Academia.eduAcademia.edu

Le donjon de Pierre-Percée (XIIIe siècle)

2018, HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe)

Ouvrage publié avec le soutien : de l'hiscant-Ma-EA 1132 de l'université de Lorraine de la drac grand est et de l'association nord-est archéologie Pun-éditions universitaires de Lorraine

Présentation de l'interVention archéologique

Les conditions de l'opération

L'intervention sur le site s'est déroulée en mai 2011 avec le concours de cinq étudiants. Il a été autorisé par le Service Régional de l'Archéologie et par les propriétaires des lieux, la mairie de Pierre-Percée et l'ONF.

analyse du bâti

Le donjon de Pierre-Percée est un rectangle de 8 x 7,60 m de côté. Les murs présentent une épaisseur qui varie de 1,75 à 2,15 m, offrant un espace intérieur Le bossage des pierres de la 19 e assise a été totalement bûché. Nous estimons que cette adaptation fonctionne avec la création de l'ouverture de l'enceinte accolée au donjon. Il s'agit certainement d'un niveau de plancher. Le bossage a été retaillé afin de ne pas entraver le placement des poutres et du plancher sans laisser de vide trop important.

De la 27 e à la 33 e assise, les pierres de l'angle sud-est ne présentent pas de bossage. Les modules ne présentent pas de stigmates laissant croire à un bûchage postérieur à la pose. Ces lits de pierres sans bossage se poursuivent sur la façade sud. Les marques d'outils, fort différentes de celles retrouvées sur l'assise 19, laissent penser qu'il s'agit d'un acte volontaire dès le chantier de construction, afin de ne pas entraver l'apport de lumière dans le bâtiment.

Le sommet de cette élévation est couronné de cinq assises sans bossage, qui sont le fruit de restaurations contemporaines.

La façade est également maintenue par plusieurs tirants métalliques, deux longues agrafes et deux tirants enserrant la totalité de la face. On observe en effet une brèche non loin de l'angle sud-est qui a été colmatée depuis.

L'élévation orientale

C'est l'élévation la mieux conservée du donjon ( fig. 3). Elle est conservée sur une hauteur de 14,35 m et est longue de 7,60 m. Une fenêtre en plein cintre très étroite s'ouvre sur le deuxième étage, et une brèche tardive permet l'accès au rez-de-chaussée. À partir de la onzième assise, on remarque sur la gauche que le parement est dépourvu de bossage sur cinq assises. L'examen des pierres semble indiquer que le bossage a été bûché ultérieurement. Des traces de pics ou broche sont bien perceptibles et un léger bombement, issu du bossage originel, apparaît encore furtivement. Il semble que cette transformation résulte de l'installation d'une fenêtre ou d'une ouverture de tir, dans l'enceinte accolée au donjon, dans l'angle formé avec celui-ci. Les trous de poutres inférieurs semblent indiquer que l'on accédait à cette ouverture par paliers.

Figure 3

Élévation est (cliché C. Moulis).

L'élévation sud

Elle a une hauteur de 13,90 m. La seule ouverture encore décelable sur cette façade est la porte d'entrée de l'édifice, qui offre un accès direct au second étage. Elle couvre la hauteur de sept assises. À sa droite, le parement en direction de l'angle sud-est est constitué de pierres sans bossage. Cette donnée est à corréler avec un trou de poutre dans l'assise inférieure qui peut correspondre à un niveau de plancher. Nous imaginons donc une coursive en bois le long du mur qui, depuis l'enceinte castrale, mène à la porte du donjon ( fig. 4).

Figure 4

Porte d'entrée donnant au 2 e étage (cliché C. Moulis).

La porte présente un jambage de cinq assises. Elle est voûtée d'un arc en plein cintre, dont il ne reste plus que deux voussoirs. Deux boulins façonnés d'angle ont également pu supporter par la suite un porche au-dessus de la porte.

Il est possible qu'une fenêtre se situât à gauche de la porte. L'effondrement de l'angle sud-ouest ne permet plus de le vérifier, mais son effondrement pourrait être lié à la concentration d'ouvertures à cet endroit.

L'élévation ouest

Elle fait face à la seconde basse-cour du château, en direction de l'éperon rocheux sur lequel il est installé. Fortement dégradée, elle ne mesure plus que 9,35 m à l'extérieur et devait posséder une fenêtre identique à celle de la façade est. L'état de conservation de la ruine permet cette hypothèse.

