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Revue Réflexions Juridiques Africaines, Vol.1, N°3

2023, RJA

La Revue Réflexions Juridiques Africaines, en sigle « RJA » a été créée, en date du 10 janvier 2023, sous l’initiative de Maître Hubert Kalukanda Mashata, en sa qualité de Directeur Général des Éditions Hubert Kalukanda. La RJA est une revue enregistrée sous N°MIN.RSIT/SG/182/152/2023 du Ministère de la recherche scientifique et innovation technologique de la République Démocratique du Congo. Ce troisième numéro fait suite à son premier et deuxième du volume 1 protégé par les éléments ci-après : •Dépôt légal : 8.20.2023.80, 3eme Trimestre 2023 ; •ISSN : 2960-0693 (En ligne) ; •ISSN : 2960-0685 (Imprimé). La revue est publiée en version imprimée et, est mise en ligne sur son portail : www.ehk-editions.com. La RJA est un espace de publication bilingue (français et anglais) à la fois rigoureux et accessible, offrant aux chercheurs et penseurs du droit et de l’interdisciplinarité une visibilité essentielle à leur développement personnel, professionnel et académique. Elle offre à ses auteur(es) un excellent rayonnement puisque son contenu est diffusé et distribué en format papier et en format électronique. La qualité de ses publications est due à la rigueur dans les évaluations par les professeurs, les experts et les chercheurs de haute qualité scientifique tant nationaux qu’internationaux, des textes qui lui sont soumis. La vision est d’être un espace de publication fiable et régulière pour le rayonnement de ses auteur.es qui sont des chercheur.es de différentes universités nationales, africaines et internationales. La Revue espère ainsi inspirer des vocations, mais aussi à sensibiliser les chercheurs (du circuit universitaires ou non) de la République Démocratique du Congo (RDC) et du monde entier à l’importance de la doctrine, pierre angulaire et source fondamentale en droit, ainsi qu’à la manière dont elle se construit. La doctrine et la jurisprudence étant des sources évolutives et dynamiques de droit. Éditée par les Éditions Hubert Kalukanda, la RJA est ouverte aux établissements universitaires, institutions, organismes ou associations, congolais ou étrangers, qui apporteraient leur concours scientifique et/ou financier.

REFLEXIONS JURIDIQUES AFRICAINES Fondée à Lubumbashi, en date du 10 janvier 2023 Par : Maître Hubert KALUKANDA MASHATA Présentation de la Revue et normes de publication La Revue Réflexions Juridiques A fricaines, en sigle « RJA » a été créée, en date du 10 janvier 2023, sous l’initiative de Maître Hubert Kalukanda Mashata, en sa qualité de Directeur Général des Éditions Hubert Kalukanda. La RJA est une revue indexée et enregistrée sous N°MIN.RSIT/SG/182/152/2023 au Ministère de la recherche scientifique et innovation technologique de la République Démocratique du Congo. RJA est une revue scientifique, version papier et électronique, axée sur la diffusion de la recherche en droit et en interdisciplinarité. Elle est un espace de publication bilingue (français et anglais) à la fois rigoureux et accessible, offrant aux chercheurs et penseurs du droit et de l’interdisciplinarité une visibilité essentielle à leur développement personnel, professionnel et académique. Elle offre à ses auteur(es) un excellent rayonnement puisque son contenu est diffusé et distribué en format papier et en format électronique sur son site internet et autres plateformes. La La qualité de ses publications est due à la rigueur dans les évaluations par les professeurs, les experts et les chercheurs de haute qualité scientifique tant nationaux qu’internationaux, des textes qui lui sont soumis. La vision est d’être un espace de publication fiable et régulière pour le rayonnement de ses auteur.es qui sont des chercheur.es de différentes universités nationales, africaines et internationales. La Revue espère ainsi inspirer des vocations, mais aussi à sensibiliser les chercheurs (du circuit universitaire ou non) de la République Démocratique du Congo (RDC) et du monde entier à l’importance de la doctrine, pierre angulaire et source fondamentale en droit, ainsi qu’à la manière dont elle se construit. La doctrine et la jurisprudence étant des sources évolutives et dynamiques de droit. Éditée par les Éditions Hubert Kalukanda, en sigle « E.H.K », la RJA est ouverte aux établissements universitaires, institutions, organismes ou associations, congolais ou étrangers, qui apporteraient leur concours scientifique et/ou financier. La RJA reçoit régulièrement des propositions d’articles, des recensions et de commentaires de décisions judiciaires qui apportent une contribution majeure de style universitaire sur le droit et sur des thèmes d’autres disciplines ayant de rapports étroits avec le droit. La Revue accepte également les études des cas sur des questions d’actualité nationale et internationale traitées ou développées dans le contexte juridique, des actes des conférences et ceux des journées scientifiques (en forme d’articles). En ce qui concerne la méthodologie et conformément à son objet, les contributions adoptant une approche multidisciplinaire et empirique sont fortement encouragées. Quelles sont les lignes directrices et les normes de rédaction des textes soumis à la publication. Normes de soumission Les normes de soumission et de présentation matérielle des manuscrits doivent respecter les lignes directrices ci-après : 1. Format : La Revue n’accepte aucun manuscrit soumis dans un format autre que MS Word. 2. Limite. La Revue invite les auteur (es) à limiter la longueur de leur s textes à envir on 25 pages maximum, incluant les notes en bas de pages. Les textes dont la longueur dépasse excessivement cette limite pourraient ne pas être considérés pour publication. 3. Mise en page. La mise en page des manuscr its doit êtr e au for mat A4 et à inter ligne 1.5, taille 12, police Time New Roman. 4. Notes en bas de pages et références. En vue d’uniformiser, de standardiser la présentation des contributions et d’en faciliter l’édition, toutes les références sont situées en bas de page. Il n’est pas nécessaire d’inscrire la bibliographie in fine si le texte risque de dépasser la limite de pagination ci-dessus fixée. De même, les modes de styles, de rédaction et de références doivent être conformes aux règles développées dans le « Guide Kandolo. Mé- thodes et règles de rédaction d’un travail de recherche en droit », ouvrage paru aux Éditions Universitaires Européennes, en janvier 2018. Les membres du Comité de rédaction s’occupent de l’uniformisation de la présentation des notes de bas de page au cas où l’auteur.e n’est pas parvenu.e à se conformer aux règles de présentation matérielle, de style de citations et de rédactions décrites dans le Guide précité. 5. Prénoms, noms et fonctions de l’auteur(e). Les auteur (es) indiquent en bas de page leur s fonctions, leur s diplômes ou tout autr e r enseignement per tinent dont ils veulent faire apparaître en utilisant l’astérisque après leurs identités. 6. Résumé, mots-clés et sommaire. Les manuscr its doivent êtr e accompagnés d’un résumé, en français et anglais, d’un seul paragraphe ne dépassant pas 250 mots (10 lignes au maximum), taille 11 et d’un minimum de 5 mots-clés dans chaque langue. Un sommaire en forme d’un plan cartésien, constitué des divisions et subdivisions du texte, doit y être joint avant l’introduction de l’article. La Revue suit l’ordre de subdivision du texte à soumettre en forme d’escalier comme ciaprès : I. Intitulé ………………………1 (Grands points, en majuscules) A. Intitulé ………………….2 (Sous-points, en minuscules) 1. Intitulé ……………..3 (Sous petits-points, en minuscules) a. Intitulé .………..4 (petites divisions, en minuscules) i. Intitulé ……5 (sous-petites subdivisions, en minuscules). 7. Processus d’évaluation et d’édition du manuscrit Une fois réceptionné, le texte est traité en pré-évaluation par le Comité de rédaction avant d’être transmis aveuglement, ensemble avec les fiches d’évaluation, aux trois experts (pairs évaluateurs) anonymes pour leurs avis et considérations sur l’opportunité et l’acceptation du sujet, c’est-à-dire que le texte est soumis aux évaluateurs sans identité de l’auteur(e) mais avec un code d’identification. Les évaluations sont remises à la Revue dans un délai d’un mois à compter de la réception par l’évaluateur. Le texte n’est publié que si l’ensemble de trois évaluations rend le texte publiable à 70 % au moins. S’il y a des remarques majeures, le texte est retourné à l’auteur avec les avis et considérations. L’auteur.e peut retravailler son sujet en fonction des remarques y afférentes, s’il le désire. 8. Responsabilité La Revue ou les Editions Hubert Kalukanda décline toute responsabilité sur les différents points de vue émis par les auteur.es et sur les fraudes et autres actes d’improbité que ces derniers commettraient dans le cadre des textes transmis, notamment le plagiat, l’autoplagiat, le cyberplagiat et autres fautes interdites par la déontologie de la recherche scientifique. 9. Soumission L’auteur.e souhaitant soumettre un texte, en français ou en anglais, doit le faire parvenir au Comité de rédaction de la Revue, uniquement par courriel aux adresses ci-après : [email protected] et [email protected] Les dates limites de soumission et de publication par année sont : - au plus tard le 30 avril, pour la parution du premier semestre (publication d’avant le 30 juin) - au plus tard le 30 septembre, pour la parution du second semestre (publication d’avant le 31 décembre) de chaque année. Pour tous autres renseignements, prière contacter la Revue soit par adresses e-mail ci-dessus, soit au numéro de téléphone : +243 995593572 THE GARDEN PARC D’ATTRACTION ET A THEME REFLEXIONS JURIDIQUES AFRICAINES Vol. 1, N°3 Editions Hubert Kalukanda (E.H.K.) © Réflexions juridiques africaines Lubumbashi, 2023 Dépôt légal : 8.20.2023.80. 3eme Trimestre 2023 ISSN : 2960-0693 (En ligne) ISSN : 2960-0685 (imprimé) Editions Hubert Kalukanda https://editions-hubert-kalukanda Imprimerie Unilu-Print - Université de Lubumbashi 2 REFLEXIONS JURIDIQUES AFRICAINES Volume 1, Numéro 3 - 2023 3 REFLEXIONS JURIDIQUES AFRICAINES REVUE SEMESTRIELLE Directeur de publication Pr Pierre Félix KANDOLO ON’UFUKU WA KANDOLO Faculté de droit, Université de Likasi, Université de Sherbrooke et Université de Montréal A. Comité de rédaction Christophe Kongolo Bin Mwamba Procureur Général près la Cour d’Appel. Jean Kapita Kaniama N’thie Avocat Général au Parquet près la Cour d’Appel du Haut-Katanga, Enseignant – Université de Lubumbashi. Hubert Kalukanda Mashata Doctorant en droit à l’Université de Lubumbashi, Avocat au Barreau du Haut-Katanga, Conseil à la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), Fondateur - Directeur Général des Editions Hubert Kalukanda et Editeur - Responsable de la RJA. Freddy Kenye Kitembo Enseignant – Université de Likasi, Président du Tribunal de commerce de Kolwezi. Julie Kamitshim-A-Kyend Premier Substitut du Procureur de la République/Lubumbashi. Sabin Mande M. Enseignant – Université de Lubumbashi, Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga (RDC). Daddy Ilambwetsi Avocat au Barreau près la Cour d’Appel de Kinshasa/Matete. Guylain Kasongo Kawaya Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga. Blaise Bwanga Anembali Enseignant – Université de Likasi, Défenseur judiciaire au Tribunal de grande instance de Likasi. Elie Musambya Kapasa Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga. Freddy Ngoy Mwamba Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga. Hugues Mugalu Lwamba Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga. 5 B. Conseil scientifique Pr. Pierre-Felix Kandolo On’Ufuku wa Kandolo, Docteur en droit à l’Université de Montréal, Enseignant - Université de Likasi, Directeur de publication de la Revue Réflexions Juridiques Africaines (RJA), Avocat au Barreau du Haut-Katanga, Conseil à la Cour Pénale Internationale (CPI) et à la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP). Pr. Joseph Yav Katshung Docteur en droit à l’Université Lubumbashi, Enseignant - Université de Lubumbashi, Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga et Arbitre au centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de Ouagadougou (CAMC-O). Pr. Ghislain David Kasongo Lukoji Docteur en droit à l’Université d’Aix-Marseille (France), Enseignant - Université de Gbadolité et Université Protestante de Lubumbashi, Avocat au Barreau près la Cour d’Appel de Kinshasa/Matete. Pr. Trésor Gauthier M. Kalonji Docteur en droit fiscal à l’Université Neuchâtel (Suisse), Enseignant – Ecole Nationale des Finances et Université Pédagogique Nationale, Conseiller Fiscal Principal au Cabinet Daldewolf RD Congo. Pr. Gilbert Musangamwenya Walyanga Kubabezaga Docteur en droit à l’Université de Lubumbashi Enseignant - Université de Lubumbashi, Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga. Pr. Joseph Kazadi Mpiana Docteur en droit international et de l’Union européenne de l’Université de Rome « La Sapienza » (Italie), Enseignant - Université de Lubumbashi. Pr. Junior Mumbala Abelungu Docteur en droit à l’Université de Gand (Belgique), Enseignant - Université de Lubumbashi et Doyen de la Faculté de Droit de l’Université Protestante de Lubumbashi, Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Lualaba. Pr. Jean Marc Mutonwa Kalombe Docteur en droit international à l’Université de Lubumbashi, Enseignant - Université de Lubumbashi, Juge au Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi. Pr. Emmanuel Monga Monga Docteur en Sciences Politiques et Administratives à l’Université de Lubumbashi, Enseignant - Université de Lubumbashi, 6 Pr. Victor Kalunga Tshikala Docteur en droit à l’Université de Lubumbashi, Enseignant - Université de Lubumbashi et Recteur à l’Université de Kalemie, Avocat au Barreau du Haut-Katanga et Consultant à la Commission Nationale OHADA. Pr. Don José Mwanda Nkole wa Yahve Docteur en Droit des affaires, spécialiste du Droit OHADA et Titulaire d’une thèse postdoctorale en Didactique des sciences juridiques, Enseignant – Université de Kinshasa. Pr. Franck Mukadi Tshakatumba Docteur en Droit, Université de Lubumbashi, Enseignant – Université de Lubumbashi, Conservateur des titres immobiliers de Lubumbashi. Pr. Aimé Banza Ilunga Docteur en droit à l’Université de Lubumbashi, Enseignant - Université de Lubumbashi, Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga. Pr. Pascal Kakudji Yumba Docteur en droit à l’Université de Lubumbashi, Enseignant - Université de Lubumbashi, Avocat au Barreau du Haut-Katanga. 7 Sommaire Sommaire ................................................................................................................ 9 Editorial ................................................................................................................ 11 Prescription des conflits nés de la relation du travail et l’application de l’article 258 du code Civil Congolais, Livre III par Jean-Claude Kayombo Kyungu ............................................................................... 15 Observation électorale et crédibilité du processus électoral. Quelle contribution, quelles perspectives par Joseph Kazadi Mpiana ............................................................................................. 31 Contentieux électoraux et considérations critiques du régime de la preuve devant le juge constitutionnel congolais par Adolphe Musulwa Senga ......................................................................................... 85 Contrat du commerce électronique et responsabilité contractuelle de plein droit du cybercommerçant dans le nouveau Code congolais du numérique par Aimé BANZA ILUNGA ........................................................................................ 131 Gestion bancaire à l’aune de la digitalisation du secteur bancaire par Sam KASSANDA SALMA ................................................................................... 167 Numérisation des services publics et archivage électronique en République Démocratique du Congo par KABASELE DIKEBELE Willy& MUZIR KIMPANI Jabino .............................. 193 L’action publique et le Droit numérique congolais : Domaines fertiles pour un effort de compréhension et de cohérence par Eddy MULENDA KABADUNDI ......................................................................... 216 Justice transitionnelle dans une approche comparative par Pierre Félix Kandolo On'ufuku wa Kandolo .......................................................... 233 L’accessibilité du mineur à la parentalité en droit congolais : Entre hypocrisie normative et insolence factuelle par Ghislain-David KASONGO LUKOJI & Georges DIANKEBA MATUBA. ........ 256 La justiciabilité du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment en République Démocratique du Congo par Yves-Junior MANZANZA LUMINGU et Jacques-Octave KABEMBA FANZAL ...................................................................................................................... 278 Le juge congolais face au règlement des litiges individuels du travail Elie KAKO KANU ...................................................................................................... 301 La fiscalité exceptionnelle de sauvetage des entreprises industrielles en difficulté en droit congolais par Trésor-Gauthier M. KALONJI............................................................................... 318 La « fiscalité informelle » en République Démocratique du Congo : dérèglement de la légitimité fiscale versus légitimation de quelques pratiques socio-fiscales praeter legem par Trésor-Gauthier M. Kalonji et Jean-Baptiste BAGULA BATULIRE ................... 329 La tierce opposition en droit judiciaire congolais par Hubert KALUKANDA MASHATA ..................................................................... 342 Implications de la récusation collective en droit judiciaire congolais : une question qui divise les praticiens par Guylain KASONGO KAWAYA ........................................................................... 362 10 Editorial Une année d’existence, le bébé commence à marcher : Moment très riche en émotion La vie de l’être humain est le type de la vie de toute entreprise. Les premiers pas de bébé sont généralement très attendus par les parents. C’est le cas de la revue Réflexions Juridiques Africaines (RJA) créée en date du 10 janvier 2023. Elle est un regroupement humain où ses membres observent avec fierté son évolution radieuse et ce, en dépit de la question de nouveaux défis qui revient régulièrement. Certes, la marche est et demeure un processus long composé de nombreuses étapes, découvertes, échecs et réussites de toute personne ou de toute société. C’est d’ailleurs grâce à ses échecs qu’on va réussir à passer toutes les étapes. Ne dit-on pas que le succès nécessite de nombreux échecs ! Avant de faire les premiers pas, il est nécessaire d’avoir un environnement sûr et propice pour un développement durable. A cet effet, il n’est pas facile, mais pas impossible, d’œuvrer et de se développer en République Démocratique du Congo (RDC), un État qui ne prête pas mains fortes aux chercheurs et aux institutions de recherche scientifique. Et pourtant, les dispositions de l’article 37 de la Constitution, telle que révisée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 renseignent pertinemment que : « (…) Les pouvoirs publics collaborent avec les associations qui contribuent au développement social, économique, intellectuel, moral et spirituel des populations et à l’éducation des citoyennes et des citoyens. Cette collaboration peut revêtir la forme d’une subvention (…) ». Malgré les difficultés financières et matérielles, la RJA, notre centre de recherche interdisciplinaire, est une école par excellence pour le changement humain collectif de larges continuelles transformations environnementales. En tant que telle, elle demeure un haut lieu de savoir, de savoir-faire, de savoir-devenir et de savoir-être. C’est ici l’occasion de relever que la recherche scientifique est une nécessité, capables de doter les Etats Africains en général et la République Démocratique du Congo en particulier, des ressources humaines valables et susceptibles de contribuer au développement social, économique, intellectuel, moral et spirituel de notre communauté. La RJA accomplit une mission énormément stratégique, celle d’organiser et de diriger la société humaine par la maîtrise des connaissances et des technologies qui contribuent au bien-être individuel et collectif. Elle permet aux chercheurs et aux professionnels de Droit d’approfondir des questions se rapportant à l’émergence et à l’application des normes dans diverses matières ; de partager des expériences et 11 stratégies de lutte contre les antivaleurs qui gangrènent notre système juridique et de faire constater d’énormes efforts fournis par les structures étatiques pour une véritable démocratie et un Etat de Droit. Permettez-nous donc de saluer en ce début d'année 2024, le lancement de ce troisième numéro qui clôture le tout premier volume de la revue. Par cette occasion, la RJA remercie les différents professeurs et chercheurs de plusieurs Universités congolaises et étrangères pour leur collaboration dans le cadre de cette revue. Nous ne pouvons pas oublier de remercier, de manière exceptionnelle The Garden Lubumbashi – Parc d’attractions, le partenaire habituel et permanent de notre revue. Nous espérons que de nombreux autres chercheurs et partenaires rejoindront ce bateau et contribueront ainsi au rayonnement de notre prestigieuse revue au cœur de l’Afrique. Hubert KALUKANDA MASHATA Fondateur – Directeur Général des Editions Hubert Kalukanda, Avocat au Barreau du Haut-Katanga et à la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Doctorant en droit à l’Université de Lubumbashi, Editeur – Responsable de la Revue Réflexions Juridiques Africaines. * * * 12 FORUM Prescription des conflits nés de la relation du travail et l’application de l’article 258 du code Civil Congolais, Livre III1 Par : Jean-Claude Kayombo Kyungu Président du Tribunal du Travail de Lubumbashi Resumé La présente étude s’est inscrite dans une logique de démonstration de l’incompétence matérielle du juge de l’article 258 du Code civil congolais, Livre III pour connaître d’une demande en dommages et intérêts nés de la relation du travail et ce, conformément à la Loi n°015-2002, telle que modifiée et complétée par la Loi n°16/010 du 15 juillet 2016 portant code du travail en République Démocratique du Congo. A cet effet, l’article 15 de la Loi n° 016/2002 du 16 Octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des Tribunaux du Travail dispose que : « Les Tribunaux du Travail connaissent des litiges individuels survenus entre le travailleur et son employeur dans ou à l’occasion du contrat de travail, des conventions collectives ou de la législation et de la réglementation du travail et de la prévoyance sociale ». Toutefois, le juge civil est compétent lorsqu’il est saisi aux termes de l’article 149 de la Loi organique n° 13|011 – B du 11 Avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire qui dispose que : « Les règles relatives à l’organisation et à la compétence prévues par la présente loi organique sont applicables en matières commerciales et sociales là où les Tribunaux de commerce et les Tribunaux du travail ne sont pas encore installés ». C’est pourquoi, la présente réflexion conclut que, seuls les Tribunaux du Travail sont compétents pour connaître des litiges individuels survenus entre l’employé et l’employeur, le législateur congolais n’ayant pas prévu le temps durant lequel l’interruption de la prescription doit durer, la prescription étant effectivement interrompu de manière indéterminée. Mots-clés : contrat de travail – prescription – interruption – employeur – employé. 1 Le présent article est le fruit d'un Mot de circonstance prononcé à l’occasion du renouvellement de serment du Président du Tribunal de Travail de Lubumbashi, en date du 14 octobre 2023. L'auteur remercie, par ce canal, Dieu d'avoir permis sa nomination et affectation à ce poste. Il présente également ses remerciements au Président de la République, Son Excellence Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Il remercie enfin au Président du Conseil Supérieur de la Magistrature et au Premier Président de la Cour de Cassation pour l’avoir proposé à un grade supérieur de conseiller à la Cour d’Appel et assumé les fonctions de Président du Tribunal de travail. Abstract The purpose of this study was to demonstrate the lack of material jurisdiction of the judge under Article 258 of the Congolese Civil Code, Book III to hear a claim for damages arising from the employment relationship, in accordance with Law No. 015-2002, as amended and supplemented by Law No. 16/010 of July 15, 2016 on the Labour Code in the Democratic Republic of Congo. To this end, article 15 of Law No. 016/2002 of 16 October 2002 on the establishment, organization and functioning of the Labour Courts stipulates that: “The Labour Courts shall hear individual disputes arising between the worker and his employer in or in connection with the employment contract, collective agreements or labour and social security legislation and regulations". However, the civil court has jurisdiction when it is seized under Article 149 of Organic Law No. 13|011 – B of 11 April 2013 on the organization, functioning and jurisdiction of the courts of the judicial order, which provides that: "The rules relating to the organization and jurisdiction provided for in this organic law are applicable in commercial and social matters where the Commercial Courts and the Labour Courts are not still installed." This is why this reflection concludes that only the Labour Courts have jurisdiction to hear individual disputes arising between the employee and the employer, as the Congolese legislator did not provide for the time during which the interruption of the limitation period must last, the limitation period being effectively interrupted indefinitely. Keywords: employment contract – prescription – interruption – employer – employee. Plan sommaire Introduction I. II. III. Point de départ du délai de prescription Hypothèses où le délai de prescription est interrompu ou suspendu Moment d’expiration du délai de prescription Conclusion …………………………………………………………….. 16 Introduction Avant toute chose, il est loisible de relever que la notion de la prescription diffère selon que, l’on est en matière civile ou en matière pénale ou encore en matière sociale. Autrement dit, la prescription est un concept qui implique plusieurs acceptations. La prescription tend à faire déclarer l’action irrecevable parce qu’elle a pour effet l’extinction de l’action. La prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps et sous les conditions déterminée par la loi2. A noter que la prescription peut désigner deux éléments juridiques, à savoir : - Un ensemble de règles et de conseils formalisé par écrit règlementant officiellement une activité, généralement professionnelle. Le mode d’acquisition d’un droit, ou d’extinction d’un droit ou des possibilités de poursuites, par l’écoulement d’une certaine durée. En droit civil des obligations, la prescription extinctive se définit comme un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps3. En droit civil des biens, la prescription acquisitive « usucapion »4 est un moyen d’acquérir un bien ou un droit réel5 par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. En conséquence, la prescription est un mode légal d’acquisition ou d’extinction des droits par le simple fait de leur possession pendant une certaine durée. D’ailleurs il faut noter que la prescription est un principe général de droit qui désigne la durée au-delà de laquelle une action en justice pénale, n’est plus recevable. En droit pénal, on parle de la prescription de l’action publique et de la prescription des peines (voir les articles 24 et suivants du code pénal congolais). En matière répressive, enseigne Esika Makombo Eso Bina, la prescription se définit comme étant le droit accordé par la loi à l’auteur d’une infraction, de ne plus être poursuivi ou, s’il a déjà été poursuivi et condamné, de ne plus subir sa peine, après 2 Article 613 du Code Civil Congolais, Livre III L’article 613 du Décret du 30 juillet 1888 portant code civil congolais, livre III dispose que : « La prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps et sous les conditions déterminées par la loi ». 4 KATUALA KABA KASHALA, De prescription en matière civile, Editions Batena Tambua, Kinshasa, 1996, p.3. 5 Remy KASHAMA TSHIKONDO, « La prescription acquisitive en matière immobilière est-elle possible en droit positif congolais ? Maître Remy Kashama Tshikondo réagit à la thèse développée par le Professeur Kifwabala Tekilazaya dans le n°45 de la revue les analyses juridiques », In Réflexions Juridiques Africaines, Vol.1, n°1, Editions Hubert Kalukanda, Lubumbashi, 2023, p.17. 3 17 l’écoulement d’un certain laps de temps, déterminé par la loi, depuis la perpétration de l’infraction ou depuis le jugement6. La prescription de l’action publique consiste en ce que celle-ci s’éteint si, après l’écoulement d’un certain délai, les poursuites n’ont pu être engagées7. En droit congolais, enseigne la jurisprudence, la prescription est essentiellement une question de fond et non une question de procédure, comme c’est le cas dans certains systèmes juridiques8. La prescription de l’action publique est sans influence sur la prescription de l’action civile. L’action civile ne peut être introduite devant le juge répressif qu’à condition que l’action publique ne soit pas encore éteinte9. A cet effet, il a été décidé en ce sens qu’ « Est irrecevable l’action civile introduite alors que l’action publique était déjà éteinte par la prescription au moment où le juge en était saisi »10. Dans ce sens, il a été également jugé par la Cour Suprême de Justice de la RDC qu’ « Est irrecevable l’action civile introduite alors que déjà l’action publique était éteinte par la prescription au moment où le juge en a été saisi »11. En cas de prescription de l’action publique, pour se prononcer valablement sur l’action civile, le tribunal doit constater d’abord que la prescription de l’action publique est intervenue en cours d’instance12. En matière civile, la prescription n’est pas d’ordre public. Le juge ne peut suppléer d’office au moyen résultant de la prescription, aux termes de l’article 617 du C.C.L III. Il a été arrêté à cet effet que « Viole l’article 617 du code civil, Livre III, la décision judiciaire qui soulève d’office l’exception tirée de la prescription de l’action en justice instituée par cette disposition légale étant donné que cette prescription est d’ordre privé »13. En matière de prescription, les actions judiciaires 6 ESIKA MAOMBO ESO BINA, le Code pénal zaïrois annoté, livre premier, des infractions et de la répression en général, Lubumbashi, 1977, p.10. 7 NYABIRUNGU MWENE SONGA, Droit pénal général Civil, Editions Droit et Société « DES », Kinshasa, 1989, p.342. 8 Kin 16 jan 1974, RJZ 1975, Mai – Déc, N° 2x3, pp119 – 123, citée par Ruffin LUKOO MUSUBAO, Droit pénal congolais, principes et subtilités, Tome I, 3ème Edition, On s’en sortira, Kinshasa, 2012, p.345. 9 Gabriel KILALA Pene AMUNA, Procedure civile, Volume I, Kampala, Leadership Editions, 2012, p.287. 10 ère 1 Inst. Elis, Rev. Jur. 1930, p 179, C.S.J, 3 Déc. 1976. Bull. 1977, p.198 ; R.J.Z, 1978, p. 94 citées par G. KILALA Pene AMUNA, Op.cit., p.287. 11 C.S.J, RPA, 38,23/18/1976, Bull. 1977, p198 ; R.J.Z. 1978, p.94, citée par DIBUNDA KABUINJI MPUMBUAMBUJI, Répertoire Général de jurisprudence de la Cour Suprême de justice 1969 – 1985, p.179. 12 C.S.J, RP 429, 9/9/1980, R.J.Z 1983, p.17, citée par DIBUNDA KABUINJI MPUMBUAMBUJI, Op. cit., p.180. 13 C.S.J. Juin 1979, Bull. 1984, p.173 ; C.S.J, 2 Fév. 1978, Bull 1979, p.14, citées par G. KILALA Pene AMUNA, Op.cit., p.284. 18 découlant du contrat de travail sont régies par les dispositions particulières. Leurs périodes de prescription sont fixées par l’article 317 du code du travail. En droit du travail, la prescription a pour effet d’éteindre l’action avec comme conséquence que les tribunaux ne peuvent pas la recevoir et l’examiner. Par l’effet de la prescription, l’obligation contractuelle change de nature et devient une obligation naturelle qui ne peut faire l’objet d’un jugement. L’obligation naturelle ou morale ne peut être exécutée que volontairement par le débiteur 14. Dès lors que ce délai de prescription est dépassé, aucune action en justice, qu’elle soit civile, sociale ou pénale, ne peut aboutir. On dit aussi que la prescription a un effet extinctif. Par ailleurs, il ne faut pas confondre la prescription et la forclusion. En effet, si la forclusion et la prescription sont sanctionnées de la même manière par une fin de non-recevoir, il existe des différences entre les deux notions. Les délais de la prescription sont susceptibles d’interruption et de suspension alors que ce n’est pas le cas pour le délai de forclusion qui est un délai préfix qui n’est susceptible ni de suspension ni d’interruption ; la forclusion encourue par celui qui n’a pas respecté le délai est de plein droit, elle doit être relevée d’office par le juge et celui qui en profite ne saurait y renoncer. S’agissant de l’action fondée sur le licenciement, la prescription se justifie par la nécessité de préserver l’ordre public et la paix sociale15. La forclusion, enseigne la doctrine, entrainerait non seulement la perte de l’action mais encore l’impossibilité de faire valoir son droit par voie d’exception contrairement à la maxime : « quae temporallia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum »16. La notion de la prescription en droit du travail est loin d’être simple. En effet, le droit du travail met en place une multitude de délais de prescription différents, selon le litige concerné. Si certains de ces délais semblent raisonnables (par exemple trois ans pour les actions naissant du travail), d’autres sont au contraire extrêmement courts (par exemple un an pour les actions en paiement du salaire)17, pour contester devant l’Inspecteur du travail et devant le tribunal du travail. 14 KALANGO MBIKAYI, Droit Civil des obligations, Editions Universitaires Africaines, Kinshasa, 2012, p.203, cité par TSHIZANGA MUTSHIPANGU, Droit Congolais des relations de travail, Editions connaissance du droit, Kinshasa, 2017, p.393. 15 TSHIZANGA MUTSHIPANGU, Op.cit., p.395. 16 G. KILALA Pene AMUNA, Op.cit., p.278. Il sied de signaler que lorsqu’une action en nullité ne peut plus être intentée parce qu’elle a été éteinte par l’écoulement du délai de la prescription, son bénéficiaire peut s’abriter derrière une exception qui, elle, est perpétuelle. 17 L’article 317 du code congolais du travail dispose que : « Les actions naissant du contrat de travail se prescrivent par trois ans après le fait qui a donné naissance à l'action, à l'exception : 1) des actions en paiement du salaire qui se prescrivent par un an à compter de la date à laquelle le salaire est dû , 2) des actions en paiement des frais de voyage et de transport qui se prescrivent par deux ans après l'ouverture du droit au voyage, en cours d'exécution du contrat, ou après la rupture de ce dernier. La prescription n'est interrompue que par a) la citation en justice ; b) l'arrêté de compte intervenu entre les parties mentionnant le solde dû au travailleur et demeuré 19 Dans ce sens, il a été jugé que « Toute action dont le titulaire de droit saisit l’inspection du travail plus de trois ans après le licenciement est prescrite. Si au contraire, avant le délai de trois ans à dater de la naissance du litige, le titulaire du droit saisit l’inspection du travail, cette saisine interrompt la prescription dès la réception de la demande de conciliation »18. Nous allons tenter dans cette analyse de faire le point sur les règles applicables de prescription (Quel est le point de départ ?, La prescription peut-elle être interrompue ou suspendue ?), avant d’exposer précisément sur certains délais existants en droit du travail. I. Point de départ du délai de prescription Le point de départ du délai de prescription se situe le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Ainsi, la jurisprudence enseigne que les actions naissant d’un contrat de travail se prescrivent par un délai de trois ans. Ce délai ne commence à courir effectivement qu’à partir de la rupture par un des contractants. Tel n’est pas le cas si la rupture n’a jamais été notifiée19. Il y a lieu que nous apportons quelques précisions sur le point de départ du délai de prescription. Ainsi, la doctrine enseigne que le délai de prescription de salaires ne court qu’à partir de la date à laquelle les salariés payés au mois, par exemple, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférant au mois considéré20. Contrairement à un arrêt de la Cour d’Appel qui a jugé que dès lors qu’il n’y a pas rupture du contrat, le travailleur est en droit de réclamer paiement de salaire dû à tout moment peu importe l’écoulement de temps, car le point de départ de la prescription semble plutôt être la date de l’expiration du contrat et non celle du moment où le droit est né, il est donc irrelevant de considérer comme prescrite après 18 19 20 impayé ; c) la réclamation formulée par le travailleur auprès de l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ; d) la réclamation formulée par le travailleur devant l'Inspecteur du Travail, sous réserve des dispositions de l'article 299 du présent Code ». C.A L’shi RTA 348|349|350|351 du 23 Mai 2000, citée par Ruffin LUKOO MUSUBAO, La jurisprudence congolaise en droit du travail et de la sécurité sociale, Volume I, Éditions On s’en sortira, Kinshasa, 2006, p.177. C.A Kin/Gombe, RTA 3621 du 27 Mars 1997, citée par Ruffin LUKOO MUSUBAO, Droit du travail et de la sécurité sociale, principes et subtilités, 2ème édition, Éditions On s’en sortira, Kinshasa, 2023, p.318. Vital ILUNGA KASONGO, Code du Travail. Modifié, complété et annoté, Editions Nouveaux Elans, Kinshasa, 2019, p.231. 20 un an, l’action en réclamation de salaire alors que le contrat liant le travailleur à son employeur est en cours d’exécution par les deux parties21. Aux termes de l’article 317 du code du travail, les actions en paiement de salaire se prescrivent par un an à compter de la date à laquelle le salaire est dû. Il y a lieu de noter que l’article 98 du code du travail s’applique pour autant que l’action en paiement de salaire ne soit pas déjà prescrite conformément aux articles 299 et 317 du code du travail. Ici, l’employeur doit soulever l’exception de la prescription de l’action en payement de salaire, qui elle, se prescrit par un an à dater du jour où le salaire est dû, même si le contrat entre parties est encore en vigueur. Ainsi, par exemple en cas de discrimination, le délai de prescription court à compter de la révélation de la discrimination. En cas de harcèlement moral, le délai de prescription court, quant à lui, à compter du jour où le dernier fait constituant un harcèlement a été commis. La jurisprudence apporte parfois quelques précisions sur le point de départ du délai de prescription. Ainsi, selon la Cour de cassation Française, pour les salariés, le délai court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible22. Elle souligne d’ailleurs que pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré. Et s’agissant de l’indemnité de congés payés, le point de départ du délai doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris. Pour notre part, si une demande est prescrite, le demandeur doit donc prouver qu’il ne connaissait pas, mais aussi qu’il ne pouvait pas connaître son droit d’ester en justice. Aussi, il a été jugé que « Lorsque le salarié n’a été mis en mesure de connaître la convention collective dont relève son employeur qu’à l’issue d’une procédure judiciaire, le délai de prescription de l’action en paiement d’un rappel de primes conventionnelles court à compter de cette date »23. Analysons quelques hypothèses de délai de prescription. II. Hypothèses où le délai de prescription est interrompu ou suspendu Avant de détailler le cas d’interruption ou de suspension de la prescription, il y a lieu de rappeler la distinction entre les termes « suspension » et « interruption ». 21 C.A Matadi, RTA 754 du 28 Aout 2013, Aff. Ntanga Loangu C/ SAFRITEL, inédit, citée par V. ILUNGA KASONGO, Op.cit., p. 231. 22 Cass. Soc. 14 Nov. 2013, N° 12-17409, en ligne sur : https://juricaf.org/arret/FRANCECOURDECASSATION-20131114-1217409 (consulté le 9 novembre 2023 à 15h14). 23 Cass. Soe. 25 Septembre 2013, N° 11-27. 693, BC V N° 806, citée par Benjamin MARCOLIS et Lysiante THOLOY, Jurisprudence sociale, droit du travail, 19ème édition, Groupe Revue Fidriciciné, Revis, 2016, p. 1391. 21 En effet, la suspension stoppe temporairement le délai de la prescription qui court mais sans pour autant effacer le délai déjà couru. Au contraire, l’interruption efface le délai de prescription déjà acquis. Un nouveau délai de même durée que l’ancien redémarre. L’interruption de la prescription, enseigne Tshizanga Mutshipangu, consiste en l’effacement du temps de prescription qui a couru et en recommencement d’une nouvelle période de prescription24. Le Législateur Congolais n’a pas prévu le temps durant lequel l’interruption de la prescription doit durer, et donc lorsqu’il y a un acte interruptif, la prescription est effectivement interrompue de manière tout à fait indéterminée. Bien que le code de travail congolais est muet sur la suspension de la prescription, que ce silence ne présuppose pas qu’elle est inexistante en droit de relation de travail, parce qu’elle ait pour finalité d’empêcher le déclenchement de la prescription ou de provoquer l’arrêt de son cours lorsqu’elle a commencé son envol et ce, jusqu’à ce que disparaisse la course qui l’a générée. Le délai qui a couru ne s’efface pas. Il subsiste et s’ajoute au temps restant à courir. En principe, le délai de prescription est interrompu si une demande en justice est effectuée. Il en est de même du délai de forclusion. L’interruption de la prescription consiste en l’effacement du temps de prescription qui a couru et en recommencement d’une nouvelle période de prescription. Pour notre part, cette interruption s’applique même si la demande en justice est portée devant le Tribunal du Travail incompétent ou si l’acte de saisine de la juridiction est annulé en raison d’un vice de procédure. La prescription des actions en payement de salaire est interrompue, soit par la citation en justice, soit par l’arrêt de compte intervenu entre les parties, lequel mentionne le solde dû au travailleur et demeuré impayé, soit par la réclamation formulée par le travailleur auprès de l’employeur par lettre recommandée avec avis de réception, soit enfin par le travailleur devant l’inspecteur du travail, sans réserve que, en cas de non conciliation, l’action en justice soit introduite dans le délai maximum de douze mois qui suivent l’établissement du procès – verbal qui clôture la procédure devant l’inspecteur. Lorsque le travailleur muni de son procès – verbal de non-conciliation ou de carence forme sa demande devant le tribunal, la prescription de douze mois est interrompue. C’est la date de la réception au greffe du tribunal, de la requête du salarié qui constitue le point de départ de l’interruption de la prescription qui est d’ordre public et non la date de la fixation de l’audience. La présente réflexion partage la position de la Cour d’Appel de Lubumbashi, actuellement Cour d’Appel du Haut-Katanga qui a arrêté que la prescription en matière du travail étant d’ordre public, le premier juge a bien dit le droit en la 24 TSHIZANGA MUTSHIPANGU, op cit, p.395. 22 soulevant d’office étant donné que le travailleur a introduit son action en justice douze mois après l’établissement du procès – verbal de non-conciliation25. La doctrine de Tshizanga Mutshipangu enseigne également que la prescription est interrompue par la citation en justice, l’arrêt de compte intervenu entre l’employeur et le travailleur et comportant le solde restant dû et non encore payé ainsi que la réclamation du travailleur introduite auprès de l’employeur par lettre recommandé avec avis de réception. Il en est de même de la réclamation du travailleur introduite auprès de l’Inspecteur du travail26. Il y’a lieu de préciser que la saisine de l’inspection du travail interrompt la prescription à l’égard de toutes les demandes du salarié relatives au même contrat de travail, mais aussi à l’égard de toutes les demandes de l’employeur. La procédure interruptive des délais prévus par l’article 317 du code du travail constitue une faveur pour la partie qui veut initier une action contre l’autre partie, car l’interruption prolonge le délai prévu. Notons également que la prescription ne court pas ou est suspendue en cas d’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement réduit résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. La jurisprudence a précisé que le délai de prescription peut être suspendu chaque fois qu’il existe une raison de droit qui empêche d’agir celui contre lequel il court. Une impossibilité de fait est sans effet27. Quel est le moment d’expiration du délai de prescription. III. Moment d’expiration du délai de prescription La prescription se décompte par jours et non par heures. Elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli. Tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre (24) heures. Si ce dernier jour est un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chaumé, le délai est encore prolongé jusqu’au premier jour ouvrable et suivant. A titre de rappel et ce, conformément à l’article 317 du Code de Travail Congolais, les actions qui naissent du contrat de travail se prescrivent par trois ans après le fait qui a donné naissance à l’action, à l’exception : 1. Des actions en paiement du salaire qui se prescrivent par un an à compter de la date à laquelle le salaire est dû ; C.A L’Shi, RTA 655, du 20 Février 2008, Aff. BUKASA KANDOLO C/ La Banque Commerciale du Congo, inédit. 26 TSHIZANGA MUTSHIPANGU, Op.cit., p.395. 27 Cons. Prud. Appel Liège, 29 Janv. 1954 ; JT, 1955, p.218, cité par Ruffin LUKOO MUSABAO, La jurisprudence en droit du travail et de la sécurité sociale, Tome I, 2ème Edition ON S’EN SORTIRA, 2011 – 2013, p.319. 25 23 2. Des actions en paiements des frais de voyage et de transport qui se prescrivent par deux ans après l’ouverture du droit au voyage, en cours d’exécution du contrat, ou après la rupture de ce dernier. La prescription n’est interrompue que par : a. Une action en justice, b. Un arrêté de compte intervenu entre les parties, mentionnant le solde dû au travailleur et demeuré impayé ; c. La réclamation formulée par le travailleur auprès de l’employeur par lettre recommandée avec avis de réception ; d. La réclamation formulée par le travailleur devant l’inspecteur du travail, sous réserve des dispositions de l’article 299 du présent code. Toute action judiciaire en matière du travail doit s’exercer dans un délai de trois ans à compter de la survenance du fait qui l’a généré, à l’exception de l’action en paiement du salaire qui doit s’exercer dans le délai d’un an à compter de la date à laquelle le salaire est dû et de l’action en paiement des frais de voyage et de transport dans le délai de deux ans à compter de la naissance du droit au voyage ou à compter de la rupture du contrat de travail. Ainsi, lorsque le titulaire d’un droit n’a pas fait valoir celui-ci dans le délai légal ou se décide de le faire fort tard au-delà du délai légal, le prétoire lui sera fermé au motif qu’il ne peut plus agir parce que son action ou son droit de poursuivre en justice étant déjà éteint. Sa demande sera ainsi déclarée irrecevable, parce que son action est prescrite. Ainsi, a-t-il été jugé qu’ « Est prescrite et irrecevable, l’action en dommages-intérêts fondée sur un contrat de travail exercée en dehors du délai légal »28. Le Législateur congolais n’a pas prévu le temps durant lequel l’interruption de la prescription doit durer, et donc lorsqu’il y a un acte interruptif, la prescription est effectivement interrompue de manière tout à fait indéterminée. Contrairement à un arrêt qui considère que même si les actes interruptifs de la prescription sont valables et probants, ils ne peuvent en aucun cas durée au-delà du double du terme primitif29. Dans l’arrêt du 18 mars 2013, la Cour de Cassation Belge dans l’affaire opposant la Générale des Carrières et des Mines, en abréviation GECAMINES SA contre C.L et UMICORE SA, a soutenu que la jurisprudence congolaise s’est L’Shi, 1er Juin 1974, cité par LUWENYEMA LULE, Précis de droit du travail congolais, 2ème édition, Kinshasa, Editions LULE, 2017, p.792. 29 C.A Kin/Gombe, RTA 6696 du 10 Octobre 2013, Aff ELOHA DIATA C/INSS, inédit. 28 24 récemment prononcée sur la nature du délai de prescription annale, à deux reprises 30. Ainsi, soutient cette Cour de Cassation, la Cour d’Appel de Kinshasa – Gombe avait décidé que « les courtes prescriptions » de l’article 152 (actuel article 317) du code du travail congolais, telles que les actions en paiement des frais de voyages et de transport sont fondées sur une présomption de paiement. De même, poursuit cette Cour de Cassation, la Cour d’Appel de Kinshasa – Matete a, à proposer de l’effet de la réclamation formulée à l’égard de l’employeur, visée à l’article 152 (article 317) alinéa 2, e), décidé par cette réclamation, la présomption de paiement disparait et la créance tombe sous l’emprise de la prescription trentenaire ou autrement dit, que cette réclamation opère l’intervention de la prescription, mécanisme propre aux prescriptions fondées sur la présomption de paiement. Pour notre part, les Cours d’Appel sus évoquées se sont référées dans les deux cas, à la doctrine spécialisée de Luwenyema Lule, dans son ouvrage intitulé « précis de droit du travail » de 1987. Cet auteur range la prescription de l’article 152 (actuelle article 317) du code de travail dans la catégorie des prescriptions fondées sur une présomption de paiement à l’instar de celles qui sont visées par les articles 652 et suivants du décret du 30 juillet 1888 sur les contrats ou obligations conventionnelles, en raison de la brièveté de son délai ou qui s’explique par le fait que le salaire devait être payé très strictement à l’échéance. Le Législateur a estimé qu’au bout d’un temps, assez bref, le paiement devrait être présumé avoir été effectué ; qu’en raison du caractère alimentaire du salaire, il est supposé que le travailleur n’a pas pu faire crédit à son employeur31. La Cour de Cassation Belge a soutenu qu’il n’était pas isolé dans cette opinion puisque, dans un article publié en 1974, intitulé « le problème de la prescription en droit moderne et traditionnel », dans la revue juridique du congo, Monsieur Mbaya Ngang Kumabuenga indiquait que : « Les courtes prescriptions ont un délai variant de six ans à deux ans. Elles tirent leur rendement de la présomption de paiement ». En effet, comme il s’agit ici des dettes qui, dans la pratique des choses, se règlent rapidement, on présume que le débiteur a payé sa dette à l’expiration du terme. La loi suppose que le créancier a été payé dès lors qu’il n’a pas réclamé son paiement dans un court délai. Nul n’ignore que le code congolais du travail établit une présomption d’un an pour les actions en paiement du salaire et de deux ans pour les actions en paiement des frais de voyage. Il est exact que Luwenyema Lule conforte son analyse de la 30 Arrêt de la Cour de Cassation Belge du 18 mars 2013, en ligne sur : https://www.dipr.be/sites/default/files/rechtspraak/20132_20130318A.pdf (consulté le 9 novembre 2023 à 15h51). 31 Revue juridique du Zaïre : droit écrit et droit coutumier, Année 1974, pp 243-274. 25 nature de la prescription instaurée par l’article 317 du code congolais du travail par une jurisprudence qui sera ultimement renversée. Il convient de rappeler que cet article introduit une prescription de courte durée pour les seules actions des travailleurs en paiement de leurs salaires et de leurs frais de voyage et de transport, prenant cours à la date à laquelle le salaire ou la créance de frais est dû, a, ou non, un lien de filiation direct avec les dispositions coloniales et donc avec la jurisprudence rappelée ci-dessus. Ainsi, selon la doctrine et la jurisprudence, les courtes prescriptions prévues par le code du travail n’ont pas une nature libératoire. Elles n’éteignent pas la dette de salaire. Il est d’avis de la doctrine que cette solution est la seule qui va dans le sens de la finalité poursuivie par le code du travail, la protection du travailleur. Elle est d’autant plus logique que dans la pratique, certains employeurs restent en défaut de payer la rémunération depuis plusieurs années32. La même doctrine renseigne que, admettre qu’ils sont libérés de leur obligation de payer ladite rémunération après écoulement d’un certain laps de temps reviendrait à nier la finalité ci-dessus. Nous estimons pour notre part que, pareille solution serait aussi inéquitable et immorale. Elles s’inscrivent en marge de la tendance de la plupart des pays francophones d’Afrique qui admettent que les courtes prescriptions en matière de salaire sont fondées sur une présomption de paiement. Ainsi, est-il possible qu’un salarié dont le prétoire est fermé pour n’avoir pas fait valoir son droit dans le délai légal de saisir le juge de l’article 258 du CCL III pour demander les dommages-intérêts, ainsi que le paiement de la créance de rémunération au motif que la prescription civile est trentenaire alors que la prescription annale des actions en paiement du salaire est extinctive ? La prescription extinctive se définit comme « un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ». Nous notons qu’il s’agit de la conception subjectiviste de la responsabilité civile qui sous-tend l’article 258 du code civil congolais, livre III qui stipule que : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui, par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Le Droit congolais consacre l’obligation de réparer à toute personne qui cause dommage à autrui. Cette obligation peut naître non seulement du fait de la personne, mais aussi par sa négligence et son imprudence. Il s’agit des obligations qui naissent en dehors d’un contrat et font partie de la responsabilité civile. Contrairement aux litiges du travail, les articles 258 et 259 du code civil congolais, livre III, posent des règles concernant deux sources d’obligations, à savoir le délit et le quasi-délit. Il 32 Arrêt de la Cour de Cassation Belge du 18 mars 2013, en ligne sur : https://www.dipr.be/sites/default/files/rechtspraak/20132_20130318A.pdf (consulté le 9 novembre 2023 à 15h51). 26 s’agit de toute faute (délit) ou toute imprudence et négligence (quasi-délit) qui cause un dommage à autrui et qui nécessite réparation33. Conclusion En conclusion, au vu de ce qui précède, l’employé ne peut nullement saisir le juge civil pour obtenir paiement de dommages-intérêts, étant donné qu’il s’agit des obligations qui naissent du contrat du travail qui échappent au juge de l’article 258 et 259 du code civil congolais, livre III. Nous observons que le juge civil est incompétent à connaître d’une demande en dommages et intérêts pour réparation d’un dommage lié au contrat du travail dès lors que celle-ci peut être sanctionnée par le tribunal de travail si les faits ne sont pas encore prescrits au regard de la notion développée supra. A cet effet, l’article 15 de la Loi n° 016/2002 du 16 Octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des Tribunaux du Travail dispose que : « Les Tribunaux du Travail connaissent des litiges individuels survenus entre le travailleur et son employeur dans ou à l’occasion du contrat de travail, des conventions collectives ou de la législation et de la réglementation du travail et de la prévoyance sociale ». Ainsi, le juge de l’article 258 du code civil congolais, livre III est matériellement incompétent pour connaître des litiges nés d’un contrat de travail. Toutefois, le juge civil est compétent lorsqu’il est saisi aux termes de l’article 149 de la Loi organique n° 13|011 – B du 11 Avril 2013 portant organisation fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire qui dispose que : « Les règles relatives à l’organisation et à la compétence prévues par la présente loi organique sont applicables en matières commerciales et sociales là où les Tribunaux de commerce et les Tribunaux du travail ne sont pas encore installés ». De ces dispositions légales pertinentes qui précèdent, seuls les Tribunaux du Travail sont compétents pour connaître des litiges individuels survenus entre l’employé et son employeur, le législateur congolais n’ayant pas prévu le temps durant lequel l’interruption de la prescription doit durer, la prescription étant effectivement interrompu de manière indéterminée. * * * 33 KALONGO MBIKAYI, Op.cit., p. 31. 27 DOCTRINES Observation électorale et crédibilité du processus électoral. Quelle contribution, quelles perspectives Par : Joseph Kazadi Mpiana* Professeur à l’Université de Lubumbashi et à l’Université Nouveaux Horizons Résumé L’observation électorale est au cœur de tout processus électoral en RDC depuis le premier cycle initié en 2006. Elle exerce une fonction à la fois préventive et curative. A travers les rapports que les missions d’observation publient et contenant des recommandations, certaines sont prises en compte pour des réformes institutionnelles. Dans cet article il est question de réfléchir sur la contribution des missions d’observation électorale à la crédibilité du processus électoral. Pour ce faire le cadre juridique de l’observation électorale est illustré, une analyse diachronique des missions d’observation électorale est scrutée depuis 2006 jusqu’au récent cycle électoral initié le 20 décembre 2023. Pour l’auteur de ces lignes, les conclusions des missions d’observation électorale ont inspiré certaines réformes législatives dont le but concourt à l’amélioration du processus électoral. Cet apport est toutefois limité et ne concerne pas le règlement du contentieux électoral en RDC. Mots-clés : observation électorale, juge électoral, CENI, contentieux, transparence, crédibilité. Abstract Election observation has been at the heart of any electoral process in the DRC since the first cycle initiated in 2006. It has both a preventive and curative function. Through the reports that the observation missions publish and containing recommendations, some of them are taken into account for institutional reforms. This article examines the contribution of election observation missions to the credibility of the electoral process. To this end, the legal framework for election observation is illustrated, a diachronic analysis of election observation missions is scrutinized from 2006 until the recent electoral cycle initiated on December 20, 2023. According to the author of these lines, the conclusions of the election observation missions have inspired certain legislative reforms aimed at improving the electoral process. However, this contribution is limited and does not concern the settlement of electoral disputes in the DRC. Keywords: election observation, electoral judge, CENI, litigation, transparency, credibility. ………………………………………………………………………………….. 31 Introduction Depuis le premier cycle électoral initié en 2006 jusqu’au cycle ouvert depuis le 20 décembre 2023, la présence des observateurs électoraux est l’une des constantes du paysage électoral congolais. Le travail des observateurs est généralement mal perçu par une certaine opinion qui considère l’observation électorale internationale comme une atteinte à la souveraineté nationale. Cette conception est erronée. L’observation électorale internationale respecte la souveraineté de l’Etat car la mission est accréditée sur invitation de la structure organisatrice du processus électoral ou à l’initiative de la mission électorale qui en formule la demande. L’observation renforce la confiance du public et encourage la participation des citoyens au processus électoral. L’observation devient également un complément au travail des structures de gestion électorale. L’objectif principal d’une mission est de favoriser le développement d’une culture démocratique. A cette fin, un rapport est dressé pour chaque mission par des observateurs. Par des recommandations, les observateurs apportent une amélioration sur l’organisation des élections. La présence des observateurs peut aider à prévenir la fraude électorale. Ils doivent agir de manière strictement neutre34. L’observation électorale nationale n’échappe pas non plus à la critique, soit de sa proximité avec le pouvoir en place soit de sa proximité avec l’opposition. Ces préjugés présentent une image biaisée de l’observation électorale dont le fonctionnement se fonde sur certains principes tels que l’invitation, la neutralité, l’objectivité, la non-immixtion dans le processus électoral de manière à l’influencer au profit des parties prenantes. L’image caricaturée de l’observation électorale consiste à lui conférer des responsabilités dont elle n’est nullement investie. Elle évalue ou apprécie le processus électoral dans son intégralité. Dans cette optique, les observateurs électoraux ne certifient pas les résultats électoraux, mais émettent une opinion, sur la base des informations recueillies d’une manière vérifiable, sur le processus électoral. L’observation peut porter sur un agrégat d’éléments tels que la composition et le fonctionnement de l’organe de gestion électorale, la campagne électorale, l’éducation électorale, l’accès aux médias publics, les activités de l’opposition, les étapes préélectorales (l’identification, l’enrôlement des électeurs, l’établissement des listes, déploiement du matériel, la logistique, le déroulement des opérations * Professeur de Droit public à l’Université de Lubumbashi et à l’Université Nouveaux Horizons. Professeur visiteur à l’Université Protestante de Lubumbashi. Cet article résulte d’une communication orale que nous avons présentée le 14 décembre 2023 à l’Université Protestante de Lubumbashi. Les données ont été complétées, étoffées et ajournées au regard de la tenue des élections du 20 décembre 2023. 34 F. DESIRE NDOUMOU, Les missions d’observation des élections, Paris, L’Harmattan, 2012, pp.152-153. 32 électorales le jour des scrutins, l’affichage des résultats, leur publication et éventuellement le règlement du contentieux électoral). Depuis le premier cycle électoral de 2006, différentes missions d’observation électorale, aussi bien nationales qu’internationales ont été déployées en RDC et leurs rapports ont été rendus publics. Certaines réformes de la loi électorale ou de la CENI ont été partiellement inspirées par les rapports desdites missions. Les élections présidentielles, législatives, provinciales et communales organisées le 20 décembre 2023 ont bénéficié de l’observation électorale. Les différentes missions électorales ont déjà rendu publics leurs rapports préliminaires (déclarations préliminaires) qui contiennent des informations et recommandations pertinentes. La problématique au cœur de cet article est de cerner dans quelle mesure ou à quelles conditions l’observation électorale peut contribuer à la crédibilité du processus électoral. Quelle serait la valeur juridique des conclusions formulées dans les rapports des missions d’observation électorale ? Peuvent-ils être pris en compte et de quelle manière par les juridictions internes et internationales ? Quels seraient les enjeux politico-diplomatiques de l’observation électorale ? Quel est l’impact de l’observation électorale ou son apport à la crédibilité des processus électoraux ? Voilà les questions sui sont au cœur de cet article et auxquelles nous tentons de formuler des hypothèses et des réponses. Loin de les présenter de manière disparate, ces questions sont reliées entre elles par une même trame et forment un tout que nous analysons à travers ses différentes composantes. De notre avis l’observation peut largement contribuer à l’amélioration des processus électoraux futurs si les rapports établis par les missions d’observation présentent des recommandations pertinentes et qu’ils sont pris en compte par les pouvoirs publics notamment dans le processus d’amélioration de la loi électorale, de la loi sur la CENI et des lois connexes à l’organisation des élections. Les juridictions internes et internationales peuvent se servir à toutes fins utiles des appréciations formulées par les missions d’observation électorale. Précisons d’emblée que l’observation électorale est convoitée par plusieurs disciplines scientifiques à l’instar de la sociologie politique, de la science politique, des relations internationales, du Droit. Elle est par conséquent analysée selon les orientations épistémologiques de chacune de ces disciplines recensées. La méthode de l’observation électorale que nous développons dans cet article est principalement juridique, orientée à la mise en exergue du fondement juridique de l’observation électorale aussi bien en Droit international que dans le Droit interne congolais, à scruter et à analyser les dispositions juridiques pertinentes relatives aux observateurs électoraux et à leurs rapports. Elle s’inscrit dans le positivisme méthodologique. Ce dernier a deux variantes : le positivisme juridique qui restreint l’analyse sur le droit tel qu’il est élaboré et le positivisme factualiste qui commande d’aller au-delà de la 33 règle pour questionner son application dans la réalité sociale35 . C’est le positivisme factualiste qui sert de fil conducteur à cet article. Cette méthode n’ignore pas le substrat sociologique de l’observation électorale ni les enjeux de celle-ci du point de vue des relations internationales ni les rapports de forces entre les parties prenantes au processus électoral ou les défis à relever dans la conduite du processus électoral. Sans biaiser la neutralité axiologique qui devrait caractériser tout chercheur, un point de vue de notre part ne constitue qu’une suite logique de tout effort entrepris dans la conduite de la recherche ayant abouti à l’élaboration de cet article. L’article est structuré en six points sans compter l’introduction et la conclusion : Notions liminaires sur l’observation électorale (I), les structures de gestion électorale et l’observation électorale (II), le cadre juridique de l’observation électorale internationale (III), le cadre juridique de l’observation électorale en RDC (IV), les Missions d’observation électorale en RDC : rétrospectives et perspectives (V), l’observation électorale et le juge électoral (VI). I. Notions liminaires sur l’observation électorale A. Définition de l’observation électorale L’observation électorale est parfois confondue avec des notions qui lui sont proches comme la surveillance, la certification. Il importe, par conséquent de déblayer le terrain en restituant à l’observation électorale la signification qui est la sienne et qui est reprise dans cet article. L’observation électorale constitue une collecte systématique et détaillée des informations pertinentes sur le processus électoral ainsi que l’opinion rationnelle faite sur la base des informations recueillies. Elle s’inscrit dans une dynamique à la fois préventive et curative. Dans sa dimension préventive, elle peut contribuer à prévenir, à réduire, les situations de fraude électorale. Dans son volet curatif, elle peut formuler des recommandations pertinentes pour améliorer les futurs processus électoraux. En effet, les rapports établis par les différentes missions d’observation électorale crédibles peuvent inspirer les réformes électorales nécessaires. Ils peuvent aussi être pris en compte, à des degrés variables par le juge dans le règlement du contentieux électoral ou pour toute autre finalité. Plusieurs définitions ont été proposées pour cerner la notion d’observation (électorale). Ces définitions se recoupent. Deux peuvent être retenues dans le cadre de cet article. Il s’agit d’une part d’une définition concise tirée de Directives de l’OUA pour les missions d’observation et de suivi des élections en Afrique du 8 35 C.MVOGO MAURICE, « La présentation des candidats à l’élection présidentielle au Cameroun : vertus apparentes et vices cachés », in ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp.413-436, spéc. à la p. 418. 34 juillet 2002 et d’autre part celle mieux élaborée et étoffée, proposée par la Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections du 7 juillet 2005 souscrite par plusieurs Organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales. Les Directives précitées distinguent trois notions : l’observation, le suivi et l’évaluation des élections. Par observation, les Directives visent l’action de recueillir des informations et d’exprimer une opinion judicieuse sur la base des informations recueillies. Le suivi y est entendu comme le droit d'observer le processus électoral et d'intervenir dans ce processus au cas où les lois applicables ou les normes établies sont violées ou ignorées. L’évaluation des élections renvoie à l’évaluation préliminaire sur place des conditions dans lesquelles les élections se dérouleront. La Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections entend par l’observation électorale internationale « la collecte systématique, exacte et exhaustive d’informations relatives à la législation, aux institutions et aux mécanismes régissant la tenue d’élections et aux autres facteurs relatifs au processus électoral général; l’analyse professionnelle et impartiale de ces informations et l’élaboration de conclusions concernant la nature du mécanisme électoral répondant aux plus hautes exigences d’exactitude de l’information et d’impartialité de l’analyse. L’observation internationale d’élections doit, dans la mesure du possible, déboucher sur des recommandations visant l’amélioration de l’intégrité et de l’efficacité des processus électoraux et autres procédures connexes sans que cela ne perturbe ou n’entrave ces processus »36. Par mission d’observation électorale internationale, la Déclaration entend « l’action concertée des associations et organisations intergouvernementales et non gouvernementales internationales chargées de l’observation internationale d’élections ». Cette Déclaration ainsi que le Code de conduite y annexé ont été adoptés le 7 juillet 2005 par plusieurs organisations internationales et non internationales. Elle a été commémorée aux Nations unies le 27 octobre 2005. L’Union africaine, l’Organisation des Etats américains, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’Union européenne figurent parmi les organisations internationales ayant souscrit cette Déclaration. Cette adoption représente un tournant historique décisif dans l’observation électorale internationale traduisant une certaine codification souple des règles qui émergeaient de la pratique des missions d’observation électorale par les organisations internationales, les organisations internationales non gouvernementales, des codes électoraux nationaux etc. Cette Déclaration constitue, du point de vue juridique, un acte concerté non conventionnel ou un acte relevant de la soft law dont les principales dispositions ont fait l’objet d’internalisation au sein des ordres juridiques nationaux. L’observation électorale s’inscrit dans une optique diachronique. 36 Souligné par nous. 35 B. Observation électorale : une pratique à la fois vieille et renouvelée L’observation électorale internationale constitue une pratique à la fois vieille et renouvelée. Le premier cas rapporté dans l’histoire moderne de l’observation internationale des élections remonte à 1857, lorsqu’une commission européenne formée par les représentants de l’Autriche, de l’Angleterre, de la France, de la Prusse, de la Russie et de la Turquie avaient observé les élections générales tenues dans les territoires controversés de la Moldavie et de la Wallachie. La pratique ne se généralisa réellement qu’après la Seconde Guerre mondiale, sous l’égide de l’ONU et dans le contexte de la décolonisation, de la transition démocratique et des opérations de maintien de la paix37. Les organisations internationales et les représentants des gouvernements ont surveillé les événements électoraux qui se sont déroulés depuis la première Guerre mondiale, et ce phénomène s’est généralisé au cours de la période suivant la seconde Guerre mondiale. Au niveau universel, les Nations unies avaient institué un contrôle international des élections dans les pays sous tutelle comme le Togo et le Cameroun38 . Au niveau régional, l’Organisation des Etats américains (OEA) était la première Organisation régionale à envoyer les missions d’observation des élections dans ses Etats membres. Ces missions avaient pour but de familiariser les Etats membres avec les libertés démocratiques mais surtout de faire bloc derrière les idéaux caractéristiques de la guerre froide39. La fin de la guerre froide, la conversion des Etats autoritaires vers des transitions démocratiques ont été accompagnées, dans plusieurs Etats de l’Europe centrale, de l’Europe de l’est, de l’Amérique latine et de l’Afrique, par l’organisation des élections multipartites. Ces transitions démocratiques ont été encouragées par des organisations internationales qui se sont dotées de moyens dont l’observation électorale, pour rendre libres, transparents et fiables les processus électoraux. C’est pourquoi l’observation électorale, jadis une pratique éphémère et aléatoire, est devenue, depuis trois décennies, une pratique constante dans la dynamique des relations internationales et au sein des Etats. Plusieurs facteurs expliquent ce regain : les mutations internationales caractérisées par la fin de l’antagonisme entre les deux blocs et surtout le nouveau vent de la démocratie « occidentale » qui soufflait depuis l’Est et le centre européen jusqu’en Afrique où les différents régimes autoritaires et parfois totalitaires ont été ébranlés et secoués d’une manière pacifique ou violente. S’ouvrit ainsi en Afrique V.-Y. GHEBALI et NTOLE KAZADI, « La Déclaration de principe pour l’observation internationale d’élections de l’UNEAD du 7 Juillet 2005, suivie des commentaires de l’OIF », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 104-117, spéc. à la p. 105. 38 F. DESIRE NDOUMOU, Les missions d’observation des élections, Paris, L’Harmattan, 2012, p.5. 37 39 F. DESIRE NDOUMOU, op.cit., p. 6. 36 une transition des anciens régimes vers des nouveaux, à des rythmes variés selon l’évolution de chaque Etat. Les élections libres et démocratiques, considérées à l’époque comme une pratique rarissime dans un désert démocratique, devenaient le chemin recommandé, encouragé ou parfois imposé pour assurer le passage de l’ancien vers le nouveau. Les élections devaient être marquées par le sceau de la sincérité, c’est-à-dire un ensemble des principes et règles garantissant nécessairement la régularité de tout processus électoral. Parmi ces principes figurent l’égalité, la liberté et le caractère secret du vote40. De nouvelles Constitutions ont été adoptées dans cette vague proclamant l’attachement des Etats africains au respect de l’Etat de droit, des droits de l’homme dans leurs sources aussi bien internes qu’internationales. Cette attention portée sur les élections libres et transparentes a été accompagnée en Afrique par la création de nouvelles institutions ou structures de gestion électorale indépendantes chargées de conduire dans la transparence le processus électoral. L’observation électorale est inséparable en Afrique des structures de gestion électorale. Elles constituent l’objet d’intérêt de l’observation électorale. Ce sont ces structures qui organisent et conduisent les processus électoraux. En revanche les missions d’observation sont accréditées auprès d’elles. II. Les structures de gestion électorale et l’observation électorale A. Emergence des structures de gestion électorale Elles se développent en Afrique depuis le renouveau de la décennie 1990. Ces structures prirent différentes dénominations et se sont généralisées en Afrique, aux fortunes variées telles que Commission électorale nationale indépendante (CENI), Commission électorale indépendante (CEI), Commission électorale nationale autonome (CENA), Agence nationale des élections (ANE). Ces structures de gestion apparaissent de nos jours comme l’une des tendances lourdes du renouveau constitutionnel en Afrique en matière électorale dans la mesure où elles sont prévues dans la plupart des Constitutions ou des lois africaines. En outre, leur création est encouragée par l’Union africaine à travers son Acte constitutif du 11 juillet 2000 et surtout la Charte africaine de la démocratie, des élections et la bonne gouvernance du 30 janvier 2007, le Protocole de la CEDEAO de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance. La Cour africaine des droits de l’homme et des 40 ABDOUL AZIZ MBODJI, « L’avènement d’un droit africain des élections démocratiques ? », in ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp. 339-369, spéc. à la p. 358. 37 Peuples a rendu au moins deux arrêts mettant en doute l’indépendance ou l’impartialité de certaines structures de gestion électorale41. Selon l’avis de certains auteurs, la création des Commissions électorales sur le continent africain disqualifie le sempiternel reproche de mimétisme. Ces organes répondent en effet à un besoin politique et social réel, authentique. Ils sortent des entrailles de la société »42. Jean du Bois de GAUDUSSON voit dans ces institutions « une manifestation de l’imagination africaine en matière d’ingénierie juridique. Plus encore, de recettes politiques inventées pour résoudre une crise, elles deviennent un dogme démocratique ; on les a considérées comme le passage obligé de la consolidation démocratique »43. Ces structures de gestion électorale sont indépendantes aussi bien du Pouvoir exécutif que du Pouvoir législatif bien que collaborant avec ces deux Pouvoirs et le Pouvoir juridictionnel. B. Nature juridique des structures de gestion électorale Dans sa décision DCC 34-94 du 23 décembre 1994, la Cour constitutionnelle du Bénin avait dégagé la nature juridique de la Commission électorale nationale autonome (CENA) ainsi que ses finalités en ces termes : « Considérant que la CENA s’analyse comme une autorité administrative autonome et indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ; Considérant que la création de la CENA, en tant qu’autorité administrative indépendante, est liée à la recherche d’une formule permettant d’isoler, dans l’administration de l’Etat, un organe disposant d’une réelle autonomie par rapport au Gouvernement, aux départements ministériels et au Parlement, pour l’exercice d’attributions concernant le domaine sensible des libertés publiques, en particulier des élections honnêtes, régulières, libres et transparentes ; Considérant que l’institution de la CENA se fonde sur les exigences de l’Etat de droit et de la démocratie pluraliste affirmées dans le Préambule de la Constitution du 11 décembre 1990 (…). Considérant que la création d’une Commission électorale indépendante est une étape importante de renforcement et de garantie des libertés publiques et des droits de la personne ; qu’elle permet, d’une part, d’instaurer une tradition d’indépendance et d’impartialité en vue d’assurer la liberté et la transparence des élections, et d’autre part, de gagner la confiance des électeurs et des partis et mouvements politiques ». 41 42 43 A titre indicatif, Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples. Affaire Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. La République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18 novembre 2016. ALIOUNE SALL, Singularités juridiques africaines. Ce que l’Afrique apporte au droit, Paris, L’Harmattan, 2023, p. 218 J. du BOIS de GAUDUSSON, « Les structures de gestion des opérations électorales. Bilan et perspectives en 2000 et…dix ans après », in J-P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 259-286, spéc. à la p. 261. L’ingénierie des structures indépendantes de gestion des élections a été prévue aussi dans des Constitutions non africaines. A titre d’exemple la Constitution du Kosovo du 15 juin 2008 institue une commission électorale centrale (art. 139). 38 C’est dans cette même perspective que s’est prononcée la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar dans sa décision du 16 octobre 2015 concernant la commission électorale nationale indépendante44. Ces structures de gestion électorale répondent au critère d’autorités indépendantes, c’est-à-dire « des organismes experts qui remplissent des fonctions publiques avec le soutien de l’autorité gouvernementale et au nom de l’Etat mais qui ne peuvent pas être dirigés par les organes politiques45. Dans une étude comparative consacrée aux Commissions électorales en Afrique de l’ouest, M. HOUNKPE et Ismaila MADIOR FALL constatent que le statut desdites Commissions comporte des traits communs et des différences résultant de l’histoire de la démocratisation de chaque pays, de sa tradition juridique et du rapport de forces politiques qui a permis la naissance de la Commission électorale. La composition de ces Commissions est différente selon que dans certains Etats les membres desdites commissions proviennent des acteurs politiques et/ou de la société civile. Les Etats anglophones de l’Afrique de l’ouest (Gambie, Ghana, Nigeria, Sierra Léone et Libéria) privilégient une commission politique neutre avec une part plus belle aux experts46. L’indépendance statutaire de ces commissions figure parmi les caractéristiques communes. Après l’étude précitée en langue Décision n°31-HCC/D3 du 16 octobre 2015 concernant la loi n°2015-020 relative à la structure nationale indépendante chargée de l’organisation et de la gestion des opérations électorales dénommée « Commission électorale nationale indépendante ». La Haute Cour constitutionnelle circonscrit la portée de l’indépendance de cette structure de gestion des opérations électorales en ces termes : « (…). Considérant que la signification communément admise de la notion d’indépendance d’un organe de gestion des élections, telle que la Commission électorale nationale indépendante instituée par la loi sous examen, recèle deux dimensions distinctes, mais complémentaires ; celle, d’une part, de l’indépendance institutionnelle, ou organique qui s’apprécie principalement par rapport à l’Exécutif, celle, d’autre part, de l’indépendance substantielle ou matérielle, qui se rapporte aux attributions et à la nature des responsabilités confiées à la Commission ; que ce dernier aspect se vérifie à travers l’autonomie de la volonté de la commission dans ses prises de décision, lesquelles doivent être dénuées de l’ingérence d’autres institutions et des influences partisanes ; Considérant que ces deux acceptions de l’indépendance de la Commission électorale sont certes rattachées à des problématiques distinctes, mais qu’elles demeurent liées, la première tenant à la composition de la commission, la seconde à l’essence même de la responsabilité de la commission (…) ». Cette décision est disponible en ligne à l’adresse http://www.hcc.gov.mg/decisions/d3/decision-n-31-hccd3-du-16-octobre-2015concernant-la-loi-n2015-020-relative-a-la-structure-nationale-independante-chargee-delorganisation-et-de-la-gestion-des-operations-elector/ consultée le 18 octobre 2015. 45 A. SAYO, « Les autorités indépendantes », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité international de droit constitutionnel. Distribution des pouvoirs, Tome 2, Paris, Dalloz, 2012, pp. 321-365, spéc. à la p. 322. 46 Pour plus d’approfondissements, M. HOUNKPE et I. MADIOR FALL, Les Commissions électorales en Afrique de l’ouest. Analyse comparée, Deuxième édition, Abuja, Friedrich Ebert Stiftung, 2011, spéc. aux pp. 11-16. 44 39 française, une autre étude a fait l’objet de publication concernant les Commissions électorales de l’Afrique australe47 et de l’Afrique de l’est48. Examinant la conformité à la Constitution de la loi relative à la Commission électorale indépendante (CEI) de la Côte d’Ivoire et principalement au regard de son indépendance, le Conseil constitutionnel ivoirien relève que « désignés et nommés, les membres de la Commission électorale indépendante ne sont pas des représentants mais les organes de la personne morale qu’est la Commission électorale indépendante, devant laquelle ils sont responsables »49. Cependant, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, dans son arrêt du 18 novembre 2016, avait statué que la CEI manquait d’indépendance et que la Côte d’Ivoire ne s’était pas conformée à son obligation tirée du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance d’une part et de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance d’autre part d’instituer des organes de gestion électorale indépendants50. Dans son arrêt du 15 juillet 2020, cette Cour constate que, nonobstant la modification de la loi ivoirienne sur la CEI, la Côte d’Ivoire ne s’est pas conformée à ses obligations tirées de deux textes précités 51. Selon Alioune SALL, l’impartialité prônée (des structures de gestion électorale) est comprise comme « l’absence de parti-pris, l’éviction de toute considération partisane dans la composition des commissions électorales »52. Il apparaît évident que le crédit initial et les espoirs suscités par ces structures de gestion électorale se sont progressivement effrités dans la plupart des Etats que certaines voix s’élèvent sur leur remise en question. Dans un nombre réduit d’Etats, particulièrement en Afrique de l’ouest, elles ont favorisé l’alternance démocratique. Ces prémisses sont essentielles pour situer et comprendre la place qu’occupe l’observation électorale. Son objectif est de contribuer à créer la confiance dans le processus électoral. 47 OSISA, Election Management Bodies in Southern Africa. Comparative Study of the Electoral Commissions’ Contribution to Electoral Processes. A Review by open Society Initiative for Southern Africa and ECF-SADC 2016, South Africa, 2016. 48 OSISA, Election Management Bodies in East Africa. A Comparative study of the Contribution of Electoral Commissions to the strengthening of democracy. A review by Afrimap and open Society Initiative for Eastern Africa 2015, Open society Foundations, New York, 2016. 49 Conseil constitutionnel. Décision n° CI-2014-138/16-o6/CC/SG du 16 juin 2014 relative à la requête de Monsieur KRAMO KOUASSI, représentant du collectif de 29 députés à l’Assemblée nationale sollicitant le contrôle de constitutionnalité de certaines dispositions de la loi portant modification de la loi n° 2001-634 du 19 octobre 2001. Inédit. 50 Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples. Affaire Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. La République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18 novembre 2016. 51 Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples. Affaire Suy Bi Gohore Emile et autres c. République de Côte d’Ivoire. Requête n°044/2019. Arrêt du 15 juillet 2020. 52 ALIOUNE SALL, Singularités juridiques africaines. Ce que l’Afrique apporte au droit, Paris, L’Harmattan, 2023, p.228. 40 L’importance de l’observation électorale a été soulignée à plusieurs occasions et dans plusieurs documents. Dans sa Résolution adoptée le 18 décembre 2009, l’Assemblée générale reconnaît que « l’observation d’élections par la communauté internationale contribue à promouvoir des élections libres et honnêtes, à renforcer l’intégrité du processus électoral dans les pays demandeurs, à encourager la confiance du public et la participation électorale et à atténuer les risques de troubles liés aux élections (…) »53. Pour l’Union africaine, « les observateurs internationaux, régionaux et nationaux jouent maintenant un rôle important dans le renforcement de la transparence et de la crédibilité des élections et de la gouvernance démocratique en Afrique, et dans l’acceptation des résultats des élections à travers le continent. Les missions d’observation et de suivi des élections peuvent également jouer un rôle clé dans la réduction des conflits avant, pendant et après les élections »54. Le cadre juridique de l’observation électorale au niveau international est fragmenté ou morcelé dans plusieurs textes, manuels, directives dont la valeur juridique est plus proche du droit non contraignant. Il est par contre à la fois contraignant et non contraignant, selon le cas, en Afrique. Dans ce troisième point, le cadre juridique international de l’observation électorale est analysé avant d’illustrer les spécificités de ce cadre juridique en Afrique. III. Cadre juridique de l’observation électorale internationale A. Un cadre juridique médiat ou indirect L’observation électorale tire son fondement juridique médiat des dispositions internationales et nationales par lesquelles les Etats se sont engagés à organiser les élections libres et honnêtes à intervalles réguliers. Ces élections constituent l’un des moyens par lesquels les citoyens participent à la direction des affaires publiques. Ce droit aux élections est, en Droit international, exprimé par la Déclaration universelle des droits de l’homme55, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques56. Au niveau régional, le Protocole 3 à la Convention européenne des Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 18 décembre 2009. 64/155. Renforcement du rôle que joue l’Organisation des Nations Unies dans la promotion d’élections périodiques et honnêtes et de la démocratisation. 54 Directives pour les missions d’observation et de suivi des élections de l’Union africaine adoptée le 8 juillet 2002 à Durban. 55 Art.21.3: « La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics; cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ». Souligné par nous. 56 Art.25: Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables : (…) b) De voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs (…) ». Mis en évidence par nous. 53 41 droits de l’homme57, la Convention américaine des droits de l’homme58, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples59, la Charte arabe des droits de l’homme60, la Déclaration de l’ASEAN des droits de l’homme61, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance62, le Protocole de la CEDEAO Art.3 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». Notre mise en évidence. 58 Art.23 (droits politiques). 1. Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ci-après énumérés: (…) b) d'élire et d'être élus dans le cadre de consultations périodiques authentiques, tenues au suffrage universel et égal, et par scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté des électeurs, et c. d'accéder, à égalité de conditions générales, aux fonctions publiques de leur pays (…) ». Souligné par nous. 59 Elle est assez « timorée ». L’article 13 de cette Charte reprend certaines dispositions analogues à celles de la Convention européenne et de la Convention américaine des droits de l’homme. Cet article passe sous silence toute référence aux consultations ou élections : « 1. Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi. 2. Tous les citoyens ont également le droit d’accéder aux fonctions publiques de leur pays (…) ». Toutefois dans son premier arrêt sur le fond, rendu le 14 juin 2013, la Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples avait interprété, entre autres, cet article 13 en rapport avec l’interdiction, en République-Unie de Tanzanie des candidatures indépendantes aux élections présidentielles. Une telle interdiction était au contraire au droit de participer à la direction des affaires publiques. Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Jonction d’instances. 1. Tanganyika Law society. 2. The Legal and Human Rights Centre c. RépubliqueUnie de Tanzanie (Requête n°009/2011). Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie (Requête n° 011/2011). 60 Art.24 c : « Tout citoyen a le droit de se porter candidat ou de choisir ses représentants dans des élections libres et régulières et dans des conditions d'égalité entre tous les citoyens assurant la libre expression de sa volonté ». Mis en relief par nous. 61 Ar.25 (2): « Every citizen has the right to vote in periodic and genuine elections, which should be by universal and equal suffrage and by secret ballot, guaranteeing the free expression of the will of the electors, in accordance with national law ». Il convient de noter que cette Déclaration, non contraignante, a été adoptée le 18 novembre 2012 par les Etats de l’Association des Pays de SudEst Asiatique (ASEAN). Elle est connue sous le titre anglais de Asean Human Rights Declaration (AHRD). 62 L’article 2 fixe les objectifs de cette Charte, parmi lesquels figure la promotion de « la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement ». Art. 3 : « Les Etats parties s’engagent à mettre en œuvre la présente Charte conformément aux principes énoncés ci-après : (…).4. La tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes ». Souligné par nous. Le contexte socio-politique qui avait prévalu en Afrique lors de l’élaboration et de l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples avait changé à partir de 1990 en faveur d’une ouverture à la démocratie. L’Acte constitutif de l’Union africaine adopté le 11 juillet 2000 à Lomé énonce de nouveaux principes (Respect des principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’état de droit et de la bonne gouvernance). Ces derniers ont été complétés, entre autres, par la Déclaration de l’OUA/UA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique adoptée le 08 juillet 2002. 57 42 sur la démocratie et la bonne gouvernance63, etc. A part les deux derniers instruments juridiques qui se réfèrent, dans leurs dispositions, à l’observation électorale, les autres instruments juridiques ne contiennent aucune référence directe à l’observation électorale. Au niveau international, le cadre juridique de l’observation électorale s’est développé sur le fondement médiat, à l’exception de deux textes adoptés en Afrique. En d’autres termes, au niveau international, la pratique de l’observation électorale s’est développée sur aucun fondement juridique immédiat contraignant. Chaque Organisation internationale qui recourait à cette pratique se dotait d’un corpus de règles, pour la plupart, non contraignantes pour régir l’observation électorale. B. Vers un cadre juridique immédiat ou direct B.1. Au niveau universel Parallèlement au cadre juridique médiat plus étoffé s’est développé progressivement, d’une manière disparate, un cadre juridique spécifique à l’observation internationale fragmenté jusqu’en 2005. En effet, les opérations d’observation électorale furent, pendant longtemps, menées en l’absence de normes uniformes ou de directives communément acceptées. Cette situation a évolué à partir du 7 juillet 2005, date correspondant à l’adoption d’un acte concerté non conventionnel souscrit par plusieurs Organisations internationales et certaines organisations internationales non gouvernementales. Ce fut à l’initiative de la Division de l’assistance électorale de l’ONU et de deux ONG américaines (le Carter Center et le National Democratic Institute), qu’une Déclaration de principes pour l’observation internationale des élections » accompagnée d’un Code de conduite à l’usage des observateurs électoraux internationaux virent le jour. Ces textes recueillirent l’adhésion immédiate des Organisations intergouvernementales les plus concernées par la question- l’ONU, l’Union africaine, l’Organisation des Etats américains, le Secrétariat du Commonwealth, l’Assemblée parlementaire et la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, la Commission de l’Union européenne et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)64. Ces deux textes furent commémorés aux Nations unies le 27 octobre 2005. Le véritable mérite de cette Déclaration réside dans la codification des pratiques touchant les conditions préalables à l’observation électorale, ainsi que la 63 64 Art. 1er b) Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes. Souligné par nous. V.-Y. GHEBALI et NTOLE KAZADI, « La Déclaration de principe pour l’observation internationale d’élections de l’UNEAD du 7 Juillet 2005, suivie des commentaires de l’OIF », in J.P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 104-117, spéc. à la p. 106. 43 conduite pratique et l’évaluation de celle-ci65 . Les parties adhérentes à cette Déclaration de principes relative à l’observation internationale des élections et au Code de conduite des observateurs internationaux entendent conférer à ces textes le statut d’un simple acte concerté non conventionnel, dépourvu de toute force juridique66. L’expression « codification » ne devrait pas être entendue dans toute sa rigueur étant donné que ces deux instruments (Directives et Code de bonne conduite) ne sont pas obligatoires à l’égard des parties qui y ont souscrit et qui sont pour la plupart des Organisations internationales. La contribution des organisations internationales non gouvernementales (OING) au progrès de l’observation électorale n’est pas à sous-estimer tout comme leur apport à l’émergence de ce Droit international relatif à l’observation électorale. Cette dernière ne peut plus se passer des OING. Celles-ci ont acquis une véritable expérience et une capacité technique qui font d’elles des actrices complémentaires et incontournables de l’action des Organisations intergouvernementales67 . Nous pouvons considérer l’adoption de la Déclaration et du Code de bonne conduite comme l’amorce, sur le plan du Droit international, d’un Droit souple (ou la soft law) international relatif à l’observation électorale. Sur le nouveau Droit international relatif aux élections, Didier MAUS est d’avis qu’ « il existe encore trop peu d’études et de réflexions, voire de synthèses, sur les approches et le contenu de ce nouveau corps. Ce Droit international constitutionnel consacré aux élections n’étant ni du véritable Droit national, ni la plupart du temps du véritable Droit international, s’inscrit dans un entre deux et ne passionne guère ceux qui ne savent pas dépasser l’horizon constitutionnel national, mais fournit un véritable terrain d’études pour ceux qui tentent d’approfondir en français la notion de soft law du droit anglo-saxon68 . Le Droit international relatif aux élections s’est particulièrement développé à l’aune de la soft law, Pour T. ONDO, cette expression vise, en matière électorale, à décrire les déclarations des conférences intergouvernementales, les résolutions de l’assemblée générale des Nations unies, les recommandations, déclarations, les conventions internationales ou régionales non ratifiées relatives aux droits de V.-Y. GHEBALI et NTOLE KAZADI, « La Déclaration de principe pour l’observation internationale d’élections de l’UNEAD du 7 Juillet 2005, suivie des commentaires de l’OIF », in J.P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), op.cit., spéc. à la p. 107. 66 V.-Y. GHEBALI et NTOLE KAZADI, « La Déclaration de principe pour l’observation internationale d’élections de l’UNEAD du 7 Juillet 2005, suivie des commentaires de l’OIF », in J.P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), op.cit., spéc. à la p. 114. 67 M. FAU-NOUGARET, « L’observation internationale non-gouvernementale des élections », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 625-637, spéc. à la p. 636. 68 D. MAUS, « Elections et constitutionnalisme : vers un droit international des élections ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 51-58, spéc. à la p. 58. 65 44 l’homme, aux élections, à la démocratie, etc., les actes concertés non conventionnels, les avis consultatifs, les codes de bonne conduite et toute autre initiative émanant d’acteurs étatiques ou non étatiques etc. (…). En fin, participant à la même finalité d’outil de référence, les rapports des missions internationales des élections, les communiqués et les recommandations des Nations unies et des organisations internationales ou non gouvernementales, les déclarations et rapports des Organisations intergouvernementales69. Ce développement du Droit international relatif aux élections en général et à l’observation électorale, en particulier par le biais de la Soft Law présente quelques avantages comme une grande flexibilité dans son adoption. Elle peut aussi servir de préalable à l’établissement du Droit positif. Le recours à la Soft Law peut aussi apparaître comme une stratégie d’évitement du droit et des obligations juridiques contraignantes existantes70. Au regard de la multitude de manuels élaborés par plusieurs organisations internationales et des ONG internationales destinés à leurs observateurs électoraux, certains auteurs estiment que la variété de ces manuels justifie, s’il en était besoin, l’urgence d’élaborer au moins un projet de Convention générale relative à la liberté des élections et à l’observation internationale des élections71. L’Afrique a déjà franchi cette étape en se dotant de deux textes conventionnels dont le contenu porte partiellement sur l’observation électorale internationale. B.2 Au niveau africain La CEDEAO peut être considérée comme pionnière en matière de « codification régionale » de l’observation électorale car le Protocole de la CEDEAO adopté en 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance (Protocole de la CEDEAO) constitue la première intégration conventionnelle de l’observation électorale72. Cette première expérience inspirera partiellement l’Union africaine à se doter d’un instrument juridique contraignant en matière d’observation électorale, à savoir la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Ces deux instruments juridiques ont été considérés par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples comme étant des instruments juridiques pertinents relatifs aux droits de l’homme qu’elle peut interpréter et appliquer. 69 70 71 72 T. ONDO, « L’internationalisation du droit relatif aux élections nationales : à propos d’un droit international des élections en gestation », Revue du Droit public, 2012, N°5, p. 1405. T. ONDO, « L’internationalisation du droit relatif aux élections nationales : à propos d’un droit international des élections en gestation », Revue du Droit public, 2012, N°5, p. 1405. K. VASAK, « Les normes internationales relatives aux élections et leur mise en œuvre », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 73-87, spéc. à la p. 77. En intégralité Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. 45 Le Protocole de la CEDEAO précède l’émergence du Droit électoral en Afrique au niveau continental et précède l’adoption des directives de l’OUA/UA pour l’observation des élections du 8 juillet 2002 et surtout la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance adoptée le 30 janvier 2007 et en vigueur depuis le 15 février 2012. Tous les Etats africains n’ont pas encore ratifié cette Charte. La RDC l’a signée sans pour autant parachever le processus de ratification. Le Protocole de la CEDEAO présente une double nature : d’une part il constitue un traité international d’un genre particulier et d’autre part il est intégré dans le bloc de constitutionnalité de certains Etats membres de la CEDEAO. Analysant cette double nature du Protocole, Alioune SALL estime que ce Protocole constitue « un véritable traité constitutionnel, si l’on entend par là un instrument juridique formellement international mais matériellement constitutionnel au sens où il se rapporte à la matière constitutionnelle, celle qui est relative à l’organisation et au fonctionnement du pouvoir dans l’Etat. Entendu dans ce sens, un traité constitutionnel est donc un acte soustractif, un engagement international qui implique des sacrifices de souveraineté de la part des Etats, sacrifices bien entendus élevés puisqu’ils portent sur des symboles de souveraineté, ils sont d’ordre constitutionnel »73. Cet ancrage constitutionnel du Protocole n’est pas seulement matériel, mais aussi formel car il fait partie du préambule de certaines Constitutions africaines (Préambule de la Constitution guinéenne du 7 mai 2010, abrogée, et du Préambule de la Constitution du Burkina Faso telle que révisée en 2015), mais aussi figure parmi les normes de référence dans l’appréciation de la conformité des actes soumis au contrôle de constitutionnalité (cas de la Cour constitutionnelle du Togo dans sa décision N° C003/09 du 9 juillet 2009, de l’arrêt 2018-03/CC-EP du 8 août 2018 de la Cour constitutionnelle du Mali). C’est au regard de tous ces éléments qu’Alioune SALL soutient que « l’ancrage constitutionnel du traité conclu dans le cadre de la CEDEAO est donc évident. Ancrage matériel, dans la mesure où son objet ou une partie de cet objet est indubitablement d’ordre constitutionnel, ancrage formel au sens où il a été érigé en norme constitutionnelle formelle ou en norme de référence pour le juge constitutionnel »74 Pour compléter l’ancrage formel du Protocole de la CEDEAO, nous pouvons aussi faire allusion d’une part à la Charte de transition du Mali du 1er Octobre 2020 et à la Charte de transition de Guinée du 27 septembre 2021 d’autre part qui intègrent, dans leurs préambules, la référence au Protocole de la CEDEAO75. Cette ALIOUNE SALL, Singularités juridiques africaines. Ce que l’Afrique apporte au droit, Paris, L’Harmattan, 2023, p.175. Souligné par nous. 74 ALIOUNE SALL, op.cit., pp. 182-183. Mis en évidence par nous. 75 Décret n° 2020-0072/PT-RM du 1er Octobre 2020 portant promulgation de la Charte de la transition (Journal officiel de la République du Mali. Spécial n° 17, 1 er octobre 2020). Charte de transition de Guinée du 27 septembre 2021. 73 46 référence n’est pas reprise dans la Constitution du Mali du 22 juillet 202376. Dans sa décision DCC 15-086 du 14 avril 2015, la Cour constitutionnelle du Bénin avait déclaré contraire à la Constitutionnelle la loi adoptée par l’Assemblée nationale le 16 mars 2015 modifiant certaines dispositions de la loi du 25 novembre 2015 portant Code électoral en République du Bénin dans la mesure où cette loi avait été adoptée, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques, moins de six (6) mois des élections et ce, contrairement aux prescriptions du Protocole de la CEDEAO77. Ce Protocole est aussi justiciable devant la Cour de justice de la CEDEAO et devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette dernière le considère, à l’instar de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance comme deux instruments juridiques pertinents relatifs aux droits de l’homme qu’elle peut interpréter et appliquer78. Elle s’est focalisée sur les dispositions de l’article 3 dudit Protocole ainsi que sur celles de l’article 17 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) qui engagent les Etats à instituer des organes impartiaux chargés de l’organisation des élections 79. La jurisprudence est, à ce sujet, prolifique80 76 Décret n° 2023-0401/PT-RM du 22 juillet 2023 portant promulgation de la Constitution. Journal officiel de la République du Mali du 22 juillet 2023. 77 L’article 2 (1) dudit Protocole est rédigé en ces termes : « Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ». Souligné par nous. 78 Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, Affaire Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. la République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18 novembre 2016. § 63 : « la Cour observe donc que l’obligation des Etats parties à la Charte africaine sur la démocratie et au Protocole de la CEDEAO sur la démocratie de créer des organes électoraux nationaux indépendants et impartiaux vise la mise en œuvre des droits ci-dessous mentionnés, prévus par l’article 13 de la Charte des droits de l’homme, à savoir le droit, pour chaque citoyen, de participer librement à la direction des affaires publiques de son pays (…) ». § 65 : « de ce qui précède, la cour conclut que la charte africaine sur la démocratie et le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie sont des instruments relatifs aux droits de l’homme, au sens de l’article 3 du Protocole, et qu’elle a, en conséquence, compétence pour les interpréter et les faire appliquer ». 79 Art.3 : « Les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. En cas de nécessité, une concertation nationale appropriée doit déterminer la nature et la forme desdits Organes ». Notre soulignement.Art.17 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance : « Les Etats parties réaffirment leur engagement à tenir régulièrement des élections transparentes, libres et justes conformément à la Déclaration de l’Union sur les Principes régissant les Elections démocratiques en Afrique. A ces fins, tout Etat partie doit : 1. Créer et renforcer les organes électoraux nationaux indépendants et impartiaux, chargés de la gestion des élections (…) ». Souligné par nous. 80 Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, Affaire Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. la République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18 novembre 2016 ; affaire Houngue Eric Noudehouenou c. République du Bénin. Requête n° 028/2020. Arrêt (fond et réparations), 1 er décembre 2022, § 31 ; affaire Laurent Gbagbo c. 47 Pour la Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, l’impartialité et l’indépendance constituent les principales caractéristiques d’un organe électoral en vertu de l’article 17 de la CADEG d’une part et du Protocole de la CEDEAO d’autre part81. Dans l’affaire APDH contre la Côte d’Ivoire, la Cour africaine considère qu’un organe électoral est indépendant quand il jouit d’une autonomie administrative et financière et qu’il offre des garanties suffisantes quant à l’indépendance et l’impartialité de ses membres.82 Les garanties d’indépendance et d’impartialité tiennent aussi compte de l’équilibre dans la composition de l’organe électoral. C’est dans cette optique que, saisie de la composition de la Commission électorale indépendante (CEI), l’organe électoral ivoirien, la Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples a jugé cette dernière déséquilibrée au profit du pouvoir en place. Au regard de ce déséquilibre, la Cour africaine statue que la CEI ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises pour un organe électoral et qu’il ne peut donc pas être perçu comme tel83. La Cour de justice de la CEDEAO considère que la violation des principes de convergence constitutionnelle qui figurent à l’article premier dudit Protocole peut être invoquée avec pertinence par une personne physique à la condition que la violation porte atteinte à ses droits de l’homme84. C’est dans ce sens qu’elle s’est prononcée dans l’affaire Abdoulaye Baldé contre l’Etat du Sénégal85. Elle a confirmé cette orientation dans l’affaire Bazoum et deux autres contre l’Etat du Niger86. A ce propos, la Cour estime qu’en l’espèce, le coup d’Etat commis par la junte militaire, qui s’est par la suite donnée le nom de Conseil national pour la sauvegarde de la Patrie, en abrégé CNSP, constitue un changement inconstitutionnel de gouvernement et viole les principes de convergence constitutionnelle. République de côte d’Ivoire. Requête n° 025/020. Ordonnance (Mesures provisoires). 25 septembre 2020 ; affaire XYZ c. République du Bénin. Requête n° 010/2020, Arrêt du 27 novembre 2020 (Fond et réparations) ; affaire XYZ c. République du Bénin, Requête n° 059/2019, Arrêt du 27 novembre 2020 (fond et réparations). 81 Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples. Affaire XYZ c. République du Bénin. Requête n° 010/2020, arrêt du 27 novembre 2020 (Fond et réparations), § 124. 82 Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, Affaire Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. la République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18 novembre 2016§ 118. 83 Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, Affaire Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. la République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18 novembre 2016, § 133. 84 L’article 1er dudit Protocole : Les principes ci-après sont déclarés principes constitutionnels communs à tous les Etats membres de la CEDEAO. 85 CJ CEDEAO. Arrêt n°ECW/CCI/JUG/04/13. Abdoulaye Baldé c. l’Etat du Sénégal. 22 février 2013. 86 CJ CEDEAO. Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/57/23 du 15 décembre 2023. Bazoum et deux autres contre l’Etat du Niger. Requête n° ECW/CCJ/APP/36/23. 48 L’Union africaine s’est dotée, avant l’adoption de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, des déclarations et directives dont la portée n’oblige pas formellement les Etats membres de l’Union africaine87. La Déclaration de l’OUA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique engage les Etats africains, entre autres, à « garantir la transparence et l’intégrité de l’ensemble du processus électoral en facilitant le déploiement des représentants des partis politiques et des candidats dans les bureaux de vote et de dépouillement, et en accréditant des observateurs nationaux et autres (…) »88. Il est évident que cette Déclaration constitue un engagement solennel pris par les Etats membres ne revêtant aucun caractère obligatoire. C’est sur la base de cette Déclaration qu’avaient été élaborées les Directives pour les missions d’observation et de suivi des élections. La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) du 30 janvier 2007 et entrée en vigueur le 15 février 2012 intègre, dans le Droit conventionnel africain les principes et les directives susmentionnés en s’inspirant par ailleurs de la Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections et le Code de conduite à l’usage des observateurs électoraux internationaux. La CADEG prend aussi en considération l’expérience développée par l’Union africaine dans l’observation électorale. Certaines dispositions de ladite Charte résultent d’une adaptation des dispositions relatives au Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001. Ce Protocole constitue le texte précurseur au niveau conventionnel de l’observation électorale. Le cadre juridique de l’Union africaine relatif aux élections comprend l’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007, la Déclaration de l’OUA/UA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique du 8 juillet 2002, les Directives de l’Union africaine pour les missions d’observation et de suivi des élections du 8 juillet 2002 et les Notes pour les Observateurs du processus électoral. En fin, les rapports établis par les différentes missions d’observation électorale ou d’évaluation des processus électoraux munies des mandats spécifiques complètent le cadre normatif de l’Union africaine. Partant de ces différents textes, L.E.OGNIMBA se propose d’établir entre eux une hiérarchie au regard de l’auteur ayant été à la base de l’adoption de ces textes. Au sommet de la hiérarchie l’Acte constitutif de l’Union africaine suivi de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Cette charte serait suivie de la déclaration des Chefs d’Etat et de gouvernements, puis des directives de l’Union africaine pour les missions d’observation et de suivi des La Déclaration et les directives du 8 juillet 2002 ont été adoptées par l’OUA au crépuscule de sa disparition au profit de l’Union africaine. Elles font partie désormais du patrimoine de l’Union africaine. 88 Souligné par nous. 87 49 élections et les Notes pour les observateurs. Pour l’auteur, les déclarations, bien qu’émanant de l’organe suprême de l’Union dont elle définit les politiques, elles devraient, si l’on se situe dans une perspective strictement juridique, n’avoir qu’une valeur morale et devraient rester de ce fait de simples documents de politique générale chargés d’orienter l’action ou la politique des Etats membres et le travail de la Commission. Néanmoins, dans la réalité et en raison de la confusion qui existe dans l’ordonnancement juridique des actes juridiques de l’Union, observe l’auteur, certaines d’entre elles prennent le caractère d’un véritable instrument juridique dans leur mise en œuvre. C’est le cas pour la Déclaration de l’OUA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique sur laquelle se fondent les initiatives de l’Union en matière électorale. Les directives constituent un acte réglementaire appliquant une décision des Chefs d’Etat et de gouvernement et s’imposant à la Commission. Au bas de l’échelle, il y aurait les Notes pour les observateurs du processus électoral qui ne sont qu’un document administratif chargé d’éclairer le travail pratique des observateurs89. La SADC a adopté le 20 juillet 2015 les principes et lignes directrices régissant les élections qui ont été révisés en 2021. L’internationalisation du Droit relatif aux élections en général et de manière particulière à l’observation électorale (internationale) entraîne des conséquences comme le souligne MAMADOU SALIF SANE : « Désormais, la régularité des élections et la légitimité des autorités élues sont appréciées en fonction du respect des normes secrétées par la Communauté internationale via les résolutions des Organisations internationales universelles, et régionales. En Afrique de l’ouest francophone, il se développe depuis un certain temps des normes électorales communautaires »90. Le droit international relatif à l’observation électorale a exercé une influence sur le Droit électoral des Etats qui ont initié des réformes ayant abouti à l’internalisation de l’essentiel du cadre juridique susmentionné. Le Droit congolais a intégré en son sein l’essentiel des dispositions internationales relatives à l’observation électorale dont il importe d’illustrer le cadre juridique. IV. Le cadre juridique de l’observation électorale en Droit congolais A. L’observation électorale en Droit congolais Le cadre juridique relatif aux observateurs électoraux est fragmenté dans plusieurs dispositions législatives, complétées et étoffées par des dispositions L.-E. OGNIMBA, « Le cadre juridique de l’observation et de l’assistance électorales de l’Union africaine » in J-P. VETTOVAGLIA, et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 88-103, spéc. aux pp. 91-92. 90 MAMADOU SALIF SANE, « L’ordre juridique électoral dans l’espace CEDEAO », in ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp. 371-411, spéc. à la p. 385 et s. 89 50 règlementaires. Certaines dispositions ont été abrogées. La première référence aux observateurs électoraux est tirée de la loi n° 04/009 du 5 juin 2004 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Commission électorale indépendante (CEI)91. Cette loi n’a pas défini l’observateur électoral. C’est la loi n°04/028 du 24 décembre 2004 portant identification et enrôlement des électeurs en RDC qui propose la première définition de l’observateur électoral en droit congolais et dessine le statut de l’observateur électoral en énumérant un certain nombre de droits et des obligations applicables aux observateurs électoraux92. L’article 32 de la loi précitée entend par observateur « tout Congolais ou étranger mandaté par une organisation nationale ou internationale et agréé par la Commission Electorale Indépendante pour assister à toutes les opérations »93. Cette définition a été reprise dans des termes quasi identiques en substituant le verbe « agréer » par celui d’« accréditer » par la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales. L’article 42 de cette loi électorale, qui a survécu aux différentes modifications de cette loi en 2011, 2015, 2017 et 2022, est libellé comme suit : « Est observateur, tout congolais ou étranger mandaté par une organisation nationale ou internationale et accrédité par la Commission électorale indépendante pour assister à toutes les opérations électorales »94. Les observateurs électoraux peuvent être accrédités dès la phase de l’identification et de l’enrôlement des électeurs95 jusqu’au dépouillement des résultats. L’absence des observateurs ne peut constituer un motif pour l’invalidation des opérations électorales. Les observateurs assistent aux opérations de dépouillement sans toutefois signer les procès-verbaux ni les fiches des résultats. Ils ne reçoivent pas non plus copie de ces documents qui servent de moyens de preuve dans le règlement du contentieux électoral. La loi du 24 décembre 2004 portant identification et enrôlement des électeurs en RDC telle que modifiée et complétée par la loi n° 16/007 du 29 juin 2016 énonce, pour la première fois, un noyau de règles embryonnaires servant de base à l’élaboration progressive du statut de l’observateur électoral. Ce statut 91 Article 27 : Dans le cas des observateurs internationaux, la demande est présentée par le gouvernement à l'initiative de la Commission électorale indépendante. Les demandes d'observation émanant des organisations internationales sont introduites par la voie diplomatique et transmise à la Commission Electorale Indépendante par le gouvernement. Article 28 : La Commission électorale indépendante accrédite les observateurs nationaux et internationaux. Elle reçoit les listes des témoins désignés par les candidats et les partis politiques. Cette loi a déjà été abrogée. 92 Cette loi du 24 décembre 2004 a été modifiée et complétée par la loi n° 16/007 du 29 juin 2016. 93 Souligné par nous. 94 Journal officiel de la République démocratique du Congo, Kinshasa, 10 mars 2006, col.3. Souligné par nous. 95 Cette disposition est prévue dans la loi n° 04/028 du 24 décembre 2004 portant identification et enrôlement des électeurs. Article 6 : « Les opérations d’identification et d’enrôlement s’effectuent en présence des observateurs nationaux et/ou internationaux ainsi que des témoins des partis politiques accrédités par la Commission Electorale Indépendante (…) » 51 « embryonnaire » a été étoffé par la loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, provinciales, urbaines, municipales et locales96 dans ses diverses modifications97, la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale indépendante (CEI) de 2004 et de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) du 28 juillet 2010 jusqu’à la dernière modification98. Au niveau des opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs, la présence d’observateurs nationaux ou internationaux a pour but d’assurer la transparence des opérations d’identification99. A ces dispositions législatives, il convient d’ajouter des dispositions règlementaires. C’est le cas, d’une part, de la Décision n°026 bis/BUR/CENI/16 du 13 juillet 2016 relative aux mesures d’application de la loi n° 04/028 du 24 décembre 2004 portant identification et enrôlement des électeurs en RDC telle que modifiée et complétée par la loi n°16/007du 29 juin 2016 et d’autre part du Règlement intérieur de la CENI du 09 février 2022 déclaré conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle100. 96 Journal officiel de la République démocratique du Congo, Kinshasa, 10 mars 2006, col.3. Loi n° 11/003 du 25 juin 2011 modifiant la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales ; Loi n° 15/001 du 12 février 2015 modifiant et complétant la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la Loi n°11/003 du 25 juin 201 ; Loi n° 17/013 du 24 décembre 2017 modifiant et complétant la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales ; Loi n°22/029 du 29 juin 2022 modifiant complétant la loi n°06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la loi n°11/003 du 25 juin 2011, la loi n°15/001 du 12 février 2015 et la loi n°17/013 du 24 décembre 2017. 98 Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante telle que modifiée et complétée par la loi organique n°13/012 du 19 avril 2013 et la loi organique n°21/012 du 03 juillet 2021 (Textes coordonnés et mis à jour). Journal officiel de la République démocratique du Congo, Kinshasa, 20 juillet 2021, Col.3. 99 Art.45 de la Décision n°026 bis/BUR/CENI/16 du 13 juillet 2016 relative aux mesures d’application de la loi n° 04/028 du 24 décembre 2004 portant identification et enrôlement des électeurs en RDC telle que modifiée et complétée par la loi n°16/007du 29 juin 2016 : « La présence d’observateurs nationaux ou internationaux a pour but d’assurer la transparence des opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs. Ils ont accès à tous les Centres d’inscription. Outre les dispositions de l’article 36 de la loi portant identification et enrôlement des électeurs en République démocratique du Congo, ils sont tenus de se conformer aux règles de conduite édictées par la Commission électorale nationale indépendante. Nul ne peut invoquer l’absence d’observateurs comme motif d’invalidation d ces opérations, conformément à l’article 30 de la loi portant identification et enrôlement des électeurs en République démocratique du Congo » 100 Cour constitutionnelle. R.Const.1722. En cause : Requête en appréciation de la conformité à la Constitution du Règlement intérieur de la Commission électorale nationale indépendante, CENI en sigle, adopté par l’Assemblée plénière le 09 février 2022. Arrêt du 1er mars 2022. Inédit. 97 52 La CENI agrée les demandes d’observation introduites par les Organisations internationales ou non gouvernementales pour qu’elles s’assurent du bon déroulement des opérations avant, pendant et après une élection ou un référendum. Les demandes d’observation émanant des organisations internationales ou non gouvernementales sont introduites par voie diplomatique et transmises à la CENI. La CENI accrédite les observateurs nationaux et internationaux 101. Les différentes dispositions applicables aux observateurs électoraux contiennent des règles formant le statut juridique des observateurs en RDC. B. Statut des observateurs électoraux en Droit congolais Le statut des observateurs électoraux comprend des droits et des obligations qui résultent de différents textes sus-évoqués et qui prennent en considération les différentes étapes des opérations électorales. Les observateurs nationaux et internationaux jouissent de droits ci-après : 1. Le droit à l’accréditation102 ; 2. Le droit d’accéder à tous les lieux où se déroulent les opérations d’identification d’enrôlement des électeurs sans interférer dans la procédure ; 3. Le droit de bénéficier de la sécurité et de la protection des pouvoirs publics pendant toute la durée des opérations ; 4. Le droit de veiller à la régularité des opérations conformément à la loi et aux procédures édictées à cet effet. 5. Le droit à la liberté de circulation et à la sécurité garanti par le gouvernement ; 6. Le droit de saisir la CENI de toute violation des dispositions législatives et règlementaires régissant les élections et/ou un referendum103. Ils sont astreints aux obligations ci-après : 1. Le respect des lois et règlements de la RDC ainsi que le code de bonne conduite des observateurs ; 2. Le port de manière visible de leurs cartes d’accréditation et leur exhibition à toute réquisition de l’autorité compétente ; 3. L’apposition de la signature sur le registre de présence dans les lieux visités où se déroulent les opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs ; 4. L’interdiction de s’immiscer directement ou indirectement dans le déroulement des opérations électorales ; 5. L’interdiction de battre campagne ou de 101 Art.45 de la Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la CENI telle que modifiée et complétée par la loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 et la loi organique n° 21/012 du 03 juillet 2021 (Textes coordonnés et mis à jour). JORDC, Kinshasa, 20 juillet 2021, Col.2. 102 Le pouvoir discrétionnaire de la CENI d’accréditer les observateurs est encadré par un nouvel alinéa inséré à l’article 43 de La loi n° 22/029 du 29 juin 2022 modifiant et complétant la loi n° 06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la loi n° 11/003 du 25 juin 2011, la loi n° 15/001 du 12 février 2015 et la loi n° 17/013 du 24 décembre 2017 (JORDC, N° spécial, 5 juillet 2022) : « En cas de refus d’accréditation, la décision est motivée. Elle est notifiée au requérant qui, le cas échéant, peut introduire un recours ». Souligné par nous. 103 Art.29 de la Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la CENI telle que modifiée et complétée par la loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 et la loi organique n° 21/012 du 03 juillet 2021 (Textes coordonnés et mis à jour). JORDC, Kinshasa, 20 juillet 2021, Col.2. 53 porter tout signe partisan le jour du scrutin ; 6. Le dépôt à la CENI, à l’Assemblée nationale, au Sénat et au gouvernement d’une copie de leur rapport d’observation104. La CENI peut aussi, à titre de sanction, retirer l’accréditation à un observateur qui enfreint les obligations auxquelles il est tenu. V. Missions d’observation électorale en RDC : rétrospectives et perspectives A. Critères d’évaluation du processus électoral Les observateurs évaluent le processus électoral de l’État où ils sont présents, conformément aux critères standards d’élections honnêtes et démocratiques. Cette mission, qui se veut impartiale, se fait au regard des normes internes et internationales régissant les élections tout en prenant en compte l’environnement local, tant du point de vue du contexte culturel, historique que juridique105. En général, le rôle de la mission d'observation consiste à évaluer la manière dont les procédures des systèmes électoraux et les garanties légales sont appliquées pour aboutir à des élections libres et régulières. Dans cette perspective, les observateurs nationaux et internationaux devraient déterminer si les indicateurs des élections libres et régulières ont été respectés tout au long de la période électorale 106 . La liberté, l’égalité, la sincérité et la transparence font partie de critères à l’aune desquels sont évalués ou appréciés les différents processus électoraux. Une élection peut être libre sans pour autant être transparente ou régulière. La transparence est volontairement viciée par certaines administrations électorales qui peuvent refuser d’accréditer les organismes d’observations ou par certains agents qui peuvent interdire l’accès des observateurs aux bureaux de vote. Elle est encore viciée lorsque le pouvoir organise la rétention des informations électorales ou cherche à tromper l’information des électeurs et des acteurs. Souvent, les informations relatives aux nombres de bureaux de vote, la consistance du fichier électoral sont présentées d’une manière floue. Ces attitudes sont souvent renforcées par l’inaccessibilité ou l’indisponibilité de la liste électorale 107 L’article 45 comporte un dernier alinéa libellé comme suit : « L’organisme dont l’observateur est accrédité s’engage à déposer copie de son rapport d’observation à la CENI, à l’Assemblée nationale, au Sénat et au Gouvernement ». La loi n° 22/029 du 29 juin 2022 modifiant et complétant la loi n° 06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la loi n° 11/003 du 25 juin 2011, la loi n° 15/001 du 12 février 2015 et la loi n° 17/013 du 24 décembre 2017 (JORDC, N° spécial, 5 juillet 2022). 105 G.-F. HOLO, « La démocratie électorale en Afrique : état des lieux et propositions » in F.J. AIVO et alii (dir.), L’amphithéâtre et le prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie. Mélanges en l’honneur du Président Robert Dossou, Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 617-654, spéc. à la p. 636. 106 P. MUKONDE MUSULAY, Démocratie électorale en Afrique subsaharienne. Entre droit, pouvoir et argent, Genève, Globethics.net African Law, N° 4, 2016, spéc. à la p. 121. 107 ABDOUL AZIZ MBODJI, « L’avènement d’un droit africain des élections démocratiques ? », in ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges 104 54 La sincérité du scrutin comporte une dimension individuelle et collective. Dans sa dimension individuelle, la sincérité du scrutin implique que l’intention exprimée de l’électeur soit respectée, pourvu que celui-ci se soit conformé aux prescriptions régissant le vote et ait utilisé le matériel électoral prévu à cet effet. Dans sa dimension collective, elle suppose que le résultat d’ensemble correspond avec exactitude aux votes émis par les électeurs et que soit vérifiée la concordance entre le nombre des membres composant le collège électoral et le nombre de ceux qui se sont exprimés en votant ou en s’abstenant108. Ces critères sont contenus dans les différents manuels, directives, déclarations, traités internationaux, droit dérivé des organisations internationales etc. Le rapport de la mission électorale a pour principal objet de contenir la conclusion sur la question de savoir si les élections peuvent être considérées comme ayant été libres et honnêtes, étant entendu que cette conclusion doit être basée sur les données vérifiables et être présenté d’une manière concise et accessible. Normalement, le rapport devrait être prêt dix jours après le retour de la mission d’observation. Pour que le modèle soit accepté, certains éléments essentiels du rapport sont importants et ceux-ci seront complétés en cas de nécessité par les observateurs. Le rapport se compose généralement de deux parties. La première partie comprend les conclusions, la description des méthodes suivies, l’évaluation du processus électoral ainsi que l’observation électorale elle-même. La seconde partie (les annexes) contient les observations faites sur le terrain, les exemplaires non utilisés des listes de contrôle et les informations sur la loi et les procédures électorales ainsi que d’autres documents appropriés109. B. Les observateurs électoraux et leurs rapports ou déclarations préliminaires Les déclarations préliminaires précèdent les rapports qui sont plus exhaustifs et élaborés quelques semaines, voire quelques mois après la fin du processus électoral. Les données des déclarations préliminaires peuvent être exploitées dès lors que les rapports ne sont pas encore disponibles. B.1 Présentation diachronique des missions d’observation électorale depuis 2006 Les observateurs électoraux aussi bien internationaux que nationaux participent au processus électoral depuis le premier cycle électoral de 2006. Selon Jean-Louis ESAMBO, le premier tour de l’élection présidentielle de juillet et août 2006 avait mobilisé soixante-deux mille quarante observateurs. Le deuxième tour de 108 109 en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp. 339-369, spéc. aux pp. 368-369. P. MUKONDE MUSULAY, Démocratie électorale en Afrique subsaharienne. Entre droit, pouvoir et argent, Genève, Globethics.net African Law, N° 4, 2016. F. DESIRE NDOUMOU, Les missions d’observation des élections, Paris, L’Harmattan, 2012, p.164. 55 la même élection avait enregistré cent quatorze mille neuf cent deux observateurs. Pour les scrutins des élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011, la Commission électorale nationale indépendante avait accrédité cent huit mille deux cent trente-huit observateurs. La Conférence Épiscopale Nationale du Congo affirme, pour sa part, selon les écrits de l’auteur, avoir déployé, à l’occasion des élections générales du 30 décembre 2018 et du 31 mars 2019, quarante millions d’observateurs électoraux (sic), contre vingt mille pour le compte de la Synergie des missions d’observation citoyenne du cadre permanent pour les élections et trois mille pour l’association Agir pour les élections transparentes et apaisées, le Réseau d’éducation civique et électoral, ainsi que le collectif 24110. La présence des observateurs nationaux est complétée par celle des observateurs internationaux à long ou à court terme déployés par les organisations internationales ou les organisations internationales non gouvernementales. Ces observateurs ont été déployés dès le premier cycle électoral et se présentent comme suit, selon les données fournies par Jean-Louis ESAMBO KANGASHE : la présence, pour le premier tour de l’élection présidentielle de juillet 2006, de deux mille soixante-quatorze observateurs internationaux, contre deux mille six cent quatre-vingt-treize, pour le deuxième tour du même scrutin. Des considérations spécifiques des Missions d’observation électorale de l’Union européenne (MOE UE) méritent d’être développées. Les MOE UE comprennent, en moyenne, de 60 à 300 observateurs, en fonction de la dimension du pays, de son électorat et de la complexité du processus électoral. A titre d’exemple, la MOE UE déployée en RDC en 2006 constitue, à ce jour, le plus large dispositif d’observation électorale jamais mis en œuvre par l’Union européenne. La mission était composée d’une équipe-cadre de 14 personnes et de quelques 300 observateurs électoraux issus des Etats membres de l’UE ainsi que de la Suisse, du Canada et de la Norvège111. Il est important de préciser que les missions d’observation de l’UE n’ont jamais pour mandat de valider les résultats d’une élection donnée. Ces missions valident le processus électoral et non les résultats des élections. La validation des résultats demeure une prérogative des autorités nationales. La Communauté internationale ne saurait en effet se substituer aux autorités nationales et intervenir dans un domaine qui est du ressort de la souveraineté nationale112. 110 111 112 ESAMBO KANGASHE, J.L. Droit électoral congolais. Deuxième édition, Louvain-La-Neuve, Academia-L’ Harmattan, 2020, p.116. V. ARNAULT, « La politique d’observation électorale de l’Union européenne », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 661-669, spéc. à la p.665. V. ARNAULT, « La politique d’observation électorale de l’Union européenne », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 661-669, spéc. à la p. 663. 56 Pour l’observation de l’élection présidentielle et celle des députés nationaux du 28 novembre 2011, la CENI avait accrédité sept cent quatre-vingt-cinq observateurs internationaux. En vue de la tenue des élections présidentielles, législatives et provinciales des 30 décembre 2018 et 31 mars 2019, elle avait procédé à la sélection de missions d’observation internationale, excluant les délégués de l’Union européenne et du Centre Carter au profit de ceux de l’Union africaine, de la Conférence internationale sur la région de Grands Lacs, de la Communauté économique des États d’Afrique centrale, du Forum des commissions électorales des pays membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe et de l’Organisation internationale de la francophonie113. Une Mission d’observation électorale de l’Union africaine (MOEUA) avait été déployée pour procéder à une évaluation objective du processus électoral en RDC de 2018. Elle était composée de 80 observateurs de Long et de Court Terme. L’évaluation de la MOEUA repose sur les dispositions de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, la Déclaration de l’OUA/UA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique, les Directives de l’Union africaine pour les missions d’observation et de suivi des élections, le Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs, les instruments internationaux pertinents régissant l’observation internationale des élections ainsi que la Constitution et les lois de la RDC. Pour les élections du 20 décembre 2023, l’Union africaine et la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) avaient lancé le10 décembre 2023 à Kinshasa la mission d’observation électorale. En ce qui concerne la SADC, la mission est constituée de 94 membres dont 73 observateurs de terrain venus de 8 pays d’Afrique. Chacune de ces deux missions d’observation électorale a fait une déclaration préliminaire contenant l’évaluation du processus et formulant des recommandations. Dans la Déclaration préliminaire de la Mission d’observation électorale de l’Union africaine, l’Union africaine avait dépêché une mission de court terme du 13 au 26 décembre 2023 composée de 65 observateurs répartis en 24 équipes déployées dans six provinces114. Elle a formulé des recommandations, entre autres, au 113 114 J.-L. ESAMBO KANGASHE,op. cit., pp.117-118. Kinshasa, Haut-Katanga, Nord-Kivu, Kwilu (Bandundu et Kikwit), Kongo central (Matadi et Boma). 57 Gouvernement et au législateur115 d’une part et à la CENI d’autre part116. En ce qui concerne l’audiovisuel, elle a recommandé l’adoption des mesures pour garantir l’accès équitable à l’audiovisuel public à tous les candidats sans discrimination. En fin, la Mission a relevé que les élections se sont déroulées dans une atmosphère relativement calme avec des défis logistiques. La Mission d'observation électorale de la SADC a mobilisé 72 observateurs, dont 52 ont été déployés dans 14 provinces de la RDC117. Les observateurs provenaient de six (6) États membres de la SADC: Afrique du Sud, Angola, Namibie, Zambie, Zimbabwe et République-Unie de Tanzanie. Dans sa Déclaration préliminaire publiée le 22 décembre 2023 à l’issue des élections du 20 décembre 2023, la Mission a constaté que certaines de recommandations formulées à l’issue des scrutins du 30 décembre 2018 ont été prises en compte dans les réformes qui ont été réalisées. Il s'agit de la loi n° 22/029 du 29 juin 2022 amendant et complétant la loi n° 06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections, et Loi organique n° 21/012 du 2021 modifiant et complétant la loi n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la CENI. En outre, la mission a noté l'introduction du vote des membres de la diaspora, qui est conforme à la section 4.1.8 des principes et des lignes directrices de la SADC. La Mission Internationale d'Observation des Elections (MIOE) du Carter Center était composée de 43 observateurs accrédités, provenant de 20 Etats. Les observateurs déployés dans 11 provinces et à Kinshasa, ont évalué que les opérations de vote s'étaient déroulées relativement bien dans 88 des 109 bureaux de vote visités, même si certains de ces bureaux de vote ont ouvert plusieurs heures après l'heure prévue d’ouverture. En outre, le déroulement du vote a été évalué négativement dans 21 bureaux de vote, avec de graves irrégularités observées dans plusieurs d'entre eux. Le Centre Carter a déployé 16 équipes d’observateurs, qui ont observé les procédures durant le vote dans onze provinces118 : Du fait d’un nombre limité d’observations, les constatations ne reflètent pas l’évaluation de l’ensemble des procédures le jour du vote 115 Au Gouvernement et au législateur de prendre toutes les mesures nécessaires pour appuyer l’acheminement à temps du matériel électoral sur toute l’étendue du territoire national afin de permettre une plus grande participation des populations. Le retard ou l’absence du déploiement des matériels électoraux a causé des préjudices à la bonne tenue du scrutin. Garantir l’indépendance et l’impartialité des institutions impliquées dans le processus électoral, notamment la CENI et la Cour constitutionnelle. 116 A la CENI elle recommande l’organisation du déploiement à temps du matériel électoral sur toute l’étendue du territoire ; de prendre les mesures nécessaires pour traiter les problèmes relatifs aux cartes électorales (duplicata), d’organiser un processus transparent de dépouillement des résultats. 117 Kinshasa, l'Équateur, le Haut-Katanga, le Kasaï occidental, le Kasaï oriental, le Kongo central, le Lualaba, le Kwilu, le Maniema, le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, le Sud-Ubangui, le Tanganyika et la Tshopo. 118 Sud Kivu, Nord Kivu, Tanganyika, Kasai Central, Kasai Oriental, Tshopo, Lualaba, Haut Katanga, Kongo Central, Equateur et Kinshasa. 58 Pour la MIOE du Carter Center, les élections se sont déroulées dans un contexte de profond manque de confiance de la part de nombreux citoyens vis-à-vis d’un processus électoral équitable. Ce manque de confiance découle en partie de la conduite des processus électoraux précédents, mais aussi de la composition de la CENI, ainsi que d’un manque de transparence, notamment en ce qui concerne le processus d’enregistrement des électeurs. La confiance a également été entamée du fait d’un grand nombre de cartes d'électeurs illisibles et du fait de l'affichage tardif des listes électorales. La MIOE du Centre Carter était la seule mission internationale d’observation des élections à déployer des observateurs à long terme à travers le pays. Des organisations régionales, dont l'Union africaine, la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), ont déployé des observateurs à court terme le jour du scrutin. L'Union européenne a maintenu une équipe d'experts à Kinshasa après avoir décidé de retirer les observateurs de longue durée. La mission de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) n’a pas obtenu l’autorisation de déployer une mission119. Les missions d’observation électorale sous la conduite des organisations internationales (Union africaine, SADC) et des organisations internationales non gouvernementales (Mission de Carter Center) présentent des similitudes : un nombre réduit d’observateurs, pour la plupart à court terme et déployés seulement dans certaines provinces. L’échantillon est moins représentatif et ce, au regard de l’étendue de la RDC. Les Missions d’observation électorale précitées n’ont pas encore déposé leurs rapports définitifs se limitant à des déclarations préliminaires faites au lendemain du scrutin120. Il est souhaitable d’encourager des missions conjointes d’observation électorale pour une synergie entre ces missions mais aussi pour la couverture d’une bonne partie du territoire national étant donné que les différentes missions d’observation se concentrent dans les mêmes provinces. De telles missions conjointes ont déjà été conduites. C’est le cas de la Mission conjointe d’observation électorale de l’Union africaine (UA) et du Marché commun de l’Afrique orientale (COMESA) pour l’élection présidentielle du 16 novembre 2023 en République de Madagascar. Cette Mission a rendu sa Déclaration préliminaire le 18 novembre 2023. Les critères d’évaluation sont à peu près similaires. 