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After turning a few pages, Les Carnets du Cerpac has become PoCoPages, edited by Judith Misrahi-Barak. Though the term Poco may stir up in the reader's mind images of some American country rock band, or again various possession rituals associated with Africa or the Caribbean, the reference here however is to the abbreviation of postcolonial. The term in its diversity is meant to re ect the interest of PoCoPages for postcolonial, diasporic cultures and literatures, steeped in métissage and crossed borders. Quelques pages ayant été tournées, Les Carnets du Cerpac sont devenus PoCoPages, édité par Judith Misrahi-Barak. Le terme Poco fera peut-être penser à un groupe de rock country américain, ou à divers rituels de possession associés à l'Afrique et à la Caraïbe. C'est pourtant à l'abréviation de postcolonial que référence est faite ici. Le terme, dans sa diversité, re ètera l'intérêt de PoCoPages pour les cultures et les littératures postcoloniales, diasporiques, trempées de métissage et de frontières traversées.

Home Collection « Horizons anglophones » Direction collégiale Comité scientifique Jean-Michel Ganteau, Fiona McMahon, Judith Misrahi-Barak, Anne-Marie Motard, Christine Reynier La collection « Horizons anglophones » publie des recueils et des monographies en anglais et en français dans les domaines des littératures, arts, cultures et sociétés des pays anglophones. Elle se décline en quatre séries : — PoCoPages, anciennement Carnets du Cerpac, a pour vocation d’étudier les littératures, arts et cultures dans la sphère des études postcoloniales. — Politiques et Sociétés vise à observer les évolutions récentes des sociétés contemporaines dans une perspective pluridisciplinaire et comparative. — Present Perfect, créée en 2005, publie des volumes qui ouvrent des perspectives originales sur la littérature et les arts britanniques du xixe siècle jusqu’à nos jours. — Profils américains a publié entre 1991 et 2010 vingt-deux volumes dont chacun était consacré à un écrivain américain. Souhaitant ne plus se limiter à la critique littéraire, elle s’ouvre dorénavant aux autres domaines de la culture américaine (arts, cinéma, musique, etc.). Cette collection, dirigée par des membres d’EMMA (équipe « Études montpelliéraines du monde anglophone »), a pour ambition de réunir des contributions de spécialistes du monde entier et de favoriser le dialogue dans ces domaines de recherche. Collection « Horizons anglophones » Série PoCoPages Home Les sens d’une maison Édité par Justine Feyereisen, Rosanna Gangemi, Arvi Sepp & Dag Houdmont 2023 Presses universitaires de la Méditerranée Série PoCoPages General Editor/Responsable de la série : Judith Misrahi-Barak After turning a few pages, Les Carnets du Cerpac has become PoCoPages, edited by Judith Misrahi-Barak. Though the term Poco may stir up in the reader’s mind images of some American country rock band, or again various possession rituals associated with Africa or the Caribbean, the reference here however is to the abbreviation of postcolonial. The term in its diversity is meant to reflect the interest of PoCoPages for postcolonial, diasporic cultures and literatures, steeped in métissage and crossed borders. Quelques pages ayant été tournées, Les Carnets du Cerpac sont devenus PoCoPages, édité par Judith Misrahi-Barak. Le terme Poco fera peut-être penser à un groupe de rock country américain, ou à divers rituels de possession associés à l’Afrique et à la Caraïbe. C’est pourtant à l’abréviation de postcolonial que référence est faite ici. Le terme, dans sa diversité, reflètera l’intérêt de PoCoPages pour les cultures et les littératures postcoloniales, diasporiques, trempées de métissage et de frontières traversées. International Advisory Board/Comité de lecture international Prof Bernard Alazet, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, France ; Prof Markus Arnold, University of Cape Town, South Africa ; Dr Annelies Augustyns, Universiteit Antwerpen, Belgium ; Prof Cristiano Bedin, Istanbul University, Turkey ; Prof Daniela Bombara, Università degli Studi di Messina, Italia ; Prof Mateusz Chmurski, Sorbonne Université, France ; Prof Anne Cousseau, Université de Lorraine, France ; Dr Annemarie Estor, independent researcher ; Dr Justine Feyereisen, Universiteit Gent, Belgium ; Dr Eloïse Forestier, Universiteit Gent, Belgium ; Rosanna Gangemi, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, France ; Prof Ronald Geerts, Vrije Universiteit Brussel, Belgium ; Prof Giuseppe Grilli, Università Roma Tre, Italia ; Prof Sabine Hillen, Vrije Universiteit Brussel, Belgium ; Prof Philippe Humblé, Vrije Universiteit Brussel, Belgium ; Prof Françoise Lionnet, Harvard University, USA ; Prof Atinati Mamatsashvili, Ilia State University, Tbilissi, Georgia ; Dr Mathias Meert, Vrije Universiteit Brussel, Belgium ; Prof Natalia Paprocka, Uniwersytet Wrocławski, Poland ; Prof Arvi Sepp, Vrije Universiteit Brussel, Belgium ; Dr Karolina Svobodova, Université libre de Bruxelles, Belgium ; Prof Bernard Urbani, Université d’Avignon, France ; Dr Hannah Van Hove, Vrije Universiteit Brussel, Belgium. Cet ouvrage a bénéficié du soutien de l’université Paul-Valéry Montpellier 3, du centre de recherche Philixte de l’Université libre de Bruxelles et de la Vrije Universiteit Brussel. Illustration de couverture : Denis Courard, Bab el Dahab, vue 2 (2018). Mots-clés : home, habitation, espace domestique, maison, migration, littérature et arts. Keywords: Home, Dwelling, House, Domestic Space, House, Migration, Literature and Arts. Tous droits réservés, PULM, 2023. ISBN 978-2-36781-497-1 REMERCIEMENTS Créé sous l’impulsion de Dag Houdmont et de Rosanna Gangemi, le cycle de séminaires interuniversitaires Home a bénéficié du soutien académique de Dorota Walczak-Delanois et du centre de recherche Philixte (Études philologiques, littéraires et textuelles) de l’Université libre de Bruxelles. À leurs côtés, Justine Feyereisen, Arvi Sepp et Matthieu Sergier ont œuvré à la bonne organisation de quatre éditions dans trois institutions bruxelloises (Université libre de Bruxelles, Université Saint-Louis, Vrije Universiteit Brussel et le centre culturel Muntpunt), accueillant à bras ouverts plus d’une quarantaine de chercheuses et chercheurs en littérature et philosophie de l’art contemporains d’aires linguistiques extrêmement variées (anglais, allemand, français, italien, néerlandais, polonais), dont les échanges fructueux ont largement inspiré ce volume. Qu’iels soient tou·te·s chaleureusement remercié·es. Notre gratitude, enfin, à Judith Misrahi-Barak, directrice de la collection « PoCoPages » des Presses universitaires de la Méditerranée, pour avoir donné en toute confiance un home sweet home à notre réflexion. SOMMAIRE Justine Feyereisen, Rosanna Gangemi, Arvi Sepp Home. Les sens d’une maison ........................................................... 11 Homeland Nicolas Rault L’habitation à l’épreuve du monde ................................................... 31 Cristina Álvares No Home. Le devenir-ghetto du monde dans Tropique de la violence de Nathacha Appanah ......................... 57 Home Away From Home Charikleia Magdalini Kefalidou Paradise Lost, Paradise Regained? William Saroyan’s and David Kherdian’s Portrayals of the United States as a New Home(Land) ........................................................................ 79 Anna Federici Les maisons de la migration : les écrivaines italiennes de la migration balkanique .............................................................. 107 Dorota Walczak-Delanois Les (im)possibles maisons poétiques de Marian Pankowski ...... 121 Back Home Valentina Pancaldi La troisième langue ou le chemin de retour au foyer familial .... 145 Karolina Svobodova Le lieu culturel comme maison. Quand le familier l’emporte sur l’artistique .................................................................. 163 Hyein Lee « Chez moi ailleurs » : Chantal Akerman et ses documentaires ......................................................................... 179 10 Women for a Sub-Verted Home Émilie Piat Du cauchemar au spectacle : réappropriation parodique de l’espace domestique dans la poésie féminine britannique contemporaine .............................................................. 197 Paola Del Zoppo Heimlich and Silent as the Grave. The Last Dwelling as the Only Possible Home in Margarete Böhme’s Tagebuch einer Verlorenen .................................................................... 213 Isabelle Doneux-Daussaint Duras : La maison ou le symbole absolu ....................................... 237 Riccardo Venturi Postface. Le dehors comme demeure ............................................. 253 Résumés .............................................................................................. 261 Bio-Bibliographies ............................................................................. 