L’Etat Brésilien
Pedro Rodriguez
La Revue Nouvelle
(Bruxelles, 29e année, Tome LVIII, numéro 11, spécial Amériques Latines, Novembre
1973, p. 426-432).
A différentes occasions, on a employé l’expression “gouvernement fasciste”
pour caractériser l’actuel Etat brésilien. Si le mot « fascisme » désigne un système
politique totalitaire dans lequel toute la vie sociale est subordonnée à l’Etat, Etat qui
dispose du monopole de l’utilisation de la force et s’appuie sur un appareil répressif
basé sur la terreur, alors l’actuel gouvernement brésilien mérite cette appellation.
Toutefois, si nous analysons la nature profonde de la structure politico-sociale
brésilienne, nous arriverons à établir autant de divergences que de ressemblances, aux
niveaux politique et économique, entre, d’une part, le gouvernement militaire brésilien
et les institutions qui lui sont propres, et, d’autre part, les formes modernes de
totalitarisme, plus connues sous la dénomination de fascisme.1
Cette détermination concrète de la structure socio-politique brésilienne, ne peut
s’expliquer par la seule analyse de l’idéologie du pouvoir militaire en place, bien que les
formes courantes de totalitarisme relèvent essentiellement de l’idéologie. – Il faut
considérer les fondements socio-économiques qui expliquent l’apparition et la
consolidation de ce type spécifique de structuration de pouvoir. En examinant ainsi les
fondements structurels de la crise brésilienne actuelle, apparaîtra mieux le sens profond
du coup d’Etat militaire de 1964 et sera mieux définie la nature du pouvoir qui s’est
consolidé depuis lors et qui exerce aujourd’hui sa domination sur 100 millions de
Brésiliens.
1. Les fondements structurels de la crise brésilienne
La révolution brésilienne de 1930 ouvre une nouvelle phase dans l’histoire du
pays: l’Etat oligarchique, dont la structure sociale repose toute entière sur la grande
propriété agraire vivant de l’exportation, est en voie de liquidation, tandis que se forme
petit à petit un Etat démocratique appuyé principalement sur les messes urbaines et sur
1
Le totalitarisme moderne peut être identifié non seulement aux systèmes socio-politiques
organisés et constitués en forme d’Etat dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, mais aussi aux
mouvements politico-doctrinaires qui, où qu’ils soient, conjuguent le traditionalisme (ou
conservatisme) anti-démocratique avec l’autoritarisme populiste qui répond au vœu de la classe
moyenne (par exemple, le poujadisme).
les secteurs sociaux liés à l’industrialisation. La vieille aristocratie foncière, qui détenait
les rênes du pouvoir local dans le cadre d’une économie semi-coloniale, ne parvenait
plus à contrôler la classe moyenne urbaine, qui se développait rapidement. Le coup de
grâce lui fut donné par la crise du commerce extérieur. En effet, des énormes stocks de
café résultant de la surproduction ne purent être écoulés, ce qui entraîna une lourde
charge pour l’économie nationale.
Cependant, l’irruption des classes moyennes sur la scène politique ne leur
conféra pas pour autant l’exercice du pouvoir : elles ne bénéficiaient pas des conditions
sociales et économiques susceptibles de les rendre autonomes face aux intérêts de la
grande propriété foncière qui demeurait encore la catégorie économique et sociale
déterminante. Mais si elles ne purent mettre en cause de façon radicale le cadre
institutionnel, les classes moyennes réussirent au moins à définir leurs relations avec
celui-ci.
Cette redéfinition des rôles politiques allait être déterminée, en grande partie, par
la nouvelle orientation suivie par l’économie brésilienne, orientation que l’on est
convenu d’appeler « processus de substitution des importations » (c’est-à-dire,
développement du capitalisme national en vue de se défaire de la dépendance externe).