119 120 Toutes les informations des Missions d’observation électorale exploitées sont puisées de leurs déclarations préliminaires rendues pour la plupart le 22 décembre 2023. Pour éviter d’alourdir les textes, nous avons préféré ne pas utiliser les guillemets tout en précisant que ces informations ne proviennent pas de nous, mais puisées directement sans les déclarations préliminaires. Les rapports définitifs ou complets de l’observation électorale sont généralement présentés quelques mois après l’organisation des scrutins. 59 L’observation électorale internationale est complétée par l’observation nationale ou locale. Plusieurs observateurs électoraux provenant de différentes structures de la société civile ont été accrédités auprès de la CENI. Il n’est pas aisé d’accéder à leurs déclarations préliminaires et leur influence est relative ou variable. Cependant, la Mission d’observation électorale de la CENCO-ECC (MOE CENCOECC) est, du point de vue de l’observation nationale, celle qui a été la plus robuste au regard du nombre d’observateurs électoraux mobilisés et des moyens utilisés à cette fin. C’est au regard de cette importance que nous retenons cette Mission d’observation électorale comme cas d’illustration de l’observation électorale nationale. Pour la réalisation de ses objectifs, la MOE CENCO-ECC a fait recours à une méthodologie d’observation électorale mixte alliant : 1. L’observation dite classique avec un déploiement de 23 944 observateurs de court terme et 500 Observateurs de Long Terme ; 2. Un dispositif de comptage/dépouillement parallèle de voix pour la vérification indépendante des résultats sur base d’un échantillon aléatoire représentatif de 1056 Bureaux de Vote et de Dépouillement (BVD) dans les 26 provinces et 176 villes/territoires concernés par l’organisation des scrutins du 20 décembre 2023 ; 3. La surveillance électorale avec au moins 11 000 surveillants électoraux et 3000 membres des clubs d’écoute sélectionnés par les radios communautaires affiliées à la CENCO et à l’ECC déployés dans les villes et chefslieux des territoires administratifs de la RDC pour renforcer la couverture nationale en collectant spécifiquement les cas d’incidents qui ont été documentés dans l’annexe de ce rapport. La MOE CENCO-ECC, grâce au dispositif de comptage parallèle des voix qu’elle a mis en place, a pu constater qu’un candidat s’était largement démarqué des autres avec plus de la moitié de suffrages à lui seul. Elle a, par ailleurs, documenté de nombreux cas d’irrégularités susceptibles d’affecter l’intégrité des résultats de différents scrutins, en certains endroits. Elle a mis à la disposition de toutes les parties prenantes un document annexe reprenant ces irrégularités documentées. Au regard de ce qui précède, la MOE CENCO-ECC a invité la CENI, la Cour constitutionnelle ainsi que d’autres Cours et Tribunaux habilités à tirer, en toute responsabilité, toutes les conséquences qui s’imposent, en fonction de l’incidence sur la base des calculs des résultats pour le scrutin concerné, avant de proclamer respectivement les résultats provisoires et définitifs de différents scrutins. Eu égard aux conditions dans lesquelles les scrutins se sont déroulés, la MOE demande particulièrement à la CENI, pour rassurer les différentes parties prenantes, de préciser le nombre de BVD qui ont ouvert le 20 décembre 2023 et ceux qui ont ouvert après cette date, en informant aussi sur le nombre de DEV et bulletins qui y ont été utilisés régulièrement. L’acceptation des résultats par les parties prenantes passe aussi par le respect des dispositions pertinentes de l’article 71 de la Loi électorale. Cela étant, la MOE exhorte la CENI à ne publier les résultats provisoires que sur la base des résultats consolidés de tous les Centres Locaux de Compilation 60 des Résultats (CLCR). La prise en compte des irrégularités documentées par les instances ci-haut citées constitue un gage pour l’acceptation des résultats par le public et pour garantir au mieux la paix, la cohésion et la stabilité en République Démocratique du Congo. Cette déclaration a été faite le 28 décembre 2023. Elle a été complétée par la Déclaration conjointe CENCO-ECC à la suite de l’observation électorale pour la justice et la paix post-électorales signée en date du 04 janvier 2024 par le Président de la CENCO et le Président de l’ECC121. A ces déclarations s’ajoute le Message des Evêques de la CENCO à l’issue de leur réunion tenue du 15 au 16 janvier 2024 pour l’évaluation du processus électoral. Au vu de l’ampleur et de l’étendue des irrégularités et incidents constatés, les membres de la CENCO ont qualifié les élections du 20 décembre 2023 d’une « catastrophe électorale »122. Il est possible, partant du premier cycle électoral jusqu’au quatrième cycle, de tirer les leçons des limites du processus électoral tout en étant conscient que les irrégularités ne se présentent pas avec la même ampleur dans tous les processus électoraux. Il y a lieu de dégager les grandes lignes des caractéristiques du processus électoral en RDC partant de considérations faites notamment par les Missions d’observation électorale. Ces grandes lignes sont résumées par Jean-Louis ESAMBO KANGASHE et que nous partageons : « La lecture des différents rapports d’observation électorale fait ressortir le manque de consensus et de confiance au processus électoral et à l’organe qui le pilote, la modification du cadre juridique à la veille des scrutins, l’inadéquation de la communication proposée par la centrale électorale, l’absence d’appréciation partagée sur la fiabilité du fichier électoral et l’utilisation de la machine à voter, l’interdiction de quelques rassemblements politiques, pendant la campagne électorale, le dysfonctionnement logistique, la modification unilatérale de la cartographie des bureaux de vote à la veille du scrutin, la politisation, dans le recrutement et le déploiement du personnel et du matériel électoral, l’insuffisance de formation du personnel opérationnel et de la population123. Dans la Déclaration de la Mission d’observation électorale- Commission Justice et Paix/CENCO (MOE-CJP/CENCO) du 3 janvier 2019, celle-ci avait constaté que les données en sa possession, issues des procès-verbaux des bureaux de 121 Dans cette Déclaration, tout en notant les efforts accomplis par la CENI, ils déplorent le fait que ce processus électoral a connu plusieurs cas de violation du cadre légal, de l’administration électorale et, partant, a occasionné plusieurs irrégularités documentées dans les annexes de la déclaration préliminaire. Ils demandent à la CENI de faire la lumière sur tous les cas documentés par les différentes parties prenantes. La mise sur pied d’une commission d’enquête indépendante fait partie de recommandations figurant dans cette Déclaration. 122 Message des Evêques de la CENCO à l’issue du processus électoral. Kinshasa, le 16 janvier 2024. Toutes les données exploitées se rapportant à la Mission d’observation électorale CENCO-ECC sont tirées directement de la déclaration préliminaire et des déclarations connexes. 123 J.-L. ESAMBO KANGASHE, Droit électoral congolais. Deuxième édition, Louvain-La-Neuve, Academia-L’ Harmattan, 2020, p.116. 61 vote, consacraient le choix d’un candidat comme Président de la République. A cet effet, elle priait la CENI de publier en toute responsabilité les résultats des élections dans le respect de la vérité et de la justice124. En d’autres termes, cette Mission d’observation électorale constatait une différence entre les données en sa possession et les résultats publiés par la CENI et confirmés par la Cour constitutionnelle. Combinées aux appréciations fournies par les missions d’observation internationale, Jean-Louis ESAMBO KANGASHE se fait vite l’écho d’une impréparation à la base de sérieux doutes sur la crédibilité et la transparence des scrutins, ainsi que les résultats officiellement proclamés125. Les missions d’observation rencontrent un certain nombre de difficultés qui constituent des limites à leurs activités. B.2 Limites et perspectives des missions d’observation électorale L’étude de l’observation électorale montre les limites d’une approche qui se veut juridique, donc objective, d’un phénomène essentiellement politique. La qualification divergente possible de mêmes faits électoraux et les conséquences parfois imprévisibles attachées à cette qualification ne sont pas sources de sécurité juridique pour l’Etat observé (…). Une exigence qui demeure toutefois à géométrie variable »126. Les missions d’observation électorale conduites sous l’égide des Organisations internationales ne sont pas exemptes de limites étant donné que les critères d’appréciation du caractère libre et transparent du processus électoral peuvent faire l’objet de divergences d’opinions. Cette situation est soulignée par Mathieu FAU-NOUGARET en ces termes : « La multiplication des organisations régionales compétentes dans ce domaine peut entraîner des logiques organisationnelles qui peuvent nuire à l’action internationale. En effet, lorsque deux ou plusieurs organisations sont en concurrence il y a des risques de conflit de compétence, voire d’instrumentalisation, par l’Etat (…). De même, il y a des risques d’appréciation divergente des critères permettant de qualifier les opérations électorales de libres et équitables »127. Le recours aux observateurs internationaux a cependant un coût et il n’est pas le gage absolu d’une élection crédible et transparente128. Rapport intermédiaire de l’observation des élections présidentielle, législatives nationales et provinciales du 30 décembre 2018 en RDC, p.14. 125 J.-L. ESAMBO KANGASHE, op.cit., p. 117. 126 M. FAU-NOUGARET, « Approche critique du rôle des Organisations internationales en matière électorale », Revue belge de Droit international, 2009, N° 2, pp. 596-623, spéc. à la p. 623. 127 M. FAU-NOUGARET, « Approche critique du rôle des Organisations internationales en matière électorale », Revue belge de Droit international, 2009, N° 2, pp. 596-623, spéc. à la p. 615. 128 G.-F. HOLO, « La démocratie électorale en Afrique : état des lieux et propositions » in F.J. AIVO et alii (dir.), L’amphithéâtre et le prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie. 124 62 Dans le cadre de l’Union africaine, la mission d’observation électorale est précédée, au cours de la période pré-électorale, par l’envoi d’une mission d’évaluation ou d’exploration du processus électoral qui peut suggérer la pertinence ou non de l’envoi d’une mission d’observation électorale qui arrive généralement deux jours ou à la veille du scrutin. La délégation est composée d’observateurs dont le nombre est généralement inférieur à 100 observateurs. Une telle situation ne permet pas à cette Mission d’observation de disposer de tous les éléments pertinents de l’appréciation du processus électoral en se focalisant davantage sur le jour du scrutin et rarement pendant la phase du dépouillement ou de la compilation des résultats. Cette limite des missions d’observation sous l’égide de l’Union africaine sont soulignées par Abdoul AZIZ MBODJI qui estime qu’avec une simple mission d’observation électorale dans la période électorale, l’Union africaine ne peut pas appréhender les pratiques frauduleuses perpétrées plusieurs mois avant la tenue du scrutin129. Les conclusions des Missions d’observation électorale, au-delà de leur vocation à la neutralité peuvent être exploitées à des fins politiques devenant ainsi les enjeux au centre d’une diplomatie favorable ou moins favorable aux nouvelles autorités issues du processus électoral. Il s’agit là, pour reprendre les propos de DODZI KOKOROKO des enjeux politico-diplomatiques de l’observation électorale conférant à celle-ci « une nouvelle dimension, celle de légitimer ou non au regard de la communauté internationale les dirigeants issus du processus électoral. Mais cette légitimation, à géométrie variable, est aussi largement influencée par la politique étrangère de l’Etat ou de l’organisation internationale qui apprécie, à sa manière, les rapports des missions d’observation internationale »130. En d’autres termes, « la conclusion des rapports d’observation confère ainsi à l’Etat-hôte une sorte de certificat de bonne conduite dont il pourra se prévaloir devant la communauté internationale pour accéder à certains avantages politiques (…) et économiques que d’aucuns ont pu qualifier de rente de légitimité démocratique (…). A contrario, une appréciation négative des observateurs internationaux sur le processus électoral mettra les gouvernants de ce pays dans une situation inconfortable à l’égard de la communauté internationale »131 Mélanges en l’honneur du Président Robert Dossou, Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 617-654, spéc. à la p. 636. 129 ABDOUL AZIZ MBODJI, « L’avènement d’un droit africain des élections démocratiques ? », in ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp. 339-369, spéc. à la p. 367. 130 DODZI KOKOROKO, « La portée de l’observation internationale des élections », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 755-765. 131 DODZI KOKOROKO, « La portée de l’observation internationale des élections », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 755-765, spéc. aux pp. 756-759. 63 Les Procès-verbaux des résultats de vote sont remis aux témoins et non aux observateurs électoraux. Ces pièces constituent des documents faisant foi et utilisés dans le contentieux électoral. N’étant pas en possession de ces pièces, les observateurs électoraux sont dans l’impossibilité de pouvoir contribuer à la manifestation de la vérité. En outre, certaines preuves que les missions d’observation peuvent documenter en matière de fraudes généralisées ne sont pas reprises dans les moyens des preuves recevables devant le juge électoral. Les observateurs électoraux peuvent saisir la CENI de toute violation des dispositions législatives et réglementaires régissant des élections et/ou un référendum132. Le juge électoral ne figure pas parmi les destinataires des copies du rapport des organismes dont les observateurs ont été accrédités sont tenus de déposer133. Pour atténuer les limites de l’observation électorale dont la perception n’est pas la même entre les acteurs, des solutions structurelles sont nécessaires. Il s’agit de promouvoir l’organisation des processus électoraux dans les conditions leur assurant la transparence, la confiance entre les principaux acteurs et surtout l’appropriation du processus électoral par les Congolais car les premiers bénéficiaires de bonnes élections sont les Congolaises et Congolais qui ont droit d’exiger, entre autres que les élections se déroulent dans un cadre juridique plus consensuel, que la CENI inspire confiance afin que les résultats qu’elle publie soient acceptés par une large partie comme étant la résultante de la vérité des urnes. L’élection est transparente et crédible quand elle est perçue en tant que telle par la grande majorité des citoyens. Le juge électoral est aussi appelé à jouer sa partition pour qu’il exerce la mission délicate lui confiée en toute responsabilité et impartialité. Le temps doit être révolu où les élections sont justes pour les gagnants et iniques pour les perdants. L’observation électorale peut constituer dans ce cas une valeur ajoutée, non indispensable, à condition que les conclusions objectives issues de l’évaluation objective du processus électoral puissent inspirer les réformes institutionnelles tendant à l’amélioration du processus électoral et à accroître la confiance d’une large partie de l’opinion dans ledit processus. La prise en compte déjà initiée des conclusions des missions d’observation électorale dans la modification de certaines lois mérite d’être poursuivie et consolidée, la finalité de ces missions électorales étant de contribuer à la crédibilité des processus électoraux. 132 Art.29 de Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante telle que modifiée et complétée par la loi organique n°13/012 du 19 avril 2013 et la loi organique n°21/012 du 03 juillet 2021 (Textes coordonnés et mis à jour). Journal officiel de la République démocratique du Congo, Kinshasa, 20 juillet 2021, Col.3. 133 Les destinataires des copies du rapport des missions d’observation électorale sont la CENI, le gouvernement, le parlement. 64 VI. Observation électorale et juge électoral Les missions électorales peuvent interagir avec le juge électoral selon que ce dernier peut réserver une suite aux différentes évaluations ou appréciations du processus électoral. En d’autres termes, les conclusions contenues dans les rapports ou déclarations préliminaires des missions électorales peuvent-elles constituer les moyens de preuve dans le règlement du contentieux électoral ? Dans une première approche nous nous focalisons à mettre en relief la délicatesse de la mission du juge électoral, spécifiquement le juge constitutionnel (A) et dans une seconde approche la valeur des conclusions contenues dans les rapports des missions électorales et leur exploitation par le juge électoral (B). Nous avons une conception large du juge électoral ne se limitant pas seulement au juge ayant reçu la compétence pour connaître de contentieux électoraux mais aussi à toute juridiction internationale qui s’est prononcée, dans le cadre africain, sur les questions électorales. A. La mission du juge électoral La mission dévolue au juge constitutionnel en tant que juge électoral est délicate dans la mesure où il est habilité à garantir la sincérité du suffrage en recourant au besoin à l’annulation ou à la reformation des résultats électoraux134. Le juge électoral dispose de larges pouvoirs lorsqu’il est en face d’une opération électorale irrégulière. Il peut adopter les types de décision suivants : la confirmation de l’élection malgré les irrégularités, la rectification et la réformation des résultats et l’annulation de l’élection.135 Il ne saurait y avoir d’élections crédibles sans juge électoral au regard de nombreuses contestations qui accompagnent la proclamation des résultats ou même dès la phase de la présentation des candidatures à l’élection présidentielle qui est la plus ressentie en Afrique et de tous les enjeux136. De sa capacité à restituer la volonté réelle exprimée par le suffrage dépend la légitimité du juge électoral face aux C. PARENT, « Le juge électoral est-il garant de la liberté de choix de l’électeur’ », Revue de Recherche Juridique, 2011, n°1, pp. 449-467. St. BOLLE, « Vices et vertus du contentieux des élections en Afrique », in J-P. VETTOVAGLIA, et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 532-552. 135 R. RAMBAUD, Droit des élections et des référendums politiques, Paris, LGDJ, 2019, p. 666 et s. 136 J du Bois de GAUDUSSON, « Préface » dans J-L. ESAMBO KANGASHE, Le droit électoral congolais, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2014, p. 14. Cette affirmation peut être relativisée au regard de certaines Constitutions attribuant au parlement la compétence de connaître de contestations électorales pour ses membres. A titre d’exemple l’article 48 de la Constitution de la Belgique dispose que chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet. Aux Etats-Unis, l’article 1 section 5 est rédigé en ces termes : « Chaque chambre sera juge de l’élection de ses membres, du nombre de voix qu’ils ont obtenues et de leur éligibilité ». Dans certains Etats européens (Belgique, Danemark, Luxembourg, PaysBas, Suède, Italie), le contentieux électoral reste généralement un contentieux parlementaire. Voy. D. REMY-GRANGER, « Le pouvoir de suffrage », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité international de droit constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, pp. 369-412, spéc. à la p. 394. 134 65 urnes137. Le contentieux des résultats est susceptible de légitimer l’œuvre du juge ou de le disqualifier. C’est pourquoi les considérations suivantes convergent vers le règlement du contentieux des résultats. Dans le cadre du contentieux des résultats, c’est-à-dire, de la validation, de la réformation ou de l’annulation des résultats, le juge électoral est chargé de la vérification de la régularité et de la sincérité des résultats. Il en garantit leur authenticité et leur exactitude avant d’en proclamer le (s) vainqueur (s). Il peut, dans certains cas, relever d’office certaines irrégularités et procéder au redressement des voix138. Il veille ainsi à la régularité du scrutin, même si celle-ci ne constitue pas une fin en soi, mais seulement un critère permettant d’apprécier la sincérité globale d’une élection. Le juge électoral doit garantir la sincérité du vote car elle permet de préserver la volonté des électeurs. Le juge doit s’assurer que le vote n’a pas été trompé ou modifié par des agissements ou des manœuvres frauduleuses139. La délicatesse de la mission du juge électoral est dépeinte en ces termes par Stéphane BOLLE : « Force est de reconnaître qu’à l’aube ou dans le tumulte d’une élection la mission du juge constitutionnel s’avère particulièrement ingrate : trancher un litige, c’est souvent s’exposer à l’accusation de partialité et d’inféodation aux autorités ; c’est souvent cristalliser les maux de tout un processus électoral ; c’est parfois prendre des risques pour sa sécurité, voire pour sa vie ; c’est toujours déplaire aux détenteurs du pouvoir, aux candidats au pouvoir et/ou à une frange de l’électorat »140 La crédibilité du juge constitutionnel en Afrique en matière de contentieux électoral- et par la même le respect, voire l’admiration à son égard de la société civile et la confiance qu’il suscitera auprès des populations quant à sa contribution à la consolidation de la démocratie sur le continent- ne saurait être assurée si le contrôle qu’il exerce sur les opérations électorales suite aux recours introduits par les protagonistes lors d’une compétition électorale, n’est pas assuré de manière Ch. PARENT, « L’office du juge électoral », Revue du droit public, n°5, 2011, pp. 1213-1234, spéc. à la p. 1223. 138 Par exemple la Cour constitutionnelle du Bénin et celle de la Guinée sont habilitées à relever d’office des irrégularités. A titre d’exemple, la Cour constitutionnelle de Guinée, dans son arrêt du 31 octobre 2015 (Arrêt n° AE05) avait relevé l’incohérence dans les résultats provisoires proclamés par la Commission électorale nationale indépendante le 17 octobre 2015 à l’issue de l’élection présidentielle du 11 octobre 2015. Voy. Contestation des résultats provisoires du premier tour de l’élection présidentielle du 11 octobre 2015 et proclamation des résultats définitifs de ladite élection. Arrêt n° AE05 du 31 octobre 2015. Dans une optique comparée, MAMADOU SENE, La juridictionnalisation des élections nationales en Afrique noire francophone : les exemples du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. Analyse politicojuridique, Thèse, Université de Toulouse, 2017. 139 ADIL MOUSSEBBIH, « L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral », Revue française de Droit constitutionnel (RFDC), 2017, n° 110, pp. 437-464, spéc. à la p. 441. 140 St. BOLLE, « Vices et vertus du contentieux des élections en Afrique », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 532-552, spéc. à la p. 534. 137 66 impartiale (…) et si les décisions rendues ne semblent pas commandées par les seules considérations juridiques. C’est dire combien la régularité des opérations électorales doit rester l’une des préoccupations majeures du juge141 . Le contentieux des résultats s’inscrit dans le cadre des contentieux de pleine juridiction. Le caractère de plein contentieux attribué au contentieux électoral est synonyme de pouvoirs d’appréciation et de décision étendus pour le juge. Il possède dans le cadre de la procédure des compétences particulières dont celle d’aller au-delà des conclusions qui lui sont adressées, c’est-à-dire statuer ultra petita, pour appréhender les conséquences réelles sur la sincérité du scrutin des irrégularités commises142. La Cour constitutionnelle de la RDC, dans son arrêt du 9 janvier 2024 s’est inscrite dans cette optique de statuer ultra petita en motivant le bien-fondé de l’annulation des résultats provisoires des élections législatives, provinciales et communales dans les circonscriptions concernées aux résultats de l’élection présidentielle qui n’étaient pas pris en compte par la décision de la CENI. Procédant de cette manière, elle s’est comportée en juge de la sincérité et de l’authenticité du scrutin, du moins en ce qui concerne la prise en compte de l’annulation des résultats de l’élection présidentielle dans les deux circonscriptions concernées par la décision de la CENI : « (…). Cependant, la CENI a transmis à la Cour constitutionnelle la Décision n° 001/CENI/AP/2024 du 5 janvier 2024, portant annulation des élections législatives, provinciales dans les deux circonscriptions de YAKOMA et MASIMANIMBA (…). Au regard de cette nouvelle donne, la Cour considère que, comme juge électoral, elle doit vérifier l'authenticité et la sincérité du scrutin en s'assurant que les irrégularités dénoncées sont avérées et susceptibles d'influer sur les résultats électoraux si bien qu'il peut rectifier les résultats s'ils sont entachés d'erreur matérielle ou de fraude avérée, même en dehors de tout contentieux ou en cas d'un recours déclaré infondé. A cet égard, considérant que le vote s'est passé à bulletin unique, la Cour va en tirer les conséquences, en étendant l'annulation des résultats dans les circonscriptions précitées à l'élection présidentielle, et retranchera à chaque candidat les suffrages qu'il a obtenus dans ces circonscriptions si bien que les résultats communiqués le 31 décembre 2023 ont une nouvelle configuration qui se présente comme suit : (…) »143. 141 ALIOUNE FALL, « Le processus de démocratisation en Afrique francophone : le juge de l’élection dans l’impasse ? (essai de prospective) », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 553-573, spéc. à la p. 566. 142 H. CAUCHOIS et J.C. SAVIGNAC, Droit et pratique des élections, 3 ème éd., Paris, BergerLevrault, 2017, p.308 143 Cour constitutionnelle. RCE. 016/PR-CR. Arrêt Proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle du 20 décembre 2023, Arrêt du 9 janvier 2024. JORDC, 65è année, N° spécial, 13 janvier 2024, col.2 67 Bien que le juge électoral utilise de manière trop prudente et rarissime, l’annulation, il recourt souvent à la modification des résultats de l’élection à travers la rectification et la réformation. Dans les hypothèses où les erreurs peuvent être corrigées sans renouvellement du vote, le juge électoral procède aux rectifications lui-même, pouvant annuler l’élection d’une personne et en proclamer une autre élue, et c’est seulement dans la double hypothèse où il ne peut pas corriger les irrégularités et où les résultats ont été affectés que l’annulation est prononcée144. Le juge constitutionnel congolais s’inscrit également dans la perspective d’assurer la sincérité des urnes : « (…), en matière de contentieux des résultats, le juge électoral vérifie l’authenticité et la sincérité du scrutin. Il recherche les incidences des irrégularités constatées sur les résultats. Dans cette optique, ne sont retenues que les irrégularités susceptibles de fausser les résultats de l’élection, eu égard notamment à l’écart des voix entre candidats… »145. La Cour suprême du Kenya s’est écartée de cette tendance en forgeant deux hypothèses pouvant justifier l’annulation des élections. Il peut s’agir soit des irrégularités qui ont eu une influence déterminante sur le résultat final, soit l’organe chargé de l’organisation de l’élection (la Commission électorale indépendante et des circonscriptions-IEBC) n’a pas respecté certains principes de la Constitution ou des lois applicables en matière électorale. Ainsi, dans son arrêt du 20 septembre 2017, elle a annulé l’élection présidentielle du 8 août 2017 aussi bien pour méconnaissance de la Constitution, des lois applicables que des irrégularités jugées déterminantes146. C’est la première fois qu’une juridiction africaine annule totalement l’élection présidentielle pour irrégularités substantielles et significatives et pour violation de la Constitution et des lois en matière électorale. Elle enjoint la Commission électorale indépendante et des circonscriptions d’organiser une nouvelle élection présidentielle dans le délai de 60 jours et ce, dans le strict respect de la Constitution et des lois applicables. Cette jurisprudence peut servir de leçon à d’autres juridictions, à l’instar de celle de la RDC comme le suggère BALINGENE KAHOMBO147. Cet arrêt de la Cour suprême du Kenya a été évoqué dans un passage de la Cour constitutionnelle du Mali148. 144 P. TANCHOUX cité par R. RAMBAUD, op.cit., p. 669 et s. Arrêt R.C.E. 011/PR de la Cour suprême de justice (RDC) siégeant en matière de contentieux électoral du 16 décembre 2011.JORDC, Kinshasa, 22 décembre 2011. 146 Republic of Kenya. Supreme Court. Presidential Petition n° 1 of 2017 Between Raila Amolo Odinga , Stephen Kalonzo Musyoka and Independent Electoral and Boundaries Commission & Others. 20 Septembre 2017. 147 BALINGENE KAHOMBO, « Perspective congolaise sur les leçons à tirer de l’annulation de l’élection présidentielle d’août 2017 au Kenya », Annuaire congolais de justice constitutionnelle, Vol. 3-2018, 2019, pp. 184-199. 148 Cour constitutionnelle du Mali. Arrêt n° 2018-04/CC du 20 août 2018 portant proclamation des résultats définitifs du second tour de l’élection du Président de la République (scrutin du 12 août 2018) in Recueil des arrêts, avis et autres décisions de la Cour constitutionnelle du Mali, vol. 7 145 68 Le juge électoral malawite s’est aussi inscrit dans cette voie tracée par son homologue du Kenya en annulant, par son arrêt du 03 février 2020, l’élection présidentielle du 21 mai 2019. Il a jugé, dans le cas soumis à son examen, que les irrégularités étaient tellement généralisées et systématiques qu’elles ont sérieusement affecté ou compromis l’intégrité des élections. Les résultats proclamés ne reflètent pas réellement la volonté des électeurs telle qu’exprimée à travers leur vote du 21 mai 2019. Par conséquent celui qui a été proclamé Président n’a pas été régulièrement élu. La Haute Cour ordonne l’annulation de l’élection présidentielle et l’organisation d’une nouvelle élection dans un délai de 150 jours à dater du prononcé de l’arrêt149. La Haute Cour a, par ailleurs, relevé la violation, par la Commission électorale, de plusieurs dispositions de la Constitution et de la loi électorale n’ayant pas permis de garantir la transparence et la régularité dans le déroulement du processus électoral, notamment le défaut du dépôt des procèsverbaux auprès de l’Office de l’Assemblée. Ces deux exemples d’annulation de l’élection présidentielle en Afrique constituent des cas rarissimes. L’administration des moyens de preuve devant le juge électoral, la conduite du processus électoral par les structures de gestion électorale, le contexte de l’environnement politique en Afrique incitent le juge électoral à plus de réserve ou pusillanimité dans le règlement du contentieux électoral devant des fraudes massives ou systématiques. Il est plus porté à annuler partiellement les résultats dans certaines circonscriptions électorales qu’à annuler l’intégralité des résultats de l’élection présidentielle. Cette attitude du juge électoral, assez répandue en Afrique, suscite une réflexion concernant l’annulation, par la Cour constitutionnelle de la RDC, dans son arrêt du 9 janvier 2024, des résultats de l’élection présidentielle dans les deux circonscriptions de Yakoma et Masimanimba. Cette solution est partiellement satisfaisante, mais la Cour constitutionnelle pouvait être plus audacieuse. La solution draconienne aurait été d’annuler les résultats obtenus dans toutes les circonscriptions électorales ou dans les centres dans lesquels les suffrages obtenus par certains candidats aux élections législatives, provinciales et communales étaient annulés par la CENI, notamment pour détention et/ou utilisation des dispositifs électroniques de vote. (2018-2019), Décembre 2019. Nous pouvons lire ce passage : « (…) Qu’une jurisprudence comparée de la Cour suprême du Kenya, (Raila Amolo ODINGA et autres contre Commission électorale indépendante et des circonscriptions, 01/09 /2017) indique que toute allégation de bourrage des urnes et de fraude systématique doit être soutenue par des preuves fiables ; Que ces éléments doivent clairement et formellement démontrer que les faits allégués ont entaché de façon déterminante l’intégrité et la sincérité du scrutin, auquel cas, la Cour devra en tirer toutes les conséquences qui s’imposent ;.. », p. 105. 149 High Court of Malawi. Constitutional Reference No. 1 of 2019 Between Dr Saulos Klaus Chilima (1st Petitioner). Dr Lazarius MCCarthy Chakwera (2 nd Petitioner) and Professor Arthur Peter Mutharika (1st respondent) ; Electoral Commission (2nd Respondent). Judgment. 3 February 2020. 69 La fraude orchestrée à l’aide de ces dispositifs est difficilement quantifiable et qu’elle n’aurait pas profité uniquement à leurs utilisateurs. L’annulation trouverait sa justification dans l’impossibilité de reconstituer l’authenticité des suffrages exprimés dans ces différents centres d’une part et dans l’intérêt général d’assurer un processus électoral crédible, sincère et dans un climat apaisé d’autre part. C’est au regard de la sauvegarde de cet intérêt général que la Cour constitutionnelle avait accordé à la CENI une dérogation lui permettant d’organiser l’identification et l’enrôlement des Congolais résidant à l’étranger uniquement dans les cinq Etats pilotes désignés par la CENI justifiant ainsi une atteinte aux droits de tous les Congolais de participer aux élections conformément à l’article 5 de la Constitution. Pour la Cour constitutionnelle, « l'intérêt général consiste, dans le cas d'espèce, en la nécessité de l'organisation des élections générales et particulièrement pour celle du Président de la République, afin de respecter le délai constitutionnel de ce dernier, pilier majeur du système démocratique congolais. Dès lors, l'intérêt général sera préservé au détriment du droit à être électeur reconnu aux congolais résidant à l'étranger qui ne se retrouvent pas dans les cinq pays désignés par la CENI. Il s'agit concrètement de préserver le bien commun, en ignorant exceptionnellement et momentanément des intérêts particulier en ce que les distinctions sociales entre les hommes, nés libres et égaux en droit, ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune (…) »150. Au nom de cet intérêt général, la Cour constitutionnelle aurait mieux fait d’annuler les élections dans toutes les circonscriptions ou les centres dans lesquels il s’était avéré que le recours aux dispositifs électroniques de vote par des personnes étrangères à la CENI était établi. Cette annulation lourde des conséquences pour les électeurs préjudiciés trouverait sa justification dans la sauvegarde de cet intérêt général en matière électorale : l’authenticité et la sincérité électorales. En effet, l’établissement de l’impact de la fraude dans ces conditions n’est pas aisé et les moyens de preuve deviennent inopérants face à de telles fraudes électroniques. Les rapports des missions d’observation électorale peuvent –ils servir de moyen de preuve ou tout au moins peuvent-ils être exploités par le juge électoral à toutes fins utiles ? En d’autres termes, quelle serait la valeur juridique de ces rapports. B. Valeur juridique des rapports des missions d’observation électorale Concernant les rapports des missions d’observation électorale, il convient de relever, avec MAMADOU SALIF SANE, l’ambiguïté de leur force juridique au 150 Cour constitutionnelle. R.Const.1879. Arrêt du 20 décembre 2022. Requête de la Commission Electorale Nationale Indépendante, « CENI » en sigle, poursuites et diligences de son président Monsieur Kadima Kazadi Dénis, en interprétation de l'article 5 alinéa 5 de la Constitution. Journal officiel de la République démocratique du Congo, 15 février 2023, col. 126. Souligné par nous. 70 niveau interne. En effet, si beaucoup de juges électoraux dénient toute force juridique aux rapports des missions d’observation internationale et régionale, il existe toutefois des cas isolés dans lesquels, les juges électoraux nationaux ont reconnu une valeur juridique suprême aux conclusions des missions d’observation151 . A notre avis l’auteur se réfère à la prise en compte de la certification des élections en Côte d’Ivoire par le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire. Cette certification approuvée par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et la CEDEAO avait justifié le revirement jurisprudentiel du Conseil constitutionnel ivoirien de revenir sur sa décision initiale qui proclamait Laurent Gbagbo Président élu152 au profit d’Alassane Ouattara153. La certification dans la pratique électorale constitue « le processus légal par lequel une autorité nationale approuve les résultats finaux d’une élection »154. Ce processus, qui se développe au sein des Nations Unies depuis la décennie 2000, demeure d’une utilisation marginale. Il a été appliqué au Timor Leste en 2007 et en Côte d’Ivoire en 2010. Il vise à attester que les étapes fondamentales du processus électoral se sont déroulées selon les normes et principes internationaux d’équité, de liberté, d’inclusivité et de transparence155. Le mécanisme de certification est différent de l’observation internationale même s’il présente des rapprochements avec cette dernière du fait que le résultat de la certification bénéficie d’une autorité par rapport à l’observation qui demeure une opinion. Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1765 (2007) avait décidé de confier la certification des élections en Côte d’Ivoire au Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité décide en conséquence que « (…)le Représentant Spécial du Secrétaire général en Côte d’Ivoire certifiera que tous les stades du processus électoral fourniront toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections présidentielle et législatives ouvertes, libres, justes et transparentes, conformément MAMADOU SALIF SANE, « L’ordre juridique électoral dans l’espace CEDEAO », in ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp. 371-411, spéc. à la p.392. 152 Conseil constitutionnel. Décision n°CI-2010-EP-34/03 du 3 décembre 2010. 153 Conseil constitutionnel. Décision n°CI-2011-036 du 4 mai 2011. l’un des considérant de la décision du 4 mai 2011 du Conseil constitutionnel : « (…) le 3 décembre 2010, le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire, a certifié les résultats provisoires du second tour de l’élection présidentielle tels que proclamés par le Président de la Commission électorale indépendante le 2 décembre 2010 désignant Monsieur Alassane OUATTARA, vainqueur de l’élection présidentielle… ». Pour un commentaire de cette décision, voy. G.-F. NTWARI, « La décision du Conseil constitutionnel n°CI-2011-036 du 4 mai 2011 », Revue québécoise de Droit international, Vol. 24, N°1, 2011, pp. 407-411. 154 L. PASCOE, « L’assistance électorale des Nations Unies et le mandat de certification appliqué à la Côte d’Ivoire », in J-P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 649-669, spéc. à la p. 657. 155 L. PASCOE, art.cit., p. 657. 151 71 aux normes internationales, et prie le Secrétaire général de prendre toutes les dispositions nécessaires afin que le Représentant Spécial dispose d’une cellule d’appui lui fournissant toute l’assistance requise pour pouvoir s’acquitter de cette mission »156. Cette certification résulte de la volonté des parties prenantes ivoiriennes impliquées dans la recherche de solution de confier aux Nations unies un rôle important dans l’organisation des élections157. Le Représentant spécial du Secrétaire général avait, le 3 décembre 2010, certifié le résultat du second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010 proclamé par la Commission électorale indépendante reconnaissant la victoire du candidat Alassane Ouattara158. Le Conseil constitutionnel ivoirien avait pris en compte, dans sa décision du 4 mai 2011, les résultats de l’élection présidentielle tels que proclamés par la CEI et certifiés par le Représentant spécial. Dans l’affaire Dynamique de l’opposition contre CENI et UDPS/Tshisekedi159, la Cour constitutionnelle, siégeant en matière de contentieux électoral, avait été invitée par la partie demanderesse, entre autres, à ordonner l’audition des observateurs de l’Eglise catholique, ceux de la Synergie de mission d’observation citoyenne et électorale, SYMOCEL en abrégé, ainsi que de toute autre mission d’observation dont elle trouvera l’audition nécessaire, de rectifier les résultats erronés publiés par la CENI, de proclamer élu Président de la République Monsieur FAYULU MADIDI Martin et, enfin de communiquer à la CENI sa décision conformément à l’article 75 de la loi électorale. En sa qualité d’experte, la CENI avait allégué le défaut de pertinence de ladite audition en soulignant que « la mission d’observation se limite à la surveillance électorale et même alors elle ne peut accéder aux procès-verbaux et fiches de résultats qui ne sont remis qu’aux seuls témoins présents, et ce, au regard 156 § 6 de la Résolution 1765 (2007) du 16 juillet 2007 du Conseil de sécurité. Cette fonction avait été exercée par le Représentant du Secrétaire général certifiant, entre autres, que les résultats proclamés par la CEI ivoirienne proclamant Alassane Ouattara étaient conformes aux standards internationaux. 157 L’Accord de Pretoria du 6 avril 2005 sur le processus de paix en Côte d’Ivoire. Point 10 : « (…).En vue d’assurer l’organisation d’élections libres, justes et transparentes, elles ont admis que les Nations Unies soient invitées à prendre part aux travaux de la Commission Electorale Indépendante. A cet effet, elles ont donné mandat au Médiateur, Son Excellence Monsieur Thabo Mbeki, d’adresser une requête aux Nations Unies, au nom du peuple ivoirien, en vue de leur participation dans l’organisation des élections générales. Les parties de mandent que la même requête soit adressée aux Nations Unies en ce qui concerne le Conseil Constitutionnel. Les Nations Unies doivent s’assurer à ce que leur mission d’intervention sollicitée soit appuyée par un mandat et des pouvoirs appropriés à l’accompl issement de leur mission ». Souligné par nous. 158 Ces résultats certifiés avaient été reconnus aussi par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, la CEDEAO. Voy. Communiqué du 28 janvier 2011 dudit Conseil PSC/AHG/COMM/CCLIX). 159 Cour constitutionnelle, RCE 001/PR. Arrêt du 19 janvier 2019. 72 des articles 68 de la loi électorale et 72 des mesures d’application à tel enseigne que la comparution de ces missions d’observation s’avère injustifiée (…) ». Toutefois, la CENI avait pris soin de verser au dossier les différents rapports des missions d’observation accréditées par elle à savoir : la mission d’observation, protection et défense de droit de l’homme, l’observatoire de la société civile pour le suivi du dialogue, la déclaration préliminaire du forum des commissions électorales des pays membres de la SADC (ECF-SADC) sur les élections présidentielle, législatives et provinciales tenues en République Démocratique du Congo le 30 décembre 2018, le rapport d’observation de la plateforme de la société civile électorale, la SYMOCEL, la mission conjointe d’observation électorale de la diaspora africaine en Europe et celle du groupe agir Europe-Afrique, la mission d’observation électorale de l’IGE, la Coalition des organisations congolaises pour l’observation des élections. La Cour constitutionnelle relève qu’« au regard de ces différents rapports, (…) les résultats du suffrage proviennent des procès-verbaux de dépouillement et des fiches des résultats signés par les membres des bureaux de vote et des témoins. Il se dégage que ces missions d’observation n’ont pas participé à la rédaction de ces pièces, leur rôle étant limité à assister aux opérations de vote, d’établir des rapports en vue de l’amélioration des scrutins à venir et n’ont pas eu droit à l’obtention des procès-verbaux pour établir la sincérité des résultats provenant des pièces ci-haut énumérées. Dès lors leur audition s’avère sans objet (…). »160. Sans nécessairement lier le juge, Jean-Louis ESAMBO KANGASHE estime que les conclusions d’une observation électorale peuvent l’amener à se faire une idée sur l’organisation du scrutin et la préparation éventuelle des irrégularités, afin de motiver sa décision. Dans l’arrêt sus-évoqué, le juge s’est autorisé, selon l’auteur précité, de recevoir, à titre de preuves, les observations de la Commission électorale nationale indépendante, contenant, notamment les conclusions de quelques missions d’observation électorale triées par elle pour rejeter la demande d’audition des observateurs de la Conférence Épiscopale nationale du Congo161 . Cette orientation de la Cour constitutionnelle de la RDC était anticipée par la Cour constitutionnelle du Togo. En effet, dans une décision du 17 mars 2010, la Cour constitutionnelle du Togo avait considéré que la déclaration préliminaire de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (Rapport) sur laquelle se fondait le requérant n’avait aucune portée juridique et ne pouvait, par conséquent, constituer un moyen de preuve162. Cette fin de non-recevoir du Rapport d’une 160 Souligné par nous. J.-L. ESAMBO KANGASHE, op.cit., p. 256 et s. 162 Cour constitutionnelle du Togo. Décision n° E-007/10 du 17 mars 2010 portant saisine de M.YAWOVI AGBOYIBO, candidat du parti du Comité d’action pour le Renouveau (CAR). Journal officiel de la République togolaise, 55ème année, N° 12, N° spécial 18 mars 2010. 161 73 mission d’observation électorale a été perçue par MAMADOU SALIF SANE comme procédant de la défense du « souverainisme juridictionnel »163. Dans certains Etats, le juge électoral ne peut ignorer les conclusions des observateurs. C’est le cas du Bénin et du Togo où le juge constitutionnel peut dépêcher ses propres observateurs, appelés délégués dans les bureaux des votes. Dans sa Décision du 12 janvier 2023 portant proclamation des résultats des élections législatives du 08 janvier 2023, la Cour constitutionnelle du Bénin prend en compte, parmi les moyens de preuve pour lui permettre d’apprécier la régularité du scrutin, les procès-verbaux de déroulement du scrutin, les feuilles de dépouillement, les observations des délégués des partis politiques et les observations de ses délégués assermentés. De telles observations faites par ses délégués assermentés dans certains bureaux font foi et servent de moyens de preuves. Dans son arrêt n° 52/2019 du 30 août 2019 portant proclamation des résultats définitifs des élections municipales partielles du 15 août 2019, la Cour suprême du Togo avait aussi visé les rapports de ses délégués dans cinq communes164. Cette pratique appréciable est toutefois limitée comme l’a relevé KOFFI AHADZI. Dans ces Etats, le juge procède, le jour du scrutin, au déploiement de ses propres observateurs dans un certain nombre de circonscriptions électorales et de bureaux de vote. Mais outre que cette observation se fait uniquement le jour du scrutin, son ampleur reste limitée, car faute de moyens, elle ne peut couvrir l’intégralité des centres de vote165. L’évaluation du processus électoral ou l’appréciation qui en est faite par les observateurs électoraux n’est pas ignorée par les juridictions internationales. La Cour de justice de la CEDEAO, dans son arrêt du 15 décembre 2023, considère que le Président nigérien Mohamed BAZOUM, évincé du pouvoir à la suite d’un changement anticonstitutionnel (dans l’espèce coup d’Etat), était élu le 21 mars 2021 à l’issue d’un scrutin présidentiel qualifié de transparent, inclusif, démocratique et sincère, donc régulier par les nombreux observateurs internationaux présents sur les lieux du vote166. Le caractère transparent du scrutin précité résulte de la convergence des rapports établis par les missions d’observation électorale et la Cour de justice de la CEDEAO se fonde sur ces conclusions pour valider à son tour la transparence d’un tel scrutin. L’appréciation par la Cour de justice de la CEDEAO MAMADOU SALIF SANE, « L’ordre juridique électoral dans l’espace CEDEAO », in ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp. 371-411, spéc. à la p. 392 et s. 164 Journal officiel de la République togolaise. 6 septembre 2019. 165 KOFFI AHADZI NONOU, « Contentieux électoral et Cours constitutionnelles en Afrique noire francophone », Constitutions, 2019, pp. 319-330. 166 Cour de justice de la CEDEAO. Dans l’affaire Mohamed Bazoum et deux autres contre l’Etat du Niger. Requête n° ECW/CCJ/APP/36/23. Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/57/23 du 15 décembre 2023, § 110. Souligné par nous. Souligné par nous. 163 74 du caractère transparent du scrutin présidentiel nigérien est influencée, dans une large mesure, par les conclusions des missions d’observation électorale. Par ailleurs, pour étayer sa conviction sur le caractère déséquilibré de la Commission électorale indépendante (CEI) qui est l’organe électoral ivoirien, la Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples s’est fondée sur le Rapport de la Mission d’observation de l’Union africaine (MOEUA) établi le 27 octobre 2015 : « (…). Au regard de sa composition, la MOEUA a pu relever un déséquilibre en termes de représentation numérique de la coalition au pouvoir et des partis politiques. La MOEUA a noté que l’autorité électorale ne fait pas l’objet d’un consensus au sein de la classe politique (…). Au regard de ses échanges avec les acteurs sociopolitiques, la Mission a nettement perçu la méfiance d’’une frange de l’opposition et de la société civile (…) »167. Il résulte de ce qui précède que la valeur juridique des rapports des missions d’observation électorale est ambivalente. Nous pouvons recenser des décisions de justice ne reconnaissant aucune valeur juridique auxdits rapports au moment où d’autres juridictions constitutionnelles, à l’instar de la Cour constitutionnelle béninoise, intègrent les observations de ses propres délégués assermentés parmi les moyens de preuves dans le contentieux électoral. Les juridictions qui ne reconnaissent aucune valeur juridique auxdits rapports ne peuvent toutefois les ignorer dès lors qu’ils leur sont présentés. Au niveau de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples d’une part et de la Cour de justice de la CEDEAO d’autre part, les évaluations ou les appréciations des missions d’observation électorale servent d’arguments a fortiori pour corroborer l’appréciation de ces deux juridictions. En Droit congolais, nonobstant l’énumération des moyens de preuve, notamment les procès-verbaux des résultats, les fiches de résultats, le juge constitutionnel ne peut s’autolimiter aux moyens de preuve. Etant donné le caractère du plein contentieux que présente le contentieux des résultats, il dispose de plusieurs pouvoirs pour reconstituer la sincérité et l’authenticité des suffrages en procédant à tous les devoirs d’instruction nécessaire, y compris, en cas de besoin, l’exploitation des rapports ou des déclarations préliminaires des missions d’observation électorale dès lors qu’ils sont susceptibles à contribuer à la manifestation de la vérité des urnes. L’expédient selon lequel les procès-verbaux ne sont pas remis aux observateurs électoraux n’est pas suffisant pour les écarter du processus du règlement du contentieux électoral. Les fraudes massives et systémiques ne peuvent être documentées par les procès-verbaux, mais par d’autres moyens utilisés par les observateurs électoraux comme le comptage des voix parallèles, la documentation des irrégularités. La Cour constitutionnelle aurait intérêt, en cas de nécessité, à 167 Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, Affaire Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. la République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18 novembre 2016 § 132 75 exploiter les rapports des missions d’observation électorale qui sont convergents et crédibles. L’exigence faite aux organismes dont les observateurs ont été accrédités de déposer une copie de leurs rapports à la CENI, au gouvernement et au parlement témoigne de l’intérêt accordé aux activités des missions d’observation électorale et de leur capacité à contribuer à l’amélioration du cadre juridique lié aux élections en général, mais de manière particulière à l’amélioration de futurs scrutins électoraux. Certaines innovations apportées à la loi électorale, à la loi organique relative à la CENI ou à la loi portant répartition des sièges ont été, dans une certaine mesure, inspirées par les recommandations des missions d’observation électorale. Certains exposés des motifs des lois prennent en compte de critiques formulées dans la gestion et la conduite du processus électoral par les différentes parties prenantes ou impliquées dans ce processus, dont les observateurs. L’Exposé des motifs de la Loi n° 15/001 du 12 février 2015 modifiant et complétant la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la Loi n°11/003 du 25 juin 2011 est plus explicite : « (…). Le processus de 2006 à 2011 a donné lieu à diverses critiques de la part des parties prenantes et des observateurs. Au terme de différents débats, il est apparu que des faiblesses contenues dans la loi électorale ont été, dans certains cas, à l’origine des irrégularités décriées. Parmi ces faiblesses figurent notamment celles portant sur le dépôt des candidatures, la gestion administrative du processus, le fonctionnement des centres locaux de compilation des résultats, le traitement des incidents pendant la tenue des opérations, le mode de pré constitution de la preuve et la gestion du contentieux par l’autorité judiciaire (…) »168. L’exposé des motifs de la loi n° 18/005 du 08 mai 2018 portant adoption de la répartition des sièges par circonscription électorale pour les élections présidentielle, législatives, provinciales, municipales s’inscrit dans la même logique. En effet, la refonte du fichier électoral s’était avérée indispensable en vue de prendre en compte, entre autres, des conclusions des différents rapports d’observation électorale et de l’audit du fichier électoral des parties prenantes au processus électoral »169. La loi électorale du 9 mars 2006 a été modifiée en 2011, 2015, 2017 et 2022. Les différentes innovations apportées à la loi électorale visent, entre autres, à l’amélioration de la transparence, de la fiabilité du processus électoral. Les élections du 20 décembre 2023 ont été diversement commentées. Elles ont suscité certains débats au regard de réponses apportées à certaines questions ou problématiques. Celles-ci n’ont pas laissé indifférent l’auteur de ces lignes qui y consacre les développements ci-dessous. 168 169 Souligné par nous. Notre soulignement. 76 C.Questions controversées à la suite des scrutins du 20 décembre 2023 Il s’agit de notre appréciation sur certaines questions juridiques qui s’inscrivent en marge du processus électoral. Les questions pertinentes concernent le taux d’abstention électorale, la décision de la CENI annulant les élections législatives, provinciales et communales dans deux circonscriptions électorales et l’annulation des suffrages obtenus par certains candidats, la question du référéliberté devant le Conseil d’Etat et le télégramme du ministre ayant l’Intérieur dans ses attributions. Le taux de participation aux élections présidentielle, législatives, provinciales et communales du 20 décembre 2023 était le plus faible. Initialement fixé par la CENI à 43,23 % par la CENI, puis revu à la baisse par la Cour constitutionnelle à 42,65 % après annulation des élections dans les deux circonscriptions de Yakoma et de Masimanimba, ce taux est le plus bas depuis le premier cycle organisé en 2006 et marque un taux d’abstention le plus élevé. Ce taux peut être diversement analysé. Cette baisse constatée d’une manière constante ne constitue pas un fait aléatoire ou un simple comportement fugitif. Il s’enracine et peut constituer un message de désaffection de la part des électeurs, exception faite des circonstances particulières qui empêchent les électeurs désireux de se rendre aux urnes d’exercer leur droit de vote. Il est difficile de prédire si l’abstention électorale peut exercer une influence déterminante sur la sincérité des résultats. En principe le juge électoral ne s’intéresse pas à l’abstention qui participe du comportement électoral. Néanmoins, dans un considérant, le Conseil constitutionnel français n’avait pas exclu la possibilité pour le juge électoral d’apprécier si un taux d’abstention n’a pas altéré la sincérité du scrutin : « (…).Il appartiendra, le cas échéant, au juge de l'élection, saisi d'un tel grief, d'apprécier si le niveau de l'abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l'espèce, la sincérité du scrutin (…) »170. Une autre question est celle posée par la décision de la CENI d’annuler les élections ou les suffrages obtenus par certains candidats. La décision de la CENI n°001/CENI/AP/2024 du 05 janvier 2024 portant annulation des élections législatives, provinciales et communales dans deux circonscriptions et des suffrages obtenus par certains candidats est, a priori, salutaire. Cependant, elle présente non moins des difficultés du point de vue de sa conformité à la logique qui sous-tend l’Etat de droit. La décision modifie la situation juridique des candidats ou mieux leur chance d’être élus sans leur avoir accordé la possibilité 170 Décision du Conseil constitutionnel (français) n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 (Journal officiel de la République française du 18 juin 2020). Souligné par nous. Pour un commentaire de cette décision, P. ESPUGAS-LABATUT MARIE BROS, « Le mariage de l’abstention et de la sincérité du scrutin : une union-prudente et à trois ! », Revue française de Droit constitutionnel, 2022/1, Vol.129, pp e 19 à e 30. 77 de présenter leurs moyens de défense, exception faite du candidat ayant introduit un recours à la CENI et jugé par cette dernière, fondé171. Cette décision constitue, par ailleurs, un acte administratif, à la fois réglementaire172 et individuel173 qui pouvait être attaquée, selon le cas, devant le Conseil d’Etat en excès de pouvoir ou tout au moins à travers la procédure du référéliberté. Le recours en excès de pouvoir aurait été inapproprié à cause des conditions de recevabilité qui supposent au préalable, une réclamation. La voie indiquée était celle choisie par les requérants à travers la procédure de référé-liberté174. C’est à tort, à notre avis que le Conseil d’Etat, dans son ordonnance du 11 janvier 2024 s’est déclaré incompétent. Cette conclusion est aussi partagée, partant d’autres arguments par Yav Katshung dans une réflexion récente quand il soutient qu’en se déclarant incompétent, le Conseil d’Etat semble manquer une occasion de prouver qu’il est audessus de tout soupçon de partisannerie175. Pour éviter une telle situation préjudiciable aux droits de la défense des candidats dont la situation juridique est modifiée par une décision de la CENI, il convient de modifier la loi électorale et/ou la loi portant sur les juridictions de l’ordre administratif de manière à y intégrer, de manière expresse, la procédure de référéliberté ou référé-suspension. Cette modification s’impose pour tenir compte de deux impératifs : d’une part la protection des droits fondamentaux des candidats dont les suffrages ont été annulés et bénéficiant de la présomption d’innocence et d’autre part la célérité exigée par les délais des opérations électorales. Le référé-liberté est à promouvoir au regard du délai bref dans lequel le juge administratif est tenu à se prononcer (48 heures) et tient compte de la célérité précitée. En droit français le référé-liberté peut être utilisé à l’occasion des opérations électorales étant donné que ces opérations constituent le domaine par excellence de l’exercice de nombreuses 171 Décision n° 003/CENI/AP/2023 du 13 janvier 2024 portant réhabilitation des suffrages du candidat Kalumba Mwana Ngongo Justin dans la circonscription électorale de Kasongo-Province du Maniema. 172 La partie de la décision annulant les élections dans les deux circonscriptions concernées est un acte règlementaire à portée générale et impersonnelle. 173 La partie de la décision annulant les suffrages dans certaines circonscriptions électorale revêt le caractère d’un acte à portée individuelle destiné à modifier la situation juridique des candidats dont les suffrages ont été annulés. 174 Art.283 de la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif : « Lorsqu’une décision administrative porte gravement atteinte et de manière manifestement illégale à une liberté publique et/ou fondamentale, le juge des référés saisi par une demande en référé-liberté peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la liberté. Le juge des référés se prononce dans les quarantehuit heures lorsqu’il statue sur une demande en référé-liberté ». JORDC, 18 octobre 2016, N° spécial, col.1. 175 J.YAV KATSHUNG, « Annulation de scrutin et invalidation des candidats par la CENI : quel recours possibles ? cas de Evariste Boshab & consorts in https://www.legavox.fr/blog/yavassociates/annulation-scrutin-invalidation-candidats-ceni-34975.htm, publié le 8 janvier et modifié le 13 janvier 2024. Consulté le 20 janvier 2024 à 17h30. 78 libertés publiques. Les conditions de l’urgence et d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale sont cumulatives et doivent être réunies en même temps176. Un autre avantage offert par le référé-liberté consiste dans le fait qu’il ne présuppose pas l’introduction d’une requête principale et ce, contrairement à la procédure de référé-suspension. La jurisprudence du Conseil d’Etat consolide cette orientation. Il a été jugé que « (…) contrairement au référé-suspension, le référé-liberté est un référé autonome et sa recevabilité n’est pas subordonnée à l’existence d’une requête principale en annulation ou en réformation. Pour toutes ces raisons, (…) le juge des référés fera droit à la requête du demandeur et ordonnera, en guise de sauvegarder des libertés fondamentales ou publiques gravement et illégalement atteintes, la suspension du procès-verbal sans numéro du 1er septembre 2023 constatant la résolution portant sa déchéance au poste de Président de la CNDH (…). Le juge des référés suspend les effets du procès-verbal sans numéro du 1er septembre 2023 constatant la résolution portant déchéance du demandeur au poste de Président de la CNDH (…) »177. Il va de soi que cette procédure de référé-liberté devrait être organisée avant la proclamation des résultats définitifs par le juge électoral concerné. Il s’agit de protéger l’Etat de droit en tenant compte du respect des droits fondamentaux et en soumettant les actes administratifs de la CENI au contrôle de légalité. Ce contrôle des actes administratifs de la CENI s’impose pour respecter l’Etat de droit au cœur du nouvel ordre constitutionnel congolais178 et dans sa jurisprudence, de plus en plus prolifique, la Cour constitutionnelle insiste sur la spécificité que le constituant accorde à la protection des droits de la défense179. Une autre possibilité serait celle ouverte par l’article 49 de la loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Conseil d’Etat (français), 27 mars 2001, Ministre de l’Intérieur c./M. Djalout ; Tribunal administratif de Rouen, 6 mars 2001, M. Dore et autres. Cette jurisprudence est citée par H. CAUCHOIS et J.-C. SAVIGNAC, Droit et pratique des élections, 3ème édition, Berger-Levrault, 2017 177 Conseil d’Etat, ROR. 708. En cause: Monsieur Paul Nsapu Mukulu (demandeur en référé-liberté) contre: 1. Tshibanda Nduba Jean Richard et les autres (Défendeurs en référé-liberté). Ordonnance du 1er novembre 2023, inédit. 178 L. ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI, L’Etat de Droit en Droit congolais, Paris, L’Harmattan, 2021. 179 Pour une brève analyse de cette jurisprudence, J. KAZADI MPIANA, « Les juridictions constitutionnelles et la protection des droits de l’homme en Afrique : quelques réflexions à partir de la Cour constitutionnelle de la RDC » in P. MUHINDO MAGADJU et M. CIFENDE KACIKO (dir.), Normativité et pratiques juridictionnelles : la mise en œuvre des droits de l’homme en R.D.Congo. Tome 2, Paris, L’Harmattan RDCongo, 2022, pp. 21-58. 176 79 constitutionnelle accordant au Procureur près la Cour constitutionnelle le droit de saisir d’office cette dernière lorsque l’un des actes prévus par l’article 43 de ladite loi organique, dans le cas d’espèce, les actes règlementaires de la CENI violent les droits fondamentaux180. Au contraire, les actes administratifs de la CENI à portée individuelle peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir181 ou des procédures d’urgence. Les procédures d’urgence constituent une ressource dans le Droit administratif comparé exercées selon certaines spécificités nationales182. Si la décision précitée de la CENI annulant les suffrages obtenus par certains candidats présente des écueils par rapport au respect des droits de la défense, le télégramme du Vice Premier ministre et ministre de l’Intérieur (pris en son nom par le Vice-ministre de l’Intérieur) enjoignant aux Gouverneurs des provinces dont les suffrages ont été annulés par la décision de la CENI de démissionner au profit des Gouverneurs intérimaires qu’il a désignés constitue, à notre avis, un acte ultra vires183. Bien que le ministre ait agi formellement par télégramme, ce dernier ne constitue pas moins le support d’un acte décisoire modifiant la situation juridique des Gouverneurs visés. Le ministre de l’Intérieur n’est ni l’autorité de tutelle, ni l’autorité hiérarchique des Gouverneurs. Le télégramme destiné aux Gouverneurs manque en fait de fondement juridique. Ni la Constitution, ni la loi du 31 juillet 2008 portant Principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces ni l’ordonnance du 7 janvier 2022 fixant les attributions des ministères n’accorde un tel pouvoir exorbitant au ministre de l’Intérieur. La pratique qui s’est développée tendant à tolérer l’exercice d’un certain pouvoir du ministre de l’Intérieur sur les Gouverneurs de provinces est contraire à l’Etat de droit. A fortiori le message officiel communiqué par télégramme est signé par le vice-Ministre pour le compte du Art.49 : « A l’exception des traités et accords internationaux, le Procureur Général saisit d’office la Cour pour inconstitutionnalité des actes visés à l’article 43 de la présente Loi organique lorsqu’ils portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés publiques ». Mis en évidence par nous. Art.43 : « La Cour connaît de la constitutionnalité des traités et accords internationaux, des Lois, des actes ayant force de Loi, des édits, des Règlements Intérieurs des Chambres parlementaires, du Congrès et des Institutions d’Appui à la Démocratie ainsi que des actes règlementaires des autorités administratives ». 181 Art.85 de la loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif : « La section du contentieux du Conseil d’État est le juge de toutes les affaires qui relèvent de la compétence contentieuse du Conseil d’État. Sans préjudice des autres compétences que lui reconnaît la Constitution ou la présente loi organique, la section du contentieux du Conseil d’État connaît, en premier et dernier ressort, des recours en annulation pour violation de la loi, de l’édit ou du règlement, formés contre les actes, règlements ou décisions des autorités administratives centrales ou contre ceux des organismes publics placés sous leur tutelle ainsi que ceux des organes nationaux des ordres professionnels (…) ». JORDC, 18 octobre 2016, N° spécial, Col.1. 182 D. LE PRADO (dir.), Les procédures d’urgence devant les juges de l’Administration. Etude comparative, Paris, SLC, 2015. 183 Message officiel N°25/CAB/VPM/MININTERSECAC/PKK/005/2024 du 11 janvier 2024. 180 80 ministre de l’Intérieur ; ce qui implique une délégation de signature et non de pouvoir. Conclusion L’observation électorale constitue l’une des composantes du processus électoral dont l’apport est appréciable dans l’évaluation globale du processus électoral. En dépit de quelques faiblesses inhérentes à ce mécanisme, la présence des observateurs électoraux nationaux et internationaux peut prévenir des irrégularités et contribuer à l’acceptation des résultats par une large partie de l’opinion publique nationale, voire internationale. Les observateurs internationaux peuvent apporter et font en réalité une contribution positive aux processus électoraux, plus précisément dans des pays aux régimes semi-dictatoriaux, ceux en transit vers la démocratie, ou dans des environnements d’après conflit. La présence d’observateurs étrangers pourra toujours être un élément dissuasif vis-à-vis de la fraude électorale184. Cette importance de la présence des observateurs est encore soulignée avec emphase par Didier MAUS en ces termes : « Qu’ils soient missionnés par une organisation internationale, spécialisée ou non spécialisée, ou par des pays tiers en ayant reçu mission ou s’étant donné mission de surveiller les élections nationales, ces équipes d’observateurs apportent une caution. En tout cas, elles empêchent dans la plupart des cas que les élections se déroulent à l’opposé des critères de transparence, de liberté, de sincérité et forment les canons de référence de la démocratie contemporaine185 . Malgré la présence des observateurs électoraux et la quantité de recommandations qu’ils formulent dans leurs rapports, les élections demeurent un véritable enjeu et défi pour la plupart des Etats africains qui domestiquent à peine les processus électoraux qui y sont organisés. L’acceptation des résultats électoraux demeure une gageure tant les soupçons pèsent d’une manière constante sur les structures de gestion électorale et que celles-ci donnent parfois l’impression d’un accommodement aux intérêts du pouvoir en place. Comme l’a constaté ABDOUL AZIZ MBODJI, l’acceptation générale en Afrique du principe de l’organisation d’élections libres et transparentes à intervalles réguliers qui a entraîné la réforme des codes électoraux, l’institutionnalisation des Commissions électorales mais aussi l’acceptation des observateurs électoraux, n’a pas permis de préserver effectivement l’intégrité de la plupart des opérations électorales organisées en Afrique (…). En définitive, la question de la réalité d’un droit africain des élections démocratiques ne se pose plus. Il se pose essentiellement la question de l’effectivité de ce droit surtout J.-P. KINGSLEY, « Surveillance d’élections : développement de la démocratie ou tourisme électoral ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 193-208, spéc. à la p. 205. 185 D. MAUS, « Elections et constitutionnalisme : vers un droit international des élections ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 51-58, spéc. à la p. 57. 184 81 dans un contexte d’apparition d’un vent de remise en cause des acquis démocratiques nés du renouveau constitutionnel en Afrique186 Cette acceptation des résultats suppose un large consensus entre les principaux acteurs électoraux sur les règles du jeu électoral car le consensus accroît la confiance qui constitue l’un des leviers importants de la crédibilité du processus électoral. MAMADOU SALIF SANE n’a pas tort de le souligner : « (…) la stabilité d’un système repose sur la recherche de l’équilibre. Plus spécifiquement, le sort des élections dépend des acteurs du jeu électoral et de leurs comportements. Il s’y ajoute que la culture du consensus y fait défaut (…). La phase cruciale de tout processus de maturation démocratique et d’ancrage de l’Etat de droit est l’élaboration des règles de la compétition électorale (…). A cet égard, l’existence de règles consensuelles claires est une des conditions d’une démocratie libérale apaisée. Etant la source principale des crises en Afrique, les règles électorales ne doivent pas être l’affirmation de la raison du plus fort émanant de la seule majorité présidentielle, mais le résultat d’une construction née d’un dialogue entre les différents acteurs. Les normes électorales doivent être la traduction normative des négociations et compromis des acteurs sociaux et politiques (…) »187. Il est difficile que tous les acteurs apprécient d’une manière convergente l’ensemble du processus électoral. Le risque de subjectivité, celle des gestionnaires comme celle des observateurs et des chercheurs est rarement évité, lorsqu’il s’agit d’apprécier la conformité des opérations aux principes fondamentaux du droit électoral énoncés et proclamés en des termes généraux qui recueillent l’adhésion mais dont les traductions normatives, logistiques et matérielles sont rarement claires et précises188 L’observation locale ou nationale est souvent méconnue mais n’en a pas moins d’importance pour cela. Nous avons relevé que de toutes les missions d’observation électorale accréditées auprès de la CENI, celle de l’Eglise catholique avant 2023, puis celle conjointe MOE CENCO-ECC est la plus numériquement importante et couvre toutes les 26 provinces. Elle est traditionnellement critique à l’égard de l’œuvre de la CENI. Les observateurs internationaux peuvent faire des déclarations aux médias internationaux et à l’endroit de la communauté internationale intéressée dans un effort louable de dénoncer une situation honteuse, ABDOUL AZIZ MBODJI, « L’avènement d’un droit africain des élections démocratiques ? », in ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp. 339-369, spéc. à la p. 369. 187 MAMADOU SALIF SANE, « L’ordre juridique électoral dans l’espace CEDEAO », in ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp. 371-411, spéc. à la p. 408 et s. 188 J.-P. KINGSLEY, « Surveillance d’élections : développement de la démocratie ou tourisme électoral ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 193-208, spéc. à la p. 183. 186 82 mais une fois que tout est dit et fait, seuls les citoyens du pays concerné peuvent amener leurs gouvernements à rendre des comptes de façon responsable189. En définitive, comme l’observe J.-P. KINGSLEY, ce sont les propres citoyens d’un pays qui déterminent si une élection est crédible ou non, et ce qui est important pour ces citoyens, c’est qu’ils puissent penser à juste titre que les processus électoraux reflètent effectivement leur volonté. Quand des citoyens voient des processus électoraux transparents, bien administrés, et libres de toute interférence politique et de toute corruption, élection après élection, ils auront confiance en ces élections et les considéreront crédibles indépendamment de la présence d’observateurs internationaux ou des conclusions qu’en tirent ces mêmes observateurs internationaux190 . Le droit international relatif aux élections et de manière particulière à l’observation électorale se développe aussi bien sur le versant du soft law au niveau international (servant de prémisses à un droit international coutumier relatif aux élections) que sur le versant du droit international conventionnel ou contraignant au niveau africain. Ce cadre juridique international est complété par les dispositions d’ordre constitutionnel, législatif, réglementaire ou juridictionnel des Etats. Cependant, comme l’a relevé Didier MAUS, le développement de cet ensemble ne peut garantir à lui seul la sincérité des élections. Les élections libres, honnêtes et régulières reposent avant tout sur un consensus politique, celui-ci permettant à la fois d’organiser les élections et d’en accepter par avance les résultats quels qu’ils soient191. Or, en RDC ce large consensus politique fait largement défaut en amont, c’est-à-dire dans la désignation des animateurs de la CENI, dans l’adoption de la loi modificative de la loi électorale à chaque scrutin, dans la conduite du processus électoral à travers la constitution du fichier électoral et de sa fiabilité, dans le déploiement du matériel et de la logistique électorale, y compris l’organisation des scrutins. En aval ce défaut de consensus se manifeste aussi à l’occasion du nombre de bureaux de vote, du dépouillement des résultats, de leur affichage, de la proclamation des résultats provisoires par la CENI ainsi que du règlement du contentieux électoral. Les fondements de l’éthique électorale résident essentiellement dans l’établissement de la confiance et dans la recherche de la vérité. En Afrique, la J.-P. KINGSLEY, « Surveillance d’élections : développement de la démocratie ou tourisme électoral ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 193-208, spéc. aux pp. 206-207. 190 J.-P. KINGSLEY, « Surveillance d’élections : développement de la démocratie ou tourisme électoral ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 193-208, spéc. à la p. 207 et s. 191 D. MAUS, « Elections et constitutionnalisme : vers un droit international des élections ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 51-58, spéc. à la p.58. 189 83 confiance dans les résultats électoraux prononcés par la Commission électorale a fortement baissé, entraînant parallèlement la baisse de confiance dans le Parlement qui accueille des élus dont l’élection n’est pas reconnue par les électeurs, ainsi que la baisse de confiance envers celui qui a été élevé au rang de chef de l’État192. Bref, la conduite du processus électoral est marquée par une certaine méfiance à l’égard de la CENI, mais aussi par un désaccord souvent permanent entre le pouvoir en place et l’opposition, désaccord auquel participe aussi bien la CENI que la société civile sous le regard intéressé ou désintéressé de la Communauté internationale. La signification attribuée au processus électoral est un facteur crucial de respect de ses résultats. Une élection perçue comme un jeu à somme nulle, dont le résultat est connu d’avance, risque de ne pas susciter d’acquiescement. Au contraire, si la compétition ouverte et si la victoire ne représente rien de plus que l’exercice temporaire du pouvoir, on peut s’attendre au consentement du vaincu193. La problématique au cœur de cette contribution était celle de réfléchir sur les potentialités dont disposent les missions d’observation électorale de contribuer, au travers de leurs rapports définitifs ou des déclarations préliminaires, à l’amélioration des processus électoraux avec un regard particulier sur la RDC. Sans angélisme, les missions d’observation électorale peuvent constituer une valeur ajoutée, certes limitée au processus électoral et ce, au regard des finalités assignées à toute mission d’observation électorale d’évaluer, de manière indépendante et impartiale, le processus électoral et de formuler des recommandations dans l’espoir qu’elles puissent susciter des réformes nécessaires pour l’amélioration du cadre juridique relatif aux élections et des conditions d’organisation des processus électoraux. Cependant, la présence des observateurs électoraux n’est ni indispensable à la régularité des scrutins ni ne peut garantir la transparence des scrutins. * * 192 193 * FWELEY DIANGITUKWA, Les élections en Afrique. Analyse des comportements et pistes normatives de gestion des conflits, Genève, Globethics.net. African Law, N° 11, 2022, pp.298300. F. OLIVA, « Vainqueurs et vaincus : deux faces de la même médaille ? ou comment accepter le verdict des urnes », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 454-476, spéc. à la p. 469. 84 Contentieux électoraux et considérations critiques du régime de la preuve devant le juge constitutionnel congolais Par : Adolphe Musulwa Senga194 Résumé Le présent article analyse l’organisation des quatre cycles des élections (2006, 2011, 2018 et 2023) du Président en République démocratique du Congo, et la proclamation des résultats provisoires par les structures de gestion électorale (Commission Electorale Indépendante et Commission Electorale Nationale Indépendante), puis les contestations des résultats portées devant les Hautes juridictions (la Cour Suprême de Justice ou la Cour constitutionnelle). Il découle de ces contentieux des résultats, pour les demanderesses et les défenderesses devant les juridictions de céans, d’administrer les moyens de preuve, afin de soutenir et faire valoir leurs prétentions respectives. De ce qui précède et pour l’essentiel, rappelons qu’aux termes des requêtes introduites par les différentes parties demanderesses, les juridictions des contentieux électoraux les ont reçues et les déclarées non fondées, pour absence des moyens persuasifs de preuve, devant aboutir à la manifestation de la vérité des urnes. Compte tenu des limites que renferme la législation congolaise en droit électoral en ce qui concerne la preuve, l’intérêt de cette étude réside dans la prise en compte de son aspect prospectif, de repenser le cadre juridique du régime de l’administration et de la réception des moyens de la preuve, à l’occasion, probablement des contentieux des résultats de l’élection du Président en République démocratique du Congo. Mots-clés : contentieux électoraux – regime de la preuve – juge constitutionnel résultats provisoires Abstract This article analyzes the organization of the four presidential election periods (2006, 2011, 2018 and 2023) in the Democratic Republic of the Congo, and the delivery of provisional results by the DRC Election Authority, said (Commission Electorale Assistant au Département de Droit public de la Faculté de Droit de l’Université de Lubumbashi (République démocratique du Congo). Apprenant au programme supérieur d’études de 3 ième cycle (DEA) au sein de la même Université, et Avocat près la Cour d’Appel du Haut-Katanga. Téléphone: +243 992674741. E-mail : [email protected] La contribution en exergue est un extrait de notre mémoire de troisième cycle qui sera présenté et défendu en vue de l’obtention du diplôme supérieur d’Etudes approfondies. Notre soulignement. 194 85 Independante and Commission Electorale Nationale Indépendante), then disputes over the results brought before High Courts (the Supreme Court of Justice or the Constitutional Court). As a result of these disputes, the plaintiffs before the lower courts are obliged to adduce evidence in support of their respective claims. In the light of the foregoing and for the most part, it should be recalled that, under the terms of the petitions lodged by the various plaintiffs, the electoral disputes courts received them and declared them to be unfounded, for lack of persuasive means of evidence, leading to the manifestation of the truth of the ballot box. The interest of this study lies in its prospective aspect, to rethink the regime of the administration of evidence in the Congolese Electoral Law, on the occasion of future litigations of the results of the election for the President in the Democratic Republic of Congo. Keywords: electoral litigation – rules of evidence – constitutional judge – provisional results. Introduction Pendant longtemps, le droit de gouverner une population était considéré comme découlant naturellement de l’ordre des choses. Mais devant l’impossibilité de voir tout le monde gouverner la République en même temps et pour éviter la création d’un désordre permanent, « on proposa la solution suivante : choisissons nos gouvernants au moyen d’élections ; ces gouvernants nous représenteront parce que nous les aurons élus à cet effet. La violence verbale et physique avait ainsi été transformée dans l’urne où chacun cherchait à se confronter à l’autre ou à combattre l’autre par voie pacifique, conformément à ses valeurs et à ses intérêts représentés par le candidat qu’il choisirait librement195. Fort de cet entendement, l’on considère que les élections sont un mode de dévolution du pouvoir reposant sur un choix opéré par l’intermédiaire d’un vote ou suffrage. Plus un corps électoral ne confère un mandat à une ou plusieurs personnes qu’il choisit par son vote. De ce qui précède, toute élection suppose donc que soient définis : le corps électoral que les modalités de ce suffrage ; le ou les mandats mis en compétition que le calendrier de cette compétition ; le mode de scrutin ; l’encadrement administratif et financier du processus électoral ; le mode de contrôle de la régularité des élections et de la proclamation des résultats196. 195 196 FWELEY DIANGITUKWA., Les élections en Afrique. Analyse des comportements et pistes normatives de gestion des conflits, Genève, Globethics, 2022, p. 33. HOLO, G – F., « La démocratie électorale en Afrique : Etat des lieux et propositions », in L’Amphithéâtre et le prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie, Mélanges en l’honneur du Président Robert DOSSOU, sous la direction de Frédéric Joël AÏVO, Jean du Bois de GAUDUSSON, Christine DESOUCHES, Joseph MAÏLA, Paris, l’Harmattan, 2020, p. 617 86 Cela étant, et sauf à considérer par surcroit que l’élection s’entend alors du « procédé d’expression de la volonté des électeurs et de leur choix des dirigeants chargés de décider en leur nom. Les élections s’analysent comme un procédé du régime représentatif, c’est-à-dire le mode normal de désignation et de révocation des gouvernants ou, (plus exactement) le processus de la légitimation du pouvoir. C’est donc par l’expression de la volonté du peuple qu’elles se distinguent des autres modes de désignation des gouvernants qui, eux, se sentent subis par le peuple même s’ils comportent également une part de choix. On comprend dès lors pourquoi, dans un contexte démocratique, de surcroit pluraliste, elles sont ressenties comme une alternative viable à ces procédés, et donc, un mode privilégié et incontestable d’émergence des représentants197. In casu specie, le nouvel ordre politique institué par le constituant du 18 février 2006 met le peuple au centre du jeu politique. En vertu de la souveraineté nationale dont il est détenteur, il est appelé à choisir, aux termes des élections libres, pluralistes, démocratiques, transparentes et crédibles, ses dirigeants, le pouvoir étant son émanation. L’élection devient ainsi le moyen direct par lequel il exerce son pouvoir autant que le référendum, quoique pouvant également l’exercer indirectement par ses représentants élus198 . Nous ne pouvons pas dans cet ordre d’idées nous empêcher de relever que l’article 5 de la Constitution de la République Démocratique du Congo dispose que la souveraineté appartient au peuple. Tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce directement par voie de référendum ou d’élections et indirectement par ses représentants199. De ce qui précède, trois éléments essentiels se dégagent de la lecture de cette disposition à savoir : la souveraineté de la République démocratique du Congo, 197 AFO SABI, Kasséré, La transparence des élections en Droit public africain, à partir des cas béninois, sénégalais et togolais, Thèse en cotutelle, Université Montesquieu – Bordeau IV (Ecole doctorale) et Université de Lomé (Faculté de Droit, soutenue le 26 mars 2013, p. 39. 198 Adolphe MUSULWA SENGA., « Etude prospective sur la réalisation de l’alternance politique par voie de la désobéissance civile en République Démocratique du Congo », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 4-2019, p. 132. 199 Lire avec intérêt in limitis les dispositions de l’article 5 de la Constitution de la RDC, telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006. En effet, aux termes du cinquième alinéa de l’article précité, dispose que sans préjudice des dispositions des articles 72, 102, et 106 de la présente Constitution, sont électeurs et éligibles, dans les conditions déterminées par la loi, tous les congolais de deux sexes, âgés de dix-huit ans révolus et jouissent de leurs droits civils et politiques. 87 l’origine du pouvoir et la voie d’exercice de celui-ci et les conditions d’accès au pouvoir200. Quoi qu’il en soit, la République démocratique du Congo a déjà connu quatre cycles électoraux, au cours desquels la Cour constitutionnelle a eu l’occasion de rendre trois arrêts en matière des contentieux des résultats présidentiels201, qu’aux termes des requêtes introduites par les différentes parties demanderesses, la Haute Cour les a reçues avant de les déclarer non fondées, pour absence des moyens persuasifs de preuve, devant aboutir à la manifestation de la vérité des urnes. Aussi, est-il qu’en pratique, ces contentieux portés devant la Cour de céans, porte sur l’administration de la preuve juridique occupe une place de prédilection, sur laquelle le juge fonde sa conviction202. Comme on le sait, en toute matière de contestation juridique, la preuve revêt une importance capitale, car il ne suffit pas de prétendre d’être titulaire d’un droit, encore faudra-t-il savoir comment prouver. Aussi, pour jouir de son droit, sera-t-il presque toujours nécessaire d’en établir l’existence. Faute de cela, tout se déroulera comme si le droit allégué n’avait jamais existé car « à défaut de preuve, un droit est pratiquement vidé de toute son effectivité concrète puisque le créancier est à la merci de son débiteur ». « Un droit ne présente pour son titulaire d’utilité véritable que pour autant qu’il peut être établi ; un droit qui ne peut être prouvé est un droit pratiquement inexistant ». Tel était le cas déjà en Droit Romain, ce qui a donné lieu à un adage célèbre dans l’ancien Droit : Idem est non esse et non probari, « C’est la même chose que de ne pas être de ne pas être prouvé »203. Dans tous les cas, l’admissibilité et la recevabilité d’un moyen de preuve en justice sont synonymes d’une même réalité et renvoient à la façon dont les parties doivent rapporter la preuve de ce qu’elles allèguent. Il s’agit de répondre à la question 200 MUKUBI KABALI, P., La Constitution de la RDC : Annotée, commentée et expliquée, Kinshasa, éditions ITONGOA, mai 2009, pp. 37-40. 201 Il s’agit des décisions ci-après : - Arrêt RCE 099 du 27 novembre 2006, requête du Mouvement de libération du Congo, qui représentait Sieur Jean-Pierre BEMBA GOMBO comme candidat à l’élection présidentielle, à l’occasion du second tour tenu le 29 octobre 2006. Arrêt RCE 011. PR du 16 décembre 2011, requête du parti de l’Union pour la Nation Congolaise, UNC pour le compte de Sieur Vital KAMEHRE LWA KANYINGIYI. Arrêt RCE 001/PR. CR 2018 du 19 janvier 2019, requête introduite pour le compte de Sieur Martin FAYULU MADIDI, en contestation des résultats des résultats de la Dynamique de l’Opposition, l’arrêt RCE 016/PR-CR du 09 janvier 2024, la requête de Monsieur NGOY ILUNGA WA NSENGA Théodore contre la CENI, en annulation des résultats de l’élection présidentielle. Source : Le Greffe de la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo. Rôle du Contentieux électoral (RCE). Notre soulignement. 202 C’est nous qui mettons en relief 203 ABOUDRAMME ONAHARA, La preuve électronique. Etude de Droit comparé Afrique, Europe, Canada, Paris, Presses Universitaires d’Aix – Marseille, 2011, pp. 17-19. 88 « comment doit-on prouver ? », si un élément de preuve est déclaré adminissible par la Loi, le magistrat est tenu de le prendre en considération et de procéder à l’examen de l’élément en question sans que ce dernier n’emporte nécessairement sa conviction. Le juge reste libre d’en apprécier souverainement la valeur probante. C’est le « stade préliminaire de la réception des preuves ». Une preuve irrecevable est d’office rejetée par le juge sans qu’il puisse en examiner le fondement et la portée. Le concept d’admissibilité d’une preuve ne vise donc que la conformité d’un élément de preuve aux règles relatives à la preuve au sens strict et laissé de côté la problématique de la preuve déloyale ou contraire à une règle de droit étrangère à la preuve204. De la sorte, examinant le régime de l’administration de la preuve en droit électoral congolais, il est rappelé que les moyens de preuve devant les juridictions contentieuses sont les procès-verbaux de vote et de dépouillement des fiches des résultats, des observations des membres du bureau de vote ou des témoins des candidats, des constats des irrégularités relevées par la juridiction elle-même et des réclamations des électeurs annexés aux dits procès-verbaux205. Et combien n’est-il pas soutenable de garder à l’esprit l’importance de comprendre inévitablement qu’en droit électoral congolais, la hiérarchisation des moyens de preuve demeure le principe, et il va de soi pour le juge saisi de s’inscrire dans ce formalisme tel qu’établi par le cadre légal. En tout état de cause, il faut noter que le contentieux est consubstantiel aux élections, tout comme l’élection le serait en principe à la démocratie ; la sincérité d’une élection doit être assurée et garantie par le juge qui, tout en préservant la vérité des urnes, doit se montrer redevable vis-à-vis du peuple, détenteur du pouvoir dans une démocratie206. Au demeurant, le contentieux électoral est un procès contre l’acte et non contre une personne qui doit être considérée comme défendeur ou intimé en cas d’appel. La CENI ne peut être appelée par la Cour que lorsqu’elle estime avoir besoin de son éclaircissement sur tel ou tel point, donc à titre d’expert. C’est ce qui justifie l’usage du verbe pouvoir au prescrit de l’article 74 de la Loi électoral207. Ceci nous permet de préciser que le contentieux examiné en relief, n’est ni celui des actes préparatoires des élections, ni des listes électorales, ni des 204 ANDREA CATALDO, FLORENCE GEORGE et alii, Droit de la preuve (Codes annotés 2022), Mise à jour au 1er septembre 2022), Bruxelles, Larcier, 2022, p. 18. 205 Jean Louis ESAMBO KANGASHE, Le droit électoral congolais, 2ème édition, Louvain-la-Neuve, Academia, Paris, 2020, pp. 271-272. 206 DJOLI ESENG’EKELI, Jacques Adam., « La Cour constitutionnelle congolaise et la vérité des urnes », in Congo-Afrique, numéro 536, juin-juillet-Août 2019, p. 602 207 BUSHIRI OMARI., Le contentieux électoral et le juge constitutionnel : l’impératif de vérité, sincérité, régularité et crédibilité. RD Congo 2006, 2011, Paris, l’Harmattan, 2020, pp. 318-319. 89 candidatures, ni de la campagne électorale, ni répressif, mais celui des résultats de l’élection présidentielle. En toute évidence, l’intérêt du contentieux des résultats de l’élection présidentielle est éloquent, lorsque l’on sait que le Chef d’Etat est investi de beaucoup de responsabilités et il est auréolé du prestige qui séduit beaucoup de ses concitoyens. Dès lors, l’élection présidentielle équivaut à confier le destin d’un Etat à un homme, vu le caractère central de la figure du Président de la République en Afrique. Les conditions pour accéder à cette charge ainsi que son exercice ne sont pas les mêmes que celles des autres mandataires politiques. Cette discrimination est justifiée dans la mesure où le droit de participer aux affaires publiques ne constitue pas un droit absolu, il peut connaître des restrictions nécessaires pour une société démocratique208. Allant dans le même sens, notons que l’on ne peut pas ne pas procéder de la sorte, étant donné qu’il n’a pas aucun domaine des autres grands pouvoirs où le Président de la République n’a pas son mot à dire. En raison de son mode d’élection prestigieux, il « incarne l’unité nationale ». Il est aussi le gardien de la Constitution et veuille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure la continuité de l’Etat209. En toile de fond de cette étude, il sera question d’examiner le contentieux juridictionnel des résultats210 de l’élection du Président de la République, en République démocratique du Congo211, dont la juridiction compétente demeure la 208 209 210 211 Joseph KAZADI MPIANA., « L’odyssée de la clause intangible du nombre de mandats présidentiels au regard de la révision par voie référendaire dans le constitutionnalisme africain. Une valse à trois temps ? » in Mélanges en l’honneur du Professeur Emérite Auguste MAMPUYA (La responsabilité du juriste face aux manifestations de la crise dans la société. Un regard croisé autour de la pratique du droit par le Professeur Auguste MAMPUYA, sous la direction d’Ivon MINGASHANG, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 594 BANKOUDA-MPELE, F., « Repenser le Président africain », Association française de droit constitutionnel, VII ème Congrès français de droit constitutionnel, 50 ème anniversaire de la Constitution du 04 octobre 1958, Paris, du 25, 26 et 27 septembre 2008, Atelier 6 : Constitution, pouvoirs et contre-pouvoirs, pp.9-10 Le contentieux des résultats est l’étape cruciale du processus électoral, dans la mesure où la fraude électorale intervient le plus souvent dans le dépouillement et la compilation des résultats et qu’il appartient au juge électoral de garantir la vérité des urnes. Le processus de comptage passe par le dépouillement des suffrages, la compilation ainsi que la publication des résultats. Lire à ce sujet, KAPINGA K. NKASHAMA., « La Cour constitutionnelle et les enjeux électoraux en République Démocratique du Congo », in Libraire africaine d’études juridiques, 3(2016), pp. 132-134. Aux termes des dispositions des articles 70, 71, 72, 73 et suivants de la Constitution de la République Démocratique du Congo disposent que : article 70 : « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu. Article 71 : Le Président est élu à la majorité simple des suffrages exprimés. Article 72 : Nul ne peut être candidat à l’élection du Président de la République s’il ne 90 Cour constitutionnelle, et les questions de l’administration et de la réception et du traitement des moyens de preuve à l’occasion des contentieux des résultats, ici considérés dans une optique prospective. Excluant l’introduction et la conclusion, nous attendons développer les points ci-après : La Cour constitutionnelle congolaise : La juridiction des contentieux des résultats de l’élection présidentielle (A) ; Le régime de la preuve en droit électoral congolais (B) ; Le contentieux électoral des résultats présidentiels de 2006 devant la Cour suprême de justice siégeant comme Cour constitutionnelle (C) ; Le contentieux électoral des résultats présidentiels du 28 novembre 2011 (D) ; Le contentieux électoral des résultats présidentiels du 30 décembre 2018 (E) ; le contentieux électoral de l’annulation des résultats présidentiels du 31 décembre 2023 (F) ; Aménagements prospectifs du régime de la preuve en droit électoral congolais (G). A.La Cour constitutionnelle congolaise : La juridiction des contentieux des résultats de l’élection présidentielle Notons en liminaire que la justice constitutionnelle remplit sept fonctions, à savoir : - La garantie des rapports constitutionnels entre la fédération et les provinces et des läder en eux, c’est-à-dire centre et les collectivités fédérées (litiges fédératifs) ; La garantie des rapports constitutionnels entre les organes politiques de l’Etat (litiges inter organes) ; Le contrôle de la validité constitutionnelle des normes (Lois et règlements) ; La garantie des droits fondamentaux ; La justice électorale, garantissant la sincérité de la représentation politique ; La protection de la Constitution contre ses ennemis politiques (mise en accusation d’autorités politiques ou judiciaires, interdiction des partis politiques déchéance des droits fondamentaux) ; Le pouvoir de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics212. Dans le cadre de cette étude, il s’avère indispensable de relever à ce stade que le cinquième point ci-haut illustré, relatif à la justice électorale, nous intéresse principalement. En effet, en droit constitutionnel congolais, aux termes des 212 remplit les conditions ci-après : 1. Posséder la nationalité congolaise d’origine, 2. Etre âgé de 30 au moins ; 3. Jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques, 4. Ne pas se trouver dans un des cas d’exclusion prévue par la loi électorale. Article 73. Le scrutin pour l’élection du Président de la République est convoqué par la Commission électorale nationale indépendante, quatre-vingtdix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice. GILLES BADET, Les attributions originales de la Cour constitutionnelle du Bénin, Cotonou – Bénin, Bibliothèque nationale, 2013, pp. 241 et suivant. 91 dispositions des articles 161, alinéa 2 de la Constitution et 81 de la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 relative à l’organisation et au fonctionnement de la Cour constitutionnelle, celle-ci est notamment chargée du contentieux de l’élection présidentielle, des élections législatives nationales ainsi que du référendum 213. Ceci nous permet d’affirmer que la Cour constitutionnelle est la juridiction des contentieux des élections présidentielles, législatives ainsi que du référendum. Les règles juridiques applicables à l’élection du Président de la République sont réparties dans des textes assez disparates, de valeurs juridiques différentes plusieurs fois modifiées et dans lesquels il faut rechercher les compétences de la Cour. L’analyse croisée de ces dispositions précitées, accorde à la Cour constitutionnelle congolaise le pouvoir de proclamer les résultats définitifs des élections présidentielles et législatives dans les deux jours pour les secondes qui suivent l’expiration du délai de recours, si aucune réclamation ou contestation n’a été introduite devant elle214. Etant donné que la crédibilité du juge constitutionnel est en effet souvent appréciée à travers le tropisme partisan de son rôle en matière électorale dans lequel il est renfermé215. C’est fort de ce prétexte que la justice électorale constitue l’une des variables majeures de la présente étude. Cependant, à l’occasion d’un contentieux, il ne suffit pas de faire prévaloir un droit déjà devant le juge constitutionnel électoral congolais, mais encore faudra-t-il déterminer le régime de la preuve qui prévaut en exergue. B. Le régime de la preuve en droit électoral congolais En fait, rappelons dans l’entre temps qu’en droit électoral, le principe en matière de preuve demeure celui de la hiérarchisation des moyens de preuve. A titre d’exemple, devant les juridictions contentieuses, les moyens de preuve sont pour rappel, constitués des procès-verbaux de vote et de dépouillement, des fiches des résultats, des observations des membres du bureau de vote ou des témoins des candidats, des constats des irrégularités relevées par la juridiction elle-même et des réclamations des électeurs annexés auxdits procès-verbaux. Ont été, également, admis comme moyen de preuve, les supports amovibles de stockage des données informatiques produites par la Commission électorale nationale indépendante. Quoique crédités d’assurer une transmission rapide et sécurisée des résultats 213 Notre soulignement. Didier YANGONZELA LIAMBOMBA., L’avènement de la justice constitutionnelle en République Démocratique du Congo. De la Cour suprême de justice à la Cour constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 298-299. 215 KANTE, B., « La justice constitutionnelle face à l’épreuve de la transition démocratique en Afrique », sous la direction d’OUMAROU, la justice constitutionnelle. Actes du Colloque international de l’ANDC (Association Nigérienne de Droit constitutionnel), Paris, l’Harmattan, 2016, pp. 21-22. 214 92 électoraux, les supports amovibles de stockage des données informatiques sont, en raison de leur accessibilité au seul personnel électoral, une chasse gardée, n’offrant que très peu de garantie de neutralité et de transparence216. L’on peut objecter qu’en matière de contentieux électoral, il faut non seulement que les faits allégués pour obtenir l’annulation des résultats des élections soient établis sur base des preuves fournies au juge, mais aussi et surtout que ces faits aient une influence déterminante sur les résultats du scrutin au point de modifier l’ordre de présentation des candidats selon les résultats obtenus. Autrement dit, même si les faits sont constitutifs des violations de la législation électorale, le juge ne pourra procéder à l’annulation partielle ou totale du scrutin que si ces irrégularités ont de l’incidence sur la sincérité des scrutins217. Il est de principe que l’élection du Président de la République est arbitrée par une institution suprême dont les fonctions sont à la fois juridiques et politiques. Sa dénomination varie d’un Etat à un autre. Si ce n’est le Conseil constitutionnel pour certains, c’est la Cour constitutionnelle pour d’autres. Ces dénominations qui, dans une certaine mesure ont été transposées, mettent fin aux anciennes Cours Suprêmes qui représentaient ces nouvelles institutions218. C. Le contentieux électoral des résultats présidentiels de 2006 devant la Cour suprême de justice siégeant comme Cour constitutionnelle Au titre de rappel, signalons avec ILUME MOKE Michel, que le contentieux des résultats est un recours porté par le candidat indépendant, le parti ou le regroupement politique ou leurs mandataires devant le juge électoral en contestation des résultats des élections provisoires. La Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée et complétée prévoit qu’aussitôt le dépouillement terminé, le résultat est immédiatement rendu public et affiché devant le bureau de dépouillement. Les procès-verbaux de dépouillement et les pièces jointes sont acheminés pour centralisation et complication au centre local de 216 Jean-Louis ESAMBO KANGASHE., Le droit électoral congolais, 2ième édition,op.cit, pp. 271-272. Roger THAMBA THAMBA., « Contentieux de l’élection présidentielle devant la Cour constitutionnelle congolaise: esquisse de questions de questions d’ordre procédural », in Librairie Africaine d’Etudes Juridiques 4 (2017), p. 628. 218 Stève MOASSACK, « La responsabilité pénale postélectorale des élus en Afrique noire francophone », in Revue des réflexions constitutionnelles (Revue mensuelle de publication de droit constitutionnel), N°032-Avril 2023, p. 89. 217 93 complication situé dans chaque circonscription électorale. Ce centre établit une fiche de compilation des résultats. Il en dresse le procès-verbal219. Nous allons examiner dans les lignes qui suivent les points suivants : Bref aperçu sur les élections de 2006 (I), de la proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle et la saisine de la Cour Suprême de Justice (II), la recevabilité des moyens de preuve (III), appréciation de l’arrêt (IV). I. Bref aperçu sur les élections de 2006 Il est logique de considérer les élections qui ont eu lieu en 2006 en République démocratique du Congo comme transitionnelles. Elles ont été organisées pour achever le processus de passage institutionnel et qualitatif amorcé depuis 1990, devant faire passer le pays du système dictatorial institué par Mobutu et de régimes contestent comme illégitimes, parce que procédant de la violence des coups d’Etatvers la démocratie, l’institution des régimes légitimes et la paix durable. De ce fait, elles ont bénéficié d’un concours abondant est décisif de la part de la communauté internationale, à travers, principalement le Programme des Nations Unies pour le développement, la Mission de l’organisation des Nations Unies au Congo, l’Agence des Etats-Unis d’aide internationale (USAID), et l’Union Européenne220. En 2006, l’élection présidentielle premier tour et législative nationale sont organisées avec 33 candidats au premier tour et Kabila Kabange Joseph et Bemba Gombo Jean Pierre arrivent successivement 1e et 2ème sur les 33 candidats en lice. Le 27 octobre est organisé le 2ème tour combiné avec les législatives provinciales. Kabila Kabange Joseph est proclamé élu par la Commission Electorale Indépendante (CEI). Bemba Gombo Jean Pierre dénonce des fraudes et la partialité de la communauté internationale et ne reconnaît pas l’élection de Kabila Kabange Joseph. Des violences éclatent dans la capitale entre les deux leaders. La Cour suprême de justice est même touchée par ces violences. Elle confirme l’élection de Kabila Kabange Joseph au motif qu’il n’y a pas de preuve de fraude évoquée par le candidat Bemba Gombo Jean Pierre et Kabila Kabange Joseph qui prête serment le 6 décembre. Bemba Gombo Jean Pierre s’exile en Belgique en 2007221. 219 Michel ILUME MOKE., Droit constitutionnel et institutions politiques de la République Démocratique du Congo, 2ème édition, Kisangani, Presses Universitaires Patrice Emery Lumumba de Kisangani, PUPELK, 2022, pp. 165-166. 220 Elie NGOMA BINDA., « Elections en R.D. Congo 2006 et 2011. Bref regard comparatif et prospectif », in Congo – Afrique, n° 462, février 2012, p. 115. 221 BUSHIRI OMARI, op.cit., pp. 270-271. 94 II. De la proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle et la saisine de la Cour suprême de justice Les résultats proclamés par la CEI ont été confirmés le lundi 27 novembre 2006 par la Cour suprême de justice donnant à Bemba Gombo Jean Pierre 42% contre 58% pour son adversaire, le Président Kabila Kabange Joseph devenant le 1er Président congolais élu, en l’emportant à la majorité absolue (…) »222. III. La recevabilité des moyens de preuve Relativement au droit de la preuve devant la Cour suprême de justice siégeant en matière de contentieux électoral, à l’occasion de l’audience publique du 27 novembre 2006, en cause Mouvement de Libération du Congo, MLC en sigle contre la Commission Electorale Indépendante, CEI en abrégé. La CSJ relève que la preuve des faits articulés par le requérant n’est pas rapportée. Elle constate en effet qu’elle n’a pas été produite au dossier de manière à lui permettre d’exercer son contrôle sur l’existence desdites (sic) témoins et leur accréditation dans les bureaux de vote et de dépouillement concernés, alors que l’article 55 de la Loi électorale n° 003/CEI/BUR/06 du 09 mars 2006 portant mesures d’application de la Loi électorale prescrit en son 2ème alinéa que la liste des témoins des partis politiques et leurs suppléants doit être communiquée à la CEI sept jours avant le scrutin. A cette liste sont annexées les photocopies des cartes d’électeur des concernés. La Cour note par ailleurs que les faits allégués par le requérant selon lesquels les agents de la CEI auraient intentionnellement et délibérément refusé d’admettre ses témoins dans les bureaux de vote et de dépouillement cités par lui et de leur délivrer les copies des fiches des résultats après dépouillement dans les centres cidessus indiqués alors qu’ils en avaient expressément fait la demande, ce qui a favorisé la falsification des résultats, ne sont pas établis ou dressés à cet effet par les OPJ ou des magistrats sur dénonciation des faits par des témoins concernés, conformément à sa jurisprudence (CSJ, 30 octobre 2006, RCE 029 aff. Jacques Boke Nkoso contre Egide Michel). Du reste, divers motifs peuvent expliquer l’absence d’un témoin dans un centre ou bureau de vote comme l’a indiqué à juste titre la Commission Electorale Indépendante. En effet, un témoin peut n’avoir pas été affecté ; il peut être affecté mais sans qu’il se présente dans l’éventualité où il n’avait pas perçu sa rétribution, car selon l’article 38 alinéa 2 de la Loi électorale, les témoins sont à charge de leur client ; une autre hypothèse possible est que le témoin peut refuser de signer une fiche des résultats dans le cas où son client n’avait pas réalisé un bon résultat. C’est 222 Idem, pp. 274-275. 95 pour toutes ces raisons que la Cour exige des preuves écrites émanant des autorités officielles pour étayer les faits allégués. Dans le cas sous examen, la preuve des faits reprochés par le requérant à la Commission Electorale Indépendante d’avoir intentionnellement et délibérément refusé de délivrer les fiches des résultats dans les centres où ils en ont fait la demande n’étant pas rapportée223, la Cour déclarera les moyens du requérant non fondés avec la conséquence que le scrutin ne sera pas invalidé ni les résultats annulés dans lesdits bureaux et centres. IV. Appréciation de l’arrêt Relativement aux faits rapportés à son instance, la Cour a fait un examen laconique, sans moindre effort de fouiller davantage, afin de découvrir la vérité des urnes. La Cour s’est contentée à tort ou à raison, faisant foi aux allégations apportées par la CEI, et laissant examiner de fond en comble les moyens de preuve apportés par la demanderesse. La Cour s’est montrée beaucoup plus passive que dynamique. En effet, il ne suffisait pas de se contenter de seuls plis électoraux de la CENI, pour soutenir son intime conviction. En vertu du principe de la procédure inquisitoriale qui lui est reconnue, la Cour devrait jouer un rôle actif, en reconstruisant autrement son intime conviction, lorsque l’on sait qu’il était de bon droit de rechercher et compléter les informations, en rapport avec le contentieux porté devant sa connaissance à travers d’autres voies, entre autres, les descentes sur les lieux, par les greffiers et les huissiers. L’invocation de l’article 38 alinéa 2 de la loi électorale n’est pas globalement persuasive, dans la mesure où les seuls motifs évoqués par la juridiction de céans ne sont pas suffisants pour écarter les prétentions de la partie demanderesse. Dans les mêmes conditions, il reviendrait à la CEI de produire les preuves contraires, pour justifier en fait comme en droit le refus des témoins de signer les fiches des résultats des élections des candidats. Faire le contraire, serait une manière de cautionner le refus de rechercher la vérité des urnes. De ce qui précède, il y a lieu de s’en convaincre que la Cour a rendu un arrêt aux motivations juridiques moins étoffées, au pire de cas, satisfaire la volonté de la CENI. Le moins que l’on puisse dire par voie de conséquence, il s’agit là d’une appréciation arbitraire. D. Le contentieux électoral des résultats présidentiels du 28 novembre 2011 Dans le cadre de ce point, il sera question d’analyser le Contexte (I), la proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle (II), Analysecritique du déroulement du cycle électoral (III), la saisine de la Cour suprême de justice et la recevabilité des moyens des parties (IV), appréciation critique de l’arrêt (V). 223 MUNTUMBI MWASHAL., Justice électorale congolaise, Tome I, Code électoral annoté, Kinshasa, CRPJ, pp. 426-427. 96 I. Contexte L’organisation des élections du 28 novembre 2011 a été très laborieuse. La mise en place de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) ; chargée de les organiser a été tardive. Sa création n’a été instituée que par la Loi du 28 juillet 2010 et son bureau n’a été installé que le 26 février 2011. Il comprenait quatre membres désignés par la majorité et trois par l’opposition. Pour arriver aux élections, il lui fallait établir le fichier électoral et la cartographie des bureaux de vote, recevoir et traiter les candidats aux différentes élections, imprimer les bulletins de vote, assurer la sensibilisation de la population, déployer le matériel électoral et former les agents des différents centres et bureaux de vote. En ce qui concerne le taux de participation aux scrutins, en 2011, sur 32.024.640 électeurs enrôlés, seuls 18.911.091 soit 59,10% ont participé au vote, avec 18.143.104 suffrages valablement exprimés. La faible participation est dès lors dans une large mesure le résultat de l’absence ou de l’arrivée en retard de certains bulletins de vote, ainsi que de la difficulté pour beaucoup d’électeurs de trouver le bureau où ils auraient dû se rendre. II. La proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle La CENI affirme d’abord qu’il n’y aurait pas de publication partielle des résultats provisoires de l’élection présidentielle. L’opinion publique se rallia cependant à l’affirmation de l’opposition qu’une telle pratique était un refus de transparence. La CENI publia dès lors cinq « résultats de circonscriptions électorales précises, dans lesquelles la compilation devait être effectuée. Elle publia par province des résultats pour un certain nombre de bureaux de vote, sans dire à quelles territoires (sic) ou villes ils correspondaient et sans même proclamer le total auquel les différents chiffres conduisaient au niveau national. Ces résultats ne furent en outre jamais portés sur le site Internet de la CENI224. III. Analyse-critique du déroulement du cycle électoral A la suite des développements de BALINGENE KAHOMBO, soulève de nombreux problèmes, irrégularités et fraudes dénoncés par les Missions d’observations électorales de l’UE et du centre Carter qui concernaient notamment les aspects ci-après : meetings politiques annulés, radios et télévisions privées fermées, privatisation et personnalisation des médias publics par le Gouvernement sortant au mépris du principe de l’équilibre et d’égalité en matière d’information, bulletins cochés à l’avance, bourrage d’urnes, violences armées et contrainte sur le choix des électeurs, non admission des témoins et des observateurs à la phase de consolidation de résultats au centre national de traitement (CNT), nombre excessif des votants au centre national de traitement, nombre excessif des votants par 224 LEON, Saint MOULIN., « Analyse des résultats officiels des élections du 28 novembre 2011 », in Congo – Afrique, N° 462, février 2012, pp. 87-96. 97 dérogation sur simple présentation de la carte électorale d’urnes, échec de la CENI à publier des résultats des bureaux de vote pour les élections législatives, multiple retard, de l’annonce des résultats des législatifs durant les deux mois de compilation, publication par la CENI des résultats de l’élection présidentielle contenus dans un CD – Rom et non par référence aux procès-verbaux scannés de bureaux de vote, traitement chaotique du contentieux électoral par la Cour suprême de justice et le manque de son indépendance. Devant un tel cliché sombre du processus électoral, d’aucuns ont osé dédouaner la CSJ, qui a entériné les résultats provisoires proclamés par la CENI, pourtant faisant curieusement fi des toutes les contestations négatives des Missions d’observations électorales225. IV. La saisine de la Cour suprême de justice et la recevabilité des moyens des parties Au titre du contentieux des résultats, la Cour Suprême de Justice a été saisie d’un recours à l’encontre des résultats provisoires de l’élection présidentielle et de 519 autres contre les résultats provisoires des élections législatives. Introduit par l’UNC, le recours à l’encontre des résultats provisoires de l’élection présidentielle a été rejeté. En ce qui concerne les recours contre les résultats provisoires des élections législatives des élections législatives, 32 (6,1%) ont été déclarés recevables et fondés. Les autres (93,9%) ont été déclarés irrecevables ou non-fondés sans compter le désistement des requérants et les recours pour lesquels la Cour s’est déclarée incompétente. Le formalisme de la Cour se confirme de manière saisissante. Une autre impression que laissent ces statistiques, c’est que le contentieux électoral est réduit à une simple formalité d’usage, la CSJ se comportant comme une simple « caisse de résonnance de la CENI »226. Cette situation procède du caractère sommaire de l’instruction que mène la CSJ sur les allégations électorales dont elle est saisie. L’arrêt UNC contre Joseph Kabila en constitue une éloquente illustration. Par sa requête du 12 décembre 2011, l’UNC sollicitait l’annulation du scrutin présidentiel du 28 novembre 2011. Elle alléguait que ce scrutin était entaché de BALINGENE KAHOMBO, « L’imbroglio électoral vu de la République Démocratique du Congo : Regards croisés sur l’observation internationale du double scrutin du 28 novembre 2011 », in Droit bonne gouvernance et développement durable, Mélanges en l’honneur du Professeur Jean Michel Kumbu Kingimbi, sous la direction de Yves Junior MANZAMBA LUMINGU et Justin MONSENPWO MWAKWAYE, Paris, L’Harmattan, 2018, p. 252. 226 Rapport final de la mission d’observation électorale de l’Union européenne aux élections présidentielle et législatives du 28 novembre 2011, in Cahiers africains des droits de l’homme de la démocratie, Op.cit., pp.59-60, cité par Marcel WETSH’OKONDA KOSO., et BALINGENE KAHOMBO., Le pari du respect de la vérité des Urnes en Afrique. Analyse des élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011 en République Démocratique du Congo, Bruxelles, Combattons l’injustice, 11.11.11. 2014, pp. 204-207. 225 98 nombreuses irrégularités et illégalités de nature à altérer sensiblement la sincérité des résultats provisoires proclamés par la CENI, en l’occurrence : 1) L’affichage progressif des listes des électeurs, en commençant par Kinshasa, deux jours seulement avant le début de la campagne électorale au lieu de trente jours prévus par l’article 8, alinéa 1, de la Loi électorale ; ce qui explique le faible taux de la participation aux élections ; 2) La publication de la cartographie des bureaux de vote à quelques jours du scrutin en violation de l’article 47, alinéa 3 de la Loi électorale qui veut qu’elle intervienne trente jours avant la date du scrutin ; ce qui ne lui a pas permis de déployer convenablement ses témoins ; 3) L’établissement des procès-verbaux des opérations électorales d’une manière telle que tous les témoins des partis, des regroupements politiques et des candidats indépendants n’étaient pas en mesure d’exercer leur droit de les contresigner et d’en recevoir une copie, conformément à l’article 40 de la Loi électorale ; 4) La violation du droit des témoins des partis politiques, des regroupements politiques et des candidats indépendants, consacré par l’article 40, alinéa 5, de la Loi électorale, d’accompagner le transfert des procès-verbaux des opérations électorales des bureaux de vote au centre de compilation ; ce qui a été à la base de la fraude électorale, notamment au centre de compilation de la Foire de Kinshasa (FIKIN) ; 5) Le non-accès des témoins au centre national de traitement ; 6) La mise à la disposition de certains bureaux et centres de vote, au mépris de l’article 56, alinéa 1, de la Loi électorale, d’un nombre de bulletins de vote ne correspondant pas au nombre des électeurs enrôlés et attendus ; ce qui a constitué un facteur supplémentaire du faible taux de participation à l’élection ; 7) La fuite des bulletins de vote dont certains ont été trouvés entre les mains de certains individus avant le scrutin ; 8) L’existence de bulletins de vote précoces au nom du candidat Joseph Kabila, Président de la République sortant, dont certains ont été surpris entre les mains de certaines personnes notamment d’un certain Néron Mbungu poursuivi à cet effet devant la justice ; 9) L’utilisation, par le Président de la République sortant, à des fins de propagande électorale, des avions et des véhicules de l’Etat ainsi que des édifices publics et des tracteurs sur lesquels ses effigies ont été affichées en violation des articles 27 et 36 ; ce qui devrait entraîner la radiation de sa candidature. L’UNC reprochait également aux résultats provisoires de l’élection présidentielle de manquer de sincérité du fait qu’ils étaient différents de ceux publiés après le dépouillement dans les bureaux de vote. Il faut y ajouter le fait que lors de ses interventions sur les antennes de la radio France internationale (RFI) et de radio 99 Okapi, le vice-Président de la CEN, le Professeur Djoli Eseng’ekeli, avait mis en doute la transparence du processus électoral en affirmant qu’il n’avait signé le procès-verbal de proclamation des résultats que dans le souci d’éviter une crise qui avait déjà duré trois jours. En guise d’illustration du manque de sincérité des résultats provisoires de l’élection présidentielle, l’UNC a mis en exergue les cas suivants : 1) L’existence de deux procès-verbaux de compilation du CLCR d’Idiofa dans lesquels le premier daté du 6 décembre 2011 donnait au candidat Kabila 265.173 voix alors que le second daté du 8 décembre 2011 lui donnait 273.690 voix ; 2) Le suffrage valablement exprimé et reparti entre les onze candidats à l’élection présidentielle au Katanga laisse planer plus de 70.000 voix nonattribuées ; 3) A Malemba Nkulu, tous les candidats ont obtenu zéro voix sauf le candidat Joseph Kabila qui a recueilli cent pourcent de voix, ce qui, selon le parti cher à Vital Kamerhe, est curieux et symptomatique de la fraude ; 4) Les résultats de la CENI renseignent qu’il y a eu 3.200.000 votants par dérogation, de quoi combler le retard du candidat Etienne Tshisekedi lorsqu’on sait qu’à Kinshasa plus de 2000 procès-verbaux n’ont pas été pris en compte dans les calculs des résultats publiés par la CENI ; 5) Les résultats affichés après le dépouillement donnaient Vital Kamerhe gagnant dans le Nord et Sud – Kivu et l’Ituri (sic) ; paradoxalement, ceux publiés par La CENI (…) ont fait du candidat Joseph Kabila gagnait dans cette partie de la République. A titre d’exemple, à l’Ecole primaire Epee Naezi, territoire de Jugu, Code 16766, le candidat Kabila aurait obtenu 143 voix contre 1155 pour Vital Kamerhe ; à l’Ecole primaire Lola, Djugu, Code 20846, Joseph Kabila et Vital Kamerhe auraient obtenu respectivement 35 et 778 voix ; les mêmes candidats auraient obtenu 24 et 661 voix à l’Ecole primaire Lubangiru, Code 28842 ; à l’Ecole primaire Ganzi de Bunia, Code 28842, les deux candidats auraient obtenu respectivement 620 et 870 voix, tandis que qu’à Aveba, les voix de chacun d’entre eux étaient de 278 et 1549 voix. Pour l’UNC, l’allure de ces résultats contredit ceux de la CENI proclamant Joseph Kabila gagnant sur Vital Kamerhe dans l’Ituri. Certes, cette jurisprudence n’est pas à l’abri de la critique. Ngoma Binda, Otemikongo Mandefu Yehisule et Leslie Moswa Mombo lui réprochent par exemple de ne pas « approfondir l’examen sur fond par des mesures d’instruction »227. 227 Elie NGOMA BINDA J., OTEMIKONGO MANDEFU YEHISULE et L. MOSWA MOMBO, République Démocratique du Congo, démocratie et participation à la vie politique : une évaluation des premiers pas dans la IIIème République, Une étude d’Afrimap et de l’Open Society Initiative Justice for Southern Africa, Johannesburg, novembre 2010, p. 110. 100 Katuala Kaba Kashala a justifié cette position jurisprudentielle en ces termes : « en Droit congolais, la preuve est libre en matière pénale et administrative ; elle est réglementée et hiérarchisée en matière civile. La matière électorale s’apparentant en Droit administratif, nous pensons que la preuve y est libre même si, dans certaines dispositions de la Loi électorale, le législateur indique sa préférence pour le témoignage. Les candidats indépendants, les partis politiques ou regroupements politiques ont droit à avoir des témoins dans chaque bureau de vote (article 38 de la Loi électorale), ces témoins doivent être choisis parmi les personnes inscrites sur la liste électorale (article 39 de Loi électorale), ils peuvent contresigner les procès-verbaux des opérations et en recevoir copie, assister à la centralisation des résultats et faire des réclamations, mais leur absence n’est pas un motif d’invalidation (article 40 et 67 de la Loi électorale)228. V. Appréciation critique de l’arrêt à l’aune des moyens de preuve Il convient de noter qu’à la suite de Roger Thamba Thamba que la Cour suprême de justice, faisant l’office de la Cour constitutionnelle, lors du contentieux de l’élection présidentielle de 2011 a malheureusement procédé à une sélection de moyens de preuve, conformément à sa tactique forgée depuis le contentieux de 2006, alors que la procédure inquisitoire par la révision du 25 juin 2011 de la Loi électorale du 9 mars 2006, laissant ainsi de côté ceux qui pouvaient peut-être éclairer sa lanterne. Dans l’arrêt RCE 011/PR. Aff. Kamerhe Lwakanyingini Vital et Union pour la Nation Congolaise UNC, en sigle contre Kabila Kabange Joseph et la Commission Electorale Nationale Indépendante, la CSJ a indiqué dans l’appréciation de la régularité du scrutin, le procès-verbal de dépouillement, les observations des membres du bureau de vote ou des témoins de candidats, le constat des irrégularités qu’elle aurait relevé elle-même, ainsi que les réclamations des élections annexées aux procès-verbaux. Ont donc été exclus par la Cour les rapports d’observations et pourtant élaborés par des organisations que la CENI a elle-même accréditées et l’enquête de terrain, en violation de la procédure inquisitoire qui oblige le juge de mener son enquête ex officio. En effet, « ayant un large pouvoir d’investigation », le juge électoral est autorisé à se munir de toutes les preuves dont il a besoin pour motiver sa décision. Il peut donc dans ce cas exiger non seulement la communication des pièces mais aussi ordonner des descentes sur les lieux ou le déploiement dans les centres et bureaux de vote de ses délégués en vue d’y récolter les statistiques des opérations de déploiement et la centralisation des résultats. C’est à ce niveau qu’il convient également de soulever la mesure de recomptage des voix, prévue à l’article 76 bis inséré par la révision de la Loi électorale du 12 février 2015, considéré comme une mesure extraordinaire d’instruction à laquelle le juge peut recouvrir après avoir 228 KATUALA KABA KASHALA, « Les causes du contentieux électoral », in Congo-Afrique, n° 459, 2011, p. 681. 101 épuisé toutes les autres vérifications d’usage. Dans la pratique, le recomptage des voix n’est envisageable que dans la mesure où les bulletins de vote ont été avec les autres pièces communiquées à la juridiction compétente, ici la Cour constitutionnelle. A défaut, le juge peut par un avant-dire droit, en ordonner la communication. Mais, il est tout de même curieux de constater que le législateur congolais ait lui-même limité le recours au recomptage des voix, après avoir reconnu d’importants pouvoirs dans la réunion des preuves nécessaires à éclairer la lanterne du juge, au lieu qu’une telle limitation ne résulte de la pratique. On y voit, donc, une brèche ouverte par le législateur pour permettre au juge électoral de s’échapper chaque fois qu’une telle requête lui sera adressée229. Encore une fois de plus, le juge constitutionnel électoral congolais s’est illustré dans l’inapplication du principe inquisitorial de la recherche des moyens de preuve. Voulant tout attendre du demandeur, il a sacrifié le processus de la recherche de la vérité des urnes issu de l’expression de la volonté du peuple. E. Contentieux électoral des résultats présidentiels du 30 décembre 2018 Afin de mieux cerner tant soit peu les contours du contentieux électoral des résultats du 30 décembre 2018, nous allons ci-dessous examiner, le contexte et rappel des faits (I), les moyens des parties (II), La recevabilité des moyes des parties (III), Les dispositifs de l’arrêt (IV), Appréciation critique de l’arrêt à l’aune des moyens de preuves (V). I. Contexte et rappel des faits A titre de rappel, la CENI a organisé le 30 décembre 2018 les élections présidentielles, législatives nationales et provinciales. Neuf jours après, elle a procédé à la proclamation des résultats de ces élections. Au niveau de l’élection présidentielle, la CENI a proclamé provisoirement le candidat Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République élu230. D’après les résultats provisoires publiés par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) dans la nuit du 09 au 10 janvier 2019, Monsieur Félix Antoine Tshisekedi, candidat de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS/Tshisekedi) a été proclamé élu avec 38,57% des voix devant Martin Fayulu (34,8%), candidat soutenu par la plateforme électorale LAMUKA. 229 230 Roger THAMBA THAMBA., « Contentieux de l’élection présidentielle devant la Cour constitutionnelle congolaise : esquisse de questions d’ordre procédural », in Librairie africaine d’études juridiques 4 (2017), pp. 426-427. SULUBIKA ASHA, Dodo., « Note juridique sur l’opinion dissidente du juge Corneille WASENDA en marge de l’arrêt R.CE 001/PR.CR rendu en réponse à la requête contre la décision portant publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 3-2018, p. 581. 102 Mécontente de la décision de la CENI, la dynamique de l’opposition, agissant par l’entreprise de son coordonnateur national, Martin Fayulu Madidi a saisi, la Cour constitutionnelle par sa requête en contestation des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre, déposée au greffe le 11 janvier 2019. Aux termes de cette requête, la partie demanderesse sollicite de la Cour principalement l’annulation des résultats erronés, … la proclamation de Fayulu Madidi Martin comme élu Président de la République et subsidiairement, l’organisation de l’élection présidentielle dans les entités où elle n’a pas eu lieu … et la surséance de la publication de résultats définitifs. Enrôlée sous RCE 001, la cause a été appelée à l’audience publique du 15 janvier 2019. Dans son arrêt prononcé la nuit du samedi 19 au dimanche 20 janvier 2019, la Cour constitutionnelle a déclaré recevable mais non fondée la requête de la Dynamique de l’Opposition.231 II. Les moyens des parties Retenons qu’à la suite de Balingene Kahombo que dans l’arrêt Fayulu, le requérant a présenté sa requête de façon peu orthodoxe. A titre principal, il a soutenu que la CENI avait publié les résultats provisoires de l’élection présidentielle en violation des articles 70,70 bis et 71 de la loi électorale. Grosso modo, il a reproché à la CENI d’avoir reçu et publié des résultats non-consolidés, sans fiches de compilation et procès-verbaux signés par des témoins. Pire, au moment de la publication des résultats provisoires, certains centres locaux de compilation étaient encore en plein travail pour traduire les résultats par bureau de vote et de dépouillement »232. En sus, à titre principal, la requérante demandait aux juges, d’annuler les résultats provisoires erronés proclamés par la CENI, d’ordonner le recomptage manuel des voix obtenues par tous les candidats , d’auditionner notamment les observateurs de l’Eglise catholique, de la SYMOCEL, de rectifier les résultats erronés publiés par la CENI, en proclamant élu Président de la République Monsieur FAYULU MADIDI Martin et de communiquer à la CENI la décision conformément à l’article 75 de la loi électorale. A titre subsidiaire, la Dynamique de l’Opposition 231 Symphorien KAPINGA K. NKASHAMA., « La Cour constitutionnelle et le contentieux des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. Retour sur quelques questions de forme dans l’affaire enrôlée sous R. CE. 01 du 19 janvier 2019 », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, Volume 3, 2018 (numéro spécial sur les contentieux électoraux), p. 545. De toute évidence, les questions relativement à la forme ont porté sur les fins de non-recevoir soulevées par la défenderesse, à savoir : La mauvaise direction, la fraude quant à la date du dépôt de la requête, du défaut de la qualité dans le chef de requête, du défaut de la qualité dans le chef du requérant et de l’obscurité du libellé. Pour plus de détail lire, Symphorien KAPINGA K. NKASHAMA, S., Idem, pp. 546-556. 232 BALINGENE KAHOMBO., « Note juridique critique sur l’arrêt RCE 001/PR. CR de la Cour constitutionnelle du 19 janvier 2019 relatif à l’affaire de la contestation des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 3-2018, pp. 562. 103 demandait à la Cour constitutionnelle de constater la violation par la CENI des articles 5 et 13 de la Constitution ainsi que 100 de la loi électorale du fait d’exclusion du vote du 30 décembre 2018 des électeurs de Beni, Butembo et Yumbi, d’ordonner en conséquence à la CENI d’organiser l’élection présidentielle dans ces entités dans les deux semaines du prononcé de l’arrêt à intervenir et de surseoir à la publication des résultats définitifs de l’élection présidentielle jusqu’à l’organisation dudit scrutin dans ces entités233. Subsidiairement à l’administration des preuves par la demanderesse et à la réception des moyens par la Cour constitutionnelle, celle-ci a dit n’avoir pas la preuve des allégations du requérant par rapport à la victoire de son candidat, alors qu’elle a refusé l’administration lorsque le demandeur a été en position de le faire. Le motif a été pris de ce que les pièces produites à l’audience, qui n’avaient pas été déposées au greffe au moment du dépôt de l’acte introductif d’instance, ne pouvaient pas être reçues afin de respecter le principe du contradictoire, les autres parties n’ayant pas eu l’occasion d’en prendre connaissance au préalable. Pourtant, le principe de la communication des pièces que l’on connait bien en matière privée n’est pas de mise en droit du contentieux électoral. Le principe du contradictoire doit plutôt s’interpréter comme une exigence visant à soumettre au débat et à la contradiction tous les éléments de preuve présentés dans le cadre de l’instruction, avant la prise en délibéré de l’affaire234. Pour la défenderesse (UDPS/TSHISEKEDI), quatre fins non-recevoir ont été soulevées, à savoir, la mauvaise direction, la fraude quant à la date du dépôt de la requête, du défaut dans le chef du requérant, l’obscurité du libellé235. III. La recevabilité des moyens des parties Par ailleurs, pour montrer davantage que la demanderesse l’a saisie sans apporter aucune preuve de ses prétentions, la Cour s’en remet à sa note de plaidoirie déposée au greffe le 18 janvier 2019. Selon cette note, la requérante a affirmé qu’il est mal venu de lui demander de citer les centres qui n’ont pas procédé à la compilation. Il appartenait à la CENI et à l’UDPS/TSHISEKEDI de rapporter la preuve contraire par la production des procès-verbaux de compilation et rien de tel n’a été fait. Toutes ces raisons ont amené la Cour constitutionnelle à rejeter les pièces de la demanderesse236. 233 SULUBIKA ASHA, Dodo., art.cit, p. 582. BALINGENE KAHOMBO., « Note juridique critique sur l’arrêt RCE 001/PR. CR de la Cour constitutionnelle du 19 janvier 2019 relatif à l’affaire de la contestation des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 », art.cit, pp. 567-568. 235 Pour les amples détails, lire Symphorien KAPINGA K. NKASHAMA., « La Cour constitutionnelle et le contentieux des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. Retour sur quelques questions de forme dans l’affaire enrôlée sous R.CE.001 du 19 janvier 2019 », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 3-2018, pp. 546-557. 236 SULUBIKA ASHA, Dodo., « Note juridique sur l’opinion dissidente du juge Corneille WASENDA en marge de l’Arrêt R.CE 001/PR. CR rendu en réponse à la requête contre la 234 104 IV. Les dispositifs de l’arrêt Aux termes de la requête en contestation des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, la Cour constitutionnelle a rendu l’arrêt RCE 001/PR.CR. du 19 janvier 2019 : Monsieur Martin FAYULU MADIDI, candidat du regroupement de l’opposition politique congolaise, contestant les résultats provisoires publiés par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) en date du 10 janvier 2019, proclamant Monsieur Félix Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO, comme élu Président de la République Démocratique du Congo. Pour la Cour de céans, la requête a été reçue mais déclarée non fondée. V. Appréciation critique de l’arrêt à l’aune des moyens de preuve Pour le juge WASENDA N’SONGO Corneille, la requête devrait être déclarée fondée au regard de l’aveu de violation dans le chef de la CENI pour le premier moyen, au regard de ce que les procès-verbaux ont été soumis au débat contradictoire et de ce que la force majeure pourrait à la rigueur justifier le report et non la privation du droit de voter237. Dans cet ordre d’idées, poursuit l’auteur en conséquence : - - La Cour devrait dire la décision n°001/CENI/19 janvier 2019 portant publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 irrégulière, l’annuler et ordonner à la CENI de continuer la compilation ; Ordonner à la CENI d’organiser les élections dans les circonscriptions électorales de Beni, Beni ville et Butembo ville en pronvince du Nord Kivu, ainsi que Yumbi dans la province de Maindombe dans le plus bref délai Ordonner à la CENI de ne publier que les résultats compilés dans les centres locaux de compilation238. La Cour a été trop passive au lieu de contribuer activement à la recherche et à la manifestation de la vérité des urnes. Les juges sont restés statiques au lieu de s’adapter à l’évolution du cadre juridique électoral intervenue depuis 2011. Il s’ensuit que la Cour constitutionnelle n’a pas été à la hauteur de sa tâche. Son arrêt décision portant publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 3-2018, pp. 590-591. 237 Opinion individuelle, WASENDA N’SONGO Corneille, Juge à la Cour constitutionnelle, du 19 janvier 2019. Lire, annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 3-2018, p. 575.République Démocratique du Congo, Cour constitutionnelle, RCE 001/PR.CR. En cause : Requête de la Dynamique de l’Opposition congolaise, D.O. en contestation des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 (…). 238 Idem, p. 580. 105 n’a que le mérite d’exister et d’avoir juridiquement mis fin à la contestation électorale en RDC239. Partant de ce qui précède, il convient de remarquer que la Cour constitutionnelle a loupé une fois de plus, une occasion propice pour se confirmer comme juge de régularité de l’élection. Vu le caractère fulgurant des irrégularités persistantes décelées dans le chef de la CENI par la demanderesse, tant qu’à la phase préliminaire qu’à l’instruction de la cause, au mépris du principe du contradictoire et l’égalité des moyens de moyens de preuve entre les parties au contentieux, aussi bien qu’au mépris des dispositions pertinentes des textes juridiques internationaux et nationaux relatifs aux élections. De la sorte, qu’il ne restait qu’à la Cour de réunir sa bravoure et annuler le scrutin de l’élection présidentielle. F. Contentieux électoral de l’annulation des résultats présidentiels du 31 décembre 2023 Dans le cadre de cette section, il sera essentiellement question d’examiner les points ci-dessous : Rappel des faits (§1), de la nature du contentieux et les moyens des parties (§2), les dispositifs de l’arrêt RCE 016/PR-CR (§3) et appréciation critique de l’arrêt (§4). §1. Rappel succinct des faits A la suite de la publication des résultats provisoires de l’élection du Président de la République du 20 décembre 2023, et sur le fond de l’article 71 de la loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, et compte tenu de la proclamation des résultats provisoires et la nécessité de dégager les détails suivants, et c’est à titre illustratifs :     Nombre de candidats : 26 ; Nombre total d’électeurs : 41.738.628 ; Nombre total des votants : 18.045.348 ; Taux de participation : 43, 23%240. Aux termes de ce qui précède, la CENI a proclamé provisoirement Monsieur Tshisekedi Tshilombo Félix-Antoine comme Président élu, après avoir obtenu 13.215.366 voix, soit 73,34% des suffrages. BALINGENE KAHOMBO., « Note juridique critique sur l’arrêt RCE 001/PR. CR de la Cour constitutionnelle du 19 janvier 2019 relatif à l’affaire de la contestation des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 », art.cit, pp. 574. 