nouveau mouvement musical en détruisant en partie leurs vêtements 5 et en adoptant les blousons en cuir qui constitueront la tenue de scène des Ramones. Le Punk Rock se développe également grâce à un lieu, le CBGB, un club de concerts New Yorkais autour duquel se crée une véritable « scène » c'est à dire un ensemble de groupes se connaissant et partageant des similarités musicales. Le plus célèbre d’entre eux est incontestablement les Ramones, qui se forment en 1974 et enregistrent leur premier album en 1976. Mais le Punk Rock n'est pas un style musical cloîtré à la ville de New York et très rapidement le mouvement se développe dans d'autres villes américaines mais aussi à l'étranger. Les Sex Pistols, groupe de Punk Rock anglais, se forment en 1975 et les Clash naissent l'année suivante. Ce mouvement culturel semble donc trouver un véritable écho à l'étranger et les frasques médiatiques6 des Sex Pistols attirent l'attention des médias du monde entier sur ce nouveau mouvement musical pourtant peu connu et reconnu par les masses. Cette célébrité soudaine devient difficile à vivre pour nombre de ces musiciens qui voient en la reconnaissance populaire 7 une contradiction avec le but original du Punk Rock, c'est à dire créer une musique agressive, en marge de la société. Le Punk Rock se transforme alors, sous l'impulsion d'artistes désireux de toujours créer une musique plus innovante. Aux États-Unis se développe le mouvement 4 5 6 7 hérité de Jimi Hendrix, Led Zeppelin, jugé trop complexe et trop éloigné du « vrai » Rock'N'Roll. Le musicien précise alors : « Dès 1973, je savais que ce dont nous avions besoin était du Rock'N'Roll pur, sans conneries. » La plupart des compositions Punk Rock, notamment présentes sur les disques des années 1970, présentent une structure simple, emprunté au Garage Rock des années 1960. Il s'agit alors de compositions construites autour d'une alternance couplet-refrain et une signature en 4/4, très simple et présentant peu de difficultés. « Il [Richard Hell ] donna même une tournure artistique à son T-shirt déchiré et sa coiffure négligée qui sera rapidement importée en Angleterre comme l’emblème du Punk » dans GENDRON Bernard, Between Montmartre and the Mudd Club: Popular Music and the Avant-Garde, Chicago, University of Chicago Press, 2002. L'apparition télévisuelle des Sex Pistols le 1er décembre 1976 dans l'émission « Today » présenté par Bill Grundy fut responsable d'une véritable tempête médiatique de plusieurs semaines au Royaume Uni, le groupe ayant prononcé plusieurs insultes en direct à la télévision. Signalons que les Sex Pistols sont, dès leur premier single, en contrat avec un label important, EMI, puis avec Virgin et Barclay. Ces changements de label et la préférence des Sex Pistols pour les majors fut vécu par certains musiciens comme une trahison de l'état d'esprit original du mouvement Punk Rock. 6 « Hardcore » qui vise à radicaliser l'approche musicale du Punk Rock, le but étant de créer une musique encore plus agressive et brutale afin de s'assurer que les médias ainsi que les masses populaires ne puissent plus s'approprier le mouvement Punk Rock comme cela a été le cas, selon ces artistes, par le passé. Des groupes comme Dead Kennedys ou Black Flag, tous deux californiens, sont considérés comme les pionniers de ce mouvement8. En parallèle à cette volonté de durcissement musical, d'autres artistes ne vont pas hésiter à transformer le Punk Rock en le mariant à d'autres styles musicaux afin de créer une musique expérimentale, originale et surtout très hétérogène. Ce mouvement, le Post Punk, se développe tant aux États-Unis, notamment à New York, qu'en Angleterre et ce de manière simultanée. S’il est difficile de définir le Post Punk, cela est en partie dû au fait que tous ses représentants s'inspirent du Punk Rock mais aussi de musiques diverses et variées. Le groupe Talking Heads marie avec brio le Punk Rock et la musique Funk. The Fall, fondé en 1976, mais aussi Public Image Limited, second groupe du chanteur des Sex Pistols, Johnny Lydon, appartiennent à la mouvance du Post Punk britannique mais leur musique est tout aussi similaire et différente à la fois que celle de Talking Heads. Le mouvement Punk Rock s'exporte donc massivement dans de nombreux pays, notamment Anglo-saxons et se transforme rapidement. Si la musique se transforme, l'unité est alors à chercher majoritairement dans un état d'esprit commun à tous les acteurs des scènes Punk Rock à travers le monde. Celui-ci se caractérise notamment par de nombreuses désillusions artistiques, sociales et politiques9. Au « flower power » de la génération des hippies succèdent ainsi le « no future » des Sex Pistols. Si cette formule n'est pas adoptée par l'intégralité des groupes de Punk Rock pour définir ce mouvement, il reste que son succès est important. Une autre caractéristique de ce nouveau mouvement culturel est sa volonté d'indépendance, notamment artistique mais aussi financière. Nous venons de le voir, le Punk Rock est un mouvement musical qui évolue rapidement et s'exporte tout aussi vite dans de nombreuses villes américaines dont Chicago ne fait pas exception. Afin de nous concentrer de manière plus accrue sur notre sujet, nous allons ainsi situer Chicago et apporter quelques éléments généraux de 8 Steven Blush, auteur de l'ouvrage « American Hardcore, une histoire tribale » évoque ces deux groupes comme parmi les plus importants de ce mouvement, aux côtés de Minor Threat et Bad Brains. 9 Nous renvoyons le lecteur aux ouvrages de Christophe Pirenne et Simon Reynolds présents dans notre bibliographie. 7 définition de cette ville afin d'aider le lecteur à mieux comprendre cet espace. Chicago est une ville située dans l'état de l'Illinois. Elle est la capitale économique de ce même état mais n'est pas la capitale politique, privilège qui revient à la ville de Springfield. La population de la région métropolitaine de Chicago est de 8,5 millions de personnes en 199510, ce qui en fait la troisième concentration urbaine la plus peuplée des États- Unis. La ville est également la capitale économique de la région du Middle West mais aussi culturelle et industrielle. En effet, s’il est évident que Chicago ne jouit plus de la même puissance industrielle qu'auparavant, notamment pendant le début du XXème siècle, la ville reste un centre de production très important à l'échelle du pays mais aussi à l'échelle mondiale 11. Si les productions industrielles plus traditionnelles comme la fabrication d'équipements agricoles sont encore présentes dans la ville, des changements ont été opérés, notamment dans la structuration de l'espace urbain, afin de libérer les quartiers des nombreuses friches industrielles qui se dressaient auparavant. Chicago est certes un centre industriel puissant, mais la ville reste également un centre décisionnel tout aussi central, notamment grâce à l'importance des places financières et des sièges sociaux installés au sein de la ville. En effet, 44 sièges des 500 premières compagnies industrielles avaient installé leur siège social à Chicago en 1993 contre 50 dans la métropole de New York12. Enfin, il est frappant de constater que, malgré un dynamisme urbain faible, le rayonnement de Chicago s'étend non seulement sur une part de l'Illinois mais aussi sur une partie du Wisconsin, de l'Indiana et du Michigan. Se dresse alors un réseau urbain, dense, relié à Chicago par de nombreuses voies de communication, principalement autoroutières. Il est évident que Chicago rayonne sur la région géographique du Middle West. Celle-ci est une région, majoritairement rurale, qui s'étend, selon encyclopedia universalis13 entre « les Appalaches et les montagnes Rocheuses, au nord de la rivière 10 Ces chiffres sont issus de l'ouvrage de Jacques Bethemont et Jean Michel Breuil intitulé Les États Unis, une géographie régionale présentée dans notre bibliographie. 11 Nous renvoyons notre lecteur à l'ouvrage deJacques Bethemont et Jean Michel Breuil déjà évoqué, « Les Etats Unis, une géographie régionale et notamment aux pages 95 à 104 qui concernent spécifiquement la ville de Chicago. Les pages précédentes sont quant à elles consacrées aux états centraux du Middle West. 12 Ces compagnies internationales basées à Chicago incluent Boeing, McDonald's et Abbott laboratories par exemple. 13 Voir l'article « MIDDLE WEST », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 21 mai 2014. 8 Ohio et du 37e parallèle ». Selon le gouvernement fédéral, cette région comprend les états du Dakota du Nord, du Dakota du Sud, de l'Illinois, de l'Indiana, de l'Iowa, du Kansas, du Michigan, du Minnesota, du Missouri, du Nebraska, de l'Ohio et du Wisconsin. Cette zone est donc immense et est aujourd'hui considéré comme une idée théorique plus que comme une réalité géographique, les conditions de vie de l’État du Michigan ayant peu à voir avec celles du Nebraska par exemple. Il nous semble cependant important d'ajouter que le Middle West est l'une des régions les plus importantes des États-Unis, tant pour sa puissance industrielle que pour son importance agricole. En effet, les états du Middle West sont des états agricoles par excellence, produisant notamment beaucoup de céréales. Les propriétés immenses s'étendent sur la majorité des espaces cultivables tant dans l'Illinois, état pourtant industriel comme nous l'avons vu grâce à la présence de villes comme Chicago, que dans l'Iowa, état relativement peu peuplé. La puissance industrielle du Middle West se développa au cours du XIX ème siècle, notamment grâce à l'installation de nombreuses usines dans les villes de Detroit dans le Michigan, Cleveland dans l'Ohio ou St Louis dans le Missouri14. Nous venons de constater que Chicago est une ville principalement ancrée économiquement à l'espace du Middle West mais aussi à l'espace national et international grâce notamment à l'importance des centres financiers présents dans la ville15. L'importance de cette ville ne peut être ignorée et doit être prise en compte dans notre sujet d'étude. En effet, nous l'avons également vu précédemment, le mouvement Punk Rock se développe principalement dans les grandes villes américaines, tout du moins dans un premier temps. Les villes de New York, Los Angeles et San Francisco comptent en leur sein des formations qui deviendront, par la force des choses, des groupes majeurs de ce mouvement culturel. Mais qu'en est il alors de la situation au sein de Chicago ? Il semble logique qu'une scène Punk Rock se développe, au vu de la population élevée mais aussi grâce à l'importance notamment des nombreuses universités présentes dans la ville, la population prenant part à la création du URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/middle-west/ 14 L'article de Daniel Hartley, intitulé « Urban decline in Rust Belt Cities » cite Detroit ainsi que Cleveland comme deux parmi les quatre villes industrielles les plus importantes du pays. http://www.clevelandfed.org/research/commentary/2013/2013-06.pdf 15 La ville de Chicago compte en effet la plus vieille bourse de commerce du monde, la Chicago Board of Trade, fondée en 1848. 9 mouvement Punk Rock étant majoritairement jeune16. Il est en effet impossible de nier le fait que des amateurs de Punk Rock existent à Chicago et ce dès la fin des années 1970 comme le prouve le fait qu'un groupe tel que les Ramones se déplace dans la ville dès 197717. La même année, La Mère Vipère, première salle de concert accueillant majoritairement des concerts Punk Rock, ouvre ses portes tandis que se forme le groupe Immune System, l'un des premiers groupes si ce n'est le premier à pratiquer une musique Punk Rock à Chicago. Mais la majorité des groupes les plus importants naissent durant les premières années de la décennie 19801990 et les quatre formations centrales sont à n'en pas douter Articles Of Faith, formé en 1981, Naked Raygun, formé en 1980, The Effigies, formé en 1980 et Big Black, fondé en 1981. Ces quatre formations sont celles qui ont rencontré le plus de succès, tant critique que populaire18. Notre étude nous obligera donc à nous concentrer sur ces groupes même s’il est certain que nous ne nous contenterons pas de les étudier exclusivement. Des formations musicales, moins connues et dont l'héritage fut moins important, seront également étudiées et mises au centre de notre analyse. Nous étudierons ainsi cette scène musicale dans son intégralité ou tout du moins tous les aspects que nos sources nous permettrons d'étudier avec soin. Notre étude débutera en 1979 puisqu'il s'agit de la date de parution du premier numéro du magazine Touch & Go dont l'influence sur les groupes de Chicago est fondamentale. Nous irons ainsi, grâce à nos sources, jusqu'au début des années 1990, car cette décennie, et plus précisément les années 1991 et 1992, correspondent à une période de changement dans la musique Punk Rock aux États-Unis mais aussi dans le monde. En effet, un mouvement musical, très influencé par la musique Punk Rock, notamment produite à Chicago mais aussi en Californie, explose médiatiquement grâce au groupe Nirvana et à son second album, Nevermind, sorti en 199119. Ce style, nommé « Grunge » et pratiqué par des groupes venant majoritairement de Seattle et de sa 16 Cette affirmation est une thèse centrale de l'ouvrage de Dick Hebdige Sous cultures, le sens du style cité en bibliographie. 17 Le groupe se produit en effet le 6 juillet 1977 à Chicago comme le précise Jim Bessman dans son ouvrage Ramones, An American band paru en 1993. 18 L'importance de ces groupes est notamment attesté par les carrières importantes de certains des musiciens ayant appartenu à ces formations mais surtout par la quantité impressionnante d'interviews disponibles sur internet de ces mêmes musiciens. 19 Michael Azerrad, dans son ouvrage Come as you are : the story of Nirvana publié en 1993 estime que l'album se vend à 300 000 exemplaires par semaine durant les premiers mois de l'année 1992. 10 région, accélère la carrière de nombreux musiciens, dont certains appartenant à la scène de Chicago en leur permettant, par le biais d'interviews de Kurt Cobain notamment, de signer des contrats sur des majors du disque. De plus, la majorité des groupes de Chicago, dont les quatre plus importants que nous avons cité précédemment, n'existent plus en 1992. La situation change donc du tout au tout et c'est pour cela que nous avons choisi d'étudier ce mouvement culturel au sein de ces bornes chronologiques. Présentation critique des sources : Il nous semble logique de présenter les sources que nous utiliserons afin d'étudier au mieux ce mouvement musical. Ces sources sont multiples et amènent chacune une réflexion importante et un regard unique sur celui-ci. Les informations proviennent ainsi majoritairement de magasines musicaux, imprimés de manière artisanale par les amateurs de musique Punk Rock, nommés fanzines. Ces fanzines fournissent un regard unique sur les acteurs musicaux de ces mouvements peu exposés aux regards des critiques travaillant pour les magasines dits « traditionnels ». Cependant, ces fanzines souffrent d'un manque d’accessibilité pour l'historien, dû à leur faible distribution notamment mais également à leur durée de vie souvent faible dû au manque d'archivage de ces journaux. Le magasine Touch & Go, servant de source principale à notre travail de recherche, n'a ainsi été édité que de 1979 à 1983, pour un total de 22 numéros20. L'utilisation d'internet a donc été centrale afin de remédier à la difficulté d'accès à ces sources puisqu'un certain nombre de ces fanzines peuvent se trouver, en partie le plus souvent, sur internet. Les interviews citées dans notre bibliographie ont donc été, pour une grande partie, retrouvées grâce à ce moyen. En effet, de nombreux amateurs collectionnant ces périodiques mettent tout simplement en ligne sur leurs sites personnels des interviews dans une volonté d'archivage de la scène Punk Rock locale ou nationale. Ces initiatives sont souvent personnelles et ne dépendent d'aucune volonté institutionnelle et sont donc relativement rares. La presse musicale plus traditionnelle, éditée au niveau national ou international ne 20 Voir l'ouvrage Touch and Go : the Complete Hardcore Punk Zine '79-'83 cité dans notre bibliographie compilant les 22 numéros de ce magazine, édité sous le contrôle des fondateurs même du magazine, Tesco Vee et Dave Stimson. 11 nous aura été que d'une aide réduite pour se renseigner sur les groupes de Punk Rock de Chicago mais se révéla précieuse lorsqu'il s'est agi de trouver des informations sur les formations de Punk Rock rencontrant un succès massif.21 Au centre de nos sources se situent également les disques de musique Punk Rock qui nous ont fournis des informations bien plus nombreuses que ce que nous aurions pu espérer. La musique en elle-même est tout d'abord une source que le sujet ne nous permet pas d'ignorer et celle-ci sera analysée en mettant en avant des instrumentations originales mais aussi des volontés de production sonore originale. Les disques ne sauraient être analysés pour eux-mêmes cependant. Les pochettes et autres « inserts » sont des sources que notre réflexion prendra en compte puisque ceuxci nous renseignent sur le groupe, nous apprenant le nom des membres, mais aussi les lieux d'enregistrement, la date de ce même enregistrement, la façon dont ce dernier s'est déroulé. Il n'est pas rare que les « inserts »22 servent de lieux d'expression pour le groupe sur le milieu de la musique par exemple. Les paroles seront aussi une source centrale puisque celles-ci sont indissociables de la musique et donc de notre analyse. Il s'agira ainsi de les étudier afin de comprendre si celles-ci sont, à la manière des paroles de Bob Dylan par exemple, la tribune pour un combat politique ou social ou, au contraire, si celles-ci n'ont qu'un but artistique. Dans les deux cas, il nous faudra déterminer les thèmes abordés en priorité par ces groupes en nous aidant des interviews lorsque cela est nécessaire. Les documents vidéos ont également trouvé leur place, plus restreinte que les autres sources, dans notre analyse23. Trouvables sur internet, de nombreuses prestations de groupes de Punk Rock, venant de Chicago ou non, nous auront permis de comprendre par exemple le succès, ou l’absence de succès, de chacun de ces groupes mais aussi les conditions dans lesquels ceux-ci jouent. Le public, souvent muet au sein des sources, trouvent ici une manière de s'exprimer puisque les réactions et danses sont originales au mouvement Punk. 21 La presse musicale anglaise, notamment les magazines Sounds(1970-1991) et Melody Maker (19262000) couvrent de manière importante le mouvement Punk Rock, notamment au niveau national et ce dès la fin des années 1970. 22 Les inserts sont des feuilles, la plupart du temps en papier glacé, qui sont glissés à l'intérieur des pochettes en carton, avec le disque. Celles-ci permettent de noter les paroles, le nom des membres du groupe, le lieu d'enregistrement ainsi que la date ainsi que toute information que le groupe juge nécessaire. 23 Les sites de partage vidéo permettent aujourd'hui de retrouver des documents intéressants notamment des représentations lives des groupes cités ici mais aussi des interviews par exemple. 12 Enfin, des témoignages directs d'acteurs mais aussi d'observateurs de la scène Punk Rock américaine et britannique nous serviront de sources24, nous apportant dans un premier temps des informations pratiques, notamment événementielles, sur ces formations mais aussi sur les musiciens, dans leur vie privée tout comme dans leur vie artistique. De plus, les rédacteurs de ces textes étant souvent des amateurs de musique Punk Rock, leur ton, lorsqu'il est critique ou élogieux, nous renseigne sur les valeurs de ce groupe social. Afin d’apporter une analyse plus critique sur ces sources, nous nous devons de prévenir le lecteur que celles-ci sont relativement rares et difficilement exploitables, compte tenu notamment de leur parti pris très fort. La rareté de ces sources nous a de plus posé des problèmes puisque de nombreux autres éléments auraient mérité une analyse plus approfondie que nous n'avons pu effectuer ici par manque d'informations. Enfin, la faible importance démographie et médiatique de la scène Punk Rock de Chicago, notamment durant la première moitié des années 1980, ne fait qu'ajouter à ce manque de sources qui nous a posé un dernier problème qui est la représentation de certaines formations. En effet, les groupes les plus importants sont représentés de manière tout à fait correcte dans les entretiens mais d'autres groupes, moins importants et donc moins reconnus, sont partiellement ou totalement absents des sources, ne nous permettant pas alors de les incorporer à notre étude. Il est donc important que le lecteur garde en tête que ce travail a été réalisé avec des sources peu nombreuses et que nous avons choisi de nous baser sur ce que nous pouvions affirmer avec force afin de ne pas prétendre soutenir des théories pour lesquelles nous ne pouvions présenter de preuves écrites. Historiographie du sujet : Les travaux historiques relatifs à ce sujet, précisément sur la scène Punk Rock de Chicago, sont inexistants en langue française. De la même manière, les travaux académiques, historiques ou sociologiques sur le milieu du Punk Rock américain sont 24 Nous faisons ici référence aux écrits de certains acteurs musicaux, parmi lesquels l'ouvrage de Michael Azerrad, primordial au sein de notre analyse, intitulé Our Band Could Be Your Life : Scenes from the American Indie Underground, 1981-1991 et publié en 2001. Cet ouvrage, basé sur des interviews, des sources similaires aux nôtres ainsi que sur les souvenirs de l'auteur, entend décrire la carrière de dix formations musicales américaines et indépendantes. 13 rares en langue française ce qui nous a conduit à nous tourner vers les travaux de chercheurs anglophones. Les universités américaines et anglaises produisent en effet une masse d'écrits sur ces sujets bien plus importants et ce, dès les premières années d'existence de ce mouvement culturel. L'ouvrage de 1979 de Dick Hebdige, intitulé « sous culture : le sens du style » et ayant pour sujet les différentes sous cultures anglaises dont le Punk Rock est souvent considéré comme l'un des ouvrages fondateurs non seulement des études de ces cultures mais aussi d'une étude plus académique du mouvement Punk Rock. Nous avons cependant, après la lecture de cet ouvrage, était confronté à un véritable problème. En effet, la majorité des travaux portant sur le mouvement Punk Rock traitent en premier lieu des groupes venant du Royaume-Uni, ce qui n'est pas notre cas puisque nous avons choisi de nous intéresser au cas de la musique Punk Rock venant des États Unis. Ce premier manque de production d'écrits sur la scène Punk Rock américaine nous est donc apparu comme un premier obstacle qu'il nous a fallu franchir de la meilleure manière possible, ceux-ci n'étant en effet pas inexistants mais restant relativement rares, la plupart du temps existant uniquement sous la forme d'articles dans des revues diverses. Parmi les exemples importants, nous citerons la revue « volume ! », revue française dont la ligne d'édition est d'étudier les musiques populaires et actuelles sous différents angles, notamment en s'inspirant des écrits des cultural studies afin de permettre une lecture plus sociologique de ces mouvements culturels. Cependant, la revue « volume ! » semble être une exception puisque la ligne éditoriale est ici basée sur l'étude de la musique et la langue de rédaction est le français, deux particularités qui sont relativement rares dans notre domaine de recherche. Ainsi, afin de nous documenter sur notre sujet, nous avons dû nous contenter de trouver des articles dans des revues diverses dont la ligne éditoriale est éloignée de notre sujet. Un exemple parmi celles-ci est la revue anglaise « Women's Studies » publiée par l'université de Durham dans laquelle, dans le numéro 41:2, consacré aux femmes dans le mouvement Punk Rock, nous avons trouvé de nombreuses informations. Ceci n'est qu'un exemple parmi tant d'autres d'articles relatifs de près ou de loin à notre sujet qui parsèment les productions intellectuelles au sein de nombreuses revues. Nous le constatons la production académique autour du mouvement Punk Rock, notamment américain, est faible malgré le nombre de groupes, importants, ayant 14 participé durant les années 1980 à l'émergence de ce genre. Afin de nous renseigner sur notre sujet et de comprendre de quelle manière nous devions l'aborder, nous avons alors lu des ouvrages sur le mouvement Anglais, notamment celui de Dick Hebdige mais pas uniquement comme le montrera notre bibliographie, afin de comprendre comment une telle étude doit être menée. Cependant, afin de nous renseigner sur notre sujet d'étude, et plus particulièrement sur la scène Punk Rock américaine et de Chicago, il nous a fallu faire appel à des ouvrages rédigés par des auteurs n'appartenant pas au monde universitaire. Il convient cependant de mettre au premier plan la qualité de certains de ces travaux. En effet, de nombreux acteurs du mouvement Punk Rock mettent un point d'honneur à archiver ce mouvement culturel riche. Ces travaux sont alors basés sur des recherches sérieuses, la plupart du temps faisant appel aux mêmes procédés que ceux utilisés par les sociologues. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer la sociologie participative afin de comprendre le milieu dans lequel évoluent les musiciens, car la plupart de ces auteurs sont en réalité en premier lieu des acteurs de la scène qui décident de la documenter quelques années après les faits. Nous pouvons ici citer l'excellent ouvrage de Steven Blush intitulé American Hardcore, une histoire tribale publié en 2001 et traduit en 2010 en français grâce à la maison d'édition Camion Blanc qui tente d'apporter un point de vue sur la scène Punk Rock américaine entre 1980 et 1986. L'acteur participa lui aussi à la construction de ce mouvement en tant que musicien notamment et souhaite transmettre de la manière la plus précise les faits dont il a été témoins et ce, de façon encyclopédique, chronologique et exhaustive. En effet, chaque scène régionale est abordée et décrite, des questions sociales y sont évoquées comme l'importance du sexe des participants, de la violence au sein de ce milieu. De manière assez similaire aux sociologues également, l'acteur donne la parole aux participants grâce à des interviews, croisant les points de vue en permettant à chacun de décrire sa manière de voir les choses et ainsi ne pas montrer une histoire unique et biaisée du mouvement Punk Rock. La dimension exhaustive de cet ouvrage s'étend même jusqu'aux productions discographiques puisque l'auteur inclue une discographie sélectionnée ayant l'ambition de présenter tous les disques de Punk Rock américain enregistrés durant cette période et cités dans son ouvrage. Les productions non académiques ont donc été au centre de nos lectures plus encore que les livres produits par des chercheurs lorsqu'il a s'agit de se renseigner de manière 15 factuel sur le sujet. Enfin, nous préciserons que les acteurs du mouvement Punk Rock prennent depuis quelques années conscience de l'importance d'archiver les documents et les faits relatifs à ce mouvement culturel. Cependant, ces intentions sont personnelles et peu suivies. Il s'agit alors la plupart du temps de mettre en ligne différentes photos, articles ou flyers. Malheureusement, ces initiatives sont peu reconnues, notamment par les chercheurs qui n'utilisent que peu ces nouveaux éléments mais aussi par le public qui ne semble que modestement intéressé par celles-ci. Ainsi, la photographe Marie Kanger Born, grâce à son site http://www.chicagopunkpix.com/, prit l'initiative de mettre en ligne et d'archiver de nombreuses photos, flyers et fanzines de la scène Punk Rock de la ville de Chicago datant des années 1980. Cependant, devant le peu d'attentions que son projet suscita, de la part notamment des personnes engagées dans ce milieu, celle-ci décide de le stopper et de supprimer les différentes images et textes mis en ligne.25 Nous avons donc, au cours de notre analyse, été confronté à un double problème, celui de nous renseigner sur une scène locale peu importante et peu documentée et celui de savoir comment étudier cette même scène sans avoir d'exemples d'études académiques se rapportant à notre sujet. Il nous a alors paru naturel de prendre exemple sur les écrits académiques afin de comprendre de quelle manière nous devions analyser les faits, faits que nous avons trouvé dans les ouvrages produits par les acteurs de la scène, ceux ci se révélant la plupart du temps des sources très sérieuses et le plus proche possible de l'exhaustivité factuelle. Annonce du plan et de la problématique : Notre analyse portera ainsi sur la scène Punk Rock de Chicago. Nous tenterons de démontrer s’il est ou non possible de parler d'une « scène Punk Rock » pour la ville de Chicago. Cela passera ainsi par la démonstration de l'existence ou non d'une identité, musicale ou autre, unique au sein de cette ville. Notre plan nous permettra ainsi de répondre à une question simple : existe il une scène Punk Rock à Chicago, c'est à dire un ensemble de groupes présentant d'importantes similarités notamment musicales, idéologiques ou sociales par exemple ou au contraire, cet ensemble de groupes existants 25 Cette information nous a été confirmé par Marie Kanger Born à la suite d'un entretien par mail qu'elle nous a demandé de ne pas rendre public pour des raisons personnelles. 16 durant la même période est il simplement un agrégat de formations diverses trop différentes pour être considérées comme appartenant à un groupe commun ? Notre première partie de démonstration étudiera la scène Punk Rock de Chicago dans sa dimension musicale. Nous verrons tout d'abord que la scène de Chicago est en réalité une scène plus tardive que les autres scènes. En effet, si nous venons de voir que le Punk se développe dès la fin des années 1970 à Chicago, les groupes les plus importants naissent dans le début des années 1980. Ce retard, même s’il est léger, est pourtant important dans un mouvement aussi rapide et impulsif que celui du Punk Rock. Nous verrons ainsi que cette jeune scène est notamment sous l'influence de nombreux groupes formés quelques années auparavant, venant de villes diverses et variées, notamment Washington mais aussi de Californie. Nous tenterons de comprendre de quelle manière ces influences parviennent jusque Chicago, car un mouvement culturel ne peut pas se créer à partir de rien. Il s'agit ainsi de montrer l'importance des concerts d'autres formations Punk Rock n'étant pas originaires de la ville de Chicago mais aussi le rôle central des fanzines par exemple. Nous tenterons également de voir s’il est possible de définir une identité musicale spécifique à la scène Punk Rock de Chicago ou si au contraire cette spécificité vient de son absence d'hétérogénéité musicale. Ces différences viennent ici aussi des influences des mouvements musicaux expérimentaux sur les nouvelles formations de la ville de Chicago car, en parallèle du mouvement Punk Rock se développent de nouveaux mouvements musicaux qui sont liés, de près ou de loin, à celui-ci et qui inspirent les musiciens. Lors de notre seconde partie de démonstration nous nous attarderons sur les composantes sociales et politiques de ce mouvement. Dans la veine des membres des cultural studies, nous étudierons ce mouvement non pas comme un simple genre musical en nous basant uniquement sur une étude de la forme mais comme un courant culturel complexe, révélateur d'une époque donnée et de la vision qu'en ont certains groupes sociaux, ici en l’occurrence les Punks de la ville de Chicago. Nous tâcherons ainsi de déterminer qui sont ces acteurs du mouvement Punk Rock local en nous demandant si ceux-ci viennent bien de la ville de Chicago ou non mais aussi quel rôle ont joué leurs études dans leur formation artistique. Nous établirons également quel est leur lien à cette musique, de quelle manière ils ont découvert celle-ci et quelle a été le rôle de la musique Punk Rock dans leur vie, de manière professionnelle ou non. Nous 17 constaterons également que la question de l'âge des protagonistes est centrale surtout pour un courant musical qui se veut radical et cette question, liée à celle de l'éducation, nous amènera à avancer des explications permettant de comprendre la spécificité des groupes de Chicago. Les questions du sexe des acteurs sont également primordiales et nous tenterons ici d'analyser non seulement la proportion de femmes au sein du mouvement mais aussi le rapport à celles-ci qu'en ont les groupes. Le discours politique, ou son absence dans certains cas, sera également partie intégrante de notre analyse afin de comprendre si oui ou non le mouvement Punk Rock de Chicago est politisé ou non, de quelle manière et jusqu'à quel point. Toutes ces analyses ne seront pas faites de manière indépendante puisque chaque point ici évoqué est lié, de près ou de loin, à d'autres détails que nous traiterons de la façon la plus complète possible. Enfin, notre troisième partie d'analyse nous permettra d'analyser la pertinence, ou non, d'une existence d'une scène Punk Rock de Chicago. Nous constaterons que le Punk Rock est un mouvement culturel qui investit l'espace de la ville, notamment grâce aux salles de concerts. Nous tenterons de définir dans quels quartiers celles-ci se situent. Nous montrerons également que la scène Punk Rock de Chicago est autant liée à celle des états du Middle West que ne l'est n'importe quel aspect économique de la ville. Cette proximité avec les groupes du Middle West n'est pas sans rappeler les connexions entre les différentes scènes que nous évoquerons en première partie de notre analyse, notamment lorsque nous parlerons des influences musicales des musiciens. S'ouvre alors l’hypothèse qu'une scène Punk Rock, notamment celle de Chicago, n'existe que grâce à la réalité géographique et non pas grâce à une proximité stylistique. Enfin, il nous sera indispensable de conclure sur la reconnaissance des groupes eux-mêmes de cette scène. En effet, ceux-ci évoquent-ils une scène de Chicago, du Middle West, Américaine ou aucune ? S’ils évoquent une scène de Chicago, la définissent-t-elle grâce à une approche géographique, laissant entendre qu'aucune unité stylistique, sociale ou même éthique n'est envisageable ou au contraire, voient ils en l'ensemble des amateurs et groupes une scène unie ? Toutes ces questions seront traitées dans notre dernière partie. 18 I. La musique Punk Rock à Chicago 1. Une scène plus tardive Au cours de cette partie, nous allons tenter de comprendre quelles sont les influences principales du milieu Punk Rock de Chicago mais également grâce à quels vecteurs d'influences celles-ci parviennent jusqu'aux musiciens de la ville. Nous nous demanderons également quelle place joue la copie dans l'apprentissage musical pour ces mêmes musiciens. a. Les influences musicales, l'importance des groupes centraux de la scène Punk Rock La scène de Chicago est certes une scène riche et intéressante, forte de nombreuses personnalités que nous évoquerons tout au long de notre travail mais il est également évident que les grands groupes de Punk Rock, anglais et américains, ont beaucoup influencé cette scène locale, de la même manière qu'ils l'ont fait partout dans le monde. Car le Punk Rock est un genre musical qui se répand à travers le monde notamment grâce à l'influence de ses groupes les plus importants parmi lesquels les Ramones mais aussi les Sex Pistols. Nous tenterons ainsi de déterminer quels furent les groupes qui eurent l'influence la plus importante sur les musiciens de Chicago. Nous l'avons vu, ce sont les groupes les plus importants du mouvement Punk Rock qui semblent avoir eu l'influence la plus importante. Tout d'abord, la plupart des musiciens découvrent la musique Punk Rock grâce à des groupes ayant une influence internationale, parmi lesquels les Ramones ou les Sex Pistols. Il est ainsi notable que lorsqu'on lui demande quel groupe lui a donné envie de se tourner vers la musique que Steve Albini cite-les Ramones.1 Ceux-ci, tournant de manière intensive, semblent avoir influencé un nombre important de musiciens, grâce à leurs prestations énergiques mais également au volume sonore dégagé lors de ces concerts. Jeff Pezzati, chanteur du groupe Naked Raygun, dans une interview récente, tente de se remémorer son premier concert et évoque les Ramones mais aussi les Buzzcocks, formation de Punk Rock anglais parmi les plus populaires aux USA mais 1 Interview de Steve Albini datant du 23 Mars 2005 donnée pour le blog « Random outbursts of a frustrated nomad » http://mindhorn.blogspot.fr/2005/03/steve-albini-interview.html 19 aussi en Europe. 