267 PoCoPages, 2023, 11-28. HOME. LES SENS D’UNE MAISON Justine Feyereisen, Rosanna Gangemi, Arvi Sepp We make a home for each other, my grandfather and I. Do you know what I mean by a home ? I don’t mean a regular home. I mean I don’t mean what other people mean when they speak of a home, because I don’t regard a home as a… well, as a place, a building… a house… of woods, bricks, stone. I think of a home as being a thing that two people have between them in which each can… well, nest– rest–live in, emotionally speaking… Tennessee Williams, Acte III, The Night of the Iguane (2009, p. 122) Cet ouvrage est le réceptacle d’une réflexion critique et collective au long cours qui trouve son origine dans le cycle de séminaires interuniversitaires, Home, initié à Bruxelles en 2018, autour des facettes polysémiques et des frontières poreuses de la notion de home dans les littératures et les arts contemporains. Home provient du vieil anglais où il se décline en substantif pour désigner le domicile, la maison, le pays natal, la patrie, le point de départ, ou en adverbe pour indiquer la direction, l’emplacement d’un lieu que l’on qualifie de chez-soi. Il correspond à l’allemand Heim et au néerlandais heem. En français, le terme fait aussi référence à l’établissement où l’on accueille certaines catégories de personnes, souvent placées à la marge de la société, des enfants en difficulté, des mineurs délinquants, des personnes âgées, etc. Multidimensionnelle, 12 Justine Feyereisen, Rosanna Gangemi, Arvi Sepp la définition pose la question de savoir si home correspond à un lieu, un espace, un sentiment — au singulier ou au pluriel —, à des pratiques ou à des états d’être au monde, ainsi qu’à ses habitants, à leur vie concrète et symbolique, à leur mémoire et à leurs rapports de classe, de genre, de génération et de race. Et nous la poserons à partir de la littérature et des arts afin d’en comprendre le rôle dans cette appréhension d’une spatialité domestique. Le premier cycle « Home : Heaven and Hell. La persistance lumineuse des ténèbres » s’ouvrait sur la relation du sujet aux lieux d’origine, car home est avant tout « where one starts from » (T.S. Eliot, Four Quartets, East Coker). Home, donc, dans le sens de logis primitif, de chez-soi primordial, en termes d’espace psychique et physique à la fois. Lieu intime fondateur, garant de l’identité, port de départ ou d’attache, home est le berceau nourrissant et le nid étouffant, le refuge et le huis clos, l’ancrage et la fuite. Le deuxième cycle « Home Away From Home » poussait cette fois l’enquête du côté de la (re) construction d’un imaginaire domestique après l’errance, l’exil ou la migration. Ce volume, bilingue français-anglais, recueille, croise et remet en dialogue une sélection d’interventions desquelles émerge un paradoxe. Qu’il soit limon nourrissant les racines, solution de repli, assignation à résidence, prison mentale, cocon, lieu de spectacle ou de l’intime, home, par sa grande proximité dans notre quotidien, nous rend son appréhension ardue. D’autant plus qu’il est l’espace par excellence où se révèlent des enjeux culturels, politiques, sociaux et de genre auxquels s’entremêlent des sentiments et des rapports d’appartenance, d’intimité et de sécurité venant éclairer les logiques contrastées entre la maison, inviolable et privée, et le pouvoir extérieur. Si, depuis les années 1980, l’espace domestique et les pratiques qui y ont cours bénéficient de la part des sciences humaines d’une attention constante, un regain d’intérêt a été insufflé suite à la crise sanitaire mondiale de 2019 et au développement de nouvelles technologies, qui relancent les sempiternelles interrogations sur le « bonheur 1 » à domicile. La quête de se sentir chez soi est une aspiration humaine universelle et, en même temps, un processus lié à un endroit et à des conditions socio-économiques spécifiques. La tension qui existe entre l’universalité et la particularité devient 1. Emanuele Coccia, Philosophie de la maison. L’Espace domestique et le bonheur, trad. de Léo Texier, Paris, Payot & Rivages, 2021. Home. Les sens d’une maison 13 d’autant plus forte lorsque le foyer est créé dans des conditions de déplacement, qu’il soit forcé ou choisi, momentané ou permanent, le résultat d’évolutions environnementales, climatiques, sociétales, politiques ou économiques 2. Home en tant que foyer va au-delà de la signification d’un logis contre les intempéries. Il s’agit plutôt d’une condition humaine, comme le souligne Céline Bonicco-Donato en se référant à Martin Heidegger 3 : « Dans la revendication d’un toit pour tous s’exprime autre chose que le simple besoin de protection physique, comme en témoignent par la négative les nombreux refus de sans-abris d’être hébergés en foyer 4. » Dès lors, comment et pourquoi faire maison ? Faire maison En partant des recherches sur l’art et la littérature transnationaux, nous avons souhaité repousser les catégories existantes en nous orientant vers la philosophie, les études culturelles et les sciences sociales. Nous comprenons ainsi le terme de Heimat, par exemple, comme un sentiment d’appartenance, un affect complexe de la spatialité engendré par l’interconnexion entre plusieurs lieux 5. Ce faisant, nous rompons avec la conception de Heimat comme un lieu précis, concrètement ancré dans un espace spécifique. Dans cette perspective, Heimat devient un lieu nuancé, plastique et dynamique : un concept toujours lié au pouvoir et à la mémoire 2. Luce Beeckmans, Ashika Singh et Alessandra Gola, « Introduction : Rethinking the Intersection of Home and Displacement from a Spatial Perspective », dans Beeckmans Luce, Singh Ashika, Gola Alessandra et Heynen Hilde (dir.), Making Home(s) in Displacement. Critical Reflections on a Spatial Practice, Leuven, Leuven University Press, 2022, p. 11-42. 3. Martin Heidegger, « Bâtir habiter penser » [Bauen wohnen denken, 1951], Essais et conférences, Trad. d’André Préau, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1958, p. 170-193. 4. Céline Bonicco-Donato, Heidegger et la question de l’habiter. Une philosophie de l’architecture, Marseille, Éditions Parenthèses, 2019, p. 7. 5. Dans Heimat als Utopie, Bernhard Schlink met l’accent sur la mélancolie de la perte comme expérience fondamentale du sentiment d’appartenance : « La patrie [Heimat] est une utopie. Elle est vécue le plus intensément lorsque l’on est parti et qu’elle nous manque ; le véritable sentiment de patrie [Heimatgefühl] est le mal du pays [Heimweh]. Mais même quand on n’est pas parti, le sentiment d’appartenance [Heimatgefühl] se nourrit de ce qui manque, de ce qui n’est plus » (Heimat als Utopie, Frankfurt am M., Suhrkamp, 2000, p. 32). 14 Justine Feyereisen, Rosanna Gangemi, Arvi Sepp par les implications de sa construction discursive 6. Défini par des composantes historiques, spatiales, culturelles, relationnelles et autobiographiques, Heimat replace la question de l’habitation en tant qu’intériorité vécue et ressentie dans la perspective d’un monde commun. En référence au philosophe Eugen Fink, Hans Rainer Sepp et Cathrin Nielsen montrent que le concept d’« habiter » désigne la situation existentielle de l’être humain dans le monde, le séjour de l’humain sur la terre 7. Si l’habitation reflète le comportement de l’humain vis-à-vis de lui-même, elle comprend donc aussi le rapport au monde, d’autant plus que le comportement de soi n’est possible que par rapport au monde. Habiter, ce n’est pas être figé en un lieu, insiste l’écrivaine et philosophe ivoirienne Tanella Boni, « c’est être libre de se déplacer, de faire usage de son droit de circuler 8 ». En l’occurrence, pour l’intellectuel exilé, l’habiter existentiel se situe dans l’itinérance même qui, selon Edward Saïd, définit en retour sa manière de percevoir le monde : « Exile for the intellectual […] is restlessness, movement, constantly being unsettled, and unsettling others. You cannot go back to some earlier and perhaps more stable condition of being at home; and, alas, you can never fully arrive, be at one with your new home or situation 9 ». Refuser aux êtres humains en situation migratoire le droit de s’installer hors de chez eux n’est rien d’autre que nier leur humaine condition. Et, dans certains cas, rejouer la partition coloniale qui distinguait en l’Occident une zone de l’être et, dans les pays colonisés, une zone du non-être. La question n’est plus 6. Anne Fuchs, « Gendered Heimat Discourse and the Poetics of the ‘extended gaze’ in Wilhelm Genazino’s Mittelmäßiges Heimweh », German Life and Letters, vol. 64, no 1, 2011, p. 145. Après la seconde guerre mondiale, dans le contexte allemand, comme le note Celia Applegate dans A Nation of Provincials, le terme de Heimat « symbolisait la communauté politique et sociale qui avait pu être sauvée des décombres de l’époque nazie », C. Applegate, A Nation of Provincials. The German Idea of Heimat, Berkeley, Los Angeles, Oxford, University of California Press, 1990, p. 242. 7. Hans Rainer Sepp et Cathrin Nielsen, « Einleitung », dans Hans Rainer Sepp et Cathrin Nielsen, Wohnen als Weltverhältnis. Eugen Fink über den Menschen und die Physis, Freiburg/München, Verlag Karl Alber, 2019, p. 11. 8. Tanella Boni, Habiter selon Tanella Boni, Paris, Museo Éditions, coll. « Paradisier », p. 119. 