240 Journal officiel de la RDC, cabinet du Président de la République, Kinshasa 13 janvier 2024, Cour constitutionnel RCE. 016/PR-CR. Arrêt, proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle du 20 décembre 2023, pp. 5-9 239 106 §2. De la nature du contentieux et les moyens des parties Il importe de rappeler qu’à la suite de la publication des résultats provisoires de l’élection du Président de la République, deux recours ont été enregistrés et enrôlés au greffe de la Cour constitutionnelle, à savoir : le RCE 014/PR-CR : Monsieur Théodore NGOY ILUNGA WA NSENGA c/CENI et le RCE 015/PRCR : Monsieur EHETSHE MPALA David c/CENI ; à l’opposé du défendeur et ce, en présence de la Commission électorale nationale indépendante rn qualité d’Experte. Ici, est le lieu de rappeler que de ces deux requêtes, seule, celle de Monsieur Théodore NGOY ILUNGA WA NSENGA a été déclarée recevable pour recevoir examen et plaidoirie devant la Cour constitutionnelle et la requête de Sieur EHETSHE MPALA David, déclarée irrecevable. L’on ne peut pas dans ce même ordre d’idées, s’empêcher de relever les moyens de la requérante sur le fond des irrégularités qui ont entachées le processus électoral, à savoir : - Le débordement de la tenue du scrutin conformément à l’article 52 de la loi électorale241 ; L’absence des procès-verbaux de bureau par bureau, en vertu de l’article 71 de la loi électoral qui devraient être produits par la CENI ; Le défaut de la complication des résultats par le centre national de complication ; Le caractère erroné des résultats issus des élections organisées. D’où, la nécessité de l’annulation des résultats. A titre principal, compte tenu de toutes ses irrégularités, la partie requérante a sur pied de l’article 75 alinéa 2 de la loi électorale : « Dans tous les autres cas, elle peut annuler le vote en tout ou en cas partie lorsque les irrégularités retenues ont pu avoir une influence déterminante sur le scrutin. S’il n’y a pas appel, un nouveau scrutin organisé dans les soixante jours de la notification ». Fort de cette disposition, la requérante a sollicité, qu’elle soit fondée la présente requête et annuler les élections pour qu’elles soient réorganisées avec une CENI autrement composée. 241 Aux termes de l’article 52 de la loi électorale in fine, dispose que : « Le jour et l’heure de vote sont fixés par la Commission Electorale Nationale Indépendante. Le vote, par le scrutin direct, se tient le dimanche ou un jour férié. Il a lieu de six heures à dix-sept heures. Toutefois, le préposé de la Commission Electorale Indépendante remet le jeton aux électeurs présents et le vote continue jusqu’au vote de dernier électeur muni de jeton (…) 107 A. L’épineuse question du débordement de la date de la tenue du scrutin Pour la défenderesse, en rencontrant l’épineuse question relative au débordement de la date de la tenue du scrutin; le demandeur a omis dans le chef de la première demande les prescriptions constitutionnelles à savoir : - - L’article 5 de la Constitution en ce qui consacre le droit d’exercice de la souveraineté nationale par tout le peuple. En vertu de cette disposition, « (…). Tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce directement par voie de référendum ou d’élections et indirectement par ses représentants (…) » ; L’article 13 de la Constitution en ce qu’il interdit toute forme de discrimination qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif ; La doctrine juridique faisant autorité à plus d’un titre, notamment sous la plume de l’immortel Hans Kelsen, enseigne à ce juste propos que « l’influence qu’un électeur exerce sur le résultat de l’élection doit être égale à celle qu’exerce chacun des autres électeurs : Chaque suffrage doit avoir un poids égal à celui de tous les autres » et personne ne peut se voir exclu du bénéfice d’un tel droit. Toujours en déroulant les maillons de la chaine de la normativité susceptible d’encadrer la régularité et donc la légalité des opérations du vote ayant eu lieu après extension du délai initial, il est important de revenir aux notions élémentaires devant être connues de tout juriste sérieux, à savoir le statut de la Constitution d’un pays au sein de l’ordre juridique international. - Pour rappel, l’article 215 de la Constitution de notre pays stipule que « Les Traités et Accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle de lois, […] » ; La raison en est que la République Démocratique du Congo est un pays de tradition moniste ; Or, il s’avère qu’elle a ratifié un certain nombre d’instruments internationaux, lesquels érigent la participation à l’élection au titre d’un droit fondamental. Partant de ce qui précède, la décision de la CENI en question se justifie amplement sur le plan du Droit international général, en vertu, notamment : - De l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, sur pied duquel « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune discrimination […] et sans restriction déraisonnables : […] ; b De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ; […] » ; 108 - De l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en vertu duquel, in fine, « […] 3. La volonté du peuple […] doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ». Au niveau régional africain spécifiquement parlant, la régularité de la décision de la CENI peut être appréciée au regard, notamment : - De l’article 13 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples en ce qu’il consacre librement le droit de participer à la direction des affaires publiques ; Du point IV.2 de la Déclaration de l’organisation de l’Union Africaine sur les principes régissant les élections démocratiques, en ce qu’il consacre le droit de participer aux processus électoraux y compris le droit de vote sans aucune discrimination. La jurisprudence constate de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples en la matière, dont nous faisons l’économie de l’exposé en cette circonstance, est riche d’enseignements qui vont dans le sens de ce que nous défendons. Il est donc superfétatoire de se braquer en deçà de la marge de juridicité pouvant être établie, à l’aune d’une compréhension systématique d’un ordre juridique quelconque, en s’efforçant maladroitement de donner l’impression que la loi électorale constitue la ligne de crête qui viendrait circonscrire marginalement l’ossature juridique et réglementaire destinée à encadrer le processus électoral en accusant de ce fait même les limites de la connaissance du droit électoral dans son ensemble. B. A propos de prétendues irrégularités délibérées qui entacherait les opérations de dépouillement et de compilation des résultats Le mur de lamentation autour du processus électoral à l’issue duquel notre client, Monsieur Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, affectueusement et démocratiquement désigné « Fatshi Béton » a été proclamé vainqueur de cette élection, atteint son point culminant avec des larmes de crocodile versées sur les prétendues irrégularités qui seraient par ailleurs délibérées au sujet des opérations de dépouillement et de compilation des résultats. Cette accusation constitue la manifestation d’un élan vindicatif, teinté de passion et d’amertumes, sur fond des frustrations qui brouillent manifestement la marge qui s’impose nécessairement entre la lucidité et l’acharnement à l’issue de toute compétition à laquelle on s’est engagé sur la base des espérances putatives. 109 En effet, sans préjudice de la substance de nos développements relatifs à ce volet d’argumentation contenu dans nos observations écrites, il importe de rappeler succinctement ce qui suit à ce propos : - - - - La démarche du requérant est caractéristique d’une confusion délibérée de genres – et cette fois l’adjectif « délibéré » a tout son sens – entre les différents épisodes relevant des plusieurs registres normatifs dans le cadre d’une application rigoureuse et objective de la loi électorale en l’espèce ; Le processus électoral comporte respectivement des phases préparatoires préalables au déclenchement des élections proprement dites, le stade des candidatures ainsi que celui du déroulement du scrutin, et même ici, il faut encore subtilement distinguer le déroulement en tant que tel de l’opération de vote par rapport aux opérations consécutives de dépouillement et de compilation ; en effet, il n’est pas dit que les actes de violences perpétrées , par exemple dans les limites d’un bureau ou d’un centre de vote conditionnement nécessairement l’intégrité des opérations matérielles de comptage de voix ; Par ailleurs, il apparaît surréaliste d’avoir saisi la Juridiction de céans en contestation des modalités du déroulement des élections et acquiescé à l’arrêt rendu à cette fin, pour revenir plus tard après avoir participé à ladite élection dans les conditions jadis décriées mais auxquelles on adhéré en participant à l’élection proprement dite, vue d’en contester la régularité et la légalité ; Pour les avocats-conseils du Président de la République proclamé élu jusqu’à preuve du contraire, ce chef d’accusation ressemble à une farce de mauvais goût ; Dans la vie, tout ne doit pas être théâtralisé à ce point ; Comment le requérant pourrait-il prétendre aspirer à une apparence de sérieux en manquant de verser au dossier ne fût-ce qu’un indice de quelque moindre valeur soit-il pouvant contribuer à établir la véracité de ses allégation ? La tentative en vue de la contestation de cette élection est un indice de la crise de modèles et de valeurs qui affecte le comportement et les attitudes de nombreux opérateurs politiques dans notre pays. Il n’est pas possible de saisir les motivations implicites à la démarche du requérant, si l’on ne prend pas en compte la tendance récurrente à l’usurpation du titre ou des prérogatives du titulaire authentique du pouvoir, par le biais des artifices 110 rhétoriques ou des montages juridiques difficilement conciliables avec la nature et l’entendue des attributs du « souverain primaire ».242 §3. Les dispositifs de l’arrêt RCE 016/ PR – CR Aux termes de la requête en annulation des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 20 décembre 2023, la Cour constitutionnelle, siégeant en audience publique conformément aux dispositions des articles 71 et 161 alinéa 2 de la Constitution et faisant application des articles 81, 110 et 111 de la loi organique n° 013/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, 74 alinéa et 4, 74 bis et 114 de la loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales telle que modifiée et complétée à ce jour, le ministère public entendu, après la prise en compte et l’examen du nombre total d’électeurs, nombre total des votants, le taux de participation, les suffrages valablement exprimés, le nombre de bulletins déclarés nuls ou blancs et nombre des suffrages obtenues par candidat, la Cour constitutionnelle par voie de conséquence proclamer élu à la majorité des suffrages exprimés, Président de la République Démocratique du Congo Monsieur Tshisekedi Tshilombo Félix-Antoine. §4. Appréciation – critique de l’arrêt Au fond de cet arrêt, il n’est pas exclu de noter qu’il ne doit pas se dérober de certaines critiques objectives, tant sur le plan de la substance de l’arrêt, de droit procédural, du régime de la preuve, de la violation de la loi électorale et des forces dans la perception et le caractère dynamique et actif du juge constitutionnel, agissant comme juge électoral. En effet, proportionnellement aux droits et aux moyens de la requérante, il sied de préciser que les motivations de l’arrêt sont laconiques et moins étoffées. Il s’est dégagé une observation selon laquelle la Cour n’a pas fourni assez d’efforts dans sa décision, afin de réserver les réponses aux chefs de demande de la requérante. L’on retiendra l’absence d’une démonstration adéquate de la production des procès-verbaux des résultats compilés, déposés par la CENI, afin de servir des moyens de preuve contradictoire, gage d’un procès équitable. Le régime de l’exercice du droit de la preuve n’a pas permis de manière équitable à l’une des parties de prendre connaissance des procès-verbaux, non seulement pour en discuter 242 Cour constitutionnelle-Contentieux des résultats-Election présidentielle du 20 novembre 2023/audience publique du lundi 08 janvier 2023, Lire avec intérêt la note de plaidoirie de Maître Ivon MINGASHANG/ Eureka Law Firm/ pp. 4-10. Le défendeur en exergue est l’un des Avocats-Conseils de Monsieur Félix Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO, candidat indépendant proclamé Président élu par la décision de la Commission électorale Nationale Indépendante portant proclamation des résultats du scrutin présidentiel du 20 décembre 2023. 111 mais aussi et surtout, éclairer la religion du juge de céans. L’absence de l’égalité des armes est consécutive à la violation de l’article 3 in fine de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples243. Par voie de conséquence, dans le cadre de ce contentieux de l’annulation de l’annulation des résultats du Président de la République, le droit de la preuve tel que prétendu administrer par la CENI s’est articulé visiblement sur le versant déclaratoire par la Cour de céans et non par démonstration et opposable à la requérante. Poursuivons en relevant que la Cour a violé l’article 70 de la loi électorale qui dispose que : « Un centre de compilation établit une fiche de compilation des résultats. Il en dresse un procès-verbal. La fiche de compilation et le procès-verbal sont signés par les membres du bureau du centre de compilation de la circonscription et par les témoins. Le Président du centre de compilation rend public, en affichant au centre, les résultats du vote pour les élections législatives, provinciales, urbaines, communales et locales, et les résultats partiels de l’élection présidentielle au niveau de la ville ou du territoire. Les procès-verbaux et les pièces joints sont transmis au siège de la Commission Electorale Nationale Indépendante, conformément à son plan de ramassage. Celle-ci les transmet à la juridiction compétente. Et l’article 70 bis quant à lui, dispose que : « Dans l’agrégation doit veuille à traduire fidèlement les résultats par bureau de vote et de dépouillement. En cas de redressement pour erreur matériel, la présence des témoins du candidat concerné est requise, s’il en avait dans ledit bureau de vote de dépouillement. Dans un passé récent, examinant la question relative à la violation de l’article 70 de la loi électorale, dans l’affaire de la Dynamique de l’opposition congolaise D.O en sigle (demanderesse) contre Union pour la Démocratie et le Progrès Social (défenderesse), en cause : Requête de la Dynamique de l’opposition congolaise, en contestation des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, le juge Corneille Wasenda, dans l’opinion individuelle a relevé cette violation de l’article 70, en ce sens que dans le troisième paragraphe du procès-verbal de la réunion de l’assemblée plénière relative à la publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, la CENI considère que le centre de compilation des résultats de l’élection présidentielle est le secrétariat exécutif national déduisant cela de ce qu’« il ne peut être installé plus d’un centre local de compilation des résultats par circonscription électorale ». Effectivement, dans son mémoire, elle affirme que « La compilation et l’agrégation des suffrages valablement exprimés a été effectué au secrétariat exécutif national de la CENI, les centres locaux de compilation des résultats n’ayant servi que 243 Aux termes de l’article 3 de la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples : « 1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi. 2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi. » 112 les dieux d’assemblage et de transmission des plis des résultats et des données électorales en provenance des bureaux de vote et de dépouillement (…). La Cour a fait une mauvaise lecture de la loi. En effet, elle n’a prévu que les centres locaux de compilation et n’a aucunement crée un centre national de compilation. En faisant des centres locaux de compilation de résultats ne servaient que des lieux « d’assemblage et de transmission », la CENI a violé la loi qui veut que le président du centre de compilation publie les résultats partiels pour la présidentielle. En effet, l’article 70 alinéa 2 dispose : « Le Président du centre de compilation rend publics, en affichant au centre, les résultats du vote pour les élections législatives, provinciales, urbaines, communales et locales et les résultats partiels de l’élection présidentielle au niveau de la ville ou du territoire ». Il va de soi que le Président du centre de compilation ne pourrait rendre publics des résultats partiels de l’élection présidentielle sans les avoir agrégés et compilés comme en dispose l’article 70 bis de la loi électorale. Ainsi, le moyen qui reproche à la CENI d’avoir violé la loi en publiant des résultats non compilé (sic) sera déclaré fondé244. Par ailleurs, dans le cadre du contentieux électoral à l’élection présidentielle de 2024, il y a lieu de stigmatiser également un aveu de la violation de l’article 70 in fine de la loi électorale par la CENI. En considération de sa correspondance, saisissant la Haute juridiction pour la transmission de la Décision n°130/CENI/AP/2023 du 31 décembre 2023 portant publication des résultats provisoires de l’élection du Président de la République, le Président de la CENI dans la présente, a relevé que : « Les plis des différentes circonscriptions électorales contenant les procès-verbaux des opérations de vote, les procès-verbaux des opérations de dépouillement et les fiches des résultats issues des dispositifs électroniques de vote vous proviendront au fur et à mesure de leur réception au siège de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) à Kinshasa »245. L’une des annexes de la décision de la CENI, telle que précitée en son troisième point est contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 70 in fine de la loi électorale. En effet, aux termes de cette disposition légale, les plis des différentes circonscriptions électorales et autres imprimés des résultats de l’élection présidentielle ne devraient pas être réceptionnés au siège de la CENI, mais bien au contraire au centre national de compilation. 244 République Démocratique du Congo, Cour constitutionnelle, RCE 001/ PR.CR, Opinion individuelle du juge constitutionnel Corneille Wasenda dans l’affaire Dynamique de l’opposition congolais D.O. contre Union pour la Démocratie et le Progrès Social, in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, Volume 3-2018, pp. 575-576. 245 Journal officiel de la RDC, Kinshasa 13 janvier 2024, Cour constitutionnelle, RCE. 016/PR-CR, Op.cit., pp. 5-6. 113 Par ailleurs, il découle de ce qui précède, en tenant compte des limites de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, sous examen , il est de bon droit de ressortir toutefois les forces. En effet, dans le cadre de manifestation comme juge de la régularité la Cour constitutionnelle a eu à faire preuve, dans sa saisine, d’étendre ses pouvoirs au-delà des prétentions de la CENI. Et combien n’est-il pas judicieux de préciser que la CENI a transmis à la Cour constitutionnelle la Décision n° 001/CENI/AP/2024 du 5 juillet 2024 portant annulation des élections législatives provinciales dans les deux circonscriptions de Yakoma et Masimanimba. En effet, selon la CENI, après les investigations de la Commission qu’elle a mise sur pieds, pour enquêter sur les dénonciations de fraude, la centrale électorale a annulé les élections dans les circonscriptions. Au regard de cette nouvelle donne, la Cour constitutionnelle considère que, comme juge électoral, elle doit vérifier l’authenticité et la sincérité du scrutin en s’assurant que les irrégularités dénoncées sont avérées et susceptibles d’influer sur les résultats électoraux, si bien qu’il peut rectifier les résultats s’ils sont entachés d’erreur matérielle ou de fraude avérée en dehors de tout contentieux ou en cas d’un recours déclaré infondé246. De la sorte, en voulant concilier la véracité des faits par rapport à son intime conviction comme juge de la régularité et de la sincérité, la Cour constitutionnelle, à travers cet arrêt a fait preuve à statuer ultra petita. L’allusion est faite ici, dès lors que la Cour tient à examiner l’affaire, même en dehors de tout contentieux ou en cas d’un recours déclaré infondé. C’est donc au-delà des moyens portés à sa connaissance. Dans cette trame d’idées, c’est ici le lieu de rappeler les dénonciations de fraude à l’occasion des élections générales de 2023 a suscité un intérêt manifeste dans le chef de l’observation électorale pour la justice et la paix post- électorales. En effet, dans une déclaration conjointe CENCO – ECC, dans son septième point, il est repris : « Nous demandons au Procureur Général près la Cour constitutionnelle de se saisir d’office de toute dénonciation en rapport avec les irrégularités afin d’amener la haute juridiction de la sincérité électorale à dire le droit et redorer la fierté de notre République »247. S’agissant de la saisine d’office du Parquet général près la Cour constitutionnelle, il y a lieu de noter que le point 7 de la déclaration conjointe précitée, CENCO-ECC, de la saisine d’office du Procureur général près la Cour constitutionnelle est contraire à la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle de 2013. En effet, tout en sachant dorénavant que la Jour officiel de la RDC, Kinshasa 13 janvier 2024, Cour constitutionnelle, RCE. 016/PR – CR, Op.cit., pp. 9-10. 247 Déclaration conjointe CENCO-ECC à la suite de l’observation électorale pour la justice et la paix post-électorales, Kinshasa, le 04 janvier 2024, Lire point 7, p. 2. Pour l’ECC, Révérend Dr André BOKUNDA-bo-LIKABE et pour la CENCO, Marcel UTEMBI TAPA, Archevêque de Kisangani. 246 114 détermination spécifique de la compétence tant répressive aussi bien personnelle de la Cour constitutionnelle, cette dernière n’est pas investie de cette compétence de poursuivre toutes les incriminations248. Il importe de conjurer que la Cour constitutionnelle n’est pas une juridiction ordinaire ayant une compétence répressive couvrant toutes les infractions et dont les justiciables sont les simples citoyens. Concernant la compétence personnelle de la Cour constitutionnelle elle ne concerne que le Président de la République et le Premier Ministre et par extension de compétence les personnes qui sont co-auteurs ou complices de Président de la République et du Premier Ministre des infractions limitativement énumérées dans la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013. Faisant suite de ce qui précède, il est particulièrement intéressant de s’attarder sur la saisine d’office du Parquet près la Cour constitutionnelle. Le législateur organique de 2013, a prévu deux cas de saisine de la Cour constitutionnelle par le Procureur général agissant d’office. Il s’agit du cas de la violation des dispositions relatives à la déclaration du patrimoine familial ainsi que celui de l’inconstitutionnalité d’un certain nombre d’actes violant les droits fondamentaux de la personne humaine249. G. Aménagements prospectifs sur le régime de la preuve en droit electoral congolais Dans le but d’aboutir à la manifestation de la vérité des urnes et à la conformité au principe de la liberté des moyens de preuve, il s’avère de jure d’établir que la preuve en droit électoral congolais nécessite des aménagements subséquents. Ces aménagements sont de deux ordres, à savoir aux niveaux tant législatif (§1) que juridictionnel (§2). §1. Une prospection législative portant aménagement du régime de l’administration de la preuve en matière électorale De ce qui précède, comme le régime de la preuve relève du domaine de la loi, nous allons orienter nos apports et suggestions vers le pouvoir législatif, dans ces deux chambres réunies, à savoir l’Assemblée nationale et le Sénat. A. Repenser le cadre législatif sur l’équité procédurale gage de la promotion de l’égalité des armes à l’occasion du contentieux des résultats de l’élection présidentielle De toute façon, il importe dès lors de relever tout de suite que le procès contre le juge constitutionnel a émergé dans un contexte politique où son œuvre ne 248 Notre soulignement Guy-Prosper DJUMA BILALI LOKEMA, « Parquet général près la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, Volume 1- 2016, p. 98 et surtout 102. 249 115 répondait pas aux attentes sociales. Le juge lui-même paraissant comme le prolongement des bras séculiers du pouvoir exécutif. Ses décisions ont souvent été considérées comme des « volontés politiques » coulées en moule juridique250. En effet, contre toute attente, il s’observe malheureusement qu’en pratique que la Cour constitutionnelle, saisie en matière de contentieux des résultats présidentiels accorde essentiellement foi à la production des résultats venant de la CENI. Et pourtant, la Cour devra se placer dans l’envergure de doute préalable, et procéder à la vérification du caractère authentique des résultats. Toutes les preuves devant l’instance peuvent soit valoir ou rejetées. Néanmoins, pour que le juge électoral s’en aperçoive, il faudrait que la loi lui fasse l’obligation d’accorder les mêmes possibilités aux parties, pour que les moyens de preuve soient administrés, en respectant les principes de l’équité procédurale et l’égalité des armes. De la sorte, l’équité procédurale et l’égalité des armes font appel à l’usage proportionnel des moyens qui doivent concourir à l’organisation d’un procès constitutionnel équitable. Il faudra donc au pouvoir législatif de concevoir une législation en matière électorale, susceptible d’assouplir les inégalités sur le plan de l’administration de la preuve entre les parties au cours d’un contentieux électoral. Quoi qu’il en soit, l’égalité des armes, « composante essentielle de l’égalité de tous devant la loi, protégée par l’article 3 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et l’article 26 de la Constitution » est également « une composante autonome, une exigence et une garantie fondamentale du procès équitable. Elle traduit (…) le juste équitable qui doit s’instaurer entre les parties et implique l’obligation d’offrir à chacune d’elles une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net avantage par rapport à son adversaire. Elle doit être respectée dans toutes les procédures et en toutes les matières. Elle s’apprécie concrètement, au cas par cas, et globalement, au vu de l’ensemble du procès. Elle s’applique à travers toutes les obligations découlant du principe de la contradiction. Le principe du contradictoire, quant à lui, « implique en principe la faculté pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision et de la discuter. Ce principe doit pouvoir s’exercer dans des conditions satisfaisantes, en permettant au plaideur, notamment, d’examiner les documents communiqués, de les commenter d’une façon appropriée et de bénéficier d’un délai suffisant pour rédiger ses arguments, quitte à obtenir un renvoi. Le respect du principe s’impose non seulement aux parties mais aussi au juge, par exemple, lorsqu’il relève un moyen d’office ou lorsqu’il envisage de procéder par substitution 250 Lire utilement l’avant – propos de Jean Michel KUMBU KI – NGIMBI, in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, Kinshasa, Vol. 1, 2016, p. 11. 116 de motifs. Il ne le faire qu’après en avoir informé les parties et sollicité leurs observations251. B. La participation du juge constitutionnel en amont et en aval aux étapes du processus électoral Nous pensons dès lors qu’il est plus indiqué de faire remarquer qu’en Droit constitutionnel congolais, le juge constitutionnel électoral est certes un juge de la régularité du processus électoral, auquel il participe seulement a posteriori. Cet état de chose nous pousse à conjurer que, pour que son œuvre soit efficace à l’occasion du prononcé d’un contentieux des contestations des résultats présidentiels, il aurait pu falloir que le juge constitutionnel électoral des résultats présidentiels soit associé, à la fois en amont et en aval au processus électoral, pour qu’à l’occasion des contestations qu’il ne soit pas étranger au contentieux pour lequel il est convié de régler le litige. Faisant le contraire, le juge constitutionnel est réduit à un juge passif, qui prend connaissance des faits de la procédure à l’audience comme les deux autres parties au procès. De cette façon, nous suggérons au législateur que la Cour constitutionnelle figure parmi les structures opérationnelles des élections comme l’une des aiguilleurs, au même titre que les témoins, les observateurs électoraux (nationaux ou domestiques et internationaux) les médias252. Dans le cas d’espèce, la Cour aura à exercer la fonction de prévention électorale, en envoyant ses propres observateurs pour identifier au préalable les circonscriptions électorales qui peuvent poser des problèmes. Cette opacité est également relevée dans une étude similaire par Kazadi Mpiana Joseph253, en abordant la question du contentieux des lois électorales, il a indiqué que ce contentieux a toujours été un rendez-vous manqué dans la mesure où la Cour constitutionnelle n’est pas consultée dans le processus de révision de la loi électorale. Elle n’est saisie que rarement après la promulgation des lois de révision (R. Const. 624/630/631.Opinion dissidente R.Const. 624/630/631. Requêtes en inconstitutionnalité de la loi électorale ; R. Const. 1826, requête de Monsieur Sekimoyo Mutabazi en inconstitutionnalité des articles 22 alinéa 2, 104 alinéa 3, 118 et 121 et de la loi électorale révisée). Même dans le cas où elle a été saisie, sa jurisprudence est déficitaire ou épisodique (R. Const. 0089/2015, R.Const. 1756, R. Const. 1826). 251 Akouègnon DASSI., « Les droits procéduraux du citoyen dans le contentieux constitutionnel au Bénin », in Etudes en l’honneur de la 5ème mandature présidée par le Professeur Théodore Holo. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle : Le citoyen, Tome 1, Cotonou, 2023, p. 321. 252 C’est nous qui mettons en relief. 253 Joseph KAZADI MPIANA, « La Cour constitutionnelle et le contentieux des lois électorales », in Note de presse N°004/CREEDA/2023, Conférence-Débat animée au Centre de recherches et d’Etudes sur l’Etat de Droit en Afrique, à l’occasion du 8 ième anniversaire de l’installation effective de la Cour constitutionnelle. Tenue à Kinshasa, le 04 avril 2023, pp. 1-2. 117 Il est aussi nécessaire de mettre l’accent sur ce qui relève du Droit électoral comparé tel qu’enseigné par Jean Louis Esambo Kangashe ; au Bénin, le Mali en effet, l’on autorise la présence dans les cercles et bureaux de vote, des représentants de la Commission Electorale Nationale Indépendante, de la Cour constitutionnelle et de délégation générale aux élections pour, selon le cas, y superviser les préparations de vote et de dépouillement, la compilation, la centralisation, la transmission et la proclamation des résultats provisoires, afin qu’en cas de contestation des résultats, les juges soient autorisés à se référer aux relevés de la Commission Electorale Indépendante et compilations de ses délégués254. C. La nécessité d’abandonner le principe de la hiérarchisation des moyens de preuve pour celui de la liberté des moyens de preuve en droit électoral congolais Il est admis que les moyens de preuve sont principalement établis dans la fiche des résultats, le procès-verbal de déroulement du scrutin, celui de dépouillement et éventuellement des observations des témoins des candidats, partis ou regroupements politiques dans les systèmes qui autorisent leur présence dans les bureaux de vote et de dépouillement. Ils sont produits en original ou en copie certifiée conforme à l’originale255. Rappelons tout de même qu’à la suite de Julien Coomlan Hounkpé 256que les modes de preuves n’ont pas tous le même statut. Certains sont nommés, ce qui signifie qu’un texte aménage leur régime juridique. D’autres sont innommés, car ils existent que dans la pratique. Bien qu’aucun texte ne les prévoie, ces preuves innommées sont produites par les parties et elles sont retenues par le juge pour forger sa conviction. Toutes ces preuves – qu’elles soient nommées ou innommées – sont autant de preuves spéciales. Pour les désigner, on utilise fréquemment l’expression « mode de preuve ». On parle encore de « techniques » ou de « procédés de preuve ». Les règles relatives aux preuves spéciales sont donc celles qui définissent les modalités de recueil, de production et d’appréciation des modes de preuve utilisés quotidiennement en justice. En se fondant par ailleurs sur l’activité de la procédure inquisitoriale du juge d’une part, et d’autre part, sur sa participation en amont et en aval comme aiguilleur des structures opérationnelles des élections, nous estimons que l’administration de la preuve ne doit pas être figée ou cartésienne. Le juge constitutionnel électoral ne doit pas fondamentalement accorder la sincérité et l’authenticité des résultats de l’élection présidentielle aux seuls procès-verbaux de la CENI, dotée du statut d’expert. Pour l’essentiel, cette manière de faire, entraine la Cour dans 254 Jean- Louis ESAMBO KANGASHE, Le Droit électoral congolais, 2ème édition, Op.cit., p. 300. Ibidem, p. 254. 256 J. COOMLAN HOUNKPE, le droit de la preuve dans l’espace OHADA, Paris, l’Harmattan, 2021, p. 325. 255 118 l’autosuffisance, et au mépris de la procédure inquisitoriale, pourtant prévue dans l’ordonnancement juridique congolais. Comme il est enseigné par une doctrine minoritaire, à laquelle nous accordons nos suffrages, qui conteste la qualification du statut d’expert de la CENI à tout degré d’instance juridictionnelle, selon qu’elle ne pourra avoir ce statut dans un contentieux électoral que dans l’hypothèse où les reproches contenus dans la requête en contestation des résultats ne sont pas formulés contre elle-même ou ses agents et qu’elle est invitée par le juge pour l’éclairer sur une situation technique. Autrement dit, elle est partie au procès, comme elle démontre elle-même, en pratique par son attitude et son comportement qui n’a rien voir avec le statut d’un expert257. En effet, c’est le lieu de stigmatiser et de repenser le statut d’expert de la CENI, dans le sens où, à l’occasion d’un contentieux des contestations des résultats présidentiels, la CENI vient au procès, après la notification de la date d’audience par le greffe de la haute juridiction de céans, et s’en suit l’échange des mémoires en réponses, aux termes desquels se créent à toutes fins utiles la formation d’un contrat judiciaire entre la demanderesse et la CENI. Fort de cet état de lieu, il y a lieu d’émettre un bénéfice de doute sur la CENI, à contester les scrutins électoraux pour lesquels elle est la cheville ouvrière. Ainsi, elle vient donc devant le juge pour soutenir son œuvre. Il serait tout de même de soi et dans une large mesure, de considérer la CENI comme partie au contentieux électoral, au même titre que la demanderesse et la défenderesse. D’où, l’intérêt non seulement de lier la CENI, mais aussi la criminaliser en cas de la violation des dispositions de la loi électorale. A titre d’illustration parmi tant d’autres, le refus ou le défaut d’affichage des résultats par les bureaux de vote, conformément à l’article 70 in fine de la loi électorale telle que modifiée258. D. Annulation des résultats de l’élection présidentielle non comme une faculté pour le juge constitutionnel mais une règle en cas de l’établissement de la fraude électorale L’article 75 alinéa 2 de la Loi électorale dispose que : « Dans tous les autres cas, elle peut annuler le vote en tout ou en partie lorsque les irrégularités retenues ont pu avoir une influence déterminante sur les résultats du scrutin ». En raison du caractère facultatif de cette disposition précitée, disons que la Cour constitutionnelle est investie du pouvoir d’ordonner des recomptages partiels ou complets, ce qui pose des problèmes logistiques et opérationnels à part entière. 257 Symphorien KAPINGA K. NKASHAMA, « La Cour constitutionnelle et le contentieux des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. Retour sur quelques questions de forme dans l’affaire enrôlée sous R.CE.001 du 19 janvier 2019 », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 3, 2018, p. 558. 258 C’est nous qui mettons en relief. 119 La règle de preuve en termes juridiques, en ce qui concerne une annulation partielle ou totale est plus faible en République démocratique du Congo qu’ailleurs. Une élection peut être annulée purement et simplement, lorsque des irrégularités pourraient avoir eu une incidence sur le résultat, non seulement s’il est avéré au-delà de tout doute raisonnable qu’elles ont en réalité eu une incidence sur le résultat. Avec seulement sept jours pour examiner la preuve (Si aucun recomptage n’est ordonné, le Tribunal pourrait bénéficier d’un « tampon » international pendant la divulgation de la preuve. Ce tampon dissuaderait les forces armées et les acteurs politiques de perturber le travail de la Cour en asseyant d’exercer une influence indue sur ses membres259. Néanmoins, selon une doctrine majoritaire, en appui malencontreusement d’une jurisprudence laconique et moins étoffée en droit électoral congolais dont nous n’accordons pas nos suffrages, d’autant plus qu’elles accordent la latitude d’appréciation, ou mieux la faculté utilitaire au juge électoral avant d’annuler les élections. En tout état de cause, il s’ensuit pour cette opinion de soutenir que s’agissant du contentieux électoral, plus spécifiquement celui des résultats, la Cour constitutionnelle n’est pas le juge de la légalité des opérations électorales. C’est pourquoi, la simple violation de la loi ne conduit pas nécessairement à l’annulation du résultat du scrutin. Elle est le juge de l’exactitude et de la sincérité du résultat électoral. Cela veut dire que la Cour a le choix, au fond, entre la confirmation de l’élection ou son annulation. Cette dernière sanction ne peut être prononcée que si les irrégularités constatées ont eu une influence déterminante sur le résultat. Sinon, y compris même en cas d’erreur matérielle, la Cour confirme l’élection, sous réserve de la correction du résultat erroné260. Plusieurs pistes et paramètres peuvent être explorés afin de guider la décision du juge au regard de ce qui précède. Il peut lorsque les irrégularités sont de nature à impacter significativement et influencer ou changer les données des résultats provisoires présentés par la Commission électorale, annuler les résultats des élections ou les réformer. La Haute Cour constitutionnelle malgache a à cet effet, procédé au contrôle, recomptage et validation des bulletins dûment qualifiés de blancs et nuls dans 133 bureaux de vote. Le juge peut également lorsque les manœuvres n’ont aucune incidence sur les résultats du scrutin, proclamer élu le candidat qui a la majorité des suffrages valablement exprimés. La Cour constitutionnelle béninoise a rappelé en ce qui la concerne dans sa décision du 21 mai 2003 que : « (…) le juge électoral n’annule une élection que dans la mesure où les fraudes électorales constatées ont eu une influence déterminante sur les résultats des élections ; qu’à supposer même que les irrégularités alléguées aient été avérées, elles n’auraient pas suffi à elles seules à expliquer l’écart important qui sépare le requérant et Monsieur André DASSOUNDO ( 5 031 voix contre 21 572 voix) ; 259 260 USAID, Evaluation des préparatifs électoraux en R.D. Congo, 28 février – 9 mars 2018, p. 21. BUSHIRI OMARI., Op.cit., pp. 294-295 120 (…) ». Le juge électoral rejette cette requête sur ce fait selon les écarts de voix entre les deux candidats sont largement distants261. Afin de mieux saisir la portée et l’étendue de la notion des irrégularités retenues ont pu avoir une influence déterminante sur les résultats du scrutin (…), telles que reprises dans l’article 75 alinéas 2 de la loi précitée, il y a lieu de soutenir que ces dispositions sont à la fois claires et obscures, et susceptibles de prêter confusion dans une large mesure d’interprétation alternative. En tout état de cause, le législateur n’a pas su préciser les nuances sémantiques de ces deux notions ci-haut évoquées, afin de déterminer les stricts contextes d’application, soit de la reformation ou soit de comptage des résultats. Dans cette optique, souligne Tshitamba Kabala Jeef que le critère du grand écart de voix couramment employé par les tribunaux pour justifier la non annulation de l’élection, transforme en « bonus »un « malus » ; ajoutons que « cette jurisprudence incite donc les fraudeurs à faire toujours plus de manière à créer un grand écart de voix. Plus on commet d’irrégularités, plus on fraude et mieux on fraude, plus on a de chances au sens mathématique du terme de s’assurer une victoire large ou confortable. Ainsi, les juridictions électorales ne permettent pas à la CENI d’éviter les fraudes électorales262. En droit français, ce raisonnement est critiqué par une frange de la doctrine. En premier lieu, certains auteurs mettent en avant le manque de moralité de cette solution : Bernard Maligner aurait souhaité que le juge contrôle aussi la moralité de l’élection et il est vrai qu’outre la référence à la sincérité du scrutin. Il est certes arrivé, dans des cas très excessifs, que le Conseil d’Etat estime que les irrégularités en cause n’appelaient pas de réponse et que l’élection devait être annulée parce que l’écart de voix était faible et/ou parce qu’il devenait impossible de déterminer l’effet de ces irrégularités sur la répartition des voix, mais ces cas de figure sont assez rares et n’excluent pas dans la plupart des cas une appréciation sur l’écart des voix. Il semble au demeurant que le Conseil constitutionnel ne s’engage pas dans cette voie et s’en tienne à une vision non moraliste de l’élection. En deuxième lieu, une critique d’une nature totalement différente est portée par de nombreux auteurs, comme André et Francine Demichel, Bernard Malinger ou Dominique Rousseau, qui font valoir que ces solutions indulgentes ont un effet pervers : les « fraudeurs » sont plutôt incités à faire davantage de violations afin de creuser l’écart et rendre ainsi l’élection incontestable263. 261 S. MOASSACK, Op.cit., pp. 93-94. Jeef TSHITAMBA KABALA, Institutions d’appui à la démocratie et élections en République Démocratique du Congo. Une réflexion sur la CENI., Thèse de doctorat présentée et soutenue publiquement en vue de l’obtention de grade de docteur en Sciences Politique et Administratives, Université de Lubumbashi, Faculté des Sciences Politiques et Administratives, Département des Sciences Politiques et Administratives, 2021-2022, p.321. 263 R. RAMBAUD, Droit des élections et des référendums politiques, Paris, Libraire générale de droit et de jurisprudence, 2019, pp. 668-669. 262 121 Partant de ce qui précède, Il nous revient sur le plan de lege ferenda, d’accorder nos suffrages à l’objection de reformer et de recompter les résultats, non comme une faculté pour le juge mais un devoir pour toutes les fois que les irrégularités se feront observer et c’est de la sorte que la reformation et le recomptage des résultats ne seront pas comme une exception mais comme une règle264 en se fondant sur l’interprétation stricte de l’un des principes de droit pénal « Fraus omnia currumpit » : « La fraude corrompt tout » dans l’hypothèse où le vote serait organisé à bulletin unique. Dès lors que la fraude est établie, à l’occasion de la vérification des résultats provisoires, le juge électoral, comme juge de la régularité et de la sincérité ne serait pas investi à aménager la fraude, au motif que les irrégularités retenues n’ont pas pu avoir une influence déterminante sur les résultats du scrutin. Cette thèse est partiellement fondée et soutenable pour la simple raison que le juge électoral dans ses manifestations répressives, lorsqu’il est saisi pour les descriptions des faits incriminés qui relèvent spécifiquement du droit pénal électoral, le juge sera tenu à mobiliser les règles répressives, qui font de son instruction, la prise en compte de l’application stricte de certains principes généraux de droit pénal. Usant les analogies de fortunes issues de l’expérience du droit électoral dans certains Etats africains, la Cour suprême du Kenya a fait preuve d’un devoir d’ingratitude vis-à-vis de l’autorité de nomination, à la suite de l’annulation de l’élection présidentielle d’août 2017. Selon Balingene Kahombo, « l’on retiendra d’abord le courage des juges qui ont su marquer leur indépendance en brisant la peur de se mettre en face du pouvoir politique. Car c’est encore pour la première fois en Afrique qu’une élection présidentielle est annulée en défaveur du candidat et Chef de l’Etat sortant, Uhuru Muigai Kenyatta. Qui plus est, ce dernier s’est plié, non sans amertume, à la décision judiciaire, en acceptant de retourner devant les électeurs lors du scrutin du 26 octobre 2017 qu’il a largement remporté avec 98 % des suffrages exprimés, après le boycott du candidat principal de l’opposition, Raila Amolo Odimba qui craignait une nouvelle mascarde électorale ». Ensuite, il faut noter selon Balingene Kahombo, « la transparence du mode judiciaire de prise de décision, deux juges ayant exercé leur liberté d’entrer en dissidence contre la décision de la majorité pour offrir un autre regard sur ce qu’ils estiment qui aurait été l’issue du contentieux. C’est toute l’importance de l’émission des opinions individuelles ou dissidentes des juges, dans un domaine souvent marqué par des passions et des tensions, qui est à souligner ici (sic). Chacun pourra apprécier la décision rendue à la lumière des positions contraires ainsi émises265. Cela étant dit ci-haut, il sied dans cette trame de rappeler que le juge électoral Malawite s’est aussi inscrit dans cette voie tracée par son homologue du Kenya en annulant par son arrêt du 03 février 2020 l’élection présidentielle du 21 mai 2019. La Haute Cour (High Court of Malawi) rappelle qu’il est impossible d’organiser les 264 265 C’est nous qui mettons en relief BALINGENE KAHOMBO., « Perspective congolaise sur les leçons à tirer de l’annulation de l’élection présidentielle d’Août 2017 au Kenya », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, numéro spécial sur les contentieux électoraux, volume 3-2018, p.197. 122 élections qui soient complétement libres ou à l’abri des irrégularités ou anomalies. Cependant dans le cas soumis à son examen, les irrégularités étaient tellement généralisées et systémiques qu’elles ont sérieusement affecté ou compromis l’intégrité des élections. Les résultats proclamés ne reflètent pas réellement la volonté des électeurs telle qu’exprimée à travers leur vote du 21 mai 2019. Pae conséquent celui qui a été proclamé Président n’a pas été régulièrement élu. La Haute Cour ordonne l’annulation de l’élection présidentielle et l’organisation d’une nouvelle élection dans un délai de 150 jours à dater du prononcé de l’arrêt266. De ce point de vue, Jean Louis Esambo Kangashe ne se démarque pas de cette façon de voir les choses, lorsqu’il relève que comme arbitre, le juge chargé du contentieux électoral doit être capable de garantir, au-delà de la régularité du scrutin, la sincérité des résultats. Il doit éviter que la gestion du contentieux soit à la base des conflits politiques (Côte d’Ivoire et la République Démocratique du Congo). Ainsi qu’il est démontré, la vérité des urnes n’est plus à rechercher dans un discours politique comportant une certaine dose de passion, dans un tabou électoral mais dans le domaine du vécu. Le moins que l’on puisse dire est que la notion est relative et tributaire de l’environnement politique dans lequel s’organise une élection et de la confiance mutuelle que doivent tous les acteurs impliqués267. §2. Aménagement prospectif de l’administration et de la réception des moyens de preuve devant la Cour constitutionnelle Aménager sur le plan prospectif le régime de l’administration et de la réception des moyens de preuve devant la Cour constitutionnelle, à l’occasion de contentieux de l’élection présidentielle en droit congolais postule ce qui suit : A. La consolidation de la procédure inquisitoriale dans le chef des membres de la Cour constitutionnelle A titre principal, il y va de bon droit d’accorder nos suffrages à la doctrine d’Antoine Rubbens selon laquelle : « Dans la procédure inquisitoriale, les juges prennent l’initiative de rétablir le droit partout où ils le voient violer ou de le protéger chaque fois qu’ils le savent menacer. Ils se saisissent d’office des litiges de leur compétente et pour y apporter la juste solution : ils cherchent de leur propre initiative la vérité au sujet de faits sous examen, recourant d’office à tous les moyens de preuve 266 High Klaus of Malawi. Constitutional Reference N°1 of 2019 between Dr Saulos Chilina (1st Petitioner ). and Professor Arthur Peter Mutharika ; Electoral Commission (2nd Respondent). Judment 3 February 2020. 267 Jean-Louis ESAMBO KANGASHE., « Elections en Afrique, un modèle d’importation étrangère ou une voie originale de démocratie ? », in la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice Ahanhanzo-Glélé, Etudes coordonnées par F. J., AIVO L’Harmattan, Paris, 2014, p. 448. Mis en relief par Adolphe MUSULWA SENGA., « Du pouvoir normatif des juridictions constitutionnelles en Afrique à l’épreuve du devoir d’ingratitude : état des lieux et critique », in Revue Justitia, Faculté de Droit, Université de Lubumbashi, mai 2022, pp. 349-350. 123 susceptible de les éclairer ; ils prennent en main la direction des opérations de la procédure réglant d’autorité tous les incidents qui peuvent surgir pour faire aboutir le procès à un jugement qui peut d’ailleurs retenir les solutions différentes de celles que les parties ont postulées268. En effet, l’on peut se rendre à l’évidence que la Loi électorale demande au juge électoral de veiller à la régularité et à la sincérité des élections et par voie de conséquence, de prendre toutes les mesures d’instructions nécessaires à cette fin. L’article 74 quater alinéa 2 de la Loi électorale dispose que « La juridiction saisie prend toutes les mesures d’instructions nécessaires. La Commission Electorale Nationale Indépendante ainsi que toute autorité politique ou administrative sont en termes de lui communiquer toutes les informations nécessaires en leur possession ». Cependant, nonobstant l’existence de ce cadre normatif, il est regrettable et anodin de constater que le juge constitutionnel se comporte en matière électorale, comme un juge civil, selon qu’il refuse particulièrement de se « mouiller », préférant jouer un rôle passif, voire poussif. Il s’accroche parfois sur la théorie de l’effet utile, consacrée dans l’article 75 alinéa 2 de la Loi électorale qui dispose que « dans tous les autres cas, elle peut annuler le vote en tout ou en partie lorsque les irrégularités retenues ont pu avoir une influence déterminante sur les résultats du scrutin … ». Le juge choisit de ne pas prendre en compte ces illégalités, d’ignorer ou de mépriser la Loi269. B. La liberté d’appréciation et la nécessité pour le juge constitutionnel électoral à statuer ultra petita En effet, le juge électoral étant doté des pouvoirs étendus et il existe une controverse s’agissant du principe de l’interdiction à statuer ultra petita, c’est-à-dire au-delà des prétentions des parties. Certains auteurs considèrent en effet que le juge peut, en cette matière et par dérogation au principe général, statuer ultra petita. A l’appui de cette affirmation, René Chapus utilise l’exemple de contentieux où, saisi d’une protestation relative au second tour, le juge se prononce également sur le premier tour de l’élection, ou encore « la solution selon laquelle il appartient au juge d’étendre son contrôle aux bulletins, même non contestés, annexés au procèsverbal ». Par ailleurs, il est difficile de donner tout à fait raison à ceux qui soutiennent que le juge électoral est enfermé dans l’interdiction de statuer ultra petita : cette notion est très relative pour le droit électoral car la prétention d’une personne peut atteindre au final l’ensemble de l’opération et conduire à remettre en question la sincérité du scrutin. Cela implique parfois, en raison du caractère indivisible de Antoine RUBBENS, Droit judiciaire congolais, Tome I, le pouvoir, l’organisation et la compétence judiciaire, Kinshasa/Bruxelles, Université de Lovanium/Larcier, 1970, pp. 37 et aussi 55 spécialement. 269 Jacques DJOLI ESENG’EKELI, « La Cour constitutionnelle congolaise et la vérité des urnes », in Congo-Afrique, n° 536, Juin-juillet – août, 2019, pp. 597-598. 268 124 certaines opérations électorales ou de la nature des irrégularités constatées, que le juge se prononce sur des éléments et tranche des questions qui n’étaient pas soulevées par la protestation initiale270. A la lumière de ce qui précède, il convient de préciser que fort de l’intime conviction du juge constitutionnel, il ne doit pas considérer à première vue, tous les plis électoraux fournis par la CENI, comme éléments suffisants de preuve à l’occasion d’un contentieux des résultats. Il est de l’obligation pour le juge de recourir à son pouvoir d’instruction par le déploiement et de l’accréditation de ses propres observateurs électoraux, sur le versant de la contre-expertise, afin de compléter les moyens de preuve mis à disposition pour instruction. L’objectif pour le juge constitutionnel à statuer ultra petita, rappelons-le, réside dans la recherche de la manifestation de la vérité des urnes, afin de lui permettre de prononcer un arrêt qui va traduire réellement l’expression du corps électoral. C. La nécessité d’un dialogue institutionnel entre la Cour constitutionnelle et certains organismes d’observations électorales L’intérêt de ce dialogue institutionnel entre la Cour constitutionnelle et certains organismes d’observations électorales peut se concevoir comme une forme de redevabilité entre ces deux institutions, aux missions initiales qui sont les leurs. Fort de ce dialogue, il reviendra à la Cour de prendre en compte, non seulement les copies des éléments de procès-verbaux qui proviendraient de la CENI, mais aussi, à toutes fins utiles, les rapports des Missions d’observations électorales, lorsqu’on sait que l’un des objectifs de l’accréditation des organismes d’observations électorales figure l’apport à la transparence du processus électoral. Par ailleurs, dans la mesure où ces rapports émaneraient des Missions d’observations électorale rependues sur l’ensemble du territoire national, ayant couvert le déroulement du processus électoral, et assistance à tous les niveaux de dépouillement et de compilation des résultats, dont leur action est fondée sur l’indépendance, la crédibilité, la transparence et la neutralité ; il y a lieu de les mobiliser pour servir des bases à un commencement de moyen de preuve, susceptibles d’éclairer la Cour à l’occasion d’un contentieux électoral, d’autant plus que ces rapports vont exercer une fonction curative. Rappelons dorénavant que le rôle des observateurs consiste à être en mesure, au moyen de témoignages personnels, de déterminer si les élections se sont déroulées conformément aux principes démocratiques généralement acceptés, ce qui donne aux autorités nouvellement élues du pays concerné, ainsi qu’à la communauté internationale, la garantie qu’il en a bien été ainsi. Le rapport sera présenté comme preuve de ce témoignage au secrétariat de l’organisation responsable pour la mission 270 R. RAMBAUD, Op.cit., p. 666. 125 des observateurs, ainsi qu’au chef du gouvernement nouvellement élu et aux dirigeants des partis politiques engagés dans le processus électoral. Le rapport a pour principal objet de contenir la conclusion sur la question de savoir si les élections peuvent être considérées comme ayant été libres et honnêtes, étant entendu que cette conclusion doit être basée sur les données vérifiables et être présentée d’une manière concise et accessible. La conclusion et l’évaluation générale peuvent être dans certaines mesures basées sur les informations indirectes (par exemple les institutions qui ont suivi la préparation des élections). Mais dans ce cas aussi, l’observateur doit pouvoir accéder aux données justifiant les informations en question271. En tout état de cause, aux termes de l’article 45 de la loi électorale : « L’observateur est tenu de respecter les lois et règlements de la République Démocratique du Congo ainsi que les dispositions arrêtées par la Commission électorale nationale indépendante pour la bonne organisation du scrutin. Il ne peut s’immiscer ni directement ni indirectement dans le déroulement des opérations électorales. Cette disposition précitée (article 45), est une innovation de la loi électorale qui mérite d’être précisée afin de soutenir notre position. Il s’agit de : L’organisme dont l’observateur est accrédité s’engage à déposer copie de son rapport d’observation à la Commission électorale indépendante, à l’Assemblée nationale, au Sénat et au Gouvernement. Toutefois, il y a lieu d’observer avec Balingene Kahombo quand il opine que les observateurs ayant l’occasion de superviser les opérations électorales depuis les bureaux de vote et de dépouillement jusqu’aux centres locaux de compilation pouvaient éclairer la Cour constitutionnelle sur au moins deux points. Premièrement, sur l’exactitude des résultats publiés par la CENI avec ceux qu’ils ont observés lors de l’affichage devant les bureaux de dépouillement. Deuxièmement, sur la question précédente du respect de la procédure de compilation préalable des résultats publiés, d’autant plus que ceux-ci sont censés avoir été affichés aux centres locaux de compilation à l’attention du public. La Cour pouvait même faire appel aux dits observateurs électoraux d’office272. C. L’institution des « portes étroites » devant la Cour constitutionnelle Rappelons que s’agissant de la pertinence des portes étroites devant la Cour constitutionnelle, l’intérêt de la réception s’articule autour de l’envoi de documents, comme il est enseigné en Droit français au Conseil constitutionnel est libre, et il ne Fabien Désiré NDOUMOU, Les Missions d’observation des élections, Paris, l’Harmattan, 2012, p. 164. 272 BALINGENE KAHOMBO, « Note juridique critique sur l’arrêt RCE 001/PR. CR. la Cour constitutionnelle du 19 janvier 2019 relatif à l’affaire de contestation des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, Vol. 3, 2018, pp. 568-569. 271 126 peut guère en aller autrement. On voit très bien, en revanche comment une prohibition des « portes étroites » pourrait être aisément contournée273 .Suivant la formule du Doyen Georges Vedel, la « porte étroite » est ouverte aux citoyens agissant isolément ou en groupe « ce n’est ni une saisine, ni une intervention au sens procédural du terme, mais une simple information fournie par le bon citoyen. La vertu des « portes étroites » ne réside pas du côté de la théorie juridique. L’intérêt général attaché à cette théorie réside du côté de la qualité du travail de la juridiction constitutionnelle. Dans le contexte africain, toute personne physique ou morale peut adresser à la juridiction constitutionnelle une observation dans un mémoire. Dans le cadre de l’Union des Comores, aux termes de l’article 55, du décret N°4 août 2004 portant promulgation de la Loi N°04/001/AU du 30 juin 2004, relative à l’organisation et aux compétences de la Cour constitutionnelle dispose que : Lorsque la Cour constitutionnelle statue à titre préjudiciel sur les questions visées à l’article 34. Toute personne justifiant d’un intérêt dans la cause devant la juridiction qui ordonne le renvoi, peut adresser un mémoire à la cause dans les sept jours de la publication du journal officiel de l’avis visé à l’article 41. Elle est, de ce fait, réputés partie au litige. Lorsque la Cour constitutionnelle statue sur les recours tendant à faire déclarer l’inconstitutionnalité d’une loi, toute personne justifiant d’un intérêt peut adresser ses observations dans un mémoire à la Cour dans les sept jours de la publication prescrite par l’article 41. Tout le monde gagne à ce que la réflexion du juge soit la mieux éclairée possible. L’envoi de document à la juridiction constitutionnelle est libre, et il ne peut guère en être autrement, puisqu’aucune règle n’interdit au juge instructeur de tirer enseignement d’une porte étroite ». Aussi, faut-il certes admettre qu’en Droit constitutionnel congolais, le statut de porte étroite n’est pas institué. C’est d’ailleurs, ce qui exprime notre leitmotiv que les portes étroites soient effectives, lesquelles qui permettraient la création d’une sorte de collaboration entre la Cour constitutionnelle et certaines corporations des personnes averties en Droit, dans l’optique de produire de nouvelles connaissances, des recommandations de haute portée juridique à l’issue d’une contestation électorale, pour permettre à la Cour de céans de retrouver la voie utile. Cela étant, il demeure dans tous les cas que la Cour aura intérêt à collaborer avec cet échantillon des juristes certifiant d’une connaissance incontestable dont la passion et l’intérêt 273 Pour les développements plus détaillés, Lire Denys DE BECHILLON, « Réflexions sur le statut des « portes étroites » devant le Conseil constitutionnel, Paris, Janvier 2017 (Le club des juristes), pp. 25-29 et suivant. « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite. Car je vous le dis, beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas ». Luc 13-24. « Mais étroite est la porte resserrée le chemin qui mène la vie et il y en a peu qui les trouvent ». Matthieu 7 :14. 127 particulier, voire certain et réel d’une part au Droit public et d’autre part au Droit constitutionnel, tant institutionnel, substantiel, normatif et jurisprudentiel274. De ce qui précède, il en ressort que la phase indispensable au déroulement du procès se réalise par la juridiction constitutionnelle et elle est préalable à la tenue du procès par la recherche des éléments de preuve et la production des pièces. L’instruction du procès constitutionnel permet de savoir qu’elle est une phase indispensable au déroulement du procès et une phase décisive au dénouement du procès, à travers l’articulation des phases de l’instruction275. Conclusion Arrivé à ce niveau de notre cogitation sur les contentieux électoraux et les critiques du régime de la preuve devant le juge constitutionnel congolais, nous tenons à préciser que les préoccupations majeures relatives à l’organisation des élections en République démocratique du Congo, et l’examen des contentieux de l’élection du Président de la République, couplées de l’administration de la preuve devant la juridiction de céans ont fait l’objet de la présente étude. Il convient de rappeler que la saisine de la Haute juridiction, in casu specie, la Cour suprême de justice et la Cour constitutionnelle en matière des contentieux des résultats a attiré notre curiosité scientifique, qu’à l’occasion de différentes contestations, formalisées en requêtes et portées devant la juridiction compétente. Par ailleurs, comme on le sait, le fondement du régime de l’administration de la preuve en droit électoral congolais repose sur le principe de la hiérarchisation, dont les moyens de preuve devant les juridictions contentieuses sont entre autres, les procès-verbaux de vote et de dépouillement des fiches des résultats, des témoins des candidats, … En tout état de cause, c’est ici le lieu de fustiger les limites de l’organisation du régime de la preuve en droit électoral congolais, tel qu’exercé devant la Cour 274 Notre soulignement. Dans une étude similaire, soulignent Joseph CIHUNDA HENGELELA et alii,la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut accepter l’amicus curiae. Il s’agit d’un document écrit adressé à un tribunal dans lequel un amicus curiae ( littéralement « ami du tribunal » : une personne ou une organisation qui n’est pas partie à la procédure) expose des arguments juridiques et des recommandations dans une affaire donnée. Lire avec intérêt, Joseph CIHUNDA HENGELELA, et alii., La nécessité du renforcement de la pratique du dialogue dans le renforcement de la Cour constitutionnelle. Une exigence pour respecter les principes de redevabilité de participation populaire et de régulation de la vie politique », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 5-2020-2021, pp. 181 et suivant. 275 Agathe EVANE, « L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des Etats d’Afrique noire francophone », in Etudes en l’honneur de la 5ème mandature présidée par le Professeur Théodore Holo. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle : Le citoyen, Tome 1, Cotonou, 2023, pp. 269-270. 128 constitutionnelle, à l’issu des contentieux de l’élection du Président de la République. In concreto, rappelons que quatre contentieux des élections présidentielles ont retenus notre attention, il s’agit de ceux de 2006, de 2011 et de 2018, et 2023 pour lesquels les Hautes juridictions ont été saisies (La Cour suprême de justice et la Cour constitutionnelle) et se sont contentées de recevoir les requêtes des demandeurs, et les déclarer non fondées pour divers griefs dont l’absence des preuves convaincantes. En effet, la loi électorale demande au juge électoral constitutionnel de veiller à la régularité et à la sincérité des élections, surtout présidentielle, avec et par voie de conséquence, de prendre toutes les mesures d’instructions nécessaires à cette fin. L’article 74 quater alinéa 2 de la loi électorale dispose que : « la juridiction saisie prend toutes les mesures d’instruction nécessaires. La Commission électorale nationale indépendante ainsi que toute autorité politique ou administrative sont tenues de lui communiquer toutes les informations nécessaires en leur possession ». Cependant, nonobstant ce cadre normatif plus que précis, la Cour se comporte comme un juge civil ; la Cour refuse particulièrement de se « mouiller », préférant jouer un rôle passif, voire poussif. Elle s’accorde parfois sur la théorie de l’effet utile, consacrée dans l’article 75 alinéa 2 de la loi électorale que dispose que « dans tous les autres cas, elle peut annuler le vote en tout ou en partie lorsque les irrégularités retenues ont pu avoir une influence déterminante sur les résultats du scrutin … ». Le juge choisit de ne pas prendre en compte ces illégalités, d’ignorer ou de mépriser la loi. En fait, c’est une théorie qui veut que l’on ne procède pas à une invalidation d’un scrutin que dans l’hypothèse où les irrégularités constatées sont suffisamment graves pour avoir eu un effet utile sur le résultat du scrutin. Elle devient pathologique lorsque le juge électoral en fait une utilisation abusive276. C’est de bon droit que Jean-Louis Esambo Kangashe établit une recommandation, en ce qui concerne l’intérêt de l’activité du juge électoral dans la recherche des moyens de preuve, lorsqu’il enseigne qu’ayant un large pouvoir d’investigation, le juge électoral est autorisé à se munir de toutes les preuves dont il a besoin pour motiver sa décision. Il peut exiger non seulement la communication des pièces mais aussi ordonner des descentes sur les lieux ou le déploiement dans les centres et bureaux de vote, de ses délégués en vue d’y récolter les statistiques des opérations de dépouillement et de centralisation des résultats277. Arrivé à ce stade de notre cogitation, qui se veut prospective, il y a lieu d’insister que le régime de l’administration et de la réception des moyens de preuve devant le juge constitutionnel congolais nécessitent d’être repensés sur le plan Jacques DJOLI ESENG’EKELI., « La Cour constitutionnelle congolaise et la vérité des urnes », art.cit, pp. 597-598. 277 Jean-Louis ESAMBO KANGASHE., Le Droit électoral congolais, Louvain-la Neuve, Academia / L’Harmattan, 1ère édition, Paris, p. 208. 276 129 législatif au profit de la bonne administration électorale et de bons usages sur le plan de la procédure devant la juridiction compétente. En substance, le cadre légal de la hiérarchisation des moyens de preuve ne concourt pas dans une large mesure à la consolidation de la vérité des urnes et de l’intime conviction du juge constitutionnel saisi. Ce dernier doit être appelé à faire preuve de sa liberté active d’instruction, pour une bonne administration de la justice électorale. D’où, l’intérêt des considérations critiques abordées dans le fond de la présente, dans l’optique de repenser la législation en matière du régime de la preuve devant le juge constitutionnel congolais, à l’occasion des probables futurs contentieux des résultats de l’élection du Président de la République. * * * 130 Contrat du commerce électronique et responsabilité contractuelle de plein droit du cybercommerçant dans le nouveau code congolais du numérique Par : Aimé BANZA ILUNGA Professeur à la Faculté de Droit/Université de Lubumbashi, Avocat au Barreau du Haut-Katanga Resumé Le nouveau Code congolais du numérique procède de l’Ordonnance-Loi n° 23/010 du 13 mars 2023 et prévoit des dispositions ayant trait au commerce électronique au Titre V III du Livre II (art.48 à 72). Ce Titre aborde successivement les principes moteurs de ce commerce, les conditions de conclusion et d’exécution du contrat électronique, le droit de rétractation du client et la publicité par voie électronique. Dans cette réflexion, l’accent est mis sur les dispositions ayant trait à la formation et à l’exécution du contrat en ligne et à la responsabilité contractuelle y relative à l’aune de la protection de la partie faible. Certainement, ce Code regorge plusieurs dispositions novatrices tendant à protéger la partie faible à l’instar de l’obligation préalable d’information en faveur du client, de l’obligation de livraison des biens conformes et non défectueux, du droit de rétractation du client, de la responsabilité de plein droit du cybercommerçant, etc. Cependant, l’analyse critique des nouveautés indique que plusieurs d’entre elles nécessitent des mesures supplémentaires en termes de clarification ou d’adoption des outils d’application. Mots-clés : commerce électronique, contrat électronique, contractuelle de plein droit, cybercommerçant et code numérique. responsabilité Abstract The new Congolese Digital Code is based on Ordinance-Law No. 23/010 of 13 March 2023 and provides for provisions relating to electronic commerce in Title V III of Book II (arts. 48 to 72). This Title deals successively with the driving principles of this trade, the conditions for the conclusion and execution of the electronic contract, the customer's right of withdrawal and electronic advertising. In this reflection, the focus is on the provisions relating to the formation and performance of the online contract and the contractual liability relating thereto in the light of the protection of the weaker party. Certainly, this Code is full of several innovative provisions aimed at protecting the weaker party, such as the obligation to provide prior information to the customer, the obligation to deliver compliant and non-defective goods, the 131 customer's right of withdrawal, the automatic liability of the e-merchant, etc. However, a critical analysis of the new features indicates that several of them require additional measures in terms of clarification or adoption of application tools. Keywords: e-commerce, e-contract, contractual liability by operation of law, emerchant and digital code. Plan sommaire Introduction I. A. B. C. II. A. Conclusion et exécution du contrat du commerce électronique Notions des commerce et contrat en ligne Conclusion du contrat électronique Exécution des obligations issues du contrat électronique Responsabilité contractuelle de plein droit du cybercommerçant Responsabilité contractuelle des parties en cas d’inexécution du contrat électronique B. Nouveau régime de la responsabilité contractuelle de plein droit du cybercommerçant Conclusion …………………………………………………………………………… Introduction « Nous vivons de plus en plus contractuellement 278 » plus que jamais la formule de Josserand s’avère pertinente279. Ce qui caractérise le contrat au XXIe siècle, c’est en effet son extrême vitalité. Du constat commun de l’inflation moderne des contrats, on déduit, dans les sociétés modernes, l’existence des multiples contrats particuliers que les individus concluent entre eux tant en présentiel qu’en ligne. S’agissant des contrats en ligne, nombreux se concluent dans le cadre du commerce électronique et mettent en relation contractuelle d’une et d’autre part, des cybercommerçants et des clients, consommateurs ou non. A titre illustratif, aujourd’hui plus que jamais, le consommateur utilise le Web pour acheter des produits (du matériel hi-fi, des ordinateurs, de la musique, des livres, etc.), pour réserver un vol pour ses vacances, pour accéder à des services tels que les sites de socialisation comme Facebook et Twitter, ou des moteurs de 278 L. JOSSERAND, « Aperçu général des tendances actuelles de la théorie des contrats », in RTD Civ., n°4, Dalloz, 1937, pp.1 et s. 279 F. COLLART DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, 7 éd., Dalloz, Paris, 2015, p.1. 132 recherches, etc. À cet égard, il conclut, consciemment ou non de nombreux contrats qui souvent ont un caractère transfrontalier280. Il arrive malheureusement que l’exécution normale du contrat dûment conclu soit compromise suite à de divers motifs, dont l’inexécution, l’exécution défectueuse, la rupture unilatérale ou brutale des relations contractuelles, … Ce qui engendre la question de responsabilité contractuelle ou délictuelle devant les juridictions. C’est pourquoi, le contrat et la responsabilité sont qualifiés des piliers du Droit281, ou, encore, de ciment de l’activité juridique des citoyens, tant dans leur vie particulière que dans leur vie professionnelle. Ainsi, la présente réflexion s’attèle à analyser les règles du contrat du commerce électronique et de la responsabilité contractuelle en cas d’inexécution. Cette analyse est basée sur les dispositions du nouveau Code congolais du numérique issu de l’Ordonnance-Loi N° 23/010 du 13 mars 2023. En effet, ce texte dégage les principes du commerce électronique en ses articles 48 à 52, les conditions de formation du contrat électronique en ses articles 53 à 56 ; les conditions d’exécution de ce contrat aux articles 57 à 60 ; le régime du droit de rétractation du client aux articles 61 à 65, etc. Au regard de ce qui précède, il est légitime de nous interroger, d’abord sur l’efficacité des règles de formation et d’exécution du contrat du commerce électronique en vue de la protection de la partie faible. Ensuite on peut s’interroger sur la portée, l’étendue et les limites du nouveau régime de responsabilité de plein droit du cybercommerçant. En effet, si l’on veut comparer les dispositions de l’ordonnance-loi portant Code du numérique à celles du Droit commun des contrats et de la responsabilité civile issues du Code civil congolais livre III (CCC L III) ; dans cette ordonnanceloi, plusieurs innovations tendant à protéger la partie économiquement faible sont à signaler, entre autres : l’obligation préalable d’information en faveur du client (art.53), la garantie légale de conformité ou de livraison des biens conformes et non défectueux(art.59), le droit de rétractation accordé à l’acheteur, la responsabilité de 280 J-P. MOINY et B. DE GROOTE, « Cyberconsommation" et droit international privé », in Revue du Droit des Technologies de l'information, N°37, 2009, p. 5. 281 A ce sujet, Jean Carbonnier associe à côté du contrat, la responsabilité. Lorsqu’il s’est interrogé « sur les causes rationnellement concevables d’un effet de Droit, quel qu’il soit. Au fond, le Droit privé n’en connaît que deux : si ce n’est la responsabilité, c’est le contrat. Le contrat est, avec la responsabilité, le point d’ancrage le moins incertain de notre civilisation juridique, il désigne avec finesse les deux branches majeures qui fondent le Droit civil et qui en assurent la stabilité » (J. CARBONNIER, Essais sur les lois, Defrénois, Paris, 1979, p. 130). Ces deux concepts sont aussi « les piliers du Droit » selon Frison-Roche (M-A, FRISON-ROCHE, « La redécouverte des ‘’piliers du Droit’’ : le contrat et la responsabilité », in Les transformations de la régulation juridique, Dir. J. CLAM et M. GILLES, L.G.D.J., Paris, 1998, p. 277). 133 plein droit du professionnel ou cybercommerçant (art.51 et 56), l’interdiction de la prospection directe des clients (art.68), etc. En ce qui concerne par exemple, la responsabilité contractuelle du cybercommerçant, le siège de la matière, qui semble être énoncé à l’article 56 de l’ordonnance susvisée282 est en réalité l’article 51 qui précise que « la personne physique ou morale exerçant les échanges électroniques et transactions électroniques est responsable de plein droit à l'égard de son co-contractant de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient exécutables par elle-même ou par d'autres prestataires des services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. Toutefois, la personne est exonérée de cette responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution, l'exécution tardive ou, la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l'acheteur, soit à un cas de force majeure, soit à un tiers à la fourniture des prestations prévues au contrat ». Pour comprendre ce régime de responsabilité, il est nécessaire de déterminer le réel responsable visé, le réel bénéficiaire ou la victime visée, l’étendue des obligations imposées au cybercommerçant, les conditions de mise en œuvre, voire les modalités d’une réparation appropriée des préjudices causés aux clients. A ce stade, on note que l’article 51 instaure une responsabilité de plein droit à l'égard de la personne qui exerce une activité de commerce électronique (cybercommerçant), au profit de l'« acheteur » et ce, quel que soit l'auteur de l'inexécution : le contractant lui-même ou un autre prestataire qu'il s'est adjoint (le transporteur par exemple). Le régime de l’article 51 qui ne nécessite pas de faute, déroge aux principes moteurs de la responsabilité civile de droit commun prévus aux articles 258 et 45 du CCC L III et instaure une responsabilité originale du professionnel du fait personnel et du fait des tiers prestataires. Les non commerçants (ou non professionnels) semblent ne pas être visés par ce régime comme responsables. Mais les victimes ou les bénéficiaires visés peuvent bien être des consommateurs ou non car la loi ne parle que de l’acheteur (art.51 al.2). Aussi, la loi met en charge du « cybercommerçant » une obligation de résultat qui semble être nouvelle dans le paysage juridique congolais. Affinant la démarche, on peut se demander si ce régime ne crée pas une discrimination entre les commerçants classiques (ou en présentiel) sur qui ne pèsent pas cette obligation de résultat et les cybercommerçants visés par cette obligation. 282 L’article 56 qui a pour intitulé « La responsabilité contractuelle des parties » énonce que « Dès la conclusion du contrat électronique, le fournisseur est tenu de transmettre au client une copie électronique du dit contrat. Toute vente de produit ou prestation de service par voie électronique donne lieu à l'établissement, par le fournisseur, d'une facture transmise au client. La facture doit être établie conformément à la législation et à la réglementation en vigueur ». Nous réalisons que « le contenu ou le libellé » de cet article est en rapport avec la forme et la preuve du contrat de vente et non avec la responsabilité contractuelle des parties(comme indiqué au titre qui chapeaute l’article). Donc un changement soit de l’intitulé ou soit du contenu de cet article s’impose pour raison de cohérence du Chapitre II du Titre V III du Livre I du Code. 134 Tout compte fait, nous constatons que le nouveau Code congolais du numérique, précisément à son Livre II, Titre V III contient des dispositions novatrices, dont l’application effective peut significativement contribuer à la bonne régulation du commerce électronique et à la protection de la partie faible dans le contrat en ligne. Cependant, l’analyse critique des opportunités indique qu’un bon nombre d’entre elles requièrent des mesures supplémentaires en termes de clarification, d’adoption des textes ou outils d’application et de suivi en vue d’une protection efficace des parties, et en particulier des cyberconsommateurs. En bref, par une approche praxéo-herméneutique et comparative283, cette réflexion est essentiellement orientée à faire une doctrine de législation284, pour autant qu’elle cherche à analyser les dispositions régissant la thématique sous examen dans la nouvelle ordonnance-loi, bien sûr, avec des commentaires pertinents. Elle est donc focalisée dans sa première partie à l’analyse des conditions de formation et d’exécution du contrat à la lumière du nouveau code du numérique (I). Sa deuxième partie s’attèle à étudier les principes moteurs du nouveau régime de la responsabilité contractuelle de plein droit du cyber vendeur (II). I. Conclusion et execution du contrat du commerce électronique Dans le nouveau code du numérique, la notion du contrat électronique a comme cadre d’émergence le commerce électronique, c’est le premier point que nous traitons de manière succincte (A). Ensuite, l’analyse des conditions de conclusion (B) et d’exécution de ce contrat est faite (C). A. Notions des commerce et contrat en ligne 1. Notion du commerce électronique et principes moteurs Historiquement c’est au début des années 1990 que le « commerce électronique », tant Business to Business (B2B) que Business to Consumer (B2C), a fait son apparition sur la scène internationale. L’étape décisive de son développement se situe évidemment en 1995, avec l’ouverture d’Internet à des utilisations commerciales. Internet, devenu le réseau des réseaux, a ainsi volé la vedette aux réseaux EDI (Echange de Données Informatisées) et au Minitel. Depuis, le commerce électronique poursuit son évolution. Les processus de vente sur Internet 283 Dans le cadre de cette méthode comparative, le recours est généralement fait aux Droits français et belge, et c’est pour plus d’une raison : il y a que le Droit civil écrit congolais procède en ligne droite du Droit civil belge dont la jurisprudence et les principes généraux inspirent, à ce titre, les juridictions congolaises. Les systèmes belge et français se trouvent à l’origine du Droit congolais qu’ils influencent encore aujourd’hui. Toute recherche dans ce contexte prend forcément une dimension comparatiste. D’ailleurs, plusieurs dispositions du Code congolais du numérique analysées ici sont tirées (ou copiées textuellement) de la loi française n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. 284 La doctrine de législation porte généralement sur des textes particulièrement récents, n’ayant pas encore fait l’objet d’applications jurisprudentielles. Alors que la doctrine de jurisprudence consiste à commenter une décision jurisprudentielle (v. A. BANZA ILUNGA, Manuel de méthodologie de recherche juridique, Lubumbashi, 2023, p.37). 135 ont évolué et l’on trouve, aux côtés de la boutique en ligne, de véritables places de marché électroniques où vendeurs et acheteurs peuvent entrer en relation, y compris entre particuliers (Consumer to Consumer ou C2C). On note également l’arrivée du commerce mobile, avec la sophistication des appareils portables de toute sorte, connectés au réseau sans fil à haut débit285. Plus généralement, le phénomène actuel de convergence des médias et des télécommunications devrait encore générer de nouvelles mutations dans le commerce électronique. Dans cette perspective, l’article 2 point 15 du Code du numérique définit le commerce électronique comme « une activité commerciale par laquelle une personne propose ou assure par voie électronique au via un système informatique, moyennant paiement d'un prix, la fourniture de biens ou de services 286287». La personne qui propose la fourniture de biens ou de services, exerce une activité commerciale et devra être considérée comme un professionnel, mieux un commerçant. Le cybercommerçant est donc un commerçant (personne physique ou entreprise) qui exerce ses activités sur Internet, lequel est un espace virtuel. Il est dans le cyberespace et devient de ce fait, une personne virtuelle à cause de la dématérialisation. Il se distingue du commerçant traditionnel par la dématérialisation de ses activités qui implique ubiquité et dépersonnalisation288. Et pour montrer que les activités du commerce en ligne ont pris de plus en plus de l’ampleur en RD Congo, nous pouvons citer plusieurs entreprises qui s’y adonnent, entre autres : Zefonewold RDC, EIS Sarl (Elili Investments et services), Congo online Shop, Helios Districts, Vraidjo, JB Trading, Wiikko, Jokissshop, Bertha Business, Intit le roi, Vraicop, Congo Bon Marché, … Il sied de noter que le Droit du commerce électronique tel qu’issu du Code du numérique n’est pas un Droit de la consommation électronique. Il régit non seulement les relations entre professionnels et consommateurs, mais également entre professionnels ou entre particuliers. 285 M. DEMOULIN, Droit du commerce électronique et équivalents fonctionnels, Larcier, Bruxelles, 2014, p.25. 286 Cet article est presque le même que l’article 4 du Projet de loi sur les échanges et le commerce électronique (LECE) en RDC, qui définissait le commerce électronique comme l’« activité commerciale par laquelle une personne effectue ou assure par voie électronique la fourniture de biens ou de services ». Pour d’amples commentaires sur cet article, Voy. K. NDUKUMA ADJAYI, Le Droit de l’économie numérique en République Démocratique du Congo à la lumière des expériences européennes et Françaises, Thèse, Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017, pp.435-439, NNT : 2017PA01D085ff. fftel-03402977. 287 En d’autres termes, c’est l’ensemble des échanges numérisés liés à des activités commerciales entre entreprises, entre entreprises et particuliers, entre entreprises et administrations. 288 A.S. LAUBOUE, Le cybercommerçant, Thèse en Droit, Université de Bordeaux, 2015, p.21. 136 Ainsi, les dispositions ayant trait au commerce électronique sont prévues au Titre V III du Livre II289 du nouveau Code du numérique. Ce Titre VIII portant sur le commerce électronique a cinq chapitres. Le chapitre premier de ce Titre analyse les principes du commerce électronique (art.48-52), le deuxième chapitre s’attèle à la conclusion du contrat électronique (art.53-56) ; le troisième est relatif à l’exécution de ce contrat (art.57-60) ; le chapitre quatrième traite du droit de rétractation du client ou du non professionnel (art.61-65) et le chapitre cinquième traite de la publicité par voie électronique (art.66-72). Enfin, ce code a innové en instaurant trois principes moteurs pouvant régir les échanges et les transactions électroniques (art.49) : - la liberté d'exercice du commerce électronique sur le territoire congolais; la responsabilité du professionnel ; l’obligation d'information et de transparence incombant au professionnel. 2. Notion du contrat électronique De prime abord, le concept de contrat électronique ou contrat conclu par voie électronique n’est pas défini dans l’ordonnance-loi portant Code du numérique. L’article 2 de cette ordonnance-loi consacré aux définitions n’en a pas prévu une. Mais nous pouvons dire que le contrat conclu par voie électronique est la convention entre deux ou plusieurs personnes nécessitant l’utilisation de tout support électronique pour transmettre des informations en rapport avec une offre de contracter et l’acceptation de cette offre. Kodjo Ndukuma l’a défini comme un contrat qui est conclu par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication290. En dépit des efforts de distinction faites par les auteurs entre contrat hors ligne et contrat en ligne, la « voie électronique » demeure l’aspect technique certes ambigu mais déterminant pour parler du contrat électronique. Les problèmes juridiques relatifs aux transactions électroniques sont liés à l’immatérialité des contrats passés par le biais des réseaux, à la fugacité des messages échangés, à l’éloignement, voire à l’identification des parties. On devra préciser que l’expression « contrat électronique », désigne, non pas un nouveau type de « contrat spécial », ayant une nature juridique propre, mais un contrat dont le processus de conclusion est soumis à un régime juridique résolument original. La qualification ne change pas en raison du mode particulier de conclusion 289 290 Le Livre I du Code est consacré aux activités et services numériques. Et le service ou activité numérique : c’est la prestation proposée et/ou fournie au moyen d'un système informatique ou d’un réseau de communication électronique en vue notamment de créer, de traiter, de stocker ou de diffuser les données (art. 2 point 72). K. NDUKUMA ADJAYI, Cyberdroit, télécoms, internet, contrats de e-commerce : Une contribution au Droit congolais, P.U.C., Kinshasa, 2009, p.24. 137 du contrat. Ainsi, une vente reste une vente, qu’elle soit conclue par voie orale ou par écrit entre personnes présentes, ou par échange de lettres missives, ou encore par l’une ou l’autre voie électronique (sur le web, par échange d’e-mails ou par des agents électroniques). Dès l’instant où le contrat est, par essence, translatif de propriété, l’on a affaire à une vente, quel que soit le canal emprunté par les volontés pour communiquer et s’accorder. L’expression « contrat du commerce électronique » est voulue ici dans la mesure où le commerce électronique reste le cadre général d’émergence des contrats électroniques. Le législateur analyse lui-même ce type de contrat au Titre VIII ayant trait au commerce électronique. Précisons enfin que conformément à l’article 1er du Code du numérique, le champ d’application des règles des commerce et contrat électroniques qui sont analysées ici est le territoire de la RD Congo. Autrement, on s’arrêtera aux transactions électroniques conclues en RD Congo, pourtant, on assiste aussi à une internationalisation des contrats en raison du grand nombre de sites de commerce en ligne situé hors du territoire congolais291, avec les problématiques de Droit international privé que cela suscite292. B.Conclusion du contrat électronique 1. Esquisse sur les conditions de formation en général De manière générale, le contrat par voie électronique pose un certain nombre de problèmes juridiques particuliers auxquels contribuent la rapidité, l’interaction simultanée, l’ouverture et la globalité, l’anonymat caractéristique de l’Internet. Ces caractéristiques influent sur l’appréhension des modalités de formation du contrat en même temps qu’ils accentuent le risque de contracter. L’identification des parties à la communication électronique, l’intégrité des messages échangés par voie électronique, la preuve de la naissance des liens de droit sur le media informatique sont autant des questions qui se posent avec acuité en matière de formation du contrat électronique. Par exemple : Est-ce qu’un acheteur congolais peut-t-il sérieusement assigner Amazon Aux Etats Unis, en appliquant la loi américaine, si le livre qu’il a commandé n’a pas été livré ou si sa carte de crédit a été débitée d’un montant inexact ? Sachant qu’il lui en coûtera environ 1000 fois le prix du livre, on peut douter qu’il se lance dans l’aventure. Et c’est bien là le problème, en cas de litige, bien souvent le consommateur ne pourra raisonnablement réagir. 292 Les transactions transfrontalières entre parties, en particulier quand elles sont menées par voie électronique sont soumises au cadre existant, en matière de droit applicable et de compétence juridictionnelle régi par le Droit international privé. Le Droit international privé a donc le mérite de prévoir des solutions dans lesquelles figure un élément d’extranéité, solutions qui ont vocation à s’appliquer aux contrats conclus sur internet. Le commerce électronique et la dématérialisation des échanges qu’il suppose, remettent en cause ces frontières géographiques et juridiques et posent des défis au cadre juridique existant, rendant ce dernier inadapté pour assurer une protection efficace et transparente de la partie faible (le consommateur). 291 138 La théorie classique relative à la formation des contrats s’intéresse à des questions aussi diverses que la licéité de l’objet et de la cause des engagements pris, la capacité de contracter et la nécessité d’un consentement libre et éclairé de la partie qui s’oblige. Telles sont, comme on sait, les quatre conditions essentielles de la validité des contrats en Droit congolais293. Ces conditions demeurent d’application dans le cadre de la formation des contrats par voie électronique. Mais, les conditions d’objet et de cause n’appellent pas généralement de développements particuliers. Tous les contrats doivent satisfaire, de la même manière, aux exigences relatives à ces notions, qu’ils soient conclus entre personnes physiquement présentes, par échange de correspondance, par téléphone ou… par le biais d’un réseau numérique. « D’une forme de communication à l’autre, seules changent les modalités de conclusion, et l’on ne voit pas en quoi la substance des règles concernant l’objet ou la cause devrait en être affectée »294. Le droit commun issu du CCC L III s’applique et il suffit de se reporter aux études qui y sont consacrées.295 La question de la capacité des parties mériterait une grande attention, mais cette matière relève traditionnellement du Droit civil des personnes, conformément au plan du Code de la famille296. A la faveur de la distance et d’une technologie faisant écran entre parties non présentes, il n’est pas exclu que des incapables (mineurs, prodigues, faibles d’esprit, affaiblis par l’âge, …) tentent de conclure un contrat. Pour des raisons évidentes, ce danger est faible en matière de contrats conclus par échange de lettres missives ou par téléphone. Par contre, le risque est bien réel dans les réseaux ouverts, tel l’Internet, qui permettent à des usagers d’entrer en relation sans se connaître au préalable. L’on peut redouter, en particulier, la conclusion de contrats à l’initiative d'un mineur, sans le consentement de ses parents. Dès lors que le contrat est un accord de volontés, le consentement apparaît, lui, comme la pierre d’angle de sa formation. Ainsi, cette condition mérite la plus grande attention parce qu’il s’agit d’apprécier des consentements échangés en ligne. Et même le législateur au chapitre de la conclusion du contrat sous forme électronique (art. 53 à 56 du Code du numérique) ne fait allusion qu’aux éléments 293 Art. 8 du Code Civil Congolais Livre III, CCC L III (Décret du 30 juillet 1888). M. DEMOULIN et É. MONTERO, « La conclusion des contrats par voie électronique », in M. FONTAINE (dir.), Le processus de formation du contrat. Contributions comparatives et interdisciplinaires à l’harmonisation du Droit européen Bruylant, L.G.D.J., Bruxelles, Paris, 2002, p.538. 295 Voy. KALONGO MBIKAYI, Droit civil, T.1, Les obligations, éd. UA, Kinshasa, 2012, p.102 et s. ; L. KYABOBA KASOBWA, Droit civil, les obligations, Cours, Université de Lubumbashi, 2018, p.41 et s. 296 Voy. les articles 211 et suivants ; MWANZO IDIN’ AMINYE, Que dit le Code de la famille de la République Démocratique du Congo ? : Commentaire article par article, L’Harmattan, Paris, 2019, p. 177 et s. 294 139 lieu au consentement (l’offre et l’acceptation) et à la preuve du contrat. Mais cela ne fait pas dire qu’il ne reconnaît pas les autres conditions de formation du contrat. 2. Protection du consentement dans le Code du numérique a. Instauration de l’obligation préalable d’information du client Les articles 52 et 53 obligent le professionnel (cybercommerçant) à fournir au client (non professionnel ou consommateur), préalablement à la conclusion du contrat, une impressionnante série de renseignements, qu’il est néanmoins possible de répertorier en trois principales catégories. La première catégorie permet l’identification du cybercommerçant ; la deuxième englobe les renseignements relatifs à l’objet ou contenu du contrat et les étapes de formation ; la troisième, enfin, concerne les modalités d’exécution de l’obligation contractuelle. On peut résumer ces catégories dans les points suivants : - Une identification transparente et un accès facile du professionnel (art.52) ou première catégorie de renseignements : Sans préjudice des autres obligations prévus par les textes législatifs et règlementaires en vigueur, toute personne qui réalise une activité commerciale en ligne ou un échange électronique est tenue d'assurer aux clients auxquels est destinée la fourniture des biens et la prestation des services un accès facile, direct, permanent, tout en utilisant un standard ouvert aux informations suivantes : 1° prénom, nom et post-nom, s'il s'agit d'une personne physique ; 2° dénomination sociale, s'il s'agit d'une personne morale ; 3° adresse complète de la résidence ou du siège social, son adresse de courrier électronique ainsi que le numéro de téléphone ; 4° si elle est assujettie aux formalités d’inscription au registre du commerce, le numéro de son inscription au Registre de Commerce et de crédit Mobilier, sa forme juridique, le numéro d'identification national, le numéro d'identifiant fiscal, le capital social et l'adresse de son siège social ; 5° si son activité est soumise à un régime quelconque d'autorisation préalable, l'adresse et la fonction de l'autorité ayant délivré celleci ; 6° si elle est membre d'une profession réglementée, la· référence aux règles professionnelles applicables, le titre professionnel, l'état dans lequel ce titre a été octroyé ainsi que la dénomination de l'ordre ou de l'organisme professionnel auprès duquel elle est inscrite ; 7° le code de conduite auquel elle est éventuellement soumise ainsi que les informations relatives à la façon dont ces codes et informations peuvent être consultés par voie électronique. En outre, toute personne intervenant dans le commerce électronique mentionne les prix de son offre de manière claire et signale si les taxes et frais de livraison, notamment, y sont inclus. - Une offre claire, compréhensible et non équivoque (deuxième et troisième catégorie de renseignements) : L’article 53 énumère 20 mentions substantielles de l’offre qui est faite par le cybercommerçant. Ces informations ou ces mentions 140 visent à permettre au client de faire sa commande en âme et conscience297. L’article 54 in fine est plus explicite à ce sujet quant il précise que « les informations contenues dans l'offre sont fournies avant que le client du service ou du bien passe commande. La commande par voie électronique est faite de manière claire, compréhensible et non équivoque ». Et l’article 279 du CCCL III, selon lequel « le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’engage, tout pacte obscur s’interprète contre le vendeur », est aussi d’application en cette matière. Ces informations substantielles à communiquer au client de manière lisible et compréhensible sont les suivantes: 1°les caractéristiques essentielles du bien ou du service; 2° les différentes étapes à suivre pour conclure le contrat par voie électronique; 3° les moyens techniques permettant à l’utilisateur, avant la conclusion du contrat, d’identifier les erreurs et de les corriger;4° la durée de l’offre du produit ou du service; 5° le prix du bien ou du service offert; 6° les modalités et délais de paiement; 7° les modalités et délais de livraison du bien ou de la fourniture de services; 8° la ou les langue(s) proposée(s) pour la conclusion du contrat; 9°en cas d’archivage du contrat, les modalités de cet archivage par l’auteur de l’offre et les conditions d’accès au contrat archivé; 10° les dispositions relatives à la protection des données à caractère personnel; 11° les conséquences de l’absence de confirmation des informations communiquées par le client; 12° les conséquences d’une inexécution ou d’une mauvaise exécution des obligations du fournisseur; 13° le numéro de téléphone, ainsi que l’adresse électronique du fournisseur en vue d’éventuelles réclamations; 14° les modalités prévues par le fournisseur pour le traitement des réclamations; 15° le cas échéant, les informations relatives aux procédures extrajudiciaires de réclamation et de recours auxquelles le fournisseur est soumis, et les conditions d’accès à celles-ci; 16° l’existence ou l’absence d’un droit de rétractation et ses conditions d’exercice; 17° le cas échéant, les modalités de retour, d’échange et de remboursement des biens; 18° le cas échéant, les informations relatives à l’assistance après-vente, le service après-vente et les conditions y afférentes; 19° le cas échéant, les informations relatives à la nature et l’étendue des garanties commerciales; et 20° les informations relatives aux garanties légales de conformité, garanties légales des vices cachés et garanties légales d’éviction. - L’obligation d’information ultérieure (après la conclusion du contrat) n’est pas prévue par le Code congolais du numérique, pourtant elle joue un rôle de protection de la partie faible dans les systèmes juridiques qui la prévoient. Par exemple, selon l’article L.221-13 du Code français de la consommation, « après la conclusion du contrat et au plus tard au moment de la livraison du bien ou avant le début de l’exécution du service, le professionnel fournit au consommateur, sur support durable, la confirmation du contrat ». Cette information ultérieure n’a pas ici pour mission d’éclairer le consentement du consommateur, pour la simple et 297 Voy. S. KABLAN et A. OULAÏ, « La formalisation du devoir d’information dans les contrats de cyberconsommation : analyse de la solution québécoise », in McGill Law Journal / Revue de droit de McGill, 54(4), 627–668. https://doi.org/10.7202/039647ar (consulté le 15/11/2023). 141 bonne raison que celui-ci a déjà été donné ! Il s’agit pourtant toujours de protection, mais celle du contractant, plus que de sa volonté. Cette information doit permettre au consommateur d’exercer correctement, et concrètement, les droits qui découlent du contrat qu’il a conclu. En quelque sorte, l’information précontractuelle permet la correcte formation du contrat (le consommateur est engagé en connaissance de cause), alors que l’information ultérieure permet de rendre l’exécution des droits et obligations qui découlent de la convention effective : en d’autres termes, elle est relative au régime juridique du contrat ainsi conclu298. En lieu et place de cette obligation d’information ultérieure, l’article 56 du code du numérique fait juste allusion à la copie électronique du contrat et à la facture qui doivent être remises à l’acheteur. b. L’acception du client faite dans des conditions renforcées « Le client accepte l'offre, après avoir eu, au préalable, la possibilité de vérifier et de réagir aux détails de sa commande. La commande, la confirmation de l'acceptation de l'offre et l'accusé de réception sont considérées comme reçus lorsque les parties y ont accès par voie électronique » (art.55). C’est en fait, la règle dite du « double-clic 299» qui ressort de cet article 55 (copie de l’article 1127-2 du Code civil français300) : le bénéficiaire de l’offre devant en effet accepter l’offre, puis confirmer cet accord après avoir vérifié le détail de sa commande. En plus, le pollicitant doit avertir l'acceptant de ce qu'il a reçu son acceptation, c’est le bien fondé de l’exigence de l’accusé de réception par le professionnel. Le législateur espère que seront ainsi évitées ou corrigées les erreurs de manipulation301. Le contrat n'est donc formé que par la validation, après vérification, de l'acceptation émise. Il a ainsi été jugé que le clic de fin de commande manifeste l'acceptation du contrat et des conditions générales de vente302. 298 J. JEROME, Droit de la consommation, L.G.D.J., Paris, 2019, p.127, n°157. Même s’il ne s’agit plus, en fait, de double-cliquer, mais bien de confirmer, par une réitération, sa volonté. V. Fr. TERRE et al., Droit civil des obligations, 12e éd, Dalloz, Paris, 2019, p.260. 300 Art. 1127-2 du Code civil français, « Le contrat n'est valablement conclu que si le destinataire de l'offre a eu la possibilité de vérifier le détail de sa commande et son prix total et de corriger d'éventuelles erreurs avant de confirmer celle-ci pour exprimer son acceptation définitive. L'auteur de l'offre doit accuser réception sans délai injustifié, par voie électronique, de la commande qui lui a été adressée. La commande, la confirmation de l'acceptation de l'offre et l'accusé de réception sont considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir accès » (Code civil français, Institut français d’information juridique, édition du 26 mai 2020, in https://www.droit.org(20/11/2023). 301 Ph. MALAURIE, L. AYNÈS et Ph. STOFFEL-MUNCK, Droit des obligations, LGDJ, Paris, 2016, p.262, n°482. 302 Paris, 25 nov. 2010, n°08-22287, Sa Karavel c/ M et Mme C, CCE 2011, comm. n°56, note A. Debet. 299 142 Quant au moment précis de la formation du contrat, ce n’est plus le système de l’émission mais celui de la réception ou de l’information qui est consacré303. Et on sait qu’en cette matière, d’une part, les professionnels sont de toute façon obligés de maintenir leurs offres pendant le temps indiqué ou à défaut pendant un délai raisonnable304 ; et d’autre part, les acheteurs bénéficient d’un droit de rétractation. c. Instauration du droit de rétractation du client Le droit de rétractation est la pièce maitresse de la règlementation des contrats à distance : le client, consommateur surtout, peut, pendant un certain délai après avoir signé, renoncer à contracter. Ce droit de se dédire ou de changer d’avis du client court 72 heures soit 3 jours avant l’expédition du bien ou service par le professionnel. A ce sujet, l’article 62 du Code mentionne que « Nonobstant l'accord entre les parties, avant le jour de l'expédition prévu dans le contrat, le client dispose d'un délai de soixante-douze (72) heures pour exercer son droit de rétractation. Ce droit s'exerce par le client, sans justifications et sans frais, autres que les éventuels coûts directs de renvoi du bien au professionnel, le cas échéant (…)305 ». Dans le cas où le professionnel manque à son obligation d'information préalable, le délai de rétractation est porté à quinze (15) jours. Quant à la procédure, le client qui veut exercer ce droit notifie au professionnel sa décision, par courrier électronique, dans le délai de soixante-douze (72) heures prévues ci-dessus. Quant aux effets, la rétractation anéantit rétroactivement le contrat électronique, ainsi que tout contrat accessoire. Elle met fin aux obligations des parties. Si le contrat a déjà été exécuté, la rétractation oblige les parties à des restitutions réciproques, de façon que tout soit remis en l’état antérieur à la conclusion du contrat (voir les art. 63 et 64 al.2). Dans l’opinion dominante, il s’agit là d’une dérogation à la force obligatoire des contrats. Mais nous pensons qu’elle ne porte pas atteinte au principe de Selon ce système, la formation du contrat a lieu au moment où l’offrant a personnellement connaissance du contenu de l’acceptation, en lisant par exemple le courrier électronique dans lequel l’acceptant marque son accord. Voy. KUMBA SHINDANO, « Règlementation du contrat électronique : quelques orientations de la réforme du Droit contractuel congolais », in M-T. KENGE NGOMBA TSHILOMBAYI, La réforme du Droit des obligations en RD Congo, Mélanges à la mémoire du Doyen Bonaventure Olivier KALONGO MBIKAYI, L’Harmattan, Paris, 2020, p.240-242. 304 J. CALAIS-AULOY, H. TEMPLE et M. DEPINCE, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, Paris, 2020, p.605. 305 Et l’article 63 dispose qu’« en cas d'exercice du droit de rétractation, le professionnel est tenu de rembourser toute somme reçue du client en paiement de sa commande ou liée à celle-ci. Ce remboursement intervient dans un délai maximum de soixante-douze (72) heures, à compter de la date de réception par la notification de la rétractation. En cas de non remboursement dans le délai prévu à l’‘alinéa précédent, les sommes dues au client sont, de plein droit, majorées au taux d’intérêt légal, à compter du lendemain de l'expiration du délai ». 303 143 l’obligatoriété des contrats, elle se situe encore pendant la période de formation du contrat électronique. 3. Modalités pratiques et techniques de conclusion par voie électronique Les modes pratiques de contracter par voie électronique (ou modalités d’échanges de consentements sur Internet306) sont divers. D’abord, le contrat peut se former par un échange de courriers électroniques entre les parties. Pratiquement, l’offrant expédiera par e-mail un fichier attaché contenant le contrat et invitera son client à le lui retourner muni de sa signature électronique. A l’évidence, ce mode de communication permet également une forme de négociation entre parties (offre, contre-offre…). Ce modus operandi est à rapprocher de la figure des contrats conclus par échange de lettres missives. Dans les deux cas, rien n’empêche le client de prendre le temps de la réflexion avant de s’engager juridiquement. L’échange de courriers électroniques comme mode de contracter n’est pas très éloigné d’autres communications individuelles, tel le chat, à la différence qu’en ce dernier cas, les utilisateurs engagent une discussion en direct, par écran interposé. Au titre des modes de communication individuelle, on ajoutera la vidéo-conférence et la téléphonie vocale sur le net. Ensuite, le contrat peut être conclu sur le web : l’offre prend ici la forme d’un catalogue interactif que l’internaute consulte directement à l’écran. Pour passer le contrat, il est invité à compléter un formulaire (ou bon de commande) électronique et à payer, soit en transmettant son numéro de carte de crédit, soit en remplissant un bulletin de virement électronique, le tout étant ainsi effectué en ligne. Ici aussi, le temps se comprime en manière telle que des achats peu réfléchis ne sont pas à exclure a priori307. Effectivement, les différentes phases de la démarche contractuelle (publicité, offre, acceptation, payement, voire livraison) s’enchaînent rapidement, au rythme des « clics » successifs commandés par la souris de l’internaute. Enfin, les contrats peuvent être conclus moyennant une communication directe entre les applications des correspondants, sans intervention humaine (ou contrats entre « absents » ou entre « non présents »). L’automatisation complète qui suppose l’adoption d’une syntaxe commune, est la caractéristique la plus remarquable de l’échange de données informatisées (EDI). Les systèmes informatiques assurent, de façon autonome, toutes les étapes du processus contractuel : la création, l’autorisation, l’envoi et l’interprétation des messages de commande et d’acceptation. Si ce type d’échange peut se réaliser dans des formes et selon des modalités les plus variées, une notion relativement précise de l’EDI s’est imposée au fil du temps. Celui-ci consiste en « un échange automatisé de messages 306 307 K. NDUKUMA ADJAYI, Cyberdroit, op. cit., p.194. M. DEMOULIN et É. MONTERO, art. cit., p.539. 144 normalisés et agréés entre applications informatiques, à l’aide d’un moyen téléinformatique 308». Mais on note que le Code du numérique congolais n’est pas du tout clair en ce qui concerne ces modalités pratiques de conclusion par voie électronique. Et même si on s’en tient à ce qui est dit à l’article 53, alinéa 3, point 2° à savoir, « le professionnel doit fournir les différentes étapes à suivre pour conclure le contrat par voie électronique ». Mais, ces étapes s’appliquent à quel mode de conclusion en ligne ? par web ou par courrier électronique ? On voit qu’il y a nécessité de compléter cet article ou prendre des mesures d’application claires quant à ce (des arrêtés, par exemple). 4. Conditions de forme et de preuve du contrat électronique Le code exige à l’article 56309 qu’il y ait une copie du contrat pour le fournisseur et une autre copie pour le client. Il est en de même de la facture qui devra être établie en cas de vente électronique. La copie du contrat et la facture sont exigées pour raison de preuve. Et « les formes exigées aux fins de preuve ou d'opposabilité sont sans effet sur la validité des contrats310». En matière de preuve, la question est aujourd’hui réglée par l’article 95 du code du numérique qui assimile « l’écrit sous forme électronique » à « l’écrit sur support papier »311. En outre, quand l’écrit est exigé ad validitatem, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 96 et 97 du même code. Mais, ce qui est curieux est de voir que l’article 56 susvisé qui a trait aux éléments de forme et de preuve du contrat électronique ait dans l’ordonnance-loi, pour titre « la responsabilité contractuelle des parties ». Il ne fallait pas un tel intitulé à la Section 3e du chapitre II en rapport avec la conclusion du contrat sous forme électronique, car il ne s’agit pas là d’éléments liés à la responsabilité. C’est une erreur ou incurie légistique qu’il faudrait corriger prochainement. 308 L. ELIAS et G. KUO WANG, « Le droit des obligations face aux échanges de données informatisées », in Cahiers du C.R.I.D., n° 8, Bruxelles, E. Story-Scientia, 1992, p. 3. 309 Art. 56 du Code du numérique : « -Dès la conclusion du contrat électronique, le fournisseur est tenu de transmettre au client une copie électronique dudit contrat. Toute vente de produit ou prestation de service par voie électronique donne lieu à l'établissement, par le fournisseur, d'une facture transmise au client. La facture doit être établie conformément à la législation et à la réglementation en vigueur ». 310 Voy. art. 1173 du Code civil français. 311 Art.95 du Code du numérique : « L'écrit électronique est admis comme preuve au même titre que l'original de l'écrit sur papier et a la mêrne force probante que celui-ci, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité conformément à la législation relative à la conservation des archives ». Cet article est presque la copie conforme de l’article 1366 du Code civil français. 145 C. Exécution des obligations issues du contrat électronique Les parties au contrat électronique sont tenues d’exécuter leurs obligations de bonne foi. Ce principe général de l’article 33 alinéa 3 du CCC L III s’applique aussi dans ce type de contrat. La bonne foi c’est le comportement loyal que requiert l’exécution d’une obligation ; l’attitude d’intégrité et d’honnêteté ; l’esprit de droiture qui vaut un bienfait à celui qu’il anime312. Il existe, autrement dit, entre les contractants un devoir de loyauté s'imposant au débiteur mais aussi au créancier, allant jusqu'à une véritable collaboration ou coopération pour parvenir au but poursuivi par eux. 1. Obligations de l’acheteur (ou client) Sauf dispositions contraires prévues dans le contrat électronique, le client est tenu de payer le prix convenu dès sa conclusion (art.57 du Code du numérique). Il s’agit du prix du bien ou du service. Les modalités et délais de paiement sont ceux précisés par le cybercommerçant conformément à l’article 53 alinéa 3 point 8 du même code. Dans la pratique, le paiement est sécurisé et doit se faire soit par chèque bancaire ou par carte bancaire. Si la carte a été utilisée à distance et frauduleusement les sommes débitées à la suite de cette utilisation devront être restituées au titulaire de la carte. En outre, l’acheteur a une obligation de réception de bien ou de prise de la livraison (la poste ne stocke pas les produits achetés313), s’il ne le fait pas, le cybercommerçant n’est pas tenu responsable de la « non » livraison. Il doit donc accuser réception de la livraison du bien ou de la fourniture du service. Il devra payer aussi les frais de livraison. 2. Obligations du cybercommerçant (ou professionnel) a. Livraison du produit conforme ou fourniture du service convenu dans le délai L’ordonnance-loi impose au cybercommerçant l'obligation de l'exécution de la commande dans un délai de 30 jours à compter du jour où la commande a été transmise par l’acheteur (art.59 al.1). Il est tenu d’exécuter son obligation de livraison dans ce délai légal et c’est moyennant accusé de réception. Parallèlement à cette obligation de livraison, le cybermarchand est tenu de respecter la nouvelle obligation légale de conformité du 312 R.O DALCQ, « Quelques réflexions à propos de la rédaction des articles 1101 à 1167 du Code civil », in Mélanges offertes à Marcel Fontaine, Larcier, Bruxelles, 2003, p.123. 313 E. MBOKOLO ELIMA et al., « Les problèmes liés au contrat électronique en Droit congolais », in International Journal of Innovation and Scientific Research, Vol. 48 No. 2, Mai. 2020, pp. 204215, in http://www.ijisr.issr-journals.org/ (12/11/2023). 146 produit à la commande et la garantie des vices cachés prévus aux articles 318 à 326 du CCC L III314. En cas de non-respect par le fournisseur des délais de livraison, ou lorsque les conditions de l'offre ne sont pas remplies, le client peut réexpédier le produit dans un délai n'excédant pas quatre (04) jours ouvrables à compter de la date de la livraison effectuée du produit et ce, sans préjudice de son droit de réclamer la réparation du préjudice causé. Dans ce cas, le fournisseur doit restituer au ·client le montant payé et les dépenses afférentes au retour du produit dans un délai de quinze (15) jours à compter de la date de réception du produit (art.58 al. 3). b. Conséquences et obligations nées de la livraison d’un produit non conforme et d’un produit défectueux (ou la violation de la garantie légale de conformité) L’article 59 précise qu’« en cas de livraison d'un article non conforme à la commande ou dans le cas d'un produit défectueux, le fournisseur reprend sa marchandise. Lorsque le produit défectueux constitue une menace à la santé publique, à la sécurité ou à l'environnement, celui-ci est constaté et détruit par les services compétents conformément à la législation en vigueur. Le client réexpédie la marchandise dans son emballage d'origine dans un délai maximal de sept (07) jours augmentés de délai de distance conformément à la législation en vigueur à compter de la date de livraison effective en indiquant le motif de refus, les frais étant à la charge du fournisseur. A défaut pour le client de réexpédier la marchandise dans le délai prévu à l'alinéa précédent, la marchandise est réputée être acceptée. Le fournisseur est tenu de faire soit : 1. une nouvelle livraison conforme à la commande ; 2. une réparation du produit défectueux, 3. un échange de produit par un autre identique ; 4. une annulation de la commande et un remboursement des sommes versées et ce, sans préjudice de la possibilité de demande de réparation par le client, en cas de dommage subi. Le remboursement doit intervenir dans un délai de quinze (15) jours à compter de la date de réception du produit ».  En premier lieu, il ressort des dispositions des articles 58 et 59 que sans définir les concepts comme « article non conforme ou obligation générale de 314 A. BANZA ILUNGA, Manuel des contrats d’adhésion et protection des consommateurs, Lubumbashi, 2023, p. 151-157. 147 conformité315 » ou circonscrire « les critères légaux de la conformité du bien316 », le législateur congolais fait de la délivrance d’une chose conforme, la seule obligation principale du vendeur en ligne, l’élément déterminant étant désormais l’existence d’un « défaut de conformité à la commande ou l’offre ». Ce dispositif, proche du régime belge de la garantie de conformité des biens de consommation317, a, par ailleurs, uniformisé les recours ouverts aux clients cyberconsommateurs, lesquels sont désormais indépendants au caractère apparent ou caché du vice de la chose et de la bonne ou mauvaise foi du vendeur, tout en les hiérarchisant de façon partiellement contraignante, avec une prévalence accordée à l’exécution en nature ( voir les obligations imposées au fournisseur aux points 1, 2, 3, 4 de l’art. 59 al.4). Pour l’obligation générale de conformité en Droit Français, voy. – L’article L. 212-1 du Code de la consommation forme à lui seul un chapitre consacré à l’obligation générale de conformité. Sa substance est résumée dans son premier alinéa : « Dès la première mise sur le marché, les produits doivent répondre aux prescriptions en vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs ». Le texte est, pour une fois dans le code, peu détaillé, alors qu’il renvoie à une réalité très complexe (J. JEROME, op. cit., p.294). En Droit congolais, on peut se référer, pour cette obligation générale de conformité, à l’alinéa 2 de l’article 50 du Code du numérique, selon lequel « Le commerce électronique s’exerce librement sur tout le territoire de la RD Congo, sous réserve des lois et règlements en vigueur. Les atteintes, notamment à l'ordre et à la sécurité publics, à la protection des mineurs, à la protection de la santé publique, aux bonnes mœurs, à la défense nationale, à la protection des personnes ou de l'environnement, constatées dans l'exercice ou à l’occasion de l'exercice du commerce électronique donnent lieu à des mesures de· restriction et sont sanctionnées conformément à la présente ordonnance-loi ou aux dispositions légales et réglementaires en vigueur (…) ». L’article 59 al.2 (cité ci-haut) en rapport avec le produit défectueux est aussi pertinent en la matière. 316 En Droit belge, par exemple, les critères légaux de la conformité sont bien déterminés (ils sont au nombre de 4). Ainsi, en vertu de l’article 1649ter du Code civil belge, le bien de consommation délivré par le vendeur au consommateur n’est réputé conforme au contrat que si : 1° il comprend la description donnée par le vendeur et possède les qualités du bien que ce dernier a présenté sous forme d’échantillon ou modèle au consommateur ; 2° il est propre à tout usage spécial recherché par le consommateur, sous la double condition que cet usage ait été porté à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat et que ce dernier l’ait accepté ; 3° le bien est propre aux usagers auxquels servent habituellement les biens du même type ; 4° Le bien présente la qualité et les prestations habituelles d’un bien de même type auxquelles le consommateur peut raisonnablement s’attendre. 317 Ce régime émane de la loi du 1er septembre 2004 relative à la protection des consommateurs en cas de vente de biens de consommation (M.B., 21 Sept. 2004). Cette loi régit plus particulièrement les droits contractuels dont dispose l’acheteur-consommateur à l’encontre de son cocontractant direct, le vendeur professionnel, en cas de non-conformité du bien livré au contrat, contribuant, à une échelle plus large, à améliorer la qualité des produits mis en circulation sur le marché. Voy. C. DELFORGE et Y. NINANE, « La garantie de conformité des biens de consommation. Chronique de jurisprudence (2005-2015) », in Théorie générale des obligations et contrats spéciaux, op. cit., p.334 ; S.STIJNS et I. SAMOY, « Le nouveau Droit de la vente : la transposition en Droit belge de la directive européenne sur la vente des biens de consommation », in R.G.D.C., 2003, p.9. 315 148 Quant à l’articulation de ce régime issu des articles 58 et 59 du Code du numérique avec le Droit commun des obligations et de la vente (art. 318-326 du CCCL III), bien que le législateur en soit resté muet, il y a lieu de tirer de conclusion en rapport avec l’exclusivité de ce régime spécial ou de sa complémentarité dans certaines hypothèses avec le régime du droit commun relatif aux vices cachés. Quant à la preuve, c’est sur le client que repose la charge de la preuve de la nonconformité du bien, une telle preuve peut être rapportée par toutes voies de Droit. Mais, le client peut être buté à de sérieuses difficultés de preuve comme la loi n’a pas prévu des critères généraux de conformité du bien au contrat, même si le recours expertal s’avère aussi pertinent.  En deuxième lieu, le législateur fait allusion à l’expression « produit défectueux », à l’article 59, sans la définir au préalable. Pourtant, la notion est bien cernée en Droit comparé et c’est depuis longtemps. Ainsi, l’article 5 de la loi belge du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux 318 précise qu’« un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment : a) de la présentation du produit ; b) de l’usage normal ou raisonnablement prévisible du produit ; c) du moment auquel le produit a été mis en circulation ». Il ressort de cette disposition que le défaut est donc déterminé en considération de ce que le consommateur était en droit d’attendre par rapport à la sécurité du produit. Il est dès lors nécessaire de prendre en compte les informations préalablement fournies par le producteur (dans la notice d’utilisation ou sous toute autre forme) afin de pouvoir définir ce que l’utilisateur pouvait escompter. Il apparaît également qu’il appartient au producteur de prévoir certains usages anormaux de son produit, si du moins ceux-ci sont raisonnablement prévisibles. De même, un produit ne pourra pas être considéré comme défectueux s’il ne répond pas à des normes de sécurité établies après sa mise en circulation 319. L’existence du 318 319 La responsabilité du fait des produits, a fait l’objet de la Directive du Conseil des communautés européennes n° 85-374 du 25 juillet 1985, dont la substance a été transposée en Droit belge par la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (M.B., 22 mars 1991) telle que modifiée par la loi du 12 décembre 2000, M.B., 19 déc. 2000 et en Droit français par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, J.O. RF., n°117, 21 mai 1998 (actuels art. 1245 à 1245-17 C. civ. fr.). L’idée générale est que celui qui achète un produit commercialisé a droit à une certaine sécurité ; à défaut, il doit être facilement indemnisé. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de Droit civil Belge, t. II, Les obligations, Vol.2, sources des obligations (deuxième partie), Bruylant, Bruxelles, 2013, p. 1498. Voy. aussi F.-X. TESTU et JH. MOIRTRY, « La responsabilité du fait des produits défectueux - Commentaire de la loi 98389 du 19 mai 1998 », in Dalloz Affaires, 1998, p.1 ; M. FALLON, « La loi du 25 fevrier 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux », J.T, 1991, p.465 ; L. KYABOBA KASOBWA, La prévention des atteintes à la sécurité des consommateurs. Etude comparée des Droits Congolais et belge et de l’Union européenne, PAF, Saarbrücken, 2013, p.78 ; A. BANZA 149 défaut relève du pouvoir d’appréciation du juge du fond, dans les limites de la définition du concept320. En bref, on note qu’il y a nécessité pour le législateur congolais de compléter le régime de livraison des biens conformes à la commande en déterminant par exemple les critères légaux de cette conformité à l’article 59. Il en est de même de la précision de la notion de produit défectueux dans le contrat en ligne. Le présent article devrait donc être compléter par d’autres dispositions claires. c. De l'obligation de conserver les registres des transactions Il ressort de l’article 60 du Code du numérique que « le fournisseur opérant sur le territoire national est tenu de conserver les registres des transactions commerciales réalisées ainsi que leurs dates, et de les transmettre par voie électronique sur les plateformes de l'Institut National de statistiques, de l'Autorité de régulation, ainsi que du guichet unique du commerce extérieur dans le cas où la transaction s'opère avec un client se retrouvant en dehors du territoire de la République Démocratique du Congo, ou lorsque la prestation ou le bien objet de la transaction provient de l’étranger ». Cette disposition vise en fait la traçabilité d’une opération en ligne qui est rendue possible par la conservation des données (sauvegarde des données en l'état dans lequel elles se trouvent321) et leur transfert aux services compétents. Cette conservation des transactions électroniques garantit la traçabilité de l’opération et répond aux exigences relatives à la production de la preuve ; au stockage des données et informations afin de pouvoir les utiliser ultérieurement. 3. Modalités pratiques d’exécution L’exécution du contrat électronique peut se faire aussi de manière électronique ou non. Tout dépend du bien ou du service à livrer ou encore de la nature de l’obligation à exécuter. - Si un bien ou un service immatériel (logiciel, jeu électronique, accès à une base de données, information au sens large, musique… ) a été commandé, le contrat sera également exécuté, de façon instantanée, par le biais des réseaux. Ce mode d’exécution présente le principal avantage de la rapidité, ce qui plaît généralement au client. Cet avantage masque néanmoins une concession : la livraison en ligne peut entraîner en effet une exception au droit de rétractation du consommateur prévu à l’article 62 du Code du numérique. ILUNGA, Des préjudices par ricochet en matière contractuelle. Contribution à l’étude des principes moteurs de réparation en Droit positif congolais, Thèse, UNILU, 2020, p.302 ; A.BANZA ILUNGA, Manuel des contrats d’adhésion et protection des consommateurs, p.212 et s. 320 Cass. be., 26 sept. 2003, Pas. 2003, p.1494. 321 Art. 2 point 19 du Code du numérique. 150 - Si la commande porte sur un bien matériel (soulier, livre, vêtement, appareil électroménager…) ou un service qui se matérialise par la fourniture d’un produit (abonnement à un périodique sur support papier…), elle sera exécutée par l’intermédiaire des modes de transport traditionnels (paquet ou pli postal acheminé par avion, train, bateau, transport routier…). Il s’agit alors d’une vente à distance traditionnelle, à la différence près que l’internationalisation sera fréquemment beaucoup plus poussée. Donc, les contrats peuvent être soit conclus et exécutés via les réseaux, soit seulement conclus par leur biais, mais exécutés en dehors de ceux-ci. 4. Effets de l’inexécution du contrat ou de l’exécution tardive De manière générale, les conséquences de l’inexécution du contrat sont régies par des mécanismes spécifiques telles que l’exécution directe, l’exception d’inexécution, la résolution, la théorie des risques 322et la responsabilité contractuelle. Il convient de préciser que le régime de la responsabilité contractuelle ressurgit et interfère à différents niveaux avec les autres régimes classiques de sanction, par exemple comme recours subsidiaire ou complémentaire à l’exécution directe en nature, ou comme sanction principale infligée débiteur. Dans cette perspective, l’article 65 du Code du numérique précise que « Nonobstant l’accord entre les parties, le fournisseur exécute la commande dans un délai maximum de 30 jours ouvrables, à compter du lendemain de la conclusion du contrat. En cas de manquement contractuel du fournisseur après une mise en demeure de deux (02) jours ouvrables restés sans suite, le client obtient de plein droit la résiliation du contrat, par simple notification adressée au fournisseur par courrier avec accusé de réception ». Ces dispositions sont complétées par celles de l’article 59 susvisé. Ainsi, un contrat électronique légalement formé mais non exécuté peut entraîner soit la résolution ou résiliation du contrat lui-même soit la responsabilité contractuelle du débiteur. L’exécution directe ou forcée est aussi possible en cette matière. La résiliation et l’exécution forcée sont les conséquences de l’inexécution ou du retard de livraison affectant le contrat lui-même ; alors que la responsabilité de plein droit du cybercommerçant (art.51) est une conséquence de l’inexécution n’affectant pas le contrat. 322 F. GERMAIN, « Responsabilité contractuelle et remèdes à l’inexécution du contrat », in Droit des obligations : Notions et mécanismes en matière de responsabilité, Bruylant, Bruxelles, 2014, p. 107. 151 C’est important de préciser aussi qu’en cas d’inexécution, le règlement des litiges entre parties et le prononcé des sanctions susvisées peuvent être faits par des procédures extrajudiciaires323 que judiciaires. Ainsi, dans les lignes qui suivent nous allons insister sur la sanction ayant trait à la responsabilité contractuelle de plein droit du professionnel dont la mise en œuvre se distingue de celle de l’inexécution des contrats classiques de vente à distance. II. Responsabilité contractuelle de plein droit du cybercommercant La responsabilité civile est la conséquence de la violation d’une obligation civile de manière à manquer au devoir général de veiller à ne pas nuire à autrui. Audelà de toute controverse doctrinale sur la question de l’unité et de la dualité de la responsabilité civile324, elle est contractuelle lorsque cette obligation est issue d’un contrat en particulier et ce qu’on appelle aujourd’hui la responsabilité délictuelle ou extracontractuelle est le droit commun de la responsabilité civile. Lorsqu’il n’y a pas de faute, le devoir de veiller à ne pas nuire à autrui entraîne l’obligation de garantir certains dommages, notamment ceux résultant des risques pris pour autrui dans le but d’obtenir un profit personnel325, comme il en est le cas en matière de transactions électroniques. Selon l’art.53 al.3 point 15 du Code, le professionnel doit fournir au client, le cas échéant, les informations relatives aux procédures extrajudiciaires de réclamation et de recours auxquelles il est soumis, et les conditions d’accès à celles-ci. 324 Depuis le XIXe siècle à ce jour il y a, d’un côté des auteurs qui soutiennent que la responsabilité civile est une, la responsabilité délictuelle et contestent farouchement l’existence du concept ou de la notion de « responsabilité contractuelle » : J. GRANDMOULIN, De l’unité de la responsabilité ou nature délictuelle de la responsabilité pour violation des obligations contractuelles, Thèse, Rennes, Typographie Alphonse Le Roy, 1892 ; Ph. REMY, « La responsabilité civile : histoire d’un faux concept », in RTD. Civ., n°1, 1997, p.323; E. SAVAUX, « La fin de la responsabilité contractuelle ?», RTD Civ., 1999, p.1; LAPOYADEDESCHAMPS, « Le mythe de la responsabilité contractuelle en Droit français », in : Failure of contracts (dir. F. D. ROSE), Hart Publishing, Oxford, 1997, p. 175 ; Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité, 5e éd., Dalloz, Paris, 1998, n°1 ; E. JUEN, La remise en cause de la distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle, L.G.D.J, Paris, 2016, p. 525 ; etc. Contra. De l’autre côté, il y a ceux qui sont pour la dualité de la responsabilité civile et affirment l’existence de la notion de « responsabilité contractuelle » : Ch. SAINCTELETTE, De la responsabilité et de la garantie (accidents de transport et de travail), Bruylant-Christophe, Bruxelles, 1884 ; A. CHENEVIER, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, éd. KREIS, Nancy, 1899, p. 26 ; J. HUET, Responsabilité contractuelle et délictuelle : essai de délimitation entre les deux ordres de responsabilité, LGDJ, Paris, 1978 ; M. RAE, Droit civil : Des engagements qui se forment sans convention, SEJK, Lubumbashi, 1967, p. 44 ; J. ZOE, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en Droit français, allemand et anglais, Thèse, Université Panthéon-Assas, 2015, 554 p. ; etc. 325 K. BELLIS, « Contrat et responsabilité civile : pour un système juste en Droit des obligations », in Revue juridique Thémis de l’Université de Montréal, vol.52, n°2, 2018, p.292. 323 152 Avant d’insister sur la responsabilité de plein droit du professionnel(B), il sied au préalable d’analyser les principes de la responsabilité contractuelle des parties au contrat électronique en général(A). A.Responsabilité contractuelle des parties en cas d’inexécution du contrat électronique Le siège de la matière serait l’article 56 du Code du numérique dont le titre est « Section 3 : la responsabilité contractuelle des parties », alors que son contenu a trait à d’autres matières. Pour qu’il y ait responsabilité contractuelle entre parties contractantes, certains éléments sont requis : - L’existence d'un contrat valable (obligation contractuelle) entre le responsable (le cybercommerçant) et la victime (le client), comme cela a été développé au Point I. - La violation de l’obligation contractuelle ou l’inexécution : Par défaut de définition établie par le législateur congolais, l’article 7.1.1 des Principes d’UNIDROIT entend par inexécution, « tout manquement par une partie à l’une quelconque de ses obligations résultant du contrat, y compris l’exécution défectueuse ou tardive326». En doctrine, nous retenons la définition explicite de Deprez selon laquelle « l’inexécution du contrat, c’est l’échéance non respectée, la livraison tardive, la perte d’une marchandise, la mort d’un passager transporté ; c’est la négligence, la mauvaise foi, le préjudice dans les relations ; c’est la rupture d’un équilibre fondé sur une confiance qui est, en définitive, trompée »327328. Ainsi, l’inexécution de l’obligation, source du préjudice est à l’origine de deux distinctions subtiles. La première distinction, c’est celle relative au défaut d’exécution et du retard dans l’exécution, qui résulte de l’énoncé de l’article 45 CCCL III329. Signe d’un manquement définitif, le défaut d’exécution total ou partiel, donne lieu à l’octroi des dommages et intérêts compensatoires. On suppose au contraire que le débiteur ait exécuté son obligation mais tardivement, le retard dans l’exécution donne droit à des dommages et intérêts moratoires. Principes relatifs aux contrats du commerce international, Publié par l’Institut International pour l’Unification du de Droit privé (UNIDROIT), Rome, 2010. 327 J. DEPREZ, « Les sanctions qui s’attachent à l’inexécution des obligations contractuelles en Droit civil et commercial français », in Travaux de l’association Henri CAPITANT XXVII, Dalloz, Paris, 1968, p. 29. 326 329 Art. 45 du CCC L III : « -Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ». 153 La deuxième distinction, celle de l’inexécution totale ou partielle ne coïncide pas avec la première : ainsi, le défaut d’exécution peut-il n’être que total ou partiel mais le retard peut-il concerner l’obligation en son entier. Selon que l’inexécution est partielle ou totale, le montant des dommages et intérêts, évidement, varie ; en outre, la résolution du contrat est exclue en cas d’inexécution partielle, si ce qui a été exécuté laisse subsister une cause suffisante de l’engagement de l’autre partie, auquel cas une condamnation à des dommages et intérêts suffit. L’exécution défectueuse de l’obligation est traitée comme une inexécution totale ou partielle. - L’inexécution fautive : l’inexécution de l’obligation contractuelle ne suffit pas à engager la responsabilité du débiteur, il y faut une faute contractuelle, mais présumée dans le cas de l’article 45, mais elle doit être prouvée dans l’esprit de l’article 36 du CCCL III330. Ainsi, l’apport de ces deux articles est durable. Négativement, quant à la distinction des fautes, la division tripartite331 a été abandonnée. Positivement, la combinaison de ces dispositions sert de support à la distinction capitale des obligations de moyen et obligations de résultat. En outre, faute, préjudice et inexécution gravitent autour du même concept qu’est l’obligation contractuelle. C’est pourquoi Kifwabala Tekilazaya insiste sur le fait que toute inexécution d’un contrat n’engendre pas automatiquement l’allocation des dommages et intérêts en faveur de la victime qui devra, d’une part, démontrer que la responsabilité contractuelle est établie à charge du débiteur défaillant332, et d’autre part prouver qu’il existe un lien de causalité entre l’inexécution et le préjudice dont il se prévaut. En clair, ces éléments en rapport avec l’existence de la responsabilité contractuelle s’appliquent aussi en cas d’inexécution du contrat électronique. Toutes Art. 36 du CCCL III : « -L’obligation de veiller à la conservation de la chose soit que la conservation n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d’un bon père de famille (…) » 331 Il s’agit de la faute lourde, faute légère et faute très légère. Le dol, faute intentionnelle qui implique la mauvaise foi du débiteur, est comparable à la faute lourde. 332 KIFWABALA TEKILAZAYA, note d’observation sous CA/Lshi, RACA 022/163 du 20 fév. 2014, SNCC c/KABEYA BWENDA in Les Analyses Juridiques, n°32, Sept. 2015, pp.72-73 : « Il est de droit que l’inexécution d’un contrat n’engendre pas automatiquement l’allocation des dommages et intérêts en faveur du créancier. Ceux-ci ne sont dus que s’il est établi une responsabilité contractuelle à charge du débiteur défaillant, c’est aux termes de l’art. 45 CCC LIII (…). Il ressort de l’arrêt annoté que le défaut de paiement résulte d’une faute quelconque de sa part, la SNCC a été condamné à payer des dommages et intérêts pour le simple fait de n’avoir pas payé les sommes reprises dans le procès-verbal de réconciliation des comptes qui du reste, nous semble-t-il, ne fixait même pas de délai de paiement. Il nous revient dès lors qu’en condamnant ainsi au paiement des dommages et intérêts sans d’une part, préalablement démontrer que la créance était exigible et que le débiteur n’avait pas respecté les délais fixés par les parties pour ledit paiement, et d’autre part sans démontrer que la responsabilité contractuelle était établie à charge de la débitrice ; l’arrêt annoté n’a pas judicieusement appliqué les dispositions des article 45 et 36 du CCCL III ». 330 154 les deux parties, le professionnel tout comme l’acheteur, peuvent engager leur responsabilité, c’est ce qui devrait normalement être ressorti à l’article 56 du Code du numérique ayant pour titre « de la responsabilité contractuelle des parties », mais qui a malheureusement un autre contenu. Si pour la responsabilité du cybercommerçant, on peut recourir à l’article 51 qui instaure une responsabilité de plein droit, l’ordonnance-loi ne dit rien en ce qui concerne la responsabilité contractuelle de l’acheteur. C’est donc une disposition à réécrire afin d’insérer des libellés ayant trait à une responsabilité contractuelle. Ou encore, il est souhaitable de changer ce titre et instituer un autre article consacré uniquement à la responsabilité contractuelle des parties. B.Nouveau régime de la responsabilité contractuelle de plein droit du cybercommerçant 1. Fondement légal et théorique du régime La responsabilité du professionnel se situe dans le champ d’application du commerce électronique et est réglée par l’article 51 du code du numérique qui dispose que : « La personne physique ou morale exerçant les échanges électroniques et transactions électroniques est responsable de plein droit à l'égard de son cocontractant de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient exécutables par elle-mêrne ou par d'autres prestataires des services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. Toutefois, la personne est exonérée de cette responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution, l'exécution tardive ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l'acheteur, soit à un cas de force majeure, soit à un tiers à la fourniture des prestations prévues au contrat ». En responsabilité délictuelle, la responsabilité de plein droit signifie que le débiteur ne peut s'exonérer qu'en démontrant la force majeure, le fait du tiers présentant les caractéristiques de la force majeure ou la faute de la victime. En effet, l'expression de responsabilité de plein droit est empruntée au régime de la responsabilité générale du fait des choses qui ne permet au gardien de s'exonérer qu'en démontrant la force majeure (qui comprend le fait du tiers imprévisible, irrésistible et cause exclusive du dommage) ou la faute de la victime. Cet article rapproche la notion de responsabilité de plein droit empruntée à la responsabilité délictuelle de la responsabilité contractuelle ici en cause. Cette responsabilité de plein droit couvre le fait contractuel d’autrui puisque le professionnel est responsable personnellement et du fait des autres prestataires de services, contre lesquels il peut toutefois se retourner ensuite. Seule une cause étrangère peut permettre d’exonérer le professionnel. Cela est très protecteur pour l’acheteur en cas d’inexécution du contrat de la part du professionnel. Il dispose d’une action directe contre ce professionnel. Ce nouveau régime, salutaire pour les cyberacheteurs en Droit congolais, existe depuis longtemps en Droit comparé. Le législateur congolais s’est bien inspiré 155 de l’article 15 de la Loi française de la Confiance dans l’économie numérique (de 2004)333. Cet article introduit deux alinéas supplémentaires au sein de l’article L12120-3 du Code de la consommation, relatif aux contrats conclus à distance334. Cet article 15 de loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 s’est, d’ailleurs à son tour, inspiré de l’article 23 de la loi française n° 92-645 du 13 juillet 1992, fixant les conditions d’exercice des activités relatives à l’organisation et à la vente des voyages ou de séjours (JORF n° 162 du 14 juillet 1992, p. 9457)335. Enfin, en termes d’actualité, beaucoup de Droits positifs africains d’inspiration française ont depuis belle lurette inséré ce régime de responsabilité de plein droit du cybercommerçant dans leurs législations : le Droit sénégalais depuis 2008336, le Droit malien en 2016337, le Droit algérien depuis 2018338, etc. 2. Responsable visé : le cybercommerçant a. Quant au champ d’application : seul le cybercommerçant (le professionnel ou le fournisseur) est visé Ce régime s’applique à toute personne qui exerce les échanges électroniques et transactions électroniques339, c’est-à-dire le commerce électronique (voir art.48 333 Art. 15 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique : « Toute personne physique ou morale exerçant l'activité définie au premier alinéa de l'article 14 est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. Toutefois, elle peut s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable, soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure. 334 L'article L. 121-20-3 du code de la consommation : « -Le professionnel est responsable de plein droit à l’égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat à distance, que ces obligations soient à l’exécuter par le professionnel qui a conclu à distance, que ces obligations soient à exécuter par le professionnel qui a conclu ce contrat ou par d’autres prestataires de service, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. Toutefois, il peut s’exonérer de toute ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable, soit au consommateur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers au contrat, soit à un cas de force majeure ». Voy. L. GRYNBAUM, C. LE GOFFIC et L. MORLET-HAÏDARA, Droit des activités numériques, Dalloz, Paris, 2014, p.97 et s. ; K. NDUKUMA ADJAYI, Cyberdroit, op. cit., p.261 ; A.S. LAUBOUE, Le cybercommerçant, op. cit., p.418 et s. ; A. KUMBA SHINDANO, art. cit., p.544. 