2 Si les artistes les plus populaires du Punk Rock ont bien une influence indiscutable, ce sont les groupes moins connus, mais tout aussi intéressants, qui furent les plus influents pour la scène de Chicago. En effet, comme nous l'avons vu, les milieux Punk Rock Californiens mais aussi originaires de Washington et de New York sont parmi les plus importantes du pays. Les groupes phares de ces régions ne peuvent prétendre avoir la popularité d'artistes tels que les Sex Pistols ou les Buzzcocks mais leur influence fut tout aussi grande notamment grâce à des tournées passant par la ville de Chicago. Il en va ainsi de nombreux groupes de Washington, ville comptant un grand nombre de formations Punk et ce dès la fin des années 1970. Ce succès pour les groupes de la capitale étonne d'ailleurs les propres acteurs de cette scène, ceux-ci étant persuadés que personne ne s'intéresse à leurs productions musicales.3 Même si le fanzine Touch & Go n'est pas rédigé par des acteurs directs de la scène de Chicago, l'influence de ce fanzine et du label qui porte le même nom est indéniable et nous y reviendrons notamment dans notre dernière partie. Si ce soutien de la part des amateurs de Punk Rock de la ville de Chicago et même du Middle West surprend dans un premier temps les musiciens de Washington, elle n'est en réalité pas originale puisque les contacts entre groupes et artistes des différentes régions des États Unis sont légions. La scène de Washington nous fournit d'ailleurs un excellent exemple puisque le chanteur Henry Rollins, originaire de la capitale, rejoint le groupe californien Black Flag après avoir assisté à l'un de leurs concerts en 19814. L'influence de ces groupes venant d'autres régions est multiple, puisque celle-ci passe à travers les disques mais aussi les concerts. Steve Albini explique ainsi que, en entrant à l'université de Chicago, il se rend à tous les concerts de Punk Rock donné dans la ville. Certains des groupes qui influenceront Big Black ainsi que Rapeman, ses deux formations musicales, se retrouvent dans la liste des artistes qu'il a vu se produire en live lors de son année d'arrivée à Chicago. Parmi ceux-ci se trouvent Flipper,5 un groupe 2 Interview de Jeff Pezzati à l'occasion de la réunion de Naked Raygun mise en ligne le 18 septembre 2003 sur le site internet Denver Westword : http://blogs.westword.com/backbeat/2013/09/riot_fest_interviews_naked_raygun.php 3 Voir l'interview de Ian Mackaye au début de l'ouvrage Touch and go, the complete hardcore punk zine, 1979 – 1983 mentionnée dans la bibliographie. 4 Nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage de Steven Blush, American Hardcore : une histoire tribale mentionné dans notre bibliographie et notamment au chapitre centré autour du groupe Black Flag (p. 105 à 159.) 5 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad mentionné dans notre bibliographie à la page 314. 20 originaire de San Francisco qui influence non seulement ses formations musicales mais d'autres groupes comme Naked Raygun ou The Effigies. La particularité de Flipper sont les compositions lentes du groupe qui, au début des années 1980, sont un véritable choc pour la scène Punk Rock qui comprend que l'agressivité musicale peut également venir de tempi lents et angoissants. Nous constatons que la scène Punk Rock de Chicago trouve son inspiration grâce à un grand nombre de formations musicales sans véritablement se préoccuper de leurs provenances géographiques. En réalité, ce que nous pouvons constater pour la scène de Chicago mais qui serait également existant pour la scène Californienne ou de Washington sont des liens forts entre les différentes groupes de Punk Rock, particulièrement à l'échelle nationale. En effet, la solidarité semble être une qualité primordiale parmi les formations Punk Rock. Comme le dit Ian MacKaye, celui-ci envoie les démos de son premier groupe au fanzine Touch & Go, car celui-ci connaît le fanzine et sait qu'il en fera une chronique qui sera lue dans le Middle West, ouvrant peut être la voix à un succès autre que local. 6 Les influences de la scène de Chicago sont donc multiples et surtout celles-ci sont internationales, malgré le fait que nous n'ayons abordé ici que celles appartenant au mouvement Punk Rock, les groupes influents sur cette scène et jouant des musiques autres seront en effet évoqués dans une autre partie afin de comprendre d'où viens le son si original de certaines formations musicales de la ville de Chicago. Nous pouvons également voir, à l'issue de cette sous partie, que les influences Punk Rock et surtout la manière dont celles-ci se propagent jusque la ville de Chicago ne sont que peu originales. En effet, les liens entre les différents groupes Punk Rock et Hardcore éparpillés à travers le pays sont monnaies courantes durant les années 1970, 1980 et 1990, notamment par l'intermédiaire des fanzines mais aussi des tournées, des échanges de lettres et de disques entre musiciens ainsi que grâce aux disquaires qui vendent des disques de Punk Rock de tout le pays mais aussi des disques importés d'Angleterre. Il serait alors faux de croire qu'un mouvement local vivant en autarcie existe, à Chicago, Washington ou dans tout autre ville. La situation est en réalité le contraire puisque les liens, musicaux ou non, sont nombreux entre les groupes de Punk Rock à l'échelle nationale. 6 Voir l'interview de Ian MacKaye présente dans l'ouvrage Touch and go, the complete hardcore punk zine, 1979 – 1983 mentionné dans la bibliographie. 21 Les concerts donnés par un groupe étranger à la ville sont d'ailleurs l'occasion d'échanger entre musiciens, de se donner rendez vous lors des prochaines tournées dans la ville d'origine du groupe jouant le soir et de tisser des liens de sociabilité. Il est d'ailleurs vraisemblable que le Punk Rock devienne un outil de sociabilité pour certains jeunes marginaux qui trouvèrent, grâce à ce mouvement solidaire et soudé, une manière de trouver une place qui leur échappait jusque-là. Les formations musicales des autres zones géographiques sont donc tout autant des influences musicales que des camarades et des relations. Ceux-ci permettent de monter des tournées en commun7, puisqu'il est très fréquent qu'un groupe local fasse la première partie d'un groupe « étrangers » à la ville. L'entraide passe également par le prêt de matériel, l'accueil des musiciens qui ne peuvent se permettre de loger à l'hôtel et même l'offre du gîte et du couvert. La relation devient alors plus personnelle que ne peux l'être une relation entre simples groupes influencés et groupes influents puisque des relations personnelles se tissent. Plus qu'une influence dans le sens premier du terme, il nous semble plus exact de parler d'émulation entre chaque groupe et entre chaque scène locale. Chaque formation s'inspire ainsi tant de groupes importants mais aussi d'amis et de groupes proches stylistiquement. Attardons-nous maintenant sur les différents éléments qui permettent aux musiciens de prendre connaissance de ces influences, notamment les fanzines mais aussi les radios. b. Les vecteurs d'influences principaux : les fanzines Il est évident que les jeunes musiciens doivent découvrir par un moyen ou un autre la musique Punk Rock. Cette partie nous montrera par quels moyens les jeunes musiciens ou futurs musiciens découvrent ce mouvement musical. Le principal vecteur d'influence reste la presse musicale. Cependant, la presse musicale traditionnelle couvre de manière très superficielle, tout du moins dans les premières années, le mouvement Punk Rock. De plus certains acteurs de cette scène musicale décident de créer leur propre presse, centrée autour des groupes qu'ils apprécient et dont ils jugent que la couverture médiatique au sein des médias musicaux 7 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, mentionné dans notre bibliographie, celui-ci déclarant « Albini, comme à peu près tout le monde impliqué dans la scène de Chicago, organisé parfois des concerts pour des groupes non originaires de Chicago » (p.334) 22 de grande échelle n'est pas assez importante. Ces magazines, nommés fanzines, sont centraux dans notre étude puisqu'ils constituent, tout d'abord, notre source principale. Mais ils sont également des vecteurs d'influences si importants qu'il peut être tentant de considérer les acteurs de ces magazines comme de premier ordre dans la naissance du Punk Rock et dans sa circulation. Intéressons-nous alors à quels types de fanzines existent et surtout de quelle manière ceux-ci influencent les groupes de Chicago. En effet, les fanzines s'imbriquent dans un réseau national. Il est possible de s'abonner à ceux-ci tout simplement comme le ferait n'importe quel lecteur pour n'importe quel magazine traditionnel. Ce moyen de circulation favorise les échanges culturels au sein de la scène américaine, car les rédacteurs des fanzines écrivent tout d'abord sur les groupes locaux. Le fanzine We got power !, fondé en 1981, s'inscrit tout d'abord dans un registre local très important. Les auteurs, David Markey et Jordan Schwartz, choisissent ainsi, devant la grande profusion de groupes intéressant et uniques en Californie, de fonder un fanzine afin de documenter cette scène naissante. Le succès est cependant plus important non seulement pour les groupes Californiens mais aussi pour le magazine. Des groupes tels que Black Flag par exemple, comme nous l'avons vu, influencent les formations de Punk Rock à un niveau national et même international. Il en va de même pour le fanzine We got power ! qui participe à la reconnaissance et à la diffusion des groupes Californiens en dehors des frontières de l’État. Il en va naturellement de même pour d'autres fanzines, comme Search and Destroy, magazine publié entre 1977 et 1979, centré sur la scène de San Francisco. Tesco Vee, fondateur du fanzine Touch & Go, le cite en effet comme l'un des fanzines lui ayant donné l'envie de créer un magazine couvrant la scène Punk Rock locale1. Car si les publications extérieures à la scène de Chicago sont importantes, il est indéniable que celles appartenant à la scène de Chicago sont tout aussi importants. Car celles-ci couvrent tant la scène locale que la scène nationale. Il est ainsi rendu plus aisé aux amateurs de Punk Rock non seulement de découvrir des groupes plus importants comme les Dead Kennedys ou Black Flag, mais aussi de découvrir des groupes locaux. Steve Albini ; guitariste de Big Black et Rapeman, indique que le fanzine « Coolest Reatard » est l'un des acteurs majeurs de la scène Punk Rock de Chicago des années 1980. Des groupes de Chicago, comme Naked Raygun, sont interviewés par le 1 Voir l'interview de Tesco Vee aux pages X et suivantes dans l'ouvrage Touch and go, the complete hardcore punk zine, 1979 – 1983 mentionné dans la bibliographie. 23 magazine tout comme des groupes anglais (The Clash, Bauhaus) ou américain (Dead Kennedys, Black Flag) qui connaissent un succès plus important. Il est ainsi intéressant de se demander quelles sont les raisons qui expliquent le succès des fanzines auprès des amateurs de Punk Rock. Le prix semble être tout d'abord un facteur important. Le fanzine étant manufacturé la plupart du temps dans des conditions très spartiates, à l'aide de photocopies en noir et blanc, celui-ci est vendu pour un coût très modique. Mais la raison principale est sans aucun doute le ton utilisé par les rédacteurs ainsi que le contenu lui-même des fanzines. Car, comme le dit Ken Mierzwa, rédacteur au sein du fanzine « Coolest Retard » et photographe, ce qui est le plus important dans la naissance de ces fanzines est la capacité d'auto édition. « Peut-être que la plus grande innovation de la période Punk et Post Punk fut l'auto édition. »2 Ainsi, le droit de parole n'est plus confisqué par les médias traditionnels mais il est redonné aux amateurs de musique Punk Rock qui sont considérés comme les plus compétents pour en parler. Chacun, selon ses capacités, peut ainsi aider la scène à se développer. Le cas de Mierzwa est intéressant, car celui-ci entre tout d'abord comme simple photographe puis, dès sa deuxième participation, il réussit à publier quelques critiques d'albums grâce à ses talents de rédacteur. L'auto édition et le fait que ces fanzines soient rédigés par des amateurs de Punk Rock sont donc un atout essentiel pour la réussite de ceux-ci. Mais le ton utilisé par les rédacteurs ainsi que le contenu sont tout autant primordiaux. Attardons-nous alors sur ce contenu. Les traditionnelles critiques de disques, interviews et chroniques de concerts sont bien évidemment présentes mais le ton se fait bien plus familier que dans les magazines traditionnels. Les jurons sont omniprésents, tout comme l'humour noir et scatophile. Les questions posées durant les interviews aux artistes sont souvent moins pertinentes artistiquement et s'attardent sur des détails de la vie de tous les jours durant les tournées. Les réponses des artistes font souvent appel au second degré, répandant délibérément de fausses rumeurs sur leur groupe ou bien même sur certains autres musiciens avec lesquels ils ont une relation amicale. Mais, si ce contenu traditionnel est traité de manière non conventionnel, attardons nous également sur un contenu qui est lui aussi traditionnel qu'est le courrier des lecteurs. Nombreux sont les magazines et 2 http://kmier.net/mixed/punks5.html, mémoires de Ken Mierzwa, rédacteur au sein de « coolest retard » mais aussi photographe. Celui ci décrit le début des années 1980 et l'ambiance qui règne au sein de la scène Punk Rock mais aussi Post Punk et Art Rock de Chicago, décrivant de quelle manière il entre au sein de ce fanzine ainsi qu'un nombre important d'anecdotes concernant ce milieu musical. 24 fanzines à laisser leurs colonnes ouvertes à leurs lecteurs 3 et il n'est pas rare que les lecteurs de fanzines adoptent un langage correspondant à celui employé dans ledit périodique. Les amateurs signifient alors leur contentement ou leur mécontentement dans des termes très crus. Il n'est également pas rare que certains groupes subissent les attaques de ces mêmes lecteurs, là aussi de manière parfois violente. Le courrier des lecteurs est ainsi l'élément qui nous permet de vérifier que le ton employé par les rédacteurs du fanzine est bien le même que celui des lecteurs et que chacun peut bien entrer dans cette même équipe rédactionnelle en théorie tout du moins. Les fanzines peuvent également compter des bandes dessinées. Le magazine Touch & Go en fournit quelques exemples. Celles-ci sont là aussi souvent vulgaires, violentes et traitent de thèmes que d'aucun jugerait déplacés. La présence de colonnes, ou d'éditos, est là aussi assez récurrente. Un acteur de la scène, le plus souvent respecté par ses pairs, donnent alors son avis sur ce qu'il souhaite. Steve Albini publie ainsi une rubrique intitulée « Tired of Ugly Fat ? » dans le fanzine Matter,4 dans laquelle celui-ci donne son avis très vindicatif sur les groupes ne lui plaisant pas. Le ton d'Albini est très agressif et est une véritable inspiration à la haine comme en témoigne ses attaques très violentes contre le chanteur du groupe Ministry, Al Jourgensen.5 Il est bien évident que des attaques si violentes ne sont pas quotidiennes dans les fanzines de Punk Rock mais le ton reste relativement agressif, notamment visà-vis des groupes qui ne sont pas appréciés par l'auteur mais aussi à l'encontre d'une certaine partie du public, jugée comme fausse, la plupart du temps sans aucune justification réelle si ce n'est une coupe de cheveux ou des habits différents. Si le ton est évidemment brutal et violent, il est également évident que cette franchise, cette liberté de parole et de critique est l'une des qualités recherchées par les lecteurs de ces fanzines qui voient en leurs auteurs la véritable voix de leur mouvement que seuls des amateurs peuvent retranscrivent de manière véritable. Comme nous l'avons vu au cours de cette partie, les fanzines sont vraisemblablement le vecteur d'influences le plus important au sein du milieu Punk Rock de Chicago. En effet, le contenu, le ton ainsi que le faible prix sont trois qualités essentielles qui 3 Parmi ceux-ci, nous pouvons citer « Touch And Go » qui accorde une page entière au minimum pour le courrier de ses lecteurs. 4 Voir page 314 du livre de Michael Azerrad, chapitre Big Black. 5 Voir page 315 du livre de Michael Azerrad, notamment la citation suivante « I'll cut your balls off and sew them shut in your mouth » 25 permettent à ces périodiques de se développer rapidement et de devenir centraux dans la construction de ce milieu. Le fait que de simples amateurs décident de créer leurs propres magazines prouve une nouvelle fois que le Punk Rock se fonde avant tout sur la notion d'une participation ouverte à tous. Au cours de notre prochaine partie, nous analyserons de quelle manière ces musiciens apprennent à jouer de la musique et nous découvrirons que les logiques d'une participation ouverte à tous et d'un apprentissage « sur le tas » sont là aussi primordiales. c. L’apprentissage par la copie L'apprentissage de la pratique instrumentale passe, traditionnellement, par la prise de leçons auprès de professeurs, expérimentés, afin de comprendre le fonctionnement de son instrument, les différentes gammes et notes. Cet apprentissage académique de la théorie tout comme de la pratique musicale fait partie des usages que rejettent l'immense majorité des musiciens de Punk Rock. Steve Albini pourrait être un exemple, parmi les nombreux autres que la scène de Chicago nous fournit de cette volonté de ne pas maîtriser de manière traditionnelle son instrument, celui-ci se considérant comme un handicapé de la guitare1. Cependant, malgré le fait que certains de ces musiciens ne souhaitent pas se considérer comme de fins virtuoses, il est évident qu'ils se doivent de posséder des bases instrumentales, aussi limitées soient-elles, afin de parvenir à créer de la musique mais aussi à jouer en rythme dans un groupe. Apprendre à jouer d'un instrument devient alors une activité solitaire puisque la plupart des amateurs de Punk Rock apprennent par eux-mêmes à jouer de la musique qui les intéresse, la plupart du temps grâce à l'appui des disques de Punk Rock. Il s'agit alors de déchiffrer, à l'oreille, les mélodies utilisées par le groupe puis d'essayer de les reproduire. Cette méthode présente l'avantage pour l'amateur d'apprendre des motifs mélodiques qu'il apprécie et qu'il peut jouer en même temps que le disque afin d'améliorer sa dextérité, son sens du rythme et de la cohésion avec le groupe. Cependant, elle présente le désavantage d'être très exclusive. Ainsi, les musiciens Punk Rock, pour les moins curieux d'entre eux, n'apprennent pas à maîtriser d'autres formes 1« C'est parce que je suis un infirme de la guitare » déclare Albini dans une interview publiée le 4 mars 2012 sur le site Louder Than War http://louderthanwar.com/steve-albini/ 26 musicales, rendant ainsi leur formation instrumentale très pauvre mais également, par extension, leurs capacités de composition. Ces jeunes musiciens qui apprennent à créer de la musique en se basant uniquement sur le Punk Rock est d'ailleurs perçu comme l'un des phénomènes de la mort du mouvement Hardcore Punk, selon Steven Blush.2 Si l'apprentissage de l'instrument est, nous l'avons vu, quelque chose de personnel, la composition et la création de disques peut l'être tout autant. Bien sûr, il est évident que la majorité des disques de Punk Rock de la scène de Chicago sont composés en groupe, grâce à la réunion d'idées de plusieurs individus. Mais, parfois, le premier disque d'un groupe peut être une démarche solitaire et d'apprentissage. C'est ainsi le cas pour le premier disque de Big Black, Lungs, enregistré en 1981 en l'espace d'une semaine dans la chambre universitaire de Steve Albini. Ce disque peut être considéré comme un apprentissage musical plus poussé de ce musicien. Tout d'abord, il est frappant de voir que celui-ci est déçu du résultat, le considérant comme l'un de ses rares regrets musicaux3. Mais ce qui est central dans la création de ce disque est non seulement la manière dont celui-ci a été composé mais aussi enregistré. En effet, Albini ne joue pas de guitare mais de la basse, depuis ses années de lycée. Il achète ainsi une guitare le jour même du début de l'enregistrement. Souhaitant tout faire lui-même afin d'avoir un contrôle total sur sa création, il ne fait appel à aucune personnalité étrangère et utilise une boite à rythme afin de ne pas avoir à compter sur un batteur étranger à son processus de création. La composition se fait donc à l'aide de la basse, Albini calquant les parties de guitare sur la basse, tentant de trouver comment produire des sons intéressants plus que des mélodies. L'apprentissage de l'instrument se fait ici en même temps que l'enregistrement, processus assez rare pour être souligné. Enfin, la méthode d'enregistrement est là aussi originale puisque Albini décide d'enregistrer dans sa chambre d'étudiant l'intégralité du disque. Empruntant un enregistreur quatre pistes, il enregistre l'intégralité de Lungs, seul, dans sa chambre en tentant de comprendre le fonctionnement de cet appareil et en tentant de maîtriser ce nouvel instrument qu'est la guitare électrique. Cette démarche de l'apprentissage par soimême, que Steve Albini pousse ici à son apogée, ne quittera jamais ce musicien qui continuera à apprendre à maîtriser son instrument de la manière qui lui convient mais 2 Voir l'ouvrage de Steven Blush, American Hardcore, une histoire tribale, page 640. 3 Nous conseillons au lecteur la lecture des premières pages du chapitre concernant Big Black dans l'ouvrage de Michael Azerrad indiqué en bibliographie. 27 aussi les méthodes d'enregistrement, considérant le studio comme un instrument à part entière. Mais si le premier disque de Big Black est une preuve de la volonté d'Albini de tout apprendre par lui même, il est également la preuve qu'apprendre la musique en se basant sur ses groupes favoris peut porter préjudice à la composition. En effet, le disque laisse paraître, de manière très évidente, les influences musicales du jeune musicien qui mettra encore quelques mois à digérer celles-ci afin de créer une musique bien plus personnelle. Michael Azerrad qualifie ainsi Lungs : «[Lungs est] très influencé par les artistes favoris d'Albini comme Cabaret Voltaire, Killing Joke ou the Cure. Si le disque sonne comme une démo composée par le geek enragé du premier étage de votre résidence universitaire, c'est parce que c'est exactement ce que c'est »4 Naturellement, ce processus d'apprentissage par soi-même peut être mis en parallèle avec des contre exemples, certains artistes de Punk Rock ayant une formation de musiciens « classiques », apprenant à composer des musiques populaires ou savantes dans les règles de l'art. C'est ainsi le cas de David Wm. Sims et de Rey Washam, respectivement bassiste et batteur du groupe Rapeman, fondé en 1988 à Chicago. En effet, après avoir découvert le Punk Rock, ceux-ci décident d'apprendre la théorie musicale afin de comprendre les bases de la composition, de les dépasser et de créer des pièces musicales Punk Rock empruntant aux meilleurs des deux mondes.5 Il s'agit ainsi, pour certains de ces musiciens Punk Rock, de revenir à des racines plus traditionnelles après une phase d'apprentissage par soi-même, non conformiste, afin d'accumuler un maximum de savoirs musicaux. Si nous avons choisi ces deux exemples parmi les nombreux dont nous avions connaissance, c'est tout simplement, car ces deux musiciens forment, avec Steve Albini, le trio Rapeman prouvant par là que la fusion d'une méthode classique de composition, représentée ici par Sims et Washam, et d'une méthode déviante de composition, celle qu'Albini a prôné tout au long de sa carrière, ne sont pas incompatibles. Quelques années auparavant, en effet, Dave Riley, bassiste de Big Black, déclarait que la virtuosité technique ne l'effrayait pas mais que, au contraire, la connaissance 4 Citation présente dans l'ouvrage de Michael Azerrad à la page 316. 5 Voir cette interview éditée le 4 mars 2012 de Steve Albini par le magazine en ligne « Louder Than War » http://louderthanwar.com/steve-albini/ 28 musicale, théorique et instrumentale était source de pouvoir, de composition et de talent.6 Enfin, il est possible de trouver des trajectoires différentes au sein des groupes Punk Rock de Chicago, notamment celle du chanteur de Articles Of Faith, Vic Bondi. Celui-ci écoute durant toute sa jeunesse des chanteurs de Soul, tels que Marvin Gaye ou Stevie Wonder. Après avoir déménagé en Floride, celui-ci s'intéresse à la musique Rock, notamment grâce à des formations telles que les Who, les Rolling Stones ainsi que les Beatles. Celui-ci apprend la musique, notamment la guitare, grâce à ces artistes, apprenant à rejouer des morceaux de ses groupes favoris. Nous constatons donc, au cours de ce développement que de nombreux acteurs du milieu Punk Rock de Chicago apprennent par eux-mêmes à pratiquer d'un instrument afin de savoir jouer la musique qui les intéresse. D'autres, au contraire, apprennent au contraire à jouer de la musique de manière plus traditionnelle et incorpore ces acquis dans leur méthode de composition, donnant à leur musique des caractéristiques différentes. Nous faisons donc face, une fois de plus, à une grande hétérogénéité de situation qui ne nous permet pas, une fois de plus, de donner l'exemple d'un cas représentatif de l'ensemble du milieu Punk Rock de Chicago. 2. Une identité musicale Au cours de cette partie, nous tenterons de déterminer s’il existe oui ou non une identité musicale propre à la scène Punk Rock de Chicago notamment caractérisé par des influences musicales plus expérimentales qui amènent des spécificités sonores et artistiques. a. Des influences plus expérimentales Les groupes Punk Rock de Chicago puisent, nous l'avons vu, leurs influences dans les groupes Punk Rock internationaux et nationaux, à grande ou plus petite échelle. Mais d'autres musiques, plus expérimentales et plus ou moins liées au monde du Punk Rock sont également centrales dans le processus de création de ces jeunes formations. Il s'agira ici de tenter de comprendre quelles sont ces musiques mais aussi de quelles 6 Voir cette interview originellement publiée dans le « Melody Maker », magazine anglais, en 1987 et réalisé par Simon Reynolds. http://reynoldsretro.blogspot.fr/2008/04/big-black-interview-melodymaker-1987.html 29 manières celles-ci ont influencé les groupes qui nous intéressent. L'un des styles musical le plus important pour la scène de Chicago est le Post Punk qui, de manière très logique, entretient des liens privilégiés avec la musique Punk Rock. Le Post Punk est un mouvement qui se développe simultanément ou presque au Punk Rock originel, conservant certains aspects de ce style, parmi lesquels les guitares saturés, la volonté de changer le monde et de faire passer un message mais auquel s'ajoute des influences musicales beaucoup plus larges. Des groupes comme Public Image Limited incorporent très tôt des sonorités proches du reggae tandis que Gang Of Four n'hésite pas à s'inspirer de la musique Funk, de la Disco et de la Dub. Donner une définition du Post Punk est difficile puisque le mouvement se caractérise justement par ses très grandes différences musicales, chaque groupe tentant de créer une identité musicale qui lui est propre. Le terme englobe ainsi des groupes aussi différents que Talking Heads, Gang Of Four, mais aussi Public Image Limited ou The Fall. La scène de Chicago est très marquée par certaines de ces formations musicales, dont l'univers musical très riche est une influence bouleversante pour ces jeunes musiciens. Il s'agit pour eux d'une expérience qui leur montre que jouer de la musique Punk peut également se faire par le biais d'une hybridation des genres musicaux. L'un des groupes les plus importants à exercer une influence sur ces musiciens est The Birthday Party, groupe australien, formé autour du chanteur Nick Cave qui deviendra célèbre par la suite notamment grâce à sa carrière solo très prolifique. La musique de The Birthday Party, torturé et teinté de Blues, permet à certains musiciens de comprendre que la dimension bruitiste d'une musique peut être une qualité. Michael Azerrad, lorsqu’il évoque le son de Big Black ou de Naked Raygun, estime que l'influence de The Birthday Party fut primordiale. 1 Il est assez rare de constater une telle influence de la part d'un groupe australien, la plupart des groupes de Post Punk venant de New York ou d'Angleterre. L'aura de ces deux régions géographiques est en effet toujours aussi importante pour les amateurs de musique qui s'arrachent notamment les disques importés du Royaume-Uni, très difficiles à trouver. Malgré cela, l'existence de The Birthday Party nous prouve bien que le mouvement Punk Rock et le Post Punk sont des genres se développant à une grande échelle et ce de manière très rapide, le groupe étant fondé en 1980. 1 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, page 312. 30 Parmi les groupes exerçant une influence importante, nous pouvons signaler le groupe Joy Division, fondé en 1976 et qui, après le suicide de son chanteur en 1980, est contraint de se séparer. L'identité de cette formation musicale est originale à bien des aspects, que ce soit par les paroles, souvent sombres et mélancoliques que par la musique, plus lente et plus oppressante avec une basse plus en avant afin de souligner cette tension. Ken Mierzwa, rédacteur dans le fanzine « Coolest Retard », explique que le succès du groupe est important à Chicago notamment grâce à l'effort promotionnel d'une boutique sur laquelle nous reviendrons en cette fin de partie. 2 D'autres formations, parmi lesquelles The Fall sont également importantes. Si Joy Division semble être la version mélancolique et sombre du Post Punk, The Fall est alors la version nihiliste et moqueuse de ce mouvement. La figure centrale du chanteur et compositeur principale, Mark E. Smith, permet aux prestations scéniques du groupe d'entrer dans la légende. En effet, celui-ci n'hésite pas à dérégler le matériel de ses camarades, à insulter et invectiver le public. Les paroles ne sont pas en reste puisque Smith écrit des textes très véhéments mais toujours pleins de verves. En effet, si les Sex Pistols ont eux aussi écrits des textes agressifs, Smith reste tout de même un excellent écrivain, intelligent, qui usent de nombreuses références littéraires. Le nom du groupe lui-même fait d'ailleurs référence au roman philosophique de Camus, La Chute. Des morceaux tels que « English Scheme »3 4 critiquent le système anglais, montrant la situation difficile des habitants du pays, le groupe étant originaire de la ville de Manchester. Si ce groupe est important pour les groupes Punk Rock de Chicago, cela s'explique certainement par les nombreux concerts que donnera le groupe dans la ville. Ainsi, en 1981, le groupe joue le 16 juillet à Chicago. 5 Ken Mierzwa, qui est présent lors du concert, semble ne remarquer que le leader du groupe qui grâce à ses paroles et son chant, plus parlé que chanté en réalité, aura une influence profonde sur des groupes tels que Naked Raygun, the Effigies ou Big Black. Ces trois groupes ne reprendront pas en totalité le ton de Smith, les paroles restant critiques et cyniques mais la dimension de 2 Extrait des mémoires de Ken Mierzwa, la citation suivante est la plus intéressante pour le sujet qui nous préoccupe actuellement : « Chicago était l'un des rares endroits en dehors du Royaume Uni où les ventes d'albums du groupe étaient importantes grâce à un grand effort promotionnel de Wax Trax.. »http://kmier.net/mixed/punks3.html 3 Nous renvoyons le lecteur à la lecture des paroles de ce morceau prècis à la page suivante, faisant partie du site officiel du groupe The Fall : http://fall.byethost13.com/lyrics.html 4 Voir annexe discographique, piste n°1. 5 Extrait des mémoire de Ken Mierzwa, rédacteur et photographe au sein du fanzine « Coolest Retard » publié sur son site personnel. http://kmier.net/mixed/punks5.html 31 critique sociale n'est pas présente chez ces groupes. Nous l'avons vu à l'instant grâce à ces quelques exemples, la scène Anglaise est importante mais le Post Punk se développe également à New York, en parallèle à d'autres mouvements musicaux. Il devient alors difficile de définir précisément le style musical de chaque groupe, les différences entre Post Punk, No Wave et New Wave étant minces et floues, d'autant plus que ces réflexions sur les différentes nominations musicales n'intéressent que peu les artistes6. Nous tâcherons ici de rendre notre propos le plus clair possible mais les artistes, spécialistes et journalistes eux-mêmes éprouvent des difficultés pour définir, par exemple, si un groupe New Yorkais appartient au mouvement Post Punk ou au mouvement No Wave. Car ce dernier est bien difficile à définir de manière claire et précise. Si nous devions prendre une définition généralement admise, la No Wave est un mouvement artistique expérimental, incluant la musique, les arts plastiques mais aussi le cinéma, qui prend place à New York durant la fin des années 1970 et le tout début des années 1980. Le nom No Wave est une sorte d'idée selon laquelle le mouvement rejette tout idéal commercial afin de se concentrer uniquement sur la création artistique d'avant garde. Il est ainsi très difficile de séparer les groupes Post Punk et No Wave, d'autant plus que certains se revendiquent des deux mouvements de manière indifférente. Nous tâcherons ici, pour plus de clarté, de montrer quelles formations originaires de New York ont une influence centrale sur la scène de Chicago sans véritablement nous préoccuper du style précis auquel appartient chaque formation citée. Les formations New Yorkaises les plus influentes pour les groupes qui nous intéressent ici sont les Swans, Suicide et Glenn Branca. La première formation musicale, les Swans, est formée en 1982 par Michael Gira. Malgré le fait que la date puisse sembler assez tardive, l'impact de ce groupe fut immense au point qu'Albini, par exemple, cite les premiers disques des Swans comme l'une de ses influences les plus importantes. En effet, le son des Swans est extrêmement agressif, bruitiste, lourd et souvent basé sur un rythme très martial, rappelant alors la musique industrielle. Les thèmes évoqués sont en adéquation avec la musique puisque le premier album s'intitule Filth. Les paroles d'un titre comme « Power for Power »7 6 Nous en voulons pour preuve l'ouvrage de Simon Reynolds cité en bibliographie qui incluse dans son analyse sur le Post Punk un grand nombre de formations pourtant très diverses musicalement et dont l'appartenance au style musical du Post Punk fait débat. 7 Voir annexe discographique, piste n°2. 32 donnent une idée assez précise de l'image que peut renvoyer un groupe tel que les Swans.8 Les paroles des Swans ainsi que l'idée générale se cachant derrière cette musique est une idée de contraste mais également de destruction des règles sociales et artistiques. Même si les groupes de Punk Rock de Chicago n'établissent pas clairement de liens avec une recherche artistique si poussée, il est indéniable que la musique agressive, lourde, hypnotique et surtout leur volume sonore joue un rôle dans la création musicale des groupes de cette scène. La musique de Suicide joue également un rôle particulièrement important. Suicide est un groupe formé en 1970 qui sort son premier album en 1977. La particularité principale de Suicide est l'utilisation de synthétiseurs et de boîtes à rythmes plutôt que d'instruments plus traditionnels afin de créer une musique hybride, entre la Musique Électronique et le Punk Rock. Le son est ainsi un son très synthétique et le chant se fait là aussi très original, le chanteur Alan Vega ayant une technique très reconnaissable, faisant régulièrement appel aux hurlements. 9 Ce son, ainsi que cette hybridation, sont des influences toutes aussi importantes pour les groupes de Chicago parmi lesquels le groupe Naked Raygun ou Big Black qui tentent, à leur manière grâce à des guitares, de produire un son aussi abrasif que celui de Suicide, notamment grâce à une basse très en avant et très saturée ainsi qu'une guitare mise moins en avant mais produisant un fond sonore bruitiste. Enfin, Glenn Branca est une figure à part, même parmi la scène No Wave New Yorkaise puisque celui peut être considéré comme un compositeur de musique classique pour guitares. Il donne ainsi naissance à des compositions écrites pour plusieurs guitares, allant parfois jusqu'à une dizaine d'entre elles, chacune utilisant des accordages différents afin de mettre à jour des sonorités intéressantes et uniques. Si son influence semble moins importante, aucun groupe de Chicago n'utilisant d'accordages alternatifs à l'accordage traditionnel des guitares en MI, il n'est pas rare de le retrouver cité en interviews par de nombreux musiciens qui admirent son utilisation de la répétition et de la dissonance afin de créer des pièces musicales agressives et hypnotiques.10 8 http://swans.pair.com/WRITING/lyr_FILTH.html site officiel du groupe, les paroles de l'album sont ici présentes à la suite. Voici ici un extrait parmi les plus éloquents : « Use sex for control/ use power for power/ use money for cruelty/ use hate for freedom » 9 La piste « Frankie Teardrop » sur l'album éponyme du groupe est un exemple du son si caractéristique de Suicide grâce à l'usage de synthétiseur notamment. 