Chapitre 5
Les politiques de développement
Olivier NAY
in Borraz (Olivier), Guiraudon (Virginie), dir., Les politiques publiques 2 : Changer la société, Paris : Presses de
Sciences po, 2010, p. 139‐170.
Nul ne peut aujourd’hui contester l’évidence : les politiques d’aide au développement
menées depuis plus d’un demi‐siècle n’ont jamais été en mesure de réduire significativement
la pauvreté dans les pays du Sud. Si quelques progrès ont été enregistrés ces trente dernières
années, comme l’atteste la baisse tendancielle des taux de pauvreté globale, un quart de la
population mondiale continue de vivre, au début des années 2010, avec moins de 1,25 dollar
US par jour. Les écarts de richesse entre les pays à économie avancée et les pays à faible
revenu restent particulièrement forts. Les économies en développement les plus fragiles – où
se conjuguent absence de développement industriel, maintien de « trappes à pauvreté »,
inégalités sociales et discriminations, et généralement problèmes de corruption – restent
particulièrement vulnérables à l’égard des investissements étrangers et des fluctuations des
prix des matières premières.
Cette permanence des problèmes contraste singulièrement avec la rapidité des
transformations en cours dans la fabrique des politiques de développement. L’environnement
dans lequel ces politiques sont pensées et mises en œuvre a en effet considérablement évolué
depuis le début des années 1990. Premièrement, les fins assignées aux politiques de
développement ont été sensiblement élargies. Les stratégies internationales ne sont plus
simplement adossées à des objectifs de croissance économique. Elles visent désormais un
large éventail d’objectifs sociaux et environnementaux. Leur ambition n’est plus d’assurer
principalement le décollage économique des pays du Sud. Elle est aussi de promouvoir les
conditions institutionnelles, juridiques et sociales favorables à la qualité de la vie et à la
préservation de l’environnement pour les générations futures. Deuxièmement, les politiques
de développement entendent promouvoir les droits de la personne et la sécurité des
individus, tout autant que réaliser des objectifs macroéconomiques ou institutionnels. L’être
humain est placé, en effet, au centre des stratégies à partir desquels sont pensées les
nouvelles politiques internationales. L’élaboration de ces stratégies s’accompagne notamment
d’une réflexion plus intense sur le bien‐être individuel et sur l’implication réelle des pauvres
1
dans les programmes de lutte contre la pauvreté. Troisièmement, la question des disparités
économiques et de la misère sociale apparaît de plus en plus connectée, dans les analyses du
développement, aux enjeux de sécurité. La pauvreté et les inégalités mondiales sont en effet
perçues comme un terreau sur lequel se forment de « nouvelles menaces » – notamment la
montée du radicalisme politique ou religieux, le terrorisme global, les conflits liés à la maîtrise
de l’eau ou à la captation des richesses du sol, les mouvements migratoires incontrôlés, les
risques épidémiques, ou encore les atteintes à l’équilibre de l’écosystème – qui pèsent à la fois
sur les relations entre le Nord et le Sud, sur l’équilibre de certaines régions et sur la stabilité
des États.
Quatrièmement, les deux dernières décennies sont marquées par la transformation très
rapide des systèmes institutionnels et des mécanismes de gouvernance mondiale dans le
domaine de la lutte contre la pauvreté. Une multitude de nouveaux acteurs – tous les acteurs
n’ayant pas de mandat conféré par un gouvernement ou une organisation multilatérale – se
sont imposés comme des partenaires des institutions internationales et des bailleurs de fonds.
Ces acteurs sont parfaitement insérés dans les réseaux d’action publique. Non seulement ils
contribuent à la définition des enjeux du développement et influencent les politiques d’aide
engagées par les institutions publiques, mais ils participent activement à la mise en œuvre des
projets sur le terrain. Toutes les institutions multilatérales ou bilatérales travaillent
aujourd’hui en partenariat, à un niveau ou à un autre, avec des acteurs non étatiques (ONG,
organisations de la société civile, fondations privées, multinationales, pouvoirs locaux,
associations militantes, think tanks et universités, organisations professionnelles et syndicats,
Églises et organisations confessionnelles, cabinets de consultants, agences de régulation ou de
notation, établissements financiers, groupes de média, etc.). Le « marché » du développement
est désormais marqué par une forte professionnalisation de ses acteurs (financiers,
techniques, opérationnels ou intellectuels), un brouillage croissant des frontières entre
sphère publique et sphère privée, une diversification de règles et de normes d’action
publique, des dynamiques soutenues de circulation des idées et des savoirs sur le
développement, et enfin des modes de financement plus complexes et souvent opaques. Ce
nouveau paysage international impose aujourd’hui d’adapter les pratiques de travail des
organisations publiques participant à l’effort de lutte contre la pauvreté. Toutefois, la
multiplication des acteurs du développement et la diversification des lieux de production
d’expertise conduisent à la confrontation de visions très différentes du développement et à
d’intenses débats dans lesquels il n’est pas toujours facile de distinguer les discours normatifs
des observations scientifiques.
Les façons de faire et de penser les politiques de développement évoluent ainsi rapidement
en ce début de troisième millénaire. Loin d’une recherche exhaustive, cet article tente de
présenter quelques aspects des changements en cours. Il s’intéresse précisément à l’évolution
des instruments d’intervention et des savoirs experts auxquels recourent les acteurs du
développement. Il montrera en particulier que ces acteurs sont confrontés, aujourd’hui, à des
injonctions contradictoires. Tandis qu’ils doivent en permanence lutter contre la dispersion
des dispositifs d’intervention et rechercher l’harmonisation de l’aide, ils doivent apprendre
dans le même temps à se méfier des stratégies globales qui, par le passé, n’ont jamais permis
de modifier la géographie des inégalités mondiales. On abordera les réformes récentes des
2
instruments et mécanismes de l’aide, destinées à améliorer les résultats des politiques
internationales, avant d’évoquer les luttes intellectuelles qui animent la réflexion sur le
développement au tournant des années 2000‐2010.
Instruments, mécanismes et financements : la nouvelle
gouvernance internationale de l’aide au développement
La question de la réforme de l’architecture internationale de l’aide au développement est
aussi ancienne que les politiques du même nom. Elle est posée dès les années 1950‐1960,
alors que de houleux débats divisent l’Assemblée générale des Nations unies sur le
financement de la lutte contre le sous‐développement (Sagasti et al., 2005). Durant ces
années, de nombreux représentants du Tiers Monde s’élèvent contre la responsabilité
historique des puissances occidentales dans le creusement des inégalités mondiales,
dénoncent la dépendance des économies du Sud à l’égard des marchés du Nord, exigent un
renforcement de l’aide publique internationale et mettent déjà en question la capacité des
organisations multilatérales, contrôlées par les pays riches, à répondre aux enjeux de la
pauvreté.
La réforme des mécanismes de l’aide passe au second plan dans les années 1980‐1990, au
moment où les stratégies d’intervention des institutions internationales font valoir les vertus
du marché comme moyen de sortir de la pauvreté. Elle ne redevient un élément central du
débat international qu’à la fin des années 1990. Ces années sont en effet marquées par un
renouvellement important de la réflexion sur les politiques du développement, pour au moins
trois raisons. Tout d’abord, le nouveau contexte international né de la fin de la guerre froide
contribue à redonner confiance dans le système multilatéral comme lieu d’élaboration des
politiques d’aide aux pays pauvres. Les confrontations diplomatiques qui dominaient le
fonctionnement des organisations internationales à l’ère du monde bipolaire cèdent peu à peu
la place à des jeux d’alliances privilégiant les échanges entre le Nord et le Sud. Ensuite, les
premières crises financières touchant les pays émergents qui ont mis en œuvre les réformes
économiques imposées par le FMI et la Banque mondiale1 ouvrent la voix à des critiques de
plus en plus virulentes à l’égard des stratégies d’intervention d’inspiration néolibérale
menées depuis les années 1980. Elles contribuent au développement d’une pensée
économique critique, initialement portée par des mouvements issus de la société civile et
développée par des universitaires. Enfin, l’adoption en 2000 d’objectifs du millénaire
particulièrement ambitieux, au moment où les organisations onusiennes sont de plus en plus
critiquées pour leur inertie et leur inefficacité, s’accompagne d’une intervention active des
bailleurs internationaux pour améliorer l’efficacité des mécanismes multilatéraux et imposer
de nouvelles règles de gestion.
Depuis 2000, la question de la réforme de la gouvernance internationale de l’aide s’impose
ainsi comme l’une des grandes priorités de l’agenda international. Nous évoquerons ici les
efforts engagés pour améliorer les processus de programmation et de mise en œuvre des
1.
En Asie, en Russie, en Amérique latine et centrale.
3
politiques d’aide, en revenant à la fois sur les efforts d’intégration des mécanismes de l’aide
d’une part, le renforcement du rôle des gouvernements nationaux et des populations
destinataires d’autre part.
La coordination, l’harmonisation et l’alignement : vers une nouvelle
architecture internationale de l’aide au développement ?
