Revue d’histoire culturelle
XVIIIe-XXIe siècles
4 | 2022
Quand le sexe s’expose
Faire de l’histoire du politique avec les objets
Trajectoires et enjeux actuels
Carlotta Sorba
Traducteur : Danièle Faugeras
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/rhc/1253
DOI : 10.4000/rhc.1253
ISSN : 2780-4143
Éditeur
Association pour le développement de l'histoire culturelle
Référence électronique
Carlotta Sorba, « Faire de l’histoire du politique avec les objets », Revue d’histoire culturelle [En ligne], 4 |
2022, mis en ligne le 15 mars 2022, consulté le 13 juillet 2023. URL : http://journals.openedition.org/
rhc/1253 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhc.1253
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Faire de l’histoire du politique avec les objets
Faire de l’histoire du politique avec
les objets
Trajectoires et enjeux actuels
Carlotta Sorba
Traduction : Danièle Faugeras
1
Disobedients objects est le titre d’une exposition organisée en 2014 par le Victoria and
Albert Museum de Londres. Avec une spectaculaire mise en scène de dazibao, manifestes
politiques de dernière génération, masques anti-gaz faits maison, formes de design
créatif appliquées à la lutte politique, le parcours de l’exposition était centré sur la
fabrication et l’utilisation de nouveaux objets de protestation par les mouvements
relevant de l’activisme politique global depuis les années soixante-dix 1. Il y avait bien
quelques allusions préalables à une matérialité liée à des mouvements plus anciens,
associées à l’exposition d’objets conservés par le musée V&A, comme un service à thé
d’inspiration suffragiste produit en 1910 par la Women’s Social and Political Union, ou
la référence à l’expérience indéniablement physique et concrète de la construction des
barricades lors des mouvements insurrectionnels urbains du XIX e siècle, mais l’idée de
fond était bien de souligner le rôle joué par la culture matérielle dans les mouvements
sociaux et politiques contemporains, d’en indiquer même vaguement la généalogie
longue, et surtout de les faire entrer, armés de toute leur charge de protestation
populaire, dans un musée d’art et de design habitué à toute autre chose.
2
Le parcours d’exposition s’enrichissait en outre d’images, de films, de documentation
de toutes sortes visant à les montrer en action et à souligner combien le développement
de tactiques et de stratégies d'action object based a caractérisé la plupart des
mouvements de protestation qui se sont mobilisés ces dernières années, depuis les
Guerrilla Girls à Occupy Wall Street jusqu’aux printemps arabes (avant l’arrivée des gilets
jaunes). Certaines des suggestions visuelles et conceptuelles proposées par l’exposition
semblaient conçues spécialement pour quelqu'un qui, comme moi, travaillait à l'époque
sur un tout autre type d'activisme politique : celui qui, au début du XIX e siècle italien
s’élaborait autour du discours national-patriotique. Il m’est apparu que dans ce cas
aussi, il s’agissait de formes de mobilisation qui avaient produit des transformations
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Faire de l’histoire du politique avec les objets
significatives du fonctionnement de la sphère publique et dans lesquelles les objets
avaient joué un rôle-clé, qu’il s’agisse des accessoires, des vêtements, des couvre-chefs,
et plus généralement d’un "imaginaire insurrectionnel" qui me paraissait tout aussi
créatif que celui des mouvements récents2. En parcourant les salles de l'exposition, bien
consciente de l’écart spatio-temporel substantiel qui les séparaient de mes recherches,
se confirmait non seulement l'importance du thème mais aussi le fait que le rapport
entre matérialité et politique remontait beaucoup plus loin dans le temps, et qu’il
restait pour une grande part encore à écrire, avec de plus de grandes potentialités en
termes de déclinaisons thématiques, temporelles et géographiques. Dans l’ensemble de
la recherche historique, il s’agissait d’un espace à la fois peu structuré et peu fréquenté,
exception faite des études importantes et, à bien des égards, fondatrices consacrées au
XVIIIe siècle, qui avaient mis en lumière l'engagement matériel de certains groupes
politiques spécifiques, tels que les jacobites anglais, ou des expériences
révolutionnaires américaine et française3.
3
Que s'est-il donc passé depuis lors et comment approcher aujourd’hui ce thème à la
lumière des travaux récents ? Comment mettre mieux en lumière le rôle des choses
dans le passé, et les inscrire dans une perspective politique ? Nous savons combien la
perspective matérielle est aujourd'hui au centre de l'attention dans les sciences
humaines et sociales, presqu’en réaction à la réalité toujours plus désincarnée d'un
monde numérisé. Ce qu’on a défini comme un « tournant matériel » en a traversé les
champs, d’une part en assumant l’héritage un peu ancien, des réflexions de Jean
Baudrillard ou de Michel De Certeau sur les objets du quotidien, et d'autre part en
trouvant des points d’ancrage importants dans des terrains d'étude tels que les Science
and Technology studies (STS)4. Aujourd'hui semble s’imposer de façon de plus en plus
urgente la nécessité d'inclure dans les divers objets disciplinaires ce réseau complexe,
inextricable, de choses, grandes et petites, de consistance variable, qui constituent le
cadre matériel de nos vies quotidiennes ; en étant bien conscient que ce cadre, dans le
présent comme dans le passé, ne peut plus être conçu comme séparé et distinct de
l'existence humaine mais qu’il est lié à celle-ci, dans une relation étroite et organique,
laquelle a aussi un fort impact sur nos expériences mentales et cognitives 5.
4
L'objectif de cette contribution n'est pas toutefois de revenir sur les dimensions et la
nature de ce tournant matériel, sur lequel on a déjà beaucoup écrit, mais de mettre
l’accent sur un élément spécifique de celui-ci, à savoir l'espace de recherche qui s’est
dessiné ces dernières années autour de du rapport entre matérialité et politique. Pour
ce faire, je mettrai à profit une littérature peu abondante mais en croissance certaine,
qui a commencé à aborder des études de cas, et qui s’intéresse aussi à des périodes et
des contextes jusque-là peu fréquentés6. Comme on le pressentait dans l'exposition
londonienne, ce thème a aussi trouvé de nouveaux motifs d'intérêt et des pistes de
recherche dans des disciplines plus centrées sur le présent, de la théorie politique à la
sociologie culturelle en passant par la psychologie cognitive, et dans des études qui
insistent, par exemple, sur la capacité toute particulière de la culture matérielle à
évoquer, inspirer, frapper, provoquer de manière politiquement signifiante 7.