10 https://rateyourmusic.com/list/PervertedByLanguage/steve_albinis_top_15_records/ Cette liste 33 Les musiques expérimentales, plus ou moins liées à la musique Punk Rock sont ainsi une source d'inspiration nécessaire pour ces jeunes musiciens qui, de cette manière, apprennent à composer leur musique en ne s'enfermant pas dans un genre musical unique. Mais cette situation n'est pas générale à tous les groupes venant de Chicago. En effet, certains artistes semblent au contraire critiquer ces influences jugées trop expérimentales et éloignées des réalités sociales ou politiques et surtout du message originelle du Punk Rock. Vic Bondi, leader de Articles Of Faith dénonce cette scène et des influences, trop prétentieuses selon lui.11 Reste que ces critiques sont souvent minoritaires et que ce qui est dénoncé par Vic Bondi n'est pas tant l'ouverture musicale des jeunes musiciens que leur attitude, jugée prétentieuse et surtout très fermée, le jeune chanteur et guitariste ayant eu des difficultés à s'adapter au mouvement Punk de Chicago, qu'il juge trop clanique et sujet aux luttes intérieures. Les groupes de Chicago de Punk Rock développent très tôt un goût pour les musiques différentes de la musique Punk Rock qui profite aux musiciens, leur donnant des clés pour composer une musique originale et plus personnelle. Il nous semble alors intéressant de nous demander quels sont les facteurs qui ont rendu possible cet éclectisme musical. Nous avons évoqué plus haut la première raison. Le disquaire Wax Trax, installé à Chicago12 depuis la fin des années 1970, est également un label qui signe, en 1981, le groupe Strike Under, afin de mettre sur le marché leur seul et unique disque intitulé Immediate Action. Ce disque, pur produit de Punk Rock traditionnel, sort sur ce label qui n'a que des liens ténus avec ce genre musical. En effet, Wax Trax est un label de musique industrielle, New Wave et Gothique. La boutique Wax Trax, point de rendez vous incontournable des amateurs de musique Punk Rock mais aussi New Wave et Industrielle de Chicago, devient ainsi un moyen pour les amateurs de chacun de ces genres musicaux d'élargir leurs horizons musicaux. L'action de Jim Nash et Daniel contient les 15 disques que Steve Albini juge comme ses favoris. Si la date nous est inconnue, l'intéressé lui même a eu vent de cette liste par le biais d'un forum internet et ne l'a cependant pas commenté en mal, estimant que celle ci était tout à fait correcte. Le forum en question est celui de son studio d'enregistrement, Electrical Audio, que nous pourrons consulter à l'adresse suivante : http://www.electricalaudio.com/phpBB3/index.php 11 http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm Interview de Vic Bondi publiée par le magazine en ligne Scanner Zine durant laquelle il revient, entre autre, sur les années passées dans Articles Of Faith. Une citation intéressante pour le sujet qui nous intéresse : «La scène Punk Rock de Chicago était très arty, rempli de prétention et une admiration sans borne de tout ce qui venait du Royaume Uni. » 12 Voir l'annexe cartographique. 34 Flesher, le couple dirigeant le label ainsi que la boutique, est donc centrale lorsque nous évoquons la variété d'influences des formations Punk Rock de Chicago. Si nous évoquons ici uniquement le cas de Wax Trax, il est évident que les fanzines pourraient ainsi être évoqués. Ainsi Touch And Go publie des critiques de disques enregistrés par des groupes aussi variés que Joy Division, The Fall et d'autres groupes britanniques et américains.13 Ce premier point nous amène à proposer une seconde partie d'explication, peut être encore plus importante. En effet, si nous avons présenté les amateurs de Punk Rock et de musique Expérimentale, comme deux groupes différents, il n'en est bien souvent rien. Les scènes ont souvent en commun non seulement leur public, mais aussi les labels, les lieux de rencontre et de spectacle. Il n'y a ainsi pas de véritable séparation entre amateur de Punk Rock, de Post Punk et de No Wave ce qui permet une émulation musicale bien plus constructive et nous permet d'affirmer qu'il est difficile d'évoquer une scène Punk Rock qui serait « pure », c'est à dire qui ne comporterait que des formations jouant un Punk Rock traditionnel, dépourvu d'influences extérieures à ce genre musical. Nous venons de le voir, les influences des groupes Punk Rock de Chicago sont variées et éclectiques. Nous tâcherons dans la partie suivante de définir ce qu'est alors le son du Punk Rock de Chicago et surtout si un groupe peut représenter ou non une telle réalité si elle existe. b. L'existence d'un son différent ? Comme nous venons de le préciser, cette partie tentera de déterminer si oui ou non il existe un groupe qui serait un représentant de ce qu'est le Punk Rock à Chicago, tout au moins d'un point de vue musical. Pourquoi avoir dès lors choisit le terme de « son » et non pas le terme de « musique » par exemple ? Nous pensons que le terme de « son » se réfère de manière plus précise à ce que nous tenterons de mettre à jour. En effet, le terme « musique » s'attarde plus volontiers sur les techniques de composition musicale, laissant de côté certains éléments qui nous semblent particulièrement important, notamment la production sonore, c'est à dire le rendu sonore et la manière dont 13 Voir ici l'ensemble des numéros du fanzine de Touch & Go, les groupes cités étant présents dans plusieurs numéros du périodique. L'ouvrage de Tesco Vee et Dave Stimson cité dans notre bibliographie contient par ailleurs l'intégralité des numéros de ce magazine. 35 « sonnent » les instruments lors de l'écoute des disques. Nous nous pencherons ainsi sur la manière dont un auditeur peu formé à l'art traditionnel de l'analyse musicale reçoit le disque. Nous avons choisi cette méthode, car comme nous l'avons vu précédemment dans notre développement, la très grande majorité des acteurs du milieu Punk Rock ne possède pas de formation musicale traditionnelle, l'obligeant alors à créer un nouveau langage d'analyse musicale et sonore, celui-ci se basant parfois sur les sonorités des instruments. Tentons alors de définir si nous pouvons oui ou non désigner un groupe qui serait alors un représentant « idéal » de la musique Punk Rock de Chicago. Nous pourrions être tenté de choisir le groupe Naked Raygun comme point de départ. En effet, ce groupe fondé en 1980 est présenté comme l'un des groupes de Punk Rock les plus importants de la ville notamment par sa production artistique, le groupe enregistrant au pic de sa carrière 5 albums entre 1984 et 1990. Nous pourrions dès lors rechercher des points communs avec d'autres formations musicales de la ville et en trouver. Car le groupe partage de nombreux points communs avec Big Black, fondé lui en 1981 par exemple. Il suffit pour s'en convaincre de comparer des morceaux des deux formations. Sur l'album All Rise, sorti en 1985 de Naked Raygun figure la piste n°10 intitulée « Peacemaker » qui est très similaire dans le son tout comme dans la composition à des pistes de Big Black. En effet, la guitare est particulièrement distordue et bruyante, le son étant presque métallique et très aigu. La basse est très en avant et saturée tandis que la batterie est jouée d'une manière robotique, peu expressive afin de donner l'illusion d'une boite à rythme plutôt que d'un kit de batterie traditionnel. Enfin, le chant relève plus de la parole que du chant à proprement parler. Tous ces éléments peuvent être retrouvés dans les compositions de Big Black. Nous prendrons ici l'exemple de « Kerosene »1, piste présente sur l'album Atomizer, sorti en 1986. Cette piste présente également une basse très distordue, une guitare extrêmement saturée, très aiguë et métallique voir même criarde tandis que la boite à rythme ne peut prétendre à créer un rythme autre qu'inhumain, Albini ayant d'ailleurs choisit ce modèle particulier, la Roland TR-606, pour sa sonorité inhumaine 2. Enfin, le chant se fait certes plus souvent chanté, notamment lors du refrain, mais celui-ci reste globalement parlé, 1 Voir annexe discographique, piste n°3. 2 L'ouvrage de Michael Azerrad, dans le chapitre qui est consacré au groupe Big Black, insiste à de nombreuses reprises sur l'importance de la boite à rythme dans le rendu sonore du groupe et sur la sonorité froide et synthétique de celle ci. 36 sans importante variation rythmique ou mélodique. Des points communs sont alors visibles entre ces deux formations. Mais notre problématique, c'est à dire trouver un groupe qui serait un représentant général du Punk Rock de Chicago trouve-t-elle ici sa réponse ? Nous pouvons en douter de manière très légitime et ce pour plusieurs raisons. En effet, il est possible d'expliquer cette proximité entre les deux formations musicales de manière très simple. Tout d'abord, Steve Albini présente Naked Raygun comme l'une de ses principales influences. 3 Il est alors logique qu'une part importante du son qui fait la réputation de Naked Raygun se retrouve dans le son de Big Black si le compositeur principal de ce dernier groupe estime autant cette formation musicale. De plus, une autre raison qui explique ces proximités stylistiques est la présence au sein des deux formations de Santiago Durango et de Jeff Pezzati. Durango est le guitariste de Naked Raygun de 1980 à 1983 et le guitariste de Big Black de 1983 à 1987. Pezzati est quant à lui le chanteur de Naked Raygun durant toute la durée de vie du groupe ainsi que le bassiste de Big Black de 1983 à 1984. Il nous est alors plus facile de comprendre pourquoi ces deux entités musicales semblent très similaires. Si ces deux formations sont très proches, cela s'explique sûrement plus par ces deux explications et notamment la présence de musiciens communs aux deux formations que par la proximité géographique. De plus, il est tout à fait possible de trouver des divergences musicales entre ces deux formations pourtant très proches. Si Big Black reste fidèle au son que nous venons de détailler durant toute leur carrière, les musiciens de Naked Raygun se laissent plus de liberté, créant alors des disques dont les pistes peuvent être différentes de celle que nous avons évoquer. Sur ce même album, All Rise, la piste « Those Who Move » fait appel à une structure plus traditionnelle pour la musique Punk Rock notamment influencée par le groupe anglais Discharge.4 Hors, une telle structure ne saurait être trouvée chez Big Black qui, à cause de l’absence d'un batteur, ne saurait jouer un tel rythme ou n'en a tout simplement pas la volonté. De plus, là où les groupes de Punk Rock venant de la ville de Washington par 3 Voir dans l'ouvrage de Michael Azerrad, page 314. Albini dit lui-même, en parlant de Naked Raygun : « J'étais convaincu que j'avais vu le meilleur groupe qui ait jamais existé. J'allais religieusement à tous leurs concerts. » 4 L'utilisation du rythme de batterie dit « D Beat » est ici le principal indice qui nous permet d'affirmer l'influence de Discharge. Ce rythme de batterie, très reconnaissable, est l'une des structure rythmique inventée par le batteur du groupe Anglais afin de donner une impression de vitesse accentuée. 37 exemple présentent peu de différences stylistiques, les formations de la ville de Chicago sont quant à elles très différentes. Nous venons d'en avoir ici l'exemple grâce à deux formations musicales pourtant très proches stylistiquement. Nous pourrions cependant continuer notre démonstration en expliquant les différences qui existent entre de nombreux groupes de Chicago, comme entre Naked Raygun et Articles Of Faith par exemple. Ces différences s'expliquent naturellement par la très grande variété d'influences que nous avons détaillé auparavant. En effet, si les influences sont multiples, elles ne sont que très rarement partagées dans leur intégralité par l'ensemble des acteurs de la scène locale, d'autant plus lorsque celles-ci n'appartiennent pas à la scène Punk Rock « traditionnelle ». Il est alors logique que la création musicale de la ville soit très variée. Il nous est alors impossible de nommer une formation musicale qui représenterait le son de la majorité de la scène de Chicago durant nos années d'études, les différences étant bien trop importantes. De plus, même si nous pouvons retrouver des similarités entre la plupart des groupes que nous étudions, cela s'explique-t-il principalement par la proximité géographique ? Nous pouvons légitimement en douter. En effet, il est logique que ces formations musicales partagent de nombreux points communs puisque celles-ci pratiquent un genre musical similaire, c'est à dire le Punk Rock. Nous l'avons vu, la musique Punk peut être très différente selon ses incarnations et selon les formations musicales et leurs influences mais il reste de nombreux points communs non seulement entre formations de la même ville mais aussi de zones géographiques diverses. Parmi ces points communs, le chant hurlé, mais aussi des guitares très saturées et des rythmes rapides même si ce dernier point peut être sujet à discussion notamment après la parution de l'album My War de Black Flag en 1984. Ces ressemblances ne sont donc pas liées, de près ou de loin, à la dimension géographique de ces groupes et surtout, celles-ci sont bien trop peu importantes pour que nous puissions évoquer un « son de Chicago » dans notre analyse. Il nous semble cependant important de mesurer ici nos propos. En effet, il semble certes difficile de distinguer un son propre à la scène Punk Rock de Chicago. Peu de musiciens l'évoquent en effet, préférant mettre en avant l'identité très forte de ces groupes et leur originalité, sans toutefois faire de généralisation. Car il semble 38 dangereux pour ces artistes de devenir en quelque sorte prisonniers d'une identité trop liée à une ville, leur aliénant alors le succès dans d'autres régions mais niant également l'importance de leur travail personnel. Cependant, le chanteur Vic Bondi évoque une identité sonore très marquée. 5 Nous remarquons que celui-ci évoque Naked Raygun et The Effigies, deux groupes en effet proches stylistiquement. Mais les éléments qu'il avance semblent faible, car de nombreux groupes Punk Rock, dès le milieu des années 1980, commencent à proposer une musique moins rapide, notamment à la suite de l'album My War du groupe Black Flag. La face B du disque propose en effet une musique plus sombre et lente, des titres comme « Nothing Left Inside »6 et « Scream » s'étendant sur près de sept minutes. Il n'est donc pas légitime d'affirmer en se basant uniquement sur le tempo plus lent de Naked Raygun et The Effigies et le son de guitare que ceux-ci représentent l'identité sonore de Chicago quand ces éléments sont présents chez de nombreuses formations Punk Rock à travers l'ensemble du pays. Il semblerait donc que l'homogénéité de la scène Punk Rock de Chicago ne vienne pas de son identité musicale mais plutôt de son hétérogénéité musicale, les groupes pratiquant une version très personnelle de cette musique, aidés par des influences diverses et variées, des instrumentations originales et un phénomène d'émulation qui ne devient pas un phénomène de copie. Nous allons donc maintenant nous demander si au cours de notre période l'identité sonore, variée donc, évolue et si oui, de quelle manière. 3. Le rapport à l'évolution musicale Nous étudierons dans cette partie la manière dont est vue par les artistes et amateurs l'évolution musicale au sein de la scène Punk Rock de Chicago. En effet, si nous avons évoqué les différences entre les formations musicales de la ville mais aussi leurs influences, il nous semble intéressant de nous pencher sur l'évolution musicale ou son absence dans certains cas. De prime abord, nous pourrions penser que, face à la diversité d'influences que nous avons précédemment détaillé, les musiciens seraient favorables à une évolution 5 Interview de Vic Bondi pour le magazine en ligne Scanner Zine pour lequel celui ci déclare : « […] que The Effigies ou Naked Raygun. Nous n'avons jamais eu ce son bourdonnant de guitare mi-tempo qui a rendu Chicago si différent.» http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm 6 Voir annexe discographique, piste n°4. 39 musicale mais nous constaterons que la situation est bien souvent différente. Car il est facile de remarquer que nombre de groupes n'évoluent que de manière très réduite dans leur approche musicale. De nombreux exemples pourraient être observés parmi lesquels le groupe Naked Raygun qui, durant l'ensemble de sa carrière, change peu. Il suffit alors pour s'en convaincre d'écouter plusieurs disques de ce même groupe, parmi lesquels Throb Throb, premier album sorti en 1984 et Understand ? sorti en 1989 afin de constater que malgré une très légère évolution, notamment du point de vue des mélodies, celles-ci étant plus subtiles et plus centrales dans les disques plus récents, le style reste très caractéristique et reconnaissable. Nous avons ainsi affaire à une musique agressive, basée sur des structures rythmiques simples. De nombreuses raisons pourraient être évoquées afin d'expliquer cette similarité, notamment le faible laps de temps séparant la réalisation de ces disques, le groupe étant très productif et produisant quatre albums en cinq ans. Une sorte de maturation musicale aurait alors pu apparaître si les périodes entre chaque disque avaient été plus longues, laissant place à des recherches musicales plus longues. De plus, le noyau central du groupe reste inchangé et le personnel responsable de la composition, Jeff Pezzati et Eric Spicer (batteur depuis 1984), n'évolue pas. Mais Naked Raygun n'est pas la seule formation à peu évoluer dans sa manière de produire de la musique. Un groupe tel que Articles Of Faith évolue lui aussi de manière plus que nuancée. Si, là encore, la mélodie semble prendre une place légèrement plus importante dans les dernières réalisations du groupe notamment grâce à une production sonore plus claire1, les paroles engagées socialement et politiquement ainsi que l'agressivité musicale restent au centre de la création musicale de cette formation. Il s'agit alors pour la plupart de ces artistes de ne pas trahir le sentiment originel qui a donné naissance au groupe. De fait, l'évolution musicale n'est pas vue comme un sentiment bénéfique mais comme une trahison envers la logique qui a amené à la création du groupe même s’il n'est pas rare que les artistes s'en défendent. En effet, évoluer musicalement peut signifier s'aliéner une partie de son public, risque que seul une minorité de musiciens semble prêt à courir. L'exemple le plus frappant de cette association entre évolution et sentiment de 1 Le travail de Bob Mould, guitariste d'Hüsker Dü sur les albums Give Thanks (1984) et In This Life (1987) apporte au groupe une meilleure production sonore, permettant à certains éléments mélodiques de mieux se faire entendre, chose impossible avec le budget limité utilisé pour la réalisation des premiers albums du groupe. 40 trahison est la séparation de Big Black. Car, si le groupe semble rencontrer un succès de plus en plus important2, cela ne satisfait en rien les musiciens, notamment Steve Albini. Celui-ci décide, en 1987, de mettre un terme à l'existence de son groupe. Les raisons que le musicien évoque sont nombreuses et révélatrice de cette peur de l'évolution musicale. Celui-ci évoque tout d'abord le succès grandissant du groupe comme une menace, ne supportant pas de jouer devant un public constitué d'inconnus. La crainte de l'influence de personnalités extérieures au groupe est également présente chez ces musiciens désirant garder leur indépendance créatrice par-dessus tout. En effet, si Albini ne le dit pas clairement, il est clair que celui-ci est effrayé par ce que la promesse d'un gros contrat venant d'une maison de disque importante pourrait engendrer. Afin d'éviter cette tentation il décide alors de supprimer son groupe. Mais la raison du succès grandissant, qui pour de nombreuses autres formations serait un moteur, n'est pas la seule motivation qui pousse Steve Albini à saborder Big Black. 3Son ami et guitariste, Santiago Durango choisit de quitter le groupe, à l'amiable, afin de devenir avocat, les problèmes financiers des musiciens étant nombreux. 4 Albini lui-même explique d'ailleurs dans de nombreuses interviews l'importance de Durango dans le processus de création du groupe5. Ainsi, avec le départ de son plus proche collaborateur et la peur d'un succès trop important, Albini choisit de détruire son groupe avant de créer une musique qui ne serait pas digne de l'entité Big Black. Il s'agit là d'un phénomène courant, notamment dans le mouvement Punk Rock. En effet, chaque formation musicale a une identité propre qui ne saurait trop évoluer sans se dénaturer, de la même manière qu'un individu. Hors, Albini juge ici que cette évolution serait trop importante ou trop dangereuse et risquerait de changer la nature du groupe, le changeant en quelque sorte en une sorte de caricature d'elle même. Nous pouvons alors tenter d'expliquer ici, grâce à cet exemple, les raisons de ces évolutions 2 Le groupe effectue une tournée européenne durant le courant de l'année 1986 comme le précise Michael Azerrad dans son ouvrage à la page 334. 3 Interview de Steve Albini par Simon Reynolds publiée dans le Melody Maker en 1992. Albini déclare : «Alors que nous grandissions, certains essayaient de jouer avec le groupe, d'en appeler à notre vanité et nos ambitions, ou essayaient de nous forcer à faire quelque chose. Et il était évident que la seule pour court-circuiter ça était de nous séparer. Nous n'avions jamais était en paix avec l'idée qu'il y ait des gens dans le public que nous ne connaissions pas personnellement. » http://reynoldsretro.blogspot.fr/2008/04/big-black-interview-melody-maker-1987.html 4 Renvoi similaire à la note précédente, l'interview mettant en lumière la volonté de Durango de quitter le groupe afin de se consacrer à sa carrière d'avocat. « Le prétexte était la décision longuement retardée de Santiago de finalement remplir son devoir familial et de devenir avocat. » http://reynoldsretro.blogspot.fr/2008/04/big-black-interview-melody-maker-1987.html 5 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, page 318 : «Il [Durango]finit pas devenir crucial pour Big Black ». 41 peu importantes au sein des formations Punk Rock de Chicago. Nous l'avons vu, une partie des groupes n'évoluent que peu dans leur pratique musicale. Hors ceci s'explique dans un premier temps par des raisons très pragmatiques. La première de ces raisons est la faible expérience musicale des musiciens. Nous l'avons vu, ceux-ci sont le plus souvent des musiciens ayant une éducation musicale assez pauvre et peu conventionnelle. Hors, si ces musiciens apprennent à jouer de la musique grâce au Punk Rock, il est évident que cela ne leur permet pas d'appréhender la composition en s'inspirant de pratiques instrumentales propres à d'autres genres musicaux. Ceci est d'ailleurs l'une des causes qu'évoque Steven Blush lorsqu'il décrit ce qu'il nomme « la mort du mouvement Hardcore Punk. »6 Si la pauvreté technique de certains musiciens peut être évoquée et signalée, le contraire peut l'être également. En effet, les meilleurs musiciens progressent et ne veulent plus jouer de Punk Rock, rebuter par tant de facilité technique et de composition mélodique. Les musiciens ayant acquis un bon niveau instrumental et continuant à jouer du Punk Rock sont rares. Là aussi, Blush évoque cette raison dans son livre, estimant que les meilleurs musiciens ne souhaitent plus jouer cette musique par lassitude. 7 Ainsi, des artistes qui auraient pu faire évoluer leur musique en conservant des racines Punk Rock préfèrent tout simplement renoncer à jouer une musique qui ressemble de près ou de loin au Punk Rock, abandonnant alors ce milieu. Nous pourrions également évoquer la faible durée de vie des formations musicales. En effet, si un groupe comme Naked Raygun reste en activité durant la totalité des années 1980 jusqu'au début des années 1990, cela reste une exception. Rapeman, second groupe de Steve Albini, se sépare en 1990, deux ans après sa formation, après avoir enregistré un unique album et un unique EP. Le groupe Strike Under, pourtant considéré comme une formation culte au sein du milieu Punk Rock de Chicago, n'est actif que de 1980 à 1981. Hors, il est évident que la longévité d'un groupe favorise son évolution musical. La faible durée de vie ne permet pas aux musiciens d'apprendre à se connaître et à composer de manière originale et nouvelle. Enfin, si la faible évolution de ces formations musicales peut être vue comme négative, il n'en est peut être rien. Nous l'avons vu, chaque groupe possède une identité propre qui convient à l'ensemble des musiciens. Hors, une évolution artistique signifie 6 Voir dans l'ouvrage de Steven Blush, American Hardcore, une histoire tribale, à la page 640. 7 Voir la page 639 de l'ouvrage de Steven Blush, American Hardcore, une histoire tribale. 42 donc trouver une nouvelle identité qui convient à tous les musiciens ce qui peut être sujet à de nombreux conflits entre musiciens. La stagnation stylistique peut donc être perçue comme une manière de conserver l'intégrité du groupe mais aussi une sorte de paix sociale à l'intérieur du même groupe, évitant du même coup les dissensions au prix d'un immobilisme parfois tout aussi épuisant pour les musiciens. Cet immobilisme musical peut justement être la cible de critiques de la part même des musiciens. Nous l'avons vu, l'évolution est sujet à la critique et à l'auto critique, que ce soit de la part des fans tout comme de la part des musiciens. En effet, le changement semble être similaire à une trahison des idéaux originaux du mouvement Punk Rock, à savoir une musique agressive, sans compromis. Hors, l'évolution musicale passe inévitablement par des compromis artistiques, avec d'autres styles musicaux ou avec d'autres méthodes de composition. Mais, comme nous le disions, cet immobilisme peut également être la cible de critiques de la part des musiciens Punk Rock qui voient dans le Punk Rock autre chose qu'un dogme bridant les évolutions musicales mais une manière de penser et d'aller de l'avant. Parmi ces critiques figurent Vic Bondi, chanteur et guitariste d'Articles Of Faith, notamment à l'encontre du groupe The Effigies. En effet, celui-ci explique leur immobilisme musical non pas par une volonté de rester fidèle à leur identité musicale d'origine mais tout simplement par un déclin qualitatif de leur musique.8 Celui-ci va même plus loin puisque selon lui, cette stagnation a pour but de trahir leurs idéaux en créant une musique moyenne et de signer un gros contrat avec une major du disque, devenant alors un groupe à succès et riche. 9 Cependant, il nous semble important d'indiquer que ces critiques restent relativement rares. De plus, si Vic Bondi estiment que la musique de The Effigies évoluent peu, il est également utile de noter que la musique de son propre groupe, Articles Of Faith, évoluent de manière très mesurée dans le même temps. Nous pourrions donc être tenté de dire que, devant de tels exemples, la scène Punk Rock de Chicago n'évolue pas et tourne sur elle-même. S’il est vrai que certaines formations ne changent pas ou peu, il convient également de rappeler que si les groupes 8 Interview de Vic Bondi par le magazine en ligne You Breed Like Rats publiée le 14 mai 2008, celui-ci déclarant : «Vous pouvez l'entendre dans leur musique : après Haunted Town, presque tous leurs disques sonnaient de la même façon et n'étaient pas très inventifs. » http://youbreedlikerats.blogspot.fr/2008/05/vic-bondi-from-articles-of-faith.html 9 Dans cette interview pour le magazine en ligne You Breed Like Rats publiée le 14 mai 2008, Vic Bondi déclare : «Mais les membres de The Effigies se sont laissés aller à une sorte de routine (pour réussir à sortir un « hit » ) »http://youbreedlikerats.blogspot.fr/2008/05/vic-bondi-from-articles-offaith.html 43 ne changent pas, les musiciens le font. Ces changements s'inscrivent donc dans une carrière plus personnelle et non pas uniquement dans le cadre d'une formation musicale unique. Nous venons de le voir, une formation musicale peut être liée à une identité musicale ou à un message très précis et ses créateurs peuvent choisir de renier toute sorte d'évolution afin de ne pas trahir les idéaux originaux ayant mené à la naissance de celle-ci. Mais il n'est en aucun cas impossible de créer de nouveaux groupes afin de jouer une musique différente. Hors, c'est justement cette voix qu'emprunte Albini après la fin de son premier groupe, Big Black puisque celui-ci forme en 1988 le nouveau groupe Rapeman, avec le bassiste David Wm. Sims et le batteur Rey Washam. Hors, c'est bien la présence de ce dernier qui montre une première évolution musicale chez Albini qui refusait auparavant de travailler avec un batteur. 10 Car le son caractéristique de la boîte à rythme était une caractéristique musicale centrale de ce qui était la signature sonore de son précédent groupe. La musique créée par les musiciens de Rapeman reste relativement proche de la musique sur laquelle Big Black et Albini avaient fondé leur réputation mais cette évolution, qui peut sembler mineure, reste tout de même la preuve que si les groupes n'évoluent pas, les individus ne suivent pas nécessairement le même chemin. Nous allons maintenant nous intéresser plus particulièrement à ces évolutions stylistiques et tenter de comprendre pourquoi et de quelle manière celles-ci naissent. Car , si nous avons expliqué quelles sont les réactions aux changements musicaux, que celles-ci soient positives ou non, et que nous avons montré que certaines formations évoluent peu, il ne faut pas omettre pour autant de décrire les phénomènes qui permettent aux musiciens d'évoluer. Car la scène Punk Rock, notamment de Chicago, ne reste pas verrouillée et immuable malgré le quasi-immobilisme musical de certains artistes. Ces transformations sont variées et prennent place à la fin des années 1980 et aux débuts des années 1990. De nombreux changements ont ainsi lieu dans tout le pays, Chicago ne faisant pas exception, sous l'impulsion de différents acteurs des scènes Punk Rock locales, anciens ou nouveaux arrivants. 10 Celui ci explique d'ailleurs que ce changement n'est rendu possible que grâce à l'amélioration de ses capacités de communication. Voir le livre de Michael Azerrad, page 315 notamment ainsi que les dernières pages du chapitre consacré à Big Black. 44 Tout d'abord, l'un des faits marquant est que les musiciens Punk Rock, notamment jouant un Hardcore Punk « traditionnel », c'est à dire ne proposant aucune originalité musicale, lyrique ou conceptuelle et se contentant donc d'imiter les groupes les plus connus de ce mouvement comme Black Flag ou les Dead Kennedys, commencent à se lasser de ce genre. En effet, de nombreux acteurs commencent à réaliser que si les débuts étaient intéressants notamment grâce à la grande liberté artistique que fournissait le Punk Rock, celui-ci s'est au fur et à mesure doter de règles de compositions certes simples d'un point de vue technique mais très codifiées. Il semble donc ne rester que deux solutions, jouer une musique codifiée et devenue ennuyeuse, car copiée sur des groupes plus anciens et de meilleure qualité, ou évoluer afin de ne pas sombrer dans l'ennui et l’anonymat. De nombreux amateurs et musiciens critiquent d'ailleurs cet immobilisme et cette « codification » de la musique Punk Rock. Bob Mould, guitariste d'Hüsker Dü, groupe de Saint Paul dans le Minnesota, fondé en 1979, exprime d'ailleurs son envie de changement. 11 Si ce musicien n'appartient pas directement à la scène de Chicago, malgré des liens très forts que nous expliquerons plus tard dans notre développement, les musiciens et acteurs de la ville ne sont pas en reste et critiquent le peu d'inventivité du mouvement Punk Rock et Hardcore Punk, jugé trop peu ambitieux et tournant sur lui-même. Ken Mierzwa, écrivain et photographe pour le fanzine Coolest Retard que nous avons déjà rencontré dans notre argumentaire, exprime lui aussi son opinion envers les groupes de Punk Rock traditionnels et notamment de Hardcore Punk. 12 Nous tenons donc ici l'une des premières raisons qui poussent les artistes à évoluer. Le style Punk Rock et notamment le Hardcore Punk, trop codifié, se mord tout simplement la queue. Ainsi, afin d'éviter de devenir un groupe lambda ressemblant à toutes les autres formations pratiquant du Punk Rock, il s'agit d'évoluer afin de rester original. Hors, cette évolution prend place grâce à de nouvelles influences ou à des influences anciennes remises au goût du jour par certains musiciens, assumant d'aimer une musique différente du Punk Rock. 11 Voir dans l'ouvrage de Michael Azerrad, page 172. Bob Mould déclare ainsi : «En somme, ils disaient [Les amateurs de Hardcore Punk refusant une évolution musicale : "Soyez différents, soyez différent, soyez comme nous ou nous vous tuerons" ». 12 Mémoires de Ken Mierzwa contenant de nombreuses anecdotes sur le milieu Punk Rock de Chicago. Celui ci indique : « Il y avait deux problèmes avec les groupes de Hardcore Punk, ou de Thrash Metal. Premièrement, ils ont tous commencé à sonner de la même manière au bout d'un moment. De la musique bruyante, rapide et en colère avec un chant incompréhensible. » http://kmier.net/mixed/punks5.html 45 Attardons-nous tout d'abord sur les nouvelles influences qui vont, grâce à certains musiciens plus aventureux que d'autres, donner naissance à des hybridations entre le Punk Rock et d'autres genres musicaux. En effet, nous avons évoqué plus haut que ces changements ne sont pas circonscris à la ville de Chicago. Ainsi, dans d'autres villes et états, des évolutions similaires prennent place. Le musicien Ian MacKaye, chanteur du groupe de Washington Minor Threat, fonde en 1986 Fugazi. MacKaye part du même constat que Mierzwa et Mould et celui-ci décide de faire évoluer sa musique. Prenant alors la décision radicale de produire une musique Punk Rock par son état d'esprit mais beaucoup moins agressive, basée sur des paroles plus réfléchies et plus personnelles. Hors, si la personnalité de MacKaye est centrale au sein de la scène musicale de Washington DC, son aura est importante également à Chicago chez qui il compte de nombreux admirateurs tant pour son travail avec Minor Threat que Fugazi. Vic Bondi, leader d'Articles Of Faith estime d'ailleurs que la transformation musicale que MacKaye met en place opère également un changement dans son caractère. 13 Nous pouvons également citer d'autres groupes qui tentent d'opérer des changements dans leur musique, afin de faire évoluer la scène musicale Punk Rock. Parmi ceux-ci, nous tenons à mettre en lumière deux formations, particulièrement innovantes et ayant un rapport très particulier avec la ville de Chicago. Hüsker Dü, que nous avons cité auparavant, est l'une d'entre elles. Ce groupe, produisant dans ses premières années d'activité un Hardcore Punk peu original, évolue grâce aux qualités de compositeur et de parolier de Bob Mould, guitariste et chanteur, mais aussi grâce aux progrès techniques opérés par l'ensemble des musiciens du groupe. Ne reniant pas leurs influences Pop Rock, Bob Mould étant un amateur éclairé de The Beatles,14il va ainsi opérer une fusion entre la musique agressive Punk Rock, des paroles éclairées et personnelles ainsi que des mélodies simples et efficaces. Des disques tels que New Day Rising (sorti en 1985) et Zen Arcade (album double, sorti en 1984) sont d'ailleurs des témoignages d'une musique agressive et mélodique, teintée d'influences très diverses qui 13 Dans cette interview publiée le 14 mai 2008 sur le site You Breed Like Rats, Vic Bondi expose :«Ian [MacKaye] était définitivement un trou du cul les premières années. Mais je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui a autant évolué et grandi que lui. En donnant naissance à Fugazi,il y a eu un tournant dans sa personnalité.C'est une personne formidable. » http://youbreedlikerats.blogspot.fr/2008/05/vic-bondifrom-articles-of-faith.html 14 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, page 159. « Fan avide des Beatles, Mould plongea dans l'univers de la Pop des années 60. » 46 se confondent pour créer un style très personnel. Le morceau « Never Talking To You Again » (présent sur Zen Arcade) comporte de la guitare acoustique tandis que la piste de fin du même album, « Reocurring Dreams »15, d'une durée de plus de quatorze minutes, démontre les capacités de ces musiciens à créer une musique unique, le morceau empruntant bien plus au Rock Psychédélique et aux expérimentations bruitistes d'artistes comme John Cale, Lou Reed ou Jimi Hendrix qu'aux Ramones ou aux Sex Pistols. Hors, les liens entre Hüsker Dü et la scène de Chicago sont très forts. Le groupe se produit de nombreuses fois en concert dans la ville (41 concerts entre 1981 et 1991 uniquement sur la commune de Chicago) 16. Cette influence ne s'arrête pas là puisque Bob Mould, guitariste et principal compositeur de la formation, entretient des liens très personnels avec certains acteurs de la scène, parmi lesquels Vic Bondi et son groupe Articles Of Faith. Ainsi Mould produit le disque « Give Thanks » de Articles Of Faith, sorti en 1984, confirmant alors l'estime réciproque que se porte chacun de ces musiciens. Hors, ceci n'est qu'un des nombreux exemples des liens qu'entretient Mould avec la scène de Chicago. La seconde formation qui nous intéresse est le groupe Slint, formé en 1985 à Louisville dans le Kentucky. La musique de Slint est originale en de nombreux points car celle-ci s'éloigne particulièrement du genre Punk Rock afin de créer un nouveau genre que certains prénomment le Post Rock17, appellation que les musiciens n'acceptent pas. Nous nous concentrerons alors sur les faits, le groupe étant formé de musiciens issus des formations locales de Punk Rock qui entreprend de créer une musique très personnelle, s'inspirant du Punk Rock mais aussi du Jazz, de la musique classique, d'écrivains compositeurs et même de Madonna.18 Le premier disque du groupe, intitulé Tweez et enregistré en 1987 avec l'aide de Steve Albini, illustre bien cette musique originale, ancrée tant dans la logique Punk Rock par son son de guitare saturée et ses hurlements que dans une logique bien plus expérimentale. Hors, nous l'avons indiqué 15 Voir annexe discographique, piste n°9. 16 Base de données en ligne recensant tous les concerts du groupe Hüsker Dü. http://www.thirdav.com/hd_discog/dates.html 17 « Post Rock » est un terme utilisé pour la première fois par Simon Reynolds, critique et écrivain, dans une chronique musicale publiée en 1994 dans le magazine Mojo. Reynolds développe son analyse dans de nombreux articles notamment celui ci, publié la même année dans le magazine anglais Wire http://web.archive.org/web/20011202075606/http://www.thewire.co.uk/out/1297_4.htm 18 Interview de Britt Walford pour le magazine en ligne Fact publiée le 12 mars 2014, l'ensemble de l'entretien comprend des informations sur les influences du groupe parmi lesquels sont cités Ac/Dc, Madonna, Philip Glass, Big Black, Leonard Cohen et d'autres artistes. http://www.factmag.com/2014/03/12/murder-ballads-an-interview-with-slint/ 47 précédemment, les liens entre Slint et la ville de Chicago sont importants. Tout d'abord, l'influences de groupe comme Big Black est admise par les musiciens eux-mêmes. De plus, ceux-ci admettent également que leur ville d'origine n'est en rien comparable à une ville aussi importante sur tous les plans, notamment artistique et économique, que ne l'est Chicago. Les membres de Slint admettent alors que les connections artistiques entre Louisville et Chicago furent primordiaux pour le groupe notamment pour les concerts. 