Dans le contexte des années 2000, les principaux acteurs internationaux – en particulier les
bailleurs de fonds – ont organisé de grandes conférences internationales2 pour discuter des
stratégies de réforme susceptibles d’améliorer les mécanismes de l’aide au développement. Ils
ont affiché l’ambition de réformer les principes, les règles et les procédures régissant les
activités des institutions multilatérales et bilatérales.
Plusieurs évolutions ont incité à faire de l’« efficacité de l’aide » l’un des principaux thèmes
des discussions internationales. Tout d’abord, depuis les années 1980, l’application du
principe de conditionnalité – c’est‐à‐dire le choix de subordonner l’octroi des aides
financières internationales à des critères économiques, politiques ou environnementaux – a
imposé aux pays récipiendaires de mettre en place d’importantes politiques de réforme3. Ce
principe a introduit une culture de l’évaluation de l’efficacité des politiques d’assistance, car il
suppose, au niveau des pays aidés, des contrôles réguliers de la conformité des réformes aux
prescriptions imposées par les bailleurs internationaux. Ensuite, la multiplication des acteurs
du développement dans les années 1990, en contribuant à l’accroissement du nombre de
projets et à la complexification institutionnelle, ont rendu la refonte des mécanismes de l’aide
particulièrement urgente. Le nouveau contexte impose en effet de rationaliser et d’articuler
plus efficacement les mécanismes d’action collective. Enfin, la diffusion des principes du
« nouveau management public » dans les institutions internationales joue incontestablement
un rôle de premier plan, en contribuant à la mise en place d’instruments de mesure de la
performance des organisations. De plus en plus « redevables » de leurs actions devant les
financeurs, ces institutions doivent prouver, à l’aide d’indicateurs particulièrement
sophistiqués, qu’elles sont en mesure de réaliser effectivement les objectifs fixés dans leur
programme.
Dans ce contexte, les bailleurs internationaux ont affiché leur souhait de lutter contre la
tendance à la fragmentation et la dispersion de l’aide, par la promotion de deux principes
complémentaires : l’harmonisation des programmes de développement et leur alignement
systématique sur les stratégies définies par les pays bénéficiaires. L’harmonisation désigne les
efforts réalisés par les institutions du développement pour mieux coordonner et intégrer
2.
Conférence de Monterrey sur le financement du développement (2002) ; forum de Rome sur
l’harmonisation (2003) ; table ronde de Marrakech sur la gestion axée sur les résultats (2004) ; déclaration de
Paris sur l’efficacité de l’aide (2005) ; sommet mondial des Nations unies (2005) ; forum d’Accra sur l’efficacité
de l’aide (2008) ; conférence de Doha sur le financement du développement (2008).
3. Le FMI applique des conditions à ses prêts depuis les années 1950. Néanmoins, jusqu’au début des
années 1980, il s’appuyait principalement sur des indicateurs macroéconomiques. Depuis vingt‐cinq ans, les
conditions associées aux prêts sont devenues d’une grande complexité et font l’objet de contrôles ciblés et plus
systématiques.
4
leurs programmes. Elle vise une intégration horizontale de l’aide internationale. L’alignement
désigne quant à lui les efforts visant à aligner systématiquement les programmes
internationaux sur les objectifs, cycles, règles et mécanismes nationaux de chaque pays
bénéficiaire (pour la planification, la mise en œuvre, le pilotage et l’évaluation). Elle vise une
intégration verticale de l’aide. Ces deux principes ont été solennellement adoptés en 2005 par
les signataires de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide. L’objectif affiché est de faire
évoluer les politiques d’aide de la logique de « projet » (action ciblée sur une question
spécifique) à la logique de « programme » (stratégie coordonnée, pluriannuelle et intégrée à
un cadre d’action du développement).
Les appels à l’harmonisation et à l’alignement de l’aide ont eu des effets concrets. Non
seulement ils ont provoqué un afflux de financements dédiés à l’amélioration de la
gouvernance de l’aide, mais ils ont conduit à l’expérimentation de nouveaux mécanismes au
niveau des pays. L’approche « par secteur » par exemple, entend inciter les bailleurs
internationaux à abandonner les financements de projets de petite taille et à s’impliquer dans
des stratégies de réforme de secteurs entiers, associant tous les acteurs et parties prenantes
présents dans le même secteur et, autant que possible, sous l’autorité du gouvernement du
pays bénéficiaire. L’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit de promouvoir, au niveau de chaque
secteur, un cadre stratégique unique, un système de financement intégré et un seul
mécanisme de pilotage et d’évaluation. Ces expériences, initialement impulsées par les pays
d’Europe du Nord (notamment les pays scandinaves, la Grande‐Bretagne et l’Allemagne) ont
été progressivement soutenues par des bailleurs multilatéraux (comme la Banque mondiale
ou l’Union européenne). Au début des années 2010, l’approche par secteur est en passe de
devenir un modèle de gouvernance largement répandu en Afrique subsaharienne, en
particulier dans le domaine de la santé. Des expériences ont été conduites en Éthiopie, au
Ghana, en Tanzanie, au Mozambique, au Mali, en Ouganda, au Burkina Faso, au Sénégal, au
Malawi et en Zambie, mais aussi au Cambodge, au Bangladesh et en Papouasie Nouvelle‐
Guinée. L’approche par secteur est désormais expérimentée dans les domaines de l’éducation,
de l’agriculture, de l’eau ou de l’environnement. Dans ces pays, des bailleurs
traditionnellement enclins à privilégier des stratégies d’aide bilatérales – dont la France et les
États‐Unis – sont désormais incités à participer à ces nouveaux mécanismes multilatéraux.
Les organisations internationales ont dû prendre acte des principes d’harmonisation et
d’alignement. Au sein du système des Nations unies, par exemple, le Groupe de
développement des Nations unies s’est vu confier la responsabilité de proposer des solutions
susceptibles d’améliorer la gouvernance des activités opérationnelles conduites par les
institutions onusiennes. Au niveau des pays, une vaste réforme a été engagée pour renforcer
la coordination des activités de programme des agences spécialisées, fonds et programmes
multilatéraux. Ainsi, dans des domaines d’intervention variés (comme la lutte contre les
épidémies, l’égalité entre hommes et femmes, l’aide aux réfugiés, l’environnement, l’eau,
l’éducation ou la santé), les Nations unies cherchent‐elles à intégrer leurs stratégies grâce à
des instruments de programmation communs (les « programmes‐cadres des Nations unies
pour le soutien au développement »), des dispositifs d’analyse des besoins (les « bilans
communs par pays ») et une diversité de mécanismes permettant des collaborations
5
techniques entre agences (des « groupes thématiques » et des « équipes communes »)4. Les
organisations onusiennes s’efforcent également de faire coïncider leurs programmes avec les
stratégies nationales définies par les autorités gouvernementales. Les résultats de
l’harmonisation sont néanmoins loin d’être satisfaisants : les organisations multilatérales ont
des programmes qui continuent de se chevaucher ; elles restent souvent en situation de
concurrence pour attirer des fonds ; leur modèle bureaucratique et hiérarchisé, enfin, rend
difficile l’adoption de dispositifs transversaux, souples et inventifs, qui leur permettraient de
mieux travailler ensemble sur le terrain.
L’appropriation locale de l’aide et les projets participatifs
développement : des bonnes intentions globales aux désillusions locales
de
Les institutions internationales ont été vivement critiquées pour avoir imposé aux
gouvernements des pays du Sud, au cours des années 1980‐1990, des programmes de
réforme « clé en main », empêchant ainsi que les actions internationales puissent s’articuler
de façon effective aux attentes et aux besoins spécifiques de développement des populations
destinataires. Certes, une telle dénonciation était déjà présente dans les réflexions des
théoriciens de la dépendance, formulées dès les années 1960‐19705. Mais les politiques
impérieuses des institutions financières multilatérales, soucieuses d’une diffusion universelle
des préceptes néolibéraux, ont considérablement alimenté les critiques depuis le milieu des
années 1990. De même, la plupart des bailleurs bilatéraux ont longtemps été critiqués – et
continuent de l’être – pour leur inclination à intervenir dans les pays du Sud sans réelle
concertation avec les gouvernements et sans s’aligner sur les cycles de programmation des
politiques nationales.
Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que les institutions multilatérales et les bailleurs
internationaux commencent à réviser leurs principes d’intervention. Pour la première fois,
deux économistes de la Banque mondiale affirment qu’il est impossible « d’acheter les
réformes » et que la politique de conditionnalité doit être assouplie en fonction de critères
nationaux (Burnside et Dollar, 1997). En 1998, James Wolfensohn, président de la Banque
mondiale, évoque la nécessité de mettre les gouvernements « dans le siège du conducteur. »
En 1999, l’adoption de procédures participatives pour rédiger les cadres stratégiques de lutte
contre la pauvreté devient une condition pour bénéficier des programmes de réduction de la
dette multilatérale. En 2002, un rapport officiel de la Banque affirme enfin que la « réforme ne
réussit généralement pas sans une forte appropriation locale et une approche large qui inclut
la prise en compte des institutions, la gouvernance et la participation des acteurs ». Il faut
4.