Au Brésil, cependant, le processus d’industrialisation est largement bloqué par les
structures traditionnelles, principalement en ce qui concerne la possibilité de créer un
marché intérieur et de maintenir la capacité d’importer. C’est précisément cette
condition de marginalité et de dépendance économiques du processus d’industrialisation
par rapport à la structure agraire traditionnelle qui va déterminer le caractère du
nouveau pouvoir ainsi que l’ossature du nouvel Etat. Les forces sociales qui
provoquèrent la révolution, dans des conditions de crise générale du système, arrivent à
soustraire le contrôle des décisions politiques aux intérêts caféiers, mais ne peuvent nier
que le café reste encore le fondement de l’économie nationale. Dans l’impossibilité de
détenir à eux seuls le pouvoir politique, les classes moyens sont obligées de s’engager
dans des solutions de compromis avec les secteurs agraires traditionnels.
Cette situation de compromis est visible à plusieurs titres dans le développement
de la révolution de 1930. Un équilibre s’établit entre l’oligarchie foncière et la
bourgeoisie industrielle naissante, équilibre caractéristique da la période de la dictature
Vargas (1930–45), et qui se poursuit durant les deux décennies suivantes. La politique
« réaliste » consistait à faire supporter à l’ensemble de la population les préjudices de
l’économie caféière. Toutefois, cette même politique, dans la mesure où elle s’éloignait
de la politique traditionnelle de valorisation exclusive du café, créait les conditions de
l’industrialisation du pays, au moins dans le secteur des industries liées à la
consommation populaire.
Le type d’Etat qui se constitue dans cette conjoncture ne trouve ses bases
légitimes ni dans les classes moyennes – parce qu’elles ne possèdent nulle autonomie
politique face aux intérêts traditionnels en général – ni dans les secteurs oligarchiques –
parce qu’ils furent évincés du pouvoir politique par la crise économique, ni dans les
secteurs moins liés à l’exportation, c’est-à-dire les industriels en ascension – parce
qu’ils n’avaient pas le contrôle des centres de décision économique. L’Etat brésilien
aura plutôt comme fondement les masses populaires urbaines, manœuvrées avec une
suprême habilité par les leaders populistes dont la figure la plus représentative sera le
président Vargas, chef du gouvernement pendant toute la période de démocratie
autoritaire.
A la fin de la période Vargas, en 1945, l’ancien équilibre de classes, qui servait
de base à une alliance douteuse entre l’aristocratie foncière et la bourgeoisie
industrielle, sera maintenu, voire consacré. Cette alliance, pleine d’ambiguïtés, était
l’expression même du type de développement capitaliste qui commençait à gagner le
Brésil. Les industries naissantes se concentraient dans les espaces urbains et
n’affectaient guère les relations d’appropriation et de domination en vigueur à la
campagne. Le prolétariat urbain, qui avait reçu toutes faites des mains de l’Etat sa
législation « travailliste » et ses organisations syndicales, ne s’éloignait que lentement
des « aspirations générales » affichées par la société bourgeoise.
L’après-guerre au Brésil est significatif en tant qu’époque de transition vers une
économie industrielle, transition qui se fait au début, et pour une courte période, sur une
base nationale. Le symbole institutionnel de cette période c’est la politique de masse,
instrument d’organisation politique et de soutien de ce nouveau style de pouvoir qu’est
la démocratie populiste. Sur le terrain économique, la démocratie populiste correspond
à une stratégie de développement nationaliste, ce qui présuppose l’existence d’un
capitalisme national autonome.2
2
La politique de développement économique, au Brésil, présente, au cours des deux décades de
l’après-guerre, des oscillations entre deux tendances opposées, qui s’enchevêtrent ou s’excluent
périodiquement suivant la nature du pouvoir en place. A l’un des pôles, se situe le modèle
national ou autonome et à l’autre, le modèle associé ou intégré, c’est-a-dire dépendant du
capital monopoliste international. Le « choix » entre les diverses stratégies de développement
Toutefois, bien que le processus d’industrialisation se soit intensifié dans la
deuxième moitié des années cinquante, le secteur clé de l’économie restait toujours la
production agricole, et en premier lieu le café. L’insuffisance relative du secteur
moderne de l’économie explique à la fois le maintien de la politique de compromis qui,
depuis 1930, caractérise la structure du pouvoir, et l’impossibilité pour la bourgeoisie
industrielle de se constituer en classe hégémonique et de donner ainsi naissance à un
Etat proprement bourgeois.