19 Nous venons de voir des exemples de ce que nous appellerons les nouvelles influences qui vont modifier l'identité musicale des groupes Punk Rock de Chicago. Nous allons maintenant voir quelles sont les influences plus anciennes qui permettent ces changements avant de détailler plus en avant quelles sont les formations qui représentent cette évolution au sein de la scène Punk Rock de Chicago. Nous l'avons vu précédemment, le mouvement Punk Rock se construit en opposition à certaines cultures et musiques, notamment le Rock des années 1960 et 1970 ainsi que la culture dite « hippie ». Hors, ces influences sont non seulement admises mais revendiquées par de nouvelles formations, de la ville de Chicago ou non. Parmi celles-ci se trouvent le groupe The Jesus Lizard, formé en 1987 à Austin, Texas mais qui déménage dès l'année suivante à Chicago. Duane Denison, guitariste, déclare d'ailleurs à de nombreuses reprises que si le Punk Rock est indéniablement un style très influent, il n'est pas le seul. Car Denison ne renie pas l'importance du Punk, citant notamment des groupes tels que Cro-Mags (formé en 1982 et originaire de New York) et Agnostic Front (formé la même année dans la même ville) comme une influence première. 20 Mais celui-ci exprime de la même manière son amour et l'influence qu'ont eu d'autres groupes comme Led Zeppelin21 mais aussi des styles musicaux en apparence éloigné du Punk Rock, parmi lesquels le Blues et le Jazz. 22 Nous l'avons vu 19 Interview avec le groupe par le magazine en ligne Pitchfork publiée le 30 janvier 2014 à l'occasion de la réédition de leur disque Spiderland. Brian McMahan indique alors : « Je pense cette époque comme un ensemble de relations personnelles et géographiques. Il y avait une forte connexion de Louisville avec Chicago » http://pitchfork.com/features/update/9319-slint/ 20 Voir cette interview de Denison réalisée à l'occasion de la tournée de reformation de The Jesus Lizard par le magazine en ligne Guitar World et publiée le 22 juillet 2011. http://www.guitarworld.com/interview-duane-denison-recalls-jesus-lizard-s-glory-days-creation-anddemolition 21 Dans l'interview évoquée dans la note précédente, Denison stipule : « [...]Alors que beaucoup de groupes de cette époque n'arriverait jamais à apprécier Led Zeppelin ou n’admettrait pas qu'ils possédent un album de Brand X Et nous, nous étions plus que ravis de le faire et de faire référence [à ces artistes] dans notre musique ». 22 Dans l'interview évoquée précédemment, le journaliste questionne Denison sur ses connaissances en musique Jazz et Blues, ce à quoi le guitariste répond : « J'ai un diplôme [universitaire] en musique. J'ai étudié la musique à l'université, donc ça m'a été utile. Comme la plupart des gens qui débutent à la guitare 48 précédemment, des musiciens tels que Bob Mould et Vic Bondi sont des amateurs de Pop Rock des années 1960 et 1970. Il s'agit alors une fois de plus de sortir d'une sorte de codification trop astreignante du Punk Rock. En effet, le mouvement s'étant bâti en opposition à ces musiques, jugées trop savantes notamment, il devient en quelque sorte inavouable d'apprécier des formations musicales telles que Led Zeppelin ou The Beatles. Hors, ces musiciens l'admettent plus que volontiers et se servent de ces références afin de construire une musique nouvelle et hybride. Nous pourrions donc résumer la situation comme la suivante : les formations les plus anciennes qui sont en activités durant toute notre période ayant trouvé une identité musicale personnelle n'évoluent que peu, à l'image de Naked Raygun. D'autres musiciens changent, mais de manière relativement peu importante, à l'image de Steve Albini ou de Vic Bondi qui forment de nouveaux groupes, comme nous l'avons vu précédemment pour le cas particulier du premier. Certaines nouvelles formations tentent quant à elles, à l'instar des musiciens les ayant précédées, de trouver une manière originale et personnelle de composer de la musique, la plupart du temps grâce à une hybridation des genres. Car le milieu Punk Rock semble, à partir de la fin des années 1980, se rapprocher d'autres genres musicaux, créant alors d'autres scènes et une culture nouvelle. Nous l'avons vu, des groupes comme Fugazi, Slint ou Hüsker Dü appartiennent à cette logique puisque ceux-ci, bien qu'influencés par le Punk Rock, dépassent ce milieu et sont définis par les journalistes et amateurs de musique comme des groupes de Rock Indépendant ou de Rock Alternatif. Il est toujours difficile de nommer précisément les genres musicaux auxquels appartiennent ces formations, tant les évolutions ont pu être nombreuses au cours de leurs carrières respectives mais également grâce aux multiples enchevêtrements d'influences de ces musiciens. De plus, ces genres sont largement synonymes, les différences sont donc floues et ces appellations sont plus souvent liées à une époque ou un mode de création et de diffusion musicale qu'à une réelle identité musicale. À Chicago, nous l'avons expliqué, le groupe The Jesus Lizard est un produit de cette évolution. La musique du groupe est souvent décrite comme appartenant au électrique, j'ai commencé à jouer des morceaux de Blues Rock et de Blues ». 49 courant Noise Rock, précisément décrit comme un hybride entre le Punk Rock, le Post Punk et le Rock Alternatif. Ce groupe ne reniera jamais ses influences Punk Rock tout comme ses influences Jazz, le principal compositeur utilisant des structures mélodiques empruntant autant à ces deux genres afin de créer une musique dissonante et originale. D'autres formations peuvent être nommées comme Urge Overkill, groupe fondé en 1985. Les musiciens fondent leurs premiers groupes au sein de la scène Punk Rock mais rapidement ceux-ci intègrent de nouveaux genres musicaux dans leur répertoire, créant alors une musique bien plus originale et hybride. Ceux-ci admettent alors ne plus vraiment faire partie de la scène Punk Rock, ayant tout de même conservé ce qui est le plus important selon eux, « l'état d'esprit Punk ».23 Cette évolution de la scène musicale à partir d'une base Punk Rock est d'ailleurs ce qui caractérise la scène musicale de Chicago, mais également nationale, des années 1990. Nous pouvons ici affirmer que ces transformations et les formations expérimentant grâce à de nouvelles influences, hybridant le Punk Rock, sont les embryons de ce qui sera une logique musicale durant la décennie suivante. 23 Interview de Urge Overkill pour le magazine en ligne The Phoenix publiée le 29 juin 2011. http://blog.thephoenix.com/BLOGS/onthedownload/archive/2011/06/29/q-amp-a-urge-overkill-snash-and-eddie-on-grunge-medallions-irony-and-making-one-s-dark-heroin-album.aspx 50 II. Les composantes sociales et politiques du mouvement Au cours de cette partie nous allons tenter de définir socialement les acteurs du mouvement Punk Rock de Chicago. Nous évoquerons ainsi des questions liées à l'âge de ces acteurs mais aussi à leur éducation, leur sexe ainsi que leurs convictions politiques et de quelle manière ces mêmes questions s’intègrent à leur démarche artistique. 1. Le portrait des acteurs Au cours de cette partie nous nous attarderons sur différents thèmes, notamment celui de l'éducation universitaire des acteurs du milieu Punk Rock de Chicago mais aussi leur sexe et la dimension très masculine de ce milieu avant de conclure en nous intéressant aux figures centrales de ce même milieu. a. Des participants plus éduqués ? Au cours de cette partie nous allons revenir sur le parcours intellectuel, scolaire et universitaire, entre autre, des acteurs de la scène de Chicago et essayer de comprendre de quelles manières cette formation a pu impacter la musique que ces musiciens créent. La musique Punk Rock a en effet la réputation, surtout au Royaume-Uni, d'être un genre pratiqué par des jeunes gens issus des classes moyennes, peu diplômés. Dick Hebdige exprime ainsi, de manière claire dans son ouvrage, la nature prolétarienne, entre autre, du Punk anglais. Mais la scène Punk Rock de Chicago obéit-elle aux mêmes logiques ? En effet, cette musique est elle composée et interprétée par des jeunes issus des classes les plus populaires, comme c'est là la thèse de Dick Hebdige dans son ouvrage afin de comprendre le Punk anglais. Les différences sont en effet plus nombreuses que nous ne pourrions le penser car, nous l'avons évoqué précédemment, la scène Punk Rock de Chicago se développe plus tardivement que la scène Punk Rock londonienne ou même de Washington par exemple, pour comparer la situation à celle d'une ville du même pays. Hors, la situation est différente aux États Unis, notamment du point de vue des participants et de leurs cursus scolaires et universitaires. Il n'est ainsi pas rare que les 51 musiciens soient des jeunes issus des classes moyennes qui découvrent ce genre musical et cette culture dès le lycée mais s'y investissent grâce à leur arrivée dans une grande ville, comptant donc logiquement plus d'amateurs de musique Punk Rock, notamment à l'occasion de leur entrée à l'Université. La majorité de ces musiciens fréquentent d'ailleurs des facultés d'arts, de musicologie ou de journalisme. La scène de Chicago n'est ainsi pas en reste, des universités prestigieuses étant situées dans cette agglomération. Il est donc normal que de nombreux jeunes soient attirés par la ville, au départ pour leurs études mais, découvrant la scène locale, ceux-ci décident de s'y investir. Un exemple précieux nous est fourni par Steve Albini. Celui-ci quitte la ville de Missoula, dans le Montana, afin d'entreprendre des études de journalisme à Chicago, plus précisément à la faculté de Northwestern. Dès son arrivée, il se renseigne sur les différents groupes Punk Rock locaux, les lieux à fréquenter afin de voir des concerts intéressants.1 De plus, celui-ci est issu des classes moyennes puisque le père d'Albini est ingénieur, travaillant notamment sur les fusées. Albini n'est pas le seul exemple de musicien ayant déménagé afin de suivre des cours à l'université puisque Vic Bondi, chanteur de Articles Of Faith, déménage lui aussi à Chicago afin d'entreprendre des études d'Histoire. 2 De la même manière qu'Albini, la famille de Vic Bondi n'est pas à proprement parler issue des classes populaires, son père étant membre de l'armée américaine au grade de capitaine dans la marine. Enfin, un dernier exemple peut être donné en la personne de Santiago Durango. Ce guitariste, membre des Naked Raygun puis de Big Black, est le fils d'un docteur Colombien et a étudié les sciences politiques à l'université de l'Illinois. Ces trois personnes ne sont certes que des exemples mais ils prouvent bien que la scène de Chicago est composée de jeunes gens, la majorité du temps étudiants, issus des classes moyennes. Leurs formations universitaires ont d'ailleurs une influence sur leur musique et sur leurs activités au sein de la scène de Chicago. Tout d'abord, chacun utilise ses capacités afin de « servir » ce milieu musical et leurs ambitions artistiques de la meilleure des façons possible. Comme nous l'avons vu, Albini suit des études afin de devenir journaliste, il choisit ainsi, au-delà de ses activités dans différentes formations musicales, de s'investir dans des fanzines. Il devient ainsi 1 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, notamment les pages 313 et 314. 2 Extrait des mémoires de Ken Mierzwa, rédacteur pour le fanzine Coolest Retard concernant le milieu Punk Rock de Chicago au début des années 1980. http://kmier.net/mixed/punks5.html 52 rédacteur au sein du magazine Matter.3 De la même manière, Vic Bondi, étudiant d'histoire, se sert de ses connaissances afin d'écrire des paroles très politisées, rendant compte parfois des combats politiques passés. On peut ainsi dire que celui-ci, même s’il ne l'admet qu'à demi mot dans les interviews, notamment plus récentes, se considère comme un intellectuel qui aurait alors sa place dans le débat social et politique. D'un point de vue artistique, particulièrement de la musique, cette formation intellectuelle permet à ces jeunes musiciens de découvrir de nouvelles formes d'arts, de nouveaux artistes et surtout les inspire. Une fois de plus, Albini nous fournit un exemple marquant puisque celui-ci prend des cours divers et variés à l'université, notamment d'arts appliqués et de peinture4 (tout du moins leur équivalent dans les universités américaines). Hors, celui-ci choisit, pour son projet de fin d'année relatif à la validation de son semestre, de s'enfermer dans une cabine de verre et de provoquer les passants, incitant ces derniers à bombarder la cabine avec divers objets qui, une fois le jeune musicien sorti, deviendrait alors l’œuvre d'art. Cet épisode, documenté par Azerrad notamment, montre bien que, dès sa première année à l'université, Albini tente de créer un art basé sur la confrontation avec le public. Nous retrouverons cette particularité lorsque nous évoquerons les textes de Big Black. Enfin, les musiciens ayant entrepris des études de musicologie utilisent le plus naturellement leurs compétences au sein de leurs formations musicales. Nous avons connaissance du cas de Duane Denison, guitariste du groupe The Jesus Lizard. Celui-ci suit une formation musicale classique puisqu'il étudie la musicologie à la faculté du Michigan. Hors, son cursus se compose surtout de l'étude du Jazz, des musiques classiques, notamment grâce à la pratique de la guitare classique, et des musiques d'avant garde.5 Cette formation instrumentale et de composition lui sert alors afin de composer une musique unique dans son groupe. Celui-ci évoque par ailleurs le son dissonant de sa formation musicale et les réactions des amateurs tout comme de son entourage6 et confirme d'ailleurs que la dissonance des mélodies, notamment grâce à la 3 Comme le confirme l'ouvrage de Michael Azerrad mentionné en annexe bibliographique, notamment à la page 315. 4 Interview de Steve Albini réalisée en 2011 par un magazine internet, le Gothamist, basé à New York. Le musicien évoque les cours de peinture et son professeur, Ed Paschke. http://gothamist.com/2011/09/28/steve_albini.php 5 Interview avec Duane Denison réalisée en 1993 et publiée sur ce site le 30 janvier 2013 dans lequel celui ci évoque sa formation universitaire. http://smithlahrman.blogspot.fr/2012/01/interview-withduane-denison-february-3.html 6 Interview de Duane Denison réalisée par le magazine internet Guitar World, publiée le 22 juillet 2011, 53 guitare, n'est pas le fruit du hasard mais d'une volonté artistique ferme.7 Nous avons donc la preuve, pour ces artistes, que la formation universitaire et intellectuelle a opéré un rôle, plus ou moins important, sur leur démarche artistique et sur leur musique. Mais une fois de plus, il nous est indispensable de nuancer les propos que nous tenons. Tout d'abord, certains musiciens n'ont laissé une trace que peu importante. S’il est très facile de retrouver les noms de ces musiciens, notamment grâce à l'archivage sur internet de tous les membres des groupes ainsi que la durée de leurs passages au sein de ces mêmes formations, il est très difficile de se renseigner sur la vie de ces musiciens. De plus, il nous semble d'autant plus important de préciser que, malgré une formation universitaire, certains musiciens ne portent pas en grande estime l'université et l'enseignement qui y est dispensé. Nous prendrons une fois de plus l'exemple de Steve Albini, puisque, dans de nombreuses interviews, celui-ci remet en cause l'importance de l'université et de ce que l'on peut y apprendre et surtout de ce qu'il nomme les savoirs « académiques ».8 Ainsi, nous retrouvons une fois de plus la volonté de ces artistes de ne pas prendre pour acquis un savoir jugé trop « académique » et de remettre en cause le système déjà établi, que celui-ci soit scolaire, artistique ou, plus précisément, musical. De plus, il est à noter que dans cette même interview, Albini évoque les choses qu'il apprend alors qu'il est à l'université mais qu'il a appris de lui-même. Nous retrouvons ici une caractéristique du mouvement Punk Rock que nous avons évoqué plus haut qui est l'apprentissage par soimême. Hors, cette qualité est l'une des plus importantes selon Albini puisque, nous l'avons également découvert plus en amont dans notre développement, celui-ci apprend à enregistrer un album dans sa totalité par lui-même par exemple mais aussi à maîtriser des instruments de musique par le même moyen. Nous constatons donc que la formation universitaire des participants n'est pas, pour ceux-ci, une fin en soi. Elle leur permet une ouverture plus large d'esprit mais n'est pas se focalisant sur la pratique instrumentale de la guitare. http://www.guitarworld.com/interview-duanedenison-recalls-jesus-lizard-s-glory-days-creation-and-demolition 7 Dans l'interview mentionnée dans la note précédente, Duane Denison déclare : « Mon beau frère me disait :“Tu joues toujours les mauvaises notes.” Mais en réalité elles ne sont pas mauvaises, elles sont intentionnelles ». 8 Interview publiée par le magazine en ligne Gothamist dans laquelle Albini déclare notamment : «J'ai appris beaucoup de choses lorsque j'étais à l'université, je ne dis pas le contraire, mais pas grand chose de ce que j'y ai appris était académique et encore moins de cela m'a été enseigné. J'ai appris la plupart de ce que j'ai appris par moi même » http://gothamist.com/2011/09/28/steve_albini.php 54 portée en très haute estime et n'est pas définie comme une valeur importante et centrale de ce milieu. En effet, le milieu Punk Rock, national ou local, comme c'est le cas ici, ne met pas au centre de ses valeurs une éducation passive mais l'auto apprentissage comme nous l'avons vu dans notre première partie. b. La question du genre au sein de la scène Punk Rock de Chicago. Nous allons dans cette partie nous intéresser à la question du genre, dans la tradition notamment des cultural studies qui accordèrent une grande place à l'étude des femmes et de leur rôle. Car le mouvement Punk Rock est un phénomène culturel en majorité masculin, dans sa dimension internationale, nationale ou régionale. Steven Blush, dans son ouvrage sur le Hardcore Punk américain, confirme d'ailleurs cela à de nombreuses reprises.1 Les groupes, acteurs et amateurs de cette musique sont en grande partie des jeunes hommes, notamment à Chicago. Un exemple parlant est la répartition entre les deux sexes au sein des quatre groupes principaux de la ville, c'est à dire The Effigies, Naked Raygun, Articles Of Faith et Big Black. Hors, il est frappant de constater qu'aucune de ces formations ne comporte de musiciens de sexe féminin sur vingt-cinq au total. Les chiffres semblent alors parler d'eux-mêmes. Nous allons donc tout d'abord tenter d'apporter des éléments de réponse à la question suivante : pourquoi ce genre musical, à Chicago ou ailleurs, est il si majoritairement masculin ? La première réponse est la violence musicale. En effet, le Punk Rock est un mouvement musical violent qui appelle une réaction violente, notamment lors des concerts. Des phénomènes de danses, baptisés Moshing, naissent alors. Cette pratique, brutale, consiste la plupart du temps à se jeter les uns contre les autres, à se bousculer mais également à se jeter depuis la scène sur les autres spectateurs afin de «surfer » sur ces derniers. Blush, dans son ouvrage intitulé American Hardcore, une histoire tribale explique que les concerts se finissent la plupart du temps en bagarres. 2 À Chicago, Ken Mierzwa évoque lui aussi la fosse et la violence qui y prend place, précisant qu'il n'était 1 À la page 72 de son ouvrage, Blush nous dit « Le Hardcore était une subculture où les hommes étaient majoritaires ». 2 À la page 73 de son ouvrage, Blush insiste sur le fait que les concerts « finissaient en moulons ou en bagarres ». 55 pas rare que des photographes refusent de s'avancer sous peine de voir leurs appareils photos détruit par certains danseurs trop violents.3 Il est alors évident que les jeunes hommes trouvent, grâce à ces pratiques, un moyen de se défouler et de mettre en avant leur virilité, trouvant alors une manière de découvrir leur corps grâce à ces pratiques physiques et assez violentes. La violence physique lors des concerts semble alors être un premier frein à l'investissement des femmes au sein du mouvement Punk Rock. Mais est ce le seul frein existant ? Il semble en effet, tout du moins à première vue, que les paroles de certaines formations originaires de Chicago soient particulièrement violentes à l'égard des femmes. Une fois de plus, la figure de Steve Albini et de ses groupes, Big Black et Rapeman, se retrouvent au centre de notre analyse. Nous pourrions nous contenter dans un premier temps d'évoquer le simple nom de ce second groupe, Rapeman, c'est à dire « l'homme violeur », nom issu d'une bande dessinée japonaise. Le personnage principal, nommé Rapeman, est une sorte de super héros inversé dont la profession est de violer les gens. Albini ainsi que le batteur du groupe, Ray Washam, tombèrent sous le charme de ce héros et décidèrent de nommer le groupe Rapeman.4 Le fait que le nom de cette formation porte un appel si clair au viol peut en effet être perçu, à très juste titre, comme une violence morale vis-à-vis des femmes. Le premier groupe de Steve Albini, Big Black, comporte lui aussi son lot d'attaque envers les femmes, notamment par l'intermédiaire des paroles. Les paroles de « Precious Thing »5, présent sur l'album Songs About Fucking sont en effet particulièrement explicites. Dès les premières secondes, Albini déclare : « Je voudrais nouer tes cheveux autour de ton cou tel un nœud coulant » et celui-ci de continuer « Tu es ce que j'ai de précieux, tant que tu restes en dessous de moi »6. Il semble alors que, face à des attaques physiques, dans la fosse 3 Au sein de ce blog recensant les mémoires de Ken Mierzwa, celui-ci évoque dans cette page certains concerts ayant eu lieu durant l'année 1981. Parlant de la violence à l'intérieur de la fosse durant les concerts, il dit : « Généralement, j'étais le seul de l'équipe [de rédacteurs et photographes du fanzine] assez fou pour m'aventurer à travers les slam dancers et me mettre devant la scène pour prendre de bonnes photos. » http://kmier.net/mixed/punks5.html 4 Nous nous basons ici sur cette interview issue du livre Rock Names écrit par Adam Dolgins en 1993. Ce livre s'intéresse, grâce à de nombreuses interviews, au nom des groupes et notamment à l'impact qu'ils ont eu sur la carrière des musiciens, la manière dont ces patronymes ont été trouvé et bien d'autres choses. Ici, l'extrait propose l'interview de Steve Albini qui explique le choix des noms de ses deux premiers groupes, Big Black et Rapeman. http://www.petdance.com/actionpark/bigblack/press/rocknames.php 5 Voir annexe discographique, piste n°5. 6 Site de partage de paroles sur internet, celles ci ayant été consultées sur plusieurs sites et à l'oreille notamment, pendant l'écoute de l'album. http://lyrics.wikia.com/Big_Black:Precious_Thing 56 durant les concerts, et à des attaques morales, notamment par l'intermédiaire des paroles de groupes parmi les plus respectés du milieu Punk Rock de Chicago, les femmes soient condamnées à ne pas tenir de rôle important. Hors, il n'en est rien et c'est bien cela que nous allons tenter de prouver. Car, nous l'avons vu, les formations musicales d'Albini semblent de premier abord se répandent en attaques envers les femmes. Hors, il s'agit ici de remettre au centre de notre explication plusieurs points. L'un d'entre eux est que ces attaques ne sont pas fréquentes. Les thèmes abordés par ces musiciens sont variés et vont de la violence envers les femmes jusqu'à la pédophilie, en passant par la violence physique ou même la vie dans une petite ville d'un état rural du Middle West. Il n'est alors pas exact de voir ces groupes comme la tribune d'une attaque sexiste permanente. Il est d'ailleurs assez intéressant de constater que Albini fut à de nombreuses reprises confronté à ces paroles, notamment au cours d'interviews. Celui-ci défendit souvent son œuvre d'une manière pour le moins originale. En effet, il ne renie pas les paroles sexistes prononcées, bien au contraire, et les assume parfaitement. Sa position paraît surprenante mais semble compréhensible, tout du moins c'est ce qu'il affirme. Albini déclare que la parole n'est pas si importante tant que ses convictions personnelles demeurent inchangées et il lui est donc permit de dire ce qu'il veut afin, non seulement de choquer, mais également de faire avancer la situation en attirant le regard de certains auditeurs sur des problèmes de société. De plus, celui-ci estime qu'en tant que féministe convaincu, il peut dire ce qu'il souhaite sur les femmes tant que ses convictions profondes ne changent pas. En somme, tant que les convictions de l'artiste, qu'il soit musicien, écrivain, philosophe ou peintre, sont connues par tous, il peut dire ce qu'il lui plaît tant que cela reste logique artistiquement et que cela n'influe pas sur sa manière de penser.7 Nous pourrions discuter ici de l'importance de ce mode de pensée mais il en sera question dans une autre partie d'explication. Ce qui est central au sein de notre explication est que Albini se défend d'être sexiste et se définit au contraire comme un féministe convaincu. Malgré cette explication, la violence des paroles reste forte et peut être un frein à l'investissement des femmes au sein du mouvement Punk Rock, 7 De nombreuses interviews rendent compte de la pensée d'Albini, notamment par rapport aux paroles violentes vis à vis des femmes qui créèrent des réactions assez fortes, surtout au Royaume Uni. L'ouvrage de Michael Azerrad livre des pistes de réflexion aux pages 324, 325 et 326. Tout comme l'interview suivante, datée du 5 juillet 1988, réalisée pour le fanzine Cult of the dead cow : http://www.cultdeadcow.com/cDc_files/cDc-0084.txt 57 notamment si Big Black n'est pas un cas isolé. Hors, et c'est ici notre second point, c'est le cas puisque les autres groupes les plus importants n'écrivent et ne revendiquent aucun texte violent spécifiquement envers les femmes. Ce frein de la violence verbale envers les femmes ayant disparu, grâce à l'absence notable de textes sexistes chez la majorité des formations Punk Rock de Chicago, il nous semble logique de chercher des raisons qui pourraient pousser celles-ci vers le mouvement Punk Rock. Hors, comme l'ont très justement prouvé de nombreux chercheurs, les femmes se sont investies massivement au sein du mouvement Punk Rock. Nous l'avons vu, ce mouvement prône la libération et l'émancipation, notamment artistique. Les femmes vont s'emparer de cette énergie artistique afin de s'émanciper, notamment sexuellement et socialement durant les années 1970 et 1980.8 Il n'est d'ailleurs pas surprenant que le Punk Rock soit choisi par de nombreuses femmes pour se faire entendre sur le plan social, sexuel, ou artistique par exemple. Nous l'avons vu à de nombreuses reprises, le Punk Rock est un mouvement qui porte en sa base la volonté d'une action possible pour tous. Hors, les femmes, malgré l'importance des mouvements féministes des années 1970 aux États Unis, restent une part de la société qui a une voix moins facilement audible au sein de celle-ci. Elles trouvent alors grâce à cette culture un moyen d'apprendre à connaître leur condition physique et sexuelle, leur corps mais aussi leur place dans la société. Nous pouvons donc affirmer que le mouvement Punk Rock est l'un des moyens que les femmes utilisent, de la même manière que les hommes, afin de s'exprimer mais qu'il englobe une seconde signification, libéralisante d'un point de vue social principalement, pour celles-ci. Il est donc tout à fait logique que de nombreuses femmes s'investissent dans ce mouvement et deviennent musiciennes. Les exemples ne manquent pas en effet puisque certaines figures les plus importantes de ce mouvement sont en effet des femmes. Nous pourrions prendre pour exemple Lydia Lunch, musicienne de New York qui forma notamment Teenage Jesus And The Jerks et dont l'influence fut centrale pour des groupes tels que Sonic Youth. D'autres musiciennes, comme Siouxsie Sioux, chanteuse du groupe Siouxsie and the Banshees, utilisent le Punk Rock comme une manière de prendre conscience de leur condition sexuelle notamment par l'intermédiaire 8 Nous consulterons l'article de Julia Downes, intitulé « The Expansion of Punk Rock: Riot Grrrl Challenges to Gender Power Relations in British Indie Music Subcultures » qui nous livre dans sa première partie d'article un excellent résumé sur la condition des femmes au sein du mouvement Punk Rock. Cet article est cité dans notre annexe bibliographique. 58 d'une tenue scénique comportant des vêtements en cuir et des lanières. Le Punk Rock et son style, tenue scénique, attitude, maquillage, sont alors une part importante et nécessaire de l’émancipation sexuelle de ces chanteuses dont Siouxsie Sioux est un exemple parmi les plus connus et les plus intéressants. La dimension sexuelle du Punk Rock est en effet très importante pour les femmes puisque la libéralisation vis-à-vis du sexe pour les hommes est antérieur au mouvement Punk et existe depuis la reconnaissance d'artistes tels que David Bowie par exemple. Celui-ci permet aux hommes de se libérer vis-à-vis de leur image très sexuée et basée sur la virilité, notamment grâce à l'utilisation de tenues scéniques très androgynes. De leur côté, les femmes s'investissant dans le milieu Punk Rock se lancent dans un processus contraire et affirment, grâce à des tenues scéniques comportant une forte connotation sexuelle, leur volonté de liberté. Nous venons de citer deux exemples de musiciennes, impliquées dans le mouvement Punk Rock, dans deux pays différents mais notre travail porte sur la ville de Chicago. Il convient donc de se demander si des acteurs de sexe féminin ayant une importance centrale existent à Chicago. Hors, il n'existe rien de tel pour la scène Punk Rock de Chicago. Nous l'avons dit précédemment, aucune femme ne fait partie des groupes les plus importants de la scène Punk Rock de cette ville. Peu d’entre elles sont également présentes au sein des rédactions de fanzines, au sein des radios ou même dans le public se rendant aux concerts. Le site communautaire punkdatabase.com9 lui-même ne cite quasiment aucun nom féminin parmi la liste des personnages les plus importants présente sur la page d'accueil du site. Parmi les sources que nous avons utilisé durant notre mémoire, les mentions de femmes font souvent références à des musiciennes ne venant pas de la ville de Chicago mais de l'extérieur comme Siouxsie Sioux ou Lydia Lunch par exemple. Il semble donc que les femmes tiennent un rôle bien moins important au sein de la scène Punk Rock de Chicago qu'au sein de celle de New York ou de Londres. Nous pourrions être tenté d'avancer plusieurs éléments de réponse à la question suivante : pourquoi les femmes n'ont elles pas tenues de rôle plus important au sein du mouvement Punk Rock de Chicago ? La réponse la plus évidente semble être l’absence de jeunes femmes assez intelligente et talentueuse pour s'imposer avec assez de force 9 Site communautaire ayant pour but de rassembler le plus d'informations possible sur la scène Punk Rock de Chicago. http://punkdatabase.com/wiki/Main_Page 59 afin de laisser une trace importante au sein de cette scène. Mais un autre élément de réponse, peut être plus intéressant, est également à mettre en lumière. En effet, Julia Downes, dans l'article que nous avons évoqué dans ce même paragraphe, parle de l'importance d'une historiographie du Punk Rock ayant donné une place trop centrale aux hommes, plaçant au sommet de ce courant musical la figure du jeune musicien mâle comme l'archétype du représentant de ce même mouvement. Hors, il est possible que la scène de Chicago, encore peu étudiée par les chercheurs, soient victimes de cette approche et que le faible nombre de sources n'aident en rien les chercheurs à se pencher sur la situation des femmes au sein de ce milieu. Il est cependant clair que nos sources ne nous donnent aucun moyen d'éclairer cette situation autrement qu'en formulant des hypothèses que nous ne développerons pas plus en avant que ce que nous venons de faire. Il nous semble qu'il est au cœur de la mission d'historien de discuter des faits grâce à des preuves qui, dans ce cas, sont inexistantes. Nous venons de voir que les femmes tiennent un rôle mineur dans la vie du mouvement Punk Rock dans la ville de Chicago. Qui sont alors les musiciens et acteurs de ce même mouvement qui ont la plus grande influence ? c. Des figures centrales Au cours de cette partie de notre développement nous nous attarderons plus spécifiquement sur les figures centrales de la scène Punk Rock de Chicago, principalement des musiciens mais sans toutefois nous limiter à ces derniers. Il n'aura pas échappé au lecteur au cours de notre analyse que la mention de certains personnages est récurrente. Il s'agit la plupart du temps d'acteurs ayant une place de première importance au sein de la scène Punk Rock et c'est ceux-là même qui constituerons la partie centrale de notre analyse. Il est tout d'abord frappant de constater qu'à de nombreuses reprises, ceux-ci sont des musiciens, leaders des groupes les plus importants du milieu Punk Rock de Chicago. Ils sont ainsi le membre le plus important d'un des groupes les plus importants de la ville. Au sein de leurs formations musicales, ceux-ci composent la majorité des créations musicales, s'occupent des relations avec la presse, notamment lors des interviews et prennent en charge une part importante des responsabilités économiques, juridiques ou même administratives. 60 Nous allons tenter de voir si nous pouvons définir quelques schémas généraux afin de comprendre de quelle manière ces musiciens réussissent à accéder à une certaine popularité au sein de la scène Punk Rock de Chicago, réputation qui peut parfois dépasser les limites de la ville. Le premier cas que nous allons étudier est celui d'un musicien ayant fait partie de nombreuses formations. L'exemple que nous avons choisi est celui de Santiago Durango puisque ce musicien fait partie au cours de sa carrière de plusieurs groupes dont le premier est Silver Abuse qui ne laisse que peu de traces de son existence puisque seul un disque sept pouces est enregistré par le groupe. C'est cependant en rejoignant Naked Raygun que Santiago Durango accède au succès, ou tout du moins à la reconnaissance au sein de la scène Punk Rock de Chicago. Naked Raygun étant dès le début des années 1980 un groupe très reconnu par ses pairs. Michael Azerrad évoque d'ailleurs la réputation de Durango dans son ouvrage, le décrivant comme une sorte de célébrité locale.1 Enfin, Santiago Durango quitte Naked Raygun dès 1983 pour se concentrer à plein temps sur le dernier groupe qu'il rejoint, à savoir Big Black, au sein duquel il prend le poste de guitariste et chanteur de 1983 à 1987. Ce qui rend ici populaire au sein de ce milieu si fermé ce musicien est le fait qu'il participe à de nombreux groupes qui sont, de plus, de première importance pour le mouvement Punk Rock au sein de la ville de Chicago. Une autre façon d'être reconnu par les acteurs du milieu Punk Rock est de multiplier les rôles et de ne pas se contenter d'être uniquement un musicien. Cela est en effet perçu comme le signe d'une volonté d'intégration importante. L'investissement en temps est également un gage de respect et l'acteur en question peut rapidement devenir une figure centrale et indispensable pour la scène selon les rôles qu'il décide de prendre en charge. Steve Albini nous fournit une fois de plus un exemple indispensable puisqu'il est la figure de l'acteur aux rôles multiples que la scène de Chicago compte dès le début des années 1980. Tout d'abord, son rôle de musicien aux seins de Big Black et Rapeman, deux formations importantes, tant au niveau local que national, le pousse incontestablement dans ce rôle d'artiste central pour le milieu Punk Rock de la ville. Hors, Albini tient d'autres rôles importants au sein de la scène Punk Rock de Chicago. Parmi ceux-ci, celui de rédacteur de fanzine au sein de Matter, un périodique local. À 1 Voir dans l'ouvrage de Michael Azerrad, notamment aux pages 316 et suivantes, documentant la rencontre entre Steve Albini et Santiago Durango. 61 cela s'ajoute également son rôle en tant qu'ingénieur du son qu'Albini développe en parallèle des enregistrements de ses propres formations musicales afin de donner à sa musique la puissance sonore qu'il désire. Enfin, celui-ci gère un label qu'il n'a pas fondé, Ruthless Records, fondé en 1981 par les membres du groupe The Effigies. Cependant, Albini prend le contrôle du label dès 1985 lorsque le groupe fondateur du label, The Effigies, signe chez Enigma Records, un label Californien mieux distribué sur le territoire américain. Albini aide donc les groupes signés sur le label, peu nombreux certes, à gérer la distribution européenne de leurs disques, à créer des pochettes originalles pour leurs albums et bien plus. Albini nous propose ici l'exemple type d'un acteur de la scène Punk Rock qui n'a pas voulu se cantonner à un seul rôle mais tenter d'aider du mieux possible celle-ci, en utilisant toutes ses capacités. Cependant, même lui admet que les nombreux rôles qu'il occupe furent parfois trop chronophages, celui-ci ayant jusque 1987 un emploi à temps plein en tant que retoucheur photo.2 Enfin, une troisième manière de devenir une figure reconnue au sein de la scène Punk Rock de Chicago est tout simplement d'être un personnage original, ayant des idées à contre courant des autres acteurs. L'un de ces exemples est le chanteur et principal compositeur du groupe Articles Of Faith, Vic Bondi. Celui-ci devient une figure reconnue du milieu Punk Rock de Chicago notamment grâce à son groupe mais surtout grâce à ses prises de positions politiques très fermes, tant durant les interviews qu'au sein des textes qu'il écrit. Une part de notre démonstration étant spécifiquement centrée sur les groupes engagés politiquement au sein du milieu Punk Rock de Chicago, nous reviendrons sur ces thèmes dès la partie suivante. Cependant, afin de continuer notre démonstration, Vic Bondi devient un acteur de premier plan non seulement grâce à ses prises de positions politiques très fermes mais également grâce aux qualités musicales de ses compositions. Il est donc notable que sa reconnaissance au sein du milieu Punk Rock de Chicago vienne non seulement de son originalité mais aussi de ses capacités musicales. Nous allons ainsi nous demander si d'autres explications ne sont pas nécessaires afin de comprendre pourquoi certains acteurs occupent une place si primordiale au sein de ce milieu. 