9. Edward W. Saïd, Representations of the Intellectuals: the Reith Lectures, New York, Pantheon Press, 1994, p. 53. Saïd, dans Culture and Imperialism, met en évidence que l’intellectuel exilé est une « political figure between domains, between forms, between homes, and between languages » (London, Vintage, 1994, p. 333). Home. Les sens d’une maison 15 de savoir comment franchir la frontière, mais comment l’habiter 10, ou pour le dire avec les mots du philosophe Dénètem Touam Bona face à la Jungle de Calais, « comment en faire à nouveau une ligne de faille d’où puisse jaillir le magma de l’humanité à venir 11 ». A fortiori, pour les personnes déplacées, la rupture, souvent abrupte, avec leurs vies passées, le manque de reconnaissance de leurs droits fondamentaux et de leurs besoins émotionnels, la difficulté d’obtenir un statut légal, sans compter leur accès limité aux ressources et aux services, ont suspendu ou interrompu toute possibilité de s’établir. Afin de comprendre ce que « faire maison » (homemaking) recouvre en situation d’exil, Cathrine Brun et Anita Fabos proposent la trichotomie suivante : elles distinguent le home (avec minuscule) en tant que pratiques domestiques quotidiennes du Home (avec majuscule), signifiant les valeurs, les mémoires et les affects liés au domicile perdu ; et du HOME (en lettres capitales), désignant les façons par lesquelles les inégalités et indignités globales conditionnent quelque sens nouveau que le foyer et son cadre institutionnel puissent englober 12. Sous l’aspect du HOME, les exilés défient le système qui les a placés à la marge Ils pointent aussi l’importance des réseaux de soutien et l’enracinement affectif dans le processus de l’habiter 13. Plutôt que d’envisager les territoires de home représentés dans les contributions de ce volume comme des espaces délimités, on peut les imaginer comme des moments articulés au sein d’une trame relationnelle. Cela permet d’appréhender la porosité des murs qui séparent le dedans du dehors comme le souligne Jean-Marc Besse : « on habite aussi les seuils, les rues, les villes, les paysages. On habite aussi dehors et dans une suite incessante de passages, de 10. Voir Léonora Miano, Habiter la frontière, Paris, L’Arche Éditeur, 2012. 11. Dénètem Touam Bona, « Heroic land. Spectrographie de la “Frontière” », Chimères, vol. 90, no 3, 2016, p. 164 ; éd. augmentée l’auteur dans Fugitive, Where Are You Running?, trad. de Laura Hengehold, Cambridge, Polity Press, 2022, p. 63-74. 12. Cathrine Brun et Anita Fabos, « Making homes in limbo ? A conceptual framework », Refuge, vol. 31, no 1, 2015, p. 5-17. Cette trichotomie est exploitée par Robin Cohen et Nicholas Van Hear dans Refugia, New York/Oxford, Routledge, 2020, p. 29. 13. « For those in exile, the most profound challenge has been to create a home without, at least initially, the support networks and emotional rootedness we assume at least idealistically, come with the very word home. » (Asher D. Biemann, Richard I. Cohen et Sarah E. Wobick-Segev, « Introduction », dans Asher D. Biemann, Richard I. Cohen et Sarah E. Wobick-Segev (dir.). Spiritual Homelands. The Cultural Experience of Exile, Place and Displacement among Jews and Others, Berlin/Boston, de Gruyter, 2020, p. 5). 16 Justine Feyereisen, Rosanna Gangemi, Arvi Sepp l’intérieur vers l’extérieur et de l’extérieur vers l’intérieur 14. » À ce stade de la nuit (2014), Maylis de Kerangal réfléchit, seule au cœur du cocon domestique, à la décision toute collective qu’est l’hospitalité alors que vient de faire naufrage au large de l’île de Lampedusa un bateau de migrants africains ayant fait trois cent cinquante disparus. Depuis l’antre du foyer, cet abri précisément dénié aux humains sur les routes de l’errance (comme en témoigne le saccage répété des camps par les pouvoirs publics), se déploie de la part de l’écrivaine française une disponibilité relationnelle. Il est vrai que, dans la perspective du home comme du Home, l’intériorité demeure souveraine, et les femmes se voient attribuées le devoir tant de prodiguer un refuge élémentaire à leur famille et de lui transmettre, restituer, reconstituer la mémoire de leur existence révolue, que d’accueillir « l’étranger qui vient 15 » en parfaite hôtesse de maison. Au foyer Bien plus qu’un refuge, un lieu de réconfort et un espace de préservation de l’intimité, la maison est un microcosme du monde social, un espace physique et symbolique où les différents marqueurs sociaux — genre, génération, race et classe sociale — s’articulent 16. Ce volume tient compte des rapports sociaux et de pouvoir qui prennent place dans l’habitat, en s’intéressant au rapport entre imaginaire domestique, formes esthétiques, production culturelle et styles de vie associés aux modes d’habiter. Dès le début du xxe siècle, le champ de l’anthropologie s’est intéressé au rapport étroit entre l’aspect morphologique de la maison et la structure complexe du groupe qu’elle abrite, tel Marcel Mauss observant la vie sociale des esquimaux et les variations de leur habitation en fonction des cycles saisonniers 17. Claude Lévi-Strauss a développé une notion de maison à partir de l’idée de transmission de biens matériels et immatériels, la maison étant tout à la fois définie comme personne morale, détentrice d’un espace de résidence, et 14. Jean-Marc Besse, Habiter : un monde à mon image, Paris, Flammarion, 2013, p. 9. 15. Michel Agier, L’Étranger qui vient. Repenser l’hospitalité, Paris, Seuil, 2018. 16. À ce propos : Camila Gui Rosatti, Heloisa Pontes et Vincent Jacques, Habiter : maison et espace social. Brésil(s). Sciences humaines et sociales, no 18, 2020, https://journals. openedition.org/bresils/7576. DOI : 10.4000/bresils.7576. 17. Marcel Mauss, « Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos » [1906], Sociologie et Anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, 1968, p. 389-475. Home. Les sens d’une maison 17 principe d’organisation sociale et de traditions : « L’immatériel comprend également des noms, qui sont des propriétés de maisons, des légendes, le droit exclusif de célébrer certaines danses ou rituels 18. » Pierre Bourdieu, dans l’hommage collectif à ce dernier 19, a analysé l’imaginaire de la maison kabyle et les pratiques qui y sont inscrites en mettant l’accent sur la matérialisation des rapports de genre : la partie haute des maisons de Kabyles est associée à la luminosité, au sec, au sacré, au public et au masculin tandis que la partie basse est associée à la fécondité, au sommeil, à la mort, à l’humidité, à l’intime et au féminin. Dans Une chambre à soi (1929), Virginia Woolf encourage les femmes à occuper une pièce qu’elles puissent fermer à clé, pour créer sans être dérangées par la vie domestique. L’analyse d’Anne McClintock sur la formation de la classe moyenne anglaise au xixe siècle montre que le culte de la domesticity 20 a soutenu ce groupe social et ses principales valeurs (« thrift, order, accumulation, classification, quantification and regulation 21 »), celles-là mêmes qui ont perduré au siècle suivant. À l’intérieur de la maison, lieu de production des personnes et des corps, l’impératif est donné aux femmes (qui sont souvent aussi mères) d’ordonner les objets, de discipliner les horaires, de ranger les meubles et les objets de décoration, de nettoyer de façon obsessionnelle. Ces tâches ménagères mobilisent toute l’activité des femmes liée à la rationalisation de l’invisibilité du travail domestique. Dans les années 1960-1970, les mouvements féministes de la seconde vague — en Europe comme aux États-Unis — se sont structurés autour de la politisation de l’espace domestique. Outre le droit à l’avortement, les débats questionnent la place du travail domestique au sein du mode de production capitaliste. Ils permettent d’établir, comme l’analyse Lise 18. Claude Lévi-Strauss, « La notion de maison. Entretien avec Claude LéviStrauss par Pierre Lamaison », Terrain. Anthropologie & sciences humaines, no 9, 1987, p. 34-39 ; Id., La Voie des masques, édition augmentée, Paris, Plon, 1979. 19. Pierre Bourdieu, « La maison kabyle ou le monde renversé », dans Jean Pouillon et Pierre Maranda (dir.), Échanges et communication. Mélanges offerts à Claude Lévi-Strauss, II, Paris/La Haye, Mouton, 1970, p. 739-758. 20. Le mot domesticity, en anglais, désigne l’ensemble de la vie domestique, l’organisation du foyer, la répartition des tâches ménagères et la production d’affections dans la famille. Il a un sens plus large qu’en français, plutôt lié au groupe des personnes qui servent dans une maison. 21. Anne McClintock, Imperial Leather. Race, Gender, and Sexuality in the Colonial Contest, New York, Routledge, 1995, p. 168. 18 Justine Feyereisen, Rosanna Gangemi, Arvi Sepp Vogel, « la nature matérielle du travail domestique non rémunéré des femmes dans le foyer familial 22 » et de le lier avec le travail productif. La critique de la domination sociale s’est enrichie d’une critique de la domination raciale. « Domination, domestication and love are deeply entangled. Home is where dependencies within and among species reach their most stifling 23 », écrit l’autrice de The Mushroom at the End of the World (2015). Les liens entre maison, domesticité et expérience de classe, décrits par McClintock, sont approfondis dans les travaux d’Anna Tsing, qui observe le système de l’agriculture intensive et la domestication des femmes, elles-mêmes investies du rôle de préservation des hiérarchies sociales et raciales au sein de la plantation : « In the plantation zones, with their unsettled mixtures of native and foreign, free, bound, and enslaved […], white women became responsible for maintaining the boundaries–of homes, families, species, and the white race 24. » Est-ce un hasard si, dans le champ de la littérature, c’est une femme, Marguerite Duras, qui a décrit les relations entre les races dans un espace colonisé à travers la relation amoureuse de L’Amant (1984) ? Dans ce récit, la transgression y est simultanément raciale et sexuelle, et met au jour la fragilité des « petits Blancs », contestés dans leur pouvoir sexuel par la liaison entre la jeune fille blanche et son amant chinois. Forte d’une expérience de trente ans de terrain à Java, l’historienne Ann Laura Stoler montre comment les femmes ont intériorisé et propagé les valeurs de la classe moyenne et leurs idéaux familiaux à l’aide de nouveaux arrangements domestiques matérialisés dans leurs foyers 25. Ces travaux montrent comment les relations affectives et l’intimité dans l’espace domestique relient colonie et métropole, sous la dynamique implacable des régimes impériaux. Dans la lignée de 22. Lise Vogel, Le Marxisme et l’oppression des femmes. Vers une théorie unitaire, Préf. d’Aurore Koechlin, Trad. de Yohann Douet, Paul Guerpillon, Vincent Heimendinger et Aurore Koechlin, Paris, Éditions sociales, coll. « Les éclairées », 2022, p. 63 ; Lise Vogel, « Domestic Labour Revisited », Science and Society, vol. 64, no 2, 2000, p. 151-170. 