335 Aux termes de l’article 23, alinéa 1 de la Loi n° 92-645 du 13 juillet 1992, « Toute personne physique ou morale qui se livre aux opérations mentionnées à l’article 1er est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci ». 336 Art. 11 de la loi (sénégalaise) n°2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques. 337 Art. 77 de la loi (malienne) n°2016-012 du 06 mai 2016 relative aux transactions, échanges et services électroniques. 338 Art. 18 de la loi (algérienne) n°18-05 du 10 mai 2018 relative au commerce électronique, J.O. RA, 16 mai 2018. 339 Selon l’art. 2 point 82 du Code du numérique, les transactions électroniques sont des « échanges sécurisés effectués lors d'un achat ou d'un paiement en ligne ». 156 al.1340) que la loi appelle « professionnel ». L'idée sous-jacente au texte, quand bien même, le terme de commerçant ou cybercommerçant n'est pas utilisé, ce que la personne physique ou morale en cause a pour habitude d'offrir des biens ou services car elle développe ainsi « une activité commerciale » tel que défini à l’article 2 point 15 du Code du numérique. Lorsque l’article 51 alinéa 2 fait allusion au concept « acheteur », ceci peut faire croire qu’il faut appliquer la responsabilité de plein droit exclusivement au cybervendeur. Mais, l’interprétation des dispositions en présence (art.48 et 51) nous mène à affirmer que cette responsabilité serait applicable aussi aux prestataires de services car l’activité de commerce électronique concerne aussi les activités de services (art.48 al.2341). Les éditeurs professionnels de contenu en ligne342, les fournisseurs d’accès à internet343, les loueurs de véhicules en ligne, les prestataires offrant des services de paiement mobile et électronique, les intermédiaires commerciaux, les hébergeurs344, etc. se verront imposés par l’ordonnance-loi une responsabilité de plein droit. Les fournisseurs de services en ligne, par exemple, seront responsables lorsqu’ils ne pourront plus fournir leur service du fait de la défaillance d’un opérateur de télécommunications345. On peut affirmer que tout prestataire, au-delà du vendeur au sens strict, qui propose ou offre ses biens ou services par Internet est soumis au à ce régime de la responsabilité de plein droit. L'objectif consiste en ce que le cybercommerçant réponde de toute défaillance, les siennes et celles des tiers qu'il pourrait se substituer dans l’exécution du contrat. Cependant, le non professionnel, vendeur ou prestataire de services occasionnel en ligne ne saurait se voir imposer cette responsabilité de plein. 340 Art. 48 al.1 : « -Le présent titre (du commerce électronique) fixe les règles générales régissant les échanges et les transactions électroniques ». 341 Art. 48 al. 2 : «- II (le titre sur le commerce électronique) s'applique aussi aux prestations des activités et services d'assurance, aux prestataires offrant des services de paiement mobile et électronique, aux intermédiaires commerciaux et des places de marche numériques ‘’ marketplace ‘’ ». 342 Par exemple : www.mediacongo.net. Voy. aussi C. ROJINSKY, « Qu’en est-il de la responsabilité de plein droit des éditeurs en ligne (art. 15 de la LCEN)? La délicate assimilation au commerce électronique », in LEGICOM, 2006/1(N° 35), p. 71-77, article disponible à l’adresse https://www.cairn.info/revue-legicom-2006-1-page-71.ht (consulté le 23/10/2023). 343 Les FAI déclarés en 2005 en RDC sont : MICROCOM, GLOBAL BROADBAND, I-BURST, STANDARD TELECOM, VODANET (opérant sous licence de Vodacom avec les actifs rachetés à l’ISP INTERCONNECT), RAGA, SIMBA TELECOM, HITEC (Roffe Congo), AFRINET, SATEL-KIN, SAPROCOM, RUTEL CONGO (voy. K. NDUKUMA ADJAYI, Cyberdroit, op. cit., p.101. 344 On peut citer en RDC, le cas de DRC WORLD WEB Sprl(www.drc-worldweb.com) ; la société GNN (Groupe Nzaza Nowa)in www.gnn-rdc.com ; etc. 345 Par exemple en Droit français : TGI Paris, 26 juin 2007, Que choisir (UFC - Que Choisir) c/ SAS Free, N° RG : 05/08845, URL: http://www.foruminternet.org/specialistes/veillejuridique/jurisprudence/tribunal-de-grande-instance 157 En bref, le régime de responsabilité de plein droit de l’article 51 constitue l’un des principes régissant le commerce électronique tel qu’énoncé à l’article 49 du même code. En combinaison des articles 51 et 48, il ne s’applique qu’au cybercommerçant (vendeur ou prestataire) que l’ordonnance-loi appelle tantôt professionnel (voir art. 53, 55, 62, 63) tantôt fournisseur (voir art. 54, 56, 58, 59, 60,70). Même à ce niveau, il y a une nécessité de préciser les concepts, comme le législateur vise le cybercommerçant ou le professionnel, il devrait le préciser expressément pour dissiper toute confusion lors de l’application du texte. L'existence d'une précision légale en la matière permettrait de gagner en sécurité juridique346. b. Quant au critère lié à l’auteur de l’inexécution : le cybercommerçant comme responsable final Il est dit à l’article 51 alinéa 1 que la personne physique ou morale est responsable de plein droit de la bonne exécution des obligations « que ces obligations soient exécutables par elle-mêrne ou par d'autres prestataires des services ». Par ces mots, le législateur a voulu accroître la responsabilité du professionnel sur les contrats réalisés par voie électronique, et deux cas sont possibles : - L’inexécution peut émaner du professionnel lui-même lorsqu’il il est convenu qu’il devra exécuter les obligations contractuelles seul, dans ce cas il engage sa responsabilité du fait personnel, ce qui est d’ailleurs le principe en matière de responsabilité contractuelle (art. 44 et 45 du CCC L III). Mais à la seule différence avec ce principe du droit commun, qu’ici le co-contractant (acheteur) n’a pas à prouver une quelconque faute du professionnel (la responsabilité est sans faute), seule l’inexécution préjudiciable suffit. - L’inexécution peut émaner d'autres prestataires des services lorsqu’il il est convenu que le professionnel fera recours à ces derniers pour l’exécution des obligations contractuelles, même dans ce cas, c’est le professionnel qui engage sa responsabilité du fait du tiers substitué ou sa « responsabilité contractuelle du fait d’autrui ». Du point de vue de la théorie du contrat, la solution n’est pas surprenante : l’acheteur n’a contracté qu’avec le professionnel, et lui seul. Il ne connaît pas les tiers que le professionnel introduit dans l’exécution du contrat et au fond, peu lui importe. Si le professionnel choisit de ne pas exécuter lui-même sa prestation mais de recourir pour ce faire à un tiers, il le fait à ses risques et périls. Il serait même impropre de parler ici de responsabilité contractuelle du fait d’autrui : c’est en réalité l’article 33 du CCC L III et le principe de force obligatoire des conventions qui imposent la solution. 346 Pour de détails, voy. A. BANZA ILUNGA, « De la réforme du Droit congolais des obligations pour une sécurité juridique accrue », in Revue Internationale de Droit et Science Politique, Numéro spécial, Hors-série, Juin 2023, p.202 et s. 158 Dans la gamme des autres prestataires, on peut compter généralement les sous-traitants, les fournisseurs, les transporteurs et les courtiers ou commissionnaires en ligne…, auxquels le professionnel peut se retourner par une action récursoire. En fait, l'article 51 du Code du numérique déplace le risque de la livraison vers le professionnel exerçant son activité en ligne qui doit supporter la perte ou l'avarie de la chose en cours de transport bien qu'elle ait pour origine la faute ou la négligence du transporteur. Ainsi, peu importe l’éventuelle faute du transporteur qui n’a pas respecté le délai annoncé, l’acheteur va pouvoir s’adresser à son vendeur pour obtenir satisfaction. Le vendeur est responsable contractuellement du fait d’autrui et cette responsabilité contractuelle du fait d’autrui contribue à gagner la confiance du client. A ce sujet, il a été jugé en Droit comparé, que le transporteur n’est pas un tiers à l’égard du contrat conclu par le consommateur avec l’entreprise de vente à distance, laquelle ne pourra plus s’exonérer de sa responsabilité en cas de perte ou de détérioration en cours de transport347. C’est dans cette même perspective que la Cour d’appel de Paris dans un arrêt en date du 12 septembre 2013, a fait application de la responsabilité du fait d’autrui, dans le cadre d’un contrat conclu sur Internet, pour retenir la responsabilité de la société IKEA, vendeur de meubles à distance, en ces termes : « Dès lors que la société meuble IKEA France a été avisée dès le 20 mars 2009 des contraintes de livraison imposant l’aide d’un engin élévateur et que le transporteur, prestataire de service auquel elle a recours pour l’exécution des obligations résultant du contrat de vente conclu à distance n’est pas un tiers au contrat au sens de l’article L. 120-20-3 du Code de la consommation, elle est responsable du retard apporté à l’exécution de son obligation de délivrance348 ». Il a aussi été jugé que le professionnel qui avait eu recours à la Poste pour l'acheminement de bons d'achat était responsable de la défaillance de cette dernière349. Comme nous le constatons, mu par le souci de donner confiance dans le commerce électronique, le législateur a jugé utile de créer une responsabilité globale du cybercommerçant sur toute la prestation, celui-ci étant institué comme interlocuteur unique du client pour l'ensemble des opérations pouvant mobiliser des sous-traitants ou d’autres prestataires. C'est donc là, un apport essentiel de l'article 51 du Code du numérique : rendre le professionnel qui commerce en ligne, responsable unique et final de la bonne fin de la transaction, qu'il s'agisse d'une prestation sous-traitée ou de l'opération de transport. 347 Cass. (fr) Civ. 1 ère.13 novembre 2008 cité par V. GESLAK, La protection du consommateur et le contrat en ligne, Mémoire, Université de Montpellier I, 2010-2011, p.114 ; M. VETTER, Les conséquences de la livraison tardive d’un bien en exécution d’un contrat de commerce électronique, Mémoire de master, Université de Strasbourg, 2008, p.20. 348 Paris, pôle 4, 9e ch., 12 sept. 2013, n° 11/10899, P. c/ SNC Meubles IKEA France, note Anne DEBET, Comm. com. électr., déc. 2013, comm. 124, p. 26. 349 Cass (fr) Civ. 1e , 13 nov.. 2008, Bull. civ. I, n°263. 159 3. Victime ou bénéficiaire visé : le cybercocontractant (l’acheteur ou le client) Il est précisé à l’article 51 alinéa 1 que la personne physique ou morale est responsable de plein droit à l'égard de son « co-contractant ». Donc le bénéficiaire de ce régime de protection est « le co-contractant », que l’ordonnance-loi appelle tantôt « acheteur » (art.51 al.2), tantôt « client » (art.52 à 59, art. 64-65), ou encore « non professionnel » (art.55, 61). D’emblée on peut considérer que cet acheteur ou client est un non professionnel, donc un consommateur ou usager350. La difficulté d’un tel raisonnement est que, dans une logique tout à fait consumériste, tout non professionnel n’est pas nécessairement un consommateur. Dans la conception française par exemple, le consommateur, stricto sensu, « ne peut être qu’une personne physique, à l’exclusion donc des personnes morales 351». Dans le Code congolais du numérique, la catégorie des non professionnels pourrait compter des consommateurs (personnes physiques) et les personnes morales dépourvues d'activité professionnelle, qu'il s'agisse d'associations caritatives ou de syndicats. Ainsi, une ASBL qui a conclu avec le cybercommerçant pour un besoin lié à son objet social, peut bien être considérée comme non-professionnelle. Si l’article 20 point 20 du Code du numérique définit le consommateur ou usager dans ce domaine comme « l’utilisateur des activités et/ou services numérique », mais pourquoi, le terme « consommateur » n’est pas repris dans l’article 51 sus analysé ? Et même s’il en était le cas, cet usager ou utilisateur peut être une personne physique ou morale. Cette définition du consommateur est à la fois imprécise et généraliste, et ne rencontre pas la vision protectionniste du Droit moderne de la consommation. Il y a donc une nécessité de précision de la part du législateur congolais. Nous constatons d’ailleurs que dans l’ensemble des 24 articles en rapport avec le commerce électronique (Titre VIII du Livre I du Code), le terme « consommateur » n’est cité nulle part. En outre aux articles 55 et 61, on trouve des expressions comme « dans le cas d'un contrat conclu entre un professionnel et un non professionnel… », cela veut clairement dire a contrario que le législateur a entendu régir aussi dans ce Titre V III des contrats électroniques conclus entre professionnels. Et par voie de conséquence, le professionnel qui exerce son activité 351 Voy. Article préliminaire du Code français de la consommation : « Au sens du présent code, est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » ; E. CHEVRIER, (coll.), Loi relative à la consommation : L’analyse des principales dispositions de la loi et ses difficultés de mise en œuvre, Dalloz, Paris, 2014, p. 8 ; G. RAYMOND, « Définition légale du consommateur par l’article 3 de la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 », CCC, mai 2014, dossier 3 ; A. BANZA ILUNGA, Manuel des contrats d’adhésion et protection des consommateurs, op. cit., p. 117. 160 par Internet et qui conclut un contrat avec un autre professionnel sera certes soumis à la responsabilité de plein droit de l'article 51. Le terme « acheteur » n’étant pas aussi défini, peut renvoyer à un non professionnel ou à un professionnel. Donc, tous les acheteurs, qu’ils soient consommateurs, professionnels ou commerçants, sont a priori protégés par cette disposition. On voit que l’ordonnance-loi n’est pas claire quant à la qualité de ce cocontractant ou acheteur qu’il cite à l’article 51. A ce jour, ce régime de responsabilité de plein droit tel que prévu est d’abord général car il s’applique à tout cybercocontractant. Ensuite, ce régime est novateur dans sa substance, car dans la pratique, la question de la livraison et de l’irrespect des délais constitue un motif majeur d’insatisfaction en matière de contrat électronique auquel les cybercommerçants répondent souvent qu’ayant expédié la marchandise à temps, le reste n’était plus de leur ressort. L’acheteur a beaucoup de difficultés à trouver le responsable de l’inexécution de son contrat car les différents intervenants se renvoient tous la balle. Avec l’instauration de cette responsabilité de plein droit le client est protégé car il ne devra s’adresser qu’à son vendeur et ce dernier ne pourra plus être tenté de dire que ce n’est plus de son ressort. 4. Etendue des obligations issues de ce régime responsabilité et causes d’exonération Il sied de noter d’abord que la responsabilité de plein droit est étendue à tout contrat à distance (voir art 51 al.1) de vente, de passation de commande, de fourniture de biens ou de la prestation de service, « quel que soit le canal utilisé » ou la technique de communication à distance (par voie électronique, téléphone, imprimé...). Ainsi, il n’y a pas de distinction de régime de responsabilité spécifique au contrat de commerce électronique. Ensuite, l’article énonce que « la personne physique ou morale est responsable de la bonne exécution des obligations résultant du contrat à distance ». L’étendue de cette responsabilité est très large. Elle semble induire qu’il n’y a plus d’obligations de moyen dans les contrats conclus par voie électronique. Et donc une différence de traitement est établie entre les contrats conclus à distance et les contrats conclus sur place. Appliquée au contrat conclu par voie électronique, la responsabilité de plein droit instauré par le législateur revient à faire peser sur le professionnel offrant ses biens ou services en ligne une obligation de résultat. En présence d'une obligation de moyens le créancier est obligé de montrer que son débiteur a commis une faute dans l'exécution du contrat pour engager la responsabilité de son contractant qui n'a pas exécuté convenablement ses obligations. En revanche, le débiteur d'une obligation de résultat est placé dans la même situation que le gardien d'une chose, dès lors que le résultat prévu au contrat n'est pas atteint, il est responsable directement. Il n'est pas nécessaire pour le créancier de l'obligation inexécutée de 161 prouver une faute, il appartient au débiteur de prouver la force majeure ou la faute du créancier pour s'exonérer. Avant l’avènement de ce régime, ce qui était mis en avant par le professionnel est « le principe de transfert de propriété dès la conclusion de la transaction » (art.264 CCC L III352) et qui créait le problème car la chose s’en trouvant transportée aux « risques et périls de l’acquéreur » (art. 37 du CCC L III353), cela mettait ce dernier à la merci des opérateurs chargés de la livraison. Mais, l’ordonnance-loi, alors loi spéciale a changé la tendance, « la chose, objet du contrat électronique est transportée aux risques et périls du vendeur ». Et l’autre justification de cette responsabilité résulte dans le fait qu’il y a « une impossibilité de voir ou de toucher les produits » pour l’acheteur lors de la conclusion du contrat. Et donc la règle de res perit domino (la perte est pour le propriétaire, l’acheteur), n’est pas d’application ici. Au contraire, c’est la règle de principe « res périt debitori » qui s’applique car c’est le débiteur de l'obligation inexécutée (le cybervendeur qui n’a pas livré matériellement la chose) qui supporte la perte fortuite de la chose ou de la prestation. En sus, le cybercommerçant ne va pas pouvoir invoquer simplement le fait d’un tiers contractant mais doit rapporter : « la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable, soit à l’acheteur, soit à un cas de force majeure, soit à un tiers à la fourniture des prestations prévues au contrat » (art.51 al.2). En pratique, cette preuve sera difficile à rapporter. De plus, les dispositions du Code du numérique étant d’ordre public, le professionnel a une marge de manœuvre réduite. Enfin, gageons que l’hypothèse de « l’inexécution imputable à l’acheteur », pour n’être pas exclue, est cependant rare354. Quant aux clauses limitatives de responsabilité ou de clauses définissant le champ des obligations assumées par le prestataire, leur licéité semble menacée. Les activités de commerce électronique étant constituées d’une succession de prestations interdépendantes, le régime de responsabilité de plein droit pourrait avoir un impact sur certaines situations généralement couvertes par ces clauses limitatives de responsabilité355. On peut ainsi se demander quelle sera la responsabilité d’un éditeur 352 Art. 264 du CCC L III : « - Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ». 353 Art. 37 du CCC L III : « - L'obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des parties contractantes. Elle rend le créancier propriétaire, et met la chose à ses risques dès l'instant où elle a dû être livrée, encore que la tradition n'en ait point été faite, à moins que le débiteur ne soit en demeure de la livrer ; auquel cas, la chose reste aux risques de ce dernier ». 354 Mais on peut citer le cas dans lequel le professionnel fabrique un bien ou réalise une prestation de service d’après les informations, incomplètes ou erronées, de l’acheteur. Finalement, le bien ou le service ne correspond pas, n’est pas utilisable... 355 C. ROJINSKY et G. TEISSONNIERE, « L’encadrement du commerce électronique par la loi française du 21 juin 2004 ‘’pour la confiance dans l’économie numérique’’ », in Lex Electronica, vol. 10, n°1, 2005, p.4, http://www.lex-electronica.org/articles/v10-1/rojinsky_teissonnier (23/11/2023). 162 de site en cas de défaillance causée par l’un de ses prestataires techniques ? Ou bien, quelle sera la responsabilité d’un hébergeur ou d’un fournisseur d’accès à Internet qui ne pourra plus fournir son service du fait de la défaillance d’un opérateur de télécommunications ? D’abord, il n’est pas certain que les causes d’exonération de responsabilité prévues par la loi, et en particulier le fait du tiers, puissent être invoquées dans de telles circonstances. Ensuite, il n'est donc pas possible au professionnel d'aménager sa responsabilité de plein droit relativement aux délais de livraison, par exemple. De même, le fait pour le professionnel d’insérer dans le contrat une clause tendant à s’exonérer totalement de sa responsabilité si l’inexécution est due du fait d’un transporteur, serait abusif voire illégal. Une telle clause sera réputée non écrite et ne produira aucun effet car elle entame la substance même de l’article 51 sus analysé. Le dispositif incite donc les prestataires (transporteur des biens, tierscollaborant à l’exécution, …) à définir plus exactement quelle sera la nature et l’étendue de leurs obligations, à peine d’encourir la responsabilité générale de plein droit prescrite par le texte. En fin, il sied de savoir si cette responsabilité de plein droit devait cohabiter avec la garantie du vice de la chose du droit commun. La garantie des vices cachés des articles 318 à 326 du CCC L III ne peut que trouver à s'appliquer lorsque le défaut rend la chose impropre à sa destination. De même, en cas de livraison d’une chose non conforme à la commande, la garantie légale de conformité (art. 59 du Code du numérique) devra s’appliquer. 5. Conditions de mise en œuvre de la responsabilité de plein droit et paiement des dommages et intérêts La mise en œuvre de la responsabilité contractuelle suppose un contrat régulièrement formé, une inexécution totale ou partielle d’une des obligations (faute contractuelle), un préjudice, et un lien de causalité. Dans notre cas du contrat de commerce électronique de vente d'un bien ou d’un service, l'inexécution est constituée du défaut d’un des aspects de l'obligation de délivrance. Il s'agit ou bien de l’absence de livraison, ou bien d'un retard de livraison, ou bien de la livraison partielle ou de la livraison d'un produit non conforme, dont le remplacement nécessitera plus de temps que le délai initialement prévu pour la livraison du bien. L’obligation de délivrance qui pèse sur le cybercommerçant étant est une obligation de résultat, l’acheteur n’a qu’à démontrer que le résultat attendu n’a pas été obtenu, en l’espèce que l’objet ou le service n’a pas été livré à temps et selon les stipulations contractuelles, afin d'établir celui-là. Le préjudice est clair ici : il s'agit du préjudice subi résultant de l’absence ou du retard de livraison. Il peut s’agir d’un gain manqué ou d’une perte subie. Pour donner lieu à réparation, ce préjudice doit être direct, certain et prévisible. Il peut 163 être causé à une victime directe (acheteur) ou à des tiers-victimes par ricochet356 (les proches de l’acheteur). Le lien de causalité, dont le demandeur a la charge de la preuve, est à établir entre le défaut de livraison ou le retard de livraison et le préjudice (préjudice matériel ou moral, perte de temps, retard dans les travaux…). Cela est laissé à l’appréciation des juges. Il peut arriver aussi que les juges se fondent sur des présomptions de causalité. Enfin, une fois la responsabilité du cybercommerçant établie, il est condamné à verser à l'acheteur des dommages-intérêts compensatoires sans que soit prononcée la résolution du contrat quand la livraison du bien ou du service n'a pas eu lieu ou si elle a été retardée. Dans ces conditions, cette condamnation doit avoir lieu sur le fondement du droit commun (art.45 du CCC L III), et sur pied des articles 58 alinéa 2 et 59 alinéa 4 du Code numérique, qui précisent qu’outre les autres sanctions prévues, le client a la possibilité de demander réparation en cas dommage subi. Conclusion Les dispositions spécifiques du Code numérique relative aux contrats du commerce électronique tendent à prendre en considération les particularités techniques du procédé utilisé, ainsi que l’absence de présence physique simultanée des deux parties. En effet, ce code livre les principes du commerce électronique aux articles 48 à 52, les conditions de formation du contrat électronique aux articles 53 à 56, les conditions d’exécution de ce contrat aux articles 57 à 60, le droit de rétractation du client aux articles 61 à 65 et la publicité par voie électronique aux articles 66 à 72. Nous nous sommes principalement questionné sur la nouveauté et l’efficacité de ces dispositions dans la protection de la partie faible dans le contrat du commerce électronique. Certainement, si l’on veut comparer les dispositions de l’ordonnance-loi portant Code du numérique à celles du Droit commun des contrats et de la responsabilité civile issues du CCC L III ; dans cette ordonnance-loi, plusieurs nouveautés ou dispositions novatrices tendant à protéger la partie économiquement faible sont à signaler, entre autres : l’obligation préalable d’information en faveur du client (art.53), la garantie légale de conformité ou de livraison des biens conformes et non défectueux(art.59), le droit de rétractation accordé à l’acheteur, la responsabilité de plein droit du professionnel (art.51 et 56), l’interdiction de la prospection directe des clients (art.68), etc. S’agissant, par exemple, de la phase de formation du contrat, les informations précontractuelles, au titre de l’article 53, doivent être transmises par le professionnel 356 V. A. BANZA ILUNGA, Des préjudices par ricochet en matière contractuelle, op. cit., p. 301 et s. 164 au client par tout moyen adapté à la technique de communication à distance utilisée. Il n’est possible de fournir, que certaines informations qui, aux yeux du législateur, apparaissent comme indispensables : caractéristiques essentielles, prix, identité du professionnel, durée du contrat, droit de rétractation… En quelque sorte, l’information précontractuelle permet la correcte formation du contrat (le client est engagé en connaissance de cause). Mais pour bien protéger le client, cette obligation d’information devrait être encore plus complète (information précontractuelle et information ultérieure à la formation). Quant à l’exécution du contrat, les parties doivent le faire de bonne foi, mais la loi insiste sur le fait que le professionnel est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance. C'est donc là, l’apport essentiel et novateur de l'article 51 du Code du numérique : rendre le cybercommerçant qui commerce en ligne, responsable unique et final de la bonne fin de la transaction, qu'il s'agisse d'une inexécution provenant de son fait personnel ou du fait des tiers prestataires (transporteur, tiers collaborant, sous-traitant, etc.). La transparence du contrat et sa prévisibilité ressortiront renforcées de cette pratique. Il ressort que dans le souci de protéger la partie faible, le formalisme présidant à la formation du contrat électronique, a trouvé un prolongement au stade de son exécution par le rehaussement formel de la responsabilité objective du professionnel. Mais, sans souci d’exhaustivité, certains recadrages en termes de suggestions devraient être faits et pris en compte afin de rendre les règles de conclusion et d’exécution du contrat du commerce électronique plus aptes à protéger les parties et davantage la partie faible : - Outre l’obligation préalable d’information (art.53), il serait souhaitable d’insérer expressément aussi l’obligation ultérieure d’information (si les informations précontractuelles concourent à la correcte formation du contrat, le client étant engagé en connaissance de cause ; les informations ultérieures (d’autres informations exigées du professionnel après la formation du contrat) permet de rendre l’exécution des droits et obligations qui découlent de la convention effective : en d’autres termes, elles sont relatives au régime juridique du contrat ainsi conclu) ; - En ce qui concerne les modalités techniques de conclusion du contrat électronique, le Code du numérique congolais n’est pas du tout clair quant à ce ; et même si on s’en tient à ce qui est dit à l’article 53, alinéa 3, point 2° à savoir, le professionnel doit fournir « les différentes étapes à suivre pour conclure le contrat par voie électronique » ; mais, ces étapes s’appliquent à quelle modalité de conclusion en ligne ? Par web ou par courrier électronique ? Il y a donc nécessité de compléter cet article ou prendre des mesures d’application claires quant à ce (des arrêtés, par exemple). - En ce qui concerne l’intitulé et le contenu de l’article 56, c’est curieux de voir que cet article a pour intitulé « Section 3 : la responsabilité contractuelle des parties 165 », mais que son contenu puisse renvoyer à des éléments de forme et de preuve du contrat. C’est une erreur ou incurie légistique qu’il faudrait corriger prochainement. On sait que toutes les deux parties, le professionnel tout comme l’acheteur, peuvent engager leur responsabilité, ce qui devrait normalement être écrit à cet article. Si pour la responsabilité du professionnel, on peut recourir à l’article 51 qui instaure une responsabilité de plein droit, le Code ne dit rien en ce qui concerne la responsabilité contractuelle de l’acheteur. C’est donc une disposition à réécrire afin d’insérer des libellés ayant trait à une responsabilité contractuelle. Ou encore, il est possible de changer cet intitulé et laisser intact le contenu et instituer un autre article consacré uniquement à la responsabilité contractuelle des parties. - En ce qui concerne l’obligation de livraison des biens conformes et non défectueux, il y a nécessité pour le législateur congolais de compléter ce régime en déterminant par exemple les critères légaux de cette conformité ; ou de circonscrire ou définir la notion de bien conforme à la commande et la notion de bien défectueux. L’article 59 devrait donc être compléter par d’autres dispositions claires. - En ce qui concerne la qualité de la partie victime et bénéficiaire du régime de la responsabilité de plein droit, l’ordonnance-loi n’est pas claire quant à la qualité de ce co-contractant ou acheteur qu’il cite à l’article 51. Cet acheteur peut être consommateur ou non, ce qui rend ce régime de responsabilité général, pourtant il devrait viser plus la partie faible qu’est le cyberconsommateur. - En ce qui concerne la qualité de la personne visée comme responsable dans le régime de la responsabilité de plein droit, il est souhaitable de préciser à l’article 51 du Code que c’est le cybercommerçant, qui peut être vendeur des biens ou prestataire des services en ligne qui est censé répondre et que le non professionnel, vendeur ou prestataire de services occasionnel en ligne n’est pas concerné par ce régime. D’ailleurs, sans aucune définition légale, le cybercommerçant est qualifié par l’ordonnance-loi tantôt de professionnel, tantôt de fournisseur. Ces concepts devraient être bien circonscrits afin de dissiper toute confusion d’interprétation. Tout compte fait, nous retenons que le Droit du commerce électronique tel qu’issu du Code du numérique n’est pas un Droit de la cyberconsommation. Il régit non seulement les relations contractuelles entre professionnels et cyberconsommateurs, mais également entre professionnels ou entre particuliers. Si l’on veut protéger efficacement les cyberconsommateurs congolais, il faudrait un régime juridique particulier de la consommation électronique qui peut soit être clarifié dans l’actuel Code du numérique ou soit inséré dans le futur Code de la consommation. Mais, à ce jour, il reste à voir si la mise en pratique des dispositions pertinentes actuelles du Code du numérique remplira l’objectif de protection efficace du cyber acheteur congolais. * * * 166 Gestion bancaire à l’aune de la digitalisation du secteur bancaire Par : Sam KASSANDA SALMA Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete et Assistant à l’Université de Kinshasa Apprenant au 3e cycle de DEA à l’Université de Kinshasa [email protected] Resumé Notre article analyse essentiellement l’apport de la dématérialisation des instruments financiers dans la gestion bancaire. En effet, les nouvelles technologies de l’information et de communication dans la gestion bancaire ont bousculé positivement les habitudes des institutions bancaires pour un meilleur rendement de la politique de la gestion de la clientèle. La dématérialisation, comme composante fondamentale de la digitalisation vise à rendre les banques plus compétitives en mettant en exergue la politique de la dématérialisation dans l’offre des produits financiers. Depuis le début des années 2000, le secteur bancaire et financier se confronte à un remodelage total de ses activités traditionnelles. Les acteurs disruptifs de ces changements profonds sont les « fin-techs », nouveaux arrivants sur le marché financier qui ont su faire démentir l’idée reçue selon laquelle, les banques traditionnelles étaient détentrices de toute l’activité bancaire. En termes simples, de nouvelles solutions se sont avérées nécessaires pour une large variété de prêteurs, la poussée vers le digital devient donc une priorité. Ainsi, appert-il également capital de démontrer la nécessité de l’apport de la numérisation et la dématérialisation des instruments financiers en République Démocratique du Congo. Mots clés : Banque-Digitalisation-Instruments financiers-Numérisation-Opérations bancaires- NTIC-OHADA. Abstract Our study aims substaially to contribute to the dematerialization of financial instruments in banking management. Indeed, information and communication technologies in banking management or sector have visible impact to the point of disrupting banking practices for better performance of customer management policy. Dematerialization, as a fundamental component of digitalization, aims to make commercial banks more competitive by highlighting the policy of dematerialization in the offering of financial products. Since the beginning of the 2000s, the banking and financial sector has been faced with a total remodeling of its traditional 167 transactions. The disruptive actors in these profound changes are the “fin-techs”, new arrivals on the financial sector which have been able to disprove the received idea that traditional banks own all banking activity. Simply put, new solutions have proven necessary for a wide-covered ground and variety of lenders, so the push to digital is becoming a priority. Thus, it is clearly obvious to highlighting the existential necessity for the real advantage of digitalization to the banking sector in the dematerialization of financial instruments. Keywords: Banking-digitalization-financial instruments- digitalization-banking operations-Ntic-Ohada Plan sommaire Introduction I. II. III. IV. V. VI. VII. Evolution du droit bancaire congolais Bref regard du droit bancaire. Réformes intervenues dans ledit système Impact de la numérisation sur les opérations bancaires. Rôle de la nouvelle technologie dans les opérations de crédit. Législation communautaire sur la dématérialisation des instruments financiers. Conditions de création et de détention des instruments financiers dématérialisés. Conclusion ………………………………………………………………. Introduction Les nouvelles technologies d’information et de communication engendrent pour chacun d’entre nous un nouveau rapport dans le monde des affaires, une nouvelle façon d’appréhender le temps et l’espace, une autre manière de concevoir l’information, les connaissances et l’autonomie d’action, de transactions commerciales, économiques, financières et sociales n’échappent plus à ce nouveau mode d’existence. De ce fait, elles introduisent une série de révolutions en chaîne dans notre vie quotidienne, comme c’est le cas d’ailleurs dans le secteur bancaire357. Les auteurs experts attitrés dans le domaine, vont jusqu’à parler d’un nouveau concept qu’est la "disruption numérique", c’est-à-dire d'une rupture entre le système traditionnel et classique dans le secteur bancaire d'avec le mode actuel et moderne 357 KLEIN (O), « Banque et nouvelles technologies : la nouvelle donne » ; in revue d’économie financière 168 reposant sur la digitalisation dans le secteur de la vie économique et financière dans un sens large358. La numérisation ou la digitalisation, les deux vocales signifiant la même chose, touche et redéfinit tous les aspects de la vie publique, de la vie socioéconomique et de la vie financière. Elle préside désormais sur l'archivage électronique, la dématérialisation des procédures administratives, fiscales, financières, commerciales et bancaires. Aucun domaine dans le secteur des affaires n'échappe dès lors à la digitalisation ou à la numérisation359. Ainsi, dénote-t-on une révolution commerciale qui bouleverse, d'une part, les rapports entre les producteurs, les distributeurs et, d'autre part, les clients et les tierces personnes notamment le fisc et les créanciers obligataires ou toute autre personne physique ou morale contractant avec l’entité économique ou commerciale. Ces derniers voient, en effet, leur pouvoir très renforcé puisqu’ils sont aujourd’hui plus libres d’agir, plus avertis, ils disposent de plus d’informations, peuvent comparer les prix et bénéficient ainsi d’une plus grande liberté de choix. C’est ce que nous appelons la « révolution client ». Elle est devenue le centre d’intérêt des entreprises. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre elles développent depuis quelque temps des discours orientés vers les clients, comme si la préoccupation était nouvelle. La seconde est que les rapports de pouvoir se trouvent donc inversés au bénéfice du client. Mais, dans bon nombre de secteurs économiques diversifiés, ce phénomène est également perceptible dans les rapports entre les producteurs et les distributeurs. La position de ces derniers se trouve alors potentiellement renforcée. De toute évidence, la prise de pouvoir du client met fin à la hiérarchie traditionnelle, née au XXème siècle, reposant sur la capacité du producteur360 à imposer ses produits aux distributeurs qu’il a choisis et sur celle du distributeur à imposer ces mêmes produits aux consommateurs. Cette disruption numérique, soulignent Émile Laroche et Josh Denis précités, « va apporter un nouvel attribut de performance qui permettra de remplacer les anciennes technologies. C'est donc un phénomène de rupture qui fissure les modèles traditionnels et qui «évince» des marchés certains acteurs qui n'ont pas su se réinventer, innover, répondre rapidement aux bouleversements (nouveaux) technologiques, et par conséquent ne survivent pas ». En outre elle s'avère indispensable d'autant plus qu'elle favorise la dématérialisation des produits financiers et d’autres types de produits financiers dérivés. Toutefois cette révolution (disruption numérique) n’a pas 358 359 360 GUERRERO (G.G), Disruption numérique et impacts sectoriels, Paris, disponible en ligne : https://www.bsi-economics.org/547-disruption-numerique-impacts-sectoriels, consulté le 15 août 2023. Voir LAROCHE (J.E), et DENIS (B.J), Les enjeux de la digitalisation et perspectives de performance du secteur bancaire, Paris, Éditions Saint Honoré, 2020. KHARÖL (P), Effets de la digitalisation sur l’économie et les services publics : quand la numérisation se globalise, Genève, édition de CRAEM, p.120. 169 laissé le secteur bancaire indifférent comme nous pouvons nous en apercevoir. Somme toute, il est débusqué certains défis sur multiples fronts. Particulièrement du point de vue professionnel, les établissements de crédits ou les banques congolaises œuvrant dans le secteur privé, sont affectées par des facteurs macroéconomique et des exigences en capitaux alors que du point vue technologique, elles sont impactées par un environnement en disruption numérique en constante évolution qui plus, demeure soumise incessamment à une prolifération des nouvelles technologies qui n’arrêtent pas de se développer. Pour preuve, l’intelligence économique qui d’ores et déjà, soulève des polémiques entre scientifiques et professionnels bancaires. Ces défis n’ont pas seulement impacté le potentiel de croissance de la profession bancaire, mais ils ont aussi entrainé des changements dans la manière dont les interactions ont lieu entre les banques et leurs clients. Ainsi, les banques luttent pour se conformer aux attentes grandissantes des clients, lesquelles sont suscitées par des nouveaux entrants technologiques361. Diversité des intentions, rapidité de diffusion de l’innovation, bouleversement des modes de consommation, mutation de l’organisation du travail, révolution des données362, somme toute, les changements sociétaux induits par la révolution digitale sont multiples, profonds et durables, et l’accélération phénoménale363. A cet effet, on ne peut nier que les réseaux bancaires sont au cœur et un moteur de l’innovation. Au vu de ce qui précède, le présent article examine la préoccupation des retombées de la nouvelle technologie sur le droit bancaire qui fait exclusivement l’objet de notre étude. Il s’agit d’une part, de nous interroger sur la régulation existante par le législateur congolais en rapport avec la numérisation du secteur bancaire et d’autre part, de tirer comprendre les enjeux et perspectives en lien avec l’évolution du comportement et des attentes des clients vis-vis des banques364. D’explorer également les avantages sécuritaires et indispensables à l’épanouissement des affaires et de l’épargne, offerts par la présence des banques en ligne, d’en expliciter la transformation nécessaire des banques traditionnelles face à l’arrivée des banques mobiles sur le marché national et enfin, d’évaluer les innovation apportées par la technologie numérique dans le secteur bancaire. CICHOWLAS (A), « Technologie et transformation des services bancaires : l’exemple de technovision de CAP Gemini », disponible en ligne : www.cairn.info/revue_d’économie-financière2015, n° 120, pp.35-56., (consulté le 19 août 2023). 362 KHARÖL (P) et HELENE (F), Qui du secteur bancaire et financier face aux nouveaux produits financiers ? Genève, édition de CRAEM, p.120. 363 Idem, p.121. 364 RICARDO (G), Digitalisation des marchés financiers en en Asie : émergence de la transformation numérique, Sfax, Presses universitaires de Sfax, pp.34-39. 361 170 I. Evolution du droit bancaire Au cœur du droit bancaire se trouve le commerce de l’argent, ce bien précieux, qui a toujours été l’une des principales préoccupations des organisations ou entités de toute taille. La réalisation des différents projets nourris par les ménages nécessite le plus souvent l’intervention des banques sous forme de prêts divers. Par le droit bancaire, il faut entendre comme l’ensemble des règles visant à régir les activités exercées à titre de profession habituelle par les établissements de crédit. Il régit donc à la fois, le droit des professionnels et celui des opérations de banque365. L’activité bancaire est fondée sur la réception de dépôts du public et l’affectation des sommes reçues à des opérations de crédit et à des opérations financières. Cette analyse est fort éloignée de la réalité économique, en supposant que les banques se bornent à redistribuer les dépôts reçus alors que leur activité fondamentale est le crédit366. Cette définition montre que le droit est à la fois un droit des acteurs et un droit des activités367. Le droit bancaire est une expression parfois délaissée au profit de celle de droit de crédit368. La réalisation des projets nécessite toujours l’argent ; il a toujours été une des préoccupations humaines, sans argent dans le monde contemporain comme dans le monde moderne, il n’est pas possible de développer une quelconque activité. Cela nécessite généralement l’intervention des intermédiaires comme les banques. Ces dernières ne datent pas d’aujourd’hui quand bien même elles connaissent une certaine évolution. D’où l’importance d’interroger l’histoire pour mieux appréhender son fonctionnement datant et ainsi cerner l’essence même de l’amélioration du système bancaire grâce aux nouvelles technologies. Ainsi ce chapitre s’articulera autour de l’évolution du système bancaire congolais et les reformes intervenues dans ce domaine. II. Bref aperçu du système bancaire congolais Etant donné que le métier de la banque est aussi vieux que la monnaie, parler de l’origine existentielle de la banque reviendrait à parler de l’usage de la monnaie. Il est démontré qu’il a existé bien avant la colonisation sur le territoire congolais des monnaies convertibles qui ont permis les échanges entre les différentes populations des royaumes, empires et d’autres territoires. Somme toute, l’avènement des banques commerciales et d’investissements, reste la résultante de la monnaie bien avant que 365 LUABA NKUNA (D), Manuel de droit bancaire et monétaire, cours aux apprenants du troisième cycle 2018-2020, p.7, inédit 366 GAVALDA (G) et STOUFFLET (J), Manuel de droit bancaire « institutions-comptes, opérationsservices, 7ème édition, Paris, Litec, 2008, p.19. 367 BONNEAU (T), Droit bancaire, 13e édition, Paris, LGDJ, 2019, pp.13-14. 368 Idem, p.14. 171 l’or ne soit changé en unité de monnaie fiduciaire et en monnaie scripturale369. Lorsque la banque centrale achète des obligations d'Etat sur le marché primaire, elle crée néanmoins de la monnaie de façon indirecte. En effet, la banque centrale paye les titres qu'elle acquière au moyen de liquidités qu'elle crée ex nihilo 370. En effet, divers objets ont été utilisés comme monnaie par plusieurs communautés du Congo. Selon la Banque Centrale, cette monnaie était préférable par rapport aux autres suite à sa forme et difficile à contrefaire. Cependant, en raison de l’exploitation abusive, de ces coquilles par les arrivants portugais, il en résulta une forte dévaluation du « nzimbu » à l’époque comme la première de l’histoire monétaire congolaise et sa substitution par les tissus du pays371 connus par presque toutes les communautés congolaises avant la colonisation372. A. Système bancaire congolais durant la période d’avant et d’après l’indépendance à nos jours Bien plus, avant l’arrivée des occidentaux, les forgerons congolais avaient à fondre le fer et le cuivre et à fabriquer divers objets comme par exemple la population du Katanga qui par la suite d’abondance des métaux et spécialement du cuivre facilita la fabrication des monnaies, y compris les croisettes, bracelets, annaux appelées « luhanu » ou « luleano ». Malgré les influences extérieures par l’effet des conquêtes, nous pouvons assumer qu’il a existé une organisation légale autour des rois, empereurs et autres autorités de l’époque qui a permis cette stabilité373. En dépit de ce qui précède, on peut convenir que le système bancaire congolais moderne est de formation récente et en perpétuelle adaptation. B. Deux grandes périodes : de l’État indépendant du Congo à l’indépendance du 30 juin 1960 et à nos jours Il peut se subdiviser en deux grandes périodes, la première allant de la proclamation de l’Etat indépendant du Congo à l’indépendance le 30 juin 1960 et la 369 DAVID GAUTHIRER (P), Apport de la transformation numérique dans la gestion des ressources humaines, p.54. Voir NINGANGA MASIALA (J), La monnaie ayant en cours en RD Congo, cahiers de droit et d’économie monétaire, p.78. Et document disponible en ligne : officiel www.bcc.cd, pour plus de détails sur la monnaie congolaise avant la colonisation. Lire également en ligne sur : https://chainglob.com/monnaie-au-congo-rdc-histoire/. En effet, l’histoire monétaire du Congo (celle bien documentée) commence à 1887, lorsque le colon Belge Léopold II dota à l’Etat Indépendant du Congo (ancienne appellation de la RDC) sa propre monnaie; le Franc congolais (CDF). A l’époque, la valeur du CDF était équivalente à celle du franc-or belge. Le franc congolais est resté usuel jusqu’en 1967, sept ans après l’indépendance du Congo (DRC). Ce changement a eu lieu suite à la prise du pouvoir du Maréchal Mobutu qui a changé le nom du pays, celui du fleuve Congo et de la monnaie en Zaïre. 370 https://www.lafinancepourtous.com ›, consulté le 19 novembre 2023 à22h55 371 ANNIE (C), op.cit., p.56. PUTU KIWANDA (D), Droit bancaire congolais, 1ère édition, Kinshasa, Médiaspaul, 2015, p.50. 373 Idem, p.51. 372 172 seconde du 30 juin 1960 à nos jours374. Avant la colonisation, l’économie congolaise n’était pas monétaire, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existait pas d’activité commerciale, bien au contraire au contraire375. Au cours des années dernières, la technologie a influencé de façon importante la presque totalité des secteurs de l’économie. Des façons plus spécifiques, les nouvelles technologies ont modifié la façon dont les entreprises du secteur entrent en contact avec leurs clients376. De la proclamation de l’Etat indépendant du Congo à l’indépendance, le Congo n’exerçait pas encore sa souveraineté monétaire et le système mis en place parait presque opaque. Pendant toute cette période, une banque privée aura donc exercé les fonctions de la banque centrale alors que la supervision du secteur bancaire était assurée par la commission Bancaire Belge en toute opacité377. La banque s’engageait à assurer le service de la caisse et de la trésorerie dans ses succursales et agences aux conditions d’une convention spéciale signée le 07 juillet 1911 ; avec comme conséquence, l’émission de billets était autorisée à Matadi, Léopoldville, Stanley ville et Elisabethville et dans toutes autres succursales ou agences désignées avec l’accord du ministre des colonies, sans que le nombre des centres d’émission ne puisse être supérieur à six. Le secteur de la micro finance n’a, au cours de la même période, été organisé qu’après 1950. Mais cette législation est embryonnaire et inadaptée aux institutions financières comme les établissements de crédits378. En outre, tout en étant conscient que l’utilisation des billets et des pièces comme moyen de paiement n’irait pas sans mal379. L’absence des établissements de crédit public ainsi que l’effritement presque total des participations publiques ; pareil les institutions financières spécialisées qui se font rares actuellement380. I. Des réformes intervenues dans le système bancaire congolais Les développements qui précèdent démontrent donc que le système bancaire d’abord était devenu non seulement inadapté et obsolète mais aussi qu’il ne répondait plus à ses fonctions traditionnelles et aux attentes des ménages. Au-delà de tout ce qui précède, il s’est observé récemment un renouveau mais en même temps une modernisation du système bancaire congolais. D’où différentes réformes sont intervenues et cette évolution positive découle des réformes entreprises depuis 1997 DAVID MARTIN (V), Droit bancaire et numérisation : regard d’Afrique, Paris, Saint Honoré, p.34. 375 LUABA NKUNA (D), op. cit., p.2. 376 BÉLISLE (D), L’impact de l’utilisation des technologies bancaires libre-service sur l’intérêt du consommateur pour l’approche relationnelle, Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de maitrise en science à l’école des hautes études commerciales affiliée à l’Université de Montréal, 2001, p.17 377 PUTU KIWANDA, op.cit., p.52. 378 Document disponible en ligne : www.bcc.cd, consulté le 18 août 2023. 379 MALLARD DUPONT (F), Histoire des banques en Afrique, 2ème édition revue, Paris, PUF, 2022, pp.45-47. 380 Idem, p.48. 374 173 et qui se poursuivent de nos jours, vu les exigences de la numérisation et de la digitalisation de l’économie à travers le monde381. Dans la même optique, on note que ces évidences factuelles dans le secteur bancaire, sont notamment marquées par l’adaptation du cadre légal, liquidation et restructuration des banques, le renforcement de la supervision des établissements bancaires et d’autres intermédiaires financiers y compris la modernisation des infrastructures relatives au système national de paiement382. Au départ, la réforme a visé entre autre l’encadrement de l’introduction de la nouvelle monnaie, l’unification de l’espace monétaire national dans lequel circulait les différentes monnaies, l’homogénéisation de l’éventail fiduciaire, le rapprochement des taux de change à travers les différentes provinces, le contrôle des émissions monétaires ainsi que l’équilibre budgétaire par la limitation des dépenses de l’Etat en fonction des recettes effectivement encaissées383. Ainsi après avoir obtenu à partir du mois d’avril 1998 la résorption des enclaves monétaires et de la convergence des taux de change, le franc congolais fut lancé le 30 juin 1998. Au niveau de la Banque Centrale du Congo, plusieurs pesanteurs étaient identifiées, en l’occurrence, la prépondérance des structures logistiques non liées aux missions essentielles de la Banque, comme l’Hôtel des monnaies, les services médicaux, l’atelier de menuiserie et de garage, etc384. Le diagnostic tiré de l’échec du système financier d’avant 1997 commandait d’adapter la législation aux standards internationaux, ainsi les lois suivantes ont servi de support aux différentes réformes notamment : - Décret-loi n°004 relatif au régime des opérations en monnaies nationale et étrangères en République Démocratique du Congo ; Loi n°002/2002 portant dispositions applicables aux coopératives d’épargne et de crédit ; Loi n°003/2002 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit ; Loi n°005 relative à la constitution, à l’organisation et au fonctionnement de la Banque Centrale du Congo ; Décret-loi n°064 du 24 avril 1998 portant régime d’exemption relatif à la restructuration de la Banque Centrale du Congo ; Le Décret-loi n°065 du 24 avril 1998 portant régime spécial de la restructuration des banques et institutions financières ; Loi n°04/016 portant lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; 381 SUMATA (C), Gestion bancaire Kinshasa, CRIDP, UPN, p. 32. Voir BCC, « Plan stratégique de la BCC 2010-2013 », Kinshasa, Décembre 2010. 383 MASENGU MULONGO, Contribution à l’assainissement du système financier congolais, Kinshasa, 2004. 384 PUTU KIWANDA, op.cit., pp. 63-69. 382 174 - Loi n°18/027 du 13 décembre 2018 portant organisation et fonctionnement de la Banque Centrale. A ces textes législatifs dont la liste n’est pas exhaustive, il convient de mentionner de nombreux textes réglementaires d’origine diverse en l’occurrence les instructions385 de la Banque Centrale du Congo qui ont force de lois selon le Professeur Bankandeja wa Mpungu (G)386. Soit dit en passant, un marché boursier est un marché sur lequel les investisseurs, qu'ils soient particuliers ou professionnels, propriétaires d'un ou plusieurs comptes en bourse, peuvent acheter ou vendre différentes valeurs mobilières387. Cet auteur qui plaide en faveur d’une institution d’un marché financier au sens d’une Bourse de valeurs mobilières, est relayé par le professeur Muanda Nkole wa Yahve (D.J.)388 qui à son tour, affirme que : « l’on ne peut confondre le marché financier et le système bancaire car en République Démocratique du Congo, le législateur depuis l’accession à l’indépendance n’a toujours pas institué un marché boursier, causant ainsi une absence de capacité d’absorption de cotation des sociétés commerciales. Les sociétés cotées, les sont à l’étranger. Ce qui représente une perte en termes de fiscalité d’entreprise de sociétés multinationales et de groupe de sociétés tel que le souhaite le législateur communautaire de l’OHADA. Ainsi, noteon, un manque à gagner fiscal et comptable dans le secteur des entreprises marchandes ou industrielles ou sociétés commerciales cotées en bourse »389. IV. Impact de la numérisation sur les opérations bancaires en Républiques Démocratique du Congo Au terme de l’article 3 de la Loi n° 003/2002 du 02 février 2002 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit : « la banque est un établissement de crédit habilité de façon générale à recevoir du public des fonds à vue, à terme fixe ou avec préavis et à effectuer toutes les autres opérations de banque ». Les opérations de banque comprennent essentiellement : - la réception et la collecte des fonds du public ; les opérations de crédit ; 385 Document disponible en ligne dans https://www.bcc.cd/operations-etmarches/reglementation/instructions, consulté le 25 septembre 2023. 386 Lire à ce sujet : BAKANDEJA wa MPUNGU (G), Les finances publiques en République démocratique du Congo, Bruylant, 2020, p.54. 387 Idem, p.34. 388 MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), Droit pénal des affaires : infractions relevant du droit bancaire et financier, droit économique, droit commercial et droit des sociétés Franceville, 2ème édition revue et augmentée, Editions africaines du CERDA, Université Omar Bongo et Université de Sorbonne Paris 1, 2022, pp.105.110. 389 Idem, 112. 175 - les opérations de paiement et ; la gestion des moyens de paiement. Etant donné que la banque inscrit l’innovation technologique dans son développement, elle développe constamment des nouveaux produits afin de réaliser ces différentes opérations lui conférer par la loi. Ainsi, nous verrons les différentes innovations apportées grâce à la technologie à la réception et la collecte des fonds publics, aux opérations de crédit. Cependant, il sied de noter que la numérisation du système bancaire telle qu’abordée dans le présent article, doit être différenciée de la numérisation de transaction des opérations et des produits financiers via le mobile money et des institutions de microfinance. Ainsi, la première et fondamentale différence entre les opérations bancaires ; celles de mobile money et celles de structures de microfinance, repose sur ce qui suit : A. Réception et collecte de fonds publics : différence d’avec les institutions de microfinance La réception et la collecte des fonds publics se réalisent à travers les sommes déposées par les utilisateurs de services de paiement sur les comptes de paiement qu’ils ouvrent auprès d’établissement de paiement. Le dépôt de fonds en banque est une forme de dépôt très particulière ayant la nature juridique d’un contrat car le banquier n’est pas tenu de restituer la chose qu’il a reçu mais seulement son équivalent : s’il reçoit des espèces, il restitue souvent par paiement d’un chèque, virement, etc. Selon l’article 6 de la loi n°003/2002 du 2 février 2002 « sont considérés comme reçu du public, le fonds qu’une personne requiert d’un tiers notamment sous forme des dépôts avec le droit d’en disposer pour son propre compte, mais à charge pour elle de les restituer »390. Pour réaliser ces dépôts, le client est appelé à ouvrir un compte à la banque. Et cette ouverture était datant fait en remplissant un formulaire, deux photos passeport mais à l’ère de la technologie, certaines banques ont adopté l’ouverture des comptes numérisés et bio-métrisés avec empreinte digitale. Cela s’opère à l’aide des logiciels amplitude et delta. B. Nouvelle technologie dans les opérations de paiement et gestion des moyens de paiement La loi de 2002 relative à l’activité et aux contrôles des établissements de crédit, donne aux moyens de paiement la définition suivante : « sont considérées comme moyens de paiement tous les instruments qui, quel que soit le support ou le 390 Lire l’article 6 de la Loi n° 003/2002 du 02 février 2002 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit 176 procédé technique utilisé, permettent à toute personne de transférer des fonds ». La loi numéro 18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement et de règlement énumère bon nombre d’instruments de paiement à savoir : le chèque, le billet à ordre, lettre de change, ordre de virement, l’avis de prélèvement et la carte de paiement391. Ainsi, prenant en compte la qualité de la personne qui donne l’ordre de paiement, on peut classer ces instruments en deux grandes catégories : ceux initiés par le débiteur (chèque, billet à ordre, espèces, virement, carte de paiement) et ceux initiés par le créancier (lettre de change et avis de prélèvement). Le chèque392 était l’instrument le plus utilisés dans le système bancaire pour effectuer des transferts. Cela exigeait du client un déplacement vers leurs banques pour réaliser ces opérations. Le chèque est un effet de commerce par lequel une personne appelée tireur donne au tiré qui est obligatoirement la banque, l’ordre de payer le bénéficiaire393. Le billet à ordre est un écrit par lequel le tireur s’engage à payer une somme à une échéance déterminée à son fournisseur, le bénéficiaire. Les espèces désignent une monnaie qui a cours légal. Le recourt à ses moyens de paiement est toutefois limité essentiellement afin d’éviter la fraude fiscale. Son intervention en tant qu’opération de banque se justifie par la considération du retrait des fonds pour compte propre comme une opération de paiement au regard du droit bancaire. Sans nul doute, plusieurs retraits de fonds en République Démocratique du Congo s’effectuent en espèces après le simple remplissage d’un bordereau de retrait indiquant, notamment le numéro de compte et le montant à retirer394. Le virement bancaire est un transfert d’argent pouvant s’effectuer entre deux comptes ouverts dans le même établissement bancaire ou entre deux comptes domiciliés dans des enseignes différentes. La carte de paiement est un moyen de paiement au même titre que l’argent liquide, consistant à la glisser dans le terminal de paiement électronique et confirmer la transaction à l’aide d’un code PIN personnel ou signature. L’article 3 point 6 de la loi n 18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement et de règlement titres définit tout instrument de transfert électronique de fonds, émis par les émetteurs d’instruments de paiement agréés dont les fonctions sont supportées par une carte de paiement ou intelligente, permettant à son titulaire de retirer ou de transférer des fonds. Voir l’article 3 de la loi susmentionnée. Pour approfondir la question, lire : DANIELLA MELANIE (M.F), Les instruments financiers, Presses Universitaires de Toulouse, pp.67 393 Pour approfondir le sujet, lire : AKER (J.C) et MBITI (M), Mobile Phones and Economic development in Africa, THL, 20110, p.7. 394 LUABA NKUNA, op.cit., p.109. 391 392 177 Avec les nouvelles technologies, plusieurs autres instruments de paiement ont vu naissance tels que : le mobile « Banking et le fin-tech ». Ces nouveaux outils numériques ont altéré deux paramètres, le facteur temps et le facteur distance. La relation entre le client et sa banque est devenue immédiate et l’achat de produits ou de services bancaires se fait maintenant à distance. Le client pousse de moins en moins la porte de son agence bancaire, sauf pour traiter de ses projets de vie significatifs. Et c’est bien là, le cœur du réacteur. L’entreprise banque plus spécifiquement la banque commerciale n’échappe pas à ces bouleversements, bien au contraire, étant au cœur de l’activité économique. D’autant qu’apparaissent de nouveaux acteurs, comme les start-up de la finance digitale, les « Fin-Tech395 » qui, en réinventant le parcours client ou en développant des savoir-faire sur certaines des activités historiques des banques, viennent les aiguillonner et les obliger à accélérer leur mutation. Qu’il s’agisse de la banque en ligne, du mobile banking, du paiement et, plus généralement, de la relation entre la banque et ses clients particuliers, l’accélération de la révolution numérique pousse inévitablement à se demander s’il y a encore de la place pour des agences bancaires au coin de la rue. Selon nous, la réponse est positive. Il va de soit de la télématisation dont de manière banale est la mécanisation des opérations bancaires a succédé avec divers phases l’informatisation ou pour utiliser le langage euro-technocratiques la télématisation, avec une rapidité des mutations qui a même vite dépassé ce stade396. Avec l’arrivé de la technologie dans le secteur bancaire, la banque centrale n’est du reste déphaser. Cela est couché dans l’instruction n°37 relative au système de conservation, règlement et de livraison des titres géré par la banque centrale du Congo. Le marché congolais est monétaire, c’est-à-dire celui du court terme, avec les extensions récentes de cette notion397. Il faut bien se rendre à l’évidence : Dans un contexte de défiance accrue des consommateurs, les banques doivent répondre aux nouvelles exigences de leurs clients, qui expriment une forte attente de proximité (quel que soit le canal utilisé), de praticité, comme de pertinence et de personnalisation accrues du conseil apporté. Les clients veulent une banque plus simple, plus pratique à utiliser et à joindre. La praticité se décline tant en termes d’accueil, d’horaires, de canaux de relation avec son conseiller pour, le cas échéant, ne pas avoir à se déplacer, que de disponibilité et de stabilité de leur interlocuteur. Les clients sont également demandeurs de conseils accrus et de plus en plus 395 Terme signifiant « Financial technology », en français : « technologie financière ». NYEMBO TAMPAKANYA, L’organisation des marchés financiers en République Démocratique du Congo : pour l’instauration d’une bourse des valeurs mobilières, Thèse de doctorat en vue de l’obtention du grade de docteur en Droit de l’Université de Kinshasa, soutenue et publiquement le 16/02/2016, p.603. 397 NYEMBO TAMPAKANYA, op.cit., p.320. 396 178 appropriés ; ils exigent ainsi une vraie personnalisation de la relation, donc, ici encore, une stabilité de leur conseiller398. A notre humble avis, la seule issue passe par la réinvention de la banque de proximité. La relation personnelle entre un conseiller et son client n’est pas négociable, surtout dans un groupe bancaire composé de banques régionales de proximité dont la force réside dans la capacité à promouvoir ce que nous pouvons appeler la « banque sans distance », par différence avec la notion de « banque à distance », qui fait l’hypothèse qu’une banque complète peut se passer totalement d’un réseau d’agences. Que recouvre ce concept ? Tout naturellement, ce qu’exigent les clients avec la révolution technologique, sans couper court avec une relation personnalisée forte, c’est plus de praticité et de valeur ajoutée. Conserver un relationnel fort avec son conseiller bancaire, mais par le canal de son choix, téléphone, email ou rendez-vous physique, en fonction du sujet que l’on veut traiter, du moment de la journée, etc. Mais ce concept recouvre aussi une meilleure réponse au besoin d’un conseil encore plus avisé, plus pertinent, plus approprié. Fini les produits que les banques cherchaient à vendre par le biais d’une succession de campagnes indifférenciées. Il serait en outre particulièrement dangereux de proposer à des clients très informés des conseillers qui en sauraient parfois moins qu’eux-mêmes399. Pourvu qu’elle soit plus agile, plus interconnectée et plus proactive, la banque de réseau a tout en main pour préserver sa relation fondamentale avec ses clients en croisant sa force la proximité avec les nouveaux outils Internet, tablette, smartphone, en combinant au sein de chaque agence le meilleur de la banque traditionnelle et le meilleur de la banque en ligne. Concrètement, dans chaque agence, chaque conseiller devient ainsi le porteur du multicanal. Ce qui revient, comme nous le disions, à offrir au client la possibilité de traiter, selon son choix, les sujets d’importance avec son conseiller attitré face à face, par téléphone ou par email, sans se déplacer et, surtout, avec toujours le même conseiller. Le reste, c’est-à-dire la banque au quotidien, se traite évidemment sur téléphone mobile ou via les guichets automatiques. Combe (E) renseigne qu’on peut en outre parfaitement développer, parallèlement aux agences, des banques en ligne avec des conseillers attitrés pour les clients très mobiles ou très peu disponibles. L’auteur renchérit que : « un tel modèle de « banque sans distance » engendre automatiquement des coûts salariaux plus élevés que ceux d’une banque à distance de type « low cost ». Cela conduit la banque à concentrer ses ressources à commencer par ses collaborateurs sur l’apport d’une valeur ajoutée, pour justifier la rémunération du service proposé et, partant, à miser sur le capital 398 Voy. Klein O., « Banque et nouvelles technologies : la nouvelle donne », disponible en ligne, dans : https : //www.cairn.info/revue-d-economie-financiere-2015-4-page-17.htm, consulté le 18 août 2023 à 15 heures 30. 399 Idem. 179 humain, seul véritable facteur de différenciation dans la banque. Les produits ne font pas la différence ». De par la réglementation et la très grande facilité à être copiés, ils sont le plus souvent très semblables dans toutes les banques. Le vrai facteur d’avantages compétitifs réside dans la qualité de la relation personnalisée, donc dans le facteur humain, d’où le caractère crucial de la capacité de mobilisation et de la pertinence des équipes de conseillers. La compétence, la réactivité et la proactivité sont clés400. Henrica Dorothee (P.J)401 pense que : « la digitalisation des institutions bancaires en Afrique subsaharienne, a apporté plus de souplesse mais que le taux de pénétration bancaire pose encore problème dans certaines pays africains. De ce fait, l’explosion des données, conséquence de la digitalisation, et le développement des technologies permettant de les analyser ouvrent de nouvelles perspectives encore difficiles à appréhender. Il est cependant acquis qu’une utilisation intelligente et non intrusive d’outils de CRM de dernière génération, fondée sur une analyse fine des big data, permet non seulement de faciliter le parcours client, mais aussi de répondre et surtout d’anticiper les besoins de chacun. Les conseillers sont alors en mesure de répondre aux nouvelles attentes de leurs clients, de développer avec eux des solutions parfaitement adaptées et pertinentes ou de les solliciter à bon escient pour leur permettre de mener leurs projets de vie402. Parmi les instruments dématérialisés de la banque, notons aussi que les paiements en ligne, couramment désignés de e-paiement, sont effectués par internet403 et permettent notamment la réalisation de paiement par carte à distance ainsi que l’exécution des virements ou de prélèvements par le biais de service bancaire en ligne ou le payeur passe par un portail bancaire en ligne pour s’authentifier. L’usage de la monnaie électronique est également un instrument de paiement dématérialisé qui est stocké sous forme électronique, y compris magnétique reposant sur un contrat conclu entre émetteur et détenteur404. La Banque centrale du Congo a mis en place un logiciel du système de conservation de règlement et de livraison des titres « SCRLT » en abréger. Le SCRLT est la propriété de la Banque Centrale du Congo, qui veille à son fonctionnement harmonieux et continu. A ce titre, elle assure : 400 COMBE (E), Lw cost, une révolution économique et démocratique, Paris, « Fondapol », p.56. HENRICA DOROTHEE (P.J), Effets de distorsion numérique, Paris, « Maison du livre », p.34. 402 Développements tirés des sources disponibles en ligne, dans : http : //doi.org/10.3917/ecofi.120.0017, consulté le 19 août 2023. 403 ESPAGNON (V), « Le paiement d’une somme d’argent sur internet : évolution ou révolution du droit des moyens de paiement ? » dans JCP, 1999, éd. E, I, 131. Spéc., n° 7 et n° 11 et s. Voir également, du même auteur, « l’ordre de paiement d’une somme émis sur internet », Rév. Dr bancaire et bourse, n°71, janvier-février, 1999. 404 BONNEAU (T), op.cit., pp.502-503. 401 180 - - Un accès réseau sécurisé aux émetteurs et aux participants au SCRLT conformément aux dispositions de l’article 27 de la présente instruction. Un manuel des procédures définit les protocoles d’accès y relatifs. Ce manuel précise notamment la solution de secours applicable en cas de dysfonctionnement du réseau ou du SCRLT et le moment d’irrecevabilité ; La maintenance du SCRLT ; Tout autre service à valeur ajoutée405. Nous pouvons lire avec ce système, la Banque Centrale décline toute responsabilité pour les routages des ordres vers le SCRLT pris en charge par un autre prestataire des services informatiques406, ce qui n’est pas du tout normal car la banque fait présager un climat de méfiance à l’endroit des émetteurs, alors qu’elle devrait prendre toute précaution sécuritaire et assumer en cas de dérapage. L’accès au dit système pour permettre à sécuriser les opérations qui s’effectuent à travers la SCRLT, à l’aide d’un code, dont chaque participant garantit et prend l’engagement que ce système soit protégé contre toute utilisation non autorisés407. V. Rôle de la nouvelle technologie dans les opérations de crédit Depuis le début des années 2000, le secteur bancaire et financier se confronte à un remodelage total de ses activités traditionnelles. Les acteurs disruptifs de ces changements profonds sont les « fin-techs », nouveaux arrivants sur le marché qui ont su faire mentir l’idée reçue selon laquelle les banques traditionnelles étaient détentrices de toute l’activité bancaire. En effet, dès 1994, Bill Gates donne le ton et déclare « banking is necessary, banks are not ». Dans cette dynamique, la branche du crédit ne fait pas exception et des acteurs émergents pour répondre à des besoins de plus en plus exigeants, pressants et trop souvent laissés pour compte par les acteurs traditionnels bien en place408. Même si les dérogations au monopole bancaire se multiplient, et rappelons que la pratique des habituelle des opérations de crédit est réservée aux établissements de crédit et aux sociétés de financement409. Le crédit constitue une technique de financement. Cet octroi des crédits consiste à soutenir les entreprises et les ménages. Signalons qu’avec la nouvelle technologie, il y a un logiciel maintenant qui calcul les échéances et les intérêts idoines et certaine banque tente déjà ce mécanisme, c’est Lire l’article 26.1 de l’instruction n°37 relative au système de conservation, de règlement et de livraison des titres géré par la Banque Centrale du Congo de 2019. 406 Voir l’article 26-2 de la même instruction. 407 MUANDA NKOLE WA YAHVE (D.J.), La dématérialisation des instruments financiers : aperçu du secteur bancaire congolais, Paris, édition Saint Honoré, 2020, pp.56-59. 408 www.https://skaleet.com/blog/le-credit-dans-une-nouvelle-ere-technologique/ consulté le 10/10/2023 à 13h04 409 DEKEUWER (D), op.cit., p.115. 405 181 le cas notamment de la Rawbank qui a déjà instauré le « Smart contract » dans l’opération de crédit. En plus des disrupteurs du marché remettant en cause le statu quo, le comportement des consommateurs a clairement changé. Ceci, associé aux effets du COVID-19, conduit à de nouvelles façons de prêter. Avec des réglementations changeantes, une demande accrue et des troubles du marché, le secteur des prêts est plus compliqué que jamais. Les prêteurs veulent accélérer les réponses aux demandes d’emprunts et fournir le meilleur service à leurs clients, en minimisant les risques. Pour livrer, ils cherchent à concevoir des produits agiles grâce à la digitalisation. En termes simples, de nouvelles solutions sont nécessaires pour une large variété de prêteurs, la poussée vers le digital reste donc une priorité410. Il appert capital de démontrer également de la nécessité de l’apport de la numérisation au secteur bancaire dans la dématérialisation des instruments financiers en République Démocratique du Congo. A. Problématique de la dématérialisation des instruments financiers en République démocratique du Congo Il convient de relever que pour le besoin de leur financement, depuis l'avènement de la désintermédiation, la mobiliérisation et la titrisation des actifs financiers, toutes les sociétés des capitaux, à moins de n'y avoir pas été autorisées, émettaient des documents dénommés« titres»411 qui étaient représentatifs des valeurs investies par les actionnaires, les porteurs de parts ou par les obligataires 412. Il y a peu, leur cession avait lieu par simple remise du titre papier à l'acheteur par le vendeur des instruments financiers413. On distinguait en effet, deux catégories de titres : au porteur et nominatifs. Les premiers étaient ceux dans lesquels le propriétaire restait anonyme ; son nom n'y étant nullement mentionné, seule la 410 411 412 413 Document disponible en ligne : www.https://skaleet.com/blog/le-credit-dans-une-nouvelle-eretechnologique/ consulté le 10/10/2023 à 13h04 MORRISON (A.D), «Credit derivatives, disintermediation and investment decisions», Working Paper, Oxford University, May. DJ MUANDA NKOLE WA YAHVE ET AHMED MOUSTAFA N’GNGUESSA M., « La Dématérialisation des Valeurs Mobilières et L'économie numérique dans la pratique des affaires en Afrique, séminaire de formation, 3ème Session de formation, Lomé, du 12 au 14juillet 2020, p.28-35. Avant, le titre au porteur matérialisait le droit qui l'avait vu naître. C'est-à-dire que ce droit était incorporé au titre, il faisait corps avec le titre. Celui qui avait le titre avait aussi, de surcroît, le droit qu'il contenait en lui-même. Il s'en dégage que le droit du détenteur du titre était considéré d'une certaine manière comme portant sur une chose matérielle. Et la circulation de ce droit incorporé se faisait sous un mode de transmission, facilité par le caractère matériel du titre : la tradition du bien. « Titres au porteur», disponible en ligne : www.google.fi ; consulté le 18 mai 2006. Lire aussi Causse H., Principe. Nature et logique de la dématérialisation, Paris, éd. JCP, Paris, 1992, p.54. 182 possession du titre lui en conférait, de plein droit, propriété ; en d'autres termes, le détenteur de titres au porteur était présupposé en être, d'office, propriétaire. Ces titres existaient sous forme matérielle (sur papier) que sous forme scripturale (sous dos sier). Un éventuel transfert de leur propriété intervenait par simple transfert physique (forme matérielle) ou par virement vers le dossier-titres d'un tiers (forme scripturale)414. Par contre, les seconds mentionnaient clairement le nom du titulaire. Ils étaient inscrits au registre des actionnaires de l'entreprise au nom d'une personne bien définie et ne pouvaient être cédés que moyennant le respect des procédures spécifiques et des dispositions statutaires415. Les conséquences de cette matérialisation des actifs financiers sur l'efficacité des systèmes financiers des États cependant, le manque de la croissance économique réelle d’une part et d'un développement fulgurant des opérations du marché se sont avérées systématiquement regrettables face à tous les risques auxquels ses derniers étaient exposés d’autre part ; d’où la nécessité de la dématérialisation pour République démocratique du Congo. Devant des divers problèmes de sécurité et de fiabilité des investissements posés par le système des instruments matérialisés, un besoin urgent de réforme s'est fait sentir dans presque tous les pays à forte économie de marchés. B. Législation interne face à la dématérialisation des valeurs mobilières en RDC Les textes juridiques précurseurs de ce système sont très récents et plusieurs n’en ont pas encore pris connaissance jusque-là du fait du défaut ou du moins de la conception des mécanismes nationaux de vulgarisation ; dont le décret n°18/025 du 11 juin 2018 portant modalités d’émission et de remboursement des bons du trésor et la loi n°18/019 du 09/07/2018 relative aux systèmes de paiement et de règlement- 414 Don José MUANDA explique que : « dans les titres au porteur, les droits du titulaire étaient incorporés dans le certificat d'action (ou d'obligation) établi par la société émettrice de telle sorte que le porteur du titre en était réputé propriétaire. Le titre au porteur était cessible par simple tradition, c'est-à-dire par remise de main à main. Toutefois, les sociétés faisant appel public à l'épargne avaient la faculté d'opter pour un régime d'inscription de leurs actions, qu'elles soient nominatives ou au porteur, dans un compte ouvert au nom de leur propriétaire, soit par la société émettrice, soit par un intermédiaire financier agréé par le ministre chargé de l'économie et des finances, leur transmission s'opérant alors par virement de compte à compte. Ancien article 7642° de l'acte uniforme de l'OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et groupement d'intérêt économique ». 415 Les droits du titulaire des titres nominatifs résultaient de la seule inscription dans les registres de la société, le certificat nominatif délivré en pratique par la société émettrice ne valant pas en luimême titre de propriété. FOYER (J.), La dématérialisation des valeurs mobilières en France, Mélanges Flattet. Lausanne, 1985, p.2. 183 titre ; le législateur a généralisé la dématérialisation qui, n’était prévue jusque-là que pour certains titres sur le sol camerounais416. Néanmoins, l'expression« titres financiers» n'a toujours pas été cisaillée du vocabulaire juridique national des marchés financiers. Ce qui présage une confusion entre les titres et les instruments financiers417. Les instruments financiers sont des titres ou contrats, qui peuvent pour certains se négocier sur les marchés réglementés ; Pour d'autres, ils sont utilisés pour anticiper une rentabilité ou un risque financier ou monétaire. A titre d'exemple, une action d'une société cotée en bourse, est un instrument financier ; alors qu’un titre financier représente un droit de propriété. C'est une reconnaissance qu'une personne ou une organisation est propriétaire d'une partie du capital de la société ou alors d'une partie de la dette d'une société418. La dématérialisation des titres au porteur est un système par lequel la loi française a séparé le droit du titre qui le constate. Désormais, le droit existe séparément du titre, dans un registre tenu à cet effet. L'acquisition du droit est enregistrée au profit de celui qui transige avec la société émettrice. Ce système ne s'est pas amené de lui-même sans cause. Il a fallu que le législateur français y eût trouvé avantage sur le plan économique. C'est ainsi qu'il réduit les coûts d'émission du titre et apporte aussi certains autres avantages sur le plan fiscal. Le système de dématérialisation en soi n'est pas sans conséquences sur la nouvelle considération que nous devons faire au titre au porteur et sur le droit qui le sous-tend. Si cession des valeurs mobilières admises aux opérations d’un dépositaire central ou livrées dans un système de règlement et de livraison agrée par l’organe compétent de chaque Etat partie, s’il y a, cette inscription sera effectuée à la date et selon les conditions définies par l’autorité de marché compétente. Pour les autres cas, l’inscription est faite à la date convenue par l’accord des parties tout en notifiant la société émettrice. De cette révision découle l’obligation pour chaque 416 417 418 La République Démocratique du Congo également en dépit du vide juridique sur la question de l’organisation du marché financier, prévoit tout de même la dématérialisation des valeurs des instruments financiers en vue de se conformer au droit Ohada, La République Démocratique du Congo, en dépit du vide juridique entretenu en matière d'organisation des marchés financiers des capitaux, prévoit tout de même la dématérialisation des instruments financiers en vue de se conformer à la législation communautaire qui, du reste, n'a consacré que la dématérialisation des valeurs mobilières, renvoyant la possibilité de celle des instruments financiers du marché monétaire aux autorités compétentes des États parties; mais cette confusion n'a également pas semblé être détectée par le législateur. ROSETTE MARIER-FRANCE, la dématérialisation des produits financiers face au Droit OHADA, quelle interaction ? Bruxelles, IPSO, « actes de colloque », Université Libre de Bruxelles, pp.231. 184 valeur mobilière, peu importe sa forme, de faire objet d’une inscription au compte et au nom du propriétaire419. VI. Législation communautaire sur la dématérialisation des instruments financiers Dès alors que la République Démocratique du Congo adhère à l’OHADA, le mot dématérialisation ne figurait dans l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et GIE. Il a fait son entré en 2014, après la révision faite le 30 janvier de la même année, et en République démocratique du Congo logiquement ce concept apparait et cela sur pied de l’article 744 qui adapte les régimes des opérations boursières communautaires aux exigences modernes des marchés financiers. Cette révision a apporté des innovations suivantes : - l’intégration de la distinction entre le marché des capitaux, le marché monétaire et le marché dérivé ou à terme ; la consécration de l’émission par les sociétés anonymes des instruments financiers autres que les valeurs mobilières et la soumission de la fixation de leurs régimes, forme et caractéristiques à la réglementation de l’autorité compétente de l’Etat partie. Cependant, il se dégage néanmoins, certaine contradiction à l’idée de la dématérialisation contenue dans les articles 744 et 744-1 notamment dans la consécration de la dualité de titres à l’article 745 AUSCGIE, ainsi facilitant la transition des titres aux porteurs et (matérialisé) de celui-ci dématérialisé instauré avec l’avènement de l’OHADA. Les valeurs mobilières confèrent des droits identiques en donnant accès directement et indirectement à une quotité du capital de la société émettrice ou à un droit de créance général sur son patrimoine par catégories. L’émission des parts bénéficiaires et des parts de fondateur est interdite ; les sociétés anonymes peuvent aussi conclure des contrats financiers, également appelés instruments financiers à terme, cas échéant, dans les conditions fixées par l’autorité étatique compétente de chaque Etat. Il convient de se demander si ceci n'a pas été précipité par le législateur. Etaitil donc opportun de consacrer la dématérialisation des valeurs mobilières alors que les marchés financiers des capitaux, cadre idéal de leurs émission et circulation, n'ont pas encore été organisés ? Nous estimons, de notre part, que cette dématérialisation concerne également les instruments financiers délivrés aux fondateurs de la société en contrepartie de leurs apports, quoiqu'en dehors du cadre de marchés financiers ; 419 MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J) et MOUSTAFA N’GNGUESSA (M), « la dématérialisation des valeurs mobilières et l’économie numérique dans la pratique des affaires en Afrique, séminaire de formation, 3e session de formation, Lomé, du 12 au 14 juillet 2020, p.p2835 185 ce qui implique, dorénavant, la délivrance, par les nouvelles sociétés, des instruments financiers aux fondateurs à travers leur inscription aux comptes ouverts en leurs noms ; et la conversion des titres des anciennes sociétés en instruments financiers dématérialisés420. Cependant, la loi n°18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement et de règlement-titres, y compris la loi n°18/027 du 13 décembre 2023 portant organisation et fonctionnement de la Banque Centrale avec l'intégration des divers procédés électroniques y relatifs, a apporté sans doute une autre innovation majeure dans l'arsenal juridique congolais, à l'instar de la dématérialisation sus évoquée, y consacrent l'exclusivité de cette dématérialisation qui traduit par la soumission de tout instrument financier à l'obligation d'inscription est appelée à réglementer les marchés monétaires et promouvoir les marchés des capitaux » et les articles 23 respectifs qui disposent : « la banque réglemente, par voie d'instructions, les opérations sur les marchés monétaires. A cet effet, die est habilitée à déterminer les entités autorisées à émettre des instruments financiers sur ce marché et à fixer les règles régissant les marchés primaires relatifs à ces instruments. En outre, la banque fixe des règles : régissant les marchés secondaires relatifs à ces instruments, notamment les critères et les conditions d'éligibilité des différents participants à ces marchés ; de fonctionnement de ce marché ; relatives à la liquidation des opérations sur ces instruments ». Les acteurs de la dématérialisation sont notamment, les émetteurs, les teneurs de comptes conservateurs (principalement les établissements de crédit) et le dépositaire central dont le rôle en République Démocratique du Congo est fondamentalement joué par la Banque Centrale qui est l'autorité de régulation et de contrôle des marchés monétaires421. Par ailleurs, le décret n°18/025 du 11 juin 2018 fixant les modalités d'émission et de remboursement des bons du trésor et obligations du trésor n'a du moins pas été muet sur la notion de la dématérialisation des instruments financiers en République Démocratique du Congo. Les articles 5 et suivants de ce texte prévoient le principe de l'exclusivité de ce système en écartant, donc, toute possibilité de la détention des bons et obligations du trésor sous forme de titres, quels qu'ils soient, en République Démocratique du Congo422. Cependant, il faut le rappeler, la confusion entre titres et instruments financiers décriée ci-haut a été reprise par les autorités congolaises tant dans le décret du 11 juin que dans la loi du 09 juillet ci-dessus. L'article 1 de ce décret dispose : « l'État peut émettre des titres représentatifs d'emprunts publics appelés bons du trésor MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), MOUSTAFA (A) N’GNGUESSA (M), op.cit., pp. 28-35 Voir les articles 14 à 18 de la loi n° 18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement et de règlement-titres. Et l’article 23 loi n°18/027 du 13 décembre 2018 portant organisation et fonctionnement de la banque centrale. 422 MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), MOUSTAFA (A) et N’GNGUESSA (M), op.cit., p.45. 420 421 186 et obligations du trésor»423 ; l'article 4 du même texte s'ajoute à ce constat en définissant les bons et obligations du trésor comme des titres424. En plus, le libellé même de la loi du 09 juillet 2018 précitée commence par faire preuve de l'entretien de ce quiproquo en parlant du règlement-titres alors que son contenu consacre la dématérialisation des instruments financiers, ce qui signifie l'absence de titres représentatifs de ces derniers. Cette situation nous parait très délicate et nécessite la correction de ces différentes imprécisions, d’apparences simples, mais qui peut causer plusieurs difficultés, surtout en ce qui concerne le contentieux qui porte, notamment sur les différentes modalités d'échange des instruments financiers dématérialisés. VII. Conditions de création et de détention des instruments financiers dématérialisés Tous les pays consacrant l'exclusivité du régime de la dématérialisation, suivent généralement ou doivent normalement mettre en place des mesures d’encadrement de la suppression des titres au porteur ou tout autre titre car dans un système d'instruments financiers425 exclusivement dématérialisés et soumis au régime d'inscription au compte- au nom du propriétaire et de la transmissibilité de compte à compte, l'émission des titres est pratiquement inimaginable, comme les nouveaux instruments financiers sont créés sous la forme détitrées. Ainsi, les titres créés antérieurement, qu'ils soient au porteur ou nominatifs, sont destinés à être détruits au profit des comptes ouverts au nom de leurs titulaires426. Telles sont les deux sources de création des instruments dématérialisés à l'ère actuel d'une véritable globalisation financière. 423 Article 1 du décret du 11 juin sus-évoqué Article 4 du texte susmentionné 425 Voir les articles 14 à 18 de la loi n° 18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement et de règlement-titres. 426 En France par exemple, la SICOVAM (Société Interprofessionnelle pour la Compensation des Valeurs Mobilières), renommée Euroclear, assure la compensation des titres. 92% des actions françaises seraient déjà en garde auprès d'un établissement financier. Pour les obligations, ce pourcentage est de l'ordre de 75 à 80. A la date du 31 mars 1983, la SICOVAM assurait la conservation de 1,5 l milliard de titres, dont 1.2 milliard de titres français et 0.3 milliard de titres étrangers. L'effectivité de la dématérialisation le 04 Novembre 1984 ne devait alors porter que sur la destruction d'environ 500 millions de titres, jadis au porteur. Un délai de cinq ans avait été accordé aux actionnaires pour procéder à l'échange. Pourtant tous les porteurs de ces titres ne se sont pas présentés. A l'expiration du délai accordé, les banques ont vendu par adjudication les droits associés aux titres non échangés. Le produit de la vente a été confié à la Caisse des Dépôts et des Consignations (CDC) pour 30 ans, délai de conservation pendant lequel elle a pour rôle de restituer l'argent aux éventuels détenteurs qui viendraient se présenter. Cependant, si au bout de 30 ans certains propriétaires légitimes ne se manifestent pas, la loi prévoit que l'intégralité de la 424 187 Après cette création, les instruments financiers doivent se négocier sur les marchés pour garantir la liquidité et l'accessibilité les caractérisant427.Pour parvenir à cette reconversion ou à la création de nouveaux instruments dématérialisés, il se pose une question de savoir la procédure à y mener et face à l'impossibilité de la transférabilité manuelle de ces instruments, comment arriver à obtenir la preuve de cette opération en cas de contentieux s’il échait. C’est donc autour de ses questions que nous allons tenter de répondre dans les lignes qui suivent. A. Conditions de création des instruments financiers dématérialisés D’entame, les législateurs dans quasi tous les États à forte économie de marchés convergent autour de l'idée telle que la procédure de dématérialisation obéisse aux règles suivantes : l’émetteur ou le teneur de compte-conservateur fasse inscrire en compte et délivre au propriétaire, son mandataire ou le détenteur des valeurs mobilières, l’attestation portant sur les caractéristiques suivi du nombre d'instruments qu'il détient ainsi à son inscription au compte, les valeurs mobilières et leurs caractéristiques sont centralisées chez le dépositaire central pour leur sécurisation, qui est chargé de la conservation, la coordination, le contrôle et la supervision des opérations de dématérialisation des valeurs mobilières ; en établissant l'information complète des valeurs inscrites au compte des instruments financiers est ouvert, soit par l'entreprise émettrice, soit par le teneur de compte conservateur selon les cas, question de centraliser auprès du dépositaire central pour une bonne sécurité l'un ou l'autre428. Par ailleurs, les titres nominatifs antérieurs à la dématérialisation peuvent facilement être inscrits au compte, même à l’absence de leurs titulaires, du fait que présence de ceux-ci ne pouvant servir qu'à la destruction physique de ces titres. Par contre, en ce qui concerne les anciens titres- au porteur, la présence de leurs titulaires auprès de l'entreprise émettrice ou du teneur de compte est exigée pour leur inscription au compte du fait de leur anonymat. La procédure se décline suivant le schéma ci-après en tenant compte de plusieurs éléments : somme reviendra alors de droit à l'État. MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), MOUSTAFA (A) et N’GNGUESSA (M), op.cit., p.56. 428 ABDEL (M), Les instruments financiers et la monnaie fiduciaire : quelles innovations, Paris, UCADF, coll. « Gestion et Banque », p78. 427 188 Certificat physique de titres ou souscription de Nouveaux instruments Inscription des Instruments financiers en compte Attestation de la matérialiste Centralisation auprès du dépositaire central Destruction des titres physiques (certificat de titres) Source : élaboré par nous-mêmes. 189 Cependant, par rapport à la procédure prévue par la loi n°18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement et de règlement-titres429 comme relevé précédemment, plusieurs flous demeurent notamment l'amalgame possible entre le rôle du teneur de compte conservateur et celui du dépositaire central. L'article 14 de cette loi dispose : « les titres financiers admis à la négociation d'un marché monétaire ou des capitaux, négociés sur les systèmes de négociation multilatérale ou éligibles au titre de garanties financières prévues par la présente loi sont inscrits en compte sous forme dématérialisée auprès d'un dépositaire central de titres », en plus d’attribuer plusieurs pouvoirs au dépositaire central à travers son article 15 qui dispose : « Le dépositaire central de titres : - réalise tout acte de conservation adapté à la nature et à la forme des titre financiers qui lui sont confiés ; ouvre et administre les comptes-titres ouverts au nom des participants ; assure l'administration des systèmes de règlement-livraison; opère tout transfert entre comptes-titres sur instruction de participants directement et, concomitamment aux livraisons des titres financiers, ordonnance, le cas échéant, les règlements en espèces correspondants; détient les titres financiers donnés en garantie par les participants ; fournit des services aux émetteurs des titres financiers; effectue toute autre prestation requise selon les instructions de la Banque Centrale ou de toute autre autorité de marché compétente. (. .. ) »430. Nonobstant le fait qu'il aurait fallu parler d'instruments financiers en lieu et place de titres, ces dispositions ne font aucune mention du teneur de compteconservateur tel que ci-haut analysé431. A quoi servirait le terme « central » si d'autres diverses institutions qui sont censés tenir les comptes avant leur centralisation, ne fonctionnent pas ! Si tous les comptes doivent être ouverts auprès du dépositaire central et que le nombre d'investisseurs titulaires d'instruments financiers s'accroit exponentiellement, sera-t-il réellement en mesure de les gérer facilement sans que la lourdeur administrative décourage les investisseurs, préjudiciable sans doute. De même l'avènement de l'instruction 38 bis relative au règlement général du marché des valeurs du trésor n’a pas répondu à ce flou, car, comme souligné, son inapplication peut se couvrir derrière le flou que laisse planer la loi432. 429 Article 14 de loi n°18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement et de règlementtitres 430 Article 15 de la loi sus citée 431 MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J) et MOUSTAFA (A) et N’GNGUESSA (M), p.82. 432 Idem, p.82. 190 Cette situation risque de mettre les juges devant de diverses difficultés d'interprétation en cas de contentieux. Il importe donc impérativement de clarifier en vue de prévenir toute incapacité au juge de trancher du litige. B. Conditions de détention des instruments financiers dématérialisés L'avènement de la dématérialisation433 consacre l'existence d'un droit sans titre qui constate ou pouvant lui servir de support. Ce système a fonctionné à partir de l'habitude qui s'est dégagée de placer les valeurs mobilières dans une caisse commune sans se soucier de leur individualité, en vue de l'inscription du droit y relatif sur un registre commun, moyennant remise au titulaire d'un coupon ou de tout autre certificat qui atteste l'existence de son droit. Cependant, ce droit, n'étant plus matérialisé, s'est converti en un bien meuble incorporel et ne conditionne plus son existence à la détention du document qui l'atteste434. Conclusion Comme nous l’avons dit en prélude, les nouvelles technologies engendrent pour chacun un nouveau rapport au monde, une nouvelle façon d’appréhender le temps et l’espace, une autre manière de concevoir l’information, les connaissances et l’autonomie d’action. La révolution technologique positionne les collaborateurs au centre de l’entreprise, avec des impacts sur l’organisation. La révolution technologique développe l’esprit d’entreprendre et devient un véritable enjeu pour les grandes entreprises. Les banques organisées en réseau entre les différentes parties de la banque ou entre différentes entreprises sont plus adaptables, plus agiles, absorbent mieux les chocs et gèrent mieux la complexité. Le facteur sociétal enfin doit aussi 433 434 Les modalités d'inscription en compte et de transferts des valeurs mobilières dématérialisées peuvent être résumées comme suit: Tenue des comptes: les comptes dans lesquels doivent être inscrits les instruments seront tenus, soit par l'émetteur (par exemple la société émettrice), soit par un teneur de compte - conservateur agréé (au Cameroun, par la Commission des Marchés Financiers). Les modalités d'inscription en compte et de fonctionnement des teneurs de compteconservateur agréés doivent être fixées par voie réglementaire; Justification d'inscription en compte: celle-ci donnera lieu à la délivrance par l'émetteur ou le teneur de compte-conservateur d'une attestation d'inscription en compte, établie au nom du propriétaire des instruments et précisant les caractéristiques et le nombre de titres détenus ; Virement de compte à compte : les valeurs mobilières se transmettent par virement de compte à compte. Des instruments nominatifs: la circulation des valeurs mobilières par inscription en compte n'exclut pas, pour les sociétés par actions. La tenue obligatoire d'un registre d'instruments nominatifs contenant toutes les mentions relatives aux opérations de transfert, de conversion, de nantissement et de séquestre d'instruments. OHADA. (…). Néanmoins, il existe sur fondement d'un contrat signé entre la société émettrice et l'investisseur et qui génère, soit une créance pour ce dernier sur la société émettrice (obligations), soit l'obtention par lui de la qualité d'actionnaire avec tous les avantages y relatifs (actions). Dans la mesure où le droit existe sans titre, il importe de voir, dans un premier temps, les différents droits issus de l'acquisition des instruments dématérialisés émis et, dans un second, les modalités de transférabilité de ceux-ci. 191 être traité très sérieusement, car la société devient une véritable partie prenante de l’entreprise, Internet et réseaux sociaux obligent. Les nouvelles technologies ont changé nos façons d’agir et notre rapport au monde. Nous sommes d’avis que l’entreprise-banque – plus spécifiquement la banque n’échappe pas à ces bouleversements, bien au contraire, étant au cœur de l’activité économique. Qu’il s’agisse de la banque en ligne, du mobile banking, du paiement et, plus généralement, de la relation entre la banque et ses clients particuliers, l’accélération de la révolution numérique pousse inévitablement à se demander s’il y a encore de la place pour des agences bancaires au coin de la rue. Les nouveaux outils numériques sont altéré deux paramètres, le facteur temps et le facteur distance. La relation entre le client et sa banque est devenue immédiate et l’achat de produits ou de services bancaires se fait maintenant à distance. Le client pousse de moins en moins la porte de son agence bancaire. Le reste, c’est-à-dire la banque au quotidien, se traite évidemment sur téléphone mobile ou via les guichets automatiques. En République Démocratique du Congo, seul une banque se démarque en innovant avec la technologie, nous citons la Rawbank qui a dématérialisé ses opérations bancaires notamment avec illico cash, d’où l’on peut faire ses transactions à partir de son téléphone, avec un chiffre d’affaire fortement considérable, d’où le plaidoyer serait que les autres banques exerçant au Congo d’emboiter le pas. * * * 192 Numérisation des services publics et archivage électronique en république démocratique du congo Par: KABASELE DIKEBELE Willy435& MUZIR KIMPANI Jabino436 Resumé Les organisations, les entreprises sociétaires et les services publics, cherchent désormais des moyens de convertir plus facilement les informations en données électroniques pouvant être stockées et recherchées facilement, permettant des workflows rapides et exacts, que ce soit au sein de l’entreprise ou chez les fournisseurs et les clients. Fort heureusement une solution s’offre. Il s’agit de la « transformation numérique » et son activité de soutien, avec comme, ambition fondamentale, celle de capturer autant d’informations que possible au format électronique et d’utiliser ces actifs numériques au sein des processus opérationnels plutôt que d’utiliser du papier. Le présent article examine les hypothèses émises en réponse au questionnement suivant : qu’est-ce que la numérisation ? Quels en sont les avantages ? Et Quel est l’état actuel des services publics et privés face à la numérisation ? Mots-clés : Administration – Archivage électronique – Innovations – Numérisation – Papier –Digitalisations des services publics et privés. Abstract Stocking paper information is extremely difficult, because even if the paper can be found, searching for information is necessarily a manual process and leads to paper archiving that does not appear easy. The organizations, corporate and public services are now looking for ways to more easily convert information into electronic data that can be stored and searched easily, enabling fast and accurate work-flows, whether within the company or with suppliers and customers. Fortunately, a solution is available, it is about the «digital transformation» and its support activity, 435 436 Ingénieur en Administration Réseaux et Télécommunication. Il est également Assistant de 2 ème mandat à l’Université Chrétienne Catholique Don Akam. L’auteur peut être contacté via : [email protected] Ingénieur en Conception des Systèmes Informatiques. Il est aussi Assistant de 1 èr mandat à l’Université Chrétienne Catholique Don Akam. Ci-dessous son adresse e-mail : [email protected] 193 with, as, fundamental ambition, capturing as much information as possible in electronic format and using these digital assets in business processes rather than using paper. This study examines what is digitization, its benefits and explains the current state of public and private services in the face of digitization. Keywords. Data-Dematerialization-Electronic-filing-Innovations-Digitization-FilePaper-Public and private services-Trading companies. Introduction Le présent article examine et commente en en termes de contribution au développement du numérique et de la digitalisation des services publics et de l’archivage électronique. L’objectif fondamentalement existentiel et scientifique consiste dans le plaidoyer d’une numérisation et de la digitalisation dans tous les secteurs concernés du pays : administration publique, administration privée, structures commerciales, parapubliques, structures économiques, sociétaires et à but lucratif, entreprises ou sociétés commerciales unipersonnelles étatiques congolaises et sociétés commerciales mixtes ou privées issu de l’OHADA. Bref, tous les secteurs relevant du cadre national des affaires. En République démocratique du Congo (RDC), l’Ordonnance-loi n°23/010 portant sur le Code du numérique a été promulguée le 13 mars 2023, marquant ainsi une étape importante dans le développement du secteur numérique dans le pays. Il vient combler le vide juridique et réglementer ainsi le secteur du numérique au Congo-Kinshasa. Au-delà de l’enthousiasme suscité par cette promulgation, plusieurs questions fondamentales substantielles demeurent sans réponses et méritent d’être discutées. Certaines sont relatives aux innovations et à la pertinence de ce code. D’autres concernent la capacité réelle de cet instrument juridique à contribuer à une meilleure protection des droits numériques et ses incidences sur l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il va falloir, enfin, analyser les défis de l’applicabilité effective du code de numérique dans le contexte de la République démocratique du Congo. A propos, reprenant fondamentalement le contenu sémantique et le corpus du Plan National du Numérique, Horizons 2025, on note : « qu’en 2015, la République Démocratique du Congo a élaboré son Programme National Stratégique de Développement (PNSD) qui donne le reflet de la vision gouvernementale et décline le cadre stratégique pour affronter les défis de développement. L’ambition du PNSD est de propulser la RDC au rang des pays à revenu intermédiaire en 2021, au rang des pays émergents en 2030, et au rang des pays développés en 2050. Cette ambition tient compte du processus de décentralisation que le pays a entamé depuis 2017, processus qui agence le champ de l’exercice du pouvoir central avec la libre administration des provinces. 194 En effet, depuis 2017, le pays compte 26 provinces aux potentialités diverses, sur lesquelles le Gouvernement entend accélérer le développement du pays. Les stratégies nationales prennent en compte les spécificités provinciales en les intégrant dans les objectifs globaux et vice-versa. L’élaboration des cadres stratégiques suit une démarche itérative437. À la faveur de la mise en œuvre de son Document de Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté (DSCRP) I et II, la République Démocratique du Congo a progressivement mis en place depuis 2010 des politiques sectorielles438. A propos, ce Document, élaboré par un groupe d’experts et spécialistes en numériques congolais et certains professeurs des Universités congolaises, spécialement en droit de TIC et en droit des affaires et, initié par la volonté déterminante du Chef de l’État et Président de la République, poursuit une visée nette et claire en sens qu’il vise une meilleure prise en charge des priorités stratégiques sectorielle, de même que leur mise en cohérence pour rester en phase avec les objectifs généraux de développement de moyen et long termes. Aujourd’hui, le papier représente un problème pour les organisations : la transcription manuelle de contenu du papier aux systèmes électroniques introduit non seulement tant d’erreurs liées aux caractéristiques du fort de l’humain mais le stockage de papier nécessite à la fois beaucoup d’espace, l’obligation de maintenir la qualité du papier pendant des délais légaux de plus en plus longs dans divers secteurs d’activité, expose à des aléas de toute nature accidentelle. Le stockage en papier devient de plus en plus coûteux et se heurte tant à de multiples obligations légales au plan international et national destinées à la protection de l’environnemental. En outre, on ne peut en douter, l’usage du papier induit des erreurs humaines manifestes et apporte des gros problèmes quant à sa conservation, la maintenance de sa qualité et sa pérennité. Le monde d’aujourd’hui a besoin d’évolution, et la numérisation s’impose comme un facteur clé pour y arriver. Ainsi à la question centrale : pourquoi faut-il numériser ? Les réponses ou les objectifs positifs poursuivis par la numérisation sont pléthoriques. Nous nous limitons à mentionner dans le cadre de cet article, quelques-uns parmi tant d’autres, spécialement ceux retenus par les doctrinaires de renommée. Il s’agit d’atteindre les objectifs en termes de performance, de rentabilité, de souplesse, d’efficacité et d’améliorer des conditions d’archivage. I.1. Préservation des documents La numérisation à des fins de préservation vise les documents dont le support est obsolète, qui présentent des altérations ou dont la manipulation peut causer une 437 Présidence de la République, « Plan National du Numérique Horizons 2025, pour une RD Congo connectée et performante », Kinshasa, septembre 2019, pp.2-4. 438 Document de Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté de la République Démocratique du Congo, 2010. 195 détérioration irréversible. Les documents originaux seront conservés, à moins qu’ils ne soient complètement irrécupérables. La copie numérisée constitue la copie de consultation privilégiée auprès des utilisateurs439. Ainsi, la numérisation contribue et améliore largement l’archivage électronique dans les services publics et dans les services privés. A ce titre, nombreux sont les avantages à tirer de l’archivage électronique en commençant par numériser toutes les opérations ou activités liées à l’administration comme le service de l’état civil par exemple. L’apport s’avère considérable au point que la numérisation ou la digitalisation fiscale à titre d’illustration, remplace en Afrique, progressivement la gestion de paperasse au sein desdites administrations fiscales. Précisons que lors de nos enquêtes par entretien libre, il a été constaté que proximité et accessibilité apparaissent comme les attentes principales des Congolais440 à l’égard des services publics. Les deux attentes les plus citées par les personnes interrogées ont été : d’une part la réponse aux demandes dans les délais annoncés et l’information sur l’avancement du dossier (cité par 84% des personnes interrogées), d’autre part le fait d’être joignables par téléphone ou en face-à-face et la facilitation des démarches en ligne (75%). Prenons le cas du secteur fiscal, on se rend compte que la numérisation ou la digitalisation fiscale, permet la performance, la rentabilité et l’efficacité dans l’atteinte des assignations des recettes fiscales en particulier et des ressources financières. C'est-à-dire toutes les recettes provenant des sources génératrices des institutions de la République, savoir : la fiscalité et la parafiscalité, d’où faut-il y inclure la digitalisation du domaine de l’État congolais comme le prône le Chef de l’États et Président de la République de la République, depuis le programme du Plan numérique 2030 pour favoriser entre autres, la synergie communicationnelle et relationnelle dans le cadre des ressources humaines. Il n’est pas question que de la digitalisation de l’Administration fiscale mais en in globo dans la vision du Chef de l’État de la numérisation de tous les services publics. Selon Tayazime (J) et Moutahaddib (A) : « la transformation numérique dans l’administration publique est un terme qui renvoie au changement de direction de l'administration numérique. La maturité des services d'administration en ligne peut constituer une estimation du niveau des gains de productivité interne générés par les pays grâce à l'utilisation des TIC. Le concept d’e-Participation est basé sur JEANNOT (G), La digitalisation face aux impératifs de la modernisation de l’Administration publique, Paris, édition « Science et Affaires », p.34. 440 D.J MUANDA NKOLE wa YAHVE et KIKUNI SAIDO ANSELME, Digitalisation des services publics cas de la commune de Selembao : étude à l’intention de la Cellule du Climat des Affaires à la Présidence de la République Démocratique du Congo, Kinshasa, éditions africaines du CERDA, 2023, pp.45. 439 196 l'utilisation des technologies de l'information et de la communication pour impliquer les citoyens dans la prise de décision »441. A en croire les auteurs spécialisés, le nouveau modèle de développement prend en compte forcément d’ici 2030, la digitalisation un centre d’intérêt. L'objectif principal de cette projection étant le fait de déterminer si les usagers de l'administration publique congolaise trouvent que la transformation digitale améliorera ses services. Certes, cette problématique soulevée par des doctrinaires, s’avère en quelque sorte le prolongement du questionnement central de la présente réflexion mais, il est également opportun d’y apporter d’emblée, une réponse affirmative tout en accélérant la mise en œuvre de la digitalisation des services publics pour amener l’Administration publique à l’usage de zéro papier quant à l’archivage. I.1.1. Diffusion des documents et archivage électronique La numérisation à des fins de diffusion vise les documents qui seront utilisés dans le cadre d’un projet de diffusion telle une exposition ou pour rendre accessibles des documents aux utilisateurs sur place ou à distance. Les documents originaux seront conservés, mais, comme dans le cas précédent, la consultation se fera à partir de la copie numérisée. Aujourd'hui le support d'archivage du document n'est plus obligatoirement un support papier mais aussi un support électronique442. C'est pourquoi, sensibilisés au problème de la conservation des documents, les entreprises ont recours à l'archivage électronique des documents, abandonnant ainsi l’archivage en papier qui fait désormais partie de la défunte méthode de conservation des documents authentiques et officiels. Comme le souligne le professeur Djereba (C)443, de l’Université de Lille, expert international en Sciences Informatique. La définition d'une politique d'archivage nécessite une démarche préalable d'analyse du patrimoine documentaire de l'entreprise (son origine, son utilisation et sa destination dans l'entreprise)444. Ensuite, il s'agit de déterminer les modes d'archivage puis les modalités de mise en œuvre d'un archivage en interne, c'est-à-dire au sein de l'entreprise445. Jihane TAYAZIME et Aziz MOUTAHADDIB, « La transformation digitale de l’Adlinistration publique au Maroc : La perception des usagers particuliers », In Journal of Businnes and Economics, Vol.9, N°1, 2021, p.1. 442 BETTY ABDALLAH (Ph), Les enjeux de la digitalisation dans les pays africains : cas des pays du Sahara et du Sub-saharien, Sfax, Presses universitaires de Sfax, pp.78.85. 443 Le professeur Charbaan DJEREBA a supervisé et codirigé le présent article conjointement avec le Professeur Don José MUANDA N. wa YAHVE. 444 ARIEL (F) et MARTT (O), La digitalisation face à l’OHADA, Paris, études Droit et Internet, pp.15. 445 VIJAYASARATHY (L.R), « characteristics and Internet shopping intentions. Internet Research », 411-426. https://doi.orgIl0.1l081l0662240210447164, consulté le 15 novembre 2023 à 12 heures 30. 441 197 A. Archivage électronique : enjeux actuels L’archivage électronique s’avère un outil de la numérisation des services publics mais aussi de toutes les entreprises et organisations de différentes natures comme l’avons souligné en reprenant et en citant les affirmations du professeur Claros Mathieu (G) dans son ouvrage sur la numérisation face aux impératifs de l’Administration publique et entreprises privées et publiques en Afrique qui y trouve des opportunités fructueuses446. En outre, la numérisation devient un outil pour les petits marchands et les entrepreneurs. Selon Kotler et al. (2016), grâce à la transparence d'Internet, les entrepreneurs dans les pays émergents peuvent s'inspirer de leurs homologues des pays développés. Enfin, la relation entre les entreprises et les consommateurs rencontre des changements. Leur relation s'intensifie, le service et le produit inclus447. Les clients deviennent plus en plus importants dans le développement de l'entreprise, selon le point de vue de l'innovation. Pour faire face à l'environnement digital actuel, les innovations internes ne suffirent plus pour être compétitif Aujourd'hui, l'innovation est horizontale, c'est-à-dire, le marché fournit les idées et les entreprises commercialisent les idées448. La transformation numérique des entreprises impacte plusieurs enjeux macroéconomiques, par exemple: la transformation du marché du travail, le salaire des employées, le phénomène d'inégalités sociales et les changements sur les emplois. Aussi, la digitalisation est capable de toucher plusieurs aspects de l'entreprise: les technologies de l'information, les stratégies, les produits, les processus internes et externes et la culture de l'entreprise. Il est possible de conclure que l'influence de la digitalisation peut se décomposer en trois dimensions : 1. l'efficacité d'Internet soit la qualité et la cohérence pour remplacer les étapes manuelles ; 2. les opportunités externes, soit l'amélioration dans la rapidité de répondre aux clients et dans le service à la clientèle ; 3. les changements subversifs (les innovations ruptures pour les opérations). Il est raisonnable de dire que l'essor de l'économie digitale peut être perçue comme une conséquence, responsable des changements successifs dans plusieurs domaines, comme : l'informatique, les réseaux sociaux, le savoir et les connaissances. Somme toute, les objets à archiver sont constitués dans la présente étude uniquement de fichiers électroniques. Un fichier électronique doit être compris comme un 446 CLAROS MATHIEU (G), livre paru aux éditions de Presses universitaires de Nantes, 2022, p.30. Idem, p.30 448 Ibid., p.35. 447 198 ensemble de données comprenant tout type de forme : texte, tableau, graphique, image, message, base de données… I.1.2. Structuration et archivage des données Dans l’organisation des données, chaque nœud de l’arborescence doit être défini de manière claire et significative. Le but est que chaque personne au premier regard sache ce que chaque branche renferme. La construction d’un background ou d’une arborescence en matière d’archivage numérique, s’élabore en se fondant sur une représentation qui doit mettre en évidence : - Le nom du dossier principal qui doit être explicite. - Quelques lignes pour décrire les données traitées dans ce dossier. La date à - laquelle le dossier a été créé. Le nom de la personne responsable de la gestion de ce dossier. La liste des sous-dossiers et leurs définitions. On note que l’arborescence d’un dossier pour reprendre l’expression des auteurs précités449 n’est pas figée dans le temps. La structure évoluera en fonction du volume d’information acquis par l’entreprise. Il faut que la personne responsable du dossier veille à ce que cette structure soit dynamique et évolutive tout en étant maîtrisée450. A. Objectifs de l’archivage Bouchetal, précité renchérit que : « les objectifs de l’archivage : L’archivage de certaines données a été mis en place pour éviter que le serveur soit saturé par un surplus d’information. Par conséquent, il est conseillé aux employés de n’enregistrer que les données indispensables dans leur travail quotidien. Quant aux données jugées trop anciennes et plus utiles, certaines seront effacées d’autres seront archivées en vue d’un usage ultérieur. Les données stockées prêtes à être archivées sont ensuite enregistrées sur des CD-ROM »451. Il existe aussi un archivage journalier qui permet le cas échéant de restaurer des données qui auraient malencontreusement été effacées ou perdues. Cet archivage quotidien se fait à l’aide de cassettes qui sont relevées 449 BOUCHETAL (C), Mise en place d'un système d'archivage électronique et étude d'un modèle de GED Ou comment améliorer la communication et la diffusion des informations au sein de Transénergie S.A., enssib, p.7. 450 ARNAUD (C), La gestion des ressources humaines et la numérisation, Liège, Université de Liège, p.145. 451 CLAUDIA NDEMEBELE (F), précité, p.94. 199 chaque début de semaine. Sur ces cassettes, il est possible de stocker jusqu’à trois semaines d’information452. Somme toute, cette transformation numérique spécifique apportera certes plus d’avantages par rapport aux procédures en papier qui restent exposées à tous genres de risques de destruction ou de perte irréversible453. Ces avantages sont à tirer du secteur public et du secteur privé dans la sphère des affaires comme le souligne le professeur Muanda Nkole wa Yahve (D.J), relayé par le professeur Kola Gonze (R) dans leurs interventions à l’occasion de la Conférence organisée par la Cellule du Climat des Affaires, organe rattaché à la Présidence de la République comme structure d’expertise et d’accompagnement en qualité de conseils en matière du Climat des Affaires auprès du Chef de l’État, son Excelle Monsieur le Président et Chef de l’État, Félix Antoine Tshisekedi454. Claudia Ndemebele (F), soutient en outre que : « Le développement dans les technologies informatiques, comme la révolution digitale, permettent de créer un environnement intelligent: « ... la révolution numérique promet des usines intelligentes, une organisation du travail intelligente, un management intelligent, ainsi que des villes intelligentes, des magasins intelligents, des systèmes de production d'énergie intelligents, des infrastructures de transport intelligentes ... »455. B. Sauvegarde des documents et substitution des documents La numérisation à des fins de sauvegarde de documents vise essentiellement des documents d’une importance vitale pour les institutions (documents essentiels) et qui nécessitent la conservation d’un deuxième exemplaire, par mesure de précaution (copie de sécurité). Habituellement, cette copie de sécurité sera effectuée sur un support différent et, de préférence, conservée dans un autre lieu que les originaux. Les documents originaux seront conservés, mais la consultation se fera à partir de la copie numérisée456. Quant au processus de substitution des documents, la numérisation à des fins de substitution vise à rationaliser les coûts de conservation liés aux espaces et aux ressources matérielles nécessaires pour l’entreposage des documents. Elle vise également à faciliter l’accès et la consultation des documents. Les documents originaux seront éliminés une fois que ceux-ci auront été numérisés et 452 Idem, p.94. CLAUDIA NDEMEBELE (F), Quid des avantages de la digitalisation, mémoire de Master professionnel en vue de l’obtention du grade de l’executive Master, ISC Kinshasa-ENGDE-Paris, (dr), KOLA GONZE (R) et MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), 2023, pp.60-72. 454 La Cellule du Climat des Affaires, est un service spécialisé auprès du Président de la République de la RD Congo dont les attributions sont définies par un décret présidentiel. 455 CLAUDIA NDEMEBELE (F), précité, p.93. 456 MARLOT (G), L’ère du numérique et les effets sur nos économies, Yaoundé II, UCDA, 2023, p.78. 453 200 qu’un contrôle de qualité en ait validé l’intégrité. Le recours à ce type de numérisation se répand de plus en plus dans les établissements universitaires, étant donné les problèmes de pénurie d’espace physique pour l’entreposage des documents dans les bureaux ou dans les dépôts de documents semi-actifs. Toutefois, la réalisation de ces projets doit être rigoureusement encadrée par des lois, des règlements et des normes afin de garantir la valeur de preuve des documents et leur pérennité457. I.1.3. Accessibilité aux services publics Il ne suffit pas de réussir cette mise en place institutionnelle numérique. Il importe de viser en outre, efficacement l’accès au service public, qui se rattache au principe d’égalité, est conditionné par deux éléments. Les auteurs s’accordent à dire qu’il faut de prime abord, ce qui est effectif, l’existence d’un service public ou de du service de manière plus globale. A cet égard, le développement des télé-services et télé-procédures, outil de modernisation de l’administration, conduit à une réévaluation de la répartition des moyens de l’administration. La transformation numérique permet d’envisager la suppression d’un certain nombre de services ayant perdu de leur pertinence et la création de nouveaux, rendus possibles par les outils informatiques. Sur le plan de l’organisation du service, les gains d’efficacité et de simplification offerts par la dématérialisation conduisent, dans une perspective d’économies budgétaires, à des réductions d’effectifs et de structures physiques. Et secondairement, l’accès au service est tributaire du fonctionnement du service public. Le fonctionnement du service public est, en principe, régi par les textes légaux et réglementaire congolais doivent tenir compte de l’égalité de la continuité, de la mutabilité et enfin de la satisfaction du public concerné458. Le principe d’accès au service public se rattache, aux trois principes des services publics459. Ainsi, réalise-t-on que le développement du numérique pouvant néanmoins conduire à des restrictions de l’accès au service pour les usagers, exige un encadrement des télé-services et des télé-procédures et un accompagnement des usagers afin de garantir une égalité d’accès au service public460. A. Cadre égal et accès au service public et prenant en considération la transformation numérique En droit interne congolais, le droit d’accès au service public ne trouve qu’un fondement limité dans les textes. La Constitution congolais en vigueur dans son 457 BRIGITTE Deville (F), Droit numérique face à la mondialisation, Paris, édilivre, p.79. DONNAT (B) et ALLAN (T), Droit numérique, PUF, 2023, p.79. 459 BIAMBA (J.P) et MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), les trois principes de l’Administration publique face à la numérisation du cadre des affaires OHADA, p.56. 460 CORMIER (T), Le numérique et l’accès aux services publics, Public Policy master Thesis, p.40. 458 201 préambule prône et garantit l'égalité d’accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture » et aux services publics qui s’y attachent461. B. Acteurs de l’économie numérique Les spécialistes de la question, distinguent quatre (4) catégories d’acteurs. 1) Les entreprises des secteurs producteurs des services des technologies de l’information et de la communication (STIC) au sens de l’OCDE ou de l’Insee, dont les activités s’exercent dans les domaines de l’informatique, des télécommunications et de l’électronique. Chiffre d’affaires 200 milliards d’euros. 2) Les entreprises dont l’existence est liée à l’émergence des TIC (services en ligne, jeux vidéo, e-commerce, médias et contenus en ligne…). En 2010, le e-commerce B to C représentait un chiffre d’affaires de 31 milliards d’euros 3) Les entreprises qui utilisent les TIC dans leur activité et gagnent en productivité grâce à elles (banques, assurances, automobile, aéronautique, distribution, administration et tourisme…)462. Les particuliers et les ménages qui utilisent les STIC dans leurs activités quotidiennes, pour les loisirs, la culture, la santé, l’éducation, la banque, les réseaux sociaux. D’après différentes études, les principales caractéristiques de l’économie numérique sont les suivantes : - 461 462 Elle accélère le rythme de l’innovation et de la diffusion des nouveaux biens et services. Elle entraîne des gains d’efficacité chez les utilisateurs ; Elle transforme les façons de faire et conduit à de nouvelles activités économiques. Elle est un des moteurs de l’économie verte ; Elle mobilise des investissements massifs en capital de risque qui s’accompagnement d’une exigence de rendement important : Elle conduit fréquemment à l’acquisition de positions dominantes sur le marché ; Elle est en mutation rapide et perpétuelle dans tous les secteurs, de sorte qu’il est difficile d’y déceler des points de stabilité ; Elle donne parfois lieu à de nouveaux modèles d’affaires permettant aux nouveaux acteurs de bouleverser les leaders traditionnels installés ; Idem, p.40 BELLEMARD (G) ET GORGES (K), Droit numérique, éditions africaines du CERDA-Pool Afrique de l’Ouest, p.45. 202 - Elle multiplie de façon systématique les lieux d’établissement de la consommation. Selon Bsi-economics (2020), même si la littérature est variée et riche il n’existe cependant pas de définition exacte de l’économie numérique. En effet elle ne se limite pas à un secteur d’activité particulier et englobe des concepts très différents. Elle résulte de l’utilisation répandue des nouvelles technologies, d’usage général tout d’abord dans le domaine de l’information et la communication ; néanmoins elle s’est transformée en une technologie universelle qui a eu des implications bien au-delà des technologies de l’information et de la communication (TIC)463. Elle a eu un impact sur tous les secteurs économiques, la croissance et la productivité des Etats sans oublier l’environnement des entreprises, les particuliers, les ménages et leur comportement. L’utilisation d’internet, par exemple, a permis le rassemblement des personnes et de moyens en dématérialisant la distance physique pour créer, développer et partager leurs idées donnant lieu à de nouveaux concepts, nouveaux contenus et par conséquence à la naissance d’une nouvelle génération d’entrepreneurs et des marchés. Le secteur des TIC regroupe les entreprises qui produisent des biens et services supportant le processus de numérisation de l’économie, c’est-à-dire la transformation des informations utilisées ou fournies en informations numériques (informatique, télécommunications, électronique)464. Le caractère transversal de l’économie numérique impacte tous les secteurs d’activité, elle est à l’origine des nouveaux secteurs innovants et a rendu l’existence d’autres secteurs dépendants de celle-ci. Elle regroupe le secteur des TIC, les secteurs utilisateurs et les secteurs à fort contenu numérique, ces derniers ne pourraient exister sans ces technologies465. Il arrive de se demander si à la lumière de l’évidence et de la digitalisation de notre ère, on est en droit de se demander si l’Afrique en général et la République Démocratique du Congo, participe aux efforts dictés par la mondialisation (économique surtout), à la numérisation ou à la digitalisation de ses structures étatiques et publiques, quand on note le grand retard observé dans le pays quant à ce466. 463 Idem, p.45. La transformation digitale procure de nombreuses opportunités pour les citoyens afin d'améliorer leur mode vie et leur bien-être, cependant il y a des risques à prévoir. Il est nécessaire de saisir les opportunités de cette transformation digitale avec les risques correspondants, et d'implémenter le cadre juridique et législatif au préalable. 465 Cité par KLEN DEAN, « Digitale Transformation - La plus grande révolution de l'industrie dans la révolution » in Science and technology, USA, Books-House, p.67. 466 BILOMBE MAPASA (J), Droit de la numérisation et protection des données privées en République Démocratique du Congo, Thèse de doctorat en vue de l’obtention du grade de docteur ès Sciences informatiques et Nouvelles Technologies, de l’Université de Lille en cotutelle avec l’Université Hassan II, 2021, p.55. 464 203 I.1.4. Digitalisation fiscale face aux petites et moyennes entreprises congolaises De nos jours, il semble difficile, a priori, d’isoler l’impact de la digitalisation des procédures fiscales, d’autres réformes de politique et d’administration fiscale ayant une incidence sur les performances escomptées de ces régies financières. Toutefois, l’impact de certaines réformes peut être perceptible au double plan quantitatif et qualitatif. L’usage d’Internet a pour effet d’accroître de 10 % la productivité des PME dans les pays où est implémentée la digitalisation fiscale et administrative. Les PME congolaises sont considérées faire un fort usage des technologies Web et exportent et croissent deux fois plus que les autres entreprises de grande taille. Elle (la transformation digitale), se réfère aux changements induits par le développement des technologies numériques qui se produisent un rythme effréné, qui bouleversent la manière dont est créé la valeur, les interactions sociales, la conduite des affaires et, plus généralement, notre façon de penser. La transformation digitale fait partie de ce qu’appelle l’innovation par la transformation complète qui est le quatrième et dernier type d’innovation aux cotés des innovations procédures, innovation produit et l’innovation de la valorisation de l’expérience client. En tant que stratégie d’innovation, la transformation digitale soutient la performance des entreprises en apportant de nouveaux investissements TIC ou en renforçant l’usage des TIC existantes. La transformation digitale a la particularité d’être plus aboutie, car elle transforme complètement le modèle d’affaire d’une entreprise ou la totalité de sa chaine de valeur dans un secteur, en configurant ses produits, procédures, et de ses expériences client, avec un juste équilibre entre les couts et les avantages donnés aux consommateurs ou aux acheteurs industriels. Dina Marcus (Ph), nous éclaire que l’économie digitale est une économie en formation, une économie de la connaissance, systémique et fonctionnant en réseau, une économie qui se joue des espaces et du temps. De manière globale on estime cette contribution n’a été que de 10 %11. Les retombées de l’usage des TIC d’ici 2030 sont estimées à 11 400 G$12, cogitant sur les pays africains, estime que si les pays développés continuent leurs avancées, on note un élan plutôt mou et lent en République Démocratique du Congo467. Congo I.1.5. Transformation numérique : une nécessité impérieuse pour la RD De toute évidence, Biang (O), pense que la transformation numérique stimule l’innovation, génère des gains de productivité et améliore les services tout en favorisant une croissance plus inclusive et plus durable ainsi qu’une amélioration du bien-être. Cela étant, la portée et la rapidité de ces changements soulèvent des défis 467 DINA MARCUS (Ph), Digitalisation des services publics au Maroc, Marrakech UGH, 2023, pp.40-45. 204 dans de nombreux domaines de l’action publique, dont la fiscalité. Aussi, la réforme du système fiscal international visant à relever les défis fiscaux que pose la transformation numérique de l’économie représente depuis plusieurs années une priorité pour la communauté internationale, qui s’est engagée à parvenir à une solution fondée sur un consensus d’ici la fin de l’année 2020468. A. Passage de l’économie matérielle à l’économie digitale Actuellement 70 % des grandes compagnies inscrites au Fortune 500 n’existent plus. Certaines ont perdu leur place dans le top 500 ou ont littéralement disparues à cause de la révolution digitale. Depuis 2011 la révolution digitale touche les grandes entreprises à mesure que les startups et les concurrents agiles trouveraient des moyens de transformer leur activité. L’économie digitale est une économie en formation, une économie de la connaissance, systémique et fonctionnant en réseau, une économie qui se joue des espaces et du temps469. Elle se traduit par le développement de nouveaux modèles d’affaires qui s’appuie sur une relation interactive avec le client. Il faut reconnaître que la digitalisation de l’économie a évolué. En quelques années une nouvelle composante s’est imposée comme moteur de croissance des économies : l’Immatériel. Le succès économique ne reposant plus sur la richesse des matières premières, comme ce fut le cas durant les trente glorieuses, mais plutôt sur un capital immatériel comme source d’avantage compétitif. Cette nouvelle économie a émergé au cours de la dernière décennie sous l’inclusion de deux facteurs : la mondialisation et le progrès technologique470. Celleci est considérablement différente de l’ancienne économie, car la connaissance a remplacé la productivité traditionnelle, émanant des ressources naturelles, avec comme résultat un changement des approches et des politiques de développement. Même si la nouvelle économie peut avoir des dangers tels que l’élargissement du fossé numérique entre pays riches et pauvres, elle offre des opportunités de développement, et a un impact sur la productivité et la croissance. B. Regard sur les défis fiscaux issus de la transformation numérique Moscovici P (2018), nous éclaire à ce sujet : ces défis fiscaux constituaient l’un des axes principaux du Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), qui a donné lieu à l’élaboration du Rapport sur l’Action 1 du Projet BEPS (Rapport sur l’Action 1) publié en 2015 (OCDE, 2017). Les auteurs du Rapport sur l’Action reconnaissaient que la transformation numérique 468 BIANG (O), Fiscalité et digitalisation au Congo, Université MARIEN NGOUABI, p.65. LEVY et JOUYET, cité par BIANG (O), précité, p.70. 470 CLAIRE MARIE, document disponible en ligne, par une double dimension digitale et humaine ». https://www.pwc.fr/fr/espace-presse/communiques-de-presse/2016/decembre/priorites-2017-dudaf.html., consulté le 20 novembre 2023. 469 205 touche l’économie toute entière et qu’en conséquence, il serait difficile, sinon impossible, de délimiter le champ de l’économie numérique. Depuis lors, les 137 membres du Cadre inclusif ont travaillé sur une solution mondiale basée sur une approche à deux piliers. Au titre du second pilier, le Cadre inclusif est convenu de réfléchir à une approche centrée sur les questions de BEPS non résolues en offrant une solution pour que les entreprises qui exercent leur activité à l’international s’acquittent systématiquement d’un impôt minimum. Clarke (D)471, énumère les caractéristiques suivantes de la nouvelle économique suivant sa théorie : 1. Production et distribution des bits électroniques plutôt que des atomes de matière physique ; 2. Une intensité croissante des connaissances dans toutes les industries, y compris celle du secteur des services ; 3. Une baisse de l’intensité des ressources de l’activité économique ; 4. L’augmentation des flux internationaux de capitaux, de technologies et de main d’œuvre qualifié. Des niveaux de productivité élevés et croissants dans le secteur manufacturier, spécialement dans les pays avancés, grâce à des bas couts de production. 5. La numérisation dans l’environnement économique est génératrice de réseau, porté par des biens et services complémentaires, qui donnent lieu à des innovations numériques, telles que les cartes bancaires, et distributeurs automatiques ; 6. L’économie virtuelle est caractérisée par les points suivants : devenant de plus en plus immatérielle ; 7. La compétitivité des entreprises est davantage fondée sur l’expérience promise ou pressentie par le consommateur que sur le produit ; 8. Les logiques et les stratégies concurrentielles reposent de plus en plus sur les technologies de l’information et les systèmes en réseau. Au premier rang figure l’internet ; 9. Le processus de gestion de l’information remplace le produit physique et s’approprie certaines contraintes472. Tout ce regard nouveau sur la digitalisation de l’économie et partant de la fiscalité, appelle de nouveaux instruments. Ainsi, dans beaucoup de disciplines ayant une interaction quintessentielle, assiste-t-on, à la disparition des intermédiaires traditionnels, ou les consommateurs passent directement par les prestataires. Grace à internet la relation entreprises/clients est facilitée, permettant à l’entreprise de 471 472 CLARKE DEAN, précité, p.89. CLAIRE MARIE et JEANNOT (G.P), La place de la numérisation dans le monde économique : études des enjeux et perspectives, Mémoire de Master de Recherche 2 en Droit des affaires, Université de Lille 2, p.10. 206 récolter des informations sur les gouts des clients actuels ou potentiels. A partir d’un click, un client peut comparer les prix de différents fournisseurs. C. Solution aux problématiques de BEPS non résolues liées à la numérisation de l’économie Selon le récent rapport des doctrinaires spécialiste, les experts poursuivent en affirmant que ce faisant, elle contribue à apporter une solution aux problématiques de BEPS non résolues liées à la numérisation de l’économie, numérisation qui va de pair avec un accroissement de l’importance relative des actifs incorporels dans la création de valeur, donnant aux entreprises du numérique souvent davantage d’opportunités pour recourir à des structures d’optimisation via un transfert des bénéfices. Le deuxième pilier laisse les juridictions libres de déterminer leur propre système fiscal, elles ont ainsi le choix de mettre en place un impôt sur les bénéfices des sociétés et d’en définir les taux et prévoit le droit d’autres juridictions d’appliquer les règles contenues dans le présent rapport lorsque les bénéfices sont taxés à un taux effectif inférieur à un taux minimum473. Conscients des coûts liés à la charge administrative et au respect des obligations fiscales, les membres du Cadre inclusif ont également décidé de simplifier toute règle autant que le permet le contexte de la politique fiscale, y compris en envisageant de possibles mesures de simplification. Après l’adoption du Programme de travail en mai 2019, le Cadre inclusif s’est attaché à développer les différents aspects du Pilier Deux. Une consultation publique organisée le 9 décembre 2019 a rassemblé plus de 150 contributions écrites, totalisant plus de 1300 pages provenant d’un large éventail d’entreprises, d’associations sectorielles, de cabinets juridiques et de conseil et d’organisations non gouvernementales, qui ont apporté un éclairage essentiel sur la conception de nombreux aspects du deuxième Pilier (OCDE, 2019)474. II.1. Les 5 étapes retenues dans notre étude Les cinq étapes ci-après, ont retenu notre attention : A. Etape 1 : Les objectifs à définir La première étape de numérisation consiste à en définir les objectifs et les buts. Il faut commencer par se poser les questions suivantes : 473 474 Pourquoi numériser un document ? Pour quel usage ? Visons-nous la protection et la préservation du document, ou souhaitons-nous gagner de la place ? Ce document a-t-il une valeur légale ? Idem, p.12. En consultant les ouvrages qui parlent de la numérisation, nous avons constaté qu’il n’y a pas d’unanimité dans le nombre d’étapes à franchir pour numériser les données. 