2 Dans l'ouvrage de Michael Azerrad, l'auteur ainsi qu'Albini décrivent l'emploi du temps trop chargé de ce dernier aux pages 334 et 335. Albini va même jusqu'à dire « C'était stupide de ma part de m'embarquer là-dedans » en parlant du label Ruthless Records. 62 Tout d'abord, il convient de montrer que ce phénomène n'est nullement original à la scène de Chicago ni même au milieu Punk Rock. Tout mouvement culturel comporte des chefs de file et en réalité ces personnages que nous avons cité ne sont que des acteurs du milieu Punk Rock de Chicago dont l'influence est plus importante sur ce même milieu et dont le point de vue ou la démarche artistique sont plus respectés. Nous pourrions en effet être tenté de placer le mouvement Punk Rock à part de cette logique puisque ce courant artistique tente de rompre, c'est du moins sa volonté première, avec les autres formes artistiques. Hors il n'en est rien et les exemples sont nombreux. La liste de noms décrite plus en amont de notre démonstration en est un tout aussi parlant que ceux que nous allons exposer. Ainsi, la scène Punk Rock de Washington se construit autour de figures centrales parmi lesquelles des musiciens, comme Guy Picciotto qui est le dénominateur commun de nombreux groupes parmi les plus connus de la ville, ou des acteurs cumulant les responsabilités comme Ian MacKaye, musicien mais aussi directeur de label, organisateur de concerts et archiviste autoproclamé de la scène Punk Rock de la capitale des États Unis. Notre première explication est donc que le Punk Rock, comme tout mouvement artistique ou culturel, a besoin de chefs de file et de figures centrales afin de se construire autour de certaines valeurs, que celles-ci soient philosophiques, artistiques, politiques ou autre, qui sont souvent définies, consciemment ou non, par ces acteurs centraux. Notre seconde explication est liée aux prises de position, parfois très fortes, de certains de ces acteurs centraux pour la scène Punk Rock. En effet, nous l'avons dit, ces figures centrales inspirent ce milieu artistique et le modèlent de différentes manière. Hors, il n'est pas rare que ces musiciens donnent leur avis et ce notamment au cours des interviews. Ces avis peuvent concerner des groupes de musique locaux, nationaux voir étrangers mais aussi des personnalités politiques, artistiques. En réalité, la plupart des interviews traitent en grande partie de cela, puisque l'avis des musiciens sur de nombreux points semblent être une préoccupation importante des lecteurs et des rédacteurs. Nous renvoyons le lecteur à la grande majorité des interviews disponibles dans notre bibliographie afin de constater nos dires. Hors, de nombreuses figures centrales de la scène Punk Rock de Chicago sont connues notamment pour leurs prises de position extrêmement fermes sur des points précis, artistiques ou économiques par 63 exemple. Steve Albini, dans son édito qui n'avoue pas son nom intitulé « Tired of ugly fat ? » au sein du magazine Matter, critique de nombreux musiciens comme Al Jourgensen fondateur du groupe local Ministry3. Au cours de plusieurs interviews, celuici donne son avis sur l'industrie musicale mais aussi sur des formations musicales locales ou nationales.4 De la même manière, l'importance de Vic Bondi, la dimension politique de ses paroles ainsi que la nature des questions qui lui sont posées durant les interviews trahissent la volonté de connaître le point de vue de ce musicien. 5 Ce que cela nous apprend est en réalité le besoin de la part de la scène Punk Rock d'une figure proche de l'intellectuel engagé. En effet, il s'agit pour les lecteurs de s'identifier à ces artistes qui, grâce à leur manière de voir le monde musical, l'économie musicale et parfois même le monde dans sa généralité, fournissent une sorte de code conduite. Nous pouvons même aller plus loin dans notre raisonnement en estimant que les figures centrales que nous avons évoqué sont nécessaires au développement du mouvement Punk Rock puisqu'elles modèlent ce milieu non seulement par leur action artistique mais également par leurs idéaux, leurs créations et leurs prises de parole. Il semble donc que ces acteurs centraux, proches des intellectuels engagés toute proportion gardée, soient responsables localement de l'évolution artistique, musicale et parfois même économique. Théorie qui semble confirmée par les évolutions différentes constatées entre la ville de Chicago et la ville de Washington. Nous l'avons vu, il est difficile de citer une seule figure centrale pour la scène de Chicago puisque de nombreux acteurs, parfois avec des convictions différentes sont à l’œuvre dans cette ville. Hors, il est également marquant que nous ayons constaté au cours de notre première partie, qu'il était difficile voir impossible d’identifier un « son Punk Rock de Chicago ». Hors, la scène Punk Rock de Washington comporte plusieurs figures centrales mais elle compte également un personnage qui est unanimement reconnu comme au centre de celle-ci en la personne de Ian MacKaye6. Celui-ci modèle 3 Voir à la page 315 de l'ouvrage de Michael Azerrad. 4 Au cours de cette interview aec Simon Reynolds publiée à l'origine dans le Melody Maker au cours de l'année 1987, Albini décrit le fait de signer chez un label important comme une « stupidité » par exemple : http://reynoldsretro.blogspot.fr/2008/04/big-black-interview-melody-maker-1987.html 5 Au cours de cette interview d'Articles Of Faith publiée à l'origine dans le fanzine Suburban Voice au mois de juillet 1984, la majorité des questions portent sur la dimension politique des paroles du groupe qui expliquent de fait leur point de vue au journaliste. http://www.killfromtheheart.com/interviews.php?id=4 6 Notre étude ne concernant pas la scène Punk Rock de Washington, nous renvoyons le lecteur à l'excellent chapitre consacré à Fugazi dans l'ouvrage de Michael Azerrad ainsi qu'au chapitre consacré à la scène de Washington dans l'ouvrage de Steven Blush. 64 l'ensemble de ce milieu grâce à ses positions économiques, son rôle dans deux formations musicales parmi les plus importantes de la ville et son label, Dischord Records. De plus, les autres personnages les plus importants ne prennent pas des positions différentes à Ian MacKaye mais complémentaires voire identiques. Hors, il est frappant de constater que les groupes Punk Rock de Washington ont une identité musicale et sonore marquante et très proche. De nombreux spécialistes parlent même du « Son Hardcore de DC7 ». Nous pouvons donc au moins estimer que les figures centrales sont indispensables à la formation de la scène Punk Rock puisque, comme tout mouvement artistique ou culturel, celui-ci en a besoin. Pour preuve, nous pouvons mettre en avant le fait que, dès 1985 et 1986, la situation évolue. En effet, la séparation d'Articles Of Faith et le départ de Vic Bondi qui quitte Chicago prive la scène d'une figure de premier plan mais qui s'était fait la voix d'une autre vision du Punk Rock, partagée par une très faible portion de la scène locale. Hors, ce départ ainsi que l'importance de nouveaux acteurs centraux parmi lesquels Corey Rusk, directeur du label Touch And Go, installé à Chicago depuis 1983 et qui, à partir de 1987 et la signature de Big Black à l'occasion de la sortie du disque Heartbeat. Ces deux faits conjugués, c'est à dire la disparition d'une figure importante et la montée en puissance de nouvelles figures centrales, musicales ou non, au sein de la scène ouvre d'ailleurs, dès le début des années 1990, une nouvelle époque pour la scène Punk Rock de Chicago. Cependant, ces changements drastiques ne concernent pas notre étude puisque ceux-ci ne sont non seulement pas inclus dans nos bornes chronologiques mais relèvent également d'une scène empruntant autant au Punk Rock qu'à d'autres mouvements musicaux. 2. Le discours politique Le Punk Rock, notamment durant les années 1980, est emprunt d'une coloration politique, cette décennie voyant arriver au pouvoir Ronald Reagan, conservateur qui met au centre de sa politique une image forte, militarisée et impérialiste de son pays. Hors, de nombreux artistes engagés dans le courant Punk Rock trouvent dans la musique un moyen de faire exister une critique politique forte. Nous allons donc au sein 7 Voir notamment l'ensemble des ouvrages sur le Punk Rock, dont celui de Michael Azerrad et Steven Blush qui évoque une identité musicale forte, propre au mouvement Punk Rock de Washington, représenté par des groupes tels que Fugazi ou Minor Threat. 65 de cette partie nous attarder sur les dimensions politiques du milieu Punk Rock de Chicago. a. Les groupes engagés politiquement au sein de la scène Punk Rock de Chicago Le Punk Rock est un mouvement culturel et musical qui, dès ses premières années d'existence a été utilisé afin de faire passer des messages politiques, construits ou non. Les Sex Pistols eux même, malgré le fait qu'aucun de leur morceau ou de leurs interviews ne prouvent qu'ils n'aient eu un discours politique réfléchi, peuvent être qualifié tout de même de groupe politique. En effet, le morceau « God Save The Queen »1 enregistré en 1977, année du vingt-cinquième anniversaire de règne d’Élisabeth II, remet en cause le système politique du Royaume-Uni, à savoir la monarchie constitutionnelle. Mais plus qu'une réelle remise en cause construite du système politique de leur pays, il faut surtout voir dans ce morceau une posture antisystème visant à démontrer l'incapacité de certains jeunes à s'adapter à une société jugée trop archaïque et dont la Reine semble être l'un des symboles. Il n'est alors pas surprenant que d'autres formations musicales utilisent le Punk Rock afin de transmettre un message politique. Aux États Unis, les groupes politisés, en partie ou non, sont nombreux. Parmi ceux-ci nous pouvons citer le groupe californien Dead Kennedys, fondé à San Francisco en 1978. Les paroles du groupe entendent critiquer de nombreux éléments parmi lesquels les changements ou plutôt les non évolutions sociales et économiques de l’Amérique des années 1980, présidée par le président républicain Ronald Reagan. Ainsi, des morceaux tels que « Kill The Poor » ou « California Über Alles »2 présentent des paroles critiquant les hommes politiques et les inégalités sociales et économiques.3 Il n'est donc pas étonnant de constater qu'au sein de la scène Punk Rock de Chicago, des formations musicales suivent le même chemin en tentant de faire passer un 1 Voir annexe discographique, piste n°6. 2 Voir annexe discographique, piste n°7. 3 Nous nous reporterons aux paroles de ces deux morceaux présents sur le site officiel des Dead Kennedys :http://www.deadkennedys.com/albums_fresh.html#1 « Kill The Poor » s'attarde notamment sur les dérives du système capitaliste tandis que « California Über Alles » est une critique du gouverneur californien Jerry Brown en fonction de 1975 à 1983. 66 message politique. L'exemple que nous étudierons est celui de Articles Of Faith, groupe fondé en 1981 et séparé en 1985. Celui-ci est fondé par Vic Bondi, principal compositeur et parolier du groupe ainsi que chanteur et guitariste. La tendance de cette formation est la gauche politique assumée puisque les membres du groupe le revendique clairement durant leurs interviews.4 Le but affiché d'Articles Of Faith est de convaincre, notamment grâce aux paroles, du bien fondé des valeurs politiques prônées par ces musiciens. Cela semble même aller plus loin puisque la politique fait partie intégrante du projet artistique de cette formation, les paroles mêlant alors, selon eux, textes personnels et politiques. Au cours d'une interview, ceuxci déclarent « toutes nos chansons sont très personnelles, mais la politique fait grandement partie de notre personnalité »5. Nous pouvons ainsi dans un premier temps déclarer sans aucune ambiguïté que le message politique est tout d'abord central pour cette formation mais qu'il est également vécu comme une volonté personnelle. Il aurait en effet été possible que l'auteur des textes écrivent ces derniers sans en faire part au groupe et sans mettre en commun ses convictions avec les autres musiciens hors il n'en est rien, ces idées politiques étant partagées par l'ensemble des membres du groupe. Un autre fait que nous pouvons écarter est celui selon lequel la musique passerait au second plan, rendant alors le message plus important que celle-ci. Le style musical n'aurait alors aucune importance et les musiciens pourraient tout aussi bien se contenter de jouer du Rock Psychédélique ou du Punk Rock sans que cela n'ait aucune importance. Hors, il n'en est rien puisque Vic Bondi décrit dans les termes suivants le projet de base ayant donné naissance à Articles Of Faith : « L'idée était que nous détruisions les conventions musicales de la même manière que nous détruirions les conventions fédérales »6. La qualité politique et la dimension musicale du projet artistique ne font alors qu'un et sont ainsi liées entres elles. Il semble donc que les deux soient indissociables de l'entité Articles Of Faith. Attardons-nous maintenant sur les thèmes développés par ce groupe. Ceux-ci 4 Dans cette interview publiée par le magazine en ligne Scanner Zine que nous avons choisi parmi les nombreuses du groupe qui évoque leur ligne de conduite politique, Vic Bondi déclare « Joe [Scuderi, guitariste du groupe] et moi sommes de la gauche » http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm 5 Voir cette interview donnée au fanzine Suburban Voice, dans le numéro 11 sorti en juillet 1984. http://www.killfromtheheart.com/interviews.php?id=4 6 Voir cette interview publiée le 14 mai 2008 sur le blog You Breed Like Rats durant laquelle Vic Bondi revient sur sa carrière. http://youbreedlikerats.blogspot.fr/2008/05/vic-bondi-from-articles-offaith.html 67 restent similaires aux thèmes évoqués par les groupes de Punk Rock politisés américains ou même britanniques. Le pacifisme est l'un des thèmes évoqués par la formation, notamment par le morceau « Buy This War »7, enregistré en 1983, qui critique les conflits armés et notamment le sacrifice des conscrits ainsi que la politique impérialiste des États Unis durant les années de Guerre Froide, 1983 correspondant à une année de durcissement des relations diplomatiques entre l'URSS et les USA.8 Un second élément souvent critiqué et mis en lumière par les textes de Vic Bondi est l'aliénation de l'individu et la société de consommation. En effet, le mode de vie américain, fondé selon ces musiciens, sur la consommation massive, est critiquable et aliène l'individu de ses véritables envies. Nous le voyons particulièrement dans le morceau « What We Want Is Free » enregistré en 1982. Voici des extraits choisis tirés de celui-ci : « Je n'ai pas besoin de la production de masse », « Je ne passerai pas ma vie à payer » ou bien « production de masse, marché de l'esclavage ». Au cours d'interviews, Vic Bondi expliquent plus en avant cela, précisant que le marché économique force les travailleurs à abandonner leurs passions, leurs envies et leur identité au profit de leur métier afin d'avoir un salaire plus important.9 Le groupe se positionne donc comme le révélateur des problèmes de la société américaine et a donc une mission double. La première est une mission artistique qui est de changer le monde musical en proposant une musique nouvelle. Cette volonté est en réalité très similaire à celle de la grande majorité des formations de Punk Rock. La seconde est celle de changer la société grâce à un message critique politique et social. Le cas de l'art engagé est toujours intéressant, notamment vis-à-vis des réactions qu'il suscite. En l’occurrence, Articles Of Faith est difficilement accepté par le milieu Punk Rock de Chicago. Les musiciens eux-mêmes semblent renier leur appartenance à la scène locale, expliquant qu'ils se sentent plus proches d'autres formations venant d'autres villes. Vic Bondi, dans une interview revenant sur l'intégralité de sa carrière 7 Voir annexe discographique, piste n°8. 8 Les paroles de ce morceau sont disponibles sur ce site d'archivage de paroles de la scène Punk Rock de Chicago : https://files.nyu.edu/cch223/public/usa/lyrics/aof_core.html Nous prendrons en note cet extrait : « la sécurité nationale est ce dont nous avons besoin pour nous sentir libre/ Quelqu'un doit saigner [pour cela] » 9 Ceci est évoqué dans l'interview suivante, donné par le groupe au mois de juillet 1984 pour le fanzine Suburban Voice :http://www.killfromtheheart.com/interviews.php?id=4. Nous prendrons plus précisément en note le passage suivant durant lequel Vic Bondi parle des employés de compagnies financières : « Le fait est que cela [le métier d'homme d'affaires] devient votre nouvelle identité.] 68 déclare ceci: «Peut-être que nous nous serions mieux intégrés à [Washington] DC» 10. De la même manière, Vic Bondi critique l'attitude des musiciens de cette ville, notamment leur volonté de se rapprocher de milieux artistiques trop éloignés des difficultés politiques et sociales que connaît le pays à la même époque.11 Cette différence entre les groupes principaux de la scène Punk Rock comme The Effigies ou Naked Raygun et Articles Of Faith est telle que bientôt ces derniers doivent organiser eux même leurs concerts sous peine de ne plus pouvoir en donner. En effet, Vic Bondi précise que certains groupes refusent de les aider en leur demandant de faire leur première partie. Comme le précise d'ailleurs le leader d'Articles Of Faith: «Quand, au départ, j'essayais de m'intégrer à la scène de Chicago, j'ai pensé qu'ils [The Effigies] m'aideraient mais c'était le contraire»12. Naturellement, nous avons ici l'exemple d'un seul groupe mais il est notable que dans d'autres entretiens celui-ci ne cite quasiment aucun groupes de la ville lorsqu'on lui demande de quelles formations il se sent proche. Dans une interview, Bondi déclare qu'il a dû créer une scène nouvelle et proche de son groupe au sein même de la scène Punk Rock de Chicago. 13 Celle-ci est extrêmement réduite, le musicien ne pouvant citer que trois formations, parmi lequel son propre groupe ainsi que Negative Element, groupe local qui n'a enregistré qu'un unique album en 1983, et Rights Of The Accused, formation n'ayant laissé que deux albums à la postérité, jugés de qualité médiocre. Articles Of Faith semble donc le seul groupe d'importance au sein de cette scène réduite à l'intérieur du mouvement Punk Rock de Chicago et tout simplement le seul groupe engagé politiquement de la ville à avoir un certain succès tant localement que nationalement, Articles Of Faith programmant une tournée d'assez grande envergure en 1982 qui devait passer par le Texas, le Canada et la côte ouest des États Unis. De plus, lors de leur première réunion en 1991, le groupe se lance dans une tournée Européenne.14 10 Voir cette interview pour le magazine en ligne Scanner Zine non datée mais enregistrée à l'occasion de la sortie du premier album de Report Suspicious Activity, nouvelle formation de Vic Bondi, qui est sorti en 2005. http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm 11 Vic Bondi déclare dans la même interview que celle présentée précédemment que « la scène Punk de Chicago était trop « arty » et prétentieuse ». 12 Voir cette interview publiée le 14 mai 2008 dans le magazine en ligne You Breed Like Rats http://youbreedlikerats.blogspot.fr/2008/05/vic-bondi-from-articles-of-faith.html 13 Au sein de cette interview par email, publiée le 5 décembre 2007 sur le site Chicago Punk Pix, Vic Bondi revient sur l'histoire d'Articles Of Faith. http://chicagopunkpix.com/CPP/?p=32 Il déclare notamment : « Nous avons monté nos propres concerts et crée notre propre scène » 14 Nous nous référons au site du label Alternative Tentacles et notamment à la biographie du groupe. 69 Afin de conclure cette partie, nous pouvons tout d'abord dire que des groupes engagés politiquement existent bien au sein de la scène Punk Rock de Chicago. Cependant, leur nombre est très fortement réduit tout comme leur importance au sein de la scène. Ces formations semblent même marginalisées comme le démontrent le fait que certains musiciens refusent d'aider ces artistes engagés. Malgré cela, l'importance d'Articles Of Faith au niveau national est importante puisque de nombreux groupes, comme Hüsker Dü, Big Boys ou Die Kreuzen15 les considèrent comme des musiciens intéressants et proches. Ces liens, avec des groupes du middle west, seront au cœur de notre analyse à la de notre troisième chapitre mais il nous semble important de montrer en conclusion que Articles Of Faith reste un groupe central qui est regardé comme l'une des formations les plus importantes de la ville, en témoigne la reformation du groupe en 1991 et surtout le succès de celle-ci. Cependant, si Articles Of Faith semble être une des rare formation politisée de Chicago, cela signifie-t-il pour autant que les autres groupes de la ville ne s'engagent pas sur ce même terrain ? b. Un non discours politique La majorité des groupes Punk Rock de la scène de Chicago ne revendiquent aucun message politique, dans le sens où, contrairement à un groupe comme Articles Of Faith qui se définit comme appartenant à la gauche, ceux-ci ne se déclarent pour aucun parti ou aucun mouvement politique. Il serait alors tentant de déclarer que ces groupes ne délivrent aucun message mais il n'en est rien. Dans un premier temps, il est évident que certains de ces groupes ont un message purement artistique, ne se rapprochant absolument pas d'un message social ou politique. Prenons l'exemple d'une pièce musicale telle que « Peacemaker », présente sur l'album All Rise du groupe Naked Raygun, paru en 1985 sur le label Homestead Records. Ce morceau met en scène un personnage fictif et raconte son histoire 1. Il n'y a ici aucun http://www.alternativetentacles.com/bandinfo.php?band=articlesoffaith 15 Au sein de cette interview, publiée le 5 décembre 2007 sur le site Chciago Punk Pix, Vic Bondi déclare : « Hüsker [Dü], Big Boys, Die Kreuzen […] nous ont ouvert beaucoup de portes » http://chicagopunkpix.com/CPP/?p=32 1 En l'absence de paroles présentes sur un site officiel, nous avons été contraint de nous d'un site non officiel. Cependant, celles-ci ont été vérifiées lors de plusieurs écoutes de ce morceau afin de nous assurer de la véracité des informations citées : http://www.plyrics.com/lyrics/nakedraygun/peacemaker.html 70 sens derrière ces paroles autre que le message premier. Un autre exemple frappant est le morceau « Kerosene » disponible sur l'album Atomizer du groupe Big Black sorti en 1986 sur le label Homestead Records. Le morceau décrit la vie ennuyeuse des adolescents vivant dans les petites villes américaines, notamment dans les états du Middle West dont est originaire Albini.2 3 Mais ces paroles, pourtant si peu intéressantes de premier abord, le sont-elles réellement ? Ne sont-elles pas la mise en lumière d'une génération qui s'ennuie et qui, dans les années 1980, synonyme de conservatisme politique aux États Unis, cherche à se divertir par tous les moyens possibles ? Cela nous amène alors à notre second point qui nous pose la question d'un message plus subtil mais tout aussi important. En effet, peu de groupes de la ville de Chicago ont un discours politique clair et établi. Mais il est également tout aussi vrai que les dénonciations sont nombreuses de la part de ces mêmes formations. Nous allons ici prendre des exemples qui ne pourrons évidemment pas être exhaustifs mais des groupes tels que Naked Raygun, qui ne se réclament d'aucune mouvance politique, dénoncent de manière très importante les violences physiques faites aux femmes dans le morceau « Potential Rapist » disponible sur le disque Basement Screams sorti en 1983 sur le label Ruthless Records ainsi que la société américaine dans son intégralité dans le morceau « Only In America » présent sur le disque Throb Throb sorti en 1984 sur le label Homestead Records. Les faits dénoncés par ces formations sont en effet variés, la violence envers les femmes, le racisme, la société américaine et le mode de vie américain ou bien même des faits divers. La plupart du temps, ces critiques sont liées au vécu de ces artistes. Deux exemples sont ici intéressants, les deux liés à Steve Albini. Celui-ci, originaire du Montana, est particulièrement choqué par les tensions raciales au sein de la ville de Chicago et notamment par le racisme d'une partie de la population de la ville. 4 Le premier morceau du disque Lungs, « Steelworker », enregistré en 1982, parle ainsi d'un employé des aciéries évoquant les personnes de couleur comme des « Darkie », terme 2 Cela est notamment explicitée dans cette interview réalisée par Simon Reynolds, daté de l'année 1987, présente dans le magazine anglais Melody Maker: http://reynoldsretro.blogspot.fr/2008/04/big-blackinterview-melody-maker-1987.html 3 Ici aussi, en l'absence de sources officielles pour les paroles, nous avons utilisé une source non officielle que nous avons contrôlée : http://lyrics.wikia.com/Big_Black:Kerosene 4 Dans l'ouvrage de Michael Azerrad, notamment à la page 324, il nous est rapporté que Steve Albini déclare : « La moitié de la population ne parle pas, n'interagit pas, ne mange pas ou ne traîne pas avec l'autre moitié de la population […] et cela m'a juste paru étrange » 71 péjoratif. Le deuxième exemple est le nom du premier disque enregistré par le second groupe d'Albini, Rapeman. Ce disque s'intitule Budd et fait référence à Robert « Budd » Dwyer, un politicien accusé de corruption qui, poussé par la honte et une campagne médiatique importante, mis fin à ses jours le 22 janvier 1987 en direct devant les caméras de télévision de tout le pays. Si le groupe n'a jamais fait part du message réel derrière le nom de ce disque, paru en 1988, nous pouvons légitimement nous demander s’il ne s'agit pas là d'une critique d'un système qui a poussé un homme à se suicider. Mais nous l'avons énoncé au début de notre démonstration, les groupes ayant un message politique sont rares et c'est en effet vrai. Car si nous pouvons constater des dénonciations politiques, sociales ou toute autre au sein des paroles des groupes Punk Rock de Chicago, il reste difficile de trouver un véritable message politique et pour cause, puisque la plupart de ces formations se revendiquent comme non engagées politiquement. Naked Raygun se déclare ainsi comme un groupe apolitique dans de nombreuses interviews.5De la même manière, The Effigies se déclare également comme un groupe non politique dans de nombreuses interviews.6 Il s'agit alors pour ces artistes de pointer du doigt des faits mais de ne pas donner de réponses aux auditeurs qui doivent alors choisir que penser de ces mêmes faits. Au contraire donc d'artistes engagés comme Articles Of Faith qui vont demander à leurs auditeurs d'adhérer à un mode de pensée, ceux-ci se contentent de pointer du doigt des faits sans leur dire quoi faire ou que penser, pensant que la clé se trouve dans la réflexion. Chacun est alors libre de se constituer son propre avis et la clé est donc de provoquer une réflexion chez l'auditeur qui doit ensuite faire un choix sur la démarche à suivre devant ces faits.7 Le but est alors de placer l'auditeur non pas devant une ligne de conduite à suivre mais devant des faits que l'artiste expose de la manière qu'il choisit. Celle-ci est d'ailleurs souvent importante et résulte également d'un choix artistique, car il n'est pas 5 Parmi ces interviews, nous en avons retenu une, extraite du fanzine de Los Angeles Ink Disease, numéro 14, paru en 1988 : http://www.dementlieu.com/users/obik/arc/other/nakedraygun_id14.html dans laquelle le groupe déclare « Beaucoup de gens nous écoutent car nous ne sommes pas politisés » 6 Celle que nous avons retenu est une interview donnée par le groupe dans le fanzine de San Jose en Californie, Ripper, lors du numéro 7 paru en 1982 : http://www.dementlieu.com/users/obik/arc/effigies/int_ripper7.html le groupe déclarant : « Nous ne sommes pas politisés en aucune façon ». 7 Au cours de cette interview donnée au fanzine Flipside dans le numéro 30, paru en 1982, l'un des membres de The Effigies déclare : « Tu dois dire aux gens de penser par eux-mêmes » http://www.dementlieu.com/users/obik/arc/effigies/int_flip30.html 72 rare que les paroles soient aussi agressives que la musique. De nombreuses formations n'hésitent alors pas à créer des paroles frontales afin d'obtenir une réaction de la part de l'auditeur. Albini, comme nous l'avons vu précédemment, n'hésite pas à écrire des paroles violentes vis-à-vis des femmes afin d'attirer l'attention de ses auditeurs sur la situation de ces dernières au sein de la société. L'attitude de Steve Albini ainsi que ses paroles lui attirent à de nombreuses reprises des problèmes mais celui-ci se voit comme un révélateur des difficultés de la société même s’il ne l'avoue qu'à demis mots lors des entretiens, notamment ceux réalisés avec Michael Azerrad. Il est en effet clair que l'attitude de ce musicien et notamment de ses paroles, vise à choquer de manière pure et simple afin d'attirer l'attention du plus de monde possible sur les problèmes mis en lumière. Le but est alors de confronter, chez Albini comme chez des formations comme Naked Raygun, The Effigies et bien d'autres, les auditeurs à un point précis. Une fois cela fait, le but est alors de les faire réfléchir sans leur apporter de réponses. C'est en ce sens que ces formations ne se définissent pas comme politiques puisqu'elles ne demandent à aucun de leurs amateurs de suivre leur avis, elles ne sont pas des tribunes pour une sensibilité politique ou pour tenter de diffuser un message de la même nature. Mais peut-on alors dire que ces formations musicales ne sont pas pour autant engagées en politique ? En effet, celles-ci tentent d'attirer l'attention sur différents problèmes sociaux ou politiques par exemple. De plus, la manière dont ces musiciens écrivent les paroles peut être perçue comme une sorte d'engagement. Nous l'avons vu, Albini écrit des paroles très agressives pour provoquer une réaction qui, parfois, sont prises au premier degré. Il n'est alors pas rare que les paroles du groupe provoquent un scandale. Un exemple frappant sont les réactions non pas à un morceau mais au nom du second groupe de ce musicien, Rapeman. Au Royaume-Uni, les réactions sont violentes, notamment de la part d'organisations féministes qui appellent au boycott des représentations du groupe.8 Albini explique à de nombreuses reprises que les paroles ainsi que l'imagerie de son groupe sont ici par une volonté artistique ferme, celle de confronter son auditeur à toute sorte de chose. Mais il est également notable de préciser que cela apporte à ces formations musicales un certain succès. En effet, grâce à ses prises de positions très 8 Voir au sein de cette interview, extrait du livre Rock Names écrit par Adam Dolgins, durant laquelle Albini parle de la décision de nommer ses deux formations musicales, Big Black et Rapeman, de cette manière : http://www.petdance.com/actionpark/bigblack/press/rocknames.php 73 fermes sur de nombreux sujet, sa capacité à choquer notamment grâce à ses paroles et ses noms de groupes ainsi que son attitude, Albini devient une figure centrale de la scène de Chicago. Il est donc évident que si la dénonciation de ces faits grâce à des paroles violentes est artistique, elle est également un immense pourvoyeur de popularité pour ce musicien. Il est donc difficile de déterminer si ces formations sont effectivement engagées politiquement d'autant plus que certaines, dans leurs interviews, expriment leur aversion pour le système politique, notamment vis-à-vis de la corruption des hommes politiques ainsi que des hommes politiques en général, accusés de ne pas représenter assez bien les intérêts du peuple. Cette volonté de ne pas devenir un groupe fortement politisé passe par le fait de ne jamais commenter certaines paroles ou de ne pas expliquer ses prises de positions mais aussi tout simplement par la critique pure et simple du monde politique durant les interviews. 9 Afin de conclure notre partie, nous pouvons affirmer que la majorité des formations Punk Rock de Chicago ne souhaite pas s'engager politiquement. Certains groupes dénoncent de nombreux faits et les paroles sont alors révélateurs des tensions sociales ou politiques de l'époque étudiée ici même. Cependant, le but n'est pas ici de faire passer un message mais de mettre l'auditeur face à un problème et de lui laisser trouver une solution par lui-même. Au contraire de groupes engagées comme Articles Of Faith, qui tente alors d'imposer un point de vue et de créer un changement politique, ici le but est simplement de montrer des faits avec l'appui le plus souvent de paroles agressives, plaçant ainsi la musique, les textes et les thèmes abordés sur le même seuil d'intensité. c. L'importance du DIY, une volonté de contrôle économique et politique ? Au sein de cette partie nous allons voir quelle importance le DIY a-t-il connu au sein de la scène Punk Rock de Chicago et quel rôle l'économie DIY a-t-elle tenu au sein de cette même scène. Il convient de débuter cette partie par une définition du DIY. Ces trois lettres sont 9 Dans une interview donnée au fanzine Californien Flipside, publié entre 1977 et 2000, dans le numéro 46, le groupe Naked Raygun déclare : « La politique craint. Même si peu en parler est une perte de temps. Le Congrès se réunit tous les ans pour voter des lois, régurgiter les mêmes vieux problèmes inutiles […] » https://files.nyu.edu/cch223/public/usa/info/nakedraygun_FSinter.html 74 l’acronyme de Do It Yourself, littéralement à traduire par « Fait le toi même ». Cette expression se réfère à la pratique d'une activité sans l'aide d'une institution, légale ou non. Au sein du mouvement Punk Rock, le DIY désigne le plus souvent le fait d'enregistrer des disques de manière indépendante, avec un budget fourni par les musiciens et non par un label, de presser ces mêmes disques avec une faible somme d'argent, de gérer un label indépendamment des circuits de distribution traditionnels de la musique et même de rédiger et d'imprimer son fanzine avec les moyens du bord. Le Do It Yourself est donc tant devenu un mouvement économique que politique, celui-ci étant très souvent compris comme un synonyme d'indépendance artistique et financière. Nous l'avons vu à de nombreuses reprises, l'une des qualités principales du mouvement Punk Rock est de mettre au premier plan la possibilité de l'action pour tous. Hors, le DIY est l'un de ces moyens d'actions. En effet, l'accent est ici mit sur le fait de parvenir à ses fins uniquement en comptant sur ses propres ressources. Attardons-nous justement sur ce que cela implique de faire fonctionner un groupe par soi-même. Car cela consiste à s'occuper de tous les aspects de la formation musicale, de la plus évidente à la moins évidente. Dans son article intitulé « Le DIY comme dynamique contre culturelle : l'exemple de la scène Punk Rock », Fabien Hein montre justement l'importance de la tâche que représente gérer tous les aspects d'un groupe. Ian MacKaye développe son propos, expliquant qu'il doit gérer le groupe, les horaires de répétition, les dates de tournée, l'entretien du matériel, les déclarations fiscales, la publicité, les interviews et bien d'autre choses encore comme les réservations de studio lors des enregistrements.1 Cette masse de travail, pourtant conséquente, ne représente qu'une partie des obligations administratives qu'un groupe indépendant doit gérer au mieux s’il ne veut pas déléguer certaines missions. Nous pourrions arguer que Ian MacKaye n'est pas un acteur de la scène de Chicago. Cependant, cet exemple est particulièrement parlant puisqu'il présente le cas d'un musicien totalement indépendant et s'occupant de la totalité des aspects administratifs, artistiques ou autres de son groupe. À Chicago, de nombreuses formations choisissent d'ailleurs de rester indépendantes et de prendre en charge la plus grande partie des responsabilités qui incombent, au sein de la musique « grand public » à des salariés, managers ou avocats par exemple. Des 1 Voir l'article intitulé « le DIY comme dynamique contre culturelle : l'exemple de la scène Punk Rock » écrit par Fabien Hein et présent dans notre bibliographie. Le paragraphe « le DIY c'est du travail ! » fut le principal utilisé dans cette partie de notre développement. 