23. Anna Tsing, « Unruly Edges: Mushrooms as Companion Species », Environmental Humanities, no 1, 2012, p. 141. 24. Ibid., p. 149. 25. Ann Laura Stoler, Carnal Knowledge and Imperial Power : Race and the Intimate in Colonial Rule, Berkeley, Los Angeles/London, University of California Press, 2002. (éd. française, La Chair de l’empire. Savoir intimes et pouvoirs radicaux en régime colonial, Paris, La Découverte, 2013). Home. Les sens d’une maison 19 l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault, ils éclairent les normes de la politique du colonialisme à propos des questions de genre, de classe, de race et de sexe, autant que la littérature et l’art en exposent l’irisation. Que l’on songe aux Femmes d’Alger dans leur appartement (1980) d’Assia Djebar, qui se libèrent de l’enfermement des hommes et du harem, « la porte en est grande ouverte 26 ». Ou à Sethe, ancienne esclave, qui se reclut dans la maison hantée par l’enfant sacrifié, l’enfant sauvé de l’humiliation que subissent les Noirs américains colonisés. Quand l’endroit devient l’envers, Beloved (1987) de Toni Morrison fait de la maison possédée une « personne qui pleurait, soupirait, tremblait et piquait des crises ». Centre de l’affect, l’habitation est la personne même qui l’habite, dit Gaston Bachelard citant Jules Michelet, « sa forme et son effort le plus immédiat, […] sa souffrance 27 ». Maison langagière Confronter les diverses définitions existantes de home permet de développer des approches heuristiques qui s’opposent aux idées et aux visions uniformisantes d’espaces culturels homogènes, de littératures nationales monolingues et de conceptions harmonieuses de l’identité. Nous abordons ainsi la question de la transculturalité dans une double perspective : en analysant les dynamiques et la perméabilité des littératures et autres médias étudiés d’une part et, de l’autre, leurs nombreux échanges avec d’autres cultures et d’autres langues. Dans ce contexte, la langue devient un moment littéraire essentiel d’identification et elle joue, de ce fait, un rôle majeur. La littérature, en tant que médium linguistique évident, relève incontestablement d’une communauté linguistique identifiée, mais sa spécificité esthétique — sa littérarité — s’oppose à son appropriation par les discours normatifs sur l’identité, précisément en raison de cette différence 28. De nombreux auteurs contemporains, à l’instar 26. Assia Djebar, « Postface », Femmes dans leur appartement, Paris, Éditions des femmes, [1980] 1995, p. 162. 27. Jules Michelet, L’Oiseau, 4e édition, 1858, p. 208 et suiv., cité par Gaston Bachelard, Poétique de l’espace, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », [1957] 2012, p. 100. 28. Cf. Anke Gilleir, « Einsprachigkeit und Mehrsprachigkeit in der Literatur : einige historische Beispiele », Germanistische Mitteilungen, vol. 42, no 2, 2016, p. 5. 20 Justine Feyereisen, Rosanna Gangemi, Arvi Sepp de Herta Müller, ont démontré l’absurdité et le caractère illusoire de l’assimilation à la langue maternelle 29. Dans Heimat ist das, was gesprochen wird, Müller affirme que notre « propre » langue est, par principe, émaillée d’éléments étrangers : « Une langue maternelle ne pâtit en rien du fait que ses contingences deviennent visibles à côté d’autres langues. Au contraire, exposer sa propre langue aux yeux des autres conduit à une relation authentique, à un amour sans réserve 30. » Le traitement des différences linguistiques en littérature conduit souvent à la fois à déconstruire l’idéologie linguistique d’un État-nation et à souligner les franchissements des barrières culturelles et linguistiques opérés par un texte. Une lettre de Klaus Mann à Herbert Schlüter, datée du 18 février 1949, écrite depuis son exil américain, illustre ce point. Il s’agit d’une lettre dans laquelle Mann souligne comment le bilinguisme angloallemand a secoué son idée que la « langue maternelle » constituerait un foyer spirituel tout au long de sa vie. « À cette époque, j’avais une langue dans laquelle je pouvais m’exprimer agilement ; maintenant je titube en deux langues. En anglais, je ne vais probablement jamais me sentir tout à fait chez moi [zuhause], comme je l’étais en allemand — mais probablement je ne le suis plus 31 ». En référence à Émile Benveniste et à son Vocabulaire des institutions indoeuropéennes (1969), Paul Ricœur remarque que les termes hospes (hôte) et hostis (étranger) sont étymologiquement connexes 32. La scène primitive de toute hospitalité peut être considérée comme consistante de deux étrangers qui se rencontrent et qui, pour évaluer s’ils viennent en ami ou en ennemi, sont obligés de se raconter. Cela entraîne inévitablement la traduction comme exigence éthique pure et simple. Ainsi Ricœur peut, quelle que soit la tâche passionnante du traducteur comme traduttore traditore, dire que la particularité de la traduction se situe dans l’« hospitalité langagière 33 ». Dans 29. Pour plus d’informations sur les fondements éthico-politiques de la littérature multilingue, voir Arvi Sepp, « Ethik der Mehrsprachigkeit », dans Till Dembeck et Rolf Parr (éd.), Literature and Multilingualism. Ein Handbuch, Tübingen, Narr Francke Attempto Verlag, 2017, p. 56-57. 30. Herta Müller, Heimat ist das, was gesprochen wird. Rede an die Abiturienten des Jahrgangs 2001, Blieskastel, Goldstein, 2001, p. 21. 31. Id., Heimat ist das, was gesprochen wird. Rede an die Abiturienten des Jahrgangs 2001, Blieskastel, Goldstein, 2001, p. 21. 32. Paul Ricœur, Sur la traduction, Paris, Bayard, 2004, p. 19-20. 33. Id., « Le paradigme de la traduction », Le Juste, tome 2, Paris, Éditions Esprit, 2001, p. 136. 21 Home. Les sens d’une maison ce contexte, l’hospitalité linguistique de la traduction — et plus largement la littérature multilingue — doit être comprise comme un acte éthique : le mot de l’autre est « habité », ainsi comme la parole de l’autre est reçue « chez soi 34 ». La traduction dévoile un espace symbole entre construction et déconstruction identitaires qui s’applique également à la littérature contemporaine. L’accentuation de la réflexivité linguistique dans la littérature s’accompagne souvent d’une insistance sur la polysémie fondamentale des énoncés linguistiques. Cette accentuation revêt aussi une dimension sociopolitique dans la mesure où elle peut constituer la preuve de la nature multidirectionnelle de la pensée et, partant, de la diversité des formes de coexistence humaine. Au-delà du « paradigme monolingue » national, décrit par Yasemin Yildiz au sujet de la littérature germano-turque dans Beyond the Mother Tongue, c’est bien la condition « post-monolingue » qui détermine l’évolution de la littérature actuelle 35. Ce paradigme « post-monolingue » se caractérise par un transfert culturel démultiplié, qui se distingue par la circulation d’objets culturels à la fois entre et à l’intérieur des différentes cultures. La médiation par des acteurs impliqués dans des réseaux, qu’il s’agisse de cercles ou d’États-nations, est primordiale dans ce processus de transfert puisque ce sont ces mêmes acteurs qui opèrent la sélection de ces objets culturels. Pour beaucoup de nations, la littérature constitue un moyen primordial d’élaboration et de développement de l’identité culturelle 36. Cependant, elle est aussi le lieu où se joue l’interdépendance culturelle et qui s’engage dans la déconstruction critique des constructions identitaires collectives. La littérature peut « construire une identité culturelle, mais elle construit aussi les rencontres avec d’autres cultures tout en étant capable de remettre en question les imaginaires de l’homogénéité que sont le peuple (Volk), la nation (Nation) et la langue (Sprache) ». ❃ Loin de nous l’idée de nous prêter à un exercice réducteur visant à unifier les contradictions, réconcilier les divergences, polir les 34. Voir François Ost, Traduire. Défense et illustration du multilinguisme, Paris, Fayard, 2009, p. 259 et suiv. 35. Yasemin Yildiz, Beyond the Mother Tongue. The Postmonolingual Condition, New York, Fordham University Press, 2012. 36. Sur l’histoire des « identités nationales » nous renvoyons à Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales. Europe, xviiie-xxe siècles, Paris, Seuil, 1999. 