207 L’objectif de cette étape est de déterminer le choix du format, la résolution des documents numériques, l’utilisation d’une numérisation simple ou numérisation fidèle pour garder la valeur probante des documents. B. Etape 2 : Les documents à sélectionner L’étape suivante est l’identification des documents à numériser. La fréquence de l’utilisation des documents, leur consultation, leurs durées de conservation, leur état de dégradation éventuel, leur confidentialité, ou encore leur valeur légale, sont autant de facteurs à prendre en compte afin de sélectionner les documents à numériser. Ainsi, la dématérialisation peut débuter avec une première prise en charge contenant les documents définis comme prioritaires, puis s’étaler dans le temps avec des numérisations « à la demande » qui se feront au fur et à mesure des besoins. C. Etape 3 : Les ressources à analyser Il est nécessaire de dresser un inventaire des ressources matérielles (scanners, ordinateurs, logiciels, réseaux et serveurs, locaux nécessaires, matériel), humaines et financières disponibles pour une bonne finalité dans la dématérialisation. D. Etape 4 : Numérisation des documents Cette étape nous permettra de transformer le flux de documents papier en données numériques. Elle comporte quatre (4) sous-étapes décrites ci-dessous : - - - - Soulevez le capot supérieur et placez le document sur la vitre. Ensuite, fermez le capot supérieur. N’oubliez pas de placer le papier qui contient les informations ou l’image que vous voulez numériser, face vers le bas, c’est-àdire que le côté vierge du papier doit être tourné vers le haut. Recherchez le bouton « Scanner » ou « Démarrer la numérisation » sur le scanner. Ensuite, appuyez sur le bouton pour commencer à numériser votre document. À partir de votre ordinateur, cliquez sur Démarrer – Tous les programmes. Sélectionnez le nom du scanner et le type de scanner. Sélectionnez ensuite Numériser. Une boîte de dialogue s’ouvre et vous demande ce que vous souhaitez faire. Sélectionnez l’option appropriée dans la liste donnée. Ensuite, enregistrez votre document numérisé en tant que fichier. Après avoir numérisé votre document, une boîte de dialogue Enregistrer s’ouvre. Sélectionnez un emplacement sur votre ordinateur où vous souhaitez enregistrer le document. Saisissez un nom de fichier approprié pour le document numérisé. Sélectionnez un type de fichier approprié dans la liste donnée, généralement PDF ou JPEG. Cliquez sur Enregistrer. 208 Etant donné qu’au centre de la numérisation on retrouve les données, il est donc important qu’on définisse la numérisation de données. Rappelons que la numérisation des données est le premier processus de transformation numérique de l’entreprise. La société utilise un logiciel de numérisation pour extraire, capturer les données, puis les envoyer de manière automatisée dans les applications métiers de l’entreprise afin d’y être directement exploitées. Ces données sont également classées, rangées selon les règles de l’entreprise dans une solution GED (gestion électronique de documents) pour un archivage structuré de vos dossiers. II.1.1. Composantes de la transformation digitale La transformation digitale s'appuie essentiellement sur les nouveaux usages induits par les technologies en tenant compte de leur évolution rapide, le large public qu'elle cible et notamment le monde de l'entrepreneuriat, et les changements qu'ils apportent sur différents niveaux. L'observation des situations de digitalisation nous a conduits à définir ce concept au travers des éléments suivants: portabilité, automatisation, dématérialisation. A. Portabilité L'un des caractères fondamentaux du digital est la « portabilité » ou en encore la « mobilité ». En effet, il est constitué d'un ensemble d'applications informatiques mobiles développées à l'aide de langages permettant leur portabilité sur différents supports partant des ordinateurs de bureaux jusqu'aux smartphones et tablettes. Maintenant toutes les applications (commerciales, partages des documents ...) peuvent être utilisées sur des supports portables ce qui offre un large espace de liberté d'action. B. Dématérialisation Les processus sont dématérialisés en totalité ou une partie grâce aux applications digitales dans un cadre informationnel ou transactionnel, ainsi il y a la possibilité de réaliser des processus sans aucune intervention humaine et sans un document physique. Les informations sont saisies et traitées par la suite avec la sauvegarde de tous les détails de transactions, le client participe aussi à la création de ses données en saisissant par exemple des informations concernant sa demande, la prestation peut être réalisée à travers ces informations numérisées475. C. Automatisation Elle se manifeste par l'accroissement de performance dans l'utilisation des facteurs de production : productivité du travail, productivité du capital, productivité de l'énergie et des matières premières. On peut ajouter également l'amélioration des 475 METAIS ET AUTISSIER, Digitalisation des entreprises, Liège, CURRM, p.40. 209 capacités d'individualisation et de personnalisation. Les actions s'enchainent automatiquement sur la base de règles de gestion issue de l'observation, cette automatisation a pour avantage la rapidité d'exécution des étapes d'un processus. (…)476. D. Maturité digitale La maturité digitale combine deux éléments étroitement liés, le premier est l'intensité digitale, c'est le niveau d'investissement dans les nouvelles technologies afin de changer le mode de fonctionnement de l'entreprise. Le deuxième est l'intensité de la gestion de la transformation, il détermine le niveau d'investissement dans les capacités de management et de leadership destinées à réussir la transformation digitale au sein de l'entreprise. Figure sur les quatre niveaux de maturité digitale Source : Westerman et McAfee 2012. De ce qui précède, a transformation digitale est un facteur déterminant non seulement pour la survie des entreprises mais également pour leur réussite sur le moyen et le long terme, pour réussir une transformation digitale et bénéficier d'un privilège concurrentiel il ne suffit pas d'intégrer de nouveaux outils et technologies digitales au sein de l'entreprise, mais il faut se doter d'une stratégie de transformation efficace et bien définie qui permet de transformer en profondeur tous les processus de l'entreprise, de changer sa culture et de réorienter son business model. Le contrôle de gestion par son rôle informationnel et de conseil a une position clé au sein de l'entreprise, il a évolué ces dernières années grâce aux innovations managériales qui ont apporté plusieurs solutions aux insuffisances de ses outils traditionnels. Les systèmes ERP ont facilité les tâches du contrôle de gestion en lui permettant de gagner en efficacité et en terme d'économie du temps, toutefois ils présentent plusieurs limites ce qui poussent les spécialistes de l'informatique à 476 210 développer une nouvelle technologie plus puissante. Le Big Data a apporté de nombreuses opportunités aux entreprises en particulier le contrôle de gestion sur différents niveaux, cependant sa mise en œuvre a des limites et des risques qu'il faut faire face en mettant à la disposition de l'entreprise les compétences et les outils pertinents477. En somme, la transformation digitale est un facteur déterminant non seulement pour la survie des entreprises mais également pour leur réussite sur le moyen et le long terme, pour réussir une transformation digitale et bénéficier d'un privilège concurrentiel il ne suffit pas d'intégrer de nouveaux outils et technologies digitales au sein de l'entreprise, mais il faut se doter d'une stratégie de transformation efficace et bien définie qui permet de transformer en profondeur tous les processus de l'entreprise, de changer sa culture et de réorienter son business model478. A titre d’illustration politique, le contrôle de gestion par son rôle informationnel et de conseil a une position clé au sein de l'entreprise, il a évolué ces dernières années grâce aux innovations managériales qui ont apporté plusieurs solutions aux insuffisances de ses outils traditionnels. Les systèmes ERP ont facilité les tâches du contrôle de gestion en lui permettant de gagner en efficacité et en terme d'économie du temps, toutefois ils présentent plusieurs limites ce qui poussent les spécialistes de l'informatique à développer une nouvelle technologie plus puissante. Le Big Data a apporté de nombreuses opportunités aux entreprises en particulier le contrôle de gestion sur différents niveaux, cependant sa mise en œuvre a des limites et des risques qu'il faut faire face en mettant à la disposition de l'entreprise les compétences et les outils pertinents. II.1.2. Vétusté et anachronisme du cadre légal des archivages en République Démocratique du Congo En République Démocratique du Congo, nous notons que le régime général des archivages date d’une ancienne assurément devenue inappropriée, il s’agit de la loi 78-013 du 11 juillet 1978 portant régime général des archives. Aux termes de l’article premier de cette loi qui nécessité une révision par les exigences indéniables de la digitalisation on entend par : 1. Archives : les documents écrits et audiovisuels, qui présentent un intérêt historique, scientifique ou culturel, constitués par des institutions, des personnes physiques ou morales, du fait de leurs activités et délibérément conservés ; 2. Archives : tout service quelconque, chargé de la gestion et de la conservation des archives au sens de l'alinéa précédent ; 477 478 DANIELLA (M), Numérisation de l’économie, p.45. Idem, p.46. 211 3. Archives nationales : le service créé par l'État pour la conservation, la protection et la mise en valeur des archives en République du Démocratique du Congo. Le patrimoine archivistique national comprend : - Tous les documents provenant des services publics de l'État, d'organismes privés et des particuliers ; Tous documents, quelles qu'en soient la nature et la provenance, tant que les services compétents de l'administration des archives estiment qu'ils présentent un intérêt historique. (Article 2). II.1.3. Distinction des archives publiques et des archives privées L’article 3 de la loi susmentionnée, qualifie dispose que sont réputées publiques et font partie du patrimoine de l'État, toutes les archives des services publics de l'État. Tandis que l’article 4 de la même loi, précise nettement que ces archives publiques sont destinées à l'usage public. Elles sont inaliénables, imprescriptibles, insaisissables et incessibles. Par contre l’article 5 de la loi sous examen, nous éclaire que sont réputées privées, les archives appartenant à des particuliers, à des personnes physiques ou morales, qui en demeurent propriétaires479. II.1.4. Constitution et de la conservation du fonds d'archives nationales Les archives nationales ont pour rôle de recevoir et de conserver les documents visés à l'article 2, et d'assurer un contrôle général sur les archives publiques et privées (Article 6). Le fonds d'archives nationales est constitué par : - Dépôt obligatoire des services publics de l'État ; Achat des documents d'archives ou réputés tels ; Dépôt facultatif ; Expropriation pour cause d'utilité publique ; Dons et legs. Tous les documents datant de plus de trente ans conservés par les administrations et services publics de l'État, sauf dispense accordée par le président du Mouvement populaire de la révolution, président de la République, sont obligatoirement versés aux archives nationales et sont aussi obligatoirement versés 479 ERICA MANUELLA (H) et DONETTI PIRO (G), Droit des affaires : la numérisation du secteur bancaire, Document des actes de colloques, Université de Liège, 2020, p.60-62. 212 aux archives nationales tous documents de moins de trente ans ayant perdu leur utilité administrative immédiate480. II.1.5. Conservation des archives par les administrations publiques congolaises Les administrations et les services publics en République Démocratique se voient confiée l’obligation de la bonne conservation de leurs archives courantes. Cela signifie que toute administration ou service public peu importe sa nature juridique et ses missions et attributions légales, doivent procéder à une bonne tenue de la conservation de tous les documents de quelques natures que ce soient qui sont émis ou reçus par eux en respectant les règles de la périodicité légale fixée pour chaque type de document. Il arrive selon l’article 11, que les institutions publiques dotées du caractère de pouvoir public, procèdent à l’achet des archives nationales et cela avec droit de préemption comme un privilège si elles sont en concurrence avec les particuliers. Et cette prérogative ne peut se concevoir que dans l’hypothèse des documents d'archives lesquels présentant un intérêt national. III.1.1. Communication des archives : prise en compte de la sécurité nationale et du respect de la vie privée Les archives conservées aux archives nationales sont librement communicables à toute personne qui en fait la demande sous réserve des conditions déterminées par le Président de la République (Article 23). Les archives publiques, dès leur origine, sont en principe communicables sans limitation de date. Pour certaines archives jugées particulièrement secrètes dans l'intérêt de la politique intérieure, de la défense nationale et de la politique étrangère, les archives nationales peuvent proposer au président du Mouvement populaire de la révolution, président de la République, la prorogation jusqu'à cinquante ans ou plus du délai de leur communication au public (Article 25). Les archives relatives à la procédure criminelle ainsi que celles ayant trait à la vie privée des personnes peuvent également être communiquées 50 ans après leur versement aux archives nationales (Article 26). Ainsi, pour les raisons sus-évoquées, les archives nationales peuvent, sur avis favorable du commissaire d'État ayant la culture et les arts dans ses attributions, autoriser la communication à des fins scientifiques, de certaines archives même avant l'expiration du délai de communication visé aux articles 25 et 26. De cette façon, les archives des organismes privés et des particuliers peuvent être communiquées gratuitement à des fins scientifiques. Ainsi, la digitalisation devra viser les piliers relatifs à la confiance et à l’usage effectif par des usagers des services publics, des outils numériques tels que des outils de TIC481. 480 481 Idem, p.60. MUANDA NKOLE WA YAHVE (D.J), Droit pénal numérique, Butemno, CIDSG, Université Catholique du Graben, p.78. 213 III.1.3. Bénéfices pour les agents publics Au-delà des objectifs d’optimisation de l’expérience citoyenne, la digitalisation des services publics permettra également d’améliorer les conditions de travail des agents publics. Il faut développer des outils informatiques performants et compatibles entre services de l’État. Il faut que la simplification administrative soit aussi pour les fonctionnaires. Il faut une performance numérique : les outils interfacés (entre services, avec les collectivités…) sont très inaboutis. Le travail des agents publics dépendant directement de la performance des outils informatiques mis à disposition, il va sans dire que la digitalisation transverse de l’administration simplifiera les processus métiers et donc permettra ainsi aux agents publics de consacrer davantage de temps à des missions à plus forte valeur ajoutée (projets, conseil, réponses, cas particuliers, etc. III.1.4. Bénéfices à tirer du Plan Numérique 2023 prôné par le Chef de l’État Avec un pilotage au plus haut niveau (la Direction Interministérielle du Numérique et Fiances et Economie), cette volonté doit s’illustrer par la mobilisation de moyens exceptionnels : - Action publique locale : élaborer un premier grand programme consacré à la simplification du service public via le digital ; - Le Plan de relance et une enveloppe conséquente destinée au volet numérique ; ou encore un outil ou logiciel approprié à cet effet, pour encourager le développement d’une nouvelle génération de services numériques de qualité, tout en protégeant au mieux les données des entreprises et des citoyens et de l’Administration publique au niveau du Pouvoir central et au niveau de provinces. Par ailleurs, pour des réussites garanties, il faut compter sur des références numériques existant ou à créer voire à importer d’autres pays qui ont réussi en matière de simplification par le numérique : le dispositif impôts électronique et la déclaration en ligne. La stratégie « zéro papier ou digital function » va sûrement engendrer une véritable transformation du système administratif avec la dématérialisation de l’échange de données d’état civil à l’appui des démarches administratives, grâce à la mise en place de l’archivage électronique de tous les actes de l’état civil. Conclusion Au vu de ce qui précède, nous terminons notre réflexion en reprenant textuellement l’idée phare du Plan national du Numérique, qui dans son introduction Horizons 2025, affirme que : « La République Démocratique du Congo (RDC) est un pays vaste aux énormes potentialités que la population rêve de transformer en richesses au bénéfice de l’amélioration de ses conditions de vie. C’est un marché 214 important des biens et services, étendu sur un territoire de 2.345.410 Km². Il est entouré de 9 pays ci-après : Angola, Burundi, Congo-Brazzaville, Centrafrique, Rwanda, Ouganda, Tanzanie, Sud-Soudan et Zambie, avec lesquels elle partage 9.165 Km de frontières. Plus grand pays francophone en termes de locuteurs, la RDC possède d’immenses ressources naturelles (minerais, terres arables, …) et une population d’environ 78,7 millions d’habitants, dont moins de 40% vivent en milieu urbain. Avec ses 80 millions d’hectares de terres arables et plus de 1.100 minéraux et métaux précieux répertoriés, la RDC pourrait devenir l’un des pays les plus riches du continent africain et l’une de ses locomotives de croissance, si elle parvenait à surmonter son instabilité politique »482. Dans la même optique, ce plan poursuit : « La RDC a connu un taux de croissance de 4,1% (2018) contre 3,7% (2017), et de 2,4% (2016). Sa tendance haussière est soutenue par le secteur primaire (37,2%), le secteur secondaire (24,3%), le secteur tertiaire (33,2%) dont 8,6% des transports et télécommunications, et 5,2% des taxes sur le produit [Rapport annuel de la Banque Centrale du Congo, 2017]. Sur le plan politique, le pays a réussi en 2018 des élections libres et transparentes qui créent les conditions d’une stabilité politique favorable à son développement économique ». C’est sur le fond de cette stabilité politique, grâce à une alternance des pouvoirs réussie, que les dirigeants du pays ouvrent plusieurs chantiers sur les plans économique, social, technologique, environnemental et des infrastructures. Les dirigeants du pays entendent aussi tirer avantage du dividende démographique (3,30 % taux de croissance démographique par an) et de la bonne gouvernance, pour relever le défi d’une croissance inclusive et d’un développement durable. * * 482 * Rapport de la Banque Mondiale sur la RDC, diagnostic systématique pays, 2018. 215 L’action publique et le droit numérique congolais : domaines fertiles pour un effort de compréhension et de cohérence Par : Eddy MULENDA KABADUNDI483 Resumé La législation congolaise sur le numérique renferme une multitude des règles pénales tant de forme que de fond, qui impactent sur l’action publique que le Ministère public exerce ordinairement. En effet, si le Code du numérique a permis au Parquet d’étendre sa zone de recherche, de constat et d’instruction d’infractions, intégrant outre le monde physique (Territoire de la République), le monde virtuel (Cyberespace), il a permis au Parquet congolais de considérer les personnes morales de droit privé ainsi que ses responsables voire ceux des personnes morales de droit public, comme pénalement responsables des infractions commises par le moyen de l’Internet. Cependant, le renvoi incessant aux Codes pénal et de procédure pénale (qui sont devenus obsolètes au regard de l’évolution tant technologique que scientifique) fait par le Code du numérique, ne permet pas au Ministère public d’assurer pleinement son rôle de maitre de l’action publique, surtout sur les questions relatives à l’administration de la preuve et à la prescription des infractions du numérique. Il est impérieux que le Parquet s’accommode au langage ou à la dialectique du numérique, pour un nouvel ordre juridique dans la prophylaxie criminelle en la matière. Les différentes incriminations prévues par le Code du numérique appellent une expertise sérieuse afin d’éviter au Parquet les ratés procéduraux. D’où, un effort de compréhension et de cohérence entre l’action publique et le droit numérique s’impose comme solution pouvant rendre efficace l’intervention du Ministère public dans ce domaine. Mots- Clés : Infraction- Action publique- Cyberespace- Droit numérique- Ministère public. Abstract Congolese digital legislation contains a multitude of criminal rules, both formal and substantive, which impact the public action that the Public Prosecutor's Office normally exercises. Indeed, if the Digital Code has allowed the Public Prosecutor's Office to extend its area of research, reporting and investigation of offenses, integrating in addition to the physical world (territory of the Republic), the virtual world (Cyberspace), it allowed the Congolese Public Prosecutor's Office to consider legal entities under private law as well as their managers or even those of legal entities under public law, as criminally responsible for offenses committed via the Internet. However, the constant reference to the Penal and Criminal Procedure Codes (which have become obsolete in view of both technological and scientific developments) made by the Digital Code, does not allow the Public Prosecutor's 483 Magistrat et Procureur de la République, Chef de travaux à l’Université Libre de Matadi/R.D.C., Faculté de Droit. Doctorant à l’Université de Lubumbashi, Département de Droit privé et judiciaire. Auditeur Forensique et Expert en Droit judiciaire. Chercheur en Droit de l’Ohada. Mail : [email protected] Office to fully fulfill its role as master of public action, especially on questions relating to the administration of proof and the limitation period for digital offenses. It is imperative that the Prosecutor's Office adapts to the language or dialectic of digital technology, for a new legal order in criminal prophylaxis in this area. The various incriminations provided for by the Digital Code call for serious expertise in order to avoid procedural failures for the Prosecutor's Office. Hence, an effort at understanding and coherence between public action and digital law is essential as a solution that can make the intervention of the Public Prosecutor's Office in this area effective. Keywords: Offense- Public action- Cyberspace- Digital law- Public prosecutor. Plan sommaire Introduction I. Action publique en droit congolais du numérique A. Responsabilité et juridictions (auteur et juridiction) B. Poursuites et administration de la preuve (constat, poursuites, extinction de l’action publique) II. Droit numérique congolais A. Contenu sommaire de la législation du numérique congolais B. Le droit pénal du numérique III. Perspectives Conclusion …………………………………………………………………… 0. Introduction L’évolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et des techniques des sciences expérimentales enregistrée depuis plus de deux décennies déjà dans notre pays, a eu pour effet, de bousculer les règles de jeu dans plusieurs domaines de la vie humaine, en l’occurrence, le domaine pénal. Le Ministère public, maitre de l’action publique, n’a pas été épargné par ce phénomène dans l’exercice de ses pouvoirs régaliens qui fondent l’objet de son action répressive à savoir : la recherche des infractions aux actes législatifs et réglementaires commises sur le territoire de la République, la détermination des 217 auteurs desdites infractions et la saisine des juridictions compétentes pour requérir l’application des peines484. En effet, avec l’Ordonnance- loi n°23/010 du 13 mars 2023 portant Code du numérique, la mission du Ministère public congolais connait sans nulle doute le tournant de son histoire, car, elle intègre l’espace virtuel, appelé cyberespace485, comme support de constatations, des poursuites et de répression des infractions. Il s’invite alors le débat sur la réforme de l’article 67 de la Loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, qui limite l’activité du Ministère public aux infractions commises sur le territoire de la République486 c’est-à-dire, au monde matériel et physique (« hard Word »). Les innovations touchant au Droit pénal de forme et de fond qu’apporte le Code congolais sur le numérique, nous poussent à considérer qu’il s’agit de deux domaines très fertiles, dont un effort de compréhension de la dialectique de chacune des disciplines en présence à savoir normative pour le droit pénal et expérimentale pour la science ainsi que la technologie et de cohérence, permettra de définir une meilleure prophylaxie criminelle en la matière. C’est par les méthodes de l’herméneutique juridique fondée sur l’interprétation des textes légaux, de la systématique, qui permet de considérer le droit pénal évoluant dans un contexte de judiciarisation, comme un système dictant des principes pour son maintien en équilibre et descriptive, qui nous a aidé à examiner l’ossature organisationnelle voire fonctionnelle de cette Ordonnance- loi sous examen, lesquelles se sont exprimées par la technique documentaire, que les résultats de notre réflexion scientifique qui est divisée en deux points à savoir : l’Action publique en droit congolais du numérique (1) et le Droit numérique congolais (2), outre l’introduction et les perspectives et conclusion, seront présentés. 484 Article 67 de la Loi- organique n°13/013- B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, JORDC, 54ième année, Numéro spécial, 4 mai 2013. 485 Le cyberespace comprend les réseaux informatiques, les ressources informatiques et tous les dispositifs fixes et mobiles connectés au réseau mondial. Le cyberespace d'une nation fait partie du cyberespace mondial; il ne peut être isolé pour en définir les limites puisque le cyberespace est sans frontières. Il est toutefois possible de se référer à la doctrine de défense française qui définit le cyberespace comme « un domaine global constitué du réseau maillé des infrastructures des technologies de l’information (dont Internet), des réseaux de télécommunications, des systèmes informatiques, des processeurs et des mécanismes de contrôle intégrés. Il inclut l’information numérique transportée ainsi que les opérateurs des services en ligne, écrit Barbara Louis- Sidney, « La dimension juridique du cyberespace », in Revue Internationale et stratégique, 2012, Volume 3 (n°87), p.p. 73 à 32. 486 Considéré comme espaces physiques constitués de la terre, des eaux « fleuves, rivières, lacs, etc. » et l’air « aérien ». 218 I. Action publique en droit congolais du numérique Le Code de procédure pénale487 n’a pas défini ce que l’on entend par « action publique ». Cependant, la doctrine se charge de proposer quelques-unes que nous retiendrons dans le cadre de la présente étude. Pour M. Franchimont et Alii, l’action publique est l’action d’intérêt général, née d’un fait qualifiée infraction, qui a pour objet la poursuite devant les autorités compétentes, spécialement les cours et tribunaux, dans les formes prescrites par la loi, de la personne prévenue ou accusée de ladite infraction, aux fins d’examiner sa culpabilité, et de lui appliquer, si elle est coupable, les sanctions ou mesures prévues par les lois pénales488. Y. Jeanclos quant à lui, enseigne que, l’action publique est un acte processuel à la disposition du juge, qui déclenche une poursuite judiciaire à la suite de la survenance de faits infractionnels, à l’encontre de la personne suspectée de leur commission. L’action publique est exercée dans l’intérêt public, pour arrêter physiquement et poursuivre judiciairement l’auteur d’un crime ou d’un délit contraire à la loi et à la sécurité publique489. L’action publique s’impose face à l’action privée à la disposition de la victime ou de sa famille. Elle n’empêche pas l’action privée mais elle a la préséance, car elle permet à la justice de se saisir d’une affaire criminelle, dès qu’elle est informée des faits incriminables. Elle met fin à la pratique de la vengeance privée, qui laisse des crimes impunis, par peur des victimes face à un criminel d’influence490. R. Declercq quant à lui aussi, définit l’action publique ou l’action pénale comme le droit de poursuivre qui naît par le fait même qu’une infraction est commise491. T. Kavundja N. Maneno pour sa part, dit que l’action publique est celle qui est exercée au nom de la société par le ministère public et a pour objet l’application, par une juridiction pénale, de la loi pénale à l’auteur d’une infraction, afin de réparer le dommage qu’il a causé à la société492. B. Bouloc et H. Matsopoulou disent pour leur part que, l’action publique est l’action répressive mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi, au nom de la société, contre l’auteur de l’infraction, et tendant à le faire condamner à une peine ou à une mesure de sûreté ou tout au moins à faire constater son comportement (l’auteur des faits 487 Décret du 06 août 1959 portant Code de procédure pénale, in B.O., 1959, p. 1934. M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et A. MASSET, Manuel de procédure pénale, 4ième édition, Bruxelles, Larcier, 2012, p.42 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 5ième édition, Paris, Litec, 2009, p. 601. 489 Y. JEANCLOS, Dictionnaire de droit criminel et pénal : dimension historique, Paris, édition Economica, 2011, p. 2. 490 Idem, p.p. 2 à 3. 491 R. DECLERCQ, Eléments de procédure pénale, Bruxelles, édition Bruylant, 2006, p. 49. 492 T. KAVUNDJA N. MAMENO, Traité de droit judiciaire congolais. Tome 2 : Procédure pénale, Volume 1, Paris, éditions Espérance, 2022, p. 235. 488 219 incriminés pouvant échapper à la sanction à raison d’une cause d’irresponsabilité, telle la légitime défense493. Cette partie de notre réflexion s’articule en deux points à savoir : la responsabilité et juridiction (auteur et juridiction) (A) et les poursuites et administration de la preuve (constat, poursuites et extinction de l’action publique) (B). A. Responsabilité et juridiction Sous cette rubrique seront développées les questions relatives à la détermination de l’auteur de l’infraction (délinquants) et à la juridiction compétente pour connaitre les infractions au Code du numérique. 1. Les délinquants dans le cyberespace La question qui se pose est de déterminer le sujet de l’infraction. Il est en principe admis, en droit pénal classique, que seules les personnes physiques peuvent être des délinquants (« societas non delinquere potest »)494. Car, l’infraction est nécessairement l’œuvre de l’être humain doté de volonté et des facultés mentales. Ce qui exclut, en principe, du champ de la responsabilité pénale, les choses, les animaux et les êtres moraux. Sauf qu’en ce qui concerne ces derniers, particulièrement les personnes morales de droit privé, il y a une évolution tant en droit comparé qu’en droit congolais495. En effet, en droit numérique congolais496 comme dans d’autres domaines spécifiques qui l’ont précédés497, l’on compte désormais parmi les acteurs passifs de l’action publique, non seulement les personnes physiques mais aussi les personnes 493 B. BOULOC et H. MATSOPOULOU, Droit pénal général et procédure pénale, 19ième édiction, Paris, Sirey, 2014, p. 203. 494 Voir articles 20 bis CPO ; 226 à 246 AU.PCAP (acte uniforme sur les procédures collectives). 495 NYABIRUNGU MWENE SONGA, Traité de droit pénal général congolais, 2ième édition, éditions Universitaires Africaines, Kinshasa, 2007, p. 236. Lire également KASONGO LUKOJI G.D., Cours de Droit pénal général, Notes polycopiées, G2 Droit/Master 1, UPN/Ecole de Criminologie de Lubumbashi, 2021-2022, p.34 ; Cours de Droit pénal comparé, Notes polycopiées, G3 Droit privé, ULK/Kinshasa, 2020-2021, §§.144-149. NB. Les cours et articles du professeur Ghislain KASONGO LUKOJI sont télécharges gratuitement en ligne. 496 Articles 308 et 309 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique. 497 Il était affirmé en droit congolais que la personne morale ne peut être pénalement responsable ; seules les personnes physiques, organes de la personne morale, par lesquelles elle aurait agi seront pénalement responsables. Mais, l’on note depuis les années 2000, la récurrence des textes spéciaux qui admettent la possibilité d’imputer une infraction à l’être moral et/ou de lui appliquer des sanctions pénales, sans déclarer ouvertement leur responsabilité pénale (Voir, art. 29 de la Loi n° 04/002 du 15/03/2004 portant organisation et fonctionnement des partis politiques, 36, 38, 42 de la Loi n°04/016 du 19/07/2004 portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, 42 de la Loi n° 08/011 du 14/07/2008 portant protection des droits des personnes vivant avec le VIH/Sida et des personnes affectées...). 220 morales. Toutefois, rappelons que dans les affaires DIFCO498 et SOCOBANQUE499, la Cour d’appel de Kinshasa et la Cour Suprême de Justice avaient déjà respectivement pénalement condamnées les personnes morales sur pied de l’article 11 de l’Ordonnance- loi n°67/272 du 23 juin 1967 relative au change qui dispose que « l’infraction à la réglementation du change est réputée existante dans le chef de toutes les personnes physiques et morales intervenant directement ou indirectement dans le fait qui la caractérise ». Il faut cependant noter que, la reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales de droit privé par le législateur du Code numérique congolais s’ajoute à la liste des autres textes légaux du genre qui existent dans notre pays. L’idéal serait celui d’avoir un texte à portée générale sur cette question afin que l’on passe de l’exception au principe. 2. Les juridictions compétentes en cas d’infraction du cyberespace Ne pouvant laisser impunis les délinquants dans le domaine du numérique, le législateur a prévu des juridictions que le Ministère public aura à saisir ou devant lesquelles seront présentés les prévenus. C’est dans cette occurrence que la Loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire ainsi que les Lois créant les juridictions spécialisées notamment le Tribunal de commerce aideront le Ministère public dans son travail d’envoi en fixation des dossiers judiciaires devant les juridictions compétentes, sous réserve des termes de l’article 329 du Code numérique qui règle la compétence territoriale des juridictions congolaises pour les infractions commises sur Internet tant sur le territoire de la République Démocratique du Congo que non. En effet, les termes de l’article 329 laissent à désirer en ceci que, le législateur se réfère au Code de procédure pénale, qui, en son sein, ne contient aucune disposition d’organisation et de compétences judiciaires. D’où, il y a lieu de corriger humblement la syntaxe utilisée dans cette prévision légale pour se ranger dans le camp de la légalité. Avec l’article 329 susvisé, l’on se trouve à peu près dans les hypothèses développées à l’article 3 du Code pénal congolais, Livre I, que le professeur Nyabirungu Mwene Songa appelle les correctifs empruntés successivement au système de l’universalité et à celui de la personnalité passive, qui accompagnent le principe de la territorialité des infractions500. Le point 1 de cet article contient un correctif relevant du système de l’universalité lorsqu’il dit que l’infraction a été commise sur Internet sur le territoire de la République Démocratique du Congo ou non dès lors que le contenu illicite est accessible depuis la République Démocratique du Congo. C’est dire en clair que le tribunal congolais 498 Kin., 11 avril 1970, Revue Congolaise de Droit, Kinshasa, ONRD, 1971, p. 9. CSJ (Cour de Cassation à ce jour), 13 août 1971, Revue Congolaise de Droit, 1972, p. 14 ; Bull., 1974, 14. 500 NYABIRUNGU MWENA SONGA, Op. Cit., p. 120. 499 221 peut juger toute personne, quelle que soit sa nationalité ou celle de la victime, qui se sera rendue coupable, à l’étranger, d’une infraction du numérique dès lors que le contenu est accessible dans notre pays. Le point 3 de cette disposition comme le premier, porte aussi un correctif du système de l’universalité, en ce qu’il ne s’applique qu’aux congolais qui ont commis des infractions du numérique à l’étranger, mais dont le pays de la commission réprime les faits. Donc, le principe de la double incrimination de l’article 3 du Code pénal congolais, Livre I cède la place à celui du monisme criminel. Ainsi, sans criminalisation des faits par la législation étrangère, celui qui commenterait un acte délictueux à l’étranger ne se verra jamais être traduit devant une quelconque juridiction dans notre pays. Enfin, le point 2 de l’article 329 susvisé pose le principe de la double incrimination qui veut que les faits infractionnels commis à l’étranger soient criminalisés à la fois par la législation étrangère que congolaise, afin d’attribuer la compétence de juger à une juridiction congolaise. Ainsi, le Ministère public devra maitriser les arcanes de la législation sur le numérique tant de la République Démocratique du Congo que des autres pays aussi, afin d’éviter les ratés procéduraux. Les renvois par le législateur du numérique aux Codes pénal et de procédure pénale qui sont devenus obsolètes, ne permettent pas de dégager une ligne claire dans l’exercice de l’action publique dans le domaine du numérique. La charge d’administrer la preuve demeure une équation difficile à résoudre. B. Poursuites et administration de la preuve (constat, poursuites, extinction de l’action publique Cette rubrique s’articule en quatre points qui traitent du constat des infractions, des poursuites, de l’administration de la preuve et de l’extinction de l’action publique. 1. Constatation des infractions dans le cyberespace Il faut noter à ce stade de réflexion que l’assiette ou le support matériel de constatation des infractions par le Ministère public connait un élargissement, car, non seulement que les actes répréhensibles seront constatés par l’organe de la loi sur le territoire de la République (espace terrestre, aérien, lacustre, fluvial, marin501, etc.502) mais aussi sur l’espace ou le réseau Internet. Il s’agit là de la cybercriminalité telle que prévue par l’Ordonnance- loi Code du numérique. En effet, le Code de procédure pénale, l’Ordonnance- loi portant Code numérique et le Code pénal sont et demeurent les principaux instruments du Ministère public dans l’exercice de l’action publique dans le domaine du numérique. 501 Loi n°74/009 du 10 juillet 1974 portant délimitation de la Mer Territoriale de la République Démocratique du Congo, in J.O., n°16 du 15 août 1974, p. 689. 502 NYABIRUNGU MWENA SONGA, Op. Cit., p.121. 222 Ainsi, le Ministère public devra faire montre d’une grande maitrise des notions de cyberespace comme milieu criminogène, afin de s’assurer de faire un travail considérable qui répondra aux attentes de la population. La mobilité de théories, des règles et principes qui caractérisent l’espace cybernétique constitue un défi que le magistrat du parquet devra relever en tout état de cause. Il ressort de l’article 318 du Code numérique congolais que « les infractions à la législation du numérique sont constatées par les officiers de police judiciaire à compétence restreinte ou à compétence générale selon le cas. Lorsque les officiers de police judiciaire sont saisis ou constatent les faits infractionnels aux dispositions de la présente ordonnance- loi, ils en informent l’officier du ministère public compétent conformément aux dispositions du Code de procédure pénale ». Les infractions à la législation du numérique sont constatées dans des procès- verbaux établis conformément au Code de procédure pénale503. 2. Poursuites des infractions dans le cyberespace Aux termes de l’article 325 du Code numérique, les infractions à la législation du numérique sont poursuivies conformément au Code de procédure pénale et prouvées par toute voie de droit. L’action publique contre les infractions au Code du numérique est exercée conformément au Code de procédure pénale et aux dispositions de la présente ordonnance- loi504. Les règles relatives à la participation criminelle et à la tentative punissable restent celles prévues par le Code pénal congolais, Livre I. La récidive et les circonstances aggravantes font objet de réglementation. Le Code de procédure pénale et le Code pénal sont et demeurent les principaux instruments du Ministère public pour résoudre plusieurs questions (constat d’infraction505, extinction de l’action publique506, perquisitions507, etc.) et les dispositions de l’Ordonnance- loi portant Code numérique sont complémentaires dans l’exercice de l’action publique. Considérant que le Code du numérique n’ayant précisé aucun mode particulier, on conclut que les poursuites sont initiées soit sur base d’une plainte, soit d’une dénonciation ou soit d’un constat d’office de l’autorité compétente. 3. Administration de la preuve dans le cyberespace S’agissant de la preuve des infractions commises dans le secteur du numérique, l’article 325 de l’Ordonnance sous examen dispose que lesdites infractions sont prouvées par toute voie de droit. Les termes de cette disposition légale sont loin de rendre facile le travail du Ministère public, car, dans une matière spécifique et technique comme celle- ci, nous aurions souhaité avoir un corps des Article 318 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique. Article 326 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique. 505 Articles 318 et 319 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique. 506 Article 327 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique. 507 Articles 320 et 321 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique. 503 504 223 règles propres d’administration de la preuve. Sinon, le Ministère public va recourir aux témoignages, aux aveux, aux procès- verbaux auxquels la loi attache une force probante particulière, l’écrit électronique, l’expertise forensique, les indices, etc. pour soutenir ses accusations devant une juridiction. Ceci est donc un sérieux défi à relever par le législateur du numérique et pour le Ministère public appelé à exercer l’action publique dans ce domaine, car, l’élément central de tout procès, c’est la preuve. Nous pensons qu’il serait impérieux que le législateur du numérique de notre pays fasse de la preuve expertale comme la reine des preuves en cette matière technique. Les raisons de ce choix sont multiples au nombre desquelles nous notons la complexité des opérations d’identification du fichier (image, vidéos, etc.) mis en cause à savoir : horodatage, cryptologie, cyber- attaque, cyber- crime, etc. Ainsi, nous sommes tenté de réfléchir comme le professeur Emmanuel Jeuland qui affirme que « l’expertise est une preuve à la mode : chaque époque a une prédilection pour un mode de preuve. Le Moyen Age chrétien avec une préférence pour l’ordalie et le serment. L’Ancien Régime a développé l’écrit et l’aveu qui impliquait la torture. Mais notre époque a une prédilection pour l’expertise508. Le niveau du progrès technique, technologique et scientifique de notre pays demeure un handicap et un défi à surmonter, pour une justice efficace dans le domaine du numérique. En l’absence d’une expertise sérieuse, le ministère public congolais sera le plus malheureux et le plus ridicule, car, il y aura beaucoup de ratés procéduraux. Le Code congolais du numérique risque, pour emprunter l’expression de Joseph Yav Katshung, d’être regardé comme une belle femme au ménage sans avoir des enfants, pourtant tout le monde les attendait impatiemment depuis le jour du mariage. Pour paraphraser Elysée Tshinyam Nzav, l’administration de la preuve dans ce domaine est un processus affreux. Le professeur Joseph Tshibasu Pandamadi n’a-t-il pas affirmé lors de sa brillante intervention lors des Journées Scientifiques de la Faculté de Droit de l’Université de Lubumbashi, organisées en date du 20 au 21 juillet 2023, sur la thématique principale intitulée « Droit congolais à l’ère du numérique : Etat de la législation, défis et perspectives », que dans la répression des infractions issues du Code du numérique, l’expertise est et reste un moyen de preuve le plus fiable tant pour le Ministère public que pour le juge. 4. Extinction de l’action publique Le Ministère public avant de se décider d’ouvrir une instruction ou d’engager les poursuites, s’emploie à toujours se rassurer qu’il n’y a aucun obstacle légal extinctif de l’action publique. Pour s’en rendre compte, non seulement l’organe de la loi devra préalablement catégoriser l’infraction par lui constatée, c'est-à-dire, 508 E. JEULAND, Expertise, in L. Cadiet (direction), Dictionnaire de la justice, Paris, édition PUF, 2004, p. 503. 224 savoir si elle a un caractère instantané ou continue, avant d’interroger les articles 24 à 26 du Code Pénal Congolais, Livre I. La section 5 du chapitre II du titre IV du Code du numérique a comme intitulé « De l’extinction de l’action publique ». Sous cette section se trouve inséré un seul article à savoir le 327 qui dispose que "l’action publique en répression des infractions à la législation du numérique se prescrit conformément au Code de procédure pénale". "Les délais de prescription commencent à courir du jour de la commission du fait infractionnel ou, s’il a été dissimulé, du jour de sa découverte ou de sa révélation". Cette disposition légale ressemble étrangement à une vielle jurisprudence de la Cour de Cassation Belge libellée de la manière ci- après : la prescription de l’action publique exercée en raison d’un faux et de divers faits d’usage de ce faux, ne commence à courir à l’égard du faussaire, qu’à la date du dernier fait d’usage du faux509. En effet, la syntaxe utilisée et le renvoi fait par le législateur du numérique, nous semble incorrecte dans la mesure où, il se réfère au Code de procédure pénale pour la question relative à la prescription de l’action publique en cette matière, pourtant aucune disposition de ce Code du 06 août 1959 n’en parle d’une part ,et d’autre part, en ne retenant que la prescription comme mode d’extinction de l’action publique en droit du numérique, cela pose le problème de l’exclusion des autres modes d’extinction de l’action publique (amnistie, dépénalisation, décès du délinquant, etc.) en cette matière. Si non, il y a lieu de modifier le libellé de cette section en disant « De la prescription de l’action publique ». Ce dernier libellé nous semble plus correct. S’agissant du dies aquo dans la computation des délais de la prescription de l’action publique en cette matière, il y a lieu de dire qu’il est reportable selon que le décompte commence à courir le jour de la commission de l’infraction, de sa découverte ou de sa révélation. Dans ces deux derniers cas, c’est un casse- tête qui risque d’imploser l’action publique en la matière. On risque de passer de l’objectif pour le subjectif. On s’aperçoit aisément que le libellé de l’article 329 du Code du numérique est peu heureux et rend ardu la tâche au Ministère public. Qui doit découvrir ? La victime ou le magistrat du parquet ? Qui doit relever ? Un tiers ou la victime ? Nous pensons qu’il y a lieu d’être précis comme c’est le cas dans les articles 24 à 26 du Code pénal Livre, I. II. Droit numérique congolais L’Ordonnance- loi n°23/010 du 13 mars 2023 portant Code du numérique est celui qui porte les enseignements sur le droit numérique congolais. Les matières 509 Cass., 13 janvier 1943, Pas., I, 18 ; G. MINEUR, Commentaire du Code pénal Congolais, 2ième édition, Bruxelles, Maison F. Larcier S.A., 1953, p. 289. 225 qu’elle contient résolvent beaucoup de questions civiles, commerciales, bancaires, pénales, etc. L’espace cybernétique, jadis non encadré par le législateur l’est désormais. Les différentes théories du droit pénal de forme, notamment en ce qui concerne l’espace criminogène offert au Ministère public pour exercer l’action publique, les actes d’instruction et de fond, notamment les nouvelles incriminations possibles commises sur Internet, la reconnaissance de la preuve électronique, la participation criminelle numérique, la récidive, les circonstances aggravantes, etc. constituent autant des matières fertiles pour un nouvel ordre juridique dans notre pays. Etant un droit nouveau, il est impérieux que les différentes analyses faites puissent permettre sa symbiose avec d’autres branches de droit, en l’occurrence le droit de procédure pénale, spécialement sur la question relative à l’action publique. A. Contenu sommaire de la législation du Code du numérique congolais Sans pouvoir présenter in extenso les différentes matières développées dans le Code du numérique, nous nous efforcerons à présenter à ce point, une vue générale du contenu de cette nouvelle législation. Le Code congolais du numérique comprend 390 articles qui sont répartis sur en principe six livres c'est-à-dire un livre préliminaire et cinq proprement dits. Le livre préliminaire (articles 1 à 2) et le cinquième (articles 283 à 390), ont une subdivision particulière dans la mesure où ils sont subdivisés en chapitres et non en titre comme les autres, qui contient les chapitres dans leurs démembrements. En effet, en correction de la version électronique du Code du numérique publié sur Internet, le livre premier consacré aux activités et aux services numériques, contient formellement dix (10) titres510 au lieu de neuf (9) comme indiqué dans ladite version. Le législateur a repris deux fois le Titre VIII dont le premier parle « du commerce électronique » et le second « des plateformes numériques et fournisseurs en position dominante ». Les titres I à VII et IX avant correction, traitaient respectivement : de l’objet et du champ d’application, du cadre institutionnel, du régime juridique applicable aux activités et services numériques, aux droits, principes généraux et obligations applicables aux fournisseurs des activités et services numériques, de l’administration dématérialisée, de l’archivage électronique, des droits de propriété intellectuelle et industrielle et enfin, à la surveillance, au contrôle technique des activités et services numériques, du règlement des différends, des mesures et sanctions administratives et de la prescription. Il faut ainsi lire les articles 3 à 82 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique. Le livre deuxième traitant des écrits, des outils électroniques et des prestataires des services de confiance, comprend en principe cinq (05) titres, étalés sur 83 articles au lieu de sept (VII) comme l’indique la législation congolaise sur le numérique. Les titres III et IV ne figurent pas dans la version électronique du texte 510 Version publiée au JORDC, 2023. 226 du Code du numérique publié sur Internet. Donc, dans la version physique publiée au Journal officiel, cette erreur matérielle a été corrigée et le texte harmonisé en même temps. Avant correction, on s’aperçoit aisément qu’il y a les titres I, II, V à VII qui examinent tour à tour, les matières relatives : aux écrits et outils électroniques, aux prestataires de service de confiance, le cinquième titre dans le format actuel régule le contrôle des prestations de services de confiance, le sixième parle de la cessation des activités, le septième traite des sanctions administratives. Les articles 83 à 165 du Code du numérique sont à lire utilement. En effet, quatre titres composent le livre troisième du Code du numérique qui est consacré à l’étude des contenus numériques. Les titres I à IV traitent respectivement des matières suivantes : la détermination de l’objet et le champ d’application, des contenus publics, des données personnelles et de l’autorisation de la protection des données. Il serait de bon droit de lire les articles 166 à 270 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique. Subdivisé aussi en quatre titres, le livre quatrième traite de la sécurité et de la protection pénale des systèmes informatiques. Ce livre considéré comme le plus grand en terme de nombre d’articles, en comprend au total 112 allant de l’article 271 à l’article 382 du Code du numérique. Il traite respectivement de : l’objet et du champ d’application, du cadre institutionnel, de la sécurité des systèmes informatiques et de la protection des systèmes informatiques. C’est ce dernier livre dans notre énumération qui porte, définit ou justifie l’intervention ou l’exercice de l’action publique par le Ministère public dans le domaine du numérique. En clair, il faut noter qu’il y a une réelle différence de structure entre la version électronique publiée sur Internet et la version physique offerte par les soins des services du Journal Officiel de la RDC. On se pose la question de savoir si cette compétence de correction ou d’harmonisation a été attribuée à ce service ? B. Droit pénal du Code du numérique Faut-il parler du droit pénal général ou spécial du numérique en République Démocratique du Congo ? Ou des infractions en matière du numérique dans notre pays ? Les réponses à toutes ces questions ne sont pas aisées à donner. Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 330 du Code du numérique que « la présente ordonnance- loi définit les incriminations et les peines des infractions spécifiques liées au numérique ». D’où, nous pensons que le Code du numérique contient les dispositions d’incriminations pénales qui intègrent par ce fait ou désormais, l’arsenal juridique pénal congolais. En effet, le Code du numérique distingue d’une part, les infractions de droit commun commises au moyen d’un ou sur un réseau de communication électronique ou un système informatique et d’autre part, des atteintes aux systèmes informatiques. Pour les premières, le législateur du numérique dit qu’elles sont réprimées conformément au Code pénal congolais et aux dispositions particulières en vigueur. 227 L’on comprend à ce niveau que si l’incrimination tire sa nomenclature du Code pénal ordinaire mais commise par le moyen d’un système informatique, l’auteur de l’acte répréhensible sera condamné des peines qui y sont prévues. L’examen méticuleux des dispositions répressives de cette Ordonnance- loi nous amène à conclure que le législateur congolais du numérique s’avères être très rigoureux au vu des taux des peines de servitudes pénales et d’amendes qu’il a fixés, en cas de violation des dispositions légales en la matière. La confiscation spéciale, peine prévue à l’article 14 du Code pénal congolais, Livre I est aussi prononcée par le juge dans les cas prévus par la législation du numérique. Le législateur du numérique prévoit aussi que les infractions sur le cyberespace peuvent être commises en participation d’une part et d’autre part, peuvent aussi être tentée. D’où, la notion de la tentative punissable. L’article 315 de l’Ordonnance- loi susvisée enseigne que « est puni de la même peine que l’infraction consommée, et ce, conformément au Code pénal, Livre I, toute participation criminelle et toute tentative de violation de la présente ordonnance- loi ». Une fois de plus, il y a un imbroglio dans cet article, car, en droit pénal la participation criminelle qui se résume en « corréité » ou en « complicité », permet d’évaluer le rôle des prévenus ayant agis dans un concert511. Par contre, la tentative512 est appréciée dans l’exécution d’une infraction. Donc, pour le législateur du numérique, il n’y a aucune distinction possible entre auteur, co-auteur ou complice dans la répression, comme c’est fait dans le Code pénal, car la peine reste la même que celle de l’infraction consommée. Ainsi, si la tentative punissable à des éléments à démontrer à savoir : résolution criminelle, actes extérieurs formant le commencement d’exécution et l’absence de désistement volontaire, la participation criminelle requiert aussi de démontrer l’aide indispensable ou nécessaire dont à jouit l’auteur des faits incriminés. C’est original pour cette législation nouvelle en République Démocratique du Congo. S’agissant des peines, le législateur du numérique prévoit les peines principales applicables aux personnes physiques ainsi qu’aux personnes morales d’une part et d’autre part, les peines complémentaires. La lecture attentive des termes de l’article 310 du Code du numérique permet de comprendre que la servitude pénale, l’amende et la confiscation spéciale sont les seules peines principales applicables aux personnes physiques en matière d’infractions relatives à la cybercriminalité. L’article 311 indique les peines encourues par les personnes morales (une amende, dissolution, interdiction, fermeture et confiscation). Les peines complémentaires sont régies par les articles 312 et suivants du Code du numérique (confiscation, interdiction, l’injonction à garantie, interdire en tout ou partie l’exercice des droits civiques et civils, etc.). Cependant, le législateur fait obligation de publication au journal officiel de la République Démocratique du 511 512 Lire les dispositions des articles 21 et 23 du Code pénal congolais, Livre I. Article 4 du Code pénal congolais, Livre I. 228 Congo les décisions de condamnation prises en vertu de l’article 314 du Code du numérique. III. Perspectives et conclusion Nous pensons que l’Ordonnance- loi portant Code du numérique mérite d’être non seulement corrigée mais aussi vulgarisé pour que les citoyens congolais en général et les opérateurs judiciaires (magistrats, avocats, etc.) en particuliers, puis en maitriser le contours. Si les décideurs peuvent prendre rapidement en considération nos réflexions, avis et considérations sur les textes de ladite Ordonnance- loi, cela permettre d’harmoniser ledit texte afin de le rendre scientifiquement comestible. Les germes de confusion qu’elle porte, les renvois parfois hasardeux aux textes légaux particuliers, etc. sont autant des faits qui risquent de plomber le succès que pouvait avoir la législation sur le numérique, si et seulement si, cette Ordonnance- loi les avait évités. Un texte correcteur prenant humblement en charge des différentes études faites par les scientifiques et lecteurs sur cette Ordonnance- loi portant Code du numérique, serait salutaire non seulement pour le Gouvernement mais aussi pour les destinataires ou utilisateurs de cette législation. De tout ce qui précède, nous saluons l’effort législatif enregistré par notre pays dans le domaine du numérique, même si le chemin est encore long. C’est un début des problèmes pour tous les opérateurs judiciaires en général et en particulier, le Ministère public chargé d’exercer l’action publique, qui est obligé d’administrer la preuve des éléments constitutifs des incriminations relevant du cyberespace ou de la cybercriminalité qu’il a constaté. La maitrise du contenu fertile de cette législation interne sur le numérique et celles des autres pays sur la même matière reste un défi énorme à relever par l’organe de la loi. Ceci lui éviterait à coup sûr les ratés procéduraux pouvant faire plomber le prestige, l’honneur et la dignité des fonctions régaliennes dont ce dernier est investi. Ainsi, un effort de compréhension de la part du Ministère public de arcanes du droit du numérique dans son acception globalisante, lui permettra de faire montre une cohérence dans l’exercice de l’action publique et dans la détermination d’une prophylaxie criminelle adéquate, susceptible de répondre aux objectifs ou aux attentes du gouvernement congolais dans la prise de ladite législation en République Démocratique du Congo. * * * 229 VARIA Justice transitionnelle dans une approche comparative Par : Pierre Félix Kandolo On'ufuku wa Kandolo513 Résumé Les objectifs de justice transitionnelle sont poursuivis dans le cadre de la paix et de la restauration d'un État de droit, généralement à la sortie de crise politique. La question devient sujette à étude lorsque les objectifs poursuivis par cette justice ne sont plus pour le rétablissement de la paix et l'instauration de la démocratie et de l'État de droit parce que ceux-ci existent déjà mais pour réparer les préjudices subis par des communautés. C'est le cas lorsque l'on doit l'appliquer dans un pays politiquement, institutionnellement et démocratiquement stable, qui respecte les règles d'un État de droit. Le modèle canadien de justice transitionnelle, plus inspirant, a fonctionné sous la dimension d'un État développé, stable, démocratique et appliquant les règles requises pour un État de droit. De par la définition de la justice transitionnelle, qui fait de celle-ci un mécanisme permettant de mettre fin aux conflits, pouvons-nous soutenir que le modèle canadien de justice transitionnelle répond-t-il aux exigences de cette institution? À partir des objectifs et des mécanismes de la justice transitionnelle, le présent article essaye de dégager les caractères qui distinguent la justice transitionnelle mise en œuvre au Canada de celle organisée dans d'autres pays. Mots-clés : Justice transitionnelle - approche comparative - pensionnats - vérité réconciliation Abstract The objectives of transitional justice are pursued in the context of peace and the restoration of the rule of law, generally at the end of political crises. The question becomes open to study when the objectives pursued by this justice system are no longer to restore peace and establish democracy and the rule of law, because they already exist, but to repair the damage suffered by communities. This is the case when it has to be applied in a country that is politically, institutionally and democratically stable, and which respects the rules of the rule of law. The Canadian 513 Pierre Félix Kandolo est Docteur en droit de l'Université de Montréal, Chercheur postdoctoral et Étudiant en DESS de 3ème cycle de perfectionnement de recherche - carrière scientifique en milieu universitaire, Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke. Il est Professeur full à la Faculté de droit de l'Université de Likasi, Avocat au Barreau du Haut-Katanga, à la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples et à la Cour pénale internationale. 233 model of transitional justice, which is more inspiring, has operated under the dimension of a developed, stable, democratic state applying the rules required for the rule of law. Given the definition of transitional justice, which makes it a mechanism for ending conflict, can we argue that the Canadian model of transitional justice meets the requirements of this institution? Based on the objectives and mechanisms of transitional justice, this article attempts to identify the characteristics that distinguish transitional justice implemented in Canada from that organized in other countries. Keywords: Transitional Justice - Comparative Approach - Residential Schools - Truth – Reconciliation Plan sommaire Introduction I. Justice transitionnelle et ses mécanismes de mise en œuvre II. Approche comparative pour comprendre l'archétype canadien A. Actes et légalité des pensionnats autochtones B. Pressions des survivants et double validation de la convention de règlement C. Accord des parties et institution de la Commission de vérité et réconciliation III. Autres nouveautés de l'archétype canadien de justice transitionnelle A. Préférence de la justice réparatrice sur la justice transitionnelle classique B. Absence de conflit armé et longue période séparant les faits et la justice Conclusion ………………………………………………………………………………. Introduction Bien connue dans toutes les sociétés, la justice transitionnelle semble débordée classiquement par les résultats qu'elle a fournis. Si elle est aujourd’hui un concept largement répandu et l’outil censé permettre le passage – la transition – d’un système autoritaire – où l’État de droit est nié – à un régime démocratique respectueux des droits de la personne, elle n’en demeure pas moins extrêmement ambigüe tant dans sa philosophie que dans ses méthodes514. Ses différents éléments constitutifs combinent généralement des mesures réparatrices de justice restauratrice, tout en maintenant parallèlement des moyens de justice punitive à l’égard des principaux responsables ou des exécutants directs des crimes les plus graves. De ce fait, elle poursuit un but multiple dans le cadre de la fin d’un conflit où d’autres impératifs s’imposent aux responsables gouvernementaux tels que le désarmement [et la démobilisation] des forces combattantes, le renforcement de la 514 Éric SOTTAS, « Justice transitionnelle et sanction/Transitional justice and sanctions », (2008) 90870 International Review of the Red Cross 371‑398, 371, en ligne : <https://www.icrc.org/fre/assets/files/other/ irrc-870-sottas-web-fra-final.pdf>. 234 sécurité des citoyens, la compensation des victimes et la relance de l’économie de sociétés dévastées515. Là où elle a été mise en place, la "justice transitionnelle" a réussi à réparer, ne fût-ce que moralement, les préjudices subis par les victimes issues des conflits qu'elle voudrait arrêter et [ou] limiter516 dans le cadre d'une lutte contre l'impunité. À la différence de la justice dite "ordinaire", rendue par des juridictions qui disent le droit et tranchent les litiges, la justice transitionnelle repose sur une pluralité de mécanismes qui ne disent pas seulement le droit mais cherchent la vérité et qui n’ont pas forcément pour but de condamner [ou de trancher les conflits] mais de déterminer les responsabilités et de traiter les exactions commises par le régime passé517 en vue d'une réconciliation, d'une reconstruction et d'une réparation. Elle s’identifie donc plus par le but recherché que par les organes, et finalement par les moyens pour l’atteindre518. Par essence, elle intervient pour mettre fin aux atrocités commises pendant une période donnée à la suite de conflits (armés) et sortir définitivement de ces derniers. Cette forme de justice a été retenue comme mode traditionnel par lequel un règlement des conséquences néfastes qui en ont été occasionnées allait être trouvé519. De l'ensemble des mécanismes de justice transitionnelle connus, quatre ont émergé de façon incontestable, à savoir : l’amnistie, les poursuites pénales, la Commission de vérité et réconciliation et les réformes institutionnelles. Ces mécanismes se traduisent par les piliers ci-après : les procès, les réparations, la recherche de la vérité et les réformes institutionnelles, qui doivent être combinés dans une stratégie "holistique", et en les intégrant tous dans le règlement de conflit né520 en vue de prévenir des conflits à naître. 515 Id. Nous pouvons citer les pays comme l'Afrique du Sud avec The Truth and Reconciliation Commission, le Chili avec la Commission nationale de vérité et de la réconciliation, etc. 517 Fabrice HOURQUEBIE, « Réparer pour construire », dans Xavier PHILIPPE (dir.), La justice face aux réparations des préjudices de l’histoire. Approche nationale et comparée, Université Varenne, coll. "Transition & justice", n°1, Varenne, Institut universitaire Varenne, 2013, p. 73‑79. Voir également Fabrice HOURQUEBIE, "La notion de « justice transitionnelle » a-t-elle un sens ?", en ligne : <http://www.droitconstitutionnel.org/congresParis/comC5/ HourquebieTXT.pdf> (consulté le 22 août 2023). 518 F. HOURQUEBIE, préc., note 4. 519 Maritza FELICES-LUNA, « La Justice en République Démocratique du Congo : transformation ou continuité ? », (2010) VII Champ pénal/Penal field 1‑17, 2‑3, en ligne : <http://champpenal.revues.org/7827> (consulté le 13 octobre 2023). 520 "Rétablissement de l'État de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit", NATIONS UNIES - CONSEIL DE SÉCURITÉ, « Rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur le rétablissement de l’état de droit et l’administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit », Conseil de Sécurité des Nations Unies (23 août 2004), en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/2004/616> (consulté le 15 août 2023). Voir Andrieu KORA, La justice transitionnelle. De l’Afrique du Sud au Rwanda, coll. "Folio Essais", n°571, Paris, Gallimard, 2012, p. 489. 516 235 Si dans certains États cette forme de justice a été connue et n'a existé qu'à la fin de conflit armé, dans d'autres, cependant, elle a été mise en œuvre en l'absence de tout conflit armé immédiat et, dans la plupart des cas, même pendant le régime démocratique, stable, respectant les règles d'un État de droit. C'est le cas lorsqu'elle intervient pour cause de l'esclavage, de la colonisation, de la dictature, de la shoah ou de toute autre forme de maltraitance ou de l'injustice faite à la population pendant les périodes de sa vulnérabilité et lorsque les préjudices de ces crimes historiques n’en finissent pas de se perpétuer des décennies, voire des siècles après521. Cette présentation de la justice transitionnelle sous ces deux formes nous conduit à analyser le cas particulier du modèle canadien en vue de la situer par rapport aux autres modèles mis en œuvre dans d'autres États. Pratiquement, nous confrontons le modèle général de cette justice des autres modèles. Il s'agit de développer les notions théoriques de justice transitionnelle déjà mise en œuvre ailleurs qu'au canada (I) ; d'analyser le modèle canadien pour comprendre ses différences avec d'autres modèles préexistants (II) et ce, avant d'examiner les éléments plus particuliers créés par le modèle canadien (III). I. Justice transitionnelle et ses mécanismes de mise en œuvre L’évolution de la justice transitionnelle, telle que décrite par Hinton522, permet une compréhension claire du développement de ce concept et est compatible avec les évolutions décrites par d’autres auteurs tels que Hazan 523, La Rosa et Philippe524. Si pour ces derniers, la naissance de la justice transitionnelle remonte à la fin de la deuxième guerre mondiale, d'autres, comme Kora Andrieu, Neil et Fabrice Hourquebie, la situent dans les années 1980525. Bien qu'ayant existé sous la 521 Radio France Internationale, Interview de Magali BESSONNE, "Comment réparer les crimes de l’histoire?", 8 novembre 2018, en ligne : <https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/matieres-a-penser/ comment-reparer-lescrimes-de-l-histoire-6082746> (consulté le 19 octobre 2023). 522 Alexander Laban HINTON, « Introduction : Toward an Anthropology of Transitional Justice », par Alexander Laban HINTON (éd.), “Transitional Justice : Global Mechanisms and Local Realities After Genocide and Mass Violence”, New Jersey, Rutgers university press, 2010, p. 124, dans Geneviève PARENT, « Justice transitionnelle et maintien de la paix », Réseau de recherche sur les opérations de paix (ROP) (13 janvier 2012), en ligne : <http://www.operationspaix.net/134-resources/details-lexique/justice-transitionnelle-etmaintien-de-la-paix.html> (consulté le 29 août 2023). 523 Pierre HAZAN, « La Paix contre la Justice ? Comment reconstruire un État avec des Criminels de Guerre », Bruxelles, Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), 2010, dans Id. 524 Anne-Marie LAROSA et Xavier PHILIPPE, « Transitional Justice », cité dans Vincent CHETAIL (ed.), « Post-Conflict Peacebuilding : A Lexicon », Oxford, Oxford University Press, 2009, 368379, dans Ibid. 525 Fabrice HOURQUEBIE, « Les processus de justice transitionnelle dans l’espace francophone : entre principes généraux et singularités », (2015) 3-3 Les Cahiers de la justice 321‑331, 323; A. KORA, préc., note 7, p. 479. 236 forme de justice internationale depuis le tribunal international de Nuremberg526, nombreux chercheurs s'accordent à situer la vie de la justice transitionnelle à partir des années 1980527. De l'ensemble des États ayant recouru à la mise en œuvre de la justice transitionnelle, nous pouvons dégager, avec Anne Stefani528, trois groupes de sociétés. Le premier groupe concerne des sociétés issues de colonisations de peuplement, à savoir l'Afrique du Sud (en forme d'Apartheid), le Canada (avec les Amérindiens), l'Australie (avec les Aborigènes), la Norvège et la Finlande (pour les politiques d'assimilation norvégiennes à l'égard des Samis, des Kven et des Norvégiens finnophones, y compris les finlandais des forêts529). Si ces sociétés sont aujourd'hui très différentes, leurs histoires respectives, anciennes et récentes, sont toutes marquées par des schémas d'oppression visant des populations autochtones, fondées sur des institutions créées et perpétuées par des descendants de colons européens en position de pouvoir. À part l'Afrique du Sud où la politique d'apartheid a donné lieu à la Commission vérité et réconciliation530 après la lutte armée, la question de justice transitionnelle dans ces États n'est pas fondée sur des conflits armés immédiats, mais plutôt sur la politique d'oppression mise en place lors de la colonisation ou de l'occupation étrangère contre les ascendants des actuels descendants. Le deuxième groupe provient des conflits impliquant des États-nations européens établis de longue date, où des mouvements, protestataires ou nationalistes, 526 G. PARENT, préc., note 9. Contrairement à Hinton sur ce point, Noémie Turgis situe le début de la forme actuelle de la justice transitionnelle dans les années 70 avec la chute des régimes militaires grecs en Europe du sud (en 1974), Espagnols à la suite de la « révolution des Œillets » (événement d’avril 1974) et portugais (avec la fin de la dictature au décès du Général Franco en 1975), en Amérique du sud avec le refus opposé par la population à la réforme constitutionnelle en Uruguay (au début des années 1983), l’élection de Raül Alfonsin en Argentine (1985), l’installation progressive de la démocratie au Brésil (à partir de 1985), la défaite de Pinochet lors du plébiscite de 1988, ainsi qu’avec l’effondrement du bloc soviétique en 1989 : Noémie TURGIS, La justice transitionnelle en droit international, coll. "Organisation internationale et relations internationales", n°76, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 9. 528 Préface de Anne Stefani dans Joana ETCHART et Franck MIROUX (dir.), Les pratiques de vérité et de réconciliation dans les sociétés émergeant de situations violentes ou conflictuelles, coll. Transition & justice, n 26, Bayonne, Institut francophone pour la justice et la démocratie, 2020, p. 15‑17. 529 Pour le cas de Norvège et de Finlande, l'on peut utilement lire le Rapport de la Commission vérité et réconciliation ainsi que son résumé dans Astrid NONBO SNDERSEN, Astri DANKERTSEN et Otso KORTEKANGAS, « Le processus de Vérité et réconciliation en Norvège va-t-il changer les choses ? », Justice info. Fondation Hirondelle (29 août 2023), en ligne : <https://www.justiceinfo.net/fr/120811-processus-verite-reconciliation-norvege-changerchoses.html> (consulté le 23 octobre 2023). 530 Denis HISRSON, « Quelques réflexions sur la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud », dans Joana ETCHART et Franck MIROUX (dir.), La justice participative. Changer le milieu juridique par une culture intégrative de règlement des différends, coll. "Transition & justice", n°26, Bayonne, Institut francophone pour la justice et la démocratie, 2020, p. 23‑31. 527 237 fortement influencés par les luttes pour l'égalité des droits menées dans les années 1960 et 1970, ont lutté contre l'État central, mais aussi contre leurs opposants au sein des territoires concernés. Dans cette catégorie, nous retenons les États comme l'Irlande du Nord et le Pays Basque espagnol531. Le troisième groupe est composé des États-nations créés à l'issue de la décolonisation, gouvernés d'abord par une succession de régime autoritaire dans un système de parti unique, puis déchirés par des guerres entre les forces gouvernementales et les forces de l'opposition, et enfin, le peuple réconcilié autour des conférences nationales, pour quelques-uns, en vue de l'instauration de la démocratie et de l'État de droit. Dans cette catégorie, la majeure partie des États se trouvent en Afrique francophone (Congo-Brazzaville, République démocratique du Congo, Benin, Côte d'Ivoire, etc.). L’ampleur des exactions commises, la destruction du lien social qui empêche les individus à vivre ensemble sans un minimum de pardon, et le profond bouleversement du tissu social et politique qui en découle ont poussé à l'idée d'une justice de transition avec un objectif principal : "établir la vérité et les responsabilités pour permettre aux individus de revivre dans une société apaisée qui parvienne à restaurer le sentiment d’appartenance à un même groupe532. Bien qu'il n’existe pas encore aujourd’hui une définition unanime533 de cette forme de justice534, il y a lieu de retenir, de manière large, que la justice transitionnelle est comprise comme un 531 Pour plus de détails à propos de la torture au Pays Basque Espagnol, voir Pauline GUELLE, « Torture et vérité au Pays Basque », dans Joana ETCHART et Franck MIROUX (dir.), Les pratiques de vérité et de réconciliation dans les sociétés émergeant de situations violentes ou conflictuelles, coll. "Transition & justice", n°26, Bayonne, Institut francophone pour la justice et la démocratie, 2020, p. 146‑166. 532 Antoine MICHON (dir.), Les processus de transition, justice, vérité et réconciliation dans l’espace francophone. Guide pratique, 2ème édition, Paris, Organisation internationale de la francophonie, 2021, p. 26, en ligne : <https://www.francophonie.org/sites/default/files/202108/guide_pratique_transition_justice_verite_conciliation_ 2021.pdf> (consulté le 19 octobre 2023). 533 Le Secrétaire général des Nations unies note que « [D]es concepts tels que ceux de « justice », d’« état de droit » et « d’administration de la justice pendant la période de transition » sont essentiels pour comprendre les efforts de la communauté internationale visant à promouvoir les droits de l’homme, protéger les personnes de la peur et du besoin, régler les litiges en matière de propriété, stimuler le développement économique, promouvoir une gouvernance responsable, et résoudre pacifiquement les conflits. Ils nous permettent de définir tout à la fois nos objectifs et nos méthodes. Pourtant, ces concepts sont définis et compris de multiples façons ». Doc. UN. S/2004/616, p. 6 : N. TURGIS, préc., note 14, p. 16. 534 Certains allant même jusqu’à lui refuser une existence en tant que concept : Sandrine LEFRANC, « La justice transitionnelle n’est pas un concept », (2008) 53-1 Mouvements 61, DOI : 10.3917/mouv.053.0061 ; F. BRISSET-FOUCAULT, N. GANDAIS-RIOLLET, A. LIPIETZ, A. NICOLAIDIS, « Vérité, justice, réconciliation : les dilemmes de la justice transitionnelle », nº spécial, Mouvements, Paris, 1998, p. 61-69, dans Noémie TURGIS, La justice transitionnelle en droit international, coll. "Organisation internationale et relations internationales", n°76, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 16. 238 […] ensemble des mesures judiciaires et non judiciaires qui ont été mises en œuvre par différents pays afin de remédier à l’histoire de violations massives des droits humains en temps de conflits et/ou de répression par l’État. Ces mesures comprennent les poursuites pénales, les programmes de réparation, les diverses réformes institutionnelles et les commissions de vérité535. Une telle définition ne peut être retenue par rapport aux objectifs que poursuit la justice transitionnelle. Elle parait limiter ce dernier concept aux seuls tribunaux, commissions de vérité, amnistie, réparations et politiques de lustrations, en mettant de côté les projets d’édification pour la mémoire collective536 et la refondation d’un État de droit qui sont parmi les principaux objectifs à atteindre. Pour cette raison, l'on recoure souvent à celle à la fois large et holistique, impliquant clairement l’aspect de réparation, donnée par le Secrétaire général des Nations unies et qui fait de la justice transitionnelle un concept qui […] englobe l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation. Peuvent figurer au nombre de ces processus des mécanismes tant judiciaires que non judiciaires, avec (le cas échéant) une intervention plus ou moins importante de la communauté internationale, et des poursuites engagées contre des individus, des indemnisations, des enquêtes visant à établir la vérité, une réforme des institutions, des contrôles et des révocations, ou une combinaison de ces mesures537. L’on doit relever qu'en droit international le concept de « Justice transitionnelle » est relativement nouveau, n’ayant été fondé que vers la fin de la 535 Traduction libre de « What is transitional Justice ? » : Marc FREEMAN et Dorothée MAROTINE, « Qu’est-ce que la justice transitionnelle ? », Centre International pour la Justice transitionnelle (19 octobre 2007), en ligne :<http:/www.ictj.org/images/contents/7/5/752pdf> (consulté le 5 juin 2016). Pour une définition de la justice transitionnelle, v. également : Alex BORAINE, "La justice transitionnelle : un nouveau domaine", Colloque sur Réparer les effets du passé. Réparations et transitions vers la démocratie, Ottawa, Canada, 11 mars 2004, en ligne : <http:/www.idrc.ca/uploads/user-S/10899187131Discours_d’Alex-Boraine.dco> (consulté le 5 juin 2016). Voy. également les réflexions de Juan Méndez dans l’Amicus Curiae présentées à la Cour Constitutionnelle colombienne sur la loi 975 de Justice et Paix analysant, à partir de diverses expériences, les exigences de la justice transitionnelle, 17 janvier 2007, en ligne : <http://www.Americas/Colombia/colombia. justicebrief.spa.pdf> (consulté le 5 juin 2016). 536 Tricia D. OLSEN, Leigh A. PAYNE et Andrew G. REITER, «Transitional Justice in Balance: Comparing Processes, Weighing Efficacy », Washington D.C., United States Institutes of Peace Press, 2010, dans G. PARENT, préc., note 9. 537 NATIONS UNIES - CONSEIL DE SÉCURITÉ, préc., note 7, par. 8, p. 7. 239 guerre froide538 pour devenir un champ d’étude et de défense des droits de la personne à part entière dans les années 1990539. La lutte pour l’instauration d’un nouvel ordre mondial, évoquée dans toutes les conférences nationales et lors des tractations pour la recherche de la paix540, surtout en Afrique d’où est issue véritablement les formes actuelles de la justice transitionnelle (plus précisément de l’Ouganda avec le dictateur Idi Amin Dada)541, a occasionné une nouvelle « vague de démocratisation observée à la suite des indépendances des pays de l’Europe de l’Est. En Amérique latine et en Afrique, des pays postsocialistes ont eu à faire face à leur passé violent et répressif alors qu’ils tentaient de se démocratiser. C’est dans ce contexte que la justice transitionnelle a pris forme, alors qu’un consensus croissant se développait au sein de la communauté internationale selon lequel des mesures de justice transitionnelle étaient nécessaires à la gestion des violations des droits de la personne perpétrées dans ces pays542. Depuis cette période donc, la justice transitionnelle fait référence aux défis auxquels font face les nouveaux régimes devant confronter le passé violent et répressif des régimes autoritaires précédents avant de pouvoir s’engager pleinement dans leur projet de démocratisation543. Dans les autres États, non socialistes, ce sont les guerres fratricides entre les nationaux, faites après les dictatures qui ont suivi la période des indépendances, qui ont donné naissance à cette forme de justice. Alexander Laban HINTON, « Introduction: Toward an Anthropology of Transitional Justice », par Alexander Laban HINTON (éd.), “Transitional Justice : Global Mechanisms and Local Realities After Genocide and Mass Violence”, New Jersey, Rutgers university press, 2010, p. 1-24 ; Arthur PAIGE, « How “Transitions” Reshaped Human Rights: A Conceptual History of Transitional Justice », Human Rights Quarterly, 31, 2009, p.321-367, dans G. PARENT, préc., note 9. 539 Marine Eudes explique, à propos du terme justice transitionnelle, que si cette notion a rencontré un écho positif dans la doctrine et les organisations non-gouvernementales (autour de l’incontournable International Center for Transitional Justice), elle suscite aussi l’intérêt des instances internationales depuis le milieu des années 1990 : Marina EUDES, « La justice transitionnelle », dans Hervé ASCENSIO, Emmanuel DECAUX et Alain PELLET (dir.), Droit international pénal, 2ème édition révisée, Paris, A. Pedone, 2012, p. 594‑601 à la page 593. ; Naomi ROHT-ARRIAZA, « The New Landscape of Transitional Justice », par Naomi ROHT-ARRIAZA et Javier MARIEZCURRENA (eds.), “Transitional Justice in the Twenty-First Century”, New York, Cambridge University Press, 2006, p.1-16, dans G. PARENT, préc., note 9. 540 Ruffin Viclère MABIALA, La justice dans les pays en situation de post-conflit. Justice transitionnelle, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 98. 541 Sous la pression internationale, le Président Ougandais, Idi Amin Dada, décida d’ouvrir une enquête sur les violations massives des Droits de l’Homme commises par son prédécesseur, Milton Oboté, en 1974, alors qu’il fut son Chef d’État-Major. Il n’est pas surprenant de constater que ce soit un dictateur qui, après avoir pris le pouvoir par la force, créa la première structure de justice transitionnelle : R. V. MABIALA, préc., note 27, p. 100‑101. 542 Id., p. 101. 543 Harvey M. WEINSTEIN, Laurel E. FLETCHER, Patrick VINCK et Phuong N. PHAM, « Stay the Hand of Justice: Whose Priorities Take Priority? », cité par Rosalind SHAW, Lars WALDORF et Pierre HAZAN, « Localizing Transitional Justice: Interventions and Priorities after Mass Violence », Stanford, Stanford University Press, 2011, dans Ibid. 538 240 De tous les principaux mécanismes de justice transitionnelle auxquels les États se sont référés, cette dernière s’est exprimée en particulier et de manière emblématique dans les Commission Vérité et Réconciliation (CVR), Commission Vérité et Justice (CVJ), Dialogue Vérité et Réconciliation (DVR) ou encore Clarification historique (CH). Ce mécanisme est parfois accompagné, dans certains pays sortant des conflits armés, par d’autres formes de justice alternatives traditionnelles comme le gacaca au Rwanda (créé pour accompagner la Commission nationale pour l'unité et la réconciliation du Rwanda544) ou l'Adat (coutume ou droit coutumier) au Timor-Leste (ex - Timor oriental). Il faut résumer que la justice dite transitionnelle est une justice qui dépasse « la seule justice rétributive – la punition du coupable – pour s’intéresser également à la recherche de la vérité et au sort des victimes »545. Il s’agit, à juste titre, s’agissant de certaines réponses apportées aux crimes de masse, de « nouvelles formes de justice »546, qui viennent s'établir, de manière temporelle, au côté de la justice traditionnelle et dont les mécanismes s'articulent autour de quatre piliers ci-après: 544 Voir la Loi n 3/99 du 12 mars 1999 portant création de la Commission nationale pour l'unité et la réconciliation du Rwanda (CNUR) et la Loi n 35/2002 du 14 novembre 2002 modifiant et complétant la Loi n° 3/99 du 12 mars 1999 visant à rendre permanente la Commission nationale pour l'unité et la réconciliation, en ligne : <https://www.refworld.org/cgibin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=52df9 c374> (consulté le 23 octobre 2023). 545 Xavier PHILIPPE, « Les Nations unies et la justice transitionnelle : bilan et perspectives », (2006) 21-22 Observatoire des Nations Unies 169-191, 170, en ligne : <https://halshs.archivesouvertes.fr/halshs-0054 2128/en/> (consulté le 30 août 2018). 546 Antoine GARAPON, Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner pour une justice internationale, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 282. Certains auteurs préfèrent classer la justice transitionnelle dans le courant transitologique (ou de la transitologie), qui relève des sciences politiques, né dans les années 1980 aux États-Unis et développé sur la base des changements démocratiques amorcés dès les années 1970 dans certains pays d’Europe du sud et de l’Amérique latine. V. les quatre volumes publiés sur cette question en 1986 : Guillermo O’DONNEL, Philippe C. SCHMITTER et Laurence WHITEHEAD (ed.), « Transitions from Authoritarian Rule : Southern Europe », Baltimore London, The Johns Hopkins University Press ; Guillermo O’DONNEL, Philippe C. SCHMITTER et Laurence WHITEHEAD (ed.), « Transitions from Authoritarian Rule : Latin America », Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press, 1986 ; Guillermo O’DONNEL, Philippe C. SCHMITTER et Laurence WHITEHEAD (ed.), « Transitions from Authoritarian Rule : Comparative Perspectives», Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press, 1986 ; Guillermo O’DONNEL, Philippe C. SCHMITTER et Laurence WHITEHEAD (ed.), « Transitions from Authoritarian Rule. Tentative Conclusions about Uncertain Democracies », Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press, 1986. Pour un résumé de la naissance de ce courant aux États-Unis dans les années 1980, v. Pierre HAZAN, « Juger la guerre, juger l’histoire. Du bon usage des Commissions vérité et de la justice internationale », PUF, 2007, p. 46 à la page 47, dans Émmanuel GUEMATCHA, Les commissions vérité et les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, coll. "Publications de l’Institut international des droits de l’homme", n°23, Paris, A. Pedone, 2014, p. 24-25. Le courant transitologique appréhende la transition comme correspondant à la période qui se situe entre deux régimes politiques, de l’autoritaire vers une libéralisation ou une démocratisation du conflit armé vers l’instauration d’une paix durable : Guillermo O’DONNEL, 241 1) les mécanismes pour établir la vérité (le droit des victimes à la vérité) ; 2) les mécanismes pour la répression pénale des crimes commis (droit des victimes à la justice) ; 3) les mécanismes ou mesures de réparation (droit des victimes à la réparation) et 4) les réformes des institutions pour éviter de nouvelles crises (droit des victimes aux garanties de non-répétition). Le souci majeur d'instauration d'une justice transitionnelle reste la reconstruction de la structure étatique et des institutions, d’un côté, et la restauration de la Nation au sens du « vouloir vivre ensemble », par la sanction et la réparation des violations individuelles de l’autre. C’est dans ce contexte qu’il importe de bien comprendre l’approche reconstructive et réconciliatrice des commissions vérité et réconciliation ou des institutions équivalentes dans les processus de justice transitionnelle547. Ces institutions sont avant tout créées pour révéler, comprendre et établir l’histoire des violations passées afin de reconstruire une identité nationale qui va trouver son ancrage dans le partage d’une histoire commune de la violence548. La théorie de la justice transitionnelle ainsi précisée, tant sur la définition que sur les mécanismes, n'a pas reçu la même compréhension dans tous les États. Si pour certains le conflit armé est l'élément déclencheur de cette forme de justice, pour d'autres cependant, elle a existé en dehors de tout conflit armé. Le modèle canadien demeure un cas d'illustration sur lequel porte cette réflexion. II. Approche comparative pour comprendre l'archétype canadien La compréhension de l'institution de la justice transitionnelle à travers la Commission de vérité et réconciliation canadienne nous oblige à présenter, en premier lieu, les faits à l'origine du processus de réconciliation à travers les actes posés et la légalité des institutions des pensionnats indiens (A). En second lieu, nous examinons les pressions à l'origine de l'institutionnalisation de la Commission de vérité et réconciliation et la double approbation de la convention de règlement Philippe C. SCHMITTER et Laurence WHITEHEAD (ed.), « Transitions from Authoritarian Rule. Tentative Conclusions about Uncertain Democracies», Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press, 1986, p. 7 à la page 11 ; Ruti TEITEL, « Transitional Jurisprudence : The Role of Law in Political Transformation », The Yale Law Journal, Vol. 106, 1997, 20092080, p. 2013, dans Émmanuel GUEMATCHA, Les commissions vérité et les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, coll. "Publications de l’Institut international des droits de l’homme", n°23, Paris, A. Pedone, 2014, p. 25. 547 F. HOURQUEBIE, préc., note 12, 326. 548 Antoine MICHON (dir.), Les processus de transition, justice, vérité et réconciliation dans l’espace francophone. Guide pratique, 2ème édition, Paris, Organisation internationale de la francophonie, 2021, p. 20, en ligne : <https://www.francophonie.org/sites/default/files/202108/guide_pratique_transition_justice_verite_conciliation_ 2021.pdf> (consulté le 19 octobre 2023). 242 conclue entre les parties litigantes (B). En troisième lieu, nous examinons la nature et le contenu des accords ayant précédé l'institution de cette Commission (C). A. Actes et légalité des pensionnats autochtones Les faits à la base de la justice transitionnelle au Canada présentent un caractère particulier. La Commission de vérité et réconciliation canadienne, contrairement aux commissions créées dans d'autres pays, a été instituée en vue de traiter une situation causée légalement par l'État, avec des lois qui ont créé les pensionnats autochtones dont les préjudices ont été commis avec le soutien de plusieurs gouvernements successifs549. De la lecture de nombreuses versions des faits, il a été narré que c'est, officiellement, entre 1881 et les années 1996, que plus de 150 000 enfants métis, Inuits et membres des Premières nations ont été placés dans les 130 pensionnats pour autochtones (officiellement appelés "pensionnats indiens" et parfois appelés "pensionnats autochtones"), souvent contre la volonté de leurs parents. Ces écoles confessionnelles chrétiennes, subventionnées par le gouvernement et administrées par des congrégations religieuses, ont été instituées pour éliminer le rôle des parents dans l’épanouissement intellectuel, culturel et spirituel des enfants autochtones dans le cadre d’une politique officielle de « re-culturation ». La plupart des enfants placés n’avaient pas le droit de parler leur langue et de conserver leur culture et ont subi des violences psychologiques, physiques et sexuelles, conduisant certains d’entre eux à mettre fin à leurs jours550. Dans le Rapport intérimaire de la Commission de vérité et réconciliation551, il est affirmé que jusqu'aux années 1990, le gouvernement canadien, avec le concours d'un certain nombre d'églises chrétiennes, a exploité un système de pensionnats pour les enfants autochtones. Ces écoles et pensionnats financés par l'État et généralement dirigés par une église ont été créés pour assimiler de force les Autochtones dans le courant dominant du Canada en éliminant la participation des parents et de la collectivité du développement intellectuel, culturel et spirituel des enfants autochtones. En règle générale, il était légalement interdit à ces enfants de parler leurs langues maternelles ou de se livrer à leurs propres pratiques culturelles et spirituelles. Des générations d'enfants ont été traumatisés par l'expérience. L'absence de 549 Marie WILSON, « Il est bien trop tôt pour dire que Canada a eu un grand succès avec la Commission », Justice info.net - Fondation Hirondelle (21 septembre 2020), en ligne : <https://www.justiceinfo.net/fr/45447-marie-wilson-trop-tot-pour-dire-canada-grand-succescommission.html> (consulté le 9 novembre 2023). 550 A. MICHON (dir.), préc., note 35, p. 56. 551 COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, Commission de vérité et réconciliation du Canada : Rapport intérimaire, Winnipeg (Manitoba), Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2012. 243 participation parentale et familiale à l'éducation des enfants a également empêché ces derniers d'acquérir des compétences sur l'art d'être parent. On évalue à 80 000 le nombre d'anciens élèves encore vivant lors de la création de la Commission vérité et réconciliation552. Puisque les pensionnats indiens ont fonctionné pendant bien plus d'un siècle, les répercussions qui en découlèrent furent transmises des grands-parents aux parents, puis aux enfants. Ces séquelles qui se sont transmises de génération en génération ont contribué à des problèmes sociaux, à une mauvaise santé et à de faibles taux de réussite scolaire dans les communautés autochtones d'aujourd'hui. Pour ces raisons, à compter du milieu des années 1990, des milliers d'anciens pensionnaires ont intenté des poursuites judiciaires contre des églises qui dirigeaient ces écoles et contre le gouvernement fédéral qui les finançait. Elles ont été à l'origine de plusieurs recours collectifs importants qui ont été réglés en 2007 grâce à la mise en œuvre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, le plus important règlement d'un recours collectif dans l'histoire du Canada. La Convention, placée sous la surveillance d'un tribunal, a eu pour but de remédier aux torts causés par le système de pensionnats indiens. En plus d'indemniser les anciens pensionnaires, la Convention a établi la Commission de vérité et réconciliation du Canada dont le budget a été évalué à 60 millions de dollars et la durée du mandat de cinq ans, soit de 2008 à 2012553, avec le mandat de rédiger "un rapport à l'intention de la population du Canada sur les faits qui se sont déroulés dans les pensionnats indiens fréquentés par des enfants des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis, sur la reconnaissance des expériences et sur les conséquences et les séquelles durables laissées par ces institutions554". La pression sociale fut exercée sur le Gouvernement fédéral canadien par des plaintes déposées par les enfants passés par les pensionnats et leurs héritiers. C'est cette pression qui poussa la justice à prendre une décision en faveur d'un règlement négocié. Cela a nécessité deux choses importantes : d'abord, que les autochtones soient suffisamment structurés et organisés pour faire la demande ; et, ensuite, que l’État canadien ait la capacité de l’accepter politiquement et socialement. La justice mise en œuvre par suite de ces pressions a conduit d'abord à une double validation de la convention de règlement conclue entre le gouvernement et les victimes et, ensuite, à l'institution de la Commission de vérité et réconciliation. 552 A. MICHON (dir.), préc., note 35, p. 56. COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, préc., note 38. 554 Le mandat de la Commission est défini à l'Annexe N de Règlement relatif aux Pensionnats Indiens, en ligne : <https://www.residentialschoolsettlement.ca/French/settlement.html> (consulté le 1er novembre 2023). 553 244 B. Pressions des survivants et double validation de la convention de règlement Pour la première fois dans l'histoire de la justice transitionnelle, une commission a été créée grâce aux actions et aux pressions des survivants, des victimes des pensionnats, devant les tribunaux où le gouvernement et les Églises étaient les accusés. À en croire Marie Wilson, au moins 80 000 survivants [des victimes] ont porté leurs plaintes555. Une autre innovation est l'approbation par la Cour fédérale de l'entente de règlement Gottfriedson pour les anciens élèves externes des pensionnats indiens. En effet, dans les pays où la justice transitionnelle a été organisée, les décisions des Commissions s'appliquaient sans recourir à une procédure judiciaire supplémentaire d'approbation par une juridiction de droit commun. Le système de justice transitionnelle canadien s'est distingué par l'approbation, en date du vendredi 24 septembre 2021, de l'Accord de règlement Gottfriedson pour les anciens élèves externes des pensionnats indiens par la Cour fédérale. Cette approbation a été précédée, en mai 2006, de l'approbation par toutes les parties à la Convention de règlement. La Cour a statué que la convention est juste, raisonnable et dans le meilleur intérêt des membres du groupe des survivants et des descendants556. Contrairement aux modèles classiques mis en œuvre dans de nombreux pays, la justice transitionnelle canadienne a commencé par le recours collectif des victimes devant la Cour, qui a abouti à une entente de règlement de différend, appelée aussi "Convention de règlement". Cette dernière a été soumise à la Cour fédérale pour son approbation. Cette formule que nous qualifions de "double validation" sépare le Canada des autres pays qui ont fait recours à la justice transitionnelle par le mécanisme de Commission vérité et réconciliation. Cette dernière, tout en demeurant totalement extrajudiciaire permettant de dédommager les personnes touchées et de leur procurer le soutien psychologique nécessaire, a vu les accords des particuliers conclus sous ses auspices être validés par une juridiction de droit commun. De cette façon, la Convention de règlement a maintenu sa forme d'une entente, convenue par consensus, entre les avocats des anciens élèves, les avocats des Églises, l'Assemblée des Premières Nations, d'autres organisations autochtones et le gouvernement du Canada pour parvenir à une résolution juste et durable des séquelles laissées par les pensionnats indiens. Il s'est agi de la mise en rapport les règles du "droit civil" avec les "programmes des réparations" conçus et appliqués. 555 556 M. WILSON, préc., note 36. GOUVERNEMENT DU CANADA, « La Cour fédérale du Canada a approuvé l’accord de règlement Gottfriedson pour les anciens élèves externes des pensionnats indiens », Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (1er octobre 2021), en ligne : <https://www.canada.ca/fr/relations-couronne-autochtones-affaires-nord/nouvelles/2021/10/lacour-federale-du-canada-a-approuve-laccord-de-reglement-gottfriedson-pour-les-anciens-elevesexternes-des-pensionnats-indiens.html> (consulté le 2 novembre 2023). 245 C. Accord des parties et institution de la Commission de vérité et réconciliation Dans le but de mettre un terme aux différents recours collectifs et recours collectifs Cloud mus par les victimes indiennes, et comme dans toutes les sociétés animées par le souci de réparer les victimes de ces genres d'actes à travers la mise en œuvre des mécanismes de la justice transitionnelle suivi du programme des réparations, le Canada a pris une série des textes légaux afin de tourner la page sur l’épisode des pensionnats indiens. Ces textes résultent de "Accord de principe" conclu le 20 novembre 2005 entre le Canada, les demandeurs et les Associations suivantes : Inuvialuit Regional Corporation, Société Makivik, Nunavut Tunngavik Inc., Avocats indépendants et Assemblée des Premières Nations, Synode général de l’Église anglicane du Canada, Église presbytérienne au Canada, l’Église Unie du Canada et Entités catholiques romaines557. Pour mettre en œuvre l'esprit de cet Accord de principe, trois textes peuvent être évoqués : la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (Annexe N) (qui découle d’un recours judiciaire intenté par plusieurs anciens élèves des pensionnats, appuyé par l’Assemblée des Premières nations, contre le gouvernement du Canada et les congrégations religieuses) datée du 10 mai 2006 ; la Déclaration de Réconciliation du 7 janvier 1998 et les Principes établis par le Groupe de travail sur la vérité et la réconciliation et pendant les dialogues exploratoires (1998-1999). La Convention de règlement prévoyait notamment l'établissement de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) du Canada afin de faciliter la réconciliation entre les anciens élèves des pensionnats indiens, leurs familles, leurs communautés et tous les Canadiens. Cette Commission est une entité historique chargée de contribuer à la vérité, à la guérison, à la réconciliation558 et à la réparation des victimes ou de leurs descendants. Le mandat officiel de la CVR se trouve à l'annexe N de la Convention de règlement. Il énonce les principes qui ont guidé la Commission dans ses importants travaux. Pour le Canada, au regard des éléments et de la procédure adoptée et suivie par la Commission de vérité et réconciliation, l'approche de "justice réparatrice" semble avoir été privilégiée au détriment de celle transitionnelle proprement dite. Comme nous l'analysons plus bas, cette justice réparatrice a été appliquée par un Notons que les organismes religieux retenus dans la Convention sont ceux qui n’ont pas exploité un pensionnat indien ou qui ne comptaient aucun pensionnat indien à l’intérieur de leur territoire et qui ont apporté ou qui apporteront une contribution financière en vue du règlement des demandes déposées par des personnes qui ont fréquenté les pensionnats indiens. C'est le cas du diocèse de l’Église anglicane du Canada nommés à l’annexe G et des entités catholiques nommées à l’annexe H de la Convention du Règlement. Voir les Parties signataires de la Convention de Règlement relative aux Pensionnats Indiens. 558 Commission de vérité et réconciliation du Canada, en ligne : <https://www.rcaanccirnac.gc.ca/fra/145012440559 2/1529106060525> (consulté le 1 er novembre 2023). 557 246 mécanisme dit "Commission de vérité et réconciliation" auquel les missions ci-après ont été confiées559 : - de sensibiliser les Canadiens à ce qu’il s’est passé dans les pensionnats indiens en se basant notamment sur les dossiers, les déclarations des dirigeants de ces établissements, sur les expériences des survivants, de leurs familles, des collectivités…; - de révéler aux Canadiens la vérité complexe sur l'histoire et les séquelles durables des pensionnats dirigés par des églises d'une manière qui décrit en détail les torts individuels et collectifs faits aux Autochtones, qui rend hommage à la résilience ; - d'orienter et d'inspirer un processus de témoignage et de guérison qui devrait aboutir à la réconciliation au sein des familles autochtones, et entre les Autochtones et les communautés non autochtones, les églises, les gouvernements et les Canadiens en général. Le processus contribuera à renouveler les relations qui reposeront sur l'inclusion, la compréhension mutuelle et le respect. Composée de trois commissaires dont un juge en chef autochtone, une personne de la société civile et un avocat, la Commission de vérité et réconciliation a été dotée pour missions : - de reconnaître les expériences, les séquelles et les conséquences liées aux pensionnats ; - de créer un milieu holistique, adapté à la culture et sûr pour les anciens élèves, et leurs familles et collectivités, quand ils se présentent devant la commission ; - d'assister aux événements de vérité et de réconciliation, au niveau national et communautaire, et d'appuyer, de promouvoir et de faciliter de tels événements. Comme l'a affirmé Marie Wilson, dans une interview accordée à justiceinfo.net, "La Commission de vérité et réconciliation était tout à fait indépendante, [...], et si on la compare avec d’autres CVR ailleurs dans le monde, son but n’était pas politique mais c’était un but de guérison et de revendication des droits des victimes. C’était une commission tout à fait extraordinaire. Ce n’était pas une commission du gouvernement mais une commission pour laquelle le gouvernement a dû fournir les fonds comme une restitution financière pour les pensionnaires qui, eux, ont lutté pour la CRV en estimant que c’était l’aspect le plus important de l’entente. Ce n’était pas pour l’argent minable qu’ils [les autochtones] ont reçu, mais 559 COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, préc., note 38. 247 plutôt l’occasion d’expliquer ce qu’ils avaient vécu et d’éduquer le grand public sur l’histoire canadienne"560. La Commission a été chargée de révéler toute la vérité sur le système des pensionnats indiens au Canada et d'ouvrir la voie au respect grâce à la réconciliation au nom de l'enfant déraciné et du parent oublié561. Ce rôle est celui reconnu à toutes les Commissions vérité et réconciliation en tant que processus de justice post-conflit institué à la suite d'une guerre ou d'un conflit interne dont la nature extrêmement violente des crimes (crime de masse ou de génocide) rend difficile pour les anciens agresseurs et les agressés, ou survivants, de vivre ensemble à nouveau562. Leur but est d'assurer la transition vers une paix durable en réconciliant les parties563. Dans le but de connaître et de faire connaître la vérité, la commission a organisé des événements dans l’ensemble du pays. Elle estime qu’il y a eu jusqu’à 155 000 visites aux sept événements nationaux ; plus de 9 000 survivants des pensionnats indiens s’y étaient inscrits. La commission a aussi organisé des événements régionaux et mis en place 238 jours d’audiences locales dans 77 collectivités du pays. Les activités de sensibilisation visaient notamment à encourager les Canadiens de différents milieux à en apprendre davantage sur les séquelles des pensionnats indiens et à participer au travail de réconciliation en assistant aux événements proposés par la commission564. Toutefois, cette dernière dimension éloigne le Canada des autres États. Il est donc nécessaire de dégager quelques autres aspects les plus importants qui distinguent le Canada des autres États sur la justice transitionnelle. III. Autres nouveautés de l'archétype canadien de justice transitionnelle Outre les distinctions énumérées ci-dessus, le contexte particulier de la justice transitionnelle au Canada s'explique également par plusieurs autres éléments pouvant être constatés par la préférence du choix de l'approche justice réparatrice en lieu et 560 Interview de M. WILSON, préc., note 36. COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, préc., note 38. 562 Dany RONDEAU, « Vérité et narration dans les processus de justice post-conflit : Le cas de la Commission de vérité et réconciliation du Canada sur les pensionnats indiens », dans Joana ETCHART et Franck MIROUX (dir.), Les pratiques de vérité et réconciliation dans les sociétés émergeant des situations violentes ou conflictuelles, coll. "Transition & Justice", n° 26, Bayonne, Institut francophone pour la justice et la démocratie, 2020, p. 33‑54 à la page 35. 563 Id., p.35. 564 COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir. Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, s.l, s.e, 2015, en ligne : <https://ehprnh2mwo3.exactdn.com/wpcontent/uploads/2021/04/1-Honorer_la_verite_reconcilier_pour_lavenir-Sommaire.pdf> (consulté le 1 novembre 2023). 561 248 place de celle transitionnelle classique (A) et l'absence d'un conflit armé et d'une transition à la base d'une justice transitionnelle (B). A. Préférence de la justice réparatrice sur la justice transitionnelle classique S'agissant de la mise en œuvre de la justice transitionnelle, il a été appliqué dans le monde une diversité de modèles de Commission vérité et réconciliation (CVR), que l'on peut classer, selon Dany Rondeau, en deux groupes en fonction de leur rapprochement à la justice post-conflit565: d'une part, la justice transitionnelle et, de l'autre part, la justice réparatrice566. Si la première approche est calquée sur le processus des cours de justice ordinaire [ou classique] tournée vers l'établissement des faits et des responsabilités des accusés ou des agresseurs567 en se fondant sur les témoignages des parties et centrée sur le crime ou la faute, la seconde approche se concentre sur les témoignages des victimes survivantes et de leurs proches afin de faire connaître et reconnaître les souffrances et les torts causés aux victimes568. Elle est donc centrée beaucoup plus sur les victimes et sur leurs témoignages. Les deux approches peuvent aller de pair, mais rarement en même temps ou au sein des mêmes instances. Le plus souvent, les Commissions vérité et réconciliation auront à faire un choix entre les deux formes de justice en fonction d'un objectif prioritaire569. La justice réparatrice, appelée aussi « justice restauratrice ou restaurative », est celle qui vise à remettre en état le tissu social perturbé570, à instaurer ou à rétablir des rapports fondés sur l’équité sociale, des rapports où les droits de chacun à la dignité, à la sollicitude et au respect sont honorés en toute égalité571. Tendant vers l’équité sociale, la justice réparatrice exige essentiellement que l’on se préoccupe de 565 D. RONDEAU, préc., note 49. Sur les deux formes de justice, voir Pierre Félix KANDOLO ON’UFUKU WA KANDOLO, Droit des réparations. Droit général, droits de la personne et droit international humanitaire, Vol. 1, coll. "Économie/Droit", Paris, Edilivre Aparis, 2020 et Pierre Félix KANDOLO ON’UFUKU WA KANDOLO, Droit des réparations. Mécanismes pour l’accès des victimes à la justice, Vol. 2, coll. "Droit/Économie", Saint-Denis, Édilivre, 2020. 567 Matt JAMES, « A Carnival of Truth? Knowledge, Ignorance and the Canadian Truth and Reconciliation Commission », (2012) 6 The International Journal of Transitional Justice 1‑23, en ligne : <https://www.uvic.ca/socialsciences/politicalscience/assets/docs/faculty/james/jamescarnival-of-truth.pdf> (consulté le 2 novembre 2023). 568 D. RONDEAU, préc., note 49 à la page 35. 569 Id. 570 Jennifer J. LLEWELLYN et Robert HOWSE, La justice réparatrice - Cadre de réflexion. Mémoire préparé pour la Commission du droit du Canada, 1999, en ligne : <https://dalspace.library.dal.ca/bitstream/handle/10222/ 10287/Howse_Llewellyn_Research_Restorative_Justice Framework_FR.pdf?sequence=4&isAllowed=y > (consulté le 2 novembre 2023). 571 Pour plus de détails, voir Howard ZEHR, « Justice rétributive, justice restauratrice », dans Philippe GAILLY (dir.), La justice restauratrice. Textes réunis et traduits par Philippe Gailly, coll. "Crimen", Bruxelles, F. Larcier, 2011, p. 89‑108 ; Howard ZEHR, La justice restaurative. Pour sortir des impasses de la logique punitive, traduit par Pascale RENAUD-GROBRAS, coll. "Champ éthique", n°57, Genève, Labor et Fides, 2012. 566 249 la nature des rapports qui existent entre les particuliers, les groupes et les collectivités572. Au-delà de la dénonciation d’un comportement, de la réaffirmation de la loi ou du rétablissement immédiat de la paix sociale, la justice réparatrice donne la parole aux victimes et les replace dans une position de sujet actif573. Toutefois, le rétablissement des rapports ne signifie pas forcément la restauration de liens personnels ou intimes, mais bien plutôt l’équité sociale. Pour atteindre cette équité sociale, les réclamations formulées par les victimes indiennes ont trouvé finalement un arrangement particulier pour mettre un terme non seulement au litige proprement dit mais aux frustrations subies par cette communauté, en vertu duquel il a été convenu de créer une Commission de vérité et réconciliation. Cette dernière a réussi : à recueillir les déclarations et les documents des anciens élèves, de leurs familles, de la communauté et de tous les autres participants intéressés (la commission a reçu plus de 6 750 témoignages de survivants des pensionnats, de membres de leur famille et d’autres personnes) ; à faire appel à toute procédure ou méthode informelle nécessaire à la bonne marche des événements et activités de la commission; à tenir des séances à huis clos et à faire appel au Comité d’administration national (CAN) pour la détermination de litiges impliquant la production de documents, et leur disposition et archivage, le contenu du rapport et des recommandations de la commission, et les décisions de cette dernière. À cet effet, une entente a prévu un paiement d’expérience commune pour les survivants, allant à la hauteur de 10 000 $ pour la première année de fréquentation dans un pensionnat, puis de 3 000 $ pour les années subséquentes. Entre 2007 et 2011, environ 105 000 applications ont été reçues. 79 000 personnes ont reçu un paiement, le paiement moyen étant d’environ 20 000 $. La Convention de règlement prévoyait également un processus d’évaluation indépendant par lequel les survivants pouvaient passer afin de réclamer des compensations pour abus. 38 000 réclamations ont eu lieu à cet effet, la compensation moyenne étant de 91 000 $. À cela s’ajoute une enveloppe de 20 millions de dollars afin de développer des projets de commémoration et une enveloppe de 125 millions de dollars afin que la Fondation autochtone de guérison puisse étirer son mandat de cinq ans574. Toutefois, plusieurs interdictions pouvant constituer en même temps les faiblesses de la Commission de vérité et réconciliation ont été faites. C'est le cas notamment de ne pas tenir d’audiences formelles, ni faire fonction de commission 572 Godefroid MWAMBA MATANZI, La justice transitionnelle en RDC. Quelle place pour la commission vérité et réconciliation?, Paris, L’Harmattan, 2016. 573 P.F. KANDOLO ON’UFUKU WA KANDOLO, préc., note 53, vol.2, p. 232, n° 195. 574 Pour d'amples précisions sur les chiffres, voir : RADIO CANADA, « Le point sur les pensionnats pour Autochtones : savoir les différencier », Espaces autochtones (15 août 2022), en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1900095/pensionnat-externat-reglementconvention-compensation-autochtone> (consulté le 2 novembre 2023). 250 d’enquête publique, ni encore mener un processus judiciaire formel ; de ne pas assigner à témoigner ni à contraindre la présence ou la participation à l’un de leurs événements ou activités qui doit être strictement volontaire ; de s’abstenir de faire des constatations ou de formuler la moindre conclusion ou recommandation au sujet de l’inconduite d’une personne, à moins que ces constatations ou informations concernant la personne aient déjà été confirmées dans le cadre d’une procédure judiciaire, d’aveux, ou de déclarations publiques par la personne en question ; d’accéder à des déclarations faites par des individus à l’occasion d’événements, activités ou processus de la commission, à moins que l’individu ait donné son consentement exprès575. Il faut noter que la Commission de vérité et réconciliation a effectué son travail en l'absence préalable d'un conflit armé ou d'un pays sortant de conflit armé. Ceci constitue également une particularité de la justice transitionnelle canadienne. B. Absence de conflit armé et longue période séparant les faits et la justice Depuis plus de 20 ans, plus d'une quarantaine de commissions de vérité et de réconciliation ont été créées à l'issue de conflits civils dans des pays comme l'Afrique du Sud, le Pérou, la Colombie, la Sierra Léone, etc. La CVR canadienne est unique en ce sens que c'est la première Commission à traiter de violations des droits de la personne qui s'échelonne sur un siècle et qui portent sur le traitement des enfants autochtones576. En mars 2021, le rapport de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) révélait que sur une trentaine de ses pays membres ayant organisé la justice transitionnelle à travers des Commissions vérité et des institutions équivalentes, des Commissions d’enquête et des Commissions d’établissement des faits à l’exclusion des mécanismes juridictionnels (internationaux ou internationalisés) et coutumiers participant aux processus de transition, justice, vérité et réconciliation, l'on dénombre 17 États qui l'ont fait à la sortie des crises créées particulièrement par les conflits armés ; une douzaine des pays à cause de "mémoire" pour leurs ascendants. Pour certains pays africains, le mandat des Commissions a été élargi jusqu'à la période coloniale, à partir du 26 février 1885577. En effet, l'histoire mondiale contient d'innombrables chapitres d'atrocités commises par les hommes contre leurs semblables. Parmi les exemples de ce siècle figurent l'Holocauste de la Seconde guerre mondiale, les répressions et tortures sous les régimes dictatoriaux en Amérique du sud et en Afrique, la "guerre sale" de l'Argentine, le renvoi forcé d'enfants autochtones de leurs familles en Australie, 575 D. RONDEAU, préc., note 49; D. RONDEAU, préc., note 49. COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, préc., note 38, p. 11. 577 C'est le cas des pays tels que : le Burundi, la Côte d'Ivoire, la Gambie, le Madagascar, le Seychelles et le Togo. 576 251 l'assimilation des populations autochtones au Finland et en Norvège, la persécution systématique et généralisée du régime d'apartheid en Afrique du sud, le génocide au Rwanda et les différentes guerre en Europe de l'Est (ex-Yougoslavie) et en Afrique (République démocratique du Congo, Cote d'Ivoire, Libéria, Sierra-Léone). Qu'il s'agisse de la sortie de crise ou des crimes de l'histoire, la justice transitionnelle a été mise en place pour les réparations individuelles et collectives des préjudices causés aux victimes, réconcilier les membres des différentes communautés qui s'étaient violemment affrontés et instaurer les institutions démocratiques et l’État de droit. C'est dans ce sens que de nombreux programmes de réparation, selon les objectifs, ont été instaurés578. Pour la justice transitionnelle canadienne, la situation des peuples autochtones est un exemple des peuples dont l’histoire devrait conduire à se tourner vers elle parce que ces peuples ont subi des crimes extrêmement graves, de nature génocidaire, qui sont anciens et pour lesquels ils ont demandé des réparations pour les ascendants et les descendants. Ils sont en quelque sorte, pour reprendre les termes de Jean-Pierre Massias, "les sujets naturels de la justice transitionnelle, dont l’objet premier est de rattraper maintenant ce qui aurait dû être jugé avant579". Les mérites de cette justice se justifie par le fait que les "autochtones sont des peuples extraordinairement fragiles dans la mesure où ils sont peu nombreux, marginalisés, toute atteinte directe ou indirecte a presque une dimension génocidaire du fait qu’elle met en danger l’existence du groupe580". Ainsi, la Commission de vérité et réconciliation, contrairement aux autres pays, mais un peu plus qu'en Finlande et Norvège, est intervenue sans transition d'un régime quelconque vers un régime démocratique, et à l'absence de tout conflit armé et/ou de toute crise politique. Au lieu de déclencher la consolidation démocratique comme c'est le cas dans plusieurs États sortis de la crise, la justice transitionnelle canadienne contribue à l'amélioration la volonté de consolidation démocratique581. C'est donc, comme l'affirme Marie Wilson, "pour la première fois au monde, il y avait une commission vérité et réconciliation dans un pays soi-disant développé"582. 578 Pour plus de détails sur les programmes de réparations de justice transitionnelle, voir Rachelle KOUASSIA KOSSIA, Programmes de réparations, justice transitionnelle et droit international. Analyse à la lumière du droit individuel à réparation, Université de Genève, Faculté de droit, coll. Collection Genevoise. Droit international, Genève, Schulthess Éditions romandes, 2019, p.229 et ss. 579 Jean-Pierre MASSIAS, « Le nouveau modèle de la justice transitionnelle, c’est la Commission canadienne », Justiceinfo.net - Fondation Hirondelle (23 juillet 2019), en ligne : <https://www.justiceinfo.net/fr/41978-jean-pierre-massias-nouveau-modele-justicetransitionnelle-commission-canadienne.html> (consulté le 9 novembre 2023). 580 J.-P. MASSIAS, préc., note 66. 581 Id. 582 M. WILSON, préc., note 36. 252 Étant donné que la destruction d’une culture peut entraîner la destruction d’un groupe humain sans entraîner nécessairement la destruction physique des membres qui le compose, la commission canadienne a reconnu que les violences faites aux filles et aux femmes autochtones est une forme de génocide spécifique. Par cette reconnaissance, la commission introduit un nouvel élément sur le contenu du crime de génocide et a redéfini largement cette notion par rapport à la définition de la Convention internationale de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide qui n'a retenu que : a) le meurtre de membres du groupe; b) l'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; d) les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; et e) le transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe583. Conclusion Généralement, le projet de reconstruire un État de droit et de restaurer une gouvernance apaisée après la violence politique ou les exactions commises doit en effet permettre, à terme, la refondation d’un rapport politique solide au sein d’une société bien ordonnée et organisée. Sans la reconstruction du sentiment d’appartenance commune, point de dialogue national et de réconciliation possibles et sans la refondation de la mémoire collective en appelant à l’établissement des faits, au pardon, à la réparation, point de possibilité pour les individus de se retrouver dans une identité commune après une période – partagée par force – de violation massive des droits de la personne. Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique indienne du Canada étaient d'éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des Autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada584. L’établissement et le fonctionnement des pensionnats ont été un élément central de cette politique, que l’on pourrait qualifier de « génocide culturel ». À l'opposé du génocide physique, qui est l’extermination massive des membres d’un groupe ciblé 583 Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, article II, Résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies, A/RES/3/260. 584 John P. BROWN, « La réconciliation, votre responsabilité », Juste. Pour ceux qui ont une vocation (19 mars 2019), en ligne : <https://www.oba.org/JUST/Archives_List/2019/February-2019/AFirm-Route-to-Reconciliation?lang=fr-ca> (consulté le 11 novembre 2023). Voir aussi Brian FRANCIS et Dan CHRISTMAS, C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens. Rapport provisoire du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Ottawa, Sénat Canada, 2022, en ligne : <https://sencanada.ca/content/sen/committee/441/APPA/Reports/2022-06-27_APPA_S3_Report_f_FINAL.pdf> (consulté le 11 novembre 2023). 253 et du génocide biologique, qui se manifeste par la destruction de la capacité de reproduction du groupe, un génocide culturel (nouvelle notion introduite par la CVR canadienne) pratiqué contre les autochtones au Canada est la destruction des structures et des pratiques qui permettent au groupe de continuer à vivre en tant que groupe. Les États qui s’engagent dans un génocide culturel visent à détruire les institutions politiques et sociales du groupe ciblé. Des terres sont expropriées et des populations sont transférées de force et leurs déplacements sont limités. Des langues sont interdites. Des chefs spirituels sont persécutés, des pratiques spirituelles sont interdites et des objets ayant une valeur spirituelle sont confisqués et détruits et interdiction de transmettre leurs valeurs culturelles et leur identité d’une génération à la suivante585. Devant pareil génocide, il faut des réparations, individuelles et collectives, au profit des victimes. La résolution des séquelles laissées par les pensionnats indiens est au cœur même de la réconciliation et du renouvellement des relations entre les Autochtones ayant fréquenté les pensionnats indiens, de même que leurs familles et leurs collectivités et tous les Canadiens. Telle qu'appliquée, la commission de vérité et réconciliation canadienne est un instrument de justice transitionnelle à long terme pour traiter les tensions de la mémoire, à la différence du rôle qu'elle joue dans les pays sortant des conflits armés immédiats ou des troubles politiques internes. Cette forme de justice transitionnelle s'est développée dans des sociétés démocratiques, stabilisées, pour des problèmes précis, et qui tentent de trouver une solution par la vérité586, par la reconnaissance, par la réparation et par la non-répétition. On a, par certains côtés, un précédent récent en France, concernant les mineurs licenciés après la grande grève de 1948. En 2014, le Parlement français vote une loi d’indemnisation, de reconnaissance et de mise en place d’une commission, dont l’objectif est de réécrire l’histoire pour les manuels scolaires et de réévaluer les atteintes dont ces mineurs ont été victimes587. Toutefois, cette commission avait la forme d'une commission d'experts. La Commission vérité et réconciliation canadienne est la première à être instituée dans un pays dit "développé" et "hautement stable et démocratique". C'est pour la première fois, qu'une commission faisait face aux dommages vécus particulièrement par des enfants, et des enfants d’une ethnie particulière. Contrairement à ailleurs, elle ne se déroulait pas dans un contexte militaire ou de 585 COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir. Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, s.l., s.e., 2015, en ligne : <https://ehprnh2mwo3.exactdn.com/wpcontent/uploads/2021/04/1-Honorer_la_verite_reconcilier_pour_lavenir-Sommaire.pdf> (consulté le 1er novembre 2023). 586 Sur les différents types de vérité à considérer lors de la narration et de la reconstruction des faits, voir D. RONDEAU, préc., note 49 aux pages 45-46. 587 J.-P. MASSIAS, préc., note 66. 254 guerre, avec un laps de temps plus court. Elle traitait de violences qui se sont déroulées pendant plus de 130 ans. Bien que la Canada ne soit pas le premier pays développé avec des institutions stables à organiser cette forme de justice, la particularité de son modèle se caractérise par plusieurs autres éléments dont le traitement par la commission d'une situation causée légalement, avec des lois qui ont créé les pensionnats autochtones dont les préjudices ont été commis avec le soutien de plusieurs gouvernements successifs. Aussi, les pressions des survivants en l'absence de tout conflit armé tant à l'époque des faits qu'au jour de l'institution de la justice y relative, l'approbation de la convention de règlement à la fois par la Cour fédérale et par les parties, le choix de la justice réparatrice en lieu et place de la justice transitionnelle classique ainsi que la reconstitution des faits datant de plus d'un siècle sont autant d'innovations qu'apporte le Canada. Cet archétype canadien a inspiré certains pays "développés", qui ont traversé des situations semblables avec leurs peuples. C'est le cas de la Finlande. En effet, après plusieurs années de négociations, le gouvernement de Finlande a donné le feu vert à la création d’une commission de vérité et réconciliation pour les Samis 588, un peuple autochtone de l’Arctique européen. Le Parlement sami de Finlande avait suggéré au premier ministre finlandais de suivre l’exemple du Canada en lançant à son tour une commission de vérité et réconciliation qui viserait à mieux comprendre les traumatismes historiques vécus par les Samis de Finlande et comment bon nombre d’entre eux ont perdu leur langue et leur culture589. Le modèle canadien peut ainsi servir de référence pour tous les pays, même ceux sortant des conflits armés, qui n'ont jamais organisé une justice transitionnelle en vue de réparer les préjudices causés aux victimes. Pour les États instables et non développés, cette justice servira à transiter vers l'instauration de la paix, de la démocratie et de l'État de droit par la réconciliation et la réparation des victimes. * * * 588 Les Samis sont un peuple autochtone situé dans une zone qui couvre le nord de la Norvège, de la Suède et de la Finlande ainsi que le nord-ouest de la Russie. Environ 10 000 Samis vivent actuellement en Finlande, selon le Parlement sami (Sámediggi). 589 Matisse HARVEY, « Une commission de vérité et réconciliation pour les Samis de Finlande verra le jour », Regard sur l’Arctique (12 avril 2021), en ligne : <https://www.rcinet.ca/regard-surarctique/2019/11/14/samis-finlande-autochtones-commission-verite-reconciliation-culturelangue-arctique/> (consulté le 11 novembre 2023). 255 L’accessibilité du mineur à la parentalité en droit congolais : entre hypocrisie normative et insolence factuelle Par : Ghislain-David KASONGO LUKOJI590 & Georges DIANKEBA MATUBA591. Résumé. Le « mineur-parent » met à l’épreuve la présomption sociologique et légale de son immaturité, voire de son incapacité. En accédant à la parentalité, le mineur arbore deux statuts juridiques vraisemblablement antipodiques entre créancier et débiteur, sujet et objet d’une protection : il évolue, à cet effet, dans un environnement juridique sui generis où il est appelé à exercer l’autorité parentale sur son enfant tout en étant lui-même sous autorité parentale. Cette situation paradoxale, qui n’est pas clairement prévue ou prise en compte par le droit congolais, invite que les règles de l’autorité parentale soient réaménagées (II) à l’aide, soit d’une jurisprudence militante, soit d’une intervention spécifique du législateur. Malheureusement l’on assiste à une pratique tendant simplement et automatiquement à dénier au mineur les droits relatifs à son statut de parent en instituant une suppléance de son autorité parentale (I). Cette contribution se fonde sur une approche historio-socioépistémologique : elle a d’abord utilisé la méthode exégétique pour rechercher la portée et l’évolution de l’encadrement juridique de la parentalité et de la minorité afin de les confronter à la pratique, puis de proposer des solutions et des institutions idoines. Mots clés: Autorité parentale, Capacité anticipée, Enfant, Emancipation, Intérêt de l’enfant, Mineur, Mineur-parent, Pré-majorité, Vulnérabilité. Abstract. The "minor-parent" tests the sociological and legal presumption of his immaturity or even incapacity. By becoming a parent, the minor has two legal statuses that are probably antipodic between creditor and debtor, subject and object of protection: to this end, he evolves in a sui generis legal environment in which he is called upon to exercise parental authority over his child while being himself under parental authority. This paradoxical situation, which is not clearly foreseen or taken into account by Congolese law, calls for the rules of parental authority to be reorganized (II) with the help of either militant case law or specific intervention by the legislator. Unfortunately, there is a practice which simply and automatically tends to deny minors the rights relating to their status as parents by instituting a substitute for their parental authority (I). This contribution is based on a historical-socioepistemological approach: she first used the exegetical method to research the scope and 590 591 Professeur d’université, Avocat, Docteur en Droit (Aix-Marseille université), [email protected] Assistant à la Faculté de Droit (Université Kongo), Licencié en droit (Bac+5), [email protected] 256 evolution of the legal framework of parenthood and minority in order to confront them with practice, and then to propose appropriate solutions and institutions. Keywords: Parental authority, Anticipated capacity, Child, Emancipation, Interests of the child, Minor, Minor-parent, Pre-majority, Vulnerability. Plan sommaire. I. II. La suppléance de l’autorité parentale, un mécanisme de négation de l’autorité parentale du mineur A. La suppléance de l’autorité parentale, institution légalement consacrée et encadrée B. La suppléance de l’autorité parentale, institution relativement applicable au mineur-parent L’Aménagement de l’autorité parentale, une nécessité d’encadrement de l’autorité parentale du mineur A. La délégation de l’autorité parentale, institution d’intérêt limité pour le mineur- parent B. La révision de l’autorité parentale, exigence indispensable pour le mineur-parent ……………………………………………………………………. Introduction 1/ Tous, vraisemblablement fruits de la sexualité. Malgré le développement scientifique qui fait apparaitre certains procédés de substitution telle que l’insémination artificielle ou le clonage ; la sexualité, qu’elle soit voulue ou imposée, reste la voie principale de la perpétuation humaine592 et, de ce fait, d’accession à la parentalité du moins au Congo. Elle relève de la vie privée593, un droit subjectif reconnu à tout être humain, y compris la personne âgée de moins de dix-huit ans594. Cependant, tout porte à croire que cette activité et, son corollaire, la parentalité sont interdites au mineur595 au regard de leur incidence et, surtout, au nom de la 592 Ph. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, Defrénois, Paris, 2004, §.800 : « Nous tous sommes le fils ou la fille d’un père et d’une mère et, souvent, le père ou la mère d’un enfant ». 593 Ce droit fait l’objet d’une reconnaissance indirecte, à travers d’autres droits, qui en sont les corollaires, tels que celui à la vie, à la vie privée et familiale, à la libre disposition de son corps, au mariage ou de fonder une famille. 594 Articles 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH), 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), 16 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE), 10 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (CADE), 31 de la Constitution (const.) et 30 de la Loi n°09/001 portant protection de l’enfant (LPE). 595 Ce concept peut avoir plusieurs sens dans la langue française renvoyant notamment aux travailleurs des mines, à une note musicale, à une étape du raisonnement syllogistique. Mais, il est ici entendu dans sa portée juridique comme la catégorie de personnes en deçà du seuil de majorité. C’est-àdire, celles âgées de moins de 18 ans accomplis/accomplis (art. 219 CF, 41 const.). Néanmoins, il faut reconnaitre que le droit congolais consacre deux autres concepts pour designer la même 257 sauvegarde de la moralité, de la santé et de l’intégrité physique de ce dernier. En effet, il n’est pas aisé de trouver un fondement juridique à l’exercice de la liberté sexuelle par cette catégorie des personnes en droit congolais. D’une part, l’âge nubile596 est désormais fixé à dix-huit ans impliquant l’interdiction du droit au mariage au mineur (Art. 48 LPE, 352 CF et 40 const.). D’autre part, la liberté sexuelle ne semble être reconnue qu’aux individus majeurs et consentants, sous réserve cependant que leur comportement n’entraine ni scandale, ni trouble à l’ordre public encore moins la corruption des mœurs des mineurs597. Pourtant, il n’existe en droit congolais aucune interdiction formelle de l’activité sexuelle du mineur. 2/ Tous, vraisemblablement attirés par la sexualité. Malheureusement les pulsions sexuelles, exacerbées souvent par l’accessibilité à certaines informations (internet, réseaux sociaux, télévision, cinéma…), auxquelles sont confrontés les adolescents les poussent à sacrifier à Venus (consommer l’acte sexuel). Cet acte est parfois perçu, selon les cultures, soit comme un comportement encourageant l’apprentissage598, soit comme une déviance. La culture africaine, en général, et congolaise en particulier, influencée par les théories judéo-chrétiennes, semble relever du second courant. Raison pour laquelle elle encourageait parfois les mariages précoces afin de permettre au les plus jeunes d’y découvrir l’intimité599. 3/ Mais la question de l’encadrement juridique de la sexualité, voire de l’intimité, n’a jamais été facile quelles que soient les époques. Aujourd’hui encore tranche d’âges : « enfant » (art. 2.1 LPE, 1 CIDE, 2 CADE) et « enfant mineur » (art. 41 Const.). Ainsi pour éviter toute confusion terminologique dans une telle réflexion qui porte à la fois sur la « parentalité » et la « minorité », nous utiliserons, d’une part, « mineur » pour désigner les personnes âgées de moins de 18 ans et, d’autre part, « enfant » pour évoquer le lien de filiation direct entre ascendant et descendant (père ou mère et fils ou fille). Lire à cet effet, G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 2008, V ° « minorité » ; B. MARRION, Le mineur, son corps et le droit criminel, Thèse, Nancy 2, 2010, §.8 ; G.D KASONGO LUKOJI, Essai sur la construction d’un droit pénal des mineurs en R.D. Congo à la lumière du droit comparé. Approches lege lata et lege feranda, Thèse, Aix-Marseille, 2017, §.4, spéc. note 14 ; KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, Kongo Editions, Kinshasa, 2022, §§.35 et svt, spéc. §.40. ; A.VARINARD (dir.), Adapter la justice pénale des mineurs, entre modifications raisonnables et innovations fondamentale, La doc. fr., 2009, pp.15 et svt. 596 Sans vouloir lier juridiquement la « sexualité » au « mariage », il semble que la mentalité congolaise fait du mariage le seul cadre autorisé de consommation de l’acte sexuel. 597 A. SITA MUILA, Protection pénale de la famille e de ses membres : Comment la famille et ses membres sont-ils protégés par la loi pénale… ?, ODF, Kinshasa, 2002, p.25, cité par G.D KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §.458. 598 M.L BRIVAL, « La question de la sexualité chez les adolescents », Les enjeux du développement de l’enfant et de l’adolescent, 2013, pp.201-212 ; S. ROUGET, « Sexualité, adolescence et vie affective dans la société d’aujourd’hui », Ordres et désordres dans la sexualité, la conjugalité, la parentalité, 2019, pp.69-99. 599 Voir l’ancienne version de l’article 352 CF : « L’homme avant dix-huit ans révolus, la femme avant quinze ans révolus, ne peuvent contracter mariage. Néanmoins, il est loisible au tribunal de paix d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves. Le tribunal statue à la requête de toute personne justifiant d’un intérêt ». 258 aucun texte congolais ne règle clairement la problématique de la consommation de l’acte sexuel par le mineur, ni celle de majorité sexuelle, laissant libre champs aux spéculations doctrinales et aux tâtonnements jurisprudentiels basés essentiellement sur des présomptions d’origine coutumière, cultuelle ou morale, elles-mêmes fuyantes et relatives. D’aucuns estiment même que cette question serait réglée par l’interdiction du mariage et des fiançailles des mineurs (art. 48 LPE et 352 CF) : expression, comme sus-évoquée, de cette moralité, voire hypocrisie, collective consistant à lier la « sexualité » au « mariage ». D’ailleurs, le code pénal congolais, issu de la réforme de 2006, est le seul texte à s’approcher davantage, courageusement et non sans difficulté de cette épineuse question : On lui attribuerait la consécration du principe de la non-validité du consentement donné par le mineur en matière sexuelle afin d’imputer à son partenaire le viol à l’aide de violence sur mineur (art. 170 al.3 CPO)600. Laquelle approche est de plus en plus contestée surtout lorsque les deux partenaires sont des mineurs. 4/ Mineur-parent, une nécessité d’une norme spécifique ? Qu’à cela ne tienne, quelles que soient les considérations sociales ou juridiques, la consommation de l’acte sexuel par les mineurs est un fait social réel et répandu dans la société congolaise601. Elle peut conduire à la procréation et à la parentalité qu’il se pose des questions de rapports des droits entre le consommateur de l’acte (mineur-parent, vivant, non absent et non-aliéné) et la conséquence de l’acte (mineur enfant ou mineur nouvellement né). Cette question vaut son pesant d’or étant donné que la réforme du code de la famille de 2016 a supprimé la notion de l’émancipation du mineur par le mariage qui en était l’une des solutions. L’on pourrait se réjouir du fait que l’incertitude juridique qu’entraine cette question ne couvre qu’une période réduite602 ; hélas il se constate une extension sociologique de cette situation du mineur-parent au jeune-majeur, parent et non autonome économiquement. Pendant que dès la naissance d’un enfant, ses parents ont, sauf restrictions légales ou judiciaires, des prérogatives sur sa personne et ses biens603. Les dispositions du Code de la famille604 relatives à l’exercice de l’autorité parentale en droit congolais ne posent aucune condition dans le chef de son bénéficiaire, hormis le lien biologique : aucune capacité d’exercice, aucune manifestation de volonté et aucun seuil d’âge n’est exigé(e). Il en est de même des articles 260 al.2 du code civil L’article 171 LPE semble souscrire également à cette logique. Selon un rapport de l’UNFPA [Fonds des Nations-Unies pour la population, « Les grossesses des adolescents », Journée mondiale de la population, Kinshasa, 11 juillet 2013, pp.3-4, [en ligne] drc.unfpa.org>sites>files>pub-pdf,], près de 23% des filles âgées de 14 à 19 ans ont déjà eu une naissance vivante au cours de leur vie. 602 Si l’on se réfère à l’âge de la plus jeune maman congolaise selon les statistiques précitées (14 ans). Cette situation de double minorité (parent et enfant) ne couvre qu’environ 4 années qui peuvent, en effet, apparaitre très longues au regard du poids de la responsabilité et de ses implications sociojuridiques. 