Une expérience plus radicale a été engagé avec l’expérimentation, dans un nombre limité de pays, d’une
initiative « One UN » dont l’objectif est de mettre en place, à terme, un seul programme des Nations unies, un
plan financier commun, un représentant unique disposant d’une autorité sur tous les bureaux des agences
onusiennes présents dans le pays, un management unifié et, enfin, une maison des Nations unies réunissant
toutes les organisations.
5. Selon les théories de la dépendance, les institutions internationales n’interviennent pas sur les causes
macroéconomiques menant à la dégradation des termes de l’échange entre le Nord et le Sud. Elles contribuent à
la reproduction des inégalités structurelles entre pays riches et pays pauvres, en finançant des activités de
développement qui assurent des débouchés industriels et commerciaux pour les marchés du Nord.
6
attendre 2005 et la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide pour que l’appropriation
(ownership) soit enfin reconnue comme un principe directeur de l’aide internationale6.
Organisations et bailleurs internationaux s’engagent désormais à « respecter le rôle
prédominant des pays partenaires et les aider à renforcer leurs capacités à exercer ce rôle ».
La reconnaissance de la légitimité des pays à contrôler les conditions de leur
développement constitue un principe de justice. Elle permet un plus grand respect de la
souveraineté des pays du Sud à qui est reconnue une pleine légitimité pour décider des
priorités qui concernent l’avenir de leurs populations et de leurs institutions. Mais cette
reconnaissance résulte aussi de considérations pragmatiques. Les années 1980‐1990 ont en
effet largement démontré que les programmes d’aide ont toutes les chances d’échouer s’ils ne
tiennent pas compte des spécificités des systèmes socio‐économiques des pays bénéficiaires,
s’ils ne s’inscrivent pas dans les cycles de programmation des politiques gouvernementales,
s’ils ne sont pas portés par les élites politiques nationales et s’ils sont mal relayés par les
personnels administratifs dans l’État, voire contestés ou mal compris par les populations
locales. Aussi, l’enjeu de l’appropriation est clairement de permettre aux gouvernements de
sortir de leur statut de simples « récipiendaires » de l’aide et d’exercer un leadership réel dans
l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des programmes nationaux de développement. Il est
aussi d’améliorer l’efficacité des programmes et d’en assurer la pérennité, en permettant que
l’ensemble des parties prenantes nationales (gouvernement, administrations centrales,
autorités décentralisées, organisations non étatiques, populations concernées) contribuent à
la définition des priorités et participent à différentes étapes de leur mise en œuvre.
La diffusion de cette nouvelle conception plaidant pour le renforcement du contrôle des
acteurs nationaux a justifié la mise en place de nombreux programmes de « développement
des capacités ». Toutes les agences techniques, bilatérales et multilatérales, mais aussi des
ONG, participent aujourd’hui à ces programmes. Elles tentent ainsi de renforcer les autorités
nationales et locales afin que ces dernières prennent elles‐mêmes en charge les stratégies de
lutte contre la pauvreté. Concrètement, elles visent à la fois le renforcement des compétences
et des savoirs des agents nationaux dans les domaines d’expertise essentiels au
développement (ce qui passe le plus souvent par des programmes de formation), la
consolidation des institutions clé dans le fonctionnement de l’État (ce qui suppose des
réformes organisationnelles, la diffusion de nouvelles règles de management et le
renforcement de mécanismes de contrôle juridique ou politique), et le soutien à des
partenariats larges associant tous les acteurs publics ou privés devant être impliqués dans la
définition ou la mise en œuvre des stratégies de développement.
La participation de la société civile est également présentée comme une évolution
nécessaire, complémentaire de l’appropriation par les autorités politico‐administratives.
Depuis une quinzaine d’années, les approches participatives sont en effet de plus en plus
6.
L’appropriation consiste à transférer aux autorités nationales la maîtrise et la responsabilité des stratégies
de développement. Elle s’appuie sur l’idée que c’est aux pays du Sud de définir leurs propres priorités.
L’appropriation suppose toutefois que les pays disposent de capacités institutionnelles, humaines et financières
suffisantes pour assumer la gestion des programmes de lutte contre la pauvreté. Elle implique également que les
gouvernements nationaux mettent en place des principes de gouvernance capables de renforcer la transparence
des pratiques publiques et des procédures participatives larges.
7
fréquemment privilégiées pour la programmation des stratégies de développement au niveau
des pays. Les processus d’adoption, de suivi et d’évaluation des documents stratégiques de
réduction de la pauvreté (DSRP) prennent appui sur des consultations élargies aux autorités
locales, aux organisations de la société civile et aux communautés. La Banque mondiale a
parallèlement fait évoluer ses instruments de pilotage et d’évaluation, de façon à mieux
prendre en compte le point de vue des populations pauvres ou discriminées. Le PNUD, de son
côté, a fait du renforcement de la « gouvernance démocratique » sa principale activité de
soutien aux pays en développement. Cette activité tente de combiner la problématique du
renforcement de l’État de droit7 avec l’ambition d’ouvrir les dispositifs d’action publique aux
organisations de la société civile et à toutes les populations (en particulier les pauvres, les
femmes et les minorités).
Les objectifs d’appropriation et de participation sont bien complémentaires8. Toutefois, la
réalité des pratiques de développement reste encore souvent éloignée des ambitions
affichées. Premièrement, dans les pays à faible revenu9, les gouvernements, les autorités
décentralisées ou les opérateurs locaux n’ont pas les capacités humaines, institutionnelles et
financières suffisantes pour assumer la responsabilité des programmes et s’approprier les
instruments du développement. Pour le dire autrement, les pays qui ont le plus besoin d’aide
au développement sont aussi ceux qui ont le moins de ressources pour prendre en charge
cette aide. Dans ces pays, non seulement la plupart des opérateurs publics et privés n’ont pas
d’autres moyens que de recourir à l’expertise des organisations internationales pour monter
des dossiers éligibles aux aides internationales, mais leur capacité à mettre en œuvre ces
aides reste souvent totalement insuffisante. Deuxièmement, la fragmentation des projets de
développement, les phénomènes de concurrence entre pourvoyeurs de l’aide et l’absence de
mécanismes de coordination efficaces constituent également des freins à l’appropriation, dans
la mesure où les ministères passent plus de temps à répondre aux multiples sollicitations des
bailleurs et des agences techniques qu’à contrôler réellement leurs stratégies nationales.
Troisièmement, les bailleurs sont loin de jouer systématiquement le jeu de l’appropriation.
Certes, la plupart des institutions multilatérales (comme l’Union européenne, le PNUD ou la
Banque mondiale) militent aujourd’hui pour que les gouvernements renforcent leurs
capacités de contrôle sur leurs propres programmes de développement. Mais de nombreuses
agences bilatérales ne changent pas fondamentalement leurs pratiques. Elles continuent
d’intervenir selon des méthodes qui maintiennent les administrations nationales dans une
situation de dépendance technique10.
Quatrièmement, on ne saurait sous‐estimer les résistances locales aux politiques conduites
7.
Soutien aux processus électoraux, renforcement des fonctions des parlements, décentralisation, protection
des droits humains, consolidation de systèmes judiciaires, soutien aux médias indépendants.
8. En effet, les politiques de développement n’ont chance d’être efficaces que si elles sont portées à la fois par
les élites politico‐administratives, par tous les acteurs intermédiaires jouant un rôle dans la transmission des
idées et, sur le terrain, par les populations destinataires.
9. Et plus encore les États « fragiles » (États confrontés à des faiblesses chroniques de légitimité et de capacité,
découlant de situations de crise et/ou de la très grande pauvreté).
10. Par exemple en conditionnant leurs aides, en plaçant leurs experts à des postes stratégiques dans les
ministères des pays bénéficiaires, en fléchant préalablement leurs financements, ou encore en ne participant pas
8
par les acteurs internationaux. Selon les pays et les expériences du passé, la légitimité des
organisations internationales – en particulier les institutions financières – est parfois
contestée par les élites nationales, par des mouvements sociaux plus ou moins organisés, ou
encore par des groupes communautaires. Les résistances peuvent provenir des
gouvernements eux‐mêmes. Dans les systèmes de domination autoritaire – qui sont souvent
ceux où le niveau de la corruption est élevé11 – les élites à la tête des institutions de l’État
jouent souvent un double jeu : elles revendiquent leur droit à exercer un contrôle sur les
programmes de développement (ce que ne souhaitent pas les bailleurs), mais elles ne sont
absolument pas disposées à promouvoir l’idée d’une participation renforcée de la société
civile (ce que souhaitent les bailleurs), tant les milieux associatifs et syndicaux sont perçus
comme des foyers potentiels de contestation sociale. De surcroît, certaines conditionnalités
posées par les bailleurs (protection des droits de l’homme, lutte contre la corruption,
réformes démocratiques) sont souvent mal reçues et dénoncées comme des formes
d’ingérence dans les affaires politiques internes du pays. Il arrive même que certains
gouvernements préfèrent se détourner de l’aide publique venant des pays occidentaux et
ouvrent leur économie à des bailleurs peu exigeants sur les efforts d’ouverture démocratique
et de protection des droits de l’homme. La formation de la « Chinafrique », dans les
années 2000, a largement profité des relations difficiles entre les régimes autoritaires et les
organisations internationales classiques (par exemple en Angola, Soudan, Zimbabwe ou
République démocratique du Congo). D’une manière générale, dans les pays à forte
corruption, le détournement d’une partie des ressources internationales est un obstacle
majeur à l’appropriation. Dans ces pays, les bailleurs ne peuvent en effet s’appuyer sur le
gouvernement et son administration. Ils n’ont d’autre choix que de travailler avec des
opérateurs privés, notamment des ONG (locales ou internationales), et quand ils le peuvent,
des entreprises et des organisations de la société civile. Tout espoir d’impliquer les autorités
gouvernementales est pour le moment proprement impensable dans des pays comme le
Tchad, le Zimbabwe, la Birmanie, la Somalie, l’Ouzbékistan ou le Cambodge. Les bailleurs et
les organisations internationales ne le souhaitent d’ailleurs pas.