L'élévation nord

Cette face est longue de 8,05 m et haute de 12,55 m. Elle reste difficilement observable à cause de l'étroitesse du socle rocheux à cet endroit et de la densité de la végétation arbustive. Une fenêtre était peut-être située au même niveau que celle de la face est. C'est du moins ce que l'allure de la ruine semble suggérer. Ainsi, les quatre pans du mur pouvaient comporter une fenêtre au second étage.

Le parement interne

526

Cette analyse démontre que l'utilisation de ce donjon s'oriente vers la fonction de stockage et de retrait provisoire en cas de conflit. Son exiguïté et les niveaux aveugles permettent de le faire entrer dans la catégorie des Bergfried, donjon-refuges qui sont légion sur le versant alsacien du massif vosgien. Nous sommes en présence d'un bâtiment à l'allure austère.

aPPort d'autres données

Les croquis de dom Pelletier de 1755

Les originaux sont conservés à la bibliothèque municipale de Nancy. Ces documents offrent une vision spectaculaire du site, une bonne partie des élévations des tours et des courtines du château étant encore bien visibles à cette époque. On remarque d'emblée que le donjon n'était pas partie prenante de l'enceinte. Il est entièrement ceint par celle-ci, ce qui peut expliquer l'ab-

Les sépias de 1829

Ces deux sépias, également conservées à la bibliothèque municipale de Nancy, ont été réalisés en 1829. Elles apportent quelques informations intéressantes pour notre propos. La vue d'ensemble du site reproduit la face sud du donjon ( fig. 9). Nous y distinguons clairement la porte d'entrée du second étage. L'angle sud-ouest n'est pas encore effondré, mais aucune autre ouverture n'est décelable. Par contre, le dessinateur a représenté deux points noirs, plus haut que la porte, à gauche de celle-ci. Il est difficile de savoir s'il a voulu dessiner deux brèches ou la végétation couvrant le bâtiment. En tout cas, l'ouverture assez nettement dessinée par Pelletier au-dessus de la porte, si tant est qu'elle ait existé, n'apparaît plus sur la sépia.

Figure 9

Sépia de 1829. Vue sud du château (BM Nancy, fonds iconographique lorrain).

La seconde sépia a été exécutée depuis le nord et présente donc la face opposée ( fig. 10). On y distingue très nettement la fenêtre déjà observée sur le croquis nord de 1755. Les perspectives de ce dessin sont quelque peu déformées. En effet, on réussit à voir également sur le mur sud une ouverture, qui s'apparente à une fenêtre par sa taille. Mais elle n'a pas été représentée sur la sépia réa-lisée depuis le sud ; il doit donc s'agir d'une torsion de la perspective, le dessinateur ayant voulu représenter la porte d'entrée depuis cet angle de vue.

Figure 10

Sépia de 1829. Vue nord du donjon (BM Nancy, fonds iconographique lorrain).

Sur les deux documents, le parement n'est pas représenté de façon réaliste. Les deux croquis et les sépias montrent la rapide dégradation du château de Pierre-Percée entre 1755 et 1829.

Les cartes postales du début du xx e siècle

Quelques photos et cartes postales, parues au début du xx e siècle dans un intervalle de temps très court, permettent d'approfondir nos connaissances sur la porte d'entrée ( fig. 11). L'une d'elles nous montre ainsi l'ensemble du vestibule en quasi complète élévation. On remarque que celui-ci était voûté de blocs de grès réguliers, à l'image du départ d'arc en parement encore visible de nos jours. On n'en devine que le départ, le sommet de la voûte en plein cintre étant arraché. Son parement est encore intact.

Figure 11

5. Rudrauf 2001, p. 5-38.

archéologie du chantier laPidaire

choix, extraction et approvisionnement

Choix des matériaux

L'omniprésence du grès dans le secteur de Pierre-Percée a laissé peu de place à la fantaisie sur le choix des matériaux. L'ensemble du bâtiment est constitué de pierres de grès rose à grain moyen à fin, présentant quelques petits galets. Elles proviennent des couches du Grès vosgien (Buntsandstein moyen). Celui-ci semble être le plus propice à la construction.