22 Justine Feyereisen, Rosanna Gangemi, Arvi Sepp aspérités qui surgissent des différentes disciplines convoquées pour ce volume. C’est au contraire de la diversité et de la richesse des approches que nous souhaitons contribuer à la définition, toujours en évolution, de home afin d’en faciliter la discussion et la diffusion entre les champs à travers les possibilités de mise en perspective que la littérature et l’art de ces dernières décennies nous offrent. Les onze articles de ce volume sont organisés autour de quatre sections, suivies d’une postface de Riccardo Venturi. La première partie « Homeland » interroge le rapport de l’habitation au monde. Nicolas Rault ouvre la porte à la question de l’habitabilité du monde au lendemain de la seconde guerre mondiale, mettant en résonance Martin Heidegger, Hannah Arendt et Emmanuel Levinas, tous trois héritiers d’une certaine tradition phénoménologique qui prend sa source chez Husserl. L’analyse comparée permet d’interroger le sens de l’existence humaine depuis la pensée de l’habitation dans sa tension entre insécurité, enfermement, enracinement et monde commun. L’inhabitabilité du monde, c’est aussi celle à laquelle se confrontent les exilés, y compris ceux de leur propre terre. Dans sa lecture de Tropique de la violence (2016) de l’écrivaine mauricienne Nathacha Appanah, Cristina Álvares montre comment la maison maternelle procure soin et réparation alors que la jeunesse comorienne sans-papiers s’affronte dans les bidonvilles de Mayotte, où le pouvoir néocolonial rend illégaux les habitants de l’archipel. La deuxième section, « Home Away from Home » interroge les expériences autobiographiques de l’exil vers les lieux adoptés, rebâtis ou à jamais recherchés. Observant la nostalgie de communautés arméniennes en quête d’un nouvel Eden aux États-Unis, Charikleia Magdalini Kefalidou documente les œuvres de William Saroyan et de David Kherdian, où le home s’exprime en termes de métaphores bibliques et de récits nationaux provenant du vieux pays. La construction identitaire du « je » de l’écrivaine migrante évolue à l’image des maisons où elle dépose ses valises, explique Anna Federici à partir des récits personnels de quatre romancières italiennes de la migration balkanique. La « chambre-ventre » devient la confidente, témoin du traumatisme post-migratoire que la femme métabolise tel un enfant à naître. C’est dans ses neuf volumes de poésie en langue polonaise ou française que Marian Pankowski, réfugié à Bruxelles, recrée l’image de la maison familiale, celle de sa jeunesse idéalisée et perdue, balayée par la seconde guerre mondiale et les camps de Home. Les sens d’une maison 23 concentration. Plus que simple réminiscence, la maison de Pankowski a des murs polymorphes, réels ou rêvés, mais toujours poétiques. Les auteurices et artistes convoqué·e·s dans la troisième partie « Back Home » sont parvenu·e·s à retrouver le chemin d’un nouveau foyer. Comme l’investigue Valentina Pancaldi, il est des écrivain·e·s translingues, Vassilis Alexakis, Deborah Feldman, Joseph Conrad et Jhumpa Lahiri, qui recourent à une troisième langue comme procédé de réparation vis-à-vis de la patrie et lieu de réconciliation avec la langue maternelle. C’est dans un espace partagé d’activités d’art, de production et de sociabilité, le Cirque divers, haut lieu de la vie culturelle et festive liégeoise, que Karolina Svobodova débusque un abri familier pour ses usagers. Son article permet de soulever les questions que pose au monde de l’art l’existence d’un lieu culturel dont l’importance est d’ordre affectif et social davantage qu’artistique. Cet esprit de réinvention constant s’incarne dans les documentaires de Chantal Akerman selon Hyein Lee. Écumant le monde la caméra à la main, la réalisatrice belge trouve sa vérité dans « chez moi ailleurs ». Les femmes occupent une grande place dans ce volume, et la dernière section leur est entièrement consacrée : « Women for a SubVerted Home. » Plutôt que d’accepter l’assignation à résidence à laquelle la société les contraint, les femmes de l’ère contemporaine transforment en profondeur leur rapport à l’espace domestique. La poésie féminine britannique, d’Anne Stevenson à Grace Nichols, qu’étudie Émilie Piat revisite sur un mode parodique les représentations paradoxales de la cage dorée, subvertissant cet univers claustrophobique en performance. Avec Diary of a Lost Girl (1905) de Margarete Böhme, Paola Del Zoppo rend compte de la valeur du home pour les jeunes filles des rues que sont les lieux liminaux. Ce faisant, elle met en lumière le potentiel d’un courant littéraire longtemps resté dans l’angle mort de la critique, celui d’œuvres de fiction sociales allemandes écrites par des femmes à la fin du xixe siècle. Parce que, nous l’avons vu tout au long de ce volume, home joue finalement un rôle performatif, générateur d’écriture ou de production artistique, nous avons voulu conclure avec l’article d’Isabelle Doneux-Daussaint sur Marguerite Duras. Véritable territoire d’expression, la maison a un pouvoir d’action sur l’être qui l’habite et sur le monde où elle est ancrée, ouvrant à l’infini les espaces possibles, et les rencontres qui les peuplent. 24 Justine Feyereisen, Rosanna Gangemi, Arvi Sepp Références Agier Michel, L’Étranger qui vient. Repenser l’hospitalité, Paris, Seuil, 2018. Applegate Celia, A Nation of Provincials. The German Idea of Heimat, Berkeley/Los Angeles/Oxford, University of California Press, 1990. Bachelard Gaston, Poétique de l’espace, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », [1957] 2012. 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PoCoPages, 2023, 261-266. RÉSUMÉS Cristina Álvares No Home. Le devenir-ghetto du monde dans Tropique de la violence de Nathacha Appanah Alors que les migrations clandestines contemporaines ont mis en évidence l’équivalence de ne pas avoir de chez soi (homeland et home) et ne pas avoir de place dans le monde, cet article étudie la liquidation de la maison (un lieu à soi) dans Tropique de la violence de Nathacha Appanah, roman qui focalise la condition des mineurs isolés issus de l’immigration comorienne à Mayotte. Chez Appanah, la maison « qui ne tient pas » est indissociable de la fragilité sociale, politique et ontologique des protagonistes — des personnages à qui rien n’appartient — et apparait en corrélation avec des espaces de confinement de populations « indésirables » comme le camp et ses dérivés (prison, internat, ghetto). L’article examine la forme particulière de la corrélation entre la maison et le ghetto dans Tropique de la violence et soutient que Kawéni, le plus grand bidonville de France, espace d’abandon et de désolation, où sont jetés les clandestins, et notamment les mineurs seuls et déprotégés, constitue un dispositif de liquidation de la maison. À travers l’histoire de Moïse et des autres garçons qui « vivent » au ghetto sans y habiter, le roman fait de Kawéni un exemple brûlant du « devenirinhabitable » du monde. Quatre penseurs guident notre approche : Bachelard et Sloterdijk pour une théorie de la sphère materno-domestique comme condition de possibilité de la vie humaine ; Agamben et Mbembe pour une théorie du camp comme lieu de la vie nue, décharge où sont jetés les vies déclarées illégales, abandonnées par la loi. Paola Del Zoppo Heimlich and Silent as the Grave. The Last Dwelling as the Only Possible Home in Margarete Böhme’s Tagebuch einer Verlorenen The essay examines the image of the tomb as liminal home in Diary of a Lost Girl by Margarete Böhme (Tagebuch einer Verlorenen, 1905). The book can be seen as expression of a sort of current comprehending German work and 262 Résumés social fiction by women from the end of the 19th century, where the figures of working girls or of women starving in the streets in a shelter for poor people build the core imagery. Domestic settings show in these novels a tendency to the status of a ‘Placard’, an iconic representation of women’s living conditions. In Diary of a Lost Girl the dwelling can be recognized in its absence, delineated by the void contouring of desire a longing for a space to develop oneself, and its identification with the tomb reveals the deep social critique. Using different approaches, the essay also wants to evidence that these texts by women have been missing ‘ideal readers’, readers who can encompass or at least consider every potential meaning of the texts (so Iser) for the whole 20th century, both in the critical sphere and in the Academy of German Studies Scholars. Many of these novels, having been mass-culture books, have either been ignored by conventional criticism after WWII or subject to ‘voyeuristic’ reading. These ideal readers can and should be found if, first, literary scholars recognize and locate within themselves the power and empowering potential of these novels for literary studies. Isabelle Doneux-Daussaint La maison ou le symbole absolu Duras, comme le dit Vircondelet, connaît « la souffrance de l’exil », de l’Indochine à la France, de la France à l’Indochine et de l’Indochine à la France. Elle fait partie de ces gens pour qui « la maison », le home — concept intraduisible en français, sauf peut-être par le terme de foyer, mais qui enlève la matérialité au concept — revêt une importance toute particulière qui dépasse la notion de simple motif d’une œuvre, ou celle d’un simple lieu romanesque, cinématographique ou scénique. La maison, réelle ou fictionnelle, est tout d’abord abondamment commentée par la romancière elle-même