Enfin, les difficultés à tirer des bénéfices des démarches participatives peuvent résulter de
résistances des populations visées par l’aide, ou de leur désintérêt évident. En Amérique
latine, par exemple, où des programmes d’ajustement structurel ont été appliqués dans les
années 1980‐1990, des mouvements sociaux nationaux ou transnationaux s’organisent pour
résister aux stratégies de réforme des structures économiques et sociales engagées avec
l’appui des institutions de Bretton Woods. Au‐delà de leur très grande variété, ces
mouvements se caractérisent par leur refus des réformes d’inspiration néolibérale et leur
soutien à des projets économiques locaux empruntant à des modèles alternatifs, coopératifs
ou mutuellistes. De même, la méconnaissance des modèles sociaux ou culturels locaux, tout
comme la nécessité, pour les acteurs internationaux, de trouver des relais sur le territoire,
donnent une grande influence à toutes les autorités locales et les opérateurs de terrain
aux mécanismes de coordination multilatérale.
11. On ne reviendra pas, ici, sur le fait qu’il n’existe pas de lien systématique entre le type de régime et le
niveau de la corruption. Sur cette question, voir le numéro de la Revue internationale de politique comparée, 4 (2),
9
capables de se poser en intermédiaires entre les organisations internationales et le milieu
local. Si le rôle de ces « courtiers du développement » est souvent décisif pour faire le lien
entre acteurs internationaux et les communautés locales, entre les savoirs techniques des
organisations et les savoirs ordinaires des populations, ils peuvent aussi constituer un
obstacle à l’appropriation, par la société, des projets de développement.
Les enjeux de l’appropriation et de la participation sont bien évidemment des principes
importants dans la mesure où ils visent à sortir des écueils sur lesquels ont butés les
politiques de lutte contre la pauvreté pendant des années. Certains pays, en particulier les
pays à moyen revenu, ont rapidement adopté ces principes et parviennent à prendre le
contrôle des mécanismes de gouvernance de l’aide mis en œuvre à l’échelle du pays12. Ces
principes restent cependant inégalement endossés par les gouvernements des pays du sud. Ils
peuvent même n’être pas du tout souhaitables dans certains contextes sociopolitiques, par
exemple dans les pays aux ressources très faibles, les pays aux institutions défaillantes, les
États affaiblis par la corruption ou encore les systèmes politiques autoritaires (Meier et
Raffinot, 2005). De même, le principe de la participation peut être discuté, voire contesté,
lorsqu’il conduit à la multiplication des organes intermédiaires, créant des risques de dilution
ou d’éparpillement de l’aide, ou tout simplement d’allongement des délais liés à la mise en
place de systèmes de consultation lourds et peu efficaces. Ces principes, quelles que soient
leurs bonnes intentions, ont toutes les chances de s’imposer finalement comme une énième
recette internationale produisant des effets très différents d’un pays à l’autre.
Fin des recettes néolibérales et retour au terrain : la lente
diffusion des idées critiques sur le développement
Les idées et les connaissances savantes jouent un rôle particulièrement important dans la
fabrique des politiques de lutte contre la pauvreté. Dans un espace international où les
instruments juridiques sont dénués de portée obligatoire, les programmes de développement
doivent s’appuyer, en effet, sur de vastes accords internationaux qui reflètent une
convergence de vues rassemblant une majorité d’États, les bailleurs de fonds, les opérateurs
techniques et toutes les parties prenantes intervenant du haut jusqu’au bas de la chaîne
d’acteurs impliqués dans la mise en œuvre des décisions publiques. Les stratégies
internationales réussissent d’autant mieux que peuvent se former des communautés d’idées
(ou communautés épistémiques) autour d’enjeux majeurs du développement. Bien
évidemment, si des accords relativement larges peuvent se nouer sur des objectifs globaux,
les affrontements d’idées sur les priorités de l’action publique et sur les méthodes
d’intervention ne manquent pas, dans un contexte marqué par la forte internationalisation du
champ de la recherche sur la lutte contre la pauvreté. Le domaine du développement est
marqué par la diversité des savoirs et traversé par des débats permanents, souvent vifs,
1997.
12. C’est le cas, par exemple, du Vietnam dont le gouvernement a clairement décidé, à partir de 2005, d’exercer
un contrôle effectif sur les différents dispositifs nationaux de coordination et de financement de l’aide.
10
auxquels participent intellectuels, chercheurs et experts travaillant pour des organisations
diverses (institutions internationales, think tanks, sociétés de consultants, agences bilatérales,
administrations d’État, ONG, organisations de la société civile, multinationales, etc.).
Dans ce contexte, les organisations en charge du développement justifient généralement
leurs actions en recourant à différents registres de légitimité : la morale, le droit et la science.
Les arguments moraux s’appuient sur une conception humaniste et universaliste de la vie
internationale. Ils privilégient la défense de causes universelles : la paix, la sécurité, la justice
sociale, le bien‐être économique et la préservation de l’environnement. Ils sont adossés à une
interprétation des relations internationales privilégiant la responsabilité collective, le partage
des richesses et la préservation des ressources communes. L’action publique est mise au
service de biens publics mondiaux, mais aussi, de plus en plus, de l’individu et de sa liberté. La
défense de ces causes repose enfin sur l’ambition de dépasser les deux dynamiques qui
gouvernent traditionnellement les échanges internationaux : la recherche de la puissance et
les mécanismes de marché. Le droit, quant à lui, découle des résolutions et des conventions
internationales sur le développement. Il est conçu comme le principal instrument permettant
de dépasser le réalisme froid des échanges stratégiques – qui assure la domination des États
les plus puissants – et les effets de concentration des richesses liés au capitalisme globalisé –
qui creusent les inégalités mondiales et profitent principalement à l’actionnariat des pays du
Nord. Il incarne surtout la supériorité des normes négociées dans les arènes internationales,
qui sont les seules à pouvoir être mises au service d’intérêts collectifs. Enfin, le registre
scientifique s’appuie sur l’autorité des connaissances savantes. Il recourt à des arguments
tirés de recherches et d’analyses utilisant des méthodes d’investigation rationnelles et
éprouvées. Il puise une grande partie de sa légitimité dans les sciences économiques qui
dominent le champ des policy studies. C’est sur la circulation des idées savantes que l’on
souhaite revenir dans les lignes qui suivent.
Les organisations multilatérales menant des programmes de développement sont
devenues, ces vingt dernières années, d’importants pourvoyeurs de connaissances savantes.
Elles coproduisent, relayent et diffusent une grande partie des savoirs sur la pauvreté, à la
croisée entre connaissances scientifiques et travail d’expertise. Une grande partie de leur
activité consiste, aujourd’hui, à collecter des données, produire des analyses, publier des
rapports et diffuser des connaissances actualisées auprès des acteurs du développement. C’est
bien sûr le cas des organisations qui, par leur mandat, ont vocation à produire des normes
intellectuelles ou morales (comme l’Unesco), des instruments juridiques (comme
l’Organisation internationale du travail ou l’Office international des migrations) ou des
recommandations techniques (comme l’Organisation mondiale de la santé). Mais c’est aussi le
cas des agences qui financent des programmes (les bailleurs internationaux), ont une mission
de coordination (comme le Programme des Nations unies pour le développement) ou
conduisent des activités opérationnelles sur le terrain (comme l’Unicef ou le Haut
Commissariat aux réfugiés). La Banque mondiale, par exemple, publie quantité de rapports et
d’analyses dans tous les domaines du développement. Elle est largement sortie de son rôle
d’institution bancaire pour développer une intense activité normative, recourant
principalement à l’analyse économique et aux modélisations statistiques pour justifier le bien‐
fondé de ses stratégies de financement du développement. Le rôle croissant des organisations
11
internationales dans la production des savoirs sur le développement, qu’accompagnent
l’internationalisation des réseaux scientifiques et l’interpénétration croissante des mondes de
la recherche, de l’expertise et de la décision, présente un risque réel d’uniformisation des
savoirs, de standardisation des façons de penser les questions de développement (Géronimi et
al., 2008).