603 E. MWANZO Idin’ AMINYE, Que dit le code de la famille de la République Démocratique du Congo ? Commentaire article par article, L’Harmattan, Paris, 2019, p.223. 604 Voir les articles 317 et svt. 600 601 259 congolais livre 3 et 114 du code de la famille qui se rapportent respectivement à la responsabilité civile des parents pour les faits de leurs enfants et au défaut de déclaration de naissance. 5/ Ainsi, plusieurs préoccupations peuvent être soulevées. A qui doit légalement revenir l’exercice de l’autorité parentale d’un enfant dont au moins l’un des parents est mineur ? Le mineur, civilement incapable, peut-il, de droit ou de fait, exercer l’autorité parentale sur son enfant, et de ce fait poser à l’égard de ce dernier des actes dont il en est incapable à l’égard de lui–même ? L’accession à la parentalité du mineur présume-t-elle une capacité juridique anticipative ou une émancipation ? Quel est le fondement juridique de la pratique qui consiste à imputer la responsabilité civile des faits du mineur au grand-parent, tuteur ou responsable [social] plutôt qu’à ses parents directs lorsqu’ils sont également mineurs ou socialement dépendants ? 6/ « Mineur-parent » ou « parent-mineur » : une question épistémologique. Toutes ces préoccupations se répercutent même sur le plan terminologique qu’il se pose aussi la question de savoir si l’on doit parler de « mineur-parent » ou « parent-mineur » ? Répondant à cette question, largement ignorée de la doctrine, un auteur605 estime que le terme « mineur-parent » marque l’idée d’une stabilité du statut de mineur, en privilégiant l’incapacité sur le statut de parent. À l’inverse, le terme de « parent-mineur » introduit l’idée d’un bouleversement de la situation juridique de ces mineurs et met en lumière sa spécificité ainsi que son caractère paradoxal, en renforçant un sentiment d’antagonisme et en décrivant le fonctionnement familial dans lequel ils évoluent avec leur enfant. Une fois liés juridiquement à leur enfant, il semble plus intéressant de désigner ces mineurs comme étant des « parents mineurs ». Un trait d’union606 () doit également être inséré entre parent et mineur, pour symboliser la confrontation et l’éventuelle imbrication de ces deux statuts juridiques. Quant à nous, nous avons opté, au regard des vissés de cette réflexion ainsi que de l’évolution de la mentalité congolaise et du droit congolais, le premier concept, à savoir, « mineur-parent ». 7/ Articulations de la réflexion. Le code de la famille présente le droit l’autorité parentale essentiellement sous deux catégories d’attributs dépendamment des aspects du droit de l’enfant qu’ils touchent ; d’une part, ceux qui se rapportent sur la personne de l’enfant et sous-entendent les droit à la garde et à l’éducation, et d’autre part, ceux qui sont relatifs à la gestion des biens et des revenus de l’enfant et se subdivisent en droits d’administration et de jouissance légales 607. Accédant au 605 J. BUREL, Le Parent-Mineur, Thèse, Bretagne Occidentale-Brest, 2019, §.28. Le trait d’union associe deux éléments disjoints pour qu’ils ne forment plus qu’une seule entité linguistique. Il sert aussi à relier deux éléments susceptibles de conserver chacun leur autonomie. 607 AMISI HERADY, Traité de Droit des relations familiales, EUA, Kinshasa, 2022, p.270 ; P. BONFILS et A. GOUTTENOIRE, Droit des mineurs, Dalloz, 2ème éd., Paris, 2014, §§.10081011 ; G. CORNU, La famille, Montchrestien, 9ème éd., Paris, 2006, §.73 ; G.D KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §.144 ; E. MWANZO idin’ AMINYE, Cours de Droit civil : Personnes, Famille et incapacités, Notes polycopiées, 606 260 statut de parent, le mineur est sensé exercer sur son enfant, de surcroit mineur également, tous les attributs de l’autorité parentale. Ce qui implique de sa part, non seulement une capacité juridique, mais aussi des aptitudes psychologiques et intellectuelles ainsi qu’une certaine autonomie sociale et financière afin préserver l’épanouissement et l’intérêt supérieur de son enfant. Dans le cas contraire, il met en danger à la fois son « enfant » et lui-même. En plus, les deux doivent bénéficier d’une manière ou d’une autre d’une protection en tant que mineur. Cette lourde responsabilité n’est pas toujours facile à porter ou à gérer pour le parent-mineur. Ainsi, pour prévenir des abus ou des défaillances, surtout pour pallier à ces difficultés manifestes que peuvent confronter ces parents particuliers, il se constante une pratique consistant à dénier simplement leur autorité parentale en faisant recours aux mécanismes de délégation ou substitution ses droits parentaux (I) ; pendant que la question mériterait, lege ferenda, un aménagement, légal sinon jurisprudentiel, de la notion de l’autorité parentale face aux enjeux liés au cumul du statut de « mineur » d’avec celui de « parent » chez une seule et même personne (II). I. La substitution de l’autorité parentale, un mécanisme de négation de l’autorité parentale du mineur 8/ L’autorité parentale tire son fondement sur une conception naturaliste qui a traversé les époques selon laquelle les parents n’useraient de leur droit que dans l’intérêt et pour le bien-être de leurs enfants. C’est pourquoi, le droit moderne fait du parent, le premier interprète et débiteur de l’intérêt de son enfant (art. 326 CF, art. 371 et svt. Code civil français)608. La pratique a vite démontré les limites d’une telle approche ; car, l’enfant, sujet de droit à part entière, peut avoir des intérêts différents de ceux de ses parents. Ces derniers peuvent également faire preuve des défaillances et des insuffisances dans l’accomplissement de leurs missions. Ainsi, l’exercice de l’autorité parentale peut faire l’objet des certaines limitations609 qui peuvent consister notamment en sa perte, en sa déchéance ou en sa délégation. Prenant en compte toutes ces réalités, le droit congolais prévoit également, en dehors des mécanismes de cessation, ceux qui tendent à substituer de l’autorité parentale (A). Le mineur, en tant que parent, n’en est pas exclu. Mais la question qui se pose est celle de savoir s’il pèse, de jure au regard de son statut [de minorité], sur lui une présomption d’un exercice défaillant de l’autorité parentale afin que ces mécanismes de substitution lui soient imposés ? Sinon dans quelles conditions ces derniers peuvent-ils lui être Première année de droit, Université Kongo, 8ème éd., 2016-2017, p.239 ; F. TERRE & D. FENOUILLET, Les personnes, La famille, Les incapacités, Dalloz, 7ème éd., Paris, 2005, §§.1011 et svt. 608 Pour le droit français, l’autorité parentale est l’ensemble des droits et devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant (art. 371 code civil). Dans le même sens, l’article 326 du code de la famille précise que les titulaires de l’autorité parentale ne peuvent en faire usage que dans l’intérêt de l’enfant. 609 A. BATTEUR, Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, LGDJ, 10ème éd., Paris, 2019, §.656. 261 appliqués et dans quelle mesure peuvent-ils être considérés comme une solution au vide juridique et/ou législatif constaté (B). A. La substitution de l’autorité parentale, institution légalement consacrée et encadrée 9/ Substitution de l’autorité parentale : Précision terminologique et Typologie. Par substitution de l’autorité parentale, nous entendons dans le cadre de cette réflexion tout mécanisme qui tend à remplacer entièrement ou partiellement les titulaires, naturels et à titre principal, de l’autorité parentale, - le père et la mère - , par d’autres personnes. Nous en excluons particulièrement la déchéance qui n’entre pas dans notre hypothèse d’études et renvoie à une sanction face aux comportements malveillants, indignes, inadmissibles des titulaires de l’autorité parentale particulièrement à l’égard leur enfant (art. 319 CF, 159 LPE). Il en est de même de la perte de l’autorité parentale qui en constitue essentiellement la conséquence (art. 318 CF). Ainsi, les mécanismes dont il sera question à ce stade se rapportent à d’autres circonstances qui permettent de constater la difficulté pour les parents d’accomplir convenablement leurs devoirs vis-à-vis de leurs enfants. Imposés et, parfois volontaires, ils se réalisent en droit congolais via notamment ; l’adoption, la tutelle, le père juridique et le placement social. En vue de leur analyse, nous les regrouperons en deux catégories au regard de leur impact sur l’exercice de l’autorité parentale610. 1. Les mécanismes d’adoption et de tutelle 10/ L’adoption et la tutelle peuvent être considérées comme des mécanismes de suppléance de l’autorité parentale en droit congolais. Elles modifient définitivement ou momentanément les droits parentaux reconnus aux géniteurs (parents biologiques). Néanmoins, elles sont soumises chacune à des règles spécifiques et se rapportent des situations différentes qu’il sied de passer en revue. 11/ L’adoption : Notions. L’adoption est un mécanisme artificiel de rattachement d’un mineur à une famille de substitution, ou plus particulièrement à un adulte afin que ce dernier exerce sur lui l’autorité parentale. Elle est, en d’autres termes, la création, par l’effet de la loi et d’un acte volontaire, d’un lien juridique de filiation entre deux personnes qui, sous le rapport du sang, sont généralement étrangères l’une à l’autre. Le droit congolais a opté pour un modèle intermédiaire611 en ce que le lien de parenté juridiquement créé entre l’adoptant et l’adopté ne 610 611 Rappelons que d’autres critères de catégorisation sont également possibles. Par exemple, les mécanismes d’adoption et de père juridique ont en commun le fait d’être une source de parenté, à côté de la filiation biologique. En droit comparé, il existe généralement deux formes d’adoption. Dans la première (adoption simple ou adoption-maintien), l’adopté garde des liens avec sa famille biologique ; tandis que dans la seconde (adoption plénière ou adoption-rupture), il intègre entièrement la famille de l’adoptant et rompt les liens avec sa famille d’origine. 262 soustrait pas ce dernier de sa famille d’origine (art. 678 al.1 CF) ; quoique dans tous les cas où un choix doit être fait entre les deux familles, la famille adoptive sera préférée (art. 679 CF). A cet effet, elle apparait comme une substitution définitive, sauf révocation, à la fois de l’autorité parentale et, dans une certaine mesure, de la filiation. 12/ Effets de l’adoption. L’adoption peut être révoquée pour des motifs graves appréciés par le juge à la demande de toute personne intéressée (art. 691 CF). A défaut de la révocation, elle fait principalement naitre, sur le plan patrimonial, une vocation successorale dans le chef de l’adopté vis-à-vis de sa famille adoptive, hormis celle de sa famille biologique (art. 690 a1.1, 758 CF). Elle produit aussi d’autres effets sur les personnes, à savoir : la création artificielle de la filiation entre l’adoptant et l’adopté (art. 677 al.2 CF) avec possibilité de changement de nom de l’adopté, le transfert de l’autorité parentale (688 CF) avec possibilité du maintien du droit de visite des parents biologiques, les empêchements au mariage (art. 353 al.4 et 687 CF), l’obligation alimentaire (art. 689 CF) à charge de la famille adoptive et, même biologique, ainsi que le transfert de la nationalité de l’adoptant à l’adopté. 13/ La tutelle : Notions et formes. La tutelle, quant à elle, est un mécanisme qui consiste à confier l’autorité parentale d’un mineur non émancipé à une personne, autre que ses père et mère, appelée tuteur. Il s’agit donc d’une suppléance momentanée de l’autorité parentale qui ne concerne qu’une catégorie spécifique des mineurs, à savoir : ceux doublement orphelins (à la fois de père et mère), ceux dont les deux parents sont absents ou ont perdu l’autorité parentale, ou encore ceux dont la filiation paternelle et maternelle n’a été établie à l’égard d’aucun géniteur (art. 199, 200, 222, 223 CF). Le code de la famille en distingue deux types, d’une part, la tutelle ordinaire ou familiale, et d’autre part, la tutelle de l’Etat ou publique. Dans la première, l’autorité parentale est décernée à la personne désignée par le tribunal pour enfants, sur proposition du conseil de famille, soit parmi les plus proches parents du mineur, soit parmi les autres personnes susceptibles de remplir adéquatement cette fonction (art. 199, 200, 224, 229 CF). Dans la deuxième, considérée également par la loi portant protection de l’enfant comme un mécanisme de protection des enfants en situation difficile (ESD), l’autorité parentale est attribuée aux organes administratifs spécifiques de l’Etat : Elle vise une catégorie plus restreinte des mineurs appelés « pupilles de l’Etat » (art. 237 CF)612. En tant que mécanisme temporaire, la tutelle prend fin à la majorité du mineur, à son décès, à la destitution ou le décès du tuteur (pour la tutelle familiale) ou encore à la cessation des situations qui l’ont justifié (art. 236, 279-282 CF). 612 AMISI HERADY, Op.cit., §§. 260 et svt. ; G.D. KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §.220 ; J.P. KIFWABALA TEKILAZAYA, Droit civil congolais: les personnes, les incapacités, la famille, PUL, 2ème éd., Lubumbashi, 2018, §§.244, 254 ; E. MWANZO idin’ AMINYE , Cours de Droit civil, précit., pp.250-258. 263 2. Les mécanismes de père juridique et de placement social 14/ Contrairement aux précédents mécanismes, le père juridique et le placement social ne touchent qu’à certains attributs de l’autorité parentale sans l’entamer complètement. Ils sont également soumis chacun à des règles spécifiques et se rapportent des situations différentes qu’il convient d’analyser. 15/ Le père juridique : Notions. Le premier mécanisme tend, sur pied du principe posé à l’article 591 al.1 du code de la famille, à doter le mineur d’un père légalement connu, à défaut d’un père biologique, afin qu’il assume à l’égard de ce dernier les obligations résultant de la filiation, plus précisément de l’autorité parentale (art. 649 CF). Il se rapporte au cas où la filiation paternelle de l’enfant né hors mariage n’a pu être établie ou encore en cas d’impossibilité pour la mère d’indiquer le véritable père. Le père biologique est désigné par le tribunal pour enfants à la demande du mineur, de sa mère ou du ministère public parmi les membres de la famille de la mère ou à défaut de ceux-ci, une personne proposée par la mère613. La paternité juridique ne confère aucun droit successoral au profit du mineur concerné. 16/ Le placement social : Définition. Enfin, le placement social est défini comme « une mesure provisoire, prise par le JPE à la requête de l’assistant social, qui a pour finalité la protection, la récupération et l’orientation du mineur vers la réunification familiale et la réinsertion sociale »614. Il s’agit, en effet, d’un mécanisme organisé par la loi portant protection de l’enfant qui consiste à déplacer le mineur en handicap social (enfant en situation difficile) d’un milieu (ou environnement) réputé dangereux ou néfaste à son épanouissement et à son éducation vers un autre plus sain. Contrairement à la tutelle qui vise uniquement la suppléance de l’autorité parentale, le placement social est avant tout une mesure spatiale615 qui peut avoir des incidences indirectes sur l’exercice de l’autorité parentale, particulièrement le droit à la garde et à l’éducation616. 17/ Le placement social : Typologie. Le législateur prévoit cinq formes de placement social, dépendamment des structures d’accueil et des mineurs concernés, à savoir ; en famille élargie, en famille d’accueil, dans une institution publique, dans une institution privée agréée à caractère social et, enfin, dans un foyer autonome (art. 64 à 68 LPE). Les deux premières formes consistent en des placements familiaux : elles maintiennent l’autorité parentale originelle et en créent une nouvelle qui reste exercée dans les modalités traditionnelles, c’est-à-dire, en préservant une relation 613 AMISI HERADY, Op.cit., §.187. Article 5 de l’arrêté ministériel n° RDC/0248/GC/CAB.MIN/AFF.SAH/SN/09 du 19/11/2009 portant réglementation du placement social des enfants en situation difficile/rupture familiale. 615 E. POTIN, « Placement et déplacement social : Expériences et témoignages d’enfants et leurs parents», Les Cahiers Dynamiques, 2010/1, n°46, pp.63-71. 616 G.D. KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §§.230 et svt. 614 264 directe entre le gardien (l’oncle, le grand frère ou l’accueillant) et le mineur. Quant aux trois dernières formes, elles sont des placements institutionnels : elles apportent des modifications importantes dans la vie du mineur et, particulièrement, dans l’exercice de l’autorité parentale de substitution en ce qu’elle est décernée à une personne morale et qui l’exerce quotidiennement par les personnes composant ses organes (stagiaires, encadreurs, formateurs, enseignants, assistants sociaux …). Raison pour laquelle, elles sont soumises à trois conditions cumulatives relatives à leur nature (caractère ultime617), durée (moins de six mois) et destinataire (uniquement pour les enfants en situation difficile d’au moins quinze ans)618. B. La substitution de l’autorité parentale, institution relativement applicable au mineur-parent 18 /Après avoir abordé ces différents mécanismes de substitution de l’autorité parentale prévus en droit congolais, il sied de jauger leur applicabilité au cas du mineur-parent au regard de leurs conditions légales respectives (cas d’ouverture) et de la pratique. 19/ A cet effet, trois caractères ressortent de ces mécanismes, à savoir ; le caractère juridictionnel, le caractère supplétif et le caractère relativement volontariste. 1. Le caractère juridictionnel 20/ Des mécanismes de substitution d’ordre juridictionnel. Tous les mécanismes sus-analysés ont en commun le fait d’être établis à la suite d’une décision de justice, particulièrement du Tribunal pour enfants (Art. 199, 200 al.1, 224, 226 CF, 63 LPE), sauf dans une certaine mesure, le placement social des ESD en rupture familiale619. Or, dans la pratique, il se constate, parfois et malheureusement sur entérinement par des autorités publiques, une substitution de fait, sans aucune décision de justice, que l’on tente même de justifier par une interprétation large des certaines dispositions du code e la famille. 21/ Une substitution contra-legem. En effet, lorsqu’un mineur accède à la parentalité, il y a apparemment et sociologiquement un transfert direct à ses propres parents (c’est-à-dire, grands-parents du nouveau-né) ou à son tuteur de l’autorité Articles 19, 26.3 Ensemble de règles minima des Nations-Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (« Règles de Pékin »), 9 CIDE, 25 CADE. 618 Article 64 LPE. 619 Rappelons que le placement social est soumis à deux procédures distinctes selon que le mineur est ou pas en rupture familiale. En cas de rupture familiale, c’est l’assistant social qui prend la décision du placement et ne saisit le juge pour enfants que pour l’entérinement de son acte : On parle de requête d’homologation du placement social (art. 63 al.2 et 3 LPE). Mais lorsque l’ESD est entre les mains de ses parents, l’assistant social propose la décision de placement au juge qui en évalue le bien-fondé et le décide s’il y a lieu : l’on parle de la requête de placement social. Dans les deux cas, il y a une intervention juridictionnelle quoique de portée différente. 617 265 parentale qu’il devrait exercer sur son enfant. Il s’agit généralement des parents, soit du jeune père, soit ceux auprès de qui la jeune demoiselle aurait accouché. Dans l’hypothèse où le partenaire du mineur-parent est un majeur, de surcroit de genre masculin620, et s’il y a eu entente entre les deux familles pour que l’affaire ne soit portée devant les autorités judiciaires, l’autorité parentale semble être exercée, soit en totalité par lui, soit conjointement avec la famille de la jeune-mère. Généralement, il est difficile de retrouver le géniteur-majeur étant donné que ce fait est constitutif, d’après la jurisprudence constante, de viol de mineur en droit congolais (art. 170 al.3 CPO, 171 LPE). Ainsi, soit le concerné prend la fuite pour réapparaitre plus tard afin d’assurer tant soit peu ses responsabilités parentales, soit il est arrêté et condamné à une servitude pénale. Ce qui peut conduire à l’ouverture d’une procédure en perte de l’autorité parentale à son égard. 22/ Le forcing analogique : Incapacité de manifestation de la volonté, incapacité juridique et incapacité domestique. Parfois, même l’on essaie de faire des interprétations extra-extensives des certaines dispositions pour justifier la négation de ses droits parentaux au mineur-parent. Il s’agit par exemple de la deuxième condition de la perte de l’autorité parentale reprise à l’article 318 CF qui se rapporte au fait « d’être hors d’état de manifester sa volonté en raison de son incapacité ». Pourtant, cette disposition fait aucunement et/ou expressément allusion au cas du mineur-parent ; mais plutôt aux causes pathologiques (démence, maladie…) qui empêcheraient les géniteurs de s’exprimer lucidement. Parfois, il est aussi évoqué, à l’étai de l’article 223 CF, une présomption de capacité d’exercice requise pour l’exercice de l’autorité parentale en vertu de laquelle le mineur-parent serait empêché d’exercer valablement les droits parentaux sur son enfant. Nul besoin de rappeler qu’une telle condition n’est nulle part exigée expressément aux parents biologiques mais qu’il est normal qu’elle soit imposée au tuteur, comme à l’adoptant ou au père juridique (art. 223, 649, 653 al.1 CF), étant donné qu’il s’agit des institutions artificielles ou des fictions juridiques. 23/ Quid de la Responsabilité du chef de famille ? Par ailleurs, l’article 713 du Code de la famille institue une responsabilité civile indirecte et spécifique du chef de famille pour le dommage causé par les mineurs et aliénés mentaux placés sous son autorité. Quoi que proche de la responsabilité parentale consacrée à l’article 260 al.2 du décret du 30/07/1886 portant Code civil congolais Livre 3, ces deux notions ne doivent être confondues ; celle-ci, parentale, est moins large que celle-là, domestique621. Si le mineur du Code de la famille d’avant 2016 pouvait également Loin de nous la prétention d’affirmer que les majeurs, de genre féminin, ne font pas d’enfant avec les mineurs, du genre masculin ; mais ces cas sont rares dans la société congolaise et posent beaucoup moins de problème, tant sur le plan juridique que sociologique. 621 A. BANZA ILUNGA, « Le Droit congolais de la famille à l’aune des réalités sociales : qu’en estil de la responsabilité civile du chef de famille du fait des enfants et des aliénés mentaux ? », Revue Africaine des Réflexions Juridiques et Politiques, Vol 2, n°5, Mai 2023, pp.20-43, spéc.38-40. Lire également, E. MWANZO Idin’ AMINYE, Que dit le code de la famille de la République Démocratique du Congo ?, précit. p.434. 620 266 et légalement être chef de famille via le mariage et cumuler, de ce fait, les deux qualités (parent et chef de ménage), il n’en est plus le cas aujourd’hui. L’article 713 du code de la famille ne peut donc aujourd’hui se déployer sur le cas du mineurparent et, par ricochet, être évoqué pour dénier au mineur l’exercice de l’autorité parentale sur son enfant. 2. Le caractère supplétif 24/ Des mécanismes d’ordre supplétif, non principal. Hormis l’aspect juridictionnel, toutes les institutions analysées peuvent être à juste titre qualifiées de « supplétif » par ce qu’elles ne sont envisagées que lors que le mineur n’a pas personne qui peut exercer sur lui effectivement, voire valablement, totalement ou partiellement l’autorité parentale. Or, pour notre cas d’espèce, le mineur-parent est présent, connu, non-absent, non-aliéné, n’ayant jamais renoncé expressément à l’exercice de l’autorité parentale sur son enfant ou n’ayant jamais fait l’objet d’une décision juridictionnelle de perte d’autorité parentale (art. 318 CF). 25/ Incompatibilité relative à l’application de la tutelle à la situation du mineur-parent. Pour la tutelle, par exemple, l’article 222 CF précise que « tout mineur n’ayant ni père, ni mère pouvant exercer sur lui l’autorité parentale est pourvu d’un tuteur qui le représente ». Dans la typologie des mineurs bénéficiaires de ce mécanisme ne figurent pas ceux dont les parents sont âgés de moins de dixhuit ans. Même l’hypothèse des « mineurs dont les deux parents ont perdu l’autorité parentale » ne peut se rapporter automatiquement au cas de mineur-parent. En ce qui concerne la tutelle familiale, qui nous intéresse le plus dans cette réflexion, elle ne peut être ouverte pendant que le père ou la mère existe622 ; sauf dans les cas exceptionnels prévus aux articles 323 al.1 à 325 CF, à savoir : le décès de l’un des auteurs exerçant l’autorité parentale, l’incapacité sentie par celui qui exerce seul l’autorité parentale et la garde judiciairement confiée à un tiers consécutivement au divorce ou à la séparation des corps des de fait des parents. Les deux premières hypothèses pourraient concerner le cas du mineur-parent. Toutefois, leur évocation signifierait en même temps une reconnaissance implicite du mineur-parent à exercer l’autorité parentale ; quoi qu’à la suite de la perte du conjoint ou de l’incapacité sentie, il aurait fait recours à la tutelle. 26/ La non-pertinence du mécanisme de père juridique sur le parentmineur. Quant au mécanisme de père juridique, il peut être appliqué indirectement au mineur-parent uniquement lorsque la mère en fait la demande et, ce uniquement lorsque en cas d’absence de filiation paternelle de l’enfant né hors mariage ou dans l’impossibilité de l’établir. Il n’a pas d’incidence sur l’autorité parentale de la mère. D’ailleurs, en tant que tel, ce mécanisme ne se substitue en rien à l’autorité de la mineure-mère sur son enfant. 622 E. MWANZO Idin’ AMINYE, Que dit le code de la famille de la République Démocratique du Congo ?, precit, p.183. 267 27/ La compatibilité de l’adoption et du placement social. Par contre, les mécanismes d’adoption et de placement social peuvent aisément être appliqués au mineur-parent. Le placement social, qui est sans incidence directe sur l’exercice de l’autorité parentale, permet de mettre l’enfant du mineur au près d’une autre personne ou institution afin de préserver son épanouissement et à son éducation dès lors que ses parents ne peuvent le lui assurer. De même, il n’est pas exclu que l’enfant du mineur-parent soit l’objet d’une adoption sur consentement de ce dernier (art. 662 et 663 al.1 CF). 3. Le caractère relativement volontariste 28/ Mécanismes partiellement imposés. Selon l’entendement commun que l’on en fait, les mécanismes sus-analysées supposent l’absence ou l’incapacité matérielle, voir juridique, des parents biologiques à assumer leurs responsabilités vis-à-vis de leurs enfants, mineurs de surcroit. Ainsi, ils ne requièrent pas le consentement des parents-biologiques et leurs sont imposés. Ce qui est partiellement exact étant donné que certains de ces mécanismes exigent le consentement exprès des parents-biologiques du mineur qui en fait l’objet. 29/ En effet, la tutelle, par exemple, se rapporte aux mineurs doublement orphelins, ceux dont les deux parents sont absents ou ont perdu l’autorité parentale, ou encore ceux dont la filiation paternelle et maternelle n’a été établie à l’égard d’aucun géniteur. Quant au placement social, il peut être décidé dès lors qu’il est prouvé le caractère nocif du milieu de vie à l’éducation et épanouissement du mineur. Enfin, le père juridique sous-entend le défaut d’un père biologique : raison pour laquelle tant la mère (mineure d’âge ou pas) que le mineur lui-même (destinataire dudit mécanisme) peut en faire la demande. Sous cet angle, ils apparaissent comme des mécanismes-sanction. 30/ Néanmoins, la délégation volontaire de l’autorité parentale, que nous analyserons plus loin, et l’adoption623 sont des mécanismes qui exigent le consentement des parents-biologiques, s’ils existent et mineurs soient-ils. Ils apparaissent, à cet effet, comme des mécanismes-soutien. II. L’Aménagement de l’autorité parentale, une nécessité d’encadrement de l’autorité parentale du mineur 31/ La parentalité du mineur face aux réalités sociales congolaises. La parentalité des mineurs est une réalité sociale inéluctable dans une société de libéralisation des mœurs où l’impératif de conjugalité a laissé place à la suprématie consensuelle dans la pratique sexuelle. Ainsi, cette question mérite d’être traitée avec 623 Lorsque l’un des parents ne sait manifester son consentement, parce qu’il n’a aucune demeure connue ou est déchu de l’autorité parentale, son consentement est substitué par celui d’un membre de sa famille désigné par le TPE (art. 662 al.2 CF). Lorsqu’aucun parent n’est connu, le consentement est donné par le tuteur (art. 664 al.1 CF). 268 toute objectivité et réalisme au regard des réalités actuelles de notre société et de tout ce qu’elle implique. Il conviendrait donc d’envisager des mécanismes d’accompagnement, en lieu et place de ceux de substitution, de l’autorité parentale du mineur en droit congolais. L’avant-gardisme de la doctrine et de la jurisprudence peut ici être utile face à l’immobilisme du législateur. 32/ Loin de nous l’attention d’affirmer qu’il existe aucun mécanisme dans l’arsenal juridique congolais qui peut s’appliquer à la situation de mineur-parent. Les mécanismes de substitution sus-analysés peuvent, comme nous l’avons démontré, dans certaines conditions et difficilement s’y adapter étant donné qu’ils ne sont pas expressément conçus pour cette situation. L’institution existante la plus adaptée serait, à notre avis, la délégation volontaire de l’autorité parentale (A) dont les effets sont aussi, à notre avis, limités. C’est ainsi qu’il sied de régler carrément et spécifiquement cette situation par des institutions autonomes (B). A. La délégation de l’autorité parentale, institution d’intérêt limité pour le mineur parent 33/ La délégation de l’autorité parentale : Notions. Lorsque les circonstances l’exigent l’exercice de l’autorité parentale peut être délégué à un tiers. Cette délégation consacre juridiquement la parentalité d’un tiers qui peut être amené à prendre en charge l’enfant, à la place ou aux côtés des parents biologiques. Elle se limite donc au transfert de la fonction parentale et elle n’affecte pas la qualité de parent qui découle du lien de filiation direct qui unit l’enfant à ses géniteurs. 34/ La délégation de l’autorité parentale : Typologie. La délégation peut être volontaire ou forcée, totale ou partielle. La délégation volontaire, qui nous intéresse le plus ici, est prévue à l’article 320 du Code de la famille qui dispose ; « les père et mère de l’enfant, à l’exclusion du tuteur, peuvent déléguer, en tout ou en partie, l’exercice de l’autorité parentale à une personne majeure jouissant de la pleine capacité parentale ». Quant à la délégation forcée, elle renvoie à l’hypothèse de la déchéance de l’autorité parentale dont elle en est le corollaire (art. 319 CF). Elle est totale lorsqu’elle transfert l’autorité parentale dans sa totalité ; mais elle est partielle au cas contraire. 35/ Intérêt limité de la délégation volontaire : Superposition de parentalité. Ce mécanisme permet de consacrer ou de couvrir juridiquement le rôle factuel que les grands-parents occupent auprès de l’enfant de leur propre enfant. Il peut permettre l’accompagnement du mineur-parent afin qu’il assume utilement ses devoirs parentaux dans le futur. Toutefois, lorsque le tiers délégataire est choisi au sein du cercle familial proche, il y a risque accru de confusion de rôle. L’autonomie du statut du mineur-parent sera conditionnée par l’implication dont il fait preuve dans l’exercice de son autorité parentale. 269 36/ Par ailleurs, l’aménagement du statut de ce parent particulier en dehors de toute nécessité et/ou défaillance grave apparait inopportun ; car il conduit à mettre en concurrence la parentalité du mineur avec celle d’un tiers qui, est généralement, son propre parent. L’équilibre est parfois difficile à trouver dans le contexte congolais. En effet, l’intérêt de l’enfant est d’être éduqué et pris en charge par ses parents tant qu’ils sont en capacité de le faire. L’organisation et le fonctionnement interne de la famille sont appréhendés comme des éléments de la vie privée et familiale qui échappent au contrôle de la société tant qu’ils ne portent pas atteinte à l’intérêt de l’enfant, à l’effectivité de sa protection et à l’ordre public. Ainsi, le parent-mineur est libre d’accepter le soutien de ses parents ; mais en aucun cas et sur fondement d’aucun droit ces derniers ne peuvent prétendre à se substituer à lui visà-vis de son rejeton. 37/ Intérêt limité de la délégation volontaire : Débiteur de l’obligation d’entretien. Aussi, comme il en est souvent le cas, la substitution de l’autorité parentale n’emporte pas automatiquement l’obligation d’entretien ou de prise en charge matérielle (alimentation, santé, logement, éducation et habillement) qu’il se pose la question de la détermination du débiteur de cette obligation vis-à-vis de l’enfant du mineur durant la délégation de l’autorité parentale. A cet effet, précisons que la délégation ne modifie en rien l’identité dudit débiteur : Tout comme le retrait, la perte de l’autorité parentale, elle ne libère pas automatiquement et directement le parent de l’obligation d’entretien mis à sa charge (art. 321 CF). B. La révision de l’autorité parentale, exigence indispensable pour le mineur-parent 38/ Pour une révision de l’autorité parentale. La parentalité est une lourde responsabilité. Il faille que ceux qui amènent à l’existence des vies innocentes se rassurent d’être à mesure de leur offrir des conditions descentes pour leur éducation et leur épanouissement. Si cette lourde responsabilité n’est pas toujours facile à porter, même pour les adultes socialement stables, à plus forte raison pour les mineurs, en plein processus de maturation, et généralement sans ressources autonomes. Ce faisant, l’accessibilité à la parentalité du mineur peut conduire les uns à une responsabilisation, à la débrouillardise ; mais peut également être pour d’autres une source de frustration, de déni de réalité aux conséquences néfastes voire criminelles. D’où la nécessité pour le législateur congolais de s’y concentrer afin de donner une position claire, soit en déniant carrément au mineur le statut de parent tout en précisant les mécanismes de substitution consacrés, soit, à notre avis, en aménageant un statut parental spécifique présumant, soit une capacité anticipée, qui peut être générale (1), spéciale (2) ou graduelle (3), soit une incapacité sous régime d’assistance ou d’autorisation (4). Tout dépendra de l’optique envisagée par le législateur. 270 1. L’émancipation du mineur-parent 39/ Emancipation : Définition et fondement. L’émancipation peut-être une solution aux difficultés liées au statut du mineur-parent624. Elle est un mécanisme qui permet de faire présumer l’aptitude d’une personne n’ayant pas encore atteint l’âge légal de majorité et de lui octroyer une capacité juridique entière625. Elle présente, dans ce cas, l’avantage d’offrir au mineur-parent l’autonomie juridique personnelle cohérente dans l’exercice de ses droits parentaux626 et permet également, de ce fait, d’exhumer une institution en voie d’inhumation627. 40/ De l’émancipation limitée du mineur-parent. Toutefois, elle possède un effet radical puisque le mineur émancipé ne sera plus sous l’autorité parentale et deviendra capable en ce qui concerne les actes pour lesquels il a été émancipé, particulièrement dans ce cas d’espèce, ceux relatifs à l’exercice de l’autorité parentale. Ce qui peut poser problème étant donné que l’autorité parentale suppose qu’en même des actes importants allant de la surveillance de la personne à l’administration et la jouissance des biens des enfants par les parents628. Ici, le mineur-parent bénéficiera d’une présomption légale de capacité et de maturité qui lui permettra d’accomplir valablement lesdits actes pendant que sa propre éducation n’est pas encore achevée ; et, son autonomie financière, pas encore acquise. 41/ Ainsi, l’émancipation rencontre ici un important obstacle. Elle ne peut assimiler totalement le mineur à un majeur et ne permet pas de surmonter totalement, réellement et sociologiquement toutes les difficultés liées à la minorité du parent biologique. Bien plus, mettre fin prématurément à l’obligation d’entretien conduirait à pérenniser l’état de vulnérabilité du parent-mineur et empêcherait une prise de conscience dans son chef. Aussi, il découle de l’émancipation la naissance anticipée d’obligations, patrimoniales comme extrapatrimoniales, liées à la majorité et, surtout, à la parentalité. Dès lors, une émancipation qui donne à des jeunes gens les droits et les devoirs des adultes ne correspond plus nécessairement aux aspirations 624 G.D. KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §.81. I. CORPART, « Émancipation », SAVAUX E. (dir.), Rep. civ., Dalloz, janvier 2015, n° 10 ; S. GUINCHARD et T. DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 25ème éd., Paris, 2017, voir « Emancipation ». 626 J. CARBONNIER, Droit civil, Tome. 1, Introduction, Les personnes, La famille, l’enfant, le couple, PUF, 2ème éd., Paris, 2017, §.438. 627 En droit congolais par exemple, l’article 292 CF, issu de la réforme de 2016, ne confère plus la pleine capacité juridique au mineur émancipé : ses effets sont limités à un cadre ou domaine précis, [dont] le commerce. Voir également art. 7 al.2 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général. 628 E. MWANZO idin’ AMINYE , Cours de Droit civil, précit., p.239. Voir également ; G. CORNU, Vocabulaire juridique, précit., ; S. GUINCHARD et T. DEBARD (dir.), Op.cit., voir « Autorité parentale ». 625 271 de la société et au cadre de la protection de l’enfance, elle peut constituer la meilleure comme la pire alternative offerte aux mineurs629. 42/ Ce faisant, la capacité et l’autonomie juridiques qu’elle semble offrir sont relatives et conditionnées à l’existence d’une autonomie factuelle déjà acquise étant donné que le mineur-parent ne devrait plus dépendre économiquement et matériellement de ses parents630. Au cas contraire, l’émancipation se fera au détriment de sa protection. Il serait convenable d’organiser une forme d’émancipation, sauf renonciation du concerné, qui se limiterait à certains aspects des droits parentaux notamment aux actes de la vie courante afin qu’elle mue en un apprentissage de la parentalité sous-surveillance familiale (grands-parents ou tuteur du mineur-parent) ou administrative (assistant social). En cas de conflits des droits ou d’autorités, l’avis du mineur-parent doit prévaloir sur fond de l’intérêt supérieur de l’enfant. 2. La capacité spéciale du mineur-parent 43/ La capacité résiduelle du mineur : Fondement et portée. Pour pallier aux faiblesses précitées de l’émancipation, il y a lieu d’aménager un statut d’autonomie circonstanciée portant sur l’exercice de certains droits ou la réalisation de certains actes en fonction des besoins éprouvés par le mineur, particulièrement parent. Ainsi, l’on pourrait consacrer expressis verbis une capacité spéciale ou résiduelle du mineur. En d’autres termes, l’incapacité d’exercice du mineur serait la règle, mais sa capacité d’exercice l’exception. Et ce, dans des cas et domaines spécifiques, tels que l’accession à la parentalité. On parle même de la « prémajorité » ou « pré-capacité » que les auteurs parfois distinguent subtilement. 44/ En effet, l’individu se situe dans un processus de développement des facultés physiques, sociales, cognitives, morales et émotionnelles tout au long de sa croissance qu’il se pose toujours la question en droit moderne de savoir à quel instant la personne se dote d’un niveau suffisant d’intelligence pour comprendre ses actes et engager sa responsabilité sociale et juridique. Ainsi, la fixation du seuil de majorité, qui est de surcroit une fiction juridique, apparait comme un procédé mécanique méconnaissant parfois certaines réalités sociales et scientifiques. Le passage à la majorité, à y regarder de près, ne marque finalement que l'ultime étape d'un processus entamé plus tôt impliquant plusieurs étapes graduelles et complexes631. La pré-majorité (ou pré-capacité) apparaitrait donc comme un statut juridique intermédiaire (entre l’« infans » et majorité) plus adapté qui permettra aux adolescents d’accomplir librement des actes valables dans des domaines où les M. GRIMALDI, « L’administration légale à l’épreuve de l’adolescence », Defrénois, n°7, Avr. 1991, p.385. 630 I. CORPART, « Émancipation », précit., n° 96. 631 Voir, G. CORNU, « L'âge civil », Mélanges P. Roubier, Dalloz, 1961, Tome 2, pp.9-36. 629 272 parents n'auraient plus pour mission que de le conseiller, le guider et non lui imposer des choix. 45/ Une capacité spéciale implicitement admise en droit comparé. Dans tous les cas, le statut juridique du mineur n’est pas aussi simple qu’il n’y parait 632. La minorité n’a jamais été homogène : elle est toujours plurielle633 de telle sorte que, d’une part, il existe plusieurs catégories de mineurs soumis aux régimes juridiques distincts selon plusieurs critères pris en compte souverainement par le législateur (âge, discernement, maturité…), et d’autre part, l’incapacité civile du mineur, ponctuée de multiples exceptions634, quoi que certains auteurs pensent que l’on ne peut en déduire un principe général selon lequel le mineur deviendrait capable 635. Malgré que la doctrine, en droit comparé romaniste surtout, soit partagée sur cette question, l’on constate l’inadéquation de la présomption d’une incapacité civile générale et abstraite du mineur face à la reconnaissance crescendo d’une capacité civile résiduelle au mineur : Aucun argument des différents courants n’est sans faille ou à l’abri des critiques. 46/ Une capacité spéciale implicitement consacrée en droit congolais. Malheureusement, le droit civil congolais ne connaît que deux statuts, celui de la minorité et celui de la majorité, donnant l’impression d’un régime uniformisé ou homogène au sein de chaque groupe. Pourtant, il consacre bel et bien des statuts intermédiaires. En effet, les hypothèses, où il est reconnu au mineur des ilots de capacité d’exercice, ne sont pas totalement méconnues du droit congolais quoiqu’elles ne se rapportent pas particulièrement au mineur-parent. Mais elles semblent, pour des raisons inconnues ou inavouées, être tues ou ignorées tant par la doctrine que la jurisprudence; sinon l’on se refuse d’en tirer la conséquence juridique exacte qui est la capacité d’exercice exceptionnelle. Elles se rapportent notamment au contrat du travail636, au testament, à la dation du nom, à la saisine des certaines juridictions (tribunal pour enfants en matière pénale637, tribunal de travail pour les conflits relatifs à l’exécution du contrat de travail638 et tribunal de commerce pour les conflits relatifs aux effets de commerce dès lors qu’il est émancipé). Ces actes sont, soit à caractère personnel (adoption, affiliation, recherche en paternité, autorité 632 P. MALAURIE et L. AYNES, Droit civil, les personnes, la famille, les incapacités, 8ème éd., LGDJ, 2015, §.598. 633 G.D. KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §.77. Voir également X. PIN, « Les âges du mineur : réflexions sur l’imputabilité et la capacité pénale du mineur », Gaz. Pal., n°195, 12 juil. 2012, pp.5 et svt. 634 M. DELGRANGE, Le statut juridique du mineur et les modèles de justice/Quelle protection de la jeunesse entre incapacité, responsabilité et responsabilisation ?, Mémoire de Master 2, Faculté de droit et de criminologie, Louvain, 2014-2015, p.6. 635 B. DUBUISSON, « Autonomie et irresponsabilité du mineur », L’autonomie du mineur, Bruxelles, F.U.S.L., 1998, p. 79, cité par M. DELGRANGE, précit., p.6. 636 Articles 50 à 56 LPE, 6, 102, 133 Code du Travail. 637 Article 102 pt.6 LPE. 638 Articles 15 à 16, 25, 26 loi n° 016/2002 du 16/10/2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail. 273 parentale) ou patrimonial (testament, donation), soit encore autorisés par l’usage (contrats usuels). Fort de ces cas, il y a lieu de consacrer expressément la capacité spéciale du mineur-parent, une forme d’émancipation. 3. La capacité graduelle prenant en compte la situation du mineurparent 47/ La capacité évolutive, rempart au danger d’une capacité subjective. Toutes les décisions ne nécessitent pas les mêmes seuils d’aptitude ; de même que toutes les aptitudes n’entrainent pas le même degré de responsabilité. Une façon de résoudre la question de la capacité, spéciale ou générale soit-elle, du mineur, particulièrement du mineur-parent, serait également d’appliquer un principe de proportionnalité avec une échelle mobile d’aptitude variant en fonction de la gravité de la décision. 48/ En effet, l’appréciation subjective du discernement peut être source d’inégalité entre les personnes et d’insécurité dans les interactions juridiques du mineur. Il convient de recourir à des critères objectifs susceptibles de quantifier l’aptitude du mineur à décider, permettant de faire présumer son discernement, à charge pour ses interlocuteurs d’en apporter la preuve contraire. Ces seuils objectifs peuvent être constitués par référence soit à un âge déterminé, soit à la survenance d’un événement précis. Il n’est pas aussi exclu de cumuler les critères subjectifs aux critères subjectifs afin de tirer profits de chaque modèle et de minimiser leurs faiblesses respectives639. 49/ L’âge de la personne peut être utilisé afin d’organiser l’exercice progressif de ses droits durant sa minorité. Ce critère présente l’avantage d’être non seulement quantifiable, mais opposable à tous. Par exemple la législation québécoise, organise une capacité civile progressive reposant sur des seuils basés sur l’âge qui octroie une valeur juridique suffisante à la volonté du mineur. Ce dernier sera en capacité d’exercer un certain nombre de droits dont il est titulaire, qu’ils soient de nature patrimoniale ou simplement personnelle. Dès quatorze ans, il pourra par exemple réaliser tous les actes relatifs à son travail640, contrôler la gestion de ses biens par son tuteur légal641, consentir et refuser des soins médicaux642. Ces droits seront exercés de manière concurrente à ceux des parents. À compter de seize ans, il se voit reconnaître le droit de conduire, d’être émancipé simplement643 ou pleinement644. Pour plus de détails, lire G.D KASONGO LUKOJI, Essai sur la construction d’un droit pénal des mineurs en R.D. Congo à la lumière du droit comparé. Précit., §§.412 et svt ; Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §§.275 et svt. 640 Article 156 Code civil québécois. 641 Article 246 Code civil québécois 642 Article 14 al. 2 Code civil québécois. 643 Article 167 Code civil québécois. 644 Article 175 al. 2 Code civil québécois. 639 274 50/ Le passage d’une personne de l’incapacité à la capacité peut se faire sans que sa maturité ou son discernement n’ait subi de véritables bouleversements justifiant un brusque basculement de l’ombre à la lumière. Ces seuils sont utilisés pour encadrer l’exercice de droits qui par leur nature éminemment personnelle échappent en principe à l’autorité parentale, ce qui est présenté à tort comme des aménagements permettant de favoriser l’autonomie des enfants, alors qu’elles ne font que la restreindre. Bien qu’il soit inenvisageable de déterminer l’âge à compter duquel un mineur est susceptible d’accéder au statut de parent, il est possible de déterminer l’âge à compter duquel il entre dans la puberté et dispose des capacités reproductrices lui permettant d’y accéder. 4. Le régime d’assistance ou d’autorisation du mineur-parent 51/ Mineur-parent, un incapable non représenté. Au cas où, le fait de reconnaitre au mineur-parent la capacité spéciale paraitrait incompatible à la mentalité congolaise, le législateur a la possibilité de le maintenir sous le statut d’incapable tout en lui aménageant un régime juridique autre que celui de la représentation parentale. Il peut donc s’agir du régime d’autorisation ou d’assistance afin de permettre au mineur-parent de ne pas être complètement effacé ou substitué dans la vie juridique et la prise en charge de son enfant. 52/ Le régime d’autorisation du mineur-parent. L’autorisation consiste en l’assentiment que l’incapable reçoit en avance de la part de son protecteur en vue d’accomplir un acte juridique. Ayant pour vocation de renforcer ou contrer juridiquement le consentement donné par la personne qui prend la décision, elle est antérieure à l’accomplissement de l’acte645. Elle ne requiert pas que le mineur-parent soit apte à raisonner comme un adulte : il suffit qu’il puisse saisir les enjeux de ses choix sans pour autant en déceler toutes les incidences. Ainsi, la représentation légale ne se justifie plus lorsque l’acte trouve son origine et sa validité dans l’association de deux volontés. Il n’est plus question de substituer la volonté du mineur, mais de l’étayer ; encore moins d’agir pour lui et pour son compte, mais impérativement avec lui. 53/ Le régime d’assistance du mineur-parent. Quant à l’assistance, elle consiste au fait de se tenir auprès de quelqu’un pour le seconder. Sur le plan juridique, c’est le mécanisme par lequel l’incapable est tenu, pour la validité des actes accomplis par lui, de se faire accompagner d’une autre personne, majeure, qui a pour mission de le surveiller. Il s’agit, en réalité, d’un « accompagnement habilitant » : il comprend implicitement la volonté de pallier au discernement imparfait du mineur qui l’empêche de consentir seul et de poser valablement des actes juridiques. Appliquée au mineur-parent, l’assistance permet de faire présumer la validité et conformité de sa décision à ses intérêts et à celui de son enfant. Son 645 J. PICOTTE, Juridictionnaire/Recueil des difficultés et des ressources du français juridique, Faculté de droit, Université de Moncton, CANADA, 2018, p. 297, v° autorisation/approbation. 275 immaturité est aussi compensée par la présence parentale ou tutélaire. En droit congolais, ce régime est prévu pour certains majeurs (les prodigues, les faibles d’esprit et les personnes dont les facultés corporelles sont altérées par la maladie ou l’âge) qui, sans avoir perdu leurs facultés intellectuelles, méritent néanmoins protection646. 54/ Portée de l’autorisation et de l’assistance vis-à-vis du mineur-parent. Ces mécanismes de codécision mettront en place un modèle susceptible de s’adapter aux besoins d’autonomie du mineur-parent sans pour autant sacrifier sa protection. Ils permettraient d’articuler la volonté du mineur-parent avec celle de ses parents. Ils profiteraient au mineur-parent en ce que sa volonté ; d’une part, sera toujours récoltée647, et d’autre, sera cumulée avec celle de ses parents ou de son tuteur. Ce qui pourrait l’épargner de certaines erreurs de jeunesse et lui offrir, ainsi qu’à son fils, une protection supplémentaire. Sans oublier qu’ils peuvent constituer une belle école d’apprentissage. L’étendue de ces deux volontés, surtout, en cas de désaccord, dépendra selon qu’il s’agit, soit de l’autorisation où le point de vue du parent du mineur-parent emporterait sur celui du mineur-parent, soit de l’accompagnement qui induirait le contraire. Toutefois, rien n’empêche que le législateur aménage des solutions intermédiaires ou supplémentaires. 55/ En conclusion, aux mineurs-parents, il est reconnu juridiquement une autorité parentale qui est anéantie malheureusement par les réalités sociologiques congolaises. L’idée principale de cette réflexion est de crever l’abcès et relancer un débat sur une question réelle que connait notre société en vue de sa régulation, dans toute objectivité, et d’érection d’un statut juridique adapté. 56/ Face aux enjeux, tant sociologiques et moraux que juridiques, relatifs, d’une part, à la protection du mineur (parent et enfant du mineur-parent), et d’autre part, à la superposition de parentalité (mineur-parent et ses parents ou son tuteur), la modification des règles congolaises se rapportant à l’exercice de l’autorité parentale s’impose. Toutefois, il est évident que l’autorité parentale du mineur-parent peut à coup sûr être fragilisée faute de ressources personnelles, éducatives ou financières suffisantes. Ce qui peut avoir une répercussion fâcheuse sur son enfant. Pour remédier à cette double vulnérabilité, il convient de permettre aux mineurs-parents de retrouver leur autonomie dans l’exercice de leur autorité parentale via un accompagnement légal. 57/ En effet, la présomption d’incapacité du mineur tire son fondement à la fois dans la protection de l’enfant, être humain inachevé et inexpérimenté648, et dans la sécurité et l’ordre juridiques. Elle est perçue comme un « moyen de [lui] éviter les 646 Voir les articles 310 et suivants du Code de la famille J. BUREL, Op.cit., §.760. 648 T. MOREAU, « Mineur incapable, mineur responsable », T. MOREAU et S. BERBUTO (dir.), Réforme du droit de la jeunesse. Questions spéciales, Anthemis, Liège, 2007, pp.151-221, spéc. p.153. 647 276 méfaits de [son] incapacité naturelle »649 et de son infirmité intellectuelle650 afin de l’épargner des aléas et des subtilités de vie juridique. Toutefois, elle reste tributaire de l’évolution sociale et surtout scientifique, particulièrement du développement des sciences sociales et humaines. Sur ce, un auteur estime « que les notions de discernement et de contrôle des actes renvoient sur un plan neurobiologique et cognitif, à des aptitudes différentes, qui reposent sur des circuits neuronaux distincts et se développent selon des rythmes spécifiques. Un adolescent peut être capable « à froid » de discerner la portée de ses actes et ne pas être en mesure d’adopter une attitude appropriée dans une situation réelle où il subit l’influence des pairs ou des émotions fortes »651. Ainsi, la reconnaissance progressive, voir le transfert progressif, des droits au mineur-parent est le gage par excellence de sa responsabilisation, de son autonomie graduelle652. * * * 649 D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, p.613. G. CORNU G., « L'âge civil », précit. 651 Pour des amples détails, lire utilement Amiel M., Neurosciences et responsabilité de l’enfant, Les notes scientifiques de l’office, Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), note n°20, nov. 2019, La doc. fr., 2019. 652 G. LANSDOWN G., Les capacités évolutives de l’enfant, Innocenti Insights, n°11, UNICEF/Save the children, 2005, p.20. 650 277 La justiciabilité du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment en république démocratique du congo* Par : Yves-Junior MANZANZA LUMINGU et Professeur aux Facultés de droit des universités de Kikwit, Catholique du Congo et Nouveaux Horizons Enseignant visiteur à l’Université de Würzburg (Allemagne) Avocat au Barreau du Haut-Katanga & Jacques-Octave KABEMBA FANZAL Diplômé en droit économique et social Assistant à la faculté de droit de l’Université Nouveaux Horizons Résumé L’appel à bâtir « un pays plus beau qu’avant » contenu dans l’hymne national de la République Démocratique du Congo (RDC) traduit une réalité qu’il ne faut pas seulement limiter à la nécessité de construire un Etat de droit démocratique, mais qu’il convient également de comprendre au sens propre du terme « bâtir ». En effet, le pays demeure encore ce grand chantier des travaux de construction dont le recours à une main d’œuvre implique la mise en place des moyens de droit pour la protéger dans sa personne en tant qu’individu et dans ses droits en tant que travailleur. Dès lors, les prescriptions de santé et sécurité dans l’industrie du bâtiment s’inscrivent dans la droite ligne d’extirper cette catégorie des travailleurs des dangers d’accidents et des maladies inhérents à ce secteur d’activités économiques. La question de la santé et de la sécurité des travailleurs en général est d’autant plus importante que l’Organisation internationale du travail (OIT) a décidé, à la suite d’une résolution de la Conférence internationale du travail (CIT) adoptée à sa 110e session (2022), d’inclure le droit à un milieu de travail sûr et salubre parmi ses principes et droits fondamentaux au travail. Cette reconnaissance implique que les Etats garantissent le droit des travailleurs concernés d’exiger, notamment par voie de recours à un organe juridictionnel ou quasi-juridictionnel, la jouissance d’un milieu de travail répondant à ces caractéristiques. Un tel recours ne saurait véritablement être considéré comme garantie indispensable pour l’effectivité d’un droit que s’il n’existe pas d’entraves, aussi bien au niveau de la norme que de son exercice, qui ne puissent rendre hypothétique son examen par le juge. * Cet article a été préparé dans le cadre du programme d’immersion scientifique du bureau pays de la Friedrich Ebert Stiftung (Fondation Friedrich Ebert) en République Démocratique du Congo. Les auteurs remercient sincèrement Messieurs Sven Schwersensky et Manuel Wollschläger, respectivement ancien et nouveau représentant résident de la Fondation susmentionnée ainsi que Madame Ruth Zinga, la chargée de programme, pour leur soutien. 278 Mots-clés : Industrie de construction, santé et sécurité au travail, justiciabilité, normes internationales du travail, législation nationale. Abstract The call to build "a more beautiful country than before", which is contained in the Congolese national anthem, reflects a reality that must not only be limited to the need to build a democratic state based on the rule of law, but that must also be understood in the literal sense. Indeed, the country till remains a major construction site whose recourse to a workforce implies the implementation of legal means to protect it in its person as an individual and in its rights as a worker. Therefore, health and safety requirements in the construction industry are in line with the aim of extirpating this category of workers from the dangers of accidents and diseases inherent in this sector of economic activity. The issue of workers' health and safety in general is so important that the International Labour Organization (ILO) has decided, following a resolution of the International Labour Conference (ILC) adopted at its 110th Session (2022), to include the right to a safe and healthy working environment among its fundamental principles and rights at work. This recognition implies that States must guarantee the right of the workers concerned to demand, in particular by access to a judicial or quasi-judicial body, the enjoyment of a working environment which meets these characteristics. Such an appeal can really be regarded as an indispensable guarantee for the effectiveness of a right only if there are no obstacles, either at the level of the rule or of its exercise, which cannot make it hypothetical that it should be examined by the court. Keywords: Construction industry, occupational health and safety, justiciability, international labour standards, national legislation. Plan sommaire Introduction I. La reconnaissance juridique du droit à la santé et à la sécurité dans l’industrie du bâtiment en RDC A. La consécration de la protection internationale du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment B. L’affirmation du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’ordre juridique interne II. La justiciabilité et l’effectivité du droit a la santé et a la securité dans l’industrie du batiment en RDC A. Des obligations en matière de santé et sécurité au travail B. Les droits des travailleurs exposés à un danger grave et imminent au travail Conclusion ……………………………………………………………………………….. 279 Introduction Le droit à la santé et à la sécurité au travail est l’expression de la conviction que toute personne a le droit de travailler dans un environnement qui ne peut générer des maladies et des lésions liées au travail. S’agissant particulièrement de l’industrie du bâtiment, l’existence de ce droit doit être intimement rattachée au Préambule de la Constitution de l’OIT qui exprimait déjà le souci de reconnaître des droits à portée internationale concernant notamment la santé et la sécurité au travail,653 surtout pendant l’heure dite de la « reconstruction » où il fallait faire face aux multiples destructions matérielles ayant durement affecté les habitations, les usines, les exploitations agricoles et autres infrastructures de communication comme des ports, des routes ou des voies ferrées, conséquences de la première guerre mondiale.654 L’avènement de l’OIT – dont la mission principale consiste à améliorer les conditions de travail des personnes dans le monde – aurait offert à ce droit des béquilles pour transcender les considérations restrictives en ce que la protection des travailleurs contre les maladies et lésions liées au travail était devenue l’un des axes prioritaires du mandat historique de l’Organisation.655 C’est dans ce contexte que fut adoptée entre autres la convention n° 62 sur les prescriptions de sécurité dans l’industrie du bâtiment, classée à l’époque parmi les secteurs économiques « très exposés à l’insécurité et présentant des risques sérieux d’accident ». En République démocratique du Congo, la protection des travailleurs contre les conditions de travail inhumaines se trouve théoriquement au cœur des politiques publiques. C’est ce qui ressort des dispositions combinées des articles 1 er et 36 alinéa 1er de la Constitution du 18 février 2006 qui respectivement, reconnaissent la RDC comme un Etat de droit et le travail comme « un droit et un devoir sacré pour chaque congolais ». Ces prescriptions, soutenues par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,656 les instruments normatifs de l’OIT Préambule de la Constitution de l’OIT, paragraphe 2 ; voir aussi Dorhothea HOEHTKER, « L’OIT, les normes et l’histoire », Revue internationale de droit économique, 2019/4, p. 481. 654 Cette reconstruction avait acquis une dimension si importante faisant d’elle l’enjeu de la sortie du conflit au niveau international et était d’ailleurs conçue à l’époque comme une véritable révolution et un élément incontournable pour la paix et l’harmonie universelle prônée par le traité de paix de 1919 – géniteur de la Constitution de l’OIT. Voir également à ce sujet, Bertrand VAYSSIERE, « Relever la France dans les après guerres : reconstruction ou réaménagement ? », Guerre mondiale et conflits contemporains, n°236, 2009, p. 45 ; Fabienne CHAVALIER, « Sortie de guerre et enjeux urbains : histoire de deux projets parisiens (1919-1939) », Histoire politique, n°3, 2007, p. 1. 655 Voir à ce sujet, Bureau International du Travail (BIT), Principes directeurs concernant les systèmes de gestion de la sécurité et de la santé au travail, ILO-OSH 2001, Genève, 2002, p. v. 656 Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après : PIDESC) est entré en vigueur le 3 janvier 1976. Son article 7 litera b reconnait « le droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment […] la sécurité et l’hygiène du travail ». 653 280 en la matière et les dispositions pertinentes du Code du travail congolais657, créent un droit pour les travailleurs de prester dans des conditions d’hygiène et de sécurité qui leur évitent les maladies en général et celles professionnelles ou d’origine professionnelle en particulier ainsi que les accidents liés au travail.658 C’est ce qu’on entend par « droit à la santé et à la sécurité au travail ». Or, l’effectivité659 d’un tel droit reconnu aux particuliers serait fortement dépendante des garanties en termes de contrôle ou de voies de recours contre les atteintes dont pourraient en être victimes ses bénéficiaires.660 C’est dans ce sens que Keba M’Baye souligne qu’à l’existence d’un droit dans le texte doivent être rattachés les mécanismes de revendication en cas d’atteinte, dont les voies à suivre doivent avoir été préalablement tracées.661 De toutes ces voies de recours organisées pour revendiquer le plein exercice d’un droit, il y en a une qui intervient souvent en dernier, mieux à l’échec des autres voies empruntées, mais qui paraît offrir plus de garanties, et s’avère même être une voie par excellence si toutes les conditions de sa réalisation sont respectées. C’est la justiciabilité. A travers elle, le contrôle, mieux la sanction de la violation du droit est directement demandée devant le juge, le garant des droits et libertés des citoyens. Dans le contexte de cette réflexion, la justiciabilité doit être entendue comme la possibilité qu’un droit soit utilement invoqué par un individu ou un groupe d’individus devant un juge.662 Elle confirme donc « la capacité intrinsèque du droit à être garanti par un juge et la possibilité formelle qu’il existe un juge pour en sanctionner les violations éventuelles »,663 même si cette possibilité doit être sujette à la portée normative664 du droit concerné qui ferait de celui-ci un droit 657 Loi n°015-2002 du 16 octobre 2002 portant Code du travail, telle que modifiée et complétée par la loi n° 016/010 du 15 juillet 2016 (ci-après : Code du travail). 658 Art. 160 à 176 du Code du travail. 659 Voir Vincent ZAKANE, « Problématique de l’effectivité du droit de l’environnement en Afrique : l’exemple du Burkina Faso », in : Laurent GRANIER (dir.), Aspects contemporains du droit de l’environnement en Afrique de l’Ouest et centrale, Gland, Ed. de l’UICN, 2008, pp. 13-34 (18). L’auteur argue qu’« aussi pertinentes soient-elles, les règles de droit ne produisent pas, par ellesmêmes les effets que l’on attend d’elles. Leur efficacité dépend le plus souvent des moyens de contrôle mis en œuvre par les pouvoirs publics pour en assurer le respect ». 660 Lire à ce sujet Carine LAURENT-BOUTOT, « L’injusticiabilité des droits sociaux consacrés par les traités internationaux protecteurs des droits de l’homme », in : Pierre SERRAND et De Piotr SZWEDO (dir.), L’injusticiabilité : Emergence d’une notion ? Mélange en l’honneur du Professeur Jacques Leroy, Cracovie, Biblioteka Jagiellońska, 2018, p. 177. 661 KEBA M’BAYE, Les droits de l’homme en Afrique, Paris, 1992, p. 166. 662 Christian ATIAS, « Justiciabilité », in : Loïc CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, PUF, 2004, p. 798 ; voy. aussi Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, Lexique des termes juridiques, 27e éd., Paris, Dalloz, 2919, p. 628. 663 Diane ROMAN, « La justiciabilité des droits sociaux ou les enjeux de l’édification d’un Etat de droit social », La Revue des Droits de l’Homme, n°1, 2012, paragraphe 8. 664 Lire à ce sujet Bernard NTAHIRAJA et Nestor NKURUNZIZA, « L’Etat et les droits sociaux de ses citoyens : cas du droit à la santé au Burundi », Librairie d’études juridiques africaines, vol.7, 2011, p. 21. 281 subjectif exigible et qui reconnaîtrait à son titulaire des prérogatives nécessaires pour obtenir son respect en justice. C’est cette capacité des organes – judiciaires ou quasi-judiciaires – à connaître de l’allégation de la violation du droit à la santé et à la sécurité par les victimes que cette réflexion entend examiner. La démarche consiste d’une part, à déterminer si et dans quelle mesure le droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment en RDC pourrait faire l’objet d’un recours en vue de sa protection devant le juge, et d’autre part, à analyser surtout les chances d’aboutissement d’un tel recours dans un pays où la probabilité que l’attitude des organes judiciaires instaure l’injusticiabilité665 d’un droit pourtant justiciable par la volonté du législateur est assez élevée. Cette réflexion qui se veut essentiellement descriptive se propose de constater, à travers une approche critique, la reconnaissance juridique du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment en RDC (I) et de l’apprécier à l’aune de sa justiciabilité (II). I. La reconnaissance juridique du droit à la santé et à la sécurité dans l’industrie du bâtiment en RDC Le droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment est couvert aussi bien par les textes juridiques internationaux (A) que nationaux (B) qu’il convient de présenter et de commenter brièvement. A. La consécration de la protection internationale du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment Deux principaux instruments juridiques internationaux ratifiés par la RDC consacrent le droit à la santé et à la sécurité dans l’industrie du bâtiment. Il s’agit du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et de la convention de l’OIT n°62 (1937) concernant les prescriptions de sécurité dans l’industrie du bâtiment.666 Si le premier instrument énonce le cadre juridique général de protection de tous les travailleurs en matière de santé et de sécurité au L’injusticiabilité correspond à une situation d’impossibilité pour un requérant d’obtenir justice, c’est-à-dire d’obtenir une décision juridictionnelle réglant un litige, de telle manière que le litige n’est pas jugé. Elle est le contraire de la justiciabilité. En ce sens, la notion d’injusticiabilité traduit l’ensemble des hypothèses correspondant aux angles morts du droit et de la justice. Lire en ce sens Pierre SERRAND et Piotr SZWEDO (dir.), L’injusticiabilité : Emergence d’une notion ?...., Op.cit., p. 9. 666 Cette convention devra automatiquement être dénoncée dès que la RDC aura ratifié la Convention n°167 sur la sécurité et la santé dans la construction (1988), laquelle convention révise et remplace la précédente. A propos de la dénonciation immédiate d’une convention de l’OIT par la ratification d’une nouvelle convention portant révision de la première, lire utilement Jean-Michel SERVAIS, Droit international du travail, Bruxelles, Larcier, 2015, pp. 78-79 ; dans le cas d’espèce ici, voir art. 24 de la convention n° 62. 665 282 travail, sans spécificité du secteur d’activités, le second en revanche a été spécialement conçu pour la sécurité des travailleurs de l’industrie du bâtiment. Par ailleurs, les deux conventions fondamentales de l’OIT sur la santé et la sécurité au travail en général, à savoir les conventions n°155 et n°187, n’ont jamais été ratifiées par la RDC, même si la garantie d’un milieu de travail sûr et salubre qu’elles instituent a acquis la valeur d’un principe et droit fondamental au travail667 que tous les Etats membres de l’OIT, « même lorsqu’ils n’ont pas ratifié les conventions en question, ont l’obligation, du seul fait de leur appartenance à l’Organisation, de respecter, promouvoir et réaliser, de bonne foi et conformément à la Constitution […] ».668 1. Le regard sur l’évolution historique La genèse du droit à la santé et à la sécurité au travail remonte aux origines même de l’OIT. Déjà dans le préambule de la convention n° 62, la Conférence internationale du travail constate que l’industrie du bâtiment présente des risques sérieux d’accidents qu’il est nécessaire de réduire pour des raisons d’ordre humanitaire et économique. Ainsi, sur le plan humanitaire, les Etats sont obligés d’adopter un régime de travail qui soit réellement humain, c’est-à-dire qui respecte l’homme – le travailleur669 – parce que « le travail est fait pour l’homme et non le contraire ».670 Sur le plan économique, la réduction des risques professionnels est justifiée par le souci de réduire le coût économique671 dû non seulement à la prise en charge des victimes des accidents de travail et des maladies professionnelles par le système national de sécurité sociale, mais aussi au manque à gagner résultant de La reconnaissance du principe d’un milieu de travail sûr et salubre trouve son origine dans le Préambule de la Constitution de l’OIT (1919), lequel invoquait « l’urgence de protéger les travailleurs contre les maladies générales ou professionnelles et les accidents résultant du travail ». Cette idée a ensuite été reprise tour à tour dans la Déclaration de Philadelphie (1944), annexée au texte de la Constitution, et plus récemment dans la Résolution de la Conférence internationale du travail (CIT) du 21 juin 2019 sur la Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail (paragraphe 1) et dans la Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail (point II.D), avant d’être concrétisée à la suite de la Résolution de la CIT du 10 juin concernant l’inclusion d’un milieu de travail sûr et salubre dans le cadre des principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT. L’adoption de la Convention n° 191 (2023) sur un milieu de travail sûr et salubre (amendements corrélatifs) et les amendements apportés à la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998, telle que qu’amendée en 2022 (notamment paragraphe 2 litera d) constituent l’aboutissement heureux de ce long processus. 668 Cf. Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998, telle que qu’amendée en 2022, paragraphe 2 ; voy. aussi Guy RYDER, « Préface », in : OIT, Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, 2e éd., Genève, Publications du BIT, 2022, p. 1. 669 Guy RYDER, Le travail est un art. Déclaration à l’ouverture d’un colloque au Sénat français sur l’avenir du travail organisé à l’occasion du centenaire de l’OIT, Paris, 17 avril 2019. 670 Jean-Michel SERVAIS, Op. cit., p. 227. 671 A propos du coût économique des risques professionnels en général, voir notamment Guy RYDER, « Préface », Op. cit., p. 1. 667 283 l’absence au travail des salariés victimes. En effet, l’OIT estime ce coût économique à 3,94% par an du produit intérieur brut mondial.672 Au fil des temps, des avancées notables, essentiellement d’ordre économique et social, ont permis d’apporter quelques innovations majeures. Il s’agit d’abord de l’extension du champ d’application et de la protection à assurer aux travailleurs à travers la suppression du mot « bâtiment », considéré comme trop restrictif, et son remplacement par celui de « construction »,673 jugé plus extensif. Ensuite, les prescriptions relatives à l’hygiène sur les lieux de travail qui ne figuraient pas dans la convention n°62 ont été fusionnées à celles relatives à la sécurité dans le bâtiment dans un seul et unique texte qui constitue l’objet de la Convention n°167 (1988) sur la sécurité et la santé dans la construction. Du point de vue ratione materiae, le nouvel instrument a une conception extensive de ce qu’il entend par construction (art. 1 alinéa 1 et 2 litera a), de même que son aspect ratione personae n’intéresse pas seulement les travailleurs dépendants, mais « s’applique également aux travailleurs indépendants que la législation nationale pourrait désigner » (art. 1 al. 3). De même, la portée des mesures de prévention et de protection à adopter est plus étendue que celle prévue dans la convention initiale de 1937. En effet, les précautions à prendre ne doivent pas seulement viser les travailleurs sur les chantiers, même si ces derniers en sont les principaux bénéficiaires ; elles doivent également protéger les personnes qui, bien que ne travaillant pas sur le chantier, vivent néanmoins à proximité de celui-ci de tous les risques que ce chantier est susceptible de présenter (art. 13 al. 3). Malheureusement, la RDC n’a pas encore ratifié cette convention malgré plusieurs demandes directes lui adressées par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR).674 2. L’incidence de la non-ratification de la Convention n°167 par la RDC L’insistance de la CEACR qui invite la RDC à envisager la ratification de la convention n°167 se justifie par le fait que la convention n°62 a été classée parmi les instruments dépassés675 et que le Conseil d’administration de l’OIT avait décidé au cours de sa 334e session (octobre – novembre 2018) d’inscrire une question concernant l’abrogation de la convention n°62 à l’ordre du jour de la session de la CIT en 2024. En effet, au cas où cette convention serait effectivement abrogée avant Pour plus de détails, voir OIT, La sécurité et la santé au cœur de l’avenir du travail. Mettre à profit 100 ans d’expérience, Genève, Publications du BIT, 2019, notamment pp. 1-3. 673 BIT, Sécurité et santé dans la construction. Recueil de directives pratiques, Genève, Bureau international du Travail, 1992, p. 1. 674 Voir notamment la demande directe la plus récente, adoptée en août 2022 et publiée à la 111 ème session de la Conférence internationale du travail en 2023, disponible en ligne sur https://ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:13100:0::NO:13100:P13100_COMMENT_ID,P13100_ COUNTRY_ID:4309437,102981:NO (consulté le 23.10.202). 675 Lire à ce propos le rapport de la quatrième réunion du Groupe de travail tripartite du mécanisme d’examen des normes (MEN), GB.334/LILS/3, Genève, 31.10.2018, pp.7-9. 672 284 que la RDC ratifie le nouvel instrument la révisant, il y aura un vide et donc un recul regrettable en matière de réglementation de la santé et de la sécurité au travail. Il reste à espérer que le Gouvernement qui, dans sa réponse à la dernière demande de la CIT, a promis « d’adresser une requête au BIT au cours de l’année 2023 pour demander une assistance technique en vue de la ratification de la convention n°167 »676 tiendra sa parole. En attendant, l’ajout des conventions n°155 sur la sécurité et la santé des travailleurs (1981) et n°187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail (2006) parmi les conventions fondamentales de l’OIT, et l’inclusion du milieu de travail sûr et salubre parmi les principes et droits fondamentaux au travail proclamés dans la Déclaration de 1998 telle qu’amendée en 2022 pourraient combler les lacunes résultant de la non ratification de ces instruments par la RDC. En effet, le paragraphe 2 de la déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail prévoit l’obligation pour tous les membres de l’Organisation, même s’ils n’ont pas ratifié les conventions en question, de respecter, promouvoir et réaliser, de bonne foi et conformément à la Constitution, les principes concernant les droits fondamentaux qui sont l’objet desdites conventions. L’intelligibilité de cette disposition dans le contexte précis de cette réflexion doit s’analyser comme empressant l’État677 congolais à ratifier en priorité toutes les conventions portant sur la santé et la sécurité au travail, pas seulement la convention n°167. B. L’affirmation du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’ordre juridique interne La protection du droit à la santé et à la sécurité au travail en RDC est organisée par le Code du travail et ses mesures d’application dans un cadre général de la relation de travail, sans préjudice des dispositions particulières applicables à certains secteurs d’activités économiques, telles que l’industrie du bâtiment, les mines et carrières. En effet, les articles 159 et suivants du Code du travail instituent un régime de protection applicable à toutes les entreprises et à tous les établissements, indépendamment de leur nature et de leurs secteurs d’activités. A côté de ces mesures à portée générale, des prescriptions en matière de santé et de sécurité applicables spécialement dans l’industrie du bâtiment sont prévues dans l’arrêté ministériel n° 017/73 du 6 février 1973 relatif à la sécurité sur les lieux de 676 https://ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:13100:0::NO:13100:P13100_COMMENT_ID,P13100_ COUNTRY_ID:4309437,102981:NO (consulté le 23.10.2023). 677 Ce mécanisme est qualifié par Markus KRAJEWSKI, „Entstehung und Wirkung von Standards der Internationalen Arbeitsorganisation aus völkerrechtlicher Sicht“, Soziales Recht (SR), 1/2020, pp. 2-16 (6) de « Nudge » de droit international public. Le « Nudge » ou « la théorie du coup de pouce » est une technique consistant à inciter des individus ou groupes d’individus à faire certains choix souhaités ou attendus d’eux sans y être contraints. 285 travail pour les travaux de terrassement, de fouille, ou d’excavation de toute espèce et les travaux de l’industrie du bâtiment. Sur le plan général, l’article 159 du Code du travail dispose que « les conditions de santé et de sécurité au travail sont assurées en vue : de prévenir des accidents du travail, de lutter contre les maladies professionnelles, de créer les conditions de travail salubres, de remédier à la fatigue professionnelle excessive, d’adapter le travail à l’homme, de gérer et de lutter contre les grandes endémies de santé communautaire en milieu du travail ». La compréhension de cette disposition semble plutôt orienter l’attention vers la finalité de garantir la santé et la sécurité au travail qu’à l’existence même du droit. En d’autres termes, cette disposition qui devait pourtant être le fondement légal de ce droit au niveau interne, ne le crée pas expressément, mais se contente seulement de justifier le bien-fondé. Il serait souhaitable, pour des raisons de sécurité juridique, que le législateur commençât par rappeler expressément la reconnaissance de ce droit, avant d’avancer les raisons pour lesquelles il devait être garanti. Sinon, il faudra se contenter de l’interprétation des dispositions des articles 55 al. 2, 160, 163 et 170 du Code du travail, pour déduire des obligations de l’employeur à veiller à l’accomplissement du travail dans des conditions convenables, tant au point de la sécurité que de la santé et la dignité du travailleur, s’assurer le concours des services de santé, organiser un service spécial de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux du travail et à tenir l’entreprise ou l’établissement dans un état constant de propreté, pour croire à l’existence de ce droit. Parmi les mesures d’application de ces dispositions du Code du travail, il sied de citer notamment l’arrêté ministériel n°057/71 du 20 décembre 1971 portant réglementation de la sécurité sur les lieux de travail, l’arrêté ministériel n°12/CAB.MIN/ETPS/043/2008 du 8 août 2008 fixant les conditions d’organisation et de fonctionnement des comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail et l’arrêté ministériel n°140/CAB/MINETAT/MTEPS/01/2018 du 8 novembre 2018 fixant les modalités de promotion de la prévention des risques professionnels. Le premier texte édicte les règles tendant à assurer la protection des travailleurs contre les atteintes des machines et des organes techniques (art. 2 à 11), les atteintes de débris d’éclats ou de matières quelconques (art. 12 à 14), les chutes (art. 15 et 16), les accidents causés par le transport ou la manutention des objets pondéreux, volumineux ou dangereux (art. 17 à 24) et contre les incendies et explosions (art. 25 et 26). Le deuxième texte, quant à lui, prévoit les modalités concrètes relatives à l’obligation légale de constituer un comité de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail,678 comité dont les missions consistent à concevoir, corriger et exécuter la politique de prévention des accidents du travail et 678 Art. 167 du Code du travail. 286 des maladies professionnelles ainsi qu’à stimuler et à contrôler le bon fonctionnement des services de sécurité et de santé au travail dans les établissements concernés.679 L’institution de ce comité est à la fois généralisée et limitée : généralisée parce qu’il devait être constitué par toutes les entreprises et tous les établissements de quelque nature que ce soit ; limitée parce que ce comité n’est impératif que dans toute entreprise ou tout établissement qui occupe en son sein au moins vingt travailleurs.680 Enfin, l’arrêté du 8 novembre 2018 fixe les modalités de promotion de la prévention des risques professionnels, laquelle consiste pour la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) en la mise en œuvre d’actions visant à préserver la sécurité, la santé des assujettis et à améliorer les conditions de travail tant au sein de l’entreprise, qu’en cours de trajets légalement protégés (art. 1 et 3). Les actions envisagées ici devraient consister à accompagner l’assujetti à appliquer les principes généraux de prévention, lesquels visent notamment à éviter les risques ou à évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités, à combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, tenir compte de l’évolution de la technologie et à prendre des mesures de protection collective et individuelle (art. 4). L’approche abordée par l’autorité réglementaire ici est essentiellement préventive. Elle tend à éduquer et à informer les assujettis afin de les prémunir contre les risques éventuels d’accidents du travail et de maladies professionnelles (art. 5 et 6). Précisons que si l’employeur est considéré comme le premier et principal responsable de l’application des mesures de prévention que le législateur édicte et qui sont destinées à assurer la protection des travailleurs, les personnes visées par la protection sont elles-mêmes aussi tenues de se conformer rigoureusement aux dispositions des lois et règlements relatifs à la sécurité et à la santé au travail ainsi qu’aux instructions du règlement intérieur y relatives. Pour s’assurer du respect de ces obligations par les entreprises, la CNSS procède, par l’entremise des agents assermentés de prévention, aux visites ou mieux aux contrôles de terrain dans les entreprises.681 Tous manquements aux prescriptions en matière de santé et sécurité au travail constatés lors de ces visites sont susceptibles de sanctions, dont la majoration du taux de cotisation de la branche des risques professionnels à l’égard des employeurs défaillants, laquelle majoration peut atteindre le double du taux ordinaire682 fixé à 1,5% de la rémunération « imposable ». II. La justiciabilité et l’effectivité du droit à la santé et à la securité dans l’industrie du bâtiment en RDC Avant d’aborder la question de savoir si les travailleurs de l’industrie du bâtiment usent de la voie judiciaire pour réclamer la protection du droit à la santé Art. 168 du Code du travail et 3 al. 1 de l’arrêté ministériel du 8 août 2008. Cf. Articles 1 alinéa 1 et 2 et l’article 2 de l’arrêté de 2008. 681 Art. 18 de l’arrêté ministériel n°140/CAB/MINETAT/MTEPS/01/2018 du 8 novembre 2018. 682 Cf. art. 19 et 22 de l’arrêté ministériel n° 140 du 8 novembre 2018. 679 680 287 et à la sécurité au travail (B), il importe de rappeler que c’est l’atteinte à un droit qui génère l’idée de chercher la protection du juge. En d’autres termes, le salarié qui sollicite la protection juridictionnelle d’un droit devait démontrer les atteintes portées à ce droit par son employeur, ce qui se traduit en pratique par le non-respect par ce dernier de ses obligations légales et/ou contractuelles. Ainsi, il convient d’analyser d’abord les obligations conventionnelles, légales et réglementaires inhérentes à la mise en œuvre du droit à la santé et à la sécurité au travail, afin de déterminer ensuite si ces obligations font de la santé et la sécurité au travail un véritable droit subjectif et donc exigible (A). A. Des obligations en matière de santé et sécurité au travail Pour la mise en œuvre du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment, les principales obligations pèsent d’abord sur les pouvoirs publics, ensuite sur les employeurs et, dans une certaine mesure, sur les travailleurs eux-mêmes. 1. L’obligation des pouvoirs publics La ratification d’une norme négociée entraîne naturellement de la part de l’État, la souscription aux obligations qu’il doit respecter pour sa mise en œuvre. S’inscrivant dans cette logique, la Convention n°62 exige des États l’adoption d’une législation assurant son application et en vertu de laquelle une autorité appropriée devrait disposer des pouvoirs d’édicter des règlements (art. 1er alinéa 1er litera b). Le champ d’application de cette législation devra s’étendre à « tous travaux effectués sur chantier concernant la construction, la réparation, la transformation, l’entretien et la démolition de tout type de bâtiment » (art. 2 alinéa 1er) et devait identifier les personnes responsables et prévoir des pénalités appropriées en cas de violation des obligations imposées (art. 3, literas b et c). En plus de l’adoption de la législation, les pouvoirs publics devaient d’une part, faire parvenir tous les trois ans, au Bureau international du travail (BIT), un rapport indiquant dans quelle mesure il a été donné effet aux dispositions des normes ratifiées (art. 1er alinéa 2), et d’autre part soumettre – conformément aux articles 19, 22 et 35 de la Constitution de l’OIT – des rapports périodiques sur les renseignements statistiques les plus récents sur le nombre et la classification des accidents survenus aux personnes occupées aux travaux visés par cette convention (art. 6). Si l’obligation de soumission des rapports périodiques par les États membres devait être conçue comme un moyen régulier de superviser les progrès en matière d’application des Conventions par l’OIT et d’examiner la conformité des législations ainsi que des pratiques nationales aux normes du travail concernées, le risque de s’exposer à la critique de la CIT qui s’en suit, devrait représenter une forme de pression subtile683 aux fins de pousser les États à soumettre régulièrement leurs rapports. 683 D. HOEHTKER, Op. cit., pp .485ss. 288 Au-delà des obligations conventionnelles qui pèsent sur l’Etat, il sied de noter aussi l’obligation constitutionnelle de diffusion des normes applicables en RDC et les missions de contrôle confiées à l’Inspecteur du travail pour donner effet à la réglementation en matière de santé et de sécurité au travail en général et dans l’industrie du bâtiment en particulier. En effet, s’agissant de la première obligation, l’article 142 alinéa 1er de la Constitution conditionne l’entrée en vigueur de la loi par sa publication au journal officiel. Cette publication, qui vise à annoncer aux destinataires l’existence des normes juridiques nouvelles,684 devait être suivie, conformément à l’alinéa 2 du même article, de la diffusion des textes publiés en français et dans chacune des quatre langues nationales dans le délai de soixante jours à dater de la promulgation. Par ailleurs, le législateur congolais dote l’Inspecteur du travail des pouvoirs de contrôle au sein des entreprises et établissements aux fins de s’enquérir de la situation des conditions de santé et de sécurité dans lesquelles les salariés sont placés. S’il s’avère que l’entreprise ou l’établissement concerné est insalubre et/ou présente des dangers d’accidents, l’Inspecteur du travail est appelé à mettre en demeure l’entreprise,685 en précisant les infractions ou les dangers constatés et en fixant les délais dans lesquels les mesures correctives devront être prises.686 Ainsi, si malgré la mise en demeure les faits persistent et que ceux-ci constituent un danger grave et imminent pour la santé et la sécurité des travailleurs, l’Inspecteur ordonne ou fait ordonner l’arrêt des travaux incriminés.687 2. Les obligations de l’employeur En l’état actuel de la législation congolaise, l’employeur est le principal débiteur de l’obligation de réunir les meilleures conditions de travail, même si, dans le cadre de l’exécution loyale du contrat de travail, le souci de se préserver et préserver autrui exige du travailleur l’abstention et une attitude qui ne nuisent pas à sa propre santé ou à celle d’autrui. Ainsi, dans le cadre de la relation de travail de manière générale, deux séries d’obligations pèsent sur l’employeur, dont l’une à priori consistant à prévenir et l’autre a posteriori, plutôt curative, visant la prise en charge des travailleurs victimes d’accidents de travail ou de maladies professionnelles. Voyez en ce sens Jacques-Noé VUDISA MUNGUBUSHI, « A propos de l’entrée en vigueur de la loi en droit constitutionnel congolais. Contribution à l’intelligibilité de l’alinéa 1er de l’article 142 de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 », Annuaire congolais de justice constitutionnelle, pp. 57-93 ; voir aussi l’Ordonnance-loi n°68-400 du 23 octobre 1968 relative à la publication et à la notification des actes officiels en son article 1er qui dispose que les actes législatifs et réglementaires doivent être portés à la connaissance des particuliers par voie de publication. 685 Art. 175 al. 1er du Code du travail. 686 Art. 171 et 172 du Code du travail. 687 Art. 174 al. 4 du Code du travail. 684 289 a) De la prévention des risques En tant que chef d’entreprise ou d’établissement, l’employeur a l’obligation de « veiller à ce que le travail s’accomplisse dans des conditions convenables, tant au point de la sécurité que de la santé et la dignité du travailleur ».688 Concrètement, il est tenu de fournir aux travailleurs un environnement de travail sain, des objets et équipements (tenues, chaussures, lunettes, cache-nez, ceinture de sécurité etc.) appropriés aux circonstances et à la nature du travail. Dans le cadre spécifique de l’industrie du bâtiment, la convention n°62 prévoit des prescriptions de sécurité précises concernant respectivement les échafaudages (art. 7 à 10), les appareils de levage (art. 11 à 15) et l’équipement de protection ainsi que les premiers secours (art. 16 à 18). Ainsi, l’employeur ou son préposé doit prévoir des échafaudages convenables au profit des ouvriers pour tout travail qui ne peut pas être exécuté sans danger avec une échelle ou par d’autres moyens. Ces échafaudages ne doivent être construits, démontés ou modifiés que sous l’œil vigilant d’une personne ayant l’expertise nécessaire. Les dispositifs qui s’y rattachent doivent également être constitués en matériaux de bonne qualité et de résistance appropriée ; ils doivent être construits de manière à empêcher, en cas d’usage normal, le déplacement d’une quelconque de leurs parties. Des précautions spéciales doivent être prises pour assurer la résistance, la stabilité et la maintenance de ces échafaudages par une inspection périodique faite par des personnes qualifiées et s’assurer, avant d’autoriser leur usage par les ouvriers, qu’ils répondent pleinement aux exigences de sécurité. Les mêmes prescriptions concernent mutatis mutandis les appareils et dispositifs de levage. Enfin, l’employeur doit mettre à la disposition du personnel employé sur le chantier l’équipement de protection personnelle nécessaire et en état d’utilisation immédiate et veiller à ce que cet équipement soit judicieusement utilisé par les intéressés. De même, il a l’obligation de prendre des mesures appropriées pour donner rapidement les premiers secours à toute personne blessée au cours du travail. A côté des règles formelles sur la santé et la sécurité qu’il doit faire connaître, l’employeur est tenu d’informer les travailleurs de toutes les mesures de santé et de sécurité contenues dans la législation nationale.689 Il faut préciser que l’employeur ou toute personne chargée de guider les travaux de construction sur un chantier devrait veiller à ce que les travailleurs soient instruits des dangers auxquels ils peuvent être exposés sur les lieux du travail, et des moyens de protection pour y faire face. Ne devrait se trouver sur un chantier qu’un employé qui ait reçu au 688 689 Art. 55 al. 2 du Code du travail. Art. 3 litera a) de la Convention n° 62. 290 préalable une instruction indispensable dans une langue qu’il comprend690 sur les dangers inhérents à la construction. Mais si jamais cette prévention ne fonctionne pas, l’employeur est soumis à la deuxième série d’obligations ou obligations a posteriori. b) De la prise en charge des travailleurs victimes d’accidents de travail ou de maladies professionnelles Si les premières obligations se montrent beaucoup plus protectrices de la santé et la sécurité des travailleurs, les secondes sont prévues pour venir au secours de la faillite des premières. Ces obligations consistent en premier lieu, à aviser la CNSS et l’Inspecteur du travail du ressort de la survenance de la maladie ou de l’accident,691 et en second lieu, à fournir au travailleur concerné les soins médicaux, dentaires et chirurgicaux, les frais pharmaceutiques et d’hospitalisation, les frais de déplacement nécessaires, les lunettes et les appareils d’orthopédie et de prothèse, et ce uniquement pendant la période non couverte par les prestations de la CNSS.692 Toutefois, le travailleur perd ce droit et l’employeur est délié de son obligation d’assurer les soins de santé, lorsque la maladie ou l’accident s’est réalisé dans les conditions des articles 107 et 108 du Code du travail.693 3. Les obligations du travailleur Même s’il n’est pas responsable de la politique de sécurité au sein de l’entreprise, le travailleur en tant que principal bénéficiaire des prescriptions en matière de santé et de sécurité au travail en général et dans l’industrie du bâtiment 690 OIT, Projet de Recueil de directives pratiques sur la sécurité et la santé dans la construction, Genève, 2022, p. 51. 691 Art. 176 du Code du travail. 692 Art. 178 et 179 du Code du travail. 693 Ces articles disposent expressément ce qui suit : - Article 107 : « Aucune somme ni avantage n'est dû s'il est établi que la maladie ou l'accident ou l'aggravation d'une maladie ou d'un accident antérieur résulte d'un risque spécial auquel le travailleur s'est volontairement exposé en ayant conscience du danger encouru, ou si le travailleur, sans motif valable, néglige d'utiliser les services médicaux ou de réadaptation qui sont à sa disposition, ou n'observe pas les règles prescrites pour la vérification de l'existence du dommage ou pour la conduite des bénéficiaires de prestations. » - Article 108 : « Il y a risque spécial, au sens de l'article 107, lorsque la maladie ou l'accident, ou l'aggravation d'une maladie ou d'un accident antérieur résulte : 2) d'une maladie ou d'un accident provoqué par une infraction commise par le travailleur et ayant entraîné sa condamnation définitive ; 3) d'un accident survenu à l'occasion de la pratique d'un sport dangereux, d'un exercice violent pratiqué au cours ou en vue d'une compétition ou d'une exhibition, sauf lorsque ceux-ci sont organisés par l'employeur ; 4) d'une maladie ou d'un accident survenu à la suite d'excès de boisson ou de drogue ; 5) d'une maladie ou d'un accident provoqué par la faute intentionnelle de l'intéressé ; 6) d'une maladie ou d'un accident survenu à la suite de travaux effectués pour compte d'un tiers ; 7) des faits de guerre, de troubles ou d'émeutes, sauf si la maladie ou l'accident, conformément à la définition qui en est donnée par la réglementation sur la sécurité sociale, survient par le fait ou à l'occasion du travail. » 291 en particulier est aussi tenu à certaines obligations propres. Ainsi, partant de son obligation générale d’exécution consciencieuse des prestations de travail,694 il « doit respecter les règlements établis »695 et surtout « s’abstenir de tout ce qui pourrait nuire soit à sa propre sécurité soit à celle de ses compagnons ou des tiers ».696 Il est essentiellement question ici de « l’obligation générale de prudence […] à laquelle tout être humain doit s’astreindre »697 ; ce qui requiert du travailleur une attitude de clairvoyance et de circonspection en tout état de cause. De façon plus particulière, les travailleurs du secteur de bâtiment sont tenus d’observer scrupuleusement toutes les prescriptions et consignes de sécurité données par l’employeur concernant notamment l’usage des échafaudages et des appareils de levage et d’utiliser correctement l’équipement de protection personnelle mis à leur disposition.698 4. Essai d’appréciation de l’exécution des obligations par les personnes assujetties Les lignes qui suivent se penchent essentiellement sur les constats d’(in)exécution par les pouvoirs publics et les employeurs des obligations qui leur incombent respectivement et dont il a été question aux points précédents. a) Du degré d’exécution des obligations des pouvoirs publics en matière de santé et de sécurité au travail Il résulte de l’analyse de différents rapports sur l’application des conventions et recommandations publiés par le BIT, dont le plus récent est de 2022699, que la RDC figure parmi les pays qui n’honorent pas l’engagement de soumission des rapports périodiques sur l’application des normes qu’ils ont librement ratifiées. Par conséquent, il est quasiment impossible que les données statistiques sur le nombre et la nature des infractions, le nombre, la nature et les causes des accidents du travail et des cas de maladies professionnelles dans l’industrie du bâtiment que la RDC devait indiquer dans chacun de ses rapports périodiques, soient connues de l’OIT. Et pourtant, « le but du système de contrôle régulier est de s’assurer que l’État s’acquitte correctement d’obligations qui ne lui ont pas été imposées unilatéralement, mais qu’il a acceptées simplement parce qu’elles correspondent à des objectifs qu’il souhaite atteindre ».700 C’est un contrôle a posteriori très important qui s’inscrit dans la logique d’une garantie additionnelle Jacqueline MASANGA PHOBA, Droit congolais du travail, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 95. Art. 50 al. 2 phrase 2 du Code du travail. 696 Art. 51 al. 1er du Code du travail. 697 Dieudonné DIUMI SHUTSHA, Six leçons de droit du travail, Kinshasa/Bruxelles, PLESLA, 2018, p. 407. 698 Art. 16 al. 2 de la Convention n° 62. 699 OIT, Application des normes internationales du travail, 2022, (I), III (partie 1A), CIT, 110e session, 2022, p. 95. 700 Isabelle DUPLESSIS, « Raisons d’être et perspectives de l’Organisation internationale du travail (OIT) à l’aube de son centenaire », Revue générale du droit, vol. 48, n°2, 2018, pp. 391-443 (414). 694 695 292 de la protection assurée aux travailleurs couverts par des conventions. D’ailleurs, c’est grâce à la soumission des rapports périodiques que le Conseil d’Administration de l’OIT peut décider d’accompagner les efforts des gouvernements par des recommandations adaptées à l’évolution de la situation des travailleurs. Quant à l’obligation de diffusion des normes, si l’Etat a adopté des dispositions claires instituant le comité de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail (CSHE)701 dont le rôle consiste notamment à assurer à tous les travailleurs une éducation appropriée en matière de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux du travail ainsi qu’à élaborer et à mettre en œuvre les moyens de propagandes et les mesures concernant l’accueil des travailleurs, l’information et la formation à la prévention des accidents et maladies professionnelles, il n’en demeure pas moins que le non-respect de l’obligation constitutionnelle de publication conséquente et de traduction de tous les textes légaux et réglementaires dans chacune des quatre langues nationales constitue un morceau de cheveu dans la soupe. Ce manquement de la part des pouvoirs publics n’est pas de nature à contribuer à la concrétisation du principe « nul n’est censé ignorer la loi » proclamé à l’article 162 alinéa 1er de la Constitution congolaise du 18 février 2006 et à faciliter à l’employeur l’exécution de son obligation en matière d’information. Concernant l’exercice par les Inspecteurs du travail de leurs prérogatives de contrôle au sein des entreprises et établissements, l’efficacité de leur mission semble être tributaire de leurs propres conditions de travail. En effet, dépourvus de moyens appropriés pour exécuter correctement leurs obligations, et placés dans des conditions économiques précaires avec une rémunération de misère, les inspecteurs du travail sont exposés à la tentation de fermer les yeux devant les dangers constatés dans les entreprises visitées, en échange de quelques « avantages » proposés par les chefs d’entreprises. Enfin, s’agissant de l’obligation d’adoption des normes régissant la prise en charge des sinistres survenus en milieux de travail, la configuration actuelle de la législation congolaise en la matière laisse observer une double injustice qui nécessiterait des mesures correctives. Premièrement, le législateur tient l’employeur pour seul responsable de tous les accidents, même de ceux résultant manifestement du défaut de prévoyance dans la conception et la planification du plan de construction d’un bâtiment par l’architecte et/ou l’ingénieur chargé de l’exécution des travaux, sans préjudice du droit de recours contre le tiers fautif.702 Deuxièmement, la référence à la relation de travail entre l’employeur et le travailleur pour actionner le droit de la victime d’un accident survenu sur un chantier au bénéfice des prestations prévues à l’article 178 du Code du travail serait 701 702 Cf. art. 3 points 10 et 14 de l’arrêté ministériel n° 12/043/2008 du 8 août 2008. Art. 182 du Code du travail. 293 de nature à priver les travailleurs indépendants, qui sont de plus en plus nombreux dans le secteur de construction, de toute protection en la matière. C’est ici le lieu de déplorer une fois de plus la non-ratification à ce jour de la convention n°167 qui, pour résoudre ce problème, élargit son champ d’application aux travailleurs indépendants que chaque législation nationale pourrait désigner. b) De l’effectivité des mesures prises par les employeurs S’agissant des employeurs, si la plupart s’efforcent à respecter l’obligation légale de constitution d’un CSHE dans leurs établissements respectifs, trop peu seulement semblent exécuter convenablement leur obligation de fournir aux travailleurs un environnement de travail sain, des objets et équipements appropriés aux circonstances et à la nature du travail. En effet, il n’est pas rare de voir sur les chantiers des ouvriers exécutant leur travail sans l’équipement de protection personnelle approprié,703 transportant à mains nues ou sur la tête des matériaux de construction d’un poids excessif parce que les appareils de levage font défaut. De même, du point de vue de la prise en charge des sinistres, certains travailleurs victimes d’accidents de travail ou de maladies professionnelles sont abandonnés à leur triste sort à cause de la mauvaise foi de l’employeur qui tend à se dérober de ses obligations légales et contractuelles, après s’être abstenu d’immatriculer les travailleurs concernés à la CNSS au moment de leur embauche. Tout compte fait, en examinant le degré d’exécution, tant par les pouvoirs publics que par les employeurs, de leurs obligations et/ou engagements en matière de santé et de sécurité dans l’industrie de construction en RDC, l’on ne peut s’empêcher de confirmer que les prescriptions conventionnelles et législatives en la matière peinent à être appliquées de manière effective. Dès lors, il reste à examiner les moyens dont disposerait un travailleur qui se trouverait devant une situation présentant vraisemblablement un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. B. Les droits des travailleurs exposés à un danger grave et imminent au travail Tout travailleur qui s’estime exposé à des conditions de travail présentant un danger certain pour sa vie ou sa santé dispose de deux principaux moyens d’exiger le respect de ses droits : le droit de résiliation immédiate du contrat et le recours judiciaire. 1. Le droit de résiliation immédiate du contrat de travail pour faute lourde Conçu comme une faculté pour le salarié, ce droit permet au travailleur qui estime être victime d’une faute lourde de son employeur de résilier immédiatement le contrat de travail sans préavis.704 Il en est ainsi lorsque l’employeur manque gravement aux obligations du contrat, notamment lorsque « la sécurité ou la santé du travailleur se trouve exposée à des dangers graves qu’il n’a pas pu prévoir au 703 704 Dieudonné DIUMI SHUTSHA, Op. cit., p. 413. Art. 72 en combinaison avec l’article 73 du Code du travail. 294 moment de la conclusion du contrat ou lorsque sa moralité est en péril » ou encore lorsque « l’employeur persiste à ne pas appliquer les dispositions légales ou réglementaires en vigueur […] »,705 en l’occurrence les prescriptions de santé et de sécurité au travail. La rupture du contrat de travail intervenue dans ces conditions entraîne la condamnation de l’employeur fautif au paiement, en faveur du travailleur, des dommages et intérêts fixés conformément à l’article 63 du code du travail,706 c’està-dire par le tribunal du travail, qui tiendra compte notamment de la nature des services engagés, de l’ancienneté du travailleur dans l’entreprise, de son âge et des droits acquis à quelque titre que ce soit, sans toutefois que le montant ne soit supérieur à 36 mois de sa dernière rémunération. Au lieu de la résiliation du contrat, laquelle entraîne des conséquences économiques indésirables pour le salarié, malgré le droit aux dommages et intérêts qui lui est reconnu, le législateur congolais pourrait aussi de lege ferenda s’inspirer des solutions prévues dans certaines législations étrangères, notamment celle de la France, qui instituent le droit de tout travailleur de se retirer d’une situation de travail périlleuse, c’est-à-dire d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé, en raison notamment d’une défectuosité du système de protection, et ce après en avoir alerté immédiatement l’employeur.707 Ce droit de retrait, exercé légitimement après l’accomplissement du devoir d’alerte,708 a l’avantage de ne pas mettre fin aux relations contractuelles et de ne pas priver le travailleur de son droit à la rémunération ; en tant que tel, il constitue une vraie sanction infligée à l’employeur qui ne peut ni licencier le travailleur qui en a fait usage,709 ni prendre une quelconque sanction disciplinaire à son encontre, sans préjudice de la faculté reconnue au chef d’entreprise d’affecter le travailleur concerné à un autre poste correspondant à sa qualification professionnelle.710 705 Art. 73 literas c) et e) du Code du travail. Art. 75 al. 1er du Code du travail. 707 Cf. art. L4131-1 du Code du travail français ; voir aussi les commentaires y relatifs chez Gilles AUZERO, Dirk BAUGARD et Emmanuel DOCKÈS, Droit du travail, 36e éd., Paris, Dalloz, 2022, pp. 1267-1270. 708 Sur l’obligation de signalement préalable de la situation dangereuse à l’employeur avant l’exercice par le travailleur concerné de son droit de retrait, voir Soc. 21.01.2009, n° 07-41.935, inédit (disponible en ligne sur : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000020185202, consulté le 12.11.2023). 709 Cf. art. L4131-3 du Code du travail français. Voir aussi la jurisprudence constante de la Cour de cassation française qui considère nul tout « licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice légitime par le salarié du droit de retrait de son poste de travail dans une situation de danger », cf. Cass. Soc. 28.01.2009, n°07-44.556, Bull. 2009, V, n °24 ; 25.11.2015, n° 1421.272, Bull. 2016, n° 840, Soc., n° 552. 710 Gilles AUZERO, Dirk BAUGARD et Emmanuel DOCKÈS, Op. cit., p. 1268. 706 295 2. Le recours judiciaire L’analyse ci-dessus vient de démontrer que le droit à la santé et à la sécurité au travail est un droit « réclamable » à travers une action en justice dont les contours sont précisés par la législation. Cependant, une question demeure centrale dont la difficulté ne peut être éludée : le contrôle juridictionnel permet-il d’assurer l’effectivité de ce droit dans l’industrie du bâtiment en RDC ? En effet, alors que la justiciabilité renvoie à une procédure, l’effectivité renvoie à la propriété d’un droit, la qualité d’une chose susceptible d’être réclamée,711 mieux à l’achèvement, la finition.712 A en croire Pierre Sargos, « le rôle du juge dans le concept d’effectivité des droits doit être d’en garantir l’accomplissement »713 au point qu’il existerait « un nouveau droit fondamental à vocation transversale [...], un droit à l’effectivité des droits fondamentaux devant gouverner toutes les normes, fussent-elles de nature technique ».714 Pourtant, l’on a constaté que si le juge congolais dispose des outils pour assurer l’effectivité de ce droit dans ce secteur d’activités, son intervention n’est pas automatique, mieux d’office. Il faut qu’il soit saisi à cet effet. a) De l’existence d’un contrôle juridictionnel Le droit à la santé et à la sécurité au travail peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel en RDC. Ce contrôle est institué par les dispositions combinées des articles 181 et 182 du Code du travail. En effet, ces articles prévoient respectivement que l’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer les soins prévus au titre VIII du Code du travail et qu’en cas de maladie ou accident pouvant engager la responsabilité d’un tiers, l’exercice d’une action contre le tiers ne dispense pas l’employeur d’exécuter ses obligations. Par ailleurs, même si le législateur ne donne aucune précision sur celui qu’il faut qualifier de « tiers » au sens de l’article 182 du Code du travail, nous pensons que dans le cadre de l’industrie du bâtiment, le mot tiers devait renvoyer à toutes les personnes impliquées dans la conception ou la planification d’un projet de construction sans être l’employeur direct du salarié. Ce qui importe plus c’est qu’à travers ces articles, le législateur ne laisse planer aucun doute sur le caractère justiciable du droit à la santé et à la sécurité au travail. Les travailleurs victimes d’accidents de travail ou de maladies professionnelles peuvent, lorsqu’ils estiment que l’auteur de l’accident ou de la maladie (employeur ou tiers) n’exécute pas l’obligation d’assurer les soins médicaux nécessaires, saisir le juge pour exiger de lui la protection nécessaire. Benoît GRIMOPREZ, De l’exigibilité en droit des contrats, Paris, LGDJ, 2006, p. 4. Diane ROMAN, Op. cit., paragraphe 48. 713 Pierre SARGOS, « Approche juridictionnelle de l’effectivité des droits sociaux », Justice et Cassation, 2006, p. 423. 714 Ibidem, p. 430. 711 712 296 b) De la détermination du juge compétent et des modalités du recours La saisine du juge est un préalable pour que ce dernier arrive à user des moyens légaux à sa disposition pour sanctionner toute atteinte portée à un droit. Rappelons qu’en ce qui concerne le contentieux de travail, la saisine du juge n’est pas aussi automatique. Contrairement à ce qui prévaut en matière civile ou en matière répressive où le juge peut directement être saisi par les justiciables, en matière du travail, il y a deux conditions essentielles à remplir. Il s’agit d’une part, de la soumission préalable du conflit devant l’inspecteur du travail pour conciliation, et d’autre part de l’établissement par ce dernier d’un procès-verbal de non-conciliation. En effet, les articles 25 et 27 de la loi n°016/2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail exigent que les litiges individuels ou collectifs de travail ne soient recevables devant les tribunaux du travail qu’à la condition d’avoir été préalablement soumis à la procédure de conciliation à l’initiative de l’une des parties devant l’Inspecteur du travail du ressort. En d’autres termes, la soumission du conflit pour une conciliation devant l’Inspecteur du travail du ressort n’est pas seulement le mode préalable de résolution des litiges en droit du travail, c’est aussi une exigence procédurale sans laquelle le litige ne peut être reçu devant le juge. La deuxième condition tient à l’établissement d’un procès-verbal de nonconciliation. Celui-ci intervient à la suite d’un désaccord manifesté par les parties expressément ou tacitement à travers le refus de répondre à l’invitation, empêchant ainsi l’Inspecteur à trouver un compromis. Il s’agit du procès-verbal de nonconciliation dans le premier cas, alors que dans le second, on parle plutôt de procèsverbal de carence valant procès-verbal de non-conciliation. Ce procès-verbal est un document nécessaire en ce qu’il atteste de ce que les parties se sont bel et bien soumises à la procédure de conciliation devant l’Inspecteur du travail qui n’a pas réussi à les mettre d’accord. L’on remarquera que l’absence de ce procès-verbal entraîne logiquement une fin de non-recevoir de l’action devant le juge du travail.715 Pour être valable et servir de fondement à l’exploit introductif d’instance, le procès-verbal de nonconciliation doit contenir certaines mentions obligatoires telles que les dates, mois, l’année etc., sous peine de nullité.716 De même, la compétence étant d’attribution, le défaut de qualité dans le chef de la personne qui signe le procès-verbal est une cause d’irrecevabilité du litige individuel ou collectif de travail devant le juge.717 715 C.A Kin, RTA 1748, du 06 aout 1988 ; TGI Kis, RT 1218 du 17 déc. 2004, Manabudi c/ Unicom Sprl, Recueil LUKOO, p. 201. 716 Cf. C.A Kin/Gombe RTA 3679 du 06/11/1997, M. Manzambi c/Shell, Recueil LUKOO, p. 199. 717 C.A Kin/Gombe, RTA 3900/3931/3932, Bralima CIB c/ Kanyinda. 297 c) Des obstacles à l’exercice du recours judiciaire par les travailleurs Plusieurs obstacles semblent empêcher les travailleurs congolais en général et ceux du secteur de bâtiment en particulier d’invoquer utilement devant le juge compétent leur droit à la santé et à la sécurité au travail et d’obtenir de ce dernier la protection y afférente. Déjà, quand on analyse le temps que prend souvent la procédure de conciliation devant l’Inspecteur du travail du ressort et le marchandage qui se fait dans le cadre de ces discussions, il n’est pas anodin de se demander si le fait de subordonner la saisine du juge par le procès-verbal de non-conciliation ne constituerait pas, en pratique, une passerelle pour pouvoir contourner à tout prix le contrôle juridictionnel. Ce qui devient finalement un piège dans la mesure où la plupart des travailleurs, et pas seulement ceux de l’industrie du bâtiment, accusent trop souvent, à tort ou à raison, l’Inspecteur du travail de jouer à la complicité avec les employeurs pour retarder la procédure et/ou classer le dossier sans suite. Quand bien même ces allégations ne seraient pas étayées par des preuves suffisantes, l’on ne s’empêcherait pas toutefois de questionner l’impact réel de l’Inspection du travail dans la protection des travailleurs en RDC, lorsqu’à tout moment, ceux-ci crient au non-respect de leurs droits par les employeurs, surtout dans les entreprises tenues par des expatriés, principalement des ressortissants asiatiques. Par ailleurs, le dernier rapport publié par l’Institut national des statistiques (INS) fait état de plus de 111 travailleurs exposés dans l’industrie du bâtiment pour la période allant de 2015 à 2019, plus de 23 accidents, dont quatre ont entrainé l’incapacité permanente de travailleurs et six l’incapacité temporaire.718 Selon le même rapport, au total 1053 litiges individuels de travail dans l’industrie du bâtiment et travaux publics ont été enregistrés pour la même période, dont 349 contre 211 ont abouti à une conciliation, 361 ont fait l’objet d’instance et 132 conflits dont le sort n’est pas encore connu à ce jour.719 Il faut tout de même signaler que l’essentiel de ces litiges portent sur les prestations familiales (274), le salaire (140), le congé (33), la durée du travail (73), les heures supplémentaires (8) et divers (142).720 Il est difficile de déterminer si, sous la rubrique « divers », il faut aussi inclure les litiges portant sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, en l’occurrence dans l’industrie du bâtiment et travaux publics. A examiner avec minutie la structure de ce rapport, il y a lieu de douter de l’inclusion des accidents et maladies sous la rubrique consacrée aux litiges divers. Sinon, les rédacteurs du rapport n’auraient pas hésité de les mentionner expressément. Il s’ensuit qu’aucune action ne sera menée devant le juge du travail lorsque déjà au 718 INS, Annuaire statistique RDC 2020. Présentation de la RDC, données démographiques, sociales, économiques et financières, mars 2021, p. 152, tableaux 234 à 236. 719 Ibidem, p. 150, tableaux 230 et 231. 720 Ibidem. 298 niveau de l’Inspection du travail, aucun litige n’a eu lieu en ce qui concerne la santé et la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment. A partir de ce constat, il est donc impossible d’apprécier ex nihilo la contribution du juge congolais dans l’effectivité de ce droit faute des décisions. Mais cela ne peut nous empêcher non plus d’interroger ceux que nous pouvons considérer comme parties prenantes (juge et travailleurs eux-mêmes) sur cette absence des litiges. Pour les juges des tribunaux du travail interrogés, cette absence serait due en grande partie à l’ignorance des textes légaux et réglementaires par l’ensemble des travailleurs en général et particulièrement la catégorie concernée par cette réflexion. Tout de même, ces juges sont conscients du rôle qu’ils devraient jouer dans la protection des travailleurs contre les conditions de travail insalubres, mais ils ne peuvent pas se saisir d’office. Ce qui fait qu’on ne saurait logiquement s’imaginer ce que serait leur position une fois qu’ils seront saisis des faits. Devraient-ils pencher vers la justiciabilité ou l’injusticiabilité de ce droit ? Ce serait précoce de le dire. Nous pensons tout de même qu’ils pourraient osciller entre audace et frilosité pour protéger ce droit, en se servant utilement des exemples des autres secteurs, telle que l’industrie extractive où la justiciabilité du droit à la santé et à la sécurité est presqu’irréversible. Pour les travailleurs par contre, le défi est énorme. En plus des difficultés d’accès et de perception des prescrits légaux et réglementaires, on évoque la pauvreté comme une des raisons sérieuses qui freinent considérablement l’usage du recours juridictionnel pour la protection de leurs droits en général. La plupart estiment qu’engager un procès contre son employeur, qui a une position financière stable, nécessite le recours aux services d’un avocat à qui il faudra payer les honoraires. Déjà avec des salaires de misère et la lenteur que prend la procédure judiciaire en RDC, il est difficile de trouver l’équilibre pour répondre favorablement à toutes les exigences. Par conséquent, les travailleurs ont le choix entre accepter l’arrangement unilatéral proposé par l’employeur, et s’en remettre à son bon vouloir, le tout dans un contexte de chômage généralisé. Conclusion Le problème de l’effectivité des droits proclamés reste entièrement lié aux techniques et procédures de leur revendication.721 La justiciabilité paraît alors cette voie grâce à laquelle le juge intervient personnellement pour contrôler l’effectivité dans l’exercice d’un droit. Véritable sentinelle en dernier ressort, elle permet de sanctionner toute atteinte à un droit et, le cas échéant, d’obtenir du juge la satisfaction individuelle soit en nature, soit par compensation au titre de dommagesintérêts. Encore que les normes qui consacrent ce droit soient clairement posées et ne comportent pas des zones d’ombre capables de flouer les obligations correspondantes. 721 G. GURUITCH, La déclaration des droits sociaux, Paris, Dalloz, 1946, p. 42. 299 Mais pour y parvenir, le travailleur devrait braver la « peur » pour aller devant le juge en commençant bien évidemment par l’Inspecteur du travail du ressort. Le dialogue social étant le socle dans le règlement des conflits de travail, les parties peuvent certes aboutir à un compromis devant l’Inspecteur du travail pour mettre fin à leur litige. L’implication du juge se révèle toutefois nécessaire lorsque l’employeur ou toute personne tenue de garantir les conditions de santé et sécurité au travail ne le fait pas ou ne peut pas non plus assurer les soins de santé au travailleur en cas d’accident ou de maladie. Dans ce cas, le juge vient user de la contrainte pour faire respecter le droit attenté. Ainsi à l’ère où le droit à un milieu de travail sûr et salubre est élevé au rang des droits fondamentaux au travail, le défi pour le Gouvernement congolais reste la ratification des Conventions fondamentales sur la santé et la sécurité des travailleurs ainsi que celle technique sur la santé et la sécurité dans la construction. Ces actions devraient être suivies de l’adoption par le Parlement national d’une législation particulière sous forme de « Code de construction ». Et pour servir le peuple pour lequel ce Code aura été adopté, il va falloir qu’il soit mis à la connaissance des destinataires à travers le mécanisme constitutionnel de publication et de diffusion. De même, les organisations syndicales, en tant que « prolongement de la puissance publique intervenant dans l’entreprise », sont invitées à quitter le bateau sélectif des droits à défendre et de se saisir de la santé et sécurité des travailleurs en général comme nouvel enjeu de négociation en RDC. Elles devront désormais démontrer leur capacité à outiller les salariés des atouts nécessaires relatifs à un milieu de travail sûr et salubre. Porteuses de la solidarité des classes, elles devraient contribuer à élever les garanties sociales au-dessus des volontés entrepreneuriales de chaque entreprise. Enfin, l’Inspection du travail devrait, quelles que soient les conditions de travail dans lesquelles elle travaille, poser des actes qui encouragent et rassurent les travailleurs de la ferme intention de l’administration à faire respecter les dispositions légales et réglementaires sur les conditions minimales de travail. Ceci créerait et solidifierait un climat de confiance entre administration et salariés hors de tout soupçon de passivité aux violations de leurs droits, gage de la justiciabilité et surtout de bonne administration de la justice qui va avec. * * * 300 Le juge congolais face au règlement des litiges individuels du travail* Par : Elie KAKO KANU Diplômé en droit économique et social à l’Université Catholique du Congo Chercheur en droit social Resumé La présente étude sur l’intervention du juge en matière de règlement des conflits individuels du travail en droit congolais s’est inscrite dans une logique de démonstration du rôle de la justice dans la mise en œuvre effective de la législation sur le travail. L’Etat de droit nécessite des mécanismes appropriés afin d’éviter l’arbitraire. En effet, sans un pouvoir judiciaire indépendant et responsable, il paraît difficile d’instaurer un Etat de droit démocratique et respectueux des droits fondamentaux de tous les citoyens, et dans le cas d’espèce les droits des travailleurs. Ainsi, le simple fait d’édicter les normes ne garantit pas leur effectivité, et il est nécessaire de les accompagner des mesures d’application, d’un contrôle effectif et des sanctions adaptées contre les éventuelles violations. Mots-clés : litiges individuels – juridictions du travail – employeur – salarié – contrat de travail. Abstract The present study on the intervention of the judge in the settlement of individual labour disputes under Congolese law was part of a logic of demonstrating the role of the judiciary in the effective implementation of labour legislation. The rule of law requires appropriate mechanisms to avoid arbitrariness. Indeed, without an independent and accountable judiciary, it seems difficult to establish a democratic State governed by the rule of law that respects the fundamental rights of all citizens, and in this case the rights of workers. Thus, the mere fact of enacting standards does not guarantee their effectiveness, and it is necessary to accompany them with enforcement measures, effective control and appropriate sanctions against possible violations. Keywords: individual disputes – labour courts – employer – employee – employment contract. * Cet article a été préparé dans le cadre du programme d’immersion scientifique du bureau pays de la Friedrich Ebert Stiftung (Fondation Friedrich Ebert) en République Démocratique du Congo. L’auteur remercie sincèrement Monsieur Manuel Wollschläger, Représentant résident de la Fondation susmentionnée, ainsi que Madame Ruth Zinga, Chargée de programme, pour leur soutien. 301 Plan sommaire Introduction I. Regard sur les litiges individuels du travail A. Essai de compréhension de la notion de litige individuel de travail B. Situations ou faits susceptibles de déclencher un litige individuel du travail C. Règlement du contentieux II. Intervention du juge dans le contentieux du travail A. Organisation et compétences des juridictions du travail B. Analyse des quelques décisions judiciaires Conclusion ………………………………………………………………………… Introduction Le droit du travail722 est perçu comme un droit qui régit les activités professionnelles accomplies dans un état de dépendance à l’égard d’autrui. De ce constat fondamental découle bien des spécificités qui marquent de leur empreinte le droit du travail par rapport aux autres branches du droit723. En effet, alors que dans d’autres disciplines la situation du titulaire des droits est identifiée du seul point de vue patrimonial, le droit du travail définit son domaine d’application sur la base de critères diversifiés724. Le travailleur dépendant, au sens du droit du travail, n’est pas seulement celui dont les ressources sont tirées d’une activité professionnelle fournie par une autre personne. Il est également un travailleur sur lequel s’exerce un pouvoir en vue de la bonne réalisation de l’activité donnée. Par conséquent, il peut être affirmé que le droit du travail dans son ensemble légitime l’exercice d’un pouvoir sur autrui et organise les conditions de celui-ci. Il constitue un ensemble des règles dont l’objet est de garantir la protection du travailleur dépendant en société. Ce caractère protecteur du droit du travail est observé immédiatement de la nature fondamentalement déséquilibrée de la relation du travail qui s’établit entre l’employeur et le travailleur. Ceci explique que la règle du travail crée des droits réservés au seul usage du travailleur, ou dont la sanction ne peut être mise en œuvre qu’à l’initiative de ce dernier. L’objectif de protection assigné au droit du travail explique aussi que ses règles sont, le plus souvent, le résultat d’un rapport de force au sein même de la société. Or, pour être à mesure de faire valoir leurs droits dans ce rapport de force avec leurs employeurs, les travailleurs devraient avoir accès aux normes pertinentes en matière de travail dans 722 REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Constitution de la République Démocratique du Congo, telle que révisée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, Article 122. 723 F. DUQUESNE, Droit du travail, Paris, Lextenso, 2016, p. 21. 724 Ibidem. 302 le pays concerné, y compris leur interprétation par les juridictions compétentes, et les maîtriser. Malheureusement, le constat sur le terrain révèle une ignorance dangereuse de la législation sur le travail par ceux-là même qu’elle est censée protéger. Si l’accès aux sources de droit peut être présenté comme l’une des raisons justifiant cette ignorance, l’intelligibilité de la loi constituerait aussi un obstacle majeur : beaucoup ne la comprennent pas, parce qu’écrite en français, langue officielle que peu maitrisent dans l’un des pays où l’analphabétisme est endémique725. Encore plus inintelligible est la langue du droit. L’insuffisante vulgarisation des textes est un obstacle à leur application. Et quand bien même le salarié serait conscient de ses droits, reste prégnante une certaine déférence vis-à-vis de l’employeur qui n’incite guère à réclamer le bénéfice de ceux-ci. Ce pourrait être le rôle de l’administration que de veiller au respect du droit. Mais elle n’a pas les moyens du rôle que lui octroie la loi. Il existe bel et bien une inspection du travail726, comme l’exigent les conventions internationales ratifiées727. Elle se voit reconnaître des compétences voisines dans les grandes lignes de celles que l’on connaît ailleurs, outre un rôle spécifique de conciliation préalable à la saisine des tribunaux. Mais la réalité est celle d’une administration difficilement en capacité d’exercer la mission de contrôle du respect de la réglementation. Dans ces conditions, le recours au juge du travail se présente comme le dernier rempart qui permettrait au droit de retrouver une emprise sur les rapports de travail subordonné. A lire les décisions de justice rendues ces dernières années728, le contentieux du travail paraît de prime abord abondant, ce que confirme la lecture des rôles d’audience de ces mêmes juridictions. Les salariés du secteur formel saisissent le juge du travail pour principalement contester leur licenciement et les salariés du secteur informel, pour demander la reconnaissance d’un contrat de travail et que le juge en tire toutes les conséquences sur le plan salarial, indemnitaire et de la sécurité L. GAMET, Le droit du travail ivoirien, Paris, L’Harmattan, 2018, p. 17. P. AUVERGNON, S. LAVIOLETTE ET M. OUMAROU, Les fonctions assurées par des inspecteurs et des contrôleurs du travail dans le système d’administration du travail en Afrique francophone subsaharienne, BIT, novembre 2007. 727 Il s’agit des quelques conventions ratifiées par la RDC dès son adhésion à l’OIT : convention n°81 sur l’inspection du travail, de 1947 ratifiée le 19/04/1960 ; la convention n°64 sur les contrats de travail de 1939, ratifiée le 20/09/1960 ; la convention n°87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de 1948 ratifiée le 20/06/1960 ; la convention n°94 sur les clauses du travail (contrats publics), de 1949 ratifiée le 20/06/1960, la convention n°100 du 29 juillet 1951 etc. Disponible sur https://www.africaefuture.org/files/fnc/Liste%20des%20Conventions%20Internationales%20du %20travail%20ratifiees%20par%20la%20RDC.pdf (consulté le 24 décembre 2023 à 16h19). 728 Voir à titre d’exemples : Cour d’Appel de MATADI, matière du travail, degré d’appel, audience publique du 14 mars 2003 ; ARRET RTA 467, Cour d’Appel de MATADI, matière du travail, degré d’appel, audience publique du 10 mars 2004 ; ARRET RTA 256, Cour d’Appel de MBUJI MAYI, matière du travail, audience publique du 31 octobre 2008 ; ARRET RTA 301/OPP/272, Cour d’Appel de MBUJI MAYI, matière du travail, audience publique du 03 aout 2010, etc… 725 726 303 sociale. Cependant, de façon empirique, il semble que, rapporté au nombre de travailleurs employés dans le secteur informel ou dont les droits sont méconnus, le contentieux reste marginal. Ainsi, la principale question de recherche sur laquelle se penche cette étude tourne autour de la problématique de l’intervention du juge dans le règlement des litiges individuels du travail et de sa contribution au maintien de la paix sociale durable en milieux professionnels. Pour répondre à cette question, nous avons recouru à la fois à la méthode exégétique et à la méthode empirique. La première nous a aidé dans l’interprétation des textes légaux et réglementaires en vue d’en ressortir le sens ou la volonté du législateur, au-delà de ce qui est écrit. En revanche, la seconde, basée sur l’observation des faits, leur expérimentation et leur évaluation, nous a permis de nous rendre compte de l’effectivité des règles de droit régissant le contentieux en matière du travail et de l’état d’application des décisions administratives et/ou judiciaires qui en découlent. Ainsi, avant de pencher sur l’intervention du juge congolais dans le règlement des litiges individuels du travail (II), il sied de commencer d’abord par présenter la notion de « litige individuel de travail », y compris les différentes situations qui en seraient la cause. I. Regard sur les litiges individuels du travail Le conflit individuel est un différend à propos du contrat individuel de travail depuis sa formation jusqu’à sa cessation. Il peut donc résulter de différentes situations au cours du cycle de vie du contrat de travail. A. Essai de compréhension de la notion de litige individuel de travail Le litige individuel du travail, est perçu comme étant tout conflit survenu entre un travailleur et son employeur dans l’exécution du contrat de travail, d’apprentissage, d’une convention collective, ou en général, de la législation et de la réglementation du travail et de la prévoyance sociale. Les litiges individuels du travail opposent en effet, un ou plusieurs travailleurs à l’employeur au sujet du respect, par celui-ci, d’une disposition contractuelle ou légale dont la violation est généralement sanctionnée par les juridictions spécialisées en matière du travail729. Ils demeurent individuels même lorsque plusieurs salariés licenciés ont agi en justice dans un même dossier et par le même avocat, chaque salarié ayant été licencié individuellement730. 729 730 J. MASANGA PHOBA, Droit congolais du travail, Paris, l’Harmattan, 2016, p.201. J.M. KUMBU, Droit du travail et de la sécurité sociale, 4ème éd., Kinshasa, I.A.D.H.D., 2020, p.87. 304 Cependant, il apparait impérieux d’établir une démarcation entre la notion du conflit individuel du travail et celle du conflit collectif du travail qui sont, d’un point de vue général, tous des contentieux liés au travail et souvent sujets à confusion. Toutefois, le conflit collectif du travail se distingue du conflit individuel du travail en ce qu’il renvoie au conflit survenu entre un ou plusieurs employeurs d’une part et un certain nombre de membres de leur personnel d’autre part, au sujet des conditions de travail lorsqu’il est de nature à compromettre le bon fonctionnement de l’entreprise.731 Partant de cette disposition, nous pouvons fidèlement établir la démarcation entre ces deux notions : la première concernant individuellement l’exécution ou l’inexécution du contrat de travail au motif personnel et la seconde touchant aux intérêts d’un groupe des travailleurs au sujet des conditions de travail et qu’il est susceptible de provoquer le désordre au sein de l’entreprise. B. Situations ou faits susceptibles de déclencher un litige individuel du travail Lors de l’exécution du contrat de travail, les parties sont liées par leurs obligations réciproques. L’inobservation ou manquement grave ou léger de l’une d’elles peut susciter le besoin de désengagement vis-à-vis de l’autre ouvrant ainsi la voie à la démission, un licenciement ou une rupture conventionnelle pour des multiples raisons (force majeure, inaptitude du salarié, abandon de poste, faute lourde, etc…). Pour mieux circonscrire les différents cas qui seraient susceptibles d’engendrer les conflits individuels du travail, nous allons tenter de passer en revue les obligations des parties au contrat de travail et les modes de cessation des relations contractuelles. 1. Des obligations réciproques des parties au contrat du travail Le contrat de travail fait naitre à charge des parties des obligations réciproques pour lesquelles il existe une interdépendance étroite justifiant notamment le recours à l’inexécution lorsque l’autre partie ne s’exécute pas et confère aux parties des obligations propres au regard de l’inégalité existant entre elles732. a) Obligation du salarié Soulignons ici que l’obligation principale du salarié est d’exécuter la prestation de travail dans les conditions telles que convenues avec l’employeur et ce, sous l’autorité ou la direction de celui-ci. Cette exécution doit être personnelle, consciencieuse et loyale. En clair, le salarié a l’obligation d’exécuter personnellement son travail dans les conditions, au temps et au lieu convenus. Il n’a pas le droit de se faire substituer 731 Art. 303 de la loi n°015/2002 du 16 octobre 2002 portant code du travail telle que modifiée et complétée par la loi n°16/010 du 15 juillet 2016. 732 J. MASANGA PHOBA, Op.cit., p.95. 305 par une personne de son choix pour l’exécution de la prestation de travail à laquelle il s’était engagé. Il doit en outre accorder à son travail le plus grand soin possible et éviter de poser des actes susceptibles de porter atteinte aux intérêts de son employeur. Enfin, il est tenu à l’obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur et ce, tant en cours d’exécution du contrat de travail qu’à la fin dudit contrat. Dans les deux cas, le salarié est tenu de ne pas divulguer les informations pertinentes mises à sa disposition par le secret professionnel même en dehors de l’entreprise. b) Les obligations de l’employeur Le droit du travail, droit d’inégalité, est prévu avant tout pour assurer la protection du salarié subordonné. Mais il responsabilise aussi l’employeur pour toute faute par lui commise. De ce fait, l’employeur doit procurer le travail dans les conditions prévues par le contrat, préserver la personne du salarié qu’il s’agisse de sa santé, de sa personnalité, de sa moralité et de sa dignité, assurer le transport des travailleurs de leurs résidences au lieu du travail et vice-versa, verser le salaire et les accessoires convenus, etc. 2. De la cessation des relations contractuelles Les relations contractuelles en matière de travail peuvent cesser de plusieurs manières. En effet, il existe les modes de cessation qui sont communs à tous les types de contrat de travail, alors que d’autres sont spécifiques soit au contrat de travail à durée déterminée (CDD), soit au contrat de travail à durée indéterminée (CDI). Ainsi, parmi les modes communs à tous les types de contrat de travail figurent le décès du salarié, la rupture par consentement mutuel des parties (art. 61bis CT), la force majeure, lorsque le fait la caractérisant rend définitivement impossible l’exécution du contrat733 et que cette cause est régulièrement constatée par l’inspecteur du travail, et la faute lourde de l’une des parties. En revanche, sans préjudice de ce qui est dit supra, le CDD ne peut être résilié qu’à l’expiration normale du contrat, c’est-à-dire à l’arrivée du terme (art. 69). C’est que toute rupture anticipée du CDD serait fautive à condition qu’elle soit justifiée par une faute lourde des parties. Enfin, s’agissant du CDI, il peut prendre fin par la volonté d’une des parties au contrat et cela pour deux motifs : sauvegarder la liberté individuelle et assurer la mobilité nécessaire de la main d’œuvre pour l’entreprise. La faculté de résiliation est d’ordre public. Elle instaure une inégalité entre les parties car derrière l’unité théorique du droit de résiliation unilatérale apparaissent deux réalités distinctes : la démission et le licenciement734. C’est la rupture du CDI à l’initiative de l’employeur, qui doit indiquer les motifs. 733 734 F. LEFEBVRE, Droit du travail, sécurité sociale, Mémento pratique, social 1991, n°2675. J.M. KUMBU, Op.cit., p.69. 306 Les conflits individuels du travail nés à l’occasion de la survenance de l’une ou l’autre situations passées en revue dans les pages précédentes doivent être réglés conformément à la loi. C. Règlement du contentieux On distingue deux techniques des solutions des conflits individuels du travail : la technique professionnelle et celle judiciaire. La première est beaucoup plus pratiquée dans les pays anglo-saxons où le litige est pris en main par l’organisation syndicale ouvrière et résolu à un échelon quelconque par voie de conciliation dans un cadre purement professionnel. Et la seconde est plus pratiquée dans les pays francophones, cas de la République Démocratique du Congo ; le salarié recourt à un juge de droit commun ou au juge du travail afin de soumettre le conflit l’opposant à son employeur. Le législateur congolais prévoit le règlement des litiges individuels en deux phases, à savoir la phase administrative et la phase juridictionnelle. Etant donné que la seconde phase fera l’objet de la deuxième partie de cette étude, il convient à ce niveau de se limiter à la présentation de la procédure administrative. Celle-ci revêt un double caractère : obligatoire et préalable. En effet, la procédure de conciliation devant l’inspecteur du travail en vue du règlement d’un litige individuel du travail est obligatoire car la partie intéressée ne peut y déroger. Elle est ensuite préalable pour la simple raison que le tribunal du travail ne peut se déclarer saisi par une partie sans que celle-ci ait d’abord entièrement épuisé la procédure de conciliation devant l’inspecteur du travail de son ressort735. Lorsque l’inspecteur du travail est saisi d’un litige individuel du travail, il dresse, avec accusé de réception ou par pli recommandé, une invitation à comparaitre en séance de conciliation dans la quinzaine736. En aucun cas, l’invitation ne peut obliger l’une des parties à se présenter dans moins de trois jours. En l’absence ou en cas d’échec du règlement amiable du litige qui oppose le salarié à l’employeur, il est dressé un procès-verbal de non-conciliation. C’est ce qui est prévu par le code du travail lequel dispose « …l’inspecteur du travail établit un procès-verbal constatant la conciliation ou la non conciliation737… ». Parmi les motifs pouvant occasionner l’échec de la conciliation, il y a le refus catégorique de l’employeur de réintégrer le salarié, le refus par celui-ci d’accepter les sommes lui proposées, surtout du fait de la complaisance de certains inspecteurs du travail. 735 J. MASANGA PHOBA, Op.cit., p. 202. Article 300 al.1 de la loi n°015/2002, préc. 737 Article 300 al. 5 du code du travail. 