75 formations telles que Big Black, Naked Raygun, Articles Of Faith, The Jesus Lizard choisissent de rester au sein de ce qui va devenir un « circuit DIY ». Les membres de Big Black n'engagent pas de roadie durant leurs tournées et gèrent eux-mêmes celles-ci, s'occupant d'organiser les dates afin de créer un circuit logique.2 Car, l'exemple de Ian MacKaye, figure centrale de Washington, n'est pas totalement similaire à ce qui se passe à Chicago. En effet, Ian MacKaye fonde son propre label afin de gérer son groupe dans tous les aspects. Hors, les groupes de Chicago ne fondent pas leurs propres labels, à de rares exceptions parmi lesquels des singles pressés à de faibles exemplaires, mais se reposent sur d'autres labels, locaux ou non. Une exception notable est le label Ruthless Records, créé par les membres du groupe The Effigies en 1981 afin de presser leurs disques et ceux de leurs amis. Cet exemple met parfaitement en valeur la volonté d'indépendance de ces artistes qui, plutôt que de démarcher des maisons de disques plus « traditionnelles » choisissent de prendre un contrôle total sur leurs œuvres. Nous l'avons dit il y a peu, la notion d'amitié est centrale au sein du monde du Punk Rock indépendant. En effet, le DIY est vécu comme une véritable valeur et une manière de concevoir la musique et son économie. Hors, il est évident que chaque groupe ne peut se permettre de créer son propre label, pour des raisons économiques mais également, car cela entraînerait une saturation de ce marché qui, malgré une taille si peu imposante et des ventes bien plus faibles que le milieu musical traditionnel, en reste tout de même un. C'est donc cette notion d'amitié et de partage des mêmes valeurs qui permet à ces groupes de choisir quel label sera celui qui pressera le disque de leur groupe. Ce partage des valeurs se fait, le plus souvent, grâce à des contrats uniques, c'est à dire qu'ils n'engagent le groupe au label que pour un seul disque. Le label, en échange, n'intervient pas dans le processus créatif des artistes et verse une part bien plus importante aux musiciens que les labels traditionnels ne pourraient le faire. Le label Touch & Go, fondé sur la base du fanzine du même nom, s'installe à Chicago dès 1983 et verse la moitié des revenus dégagés par la vente des disques aux musiciens. L'autre moitié est versée au label qui l'utilise afin de rembourser les frais d'impression du disque ainsi que les autres frais parmi lesquels le transport par exemple. Le groupe, quant à lui, 2 Voir dans l'ouvrage de Michael Azerrad, à la page 328, lorsque l'auteur évoque les conditions de tournée du groupe. 76 doit payer les frais de studio.3 Touch & Go est considéré comme un label DIY et indépendant, notamment, car celui-ci ne repose sur aucun réseau de distribution puisque le label distribue ses disques par lui-même. L'origine du label, fondé en 1981, est liée au fanzine du même nom. Afin de pouvoir distribuer leur musique, Tesco Vee et Dave Stimson décident de créer un label qui porte le même nom que leur fanzine. Le bassiste du groupe Necros, Corey Rusk, aide dans un premier temps ses amis afin de mieux gérer le label. Cependant, l'abandon successif de Tesco Vee et Dave Stimson pousse Corey Rusk à prendre la barre de manière personnel du label. Celui-ci déménage à Chicago dès 1983 et réussit à signer des groupes de la ville, de la région du Middle West et même de la scène nationale. Ce succès s'explique-t-il par la dimension indépendante et économiquement viable du label ? Il est évident, pour les musiciens tout au moins, que oui. Le musicien David Wm. Sims, bassiste de Rapeman et The Jesus Lizard, explique d'ailleurs le succès du label grâce à la personnalité de Rusk mais aussi grâce à sa gestion. Celui-ci va plus loin, expliquant que la façon claire de gérer l'argent, la musique et les profits entre le label et les groupes de Rusk sont ce qui fait de Touch And Go un label si sain économiquement parlant.4 Pour résumer, nous pouvons dire que les musiciens font confiance à ce label non seulement, car les conditions de travail et de rémunération sont claires et limpides, ce qui n'est pas le cas, selon ces artistes, chez les labels plus traditionnels, dits « majors » mais aussi, car le responsable du label tout comme les groupes viennent du même milieu, c'est à dire le milieu Punk Rock. C'est donc cela que nous entendons par « circuit DIY », les arrangements entre acteurs du milieu Punk Rock partageant le même point de vue notamment sur la manière de distribuer la musique et de vendre les disques mais aussi sur l'économie du marché musical. Car il convient de ne pas se bercer d'illusion et, tout aussi indépendant que le sont les labels dits « DIY », il s'agit tout de même d'une économie spécifique qui a pour but de vendre afin de pouvoir continuer à exister, comme toute entreprise mais d'une manière différente. Le « DIY » et son mode d'action peut donc être vu comme la volonté de créer 3 Dans cet article du Chicago Reader daté du 15 avril 1999, l'auteur revient sur l'histoire du label Touch & Go, son modèle économique mais aussi le procès intenté par le groupe Butthole Surfers afin de récupérer les droits de leurs disques sortis chez Touch & Go. http://www.chicagoreader.com/chicago/touch-and-go-v-the-buttholes/Content?oid=898923 4 Nous faisons ici référence à la même interview que celle évoquée dans la note précédente, publiée dans le Chicago Reader à la date du 15 avril 1999. http://www.chicagoreader.com/chicago/touch-andgo-v-the-buttholes/Content?oid=898923 77 une économie indépendante et alternative dans le sens où elle garde des valeurs qui semblent antinomiques à la construction d'une entreprise capitaliste, notamment le fait de ne pas rechercher le profit aux dépends de la liberté artistique des musiciens. Pourtant, la plupart des acteurs jettent leur dévolu sur le DIY tout d'abord pour une raison simple, faire des économies. Nous l'avons dit, les groupes et labels indépendants choisissent de s'investir le plus possible dans cette activité, afin de rester seuls maîtres de leurs intentions mais aussi, car ils n'ont guère le choix. Dans le cas d'un groupe, ne pas devoir payer d'avocats, de comptables, d'organisateur de tournée ou de chauffeur est une économie certaine qui, pour de nombreuses formations, sont des dépenses inutiles et dispensables. Dans le cas d'un label, ne pas passer par un circuit de distribution permet d'éviter les intermédiaires et donc le paiement de marges tout comme le fait de ne pas payer les frais de studio. Naturellement, certaines dépenses restent incompressibles, comme les frais de pressage des différents disques par exemple. Ainsi, le DIY est tout d'abord une nécessité économique. Les labels indépendants tout comme les groupes investissent leur argent personnel et ne peuvent donc se permettre d'investir des sommes aussi importantes qu'une entreprise ou une « major ». Comme le précise Corey Rusk, directeur du label Touch and Go dans une interview accordée à Pitchfork en 2006 afin de revenir sur l'histoire du label, celui-ci n'était pas vu comme une entreprise et comme un moyen de gagner sa vie. Il est donc clair que les sommes investies étaient faibles et provenaient de leurs économies personnelles.5 Nous pouvons également considérer le DIY comme une sorte de programme économique, comme l'évoque dans son article Fabien Hein, que nous avons cité auparavant. Il est évident que le circuit indépendant vise à consommer d'une autre manière en remettant au centre l'artiste et en lui proposant une part importante des revenus tout en permettant aux amateurs de musique Punk Rock de se procurer des disques à un prix assez bas. En somme, cela semble être un système où tout le monde y gagne. Les économies réalisées en sacrifiant des dépenses inutiles sont ainsi transformés en rémunération pour les groupes qui touchent, toujours pour l'exemple de Touch and Go, la moitié des revenus. De son côté, l'acheteur gagne également à acheter chez ce label puisque la distribution directe fait chuter le prix du disque, les marges des 5 Voir cette interview accordée au magazine en ligne Pitchfork, le 5 septembre 2006, durant laquelle Corey Rusk revient, à l'occasion du 25 ème anniversaire de Touch And Go, sur l'histoire du label : http://pitchfork.com/features/interviews/6419-corey-rusk/ 78 distributeurs n'étant pas répercutées sur le prix total de l'objet. Enfin, le label y trouve également son compte puisque les économies réalisées permettent de la même manière d'économiser de l'argent qui retombent automatiquement dans les caisses de celui-ci. Le circuit DIY ou indépendant, puisque les deux noms peuvent être utilisés, est donc un moyen de créer une économie plus viable, avec un nombre d'intermédiaire bien moins important qu'ailleurs, et qui permet aux artistes et labels de mieux vivre tout en proposant des disques ou des produits à des tarifs avantageux. Il nous semble également important de comprendre qu'elle a été l'importance, d'un point de vue sociale, du DIY. Car il est indéniable que ce mouvement a eu des répercussions sur la qualité de vie de certains de ses acteurs. En effet, le Punk Rock et le DIY mettent au centre de leurs applications l'auto apprentissage. Certains acteurs, musiciens ou non, ont ainsi changé de métiers grâce au mouvement Punk Rock. Nous pouvons alors être tenté de considérer ce mouvement comme un phénomène d'élévation sociale. Prenons l'exemple de deux personnages qui sont devenus des entrepreneurs du DIY. Le premier est Corey Rusk, le directeur du label Touch And Go. Celui-ci n'a aucune formation dans la gestion d'entreprise.6 C'est donc grâce à un apprentissage « sur le tas » que celui-ci a appris à gérer son entreprise afin de la développer dans les meilleures conditions possibles. Dans la même interview avec le magazine Pitchfork que nous avons évoquée précédemment, celui-ci explique que ce qu'il a compris afin de mieux gérer le label n'est dû qu'à des « essais et des erreurs »7. Malgré une formation inexistante, celui-ci est tout de même devenu un entrepreneur grâce au Punk Rock et au DIY. Nous pouvons donc déclarer que le DIY a été un phénomène d’ascension sociale dans le cas de Corey Rusk. Un autre exemple qui peut être révélateur des possibilités qu'offrent le DIY est le cas de Steve Albini. Celui-ci, nous l'avons vu, apprend par lui-même à enregistrer sa propre musique dans un premier temps puis, dès 1985, il se lance dans l'enregistrement de manière plus sérieuse. Il s'agit pour lui d'aider des amis à enregistrer un disque rapidement et pour une somme peu importante, en comparaison à la somme demandé dans un studio d'enregistrement « traditionnel ». Dès 1987, Albini achète une maison à 6 Comme le précise l'auteur dans cet article sur Corey Rusk et le label Touch and Go à l'occasion du 25ème anniversaire de l'entreprise. L'article est issu du magazine en ligne Stop Smiling http://www.stopsmilingonline.com/story_detail.php?id=652 7 Voir cette interview donnée au magazine Pitchfork et publiée le 5 septembre 2006 la question et la réponse n°6 afin de voir la totalité de la citation utilisée ici : http://pitchfork.com/features/interviews/6419-corey-rusk/ 79 Chicago, démissionne de son travail alimentaire et décide de construire un studio d'enregistrement à l'intérieur de son domicile. Les prix pratiqués par Albini restent très abordables puisque celui-ci ne loue par le studio mais ses propres compétences. Ainsi, des musiciens peuvent louer le studio gratuitement mais non pas ses services, ce qui permet au groupe d'enregistrer un album dans de bonnes conditions sans rien avoir à payer. Les talents d'ingénieur du son d'Albini, la qualité de l'équipement de son studio ainsi que les prix bas pratiqués lui attirent cependant une clientèle importante de groupes Punk Rock, venant de Chicago ou non. Dès les premières années, Albini réussit à vivre du studio d'enregistrement. Une fois de plus, nous avons l'exemple d'un acteur du DIY, ici en l’occurrence un étudiant en journalisme qui, grâce au circuit indépendant et à sa capacité à apprendre de lui-même, a réussit une élévation sociale. Enfin, il nous semble important de voir jusqu'à quel point la scène Punk Rock de Chicago a été investie dans le circuit indépendant. Nous pouvons ici donner une réponse simple puisque la quasi-totalité de la scène Punk Rock de Chicago est liée au DIY. En effet, la volonté de la plupart des musiciens de la scène Punk Rock de Chicago est de rester lié à ce circuit DIY qui est, pour eux, l'assurance d'une indépendance financière et artistique sans égal dans le monde plus traditionnel de l'économie musicale. Sortir de ce circuit semble donc être un phénomène que les groupes ne recherchent pas, bien au contraire. Tout d'abord, il est évident que pour sortir du circuit indépendant, l'une des conditions est d'avoir une proposition par une entreprise importante, c'est à dire une « major ». Hors, peu de groupes de Punk Rock se voient offrir cette opportunité. De plus, les groupes ayant la possibilité d'évoluer et de sortir du circuit indépendant choisissent de ne pas le faire, par respect de leurs choix passés mais aussi pour des raisons financières. En effet, nous l'avons dit, le circuit DIY permet des économies importantes. Hors, il est fréquent que ces économies soient si importantes que les musiciens gagnent mieux leur vie en restant indépendants qu'en signant des contrats « traditionnels ». Là aussi, Steve Albini nous sert d'exemple puisque celui-ci reçoit à de nombreuses reprises des propositions de maisons de disques importantes. Hors, il les refuse toutes pour choisir de travailler avec un label indépendant. 8 Albini déclare d'ailleurs que son choix fut guidé par une volonté d'indépendance artistique totale, ce 8 Voir dans l'ouvrage de Michael Azerrad, aux pages 335 et 336, les nombreux passages décrivant le choix de Steve Albini et ses motivations. 80 que des labels plus traditionnels n'auraient pu accepter. Nous venons de voir, au sein de ce développement, que le DIY voit se créer un véritable circuit, lié non pas par des contrats mais par une vision commune de la musique, de sa distribution et de sa création. La volonté d'indépendance est en effet ce qui caractérise la majorité, si ce n'est la totalité de la scène Punk Rock de Chicago durant les années 1980. Ainsi, à l'instar de la ville de Washington par exemple, il est évident que nous pouvons ici nommer le DIY et la volonté d'indépendance totale comme l'un des facteurs d'unité de ce mouvement pourtant si hétérogène sur de nombreux plans comme le plan musical ou politique. 81 III. Les relations entre le mouvement Punk Rock de Chicago et son espace Au cours de ce développement, nous nous intéresserons aux rapports entre le milieu Punk Rock et son espace, c'est à dire quels sont les liens entre les groupes de cette ville et ceux venant des états voisins. Nous tenterons également de comprendre si une « immigration musicale » existe, c'est à dire si des musiciens s'installent à Chicago principalement par la musique, attirés par la réputation musicale de cette ville. Nous nous attarderons également sur l'importance de la ville et des lieux Punk dans le développement de ce mouvement à Chicago. 1. Les liens entre les milieux Punk Rock nationaux et celui de Chicago Au cours de cette partie nous analyserons en profondeur les liens qui unissent les groupes de Punk Rock originaires de Chicago aux acteurs venant de l'extérieur de la ville. Notre première partie tentera de comprendre quel rôle jouent les formations originaires de la région du Middle West dans la construction de ce milieu et quelle a été la fonction des acteurs de la ville de Chicago vis à vis de ces mêmes formations. Nous nous attarderons ensuite sur le nombre important d'acteurs n'étant pas originaires de la ville de Chicago mais qui choisissent de s'y installer, pour des raisons musicales ou non. a. Une forte proximité entre les formations de Chicago et des états voisins du Middle West Les relations entre les groupes de Punk Rock de la scène de Chicago et d'autres formations, nationales ou internationales, sont nombreuses et s'expliquent par de multiples raisons parmi lesquelles les tournées communes, la signature sur un label commun ou tout simplement une amitié épistolaire, phénomène répandue durant les années 1980 et 1990. La ville de Chicago est la métropole politique, économique et bien plus encore de la région du Middle West. Les relations de la ville avec les États voisins sont constantes et primordiales, les uns ne sauraient vivre sans l'autre et inversement. Hors, le mouvement Punk Rock relève d'une logique similaire. En effet, si les relations entre groupes de Chicago et les nombreuses formations nationales ou internationales sont existantes, il 82 est frappant de constater que les contacts les plus fréquents et les plus importants sont ceux entre les groupes de la capitale économique de l'Illinois et des états voisins. Tout d'abord l'importance de la ville, en tant que capitale culturelle, économique et politique, n'est pas remise en question par les groupes venant des états voisins. La majorité précisant que la ville, comprendre ici la scène Punk Rock de Chicago et donc l'ensemble de ses acteurs, a jouée un rôle important. Des groupes tels que Slint, Hüsker Dü ou Negative Approach confirment, en interview ou dans les faits, l'importance des liens qui les lie à la capitale de l'Illinois.1 2 Cette solidarité entre acteurs Punk Rock se produit d'ailleurs dans les deux sens. Les groupes de Chicago aidant ceux des états voisins qui leur rendent la pareil dès que ceux-ci en ont l'occasion. Attardons-nous tout d'abord sur les groupes de la capitale de l'Illinois qui aident du mieux qu'ils le peuvent les musiciens des états voisins. Cela passe tout d'abord par l'organisation de nombreux concerts. De manière concrète, lorsqu'une formation joue à domicile il lui est possible d'inviter d'autres groupes afin de faire la première partie du spectacle. Les musiciens ont alors le choix entre inviter un groupe de la ville ou un groupe des états voisins. Cette aide se manifeste le plus souvent lorsque des groupes plus importants, jouant plus rarement à Chicago, passent en concert dans la ville. En effet, lorsqu'un groupe important comme les Dead Kennedys ou Black Flag se produisent en concert ceux-ci font appel à des groupes locaux afin d'assurer les premières parties. Ainsi, en 1981, lors d'un concert des Dead Kennedys les 17 et 18 septembre 1981, des groupes de Chicago ouvrent pour cette formation culte et renommée à travers tout le pays mais nous trouvons également un groupe du Minnesota, Hüsker Dü3. Cela ne peut s'expliquer que par les liens forts entre les acteurs de Chicago et du Minnesota puisque Hüsker Dü n'a sorti en 1981 qu'un seul disque, un single en l’occurrence, intitulé « Statues ». Le but est alors clairement de permettre à ces musiciens de bénéficier d'une visibilité supérieure. L'organisation de concerts en 1 Nous prendrons pour exemple cette interview de Slint, groupe de Louisville, Kentucky, donné au magazine online Pitchfork le 30 janvier 2014 durant laquelle le groupe revient sur la création de leurs deux disques, respectivement sortis en 1989 et 1991. Le groupe déclare « Il y avait une connexion importante entre Louisville et Chicago, qui était la ville importante la plus proche » http://pitchfork.com/features/update/9319-slint/ 2 Le groupe Hüsker Dü se produit quant à lui 41 fois en concert à Chicago entre 1981 et 1991 comme nous l'avons déjà évoqué dans notre première partie. http://www.thirdav.com/hd_discog/dates.html 3 Notre source ici est notamment le flyer du concert, retrouvé sur le site thirdav.com, site d'archives consacrées au groupe Hüsker Dü. http://www.thirdav.com/hd_posters/p19810917.gif 83 commun afin d'augmenter la taille de son auditoire est donc une technique de solidarité efficace, les styles musicaux pratiqués étant relativement proche. Un autre moyen afin de signifier son attachement à une formation particulière est tout simplement d'en faire la publicité et ce de plusieurs manières. Cela peut être grâce à des déclarations publiques, lors d'interviews par exemple. Ainsi, certains musiciens connus et reconnus usent de leur voix afin de faire connaître d'autres artistes. Nous allons ici choisir plusieurs exemples parmi les interviews des groupes les plus importants de la scène de Chicago. En effet, comme nous l'avons dis, l'impact est bien plus important lorsque les acteurs sont reconnus par leurs pairs. The Effigies citent ainsi de nombreux groupes du Middle West parmi lesquels Necros, groupe de Detroit ou The Fix, de la même ville.4 Articles Of Faith, et notamment Vic Bondi, citent d'autres groupes parmi lesquels Hüsker Dü mais aussi Toxic Reasons, groupe de l'Ohio, ou Zero Boys, venant d'Indianapolis. Les interviews sont donc un moyen important de donner son avis et de soutenir des amis d'autant plus que, comme nous l'avons vu, les avis des personnages les plus importants de ce milieu sont très respectés et recherchés. Il semble donc qu'une sorte de publicité, gratuite et fondée sur la qualité musicale néanmoins, apparaissent tandis que de l'autre côté, les formations moins reconnues se voient acceptées et appréciées non pas forcément par de nombreux amateurs dans un premier temps mais tout d'abord par leurs pairs, c'est à dire les musiciens. Hors, cette reconnaissance par les musiciens est vue, par le public, comme un gage de qualité. Ce soutien peut être rendu public par d'autres moyens notamment grâce aux inserts au sein des disques. Pour rappel, les inserts sont des feuilles, souvent composés de papier glacé, qui sont glissés à l'intérieur des pochettes de disques. Elles permettent traditionnellement de noter les paroles mais aussi les informations relatives à l'enregistrement du disque, au groupe ou même au label. Tout d'abord, pourquoi cette manière d'apporter son aide à un groupe est elle si différente de l'aide durant les interviews ? Tout d'abord car, d'une certaine manière, l'artiste se positionne encore plus fermement puisqu'il lie le nom des artistes qu'il soutient au sien et surtout à son œuvre. De plus, les interviews sont certes nombreuses mais il est frappant de constater que les fanzines sont concentrés dans des régions importantes, notamment la Californie ou la côte Est et que leur circulation peut donc être difficile. Il est donc fréquent que les 4 Voir cette interview du groupe pour le fanzine Ripper, dans le numéro 7 parue en 1982 : https://files.nyu.edu/cch223/public/usa/info/effigies_ripperinter.html 84 seules informations auxquels les auditeurs peuvent avoir accès à propos d'un groupe se situent dans ces inserts. Voilà donc les deux raisons principales qui rendent ce positionnement si important. La manière concrète de procéder est simple, il s'agit tout simplement de noter les noms de formations que les artistes apprécient dans les inserts en intimant le conseil aux auditeurs de se procurer des disques de ces mêmes artistes.5 Enfin une dernière forme de soutien mérite de figurer dans notre analyse. Nous avons jusqu'à présent évoqué des prises de position publiques puisque le but recherché est ici d'attirer un public de plus en plus nombreux. Hors, il est évident qu'un groupe ne peut exister en se basant uniquement sur un auditorat conséquent. Il s'agit alors de trouver des soutiens, notamment parmi les figures centrales de ce milieu, c'est à dire les musiciens les plus influents, les directeurs de labels ou bien même organisateurs de concerts. Ce soutien permet à des groupes moins importants de se faire connaître et surtout d'exister plus simplement ? Afin d'éclairer nos propos, il nous paraît nécessaire d'illustrer nos propos par des exemples. Une nouvelle formation peut par exemple compter sur le soutien d'un musicien reconnu qui va parler de celle-ci et tenter de faire connaître ce groupe auprès de ses amis mais aussi auprès d'autres acteurs reconnus. En effet, il s'agit de ne pas perdre de vue que le milieu du Punk Rock est faible démographiquement parlant. Connaître une personne reconnue par ce milieu ou être appréciée de celle-ci peut alors suffire à ouvrir de nombreuses portes. Prenons ici un exemple simple grâce au groupe Slint, formé en 1985 à Louisville, Kentucky qui enregistre son premier album avec Steve Albini en 1987.6 Hors celui-ci est charmé par la musique du groupe et n'hésite pas à parler de ces musiciens autour de lui. Albini introduit deux membres du groupe, McMahan et Walford, aux acteurs de la scène de la ville lorsque les deux musiciens déménagent à Chicago durant un an. Enfin, Albini est celui qui permet à Slint de créer leur second album non seulement en les aidant à enregistrer des démos gratuitement afin de mettre à plat leurs idées de composition mais surtout en trouvant un label puisque c'est lui-même qui fit découvrir cette formation atypique à Corey Rusk, directeur du label Touch and Go, qui finance exceptionnellement la création de Spiderland, en 1991.7 Cette forme de 5 Nous prendrons pour exemple les inserts ou plus exactement la reproduction de ces derniers figurant dans les albums de Big Black joints en annexes n°2. 6 Information précisée par la biographie officielle du groupe sur le site de leur label, Touch And Go http://touchandgorecords.com/bands/band.php?id=70 7 Ces informations sont tirées du livre Spiderland écrit par Scott Tennent qui a pour sujet l'album Spiderland mais aussi le groupe Slint. Les informations citées ici ont été principalement trouvées aux 85 soutien n'est pas rare puisque Albini est un grand ami de Corey Rusk et a souvent joué le rôle de conseiller auprès de ce dernier.8 Nous venons de voir que les groupes de Chicago soutiennent de manière massive les musiciens du Middle West par des actions variées. Mais l'inverse existe également et il serait en effet mal avisé d'en douter. Si la ville de Chicago peut être vu comme l'un des foyers les plus importants du mouvement Punk Rock dans la région, cela ne veut pas dire que des formations connues et reconnues n'émergent pas dans les états voisins. Hors, avec cette reconnaissance naît la volonté d'aider d'autres formations, de Chicago ou non mais c'est le premier cas qui nous intéressera ici. Les méthodes qu'utilisent les groupes du Middle West afin d'aider les formations de la ville de Chicago sont similaires en tous points à celles que nous venons d'évoquer. Nous avons jugé important et même nécessaire de revenir en détail sur celles-ci afin d'aider le lecteur à comprendre, de manière concrète comment une solidarité artistique se créer dans un milieu culturel si peu peuplé et si peu représenté institutionnellement. Nous passerons donc plus rapidement sur les explications et mettront plus en avant nos exemples dans les lignes qui suivront. Les concerts sont tout d'abord le lieu privilégié de cette aide comme nous l'avons évoqué précédemment. Des groupes importants des états voisins invitent donc des formations moins reconnues à se représenter devant un nouveau public. Cela permet alors à la formation de réputation moins importante de diversifier son auditoire mais également de lier des contacts à l'extérieur de la ville. Les exemples sont nombreux parmi lesquels le premier concert du groupe Big Black à Detroit, organisé par Corey Rusk qui cherche, pour une représentation de The Butthole Sufers en 1983, une première partie. Hors, cet habitant de Detroit d'origine ne demande pas à un groupe de la ville de jouer mais à Big Black, originaire de Chicago.9 Ici, l'exemple provient non pas d'un groupe mais d'un organisateur de concerts. Cependant, ces derniers sont parmi les acteurs les plus importants des milieux musicaux et il nous semble que cet exemple prouve l'importance de Corey Rusk non seulement sur la ville de Detroit, mais aussi sur pages 62 jusque 82. 8 Voir l'interview de Corey Rusk réalisée par le blog stop smilling publiée le 18 septembre 2006 durant laquelle Corey Rusk revient sur l'histoire de son label avec quelques interventions de Steve Albini. Ce dernier précise d'ailleurs : « je lui ai donné quelques enregistrements » http://www.stopsmilingonline.com/story_detail.php?id=652 9 Albini et Rusk ont déclaré dans de nombreuses interview que cette rencontre fut la base de leur amitié. Azerrad évoque d'ailleurs cet événement dans son ouvrage aux pages 336 et 337. 86 les villes voisines, ici en l’occurrence sur celle de Chicago puisque celui-ci permet à Big Black de faire son premier concert à Detroit. Il ne nous semble pas utile de revenir plus en avant sur les concerts donnés par les groupes de Chicago en dehors de la ville grâce à l'aide de différents acteurs des états voisins pour plusieurs raisons, notamment le fait que ces exemples ne feraient qu'appuyer plus fermement une thèse que nous avons déjà expliquée de manière approfondie mais aussi, car cela aboutirait en un catalogue d'exemples qui n'auraient en soi aucune valeur scientifique ajoutée. Nous allons maintenant nous attarder sur l'aide que fournit Hüsker Dü, groupe de Saint Paul dans le Minnesota formé en 1979, aux formations de la ville de Chicago. Ce groupe acquiert une certaine réputation dès la sortie de son premier single, intitulé « Statues », sorti en 1980 sur le label fondé par le groupe 10, Reflex Records. Hors, Hüsker Dü, et notamment le guitariste et chanteur Bob Mould, se lie d'amitié avec les membres d'Articles Of Faith qu'il va s'efforcer d'aider du mieux qu'il le pourra. Le guitariste organise donc de nombreux concerts dans le Minnesota et invite régulièrement Articles Of Faith qui voit en cette opportunité un avantage double : accoler son nom à celui d'une formation reconnue et voyager puisque Mould ne se contente pas d'inviter le groupe uniquement dans le Minnesota. Dès que la réputation de son groupe le permet, celui-ci emmène Articles Of Faith sur des tournées communes, dans des états du Middle West voir parfois sur des dates nationales.11 Ce soutien ne s'arrête pas là puisque Bob Mould, devant les difficultés du groupe à trouver un label pour mettre sur le marché leur premier album, propose au groupe le label de son propre groupe. C'est donc sous l'étiquette de Reflex Records que Give Thanks, premier album d'Articles Of Faith est mis en vente en 1984.12 Enfin, Bob Mould produit, c'est à dire qu'il enregistre ce même disque, le groupe n'ayant pas les moyens de se payer les services d'un ingénieur du son professionnel. Nous avons ici 10 Comme le note Michael Azerrad, le single est chroniqué dans de nombreux fanzines parmi lesquels le fanzine de Boston Take It. Voir la page 164 de l'ouvrage de Michael Azerrad. 11 Nous prenons ici pour preuve la reproduction de ce flyer, mise en ligne le 4 février 2009 sur le site Hardcore Show Flyers qui présente un concert devant se dérouler le 21 juin 1984. Parmi les groupes se représentant, Hüsker Dü est la tête d'affiche, comme l'atteste sa position dominante sur le flyer tandis que Articles Of Faith est ce que l'on appelle un groupe de soutien. http://hardcoreshowflyers.com/images/02040901_84.jpg 12 Nous nous sommes ici, en l'absence de site officiel du label, Reflex Records ayant cessé ses activités depuis 1985, servi du site discogs, base de donnée discographique la plus complète du monde afin de vérifier nos informations. http://www.discogs.com/Articles-Of-Faith-Give-Thanks/release/1680707 87 donc l'exemple d'un groupe et d'un musicien, Hüsker Dü et Bob Mould, qui tentent d'aider du mieux qu'ils peuvent une formation de Chicago, en l’occurrence Articles of Faith. Nous avons au cours de cette partie montré, grâce à l'exemple des interactions entre les groupes de Chicago et des états voisins, que le milieu du Punk Rock se construit grâce à une solidarité locale à plusieurs niveaux et sur plusieurs échelles qui passent par des initiatives variées. Mais il est en réalité complexe d'évoquer des généralités dans ce cas précis. En effet, l'aide apportée à telle ou telle formation est fondée, nous l'avons vu, sur des initiatives personnelles, guidées par des goûts musicaux ou des valeurs communes qui sont ainsi, par définition, subjective. Nos exemples nous ont alors permis de comprendre quelles sont les méthodes les plus répandues afin de soutenir un groupe qu'un acteur apprécie mais il ne saurait être question de limiter les moyens d'actions possibles à ceux évoqués. Par absence de source, nous avons en effet été contraints de ne pas insister sur certains autres moyens d'affirmer sa solidarité envers des formations musicales et ce, de manière consciente ou inconsciente. Au cours de notre prochaine partie, nous allons analyser le cas des acteurs du milieu Punk Rock de Chicago qui choisissent de s'installer dans cette ville en tentant de comprendre pourquoi ceux-ci font-ils ce choix. b. Le cas des acteurs s'installant à Chicago Au cours de cette partie nous allons nous interroger sur l'importance des apports extérieurs à la ville de Chicago sur la scène de la ville et essayer de voir si ces ajouts, d'influence ou de personnel, ne sont pas plus importants que ceux originaires de la ville. Il est en effet frappant de constater que de nombreux acteurs ne sont pas originaires de la ville de Chicago et s'installent, pour différentes raisons, dans la capitale économique du Middle West. Parmi ceux-ci, nous retrouvons de nombreux acteurs que nous avons évoqué précédemment comme Steve Albini qui, comme nous l'avons déjà vu, est originaire du Montana mais aussi Rey Washam et David Wm. Sims, batteur et bassiste de Rapeman originaires de Austin au Texas ou bien Corey Rusk, originaire de Detroit, dans le Michigan. Il nous semble alors central de nous demander dans un premier temps pourquoi ces musiciens décident de déménager et de rejoindre la ville de Chicago plutôt qu'une autre. 88 Nous pouvons ici distinguer plusieurs raisons qui évoluent avec le temps. Durant les premières années de la décennie 1980, la principale raison n'a rien à voir avec la musique. Steve Albini rejoint ainsi la ville pour des raisons universitaires, celui-ci étant reçu à la faculté de Northwestern1 afin de poursuivre des études dans le but de devenir journaliste. Vic Bondi, arrivent d'ailleurs pour des raisons similaires, liées à son cursus universitaire.2 La faible importance de la scène, d'un point de vue démographique et médiatique, n'attire alors pas les musiciens. Si ces deux acteurs s’intègrent au mouvement Punk Rock de Chicago c'est avant tout pour des raisons pratiques, ces deux musiciens choisissant de déménager dans cette ville pour d'autres raisons. Il ne s'agit pas alors de choisir Chicago pour sa scène musicale mais avant tout pour d'autres raisons et l'engagement dans le milieu Punk Rock n'est alors qu'une conséquence et non pas la raison de l'installation de ces musiciens dans cette ville. Cette situation évolue rapidement puisque dès 1982 et 1983 des musiciens déménagent à Chicago pour des raisons liées à la musique. Parmi ces acteurs, nous retrouvons Corey Rusk, le directeur du label Touch & Go, originaire de la ville de Detroit. Celui-ci déménage dans la ville de Chicago pour des raisons pratiques, la ville étant plus grande que Detroit, plus riche mais aussi assez proche de cette dernière. Mais ces raisons ne sont pas les seules évoquées puisque dans une interview avec le magazine pitchfork, celui-ci évoque aussi ses connaissances au sein du milieu Punk Rock de Chicago.3 Mais est il réellement question de déménager afin de fonder une scène Punk Rock à Chicago ? Rien ne saurait être moins sûr, surtout lorsque nous étudions les déclarations de Rusk lorsque celui-ci déclare dans la même interview « Nous n'avions pas de liens forts [avec Chicago] mais, d'une certaine façon, peut être que c'était la grande ville la plus proche » il apparaît donc que la connaissance de quelques personnes habitant à Chicago n'ait pas été déterminante dans le choix de Rusk qui semble choisir la ville au hasard. Cela est d'ailleurs confirmé par la suite de l'entretien, celui-ci laissant entendre que le développement du label dans la ville de Chicago est plus lié au hasard 1 L'ouvrage de Michael Azerrad évoque ce fait, notamment dès les premières pages du chapitre consacré à Big Black. 2 Au cours de cette interview donné au magazine en ligne scannerzine Vic Bondi déclare « Mon oncle m'a aidé à rentrer à l'université de l'Illinois » http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm 3 Dans cette interview donnée au magazine en ligne Pitchfork à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire du label, Corey Rusk déclare « Nous ne connaissions que trois personnes là bas [à Chicago], les membres de Big Black et nous avions déjà été à Chicago deux ou trois fois. » http://pitchfork.com/features/interviews/6419-corey-rusk/ 89 du développement des groupes originaires de la ville plutôt que d'une volonté réfléchie. 4 L'influence de la musique, et notamment des musiciens, semble donc exister mais ne pas être au premier plan dans le choix qui a conduit le directeur du label Touch and Go à déménager à Chicago. Enfin, à partir de la fin des années 1980, des musiciens emménagent à Chicago grâce au milieu musical de la ville. Naturellement, cela n'empêche pas d'autres musiciens de déménager à Chicago pour des raisons professionnelles ou universitaires, comme c'est le cas pour Britt Walford et Brian McMahan, membre du groupe Slint qui emménagent dans cette ville afin de suivre des études dans la faculté de NorthWestern. 5 Mais il est notable que des musiciens choisissent de venir à Chicago en ayant en tête pour principale raison la musique. Parmi les acteurs que nous avons cité, le cas de Rey Washam nous servira d'exemple. Ce musicien, originaire d'Austin au Texas, décide de déménager à Chicago afin de fonder un groupe avec Steve Albini6. La raison principale de son déménagement est alors la musique. Washam n'est d'ailleurs pas un cas isolé puisque de nombreux musiciens déménagent également à Chicago pour des raisons artistiques parmi lesquels David Yow, David Wm. Sims ou Duane Denison, tous trois venant d'Austin. Hors, cette situation n'est pas le fruit du hasard, ces musiciens se connaissant auparavant. En effet, s’il est indéniable que ces musiciens déménagent avant tout pour des raisons artistiques, cela ne peut s'expliquer que par cette raison et il est important de préciser que les relations amicales jouent ici un grand rôle. Car Rey Washam déménage sur invitation de Steve Albini et ne prend donc pas cette décision de manière irréfléchie mais bien parce qu'il est certain de rencontrer un musicien qui souhaite former un groupe avec lui. Washam convainc alors son ami, David Wm. Sims, bassiste originaire d'Austin, de déménager avec lui à Chicago. 