Les ONG militantes et les organisations de la société civile impliquées dans la promotion de
causes morales ont bien compris l’intérêt d’investir le champ de production des savoirs sur le
développement pour défendre des solutions alternatives ou innovantes. Elles ont pris
conscience que les connaissances tirées de l’expertise savante, dès lors qu’elles sont diffusées
dans les grands forums internationaux, soutenues par des communautés épistémiques
associant des think tanks et des universitaires reconnus, peuvent devenir des armes tout aussi
efficaces que les répertoires d’action militants pour influer sur les choix des organisations
multilatérales et des bailleurs de fonds. Une grande partie de leur activité consiste désormais
à produire une « littérature grise » armée de la caution scientifique, dont l’objectif assumé est
d’orienter le débat public et de peser sur les choix internationaux. Cette stratégie s’avère
d’autant plus payante que les acteurs non étatiques, dans les nouveaux partenariats
intellectuels, sont de plus en plus associés au travail de production normative réalisé par les
institutions internationales.
Au cours des années 2000, d’âpres controverses intellectuelles ont ainsi marqué la
réflexion sur les réponses appropriées aux problèmes de la pauvreté. D’une manière générale,
ces années ont été caractérisées par la diffusion très large des critiques à l’égard des solutions
globales prônant la libéralisation accélérée des économies en développement, et par la
volonté de mieux prendre en compte la très grande diversité des situations de pauvreté. Ces
idées pénètrent aujourd’hui lentement les institutions internationales, mais de façon bien trop
inégale pour provoquer une inflexion rapide des stratégies de développement.
La revanche des chercheurs sur les planificateurs : la contribution de
l’hétérodoxie savante à la réflexion sur la pauvreté
Les années récentes ont été marquées par la remise en cause de plus en plus affirmée des
objectifs standardisés de réforme économique diffusés par les institutions financières
internationales depuis les années 1980. Les critiques à l’égard des préceptes néolibéraux,
portées hier par une minorité d’intellectuels, d’organisations militantes et de mouvements
sociaux, trouvent aujourd’hui non seulement un large écho dans la réflexion des économistes
du développement, mais gagnent aussi un grand nombre d’organisations internationales.
Les nombreux revers enregistrés par les programmes de réforme mettant en œuvre les
principes du « consensus de Washington13 » ont incontestablement contribué au changement
de paradigme. Ces préceptes économicistes, imposés aux pays du Sud comme une recette
13.
L’expression, forgée en 1990 par l’économiste John Williamson, désigne l’ensemble des mesures de
réforme économique d’inspiration néolibérale (austérité financière, réduction des dépenses publiques,
allégement de la pression fiscale, dérégulation, privatisations, libéralisation des marchés intérieurs) imposées
dans les années 1980‐1990 aux pays en développement par le FMI et la Banque mondiale, avec le soutien du
Département du Trésor américain.
12
miracle aux principaux maux du sous‐développement, ont non seulement débouché sur des
croissances fragiles dans un certain nombre de cas, mais ont souvent sensiblement aggravé la
vulnérabilité des économies et des populations dans les pays où demeurent d’importantes
trappes à pauvreté (Collier, 2007). Malgré des critiques précoces, ces stratégies ont été
adaptées – et par conséquent maintenues – par les institutions de Bretton Woods à la fin des
années 1990 (Cavanagh et Broad, 2008), avec la promotion de stratégies de développement
privilégiant des politiques définies désormais à l’échelle nationale, assorties de nouvelles
priorités censées atténuer les défauts des stratégies antérieures (lutte contre la corruption,
décentralisation, développement de systèmes de protection sociale minimale, investissement
dans les domaines de la santé et de l’éducation).
La critique de ces stratégies de développement a été l’un des ressorts essentiels des
mobilisations altermondialistes au tournant des années 1990‐2000. La volonté de lutter
contre les effets de l’extension de la logique de marché à l’ensemble des sphères d’activités
dans les pays du Sud a réuni, en effet, des organisations et des mouvements militants d’une
grande diversité lors des rassemblements du Forum social mondial et de certaines
conférences internationales (environnement, droits des femmes, protection de l’enfance, lutte
contre le sida, etc.). Les discours assez radicaux invitant à « transformer la société » ont eu un
impact médiatique indéniable. Ils ont contribué à l’évolution des idées, notamment à la
diffusion des analyses critiques à l’égard des stratégies des institutions financières, des
décisions du G8 et des négociations commerciales menées dans le cadre de l’OMC. Elles ont
incité ces institutions, sous le feu des critiques, à modifier leurs pratiques de travail en
ouvrant des espaces de dialogue avec les ONG. Elles ont toutefois pesé assez faiblement sur les
objectifs de ces institutions qui se sont souvent contentées de mâtiner leurs programmes de
visées éthiques ou sociales sans modifier fondamentalement leurs stratégies.
C’est à partir du moment où la critique sociale a été rejointe par la critique scientifique
d’économistes évoluant dans les cercles de réflexion mis en place par les organisations
internationales que l’on a pu constater une évolution des prises de position dans les grandes
arènes de négociation (Assemblée générale et agences spécialisées des Nations unies, G8,
conventions internationales, etc.). Deux raisons principales peuvent expliquer l’influence
croissante des économistes dans les débats sur le développement. En premier lieu, la science
économique est par excellence la discipline qui domine la production des savoirs sur la
pauvreté, en particulier à l’OCDE et dans les institutions financières internationales. Par
rapport à toutes les autres sciences sociales, la pensée économique a l’avantage de recourir au
langage mathématique, en particulier sous la forme de la statistique14. À cet égard, le FMI et la
14.
Cette particularité lui assure un triple avantage. Tout d’abord, elle lui permet d’exister comme un langage
universel sur les questions de développement et, par conséquent, de produire des analyses dont les hypothèses
et les méthodes sont aisément transposables sur différentes échelles spatiotemporelles. Ensuite, le langage
mathématique revêt une « force magique », non seulement parce qu’il permet de produire des modélisations
sophistiquées dont la critique est d’autant plus malaisée que les instruments et méthodes utilisés sont
particulièrement complexes, mais aussi, d’une manière générale, parce qu’il rend les arguments difficilement
contestables par tous les profanes qui ne peuvent s’ériger en experts des questions économiques (c’est‐à‐dire le
plus grand nombre). Enfin, l’analyse économique se décline facilement en science de gouvernement. En effet, en
permettant la réalisation de projections statistiques, elle devient un instrument de mesure et de prospective
13
Banque mondiale se sont largement appuyés sur l’économie comme discipline savante pour
légitimer leurs politiques de réforme. Le Comité d’aide au développement de l’OCDE, quant à
lui, a amplement contribué à la normalisation de la domination des sciences économiques
dans la réflexion sur la pauvreté et les moyens d’y répondre. Cette évolution a contribué, dans
une large mesure, au déclassement rapide des autres formes de connaissance sur le
développement. En second lieu, des raisons sociologiques peuvent expliquer l’influence
déterminante des économistes dans les débats sur l’aide internationale. Des universitaires,
spécialistes reconnus de l’économie, interviennent en effet fréquemment comme consultants
internationaux auprès des grandes organisations du développement. C’est à eux, notamment,
que les institutions financières internationales font appel pour prendre la direction des
départements de réflexion et d’analyse chargés de faire des propositions pour fixer des
stratégies internationales. Non seulement les économistes peuplent ces institutions, mais ils y
exercent une influence intellectuelle importante à tous les niveaux des programmes. Certains
d’entre eux – notamment les plus critiques à l’égard des institutions financières
internationales – ont acquis aujourd’hui une réputation planétaire15. L’attribution du prix
Nobel à deux économistes du développement, Amartya Sen et Joseph Stiglitz, a certainement
contribué au renforcement de la discipline dans les études sur la pauvreté.
De façon paradoxale, les thèses avancées par les nouveaux économistes du développement
sont celles qui critiquent le plus les solutions purement économiques. En attirant l’attention
sur les dimensions politiques, institutionnelles, sociales et culturelles qui conditionnent les
pratiques de développement, ces universitaires sont les relais les plus efficaces de la critique
sociale – alors même que certains d’entre eux sont très loin d’être hostiles aux mécanismes de
marché. Ils sont d’ailleurs largement repris et commentés dans les travaux qui défendent une
approche multidimensionnelle des problèmes de pauvreté16. Dans la nouvelle constellation
des travaux sur le développement, les approches critiques ont contribué au déclassement des
idées néolibérales dans la réflexion sur le développement, à la critique des réponses à
prétention universelle portées par les organisations bureaucratiques et à la meilleure prise en
compte des spécificités des populations concernées par les problèmes de pauvreté. On
abordera successivement ces trois points.
Un premier ensemble d’analyses met en cause les préceptes friedmaniens préconisés
depuis trente ans par les institutions financières internationales. Condamnant les effets
dévastateurs des privatisations et de la déréglementation des marchés sur le revenu moyen
dans les pays du Sud, ces analyses sont favorables au rétablissement de mécanismes de
régulation économique. Elles militent en faveur de la réhabilitation des interventions de l’État,
du développement de services sociaux et de la mise en place d’institutions adaptées aux
structures sociales et économiques propres à chaque pays. Joseph Stiglitz, ancien économiste
en chef de la Banque mondiale, fut l’un des premiers à militer en faveur du rétablissement de
particulièrement utile pour ceux qui participent à la décision publique.