5
Il est toutefois significatif – et cela indique encore quelques difficultés de mise au point
du thème – que le récent Oxford Handbook consacré aux relations entre histoire et
culture matérielle ne comporte pas de section spécifique dédiée à la dimension
politique, qui se trouve abordée plutôt de façon indirecte à travers des contributions
insérées dans différentes parties du volume liées au symbolique et à la mémoire, des
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problématiques certes importantes mais qui n'épuisent pas la possibilité d'une
approche qui selon moi a sa consistance propre8. Il est vrai qu'il existe encore des
incertitudes dans l'approche et que celles-ci expliquent que les études soient plus
limitées que ce que l'on pourrait penser. Si l'on considère au contraire la multiplication
massive des enquêtes qui, ces dernières années, ont fait interagir l'histoire avec le
monde matériel dans d'autres domaines – technologie et consommation, identités
sociales et de genre, religion et mémoire – une question s’impose : que peut signifier le
fait d’introduire les objets dans une histoire culturelle du politique ? Quelles
opportunités mais aussi quelles difficultés, quelles perspectives et pistes d'investigation
cela permet-il d’ouvrir ?
1 – Matérialité et politique : définir le champ
6
Comme nous l'ont rappelé de nombreuses réflexions méthodologiques récentes,
l'introduction de la matérialité dans l'investigation du passé a des implications
importantes pour la pratique historiographique elle-même. Dans un essai de synthèse
où il déplorait un historical embrace of things encore trop partiel, et invitait à davantage
de courage, Frank Trentmann proposait il y a quelques années une analogie peut-être
discutable mais intéressante entre le rôle de la matérialité aujourd'hui et celui du
langage dans la phase de tournant linguistique : “Like words in the postmodern 1980s –
écrivait-il – things today are shaking our fundamental understandings of subjectivity, agency,
emotions and the relations between humans and non-humans”9 Tout comme l’approche
discursive a modifié en profondeur la pratique historiographique, la matérialité nous
obligerait aujourd’hui à une remise en question assez radicale de nos pratiques, qui
plus est en mettant au centre un thème on ne peut plus actuel, celui de la relation entre
humain et non-humain, organique et inorganique. Il me semble que cela vaut encore
plus pour l’analyse de la sphère politique, où la domination des sources écrites a été
particulièrement importante et où le rôle-clé du visuel introduit par le tournant
culturel a été fondamental mais insuffisant. Mettre le monde matériel des choses au
centre de l’investigation, comme on pourrait le faire, ne signifie pas simplement
ajouter un élément de plus au programme de recherche mais le modifier, au moins en
partie, en encourageant tout d’abord une expansion importante de l’archive historique
vers des champs qui ont encore beaucoup à offrir (musées, collections, sites
historiques) ; et surtout en soulevant des points de vue inhabituels sur des contextes
habituels. Pour mettre en lumière un passé qui cherche à inclure pleinement les aspects
matériels, il s’agit en effet d'ouvrir des pistes d’enquête dont l’élaboration du
questionnement se centre sur la matérialité, et ne se limite pas à compléter ou à être à
la traîne d'autres éléments. Cela vaut en général pour toute enquête axée sur la culture
matérielle, mais à mon sens, cela doit être particulièrement souligné sur le front de
l’histoire politique, où les "choses" paraissent plus intégrées aux processus et aux
sensibilités que ce qu’il semble à première vue.
7
Une première question, d’abord malaisée, concerne la définition même du champ.
Comment, quand, pourquoi un objet peut-il être défini comme politique ou être
susceptible d'une enquête politiquement orientée ? Dans l'introduction d’un livre
publié par Routledge, Christopher Fletcher tentait une conceptualisation de la question
qui, selon lui, devrait permettre de dépasser les définitions typiques de ceux qui
s’occupent d’histoire contemporaine, et d'utiliser l'adjectif "politique" pour des
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périodes plus reculées dans le temps et pour des géographies non occidentales. Sur
cette réflexion plus générale qui est la sienne sur la nature même du politique (entre un
sens très large – et finalement peu spécifique – et un sens restreint, plus lié à la
contemporanéité), il n’est peut-être pas utile d’insister ici, mais ce qu’il me semble
important de souligner ce sont les conclusions de son raisonnement : selon lui, les
objets occupent dans ce cadre une position très spécifique précisément parce qu'ils
sont sujets à de constantes migrations de sens, entre public et privé, entre individuel et
collectif, entre mobilisation et mémoire, et renvoient à des formes de politisation qui
peuvent avoir d'innombrables variantes10.