736 307 II. Intervention du juge dans le contentieux du travail L’élaboration et le contrôle de l’application de la réglementation du travail sont assurés par les institutions administratives. Le soin de trancher des contestations qui peuvent naître de cette application ou inapplication est confié à des juridictions spécialisées, en l’occurrence les juridictions du travail, qui sont composées de magistrats ordinaires (magistrats de carrière et assesseurs). Naturellement, d’autres juridictions peuvent intervenir dans l’application de la réglementation sociale, notamment les juridictions pénales, qui sont chargées de la répression de la violation des dispositions législatives et réglementaires d’ordre public ayant un caractère de contravention, de délit ou de crime. Mais il revient aux juridictions du travail de connaître des litiges entre employeurs et travailleurs subordonnés. Le tribunal du travail est une juridiction d’exception par rapport au Tribunal de Grande Instance qui est le juge de droit commun chargé de connaître au premier degré certains conflits de droit commun. Au deuxième degré, c’est-à-dire en appel, la juridiction du travail perd son caractère de juridiction d’exception, du point de vue de sa composition, sauf en ce qui concerne la connaissance de différends collectifs par la procédure de l’arbitrage. A. Organisation et compétences des juridictions du travail L’organisation et la compétence des juridictions du travail sont déterminées par le législateur dans la loi n° 016/2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail. 1. De l’organisation judiciaire Suivant l’article 3 alinéa 2 de la loi n°016/2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail, le juge congolais du travail est nommé par le Ministre ayant le travail et la prévoyance sociale dans ses attributions, parmi les juges du Tribunal de Grande Instance du ressort. Les juges assesseurs sont désignés pour un mandant de deux ans sur proposition des organisations professionnelles des employeurs et des travailleurs. En outre, il s’avère important de souligner deux choses : - La première, le ressort du travail de travail couvre celui du tribunal de grande instance dans lequel il a son siège ; - La seconde, à défaut d’installation des tribunaux de travail dans certains ressorts, les juridictions de droit commun sont réputées compétentes pour connaitre des litiges individuels du travail. 2. De la compétence Lors d’un conflit individuel du travail, la question de la compétence du tribunal du travail parait aussi primordiale que celle de la conciliation préalable engagée devant l’inspecteur du travail. Les tribunaux du travail créés par la loi de 2002 sont compétents pour connaitre de tous les litiges individuels survenus entre le 308 travailleur et son employeur à l’occasion du contrat de travail, des conventions collectives ou de la législation et de la réglementation du travail. Ces mêmes tribunaux sont également compétents pour connaitre des conflits collectifs du travail survenu entre un ou plusieurs employeurs d’une part, et un certain nombre de membres de leurs personnels d’autre part, au sujet de conditions du travail lorsqu’ils sont de nature à compromettre le bon fonctionnement de l’entreprise. Le tribunal compétent est celui du lieu du travail sauf accord international contraire. Toutefois, lorsque la force majeure ou par le fait de l’employeur, le travailleur se retrouve au lieu ou au siège de l’entreprise, le tribunal de ce lieu devient par conséquent compétent. Cette disposition a été influencée par la jurisprudence qui reconnaissait, avant cette loi que le tribunal du lieu du siège de l’entreprise était compétent dès lors que le travailleur avait été forcé de quitter le lieu du travail après résiliation de son contrat pour regagner le lieu d’engagement ou lorsque l’agent se trouve au lieu du siège pour une enquête sur les faits, qui lui sont reprochés pendant qu’il s’y trouve en mission738. S’agissant des décisions de justice rendues, les tribunaux du travail connaissent de l’exécution de toutes les décisions rendues en matière du travail, et toutes les contestations élevées sur l’exécution des jugements en matière du travail du lieu où l’exécution se poursuit739. Ils connaissent également de l’exécution et de la rectification de toutes les décisions rendues par eux. Les décisions des juridictions étrangères prises en matière du travail sont rendues exécutoires par les tribunaux du travail pour autant qu’elles réunissent les conditions de l’exéquatur prévues à l’article 117 du code de l’organisation, compétences et fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire. 3. De la procédure Les litiges individuels du travail ne sont recevables devant les tribunaux de travail qu’à condition qu’ils soient préalablement soumis à la procédure de conciliation préalable à l’initiative de l’une des parties devant l’inspecteur du travail. Le tribunal du travail est saisi par une requête écrite ou verbale du demandeur ou de son conseil. La requête écrite est datée et signée par son auteur et déposée entre les mains du greffier qui en accuse réception740. Tandis que la requête est actée par le greffier et signée conjointement par lui et le déclarant. Le procès-verbal de nonconciliation ou de conciliation partielle dressé par l’inspecteur du travail du ressort doit être obligatoirement joint à la requête. Dans les huit jours à dater de la requête, le président de la juridiction fixe l’audience à laquelle l’affaire sera examinée et désigne les juges assesseurs qui seront appelé à siéger. 738 Article 17 al.1 du code du travail. Article 17 al.1 du code du travail. 740 J. MASANGA PHOBA, Op.cit., p.206. 739 309 Après avoir présenté succinctement l’organisation et la compétence des juridictions du travail, nous allons dans les développements qui suivent analyser quelques décisions judiciaires choisies. B. Analyse des quelques décisions judiciaires Il sera essentiellement question pour chaque décision à analyser de présenter brièvement l’objet du litige, les prétentions des parties et la motivation du juge avant de faire une appréciation. 1. Tribunal du travail de Kinshasa/Gombe, affaire RT 03174 a) L’objet du litige Dans ce jugement, l’objet du litige porte sur le licenciement pour faute lourde des six salariés de la société PREMIER GAMING Sarl. En effet, ayant remarqué que plusieurs personnes tenaient un ticket gagnant de 20.000.000 francs congolais, l’employeur (ici : partie défenderesse) a saisi la police pour qu’une enquête soit diligentée aux fins de mettre la main sur l’auteur de cette tricherie. A la suite des enquêtes ouvertes à la police, tous les demandeurs seront conviés à une réunion par la défenderesse en date du 16 novembre 2019 et qu’en date du 18 novembre 2019, ils recevront tous une demande d’explication de la part de la défenderesse pour refus de se mettre à la disposition de la hiérarchie en vue de faciliter l’enquête en cours au niveau de la police aux fins d’identifier le « maintenancier Y » qui serait à la base de l’émission de plusieurs tickets frauduleux. Après les demandes d’explication leur données par la défenderesse, lesquelles ont été suivies de leur suspension pour raison d’enquête, la défenderesse résiliera sans préavis leurs contrats de travail en date du 22 novembre 2019 après la levée de leur suspension intervenue le 21 novembre 2019. Estimant que la rupture de leurs contrats de travail telle qu’opérée par la défenderesse était abusive car dépourvue de motif valable, chacun des demandeurs saisira l’inspecteur urbain du travail en conciliation et qu’à son tour, s’étant rendu compte de l’impossibilité de concilier les parties suite au refus de comparaître de la défenderesse, l’Inspecteur urbain du Travail dressera en date du 20 avril 2020, les procès-verbaux de carence valant non-conciliation du litige individuel du travail. b) Les prétentions des parties Les demandeurs reprochent à la société PREMIER GAMING Sarl d’avoir résilié de manière abusive et sans préavis leurs contrats de travail pour des faits qui, pour eux, étaient non fondés, mais qualifiés de faute lourde par l’employeur. Aussi sollicitent-ils du tribunal de céans de dire leur requête recevable et totalement fondée, de dire abusive la résiliation de leurs contrats de travail advenue au tort de la défenderesse, de constater le refus de paiement de l’indemnité pour non observation de préavis dans le chef de la défenderesse et de la condamner en conséquence au paiement au profit de chacun d’eux de l’équivalent en francs congolais des sommes ci-après : 500.000 dollars américains à titre de dommages-intérêts pour préjudices subis et 200.000 dollars américains à titre d’indemnité pour inobservance de préavis 310 et, enfin, de revêtir le jugement à intervenir de la clause exécutoire nonobstant tout recours. La partie défenderesse, quant à elle, soutient quant à la forme l’irrecevabilité de la présente action des demandeurs pour non-respect de la procédure de règlement des conflits collectifs du travail et qu’en effet, argue-t-elle, le fait qui l’opposait aux demandeurs constituerait un conflit collectif du travail dans la mesure où, en plus du nombre de travailleurs concernés, il y a aussi la condition du lieu d’exercice de travail qui est mise en cause. Par conséquent, les parties auraient d’abord dû épuiser tous les moyens pacifiques de règlement de ce type des conflits de travail, en l’occurrence la conciliation devant l’inspecteur du travail du ressort et, en cas d’échec de cette première tentative, la médiation. N’ayant pas suivi la procédure sus invoquée, les demandeurs ne devraient donc pas être reçus par devant le tribunal de céans. En réaction à ces allégations de la défenderesse, les demandeurs soutiennent que les faits en cause ne constituent pas un conflit collectif du travail, mais plutôt des litiges individuels du travail. En effet, le litige porte sur le caractère abusif de leur licenciement individuel et non pas sur les conditions de leur travail. Partant, le tribunal de céans devrait dire non fondée l’exception tendant à l’irrecevabilité de leur action soulevée par la défenderesse pour non-respect de la procédure relative aux conflits collectifs du travail. Quant au fond, les demandeurs soutiennent que le tribunal de céans ne devrait pas avoir égard au procès-verbal de conciliation partiel établi par l’inspecteur général du travail produit par la défenderesse dès lors qu’il y a un procès-verbal de carence valant non-conciliation établi par l’inspecteur du ressort. Que par contre, poursuivent-ils, si par impossible le tribunal arrivait à considérer le procès-verbal de conciliation établi par l’inspecteur général du travail, il devra constater qu’il s’agit d’un règlement partiel du litige, lequel justifie la saisine de l’inspecteur du ressort pour les prétentions non résolues. Par ailleurs, enchaînent-ils, le tribunal devra également constater que toutes les prétentions dont il est saisi ont été soumises en conciliation devant l’inspecteur du travail du ressort et qu’une brèche a même été laissée pour d’autres prétentions à compléter en cours d’instance. Et s’agissant de la résiliation abusive de leur contrat de travail, ils allèguent que la défenderesse a mis fin à leurs contrats de travail sans pour autant justifier d’une faute lourde dans leur chef et que l’insubordination vantée par la défenderesse pour justifier la résiliation pour faute lourde de leurs contrats de travail n’en est pas une, car le fait pour eux d’exiger de la défenderesse l’acte les invitant à répondre à la police avant leur présentation devant cette dernière ne constitue pas une faute lourde prévue à l’article 72 du Code du travail. En sus de l’absence de faute lourde dans leur chef, avancent-ils, la rupture de leurs contrats de travail a été opérée au-delà de deux jours ouvrables prévus à l’article 72 du Code du travail, en ce que pour des demandes d’explication leur données le 18 novembre 2019, la défenderesse a mis fin à leurs contrats le 22 novembre 2019 soit quatre jours après avoir eu connaissance des faits leur reprochés. 311 Pour sa part, la défenderesse soutient le non fondement de la présente action des demandeurs dès lors que le motif de leur licenciement, en l’occurrence l’insubordination, est fondé et que, pour avoir déjà perçu leurs décomptes finals, les demandeurs ne sont plus fondés à les lui réclamer. Qu’à l’appui de ses allégations, elle produit les procès-verbaux de conciliation attestant le paiement des décomptes finals des demandeurs. Fort de ce qui précède, elle sollicite du tribunal de céans de dire non fondée la présente action des demandeurs. c) La motivation du Juge Ayant entendu toutes les parties au cours d’un débat contradictoire, le juge examina l’exception tendant à l’irrecevabilité de la présente action des demandeurs soulevée par la défenderesse pour non-respect de la procédure relative au conflit collectif de travail, la déclara recevable mais non fondée. En effet, l’article 303 du Code du travail définit le conflit collectif du travail comme tout conflit survenu entre un ou plusieurs employeurs d’une part, et un certain nombre de membres de leur personnel d’autre part, portant sur les conditions de travail, lorsqu’il est de nature à compromettre la bonne marche de l’entreprise ou la paix sociale. Or, le tribunal relève en l’espèce qu’il ne s’agit aucunement d’un conflit survenu entre la défenderesse et les demandeurs et lequel a pour objet les conditions de travail de ces derniers mais il s’agit plutôt d’un litige qui porte sur les contrats de travail des demandeurs. Il rappelle que la distinction entre le conflit collectif du travail et le litige individuel du travail porte surtout sur leur objet ; alors que le conflit collectif porte sur les conditions de travail, le litige individuel du travail porte sur le contrat de travail (sa conclusion, sa résolution, ses clauses et sur tout ce qui y rattache). Attendu que les demandeurs ayant chacun saisi individuellement l’inspecteur du travail en conciliation et formulé de façon individuelle leurs prétentions dans leur requête introductive d’instance, le tribunal relève qu’il s’agit bel et bien dans la présente cause d’un litige individuel du travail et non pas d’un conflit collectif du travail. Quant au fond, le tribunal de céans reçut l’action des demandeurs, mais la déclara également non fondée, considérant que leur licenciement avait été opéré dans le respect des dispositions de l’article 72 du Code du travail. Après avoir rappelé la notion de faute lourde ainsi que le droit de résiliation immédiate du contrat de travail pour ce motif, le tribunal relève en l’espèce que la résiliation des contrats des demandeurs est motivée par leur insubordination résultant de leur refus d’obéir aux instructions de la défenderesse leur données à travers son Directeur Administratif qui consistait à l’arrêt de travail de maintenance et à leur collaboration avec les services compétents pour faciliter les enquêtes en interne comme en externe, et leur départ de l’entreprise pendant les heures de service sans son autorisation. Contrairement aux allégations des demandeurs, le tribunal note que les instructions leur données par la défenderesse de se mettre à sa disposition pour faciliter les enquêtes ouvertes par la police en vue d’identifier le nommé « Y » qui serait à la base de l’émission de plusieurs tickets frauduleux n’était pas un ordre 312 illégal dès lors qu’il concourrait à la bonne marche de l’entreprise. Le fait pour les demandeurs de n’avoir pas répondu positivement à cette instruction de la défenderesse et d’avoir préféré quitter l’entreprise en lieu et place de se mettre à la disposition constitue une insubordination qui justifie la rupture sans préavis de leurs contrats de travail. Enfin, s’agissant du moyen soulevé par les défendeurs en rapport avec le délai de notification de la résiliation de leurs contrats de travail pour faute lourde, le tribunal note que l’article 72 du Code du travail dispose en son troisième alinéa que, la partie qui se propose de résilier le contrat pour faute lourde est tenue de notifier par écrit à l’autre partie sa décision dans les quinze jours ouvrables au plus tard après avoir eu connaissance des faits qu’elle invoque. Qu’ayant procédé au licenciement des demandeurs le 22 novembre 2019, soit quatre jours ouvrables après avoir eu connaissance des faits leur reprochés, la décision de la défenderesse était intervenue dans le délai de quinze jours ouvrables et était donc régulière. d) Commentaires Il apparait pertinent de relever dans le cadre de ce conflit individuel, quelques éléments de confusions soulevés par les parties et sur lesquels le juge a su faire preuve de beaucoup de tact et de flexibilité dans la formation de son raisonnement. Pour autant que les parties ont fait valoir leurs prétentions, le juge du travail quant à lui a pu développer un langage juridique cohérent dans la mesure où pour la partie demanderesse qui, pour elle aurait été licenciée sans motif valable et donc il fallait condamner la partie défenderesse pour le dommage subi ainsi que l’inobservation du préavis qu’elle réclame, en argumentant que conformément à l’article 72 du code du travail sus-évoqué, la défenderesse n’aurait pas respecté les prescrits de l’alinéa 4 qui dispose « … pour besoin d’enquête, l’employeur a la faculté de notifier au travailleur, dans les deux jours ouvrables après avoir eu connaissance des faits, la suspension de ses fonctions. » alors que cet alinéa aborde la question de la suspension d’un employé de ses fonctions pour des raisons d’enquête en cas de suspicion, ce qui est différent de la suspension du contrat de travail tel que prévue à l’article 57 du même code du travail. La suspension dont ont fait preuve les demandeurs ici concernés, elle est comprise dans les 15 jours ouvrables dont parle le législateur à l’alinéa précédent lorsqu’il existe un motif valable pouvant être retenu ou qualifié de faute lourde par l’employeur ; ce qui a été leur cas du fait de leur refus d’obtempérer et de collaborer avec la hiérarchie dans les circonstances telles que soutenues plus haut. Concernant la partie défenderesse, elle appert que le conflit l’opposant à la partie demanderesse serait plutôt un conflit collectif et non individuel et donc devrait être soumis à la commission de médiation en lieu et place de la saisine du tribunal, une confusion qui a été soutenue sans fondement. Faudrait rappeler qu’une grande différence est opérée entre un conflit individuel et le conflit collectif du travail du fait de leurs objets qui sont distingués aux articles 298 et 304 du code du travail. Dans le cas sous-examen, le conflit est bel et bien individuel du fait de son caractère 313 individuel et de sa motivation. Le juge étant valablement saisi et les parties entendues par le truchement de leurs conseils, le licenciement pour faute lourde tel que prononcé par le juge est bel et bien régulier du fait de la subjectivité de la notion de la faute lourde ici constatée. 2. Tribunal du travail de Kinshasa/Gombe, Affaire RT 02079 a) Objet du litige Dans ce jugement, l’objet du litige porte sur le licenciement abusif de Mme Z qui soutient avoir été licencié sans motif valable par la défenderesse. Il ressort des faits de la cause que la demanderesse a été aux services de la défenderesse depuis l’année 2013 en qualité de comptable, et en date du 28 novembre 2016, suite à la sollicitation du service Commercial Banking de la défenderesse, elle sera engagée en qualité de Credit analyst, poste qu’elle occupera jusqu’à la résiliation de son contrat de travail pour essai non concluant. Estimant avoir déjà fait montre de ses compétences lors de son premier contrat, du reste verbal et entretenu d’un mystère dont seul la défenderesse connaît les réalités, elle considère abusive la résiliation pour essai non concluant de son contrat signé en novembre 2016 et, pour être rétablie dans ses droits, elle a saisi l’Inspecteur urbain du travail en conciliation mais qu'à son tour, s'étant rendu compte de l'impossibilité de concilier les parties, l'inspecteur urbain du travail a dressé en date du 07 février 2017 le procès-verbal de nonconciliation. b) Les prétentions des parties La demanderesse reproche à la société ECOBANK S.A d’avoir rompu de manière abusive et sans motif valable son contrat de travail. De ce fait, elle saisit par le Tribunal de céans par le truchement de ses conseils aux fins d’ordonner par un jugement avant-dire droit le calcul de son décompte final par l’Inspecteur provincial du Travail et de condamner la Société ECOBANK RDC S.A au paiement à son profit de l’équivalent en franc congolais de la somme de 200.000 dollars américains à titre de dommages-intérêts en réparation de tous les préjudices par elle subis et ce, conformément aux prescrits de l’article 258 et suivants du code civil congolais livre III. Au soutien de ses moyens, la demanderesse déclare que la résiliation pour essai non concluant de son contrat de travail est abusive dans la mesure où, étant déjà liée à la défenderesse par un contrat de travail, cette dernière ne pouvait pas mettre fin à leurs relations de travail pour un essai non concluant et qu’en effet, précise-telle, quoique son premier contrat soit verbal, la lettre de demande d’explication lui adressée par la défenderesse en prouve l’existence dès lors que, enchaine-t-elle, celle-ci établit la matérialisation du lien de subordination qui gouvernait leur relation. Partant de ce qui précède, dit-elle, le contrat de travail signé en novembre 2016, n’étant que la formalisation par écrit du contrat verbal signé en 2013, l’essai non concluant avancé par la défenderesse pour justifier la rupture de son contrat de travail n’est pas fondé car ses compétences ont été déjà appréciées tout le temps 314 qu’elle a eu à travailler en qualité de comptable mais aussi, ajoute-t-elle, son passage du poste de comptable à celui de credit analyst implique une adaptation professionnelle à laquelle la défenderesse ne l’avait pas soumise. Considérant tout ce qui précède, elle conclut que la rupture de son contrat telle qu’opérée par la défenderesse viole les prescrits de l’article 62 du code du travail et en application de l’article 63 du même code, la défenderesse doit la réintégrer ou à défaut de ce faire, elle doit lui payer son décompte final, jusque-là non payé, tel que le sera calculé par l’inspecteur provincial du travail. Par ailleurs, renchérit-elle, aucun lien de travail n’a existé entre elle et la Société SODEICO comme cherche à le faire croire la défenderesse, si ce n’est que celui qui a existé entre elle et cette dernière par leur contrat verbal de 2013 matérialisé par celui de 2016 et, enchaine-t-elle, la demande d’explication et le formulaire de demande de congé annuel signés par son supérieur hiérarchique en sont plus qu’éloquents. Pour sa part, la défenderesse soutient que la rupture pour essai non concluant du contrat de la demanderesse est régulière dans la mesure où, contrairement aux allégations de cette dernière, le seul contrat signé entre eux est celui assorti d’une clause d’essai de 06 mois conclu le 28 novembre 2016. En dehors du contrat susmentionné, aucun autre contrat ne l’a liée à la demanderesse car, comme le témoignent les différentes pièces par elle versées au dossier, celle-ci était sous les liens contractuels avec la Société SODEICO et son affectation en son sein était justifiée par les liens de sous-traitance qui existaient entre la Société précitée et elle. Au regard de ce qui précède, poursuit-elle, le tribunal constatera la régularité de la rupture du contrat de la demanderesse et rejettera la postulation de la demanderesse relative au paiement à son profit d’un décompte final calculé par l’inspecteur du travail dès lors que cette postulation n’a pas été soumise devant l’inspecteur du travail lors de la phase de conciliation préalable. c) La motivation du Juge Après avoir entendu toutes les parties au cours d’un débat contradictoire, le juge relève à travers différentes pièces produites au dossier par la défenderesse, notamment le rapport définitif du conseil de discipline chargé de l’audition de la demanderesse et le procès-verbal sanctionnant cette d’audition, que le comportement de la demanderesse est répréhensible, et que nulle part dans son audition la demanderesse n’a su justifier son nom et sa signature apposés dans le registre de la caissière. Le tribunal note que l’acte posé par la demanderesse est improbe à telle enseigne que par son fait, la confiance qui régissait leur rapport était ternie. Ainsi, le tribunal estime que le motif avancé par la défenderesse pour justifier la résiliation sans préavis de la demanderesse est fondé. Contrairement aux allégations de la demanderesse, le tribunal relève à la lumière des pièces du dossier que le délai de quinze prévu à l’article 73 du code du travail a bel et bien été respecté. En effet, le rapport définitif du conseil de discipline chargé d’auditionner la demanderesse étant 315 transmis à l’organe décisionnel de la défenderesse en date du 22 juin 2016, le tribunal estime que c’est à cette date que la défenderesse a pris connaissance des faits reprochés à la demanderesse et c’est à cette date que le délai de quinze jours ouvrables impartis par l’article 72 du code du travail commence à courir. Le règlement d’ordre intérieur du conseil de discipline de la défenderesse a été respecté dans la mesure où, depuis le 11 juillet 2016, date à laquelle la demanderesse a reçu sa demande d’explication, et le 01 juillet de la même année, date à laquelle elle a été invitée à se présenter devant le conseil de discipline, celle-ci a suffisamment pris connaissance des faits lui reprochés. Dès lors, la violation de l’article 9 du règlement d’ordre intérieur du conseil de discipline de la défenderesse invoquée par la demanderesse n’est pas fondée. Le tribunal note au regard des conclusions des parties que la demanderesse a postulé aux dommages-intérêts sur pieds de l’article 258 du code civil congolais livre III, alors que cette disposition est étrangère au code du travail Attendu que, le tribunal relève que la présente action de la demanderesse est dénuée de tout caractère téméraire et vexatoire comme le prétend la défenderesse car, en initiant la présente action, la demanderesse n’a que fait exercer son droit le plus légitime, celui de voir le tribunal examiner ses chefs de demande. Considérant tout ce qui précède, le tribunal dira recevable la présente action de la demanderesse mais la déclarera non fondée et l’en déboutera par conséquent ; il dira également non fondée l’action reconventionnelle de la défenderesse. d) Commentaires Dans ce conflit individuel opposant Mme Z à la société ECOBANK S.A, il se pose un problème de la qualification des rapports qui les lient d’autant plus que chacune des parties soutient à sa manière l’existence ou l’inexistence d’un lien de subordination né du contrat de travail à durée indéterminée entre 2013 et 2016. Au regard des articles 62 et 63 du code du travail, le contrat de travail ne peut être résilié à l’initiative de l’employeur que pour un motif valable. Toute résiliation intentée sans motif valable par l’employeur entraine l’application de l’article 63. Toute résiliation du contrat de travail qu’il soit à durée indéterminée ou à durée déterminée est soumise avant tout à la reconnaissance de l’existence de celui-ci, ensuite du lien de subordination direct ou indirect avant d’établir un motif valable ou du moins fondé dans les deux cas. Pour la défenderesse, la demanderesse serait déjà liée par un autre contrat de travail avec une autre société SODEICO et serait donc liée à elle (défenderesse) par un contrat de sous-traitance, faits qui n’ont pas été prouvés par la partie citée. Toutefois, il n’est nullement proscrit dans le code du travail ou par les conventions collectives, le cumul de deux emplois par une même personne du moment que l’un n’empêche pas l’exercice de l’autre. Dans le cas sous-examen, la demande telle que formulée par la partie demanderesse sur pied de l’article 258 du CCLIII n’entre pas dans la compétence matérielle du tribunal du travail du fait de son fondement 316 purement civil. Ce qui aurait motivé le juge à déclarer non fondée la demande formulée par la partie lésée. Nous estimons que le juge aurait dû condamner la défenderesse au regard de l’article 63 du code du travail. En effet, la demanderesse ayant été au service de la défenderesse durant 3 ans au poste de comptable au sein de la même société a du suffisamment faire montre d’aptitudes professionnelles satisfaisantes au point qu’elle a été acceptée pour un nouveau poste. Elle ne devrait plus être encore soumise à une période d’essai du fait qu’on pourrait considérer cela comme une promotion au sein de la même société. Conclusion La présente étude sur l’intervention du juge en matière de règlement des conflits individuels du travail en droit congolais s’est inscrite dans une logique de démonstration du rôle de la justice dans la mise en œuvre effective de la législation sur le travail. L’Etat de droit nécessite des mécanismes appropriés afin d’éviter l’arbitraire. En effet, sans un pouvoir judiciaire indépendant et responsable, il paraît difficile d’instaurer un Etat de droit démocratique et respectueux des droits fondamentaux de tous les citoyens, et dans le cas d’espèce les droits des travailleurs. Le simple fait d’édicter les normes ne garantit pas leur effectivité, et il est nécessaire de les accompagner des mesures d’application, d’un contrôle effectif, et des sanctions adaptées contre les éventuelles violations. Ainsi, après avoir expliqué la notion de conflit individuel de travail et parcouru quelques cas ou situations qui sont susceptibles d’engendrer pareils conflits entre un employeur et ses salariés pris individuellement, il a été question de présenter les mécanismes de règlement de ces conflits avant de se pencher sur l’intervention du juge du travail en la matière. L’étude a montré que les conflits individuels du travail résultent généralement de l’inexécution ou de la mauvaise exécution par l’une des parties au contrat de ses obligations professionnelles, de la contestation du bienfondé ou de la régularité d’une décision de résiliation du contrat, etc. Il ressort des enquêtes sur terrain qu’à comparer avec le nombre élevé des litiges individuels du travail, trop peu de cas atteignent l’étape du recours en justice. A travers quelques jugements du tribunal de travail de Kinshasa Gombe, l’on constate quelques points de confusion dans le chef des parties au contrat, confusion due probablement à l’ignorance de la loi. L’œuvre du juge est à saluer ici à sa juste valeur, car elle a réaffirmé clairement les grands principes de droit en matière de licenciement et rendu de manière satisfaisante la volonté du législateur sur la question. * * * 317 La fiscalité exceptionnelle de sauvetage des entreprises industrielles en difficulté en droit congolais Par : Trésor-Gauthier M. KALONJI Docteur en droit fiscal, Université de Neuchâtel Professeur à l’Université Pédagogique Nationale et l’Ecole Nationale des Finances Conseiller Fiscal Principal, Daldewolf RDC Résumé : Les entreprises industrielles en difficulté et qui font l’objet d’une procédure collective de règlement préventif ou de redressement judiciaire, peuvent solliciter et obtenir, auprès de l’ANAPI, l’application provisoire – en leur faveur – d’un régime fiscal, douanier et parafiscal exceptionnel. Ce dernier est essentiellement constitué d’exonérations – uniquement à l’importation – sur la TVA, les droits de douane ainsi que certaines taxes. Mots-clés : Entreprise en difficulté ; Activités industrielles ; Règlement préventif ; Redressement judiciaire ; Fiscalité exceptionnelle. Abstract: Industrial companies in difficulty and subject to collective preventive settlement or judicial settlement proceedings may apply to the National Investment Promotion Agency for and obtain the provisional application – in their favour – of an exceptional tax, customs and parafiscal regime. These essentially consist of exemptions – on imports only – from VAT, customs duties and some taxes. Keywords: Company in Difficulty; Industrial Activities; Preventive Settlement; Judicial Settlement; Exceptional Taxation. ……………………………………………………………. I. En guise d’introduction Définie comme étant une « unité économique qui implique la mise en œuvre de moyens humains et matériels de production ou de distribution des richesses reposant sur une organisation préétablie »741, ou encore comme l’ensemble des « établissements réunissant, sous une direction commune, des moyens tant humains que matériels en vue de l’accomplissement d’activités économiques, commerciales, 741 S. GUINCHARD et Th. DEBARD, Lexique des termes juridiques 2017-2018, Paris, Dalloz, 2017, p. 474. 318 industrielles ou de services »742, l’entreprise est un acteur majeur du fonctionnement de l’économie tant nationale qu’internationale. Sa contribution économique se manifeste sous forme de création d’emplois, de produits, de valeurs, de revenus, de ressources pour les collectivités publiques, d’innovation et de diffusion du progrès technique. C’est à juste titre que BLAISE et DESGORCES743 ont noté que l’entreprise est d’abord une réalité du monde économique. Une réalité qui se présente sous les formes les plus diverses : entreprise artisanale, commerce de détail, PME, grande entreprise industrielle, entreprise publique, groupe international de sociétés, mais aussi entreprise agricole, profession libérale, coopérative ou association. Les entreprises sont donc vitales pour l’économie nationale, dans la mesure où elles jouent un rôle essentiel dans le développement économique et la richesse d’un pays. La réussite des entreprises peut être le moteur de la réussite de tout un pays, notamment par le biais des contributions au produit intérieur brut (PIB) d’une nation, ce qui a une incidence sur leur position dans le monde. La réussite des entreprises se traduit par le bien-être économique d’une communauté et de ses résidents grâce à la création d’emplois et à l’amélioration de la qualité de vie des citoyens du pays. En d’autres termes, les entreprises sont directement liées à la santé économique et au bien-être des citoyens de la ville, de la région, de l’État ou du pays dans lequel elles sont actives. Somme toute, les entreprises rentables sont le moteur de la santé économique, qui se traduit par une meilleure qualité de vie pour les citoyens744. Il va sans dire qu’il est de tout intérêt, pour un pays, de travailler à la mise en œuvre des conditions propices au développement des activités des entreprises. Cela participe de l’amélioration de l’environnement des affaires, un idéal tant exigé, de nos jours, en vue de garantir une sécurité juridico-économique aux entreprises qui exercent dans un territoire donné. Les pouvoirs publics devraient fournir des conditions favorables aux entreprises, notamment lorsqu’elles éprouvent des difficultés économiques, en vue de leur relance. C’est sous cette logique que le législateur congolais a promulgué la Loi n° 14/023 du 07 juillet 2014 fixant les règles relatives aux conditions et modalités de sauvetage de l’entreprise industrielle en difficulté. En vertu de cette loi, lorsqu’une l’entreprise en difficulté relève d’un secteur industriel, elle pourrait bénéficier ‒ en cas d’enclenchement de la procédure collective d’apurement du passif ‒ de quelques avantages d’ordre fiscal, douanier et parafiscales destinées à accompagner son redressement. La présente contribution a pour visée de mettre en lumière ce dispositif d’accompagnement fiscal, douanier et parafiscal au profit des entreprises 742 R. CABRILLAC, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, Paris, LexisNexis, 2017, p. 224. J.-B. BLAISE et R. DESGORCES, Droit des affaires. Commerçants – Concurrence – Distribution, Paris, LGDJ, 2015, n. 319. 744 Voir le dossier « Les différents rôles économiques d’une entreprise », publié [en ligne] le 17 juin 2020 : <http://www.faiences-moustiers.com/les-differents-roles-economiques-duneentreprise/> (consulté le 11 août 2023). 743 319 industrielles en difficulté en RDC (section III). Néanmoins, avant cela, il s’avère opportun de passer en revue, de manière laconique, le régime juridique de traitement de l’insolvabilité (section II), dans la mesure où ce dernier constitue de « passage obligé » pour la mise en œuvre dudit dispositif. II. Considérations générales sur le régime juridique de l’insolvabilité en RD Congo A. Remarques préliminaires Le régime juridique de l’insolvabilité en RD Congo procède de l’Acte uniforme Ohada portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, adopté le 10 avril 1998 et révisé le 10 septembre 2015 (ci-après « AUPC »). Ce texte organise ‒ sauf existence d’une réglementation spécifique applicable à un régime particulier (comme celui bancaire par exemple) ‒ les procédures préventives ainsi que celles de traitement des difficultés des entreprises (déjà en phase de cessation de paiement), applicables à toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante (civile, commerciale, artisanale ou agricole), à toute personne morale de droit privé ainsi qu’à toute entreprise publique ayant la forme d’une personne morale de droit privé745. Aussi, toute entreprise a la faculté de solliciter, avant la cessation de ses paiements, l’ouverture d’une procédure de médiation selon les dispositions légales de l’État partie concerné746. Selon le professeur émérite GIBIRILA747, la cessation des paiements est une notion spécifique au droit des entreprises en difficulté, lequel ne concerne que des débiteurs, personnes physiques ou morales, exerçant ou ayant exercé une activité professionnelle. Cette notion n’intéresse pas non plus les sociétés in bonis, c’est-àdire dont la situation financière est normale et donc, pas a priori exposées à une procédure collective applicable aux entreprises en difficulté748. Selon l’AUPC, la cessation des paiements est « l’état où le débiteur se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, à l’exclusion des situations où les réserves de crédit ou les délais de paiement dont le débiteur bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face à son passif exigible »749. C’est ce qui est démontré dans la figure ci-après : 745 Voir art. 1-1 AUPC. Voir art. 1-2 AUPC. 747 D. GIBIRILA, « La notion de cessation des paiements, critère de distinction entre la société in bonis et l’entreprise en difficulté », Dossier : Droit des sociétés, publié le 31 juillet 2018 [en ligne] : <https://www.actu-juridique.fr/affaires/la-notion-de-cessation-des-paiements-critere-dedistinction-entre-la-societe-in-bonis-et-lentreprise-en-difficulte/> (consulté le 11 août 2023). 748 Dans le même sens, lire J-P POULAIN et J. REEVE, « L’état de cassation des paiements : une notion déterminante dans le cadre des procédures collectives », Décideurs : Stratégie Finances Droit N° 89, p. 80-81. 749 Voir art. 1-3 AUPC. 746 320 Figure unique : Déséquilibre entre l’actif et le passif de l’entreprise – Cessation de paiement Source : Auteur.750 En cas de menace ou d’avènement d’une cessation de paiement, la mise en œuvre des procédures préventives ainsi que celle de traitement des difficultés des entreprises relèvent de la juridiction compétente en matière de procédures collectives, à savoir celle désignée par chaque État partie. En RD Congo, il s’agit du Tribunal du commerce751. Dans les lignes qui suivent, il s’avère opportun de préciser rapidement les quatre phases du régime d’insolvabilité, en l’occurrence les procédures de conciliation (section B), de règlement préventif (section C), et de redressement judiciaire ainsi que de liquidation des biens (section D). Pour sa part, le législateur Ohada agrège ces procédures en deux, à savoir les procédures préventives (conciliation et règlement préventif) d’une part et les procédures de traitement des difficultés des entreprises (redressement judiciaire et liquidation des biens) d’autre part. Dans les deux premières procédures, l’entreprise est économiquement en difficulté, mais n’a pas encore atteint le stade d’une cessation de paiement. Elles sont donc destinées à sauvegarder l’entreprise en difficulté et à apurer son passif avant la cessation des paiements752. Quant aux procédures de traitement des difficultés, elles interviennent à l’issue d’une cessation de paiement, c’est-à-dire lorsque l’entreprise 750 Sur base de la littérature tirée de : <https://www.captaincontrat.com/fermeture/entreprise-endifficulte/definition-cessation-des-paiements> (consulté le 11 août 2023). 751 Voir Loi n° 002/2001 du 03 juillet 2001 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de commerce. 752 Voir art. 5 AUPC. 321 ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Aussi, dans une telle situation, la juridiction compétente peut prononcer la faillite personnelle des personnes qui ont participé à la gestion calamiteuse de l’entreprise753. Peuvent également être déclarés en faillite personnelle, les dirigeants d’une personne morale condamnés pour banqueroute simple ou frauduleuse754. B. Conciliation755 La conciliation, qui a une durée maximale de 3 mois (et prorogeable sur une décision spécialement motivée), est une procédure préventive, consensuelle et confidentielle, destinée à éviter la cessation des paiements de l’entreprise débitrice afin d’effectuer, en tout ou partie, sa restructuration financière ou opérationnelle pour la sauvegarder. Cette restructuration s’effectue par le biais de négociations privées et de la conclusion d’un accord de conciliation négocié entre le débiteur et ses créanciers ou, au moins ses principaux créanciers, grâce à l’appui d’un tiers neutre, impartial et indépendant dit « conciliateur ». Le conciliateur est désigné dans la décision d’ouverture par le président de la juridiction compétente, lequel est saisi par une requête du débiteur ou par une requête conjointe de ce dernier avec un ou plusieurs de ses créanciers. Le conciliateur a donc pour mission de trouver un accord amiable entre le débiteur et ses créanciers. Toutefois, durant la phase de recherche de l’accord, les créanciers conservent leur droit de poursuites. Pendant la durée de son exécution, l’accord interrompt ou interdit toute action en justice et arrête ou interdit toute poursuite individuelle, tant sur les meubles que les immeubles du débiteur, dans le but d’obtenir le paiement des créances qui en font l’objet. L’accord interrompt, pour la même durée, les délais impartis aux créanciers parties à l’accord à peine de déchéance ou de résolution des droits afférents aux créances mentionnées par l’accord. Les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie et les coobligés peuvent se prévaloir des dispositions de l’accord. C. Règlement préventif756 Le règlement préventif est une procédure collective préventive destinée à éviter la cessation des paiements de l’entreprise débitrice et à permettre l’apurement de son passif au moyen d’un concordat préventif. 753 Voir art. 198 AUPC. Voir art. 196 AUPC. 755 Voir art. 5-1 à 5-14 AUPC 756 Voir art. 6 à 24-5 AUPC 754 322 Au fait, il revient aux dirigeants de l’entreprise en difficulté (c’est-à-dire celle qui n’est pas encore en état de cessation des paiements, mais justifiant de difficultés financières ou économiques sérieuses) de présenter au tribunal de commerce une requête pour la désignation d’un expert avec un projet de plan d’apurement de ses dettes. L’expert désigné aura pour mission de rechercher, à partir de ce plan, la conclusion d’un accord avec les créanciers : c’est le concordat préventif. Aucune requête en règlement préventif ne peut être présentée par le débiteur avant l’expiration d’un délai de 3 ans à compter de l’homologation d’un précédent concordat préventif ou avant l’expiration d’un délai de 18 mois à compter de la fin d’un règlement préventif n’ayant pas abouti à un concordat préventif. L’Expert procède à l’examen de la situation du débiteur et recherche un accord avec les créanciers ; ceux-ci peuvent accepter des délais ou remises, mais en cas de désaccord ne peuvent imposer un délai de paiement supérieur à deux ans. Si les conditions légales sont réunies, le tribunal homologue le concordat préventif qui devient alors obligatoire pour tous les créanciers. La décision d’ouverture du règlement préventif suspend ou interdit toutes les poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des créances nées antérieurement à ladite décision pour une durée maximale de 3 mois (prorogeable de 1 mois). La suspension des poursuites individuelles s’applique à tous les créanciers chirographaires et à celles garanties par un privilège général, un privilège mobilier spécial, un gage, un nantissement ou une hypothèque (à l’exception des créances de salaires et d’aliments) et concerne aussi bien les voies d’exécution que les mesures conservatoires, y compris toute mesure d’exécution extrajudiciaire. Les créanciers précités ne perdent pas leurs garanties, mais ne pourraient les réaliser qu’en cas d’annulation ou de résolution du concordat préventif auquel ils ont consenti ou qui leur a été imposé. Néanmoins, la suspension ne s’applique pas aux actions tendant à la reconnaissance des droits ou des créances contestées, ni aux actions cambiaires dirigées contre les signataires d’effets de commerce autres que le bénéficiaire de la suspension des poursuites individuelles. Les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir du règlement préventif. Par ailleurs, sauf autorisation motivée du président de la juridiction compétente, la décision d’ouverture du règlement préventif interdit au débiteur, à peine de nullité de droit : (i) de payer, en tout ou en partie, les créances nées antérieurement à la décision d’ouverture ; (ii) de faire un acte de disposition étranger à l’exploitation normale de l’entreprise ou de consentir une sûreté. Il est également interdit au débiteur de désintéresser les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie lorsqu’elles ont acquitté des créances nées antérieurement à la décision d’ouverture 323 Enfin, sauf remise par les créanciers, les intérêts légaux ou conventionnels ainsi que les intérêts moratoires et les majorations continuent à courir mais ne sont pas exigibles. D. Redressement judiciaire et liquidation des biens 757 Le redressement judiciaire est une procédure collective destinée au sauvetage de l’entreprise débitrice en cessation des paiements mais dont la situation n’est pas irrémédiablement compromise, et à l’apurement de son passif au moyen d’un concordat de redressement (à déposer par le débiteur dans les soixante jours qui suivent la décision d’ouverture du redressement judiciaire). Le tribunal de commerce compétent peut être saisi, soit par le débiteur lui-même (qui fait sa déclaration de cessation des paiements au plus tard dans les trente jours qui suivent cette cessation), soit par des créanciers impayés, soit encore par le tribunal par auto-saisine d’office. Ce dernier prononce le redressement judiciaire lorsque l’entreprise démontre qu’elle peut poursuivre son activité et qu’elle propose un concordat sérieux ou si une cession globale est envisageable. Quant à la liquidation des biens, il s’agit d’une procédure collective destinée à la réalisation de l’actif de l’entreprise débitrice en cessation des paiements dont la situation est irrémédiablement compromise pour apurer son passif. Elle intervient dans les mêmes conditions de procédure que le redressement judiciaire. Toutefois le tribunal prononce la liquidation lorsqu’il lui apparaît que l’entreprise n’a aucune possibilité de poursuite de son exploitation. La liquidation des biens consiste alors en la vente par le syndic de l’actif du débiteur. Généralement l’actif ou le mobilier est cédé globalement et la réalisation des immeubles peut se faire par vente forcée sur saisie immobilière ou de gré à gré. La décision qui prononce le redressement judiciaire emporte de plein droit jusqu’à l’homologation du concordat de redressement ou la conversion du redressement judiciaire en liquidation de biens, assistance obligatoire du débiteur par un syndic, pour tous les actes concernant l’administration et la disposition de ces biens. Le syndic procède à la vérification des créances au fur et à mesure de leur production. Le projet de concordat de redressement peut se limiter à des délais de paiement, des remises de dettes et aux garanties éventuelles que le chef d’entreprise doit accorder pour en assurer l’exécution. Si le projet de concordat prévoit des remises de dettes ou des délais de paiement d’une durée supérieure de 2 ans, l’accord de chaque créancier concerné est nécessaire. Dans le cas contraire, le projet de concordat peut être homologué sans vote des créanciers. Les créanciers, qu’ils soient chirographaires ou titulaires de sûretés, doivent en tout état de cause déclarer leurs créances. 757 Voir art. 25 à 193 AUPC 324 Le redressement judiciaire permet au débiteur qui a cessé ses paiements d’obtenir un concordat de redressement dont l’objet n’est pas seulement d’obtenir des délais ou des remises, mais également de prendre toutes mesures juridiques, techniques ou financières, y compris la cession totale ou partielle de l’entreprise, susceptibles de permettre le redressement. La décision d’ouverture d’un redressement judiciaire ou de liquidation des biens d’une personne morale produit ses effets à l’égard de tous les membres indéfiniment et solidairement responsables du passif de celle‐ci et prononce, contre chacun d’entre eux, le redressement judiciaire. Cette décision constitue les créanciers en une masse représentée par le syndic qui, seul, agit en son nom et dans l’intérêt collectif et peut l’engager. Cette masse est donc constituée par tous les créanciers dont la créance est antérieure à la décision d’ouverture, même si l’exigibilité de cette créance était fixée à une date postérieure à cette décision à condition que cette créance ne soit pas inopposable. En effet, sont inopposables de droit à la masse des créanciers, certains actes posés pendant la période suspecte, c’est-à-dire celle comprise entre la date de la cessation des paiements et la date de la décision d’ouverture du redressement judiciaire Il s’agit, entre autres, de toute sûreté réelle conventionnelle constituée à titre de garantie d’une dette antérieurement contractée, à moins qu’elle ne remplace une sûreté antérieure d’une nature et d’une étendue au moins équivalente ou qu’elle soit consentie en exécution d’une convention antérieure à la cessation des paiements. Il en est de même de toute inscription provisoire d’hypothèque judiciaire conservatoire ou de nantissement judiciaire conservatoire. Par ailleurs, la décision d’ouverture du redressement judiciaire arrête le cours des inscriptions de toute sûreté mobilière ou immobilière. Elle emporte, au profit de la masse, hypothèque que le greffier est tenu de faire inscrire sans délai sur les biens immeubles du débiteur et sur ceux qu’il acquerra par la suite au fur et à mesure des acquisitions. Cette hypothèque est inscrite conformément aux dispositions relatives à la publicité foncière. Elle prend rang du jour où elle a été inscrite sur chacun des immeubles du débiteur. Enfin, la décision d’ouverture du redressement judiciaire suspend toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie à compter dudit jugement et durant l’exécution du concordat de redressement judiciaire. Toutefois, les créanciers bénéficiant de ces garanties peuvent prendre des mesures conservatoires. III. Avantages fiscaux, douaniers et parafiscaux destinés à accompagner le redressement d’une entreprise industrielle en difficulté A. Remarques préliminaires En droit congolais, lorsqu’une entreprise en difficulté relève d’une filière industrielle (c’est-à-dire une quelconque suite de phases d’un processus de transformation allant de la matière première à la mise sur le marché du produit fini 325 ou semi-fini758), elle pourrait bénéficier ‒ en cas d’enclenchement de la procédure collective d’apurement du passif ‒ de quelques avantages d’ordre fiscal, douanier et parafiscales destinées à accompagner son redressement. Ces avantages procèdent de la Loi n° 14/023 du 07 juillet 2014 fixant les règles relatives aux conditions et modalités de sauvetage de l’entreprise industrielle en difficulté. Selon ladite loi, on entend par entreprise industrielle en difficulté, « toute entreprise industrielle menacée de cessation d’activités du fait des facteurs exogènes ou qui fait l’objet d’une procédure collective préventive ou de redressement, dont l’activité exerce des effets d’entrainement au niveau économique et social, en amont et en aval, et dont les difficultés de production pourraient déboucher sur la disparition des activités d’une filière industrielle, des branches ou des chaînes de valeur »759. L’entreprise industrielle en difficulté est admissible aux avantages prévus par ladite Loi, à la condition préalable de faire l’objet d’une procédure collective de règlement préventif ou de redressement judiciaire visant à : (i) garantir les emplois directs et indirects, (ii) valoriser les matières premières locales, (iii) garantir la contribution fiscale aux recettes du pouvoir central, des provinces et des entités territoriales décentralisées, et (iv) assurer le maintien des impacts socioéconomiques sur l’environnement local et national760. Il va sans dire que toute procédure collective de règlement préventif ou de redressement judiciaire, qui serait diligentée à des fins étrangères à celles précitées, ne donnerait pas lieu à l’octroi des avantages sous-jacents à la Loi sous examen. Toute entreprise industrielle en difficulté qui répond aux conditions ci-dessus et souhaite bénéficier des avantages, est tenue de déposer, à l’ouverture ou après l’ouverture de la procédure collective, au plus tard avant le concordat préventif ou de redressement, une demande d’octroi à l’Agence Nationale pour la Promotion des Investissements (ANAPI)761. Celle-ci est tenue d’examiner la requête dans un délai ne dépassant pas 90 jours, moyennant une enquête qu’elle diligente pour évaluer l’éligibilité de l’entreprise requérante aux conditions de sauvetage. Les avis émis par l’ANAPI, à cette occasion, ne deviennent définitifs qu’après homologation du concordat préventif ou de redressement par la juridiction compétente endéans un mois de sa saisine762. B. Portée des avantages et obligations sous-jacentes L’entreprise industrielle en difficulté ‒ dont le dossier aura été validé par l’ANAPI ‒ bénéficie, selon le cas, des avantages douaniers, fiscaux et parafiscaux suivants763: 758 Voir art. 2 de la Loi n° 14/023 précitée. Ibidem. 760 Voir art. 4 de la Loi n° 14/023 précitée. 761 Voir art. 5 de la Loi n° 14/023 précitée. 762 Voir art. 6 de la Loi n° 14/023 précitée. 763 Voir art. 8 de la Loi n° 14/023 précitée. 759 326 - L’exonération totale à l’importation des intrants, à l’exécution de la redevance administrative y afférente. La liste des intrants est reprise en l’annexe de l’Arrêté conjoint des Ministres ayant respectivement l’industrie, le plan et les finances dans leurs attributions ; - L’exonération totale des droits et taxes à l’importation pour les machines, l’outillage et le matériel neufs, les pièces de rechange de première dotation ne dépassant pas 10 % de la valeur CIF desdits équipements, après présentation de la demande approuvée par l’ANAPI, à l’exclusion de la redevance administrative ; - L’application de l’amortissement dégressif dont le rythme est déterminé dans le contrat-programme, pour les biens d’équipements acquis. Comme on peut le constater, ces différentes exonérations portent essentiellement sur la TVA, les droits de douane ainsi que certaines taxes et ce, uniquement à l’importation. Aussi, un régime d’amortissement exceptionnel ‒ à convenir entre le Gouvernement et l’entreprise dans le contrat-programme764 ‒ est applicable aux équipements acquis par l’entreprise industrielle en difficulté. En contrepartie des avantages fiscaux, douaniers et parafiscaux ci-dessus, l’entreprise bénéficière est astreinte à quelques obligations, telles que : (i) réaliser le contrat-programme dans les délais ; (ii) tenir une comptabilité régulière conforme au système comptable en vigueur en République Démocratique du Congo ; (iii) se soumettre à tout contrôle de l’administration compétente ; (iv) garantir et créer les emplois ; (v) assurer la formation et la promotion du personnel conformément au contrat-programme ; et (vi) conformer la production des biens et services aux normes de qualité nationales et internationales765. Il y a lieu de préciser que ces obligations ne sont pas limitatives, en témoigne l’adverbe « notamment » usité en amont de l’article 9 de la Loi n° 14/023 sous examen, à savoir « toute entreprise bénéficiaire est tenue au respect des obligations générales, notamment : [..] ». Il va sans dire que le Gouvernement ‒ par le décret du Premier Ministre qui détermine les modalités de suivi des engagements convenus dans le cadre du contrat-programme ‒ pourrait imposer d’autres devoirs qu’il juge En effet, selon l’article 7 de la Loi n° 14/023 précitée, le contrat-programme dont la durée ne peut excéder cinq ans, est conclu avant l’homologation du concordat préventif ou de redressement. Il comprend un exposé de la nature et de l’étendue de la difficulté de l’entreprise ainsi que l’indication de la saisine. Il précise notamment : (i) l’identité complète de l’entreprise requérante et celles de ses représentants ; (ii) l’objet et la durée du contrat-programme ; (iii) les engagements de l’entreprise requérante à soutenir en termes d’objectifs ; (iv) le programme de redressement, la durée et le planning de sa réalisation ; (v) les engagements de l’Etat en termes d’avantages octroyés ; (vi) l’engagement de conclure un plan social avec les partenaires sociaux ; (vii) les modalités d’exécution et de suivi-évaluation du contrat-programme ; (viii) les sanctions en cas de nonrespect des engagements de l’entreprise requérante. 765 Voir art. 9 de la Loi n° 14/023 précitée. 764 327 nécessaires vis-à-vis de l’entreprise bénéficiaire, c’est-à-dire soit pour un meilleur redressement de cette dernière, soit pour éviter une situation d’évasion ou de fraude fiscale dans l’utilisation des avantages fiscaux, douanier et parafiscaux précités. IV. Faut-il conclure ? Dans un souci non seulement d’assainissement de l’environnement des affaires, mais aussi de maintien d’activités des entreprises industrielles, actrices de la solidité de l’économie nationale notamment par l’offre d’emplois et le paiement des impôts, le législateur congolais a mis en place, depuis 2014, un régime fiscal, douanier et parafiscal exceptionnel, applicable provisoirement auxdites entreprises qui seraient en difficulté. Il s’agit des entreprises industrielles qui font l’objet d’une procédure collective de règlement préventif ou de redressement judiciaire. La jouissance d’une telle « fiscalité S.O.S » n’est pas automatique mais octroyée, dans la mesure où il est nécessaire pour les dirigeants de l’entreprise en difficulté de formuler une demande auprès de l’ANAPI. Dans ce cas, faut-il conclure à une faute de gestion à charge des dirigeants d’une entreprise industrielle en difficulté, qui n’auraient pas saisi l’ANAPI en vue de bénéficier d’un tel régime incitatif ? * * * 328 La « fiscalité informelle » en république démocratique du congo : dérèglement de la légitimité fiscale versus légitimation de quelques pratiques socio-fiscales praeter legem Par : Trésor-Gauthier M. Kalonji et Docteur/PhD en droit fiscal, Université de Neuchâtel/Suisse Professeur à l’Université Pédagogique Nationale et l’Ecole Nationale des Finances Conseiller Fiscal Principal, Daldewolf RD Congo Jean-Baptiste BAGULA BATULIRE Avocat Fiscaliste Assistant à la Faculté de Droit de l’Université Pédagogique Nationale Résumé Parallèlement à la fiscalité « formelle » – ensemble d’impositions fiscales établies par les pouvoirs publics – émerge et coexiste au sein des économies en développement une fiscalité « informelle » qui représente l’ensemble des impositions n’entrant pas dans le champ des canaux officiels des pouvoirs publics, mais souvent exigées par leurs acteurs à l’occasion de la perception des impositions officielles. En dépit de cette émergence, les recherches sur la fiscalité informelle en RD Congo ne se situent qu’à un stade embryonnaire ; ce qui ne permet pas de bien cerner ce phénomène. Le présent papier révèle que cette forme d’imposition non légalisée a des conséquences lourdes et fâcheuses sur la société congolaise. D’où la nécessité d’une rupture avec de telles pratiques praeter legem, afin de rétablir la légitimité fiscale. Mots-clés : Fiscalité formelle ; Fiscalité informelle ; Légitimité fiscale ; Concussion ; Surimposition. Abstract: In parallel with 'formal' taxation – all taxes formally established by the law and the public authorities – an 'informal' tax system is emerging and coexisting in developing economies. This is every taxation that do not fall within the scope of official government ways, but which is often demanded by those involved when official taxes are collected. Despite this emergence, research into informal taxation in DR Congo is still at an embryonic stage, which means that the phenomenon cannot be properly understood. This paper shows that this form of taxation, which is not legalised, has serious and unfortunate consequences for Congolese society. Hence the need to break with such praeter legem Key words: Formal Taxation; Informal Taxation; Tax Legitimacy; Concussion; Overtaxation. ……………………………………………………………… 329 Introduction La fiscalité est perçue comme un ensemble de prélèvements obligatoires opérés par les pouvoirs publics ou alors un ensemble de pratiques utilisées par un État ou une collectivité pour percevoir des impôts et autres prélèvements obligatoires766. De la sorte, elle remplit plusieurs fonctions, notamment budgétaire ou financier, politique, économique et social. Toutes ces fonctions attribuées à la fiscalité ne pourraient prospérer si le système ne repose sur une légitimité, une acceptation voire une confiance collective placée en ses « vertus »767. Cette légitimité se matérialise dans nos sociétés modernes, d’un point de vue juridique et politique768, par la nécessité de l’intervention des représentants du peuple pour établir l’imposition, la modifier ou la supprimer, et d’un point de vue sociologique par l’adhésion de la communauté – pour laquelle l’imposition est établie – à en reconnaître le bien fondé. C’est la rime « consentement à l’impôt » et « consentement de l’impôt »769. C’est aussi ce qui donne à la fiscalité un caractère formel. En effet, l’ensemble des impositions de toutes natures établies par les pouvoirs publics forment la fiscalité formelle. Dans ce sens, lire T.-G. KALONJI, Manuel de fiscalité et financement des entreprises – Avec une référence spécifique au droit congolais et au droit Ohada, Saint-Ouen-Sur-Seine, Éditions du Net, 2021, p. 95 et suivants. 767 En effet, il est inimaginable de concevoir une société moderne sans impôt. Ce dernier est essentiel à l’existence même de l’Etat. Il en garantit l’action publique (construction des routes, réhabilitation d’hôpitaux, paiement des fonctionnaires, subvention de l’éducation et de la formation, etc.). Sans impôt, les besoins sociaux et la vie en société seraient impossibles à satisfaire. Pour plus de détails, lire V. DREZET, Une société sans impôts ? Plaidoyer pour une fiscalité juste, Paris, éditions Les liens qui libèrent, 2014, p. 9 et suivant. 768 L’article 174 de la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ces jours précise qu’il ne peut être établi d’impôts que par la loi. De même, il ne peut être établi d’exemption ou d’allégement fiscal qu’en vertu de la loi. Cet article est le fondement du principe constitutionnel de la légalité en RD Congo et traduit la notion de consentement de l’impôt. 769 Fondamentalement, il convient de distinguer entre le « consentement de l’impôt » et le « consentement à l’impôt ». Le premier – également qualifié de principe de « consentement démocratique à l’impôt » – est une notion juridique qui renvoie à la reconnaissance par tous, au travers de la Constitution, de la prérogative pour les pouvoirs publics de lever l’impôt. En d’autres termes, le consentement de l’impôt – dans la mesure où il fonde la légitimité politique du prélèvement financier à opérer – implique que ce prélèvement soit de manière explicite agréé par ceux sur qui pèse la charge fiscale ou par leurs représentants. Le « consentement à l’impôt » est, en revanche, une notion sociologique qui implique l’acceptation individuelle de l’impôt, la soumission volontaire à l’obligation fiscale. Il trouverait son origine notamment en France où les vassaux donnaient leur accord à la guerre déclarée par le suzerain, et donc à son financement par un effort collectif. Ces assemblées de vassaux ont donné naissance aux premiers parlements, qui ont conservé une compétence particulière pour décider des règles fiscales. Pour plus de détails, lire T.-G. KALONJI, Impact des actions de l’OCDE et de l’UE contre l’évasion fiscale sur les systèmes fiscaux des pays en développement. Quelques contributions à l’amélioration de la fiscalité congolaise des entreprises à la lumière des expériences suisse et belge, Bâle - Neuchâtel, éditions Helbing & Lichtenhahn, 2020, p. 30 et suivant. 766 330 L’observation empirique de la société congolaise – comme celle de plusieurs pays en voie de développement, voire même de certains pays développés – révèle l’existence d’une fiscalité parallèle à cette forme d’imposition officielle. C’est ce qu’il convient de qualifier de « fiscalité informelle ». Il s’agit de tout paiement, qu’il soit en liquide ou en nature, ne paraissant pas réglementaire, mais pesant sur des membres ou non-membres de l’Etat ou des autres collectivités territoriales. Ces paiements peuvent prendre toute sorte de formes et nomenclatures, y compris des pots-de-vin et des paiements volontaires à des acteurs étatiques, des groupes ou des agents de sécurité à des postes de contrôle, etc. Il peut aussi s’agir des prélèvements obligatoires informels faits à des autorités traditionnelles770, pour des projets de communauté spécifiques ou pour des gains privés; ou encore des prélèvements informels non-étatiques, qui sont souvent appliqués en guise de sanction sociale et pourraient prendre la forme de prélèvements communautaires, avec des paiements faits à des groupes locaux, des groupes d’entraides ou d’autres structures autonomes, ou des paiements de protection faits à des groupes armés771. En dépit de l’existence de cette forme d’imposition, la recherche sur la fiscalité informelle en RD Congo, et plus largement dans des nombreux pays en voie de développement, est à un stade embryonnaire. Cette absence ou cette tendance à se concentrer sur la fiscalité formelle occulte des méthodes d’imposition informelles qui sont très vastes et importantes. Ces dernières ont plusieurs traits communs avec la fiscalité formelle mais en diffèrent fondamentalement par le fait qu’elles ne sont nullement établies par les mécanismes et les canaux officiels, ce qui n’est pas sans conséquence sur le fonctionnement de nos sociétés (section I). L’évolution, la portée et l’ampleur de ce phénomène ainsi que les conséquences qui en résultent, plaident pour un dérèglement des pratiques sous-jacentes afin de rétablir la légitimité fiscale, gage de l’efficacité et l’efficience de tout système fiscal (section II). I.Quelques pratiques sociales incubatrices de la fiscalité informelle : un dérèglement de la légitimité fiscale Dans le circuit officiel, formel de la fiscalité, le produit de toute forme d’imposition passe par certaines étapes avant d’aboutir dans les caisses du trésor. En effet, toute imposition nécessite de pouvoir déterminer ce sur quoi elle va reposer, en indiquer le fait générateur, et procéder à sa liquidation et son recouvrement. Les pratiques de la fiscalité informelle suivent à peu près les mêmes scenarii (A). N’étant cependant pas nécessairement due en vertu d’un consentement formel – voire sociologique – de ceux qui en sont redevables, la fiscalité informelle a des conséquences dommageables sur le fonctionnement de nos sociétés (B). 770 Par autorité traditionnelle, il faut entendre le pouvoir coutumier basé sur les us et coutumes locales et reconnu par la constitution du 18 février 2006 telle que révisée à ces jours (article 207). 771 International centre for tax and development, Qu’avons-nous appris sur la fiscalité informelle en Afrique subsaharienne ?, Brighton-UK, 2016, p. 9. 331 A.Conceptualisation de la fiscalité informelle Les usages de la fiscalité informelle se matérialisent sous la forme des surimpositions, des prélèvements supplémentaires à ceux formels, autodéterminés par les agents des administrations fiscales, voire auto négociés avec les contribuables au moment de la liquidation et du paiement des impositions formelles. De la sorte, ces pratiques s’apparentent très largement aux mécanismes et procédures traditionnels de la fiscalité formelle, à la seule différence qu’ils sont aléatoires, imprévisibles, négociables pour ne citer que ces traits ; et donc en cela, elles sont aux antipodes de la fiscalité formelle. Ainsi, la matière imposable de la fiscalité informelle est calquée sur celle de l’imposition formelle considérée (1). Ses procédures de liquidation (2) et de recouvrement (3) se rapprochent de l’imposition formelle considérée, tout en restant largement à la seule appréciation de l’agent taxateur et des capacités de négociation du contribuable. 1.Détermination de la matière imposable relevant de la fiscalité informelle Les canaux formels de la fiscalité considèrent que déterminer la matière imposable d’une imposition revient à fixer c’est sur quoi elle va être assise. Il peut s’agir d’une réalité physique à l’exemple de l’hectolitre d’alcool, ou d’une réalité économique comme le chiffre d’affaires ou le revenu, ou encore d’une réalité juridique à l’instar de la propriété pour les droits de mutation772. Parallèlement à cette façon classique de considérer la matière imposable 773, les acteurs de la fiscalité informelle assoient leur imposition en s’en rapprochant, c’est-à-dire en considérant que des éléments en nature ou en espèce détenus par « des contribuables » peuvent faire l’objet d’imposition. Aussi, ils ne prennent que très peu en compte les facultés contributives « des redevables » – leurs charges de famille par exemple – afin de personnaliser la charge fiscale informelle qu’ils devront assumer. De la même manière, les canaux officiels de la fiscalité recourent à un certain nombre des méthodes pour déterminer l’assiette fiscale. Il peut s’agir d’une déclaration contrôlée qui est un acte par lequel le contribuable fait connaitre à l’administration l’existence de la matière imposable, son montant et éventuellement tous les éléments nécessaires au calcul ou au contrôle774. Il peut aussi s’agir d’une méthode forfaitaire qui permet de procéder à une évaluation simplifiée et à substituer à la déclaration exacte d’une donnée un calcul approché, fondé sur une analyse intérieure de cette donnée. Il s’agit en fait d’un accord entre le contribuable et 772 G. BAKANDEJA WA MPUNGU, Les finances publiques en République Démocratique du Congo. La longue croisade pour une gouvernance financière débarrassée des démons de la corruption et du détournement des deniers publics, Bruxelles, Bruylant, 2020, p. 87. 773 J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU et B. TRESCHER, Droit fiscal général, Paris, Dalloz, 2021, p. 9. 774 S. DAMAREY, Droit public financier, 2ème édition, Paris, Dalloz, 2021, p. 89. 332 l’administration du fisc sans évaluation directe de la matière imposable. Une autre méthode employée est celle indiciaire, consistant à évaluer la matière imposable à partir de certains signes extérieurs aisément constatables et auxquels est attribuée une valeur représentative donnée775. Une observation empirique des pratiques de la fiscalité informelle au sein de la société congolaise, révèle que ses acteurs usent de façon concomitante de chacune de ces méthodes selon les cas en présence. En effet, la déclaration contrôlée des pratiques de la fiscalité informelle intervient bien souvent lorsque cette dernière est requise au moment de la déclaration et du paiement d’une imposition formelle. A cette occasion, l’agent de l’administration fiscale exige, de la part du déclarant, des paiements supplémentaires pour pouvoir être libéré de sa dette fiscale formelle. La méthode forfaitaire attire également les suffrages des acteurs de la fiscalité informelle dans la mesure où elle simplifie profondément les modalités de détermination du montant à payer. Il en va de même de la méthode indiciaire grâce à laquelle le montant du produit de l’imposition due est évaluée en fonction de signes extérieurs révélant certaines informations des « contribuables ». Par exemple, un contribuable ou redevable qui se rend auprès du fisc en voiture de luxe, se verra exigé un versement supplémentaire plus important que celui exigé à un piéton ! 2.Fait générateur et liquidation de l’imposition relevant de la fiscalité informelle Le fait générateur d’une imposition formelle s’analyse classiquement comme l’élément dont la survenance crée l’obligation fiscale dans son principe, c’est-à-dire une relation juridique de créancier à débiteur entre la collectivité publique et le contribuable776. Le législateur le définit à partir tantôt d’un événement économique – la livraison des produits pour l’impôt sur la consommation ou d’un acte juridique – le transfert de propriété pour les droits d’enregistrement777. Quant à la liquidation, elle consiste à calculer le montant de la dette fiscale à partir de l’assiette en y appliquant un taux proportionnel ou progressif. En d’autres termes, elle a pour objet de déterminer le montant de la dette fiscale par application, à la base d’imposition, d’un tarif de l’imposition778. Comme en matière de fiscalité formelle, il y a toujours un élément, un événement ou un acte posé à la suite de quoi l’imposition informelle vient se grever et fait naitre une dette au profit de l’entité ou de l’agent qui la requiert. 775 M. BOUVIER, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, 14ème édition, Paris, LGDJ, 2020, p. 7. 776 J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU et B. TRESCHER, Op.cit., p. 14. Ibidem, p.15. 778 G. BAKANDEJA WA MPUNGU, Op.cit., p. 90. 777 333 De même, à partir de l’assiette définie, les acteurs de la fiscalité informelle procèdent à la détermination du montant à payer en appliquant un tarif généralement négocié avec « les contribuables ». 3.Recouvrement du produit de la fiscalité informelle Le recouvrement dans les circuits formels de la fiscalité, permet d’assurer le transfert d’un « pouvoir d’achat » du contribuable vers le patrimoine du trésor public. En d’autres termes, il s’agit des opérations à l’issue desquelles le produit de l’impôt passe des « poches » des contribuables aux « coffres » de l’Etat. Il s’agit de l’encaissement matériel ou effectif de l’impôt par l’administration779. Cet encaissement est organisé par des procédures qui varient d’une catégorie d’imposition à une autre. Le paiement effectif de l’imposition intervient le plus souvent à l’initiative de l’administration : sur la base de la déclaration du contribuable elle liquide et lui adresse un avis d’imposition. Parfois le paiement est spontané parce que la loi a mis aussi à la charge du redevable une obligation de liquidation ; parfois aussi le recouvrement sera effectué par un tiers chargé de procéder à une retenue à la source sur les sommes qu’il perçoit. Si le contribuable ne s’exécute pas, le comptable public met en œuvre des procédures de recouvrement forcé pour obtenir le règlement de l’imposition, en usant des moyens de contrainte légaux. Dans le cas particulier de la fiscalité informelle, on observe que le recouvrement s’opère concomitamment avec celui de l’imposition formelle lorsque celle-là se grève sur celle-ci. Lorsque l’imposition informelle n’intervient pas à la suite ou ne se grève pas à une imposition formelle, les acteurs et les « redevables » de la fiscalité informelle recourent à des modalités de recouvrement qui s’apparentent à celles formelles. Lorsque les « contribuables » ne s’exécutent pas, l’agent taxateur de l’imposition informelle recourt à des modalités de contrainte pour l’amener à régler sa dette fiscale et ce, sans le contrôle d’un quelconque juge. Rien n’est facile à prouver. Rien n’existe, alors le juge ne peut rien faire ! B.Quelques conséquences Ces pratiques attachées à la fiscalité informelle ont des conséquences néfastes qui remettent en cause la « nature fiscale », les fondements même sur lesquels repose tout système fiscal efficient. De la sorte, ils atteignent la sécurité juridique des 779 S. DAMAREY, Op.cit., p. 90. 334 contribuables (1), dégradent l’environnement des affaires (2) et impactent négativement la capacité de mobilisation des recettes de l’Etat (3). 1.Insécurité juridique des contribuables La fiscalité formelle représente un poids, une contrainte à la charge des personnes qui en sont destinataires. De la sorte, il est utile qu’elles soient à même d’identifier les règles qui la gouvernent. Ces règles doivent aussi être intelligibles afin d’en faciliter l’usage. Il en va de même des relations qui se nouent entre l’administration et les contribuables. On parle alors de sécurité juridique ou juridicofiscale pour les contribuables/redevables. Or, le droit fiscal traduit sous la forme des normes, des objectifs politiques, économiques et sociaux extrêmement variés. C’est la raison pour laquelle, il est réputé être un droit complexe et la complexité de ce droit « n’a d’égale que la variété des situations qu’il doit appréhender »780. Pour ce faire, le législateur est appelé à réformer continuellement les règles fiscales, au travers notamment des dispositions dérogatoires. Dans la même veine, on assiste à une floraison des sources de ce droit, aussi bien sur le plan national qu’international. On s’aperçoit aussi de nouveaux domaines, de nouveaux acteurs et de nouveaux problèmes. La conséquence d’un tel « décor » est « une extrême diversité des impositions ainsi que des règles d’assiette et de procédures souvent très compliquées qui renvoient une image complexe de la structure fiscale qui n’est pas du tout sécurisante »781. Les efforts fournis par les Etats vont donc dans le sens de mettre sur pied un cadre qui permette de bien appréhender la norme fiscale, de faciliter l’accomplissement des obligations fiscales et plus largement d’harmoniser les relations qui s’établissent entre contribuable et administration fiscale. En d’autres termes, les règles régissant notamment l’établissement et le recouvrement de l’impôt ou encore la procédure, doivent être définies en des termes suffisamment clairs et précis, pour permettre aux contribuables de s’acquitter convenablement de leur dette fiscale782. La montée en puissance du phénomène de la fiscalité informelle peut sans aucun doute avoir un impact négatif sur la représentation que se font les M. BOUVIER, Op.Cit., p. 8. Au sujet de la complexité des règles fiscales, c’est sans exagération lorsque DEDEURWAERDER relève qu’elles sont arides, occultes, obscures, ésotériques, hermétiques, absconses, impénétrables, opaques, rébarbatives, etc. Voir G. DEDEURWAERDER, Théorie de l’interprétation et droit fiscal, Paris, Dalloz, 2010, p.132. 781 M. BOUVIER, Op.Cit., p.186. 782 Dans ce sens, lire F. BELLANGER, « Les principes constitutionnels et de procédure applicables en droit fiscal », Les procédures en droit fiscal, OREF (éd.), Berne, éditions Haupt, 2015, p.58 ; C. CONSTANTIN, « Réflexions sur l’interprétation des lois d’impôt », Revue de droit administratif et de droit fiscal, Partie 2 – Droit fiscal, Année 20 (1964), No. 1, p.1. 780 335 contribuables du système fiscal en général. Elle peut, en effet, contribuer à alourdir la charge fiscale globale des contribuables dans des proportions confiscatoires783 et les amener à perdre confiance dans le système fiscal. 2.Dégradation du climat des affaires D’emblée, il convient de préciser – à la suite de KALONJI et LUKUSA784 – que l’expression « climat des affaires » renvoie, en termes simples, à un espace conceptuel dans lequel évolue une entreprise. Il s’agit de l’ensemble des facteurs ayant un impact sur ses décisions et le développement de son activité. De manière non exhaustive, le climat des affaires intègre les facteurs sociodémographique, économique, politique, juridique, infrastructurel, technologique, environnementale, culturels, etc. En d’autres termes, c’est l’ensemble de tous ces facteurs qui poussent un investisseur à décider de s’installer dans un milieu ou dans un pays donné pour faire ses affaires. Ainsi, le climat des affaires est une perception que se fait le secteur privé sur différents domaines de l’environnement des affaires. Cette appréhension conditionne les décisions d’investissement. Un des aspects sur lesquels repose cette appréhension est la fiscalité. Dans cette veine, le baromètre national du climat des affaires en RD Congo mesure le pilier fiscalité à travers notamment le niveau de la pression fiscale, la complexité des procédures, la fréquence des contrôles fiscaux, le niveau de satisfaction à l’égard des administrations fiscales785. On peut observer que l’émergence et le développement de la fiscalité informelle impactent la perception que les opérateurs économiques se font du climat des affaires dans sa branche fiscalité dans la mesure où elle augmente le niveau général de leur imposition. En ce sens, elle ne contribue donc pas à son amélioration, mais plutôt participe de la réduction du niveau des investissements. Globalement, une imposition est qualifiée de « confiscatoire » lorsqu’elle est lourde et méconnait les principes constitutionnelles ou légales qui garantissent la propriété privée. Voy. T. OBRIST et T. BORNICK, « L’imposition confiscatoire sous l’angle du droit Suisse », Revue européenne et internationale de droit fiscal, No. 2017/2, p.171 et suivants. 784 T.-G. KALONJI et Ch. LUKUSA, « Climat des affaires et fiscalité incitative en faveur des entrepreneurs - Aperçu à la lumière de la nouvelle législation sur la promotion de l’entrepreneuriat et des startups en RD Congo », Momentum Working Paper Online, N°1-2022 ‫ ׀‬Octobre 2022, Vol. 1, p. 17. 785 Présidence de la République Démocratique du Congo, Cellule climat des affaires, Baromètre national du climat des affaires en République Démocratique du Congo, 2023, p.10. 783 336 3.Inclinaison de la capacité de mobilisation de recettes fiscales L’accroissement constant des besoins financiers de l’Etat ainsi que des autres collectivités publiques, ne cesse de mettre en lumière l’importance de l’impôt dans nos sociétés, particulièrement dans les pays en développement où la pression fiscale demeure faible, dans une moyenne de 10 à 17% du PIB contre 40-45% du PIB dans les pays industrialisés786. A l’instar de plusieurs pays en développement, la RD Congo rencontre de nombreuses difficultés dans la mobilisation de ses recettes fiscales. Ces difficultés sont dues notamment à l’étroitesse de l’assiette fiscale, les défaillances dans l’organisation et le fonctionnement des administrations fiscales, la mondialisation des échanges qui a impacté sur les impositions indirectes, la montée en puissance de l’économie numérique…qui rendent mobile l’assiette fiscale et, par conséquent, difficile à imposer. A côté de ces écueils qui affaiblissent la capacité de la RD Congo à mobiliser des recettes fiscales, il faut ajouter le phénomène de la fiscalité informelle qui a un impact réel sur la légitimité fiscale. En effet, ce phénomène a pour conséquence une perte de confiance, un désaveu du système fiscal qui se caractérise par la fraude et l’évasion fiscale faisant ainsi perdre à l’Etat des recettes fiscales considérables. II.Délégitimation des pratiques sociales incubatrices de la fiscalité informelle : pour une consolidation de la légitimité fiscale En RD Congo, plusieurs textes juridiques proscrivent formellement les pratiques de surimpositions et/ou de perception des montants supérieurs à ceux légalement à devoir par les contribuables. Ces pratiques sont souvent flagellées sous les auspices des règles pénales. Dans la pratique cependant, les agents des administrations fiscales établissent et imposent des frais supplémentaires à ceux dus par les contribuables, conditionnant ainsi la constatation formelle du paiement effectué par les contribuables à la perception de ces derniers. Pareil agissement remet fondamentalement en cause la nature du système fiscal et les principes sur lesquels il est assis, tout en le rendant illégitime. Il convient donc de lutter efficacement contre ces pratiques afin de rétablir la légitimité fiscale (A). La fiscalité informelle n’est cependant pas le seul fait des agents des administrations fiscales du pouvoir formel. Elle relève aussi des autorités traditionnelles exerçant leur pouvoir dans les milieux les plus reculés du territoire national où l’autorité de l’Etat est invisible. Le mécanisme de décentralisation fiscale 786 N. MEDE et E. TONI, La fiscalité de développement en Afrique de l’ouest francophone, L’Harmattan, Paris, 2018, p. 42. 337 institué par la constitution de 2006 – telle que révisée à ces jours – peut permettre de mieux identifier le pouvoir fiscal et de mieux le répartir au sein des différentes entités territoriales. Le pouvoir traditionnel légalement reconnu pourrait être mis à contribution pour faciliter cet exercice (B). A.Lutter efficacement contre les pratiques de surimposition déployées par les administrations fiscales et non fiscales La floraison au sein de la société congolaise des pratiques de surimpositions, de perception des frais supplémentaires au moment de l’accomplissement d’obligations déclaratives fiscales, a fini par instaurer une fiscalité parallèle qui mène son chemin avec succès bien que plusieurs les déplorent. Il s’agit, dans ce contexte, de rappeler qu’elles ne sont aucunement légales (1) et que la seule façon d’y mettre un terme est d’infliger des sanctions contre ceux qui en sont plébiscitaires (2). 1.Portée de l’interdiction des pratiques de surimposition déployées par les agents des administrations fiscales Sous ce titre, l’expression « administrations fiscales » est générique et concernent à la fois la Direction générale des impôts (DGI), la Direction générale des douanes et accises (DGDA), et la Direction générale des « recettes non fiscales » (DGRAD). Plusieurs textes relatifs au recouvrement des impositions de toute nature proscrivent, explicitement ou implicitement, la perception des droits supplémentaires aux droits légalement dus par les redevables. Il en est ainsi, à titre illustratif, de l’alinéa 2 de l’article 3 de l’Ordonnanceloi n°18/003 du 13 mars 2018 fixant la nomenclature des droits, taxes et redevances du pouvoir central, qui prévoit que la perception des frais administratifs, en plus des droits, taxes et redevances légalement consacrés, est prohibée. Dans la même veine, tout acte instituant de tels frais ou amputant des droits dus au Trésor public est nul de plein droit. Dans le même sens, l’esprit global du décret n° 20/019 du 21 août 2020 modifiant et complétant le décret n° 007/2002 du 2 février 2002 relatif au mode de paiement des dettes envers l’Etat, proscrit la perception des sommes au-delà de celles qui sont dues. 2.Sanctions contre les pratiques de surimpositions déployées par les agents des administrations fiscale et non fiscale Les administrations fiscales congolaises bénéficient des quelques primes de performance pour encourager le travail abattu par leurs agents. Cette forme 338 d’encouragement est censée permettre à ces derniers de travailler dans des meilleures conditions et sous le respect strict des obligations déontologiques. Lorsque la pratique de surimpositions est durablement ancrée dans l’âme de notre société, il convient d’agir efficacement pour l’enrayer ou, à tout le moins, la réduire. Pour y parvenir, l’application des sanctions à l’encontre des agents fiscaux contrevenants serait un moyen susceptible de permettre d’atteindre cet objectif. Dans cette veine, les sanctions auxquelles on pourrait recourir sont civiles, pénales ou disciplinaires. Sous l’angle de la sanction civile, l’alinéa 2 de l’art 3 de l’Ordonnance-loi n°18/003 prérappelée, renseigne que tout acte instituant des frais supplémentaires ou amputant les droits du trésor sont nuls. La nullité est par définition une sanction qui atteint la validité d’un acte juridique ou d’une procédure. Lorsqu’elle est prononcée, elle ramène les parties dans une situation initiale (statu quo ante), c’est-à-dire celle qui prévalait avant que l’acte ne soit posé787. Concrètement, dans le cas échéant, l’acte est regardé comme nul et les montants indument perçus sont remboursés au contribuable. D’un point de vue pénal, la pratique de surimpositions peut être analysée sous l’angle de la concussion, c’est-à-dire une infraction commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ; laquelle personne soit reçoit, exige ou ordonne de percevoir, à titre d’impositions, une somme qu’elle sait ne pas être due ou excéder ce qui est dû, soit accorde une exonération ou franchise de ces impositions en violation de la loi788. Cette infraction peut être sanctionnée en application des textes pénaux correspondant789. Quant au côté disciplinaire, par exemple la loi du 15 Juillet 2016 portant statut des agents de carrière de services publics de l’Etat ainsi que le décret-loi du 03 Octobre 2002 portant code de conduite de l’agent public de l’Etat ainsi que les différents règlements d’administrations des administrations financières, imposent un certain nombre d’obligations déontologiques aux agents publics. La violation de ces obligations déontologiques est sanctionnée par des sanctions disciplinaires contraignantes. B.Accélérer la mise en œuvre de la fiscalité locale pour maitriser les formes d’impositions pratiquées par les autorités locales traditionnelles La fiscalité informelle est, en RD Congo, une réalité courante dans de nombreuses entités et collectivités où l’autorité de l’Etat n’est pas présente ou 787 Dans ce sens, voir S. GUINCHARD et Th. DEBARD, Lexique des termes juridiques, 25e édition, Paris, Dalloz, 2017, p. 764 et suivant. 788 Idem, p. 257. 789 Voir l’article 146 du Décret du 30 janvier 1940 portant code pénal, tel que modifié et complété à ce jour. 339 faiblement représentée. Elle est le fait des autorités traditionnelles et coexiste avec la fiscalité formelle. Pourtant, par essence la fiscalité ne saurait être le fait des autorités coutumières soient-elles constitutionnellement reconnues. Cependant, ces autorités peuvent être mises à contribution pour permettre d’identifier les contribuables et faciliter les opérations de recouvrement du produit de la fiscalité formelle. Dans ce contexte, il est utile de rappeler rapidement le cadre légal de la compétence fiscale des collectivités territoriales en RD Congo (1) et déterminer comment les autorités traditionnelles peuvent être mises à contribution dans le processus d’imposition formelle au niveau des collectivités locales les plus reculées (2). 1.Cadre juridique de la compétence fiscale Il est de principe que les impôts, droits, taxes et redevances sont créés, modifiés et supprimés par la loi790. De ce fait, le pouvoir fiscal est une attribution qui relève des assemblées législatives centrales qu’elles partagent avec l’exécutif791. Cependant, dans le cadre de la décentralisation, les entités territoriales décentralisées peuvent se voir dotées d’une certaine autonomie en matière fiscale, qu’elles exercent dans les limites légales fixées. Dans ce contexte, la constitution du 18 février 2006 telle que révisée à ces jours, la loi du 31 juillet 2008 relative à la libre administration des provinces, la loi organique du 07 Octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces, la loi du 13 Juillet 2011 relative aux finances publiques ainsi que d’autres textes relatifs à la décentralisation, accordent une autonomie fiscale aux entités territoriales décentralisées. A côté de ces textes, les ordonnances-loi du 13 mars 2018 fixant la nomenclature des droits, taxes et redevances du pouvoir central, de la province et de l’entité territoriale décentralisée, permettent d’identifier sans ambiguïté les différentes impositions des différents niveaux des pouvoirs. 2.Participation des autorités traditionnelles dans le processus d’imposition au niveau des collectivités locales Dans les entités reculées de la RD Congo où l’autorité de l’Etat est absente, les contribuables font bien plus confiance aux impôts informels que formels. Plus directement, ces contribuables croient que les impôts informels [non-étatiques] 790 791 Voir article 174 de la Constitution de la RD Congo de 2006, telle que révisée en 2011. J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU et B. TRESCHER, Op.cit., p.16. 340 relevant des chefferies ont plus de chance d’être utilisés pour le bénéfice des communautés, la plupart ou presque tout le temps, mieux que les impôts formels ou informels étatiques. Il existe aussi, dans l’appréhension de ces contribuables, une division similaire dans la manière dont les impôts formels ou informels sont perçus, au travers de signes comme l’impartialité et la visibilité de la fixation des taux, l’honnêteté des recouvrements, et la probabilité d’imposer les acteurs qui abusent des recettes fiscales ou des recettes destinées à un projet de développement. Une plus grande confiance locale dans une fiscalité informelle peut être la conséquence d’une plus grande confiance dans des autorités locales et informelles, car elles sont plus efficaces dans les prestations de services, et peuvent valoriser des approches alternatives pour le recouvrement des impôts locaux, potentiellement si l’Etat formel et ces acteurs informels coopèrent de manière plus soudée dans leurs prestations de services. Dans ce contexte, la seule façon de rétablir la fiscalité formelle dans ces entités reculées est d’une part, d’en faire l’instrument véritable du financement de l’action publique locale, et d’autre part d’associer les autorités traditionnelles plus proches des administrés concernés afin de faciliter l’identification des contribuables et les opérations de recouvrement. Conclusion En péroraison, il convient de retenir que la fiscalité informelle peut être perçue – selon la logique que la fiscalité participe de l’édification de l’Etat – comme une opportunité échappant à l’Etat en termes d’affaiblissement de ses revenus, aux antipodes du renforcement de l’Etat. D’un autre côté, la prévalence de la fiscalité informelle peut être également perçue comme une alternative efficace à des Etats formels inefficaces: un moyen pour les citoyens d’éviter les dispositifs étatiques coercitifs et irresponsables. Quel que soit l’angle sous lequel on aborde la question, il ne faut pas perdre de vue que les pratiques de fiscalité informelle ont un impact négatif sur la fiscalité formelle de manière générale. En effet, elles contribuent à réduire la confiance que les contribuables entretiennent à l’endroit du système d’imposition, avec toutes les conséquences sous-jacentes. Dans ce contexte, on ne peut donc pas se satisfaire de l’expansion de ce phénomène dans une société comme la nôtre où la fiscalité formelle en soi connait déjà plusieurs difficultés et peine à assumer ses fonctions traditionnelles. * * * 341 La tierce opposition en droit judiciaire congolais Par : Hubert KALUKANDA MASHATA Doctorant en Droit à l’Université de Lubumbashi Avocat à la Cour d’Appel du Haut-Katanga en RDC et Conseil à la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples. Résumé La présente réflexion a examiné la portée et l’étendue de la tierce opposition en Droit judiciaire congolais. En effet, le Droit congolais prévoit et organise la tierce opposition, la requête civile et la cassation comme voies de recours extraordinaires. Il en est de même de la prise à partie. La tierce opposition, voie de recours extraordinaire classique du Droit français et belge, a été introduite dans l’arsenal judiciaire de la République Démocratique du Congo (RDC) par le décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile lors de la reforme opérée à cette époque. Sans doute eut-on pu soutenir à bon droit que les principes généraux du droit exigent qu’un jugement ne puisse faire grief à un tiers qui n’y a pas été partie, mais si la tierce opposition est une procédure utile à cette fin, la non-opposabilité peut généralement suffire. Ainsi, la tierce opposition est ouverte contre toutes les décisions de justice, même provisoires ou conservatoires, pourvu que les conditions imposées par l’article 80 du Code de procédure civile soient respectées. La recevabilité de ce recours est donc de principe. Mots-clés : tierce opposition – voie de recours extraordinaire- tierce opposition principale – tierce opposition incidentes – décision de justice. Abstract This reflection examined the scope and extent of third-party opposition in Congolese judicial law. Indeed, Congolese law provides for and organizes third-party opposition, civil petition and cassation as extraordinary remedies. The same is true of the attack. The third-party opposition, a classic extraordinary remedy under French and Belgian law, was introduced into the judicial arsenal of the Democratic Republic of Congo (DRC) by the decree of 7 March 1960 on the Code of Civil Procedure during the reform carried out at that time. It might have been fair to argue that the general principles of law require that a judgment cannot adversely affect a third party who has not been a party to it, but if a thirdparty objection is a useful procedure for that purpose, non-enforceability may generally suffice. 342 Thus, third-party opposition is available against all court decisions, even provisional or conservatory, provided that the conditions imposed by Article 80 of the Code of Civil Procedure are respected. The admissibility of this action is therefore a matter of principle. Keywords : third-party opposition – extraordinary remedy – third-party main opposition – third-party interlocutory objection – court decision. Plan sommaire Introduction I.Cadre théorique de la tierce opposition 1. Notions sur la tierce opposition 2. Formes de l’action en tierce opposition II. Portée et étendue de la tierce opposition en droit congolais 1. Conditions de recevabilité de la tierce opposition 2. Effets de la tierce opposition Conclusion ………………………………………………………………………………….. Introduction Le Droit congolais connaît la tierce opposition792, la requête civile793 et la cassation comme voies de recours extraordinaires794. Il en est de même de la prise à partie795, bien que le caractère de ce recours, en l’occurrence la mise à néant du jugement entaché de dol dans le chef du juge, ne soit qu’un effet accessoire de cette action. En effet, la présente réflexion se limite à l’analyser spécifique de la « tierce opposition ». Certes, le problème que nous abordons est bien connu des praticiens de Droit. Cependant, il est peu connu du public796 (ou des justiciables). La tierce opposition, voie de recours extraordinaire classique du Droit français et belge, a été introduite dans l’arsenal judiciaire de la République Démocratique du Congo (RDC) par le décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile lors de la reforme opérée à cette époque. La principale préoccupation au cœur de cette étude consiste à nous interroger sur la portée et l’étendue de la tierce opposition, ainsi que ses conséquences 792 REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile, Articles 80 à 84. 793 Décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile, Articles 85 à 95. 794 Antoine RUBBENS, Le droit judiciaire congolais, Tome II, Kinshasa, Presses Universitaires du Congo, 1978, p. 191. 795 REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Loi organique n° 13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation, Article 55. 796 KITOKO KIMPELE, La tierce opposition, Discours du Premier Président de la Cour Suprême de Justice prononcé à l’occasion de la rentrée judiciaire 2017-2018, Kinshasa, 2017, p.5. 343 juridiques. Sans doute eut-on pu soutenir à bon droit que les principes généraux du droit exigent qu’un jugement ne puisse faire grief à un tiers qui n’y a pas été partie797, mais si la tierce opposition est une procédure utile à cette fin, la non-opposabilité peut généralement suffire798. L’action en tierce opposition doit en principe être dirigée contre celui qui invoque le jugement incriminé. Il semblerait logique que l’on imposa aux tiers qui attaquent la chose jugée entre les parties à un procès, de mettre en cause toutes ses parties. En fait, le tiers opposant aura généralement intérêt à appeler toutes les parties au premier procès à la deuxième instance pour avoir un jugement commun799, ou opposable à toutes les parties. Ainsi, la doctrine800 est assez partagée sur l’organe habilité à prendre la décision préalable portant sur la suspension de l’exécution d’un jugement ou arrêt attaqué en tierce opposition. Hormis l’introduction et la conclusion, il sera question de relever le cadre théorique de la tierce opposition (I) ; la portée et l’étendue de la tierce opposition en Droit congolais (II). 797 DERRIKS, « La tierce opposition », In R.J., 1928, p.13. A. RUBBENS, Op.cit., p.192. 799 GLASSON, Précis de procédure civile, Tome II, Paris, 1902, p.61, cité par A. RUBBENS, Op.cit., p.194. 800 MATADI NENGA GAMANDA, « Interprétation de l’article 84 du code de procédure civile », In Les Analyses Juridiques, N°19 et 20, Lubumbashi, 2010, pp.51-52 ; p.63. Avocat de profession et Professeur des Universités, l’auteur enseigne que cette décision ne peut résulter que d’un acte juridictionnel. En revanche, la doctrine du Magistrat Gilbert KABASELE LUSONSO, « A propos de l’article 84 du code de procédure civile », In Les Analyses Juridiques, N°20, Lubumbashi, 2010, pp.46-48. Du haut de son expérience de Président du Tribunal de Grande Instance, l’auteur persiste et signe : C’est soit par un jugement, soit par une ordonnance que cette décision doit être prise. Lire également cette position dans les numéros 21 et suivants de la même revue « Les Analyses Juridiques ». Ainsi, s’invita dans le débat le Magistrat et Professeur de son état, Gérard KATAMBWE MALIPO, « A propos de l’article 84 du Code de procédure civile : Quel est l’organe habilité à prendre la décision de la suspension de l’exécution d’un jugement ou arrêt attaqué en tierce opposition », In Les Analyses Juridiques, N°23, Lubumbashi, 2012, pp.41-45. Selon cet auteur aussi Président du Tribunal de Grande Instance, la suspension (de l’exécution du jugement ou arrêt s’entend) est faite par jugement (ou arrêt). Le juge saisi doit trancher par acte juridictionnel, motivé, s’il accorde ou n’accorde pas la suspension de l’exécution de la décision contre laquelle la tierce opposition est formée. Cet auteur renchérit que la suspension ne peut pas intervenir d’une autre manière que par jugement (ou arrêt). Bref, le débat sur cette question ouvert depuis près de quatre ans est à retrouver dans les numéros 19, 20, 21, 23, 24, 25 et 26 de la revue « Les Analyses Juridiques ». 798 344 I.Cadre théorique de la tierce opposition L’analyse du cadre théorique de la tierce opposition portera essentiellement sur les notions de base (1), ainsi que sur les formes de la tierce opposition (2), telles que prévues en Droit judiciaire congolais. 1.Notions de la tierce opposition Le concept « tierce opposition » est issu de la combinaison de deux termes, à savoir « tierce » (a) d’une part, et « opposition » (b), d’autre part, qu’il importe de définir à toutes fins utiles ce, avant d’appréhender le sens lexical de deux termes mis ensemble (c). A. Définition du terme tierce (tiers) Le mot « tierce ou tiers » vient du latin « tertius801 » qui signifie littéralement, troisième personne ou personne étrangère à une affaire. Il semble d’appréhension facile ou aisée à première vue. Cependant, le terme « tierce » a fait l’objet de nombreuses études doctrinales dans la mesure où il renferme des ambiguïtés, si bien que la qualité de tiers emporte parfois des incidences juridiques particulièrement importantes. En effet, le terme « tierce » est de plus en plus utilisé dans plusieurs disciplines juridiques, notamment en Droit commercial et en Droit de suretés. En Droit congolais, voire en Droit comparé, le terme « tierce ou tiers » désigne, par opposition à « partie », toute personne étrangère à une instance, à une convention ou à un acte juridique quelconque802. Autrement dit, il s’agit de toute personne étrangère à une situation juridique ou même une personne autre que celle dont on parle803. Par exemple, dans un contrat d’assurance de responsabilité, le tiers est celui qui a subi le dommage dont l’assuré est responsable ; l’assuré est celui sur lequel pèse le risque de responsabilité. En matière contractuelle, le tiers est la personne étrangère à ce qui a été conclu et qui ne peut se voir opposer les termes de la convention. Il ne peut pas non plus en réclamer le bénéfice. Abordons à cet effet la définition du terme opposition. B. Définition du terme opposition Le terme « opposition » est entendu comme l’acte par lequel une personne empêche légalement l’accomplissement d’un acte ou rend indisponible un titre se trouvant entre les mains de son dépositaire. 801 https://www.cnrtl.fr/etymologie/tiers/1 (consulté le 09 octobre 2023 à 20h05) Augustin MPANYA B. MUKELENGE, Dictionnaire juridique pratique, 1e édition, Kinshasa, Presses Universitaires de Kinshasa, 2006, p.527. 803 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 10e édition, Presses Universitaires de France, Paris, 1987, p.1024. 802 345 Gérard Cornu souligne que c’est le fait de s’opposer à quelque chose, à un jugement, l’acte par lequel on s’oppose, la situation qui en résulte. Elle signifie aussi une manifestation de volonté destinée à empêcher l’accomplissement d’un acte juridique ou à en neutraliser les effets : un veto, une contestation, un refus804. Ainsi, l’ « opposition » constitue une voie de recours805 qui tend à faire rétracter, c’est-à-dire, rejuger par la même juridiction, un jugement rendu par défaut ou en l’absence de la partie qui en est l’objet, mais qui n’a pu faire valoir ses arguments lors de la première instance. Lorsqu’une partie fait opposition, la juridiction ayant initialement statué est à nouveau saisie de l’ensemble du litige et une nouvelle instance reprend ab ovo, pouvant aboutir à la confirmation ou à l’anéantissement de la première décision. Après l’étude des termes ci-dessus, il y a lieu d’aborder le concept « tierce opposition ». C. Esquisse lexicale de la tierce opposition Le Législateur a ainsi prévu des couloirs permettant à toute personne justifiant d’un intérêt d’attaquer une décision de justice qui lui porte préjudice. En revanche, certains plaideurs véreux tentent souvent de s’engouffrer dans la brèche, plus pour retarder les effets du verdict que pour une nouvelle analyse de l’affaire. Il résulte d’un constat réel que, le Législateur congolais a prévu et organisé la « tierce opposition », sans en donner une définition. A cet effet, la doctrine tente de définir la tierce opposition comme une voie de recours extraordinaire que peuvent former, contre un jugement qui préjudicie à leurs droits806, des personnes qui n’ont pas été parties ni représentées à la procédure alors qu’elles avaient intérêt à y défendre. L’idée est de protéger les tiers dont les intérêts seraient menacés par une décision de justice rendue sans qu’ils aient pu défendre leurs droits807. En principe ce recours est porté devant la juridiction qui a rendu la décision critiquée 808. Signalons que cette voie de recours ressemble à l’opposition en ce que le tribunal qui remet l’affaire au rôle entend à nouveau809 les parties et rend un second jugement. Mais, son pouvoir est alors limité, en ce sens que s’il déclare la demande recevable et fondée, il ne peut modifier sa décision que sur les chefs de demande qui sont préjudiciables au requérant. D’autre part, si au moment où l’intéressé forme 804 G. CORNU, Op.cit., p.1023. A. MPANYA B. MUKELENGE, Op.cit., p.388. 806 Décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile, Article 80. 807 Maxime BIZEAU, La tierce opposition : définition, conditions, procédure et effets, en ligne sur : https://fiches-droit.com/tierce-opposition (Consulté le 12 novembre 2023 à 14h14). 808 Philippe PERNAUD, Tierce opposition, en ligne : https://www.pernaud.fr/info/glossaire/9206925/tierce-opposition (Consulté le 12 novembre 2023 à 15h04). 809 Serge BRAUDO, Définition de tierce opposition, en ligne sur : https://www.dictionnairejuridique.com/definition/tierce-opposition.php (Consulté le 22 novembre 2023 à 21h54). 805 346 tierce opposition, le jugement est devenu définitif à l’égard des autres parties ou à l’égard de l’une ou l’autre d’entre elles, les modifications qui interviennent ne leur sont pas opposables810. Selon Katuala Kaba Kashala et Mukadi Bonyi, la « tierce opposition » est un moyen ouvert par la Loi à une personne qui n’a pas figuré à une instance pour attaquer le jugement rendu à la suite de cette instance en tant que ce jugement porte préjudice à ses droits et pour en demander la rétractation ou la reformation811. La juridiction ne prend pas en considération des faits intervenus postérieurement à la décision et ne prend en considération que les faits qui auraient pu être portés à la connaissance de la juridiction au jour où elle a statué, si le tiers y avait été partie 812. Une partie (autre que le tiers opposant) n'est d'ailleurs pas recevable à soulever dans le cadre d'une tierce opposition des arguments qu'elle avait omis de soulever lorsque l'affaire avait été évoquée 813 et n'étant pas l'auteur de la tierce opposition ne peut y formuler que des moyens de défense pour en soulever le cas échéant l'irrecevabilité ou l'absence de fondement. La tierce opposition est une voie de recours extraordinaire réservée aux tiers pour attaquer une décision qui préjudicie à leurs droits814. Gérard Cornu, abordant dans le même sens, définit la tierce opposition comme étant une voie « extraordinaire » de recours permettant, en principe à toute personne qui n’a été ni partie ni représentée à une instance d’attaquer, s’il lui est préjudiciable le jugement rendu en dehors d’elle pour demander au juge de rejuger, en ce qui la concerne les points qu’elle a critiqués et, sur ces points, de rétracter ou de reformer le jugement relativement en elle815. Pour la Cour Suprême de Justice de la RDC (éclatée actuellement en trois juridictions, à savoir : la Cour de cassation, le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle), la tierce opposition comme une voie de recours extraordinaire qui confère le droit à tiers non appelé à la cause de s’opposer à une décision qui préjudicie à ses droits816. Il résulte de cette jurisprudence que la tierce opposition a pour objet la rétractation ou la reformation d’un jugement qui a fait grief à un tiers. Il sied de relever qu’il y a la rétractation, lorsque la même juridiction, qui a rendu la décision attaquée corrige la partie du jugement qui a lésé un tiers dans ses 810 A.MPANYA B. MUKELENGE, Op.cit., p.527. KATUALA KABA KASHALA et MUKADI BONYI, Procédure civile, Kinshasa, Editions Batena Ntambua, 1999, p.152. 812 Cass civ 2ème 7 janvier 1999 n°95-21197. 813 Cass civ 2ème 9 octobre 2008 n°07-12409. 814 MATADI NENGA GAMANDA, Le droit judiciaire privé, Kinshasa, Éditions Droit et idées nouvelles, 2006, p. 479. 815 G.CORNU, Op.cit., p.1024. 816 CSJ, RC.47, 8/05/1979, BACSJ.1975, p.137, citée par DIBUNDA KABUINJI MPUMBUAMBUJI, Répertoire général de la jurisprudence de la Cour Suprême de Justice 19681985, Kinshasa, C.P.D.Z., 1990, p.226. 811 347 droits817. En revanche, il y a la reformation, lorsqu’une autre juridiction que celle dont la décision est attaquée corrige la partie du jugement qui l’a lésé dans ses droits. Pour bien y parvenir, il est impérieux que le tiers opposant appelle toutes les parties au premier procès ou à la deuxième instance selon le cas afin d’avoir un jugement opposable à tous. Cette voie de recours est dite « extraordinaire », car elle est exceptionnelle dans la mesure où elle ne peut s’exercer que si certaines conditions particulières sont réunies et pour une situation bien déterminée, contrairement aux voies de recours ordinaires, notamment l’opposition et l’appel utilisés respectivement contre les jugements par défaut ou contradictoires dans les délais légaux818. Pour notre part, la tierce opposition est une voie de recours extraordinaire qui confère le pouvoir à un tiers non appelé à une instance (ou à un procès) de s’opposer à une décision de justice qui cause un préjudice à ses droits ou à ses intérêts. A cet effet, la tierce opposition tend à obtenir la rétractation ou la reformation de la décision de justice attaquée. C’est dans cette logique que le Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi a rendu son jugement sous RC. 32935, dont la motivation est comme suit : « Qu’en l’espèce, sous le jugement RC 31509, ayant ordonné le déguerpissement de la demanderesse MUKEMBE MUSAMBA et de tous ceux qui occupent de son chef l’immeuble situé au n°PL 15, Avenue Fiminga, Quartier Bel-Air, Commune de Kampemba, Ville de Lubumbashi, la demanderesse précitée, bien que copropriétaire dudit immeuble par le fait du mariage, a été expressément écarté au profit des défendeurs précités, et n’était ni partie ni représentée à la procédure du jugement précité ; Que le Tribunal se convaincra que le jugement sous RC 31509, rendu par le Tribunal de céans, préjudicie aux droits de la demanderesse MUKEMBE MUSAMBA ainsi qu’à ceux qui occupent de son chef l’immeuble situé à l’adresse citée ci-haut, et que c’est de bon droit qu’elle attaque devant le même Tribunal ledit jugement conformément aux articles 80 et 81 du Code précité ; Que de ce qui précède, le Tribunal dira recevable et fondée l’action en tierce opposition initiée par la demanderesse MUKEMBE MUSAMBA, par conséquent, Constatera que la demanderesse MUKEMBE MUSAMBA est copropriétaire de l’immeuble situé au PL 15, Avenue Fiminga, Quartier Bel-Air, Commune de Kampemba, Ville de Lubumbashi par le fait de mariage avec monsieur MWABA MANDEFU Gabin ; Qu’il n’annulera pas le jugement sous RC 31509 mais le rétractera pour des raisons sus évoquées ». 818 Le défenseur condamné par défaut peut faire opposition au jugement dans les « quinze jours » qui suivent celui de la signification à personne, outre un jour par cent kilomètres de distance. La distance à prendre en considération est celui qui sépare le domicile de l’opposant du lieu où la signification de l’opposition doit être faite. Lorsque la signification n’a pas été faite à personne, l’opposition peut être faite dans les quinze jours, outre les délais de distance, qui suivent celui où l’intéressé aura eu connaissance de la signification. S’il n’a pas été établi qu’il en a eu connaissance, il peut faire opposition dans les quinze jours, outre les délais de distance qui suivent le premier acte d’exécution dont il a eu personnellement connaissance, sans qu’en aucun cas, l’opposition puisse encore être reçue après l’exécution consommée du jugement (Article 61 du Code de procédure civile). En revanche, le délai pour interjeter appel est de « trente jours ». Ce délai court, pour les jugements contradictoires, du jour de la signification et pour les jugements par défaut, du jour où l’opposition n’est plus recevable (Article 67 du Code de procédure civile). 817 348 Notons aussi que la tierce opposition se conçoit sous diverses formes dont il convient de préciser les contours. 2.Formes de la tierce opposition Le Législateur Congolais a prévu deux formes de l’action en tierce opposition, à l’occurrence de la tierce opposition principale (a) et la tierce opposition incidente (b). A. Tierce opposition principale L’action en tierce opposition est principale, lorsqu’elle apparaît en dehors de tout procès. Elle est formée par action principale819 et doit être introduite devant le tribunal qui a rendu la décision contestée par voie d’une assignation 820 en tierce opposition. Elle constitue une voie de « rétractation »821 c’est-à-dire, on demande au juge qui avait rendu la décision de rectifier une erreur ou de la reformer822. Le Législateur congolais ne prévoit aucun délai. Toutefois, il est indiqué que le jugement peut être attaqué dans le délai de trente (30) ans à compter du jugement823, délai légal ordinaire de prescription d’action civile. B. Tierce opposition incidente Aux termes de l’article 82 du Code de procédure civile, le Législateur congolais précise que : « La tierce opposition incidente à une contestation dont un tribunal est saisi est formée par voie de conclusions, si ce tribunal est égal ou supérieur à celui qui a rendu le jugement. S’il n’est égal ou supérieur, la tierce opposition incidente est portée, par action principale, au tribunal qui a rendu le jugement »824. Dans l’hypothèse où c’est le tribunal égal ou supérieur qui connaît de la tierce opposition incidente, l’on se trouve devant un cas de reformation du jugement825. En effet, la tierce opposition est incidente, lorsqu’elle est formée au cours d’un procès déjà engagé. Autrement dit, elle est formée, lorsqu’il y a demande en justice. A cet effet, elle est introduite par voie de conclusions ; si la juridiction devant laquelle l’incident est soulevé n’a pas compétence pour y faire droit, ces conclusions tendent seulement à obtenir surséance de procédure, pour permettre au tiers opposant de porter sa demande, comme question préjudicielle, devant la juridiction compétente. Ce tribunal ne peut être saisi que par une assignation ou par comparution 819 Décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile, Article 81. L’shi., 14 juin 1974, R.J., p.256. 821 A. RUBBENS, Op.cit., p.194. 822 MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p.486. 823 M. BIZEAU, Op.cit., en ligne sur : https://fiches-droit.com/tierce-opposition (Consulté le 12 novembre 2023 à 15h44). 824 Décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile, Article 82. 825 MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p. 486. 820 349 volontaire ; si la juridiction devant laquelle l’incident est soulevé est compétente, elle pourra le vider de plano ou joindre l’incident au fond pour se prononcer en même temps que sur l’action principale. Il convient de rappeler que le tiers opposant a dans les formes de procédure intérêt à mettre en cause toutes les parties de la décision attaquée par voie d’assignation en intervention forcée826. Dans le même ordre d’idée, la jurisprudence abondante et constante relève que, toute personne qui aurait qualité pour agir en tierce opposition peut être appelée en intervention forcée, même au degré d’appel 827. Ceci appelle à l’analyse de la portée et de l’étendue de la tierce opposition telle que prévue en Droit congolais. II.Portée et étendue de la tierce opposition en droit congolais Ce point tente d’aborder quelques aspects de la tierce opposition en rapport avec les conditions de recevabilité (1) et ses effets (2) en droit positif congolais. 1. Conditions de recevabilité de la tierce opposition Il existe un certain nombre de conditions de recevabilité de la tierce opposition tant en matière de droit privé (A) qu’en matière répressive (B), ainsi qu’en matière administrative (C) et spécialement en Droit OHADA (D). A. En matière civile La recevabilité de la tierce opposition en matière de droit privé implique la réunion de certaines conditions, notamment : - Tout jugement est susceptible de tierce opposition, à moins que la loi n’en dispose autrement. Le principe est donc la recevabilité de la tierce opposition828. Autrement dit, la tierce opposition est ouverte contre toutes les décisions, contentieuses (y compris les sentences arbitrales) ou gracieuses829, à l’exception des décisions de la Cour de cassation830. Toutefois, il doit s’agir d’une décision de justice définitive rendue sur le fond de la cause. Cependant, certaines décisions ne sont pas susceptibles de tierce opposition. Ce sont celles dans lesquelles l’action en justice est exclusivement réservée à certaines personnes comme la contestation de paternité ou de divorce. 826 A. RUBBENS, Op.cit., pp.194-195. Elis., 20 décembre 1958, R.J., 1960, p.118; Elis., 20 décembre 1960, R.J., 1961, p.90. 828 Cass. Civ. 2ème, 6 déc. 2012, n° 11-24.443. 829 Si la tierce opposition est dirigée contre une décision gracieuse, elle sera formée, instruite et jugée selon les règles de la procédure contentieuse. 830 RESEAU FRANCOPHONE DE DIFFUSION DU DROIT, Tierce opposition en procédure civile, en ligne : https://www.lagbd.org/Tierce_opposition_en_procédure_civile_(fr) (Consulté le 12 novembre 2023 à 15h40). 827 350 - Avoir un intérêt à obtenir la rétractation du jugement831, c’est-à-dire justifier d’un préjudice causé à ses droits ou à ceux de ceux qu’il représente ; - Ne pas avoir été partie à la décision de justice contestée, ni n’y avoir été appelé ou représenté ; a. Avoir subi un préjudice par suite du jugement entrepris Nul n’ignore que la première condition de toute action en justice est l’intérêt. D’où l’adage : « pas d’intérêt pas d’action » ou mieux « pas d’action sans intérêt », ou encore « l’intérêt est la mesure de l’action ». L’intérêt légitime forme la base de l’action judiciaire comme il en est la mesure832. Ainsi, le tiers doit avoir intérêt à ce que la décision qui lui cause préjudice soit anéantie ou modifiée. Il suffit alors qu’un préjudice puisse découler pour lui de la décision en exergue. Pour le Législateur congolais, la tierce opposition ne peut être envisagée que si et seulement si un des droits du tiers se trouve méconnu ou mis en danger. Il s’agit souvent de la violation d’un droit au sens subjectif833. b. N’avoir pas été partie à la décision entreprise Le tiers opposant ne doit pas avoir été partie, ni être intervenu en la même qualité devant le juge qui a rendu la décision dont il sollicite la rétractation. Il ne doit donc pas être personnellement partie à l’instance terminée par ce jugement ou par arrêt entrepris. Il s’agit dans le cas d’espèce du plaideur qui n’a pas été appelé personnellement au procès alors qu’il devait l’être. Il a été jugé que « la partie dont Cass. Com., 4 mai 2017, n° 15-16.524. L’intérêt doit être légitime, actuel, direct et personnel à peine d’irrecevabilité de la tierce opposition (Cass. Civ. 2ème, 25 sept. 2014, n° 12-27.450). Son appréciation relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (Cass. Civ. 2ème, 2 juillet 2020, n°19-13.616). 832 Gabriel KILALA Pene AMUNA, Procedure civile, Volume I, Kampala, Editions Leadership, 2012, p.30. 833 Le terme « Droit » est un concept général qui se définit sur base de deux critères distincts : D’abord par rapport à son objet (sens ou critère objectif du terme) et ensuite par rapport au sujet (sens ou critère subjectif). La présente réflexion se limite d’analyser le sens subjectif. En effet, il désigne l’ensemble des prérogatives découlant du Droit objectif et attribués à un individu, afin de lui permettre de jouir d’une chose, d’une valeur ou d’exiger d’autrui une prestation. A cet effet, le terme « droit » peut s’écrire soit au singulier, soit au pluriel, mais toujours avec la lettre « d » au minuscule. L’on peut dire par exemple, droit d’accès à la justice, droit de former une tierce opposition, droit à la propriété privée, droit à l’éducation, etc. Lire en détails Hubert KALUKANDA MASHATA, « Droit africain des droits de l’homme », Lubumbashi, Cours destinés aux étudiants de Bac 2, Faculté de Droit, Université Moderne de Lubumbashi, inédit, 2022-2023, p.3. 831 351 les moyens de défense dans la cause ont déjà été évalués par la décision attaquée, ne saurait elle-même former une tierce opposition recevable »834. c. N’avoir pas été représenté En matière civile ou pénale, l’appréhension de la représentation n’a toujours pas été facile. En effet, bien souvent, il appartient au défendeur en tierce opposition de prouver que le demandeur était représenté au cours du jugement entrepris, la tache consistant essentiellement à administrer la preuve de la régularité de la représentation. Il a été jugé que « la communauté d’intérêt explique la représentation d’une partie par l’autre et permet d’exclure la tierce opposition »835. De son côté, le tiers opposant pourrait démontrer, soit qu’il n’y a pas eu de représentation du tout, soit encore en opposant une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité dans le chef du représentant. Ainsi, la partie qui a fait défaut ne peut recourir à la tierce opposition parce qu’elle dispose de la procédure d’opposition. Elle ne peut y recourir même si son opposition était déclarée non fondée ou irrecevable. Le créancier d’une partie ne dispose pas normalement de la tierce opposition lorsque son débiteur était au procès ; « il y était représenté »; mais dans les conditions où il aurait pu exercer l’action paulienne836 en annulation d’une convention qui lui cause frauduleusement préjudice, il dispose de la tierce opposition contre un jugement par lequel son débiteur s’est laissé condamner par collusion837. Abordons brièvement les conditions de recevabilité de la tierce opposition en matière répressive. B. En matière pénale Si la solution paraît aisée en matière civile, cela ne semble pas être le cas en matière pénale. L’article 21 alinéa 2 de la Constitution de la RDC tel que révisé à ce jour stipule que : « (…) Le droit de former un recours contre un jugement est garanti à tous. Il est exercé dans les conditions fixées par la Loi »838. En parcourant les diverses lois qui traitent de la procédure devant les juridictions répressives de la RDC, il y a lieu de constater l’inexistence de la tierce opposition comme voie de recours. 834 Cass.be 11 septembre 2007, Pas.2007, p.1476, cité par KIFWABALA TEKILAZAYA, « Qui légalement peut agir en tierce opposition », In Les Analyses Juridiques, N°28, Lubumbashi, 2014, p.66. 835 Cass. 1er civ. 8 décembre 1998, Bull.civ. 1998, n°354. 836 Le lecteur peut retenir que, l’action paulienne, c’est celle par laquelle le créancier demande en justice la révocation des actes d’appauvrissement accomplis en fraude de ses droits par le débiteur insolvable. 837 MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p. 485. 838 REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Constitution de la République Démocratique du Congo telle que révisée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, Article 21. 352 Nous pensons qu’en raison du caractère absolu de la chose jugée en matière répressive et strictement personnel de la responsabilité pénale consacrée par la Loi fondamentale qu’est la Constitution, on ne peut concevoir qu’un tiers au fait infractionnel jugé puisse prétendre avoir été préjudicié dès qu’il ne se présente pas comme victime en même temps que l’action publique est portée devant le juge répressif839. La constitution de la partie civile, organisée par les articles 69 à 70 du Code de procédure pénale tel que modifié à ce jour, nous paraît être la voie légale offerte aux tiers pouvant prétendre avoir été préjudiciés840. Mais dans une espèce dont elle avait été saisie, par une décision bien motivée ayant toutes les qualités d’un arrêt de principe, la Cour Suprême de Justice de la RDC s’était déclarée incompétente de connaître de la tierce opposition. Pour des raisons pédagogiques, nous reprenons en grande partie les éléments de l’arrêt susvisé. Par requête déposée au greffe de ladite Cour le 14 avril 2004, Monsieur B.K. a formé tierce opposition à l’arrêt RP.45/CR rendu le 22 octobre 2003 par la Cour sus évoquée. Cet arrêt avait condamné le prévenu J.B.M.G. à six mois de servitude pénale principale avec sursis de douze mois pour faux en écritures, et la prévenue RZM à six mois de servitude pénale principale avec sursis de six mois pour faux en écritures et usage de faux. Il avait ordonné la confiscation et la destruction du certificat d’enregistrement n°ANNA 25, Folio 173 portant sur la parcelle n°2777 du plan cadastral de la Commune de Limete à Kinshasa, établi au nom du demandeur. La Cour Suprême de Justice a relevé qu’à l’audience publique du 26 mai 2004, avant toute défense au fond, le ministère public avait opposé à la requête une fin de non-recevoir tirée de ce que devant cette Cour, ce recours n’est organisé qu’en matière d’annulation. Pour sa part, le défendeur Z.M. a abondé dans le même sens que le ministère public. Dans ses moyens, le demandeur B.K., après avoir soulevé deux exceptions, l’une d’irrecevabilité de la constitution de la partie civile du deuxième défendeur et l’autre d’irrégularité dans la comparution du Conseil de ce dernier, soutient que son recours est recevable sur base de l’article 24 de la Constitution de la transition aux termes duquel le droit de former un recours contre un jugement est garanti à tous conformément à la Loi. Il prétend que cette disposition est de portée générale et s’impose à toutes les procédures des juridictions, même à celles qui se sont déroulées dans le passé. 839 840 KITOKO KIMPELE, Op.cit., p.21. David-Christophe MUKENDI MUSANGA, La citation directe en droit judiciaire congolais, Québec, Éditions Akula, 2016, pp.28-33. 353 Il affirme que l’article 29 du code de procédure civile ne fait pas restriction et que la tierce opposition est une voie de recours extraordinaire ouverte aux tiers pour attaquer une décision qui préjudicie à leurs droits, même en matières répressive lorsque les intérêts civils sont en jeu. Il poursuit que l’article 29 de la Loi relative à la procédure devant la Cour Suprême de Justice, selon lequel ses arrêts ne sont susceptibles d’aucuns recours, ne s’applique qu’aux arrêts de cassation et non à ceux rendus lorsqu’elle siège comme juridiction de fond. Réagissant quant au fond, il reproche à l’arrêt entrepris d’avoir violé les articles 101 et 105 de la procédure sus rappelée en recevant l’action introduite par le Procureur général de la République saisi par un particulier contre l’ancien ministre M. pour les actes qu’il avait accomplis en cette qualité, alors que selon les dispositions légales susvisées, pareille initiative ne peut émaner que du Chef de l’État. Il relève que l’arrêt attaqué a condamné les prévenus sans toutefois établir les éléments matériel et intentionnel de l’infraction de faux en écritures, la Cour s’étant contentée de renvoyer au rapport établi par l’expert immobilier N.S. sans dire en quoi ce rapport était faux et quelle était la part des responsabilités pénales des prévenus dans la commission de cette infraction et surtout sans prouver l’intention frauduleuse en affirmant simplement que les prévenus savaient que l’immeuble était la propriété du deuxième défendeur. Il conclut en demandant à la Cour de rétracter son arrêt RP.45/CR. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner toutes autres exceptions, la Cour suprême de justice se penchera sur la fin de non-recevoir de la tierce opposition. Elle observe que le Code de procédure pénale ne prévoit pas la tierce opposition. Elle observe en outre que sa procédure ne prévoit la tierce opposition qu’en matière administrative comme il ressort de cet article 29 aux termes duquel les arrêts de la Cour ne sont susceptibles d’aucun recours, sauf en ce qui est dit à l’article 84, que la disposition de l’article 29 a une portée générale, se rapporte au chapitre V relatif à ses arrêts, lequel se trouve dans les dispositions générales prévues au titre 1er et qu’elle est donc applicable dans toutes les matières, y compris celles de fond. Elle note, au regard de l’article 24 de la Constitution de la transition qui stipule que le droit de former un recours contre un jugement est garanti à tous, conformément à la loi, que même la Constitution énonce, à l’alinéa 1er de l’article 148 : « Le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour suprême de justice, les Cours d’appel et les Cours et tribunaux civils et militaires ainsi que les parquets » et à l’alinéa 3 dudit article : « La nature, la compétence, l’organisation, le fonctionnement et les sièges de ces cours et tribunaux et les parquets ainsi que la 354 procédure à suivre sont fixés par la Loi » et qu’en l’absence de celle-ci, l’Ordonnance – Loi n°82-017 du 31 mars 1982 relative à sa procédure est d’application, laquelle ne prévoit pas la tierce opposition en cette matière. Il se dégage de ce qui précède que la Cour se déclara incompétente pour connaître d’un tel recours841. Quid de la tierce opposition en matière administrative. C. En matière administrative Nul n’ignore que la tierce opposition était règlementée par l’article 84 de l’Ordonnance-Loi n°82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour suprême de justice, en son titre III relatif à la procédure devant la section administrative. La disposition légale sus évoquée est ainsi libellée : « Quiconque est préjudicié dans ses droits peut former tierce opposition aux arrêts prononçant annulation d’un acte, d’une décision ou d’un règlement d’une autorité publique s’il n’a été partie au procès ni personnellement, ni par représentation, à moins qu’ayant eu connaissance de l’affaire, il ne se soit pas abstenu volontairement d’intervenir ». Dans le même ordre d’idée, l’article 258 de la Loi Organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif dispose comme suit : « Toute personne peut former tierce opposition à une ordonnance, un jugement ou un arrêt qui préjudicie à ses droits, dès lors que, ni elle, ni ceux qu’elle représente n’ont été présents ou régulièrement appelés dans l’instance ayant abouti à cette décision ». A cet effet, le délai d’exercice de ce recours est, en des termes presque identiques, demeuré le même en ce que l’alinéa 2 du même article 258 énonce que : « La tierce opposition n’est recevable que si elle est introduite dans les 2 mois qui suivent la publication de l’ordonnance, du jugement ou de l’arrêt ou, si l’exécution est parvenue à la connaissance du tiers d’une manière quelconque avant la publication, trente jours après la date à laquelle il en a eu connaissance »842. Tous les principes régissant la tierce opposition en matière de Droit privé sont, sauf dérogation expresse, d’application en matière administrative, surtout quant à l’intelligence du vocable tiers et l’étendue de la représentation en justice. Il convient de rappeler que, l’examen de la tierce opposition en matière administrative exige la réunion des conditions d’admissibilité d’une tierce opposition en matière de droit privé à la différence qu’en cette dernière matière, le délai est trentenaire pour l’introduction de l’action. 841 842 KITOKO KIMPELE, Op.cit., pp.22-25. REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Loi Organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, Article 258. 355 Il est admis que, lorsque le juge saisi déclare recevable la tierce opposition, il est tenu d’en examiner le bien-fondé et d’y donner une suite conséquente. Analysons dans les lignes qui suivent la procédure de la tierce opposition telle que prévue par le Droit Communautaire, appelé communément « Droit OHADA ». D. En Droit OHADA Comme on le sait, la République Démocratique du Congo a, depuis septembre 2012, adhéré à l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, en sigle OHADA. A cet effet, il apparaît que le traité constitutif de l’OHADA tel que modifié, dit en son article 10 que : « Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties, nonobstant toutes dispositions contraires du droit interne, antérieures ou postérieures »843. Il résulte de cette disposition communautaire que la mise en application des dispositions des actes uniformes ne nécessite pas l’intervention des autorités législatives ou règlementaires des Etats membres, à l’occurrence de la RDC. a. Notions de la tierce opposition devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage La tierce opposition est ouverte à toute personne devant la juridiction de l’Etat partie qui eût été compétente à défaut d’arbitrage et lorsque cette sentence préjudicie à ses droits844. Dans le même sens, l’article 80 du Code de procédure civile congolais dispose que : « Quiconque peut former tierce opposition à un jugement qui préjudicie à ses droits, et lors duquel ni lui, ni ceux qu’il représente n’ont été appelés ». Conformément aux articles 25 de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA) et 80 du Code de procédure civile congolais, la Requérante saisit la juridiction compétente, en tierce opposition, pour obtenir la rétractation (réformation) de la sentence arbitrale. La demande en tierce opposition doit en outre spécifier la sentence arbitrale attaquée ; indiquer en quoi cette sentence préjudicie aux droits du tiers opposant et Traité de port Louis du 17 octobre 1993 relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, tel que révisé à Québec le 17 octobre 2008, Article 10, en ligne : www.OHADA.com - Le Traité relatif à l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (consulté le 10 septembre 2023 à 21h46) ; 844 Article 25 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, adopté le 23 novembre 2017 à Conakry (Guinée) et entré en vigueur le 16 mars 2018. 843 356 indiquer les raisons pour lesquelles le tiers opposant n’a pu participer au litige principal845. Les tiers qui peuvent utiliser cette voie de recours, doivent être définis de la même façon qu'en matière contractuelle846. Il doit s'agir de personnes qui n'ont été ni partie, ni représentées à la convention d'arbitrage et à la sentence qui en résulte. Il faut en outre que le tiers n'ait pas été appelé à l'instance (article 25 alinéa 4 AUA). En ce qui concerne la tierce opposition contre une sentence arbitrale rendue sous l'égide de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), elle n'est pas formée devant le tribunal arbitral mais plutôt devant la CCJA dans le cadre de ses compétences purement juridictionnelles. La CCJA rendra donc un arrêt847. b. Procédure de la tierce opposition devant la CCJA et ses conséquences juridiques L’article 47 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dispose que : « 1) Toute personne physique ou morale peut présenter une demande en tierce opposition contre un arrêt rendu sans qu’elle ait été appelée, si cet arrêt préjudicie à ses droits. 2) Les dispositions des article 23 et 27 du présent Règlement sont applicables à la demande en tierce opposition. Celle-ci doit en outre :  a) spécifier l’arrêt attaqué ;  b) indiquer en quoi cet arrêt préjudicie aux droits du tiers opposant ;  c) indiquer les raisons pour lesquelles le tiers opposant n’a pu participer au litige principal. La demande est formée contre toutes les Parties au litige principal. 3) L’arrêt attaqué est modifié dans la mesure où il fait droit à la tierce opposition. La minute de l’arrêt rendu sur tierce opposition est annexée à la minute de l’arrêt attaqué. Mention de l’arrêt rendu sur tierce opposition est faite en marge de la minute de l’arrêt attaqué »848. 845 Trésor ILUNGA TSHIBAMBA, Ohada : les voies de recours contre une sentence arbitrale, 2021, en ligne : https://legalrdc.com/2021/01/07/ohada-les-voies-de-recours-contre-une-sentencearbitrale/ (Consulté le 12 novembre 2023 à 16h30). 846 Alphonse ANEYA N’GOUAN, La justice arbitrale dans l’espace OHADA, Mémoire de Master II, Faculté des Sciences Juridique, Administrative et Politique, Université Félix Houphouêt Boigny, 2012-2013, p. 21. 847 Article 33 du règlement d'arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, adopté le 23 novembre 2017 à Conakry (Guinée) et entré en vigueur le 16 mars 2018. 848 Article 47 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage du 18 avril 1996, modifié le 30 janvier 2014, en ligne sur : http://OHADA - Reglement d'arbitrage de la Cour 357 Après ce tour d’étude de la tierce opposition en droit OHADA, il y a lieu d’aborder ses effets en droit positif congolais. 2. Effets de la tierce opposition Comme toutes les voies de recours, l’étude de la tierce opposition suppose l’examen de ses effets. Il convient ainsi d’analyser l’effet suspensif (A) et l’effet dévolutif (B) ainsi que l’effet de la chose jugée (C) de la tierce opposition, autant qu’il sera nécessaire de voir la possibilité de recours contre les décisions rendues sur tierce opposition (D). A. Effet suspensif de la tierce opposition Il est de principe que, la tierce opposition ne suspend pas de plein droit ni l’exécution du jugement attaqué ni, (dans le cas de tierce opposition incidente) la procédure en cours. L’article 84 du code de procédure civile est éloquent en ce qu’il dispose que : « La tierce opposition n’est pas suspensive à moins que, sur requête d’une partie, le juge saisi de la demande ne suspende l’exécution de la décision ». Il découle de cette disposition légale que, ce n’est que sur requête d’une partie que le juge peut suspendre l’exécution. Il n’est pas dit expressément qu’il peut suspendre la procédure en cours, mais cela va de soi ; le juge peut prendre toute mesure utile pour l’instruction de l’affaire dont il est saisi. En cas de tierce opposition devant une autre juridiction, il faut considérer qu’il s’agit d’une question préjudicielle qui suspend de droit la procédure849. Autrement dit, quand une décision frappée de tierce opposition est produite en justice, le juge devant laquelle elle est produite, peut selon les circonstances, surseoir à statuer ou passer outre850. Il sied de préciser avec Matadi Nenga Gamanda que la suspension sus évoquée est faite par jugement. Le juge saisi doit trancher, par acte juridictionnel motivé, s’il accorde ou n’accorde pas la suspension de l’exécution de la décision contre laquelle la tierce opposition est formée851. Il en découle que la suspension ne peut pas intervenir d’une autre manière que par jugement. C’est dans cette logique commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA (CCJA) (www.droit-afrique.com) (Consulté le 22 novembre 2023 à 15h01). 849 A. RUBBENS, Op.cit., p.195. 850 RESEAU FRANCOPHONE DE DIFFUSION DU DROIT, Op.cit., en ligne : https://www.lagbd.org/Tierce_opposition_en_procédure_civile_(fr) (Consulté le 12 novembre 2023 à 15h58). 851 MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p. 488. Toutefois, il y a lieu de rappeler de la controverse doctrinale ci-dessus sur l’organe habilité à prendre la décision de suspension de l’exécution d’un jugement ou arrêt attaqué en tierce opposition. 358 que dans un arrêt du 12 novembre 2002, la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe a rejeté la demande de suspension de l’exécution852. B. Effet dévolutif La dévolution désigne la délimitation de ce qui doit être réexaminé en cas de contestation d’un jugement. En matière de tierce opposition, l’effet dévolutif est relatif : le juge statue à nouveau en fait et en droit, mais uniquement à l’égard du tiers opposant853. Cet effet dévolutif est limité au cadre fixé par le recours, en application du principe dispositif854. En effet, « le jugement primitif conserve ses effets entre les parties, même sur les chefs annulés »855. En outre, la tierce opposition remet en question uniquement les points jugés qu’elle critique. Toute demande nouvelle est exclue ; le juge ne peut trancher que des questions qui ont été traitées par les premiers juges. Ainsi, en cas de succès de la tierce opposition, le jugement rend inopposable au seul tiers opposant les points jugés qu’il a critiqués. Toutefois, en cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, le jugement prononcé sur tierce opposition produira ses effets à l’égard de toutes ces parties. Cela signifie qu’en cas d’indivisibilité des intérêts du tiers opposant et de parties au jugement contesté, le jugement prononcé sur tierce opposition sera opposable à toutes les parties, qui en profiteront toutes856. C. Opposabilité et effet de la chose jugée du jugement sur tierce opposition Pour rappel, le jugement faisant droit à la tierce opposition ne profite qu’à l’opposant. Il peut y avoir des cas où l’indivisibilité de la décision apporte un avantage à d’autres857. Lorsque la tierce opposition est irrecevable ou que le tiers opposant est débouté, la décision attaquée lui sera opposable858. Toutefois, les effets de la chose jugée sont à distinguer selon que, l’on est en matière de droit privé ou en matière administrative. 852 C.A. Kinshasa/Gombe, 12 novembre 2002, RCA 19.976, en cause Succession Lumingu contre Dame Makeli, inédit. 