15. Par exemple Mahbub ul Haq, Amartya, Jeffrey Sachs, Joseph Stiglitz, Dani Rodrick, Paul Collier ou William
Easterly.
16. À cet égard, la création de nouveaux indicateurs de développement et de pauvreté est une bonne
illustration des efforts réalisés par les économistes pour repenser le développement selon une perspective qui
tient compte du bien‐être des individus (santé, éducation, droits fondamentaux, intégration sociale, etc.).
14
mesures d’inspiration néokeynésienne dans certains secteurs des économies en
développement (Stiglitz, 2003). Depuis 1999, il attribue l’échec des politiques néolibérales à la
défaillance des mécanismes de marché et au développement de l’économie financiarisée, dont
le seul effet est d’entraîner une volatilité des capitaux et l’absence d’investissements à long
terme dans les pays du Sud. De nombreux exemples africains montrent en effet que les
économies les plus vulnérables ne disposent pas de capacité d’innovation d’une part, et sont
trop dépendantes des marchés financiers et des fluctuations de prix des matières premières
d’autre part, pour supporter l’ouverture de leur marché intérieur aux investissements
étrangers. La libéralisation des échanges s’est souvent accompagnée, de surcroît, d’une
réorganisation de l’économie en fonction des marchés d’exportation, au détriment de
l’économie vivrière (qui est une économie de « subsistance » pour les populations pauvres). À
l’inverse, d’autres pays comme la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, Taiwan ou le Vietnam ont
connu une forte croissance, alors même qu’ils ont largement dérogé aux standards
internationaux par le contrôle des capitaux, l’adoption de législations protégeant les marchés
intérieurs, le maintien d’un secteur public important, le développement de stratégies
industrielles ambitieuses et, enfin, un soutien au secteur agricole par des subventions et des
incitations fiscales.
Les nouveaux économistes du développement – y compris les plus critiques à l’égard de la
Banque mondiale et du FMI – ne condamnent généralement pas le principe de l’économie de
marché. Comme W. Easterly, la plupart sont même favorables à des incitations marchandes,
au renforcement du droit de propriété, à la stabilité monétaire et à la solvabilité budgétaire.
Mais ils insistent tous, désormais, sur la nécessité de combiner le renforcement des marchés
avec l’intervention publique lorsqu’elle est nécessaire, notamment dans les domaines sociaux
(santé, éducation, protection sociale) et dans les secteurs économiques fragiles (notamment
l’agriculture et l’industrie). Cette perspective s’inscrit dans une vision plus large visant à
redonner du poids aux institutions sociales et politiques dans l’élaboration des stratégies
nationales de développement économique. La participation politique, une justice
indépendante, le renforcement des droits du parlement, des administrations transparentes et
méritocratiques, la décentralisation, ou encore le renforcement du rôle de la société civile
sont désormais vus comme des enjeux essentiels pour la sortie de la pauvreté (Sen, 2000a).
Un second ensemble de travaux en économie du développement insistent également sur la
nécessité d’abandonner les « grandes doctrines » et les réponses onesizefitsall qui, au cours
des dernières décennies, ont conduit les institutions internationales à proposer des solutions
« clé en main » aux problèmes de la pauvreté. L’idée que des réponses adaptées aux enjeux de
développement doivent s’appuyer sur une bonne compréhension du contexte économique,
social, religieux, politique et environnemental dans lequel vit chaque population, est
désormais largement partagée par les communautés scientifiques travaillant sur le
développement. Amartya Sen est l’un des premiers économistes à avoir considéré, dans ses
travaux sur la justice et les inégalités, que les stratégies de l’aide internationale devaient être
systématiquement adossées à une réflexion systématique sur l’environnement physique et
socioculturel de chaque pays (Sen, 2000b). Ses travaux n’ont pas été immédiatement
entendus, comme en atteste l’adoption des objectifs du millénaire pour le développement
(OMD) en 2000. Issus d’un groupe de travail dirigé par Jeffrey Sachs, les OMD identifient un
15
nombre limité de buts universels censés répondre à la diversité des causes du sous‐
développement. Ils ont été déclinés, dans les années 2000, en vastes « plans d’action »
élaborés par les experts des bureaucraties multilatérales. De nombreux économistes prennent
aujourd’hui le contre‐pied de cette perspective, arguant la nécessité de partir de la société
locale et d’étudier les besoins spécifiques des individus et des communautés, afin de mettre en
place des réponses appropriées à chaque contexte (Easterly, 2006 ; Rodrik, 2007). Ils
renouent avec des idées et des arguments avancés depuis des années par l’anthropologie du
développement (Schuurman, 1993 ; Olivier de Sardan, 1995), dont les travaux sont en général
largement ignorés par les experts internationaux. Seule une connaissance approfondie des
savoirs locaux, des normes culturelles, des institutions sociales et du rapport des populations
à la technique peut contribuer à la mise en place de programmes efficaces reposant sur
l’adhésion et la participation sociale. À la logique des « planificateurs » intervenant selon une
logique descendante, souligne Easterly, il convient de substituer des analyses de terrain
conduites par les « chercheurs ».
Ce renversement de perspective incite de plus en plus, en troisième lieu, à revoir en
profondeur les façons de penser les problèmes de développement et les méthodes pour
élaborer des stratégies de lutte contre la pauvreté. On identifiera ici trois ensembles d’idées
qui gagnent du terrain dans les études sur le développement. La première invite à prendre en
compte le point de vue des pauvres dans la réflexion sur les problèmes de pauvreté. Cette idée
puise une grande part de son inspiration dans les travaux d’Amartya Sen sur les « capabilités »
(c’est‐à‐dire les capacités réelles qu’ont les individus de réaliser ce qui contribue à leur bien‐
être et à leur épanouissement). La réflexion sur le « développement humain » forgée par le
PNUD au début des années 1990 en fut une première expression. Tout l’intérêt des nouvelles
analyses est de considérer le développement et la pauvreté non pas simplement comme un
fait objectif, mesurable et quantifiable – souvent réduite, dans la pensée utilitariste moderne,
à la possession de biens – mais aussi comme une situation subjective dans laquelle les
sentiments et les perceptions individuelles jouent un rôle décisif.
Ensuite, de nombreux travaux critiques invitent à se détacher de la conception
instrumentale de l’aide qui continue d’inspirer l’intervention de nombreux bailleurs
internationaux. Ces derniers considèrent encore trop souvent que les stratégies d’assistance
internationale peuvent se réduire à l’attribution de financements et à l’apport d’une aide
matérielle ou intellectuelle, en contrepartie des efforts réalisés par les pays en développement
pour réformer leur économie et leurs institutions. Elle tend à dépolitiser les problèmes de
développement et à les réduire à des solutions techniques. Or de nombreux observateurs
soulignent que ces stratégies, menées depuis plusieurs décennies, sont très loin d’avoir réduit
les écarts de pauvreté. Bien au contraire, elles sapent l’épargne, les investissements locaux et
la mise en place de systèmes bancaires autonomes (Moyo, 2009). Elles contribuent à
maintenir les économies en développement dans une situation de dépendance à l’égard de
l’aide élaborée par des institutions internationales en grande partie contrôlées par les pays du
Nord. Pour le dire simplement, l’aide n’est pas la solution à la pauvreté : elle est le problème.
Cette critique a conduit de nombreux spécialistes à défendre une approche des sociétés du
Sud qui tiendrait compte de leurs spécificités sociopolitiques et culturelles. Elle invite à sortir
de la vision ethnocentrique en termes de « pauvreté », de « développement » et de « progrès »
16
– une vision qui justifie l’interventionnisme des grandes puissances économiques et laisse
penser qu’un changement social planifié est possible. Elle encourage à mieux prendre en
compte les visions, les choix et les pratiques portées par les acteurs politiques, sociaux,
professionnels ou communautaires dans les pays du Sud. La critique prend une forme assez
radicale dans les théories dites du « postdéveloppement17 ». Certes, les théories les plus
critiques ne pénètrent pas dans les institutions internationales. Mais l’idée selon laquelle les
stratégies de développement, pour réussir, supposent de s’appuyer sur des projets pensés,
contrôlés et mis en œuvre par les pays du Sud se généralise désormais. La multiplication des
approches participatives associant les organisations de la société civile au cours des
années 1990, puis le soutien accordé par les bailleurs internationaux à l’objectif de
l’appropriation politique dans les années 2000, sont des exemples assez concrets de
l’évolution des représentations guidant les acteurs du développement.
Enfin, depuis quelques années, un nombre croissant d’universitaires en appellent à des
stratégies d’intervention s’appuyant sur l’expérimentation locale. Ils en appellent à la
recherche de solutions inventives autour de projets de taille modeste (Cohen and Easterly,
2009). Ils condamnent les politiques bureaucratiques, élaborées au sommet des
organisations. Ils prennent le contre‐pied des arguments avancés par un grand nombre
d’experts internationaux sur le nécessaire passage de la logique du projet (expérience locale)
à celle du programme (planification nationale pluriannuelle). Le débat a été lancé par de
jeunes économistes (comme A. Banerjee, M. Kremer ou E. Duflo) proposant des méthodes
empiriques permettant de tester l’efficacité concrète de l’aide sur le terrain (Banerjee, 2007).