dans ce que Genette (1987) nomme l’épitexte, ensuite elle figure une forme de symbole absolu de la femme et de son être dans l’univers littéraire de l’écrivaine. Dans son univers romanesque, cette maison prend place à côté d’autres lieux où elle participe étroitement à la signifiance de l’œuvre, mais c’est plus particulièrement dans l’univers théâtral et cinématographique qu’elle devient un véritable actant et qu’elle joue un rôle plus purement pragmatique de générateur d’écriture. Après avoir balayé la signification de ce lieu pour Duras-personne réelle, cet article envisagera ce lieu dans une optique pragmatico-narrative au travers de sa transposition dans les univers romanesque, théâtral et cinématographique, mais elle envisagera surtout « l’épitexte public », composé des œuvres plus théoriques et des différentes interviews de Duras pour en arriver au concept de territoire auteur/lecteur appelé « Durassie ». Un passage de la Durasie (Roy, 1984) à la Durassie. Résumés 263 Anna Federici Les maisons de la migration : les écrivaines italiennes de la migration balkanique La maison et ses espaces sont un thème récurrent dans les romans italiens des écrivaines issues de la migration balkanique, en particulier chez Elvira Mujčić (Bosnie-Herzégovine), Vesna Stanić (Croatie), Jasmina Tesanović (Serbie) et Ornela Vorpsi (Albanie). Les maisons les plus représentées dans ce corpus sont au nombre de trois : la maison natale, et notamment l’espace protégé et clos du jardin, lue en s’appuyant sur les études « topoanalytiques » de Gaston Bachelard ; la première maison habitée une fois atteinte la terre d’accueil, lieu de métabolisme des traumatismes qui ont précédé la migration, où souvent le genre autobiographique se déploie ; la « maison définitive » et les objets qui la remplissent, indicateurs d’un désir d’encrage, à l’intérieur de laquelle la femme désormais « adulte » va trouver une place idéale pour s’épanouir en tant qu’écrivaine. Les trois demeures forment alors un triptyque qui va de pair avec la construction identitaire du « je » de l’écrivaine migrante, en parcourant et en habitant à nouveau ces maisons qui l’ont amenée dans le lieu et dans le temps présent. Charikleia Magdalini Kefalidou Paradise Lost, Paradise Regained? William Saroyan’s and David Kherdian’s Portrayals of the United States as a New Home(Land) This article explores the relationship between immigration and space in 20th and 21st century North American literature. We focus on the representations of feelings, views, and practices of home(land) in the work of William Saroyan (1908-1981) and David Kherdian (b. 1931), both of which contain strong autobiographical elements and echo the Armenian immigrant experience in the US during the first half of the 20th century. The detailed accounts of the respective Armenian communities, which differ greatly in demographic and geographic terms, reveal varying approaches to the concept of ‘home(land)’. Their narratives mirror the process of deterritorialization and reterritorialization associated with immigration, namely the immigrants’ trauma of separation from their homeland, their dreams and expectations about the host country, and finally, their efforts to adapt and rebuild their lives in different places, either chosen for their resemblance to the homeland or adapted in order to recreate home away from home. The representations discussed in this article are abundant with biblical and mythological metaphors that narrativize the nostalgic quest for a substitute for the lost Edenic homeland. Some examples of Saroyan’s narratives pertaining to the soil and to funerary practices reflect strategies aiming to bind the displaced community to the host country. In contrast, Kherdian’s narratives also explore the feeling of homelessness experienced by genocide survivors, whose trauma of violence and displacement remained unhealed. 264 Résumés Hyein Lee « Chez moi ailleurs » : Chantal Akerman et ses documentaires Cet article interroge l’enjeu poético-éthique du retour au chez-soi dans les trois documentaires de Chantal Akerman, D’Est (1993), Sud (1999) et De l’autre côté (2002). Dès les années 1990, le documentaire prend une ampleur certaine dans la démarche cinématographique de la réalisatrice. Accompagnée d’une équipe réduite, caméra à la main, Akerman part au loin. Ce qui est curieux est que plus elle part vers un pays lointain et filme l’autre, plus elle se rapproche de son foyer et de sa mère. De l’Europe de l’Est au Mexique passant par le sud des États-Unis, derrière les visages filmés et les histoires des inconnu·e·s se croisent les ombres de la mémoire familiale de la cinéaste : l’exil, Auschwitz, la grand-mère, la peur des autres, etc. Afin de mieux comprendre un tel chevauchement autobiographique, cet article met en perspective le privilège du glissement fictionnel dans le langage cinématographique akermanien. En montrant que le chez-soi que la cinéaste regagne à travers son périple chez les autres est moins une simple reproduction du foyer maternel que la réinvention constante de ce qu’elle appelle « un chez moi ailleurs », cette étude vise à nuancer le cheminement autobiographique des documentaires d’Akerman. Valentina Pancaldi La troisième langue ou le chemin de retour au foyer familial Vassilis Alexakis, Deborah Feldman, Joseph Conrad et Jhumpa Lahiri, outre le fait d’être des auteur·ice·s translingues à la manière de Kellman (2000), partagent un autre trait : celui d’avoir écrit dans une troisième langue délibérément choisie et apprise à l’âge adulte. Le translinguisme de ces écrivain·e·s constitue le terrain d’investigation de mon article, dont l’objectif est celui de questionner les raisons du recours à la troisième langue, sans pourtant oublier le rôle joué par la langue seconde dans la triade qui se crée dans leur parcours littéraire et biographique. Si pour ces auteur·ice·s l’adoption d’une langue seconde littéraire peut signifier un nouveau foyer, une coupure avec le natal et une trahison envers la source maternelle des mots, comment le choix d’une troisième langue se pose-t-il ? En dialoguant avec la notion du « matricide » symbolique de Kristeva (1998), j’avancerai l’hypothèse que la troisième langue se veut non seulement une « langue charnière » et un procédé de réparation d’un soi fragmenté, mais peut aussi fonctionner comme un lieu de réconciliation avec la langue mère ainsi qu’une tentative de retour au foyer familial. Résumés 265 Émilie Piat Du cauchemar au spectacle : réappropriation parodique de l’espace domestique dans la poésie féminine britannique contemporaine La maison occupe une position ambiguë dans la poésie britannique. Souvent représentée comme un havre de paix, la maison est le lieu où la femme — l’« Ange domestique » célébré au xixe siècle par Coventry Patmore — occupe une position centrale. Pour les femmes poètes, la maison est plutôt une cage dorée, tout à tour espace fécond et abîme d’aliénation. Ce lieu éminemment féminin cristallise la tension d’une existence partagée entre contraintes domestiques et aspirations artistiques. Les femmes qui écrivent au xxe et au xxie siècle exploitent d’ailleurs volontiers cette opposition. Plutôt que de chercher à échapper à cette « assignation à résidence », elles choisissent d’y ancrer leur écriture et se réapproprient ce lieu sur un mode parodique. Poussant jusqu’à l’absurde la représentation paradoxale d’un « chez soi » où se mêlent noirceur et grotesque, ces femmes poètes transforment la vision cauchemardesque d’un univers aussi clos qu’étouffant en véritable performance. Nicolas Rault L’habitation à l’épreuve du monde Trois philosophes se sont saisis de la question de l’habitation au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa tension entre intériorité et extériorité : Martin Heidegger, Hannah Arendt et Emmanuel Levinas. Ils en proposent des représentations très différentes : habitation comme modalité de l’enracinement (Bodenständigkeit), comme édification d’un monde proprement humain ou encore lieu de la constitution de la subjectivité rendue possible par la rencontre de l’extériorité de l’Autre. Pourtant, chacun pense l’habitation comme une modalité du rapport de l’homme au monde. La phénoménologie husserlienne semble dès lors être leur source commune. En effet, l’entreprise d’Edmund Husserl se comprend comme une prétention à la connaissance du monde en tant que monde, supposant nécessairement une subjectivité se tenant dans un lieu. L’intériorité de la conscience et l’extériorité du monde se conditionnent ainsi réciproquement. L’habitation peut dès lors renvoyer au lieu de la pensée dans le monde. Il semble ainsi que Heidegger, Arendt et Levinas opèrent un dépassement de la pensée husserlienne de l’habitation qui se cristallise dans la notion de Heimat, la polarisant dans le sens d’un enracinement ontologique ou d’un monde commun institué par l’intersubjectivité ou l’altérité. Autrement dit, la similitude de ces trois pensées de l’habitation repose sur un héritage de Husserl et leurs divergences traduisent l’apport d’éléments originaux. Ces discussions autour de la question de l’habitation ouvrent la possibilité d’un 266 Résumés monde qui serait à la fois un chez-soi et se vivrait sur le mode de l’ouverture, comme exil ou comme évasion. Karolina Svobodova Le lieu culturel comme maison. Quand le familier l’emporte sur l’artistique Dans la continuité