2. Les raisons du coup d’Etat militaire
Quoi qu’il en soit, l’apparition de la prédominance relative du secteur industriel
va correspondre à une véritable révolution dans le système brésilien. Le gouvernement
Kubitschek (1956-60) a représenté une ambitieuse tentative de doter le pays d’une
ossature industrielle suffisamment forte pour soutenir un développement autonome. Il a
été en même temps une astucieuse combinaison de politique de masses inspirée du
modèle nationaliste et de compromis avec le capital étranger.
Mais, en raison même du pacte établi entre les groupes dominants, le modèle de
développement proposé par Kubitschek a consisté essentiellement en une croissance
déséquilibrée des forces productives. Au déséquilibre « historique » entre les secteurs
urbain et rural, au déséquilibre latent entre le Centre-sud et le reste du pays, s’ajoute
désormais le déséquilibre entre le complexe industriel moderne et le complexe agrorural archaïque.3 Ainsi, le processus d’industrialisation n’incorpore pas au
développement national les secteurs et régions marginaux ; tout au contraire, il aggrave
plus encore la différentiation sectorielle.
Pour que s’effectue le processus de développement capitaliste autonome au
Brésil, il aurait été nécessaire de reformuler radicalement des liens structuraux internes
et externes, c’est-à-dire de provoquer la rupture politico-économique avec, d’une part, la
société traditionnelle et, d’autre part, le système international dominant. Cette rupture,
timidement commencée sous les gouvernements populistes, n’arrive cependant à se
économique dépend, comme du reste la détermination de toute politique gouvernementale, du
rapport de forces entre les classes se disputant le pouvoir politique dans la société.
3
A l’intérieur même du secteur industriel se produit une disparité typique : d’un coté les unités
préétablies, apparues au cours du processus de substitution des importations, des industries
traditionnelles produisant surtout des articles et biens de consommation non-durables, et ne
comportant qu’une basse technologie ; d’un autre coté, les nouvelles unités, en provenance de
l’étranger, véritables monopoles produisant des biens d’équipement avec une technologie
hautement élaborée.
concrétiser : la pénétration massive des intérêts étrangers dans l’industrie brésilienne,
pendant la période Kubitschek, a ouvert la voie à l’imposition du modèle de
développement « associé et dépendant ».
Le mécanisme économique qui a fait passer de la politique de substitution des
importations à la politique d’association avec le capital étranger peut être expliqué, en
grande partie, par la détérioration des termes de l’échange, en même temps que par la
nécessité d’accéder à une industrialisation d’un haut niveau technique, rendant possible
une production compétitive sur le plan international. Cette seconde raison va imposer
l’association de plus en plus intime avec les oligopoles multinationaux qui contrôlent la
production et l’utilisation de la technologie. Par ailleurs, les rapports de production
propres au complexe agro-rural, ainsi que les relations entre les classes habitant les
campagnes, demeurent peu affectés par le processus d’industrialisation en cours dans le
pays.
Les années 1961 à 1964 connaissent une crise aiguë du système ; le processus de
démocratisation de l’Etat fondé sur le populisme est à bout de souffle. L’économie
nationale, après une longue période d’expansion, présente des signes évidents de
détérioration. L’inflation, qui fonctionnait auparavant comme technique d’épargne
forcée favorisant la concentration du capital, n’empêche pas la reproduction capitaliste
de s’acheminer vers son point de stagnation.
La crise, qui résulte du déséquilibre structural brésilien représente, en même
temps, l’étranglement de la démocratie populiste. En d’autres termes, la politique de
masse ne s’accorde aux exigences des nouveaux rapports capitalistes de production. Le
populisme qui avait atteint sa pleine dimension avec les gouvernements Quadros et
Goulart, portait en lui les conditions de sa propre destruction. En tant que politique
d’alliance entre classes – notamment entre la bourgeoisie industrielle et le prolétariat
urbain – il était une union de contraires. Le processus de liquidation de cette forme
politique va commencer avec la période Kubitschek, quand les intérêts monopolistes
internationaux pénètrent massivement sur le marché brésilien, en même temps
qu’apparaissent les premiers éléments idéologiques du modèle « associé » de
développement. La crise conjoncturelle du début des années ’60 complète la scène sur
laquelle se présenteront les classes sociales en lutte pour le pouvoir.