La démarche suivie par ces chercheurs est innovante dans la mesure où elle s’appuie sur des
tests systématiques à l’échelon local. Elle a ainsi le mérite d’inciter les acteurs du
développement à mieux analyser les besoins concrets des populations. Elle fait toutefois
l’objet de critiques, car son coût financier d’une part, sa difficulté à produire des
connaissances généralisables et transposables d’autre part, rendent son usage difficile par les
acteurs du développement.
L’appropriation incertaine des nouvelles idées par les institutions
internationales
Dans quelle mesure et à quel rythme les acteurs du développement intègrent‐ils les
nouvelles idées circulant dans le champ des development studies ? Les pratiques de travail des
institutions internationales en charge du développement sont‐elles sensibles aux conceptions
qui se diffusent dans les réseaux scientifiques internationaux ? Quel rôle les organisations
multilatérales jouent‐elles dans la production et la propagation de ces nouvelles idées ?
Les institutions internationales ne peuvent ignorer la multiplication des analyses critiques
à l’égard des stratégies globales privilégiées depuis des décennies. Ces dernières années, les
critiques les plus fortes ont concerné les institutions les plus puissantes, qui sont aussi celles
17.
Celles‐ci dénoncent l’aide au développement comme une invention des gouvernements du Nord pour
maintenir les pays du Sud dans une relation de dépendance postcoloniale (Rist, 1996). Elles invitent à tenir
compte des revendications portées par les mouvements sociaux et identitaires pour penser les réponses aux
questions de la pauvreté et des inégalités (Escobar, 1995).
17
qui ont suivi une pente néolibérale assumée : la Banque mondiale et le FMI, auxquels s’ajoute
désormais l’OMC. Tout d’abord, ces institutions sont largement contrôlées par les pays les
plus riches, membres de l’OCDE, alimentant l’hypothèse de la dépendance des pays du Sud à
l’égard des intérêts du Nord. Ensuite, elles ont poursuivi une stratégie mondiale de
libéralisation des marchés et de retrait de l’État jusqu’au milieu des années 2000, en restant
largement sourdes aux critiques sur ses effets pervers en Afrique et en Amérique latine18. Le
système des Nations unies fait également face des critiques récurrentes, tant il est perçu – à
tort ou à raison – comme étant peu efficace, par son organisation et ses modes opératoires,
pour répondre aux défis de la pauvreté. Les critiques relatives à son caractère bureaucratique
n’ont jamais cessé depuis les années 1960. Le système onusien constitue en effet un ensemble
vaste et relativement opaque d’institutions dont le modèle pyramidal et les procédures
complexes peuvent constituer des freins à la mise en œuvre d’actions de développement
souples et inventives. La centralisation des agences onusiennes, leurs méthodes de
programmation pluriannuelle, l’importance accordée au contrôle hiérarchisé, les
cloisonnements entre organisations ou encore les règles de gouvernance interne (qui
confèrent le pouvoir de décision à des États), réduisent leur capacité à s’adapter aux contours
souvent changeants de la pauvreté et de ses enjeux. Surtout, par leur mandat, ces agences ont
vocation à promouvoir des principes universels qui, s’ils apparaissent bien nécessaires du
point de vue moral, empêchent souvent de forger des solutions innovantes sur le terrain.
La diffusion des idées critiques sur les façons d’envisager les stratégies de développement a
poussé la plupart des organisations internationales à faire évoluer leurs pratiques. Ces
évolutions ne sauraient être envisagées comme le résultat d’un rapport de force entre des
communautés d’idées d’un côté et des organisations multilatérales de l’autre. Elles résultent
d’échanges continus entre les experts de ces organisations, ceux des agences de l’aide
bilatérale et des communautés épistémiques formées d’universitaires, de consultants
internationaux, de think tanks influents, d’ONG et d’organisations de la société civile. Ces
évolutions sont également largement liées aux nouvelles attentes des bailleurs de fonds
internationaux. Une analyse approfondie des « transferts d’idées » supposerait de rendre
compte, dans chaque domaine du développement, des jeux d’interaction complexes associant
tous ces acteurs. On présentera ici non pas les processus de circulation des savoirs sur le
développement, mais les efforts réalisés par les organisations multilatérales pour s’adapter
aux nouvelles idées.
Tout d’abord, comme nous l’avons vu plus haut, ces organisations se sont récemment
engagées à « aligner » leurs activités sur les priorités et les mécanismes adoptés au niveau de
chaque pays, dans le but d’adapter les programmes d’aide aux spécificités socio‐économiques
et institutionnelles des pays du Sud. Cette évolution suppose que les gouvernements
18.
Certes, la Banque mondiale a modifié sa stratégie à la fin des années 1990, complétant sa politique de
conditionnalité par de nouvelles préconisations dans le domaine social et en insistant sur la nécessité de
concevoir des programmes de réforme adaptés à chaque pays et coordonnés par les autorités politiques
nationales. Mais elle n’a jamais procédé à un aggiornamento de sa stratégie. Les économistes les plus critiques à
l’égard de ses méthodes ont démissionné (Stiglitz en 1999) ou ont été renvoyés (Easterly en 2001). La Banque
n’a commencé à infléchir ses positions qu’à partir de 2005. Dans son rapport de 2007, elle reconnaissait, pour la
première fois, la nécessité de protéger les capacités institutionnelles de l’État dans le secteur de l’agriculture.
18
nationaux s’approprient effectivement les stratégies de développement. Il implique également
qu’une part importante de l’aide technique soit consacrée au développement des capacités
des institutions nationales et locales.
Ensuite, certains mécanismes d’intervention multilatérale, créés récemment en dehors du
système des Nations unies, tendent à délaisser les stratégies globales de lutte contre la
pauvreté pour se concentrer sur des projets présentés par les acteurs locaux du
développement, sélectionnés au cas par cas, et dont l’efficacité est régulièrement évaluée.
C’est le cas, par exemple, des nouveaux fonds multilatéraux constitués pour financer des
activités de développement19. Ces fonds financent uniquement des projets élaborés à
l’échelon local ou national pour des activités ciblées. Les mécanismes de contrôle et
d’évaluation des projets sont également beaucoup plus stricts que pour les activités soutenues
par les organisations multilatérales classiques, puisque les techniques de décaissement
financier prévoient des versements de fonds par « tranches », ce qui nécessite, pour les
bénéficiaires, de justifier, à chaque étape intermédiaire, la réalisation des objectifs définis
dans le projet.
Enfin, depuis une quinzaine d’années, les organisations internationales ont réalisé des
efforts pour améliorer leurs outils d’analyse, de programmation et de pilotage des
programmes, afin de mieux intégrer les dimensions sociales de la pauvreté. Elles ont engagé
une réflexion sans précédent sur les indicateurs de mesure de la pauvreté (Gadrey et Jany‐
Catrice, 2007). Plusieurs organisations ont ainsi renouvelé leur stratégie et leurs objectifs, en
privilégiant des analyses multidimensionnelles qui tiennent compte des composantes variées
et interdépendantes de la pauvreté d’une part20 (la satisfaction des besoins fondamentaux, les
discriminations et l’exclusion sociale, les inégalités sexuelles, le niveau de participation
sociale, la détérioration de l’environnement), et des spécificités des conditions de pauvreté
d’un pays à l’autre d’autre part21. Elles financent également des analyses recourant à des
méthodes d’enquête qualitative conduites au niveau des pays. Elles ont de surcroît mis en
place des procédures de travail plus ouvertes et plus participatives. Depuis les années 1990,
en effet, la production des savoirs sur la pauvreté s’appuie de plus en plus sur des
partenariats de travail associant des acteurs non étatiques. Toutes les organisations
internationales ont mis en place des groupes de travail associant des organisations de la
société civile et des ONG – y compris les institutions financières et des organisations qui, par
leur mandat, sont les moins disposées à coopérer avec les acteurs non étatiques22. On voit se
multiplier, depuis une quinzaine d’années, des instances de travail dans lesquelles les ONG
jouent un rôle important, prolongeant ainsi le modèle du Comité des ONG créé en 1946 par le
19.
Ces fonds ont été développés dans trois domaines principaux (environnement, santé et réduction de la
pauvreté). On peut citer, parmi les plus importants, le Fonds pour l’environnement mondial, le Fonds mondial de
lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ou la Facilité de financement internationale.
20. C’est le PNUD qui a le premier lancé, en 1990, un indicateur de développement humain (IDH) croisant trois
mesures : l’éducation, la santé et le niveau de vie (mesurés par le niveau d’instruction, l’espérance de vie à la
naissance et le PIB par habitant).
21. Comme l’indicateur de pauvreté humaine (IPH) qui recourt à des critères différents selon les pays étudiés,
en fonction de leur niveau de développement.