7 Enfin, après la séparation de Rapeman, David Wm. Sims ne souhaite plus quitter Chicago et demande à 4 Dans la même interview que celle évoquée au sein de la note précédente, Corey Rusk déclare « je pense que Chicago était bien en quelque sorte, et je pense que nous sommes arrivés au bon moment. Juste après avoir emménagé à Chicago, nous avons travaillé avec plusieurs groupes de Chicago qui étaient de qualité. » http://pitchfork.com/features/interviews/6419-corey-rusk/ 5 Nous nous reporterons à l'ouvrage de Scott Tennent, Spiderland et notamment à la page 60 de l'ouvrage. 6 Cela est notamment confirmé par Albini dans une interview donné à The Quietus, journal musical en ligne anglais, entretien mis en ligne le 2 septembre 2013 : http://thequietus.com/articles/13250-steve-albini-interview-rapeman-shellac 7 Cette interview, datée de 2005, de Rey Washam par Mark Prindle sur son site personnelle nous permet de mieux comprendre la situation et la manière dont ces déménagements ont eu lieu : http://www.markprindle.com/washam-i.htm 90 deux musiciens originaires d'Austin de le rejoindre. La perspective de fonder un groupe est alors centrale mais elle est intimement liée à celle de rejoindre un ou plusieurs amis. Nous constatons donc que les raisons pour lesquels ces musiciens emménagent à Chicago sont variées et évoluent avec le temps et avec la réputation des groupes originaires de la ville. Une question peut alors se poser devant l'importance de ces acteurs extérieurs au départ qui choisissent de déménager à Chicago afin de s'engager au sein de la scène locale : la scène de Chicago peut-elle porter ce nom si une part importante de ses acteurs les plus importants ne sont pas originaires la ville ? Il serait en effet possible de voir la scène de Chicago comme une scène fragile, nécessitant l'arrivée de nouveaux acteurs et donc, d'une certaine manière, dépossédée de son identité première. Hors, affirmer cela serait faire preuve d'un manque de réflexion sûre. Tout d'abord, il est évident que si la scène Punk Rock de Chicago était considérée comme fragile et inintéressante, les musiciens ne s'y installeraient pas et choisiraient une autre destination. Hors, ces musiciens quittent parfois des villes dans laquelle existe une scène Punk Rock importante comme Austin8 ou Detroit9 afin de se rendre à Chicago. Cette première preuve suffit ainsi à prouver que la scène de Chicago est perçue comme assez intéressante et vivante auprès de ces jeunes musiciens. aAffirmer que la scène Punk Rock de Chicago perd de son identité avec l'arrivée de ces nouveaux musiciens ne peut être une position défendable et ce pour plusieurs raisons. La première est que l'arrivée de ces musiciens ne condamnent pas les anciennes formations. Certaines sont déjà séparées avant l'arrivée de ces nouveaux musiciens comme Articles Of Faith dont la date de séparation est de 1984. De plus, ces nouveaux acteurs vont se révéler être des aides précieuses pour ces anciens acteurs, notamment Steve Albini qui, à partir de 198710, ne sort plus de disque sur un autre label que Touch and Go. Ces nouveaux acteurs ne cherchent donc pas à prendre la place des anciens musiciens présents sur place mais à intégrer la scène déjà existante et à s'intégrer de la meilleure des façons possibles. Enfin, considérer que ces nouvelles formations et labels dépossèdent la scène de Chicago de son identité première suppose l'existence d'une telle 8 Parmi les formations Punk Rock existantes à Austin, nous citerons Butthole Surfers, Scratch Acid, Big Boys ou Meat Joy parmi d'autres formations. 9 Parmi les formations existantes à Detroit, nous pouvons citer The Fix, Necros ainsi que Negative Approach qui sont parmi les plus connues et reconnues. 10 Nous recommandons au lecteur de vérifier les discographies des différentes formations de Steve Albini en suivant ce lien : http://www.discogs.com/artist/59373-Steve-Albini 91 identité. Hors, nous l'avons précisé à de nombreuses reprises, celle-ci est inexistante d'un point de vue politique mais aussi musicale. Nous pouvons cependant affirmer le contraire : l'arrivée de ces nouveaux acteurs, musiciens ou non, est bénéfique et nécessaire à la scène Punk Rock de Chicago. aNous venons de le dire, certaines formations parmi les plus importantes se séparent dès le milieu des années 1980 et la ville de Chicago brille par son absence d'un label indépendant et solide qui soutiendrait les groupes locaux. Hors, ces manques sont compensés par de nouveaux acteurs, ceux que nous avons évoqué précédemment, qui vont permettre au mouvement Punk Rock de la ville de gagner un second souffle. Le label Touch & Go devient ainsi, en l'espace de quelques années, l'un des acteurs économique les plus importants de la scène locale grâce à la signature de groupes tels que Big Black en 198711, Urge Overkill la même année12 ou The Jesus Lizard en 198913. aLes nouveaux musiciens parmi lesquels Rey Washam et David Wm. Sims jouent dans des formations musicales reconnues au niveau locale mais aussi nationale. 14 En somme, nous avons donc de nouveaux acteurs cherchant à s'intégrer dans une scène locale bien implantée mais qui ne souffre pas de l'arrivée de ces mêmes nouveaux acteurs et qui en profite, ceux-ci permettant au milieu Punk Rock de la ville de se développer de façon plus importante. Nous pouvons donc affirmer que l'arrivée importante d'influences musicales mais aussi de nouveaux acteurs au sein du milieu Punk Rock de Chicago est bénéfique à la scène Punk Rock. Ces effets bénéfiques sont d'ailleurs principalement visibles durant la décennie des années 1990 mais la mise en place des conditions nécessaires à cette évolution se déroule dès la fin des années 1980. Enfin, nous nous devons d'attirer notre attention sur le fait que l'origine géographique n'est pas centrale pour ces musiciens et autres acteurs. Ainsi, le directeur du label Touch and Go, Corey Rusk, explique dans une interview que le choix de signer des contrats avec de nombreux artistes originaires de la ville n'est pas motivé avant tout 11 Voir la biographie du groupe sur le site de Touch and Go http://touchandgorecords.com/bands/band.php?id=34 12 Voir la biographie du groupe sur le site de Touch and Go http://touchandgorecords.com/bands/band.php?id=83 13 Voir la biographie du groupe sur le site de Touch and Go http://touchandgorecords.com/bands/band.php?id=78 14 Le groupe de David Wm. Sims, The Jesus Lizard, partage un disque avec Nirvana sorti le 15 février 1993 comme le précise discogs, plus grande base de donnée discographique au monde : http://www.discogs.com/Jesus-Lizard-Nirvana-Puss-OhGuilt/master/6279 92 par la portée locale mais simplement par l'excellente qualité de ces formations.15 Il ne s'agit pas de comprendre que l'aide à la scène locale ne compte pas pour ses artistes mais qu'il n'est pas ici question de mettre au premier plan l'origine des acteurs mais plutôt leurs qualités artistiques. 2. La conscience d'une scène implantée localement Au cours de cette partie nous nous attarderons sur deux points. Le premier concerne l'existence d'un sentiment de solidarité et d'appartenance à une scène locale chez les acteurs du mouvement Punk Rock de Chicago. Le second point traitera de l'importance des « lieux Punk » de Chicago, c'est à dire les salles de concerts ou les disquaires par exemple. a. Le sentiment d'appartenance à une scène locale existe-t-il ? Puisque nous nous interrogeons sur l'existence d'une scène Punk Rock de Chicago et sur ses caractéristiques, il convient de se poser la question suivante : existe-t-il un soutien et une solidarité de la part des groupes de Chicago pour les formations locales? Si oui, comment celle-ci se manifeste elle et dans quelle proportion ? Enfin, si les musiciens eux-mêmes admettent qu'une scène existe localement et que ce rassemblement de groupes est plus qu'un simple amas de formations jouant une musique assez similaire dans la même ville sans lien fort entre elles, cela nous permettrait de répondre par l'affirmative à notre problématique. La volonté et la conscience d'appartenir à un groupe uni de formations musicales diverses qui se soutiennent est l'une des qualités nécessaires à la création d'une scène Punk Rock à Chicago. Hors, le soutien des musiciens de Chicago pour les autres formations venant de la même ville ne semble faire aucun doute tant les exemples sont nombreux au sein de nos sources. Un exemple simple est tout simplement l'admiration de Steve Albini pour Naked Raygun.1 Naturellement, les exemples de soutien au sein des interviews sont nombreux de la part d'Albini pour Naked Raygun mais le sont également pour une variété de formations de Chicago envers d'autres formations, aussi connues ou non. Car, 15 Voir cette interview accordée au magazine online Pitchfork le 5 septembre 2006 : http://pitchfork.com/features/interviews/6419-corey-rusk/ 1 Comme le confirme entre autre cette interview donné au fanzine Californien Maximum Rock'n'Roll dans le numéro 112 : http://petdance.com/actionpark/bigblack/press/mrr112.php Steve Albini déclare : « Naked Raygun, qui était mon groupe favori quand j'ai emménagé à Chicago » 93 comme nous l'avons vu lors de notre partie sur les liens entre les groupes de Chicago et ceux originaires des états voisins du Middle West, les interviews sont un moyen simple et efficace d'afficher son attachement, musical ou personnel, envers d'autres artistes. L'importance des interviews se comprend notamment lorsque l'on sait que les apparitions médiatiques sont extrêmement faibles, voir inexistantes si nous considérons les médias nationaux, pour ces artistes. Le simple fait de citer une formation dans ces entretiens permet alors de faire connaître celle-ci et de lui accorder une visibilité nouvelle qui est précieuse devant le peu de moyen de communication dont disposent ces artistes. Nous ne citons ici qu'un seul exemple, tant ceux-ci sont nombreux au sein de nos sources et encourageons le lecteur à lire les nombreuses interviews utilisées par le rédacteur comme sources principales. De plus, notre analyse est parsemée de nombreux exemples de groupes montrant leur soutien à d'autres formations. Celles-ci fourniront un ensemble de preuves complémentaires trop nombreuses pour être détaillées ici même, le but n'étant pas de fournir un catalogue d'exemple, la plupart ayant déjà utilisés précédemment. La situation géographique semble également être une condition de soutien accru, tout du moins à première vue. L'auteur entend par là le fait que les musiciens emménageant à Chicago ou les formations fraîchement formées originaires de la ville sont soutenus de manière plus importante encore par les groupes de la ville. Le fait d'être originaire de Chicago engendrerait alors une sorte de réaction de solidarité de la part des acteurs de la ville qui intégrerait la nouvelle formation à ce milieu. Un exemple connu et déjà évoqué en partie est le groupe Slint puisqu'en 1988, les deux compositeurs principaux emménagent à Chicago. Hors, Albini, déjà un soutien important de la formation depuis l'enregistrement dans son studio du premier album du groupe, Tweez, en 1987, aide le groupe de nombreuses manières, notamment en présentant ces deux musiciens à de nombreux amis à lui dont Corey Rusk, directeur du label Touch and Go qui offre un contrat à ceux-ci.2 Le soutien d'Albini à l'égard de Slint s'accentue alors dès que les musiciens déménagent dans la même ville que celui-ci mais cela n'est il pas avant tout dû à des raisons logiques ? En effet, la proximité géographique apporte inévitablement des contacts plus nombreux et une simplicité dans la communication, qui 2 Nous renvoyons le lecteur au livre de Scott Tennent intitulé Spiderland et notamment aux pages 61 à 82 qui décrivent cette période. 94 devient alors plus rapide. De plus, comme nous l'avons dit, Albini est déjà un fervent amateur de ce groupe bien avant l'emménagement des deux compositeurs principaux dans la ville de Chicago. Enfin, ces derniers ne restent qu'une année dans la ville, préférant retourner vivre à Louisville, dans le Kentucky, leur ville d'origine. Considérer Slint comme un groupe de Chicago simplement parce que deux membres ont vécu une année dans cette ville semble alors une erreur. Nous entrevoyons ici une première limite, qui est le soutien important à des formations n'étant pas originaires de la ville. Nous l'avons en effet évoqué précédemment, dans notre partie sur les rapports entre les acteurs de la ville de Chicago et ceux originaires des états du Middle West. Le fait qu'une telle solidarité existe ne détruit pas la possibilité de l'existence d'une scène Punk Rock de Chicago à la condition que cette aide ne se fasse pas au détriment de formations originaires de la ville. En effet, pour pouvoir prétendre à l'existence d'une scène Punk Rock de Chicago, il s'agit de prouver l'existence, du moins dans la partie nous occupant présentement, d'un sentiment de solidarité entre l'ensemble des formations pratiquant de la musique Punk Rock et originaires de la ville de Chicago. Hors, il semble bien que la provenance géographique d'une formation soit d'un impact plus faible que la proximité musicale et plus encore les affinités personnelles. De fait, il est difficile de nier que des formations telles que Naked Raygun ou Big Black n'accordent leur soutien qu'à des artistes qui sont des amis, notamment Slint mais aussi The Jesus Lizard3 ou des acteurs économiques, qui sont également des amis, tels que Corey Rusk. Cela s'explique notamment par le caractère non institutionnel du mouvement Punk Rock. Il n'y a de fait aucune force qui oblige tous les artistes venant de la ville à se soutenir même s’il devient difficile de justifier de l'existence d'une scène Punk Rock dans la ville si une partie des formations originaires de celle-ci est exclue de cette logique de solidarité. Le cas d'Articles Of Faith est ici digne d'une analyse notamment parce que cette formation est considérée comme l'une des quatre plus importantes venant de Chicago ayant évoluée durant la première moitié des années 1980. Mais, pour des raisons personnelles et politiques, le groupe semble être rejeté par la majorité des formations de Punk Rock de la ville. 4 La solidarité entre ces formations, 3 Le groupe comptant dans ses rangs David William Sims, bassiste du groupe Rapeman dans lequel se produit également Steve Albini. 4 De nombreuses interviews évoquent l'isolement d'Articles Of Faith au sein du milieu Punk Rock de la ville de Chicago, notamment cette interview publiée sur le blog Chicago Punk Pix le 5 décembre 2007 dans laquelle Vic Bondi déclare : « les groupes bien établis [il est ici fait référence aux groupes plus anciens de la ville, notamment Naked Raygun ou Strike Under], comme The Effigies, ne nous 95 pourtant de la même ville, est alors à double vitesse. De nombreuses raisons peuvent être évoquées pour expliquer cet isolement. La première est liée à l'aspect politique de ce groupe qui estime que le Punk Rock doit être un mouvement politisé hors la majorité des formations de la ville n’adhère pas à cette définition du Punk Rock comme nous l'avons vu dans notre seconde partie. De plus, Articles Of Faith est formé en 1981 c'est à dire une année après la formation de The Effigies, Naked Raygun et Strike Under, tous trois formés en 1980 et ayant participé à la création du mouvement Punk Rock à Chicago. Hors, ces premiers artistes modèlent profondément le milieu local en lui donnant naissance et en lui inculquant une ligne directrice que les groupes, « originaux » ou « héritiers » de ces précurseurs, s'efforceront de suivre. Articles Of Faith a une approche relativement différente, musicalement dans une moindre mesure mais principalement politiquement et socialement. De fait, ce groupe peut avoir été considéré, consciemment ou non, par les groupes Punk Rock de Chicago comme une menace envers l'esprit originel du mouvement Punk Rock de la ville. Si les acteurs plus anciens de la ville n'avouent pas cela, Vic Bondi quant à lui semble certain de cette version puisqu'il déclare : « Articles Of Faith était de gauche, The Effigies de droite, Effigies était de la vieille école, Articles Of Faith était la nouvelle école »5. Vic Bondi ne nomme ici que The Effigies, principalement, car les conflits entre les deux formations furent violents, notamment par média interposés.6 Articles Of Faith est ici un exemple de nouvelle formation qui, pour des raisons personnelles et politiques, est rejetée par des acteurs centraux du mouvement Punk Rock de la ville. Il s'agit alors de comprendre pourquoi de nombreux artistes soutiennent, du moins en apparence, la scène Punk Rock de Chicago. Au cours de notre travail, nous avons constaté que de nombreux rédacteurs de fanzines demandent fréquemment quelles formations de Chicago sont proches de l'artiste avec qui l'entretient se déroule. Hors, il existe des artistes critiquant le mouvement Punk Rock de la ville de Chicago durant ces entretiens. Vic Bondi critique à de nombreuses reprises certaines formations originaires de la ville notamment leur attitude, arguant que la majorité des groupes anciens ouvraient aucune porte »http://chicagopunkpix.com/CPP/?p=32 5 Cette citation est extraite d'une interview publiée sur le blog scanner zine http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm 6 De nombreuses interviews et mémoires relatent cette relation tumultueuse. Vic Bondi déclare par exemple dans cette interview publiée dans le fanzine Suburban Voice au mois de juillet 1984 : « je n'écoute pas ce groupe [The Effigies]. Je ne les apprécie pas. […] The Effigies font tous ce qu'ils peuvent pour ennuyer tout le monde » http://www.killfromtheheart.com/interviews.php?id=4 96 participe à une sorte de développement clanique du milieu Punk Rock de la ville. 7 Il semble alors que l'ouverture vis-à-vis des nouveaux arrivants du mouvement Punk Rock de la ville, et notamment des formations les plus anciennes, soit limitée à des acteurs s'intégrant personnellement, musicalement et idéologiquement à celles déjà en place. En somme, il semble que pour s'intégrer rapidement et durablement à ce milieu, les relations personnelles soient une fois de plus centrales et nécessaires. Dans ces conditions, il est bien plus aisé de comprendre pourquoi des artistes revendiquant une position politique et musicale différente ne sont pas intégrés à cette logique de solidarité qui lie des formations comme The Effigies, Naked Raygun et Big Black par exemple. Il semble donc que afin de gagner le soutien des formations les plus anciennes de la ville, il faille s'intégrer à ce milieu grâce à une proximité musicale ou personnelle. L'exemple de Steve Albini est d'ailleurs central pour illustrer ce phénomène puisque celui-ci réussit à s'intégrer notamment grâce à son amitié avec Jeff Pezzati, membre de Naked Raygun, qui lui permet de recruter Santiago Durango, autre figure centrale du milieu Punk Rock de la ville grâce à sa participation à Naked Raygun. La reconnaissance locale et nationale de son groupe Big Black permet à Albini, dans un second temps, de se retrouver dans la situation d'une figure musicale reconnue et respecté dans le milieu du Punk Rock à un niveau local et national qui, grâce à son influence nouvellement gagnée, tente de mettre en avant des formations avec qui il se lie d'amitié. Nous pouvons ici citer The Jesus Lizard pour laquelle Steve Albini enregistre de nombreux albums8 tout au long de sa carrière d'ingénieur du son mais également d'autres formations comme Tar ou Urge Overkill. Le lien personnel semble donc être l'élément central qui favorise l'accès, ou non, à ce réseau de solidarité qui se crée entre certaines formations de Punk Rock dans la ville de Chicago. Les proximités géographiques ou même musicales semblent alors reléguées à un plan de moindre importance ce qui nous amène alors à nous demander si la question de l'origine locale n'est alors pas surestimée lorsque nous 7 Voir cette interview publiée par le blog Scanner Zine dans laquelle Vic Bondi déclare : « Je voulais désespérément m'intégrer à la scène de Chicago. Mais c'était tellement clanique » http://www.scannerzine.com/vicbondiinterview.htm 8 Le groupe enregistre la majorité de ses productions discographiques dans le studio de Steve Albini parmi lesquelles Pure en 1989 et Head en 1990. Devant l'absence de sources fiables sur internet, le site officiel du groupe étant fermé et le site officiel du label Touch And Go ne fournissant pas ses informations, nous renvoyons le lecteur à la page discogs, plus grande base de donnée discographique en ligne, consacrée à Steve Albini et notamment à l'onglet permettant de constater l'ensemble des disques sur lesquels celui-ci a joué un rôle dit « technique » c'est à dire d'ingénieur du son : http://www.discogs.com/artist/59373-Steve-Albini? limit=500&sort=title,asc&subtype=Technical&type=Credits 97 parlons de solidarité entre ces groupes. Il semblerait alors que la logique de solidarité dont font preuve les artistes de Chicago soit conditionnée avant tout par des raisons personnelles et nullement artistiques ou même géographiques. Pourquoi alors une telle volonté de la part des rédacteurs de fanzines, au cours des entretiens, pour ces questions portant sur les groupes locaux ? Deux éléments de réponses peuvent être évoqués. La première raison est intimement liée au manque d'exposition médiatique des groupes Punk Rock et à l'origine de ces magazines. En effet, ces derniers sont de fait des créations amatrices, rédigées par des amateurs de ce genre musical et ceux-ci disposent donc des mêmes informations que les autres acteurs et spectateurs de ce mouvement. Hors, il est évident que les informations circulent sporadiquement, notamment lorsqu'il s'agit de groupes originaires d'autres régions. Le rédacteur trouve donc dans les acteurs d'une scène locale une source d'information de première main. Les acteurs interrogés servent donc de source d'information locale puisque, comme nous l'avons dit, celles-ci circulent difficilement notamment lorsque l'éloignement géographique est important. La seconde raison qui pousse la presse spécialisée à évoquer l'existence d'une solidarité dans le milieu Punk Rock de la ville de Chicago est liée à ce que nous pourrions définir comme du mimétisme. Le mouvement Punk Rock se développe aux États Unis dans des zones géographiques variées parmi lesquelles Chicago mais aussi Washington, New York City ou Los Angeles. Hors, l'importance de la localisation géographique n'est pas secondaire mais première lorsqu'il s'agit de définir l'identité de ces mouvements locaux. De fait, il n'est pas rare de mettre au premier plan la provenance géographique d'une formation musicale afin de la définir. Ceci emprunte à la théorie selon laquelle l'identité d'une scène locale est si fortement marquée et unique que la simple évocation de la ville d'origine de celle-ci suffit à l'amateur de Punk Rock pour se faire une idée précise du type de musique pratiquée par le groupe. Nous ne sommes pas ici pour discuter de l'exactitude ou non de cette affirmation vis-à-vis des milieux Punk Rock de Washington ou de New York City mais nous admettrons, et c'est là le consensus commun non seulement chez les amateurs de Punk Rock mais aussi chez les journalistes musicaux9, que ces deux villes possèdent un milieu Punk Rock 9 Nous renvoyons le lecteur vers les ouvrages de Steven Blush et Michael Azerrad qui, parmi d'autres spécialistes, admettent durant la majorité de leurs réflexions, qu'une telle identité si marquée existe bien pour les milieux Punk Rock de ces deux villes. 98 fortement identifiable tant musicalement qu'idéologiquement. Le milieu Punk Rock national américain est donc en quelque sorte conditionné pour décrire une formation musicale par son style musical puis, avec la même importance, par sa provenance géographique. Cela est remarquable notamment grâce aux flyers de concerts qui indiquent souvent la ville de provenance des formations musicales se produisant sur scène. Cela ne concerne d'ailleurs pas uniquement les groupes originaires de Chicago mais également de l'ensemble du territoire américain. 10 Il semble donc qu'un consensus commun à l'ensemble du milieu national Punk Rock se crée selon lequel les formations d'une même ville forment une scène unie, marquée par une identité musicale et idéologique commune, un sentiment d'appartenance à une communauté et une volonté de soutien de l'ensemble des acteurs au sein de celle-ci. Si cela peut être le cas, selon un nombre important de spécialistes, à Washington ou New York City, cela n'est pas le cas à Chicago comme nous l'avons dit, notamment, car des différences musicales et idéologiques existent entre de nombreux acteurs centraux du mouvement Punk Rock de la ville mais aussi parce que le soutien pour l'ensemble des formations venant de la même ville n'est pas une réalité. Le manque d'informations de la part des rédacteurs de magazine au sujet du milieu Punk Rock de Chicago pousserait alors ceux-ci à calquer une logique applicable à de nombreuses villes comme Washington ou New York City à des localités ou celle-ci ne peut l'être à cause, notamment, de disparités idéologiques et musicales trop importantes. Cette théorie nous semble intéressante notamment parce que les questions posées aux formations de la ville de Chicago sont souvent orientées afin d'avoir une réponse locale. Hors, dans le cas où un artiste se voit demander quels artistes l'inspirent sans que celuici ne doive restreindre ses choix à des formations locales, les réponses sont différentes. Ainsi, lorsque l'on demande à Steve Albini quels sont les artistes qui l'inspire sans lui demander de se limiter à des formations locales, celui-ci n'évoque que trois groupes ayant appartenu au milieu Punk Rock de Chicago, Naked Raygun, The Effigies et David Yow.11 10 Nous appuyons notre propos sur trois flyers, le premier illustre un concert donné le 6 mars 1981 à Austin. http://hardcoreshowflyers.com/images/05010801.jpg Le second un concert donné le 21 juin 1984 à Easthampton dans le Minnesota http://hardcoreshowflyers.com/images/11010802_84.jpg. Enfin, le troisième flyer illustre un concert donné le 26 avril probablement de l'année 1980 : http://www.hardcoreshowflyers.com/images/02071186.jpg 11 Information tirée de cette interview de Steve Albini et Bob Weston publiée en mars 1998 : http://web.tiscalinet.it/shellac/Interview2.htm 99 Afin de conclure, nous pouvons déclarer que le soutien entre formations Punk Rock dans la ville de Chicago existe bel et bien. En effet, de nombreux artistes font preuve de solidarité par le biais de déclaration publiques mais aussi d'autres moyens semblables à ceux que nous avons détaillé lors de notre partie précédente portant sur les relations entre le milieu Punk Rock de la ville et celui des états voisins du Middle West. Mais cette solidarité n'est pas fondée principalement sur l'origine géographique mais plutôt sur les affinités personnelles entre chaque acteur. Nous revenons donc à un point déjà évoqué de nombreuses fois au cours de notre développement, à savoir le fait que la solidarité au sein du milieu Punk Rock de Chicago fonctionne selon une logique reposant sur des valeurs telles que l'amitié ou l'estime personnelle et non la proximité stylistique ou géographique. b. Les lieux Punk Rock de Chicago Au cours de notre réflexion, nous avons remis en cause à de nombreuses reprises l'existence d'une scène Punk Rock à Chicago. Au cours de cette dernière partie nous analyserons de quelle manière ce mouvement s'est accaparé l'espace de la ville et quel est le rôle de ces espaces Punk Rock au sein de la ville de Chicago ? Il semble en effet difficile de nier l'importance que revêt la ville dans la naissance de ce mouvement et dans son développement. En effet, afin de se développer, il est indispensable que les acteurs se rencontrent dans des milieux publics. De plus, un mouvement musical doit pouvoir accueillir des artistes afin de se produire en concert et l'existence de salles de concerts est alors nécessaire. Attardons-nous alors sur ces lieux Punk Rock au sein de la ville de Chicago ainsi que leur rôle. Les premiers lieux importants sont les disquaires et ceux-ci ont un rôle particulièrement important dans le milieu Punk Rock de Chicago, car, nous l'avons vu dès notre première partie, les influences des formations de la ville sont nombreuses. Le disquaire doit alors proposer une sélection de disques de qualité et éclectiques afin de couvrir ces besoins de découvertes musicales. De plus, nous avons constaté l'importance des groupes étrangers, notamment Britanniques. Hors, la majorité de ces groupes ne sont pas distribués sur un label américain et il s'agit alors pour la boutique de faire importer ces disques directement du Royaume-Uni. Le rôle du disquaire est donc 100 multiple puisque celui-ci doit connaître les goûts musicaux de ses clients tout en proposant des nouveautés, parfois difficilement accessibles. Au sein de la ville de Chicago, le disquaire le plus important historiquement est Wax Trax Records,1 disquaire situé sur l'avenue de Washington2. La réputation de cette boutique est justifiée notamment par son ancienneté, puisque le magasin ouvre le 25 novembre 1978 et devient un lieu de rendez-vous pour les amateurs de Punk Rock et de New Wave de la ville. De plus, la sélection de disques importés du Royaume-Uni est un atout pour ce disquaire puisque se procurer les nouvelles sorties européennes reste difficile. Le disquaire est donc un lieu essentiel pour le développement et la naissance du milieu Punk Rock à Chicago et Wax Trax semble être le plus important de la ville, notamment durant la première moitié des années 1980. Son rôle de diffuseur musical, grâce à sa sélection de disques britanniques difficiles à trouver, ne doit pas être négligé notamment devant la multitude d'influences revendiquées par les formations de la ville. Un second type de lieu, tout aussi important que les disquaires, sont les salles de concerts. En effet, la représentation scénique est centrale au sein du mouvement Punk Rock et il nous faut alors nous attarder sur les différents types de salle de concert. Il convient alors de différencier deux types de salles accueillant des concerts. Les premières sont des salles de concerts « traditionnelles », accueillant des représentations d'artistes variés toute l'année. Lorsqu'un groupe de Punk Rock assez important passe par Chicago, si celui-ci en a les moyens et si le public est assez nombreux, alors il peut se produire dans ce type de salle. Malheureusement, nous ne disposons d'aucune source afin de présenter ces salles plus précisément. En effet, les informations que nous avons à notre disposition évoquent des concerts, les artistes se produisant ce soir-là ainsi que la date du concert mais n'évoque que rarement le nom de la salle. De rares artistes, fournissant des archives officielles sur leur site internet, nous permettent cependant de nous renseigner sur ces salles mais dans des proportions relativement faibles. L'une de ces salles est le théâtre Riviera3, d'une capacité de deux mille cinq cents personnes qui accueille le 1er mai 1980 un concert de Public Image Limited4, groupe de Post Punk britanique. Une dizaine d'année plus tard, le mouvement Punk Rock de Chicago ayant 1 Cette information est notamment confirmée par Ken Mierzwa, rédacteur dans le fanzine local Coolest Retard qui déclare « Une institution permanente de Chicago était Wax Trax Records » dans ses mémoires publiées sur son blog personnel : http://kmier.net/mixed/punks4.html 2 Voir l'annexe cartographique. 3 Voir annexe cartographique. 4 Information recueillie sur le site officiel du groupe http://www.pilofficial.com/showsarchive.html 101 grandit, des groupes locaux réussissent également à jouer dans des salles aussi importantes mais il s'agit alors de formations reconnues et assez anciennes, disposant d'une base solide et importante d'auditeurs.5 Le rôle de ces salles de concerts bien qu'existant, n'est pas aussi important que celui d'autres, moins importantes. En effet, la programmation de ces salles inclue en effet des groupes de Punk Rock mais ceux-ci ne représentent qu'une partie de l'ensemble des formations se produisant dans ces lieux. De fait, celles-ci ne sont pas ce que l'on pourrait appeler des lieux Punk Rock puisque ces derniers doivent avoir un lien avec le mouvement Punk Rock de Chicago et, principalement, être un lieu de rassemblement pour les acteurs de ce même mouvement. Ces raisons empêchent donc les salles de concerts plus importantes d'être cités comme des lieux Punk Rock mais il ne faut cependant pas diminuer leur importance, les groupes les plus importants du mouvement Punk Rock national et international se produisant dans ce genre de salle comme Public Image Limited au théâtre Riviera ainsi que Iggy Pop par exemple dès 1976. Cependant, les lieux accueillant des concerts ayant eu la plus grande influence sur le milieu Punk Rock de Chicago furent les salles de concerts de taille moins importante mais se concentrant sur ce genre musical. La programmation est donc essentiellement voir uniquement constituée de formations de Punk Rock qui se produisent dans ces salles qui sont la plupart du temps des bars et des lieux de représentation de manière simultanée. Nous allons tout d'abord tenter de nommer ces salles de concerts en donnant des exemples de formations que celles-ci ont accueilli puis, dans un second temps, nous tenterons d'expliquer pourquoi leur rôle est si important. Ces salles de concerts se présentent la plupart du temps sous la forme de ce que les acteurs du mouvement Punk Rock nomme un « club » c'est à dire une salle de concert dans laquelle la scène est de petite taille avec une capacité limitée. Il n'est pas rare d'y trouver un bar ce qui empêche les mineurs d'accéder aux concerts, la vente d'alcool aux personnes n'étant pas encore majeurs étant strictement interdite aux États Unis et bien moins tolérée que dans les pays européens et, afin d'éviter toute poursuite en cas d'incident, les propriétaires de ces salles n'acceptent donc pas les mineurs. De nombreuses salles ouvrent alors leurs portes au cours des années 1980. Parmi les plus importantes, il convient de signaler 5 Au cours de cette interview donnée durant le mois de septembre 1990 publiée par le fanzine Ink Disease, le groupe Naked Raygun déclare jouer régulièrement au théâtre Riviera : http://www.dementlieu.com/users/obik/arc/other/nakedraygun_id17.html 102 «O'Banion's »6, décrit par de nombreux acteurs comme l'une des salles de concert les plus importante du mouvement Punk Rock de Chicago.7Le club ouvre en juin 1978 et ferme quelques années plus tard, le 3 février 1982. L'importance de cette salle n'est pas exagérée puisque les premières formations Punk Rock de la ville s'y produisent fréquemment. Parmi celles-ci, nous pouvons citer Naked Raygun, The Effigies ou Strike Under. Le lieu est également fréquenté par des groupes de plus grande importance et venant d'autres régions, notamment Hüsker Dü s'y produisant le 5 août 1981 8 par exemple ainsi que The Dead Kennedys qui s'y produisent le 19 septembre 1981. L'importance de ce club est donc centrale dans la création du milieu Punk Rock de Chicago puisque les gérants du club se positionnent clairement et choisissent de soutenir ce mouvement et les groupes locaux. Une autre salle dont l'importance est centrale porte le nom de « Oz 9» et fut fondé, pour la première fois tout du moins, en 1977. Cette salle est centrale pour la scène Punk Rock de Chicago pour de nombreuses raisons et les acteurs s'y référant sont nombreux. « Oz » est en théorie un bar mais le lieu ne dispose ni d'un bar ni même d'alcool et la naissance de ce lieu sert en réalité de couverture à la création d'une salle de concert à moindre frais. De plus, les horaires de fermeture sont fréquemment ignorés, ce qui conduit les forces de l'ordre à fermer le lieu. Cependant, après la fermeture de la salle, celle-ci rouvre sous le même nom, avec le même fonctionnement, dans un autre quartier de la ville.10 Ici aussi, le rôle de « Oz » est central dans la création du milieu Punk Rock de Chicago, notamment grâce à son côté illégal qui permet aux amateurs de Punk Rock mineurs d'assister à des concerts sans avoir à se fournir de faux papiers. De plus, la programmation de la salle permet un soutien important des groupes de Punk Rock locaux puisque des formations telles que Naked Raygun, The Effigies ou Strike Under se produisent dans cette salle à de nombreuses reprises. L'importance des salles de 6 Voir annexe cartographique. 7 Le site communautaire Chicago Punk Database déclare que la salle est « considérée comme le zénith du mouvement Punk Rock original de Chicago » http://punkdatabase.com/wiki/O'Banion's Steve Albini, dans une interview donnée à une date inconnue au blog Epitonic, déclare que cette salle de concert fut centrale dans la création de la scène Punk Rock de Chicago. http://www.epitonic.com/features/interviews/interview-steve-albini/ 8 Voir les archives de concerts du groupe Hüsker Dü présentes sur le site suivant http://www.thirdav.com/hd_discog/dates.html 9 Voir annexe cartographique. 