8
Il convient donc de commencer en soulignant tout d’abord l'extrême amplitude du
champ d'investigation dont nous parlons et son articulation typologique toujours
ouverte. Le monde matériel que l’on peut approcher dans une perspective politique, ou
dans lequel s’intègre la politique, peut inclure les éléments les plus variés, même du
point de vue de leurs qualités physiques : objets de formes et de substances diverses
(souvent d’usage quotidien), tout comme des éléments naturels collectés et politisés ;
ou encore vestiges corporels transformés en reliques11. Des objets produits et/ou
diffusés dans un but politique (et donc porteurs d'un message politique explicite ou
allusif) ; mais aussi des choses qui prennent une signification politique comme vestiges
d'un événement ; comme représentations d'un personnage, d'une époque ou d'une
expérience politiquement connotée ; comme produits par un souci de contrôle policier ;
comme porteurs de récits politiques, là aussi explicites ou allusifs ; comme dispositifs
technico-politiques qui agissent sur des expériences et des comportements 12. Ce sont
souvent des objets portables (un exemple classique est le sac à main en crocodile de
Margareth Thatcher, conservé dans des archives de Cambridge, extraordinaire
condensé de féminité et de pouvoir, par lequel Ludmilla Jordanova ouvre un de ses
livres très connu13), mais ils peuvent aussi être liés à un lieu précis, permettant de
célébrer dans l'espace public un événement ou un personnage politique. Et encore, ils
peuvent être des marchandises circulant sur le marché ou de véritables cadeaux, objets
d'échange (voir le vaste courant d'études sur les échanges diplomatiques et la
circulation des objets qui y est liée14). Plus les études s’étendent, plus il devient clair
que ces objets peuvent exprimer, incarner et représenter des perspectives politiques
d’une grande diversité, qui tendent à échapper à toute classification typologique
préalable. C’est-à-dire qu’ils peuvent représenter ou contester la souveraineté,
participer à des relations de pouvoir ou en constituer les gestes de résistance,
contribuer à la protestation ou à l'émancipation, mais aussi à l’assujettissement et au
contrôle biopolitique des individus. Tout cela trouve des déclinaisons et des accents
assez différents dans des périodes et des contextes spécifiques, ainsi que des moments
d'accentuation épisodique, dans lesquels, par exemple, le poids de la matérialité dans la
communication ou dans la mobilisation politique devient, pour diverses raisons,
particulièrement important. L'âge des révolutions, sur lequel j'ai personnellement
travaillé, représente dans toute l'Europe – et plus généralement dans le monde
atlantique – une de ces phases, dans laquelle de nombreux éléments convergent aussi
bien pour renouveler les voies traditionnelles que pour ouvrir de nouvelles voies à la
circulation des contenus politiques15. Parmi ces derniers, on trouve une multiplication
sans précédent d'objets politiques de divers types qui sont au premier plan dans la
streets politics de l'époque : depuis des objets quotidiens qui ont pris un nouveau sens,
politique (tabatières, foulards, tasses, éventails, boutons, épingles...) jusqu’aux
accessoires vestimentaires destinés à identifier l'appartenance politique ou à
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contribuer à la dramatisation des conflits en cours. Différents facteurs contribuent à
cette inflation des objets politiques, qui peut être attribuée soit à des innovations
technologiques et médiatiques (en premier lieu le succès des nouvelles technologies de
production et de reproduction d'images16), soit à des transformations sociales et
économiques (l’accroissement des biens de consommation personnels), soit encore à
des éléments proprement politiques (l’élargissement substantiel du public à qui la
nouvelle politique s’adresse et en même temps les limitations encore persistantes de la
liberté d'expression).
9
Il faut également ajouter que travailler sur le caractère politique des objets est parfois
rien moins que facile. Cela peut rendre plus complexe, plus fine et plus articulée
l'analyse de l'expérience politique concrète d’hommes et de femmes, cela permet de se
centrer davantage sur la dynamique des relations sociales et politiques telles que
celles-ci s’activent au travers des choses matérielles, mais cela simplifie rarement le
travail d'enquête. Dans leur immédiateté tangible, les traces matérielles sont en effet
souvent plus ambiguës et virtuellement polysémiques que les textes, et surtout elles
nous parviennent dans la majeure partie des cas dans des conditions totalement
éloignées de leurs contextes d'origine, dans des musées et autres lieux de conservation
du patrimoine historique où, le plus souvent, elles se cantonnent à un rôle décoratif
non thématisé. Ce qu’il faudrait au contraire, c’est reconstruire leurs contextes
d'utilisation à l'aide d'autres sources, et imaginer leur réinsertion dans des réalités, des
pratiques, des expériences dont bien souvent ils constituent la dernière trace.
2 - Interactions analytiques inhabituelles
10
Si l'éventail des approches possibles est aussi large, certaines perspectives
d'investigation semblent toutefois particulièrement congruentes à une approche au
prisme de la matérialité. Outre les aspects liés à la production, à la diffusion et à la
consommation des objets qui, lorsqu’on peut les reconstruire, nous disent des choses
intéressantes sur les dynamiques propres des processus de politisation 17, considérer le
politique à travers le monde matériel nous permet d'aborder particulièrement
certaines questions : les questions symbolico-communicatives ; les émotions (la
capacité des choses à provoquer des sentiments politiquement significatifs) ; la
dimension mémorielle dont les objets peuvent se charger avec une efficacité
particulière ; et enfin, la dynamique performative étroitement liée à des pratiques et à
des expériences politiques spécifiques.
11
Une première possibilité à considérer concerne le fait que les analyses centrées sur les
objets permettent de croiser des trajectoires d'analyse qui interagissent rarement ou
sont apparemment éloignées. La première de ces interactions noue l'histoire politique
(les idées, leur circulation, l’appropriation et la socialisation, l'expérience politique) et
les pratiques de consommation que les objets incarnent. Il s’agit de deux aspects qui
procèdent en réalité souvent en étroite liaison. Nous avons fait mention du fait que la
diffusion notable d’objets politiques qui a accompagné la mobilisation révolutionnaire
entre la fin du XVIIIe et la première moitié du XIX e siècle était étroitement liée à
l'explosion de la consommation personnelle d'objets, et pas uniquement d’objets
portables18. Des produits triviaux et quotidiens, souvent dotés de marques et d'images
politiquement évidentes, ont joué un rôle-clé dans la multiplication des canaux et des
expériences d’utilisation du discours politique, par exemple à travers le culte des
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Faire de l’histoire du politique avec les objets
célébrités politiques. Le cas des objets napoléoniens qui ont circulé en plusieurs vagues
à travers l'Europe, suscitant le fanatisme des militants et sympathisants et
parallèlement la peur et la surveillance des autorités, est particulièrement connu et
significatif, mais on peut aussi penser à l'invasion des objets figuratifs qui, dans l'Italie
de la longue année 1848, évoquaient la figure du pape Pie IX comme libérateur de la
nation19. Il est évident qu'il s'agissait alors aussi de biens de consommation qui se
vendaient et s'achetaient, qui à certains moments remplissaient les vitrines et les étals,
qui allaient être écoulés par tout un monde de brocanteurs, de modistes, de libraires,
d'orfèvres, de vendeurs de tissus, de marchands ambulants. Il s'agissait d'un
merchandising politique qui entrait dans les circuits commerciaux habituels ou qui se
construisait ses propres circuits, et que, le plus souvent, on approche surtout à travers
les sources de police ou de contrôles douaniers20. C'est justement dans leur dimension
commerciale que ces objets pouvaient aussi donner lieu à des dénonciations
stigmatisantes ou des satires qui, dans la presse et dans les caricatures, tendait à
banaliser et à tourner en ridicule les aspirations révolutionnaires. D'une manière
générale, ce qui est intéressant c'est que les objets de cette nature permettent
d'aborder les pratiques de consommation également comme marqueurs d'identités
politiques, ou comme faisant partie de stratégies et de contre-stratégies politiques qui
méritent une attention plus particulière21.