22. Par exemple les organisations dédiées à la lutte contre les trafics internationaux, les activités criminelles et
19
Conseil économique et social des Nations unies23. Les organisations de la société civile ont
bien compris, d’ailleurs, l’intérêt de participer au travail des institutions multilatérales. Si
certaines continuent de privilégier des répertoires d’action militants et des modes d’action
protestataires, beaucoup font désormais le choix de recourir aux méthodes du lobbying et à
des partenariats techniques pour peser sur l’adoption des normes internationales24.
Au niveau des pays, les organisations internationales cherchent de plus en plus à associer
les populations destinataires de l’aide à la définition des stratégies. Dès les années 1990,
l’expérimentation d’« évaluations rurales participatives » permettait d’introduire des
éléments d’innovation dans les méthodologies d’enquête par la collecte d’informations
provenant des populations locales. Elle servit de base, à la fin des années 1990, à la diffusion
de « méthodes d’analyse contextuelle » et au recours à des « évaluations participatives de la
pauvreté », mises en œuvre avec le soutien d’ONG25. Le propre de ces outils est non seulement
d’associer les populations à la procédure d’évaluation des politiques d’aide, mais de les
impliquer dans l’élaboration des projets locaux, en intégrant des dimensions sociales et
psychologiques généralement absentes des analyses économiques du développement. Au
niveau national, la préparation des documents stratégiques de réduction de la pauvreté
repose désormais sur des méthodes participatives, puisqu’elles associent systématiquement
des « parties prenantes » (c’est‐à‐dire des acteurs de la société) à la réflexion sur les objectifs
et les stratégies de développement.
La diffusion de ces nouvelles idées dans les organisations multilatérales en charge de l’aide
demeure toutefois lente, inégale et incomplète. Les mécanismes d’intervention restent loin
d’être satisfaisants. Les efforts pour introduire une « culture de la participation » se heurtent
en effet à un certain nombre d’obstacles. Tout d’abord, les changements de comportement
restent limités, tant la « culture de l’assistance » reste forte du côté des experts internationaux
comme du côté des destinataires. Ensuite, les expériences participatives restent souvent
inabouties dans les sociétés locales fortement hiérarchisées où il n’existe pas de
représentation pluraliste des intérêts sociaux. Il n’est pas rare, en effet, que les élites sociales
se posent en intermédiaires obligés et s’accaparent les positions permettant de représenter
des intérêts locaux auprès des organismes internationaux. En développant des « stratégies
d’extraversion » leur permettant de capter les ressources générées par la relation avec les
acteurs internationaux, ces élites confirment leur position sociale dominante et empêchent les
populations locales de s’approprier les dispositifs participatifs. Enfin, l’idée de la
le terrorisme.
23. Le programme Onusida est un exemple significatif de cette évolution. Il est la première entité onusienne
dont les statuts constitutifs (1994) prévoient la présence d’organisations de la société civile dans son conseil
exécutif.
24. La participation des représentants des peuples autochtones à des forums de discussion multilatéraux,
depuis 1982, est particulièrement révélatrice du double processus d’ouverture des institutions onusiennes aux
organisations non étatiques (notamment avec la création en 2000 d’une Instance permanente sur les questions
autochtones) et de professionnalisation croissante des représentants de la société civile dans les arènes
multilatérales (Bellier, 2007).
25. Ces évaluations cherchent à tenir compte de l’inscription des individus dans leur environnement social, en
particulier dans le contexte familial et/ou communautaire. Elles font de l’exclusion sociale et des discriminations
des éléments particulièrement importants pour l’analyse de la pauvreté.
20
« participation » est déclinée de multiples manières par les organisations internationales. Elle
ne débouche pas toujours sur des dispositifs ouverts et accessibles aux populations
destinataires. Dans le domaine du montage de projets, par exemple, les procédures imposées
par les bailleurs de fonds internationaux restent souvent très complexes. Les acteurs locaux
doivent alors faire appel à des experts internationaux pour élaborer des projets et, ainsi,
espérer obtenir une aide. Ils doivent également se plier à des contraintes lourdes en termes de
contrôle, ce qui est légitime du point de vue du bailleur, mais alourdit considérablement les
procédures et peut décourager les demandes locales.
Quant à l’expérimentation de l’efficacité de l’aide au niveau local, elle suppose la possibilité
de mettre en place des analyses monographiques et longitudinales qui requièrent un temps
d’observation relativement long, suivi par des études comparatives. Or ce type d’analyse entre
difficilement dans les cycles de travail des organisations internationales. Celles‐ci doivent
régulièrement rendre des comptes à leurs bailleurs de fonds, en leur communiquant des
résultats chiffrés relatifs à des programmes conduits à des échelles nationales ou
internationales. Elles préfèrent, pour cela, financer des évaluations standardisées dont la
qualité est discutable, plutôt que de conduire des études expérimentales localisées.
L’évaluation, telle qu’elle est pratiquée dans les organisations internationales, porte ainsi plus
sur les processus d’action publique que sur les résultats effectifs des pratiques de
développement. Elle s’intéresse plus à l’« efficience » des organisations (les politiques sont‐
elles mises en place selon des procédures standardisées dont le coût est acceptable pour les
organisations ?) qu’à l’« efficacité » des projets (les politiques permettent‐elles de réduire la
pauvreté et d’améliorer le bien‐être des populations ?). Quant aux travaux de recherche
financés par les organisations internationales, ils privilégient le plus souvent l’agrégation des
données à l’échelle nationale, régionale ou globale, faute de pouvoir produire des chiffres
fiables au niveau des districts et des villages. Enfin, les organisations continuent encore, au
début des années 2010, à diffuser des « bonnes pratiques » dont tous les chercheurs
s’accordent à reconnaître les faiblesses, tant la démarche laisse supposer le caractère
transposable des normes d’action publique d’un pays à l’autre, et permet difficilement
d’expérimenter les solutions innovantes qui peuvent émerger au niveau des communautés, à
l’initiative des acteurs socioculturels et institutionnels locaux.
Conclusion
Le champ du développement est marqué par un contraste saisissant entre le mouvement
incessant des idées et l’inertie des formes d’intervention publique. D’un côté, les controverses
intellectuelles alimentent la réflexion sur les pratiques du développement. Les échecs des
politiques d’aide menées depuis un demi‐siècle justifient amplement l’abandon des solutions
universelles au profit de méthodes expérimentales associant les populations destinataires à
l’identification des besoins et à la définition des actions. De l’autre, les institutions
internationales et les bailleurs de fonds traditionnels, malgré la réforme continue des
mécanismes de l’aide, ne parviennent pas encore à forger des réponses souples et innovantes
aux problèmes de la pauvreté. Ils sont aujourd’hui tenus de redéfinir leurs rôles, de revoir
21
leurs stratégies et de réformer leurs pratiques. Leur légitimité dépend désormais de leur
capacité à s’insérer dans un système international de l’aide plus ouvert et plus complexe, où
ils ne jouent plus forcément un rôle d’aiguillon, mais où ils coproduisent les réponses
institutionnelles en partenariat avec l’ensemble des nouveaux acteurs de l’aide (pays
émergents, ONG, fondations, associations et mouvements de la société civile, entreprises,
groupes d’experts, bureaux de conseils, think tanks, etc.), présents à tous les niveaux des
politiques d’aide (financement, production/circulation des idées, assistance technique,
activités opérationnelles). Cette exposition plus grande à un marché du développement
caractérisé par la diversification des acteurs et l’instabilité des règles est sans doute
aujourd’hui le plus puissant moteur de la réforme des pratiques de l’aide internationale.
22
Références bibliographiques
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24
Pour approfondir
Les études sur le développement constituent un champ de recherche en sciences humaines
et sociales particulièrement bien structuré dans les pays de langue anglaise, en particulier en
Grande‐Bretagne. C’est là qu’y sont publiés les principaux ouvrages de synthèse sur les
politiques et les pratiques du développement, comme ceux de Haynes (2008), de Potter et al.
(2008) ou de Potter et Desai (2008), ainsi que les livres plus critiques de Kothari (2005) et de
McCann et McCloskey (2009). De nombreuses revues scientifiques pluridisciplinaires sont
également accessibles, parmi lesquelles Journal of Development Studies, World Development,
Journal of International Development, Development and Change, Community Development
Journal, Studies in Comparative International Development et Journal of Human Development
and Capabilities. En français, les ouvrages de Vivien (2005), Zacharie (2010) et Sévérino et
Debras (2010) proposent des analyses actualisées. Assidon (2002) et Brasseul (2008) offrent
un panorama des travaux publiés en économie du développement, tandis que Mancébo
(2008) et Brunel (2009) sont les auteurs d’essais critiques sur le développement durable. Sur
l’aide publique française, on pourra consulter l’ouvrage de Charnoz et Sévérino (2007). Sur les
nouvelles approches économiques, on lira avec intérêt Duflo (2010). Le Groupement d’étude
sur la mondialisation et le développement (Gemdev), quant à lui, a publié depuis 1984 un
large éventail d’articles de sciences sociales sur le développement. Enfin, quatre revues
spécialisées proposent des articles en français : Mondes en développement, Revue Tiers Monde,
Revue d’économie du développement et Revue canadienne d’études du développement (bilingue).
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