des lieux intermédiaires qui ont émergé dans les années 1980, les tiers-lieux culturels contemporains poursuivent l’ambition de conjuguer dans un espace partagé d’activités d’art, de production et de sociabilité. Il s’agit de créer des lieux alternatifs au foyer et au travail, une maison hors de la maison propice aux échanges entre ceux qui, sinon, ne se rencontreraient pas, comme l’écrivait Ray Oldenburg dans son fameux ouvrage The Great Good Place, et de rapprocher, ce faisant, l’art de la vie quotidienne. Une littérature abondante souligne les difficultés d’un tel alliage et, en particulier, l’appropriation de ces derniers par des usagers non engagés dans le monde de l’art. Cet article propose une étude de cas du cirque divers, un haut lieu de la vie culturelle et festive liégeoise (Belgique), qui offre l’opportunité d’observer une structure artistique devenue abri familier pour ses usagers. Comme en témoignent les anciens habitués, c’est le lieu et son ambiance qui, davantage que la programmation, attiraient les visiteurs. L’exemple du cirque divers permet ainsi de soulever les questions que pose au monde de l’art l’existence d’un lieu culturel dont l’importance est d’ordre relationnel et social davantage qu’artistique. Dorota Walczak-Delanois Les (im)possibles maisons poétiques de Marian Pankowski Marian Pankowski (1919-2011), né à Sanok dans les Carpates polonaises et mort à Bruxelles, met la figure poétique de la maison au centre de son écriture et dans la totalité de son œuvre en prose, théâtrale et lyrique. De ses neufs volumes de poésie en langue polonaise ou française ressurgit l’image de la maison familiale, celle de sa jeunesse idéalisée et perdue. La perte est causée par la seconde guerre mondiale et l’emprisonnement successif de l’auteur dans quatre camps de concentration. Libéré, se trouvant loin de sa terre natale, il construira sa nouvelle maison à Bruxelles. En tenant compte de la riche biographie de Marian Pankowski et de l’attachement du poète aux mots, je propose de distinguer et de nommer différentes typologies de la « maison » dans son œuvre : 1) La maison poétisée, 2) La maison adoptée, 3) La maison de la poésie, 4) La maison des poètes. Ainsi, les maisons réelles, symboliques, littéraires, dans un espace architectural ou topographique concret, mais aussi celles existant dans la langue ou dans l’imaginaire prennent corps sous nos yeux de lecteur attentif. PoCoPages, 2023, 267-273. BIO-BIBLIOGRAPHIES Cristina Álvares est titulaire d’un doctorat en littérature française avec une thèse sur le regard dans le roman courtois en 1180-1250. Elle est professeure associée au Département d’Études romanes de l’université du Minho (Braga, Portugal), où elle enseigne les littératures d’expression française. Elle est chercheuse au Centro de Estudos humanísticos (cehum) au sein de l’équipe « Identités et intermédialités », où elle coordonne le projet « Liminalités Homme/Animal/Machine ». Elle est l’autrice, la co-autrice ou la coéditrice de quinze ouvrages et a publié un grand nombre d’articles portant sur la littérature médiévale, la littérature contemporaine et la bande dessinée franco-belge. Sur Nathacha Appanah, elle a notamment publié : « La vie nue des petites filles. À la lisière du monde masculin dans Tropique de la violence de Nathacha Appanah » (Çédille, 21, 2022) ; « Le devenir-chien de Moïse. Abandon, spectralité et littérature dans Tropique de la violence de Nathacha Appanah » (Thélème, 37.1, 75-83) ; « L’impossibilité d’une île. Maison, mère et migration dans Tropique de la violence de Nathacha Appanah » (C. Robalo Cordeiro et M. Quaghebeur (éd.), Oser la langue, Peter Lang, 2022). Paola Del Zoppo teaches German Literature at Tuscia University. She has written essays on detective fiction, literary translation and German contemporary poets and prose authors. Her monography on the reception history of Goethe’s Faust in Italy through its translations (Faust in Italia) has been published 268 Bio-bibliographies in 2009, a longer essay on Hilde Domin’s poetry and liminal approaches to literature (Un dialogo alla fine del mondo) in 2022. She also co-edited a book on women writers in exile in 19th century (Tra due rive, 2020, with R. Gangemi) and a volume on Sophokles Antigone’s literary and philosophical reception in German and English Literature (Sulle tracce di Antigone, 2018, with G. Lozzi). She translates literature from German and English (G. Lewis, R. Padgett, Poschmann, Seiler, Lewitscharoff a.o.). She is currently editing a series of ten fiction novels by German women writers at Le Lettere and working on the fictional writings by Lou Salomé and Leonhard Frank. Isabelle Doneux-Daussaint est maître-assistante et chargée de cours à la Haute École Robert Schuman (Virton, Belgique). Linguiste et spécialiste de l’œuvre durassienne, elle est l’autrice d’une thèse de doctorat en sciences du langage à l’université Lumière Lyon 2, intitulée Le dialogue romanesque chez Marguerite Duras, essai de pragmatique narrative, ainsi que de nombreux articles, notamment parus dans la Revue de sémantique et pragmatique. Ses dernières publications sont « Marguerite Duras, là où nourriture et boisson se font être ou non être » (B. Verdier et A. Parizot (éd.), Du sens à l’expérience, gastronomie au prisme de leurs terminologies, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018) et « L’Émotion durassienne. Une arme de destruction massive » (J. Feyereisen (éd.), Revue belge de philologie et d’histoire. Movere : Littérature, corporéité et mouvement, 98.3, 2020). Anna Federici est enseignante de langue italienne à Marseille. En 2016, elle a soutenu une thèse en littérature et en linguistique italiennes, intitulée Écrivaines italiennes de la migration balkanique, auprès de l’université de Toulouse II Jean-Jaurès, en cotutelle avec l’université de Rome Sapienza. Récemment, elle a publié « Ce que la littérature féminine de la migration albanaise fait à la littérature italienne », Agone, 63-64), « L’esilio di Jasmina Tešanović » (Paola Del Zoppo et Rosanna (dir.), Tra due rive », Aracne Edizioni, 2020) et « Elvira Mujčić e la narrazione in italiano del trauma del genocidio di Srebrenica’ dans Senza Traumi? » (Maria Pia De Paulis et Ada Tosatti (dir.), Senza Traumi, Cesati Editore, 2021). Bio-bibliographies 269 Justine Feyereisen est chercheuse en littérature, fwo Senior Postdoc Fellow, à l’université de Gand. Elle travaille sur les utopies concrètes que proposent les littératures de l’espace transatlantique face aux crises actuelles de l’asile. Ses recherches portent sur les littératures en langue française des xx-xxie siècles, les littératures postcoloniales, la philosophie politique, les études de l’espace et du corps, l’herméneutique textuelle, l’écopoétique. J. Feyereisen a obtenu un doctorat en Langues, Lettres et Traductologie de l’Université libre de Bruxelles et de l’université Grenoble Alpes. Elle a occupé des postes de recherche à l’University of California, Berkeley (Fulbright), à l’université d’Oxford (Wiener-Anspach, Wolfson College jrf) et à la Maison française d’Oxford. Elle est notamment l’autrice de Sens : J.M.G. Le Clézio. Essai de sensopoétique (Classiques Garnier, à paraître) et l’éditrice de Movere. Littérature, corporéité et mouvement (2020). Elle est présidente de l’Association des lecteurs de Le Clézio, secrétaire de l’Association des Amis de la MFO et rédactrice adjointe des Cahiers J.-M.G. Le Clézio. Rosanna Gangemi entrecroise les champs des arts visuels, de l’esthétique contemporaine, de la théorie de l’image, de l’histoire des idées et de la littérature de la seconde moitié du xixe-xxe siècle. Elle a étudié les Sciences de la communication, le Patrimoine culturel et la Philosophie de l’art. Elle achève un double doctorat en Philosophie de l’image et Études germaniques. Dans ce cadre, elle a reçu la Bourse de recherche Lore Hergershausen. Elle a co-dirigé la revue internationale d’art contemporain DROME magazine (2004-2015). Elle a enseigné la Théorie des images, l’Art vidéo et les Arts visuels à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée et la Méthodologie disciplinaire en histoire de l’art contemporain à l’université de Lille. Elle collabore régulièrement en tant que conférencière avec l’Iselp de Bruxelles. Sa bibliographie est riche de nombreux articles, chapitres d’ouvrages et codirection de volumes collectifs. Elle a écrit, entre autres, sur le philosophe Günther Anders en tant que théoricien de l’art et auteur de fiction, sur l’écrivaine Marlen Haushofer, sur l’artiste verbo-visuelle Ketty La Rocca et sur le cinéma des frères Dardenne. Elle a contribué à l’un des premiers manuels sur le genre en Italie : Mutamento sociale, diritti, parità di genere (2004, Prix Amelia Rosselli de la ville de Rome). Elle a écrit sur Margaret Mead et Judith Butler pour le volume La traversée culturelle du genre (2018) et a coédité 270 Bio-bibliographies avec P. Del Zoppo Tra due rive. Autrici del Novecento europeo sul confino e sull’esilio (2020), à la suite du colloque éponyme qu’elle a organisé à l’université de Messine. Elle travaille sur la traduction en français de deux recueils d’Alda Merini. Elle est membre du comité scientifique de la collection « Histoires italiennes » de la maison d’édition Le Manuscrit. Dag Houdmont a étudié les langues et les littératures germaniques (anglais-néerlandais) à l’université