La roche carbonatée (calcaire ou dolomie) retrouvée dans le blocage est vraisemblablement identique à celle utilisée pour la fabrication de la chaux. Les affleurements de calcaire les plus proches sont situés à 7 km à vol d'oiseau en direction du nord-ouest, le long du versant exposé sud du vallon entre Saint-Maurice-aux-Forges et Montreux. Ils correspondent au Calcaire à entroques et au Calcaire à cératites du Muschelkalk. Mais il est également intéressant de noter qu'au sommet du conglomérat gréseux peuvent exister des lentilles dolomitiques. Les fragments retrouvés dans le blocage, probables résidus d'une cuisson incomplète pour la production de la chaux, pourraient provenir de cette dolomie peu éloignée. Nous n'avons toutefois pas repéré d'affleurement dolomitique à proximité du site.

528

La carrière

Aucun banc rocheux n'ayant conservé de traces évidentes d'extraction, nous ne pouvons déterminer l'origine exacte du grès utilisé. Deux sources d'approvisionnement possibles se distinguent toutefois.

Le matériau principal employé dans la construction du donjon est un grès rose fin, présentant quelques petits galets, qui ne semble pas provenir de l'exploitation de la table rocheuse, où l'on retrouve essentiellement du poudingue. Les matériaux gréseux utilisés proviennent toutefois très vraisemblablement des environs immédiats de la table supportant le château, et plus précisément de l'extrémité sud-ouest du promontoire et / ou de l'ancienne carrière occupée par le cimetière, qui est déjà dans le Grès vosgien. En effet, le Conglomérat principal ne dépasse guère une quinzaine de mètres d'épaisseur dans ce secteur. L'exploitation de lentilles gréseuses dans le conglomérat semble bien peu rentable.

Acheminement sur le chantier

L'hypothèse la plus probable étant un approvisionnement depuis le contrebas du site, l'acheminement n'a posé que peu de problèmes. Seule la fourniture du calcaire, s'il provient bien de plus loin, a nécessité une logistique plus importante.

Travail de la pierre

Traces d'outils

Modules

Une étude statistique a pu être menée uniquement sur l'ensemble de l'élévation est. Elle est composée de 493 pierres réparties sur 39 assises ( fig. 12). Leur hauteur varie de 20 à 46 cm (moyenne 33 cm), leur longueur de 14 à 114 cm (moyenne 54 cm). La superficie des pierres des parements évolue dans une fourchette allant de 462 à 3960 cm 2 (moyenne 1766 cm 2 ). Le ratio hauteur / longueur des pierres est toujours compris entre 0,287 et 1,706 (moyenne 0,666).

Figure 12

Hauteur des pierres par assises de l'élévation extérieure est (graphique C. Moulis).

Le parement intérieur est composé de modules plus petits ( fig. 13). Si les premières assises rivalisent en taille avec celles de l'extérieur, on remarque très rapidement une diminution des hauteurs d'assises, qui se stabilise autour de 27-28 cm. L'assise n°8 se distingue par sa hauteur (36 cm en moyenne). Elle se situe juste en dessous du premier niveau de plancher et semble destinée à récupérer la hauteur du parement extérieur. La valeur se réduit ensuite pour retrouver une importance soudaine au-delà du second niveau de plancher, pour les assises 32 à 34. Ces trois assises correspondent à l'élévation des fenêtres.

Figure 13

l'élévation. On remarque également que les hauteurs d'assises fluctuent assez régulièrement. À une assise de 33-40 cm succède la plupart du temps une assise de 25 à 30 cm.

Il a été possible de mesurer les trois dimensions de 32 pierres. Malgré cet échantillonnage relativement faible, on peut affirmer que leur poids varie de 20 à 400 kg. Il dépasse dans une grande majorité des cas les 100 kg, ce qui implique une manutention par au moins deux personnes et l'utilisation d'engins de levage pour acheminer les pierres. On remarque une nette différence entre les modules utilisés pour le parement extérieur et ceux employés dans les parements internes. Cela montre bien la logique de construction du bâtiment : les gros modules sont placés en extérieur pour parer aux mouvements des maçonneries, alors qu'à l'intérieur, le rôle architectonique étant moindre, on peut donc utiliser des modules plus petits et plus maniables. en oeuvre (fig. 14 et 15)

Figure 14

Élévations extérieures du donjon (cliché C. Moulis ; redressement photo V. Muller ; relevé M. Nique ; DAO E. Henry et C. Moulis).