12
Un autre croisement prometteur, dont l’exploration n’est qu’esquissée concerne le
rapport entre matérialité et émotions, qui peut devenir important pour une approche
plus efficace de la complexité de l'expérience affectivo-sensorielle-cognitive 22. Quel
investissement émotionnel particulier peut-on retrouver dans les objets politiques ?
Jusqu’à quel point et de quelle façon certains objets peuvent-ils évoquer et engendrer
des sentiments et des passions politiquement orientés23 ? Qu’autour des choses puissent
se construire des liens entre individus, émerger une expression matérielle et en même
temps se forger des liens émotifs à côté de dispositifs cognitifs, c’est ce qui a été mis en
évidence de diverses façons par les théoriciens de la culture matérielle, et en
particulier par ladite “material engagement theory” (MET), qui propose une
reconceptualisation assez radicale des rapports entre l'esprit et le monde matériel 24.
Mais dans les études historiques aussi, le regard sur la culture matérielle peut
témoigner de la façon dont les émotions ont fonctionné par le passé à différents
niveaux. Que l’on pense à l'investissement émotionnel lié au culte des reliques
politiques25, ou aux collections domestiques ou à l'éventuelle patrimonialisation
publique d'un memoriabilia patriotique (souvenirs de diverses types, reliquaires laïcs,
etc.), dont la religieuse conservation, comme il a été constaté dans le cas italien,
implique souvent un protagonisme féminin26.
13
Enfin, c'est sur la capacité très particulière des objets à "réactiver" le passé et à devenir
des voyageurs dans le temps, avec des implications politico-idéologiques mais aussi
identitaires et nostalgiques, que cette dimension d'analyse peut trouver des pistes du
plus haut intérêt. Je pense, par exemple, à un nombre encore limité mais croissant
d'études sur la revitalisation des cultures matérielles appartenant à des régimes qui
n'existent plus : les objets quotidiens des soviétiques ou d'autres régimes excommunistes qui, dans leur seconde vie, se trouvent incarner de nouveaux récits
politiques, éventuellement changeants dans le temps, et assumer de nouvelles valeurs
d’ordre cultuel, commercial ou patrimonial27. Des éléments d’analyse intéressants ont
également été relevés dans l'afterlife post-mao : objets de la république populaire
chinoise qui sont aujourd'hui collectionnés par des particuliers, le plus souvent avec
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Faire de l’histoire du politique avec les objets
très peu de références à leurs significations symboliques originaires et sujets donc à
une dépolitisation marquée28.
3 - Centralité des usages et performativité
14
Les études récentes s’intéressent particulièrement au fait que les objets ne sont pas
seulement un élément-clé de la communication symbolique, parfois crucial pour
l'affirmation d'une identité ou d'une appartenance mais qu’ils "incarnent" aussi des
messages de divers types et, dans leur matérialité, contribuent à développer des tâches
et des rôles. Considérer leur dimension communicative est donc important, mais il est
aussi possible d’aller plus loin pour comprendre qu’ils participent activement et de
manière créative aux pratiques sociales. Comme l'a magistralement écrit Lorraine
Daston, les objets parlent et racontent à leur façon, avec plus ou moins de « loquacité »,
et dans certains cas, ils contribuent à l’action ou à un plan d'action 29. Il est alors
possible de les interroger à la fois en tant que formes de langage – capables de
communiquer, parfois de manière plus évocatrice que directe, un message et un récit
politique –, et en tant que dispositifs pratiques intégrant des programmes d'action. Et
c'est précisément sur le plan des pratiques et des usages que la culture matérielle
semble particulièrement apte à éclairer des aspects qui échappent à d'autres types
d'analyse. En tant que formes condensées de différents éléments (matérialité,
dimensions symboliques et communicatives, opportunités spécifiques liées à leur
utilisation), les choses participent à la sphère politique en aidant à structurer des récits
de niveaux de cohérence différents, en donnant forme à des actions subversives ou
légitimantes ou disciplinantes, et en contribuant activement à définir le champ même
du politique. On a parlé à ce propos d'agency des objets, c'est-à-dire de la capacité
d'action sociale qui serait inscrite en eux, mettant à profit les réflexions provenant de
l’Actor-Network Theory de Bruno Latour 30. Dans leur tentative de dépasser la rigidité du
débat théorique, qui toutefois a été sans aucun doute important, les recherches en
cours sur le front politique nous disent de façon assez claire que les choses ne se
contentent pas de « répéter la voix humaine », mais qu’elles expriment leur propre
présence dans les processus analysés, nous incitant à reconnaître le rôle-clé des
pratiques et des opportunités spécifiques liées à l'utilisation des objets eux-mêmes 31.
15
Essayons de revenir aux formes d'action politique de protestation avec lesquelles nous
avons commencé. Les différents disobedients objects que nous pouvons retrouver dans
l'histoire nous permettent, par exemple, d’approfondir des aspects de la mobilisation
politique qui sont étroitement liés à la dimension corporelle des actions et des
comportements d’hommes et de femmes, mettant l’accent, dans une perspective
d'ethnographie politique précisément située, sur leurs aspects performatifs. Mes études
sur l’habillement politique et sur les couvre-chefs portés par les patriotes italiens
pendant la révolution de 1848 ont justement exploré cette dimension, mettant en
lumière le rôle actif des vêtements et des accessoires dans la mise en scène d'une
communauté politique à la recherche d’une identité propre32. D’ailleurs, c’est une
véritable obsession pour le symbolisme vestimentaire qui parcourt les mouvements
libéraux et radicaux en Europe au début du XIXe siècle, signe de la diffusion d'une
politisation des corps et des styles vestimentaires, qui nous fait comprendre assez
clairement que nous savons encore bien peu de choses des codes et des modes de
participation politique dans des contextes spécifiques33. En 1848 en Italie, l'utilisation
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Faire de l’histoire du politique avec les objets
insistante de costumes et d'accessoires de scène, de chapeaux à plumes, d'épées et de
hallebardes provenant de collections historiques ou de malles d'acteurs, nous conduit
au cœur d'une théâtralité révolutionnaire qui doit être interprétée dans ses multiples
facettes mais qui voit toujours, en son centre, les interactions d’acteurs sociaux avec
des objets, des choses et des accessoires capables de structurer et donner sens à la
mobilisation individuelle et collective. Naturellement, ce point de vue centré sur les
capacités performatives de l’habillement peut trouver à s’exprimer selon bien d’autres
perspectives et chronologies34. On pense au cas, étudié par Manuel Charpy, des
vêtements occidentaux de seconde main qui ont largement circulé dans le Congo
colonial, devenant l’instrument d’une remise en cause de la domination européenne 35.