de Gand. Après avoir travaillé dans le monde du théâtre et de la presse, il a enseigné à Bruxelles, Lille, Namur, Louvain-la-Neuve. Depuis 2011, il est assistant en littérature néerlandaise à l’Université libre de Bruxelles. Il s’intéresse surtout au théâtre contemporain, au genre de la nouvelle, à l’imagologie et aux récits de voyage. Il prépare une thèse de doctorat sur l’identité chez Tom Lanoye, auteur belge néerlandophone. Charikleia Magdalini Kefalidou is Temporary Lecturer in Translation and Applied Foreign Languages at UPEC (Université Paris-Est Créteil). Her research focuses on the representations of trauma, exile and marginality in literature and graphic novels. Kefalidou received her PhD in Comparative Literature from Sorbonne University where she studied as a Calouste Gulbenkian Foundation scholar. Her thesis explored the representations of trauma, exile, and identity in 20th and 21st century literary works produced by displaced Armenian authors in France and the United States. Kefalidou has held positions as a Temporary Teaching and Research Assistant (ATER) at the University of Strasbourg and at the University of Tours but also as a Temporary Lecturer at the University of Caen in Normandy. She is currently writing a book about 20th and 21st century Armenian-American and French-Armenian literature. Hyein Lee est traductrice et doctorante à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Dans ses recherches doctorales, elle tente d’examiner l’écriture autobiographique d’Annie Ernaux, d’Hélène Cixous et de Chantal Akerman à travers la conception d’écriture de deuil, s’intéressant en particulier au rapport mère-fille. Bio-bibliographies 271 Valentina Pancaldi est doctorante en littérature comparée à l’université de Montréal (Canada), en cotutelle avec l’université Sorbonne nouvelle — Paris 3 (France). Ses recherches portent sur la littérature de la diaspora et les écritures migrantes, le récit de filiation et le récit du deuil. Elle s’intéresse également au translinguisme et à la relation entre littérature et psychanalyse. Sa thèse doctorale a pour objet la transmission intergénérationnelle du deuil migratoire et la négociation de l’héritage migratoire familial dans les œuvres des écrivains de deuxième génération. Elle a publié des travaux au sujet de la diaspora, des études postcoloniales et de la littérature italienne. Émilie Piat, agrégée d’anglais, est l’auteure d’une thèse sur l’humour dans la poésie féminine britannique contemporaine, soutenue en avril 2016, à l’université Sorbonne nouvelle – Paris 3. Elle a publié une traduction inédite de poèmes de Carol Ann Duffy, et consacre ses travaux de recherche à la poésie anglophone féminine, ainsi qu’à la question de l’humour. Elle occupe actuellement un poste d’enseignante en langues vivantes à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Ses dernières publications sont « Rime vs. Rythme. Traduire les limericks » (S. Aloushkova et L. Beghin (éd.), Déverbaliser-reverbaliser : la traduction comme acte de violence ou comme manipulation du sens ?, Presses de l’université Saint-Louis, 2020) et « De la parodie au jeu de mots : l’utilisation subversive des stéréotypes féminins chez Carol Ann Duffy et Grace Nichols » (Traits-d’Union, 2018). Nicolas Rault est doctorant en études politiques et en philosophie à l’École des Hautes études en sciences sociales (EHESS), rattaché au Centre d’Études politiques et sociologiques Raymond-Aron (CESPRA) à Paris. Depuis la rentrée 2022, il enseigne en qualité d’ATER à la Faculté de droit et de science politique de l’université de Rennes 1. Dirigé par Pierre Bouretz, son travail de thèse porte sur le républicanisme français et la pensée judéo-allemande et la façon dont ces deux traditions développement au tournant du xxe siècle une conception de l’expérience reposant sur la relation interne de la tradition et de la transcendance. Il a été bénéficiaire de la bourse Emeric Deutsch de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. 272 Bio-bibliographies Arvi Sepp est professeur à la Vrije Universiteit Brussel et à l’université d’Anvers, spécialiste de l’analyse historico-culturelle des liens entre littérature et idéologie dans les minorités religieuses et linguistiques ainsi que dans les sous-cultures artistiques. Ses travaux portent sur la littérature judéo-allemande du xxe siècle dans le contexte de l’Holocauste et de la réception de la pensée juive. Ses domaines de recherche comprennent également l’engagement politique et éthique, le transnationalisme et le multilinguisme dans les textes littéraires écrits dans le contexte de la migration et de l’exil. Karolina Svobodova est docteure en arts du spectacle et techniques de diffusion et de communication de l’Université Libre de Bruxelles. Elle est l’autrice d’une thèse intitulée Des lieux intermédiaires dans un pays en chantier. Nouvelles réponses spatiales aux défis culturels, artistiques et urbains dans la Belgique des années 1970-1980. Ses recherches mêlent géographie culturelle, histoire et études théâtrales et sont notamment publiées dans des revues de théâtre (Études théâtrales, Théâtre/Public, Alternatives théâtrales, Critical Stages) et de géographie (« Se faire une place : le cirque Divers en Roture », Géographie et cultures ; « Les théâtres à ciel ouvert de Ouagadougou », EchoGéo). Elle est également l’une des rédactrices en chef et fondatrices du médium culturel La Pointe, conçu afin de rapprocher chercheurs, artistes et publics sur les questions et enjeux des pratiques artistiques. Elle mène actuellement un postdoctorat sur le monde théâtral au Burkina Faso. Dorota Walczak-Delanois est professeure et responsable de la Chaire d’études polonaises à l’Université Libre de Bruxelles. Elle a publié de nombreux ouvrages sur la poésie et les études comparatives, ainsi que sur l’avant-garde, notamment des monographies : Inne oblicze awangardy. O poezji Jana Brzękowskiego, Jalu Kurka i Adama Ważyka (2001), Niedoczytani-nierozpoznani. O meandrach poezji polskiej xx i xxi wieku (2016), et édition bilingue Poetyckie podwojenie. Marian Pankowski  polski poeta języka francuskiego. Dédoublement poétique. Marian Pankowski  poète polonais de langue française (2020). Rédactrice en chef de la revue Slavica Bruxellensia (2008-2016). Elle travaille sur la poésie polonaise et belge des xxe et xxie siècles dans un large contexte comparatif, culturel et Bio-bibliographies 273 historique. Elle s’intéresse à la question de la traduction d’une œuvre poétique, à l’expérimentation, au féminisme, à l’avantgarde et à la relation entre la poésie et les arts visuels. Ses domaines de recherche sont l’histoire de la littérature, études comparatives, traduction (notamment intersémiotique). Elle est poétesse et peintre. « Horizons anglophones » Série PoCoPages Responsable de la série Judith Misrahi-Barak Titres déjà parus dans la même série (anciennement Carnets du Cerpac) Ending Slavery. The Antislavery Struggle in perspective, Lawrence Aje, Claudine Raynaud, 2022. Borders and Ecotones in the Indian Ocean. Eds. Markus Arnold, Corinne Duboin, Judith Misrahi-Barak, 2020. À la rencontre de la différence. Traces diasporiques et espaces de créolisation. Eds. Robin Cohen & Olivia Sheringham, 2020. Re-imagining the Guyanas. Eds. Lawrence Aje, Thomas Lacroix & Judith Misrahi-Barak, 2019. From Surviving to Living. Voice, Trauma and Witness in Rwandan Women’s Writing. Catherine Gilbert, 2018. Translating the Postcolonial in Multilingual Contexts. Eds. Srilata Ravi & Judith Misrahi-Barak, 2017. Diasporas, Cultures of Mobilities, « Race ». 3. African Americans and the Black Diaspora. Eds. Corinne Duboin & Claudine Raynaud, 2016. Diasporas, Cultures of Mobilities, « Race ». 2. Diaspora, Memory and Intimacy. Eds. Sarah Barbour, David Howard, Thomas Lacroix & Judith Misrahi-Barak, 2015. Aliénation et réinvention dans l’œuvre de Jamaica Kincaid. Nadia Yassine-Diab, 2014. Diasporas, Cultures of Mobilities, « Race ». 1. Diasporas and Cultures of Migrations. Eds. Judith Misrahi-Barak et Claudine Raynaud, 2014. Another Life. Une Autre vie. Eds. Mélanie Joseph-Vilain et Judith MisrahiBarak, 2013. India and the Diasporic Imagination. L’Inde et l’imagination diasporique. Eds. Rita Christian et Judith Misrahi-Barak, 2011. Postcolonial Ghosts. With poems by Gerry Turcotte. Les Fantômes postcoloniaux. Avec des poèmes de Gerry Turcotte. Eds. Mélanie Joseph-Vilain et Judith Misrahi-Barak, 2009. Healing South African Wounds. Guérir les blessures de l’Afrique du Sud. Eds. Gilles Teulié et Mélanie Joseph-Vilain, 2009. Revisiting Slave Narratives II. Les Avatars contemporains des récits d’esclaves II. Ed. Judith Misrahi-Barak, 2007. Sciences & Races. Ed. Gilles Teulié, 2007. Transport(s) in the British Empire and the Commonwealth. Transport(s) dans l’Empire britannique et le Commonwealth. Eds. Michèle Lurdos et Judith Misrahi-Barak, 2007. Religious Writings & War. Les Discours religieux et la guerre. Ed. Gilles Teulié, 2006. Revisiting Slave Narratives. Les Avatars contemporains des récits d’esclaves. Ed. Judith Misrahi-Barak, 2005. V. S. Naipaul : a World in Tension. Une Œuvre sous tension. Ed. Judith MisrahiBarak, 2004. Cet ouvrage a été mis en pages par les Presses universitaires de la Méditerranée (Université Paul-Valéry Montpellier 3) Route de Mende 34199 Montpellier Cedex 5 [email protected] www.PULM.fr Dépôt légal : novembre 2023