Mise

Fondations

En plusieurs endroits, l'affleurement rocheux a permis d'observer les premières assises de pierres sans procéder à des fouilles. La table rocheuse semble avoir été légèrement retaillée afin d'accueillir les modules des premières assises. Ceux-ci sont soit très gros, soit petits, permettant, selon les besoins, de donner une base saine à la construction ou de permettre la mise à niveau rendue plus compliquée par les imperfections du rocher. Un larmier court sur l'ensemble du pourtour du donjon et correspond à la quatrième assise de pierres. Nous pouvons le définir comme la limite de fondation de l'édifice. Outre l'effet esthétique qu'il offre, il marque également le passage à des modules plus réguliers.

Assemblage des pierres

L'ensemble de l'édifice est constitué de pierres posées en lits réguliers. On ne dénombre que de très rares entorses à cette organisation, la plupart correspondant à des ajustements liés aux chaînes d'angle ou à la couture d'une assise faisant le tour du bâtiment. C'est à gauche de la porte d'entrée que se remarquent les ajustements les plus nombreux. La porte a donc été réalisée sans qu'elle commande ensuite la disposition du parement. On retrouve un peu le même cas de figure autour de la fenêtre de la face est, qui n'influence pas les hauteurs d'assises, hormis celle de la base de la l'ouverture.

L'analyse du parement de l'élévation extérieure orientale montre que les modules employés dans les parties basses du donjon sont plus rectangulaires. Le ratio ne dépasse qu'une fois la valeur 0,600. À partir de la dixième assise, le ratio ne descend jamais en deçà de 0,500 et approche même quelquefois la valeur 1, soit des pierres tendant vers le carré. La surface moyenne des pierres du parement par assise diminue faiblement plus 530 Nous pouvons estimer que les assises les moins hautes servent à régler la maçonnerie, tant en horizontalité qu'en verticalité. Cela se vérifie lorsque l'on superpose les parements intérieurs et extérieurs. Le plus souvent, les assises intérieures s'alignent aux assises extérieures en résonance 2:3 (2 assises extérieures pour trois intérieures) 6 . Des résonances plus complexes ne sont toutefois pas rares (3:4, jusqu'à 6:7) ; cela correspond donc à des niveaux de réglage. On remarque que les résonances les plus complexes se produisent généralement après l'installation d'un niveau de plancher. On peut donc en déduire que dans ces circonstances là, les maçons ne recherchent plus forcément l'horizontalité parfaite sur toute l'épaisseur du mur, car la circulation des personnes et des matériaux peut se faire depuis le niveau de plancher et non plus uniquement depuis l'épaisseur des maçonneries. Ces remarques ne sont toutefois que des tendances générales observées, qui ne peuvent s'appliquer de manière systématique à l'ensemble de l'édifice.

Les restaurations du siècle dernier ne nous ont pas permis d'observer en détail le blocage des murs. Puisqu'une résonance entre les parements intérieurs et extérieurs a pu être démontrée, nous supposons que ce blocage est essentiellement constitué de pierres posées à plat et respectant la plupart du temps les hauteurs d'assises des parements.

Les liants

Les maçonneries du donjon sont liées avec un mortier de chaux. Celui-ci est décelable en macroscopie sous forme de nodules dont la taille moyenne avoisine les 3 mm. Le granulat est composé de sable de grès rose dont le quartz apparaît nettement à la binoculaire. Quelques galets sont également pris dans ce mortier, uniquement dans le blocage, car les joints des parements sont extrêmement fins.

531

La présence de quelques pierres calcaires (ou dolomitiques) disposées dans le blocage des murs laisse penser que la fabrication de la chaux se faisait directement sur le chantier. Sans cela, on comprend mal l'acheminement de ces pierres depuis un secteur relativement éloigné pour servir simplement et parcimonieusement de blocage. Les nodules présents dans le mortier montrent que le gâchage a été mal effectué, ce que qui renforce l'idée d'un travail réalisé par des personnes sans réelles connaissances dans ce domaine, ou bien encore d'un chantier conduit précipitamment.

Nous n'avons pas recensé de mortier autre que celui d'origine. Deux ciments ont pu être mis en évidence : celui pour le rejointoiement, celui utilisé pour le montage des maçonneries consolidant la ruine. Le premier est posé au xx e siècle et est essentiellement destiné au rejointoiement et au colmatage des brèches les plus importantes. Sur le parement extérieur, les joints de ciment sont beurrés et tracés au fer. À l'intérieur, selon les endroits, les jointsciments sont soit beurrés, soit rentrants. Une pièce de 25 centimes du Royaume de Belgique datée de 1922 retrouvée prise dans le ciment à l'intersection des parements intérieurs est et sud permet de poser un terminus post quem.