A côté de cette dimension de protestation et de subversion, l’habillement peut aussi
fonctionner comme un dispositif d'ingénierie sociale, comme dans le cas des uniformes,
qui ont fait l’objet d’études récentes36.
16
Enfin, la sociologie du monde contemporain a apporté des suggestions intéressantes sur
le rôle des objets dans la participation politique, mettant l’accent sur les implications
performatives d’une inclusion du non-humain. On pense aux tentatives de localisation
de l'engagement public individuel, notamment autour des batailles environnementales,
sur des pratiques matérielles quotidiennes capables de mobiliser de larges pans de la
société, précisément à travers une forte focalisation sur les choses, du plastique aux
ampoules électriques, et sur notre rapport avec celles-ci. Ces études soutiennent que
l’investissement dans le setting matériel, dans des objets et dans des dispositifs
techniques peut comporter l'activation de capacités participatives et de formes
d'action démocratique inhabituelles37. Aborder la culture matérielle sous l'angle des
usages et des pratiques politiques liées aux objets permet essentiellement d'entrer dans
les méandres d'une interaction entre matérialité et politique bien plus riche et plus
créative que nous ne l'avions imaginé, mettant l’accent sur des relations jusqu'alors
peu explorées entre acteurs sociaux, choses, technologies, désirs, compétences,
aspirations.
4- Le rôle-clé de la mobilité : les itinéraires variables
des objets
17
Les études sur la culture matérielle et la mobilité qui se sont développées ces dernières
années ont largement souligné le caractère rien moins qu’inerte, statique et isolé des
objets, et ont encouragé à les penser dans des situations de mouvement, tant dans
l'espace que dans le temps38. La matérialité semble justement se caractériser par
l'intrication entre la capacité de persistance des objets, comme résidus d'un passé qui
n'est plus, et la plasticité de leurs usages et significations. A l’origine de la restitution
de la dimension matérielle dans les sciences humaines (on pense au volume bien connu
édité par Arjun Appadurai39) se trouvait précisément l'idée de reconstruire les « cycles
de vie » des objets, leurs « biographies » souvent particulièrement mouvementées.
Aujourd'hui, on préfère parler d’ « itinéraires » de la vie sociale des objets, pour éviter
la linéarité excessive inhérente à la perspective biographique, mais surtout pour
souligner le constant changement dans les rôles et les significations que ceux-ci
doivent assumer, entre valeurs d'usage, valeurs de mémoire, valeurs affectives, etc.
40Cette considération m’apparaît d'autant plus importante en ce qui concerne les objets
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Faire de l’histoire du politique avec les objets
à vocation politique, car ils sont particulièrement sujets aux transformations liées à la
mobilité qui suppose insertion et à repositionnement dans des contextes divers.
18
Il s'agit en premier lieu d'une question de circulation physique qui peut prendre une
importante dimension globale. C'est certainement le cas des objets séditieux qui se
déplacent dans les vastes réseaux de l'activisme politique, en dépit des contrôles et de
la censure et qui, par exemple à l'âge des révolutions, sont largement mis en œuvre
contre leur diffusion41. En revanche, le cas des objets naturels qui, surtout entre le
XVIIIe et le XIX e siècles, ont été transportés de tous les coins du globe vers les plus
grands centres de la connaissance scientifique est politiquement significatif. Les
espèces botaniques en particulier, comme l'ont montré des études récentes, se
trouvaient au centre des relations entre pouvoirs coloniaux et contextes noneuropéens, rendant particulièrement étroit le lien entre les ambitions impériales de
l'Occident et la compulsion à collecter, cartographier et collectionner les différentes
espèces42.
19
Au-delà et en même temps que la circulation dans l'espace, il faut aussi tenir compte de
la mobilité des significations et des usages, c'est-à-dire des multiples occasions de
reconversion, réemploi et translations culturelles auxquelles les choses sont souvent
soumises. Leur vie, lorsqu'il est possible de la reconstituer, peut être variée et connaître
de multiples déclinaisons dans le temps, nous l'avons vu à propos de la mémoire et de
la patrimonialisation. Les objets peuvent vivre une nouvelle vie et de nouvelles
significations, modifier, voire renverser, leur signe politique ou leur signification
d’usage. Dans certains cas, comme celui des matériaux révolutionnaires éphémères et
provisoires étudiés par Richard Taws pour la France de la fin du XVIII e siècle, ils
peuvent faire preuve d'une capacité très spéciale à remodeler continuellement les
messages politiques inscrits en eux. Ou bien ils peuvent prendre des significations
politiques tout à fait inattendues, comme ce fut le cas des marchandises et des objets
quotidiens réquisitionnés par les patriotes à l'apogée de la République romaine (1849),
lesquels, dans un essai d'Alessio Petrizzo, deviennent porteurs d'un récit contrerévolutionnaire une fois les autorités papales revenues au pouvoir 43.
20
Les processus de politisation des choses connaissent ainsi des trajectoires des plus
variées et peuvent réserver bien des surprises. Il suffit de se rappeler comment objets
naturels et pratiques scientifiques ont acquis d’importantes significations politiques
dans les grands moments de hiatus révolutionnaire ou au cours des processus de
nationalisation du XIXe siècle44. Dans l'Italie d'avant l’unification, pour ne prendre
qu’un exemple qui m'est proche, passion nationale et passion pour la science sont
indissolublement intriquées, comme le montre l'activité d’une kyrielle de naturalistes
patriotes engagés, occupés à identifier et classer une "flore italienne" bien distincte des
autres et capable, comme par ailleurs le furent les découvertes géologiques et
zoologiques, d'un potentiel politico-narratif important précisément en raison de sa
propre naturalité .