La croissance et le renforcement de la bourgeoisie et la consolidation de sa
domination de classe, semblent être l’aboutissement le plus évident de l’industrialisation
brésilienne des années ’50. L’alliance consacrée entre le latifundium exportateur et la
bourgeoisie industrielle, au début de l’expansion capitaliste, ne s’avère plus désormais
vitale pour cette dernière. Des lors l’alliance entre les deux classes ne sera plus qu’une
alliance tactique, la bourgeoisie n’étant pas assurée des conséquences d’une réforme
agraire, même dans les limites de ses intérêts de classe. D’ailleurs, une des alternatives
possibles à la reforme agraire bourgeoise était la capitalisation du latifundium,
processus déjà en cours au début des années ’60.
Le prolétariat industriel, de son coté, commençait de plus en plus à participer
politique au processus de développement national. Se libérant progressivement des
formes paternalistes d’organisation et luttant pour briser le monopole traditionnel de la
représentativité politique, le prolétariat brésilien, chiffré à plus de deux millions en
1960, s’acheminait rapidement vers une complète autonomie d’action. En l’espace de
quelques années, son appui enthousiaste à la théorie du développement, telle que
l’idéologie bourgeoise la présente, va se transformer en une opposition radicale aux
modalités par lesquelles se faisait ce développement.
L’affrontement des classes devenait de plus en plus inéluctable. La politique de
masse et le nationalisme gauchisant, tels comme ils furent pratiqués dans les
gouvernements Quadros et Goulart, commençaient à mettre en danger les prétentions
hégémoniques de la classe dominante. Le jeu avec les masses, préconisé et réalisé par
un secteur de la bourgeoisie elle même, n’était plus prudent pour la classe dominante.
La situation s’aggravait encore du fait que la pratique de la politique de masse s’étendait
rapidement à la société agraire. Dans les villes, la classe moyenne, apeurée par le
fantôme de la prolétarisation, dont l’arrivée s’annonçait avec la crise conjoncturelle,
constituait la masse de manœuvre dans les manifestations contre le communisme et la
corruption ; elle penchait de plus en plus pour des solutions autoritaires.
La majorité des secteurs bourgeois (agraire, industriel, commercial et financier)
nationaux et étrangers comprit très vite que l’heure de réaliser sa mission historique
était arrivée : face à la crise de la démocratie populiste s’est ainsi imposé comme
solution, la « dictature de la bourgeoisie ». La « victoire de la violence sans phrases sur
la violence de la phrase », que représente le coup militaire, est en même temps la fin du
mythe de l’Etat démocratique de tout le peuple.
3. Le Pouvoir Militaire
Les exigences du développement capitaliste au Brésil, ainsi que l’emprise
indiscutable d’une classe particulière sur toutes les autres, imposaient la redéfinition
radicale des fonctions de l’Etat, en tant qu’agent de liaison entre la structure
économique et la structure du pouvoir. Autrement dit, les relations de domination,
altérées et mises en question, devaient s’harmoniser avec les exigences propres au
développement des relations d’appropriation. C’est en cela qui réside le sens profond du
coup d’Etat militaire de 1964. Tels qu’ils ont été exprimés par les militaires eux mêmes,
les objectifs du coup d’Etat peuvent être ainsi résumés : écarter le risque de la prise du
pouvoir par la gauche, c’est-à-dire prévenir la « perte de la démocratie » ; contrôler les
conséquences négatives de l’inflation et garantir le fonctionnement des mécanismes
économiques en régime de libre entreprise ; réintégrer le Brésil dans le système
capitaliste mondial, ou come disait le maréchal-président Castello Branco « maintenir la
fidélité culturelle et politique au système démocratique occidental » ; enfin, restaurer
l’intégrité et l’efficacité des pouvoirs politique et économique, partiellement dissociés
par la démocratie populiste.