10 La majorité des informations à propos de cette salle sont tirées d'une partie des mémoires de Ken Mierzwa, rédacteur pour le fanzine Coolest Retard disponible à cette adresse : http://kmier.net/mixed/punks4.html 103 concert est en réalité primordiale, principalement durant les premières années d'existence du mouvement Punk Rock à Chicago, de 1979 à 1982. En effet, le milieu Punk Rock compte alors peu d'acteurs et ceux-ci ont non seulement besoin de lieux où se retrouver afin de créer une communauté mais également de salles de concerts afin de se produire musicalement et d'augmenter leur reconnaissance auprès des auditeurs de la ville. Comme nous venons de le dire, le milieu Punk Rock compte, durant ses premières années d'existence, peu d'acteurs et le fait que les « lieux Punk Rock » de la ville soient peu nombreux est un atout. Ainsi, les acteurs de ce mouvement peuvent se retrouver dans des lieux à l'identité forte qui attirent une forte vague de soutien de la part de l'ensemble de la communauté Punk Rock de la ville. Il semble donc y avoir une fédération autour de ces salles de concert dont le faible nombre constitue un atout puisque la scène Punk Rock de Chicago est alors « localisée » dans peu d'endroits, permettant alors des contacts plus nombreux avec les autres acteurs de ce milieu. En effet, de manière logique, s’il existe peu de lieux Punk Rock dans la ville de Chicago, alors il y a plus de chance que ceux-ci s'accaparent une part importante de la population des amateurs de Punk Rock de la ville. Enfin d'autres lieux jouent un rôle dans la création du milieu Punk Rock de Chicago qui n'est cependant pas aussi central que celui des boutiques de disque ou des salles de concerts. Il s'agit des habitations de certains musiciens qui, bien que privées, peuvent devenir des lieux de rencontre et de rassemblement pour les acteurs du mouvement Punk Rock de la ville. Il convient tout d'abord de préciser que l'importance de ces lieux est bien moindre, surtout au niveau de l'impact sur la scène musicale de la ville, et que nous n'avons connaissance que de deux lieux de cette catégorie qui jouent un rôle assez important pour être ici cités au cours de notre explication. La première habitation assez importante pour figurer dans cette catégorie est celle que partagent les membres de Naked Raygun, plus précisément Santiago Durango et les frères Marko et Jeff Pezzati, dans le quartier du Parc Lincoln. L'importance de cette maison est multiple puisque celle-ci sert de lieu de rencontre entre les différents acteurs Punk Rock de la ville mais sert aussi de lieu de répétition pour les musiciens et d'autres amis de ces derniers. 11. Albini confirme d'ailleurs l'importance de cette maison dans de nombreuses interviews puisque c'est dans ce lieu que la première répétition officiel de Big Black a lieu et que 11 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, notamment les pages 317 et 318. Michael Azerrad déclare dans son ouvrage que « tous les groupes Punk de la ville répétaient dans la cave du bâtiment » 104 Santiago Durango rejoint le groupe, le même jour.12 La si grande importance d'un lieu privé nous démontre le faible nombre de lieux consacrés au mouvement Punk Rock à Chicago, notamment durant les premières années d'existence de ce milieu, c'est à dire de 1979 à 1982 environ. Les acteurs tentent alors de trouver des solutions en utilisant la cave de l'habitation d'une des formations les plus importantes de la ville qui a la chance d'être d'une taille assez importante pour pouvoir accueillir plusieurs musiciens ainsi que leur matériel. Le second lieu privé que nous évoquons ici est l'habitation de Steve Albini que celui-ci transforme en partie, dès son achat en 1987, en studio d'enregistrement. Ce lieu devient important notamment, car de nombreuses formations originaires de la ville enregistrent dans ce studio, parmi lesquelles Tar, The Jesus Lizard ou Urge Overkill.13 Cependant, il est évident que ce lieu ne peut prétendre à la même importance que des salles de concerts ou bien, pour rester dans une comparaison plus proche, l'habitation des membres de Naked Raygun. La première raison qui explique cela est le fait qu'Albini ne transforme pas sa cave en studio de répétition mais d'enregistrement, ce qui ne correspond pas aux mêmes besoins. En effet, le local de répétition est nécessaire à toute formation tandis que le studio d'enregistrement nécessite la composition de musique, ce qui est un processus plus long et que les formations musicales mettent en place moins souvent que la répétition. La seconde, et principale raison, est tout simplement la multiplication, durant les années 1980, des lieux Punk Rock à Chicago. En effet, durant les années 1980, de nombreuses salles de concerts programmant des formations Punk Rock locales voient le jour. Parmi ces salles nous pouvons citer « Cabaret Metro »14, une salle ouverte en juillet 1982 15 programmant de nombreuses formations locales parmi lesquelles les plus célèbres et importantes de la scène locale comme Naked Raygun ou The Effigies. « Cabaret Metro », tout comme la majorité des nouvelles salles de concerts se concentrant majoritairement sur la musique Punk Rock sont cependant différentes des premiers lieux de concert que nous évoquions et ce, pour plusieurs raisons. La première est tout simplement la taille, puisque le Cabaret Metro affiche une capacité de mille deux cents spectateurs ce qui représente un nombre 12 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad, notamment les pages 317 et 318. 13 Voir l'ouvrage de Michael Azerrad à la page 344 mais aussi les indications présentes sur chaque disque de ces formations musicales. 14 Voir l'annexe cartographique. 15 Information retrouvée sur le site officiel de la salle de concert à l'adresse suivante : http://metrochicago.com/info dans la rubrique « History ». 105 important dans le milieu Punk Rock de la ville de Chicago. La seconde différence est tout simplement la rentabilité puisque les salles de concerts que nous évoquions précédemment ferment rapidement et pour raisons financières. «Oz » ferment ainsi à de nombreuses reprises et son propriétaire se voit contraint d'ouvrir une discothèque afin de rembourser ses dettes.16 La multiplication des salles de concert, dont le « Cabaret Metro » n'est qu'un exemple auquel nous pourrions ajouter des salles telle que « Exit » par exemple, qui sont relativement similaires, notamment grâce à une programmation très proche, indique que le milieu Punk Rock de Chicago a évolué et grandit, car ces salles de concerts sont économiquement viables. Ces salles de concert servent donc de témoins à l'évolution du milieu Punk Rock de Chicago, prouvant donc que le nombre d'amateurs de ce genre musical n'a cessé d'augmenter au cours des années 1980. Mais ces salles ont elles la même influence que les lieux évoqués durant les premières lignes de notre développement? Certes, leur influence est importante, notamment grâce à la programmation mettant en avant les groupes locaux et permettant à des formations nationales, c'est à dire rencontrant un succès relativement important dans l'ensemble du pays, de se produire à Chicago devant un parterre d'amateurs fourni puisque les salles sont de taille convenable. Il est cependant certain que leur influence n'est en aucun cas comparable aux salles disparues évoquées plus en amont de notre développement et ce car celles-ci sont moins anciennes. De fait, les salles disparues dès le milieu des années 1980 ont eu une influence primordiale dans le sens où celles-ci ont aidé le mouvement Punk Rock de Chicago à se structurer et à se développer au moment où celui-ci était le plus vulnérable, c'est à dire au départ. Leur influence sur les musiciens est donc importante mais cellesci acquièrent également un statut culte auquel une salle moins ancienne ne peut prétendre tout simplement, car celle-ci n'aura pas eu la même incidence sur la formation originale de ce milieu malgré l'importance de ces lieux, plus récents, sur le développement de celui-ci. Les lieux Punk Rock de Chicago ont indéniablement une influence sur ce milieu et ce, de plusieurs manières, notamment en fournissant des lieux de rencontre et de sociabilité à ces acteurs, favorisant alors la naissance d'un mouvement pourtant fragile 16 Voir cette interview tiré du numéro 6 du fanzine Noise, publié dans l'Ohio, imprimé en 1981 http://www.dementlieu.com/users/obik/arc/effigies/int_noise6.html 106 et peu important démographiquement parlant dans ses premières années d'existence. Si l'importance de lieux tels que les disquaires ou les salles de concerts reste centrale tout au long de la période nous intéressant, celle-ci est primordiale durant les premières années d'existence du milieu Punk Rock à Chicago, notamment car ces lieux aident à mettre sur le devant de la scène les formations les plus respectées et les plus reconnues par les acteurs de ce même mouvement. Les lieux de rencontre, privés ou non, peuvent alors être vu comme un point commun entre de nombreuses formations et ainsi être décrit comme l'une des caractéristiques qui permettrait de définir l'ensemble du mouvement Punk Rock de Chicago comme une scène à part entière. Il convient cependant de ne pas aller plus loin dans cette explication car, comme nous l'avons vu, les lieux liés au Punk Rock évoluent avec le temps, notamment les salles de concerts originales, qui font face à des problèmes économiques. Il est donc logique que les formations voyant le jour après 1982 ne puissent jouer dans celles-ci. Hors, si nous décidons que les lieux Punk Rock de la ville sont l'une des caractéristiques centrales pour la formation d'une scène de Chicago, alors tout groupe fondé après 1982 ne peut prétendre appartenir à celle-ci simplement parce qu'il n'a pas eu la chance de jouer dans des salles comme la salle « Oz ». L'importance de ces lieux, notamment durant les premières années d'existence de ce mouvement, ne peut être remise en cause car ceux-ci aident à former la scène de différentes manières mais elle n'est pas suffisante pour faire de ces lieux de rendez-vous et de sociabilité l'une des composantes les plus importantes pour pouvoir prouver l'existence d'une scène Punk Rock de Chicago. 107 Conclusion générale de notre analyse : Au cours de notre développement nous avons tenté d'apporter des éléments de réponse afin de répondre à notre problématique et de savoir s’il existe une scène Punk Rock à Chicago entre 1979 et 1991. Dans un premier temps et ce de manière logique, nous nous sommes attardés sur la dimension musicale de ce mouvement local. Nous avons alors détaillé quelles sont les influences de ces acteurs en ne nous focalisant pas uniquement sur les formations les plus reconnues médiatiquement ou stylistiquement proches des groupes étudiés mais sur l'ensemble de ces mêmes influences. Nous avons alors découvert que des influences diverses, parfois surprenantes, sont revendiquées par ces artistes. Nous avons également pu prouver qu'une identité musicale forte existe pour les formations principales du milieu Punk Rock local. De fait, il est pratiquement impossible de définir un « son Punk Rock de Chicago » tant les différences musicales sont importantes entre ces formations. Enfin, nous nous sommes attardés sur les évolutions musicales et les réactions que celles-ci engendrent qui, tout au long de notre période, se sont fait là aussi variées, les changements stylistiques étant repoussés par certains artistes tandis qu'au contraire, d'autres les accueillent avec bienveillance. Il semble alors qu'au cours de notre première partie, nous n'ayons pu faire en sorte de dégager suffisamment d'éléments afin d'affirmer l'existence d'une unité artistique au sein du mouvement Punk Rock de Chicago. Mais il est également vrai que nous avons prouvé que la plupart de ces formations possèdent une identité très marquée et différente des formations évoluant dans d'autres villes ou régions des États Unis. Par la suite, nous avons axé notre réflexion sur une dimension sociale et politique, en tentant d'étudier ce mouvement artistique non pas comme un simple mouvement musical mais comme une manifestation sociale et politique. Nous avons donc étudié en deux temps les caractéristiques sociales et politiques de ces artistes. Nous avons ainsi mis au centre de notre réflexion les questions universitaires, c'est à dire le rôle que jouent les études au sein de leur démarche artistique. Pour certains, l'université est un moteur qui leur permet de s'éloigner de leur état natal et donc de déménager à Chicago. Nous avons également constaté que les connaissances acquises à l'université sont mises au service de leur engagement artistique et activiste au sein du milieu Punk Rock. De fait, un étudiant en journalisme s'investit ainsi plus facilement 108 dans la rédaction d'un fanzine. La réaction et la place des études universitaires et du cursus universitaire a également été étudié, révélant que les études ne sont pas nécessairement ce que les acteurs de ce milieu portent en estime, notamment car l'enseignement académique semble être rejeté par la plupart de ceux-ci. Les questions de genre ont également trouvé une place dans notre réflexion en nous interrogeant sur la proportion des deux sexes au sein de ce milieu. Comprenant que la proportion de femmes agissant au sein de ce mouvement est extrêmement faible, nous avons tenté d'en expliquer les raisons, tentant tout d'abord de lier ce fait aux paroles machistes de certaines formations, notamment Big Black. Mais il nous a paru plus sage de nous désolidariser, du moins en partie, de cette thèse pour mettre en avant la faible population de cette scène et donc les chances moindres qu'une femme s'investisse dans ce milieu et soit assez reconnue pour laisser une trace écrite, les sources étant par ailleurs un problème récurrent de notre analyse. La place des chefs de file, ou figures centrales, de ce milieu Punk Rock a également occupé une part importante de notre réflexion et nous avons tenté d'expliquer quelle est l'influence de ces personnages mais aussi pourquoi le Punk Rock a, comme tout mouvement artistique, besoin de ceux-ci. Nous avons également tenté de définir quels moyens sont les plus fréquents afin d'avoir une certaine influence au sein de ce milieu. Nous avons ainsi comparé la figure centrale Punk Rock à celle des intellectuelles, son avis étant recherché par les amateurs et porté en haute estime. La dimension politique du mouvement Punk Rock nous a semblé impossible à ne pas évoquer. Des formations originaires de la ville de Chicago s'investissent politiquement par le biais de leur musique et de leur groupe. Nous avons ainsi déterminé de quelle manière concrète cela se déroule et quelle place tient dans ce cas la musique par rapport au message politique. L'absence d'engagement politique étant plus répandu à Chicago, nous avons tenté d'en expliquer les raisons et les réactions des acteurs du milieu Punk Rock de la ville vis-à-vis des deux situations. En effet, des conflits surgissent de l'existence d'un engagement politique ou de son absence, deux visions du mouvement Punk Rock s'affrontant alors. Enfin, l'importance du DIY a été mise au centre d'une analyse qui nous a permit d'affirmer dans un premier temps que le fait de rester indépendant et d'assumer des responsabilités économiques et administratives est une nécessité pour de nombreux 109 groupes et labels. Cette volonté de « faire soi-même » est ensuite devenue une caractéristique importante du mouvement Punk Rock de part le monde et Chicago ne fait pas exception à la règle. De plus, le DIY met au centre de sa philosophie l'importance de l'auto-apprentissage et de la participation active de chaque acteur et amateur, ce qui est l'une des valeurs centrales du mouvement Punk Rock. Au cours de notre dernière partie, nous nous sommes penchés sur les relations de ce mouvement culturel local avec son espace de manière général. Dans un premier temps, nous avons déterminé quelles sont les relations entre les groupes venant de la capitale économique de l'Illinois avec les formations de Punk Rock venant des états voisins du Middle West. Nous avons ainsi déterminé qu'une forte solidarité existe entre les formations de ces états avec celles de la ville la plus importante de la région. Nous nous sommes penchés sur les moyens concrets d'actions utilisés par chacun de ces acteurs afin de prendre parti, publiquement ou non, pour une autre formation. Nous avons également constaté que malgré son importance économique et politique, Chicago ne peut prétendre à une domination si écrasante sur le plan du Punk Rock puisque de nombreuses formations reconnues viennent de villes voisines bien moins importante, comme Saint Paul, patrie d'Hüsker Dü. Nous nous sommes également attardés sur le cas des musiciens qui ne sont pas originaires de la ville de Chicago et qui choisissent cette ville afin de s'installer. Nous avons alors évoqué les raisons de ce déménagement ainsi que l'évolution de celles-ci. L'intégration au milieu Punk Rock et surtout la facilité de cette intégration a été questionnée et nous avons constaté que chaque cas est différent. Les conséquences de ces installations et de l'évolution des raisons poussant certains acteurs à s’installer dans cette ville ont des conséquences nombreuses qui sont analysées au cours de notre partie, notamment une évolution musicale de ce milieu. Nous avons par la suite évoqué le sentiment d'appartenance à une scène locale chez les acteurs de ce milieu Punk Rock et avons constaté une certaine ambiguïté chez un grand nombre de ceux-ci. En effet, celui-ci semble être mis en avant et rejeté dans le même temps et ce, parfois par la même personne. La fierté d'appartenir à une communauté peu importante, fondée autour de valeurs communes est importante mais comme nous l'avons vu, celles-ci ne sont pas généralisables à l'ensemble du milieu Punk Rock de la ville de Chicago. Ces musiciens sont alors fiers d'être proches de certaines 110 formations locales mais pas d'un ensemble de formations ou même d'une scène unie. Il semble donc que la volonté d'appartenir à un groupe d'amis et d'artistes soudés autour de valeurs artistiques, économiques, ou politique communes soit importante mais qu'elle ne puisse être généralisée à l'ensemble des formations Punk Rock de Chicago puisque toutes ne partagent pas le même point de vue sur ces aspects. Enfin, nous avons évoqué l'importance des « lieux Punk Rock » de la ville de Chicago, c'est à dire les lieux dans lesquelles les acteurs de ce milieu se retrouvent. Nous avons constaté l'influence non négligeables qu'ont les disquaires mais aussi principalement les salles de concerts qui permettent, grâce à un soutien important aux artistes locaux, d'aider un milieu culturel naissant à se stabiliser et à exister. Nous avons également compris, grâce aux évolutions, notamment en terme de capacité mais aussi grâce à leur longévité, que la naissance de nouvelles salles de concerts est aussi la preuve que le milieu Punk Rock de Chicago évolue et que les amateurs augmentent, permettant alors à des salles plus importantes de perdurer économiquement. Il nous a cependant été impossible, une fois encore, de nommer un lieu Punk Rock central assez fédérateur pour être évoqué par la majorité ou la totalité des formations de la ville de notre période. Au cours de notre analyse nous avons alors constaté que la généralisation est impossible pour le chercheur qui s'intéresse au milieu Punk Rock de Chicago car ce mouvement reste trop hétérogène pour permettre l'énonciation de généralités et ce sur le plan artistique, mais aussi politique, social voir même géographique. Arrivant au terme de notre réflexion, il nous apparaît alors que des éléments nous permettent de répondre par l'affirmative à notre questionnement originelle tandis que d'autres ne nous permettent pas d'affirmer l'existence d'une scène Punk Rock de Chicago. Car, comme nous l'avons dit précédemment, le fait qu'une unité artistique n'existe pas est un problème majeur car il ne faut pas perdre de vue la qualité musicale de ce mouvement. Hors, s’il n'existe aucun moyen artistique de faire un lien entre l'ensemble des formations de la ville, alors il devient difficile d'affirmer qu'une scène Punk Rock unie existe à Chicago. De la même manière, la dimension politique d'un mouvement peut être un facteur d'unité mais là aussi, comme nous l'avons vu, il est impossible d'admettre de véritables généralités, de nombreux points de vue et moyens d'engagement ou de non engagement politique existant. 111 Que pouvons nous affirmer alors au terme de notre analyse ? Il apparaît comme difficile de prouver l'existence d'une scène unie à Chicago, englobant l'ensemble des formations de la ville mais nous avons également constaté que chacune d'entre elle n'est pas pour autant isolée et, à de nombreuses reprises, des rapprochements entre artistes. Ainsi, des artistes de Chicago aident du mieux qu'ils peuvent des groupes plus jeunes de la ville ou même des états voisins, participant alors à un élan de solidarité nécessaire au sein d'un mouvement artistique si peu important tant au niveau de sa population que de sa visibilité médiatique. Ce qui pose réellement un problème un chercheur n'est pas de trouver des qualités propres à un phénomène de « scène », c'est à dire un ensemble de groupes unies, partageant des valeurs artistiques ou autres, dans un espace et un temps donné, mais de les généraliser à l'ensemble de cet espace. Hors, dans le cas de notre espace et de notre temps, cela est impossible. Il existe ainsi une proximité stylistique puisque chaque formation pratique le Punk Rock qui n'est cependant pas assez importante, car comme nous l'avons vu, chaque formation possède une identité musicale extrêmement forte. De la même manière, il est difficile de trouver une véritable identité politique unique dans ce milieu local puisque certains artistes s'engagent politiquement au sein de leur démarche artistique tandis que d'autre choisissent de ne pas le faire. Les points de vue politique de chacun de ces acteurs restent d'ailleurs très hétérogènes, ne permettant pas ici aussi de mettre à jouer des caractéristiques généralisables à l'ensemble des acteurs de ce milieu. Nous avons également pu mettre à jour des phénomènes de solidarité importants, tentant de prouver par là qu'un esprit d'unité existe bel et bien au sein de ce mouvement artistique local malgré les différences politiques ou musicales existantes. Cependant, nous avons vu que la proximité géographique n'était pas la qualité sur laquelle se fondait ce phénomène de solidarité mais que celui-ci se basait sur des logiques très personnelles, d'amitié et de respect et que certaines formations artistiques originaires de la ville de Chicago étaient exclues de cette logique. Il reste que des éléments sont à ajouter qui permettent, au contraire, d'affirmer l'existence d'un milieu uni et soudé, à Chicago de 1979 à 1991. Tout d'abord, nous pouvons constater que le portrait type de l'acteur de ce milieu est assez simple à établir puisqu'il s'agit de jeunes hommes issus des classes moyennes, possédant la plupart du 112 temps une éducation universitaire. De plus, la volonté d'indépendance artistique et économique est également une qualité que nous retrouvons chez l'ensemble des participants à ce milieu artistique. Enfin, le fait que de nombreux artistes décident de s'installer à Chicago, notamment dès la seconde moitié des années 1980, pour des raisons musicales principalement, prouve bien qu'un milieu Punk Rock important existe dans cette ville, milieu qui ne peut se développer que s'il est uni puisque, comme nous l'avons vu, les médias traditionnels n'accordent que peu de place à ce mouvement culturel. Tous ces éléments sont généralisables à l'ensemble, ou tout du moins à la grande majorité, des formations Punk Rock de la ville mais elles ne permettent cependant pas, selon nous, de déclarer qu'une scène Punk Rock existe à Chicago dans ces années puisque ces caractéristiques peuvent également être retrouvés dans de nombreux milieux Punk Rock aux États Unis mais aussi en Angleterre. Nous pouvons alors affirmer que le mouvement Punk Rock de Chicago présente des points communs importants avec ces milieux mais cela ne nous permet pas de définir en quoi celui-ci est unique. Il semble qu'au cours de notre analyse nous ayons constaté que le motif d'unité le plus important n'est pas une caractéristique artistique, sociale, politique ou géographique mais amicale. En effet, l'intégralité des relations au sein de ce milieu sont avant tout guidées par les relations personnelles entre les différents acteurs. Il reste alors difficile de prononcer l'existence d'une scène Punk Rock unie à Chicago de 1979 à 1991 quand des problèmes personnels apparaissent au sein de ce milieu et que des acteurs préfèrent se tourner vers des formations qui ne sont pas originaires de la ville au détriment d'acteurs locaux. En guise de conclusion, nous affirmons alors qu'une scène Punk Rock aussi unie que celle de Washington par exemple, n'a jamais existé à Chicago. Il doit cependant être précisé que des logiques de solidarité très fortes existent mais que celles-ci ne se basent pas tant sur la proximité géographique, politique ou idéologique que sur les relations personnelles et que, en conséquent, certains acteurs éprouvent des difficultés à s'adapter à ce milieu et n'y sont pas intégrés totalement. Nous pouvons donc nous demander s'il n'existe pas, au sein du milieu Punk Rock de Chicago, des formations appartenant à une scène Punk Rock spécifique, partageant des codes sociaux, économiques, idéologiques et même politiques, qui ne serait pas 113 limitée à un espace géographique donnée ni à une période donnée, s'étendant alors audelà de la période que nous avons choisi d'analyser et englobant des formations de l'ensemble du pays voir même de l'ensemble de la planète. Cette thèse semble être plausible, notamment lorsque nous constatons les phénomènes de solidarité importants dont font preuve certains acteurs de la ville envers des formations venues du Middle West voir même d'autres régions géographiques mais aussi lorsque nous savons que dès 1991 et l'explosion médiatique du mouvement « Grunge », le milieu Punk Rock tend à se mondialiser. 114 Bibliographie : Sources : Ouvrage compilant l'ensemble des numéros du fanzine Touch and Go : VEE Tesco et STIMSON Dave, Touch and Go, the Complete Hardcore Punk Zine, 7983, New York City, Bazillion Points, 2010. 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Piste 1 :The Fall – English Scheme extrait de l'album Grotesque (After The Gramme) sorti en 1980, Rough Trade Records. Piste 2 : Swans – Power for Power extrait de l'album Filth sorti en 1983, Neutral Records. Piste 3 : Big Black – Kerosene extrait de l'album Atomizer sorti en 1986, Homestead Records. Piste 4 : Black Flag – Nothing Left Inside extrait de l'album My War sorti en 1984, SST Records. Piste 5 : Big Black – Precious Thing extrait de l'album Songs About Fucking sorti en 1987, Touch & Go. Piste 6 : Sex Pistols – God Save The Queens extrait de l'album Nevermind the Bollocks Here's The Sex Pistols sorti en 1977, Virgin Records. Piste 7 : Dead Kennedys – California Uber Alles extrait de l'album Fresh Fruit for Rotting Vegetables sorti en 1980, Cherry Red. Piste 8 : Articles Of Faith – Buy This War extrait du disque Wait sorti en 1983, Affirmation et Wasteland Records. Piste 9 : Hüsker Dü – Reocurring Dreams extrait de l'album Zen Arcade sorti en 1984, SST Records. 130 Index lexical : Index lexical Agnostic Front.........................................48 Albini19 sv, 23, 25 sv, 32, 36 sv, 41 sv, 44, 47, 49, 52 sv, 56 sv, 61 sv, 64, 71 sv, 79 sv, 85 sv, 88 sv, 93 sv, 97, 99, 104 sv Articles Of Faith..10, 29, 34, 40, 43, 46 sv, 52, 55, 62, 65, 67 sv, 72, 74, 76, 84, 87, 91, 95 sv Bauhaus...................................................24 Big Black...10, 20, 23, 27 sv, 30 sv, 33, 36 sv, 41, 44, 48, 52 sv, 55 sv, 58, 61, 65, 71, 76, 86 sv, 92, 95, 97, 104, 109, 115 sv, 129 sv Big Boys..................................................70 Black Flag...7, 20, 23 sv, 38 sv, 45, 83, 130 Bob Dylan................................................12 Bondi...29, 34, 39, 43, 46 sv, 49, 52 sv, 62, 64 sv, 67 sv, 84, 89, 96 Branca.................................................32 sv Buzzcocks...........................................19 sv Cale..........................................................47 Cave.........................................................30 Clash....................................................6, 24 Coolest Reatard.......................................23 Cro-Mags.................................................48 Dead Kennedys...7, 23 sv, 45, 66, 83, 103, 130 Denison........................................48, 53, 90 Dick Hebdige................................14 sv, 51 Die Kreuzen.............................................70 Discharge.................................................37 Downes....................................................60 Durango..............37, 41, 52, 61, 97, 104 sv Enigma Records......................................62 Flesher.....................................................35 Flipper.................................................20 sv Fugazi................................................46, 49 Gang Of Four...........................................30 Gaye.........................................................29 Gira..........................................................32 Hendrix....................................................47 Homestead Records............................70 sv Hüsker Dü...45 sv, 49, 70, 83 sv, 87 sv, 103 Iggy Pop................................................102 Immune System.......................................10 Johnny Lydon............................................7 Jourgensen.........................................25, 64 Joy Division.......................................31, 35 Kurt Cobain.............................................11 Led Zeppelin.......................................48 sv Lunch..................................................58 sv MacKaye.......................21, 46, 63 sv, 75 sv Markey.....................................................23 Matter....................................25, 53, 61, 64 MC5...........................................................5 McMahan...........................................85, 90 Mierzwa............................24, 31, 45 sv, 55 Ministry.............................................25, 64 Minor Threat............................................46 Mould.................................45 sv, 49, 87 sv Naked Raygun10, 19, 21, 23, 30 sv, 33, 36 sv, 42, 49, 52, 55, 61, 69 sv, 76, 93, 95 sv, 99, 103 sv, 117 sv Nash.........................................................34 Necros................................................77, 84 Negative Approach..................................83 Negative Element....................................69 Nirvana....................................................10 Pezzati...........................19, 37, 40, 97, 104 Picciotto...................................................63 Public Image Limited..............7, 30, 101 sv Ramones..............................5 sv, 10, 19, 47 Rapeman..20, 23, 28, 42, 44, 56, 61, 72 sv, 77, 88, 90, 117, 121 Reed.........................................................47 Richard Hell..............................................6 Rights Of The Accused............................69 Riley........................................................28 Rolling Stones.........................................29 Rollins.....................................................20 rusk........................................................121 Rusk.65, 77 sv, 85 sv, 88 sv, 92, 94 sv, 120 sv Ruthless Records.........................62, 71, 76 Schwartz..................................................23 Search and Destroy..................................23 Sex Pistols.................5 sv, 19 sv, 31, 47, 66 Silver Abuse............................................61 Sims...........................28, 44, 77, 88, 90, 92 131 Siouxsie and the Banshees,.....................58 Siouxsie Sioux....................................58 sv Slint.........................47 sv, 83, 85, 90, 94 sv Smith.......................................................31 Sonic Youth.............................................58 Spicer.......................................................40 Stimson....................................................77 Stooges......................................................5 Strike Under........................34, 42, 96, 103 Suicide............................................5, 32 sv Swans..................................................32 sv Talking Heads......................................7, 30 Tar....................................................97, 105 Teenage Jesus And The Jerks..................58 The Beatles..................................29, 46, 49 The Birthday Party..................................30 The Butthole Sufers.................................86 The Effigies. .10, 21, 39, 43, 55, 62, 69, 72 sv, 76, 84, 96 sv, 99, 103, 105 The Fall.....................................7, 30 sv, 35 The Fix....................................................84 The Jesus Lizard...48 sv, 53, 76 sv, 92, 95, 97, 105 The Who..................................................29 Touch & Go....10 sv, 20 sv, 23, 25, 76, 77, 89, 92, 120, 129 sv Toxic Reasons..........................................84 Urge Overkill.......................50, 92, 97, 105 Vee.....................................................23, 77 Vega.........................................................33 Velvet Underground..................................5 Walford..............................................85, 90 Washam.....................28, 44, 56, 88, 90, 92 Wax Trax.....................................34 sv, 101 We got power !........................................23 Who.........................................................29 Wonder....................................................29 Yow....................................................90, 99 Zero Boys................................................84 ..................................................................... ...........................................................69, 77 ...........................................................Albini .................................................................52 132 Table des matières Remerciements :..............................................................................................................2 Introduction :..................................................................................................................5 I.La musique Punk Rock à Chicago..............................................................................19 1.Une scène plus tardive................................................................................................19 a.Les influences musicales, l'importance des groupes centraux de la scène Punk Rock .......................................................................................................................................19 b.Les vecteurs d'influences principaux : les fanzines....................................................22 c.L’apprentissage par la copie........................................................................................26 2.Une identité musicale.................................................................................................29 a.Des influences plus expérimentales............................................................................29 b.L'existence d'un son différent ?...................................................................................35 3.Le rapport à l'évolution musicale................................................................................39 II.Les composantes sociales et politiques du mouvement.............................................51 1.Le portrait des acteurs.................................................................................................51 a.Des participants plus éduqués ?..................................................................................51 b. La question du genre au sein de la scène Punk Rock de Chicago.............................55 c. Des figures centrales..................................................................................................60 2.Le discours politique...................................................................................................65 a.Les groupes engagés politiquement au sein de la scène Punk Rock de Chicago........66 b.Un non discours politique...........................................................................................70 c.L'importance du DIY, une volonté de contrôle économique et politique ?.................74 III. Les relations entre le mouvement Punk Rock de Chicago et son espace................82 1.Les liens entre les milieux Punk Rock nationaux et celui de Chicago.......................82 a.Une forte proximité entre les formations de Chicago et des états voisins du Middle West...............................................................................................................................82 b.Le cas des acteurs s'installant à Chicago....................................................................88 2.La conscience d'une scène implantée localement.......................................................93 a.Le sentiment d'appartenance à une scène locale existe-t-il ?......................................93 b.Les lieux Punk Rock de Chicago..............................................................................100 Conclusion générale de notre analyse : .....................................................................108 133 Bibliographie :............................................................................................................115 Annexe n°1 :................................................................................................................126 Annexe n°2 :................................................................................................................128 Annexe n°3 :................................................................................................................130 Index lexical :..............................................................................................................131 134