Pour conclure, très provisoirement
21
Les contours d'une histoire matérielle du politique sont amples et restent encore pour
une grande parte à explorer. Nous avons seulement voulu, ici, mettre en lumière, à
partir d'une série d'études récentes, certaines des pistes d'analyse et possibilités
ouvertes par les regards sur la culture matérielle qui paraissent les plus intéressantes.
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Faire de l’histoire du politique avec les objets
Agency politique des objets et leur étroite interaction avec l'humain ; usages et
pratiques qui leur sont liées; capacité à impliquer la dimension émotionnelle ainsi qu’à
réactiver le passé ; insertion des objets dans des trajectoires particulièrement mobiles
et reconstruction de leurs itinéraires de politisation : ce ne sont là que quelques-unes
des suggestions qui s’offrent aux chercheurs pour un travail de terrain plus large, qui
pourrait impliquer directement les institutions de conservation des objets, comme cela
s'est produit dans d'autres domaines de recherche autour de la matérialité. Et
d’ailleurs, une vaste réflexion traverse aujourd’hui aussi bon nombre de ces
institutions, qui cherchent à comprendre quels nouveaux récits et quels nouveaux
itinéraires peuvent connaître les objets collectés et patrimonialisés dans des contextes
lointains et très différents, coloniaux entre autres. L'une des directions possibles,
comme le propose un ouvrage récent, est d’enquêter sur la mobilité des collections
elles-mêmes, dans le passé et actuellement, pour reconstruire leur nature ouverte,
comprendre comment elles se font et se défont, comme pas significatif en direction
d'une relecture actuelle45. À travers la matérialité et en même temps la mobilité des
choses, on peut finalement arriver à mettre en lumière de façon particulièrement
efficace ce processus de constante transformation du réel, ces pérégrinations de sens
qui sont un des défis les plus complexes à relever quand on travaille sur le passé.
L'interaction, sur laquelle nous avons essayé de réfléchir, entre la dimension matérielle
et la dimension politique peut s'avérer elle aussi, de ce point de vue, intéressante et
fructueuse, en nous permettant d'entrer de façon inhabituelle aussi bien au cœur des
dynamiques propres à la sphère politique que dans celles relatives au rôle de la
matérialité dans le monde social.
NOTES
1. Catherine Flood and Gavin Gindon (eds.), Disobedient objects, London, V&A Publishing, 2014. On
trouvera une vue d’ensemble de l’exposition dans Catherine Flood, « Disobedient Objects.
Exposition indisciplinée », Techniques et culture, 2020/2, n° 74, p. 88-107.
2. Sur l’expérience actuelle du Laboratory of Insurrection imagination, voir Lars Kwakkenbos, « Art,
activism,
and
permaculture
»,
Foreign
Policy
In
Focus.
[En
ligne]:
fpif.org/
art_activism_and_permaculture, 2011, consulté le 9 février 2022. Voir aussi le travail réalisé en
France sur les objets liés aux conflits de travail : Jean-Charles Leyris, « Les objets de grève, un
patrimoine militant », InSitu, 2007, n° 8 (consultable en ligne : https://journals.openedition.org/
insitu/3044).
3. Seulement quelques titres, pour exemple, d’une bibliographie plus vaste : Neil Guthrie, The
Material Culture of the Jacobites, Cambridge, Cambridge University Press, 2013 ; R. Taws, The Politics
of the Provisional. Art and Ephemera in Revolutionary France, University Park (Pa), The Pennsylvania
State University Press, 2013 ; Leora Auslander, Cultural Revolutions. Everyday Life and Politics in
Britain, North America, and France, Oxford, Berg, 2009; James Epstein, Radical Expression. Political,
Language, ritual and symbol in England 1790-1850, Oxford, 1994 ; auxquels il faut évidemment ajouter
l’étude pionnière de Lynn Hunt. Politics, Culture, and Class in the French Revolution, Berkeley,
University of California Press, 1984.
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Faire de l’histoire du politique avec les objets
4. Sur le “tournant matériel” et la notion même de “culture matérielle”, cf. Marie-Pierre Julien,
Céline Rosselin, La culture matérielle, Paris, La Découverte, 2005 ; “Storia e cultura materiale:
recenti traiettorie di ricerca”, a cura di Alessio Petrizzo e Carlotta Sorba, avec des interventions
de Fabio Dei, Giorgio Riello, Beverly Lemire, Manuel Charpy, Leora Auslander, Contemporanea, 3,
2017, p. 437- 480. On trouvera une synthèse intéressante des aspects théoriques de ce “retour aux
choses” que nous ne pouvons pas aborder amplement ici, dans Ewa Domaska, “The Material
Presence of the Past”, History and Theory, 45, 3, 2006, p. 337-348.
5. Pour une vue générale sur le tournant matériel dans l’historiographie et ses implications
méthodologiques, cf. Anna Gerritsen and Giorgio Riello, Writing Material Culture History, London,
Bloomsbury, 2015 ; Leonie Hannan and Sarah Longair, History through material culture,
Manchester, Manchester University Press, 2017 ; Tangible things. Making history through objects, ed.
by Laurel T. Ulrich, Ivan Gaskell, Sara J. Schehner, Sarah A. Carter, Oxford - New York, Oxford
University Press, 2015.
6. Cf. deux ouvrages collectifs très récents : Christopher Fletcher (ed.), Everyday political objects:
from the Middle Ages to the contemporary world, New York, Routledge, 2021(fruit d’un congrès à
Lille) ; Enrico Francia and Carlotta Sorba (eds), Political objects in the Age of Revolutions, Roma,
Viella, 2021. Parmi les monographies, voir par exemple : Emmanuel Fureix, L’oeil blessé. Politiques
de l’iconoclasme après la Révolution Française, Paris, Champ Vallon 2019 ; Philippe Artières, La
banderole. Histoire d’un objet politique, Paris, Autrement, 2013 ; Enrico Francia, Oggetti risorgimentali,
Per una storia materiale della politica nel primo Ottocento, Roma, Carocci, 2021 ; Arianna Arisi Rota, Il
cappello di Napoleone. Storia, memoria e mito di Napoleone attraverso due secoli di culto dei suoi oggetti,
Roma, Donzelli, 2021.
7. Parmi les interventions les plus intéressantes sur le présent, cf. Noortje Marres, Material
Participation. Technology, the Environment and Everyday Publics, New York, Palgrave Macmillan,
2012 ; Geneviève Zubrzycki, National Matters. Materiality, Culture and Nationalism, Stanford,
Stanford University Press, 2017.