La bourgeoise brésilienne, ou sa fraction monopoliste, fut obligée, pour pouvoir
conserver le status quo et assurer les conditions de stabilité sociale qui permettent la
reproduction du capital, de fournir aux militaires les mécanismes de contrôle du pouvoir
politique. Les forces armées, toujours prêtes à « épurer » le système institutionnel,
s’approprient, comme corporation, toute la machine d’Etat. La militarisation de
l’appareil étatique et de toute la vie politique qui s’ensuit est la conséquence de la
recrudescence des tensions et contradictions entre les groupes sociaux qui disputent le
pouvoir.
La structure actuelle du pouvoir, au Brésil, combine la dictature de la bourgeoise
et de développement accéléré du capitalisme monopoliste de périphérie. Selon ce
nouveau « modèle politique », le pouvoir civil et le pouvoir militaire s’enchevêtrent l’un
dans l’autre : l’armée détient la responsabilité exclusive de la défense du système
institutionnel et s’assure en même temps la tâche d’infuser, par les moyens qui lui sont
propres, l’idéologie dominante au sein de la « société civile ». Les conceptions du
pouvoir militaire sont visibles dans les principes de géopolitique énoncés par l’Ecole
Supérieure de Guerre, l’organe qui, en dernière instance, élabore l’« idéologie » des
leaders militaires. Selon un des dogmes sacrés de cette Ecole, la sécurité nationale et le
développement économiques sont intimement liés. C’est au nom de la « sécurité
nationale » interne qui la torture fut promue à la catégorie d’accoucheuse du nouvel
ordre bourgeois, comme c’est au nom du développement économique que les salaires
réels des travailleurs furent réduits à le strict minimum, avec pour conséquence la
paupérisation absolue d’une grande partie du prolétariat. La dictature de la bourgeoisie
se développe et se consolide ainsi au nom d’une conception arbitraire de stabilité sociale
et de sécurité interne.
Les idéologues militaires brésiliens postulent encore que le capital et la
technologie étrangers sont indispensables et essentiels pour le développement du Brésil,
dans une époque d’interpénétration croissante des économies nationales. La
conséquence pratique de ce principe a été l’augmentation de l’importance relative et
absolue des grandes entreprises et corporations multinationales dans l’ensemble de
l’économie du pays. Il n’y a pas eu simplement une dénationalisation des entreprises
nationales, mais une véritable « internationalisation » de l’économie brésilienne. Cette
thèse de l’interpénétration de l’économie mondiale correspond à la doctrine de
l’« interdépendance » dans la sphère politique, doctrine qui signifie essentiellement la
réintégration du Brésil dans le système capitaliste mondial, selon les déterminations de
la stratégie basée sur la géopolitique, selon les déterminations de la stratégie basée sur la
géopolitique, dont le fondement est l’hégémonie des Etats-Unis. Telle qu’elle est
conçue par les militaires au pouvoir, la doctrine de l’interdépendance dénote un
attachement à des principes complétement dépassés, datant de la première phase de la
guerre froide : « dans le présent contexte d’une confrontation du pouvoir bipolaire, avec
divorce radical des positions idéologiques entre les deux centres du pouvoir, la
préservation de l’indépendance suppose un certain degré d’interdépendance, soit dans le
camp militaire, soit dans l’économique, soit dans le politique ».4
La militarisation croissante de l’appareil d’Etat, assurant ainsi l’hégémonie de la
fraction monopoliste de la bourgeoise industrielle, se destine essentiellement à garantir
et à faciliter la reproduction élargie du capital. La liquidation de la « démocratie libérale
ou classique », ouvertement prêchée par les militaires brésiliens, est justifiée au nom de
la création d’un « nouveau modèle de démocratie », qui ne peut être autre que la
démocratie sous contrôle des colonels. Ce nouveau modèle, selon la conception de
quelques idéologues de l’Ecole supérieure de guerre, pourrait signifier une forme
modifiée de l’Etat corporatif.
Pedro Rodriguez
4
Discours prononcé par le maréchal Castello Branco le 1er août 1964.