8. Yvan Gaskell and Sarah Ann Carter (eds.), Oxford Handbook of History and Material Culture,
Oxford, Oxford University Press 2020.
9. « Comme les mots dans le tournant postmoderne des années 80, les choses aujourd'hui
ébranlent notre compréhension fondamentale de la subjectivité, de l'organique, des émotions et
des relations entre humains et non-humains », Frank Trentmann, “Materiality in the Future of
History: Things, Practices and Politics”, Journal of British Studies, 48, 2009, p. 283-307.
10. Fletcher, Introduction: Useful Objects, op. cit., p. 3.
11. Cf. Silvia Cavicchioli and Luigi Provero (eds.), Public Uses of Humans Remains and Relics in
History, New York-London, Routledge, 2020.
12. Significatifs sont les cas des objets étroitement liés à la pratique électorale du vote secret :
Olivier Ihl, « L'urne électorale. Formes et usages d'une technique de vote », Revue française de
science politique, 1993, 43-1, p. 30-60 ; Malcolm et Tom Crook, « L’isoloir universel ? La
globalisation du scrutin secret au XIXe siècle », Revue d’histoire du XIXe siècle, 2011, p. 41-55.
13. Ludmilla Jordanova, The Look of the Past. Visual and Material Evidence in Historical Practice,
Cambridge, Cambridge University Press 2012, p. XX-XXII.
14. Seulement à titre d’exemple, cf. l’article spécial sur “The art of embassy. Objects and images
of early modern diplomacy”, Journal of Early Modern History, 1, 2016 ; mais le thème commence à
faire l’objet d’études aussi sur une chronologie plus avancée.
15. Sur la spécificité de cette phase, je renvoie à Enrico Francia and Carlotta Sorba, “Introduction:
the Political life of objects”, in Political Objects in the Age of Revolutions, op. cit., p. 7-26.
16. Cf. Alessio Petrizzo (a cura di), “Visualità e socializzazione politica nel lungo Ottocento
italiano”, fascicolo monografico di MEFRIM, Mélanges de l’École Française de Rome, 130-1, 2018.
17. Voir à ce propos le livre Un media de Faience. L’assiette historiée imprimée, sous la direction de
Maité Bouyssy et Jean Pierre Chaline, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012 ; ou Bruno Dumons
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et Gilles Pollet, dir., La Fabrique de l’Honneur. Les médailles et les décorations en France, XIX eXXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.
18. Gianenrico Bernasconi, Objets portatifs au Siècle des Lumières, Paris, Editions du Comité des
travaux historiques et scientifiques, 2015.
19. Ignazio Veca, “Oggetti animati. Materialità, circolazione e usi della figura di Pio IX
(1846-1849)”, Il Risorgimento, I, 2017, p. 63-97.
20. Sur les aspects de la commercialisation, aussi transnationale, de certains objets politiques,
voir Francia, Oggetti risorgimentali, op. cit., p. 63 sq.
21. Sur l’intrication politique, consommation, marché, cf. l’étude classique de T. H. Breen, The
Marketplace of Revolution: How consumer politics shaped American indipendence, New York 2004.
22. On trouvera une tentative récente – mais centrée sur l’histoire médievale et moderne –
d’ajouter la matérialité au répertoire articulé de l’histoire des émotions dans Sally Holloway, S.
Downes, S. Randles (eds), Feeling things: Objects and Emotions through history, Oxford, Oxford
University Press, 2018. Voir aussi la recension à la fois critique et propositionnelle de Rob
Roddice dans “Reviews in History”, 2340, 2019, (en ligne) https://reviews.history.ac.uk/review/
2340, consulté le 9 février 2022.
23. Cf. Sherry Turkle (ed.), Evocative Objects: Things We Think With, Cambridge, MA, 2007.
24. Cf. Lambros Malafouris, How Things Shape the Mind: A Theory of Material Engagement, Cambridge
(MA), MIT Press, 2013.
25. Cf. le récent Reliques politiques, sous la direction d’Albrecht Burkardt et Jérome Grevy, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes, 2020 ; un recueil d’essais qui en met en lumière de nombreux
aspects, en insistant sur les intrications de sacralité que les reliques sont amenées à incarner.
26. Silvia Cavacchioli, “The Politics of Memory: Heirlooms and Relics of Patriots, Fighters and
Martyrs of the Italian Risorgimento”, in Political objects in the Age of Revolutions, op. cit., p. 181-200.
27. On trouvera plusieurs suggestions allant dans cette direction chez : Nicolas Offenstadt, Le pays
disparu: sur les traces de la RDA, Paris, Gallimard, 2019 ; Giampiero Piretto, La vita privata degli
oggetti sovietici. 25 storie da un altro mondo, Milano, Sironi, 2012 ; Material culture in Russia and URSS.
Things, values, identities, edited by Graham H. Roberts, New York, Routledge, 2017.
28. Denise Y. Ho, “From confiscation to collection: the objects of China’s Cultural Revolution”, in
The Oxford Handbook of History and Material culture, op. cit. p. 355-375.
29. Lorraine Daston (ed.), Things that Talk. Object Lessons from Art and Sciences, New York, Zone
Books, 2004, p. 11.
30. On trouvera une discussion intéressante qui fait le point sur le thème de l’agency des objets :
dans le livre Debating New Approaches to History, ed. by Marek Tamm and Peter Burke, London,
Bloomsbury, 2019 ; dans le texte d’Ivan Gaskell, “History of Things” ; et dans le commentaire de
celui-ci par Bjornar Olsen (p. 217-232, 239-24).
31. Voir à ce propos aussi la référence aux réflexions d’Alfred Gell (L’art et ses agents. Une théorie
anthropologique, Dijon, Les Presses du Réel, 2010) sur les objets d’art comme agents sociaux ;
réflexion qui traverse nombre des essais qui composent le volume édité par Fletcher, Everyday
Political Objects, op. cit.
32. Cf. Carlotta Sorba, Politics and sentiments in Risorgimento Italy. Melodrama and the Nation, Cham
(CH), Palgrave MacMillan, 2021 (en particulier le chapitre 7: Not just Words: Emotional Bodies in the
“Long 1848).
33. Sur les tentatives hésitantes d’approche de l’expérience vestimentaire par l’historiographie,
malgré des études fondatrices comme celles de Daniel Roche, je me permets de renvoyer à un de
mes articles, “Writings the History of Appearances and Politics”, in The clothing of politics, special
issue of Contemporanea, 4, 2017, p. 527-540.
34. Sur la force politique des apparences vestimentaires, A. Burger-Roussennac et T. Pastorello
(sous la direction de), Un usage politique du vêtement, numéro spécial des Cahiers d’histoire. Revue
d’histoire critique, 129, 2015 ; Beverly Lemire (ed.), The force of fashion in politics and society. Global
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perspectives from early modern to contemporary times, London and New York, Routledge, 2010 ;
Djurdja Bartlett, Fashion and Politics, New Haven and London, Yale University Press, 2019.
35. Manuel Charpy, “Political Fashion. Elegance as subversion in the Congos of the nineteenth
and twentieth centuries”, in Fletcher, Everyday Political Objects, op. cit., p. 170-209.
36. Jane Tynan, British Army Uniform and the first World War: Men in Khaki, London, Palgrave
MacMillan, 2013 ; Alexander Maxwell, Patriots against Fashion. Clothing and Nationalism in Europe’s
Age of Revolutions, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014.
37. Noortje Marres, Technology, the Environment…, op. cit.
38. Mobility, Meaning and Transformation of Things. Shifting Contexts of Material Culture through Time
and Space, edited by Hans Peter Hahn and Hadas Weiss, Oxbow Books, 2013.
39. Fabio Dei, “La vita sociale delle cose, trent’anni dopo: quale ‘svolta’ negli studi di cultura
materiale?”, Contemporanea, 19/3 (2016), p. 439-443.
40. Edward S. Cooke, Jr and Imogen Hart, “Material Culture and Mobility”, Material Culture Review,
74-75 (spring 2012), p. 6-13 ; Joanne Begiato, “Moving Objects. Emotional Transformation,
Tangibility and Time Travel”, in Feeling Objects, op. cit. p.229-242 ; Elena Canadelli, “Mobilizing
Pictures: The History of Science through the Lens of Mobility”, in Lucio Biasiori, Federico
Mazzini, Chiara Rabbiosi (eds), Re-imagining Mobilities: Humanities Perspectives, vol. 1, New York,
Routledge, 2022 (sous presse).
41. Charlotte A. Lerg and Heléna Tóth (ed. by), Transatlantic Revolutionary Cultures, 1789-1861,
Boston-Leiden, Brill, 2018.
42. Yota Batsaki, et alii (eds.), The Botany of Empire in the Long Eighteenth Century, Washington D.C.,
Dumbarton Oaks Research Library and Collection 2016 ; et aussi New world objects of Knowledge. A
Cabinet of Curiosities, ed. by Mark Thurner and Juan Pimentel, London, University of London Press
2021.
43. Alessio Petrizzo, “Return to Order, and Material Culture: Missing Objects, Anti-Republican
Narratives and Police Practice in Rome after 1849”, in Political objects in the Age of Revolution, op. cit.
p.135-164.
44. Pierre Yves Lacour, La République naturaliste. Collections d’histoire naturelle et Révolution française
(1789-1804), Paris, Publications scientifiques du Musée National d’Histoire naturelle, 2014. Sur les
objets naturels et la mobilité, cf. le dossier “Moved Natural Objects. Spaces in Between”, Journal of
History of Science and Technology, 5, 2012 ; Jessica Ratcliff, ‘The East India Company, the Company’s
museum, and the political economy of natural history in the early nineteenth century’, Isis 107
(2016): 495–517.
45. Felix Driver, Mark Nesbitt, Caroline Cornish (ed.), Mobile Museums. Collections in circulation,
London, UCL Press 2021.
RÉSUMÉS
Cette contribution vise à mettre en évidence les trajectoires et les effets induits d'une possible
rencontre entre l'histoire du politique et la culture matérielle. À partir d'une série d'études
récentes, il se propose de définir un champ d'investigation encore peu fréquenté et d’identifier
un certain nombre de perspectives de recherche qui semblent susceptibles de connaître des
développements intéressants. Il montre ainsi comment, même sur le front politique, les "choses"
semblent être plus intégrées aux expériences et aux sensibilités que l'historiographie ne l'a
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Faire de l’histoire du politique avec les objets
imaginé jusqu'à présent. Au cœur de la réflexion se trouve l'idée que les objets peuvent être
interrogés à la fois comme des formes de langage, capables de communiquer un message
politique plus ou moins explicite, et comme des dispositifs pratiques intégrant des programmes
d'action. La centralité des usages et la dimension performative des objets politiques, leur
mobilité et leurs itinéraires variables sont quelques-uns des éléments qui semblent les plus
dignes d'attention aujourd'hui.
This contribution aims to highlight the trajectories and effects of a possible intersection between
the history of politics and material culture. Based on a series of recent studies, it aims to define a
field of investigation that is still little explored and to identify a number of research perspectives
that seem likely to see interesting developments. It shows how, even on the political front,
'things' seem to be more integrated into experiences and sensibilities than historiography has
hitherto imagined. At the heart of the reflection is the idea that objects can be interrogated both
as forms of language, capable of communicating a more or less explicit political message, and as
practical devices incorporating programmes of action. The centrality of uses and the
performative dimension of political objects, their mobility and their variable itineraries are some
of the elements that seem most worthy of attention today.
INDEX
Mots-clés : culture matérielle, objet, histoire du politique, sensibilités
Keywords : material culture, object, history of politics, sensibilities
AUTEURS
CARLOTTA SORBA
Carlotta Sorba est professeure à l'université de Padoue, où elle dirige le Centre interuniversitaire
d'histoire culturelle (CSC). Spécialiste de l'Italie et de l'Europe du XIX e siècle, elle a travaillé sur
différents domaines de la production culturelle en relation avec la société et la politique de
l'époque. Parmi ses publications récentes Il melodramma della nazione. Politica e sentimenti nell’età
del Risorgimento (Laterza 2015; traduction anglaise Palgrave MacMillan 2021) et avec Federico
Mazzini, La svolta culturale. Come è cambiata la pratica storiografica (Laterza 2021).
[email protected]
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