853 M. BIZEAU, Op.cit., en ligne sur : https://fiches-droit.com/tierce-opposition (Consulté le 12 novembre 2023 à 14h44). 854 RESEAU FRANCOPHONE DE DIFFUSION DU DROIT, Op.cit., en ligne : https://www.lagbd.org/Tierce_opposition_en_procédure_civile_(fr) (Consulté le 12 novembre 2023 à 15h58). 855 M. BIZEAU, Op.cit., en ligne sur : https://fiches-droit.com/tierce-opposition (Consulté le 12 novembre 2023 à 14h44). 856 Cass. Civ. 1ère, 20 mars 2007, n° 05-11.296. 857 A. RUBBENS, Op.cit., p.195. 858 MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p. 488. 359 a. En matière de droit privé Les effets de la tierce opposition sont limités comme les sont toujours ceux en droit commun. Le juge va statuer à nouveau sur un ou sur plusieurs éléments du présupposé de la règle de droit sur laquelle il a fondé sa première décision. L’intérêt de la décision rendue sur la tierce opposition est qu’elle aura autorité de la chose jugée pour ou contre le tiers opposant, à l’égard des parties de la première instance. Autrement dit, si la décision en tierce opposition est confirmée, elle devient opposable au tiers opposant. Si elle est rétractée ou réformée, elle devient inopposable au tiers opposant, mais elle conserve ses effets entre les parties, même sur les chefs annulés859. b. En matière administrative En matière administrative, la décision rendue sur la tierce opposition a l’autorité de la chose jugée à l’égard de toutes les parties à l’instance860. D. Recours contre les jugements sur tierce opposition Le jugement rendu sur tierce opposition est susceptible des mêmes recours que les décisions de la juridiction dont il émane861. Il en est de même des jugements préjudiciels ou incidents vidant la tierce opposition sont susceptibles d’appel et d’opposition, sauf si la juridiction dont le jugement est rétracté avait jugé en dernier ressort862. Seul le pourvoi, dans ce cas, reste ouvert863. Des juges d’appel ayant reçu l’appel contre une décision de tierce opposition rendue par la cour d’appel ont été condamnés en prise à partie pour dol tiré de l’ignorance grossière du droit et en particulier du brocard « appel sur appel ne vaut »864. Conclusion Eu égard à ce qui précède, la tierce opposition est ouverte contre toutes les décisions de justice, même provisoires ou conservatoires, pourvu que les conditions imposées par l’article 80 du Code de procédure civile soient respectées. La recevabilité de ce recours est donc de principe. A cet effet, il a été jugé que « la recevabilité de principe de ce recours interdit d’opérer des distinctions entre les différents types des jugements pour admettre ou rejeter l’exercice de la tierce 859 RESEAU FRANCOPHONE DE DIFFUSION DU DROIT, Op.cit., en ligne : https://www.lagbd.org/Tierce_opposition_en_procédure_civile_(fr) (Consulté le 12 novembre 2023 à 16h15). 860 KITOKO KIMPELE, Op.cit., p.30. 861 M. BIZEAU, Op.cit., en ligne sur : https://fiches-droit.com/tierce-opposition (Consulté le 12 novembre 2023 à 14h54). 862 A. RUBBENS, Op.cit., p.195. 863 MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p. 489. 864 C.S.J., 28 fevr.2003, R.P.P. 129, en cause Mpelembwe contre Nsumbu Kambumbu, Hubert Kabeya, Albert Lukamba et la R.D.C., B.A., 2004, pp.227-234. 360 opposition. Ce qui amène la jurisprudence et la doctrine à dire qu’il est indiffèrent pour l’ouverture de la tierce opposition que le jugement ait été rendu par une juridiction de droit commun ou une juridiction d’exception, quelle que soit la matière civile, commerciale, sociale, dans laquelle il a été statué. Il importe peu que le jugement ait été rendu au premier degré ou au dernier ressort »865. Partant du principe que tierce opposition sur tierce opposition ne vaut, bien que la loi ne le prévoit pas expressément, les juridictions exigent de plus en plus, qu’il soit assigné en procédure de tierce opposition par voie principale toutes les parties ayant été au procès dont le jugement est attaqué. La difficulté est, et demeure cependant en ce qui concerne la tierce opposition formée par voie de conclusions. Le tiers opposant a lui-même avantage à appeler au procès toutes les parties afin d’obtenir un jugement commun dont l’opposabilité ne sera pas contestée866. * * * 865 C.A., Kinshasa/Gombe, 2 janvier 1997, RTA 3683, en cause Madame Marie Béatrice Bartz contre M. Ngelesi Babande. 866 MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p.486. 361 Implications de la récusation collective en droit judiciaire congolais : une question qui divise les praticiens Par : Guylain KASONGO KAWAYA867 Resumé La présente étude analyse la question de la récusation collective à la lumière de la Loi organique n°13/011-B du 11 Avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire et de l’Arrêt de principe sous REC. 037 de la Cour suprême de justice de la RDC du 11 novembre 2011 (éclatée actuellement en trois juridictions, notamment la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation et le Conseil d’état). Il appert que l’Arrêt de principe sous REC. 037 est dans la pratique, mal interprété tant par les juges que par les conseils des parties, si bien qu’une forte confusion est créée autour de son contenu et de la finalité de la procédure de récusation telle que prévue par la Loi. L’étude démontre que contrairement à la position assez partagée par différents juristes qui, s’appuyant à tort sur ledit Arrêt de principe, pensent malencontreusement qu’une récusation collective qui met une juridiction dans l’impossibilité de composer le siège n’est pas admise. Le lecteur retiendra qu’aux termes du même Arrêt de principe, une telle récusation donne plutôt lieu à un renvoi de juridiction pour cause de suspicion légitime. Dans ce cas, la juridiction devra renvoyer l’affaire à date certaine pour, soit saisir le Ministère public, soit permettre à la partie récusante de solliciter devant la juridiction immédiatement supérieure, le renvoi pour cause de suspicion légitime conformément aux articles 60 et suivants de la Loi organique. Mots clés : Récusation – Suspicion légitime – Déport – Juge – Impartialité – Indépendance Abstract This study analyzes the issue of collective recusal in the light of Organic Law No. 13/011-B of 11 April 2013 on the organization, functioning and competences of the courts of the judicial order and the Judgment of principle under REC 037 of the Supreme Court of Justice of the DRC of 11 November 2011 (currently split into three 867 Avocat au Barreau du Haut-Katanga, Chercheur à l’Institut de Recherche en droits humains (IRDH) et Membre du Comité de rédaction de la revue Réflexions Juridiques Africaines, en sigle « R.J.A ». 362 jurisdictions, including the Constitutional Court, the Court of Cassation and the Council of State). It appears that the Leading Judgment under REC 037 is in practice misinterpreted by both the judges and the counsel for the parties, so that a great deal of confusion is created around its content and the purpose of the recusal procedure as provided for by the Law. The study shows that, contrary to the position fairly shared by various jurists who, wrongly relying on the said Judgment of Principle, inadvertently think that a collective challenge that makes it impossible for a court to compose the seat is not allowed. The reader will note that, according to the same leading judgment, such a challenge gives rise to a referral from court on the ground of legitimate suspicion. In this case, the court will have to remit the case to a certain date in order either to refer the case to the Public Prosecutor's Office or to allow the disqualifying party to request a referral to the immediately higher court on the grounds of legitimate suspicion in accordance with articles 60 et seq. of the Organic Law. Keywords: Challenge – Legitimate suspicion – Deportation – Judge – Impartiality – Independence. Plan sommaire Introduction I. Cadre conceptuel et principes de base 1. Définition de la récusation 2. Notions voisines à la récusation 3. Principes de base II. Causes et procedure de recusation 1. Causes de la récusation 2. Procédure de récusation III. De la recusation collective et ses implications en droit judiciaire congolais 1. Etat de la question 2. Solutions de Droit ………………………………………………………… 363 Introduction Il est de principe universel que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un juge impartial et indépendant 868». En effet, les notions d’indépendance et d’impartialité sont à la fois complexes et essentielles à la fonction de juger. Cependant, les textes qui les proclament, ne les définissent pas malheureusement. Néanmoins, par recours aux considérations doctrinales, elles reçoivent un contenu qui permet de les comprendre en tant que notions essentielles sur lesquelles se fonde la justice. Ainsi, l’indépendance du juge désigne le pouvoir et même le devoir du juge de décider librement ; cette liberté étant celle d’apprécier sans contrainte les faits qui lui sont soumis et d’interpréter sans entraves la norme qu’il est tenu d’appliquer en l’espèce869. Elle entend rendre le juge inaccessible à toute ingérence ou pression interne ou externe. En réalité, l’indépendance se manifeste par l’absence de lien et par l’absence de subordination (hiérarchie, tutelle et autre mode de contrôle) vis-àvis d’un autre pouvoir de droit (législatif ou exécutif), vis-à-vis d’un pouvoir de fait (groupes de pression, médias, opinion publique) et vis-à-vis de ses collègues et du corps dont le juge fait partie870. Quant à l’impartialité, elle a trait aux qualités personnelles et fonctionnelles du juge . Elle exprime l’idée de neutralité du juge et de prise de distance872. Le juge doit donc s’interdire de tout parti pris dans le traitement d’une affaire qui lui est soumise. Il devrait s’acquitter de sa tâche sans favoritisme, manifestation d’un 871 Ce principe est expressément énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, en son article 10, dans le Pacte International relatifs aux droits civils et politiques, en son article 141 ainsi que dans la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples, en son article 7-1 (a). Toutefois, il convient d’insérer une incise de taille à ce niveau : Faute d’avoir intrinsèquement une force juridique contraignante d’autant plus qu’elle s’analyse en termes de résolution ne créant pas d’obligations à l’égard des Etats, la Déclaration Universelle des droits de l’Homme est depuis son adoption, perçue comme une règle du Droit coutumier international (Lire à ce sujet LINDA A. MALONE, Les droits de l’homme dans le droit international, Paris, Ed. Nouveaux HorizonsARS, 2004, p.26). Tandis qu’en vertu de l’article 215 de la Constitution de la République Démocratique du Congo, telle que révisée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ont, depuis leur publication au journal officiel, autorité supérieure à celle des Lois nationales, sont donc contraignants et s’imposent au juge. 869 Pierre NIHOUL, « L’indépendance et l’impartialité du juge », In Annales de Droit de Louvain, vol. 71, 2011, n°3, p. 207. 870 P. NIHOUL, Op.cit. p.208. 871 Idem 872 Noëlle COMMARET, Une juste distance ou réflexions sur l’impartialité du magistrat, Dalloz, 1998, pp. 262 et s. Cité par P. NIHOUL, Op. cit., p. 221. 868 364 préjugé ou prévention, et ne devrait pas se déterminer en fonction de considérations étrangères à l’application des règles de droit873. En ordre général, les deux valeurs constituent les garanties essentielles d’une justice juste et équitable. Elles permettent en outre, de garantir la fonction protectrice de la justice, l’équité et la justesse des décisions judiciaires 874. Elles sont également à la base de la confiance des justiciables dans la justice et dans les juges qui la rendent875 ; cette confiance qui découle de la présomption d’indépendance et d’impartialité, voire de neutralité que bénéficient les juges dans l’exercice de leurs fonctions876. Cependant, il arrive très souvent que pour une raison ou une autre, un justiciable remette en cause l’impartialité et l’indépendance du juge appelé à connaître de sa cause. Dans pareille situation, la Loi a prévu une série des mécanismes qui permettent de résorber la crise de confiance entre le justiciable et le juge ; mécanismes parmi lesquels figure la récusation qui s’appréhende en termes de possibilité légale donnée à toute personne impliquée dans une affaire judicaire de faire écarter de la composition appelée à connaître de sa cause, tout juge dont elle peut avoir de raisons de douter de sa capacité à rendre une décision de manière indépendante et impartiale877. Toutefois, les raisons de suspecter la partialité du juge peuvent avoir une origine subjective, tenant à ses relations personnelles avec l’une des parties, ou encore une origine objective ou fonctionnelle, tenant au fait que le juge a déjà été amené à intervenir dans l’affaire, de telle sorte qu’il a pu se faire une opinion sur celle-ci878. Dans la pratique devant les instances judiciaires congolaises, il s’observe que la procédure de récusation devient de plus en plus usitée par les justiciables qui recourent à ce mécanisme pour faire écarter un juge de la connaissance de leur cause sur base des raisons (sérieuses ou pas) touchant à son indépendance et/ou à son impartialité, autant que d’autres y recourent uniquement dans le dessein de bloquer 873 Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE), Avis n° 3 du Conseil Consultatif des Juges Européens (CCJE) à l'attention du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2002, p.4. 874 P. NIHOUL, Op.cit, p. 221 875 Clément SHAMASHANGA MINGA, « Récusation du Juge dans la Procédure Civile : Cadre Juridique et Enjeux Actuels», Librairie Africaine d’Etudes Juridiques, Kinshasa, 2006, p.187 876 Lire à ce sujet Achille BETU NZUJI, La récusation et la suspicion légitime en droit congolais : Garantie d’une justice équitable, Kinshasa, Medias Paul, 2013, p.7. 877 Clément SHAMASHANGA MINGA, Op.cit, p.188. 878 Natalie FRICERO, « Récusation et abstention des juges : analyse comparative de l’exigence commune d’impartialité» In Le nouveau cahier du Conseil constitutionnel, Ed. Lextenso, 2013, p.37. 365 ou de retarder la procédure. Bien plus, il s’observe des situations où un justiciable, à raison ou à tort, récuse plus d’un juge ou carrément tous les juges d’une juridiction, même ceux qui ne font pas partie de la composition appelée à juger sa cause. Au regard de ce dernier cas, certains praticiens du Droit soutiennent que la bonne administration de la justice étant fondée sur le principe de confiance entre les justiciables et les juges, il est tout à fait logique de recourir à la récusation, même de tous les membres d’une juridiction lorsqu’ils ne fournissent pas des garanties d’une justice juste et équitable879. D’autres aussi, faisant application de l’Arrêt de principe de la Cour suprême de justice sous REC 037 du 11 novembre 2011, opinent que la récusation de tous les juges d’une juridiction ou de plusieurs d’entre eux dans le but de mettre la juridiction en impossibilité de composer le siège ne peut être admise880. D’autres encore, pensent que lorsque cette récusation met une juridiction dans l’impossibilité de composer valablement le siège, elle aboutit à un renvoi881. Dès lors, une problématique mérite d’être soulevée : Est-il possible pour un justiciable de récuser tous les juges d’une juridiction ou plusieurs d’entre eux en Droit judiciaire congolais ? Quelles sont les implications juridiques d’une telle procédure ? Partant des considérations qui précèdent, l’objet de la présente étude se veut double : D’une part, l’étude entend élucider, à la lumière de la Loi, les contours de la notion de récusation étant donné qu’il appert que dans la pratique, la procédure semble à première vue, mal usitée aussi bien par les justiciables que par le juge récusé, tant il est vrai que dans bien de cas, une fois obtenu la décision de surséance, le justiciable récusant ne poursuit généralement plus l’instance de récusation882, ou 879 880 881 882 Dans l’affaire sous RC 6260 qui a opposé devant le Tribunal de paix Lubumbashi-Katuba, Monsieur Eric KHALOKO NGWEWA à Madame ILUNGA KILUBA Helene, cette dernière avait récusé tous les juges de cette juridiction estimant que du fait des relations amicales qui existeraient entre le Président de ladite juridiction et Monsieur KHALOKO, l’influence dudit Président sur l’indépendance de tous les juges de sa juridiction dans leur façon de dire le droit, n’était pas à écarter. Voir aussi RP 2831/Tribunal de paix de Likasi, en cause : Ministère Public et partie civile MWEPU MAUWA c/ KAFEKE TAKIZALA Willy où, pour des raisons liées au rapprochement qui existerait entre le Président de la Juridiction et président de chambre, avec un membre de la famille (aussi juge) du prévenu KAFEKE, l’indépendance et l’impartialité de tous les membres de la composition étaient mises en doute par la partie civile, MWEPU MAUWA qui les a tous récusé. (Sources : Greffe civil du Tripaix LSHI/KATUBA et Greffe pénal Tripaix/LIKASI). Cour suprême de justice, Arrêt sous REC 037 du 11 novembre 2011, en cause : L’Entreprise Général MALTA FOREST, EGMF SPRL c/ KITOKO KIMPELE et consort. Hubert KALUKANDA MASHATA et Pascal KABASELE wa NGOY, «L’impartialité et l’indépendance du juge de l’article 49 AUPRSVE face aux procédures de récusation et de suspicion légitime », Revue Générale de Droit et Interdisciplinaire de l’Université de Likasi (RGDILI), 2021, p.927. Cette thèse se confirme par le fait que les décisions rendues au fond en matière de récusation n’existent quasiment pas aux greffes des différentes juridictions de Lubumbashi, à part les quelques rares décisions dont les traces sont aussi difficiles à trouver dans les archives. Par 366 parfois, c’est le juge récusé qui se déporte seulement après avoir été notifié de la récusation883. D’autre part, l’étude se propose de décortiquer la question de la récusation collective des juges d’une juridiction ou de plusieurs d’entre eux à l’aune de l’Arrêt de principe de la Cour suprême de justice du 11 novembre 2011 sous REC 037, dont l’interprétation et/ou l’application dans la pratique prétorienne, semble s’écarter foncièrement du bien-fondé ou de l’essence même de la procédure de récusation telle que prévue par la Loi. De cette façon, l’intérêt de cette étude est telle qu’elle présente utilement les règles régissant la procédure de récusation en droit judiciaire congolais avec un regard particulier sur la question relative à la récusation collective ce, en vue de contribuer à la bonne administration de la justice. Pour besoin de commodité, nous avons limité le cadre de la présente étude aux juridictions de l’ordre judiciaire. Et dans sa subdivision sommaire ce, en dehors de l’introduction et de la conclusion, l’étude s’articule autour de trois points : le cadre conceptuel de la récusation (I), le cadre juridique de la récusation (II) et la récusation collective et ses implications en droit judiciaire congolais (III). I. Cadre conceptuel de la recusation La compréhension du problème abordé dans la présente étude ne peut être possible que s’il est au préalable, fait un point sur le cadre conceptuel de la récusation, c’est-à-dire, définir le concept même de « récusation » (1), le différencier des autres notions qui lui sont voisines (2) et souvent sujet à confusion, puis, poser ses principes de base (3). 1. Définition de la récusation En Droit congolais, le terme « récusation » n’a pas de définition légale. La Loi se limite à en déterminer seulement les causes884. Cependant, par recours aux sources complémentaires, l’on entend par « récusation », une procédure qui permet exemple, au Greffe pénal du Tribunal de grande instance de Lubumbashi, quatre cas de récusation seulement ont été enregistrés dans le registre du greffe et, jusqu’à ce jour, un seul a connu le jugement au fond (REC 001/RPA 5429 du 10 mars 2021 ; en cause : Jean Pierre MUTEBA LUHUNGA c/ Juges NYEMBO, Costa KOLESHA et TSHIBUMBU). Source : Greffe pénal TGI/LSHI 883 Lors d’un échange avec le chef d’une des juridictions à Lubumbashi sur la question, il nous a été révélé que généralement le chef de juridiction conseille au juge récusé de se déporter après avoir été notifié de la récusation dirigée contre lui pour ainsi pourvoir à son remplacement le plus rapidement possible ce, en vue de ne pas bloquer la procédure. Cependant, cette position nous semble totalement contraire aux articles 50 et 51 de la loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire. 884 Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, art. 49 367 d’écarter un magistrat d’une procédure déterminée pour l’une des causes énumérées par la loi885. Dans le Lexique des termes juridiques, la récusation est entendue comme la procédure par laquelle le plaideur demande que tel magistrat s’abstienne de siéger, parce qu’il a des raisons de suspecter sa partialité à son égard, pour des causes déterminées par la Loi : parenté ou alliance, lien de subordination, amitié ou inimitié notoire, conflit d’intérêts886. Selon Gérard Cornu, la récusation est un acte par lequel un plaideur refuse d’être jugé par ou en présence d’un magistrat ou un arbitre dont il conteste l’impartialité887. A la suite de Matadi Nenga Gamanda, il s’agit d’un incident de procédure qui consiste pour un plaideur de faire écarter du siège, pour le jugement de son procès, un juge dont l’impartialité à son égard peut légalement être suspectée888. C’est aussi une faculté reconnue à toute partie engagée dans un litige d’écarter la personne chargée d’y apporter la solution dès lors que celle-ci se trouve dans la condition où elle n’est pas en mesure de rendre sa décision en toute objectivité parce que son impartialité est mise en doute889. A la lumière des considérations qui précèdent, l’on notera que la récusation est un droit garanti à tout justiciable tendant à solliciter la mise hors du siège appelé à connaître de sa cause, tout juge qui ne fournit pas des garanties d’impartialité pour une justice juste et équitable. Elle s’avère donc être l’un des mécanismes destinés à garantir l’indépendance et l’impartialité des juges, et son exercice en tant que droit, relève de l’appréciation souveraine de tout justiciable qui a des raisons de suspecter la partialité du juge. Cependant, la récusation n’a pas la même portée que les autres notions qui lui sont voisines, et dont il importe d’apporter les éléments de démarcation. 885 Patient BAKADIKU, La récusation des magistrats en droit congolais : Principes, exceptions et procédures, Disponible en ligne : https://leganews.cd/index.php/actualite/judiciaire/7036-larecusation-des-magistrats-en-droit-congolais-principes-exceptions-et-procedures/ (vu le 15 octobre 2023) 886 Serge GUINCHARD et alii, Lexique des termes juridiques, 25 édition 2017-2018, Dalloz, Paris, 2017, p.945. 887 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, 2011, p.859. 888 MATADI NENGA GAMANDA, Droit judiciaire privé, éditions Droit et idées nouvelles, Kinshasa, 2006, p.298 889 Pierre OKENDEMBO MULAMBA, Des procédures de récusation et de suspicion légitime en droit congolais, Kinshasa, 2012, p.14, cité par Clément SHAMASHANGA MINGA, Op. cit, p.189. 368 2. Notions voisines à la récusation Au nombre de mécanismes de garantie d’une justice équitable auxquels recourent généralement les justiciables, existent aussi le déport (a), le déchargement (b) et le renvoi de juridiction (c). Cependant, chacun d’eux a une portée différente de celle de la récusation. a. Le Déport et la récusation Le déport est prévu à l’article 56 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire qui pose le principe selon lequel, le juge se trouvant dans une des hypothèses prévues à l’article 49 de ladite loi organique est tenu de se déporter, sous peine de poursuites disciplinaires. Cependant, la Loi ne définit pas ce qu’il convient d’entendre par le terme « se déporter » ou « le déport ». Toutefois, aux termes du Dictionnaire juridique, le terme « déport » dérive du verbe « se déporter » et désigne l’acte par lequel pour des motifs légitimes, un juge se retire d’une affaire, avant même qu’il y ait eu récusation (…)890. Autrement dit, il s’agit pour le juge de s’abstenir de connaître l’affaire dont il est saisi pour motif de conscience ou parce qu’il suppose en sa personne une cause de récusation891. Contrairement à la récusation dont l’initiative émane d’un justiciable qui sollicite l’écartement d’un juge de la connaissance d’une affaire judicaire, le déport lui, est un acte volontaire et spontané par lequel un juge se retire de la composition appelée à juger une affaire parce qu’il suppose avoir des raisons qu’il ne saura pas dire le droit en toute indépendance et impartialité. Il s’agit en réalité d’une obligation légale et d’un devoir déontologique imposés au juge, sous peine de poursuites disciplinaires. Toutefois, en tant que devoir déontologique imposé au juge, les motifs du déport ne doivent pas forcément être limités à ceux qui sont prévus à l’article 49 cidessus892. En dehors de ces motifs, le déport peut, pensons-nous, se justifier toutes les fois que le juge estime se trouver dans les conditions qui ne lui permettent pas de 890 Jacques PICOTTE, Juridictionnaire : Recueil des difficultés et des ressources du français juridique, Université de Moncton, Moncton (Canada), 2018, p.1437. 891 Clément SHAMASHANGA MINGA, Op.cit, p.191. 892 Ces motifs sont : 1. si lui ou son conjoint a un intérêt personnel quelconque dans l’affaire ; 2. si lui ou son conjoint est parent ou allié soit en ligne directe, soit en ligne collatérale jusqu’au troisième degré inclusivement de l’une des parties, de son avocat ou de son mandataire ; 3. s’il existe une amitié entre lui et l’une des parties ; 4. s’il existe des liens de dépendance étroite à titre de domestique, de serviteur ou d’employé entre lui et l’une des parties ; 5. s’il existe une inimitié entre lui et l'une des parties ; 6. s’il a déjà donné son avis dans l'affaire ; 7. s’il est déjà intervenu dans l'affaire en qualité de juge, de témoin, d'interprète, d'expert, d'agent de l'administration, d'avocat ou de défenseur judiciaire ; 8. s'il est déjà intervenu dans l'affaire en qualité d'officier de police judiciaire ou d'officier du Ministère Public. 369 rendre justice en toute impartialité et indépendance893. C’est notamment le cas d’un juge qui subit la pression de son chef hiérarchique ou d’une autorité administrative ou politique, sur l’orientation à donner à l’affaire selon ses intérêts. Dans ces conditions, l’indépendance du juge est sérieusement mise à l’épreuve et la décision à intervenir ne sera jamais impartiale. En ordre général, l’article 58 de la Loi organique susvisée prévoit que le juge qui désire se déporter informe le Président de la juridiction à laquelle il appartient en vue de pourvoir à son remplacement. Le Président de la juridiction ainsi informé ne peut ni refuser de prendre acte de la volonté du juge qui se déporte, ni l’obliger à toujours statuer. Autant, l’acte de déport ne peut pas faire l’objet de voies de recours, étant donné qu’il n’est pas une décision (de justice), et aucune partie au procès n’a le droit de choisir le juge qu’elle veut pour l’examen de sa cause ou obliger un juge à toujours juger sa cause. Est donc mal venu et partant irrecevable pour défaut de décision de justice attaquée, tout appel dirigé contre le déport d’un juge. Par ailleurs, les dispositions relatives au déport sont applicables à l’officier du Ministère Public lorsqu’il intervient par voie d’avis, généralement en matière civile et commerciale. En revanche, en matière pénale, l’Officier du Ministère public ne peut être récusé compte tenu de sa qualité de partie principale au procès pénal894. Cela est d’autant plus vrai, car il n’est pas permis à une partie au procès de récuser une autre. b. Le déchargement et la récusation Il découle des termes de l’article 59 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 que l’inculpé qui estime que l’officier du Ministère Public appelé à instruire son affaire se trouve dans l’une des hypothèses prévues à l’article 49 de la loi organique susvisée, adresse au chef hiérarchique, une requête motivée tendant à voir ce magistrat être déchargé de l’instruction de la cause. Il est répondu à cette requête par une ordonnance motivée, non susceptible de recours, qui doit être rendue dans les délais de quarante-huit heures, le magistrat mis en cause entendu. A ces propos, il s’ensuit que le déchargement peut être défini comme l’acte par lequel une personne poursuivie devant le Ministère public (Parquet) remet en cause l’indépendance et l’impartialité du Magistrat instructeur et sollicite son remplacement par un autre. En d’autres termes, il s’agit de l’équivalent de la récusation, à la différence que le déchargement n’est dirigé que contre un Magistrat L’article 69 alinéa 2 de la Loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire va notamment dans ce sens lorsqu’il dispose que « Toutefois, le juge militaire qui, pour un motif non prévu par la loi, estime qu’il y a pour lui convenance qu’il se déporte, en fait la déclaration au Président de la Cour ou du Tribunal militaire qui en décide, après avis du ministère public». 894 A. BETU NZUJI, Op. cit., p.38 893 370 du Parquet (Officier du Ministère Public) par un inculpé durant l’instruction préjuridictionnelle. Aussi, suivant l’interprétation stricte de l’article 59 ci-dessus, l’on conviendra que seul l’inculpé a le droit de solliciter le déchargement du Magistrat instructeur, et non pas le plaignant. Cependant, dans la pratique, cette possibilité est étendue et généralement accordée même au plaignant qui peut solliciter et au besoin, obtenir le déchargement d’un Magistrat pour des raisons prévues à l’article 49, ou pour un motif quelconque touchant à l’indépendance et à l’impartialité du Magistrat visé. Cela est d’autant plus vrai, car toutes les parties à une affaire judiciaire, même en phase d’instruction pré-juridictionnelle, doivent avoir les mêmes droits. Par ailleurs, comme pour le déport, les causes du déchargement ne sont pas seulement celles prévues à l’article 49 : Tout fait généralement quelconque qui touche à l’indépendance et à l’impartialité du Magistrat instructeur, peut être évoqué comme motif de son déchargement. A ce sujet, Achille Betu Nzuji écrit que : « (…) Toutefois, toute manifestation de partialité peut être prise en compte. (…) le cas d’un magistrat qui pose au prévenu (inculpé) des questions tendancieuses ayant pour but d’orienter ses réponses, qui n’acte pas fidèlement les déclarations des parties (…) Est déchargeable, un magistrat instructeur qui maintient un prévenu (inculpé) en détention et qui, sans motif valable, ne fixe pas rapidement le dossier au tribunal. Il en est de même de celui qui place un inculpé sous mandat d’arrêt provisoire sans l’avoir au préalable entendu et à la seule demande de la victime895». Soulignons toutefois que non seulement que la Loi organique ne prévoit pas de sanction contre un Officier du Ministère public qui, étant conscient de se retrouver dans l’une des hypothèses de l’article 49, continue quand même à instruire l’affaire. Mais aussi, elle ne prévoit expressément pas non plus la possibilité de déchargement volontaire pour un Officier du Ministère Public. Faut-il dès lors considérer que faute d’être déchargé (de force) conformément à l’article 59 ci-dessus, un Officier du Ministère Public est tenu de poursuivre l’instruction d’une affaire même lorsqu’il est personnellement conscient d’être sérieusement dans l’une des hypothèses de l’article 49 ou une cause quelconque touchant à son impartialité ? Le principe général de droit selon lequel « Non omne quod licet honestum est » (ce qui n’est pas interdit est autorisé) peut-il s’appliquer dans cette occurrence ? Malgré le fait que la Loi n’ait pas expressément prévu la possibilité pour un Officier du Ministère Public de solliciter volontairement son déchargement, celle-ci (possibilité) demeure sous-entendue, dans la mesure où, même si l’Officier du Ministère Public ne décide pas au fond d’une affaire, le principe d’indépendance et d’impartialité reste de mise, et doit forcément caractérisé son action. A ce point de 895 Idem, pp.38-39 371 vue, il est tout à fait logique que lorsqu’il fait face à une situation qui mettrait en mal son indépendance ou son impartialité dans l’instruction d’une affaire, il est en droit de solliciter, au nom de sa déontologie, son déchargement volontaire ce, pour éviter tout arbitraire dans son action. c. Le Renvoi de juridiction et la récusation Le renvoi de juridiction est défini comme la procédure par laquelle une juridiction désigne une autre juridiction pour connaître d’une cause896. Il y a donc renvoi de juridiction, lorsque pour cause de sureté publique ou de suspicion légitime, une juridiction est dessaisie d’une affaire au bénéfice d’une autre par une juridiction supérieure saisie sur requête897. L’article 60 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 va dans ce sens lorsqu’il dispose que : « Le Tribunal de grande instance peut, pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime, renvoyer la connaissance d’une affaire, d’un Tribunal de paix de son ressort à un autre Tribunal de paix du même ressort. La Cour d’appel peut, pour les mêmes causes, renvoyer la connaissance d’une affaire d’un Tribunal de grande instance de son ressort à un autre Tribunal de grande instance du même ressort. La Cour de cassation peut, pour les mêmes causes, renvoyer la connaissance d’une affaire d’une Cour d'appel à une autre ou d’une juridiction du ressort d’une Cour d’appel à une juridiction de même rang du ressort d’une autre Cour d’appel (…)». Il s’ensuit qu’en droit congolais, il est prévu deux motifs de renvoi de juridiction : la sureté publique et la suspicion légitime. En effet, il y a sûreté publique lorsqu’on craint que le procès ne soit localement la cause ou le prétexte de troubles publics898. Autrement dit, il y a sûreté publique lorsque le climat social ou politique du lieu où siège le juge naturel est détérioré au point qu’il n’est plus possible de rendre une justice sereine, la cause qui est pendante devant ce tribunal doit être renvoyée devant un autre tribunal899. Seul le Ministère public peut introduire une requête aux fins de renvoi pour cause de sûreté publique900. 896 S. GUINCHARD et alii, Op.cit. p.972. MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit. p.302. 898 S. GUINCHARD et alii, Op.cit. p.1081. 899 Emmanuel J. LUZOLO BAMBI LESSA, Manuel de procédure pénale, Kinshasa, PUC, 2011, p.102. 900 REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, art. 60 al. 4. 897 372 Par ailleurs, la suspicion légitime désigne quant à elle, le doute sur l’impartialité des juges d’une juridiction901, ou le fait de soupçonner tous les juges d’un tribunal d’avoir subi des pressions au point de ne plus jouir de l’indépendance ou de l’impartialité requise pour juger une cause de manière équitable902. C’est en réalité une possibilité reconnue à toute partie au procès 903, qui a des motifs sérieux de penser que les juges appelés à connaître de son affaire ne sont pas en situation de se prononcer avec impartialité en raison de leurs tendances ou de leurs intérêts, de pouvoir demander que l’affaire soit renvoyée devant une autre juridiction904. Ainsi, contrairement à la récusation, le renvoi pour cause de suspicion légitime concerne la juridiction toute entière, et non un juge pris individuellement. Par cette procédure, une partie cherche donc à obtenir la mise à l’écart de toute une juridiction de la connaissance d’une affaire la concernant. Autre élément de démarcation avec la récusation dérive de ce que la procédure de récusation, comme on le verra plus loin, se déroule devant la juridiction à laquelle appartient le juge récusé et si la récusation est fondée, le juge récusé quitte le siège appelé à connaître de la cause qui concerne le justiciable récusant. Alors que la procédure de renvoi de juridiction se déroule devant une juridiction supérieure à celle qui est suspectée et dans le cas où le renvoi est fondé, la connaissance de l’affaire est renvoyée devant une autre juridiction de même rang que celle suspectée. Toutefois, il convient de noter que la compétence en Droit étant d’attribution, la Cour d’appel n’est pas matériellement compétente à connaître de renvoi de juridiction contre le Tribunal de commerce et le Tribunal du travail, nonobstant le fait qu’ils aient tous le même rang que le Tribunal de grande instance, autant qu’elle n’est pas compétente à connaître de renvoi de juridiction contre le Tribunal de paix. L’article 60 alinéa 2 de Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 est assez clair à ce sujet lorsqu’il dispose que « (…) La Cour d’appel peut, pour les mêmes causes, renvoyer la connaissance d’une affaire d’un Tribunal de grande instance de son ressort à un autre Tribunal de grande instance du même ressort. (…)», sans expressément citer ni le Tribunal de commerce, ni le Tribunal du travail, ni encore le Tribunal de paix. La procédure contre le Tribunal de commerce et le Tribunal du travail doit être initiée uniquement devant la Cour de cassation qui, conformément à l’article 60 alinéa 3 de Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, peut seule renvoyer la connaissance d’une affaire d’une Cour d’appel à une autre ou d’une juridiction du ressort d’une Cour d’appel à une juridiction de même rang du ressort d’une autre 901 S. GUINCHARD et alii, Op.cit. p.1086. E. J. LUZOLO Bambi Lessa, Op.cit. p. 103. 903 REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, art. 60 al. 5. 904 P. OKENDEMBO MULAMBA, Op. cit., p.14, cité par C. SHAMASHANGA MINGA, Op. cit., p.190. 902 373 Cour d’appel. Il en est de même de renvoi de juridiction contre le Tribunal de paix dans le ressort d’un Tribunal de grande instance qui ne compte qu’un seul Tribunal de paix : la procédure doit dans ce cas être initiée devant la Cour de cassation. En ordre général, la Loi ne limite pas le nombre de fois qu’il convient de suspecter une juridiction dans une procédure encore pendante ; le loisir étant laissé aux parties qui ont des raisons de la suspecter d’apprécier s’il faut le faire encore, après le rejet de la première requête, encore que si une requête est déclarée non fondée, la Loi prévoit la condamnation du requérant à une amende, et même la possibilité de condamnation aux dommages et intérêts en faveur des juges de la juridiction suspectée905. De même, la Loi ne prévoit pas un ordre quelconque à suivre dans la procédure de renvoi de juridiction. Ce qui veut dire par exemple qu’une partie n’est pas obligée de saisir toujours la Cour d’appel contre le Tribunal de grande instance, et non pas directement la Cour de cassation, surtout, si elle a des raisons de craindre la partialité de toutes les juridictions du ressort d’une Cour d’appel906. Cependant, par sa note circulaire n°001/PPNDK/MANE/2024 du 03 janvier 2024 portant dispositions applicables en matière de renvoi de juridiction, le Premier Président de la Cour de Cassation a pris des mesures suivantes désormais d’application en cette matière : (i) Il n’est organisé devant la Cour de cassation et les juridictions inferieures compétentes, qu’une audience tous les deux mois en matière de renvoi de juridiction ; (ii) Si la cause ne relève pas de la compétence de la juridiction saisie ou si elle est manifestement irrecevable, notamment lorsque l’avocat signataire de la requête n’est pas porteur d’une procuration spéciale ou, s’agissant d’une personne morale dont les statuts ne sont pas produits, cette juridiction prononce d’office sur les bancs ; (iii) Lorsque la partie requérante ne comparait pas à l’audience d’introduction ou lorsqu’elle ne comparait pas après remise L’article 62 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 dispose que « Si la requête aux fins de renvoi pour cause de suspicion légitime est déclarée non fondée, la juridiction saisie peut, après avoir appelé le requérant, le condamner à l'amende prévue à l’article 53 de la présente loi organique sans préjudice des dommages- intérêts envers les juges composant la juridiction mise en cause». Et aux termes de l’article 53 susvisé, cette amende est de l’ordre de de cinq cent mille francs congolais. 906 Sous RR 5450, la Cour de cassation a malencontreusement rejeté la requête en renvoi de juridiction initiée par une partie contre le Tribunal de paix de Kipushi estimant que « sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les mérites de la présente requête, la Cour de cassation constate qu’elle est incompétente, le ressort de Kipushi ayant plus ou moins six tribunaux de paix. Dans ces circonstances, elle note que seul le tribunal de grande instance dudit ressort est compètent de statuer sur une requête en renvoi de juridiction, (…) » 905 374 contradictoire ou qu’elle refuse de comparaitre alors qu’elle est présente, sous prétexte de défaut de notification de date d’audience, la juridiction saisie considère qu’ elle n’a pas d’arguments pour soutenir sa requête et conclut au non fondement de son action ; (iv) La juridiction saisie quant au fond qui constate la réitération de la requête en renvoi de juridiction par la même partie passe outre l’arrêt de donner acte et poursuit sans désemparer l’examen de la cause dont elle est saisie. Motivant ladite note circulaire, le Premier Président argue notamment que « il m’a été donné de constater que les causes en renvoi de juridiction, matière pourtant spéciale en vertu de la Loi organique n°13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation, sont enrôlées de manière exponentielle au greffe de cette Cour (…) Par ailleurs, lorsque les parties ne sont pas sures de l’impartialité d’un juge, elles ont la possibilité soit de le récuser, de le poursuivre, après une décision prise hors du droit, en prise à partie ou devant les chambres de discipline, soit d’exercer les voies de recours au lieu de bloquer la procédure par cette pratique vulgairement appelée mbasu »907. On notera que cette note circulaire ne va pas sans poser problème, surtout lorsqu’il faut prendre en compte la mesure édictée au point (iv) qui oblige la juridiction saisie au fond de passer outre un jugement ou arrêt de donner acte déposé pour la deuxième fois dans la même procédure par la même partie. Cette mesure est foncièrement contra legem en ce qu’elle viole intentionnellement la Constitution ainsi que la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, et dénote un excès grave de pouvoir dans le chef du Premier Président. En effet, une circulaire est un acte unilatéral, interne à l’administration et ne modifiant normalement pas l’ordonnancement juridique, adressé par une autorité administrative a ses subordonnés908. Il s’en suit qu’elle (note circulaire) n’est ni supérieure ni égale à une Loi organique et n’a pas pour vocation de limiter l’application de la Loi ou d’en atténuer les effets, autant qu’elle ne peut aucunement limiter l’exercice des droits et libertés garantis aux citoyens. Il est certes vrai que le constat fait par le Premier Président relativement à la prolifération des requêtes en renvoi de juridiction devant la Cour de cassation est réel. Mais, la Loi organique dans sa formulation actuelle, ne limite pas le nombre de fois qu’il convient de suspecter une juridiction dans une procédure encore pendante. De même, il n’appartient pas au Juge ; Premier Président soit-il, de modifier la Loi à sa guise sous prétexte quelconque. En tant qu’organe appelé à dire le Droit, le Juge 907 Cour de Cassation : Premier Président, note circulaire n°001/PPNDK/MANE/2024 du 03 janvier 2024 portant dispositions applicables en matière de renvoi de juridiction, inédit. 908 Fiches d’orientation Dalloz 2023 : Circulaire. (En ligne) Disponible sur htpps://www.dalloz.fr (vu le 3 janvier 2024) 375 est principalement soumis à la seule autorité de la Loi et doit l’appliquer (la Loi) en l’état où elle se trouve, sous réserve de son pouvoir de contribuer à l’évolution du Droit par la jurisprudence : cas d’un arrêt de principe par exemple. Or, une note circulaire n’est jamais une décision de justice à mettre au compte de la jurisprudence. 3. Principes régissant la récusation De la lecture combinée des articles 49 et 50 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 qui disposent respectivement que «Tout juge peut être récusé pour l’une des causes limitativement énumérées ci-après : (…) », « Celui qui veut récuser le fait sous peine d’irrecevabilité dès qu’il a connaissance de la cause de récusation et au plus tard avant la clôture des débats, (…) », il se dégage deux principes majeurs suivants : (a) seul un juge peut être récusé et, (b) la déclaration de récusation doit, sous peine d’irrecevabilité, être faite au plus tard avant la clôture des débats. a. Seul un juge peut être récusé Il découle de la Loi que la procédure de récusation ne peut être dirigée que contre un juge. Est donc mal venue et partant irrecevable, toute récusation dirigée contre un Magistrat du Parquet (Officier du Ministère public) ; exception faite uniquement lorsqu’il intervient par voie d’avis dans une procédure pendante devant un Tribunal909. Peuvent aussi être récusés, les juges des juridictions militaires910, les juges assesseurs des Tribunaux de travail911 ainsi que les juges consulaires des Tribunaux de commerce912. Toutefois, une question majeure alimente les débats depuis un temps : Celle liée à la récusabilité du juge de l’article 49 de l’Acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d’exécutions (AUPSRVE) 10 avril 1998. En effet, cet article dispose que : « la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui»913. 909 Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, selon l'esprit de l'art. 54 al. 2 Loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire, art. 69 al. 2. 911 Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail, art. 36. 912 Loi n° 002/2001 du 03 juillet 2001 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de commerce, art. 16. 913 Tenez ! Dans la nouvelle version de l’AUPSRVE modifié et complété le 17 octobre 2023, l’article 49 est libellé comme suit : « En matière mobilière, le président de la juridiction compétente dans chaque État partie ou le juge délégué par lui connaît de tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire ». Aux termes de son article 338, 910 376 Il s’ensuit que le Président de la juridiction compétente ci-dessus visée constitue à lui seul une juridiction à part entière, dont il est lui-même seul juge, et détient le pouvoir de délégation de ses prérogatives à un magistrat (juge) qu’il désigne souverainement. S’agissant de sa récusabilité, une opinion assez partagée estime que conformément à l’article 49 de la loi organique relative aux juridictions de l’ordre judiciaire, le Président de la juridiction précitée est récusable lorsqu’il existe dans son chef une cause de récusation914. En principe, il est vrai qu’en tant que juge, le juge de l’article 49 de l’AUPSRVE ne doit normalement pas échapper à la procédure de récusation. Mais, une difficulté nait à partir du moment où il faudra tenir compte de sa nature spéciale : Juge et juridiction en même temps, et la concilier à la procédure de récusation qui veut que toutes affaires cessantes, il soit statué sur la récusation ; le juge récusé entendu, alors que lui, en tant que juridiction, est seul juge de cette juridiction et quand il délègue le pouvoir à un autre juge, il cesse pendant ce temps-là, d’être juge de cette juridiction. Comment comprendre alors qu’il soit entendu sur la récusation dirigée contre lui et par quel autre juge ? A ces propos, Tony Mwaba Kazadi considérant le Juge susvisé comme une juridiction à part entière, propose qu’il fasse non pas l’objet de la procédure de récusation, mais plutôt de renvoi de juridiction915. En réalité, toute procédure de récusation initiée contre le juge de l’article 49 de l’AUPSRVE doit normalement donner lieu à une procédure de renvoi de juridiction pour cause de suspicion légitime. Cela veut dire de manière pratique que, le juge récusé devra renvoyer l’affaire à date certaine pour ainsi permettre à la partie récusante de formaliser la procédure de renvoi de juridiction. b. La déclaration de récusation doit, sous peine d’irrecevabilité, être faite au plus tard avant la clôture des débats Celui qui veut récuser un juge, le fait sous peine d’irrecevabilité dès qu’il a connaissance de la cause de récusation et au plus tard avant la clôture des débats, prévoit l’article 50 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013. Cependant, aux termes de l’article 37 Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, 914 915 cette nouvelle version entrera en vigueur normalement au mois de mars 2024 (voir article 9 du Traité de l’OHADA). C. SHAMASHANGA MINGA, Op.cit, p.199. Lire aussi H.KALUKANDA MASHATA et P. KABASELE wa NGOY, Op.cit, p.925. Tony MWABA KAZADI, « RDC : la récusation du juge président de la juridiction compétente instituée à l’article 49 de l’AUPRSVE », In JuriAfrique, USA, 28 septembre 2016. (En ligne) Disponible sur : <https://juriafrique.com/blog/2016/09/28/> (vu le 18 octobre 2023). 377 organisation et fonctionnement des Tribunaux du travail, ce moment est plutôt ramené à « avant tout débat » 916, c’est-à-dire, avant plaidoirie. En ordre général, la clôture des débats intervient à partir du moment où le juge, après avoir reçu les plaidoiries des parties ainsi que l’avis ou les réquisitoires du Ministère public selon le cas, prend l’affaire en délibère, sauf cas de réouverture des débats917. Apres la clôture des débats, le seul document que les parties sont autorisées de déposer au dossier, c’est la note de plaidoirie918. Cependant, relevons que les prescrits des articles 50 et 37 ci-dessus, concernent la recevabilité de la déclaration en récusation et non son dépôt au Greffe de la juridiction à laquelle appartient le juge récusé ; sachant dès lors que la question de recevabilité d’une demande en justice s’apprécie non pas au greffe, mais devant le juge compètent (ici le juge de récusation). Un greffier qui refuserait donc de recevoir une déclaration en récusation au motif qu’elle est faite après clôture des débats, s’expose aux poursuites pénales éventuelles pour abstention coupable919. La recevabilité d’une demande étant totalement différente du dépôt de ladite demande au Greffe, la Loi n’empêche donc pas une partie qui estime pouvoir récuser un juge, de déposer sa requête ou d’en faire déclaration au Greffe de la juridiction même après clôture des débats. Seulement, à l’issue de l’instance devant le juge de récusation, une telle requête sera déclarée irrecevable pour tardiveté ou forclusion. Achille Betu Nzuji écrit à ce sujet que « (…) si le juge est notifié de la récusation, même si la cause est en délibérée, il doit se réserver de prononcer la décision. Le Tribunal étant déjà saisi en récusation, il faudra qu’il se prononce ne fut-ce que sur l’irrecevabilité de la demande pour tardiveté. Un juge qui rendrait une décision dans ces conditions mérite des poursuites disciplinaires et même une prise à partie car cette décision qu’il aura rendue après avoir été notifié de la récusation a très peu de chance d’être objective. Elle peut même refléter la vengeance dudit juge vis-à-vis du demandeur en récusation »920. L’article 37 de la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 dispose que « la partie qui veut récuser un Juge-assesseur est tenue de former son action sous peine d’irrecevabilité avant tout débat et d’en exposer les motifs à l’audience soit verbalement soit dans une déclaration motivée revêtue de sa signature ». 917 MATADI NENGA GAMANDA, Op. cit., p.363. 918 Idem. 919 BONY CIZUNGU NYANGEZI note « l’infraction d’abstention coupable vise aussi le fonctionnaire qui s’abstient volontairement de faire dans le délai lui imparti par la Loi ou par les règlements, un acte de sa fonction ou de son emploi, qui lui a été régulièrement demande», (BONY CIZUNGU, Les infractions de A à Z, Editions Laurent Nyangezi, 2011, p.44). 920 A. BETU NZUJI, Op. cit., pp. 46-47 916 378 De manière pratique, lorsque l’affaire est en délibérée et après qu’un juge ou tous les juges de la composition soient notifiés de la récusation, la réouverture des débats doit être ordonnée d’office pour surseoir à statuer et ainsi permettre au juge de récusation d’examiner la demande et au besoin, se prononcer sur son irrecevabilité. C’est notamment le cas en matière de renvoi de juridiction lorsqu’un jugement ou arrêt de donner acte est déposé ou, comme c’est fréquemment le cas dans la pratique, signifié à la juridiction suspectée alors que l’affaire est déjà prise en délibéré, la réouverture des débats est ordonnée d’office pour décréter la surséance à statuer921. Cela se justifie par le fait que la justice est une question de confiance entre le justiciable et le juge. Mais, lorsque le justiciable n’a plus confiance en lui, le juge ne doit pas s’accrocher à l’affaire. Un juge ne peut donc pas vouloir à tout prix juger une affaire dans laquelle il est récusé, si ce n’est pour un intérêt personnel quelconque. II. Cadre juridique de la recusation L’analyse du cadre juridique de la récusation consiste à présenter à toutes fins utiles, le fondement légal ou les dispositions légales (1) qui l’organisent en tant procédure judiciaire, ses causes (2) ainsi que les modalités de sa mise en mouvement ou la procédure à suivre (3). 1. Fondement légal En droit judiciaire congolais, la récusation trouve principalement son fondement légal dans la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, spécialement en ses articles 49 à 56, qui en fixent, les causes ainsi que la procédure. En dehors de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, la récusation est, pour les juridictions spécialisées de l’ordre judiciaire, respectivement prévue par la Loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire, spécialement en son article 69, la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail, spécialement en ses articles 36 à 44, et la Loi n° 002/2001 du 03 juillet 2001 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de commerce, spécialement en son article 16. Seule la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail prévoit des règles spécifiques. Les autres Lois spéciales évoquées ci-dessus, renvoient à la Loi organique n°13/011 B du 11 921 Le Tribunal de grande instance de Lubumbashi avait sous RR 552/RP 10.031, réouvert les débats puis ordonné la surséance, à la suite d’un arrêt de donner acte de la Cour d’Appel du Haut-Katanga sous RR 1387 signifié par une partie, alors que la cause était en délibéré. 379 Avril 2013 s’agissant des causes et de la procédure de récusation qu’il convient d’examiner ci-dessous. 2. Causes de la récusation La récusation doit être fondée sur les motifs clairs, basés sur des éléments concrets. Ainsi, les causes de récusation peuvent être classées en deux groupes : les causes prévues par la Loi (a) et les causes non prévues par la Loi (b). a. Les causes légales L’article 49 Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 énumère huit (8) causes de récusation pour l’une desquelles, tout juge peut être récusé. Il s’agit de : 1. Si lui ou son conjoint a un intérêt personnel quelconque dans l’affaire ; 2. Si lui ou son conjoint est parent ou allié soit en ligne directe, soit en ligne collatérale jusqu’au troisième degré inclusivement de l’une des parties, de son avocat ou de son mandataire ; 3. S’il existe une amitié entre lui et l’une des parties ; 4. S’il existe des liens de dépendance étroite à titre de domestique, de serviteur ou d’employé entre lui et l’une des parties ; 5. S’il existe une inimitié entre lui et l’une des parties ; 6. S’il a déjà donné son avis dans l’affaire ; 7. S’il est déjà intervenu dans l’affaire en qualité de juge, de témoin, d’interprète, d’expert, d’agent de l’administration, d’avocat ou de défenseur judiciaire ; 8. S’il est déjà intervenu dans l’affaire en qualité d’officier de police judiciaire ou d’officier du Ministère Public. Ces causes concernent tous les juges des juridictions ordinaires de l’ordre judiciaire, les juges des juridictions militaires ainsi que les juges consulaires des Tribunaux de commerce. Quant aux juges assesseurs des Tribunaux du travail, l’article 36 la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail prévoit exceptionnellement cinq (5) causes de récusation. En effet, l’article 36 susvisé dispose que « Tout Juge-assesseur peut être récusé pour l’une des causes énumérées limitativement ci-après : 1. si lui ou son conjoint a un intérêt personnel quelconque au litige ; 2. si lui on son conjoint est parent ou allié de l’une des parties jusqu’au second degré inclusivement ; 3. si dans l’année qui a précédé la récusation, il y a eu une action judiciaire civile ou pénale contre lui ou son conjoint et l’une des parties ; 380 4. s’il a donné un avis écrit sur le litige ; 5. s’il est employeur ou travailleur de l’une des parties ». Dans l’ensemble, il s’agit là des causes classiques qui peuvent donner lieu à une action en récusation contre un juge. Aussi, ces causes ne sont pas cumulatives, l’existence d’une seule suffit pour fonder un justiciable à initier une action contre un juge. Cependant, notons qu’au regard de l’évolution jurisprudentielle et doctrinale, les causes légales ne sont pas les seules sur base desquelles une action en récusation peut se fonder. En dehors des causes légales, il existe bien d’autres causes de la récusation. b. Les autres causes Les autres causes de la récusation sont essentiellement jurisprudentielles et doctrinales. En effet, la doctrine note qu’à ce jour, l’on constate plusieurs causes de récusation non énumérées par le Code (la Loi organique), mais qui affectent sérieusement l’impartialité et l’indépendance d’un juge922. A ce sujet, l’on notera que la récusation apparait donc comme l’un des mécanismes visant à écarter du processus de prise des décisions un des membres d’une juridiction dont l’impartialité est mise en doute, indépendamment du déport du magistrat923. Ceci étant, l’appréciation des faits (causes) de la récusation doit être faite en fonction principalement de la confiance des justiciables, de l’opinion générale sur le service public de la justice et de l’état de moralité des magistrats924. Sous cet angle, la jurisprudence admet par exemple qu’en matière de renvoi de juridiction, « Est fondée, la requête dont le moyen est tiré de la perte de confiance dans le juge naturel que la Loi a assigné »925. De même, « est fondée et entraine en conséquence renvoi de juridiction pour cause de suspicion légitime, une requête dans laquelle le demandeur exprime une crainte justifiée eu égard aux 922 A. BETU NZUJI, Op. cit., p. 44 Pierre OKENDEMBO, Des procédures de récusation et de suspicion légitime en droit congolais. Cité par A. BETU NZUJI, Op.cit, p. 60 924 Boniface KABANDA MATANDA, Droit processuel en RD Congo : les principes directeurs du procès équitable et la responsabilité civile du magistrat, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 247. 925 CSJ, RR 545 du 01 février 2008. En cause : Mademoiselle KAZADI et consort c/ Monsieur DIANGANI NSADI, Voir Contentieux de renvoi de juridiction, Tome IV, Kinshasa, éd. Juricongo, 2011, p.107 923 381 motifs qu’il a invoqués et au sentiment de malaise qui fait qu’il n’ait plus confiance aux juges du Tribunal saisi »926. Il s’en suit que la récusation peut aussi se justifier toutes les fois que les faits évoqués par la partie récusante mettent en cause l’impartialité et l’indépendance du juge visé. C’est notamment le cas lorsqu’un juge oblige les parties à plaider une affaire civile contre leur gré927, ou les contraint à plaider avant la mise en état de la cause et sans acte régulier de sommation928, ou qui renvoie toujours la cause aux dates de ses audiences en contradiction avec la volonté des parties, des délais légaux de remise et de roulement fixée par le chef de juridiction929, ou encore qui suspend l’audience pour consulter sa hiérarchie sur une question de droit soulevée au cours de l’audience930, ou qui aurait pour sonnerie du téléphone la chanson d’un musicien, alors que ce dernier est partie à une procédure, et ce parce que le reflexe normal ferait à coup sûr penser au fanatisme du juge pour la vedette-justiciable931. Bien plus, un justiciable peut aussi initier la procédure de récusation, lorsque le motif qu’il évoque touche à la moralité du juge : Récusation pour cause d’immoralité932. C’est notamment le cas d’un juge qui drague une dame qui est en instance de divorce dans la chambre dudit juge. L’on conviendra en définitive que les autres causes de la récusation consistent plus généralement en tout acte ou fait non expressément prévu par la Loi, mais qui touche à l’impartialité et l’indépendance du juge ou à sa moralité (probité), et qui traduit la poursuite d’un intérêt quelconque ou la volonté de procurer à une partie au procès un intérêt particulier. Dans tout état de cause, qu’il s’agisse des causes légales ou des causes non légales, la procédure de récusation reste la même. 3. Procédure de récusation La procédure de récusation est prévue par les articles 50 à 54 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 et 36 à 44 de la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail. Aux termes de ces dispositions, cette procédure peut être divisée en trois (3) étapes : déclaration de récusation (a), déroulement de l’instance (b), la décision et les voies de recours (c). 926 CSJ, RR 532 du 14 juillet 2006 En cause : TSHINGOMBE MANDE Pierre contre KASEM ALI KARA. Voir Contentieux de renvoi de juridiction, Op. cit., p.102 927 A. BETU NZUJI, Op. cit., p. 44 928 B. KABANDA MATANDA. Op.cit, p. 248 929 Idem 930 A. BETU NZUJI, Op. cit., p. 44 931 B. KABANDA MATANDA. Op. cit., p. 240 932 Idem, p.239 382 a. Déclaration de récusation Aux termes des articles 50 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 et 36 de la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002, celui qui veut récuser un juge, fait une déclaration motivée et actée au greffe de la juridiction dont le juge mis en cause fait partie. Dans la pratique, cette déclaration se fait aussi par écrit, c’est-à-dire, par requête motivée et dument signée par la partie récusante adressée au greffier de la juridiction à laquelle appartient le juge mis en cause, et dont l’objet porte sur la déclaration de récusation. La requête doit être libellée de manière claire de sorte à permettre au juge mise en cause de préparer ses moyens de défense. Après, le greffier de la juridiction notifie la déclaration de récusation au président de la juridiction ainsi qu’au juge mis en cause. Cette notification a pour finalité de porter à la connaissance du juge qu’une procédure de récusation a été initiée contre lui, et au Président de la juridiction, la notification a pour finalité de lui permettre de composer le siège qui devra connaitre de cette procédure (récusation). Faute de notification régulière, c’est-à-dire, procéder comme pour la signification des exploits, la déclaration de récusation ne saura avoir d’effets à l’égard dudit juge. Autrement dit, c’est la notification de la récusation qui oblige véritablement le juge récusé à s’abstenir à poser les actes dans l’affaire dont il est récusé et donc, de surseoir. Une fois notifié, le juge est tenu de faire une déclaration écrite ou verbale, actée par le greffier dans les deux jours de la notification de l’acte de récusation. Cette déclaration est essentiellement constituée des moyens de défense ou de réplique du juge mise en cause qui doit rencontrer les griefs contenus dans la déclaration de récusation tan sur le plan de forme que de fond933. Il n’existe pas de sanction en cas de refus pour ledit juge de faire la déclaration ci-dessus. Cependant, ce refus peut être considéré comme un acquiescement dans son chef et la procédure devra continuer934. Notons aussi que la Loi ne prévoit pas à ce stade de procédure, une possibilité de déport. Le fait pour un juge de se déporter après avoir été notifié de la récusation est assimilable au refus pour lui de faire la déclaration prévue par la Loi, ce qui équivaut à un acquiescement. A la suite de la déclaration du juge ou à l’expiration du délai de deux (2) jours, il est ouvert au greffe de la juridiction, un dossier sous REC (Rôle de récusation) et fixé une date certaine pour permettre à cette juridiction de connaitre de la demande (en récusation) en audience publique. 933 934 A. BETU NZUJI, Op. cit., p. 55. Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002, art. 38 383 b. Déroulement de l’instance Il découle des termes de l’article 51 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, que la juridiction à laquelle appartient le juge mis en cause statue sur la récusation toutes affaires cessantes et dans la forme ordinaire, la partie récusante entendue. Cela veut dire qu’il sera préalablement sursis à l’examen de la cause que connaissait le juge récusé pour statuer d’abord sur la récusation, étant entendu qu’il s’agit d’un incident de procédure. Le siège pour statuer sur la récusation sera ordinairement composé d’autres juges de la même juridiction à l’exception de celui qui est récusé. Ainsi, les seules parties à cette instance sont le récusant comme demandeur, et le juge récusé comme défendeur, avec possibilité pour chacune d’elles de se faire représenter935. L’adversaire du récusant dans l’affaire en surséance n’est pas partie à l’instance de récusation, contrairement à la procédure de renvoi de juridiction où toutes les parties à l’instance en surséance sont également parties en instance de renvoi. Par ailleurs, il convient de noter que dans la pratique, les demandes en récusations n’aboutissent généralement pas devant les juridictions pour plusieurs raisons : D’une part, nombreux sont les demandeurs en récusations qui le font à titre de dilatoire et une fois obtenu la surséance à l’examen de la cause soumise au juge récusé, ne poursuivent plus l’instance ou c’est le greffe qui n’ouvre pas carrément pas le dossier sous REC. D’autre part, certains demandeurs aussi craignent de poursuivre l’instance de peur qu’elle n’aboutisse pas du fait que le juge récusé ne sera jugé que par ses collègues de la même juridiction avec qui il a des liens soit d’amitié soit simplement en termes de collègue. Il s’en suit évidemment que lorsque l’examen de la demande en récusation ne doit être soumis que devant la juridiction à laquelle appartient le juge récusé, le risque de partialité est certainement grand et la crainte du récusant se justifie tout autant. Pour éviter une situation de crise de confiance sur une crise de confiance (récusation dans la récusation), et ainsi garantir tant soit peu l’impartialité, gage indispensable pour une justice équitable, il nous semble logique, à l’instar de Achille BETU NZUZI936, que les demandes en récusation soient portées devant la juridiction immédiatement supérieures, comme en matière de renvoi de juridiction ce, nonobstant le fait qu’une possibilité de voies de recours soit prévue contre les décisions sur récusation. 935 936 A. BETU NZUJI, Op. cit., p.54. A. BETU NZUJI, Op. cit., p. 55. 384 c. Décision et voies de recours Apres l’examen des moyens des parties (récusant et juge récusé), la juridiction peut déclarer la demande soit fondée, soit non fondée, autant qu’il ne peut se limiter que sur la forme, et décréter l’irrecevabilité de la demande. Lorsque la demande est déclarée fondée, il sera ordonné que le juge récusé ne fasse plus partie du siège appelé à connaitre de la cause antérieurement soumise à son examen ce, sans préjudice de l’action disciplinaire contre ledit juge937. Aux termes de l’article 52 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, si le tribunal statuant en premier ressort rejette la récusation, il peut ordonner, pour cause d’urgence, que le siège comprenant le juge ayant fait l’objet de la récusation rejetée poursuive l’instruction de la cause, nonobstant appel.938 La seule voie de recours prévue en matière de récusation est l’appel. Cependant, la Loi ne détermine pas les formes et délais de cet appel. Pensons-nous dès lors qu’au stade actuel, cet appel doit être fait dans les formes et délais ordinaires selon les cas. C’est-à-dire, 30 jours si la récusation a été dirigée contre le juge qui siégeait en matière civile939, 10 jours s’il siégeait en matière pénale940, 8 jours en matière commerciale941, et 30 jours s’il s’agit du juge assesseur942. En guise de lege ferenda, il convient en ordre général ce, pour éviter des tâtonnements, que le législateur fixe clairement les choses en prévoyant un délai certain pour faire appel en matière de récusation. Dans tous les cas, si le jugement rejetant la récusation est maintenu par la juridiction d’appel, celle-ci peut, après avoir appelé le récusant, le condamner à une amende de cinq cent mille francs congolais, sans préjudice des dommages et intérêts envers le juge mis en cause943. En cas d’infirmation du jugement rejetant la récusation, le juge d’appel annule toute la procédure du premier degré qui en est la suite et renvoie les parties devant le même Tribunal pour y être jugées par un autre juge ou devant un Tribunal voisin du même degré, sans préjudice de l’action disciplinaire944. La possibilité des poursuites disciplinaires est prévue à l’article 54 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 938 Voir aussi l’article 39 de la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 939 Article 67 du Décret du 7 mars 1960 portant Code de procédure civile. 940 Article 97 du Décret du 6 aout 1959, portant Code de procédure pénale 941 Article 60 de la Loi n° 002/2001 du 03 juillet 2001 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de commerce. 942 Article 20 de la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail. 943 Article 53 alinéa 1 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 944 Article 54 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 937 385 Cependant, lorsque la récusation est dirigée contre un magistrat siégeant à la Cour de cassation, cette juridiction peut, en cas de rejet de la récusation, prononcer les condamnations aux peines de l’article 53 alinéa 1945. III. De la recusation collective et ses implications en droit judiciaire congolais La question spécifique au cœur de la présente étude porte sur la récusation collective et ses implications en droit judiciaire congolais, tirée des critiques fondamentales liées à l’interprétation de l’Arrêt de principe sous REC 037 rendu par l’ancienne Cour suprême de Justice en date du 11 novembre 2011. En effet, il appert que cet Arrêt est dans la pratique, mal interprété tant par les juges que par les Conseils des parties, si bien qu’une forte confusion est créée autour de son contenu ainsi que de la finalité de la procédure de récusation telle que prévue par la Loi. Ci-dessous, l’étude présente d’abord l’état de la question (1) avant de proposer quelques solutions de droit (2), en guise de contribution à la bonne administration de la justice. 1. Etat de la question Par son Arrêt de principe sous REC 037 du 11 novembre 2011, l’ancienne Cour suprême de justice946 avait jugé que « la récusation des magistrats de la Cour suprême de justice ou de plusieurs d’entre eux dans le but de mettre celle-ci dans l’impossibilité de composer le siège, donc de bloquer son fonctionnement, ne peut être admise ». Dans sa motivation, la Cour a indiqué que : « Par ailleurs, la Cour constate que depuis un certain temps, des plaideurs de mauvaise foi se complaisent de récuser tous les membres de la Cour ou plusieurs d’entre eux dans le but de mettre celle-ci dans l’impossibilité de former le siège. (…). Il convient de souligner que genre de récusation équivaut à une suspicion légitime et ne peut dès lors se concevoir au niveau de la Cour suprême de justice étant donné qu’aucune autre juridiction ne peut être constituée pour traiter de la récusation ou de l’affaire concernée. (…). De ce qui précède et pour remédier à cette situation, la Cour rendre une décision de principe telle que arrêtée en son assemblée mixte du 03 novembre 2011, à savoir que la récusation de tous les magistrats de la Cour 945 946 Article 53 alinéa 2 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 Conformément à la Constitution du 18 février2006, la Cour suprême de justice a été éclatée en trois juridictions : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat. C’est la Cour de cassation qui a remplacé la section judiciaire de la Cour suprême de justice. 386 suprême de justice ou de plusieurs d’entre eux dans le but de mettre celle-ci dans l’impossibilité de composer le siège, donc de bloquer son fonctionnement, ne peut être admise »947. Deux observations majeures découlent de la motivation de la Cour ci-dessus : D’abord, la récusation de tous ses membres ou de plusieurs d’entre eux dans le but de la mettre dans l’impossibilité de former le siège, équivaut à une suspicion légitime. Ensuite, une telle procédure (suspicion légitime) ne peut logiquement pas se concevoir au niveau de la Cour suprême de justice (actuellement Cour de cassation), étant donné qu’aucune autre juridiction ne peut être constituée au-dessus d’elle, pour traiter une telle affaire. Cela est tout à fait logique, étant entendu que la Loi organique ne prévoit pas la possibilité de suspecter la Cour de cassation ni pour cause de suspicion légitime ni pour cause de sûreté publique. Cependant, la pratique devant les autres juridictions judiciaires révèle que la récusation de tous les juges d’une juridiction ou de plusieurs d’entre eux est carrément rejetée sur le banc, généralement sur instructions des chefs de juridictions, qui évoquent pour raison qu’en application de l’Arrêt REC 037, une telle procédure ne peut être admise, étant donné qu’elle mettrait ladite juridiction en impossibilité de composer le siège948. Cette position est malheureusement partagée aussi la Cour de cassation qui, sous RR 5124, a notamment opiné que « Quant au fait que la juridiction suspectée avait passé outre la procédure de récusation à l’audience publique du 1er février 2023, elle (la Cour) note que cette juridiction s’est conformé à l’arrêt REC 037 de la Cour suprême de justice en ce que la récusation collective, ayant pour but de mettre un tribunal dans l’impossibilité de composer le siège, donc de bloquer son fonctionnement, ne peut être prise en considération949». Il s’en suit qu’en jugeant ainsi, la Cour de cassation a d’une part, contredit sur toute la ligne, sa propre jurisprudence à travers laquelle elle avait jugé que : « Est fondée pour absence de probité, la requête en renvoi de juridiction dont le moyen est CSJ. REC 037 du 11 novembre 2011. En cause : L’Entreprise Général MALTA FOREST, EGMF SPRL c/ KITOKO KIMPELE et consort. (Cinquième feuillet). 948 Voir supra : Note 12. En effet, sous RC 6260, le juge du Tribunal de paix Lubumbashi-Katuba, avait rejeté sur le banc, la récusation initiée contre tous les juges de cette juridiction s’appuyant sur l’arrêt REC037. C’est également le cas sous RP 2831/Tribunal de paix de Likasi. 949 Cour de Cass. RR 5124 du 07 juin 2023. En cause : Madame MWEPU MAUWA c/ Monsieur Willy KAFEKE et Tribunal de paix de Likasi 947 387 tiré de la récusation de tous les magistrats composant le siège de la Juridiction suspectée qui est dans l’impossibilité de pouvoir valablement statuer»950. D’autre part, ni elle (la Cour de cassation) ni les autres juridictions qui s’appuient sur l’impossibilité de composer le siège pour rejeter la récusation collective, ne précisent malheureusement pas de quel siège il s’agit dans cette occurrence, entretenant ainsi une forte confusion : S’agit-il du siège appelé à connaitre de la récusation ou de celui qui devra poursuivre l’examen de la cause dont récusation ? Il nous parait, non sans nous tromper, que l’interprétation et/ou l’application dans la pratique prétorienne de l’arrêt REC 037 s’écarte foncièrement tant de la finalité ou de l’essence même de la procédure de récusation telle que prévue par la Loi, que de l’esprit de l’Arrêt lui-même. Ainsi, il convient de trouver, à la lumière de la Loi, la doctrine et la jurisprudence, des solutions de Droit envisageables dans pareille situation. 2. Solutions de Droit La problématique de la récusation collective en droit judiciaire ne manque pas d’arguments susceptibles d’y apporter une solution de Droit. Ces solutions découlent tant de la Loi organique elle-même que de la doctrine et de la jurisprudence. En liminaire, il importe de relever que l’Arrêt sous REC 037 de la Cour suprême de justice ne convient logiquement pas d’être appliqué devant les autres juridictions de l’ordre judiciaire que la Cour de cassation, tant il est non seulement vrai que le contexte de la Cour de cassation en tant que juridiction au sommet de l’ordre judiciaire, diffère fondamentalement de celui des autres juridictions sous son emprise. Mais aussi et surtout, l’Arrêt lui-même est assez clair à ce sujet lorsqu’il indique en ordre utile que toute récusation collective équivaut à une suspicion légitime. Seulement que devant la Cour de cassation, la procédure de renvoi de juridiction n’est pas admise, étant donné qu’aucune autre juridiction ne peut être constituée au-dessus d’elle, pour traiter une telle affaire. Ceci signifie en d’autres termes que la Cour suprême a expressément admis que devant les autres juridictions de l’ordre judiciaire, la récusation collective est d’usage, mais donne plutôt lieu à un renvoi de juridiction pour cause de suspicion 950 CSJ, RR 542/543 du 20 octobre 2006, en cause : Monsieur Claude POLET c/ Monsieur Georges Arthur FORREST. Monsieur Georges Arthur FORREST c/ Monsieur Claude POLET, la Société GECAMINES et l’Entreprise MARLTA FORREST. Voir Contentieux de renvoi de juridiction, Op.cit. p.105. Tenez ! Toutes les décisions rendues par la section judiciaire de la Cour suprême de justice sont après éclatement de celle-ci, intégralement héritées par la Cour de cassation. 388 légitime à soumettre devant la juridiction immédiatement supérieure, conformément aux articles 60 et suivants de la Loi organique. Telle est pratiquement la solution qu’avait par exemple donnée le Tribunal de grande instance de Lubumbashi sous RUA 037 à la suite de la récusation initiée par une partie contre 12 juges sur les 14 que comptait ledit Tribunal. Le Tribunal avait renvoyé l’affaire à une date certaine en vue de permettre à la partie récusante de formaliser la procédure de renvoi de juridiction pour cause de suspicion légitime à la Cour d’appel951. Il serait donc aberrant, comme le note Achille Betu Nzuzi952, à l’instar de certains chefs de juridictions, de vouloir délibérément semer la confusion en étendant le contenu de cet arrêt aux juridictions inferieures, qui ne sont pas visées ni protégées par cet Arrêt de principe. Prétendre le contraire équivaudrait à conférer aux juridictions inferieures le rang de la Cour de cassation, et cela constitue une hérésie. Même s’il faudrait dans la pire des hypothèses, admettre le rejet de la récusation collective, motif pris de l’impossibilité de composer le siège, l’on conviendra néanmoins qu’il s’agit-là encore d’une autre confusion. En effet, le siège impossible à composer dans cette occurrence, doit être celui appelé à statuer sur la récusation, et non point celui auquel est soumis la cause dont récusation, étant donné qu’au regard de l’article 51 de la Loi organique, ce dernier siège est obligé de surseoir à statuer une fois la récusation notifiée au(x) juge(s) concerné(s) ce, aux fins de permettre au juge de récusation de vider sa saisine. A ce sujet, Matadi Nenga Gamanda écrit que « La récusation est une mesure individuelle, contrairement à la suspicion légitime. Elle est dirigée nommément contre un magistrat. (…). A supposer que sur les trois juges qui composent un siège d’appel, un plaideur venait à en récuser deux, la juridiction ne recomposera le siège (de la récusation) qu’avec un nouveau juge. Ainsi, siègera le juge dont la récusation ne fait pas encore l’objet d’un examen. Autrement dit, le juge mis en cause siège pour examiner la récusation de l’autre juge mise en cause. (…)953». Il s’en suit que l’impossibilité de composer le siège devra se constater en instance proprement dite de récusation. Autrement, il devra d’abord être ouvert le dossier REC suivant le nombre de juges récusés pour constater par la suite l’impossibilité ou pas de composer le siège devant connaitre de ces récusations. 951 Voir RUA 037/TGI-LSHI. En cause : Monsieur SAEB EL CHAER c/ monsieur Michel ANASTASSIOU et consort. (Source : Greffe civil TGI-LSHI). 952 A. BETU NZUJI, Op. cit., p.68. 953 MATADI NENGA GAMANDA, Op. cit., p.301 389 L’administration de la justice étant une question de confiance entre les juges et les justiciables, il n’est donc pas admissible pour un juge récusé, c’est-à-dire, dont l’impartialité est mise en cause, de passer outre cette récusation au motif qu’elle mettrait la juridiction à composer le siège. C’est une mauvaise interprétation l’Arrêt sous REC 037 de la Cour suprême de justice, si bien que cette position renforce davantage la crise de confiance entre ce juge et le justiciable et entache à tout point de vue, la décision à intervenir. Note conclusive Au cœur de la présente réflexion, il avait été question de passer en revue les contours de la notions de récusation en Droit judiciaire congolais, avec accès particulier sur la récusation collective, mieux, la récusation de tous les juges d’une juridiction ou de plusieurs d’entre eux a la lumière de la Loi et de l’arrêt de principe sous REC 037 de la Cour suprême de jus du 11 novembre 2011. En effet, l’étude est partie du constat selon lequel dans la pratique judiciaire congolaise, la procédure de récusation, à l’instar d’autres mécanismes tels le déport, le renvoi de juridiction et le déchargement, est devenue de plus en plus usitée par les justiciables qui recourent à ce mécanisme pour faire écarter un juge de la connaissance de leur cause sur base des raisons (sérieuses) qui touchent à son indépendance et/ou à son impartialité, autant que d’autres y recourent uniquement dans le dessein de bloquer ou de retarder la procédure. D’autres encore, récusent plus d’un juge ou carrément tous les juges d’une juridiction, même ceux qui ne font pas partie de la composition appelée à juger sa cause. La récusation apparait donc comme un rempart auquel les justiciables recourent pour combattre certaines pratiques susceptibles à ne pas garantir une justice juste et équitable Cependant, quant à la question particulière de la récusation collective, la Cour suprême de justice a sous REC 037 a jugé que genre de récusation équivaut à une suspicion légitime et ne peut dès lors se concevoir au niveau de la Cour suprême de justice étant donné qu’aucune autre juridiction ne peut être constituée pour traiter de la récusation ou de l’affaire concernée. (…). De ce qui précède et pour remédier à cette situation, la Cour rendra une décision de principe telle que arrêtée en son assemblée mixte du 03 novembre 2011, à savoir que la récusation de tous les magistrats de la Cour suprême de justice ou de plusieurs d’entre eux dans le but de mettre celle-ci dans l’impossibilité de composer le siège, donc de bloquer son fonctionnement, ne peut être admise. Contrairement à la position assez partagée par différents juristes qui, s’appuyant à tort sur ledit arrêt de principe, pensent malencontreusement qu’une récusation collective qui met la juridiction dans l’impossibilité de composer le siège n’est pas admise, le lecteur retiendra qu’aux termes du même arrêt de principe, une telle récusation donne plutôt lieu à un renvoi de juridiction pour cause de suspicion 390 légitime. Dans ce cas, la juridiction devra renvoyer l’affaire à date certaine pour, soit saisir le Ministère public, soit permettre à la partie récusante de solliciter devant la juridiction immédiatement supérieure, le renvoi pour cause de suspicion légitime conformément aux articles 60 et suivants de la Loi organique. Par principe, l’arrêt de principe n’a donc pas interdit la récusation collective des juges des juridictions inferieures. C’est seulement devant la Cour de cassation qu’elle n’est logiquement pas admise, étant donné qu’aucune autre juridiction ne peut être constituée au-dessus d’elle, pour connaitre du renvoi de juridiction. * * * 391 JURISPRUDENCES 393 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LUBUMBASHI RP 15786/FL DU 05 JUIN 2023 Ministère Public Contre NKULU KAMUNGA Matthieu, TSHIKALA NGOY Jeff et KYUNGU NTAMBWE François DROIT PENAL – DROIT PENAL SPECIAL- ADMINISTRATION DE PREUVE Rébellion – destruction méchante - coups et blessures volontaires – absences des preuves à charge des prévenus – condamnation basée sur des présomptions – contradiction entre la motivation et le dispositif. 1. Il est de principe que la responsabilité pénale est individuelle. Nul ne peut donc être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné pour fait d’autrui ; 2. Le droit pénal consacre le principe de la présomption d’innocence et non celui de la présomption de culpabilité, de telle manière qu’aucune condamnation ne peut sérieusement reposée sur des présomptions factuelles ; 3. A l’absence des preuves matérielles des infractions mises à charge des prévenus, l’acquittement s’impose comme décision juste et équitable ; 4. La motivation de toute décision de justice est une exigence constitutionnelle pour permettre au justiciable de vérifier le raisonnement cohérent du juge, afin d’éviter tout risque d’arbitraire, à défaut de quoi, la décision doit être annulée. JUGEMENT Attendu que par sa lettre n°1861 RMPFL 30957/PR025/1/KOL, le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi, a déféré devant le Tribunal de céans, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeef, en procédure de flagrance, pour les infractions d’association des malfaiteurs, rébellion, destruction méchante et coups et blessures volontaires simples, respectivement prévues et punies par les articles 156 et 158 ; 133 et 135 ; 112-110 ; 43 et 46 al.1 du code pénal livre II ; et les articles 21 et 23 du code pénal livre I ; Attendu qu’à l’audience publique du 05/06/2023 à laquelle la cause avait été instruite, plaidée et prise en délibéré, les prévenus ont comparu en personne assistés de leurs Conseils Maîtres TSHISWAKA Hubert, KITENGE MOGISHO, NGOY KAKALA Magloire, Blanchard TEMBWE, KALUKANDA Hubert, Joseph MWEMA, KASONGO King et Sage MULUME, tous Avocats au Barreau du HautKatanga ; Attendu que le Tribunal s’est déclaré saisi sur conduite immédiate des prévenus à la barre ; 395 Que la procédure suivie est régulière ; Attendu que s’agissant des faits de la présente cause, il ressort de l’instruction à l’audience et des pièces du dossier qu’il est reproché aux prévenus prequalifiés d’avoir en date du 1er juin 2023 en leur qualité des membres du regroupement politique « ensemble pour la République » interpelés un infiltré dépêché au siège dudit regroupement par le ministre provincial de l’intérieur de la Province du HautKatanga et ses services pour transmettre à ces derniers à temps utile les résolutions qui devaient être adoptées lors de la réunion du jeudi 01/06/2023 par le regroupement politique précité ; Qu’informé de l’interpellation de leur espion, le ministre provincial de l’intérieur du Haut-Katanga a ordonné à ses services de se rendre au siège du regroupement politique « ensemble pour la République », pour le récupérer, et ce, en faisant usage du gaz lacrymogène, dispersant ainsi les membres qui se trouvaient sur le lieu de la réunion ; Que lors de cet incident, il a été constaté par le même ministre provincial de l’intérieur que des véhicules avaient été détruit par le jet des pierres attribué au mouvement de masse par ce dernier ainsi que de cas des blesses ; Attendu que dans leurs dépositions, les renseignants ont tous relevé que l’incident était l’œuvre d’un mouvement de masse et qu’il était difficile d’identifier les auteurs de la destruction des véhicules ou ceux qui avaient administré des coups à l’informateur du ministre provincial de l’intérieur et qu’il leur est difficile de démontrer avec certitude le rôle joué dans le mouvement de masse par ceux qui ont été appréhendés ; Attendu qu’interrogé quant aux faits, les prévenus précités, ont soutenu qu’ils avaient été appréhendés devant le siège de leur regroupement politique avant tout incident et qu’étant au cachot, on leur fera savoir par le Ministre Provincial de l’intérieur qu’ils étaient auteurs de troubles et de différentes casses et ont conclu en clamant leur innocence et en sollicitant leur acquittement pur et simple et cette allégation a été confirmé par le renseignant SHANDI KALENGA Moise, Commissaire Adjoint de la police ; Qu’au demeurant, la descente ordonné par le Tribunal dans l’enceinte du Ministère Provincial de l’intérieur en vue de constater les véhicules « objets de destruction », n’a pas eu lieu au motif que le responsable du susdit Ministère ainsi que le Ministère Public ne seraient pas à mesure d’assurer la sécurité tant du Tribunal que de détenus, en cas de soulèvement des militants du Parti Politique Ensemble pour la République, par solidarité avec leurs camarades actuellement prévenus ; Attendu que le Ministère Public dans ses réquisitions a sollicité du Tribunal de dire établie en fait comme en droit l’infraction d’association des malfaiteurs mises à charge des prévenus et de les condamner chacun à la peine capitale ; de dire établie en fait comme en l’infraction de rébellion mise à charge des prévenus et de les 396 condamner à 6 mois de servitude pénale principale chacun ; de dire établie en fait comme en l’infraction de destruction méchante mise à charge des prévenus et les condamner à 5 ans de servitude pénale principale chacun ; de dire établie en fait comme en droit l’infraction de coups et blessures simples mise à charge des prévenus et les condamner à 6 mois de servitude pénale principale ; frais comme de droit ; dit que ces infractions viennent en concours idéal et condamner les prévenus à la peine capitale ; Attendu que le Tribunal pour sa part, relève que les articles 156 et 158 du code pénal livre II disposent : « Toute association formée dans le but d’attenter aux personnes ou aux propriétés est une infraction qui existe par le seul fait de l’organisation de la bande. Tous autres individus faisant partie de l’association et ceux qui auront sciemment et volontairement fourni à la bande des armes, munitions, instruments d’infraction, seront également punis de mort » ; Qu’il découle de ces dispositions que pour être établie, l’infraction d’association de malfaiteurs requiert la réunion des éléments suivants : les caractères de l’association de malfaiteurs, les objectifs de l’association de malfaiteurs et enfin l’élément moral ; Que s’agissant des éléments matériels, il faut premièrement être membre et deuxièment, l’association doit avoir une certaine permanence dangereuse, en raison de la menace durable qu’elle fait peser sur la société. L’association doit être organisée ; il doit exister entre les membres une entente préalable (MINEUR, Commentaire du code pénal congolais, 2e éd., p.326) ; Que dans le cas sous examen les faits reprochés aux prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ne tombent pas dans l’hypothèse d’une association des malfaiteurs mais plutôt dans celle regroupement politique régulièrement constitué ; Qu’il a été jugé à ces propos que : « pour que soit reconnue l’association des malfaiteurs, il est nécessaire que l’entente soit réalisée en vue de la commission de plusieurs infractions, et non d’une infraction isolée. Sinon tout fait de complexité en matière de crime constituerait un cas d’association de malfaiteurs », (cfr Cass.Fr Crim., 13 Janvier Dalloz, 1955, P.291 ; Trib Milit. Kin/Gombe RP. 210/2006, 16 Juin 2006, Affaire Kutino, cité par BONY CIZUNGU, les Infractions de A à Z, Ed. Laurent Nyangezi, 2011, pp.86-87) ; Que fort de ce qui précède, le Tribunal dira que les éléments matériels ne sont pas réalisés ; Que s’agissant de l’élément moral, il faut que l’auteur ait agit en connaissance de cause, qu’il ait su qu’il entrait dans une bande des malfaiteurs ou qu’il fournissait (ne serait-ce qu’une seule fois) des instruments destinés à la commission d’une infraction par une association de malfaiteurs (LESUEUR, Op.cit., p.116) ; 397 Que dans le cas sous examen, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff n’ont pas agi dans une bande des malfaiteurs ; Qu’il a été jugé que l’élément moral de l’infraction d’association de malfaiteur réside dans la volonté non équivoque de former une association dont le but est d’attenter aux personnes et aux propriétés (HCMRP001/2004 du 5 octobre 2004, Op.cit., in LUKOO MUSUBAO, Jurisprudence en Droit Pénal, p.38) ; Que ceci implique au préalable la formation d’une association des malfaiteurs et en l’absence de ladite association, l’élément moral ferait défaut, que partant le tribunal dira que l’élément moral n’est pas réalisé dans le chef des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; Attendu que de tout ce qui précède les éléments constitutifs de cette infraction ne sont pas réunis dans le chef des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; Qu’en conséquence, le Tribunal dira non établie en fait comme en droit l’infraction d’association de malfaiteurs mise à charge des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; les acquittera en les renvoyant libre de toutes poursuites judiciaires sans frais ; Attendu que s’agissant de l’infraction de rébellion, le Tribunal relève que l’article 133 et 135 du code pénal livre II disposent que : « Est qualifiée rébellion toute attaque, toute résistance avec violences ou menaces envers les dépositaires ou agents de l’autorité ou de la force publique, agissant pour l’exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l’autorité publique, jugement ou autres actes exécutoires. Si la rébellion a été commise par plusieurs personnes et par suite d’un concert préalable, la servitude pénale peut être portée à cinq ans et l’amende est de deux cents à mille francs » ; Que les articles 21 et 23 du code pénal livre 1er disposent que : « Sont considérés comme auteurs d’une infraction : ceux qui l’auront exécutée ou qui auront coopéré directement à son exécution…Sauf disposition particulière établissant d’autres peines, les coauteurs et les complices seront punis comme suit : les coauteurs, de la peine établie par la loi à l’égard des auteurs… » ; Attendu que pour sa cristallisation l’infraction de rébellion exige la réunion des éléments suivants : la résistance violente, la qualité de la victime et l’intention coupable ; Que s’agissant de la résistance violente, la rébellion postule un acte de résistance actif et violent. L’emploi des moyens violents, des actes de violences ou de menaces. Par exemple, assener un coup violent. La rébellion traduit une opposition violente à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service 398 public agissant, dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou mandats publics (BONY CIZUNGU M. NYANGEZI, Les infractions de A-Z, p.648) ; Que dans le cas sous examen, la preuve d’actes de violences qu’auraient posés les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à l’égard des agents de l’ordre public n’a pas été apportée par le Ministère Public ; en effet, lesdits prévenus ayant nié les faits mis à leur charge, depuis la police jusque devant le Tribunal de céans, aucune autre preuve n’a été apportée hormis les présomptions tirées du fait que les prévenus susdits sont membres du parti politique ensemble pour la République qui a fait l’objet d’une incursion dans leur siège par un informateur du Ministère Provincial de l’intérieur au moment de leur réunion habituelle, et les prévenus susdits font partir des membres du parti précité qui ont résistés activement aux policiers ; Que ce premier élément constitutif de l’infraction de rébellion pourra être retenu dans le chef des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à première vue, cependant, partant des présomptions développées supra, cet élément est réalisé ; Attendu que s’agissant de la qualité de la victime, les actes de violence doivent être dirigés contre les dépositaires ou agents de l’autorité ou de la force publique (Huissier, policier, agent de police judiciaire, greffier, etc.) (BONY CIZUNGU M. NYANGEZI, Les infractions de A-Z, p.649) ; Que dans le cas sous examen, le Ministère Public n’ayant pas de manière absolue démontrer que les actes de violence dans le chef des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff, ni les enseignants, victimes desdits faits, n’ont pas chargé les précités, par contre, ils accusent les membres de l’Ensemble pour la République en général ; Attendu qu’en outre, le Ministère Public et les victimes n’ont pas précisé au Tribunal de céans la nature de l’ordre qui a été donnée aux prévenus requalifiés, qui n’ont pas fait l’objet d’exécution, mais le fait par les prévenus susdits de faire partir au groupe des gens qui ont résistés aux policiers constitue un acte de violence ; Que par présomption du fait qu’ils étaient au lieu de trouble, cet élément est établi dans leur chef ; Attendu que s’agissant du second élément constitutif de l’infraction de rébellion en ce que la victime soit un agent public, le Tribunal relève que la victime doit être un agent qui agit pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou des mandats de justice (BONY CIZUNGU M. NYANGEZI, Les infractions de A-Z, p.649) ; Que dans le cas sous examen, cet élément pourra être retenu dans le chef des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et 399 TSHIKALA NGOY Jeff du fait que les victimes sont agents de l’ordre malgré que deux seulement ont été identifiés devant le Tribunal de céans comme victime des violences, mais ils n’ont pas chargé les précités comme auteurs de violences, à l’exception de l’informateur privé appelé champion qui n’est pas agent de l’ordre, ni agent du service du Ministère Provincial de l’intérieur ; Que s’agissant de l’intention coupable, le prévenu agit avec intention coupable, en sachant que par ses violences, il s’oppose à l’exécution des lois. Il suffit que l’auteur des violences ait su qu’il risquait de mettre obstacle à l’exécution de l’ordre de l’autorité (BONY CIZUNGU M. NYANGEZI, Les infractions de A-Z, p.649) ; Que dans le cas sous examen, les actes de violences qu’auraient commis les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff sont constitutifs de l’infraction de rébellion sera retenu dans le chef des prévenus précités ; Attendu que ces faits, le Tribunal les condamnera à 5 ans de servitude pénale chacun ; Attendu que s’agissant de l’infraction de destruction méchante, le Tribunal note que les articles 111 et 112 combinés, disposent que : « sera puni d’une servitude pénale d’un mois à un an et d’une amende de vingt-cinq à cinq cent francs quiconque aura détruit, abattu, (…) « seront punis des peines portées à l’article précèdent ceux qui, dans des endroits clôturés ou non-clôturés, auront méchamment détruit ou dégradés des arbres, des récoltes, des instruments d’agriculture ou d’autres biens, meubles ou immeubles appartenant à autrui » ; Que la cristallisation de cette infraction exige la réunion de l’élément matériel consistant à l’existence du bien mobilier endommagé et l’élément moral qui consiste à la volonté consciente de l’agent de détruire le bien mobilier ; Que dans le cas d’espèce, il est certes vrai qu’il a été produit au dossier un document intitulé « bilan dégâts orchestrés par les combattants du parti politique ensemble pour la République en date du jeudi 01 Juin 2023 » constatant la destruction de deux rétroviseurs avant et une issue de secours coté chauffeur d’une Jeep HARRIER GRISE N°1174 AL/05, appartenant au commissaire adjoint SHANDI KALENGA Moïse, commandant second, détachement MININTER, de deux issues de secours côté passager d’un mini-bus TOYOTA HIACE BLANCHE sans plaque en stationnement dans l’enceinte du Ministère Provincial de l’Intérieur appartenant à un inconnu ; cependant ledit document ayant constaté ces cas de destruction, ne les a mis à charge d’aucun des prévenus précités ; bien plus, le renseignant SHANDI KALENGA Moïse, propriétaire de la Jeep HARRIER GRISE N°1174 AL/05 lors de sa déposition a déchargé tous les prévenus en arguant que le jet de projectiles qui ont endommagé les véhicules précités, provenait du mouvement de masse des membres du parti Ensemble pour la République à la suite de l’arrestation des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; 400 Attendu qu’invité à éclairer le Tribunal pour tous les faits vécus par lui et qui ont donné lieu à l’ouverture de la présente procédure de flagrance déclenchée contre les prévenus précités, le Ministre Provincial de l’intérieur n’a pas comparu, faute de citation à témoin, et la descente qui a été ordonné par le Tribunal de céans pour éclairer sa religion quant aux faits de destruction susdites, n’a pas pu avoir lieu faute par le Ministère Public, ainsi que le Ministère Provincial de l’intérieur de n’avoir pas pourvu à la sécurité tant des détenus, des témoins, des avocats ainsi que des membres de la composition, ce qui a encore rendu difficile la cristallisation de ladite prévention, par rapport à son élément matériel ; Qu’il en ressort qu’ayant déjà été arrêté, les trois prévenus précités, ne pouvaient donc pas être auteurs des projectiles ainsi que des destructions intervenues postérieurement à leurs arrestations ; Que partant du fait ces prévenus figurent parmi les manifestants du parti politique Ensemble pour la République qui auraient maitrisé l’agent KAMUNGA MBAYABU, infiltré par eux, ceci pourrait donner à croire qu’ils ont été élément déclencheur de ces jets des pierres ; Que s’agissant de l’élément moral qui consiste en la volonté consciente de l’agent de détruire le bien mobilier appartenant à autrui, le Tribunal note qu’en jetant les projectiles vers l’enceinte abritant le Ministère Provincial de l’Intérieur, les manifestants le faisaient avec l’intention de causer des dommages en espérant obtenir par ce moyen la libération de leurs camarades, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; Que partant, cet élément moral est établi à charge des prévenus précités, et le Tribunal les condamnera à 12 mois de servitude pénale principale chacun ; Attendu que s’agissant de l’infraction de coups et blessures simples, l’article 46 al.1er disposent que : « Quiconque a volontairement fait des blessures ou porté des coups est puni d’une servitude pénale de huit jours à six mois et d’une amende de vingtcinq à deux cent Francs Congolais ou d’une de ces peines seulement » ; Que ressort de la disposition précitée que pour la réalisation de cette infraction il sied de fixer l’élément matériel consistant à un acte positif et matériel ; Que la doctrine enseigne que doivent être considérés comme des coups le fait de donner une gifle, un coup de poing, un coup de pied, un coup de bâton, le fait de saisir un individu, de le mordre et de projeter contre un mur, un arbre, une table ; le fait de heurter quelqu’un pour le faire tomber ; le fait d’administrer une peine corporelle, prévue par un règlement (BONY CIZUNGU M. NYANGEZI, Op.cit., pp.215-216) ; Que dans le cas d’espèce, seul le prévenu NKULU KAMONGA Mathieu a été reconnu par la victime KAMUNGA MBAYABU informateur privé du Ministère Provincial de l’intérieur comme étant la personne qui lui a administré des coups au 401 motif qu’il était un infiltré dans la réunion du parti politique Ensemble pour la République et au service du Ministère Provincial de l’intérieur ; bien plus, le renseignant SHANDI KALENGA Moïse a soutenu que c’est grâce à l’intervention des éléments de la police que la victime précitée a été arraché des mains du prévenu NKULU KAMONGA Mathieu qui l’avait maitrisée en sa qualité d’agent commis à la sécurité au sein du parti, et celui qui l’avait chargé de cette mission ; Que s’agissant des prévenus KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff, ces derniers ont été déchargés par la victime qui a soutenu avoir été maitrisé et battu à coup de fouets par le prévenu NKULU KAMONGA Mathieu et des personnes autres que les prévenus KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; Attendu que partant de ce qui précède, l’élément matériel des coups et blessures volontaires simples, est réalisé à charge des prévenus susdits ; Attendu que s’agissant de l’élément moral qui consiste dans l’intention de commettre l’acte volontairement et la volonté d’obtenir un résultat préjudiciable à la victime, le Tribunal note que celui-ci est réalisé dans la mesure où, en administrant les coups de fouets à la victime KAMUNGA MBAYABU, les prévenus avaient bel et bien l’intention d’infliger un mal physique ou de causer des blessures à la victime précitée ; Qu’il s’en suit que cet élément est réalisé dans le chef des prévenus susnommés ; Qu’ainsi le Tribunal les condamnera de ce chef à trois mois de servitude pénale principale chacun ; Attendu que statuant d’office quant aux dommages et intérêts, le Tribunal condamnera IN SOLIDUM les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff au paiement d’une somme équivalent en Francs Congolais de 2.000.000 de Francs Congolais, estimée juste et équitable au profit de la victime KAMUNGA MBAYABU et SHANDI KALENGA Moïse à titre de réparation de tous les préjudices subis ; Attendu le Tribunal condamnera les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff au paiement des frais d’instance à raison de ¼ et délaissera le ¼ à charge du Trésor Public ; PAR CES MOTIFS Le Tribunal, Statuant publiquement et contradictoirement, en matière de flagrance à la prison centrale de la Kasapa, à l’égard des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, NKYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; Vu la Loi organique N°13/011-B du 11 Avril 2013 portant organisation et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire ; 402 Vu l’Ordonnance-Loi n°78/001 du 24/02/1978 relative à la répression des infractions flagrantes ; Vu le Code de Procédure Pénale ; Vu le Code pénal livre I en ses articles 21 et 23 ; Vu le Code Pénal Livre II en ses articles 43 et 46 al.1 ; 112-110 ; 133 et 135, 156 et 158 ; Le Ministère Public entendu en ses réquisitions ; Dit non établie en fait comme en droit l’infraction d’association de malfaiteurs mise à charge des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; En conséquence, Acquitte, de ce chef, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff et les renvoie libres de toutes poursuites judiciaires ; Dit établie en fait comme en droit l’infraction de rébellion mise à charge des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; En conséquence, Condamne de ce chef, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à 5 ans de Servitude pénale principale chacun ; Dit établie en fait comme en droit l’infraction de coups et blessures volontaires simples mise à charge des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; En conséquence, Condamne de ce chef, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à 3 ans de Servitude pénale principale chacun ; Dit établie en fait comme en droit l’infraction de destruction méchante mise à charge des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; En conséquence, Condamne de ce chef, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à 12 ans de Servitude pénale principale chacun ; 403 Dit que ces infractions viennent en concours idéal et faisant application du principe de la plus haute expression pénale ; Condamne les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à 5 ans de servitude pénale principale chacun ; Condamne d’office les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff au paiement de 2.000.000 de Francs Congolais au profit de la victime KAMUNGA MBAYABU et SHANDI KALENGA Moïse à titre des dommages et intérêts IN SOLIDUM, à raison de 1.000.000 Francs Congolais chacun ; Ordonne l’arrestation immédiate des précités ; Condamne les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff au paiement des frais de justice à raison de 1/4 chacun et délaisse 1/4 au trésor public. Ainsi jugé et prononcé par le Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi siégeant en matière répressive, en flagrance, au premier degré à son audience publique du 05/06/2023 à laquelle ont siégé les Magistrats KALONGO KANYONGA, Président de chambre, NDUME RUGADJO et KAHILU MUTUNDA, Juges ; avec le concours de KOY LIMBOMBE, officier du Ministère Public et l’assistance de Annie NGALULA, Greffier du siège. Note d’observation La motivation erronée de la décision judiciaire constitue un moyen d’information ou de cassation Par : Guylain Kasongo Kawaya, Avocat près la Cour d’Appel du Haut-Katanga, Et Hubert Kalukanda Mashata, Doctorant en droit, Université de Lubumbashi Avocat près la Cour d’Appel du Haut-Katanga et Conseil à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. De la lecture de la décision annotée, il ressort clairement que le juge a non seulement violé intentionnellement les dispositions pertinentes de la Constitution de la République démocratique du Congo, spécialement en ses articles 17, 19 et 21, mais a aussi fait une lecture erronée des éléments constitutifs des infractions par lui retenues. En effet, il convient de faire une démonstration juridique de cette erreur de droit à la lumière des dispositions des articles 17, 19 et 21 de la Constitution de la République Démocratique du Congo (RDC), comme suit : 404 1. Violation intentionnelle de l’article 17 alinéa 8 de la Constitution En droit congolais, la responsabilité pénale n’est possible qu’à l’encontre de celui ou de ceux qui ont personnellement commis l’infraction et qu’à partir de cet élément, il y a lieu d’établir le lien de causalité entre la personne poursuivie et les faits lui reprochés ; En effet, l’article 17 alinéa 8 de la Constitution est sans équivoque à ce sujet lorsqu’il dispose que : « (…) la responsabilité pénale est individuelle. Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné pour fait d’autrui. (…) » ; Cependant, force est de relever qu’au regard des éléments de la décision annotée, le juge a gravement violé l’article 17 sus-évoqué en ce qu’il a condamné les prévenus pour des faits prétendument commis dans un mouvement de masse attribué aux membres du parti politique « Ensemble pour la République » en date du 1er juin 2023 ; En substance, le juge indique expressément dans sa décision que : « (…) Attendu que dans leurs dépositions, les renseignants ont tous relevé que l’incident était l’œuvre du mouvement de masse et qu’il était difficile d’identifier les auteurs de la destruction des véhicules ou ceux qui avaient administré des coups à l’informateur du ministère provincial de l’intérieur et qu’il est difficile de démontrer avec certitude le rôle joué dans le mouvement de masse par ceux qui ont été appréhendés » ; « Attendu qu’interrogés quant aux faits, les prévenus précités ont soutenu qu’ils avaient été appréhendés devant le siège de leur regroupement politique avant tout incident et qu’étant au cachot, on leur fera savoir par le Ministre Provincial de l’Intérieur qu’ils étaient auteurs de troubles et différentes casses et ont conclu en clamant leur innocence et en sollicitant leur acquittement pur et simple et cette allégation a été confirmé par le renseignant SHADI KALENGA Moise, Commissaire Adjoint de la police » ; « (…) aucune autre preuve n’a été apportée hormis les présomptions tirées du fait que les prévenus susdits sont membres du parti politique ensemble pour la république qui a fait l’objet d’une incursion dans leur siège par un informateur du Ministère Provincial de l’Intérieur au moment de leur réunion habituelle, les prévenus susdits font partir des membres du parti politique précité qui ont résisté activement aux policiers (…) » ; 405 « attendu qu’en outre, le Ministère Public et les victimes n’ont pas précisé au Tribunal de céans la nature de l’ordre qui a été donné aux prévenus pré qualifiés, qui ont fait l’objet d’exécution, mais le fait par les prévenus susdits de faire partir au groupe des gens qui ont résisté aux policiers constitue un acte de violence » ; « (…) bien plus, le renseignant SHADI KALENGA Moise a déchargé tous les prévenus en arguant que le jet de projectiles qui ont endommagé les véhicules précités, provenait du mouvement de masse des membres du parti politique Ensemble pour la république à la suite de l’arrestation des prévenus NKULU KAMUNGA Matthieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff » (…). Il s’en suit qu’au regard des évidences sus-évoquées, aucune logique ne peut expliquer que contrairement aux prescrits de l’article 17 de la Constitution, une ou plusieurs personnes répondent pénalement et soient condamnées pour des faits qui ont été commis par d’autres personnes, et dans le cas d’espèce, par un groupe de gens qui seraient membres du parti politique Ensemble pour la République, comme l’indique si bien le juge ; Considérant le principe général de droit pénal selon lequel « la responsabilité pénale est individuelle », les prévenus précités ne pouvaient donc pas être tenus responsables des faits que le juge a expressément reconnu avoir été commis dans un mouvement de masse, tant il est vrai qu’aucun des prévenus ne s’appelle « Mouvement de masse ». 2. Violation intentionnelle de l’article 19 alinéa 3 de la Constitution L’article 19 de la Constitution consacre un ensemble des principes de base qui concourent à l’administration d’une justice voulue juste et équitable, lorsqu’il dispose notamment que «(…) Le droit de la défense est organisé et garanti. (…) ». Définissant l’expression « droit de la défense », la doctrine indique qu’il s’agit de l’ensemble des garanties qui permettent à un individu mis en cause ou mis en examen, prévenu ou accusé, d’assurer efficacement sa défense dans l’instruction ou le procès qui le concerne et qui est sanctionné, sous certaines conditions, par la nullité de la procédure. Autrement dit, les droits de la défense sont un ensemble très vaste de prérogatives accordées à une personne en procès pour lui permettre d’assurer la sauvegarde de ses intérêts face à son adversaire954. Consacré par les instruments internationaux des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel et le Code de 954 Gilbert KABASELE LUSONSO, « Les droits de la défense et le principe du contradictoire, garanties procédurales fondamentales. Principes, pratiques, et applications jurisprudentielles en droit congolais », In Les Analyses Juridiques, N°36, Lubumbashi, 2016, p.14. 406 procédure pénale français, il se ramène, pour l’essentiel, au droit à l’assistance d’un avocat, aux principes de la contradiction et de l’égalité des armes, à l’exercice de voies de recours955. Dans le cas d’espèce, la violation de l’article 19 alinéa 3 de la Constitution procède de ce que le juge a reconnu les prévenus coupables de destruction méchante, des coups et blessures volontaires et de rébellion sans qu’à la base de cette condamnation, le corpus deliti, ou mieux, les preuves matérielles de ces infractions ne lui soient présentées et contradictoirement opposées aux prévenus. En réalité, ni l’objet prétendument détruit, ni la personne supposée victime des coups et blessures ni moins la nature de l’ordre auquel les prévenus se seraient rebellés n’avaient jamais été présentés au juge afin d’être opposés aux prévenus et ce, pour le respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes, universellement admis comme droit de la défense. Il en découle que le fait pour le juge de condamner les prévenus pour des faits dont les éléments de preuve ne lui ont jamais été présentés, constitue irréversiblement une violation du droit de la défense prévu à l’article 19 alinéa 3 de la Constitution en ce que le principe du contradictoire et de l’égalité des armes n’avait pas été respecté. 3. Violation intentionnelle de l’article 21 alinéa 1er de la Constitution En droit procédural congolais, la motivation des décisions de justice occupe une place de choix en ce qu’elle renferme l’ensemble des raisons de fait et de droit sur lesquelles tout juge doit se fonder et justifier de la légalité de la décision qu’il prononce. Dans le même contexte, l’exigence de motiver toute décision de justice procède de ce que la motivation permet au justiciable de vérifier la cohérence dans le raisonnement du juge afin d’éviter tout risque d’arbitraire, à défaut, cette décision doit être annulée. A cet effet, l’article 21 alinéa 1er de la Constitution est sans équivoque lorsqu’il dispose clairement que « Tout jugement est écrit et motivé. Il est prononcé en audience publique ». 955 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT, Lexique des termes juridiques, 25e édition, Paris, Dalloz, 2018, p.831. 407 Bien plus, il a été jugé que « l’obligation de motiver les jugements est une garantie essentielle contre l’arbitraire et s’impose comme preuve que le magistrat a examiné soigneusement les moyens qui lui étaient soumis et médité sa décision »956. En l’espèce, la motivation ou le raisonnement du juge est suffisamment à problème et partant, imprime le caractère arbitraire sur sa décision, lorsque le juge reconnaît d’une part, le défaut des preuves à charges des prévenus. Mais se base d’autre part, sur des suppositions et des présomptions pour essayer d’asseoir avec beaucoup de tâtonnements les éléments constitutifs des infractions à charge des prévenus. En effet, analysant l’infraction de rébellion mise à charge des prévenus, le juge reconnaît et indique d’une part que : « dans le cas d’espèce, la preuve d’actes de violences qu’auraient posés les prévenus NKULU KAMUNGA Matthieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à l’égard des agents de l’ordre public n’a pas été apportée par le Ministère public, en effet lesdits prévenus ayant nié les faits mis à leur charge depuis la police jusque devant le Tribunal de céans, aucune autre preuve n’a été apportée hormis les présomptions tirées du fait que les prévenus susdits sont membres du parti politique Ensemble pour la République qui a fait l’objet d’incursion dans leur siège par un informateur du Ministère Provincial de l’intérieur au moment de leur réunion habituelle, et les prévenus susdits font partir des membres du parti précité qui ont résisté activement aux policiers ». Contre toute attente, il va d’autre part conclure que : « Que ce premier élément constitutif de l’infraction de rébellion pourra (tâtonnement) être retenu dans le chef des prévenus NKULU KAMUNGA Matthieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à première vue, cependant, partant des présomptions développées supra, cet élément est réalisé ». Et de poursuivre : « (…) Le Ministère Public n’ayant pas de manière absolue démontré que les actes de violence dans le chef des prévenus NKULU KAMUNGA Matthieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff, ni les renseignants, victimes desdits faits, n’ont pas chargé les précités, par contre, ils accusent les membres de l’Ensemble pour la République en général ». 956 Cass.B., 12 mai 1932, p., 1932, I, 166. Voy. Cass.B., 21 sept. 1933, p., 1933, I, 311, citée par Ruffin LUKOO, La jurisprudence congolaise en droit pénal, Vol. I, Kinshasa, édition on s’en sortira, 2006, p.185. 408 « attendu qu’en outre, le Ministère Public et les victimes n’ont pas précisé au Tribunal de céans la nature de l’ordre qui a été donné aux prévenus pré qualifiés, qui ont fait l’objet d’exécution, mais le fait par les prévenus susdits de faire partir au groupe des gens qui ont résisté aux policiers constitue un acte de violence ». Curieusement, il va encore conclure en soutenant que « par présomption du fait qu’ils étaient au lieu de trouble, cet élément est établi dans leur chef ». Par ailleurs, analysant l’infraction de destruction méchante mise à charge des prévenus, le juge indique et reconnaît clairement que : « (…) bien plus, le renseignant SHADI KALENGA Moise a déchargé tous les prévenus en arguant que le jet de projectiles qui ont endommagé les véhicules précités, provenait du mouvement de masse des membres du parti politique Ensemble pour la république à la suite de l’arrestation des prévenus NKULU KAMUNGA Matthieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ». « Qu’il ressort qu’ayant déjà été arrêté, les trois prévenus précités ne pouvaient donc pas être auteurs des projectiles ainsi que des destructions intervenues postérieurement à leurs arrestations ». Soudainement, le juge va soutenir dans sa conclusion que : « Partant du fait que ces prévenus figurent parmi les manifestants du parti Ensemble pour la République qui auraient maitrisé l’agent KAMUNGA MBAYABU, infiltré par eux, ceci pourrait donner à croire qu’ils ont été élément déclencheur de ces jets des pierres ». De la même manière, analysant l’infraction des coups et blessures volontaires, le juge affirme que : « Que s’agissant des prévenus KYUNGU NTAMBWE et TSHIKALA NGOY, ces derniers ont été déchargés par la victime qui a soutenu avoir été maitrisé et battu à coup de fouets par le prévenu NKULU KAMUNGA Matthieu et des personnes autres que les prévenus KYUNGU NTAMBWE et TSHIKALA NGOY ». Curieusement, dans sa conclusion, le juge soutient que : « Attendu que partant de ce qui précède, l’élément matériel des coups et blessures volontaires simples est réalisé à charge des prévenus susdits ». Et plus généralement, le juge emploie le conditionnel (qu’auraient commis …, pourra être retenu, …) pour justifier l’existence des éléments constitutifs des infractions mises à charge des prévenus, ou carrément, il se fonde sur des 409 présomptions de leur appartenance au parti politique Ensemble pour la République pour les condamner, comme si le fait d’appartenir audit parti politique est en soi un élément constitutif de toutes les infractions au Code pénal congolais. Il y a ici lieu à se poser utilement des questions sur le mécanisme juridique qui puisse permettre à un juge de fonder l’existence d’un élément constitutif d’une infraction sur des présomptions ou des suppositions, si bien qu’il est généralement connu qu’une infraction ne peut exister que si et seulement si tous ses éléments constitutifs existent réellement, c’est-à-dire en dehors de tout doute ou de toute présomption possible étant entendu qu’en droit, seule la présomption d’innocence957 et les droits des victimes958 est prévue, et non la présomption de culpabilité. Il est de jurisprudence que : « Si, au sujet des faits, la juridiction du fond possède un pouvoir souverain d’appréciation, résultant d’une évaluation subjective et personnelle, doit néanmoins s’appuyer sur des éléments qui apportent à la motivation une conclusion cohérente, rigoureuse ou logique. Ainsi, doit être cassé pour vice de motivation portant gravement atteinte à la force majeure probante des preuves, l’arrêt qui fonde sa décision de condamnation sur des présomptions graves, précises et concordantes alors qu’elles découles de faits par eux-mêmes douteux et de prémisses vagues, aléatoires et en soi peu cohérentes qui ne permettent nullement d’apporter aux conclusions emportant la conviction de culpabilité, un soutènement logique et satisfaisant » 959. Il se dégage donc de ce qui précède que le raisonnement du juge n’est ni rationnel ni cohérent pour fonder la condamnation par lui prononcée à l’endroit des prévenus, induisant ainsi à une motivation erronée qui équivaut à l’absence de motivation. En définitive, il est de bon droit que la Cour d’Appel du Haut-Katanga sous RPA 7760 a reformé en toutes ses dispositions le jugement annoté et renvoyé les prévenus précités libres de toutes fins de poursuites judiciaires. Il y a dès lors lieu de se demander pourquoi le premier jugé a choisi d’ignorer les dispositions légales ci-haut rappelées. Pour cet oubli, il est bon pour les oubliettes. * * * 957 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la RDC, Article 14; Voire la Constitution de la RDC, telle que révisée à ce jour, Article 17 alinéa dernier. 958 Gilbert KABASELE LUSONSO, « La présomption d’innocence et le droit de la victime », In Les Analyses Juridiques, N°17, Lubumbashi, 2009, p.20. 959 CSJ., Arrêt RP.40, En cause ZOLA contre A. Public, 07 février 1973, Bull 1974, p39, citée par Joachim Prudent NAMWISI KASEMVULA, Recueil pratique de jurisprudence de la Cour suprême de justice de 1970 à 2014, 2e édition, Kongo édition, 2020, p.492. 410 TRIBUNAL DE PAIX LUBUMBASHI/KAMALONDO RP.10.982 DU 07/04/2023 Ministère Public & EQUITY BCDC S.A Contre RAJ MUNANA Venant et Consorts DROIT PENAL SPECIAL– PROCEDURE PENALE - DROIT BANCAIRE ADMINISTRATION DE LA PREUVE Participation criminelle – corréité ou complicité – abus de confiance – absence de preuve à charge du prévenu – condamnation basée sur des présomptions – aveu de l’auteur principal de l’infraction. 5. La participation criminelle n’est établie que lorsque l’on s’est associé délibérément à la commission d’une infraction. 6. La connaissance et la volonté de l’agent de participer à une infraction doivent exister au moment où il apporte son concours, son assistance ou son aide. 7. Il est superfétatoire pour le Ministère Public d’apporter la preuve, lorsqu’il y a aveu judiciaire de l’auteur principal de l’infraction, longtemps considéré comme la « probatio probatissima », c’est-à-dire la preuve des preuves. JUGEMENT Attendu que par sa requête aux fins de fixation d'audience N°381/RMP 0097/PG.025/CHN/2023 du 20/02/2023, l'Officier du ministère public près la Cour d'Appel du Haut - Katanga a poursuivi par devers le Tribunal de céans, les prévenus RAJ MUNANA Venant, LOSHI MUTAMBA Kyky, MUNDEMBA MWANSA Jossart et KABWIT MAKAL Didier, congolais mieux identifiés au dossier judiciaire pour : A charge du prévenu RAJ MUNANA Venant :  Avoir à Lubumbashi, Ville de ce nom et chef-lieu de la Province du HautKatanga, en République Démocratique du Congo, le 04/02/2022, frauduleusement détourné au préjudice de la SOCIETE EQUITY BCDC S.A qui en était propriétaire, la somme de 300.000 USD (Trois cents mille dollars) qui ne lui avait été confiée que pour gérer en sa qualité de gestionnaire des fonds. Faits prévus et punis par l'article 95 CPLII ; A charge du prévenu LOSHI MUTAMBA Kyky :  Avoir étant complice selon l'un des modes légaux de participation criminelle prévu à l'article 22 CPL I, avec connaissance aidé le prévenu RAJ MUNANA Venant en opérant une transaction frauduleuse consistant à transférer la somme de 300.000 USD (Trois cents mille dollars américains) mise à sa 411 disposition vers la caisse Amos MULENGA qui n'était pas opérationnelle, et de lui avoir facilité de détourner ladite somme. Faits prévus et punis par les articles 22 et 23 CPL.I et 95 CPL.II ; A charge du prévenu MUNDEMBA MWANSA Jossart :  Avoir dans les mêmes circonstances de lieu et de temps que supra, étant complice selon l'un des modes légaux de participation criminelle, avec connaissance assisté le prévenu RAJ MUNANA Venant à commettre l'infraction d'abus de confiance, dans les faits qui l'ont facilité, en l'occurrence en livrant le mot de passe du coffre-fort qui a occasionné la sortie de 300.000 USD ; A charge du prévenu KABWIT MAKAL Didier :  Avoir dans les mêmes circonstances de lieu que Supra, sans préjudice de date plus précise, mais dans le courant de l'année 2022, période de temps non encore couverte par le délai légal de prescription de l'action publique étant complice selon l'un des modes de participation criminelle, sciemment aidé le prévenu RAJ MUNANA Venant en le laissant agir sans l'auditer ni superviser conformément aux règlements et procédure de EQUITY BCDC S.A et de lui avoir ainsi facilité de détourner la somme de 300.000 USD. Faits prévus et punis par les articles 22 et 23 CPLI et 95 CPL II ; Attendu qu'à l'audience publique du 16/03/2023 à laquelle l’affaire a été appelée, plaidée et prise en délibéré, la partie civile Société EQUITY BCDC S.A a comparu représentée par ses conseils, Maîtres MASUMBU KAPWESHI Serge, MOMA MUBENGU Barack , TSHINYAM NZAV Elisée et MULILA KAJA Ketsia, tous Avocats au Barreau du Haut-Katanga, tandis que les prévenus RAJ MUNANA Venant, LOSHI MUTAMBA Kyky, MUNDEMBA MWANSA Jossart et KABWIT MAKAL Didier ont comparu en personne assistés de leurs Conseils, Maîtres Georges KYUNGU WAPAMBA, Cheribun KASONGO, Gatien MWENGE, Marcel MWAKU, Chougain NTUMBA, Henry MUTOMBO, Gregory KAHOZI, Sion CIALU, LENZ IZAMBA, Eddy LOKESO, Paulin MUKESHI, François KAKUDI, Jean BANZE, MABWISHA KABAMBI, Valentin MUKANGA, Fabien BANZE, Lumière KINANDA, MASANGU INGANDU, ILUNGA TAMBAKANA, Esther MWANZA conjointement avec Maîtres MUNTU KAZADI Valery et MUTEB KATENA. Les 20 premiers Avocats au même Barreau, et les deux derniers Défenseurs judiciaires près le Tribunal de grande instance de Lubumbashi, ce sur remise contradictoire à l'égard de toutes les parties ; Attendu qu'il résulte des faits de la présente cause qu'il est reproché au prévenu RAJ MUNANA d'avoir en date du 04/02/2022 détourné la somme de 300.000 USD appartenant à la partie civile EQUITY BCBDC, somme lui remise en tant que responsable du Cash management dont il avait la gestion des encaisses de la banque, les deux prévenus RAJ MUNANA et Jossart MUNDEMBA avaient la gestion des 412 fonds du coffre, l'un possédait la clé et l'autre le mot de passe, mais curieusement le coffre-fort tenu par les deux prévenus accusait un écart / de 300.000 USD; Qu'après vérification, il s'est avéré que le prévenu RAJ MUNANA a camouflé ce prétendu manquant en effectuant deux opérations de 200.000 USD et de 100.000 USD, et a demandé au prévenu LOSHI caissier front office de la banque de transférer les 300.000$ du compte transit vers le compte de la caisse tenu par ce dernier alors qu'il n'a pas reçu physiquement lesdits fonds et le prévenu KABWIT MAKAL, en sa qualité du responsable de la digitalisation a validé le transfert de la somme de 300.000$ alors qu'il devrait superviser et auditer le prévenu RAJ; Attendu qu'interrogé quant à ce, le prévenu RAJ MUNANA a persisté dans la dénégation arguant que c'est depuis 1986 qu'il preste au sein de la banque, il n'a jamais été reproché d'un détournement, sinon il avait camouflé l'écart de la somme 300.000$ pour se protéger du problème, (cfr pièce cotée 15). Qu'il ajoute qu'il n'existe pas le système de contrôle efficace au sein de EQUITY BCDC S.A, son système de contrôle est obsolète d'autant plus que les contrôleurs ne faisaient pas le contrôle, sinon il n'en serait pas arrivé là (cfr pièces cotées 11, 16, 183, 184 à 186) ; Que le prévenu LOSHI dans ses moyens de défense a rejeté en bloc toutes les accusations mises à sa charge rétorquant qu'il ne pouvait pas refuser l'ordre lui donner par son chef le prévenu RAJ dans la mesure où l'opération par lui effectuée n'a pas impacté sa caisse et c'était juste un essai ; Que dans ses moyens de défense, le prévenu Jossart MUNDEMBA a soutenu que par rapport aux actes du 04/02/2022 il avait travaillé loyalement sur la gestion de la chambre forte. A la différence du coffre-fort, il ne sait pas si le prévenu RAJ a dissipé les fonds étant donné que lui ne se limite qu'à placer juste le code après il se retire ; Qu'enfin, le prévenu KABWIT a soutenu qu'il n'y est pour rien car c'est le prévenu RAJ MUNANA qui détient la clé du coffre et il ne lui avait pas informé de l'écart de la somme de 300.000$ ; Attendu que la partie civile dans ses conclusions, a soutenu que tous les quatre prévenus ont agi en corréité, ils ont aidé le prévenu RAJ MUNANA dans son entreprise criminelle de détourner la somme de 300.00 USD, et que leur comportement lui cause d'énormes préjudices, qu'elle sollicite leur condamnation in solidum aux dommages-intérêts à la hauteur de 2000.000 USD, à la restitution de la somme détournée ; EN DROIT Attendu que la doctrine enseigne que l'abus de confiance consiste à détourner ou dissiper au préjudice d'autrui l'une des choses énumérées par la loi, remise par la victime à l'auteur de l'infraction en vertu d'un contrat, à charge pour le détenteur, de rendre cette chose ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé (LIKULIA 413 BOLONGO, Droit pénal spécial Zaïrois, Tome 1, 2eme édition, LGDI, Kinshasa, 1985, P.418) Que pour Georges MINEUR, l'abus de confiance est la violation frauduleuse d'un contrat translatif de la détention ou de la possession précaire qu'il avait de la chose, en une possession « animo domino », en détournant ou en dissipant un objet reçu à charge de la rendre ou d'en faire un emploi déterminé (Georges MINEUR, cité par Ruffin LUKOO, Droit pénal, jurisprudence, Tome 1, 2eme éditions, Editions On s'en sortira, Kinshasa, p .9) ; Que l'article 95 du Code pénal, Livre II punit d'une servitude pénale de trois mois à cinq ans et d'une amende dont le montant ne dépasse pas mille francs ou d'une de ces peines seulement, quiconque a frauduleusement détourné, soit dissipe au préjudice d'autrui des effets, deniers, marchandises, billets, quittances, écrits de toute nature contenant ou opérant obligation ou décharge et qui lui avaient été remis à la condition de les rendre ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé ; Attendu qu'il ressort de l'analyse de cette disposition légale que cette infraction requiert pour sa réalisation d'abord la réunion des conditions préalables qui sont : un contrat, une remise et une chose objet de la remise, et ensuite les éléments constitutifs proprement dits qui sont : un acte matériel de détournement ou de dissipation, le préjudice et l'élément intentionnel ; A. Les conditions préalables 1. Le Contrat Attendu que pour la doctrine, il est entendu comme un accord de volontés en vertu duquel la chose a été remise à titre précaire, le contrat ne confère, au détenteur que des droits limités sur la chose consistant en une simple détention ou possession précaire, et qu'il y a lieu de retenir comme générateurs d'abus de confiance le contrat de gage ou nantissement, le contrat de mandat, du prêt à usage, le transport, de louage de chose, de dépôt et du travail (LIKULIA, Op. cit., P.419) ; Attendu que l'article 526 du Code civil congolais, Livre III énonce que le mandat est un acte par lequel une personne appelée mandant, donne à une autre appelée mandataire, le pouvoir de poser pour elle un ou plusieurs actes juridiques ; Que pour le Tribunal, il s'agit ici d'un contrat de mandat ; Que dans le cas d’espèce ; la partie civile EQUITY BCDC S.A a donné mandat aux prévenus RAJ MUNANA Venant et Jossart MUNDEMBA MWANSA respectivement en leur qualité de gestionnaire du cash management de la région Sud de la banque et chef de caisse de l'agence centre-ville de gérer conjointement le coffre-fort contenant les encaisses de cette dernière ; 414 Que lors de l'instruction de la cause, le prévenu RAJ MUNANA a reconnu qu'il est lié à la partie civile EQUITY BCDC par un contrat de travail, et ce depuis 1986, soit 36 ans de carrière (cfr pièce cotée 183) ; Que tous les prévenus n’aient pas remis en cause leur lien avec la partie civile EQUITY BCDC en l'exception du prévenu LOSHI MUTAMBA Kyky qui a soutenu qu'il est agent du groupe service, affecté à EQUITY BCDC en qualité d'un simple caissier ; 2. La remise de la chose Attendu que le doctrinaire BONY CIZUNGU dit que la remise de la chose est nécessairement préalable et volontaire, mais elle doit être affectée à un but précis (BONY CIZUNGUU, Les infractions de A à Z, édition Laurent NYANGEZI, Kinshasa, 2011, P.52) ; Que le doctrinaire LIKULIA BOLONGO ajoute dans son ouvrage précité à la page 426 que cette remise doit être en outre, faite à titre précaire c'est-à-dire à la charge pour le détenteur de rendre la chose reçue ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé par le contrat ; Que dans le cas sous examen, la partie civile EQUITY BCDC avait remis volontairement et préalablement aux prévenus RAJ MUNANA et Jossart MUNDEMBA MWANSA de par leurs fonctions qu'ils exercent au sein de cette dernière la gestion conjointe du coffre-fort contenant liquidités de la partie civile ; Que cette remise relève donc de leurs attributions qui leurs avaient été confiées quotidiennement comme les prévenus l'ont eu mêmes soutenu lors de l'audience d'instruction (cfr pièces cotées de 185 à 186) ; Qu'il a été jugé que l'employé qui s'approprie des fonds confiés par son patron, commet un abus de confiance s'il avait été constitué mandataire par celui-ci (1ere Inst. Léo. 21 avril et 26 mai 1950, J.T. O 1952, P.50, avec note ; Léo. App. 14 Octobre 1938, Rev. Jur. 1940, P.110) ; Que dans le cas d'espèce, les prévenus RAJ MUNANA Venant et Jossart MUNDEMBA MWANSA en tant qu'employés de la partie civile EQUITY BCDC S.A, se sont appropriés les fonds de celle-ci qui leurs ont été remis dans le cadre de leur mandat de la gestion du coffre ; 3. La chose, objet de la remise Attendu que le doctrinaire BONY CIZUNGU souligne à la même page de son ouvrage précité que cette remise doit obligatoirement porter sur des biens énumérés par la loi, il s'agit des effets, des deniers, des marchandises, des billets, des quittances (décharges) ou des écrits contenant ou opérant obligation ; Attendu que dans le même sens le doctrinaire LIKULIA BILONGO aborde en ajoutant que pour qu'il y ait abus de confiance, il ne suffit pas qu'un contrat ait été 415 formé et qu'il y ait eu remise, encore faut-il que cette remise ait porté sur un des objets mobiliers énumérés par l'article 95 du code pénal ; Que dans le cas de figure, la chose qui avait fait l'objet de la remise est la somme de 300.000 USD qui constitue les billets de banque ; B. Les éléments constitutifs Attendu qu'il résulte de l'article 95 du code pénal précité qu'outre les conditions préalables, l'abus de confiance comporte trois éléments constitutifs : un acte matériel constitué par le détournement ou la dissipation, le préjudice et l'intention coupable ; 1. L’élément matériel Attendu que cet élément est caractérisé par le détournement ou la dissipation de la chose reçue ; Attendu que la dissipation consiste dans un acte de disposition mettant l'agent dans l'impossibilité de rendre ou de restituer la chose reçue, ici l'abus de confiance se manifeste aisément car en dissipant la chose l'agent se comporte en maître de celleci ; il peut s'agir soit d'un acte de consommation tel que dilapider une somme d'argent, soit d'un acte de destruction, soit un acte de détérioration, soit un acte d'abandon, soit un acte de vente, soit un acte de donation, soit la mise en gage (LIKULIA BOLONGO, Op.cit., p.429); Que le même auteur ajoute à la page 430 que l'acte de détournement se manifeste ici dans l'usage abusif et le refus de restituer, l'agent agit souvent clandestinement en intervertissant la possession de la chose d'autrui qu'il avait d'une manière précaire, il se comporte ainsi en maître de la chose ; Qu'il poursuit qu'en ce qui concerne l'usage abusif, on retient l’acte de détournement constitutif de l'abus de confiance lorsque l'affectation d'un bien n'est pas respecté, ou lorsque la finalité d'un droit est méconnue par l'agent ; pour ce qui est du refus de restitution on estime d'abord que le simple retard mis à la restituer la chose ne suffit pas à caractériser le détournement, mais il faut qu'il y ait appropriation ou même rétention injuste ; Que dans le cas d'espèce, il ne fait l'ombre d'aucun doute que les prévenus RAJ MUNANA Venant et Jossart MUNDEMBA MWANSA ont disposé à leurs fins personnelles la somme de 300.000 $ qui se trouvait dans le coffre - fort de la banque étant donné que selon les taches qui leurs étaient confiées les deux prévenus accédaient au même moment dans la chambre forte et agissaient conjointement dans l'ouverture de la chambre où était logé les fonds de la banque en vertu du principe des 4 yeux qui implique que l'accès au coffre soit subordonnée à la détention formelle des moyens d'accès c'est-à-dire que le prévenu RAJ MUNANA détenait la clé et le prévenu Jossart MUNDEMBA détenait le code d'accès; 416 Qu'il sied de relever que selon la procédure de la banque tout mouvement de fonds au coffre c'est-à-dire l'augmentation ou la déduction doit être enregistré en temps réel dans le registre des encaisses et les deux intervenants au coffre doivent faire un rapprochement des chiffres prélevés dans le registre des existences avec les existences réelles en espèces, données dont ils comparent les totaux aux soldes des comptes des coffres en finale ; Qu'in specie causa, bien que le prévenu Jossart MUNDEMBA MWANSA a soutenu mordicus qu'il ne se limite qu'à introduire le code d'accès à la chambre forte, mais le prévenu RAJ MUNANA a reconnu que tout le montant retiré au coffre était renseigné dans le registre de retrait et le prévenu KABWIT MAKAL Didier a soutenu que le registre de retrait existe (cfr pièce cotée 152, 153, 190 à 197) ; 2. Le préjudice Attendu que la loi exige donc que pour que l'abus de confiance soit retenu, le détournement ait été commis au préjudice d'autrui, et que la victime peut être un propriétaire, un possesseur ou un détenteur, c'est ainsi qu'on retient non seulement un préjudice réel, c'est-à-dire celui qui est réellement causé mais même un préjudice éventuel, c'est-à-dire simplement possible dès lors que l'agent a pu le prévoir (Idem, P.421) ; Qu'en l'espèce, la partie civile EQUITY BCDC S.A à réellement subi un préjudice matériel en ce qu'elle a connu une perte qui affecte sensiblement sa trésorerie de sorte qu'elle a du mal à fonctionner ce jour en tant que société commerciale, et elle ne sait plus faire face aux besoins imminents et pressants de certaines de ses agences ; 3. L'élément intentionnel Attendu que le doctrinaire LIKULIA BOLONGO soutient à la même page que l'abus de confiance n'existe que si le détournement a été commis avec une intention frauduleuse qui consiste dans la connaissance qu'a l'agent de violer le contrat par lequel il détenait la chose d'une manière précaire en ayant conscience qu'il cause un préjudice au propriétaire, cette intention se déduit de l'impossibilité de restituer la chose ou d'en faire l'usage ou l'emploi déterminé c'est-à-dire de lui donner l'affectation ou la finalité convenue; Qu'une autre doctrine ajoute que la fraude est un élément essentiel de l’abus de confiance, elle doit être constatée par le juge, est réalisée lorsque l'auteur agit dans l'intention de se procurer à lui-même ou il aurait un bénéfice illicite quelconque…, l'intention frauduleuse doit être constatée formellement par le juge du fond, sans qu'il soit astreint à donner les raisons juridiques de sa décision (G.MINEUR, Commentaire du code pénal congolais, 2e édition, Maison F. LARCIER S.A, Bruxelles, 1953, p. 226) ; 417 Qu'il a été jugé que cette intention se déduit dans l'impossibilité de restituer la chose ou d'en faire l'usage ou l'emploi déterminé c'est-à-dire de lui donner l'affectation ou la finalité convenue (CSI, 1/12/1977, R.J.C.B, 1955, P.214) ; Que dans le cas d'espèce, les deux prévenus RAJ MUNANA et Jossart MUNDEMBA avaient connaissance que les fonds ne leurs appartenaient pas et ce, d'après la nature des fonctions qu'ils occupent au sein de la banque, mais cependant ils ont profité de la défaillance du système sécuritaire de cette dernière pour s'accaparer des fonds et s'en servir pour d'autres fins que celles reçues de leur mandat, et au préjudice de la partie civile ; Que les deux prévenus précités se trouvent dans l'impossibilité de restituer la somme de 300.000 $ par eux détournée ; Qu'il a été arrêté que « a suffisamment démontré l'existence de l'intention frauduleuse d'abus de confiance, la motivation fondée sur le fait que le demandeur qui avait, en vertu d'un contrat d'entreprise, la détention précaire du bois et l'argent en vue d'un usage bien déterminé, les a utilisés à ses propres fins » (CSJ, RP 124. 1er décembre 1976, affaire Nsemi Loth Joseph C/Ministère public et Yangu Jean Baptiste, Bulletin des arrêts de la cour Suprême de Justice année 1976, année d'édition 1977, pp.194198) cité par Odon NSUMBU KABU, Cour suprême de justice, Héritage de demisiècle de jurisprudence, Les Analyses juridiques, Kinshasa, 2015, P.52) ; C. De la participation criminelle Attendu qu'en rapport avec la participation criminelle, la doctrine note que pour qu'elle soit retenue à titre de corréité ou de complicité, trois conditions doivent être réunies, à savoir : l'existence d'une infraction principale, l'acte de participation selon un des modes prévus par la loi aux articles 21 et 22 du code pénal et enfin l'élément moral, (NYABIRUNGU MWENE SONGA, Droit pénal général, syllabus, éditions droit et société, Kinshasa‚ 2005, P.149) ; Que l'article 21 du code pénal livre 1 précise que : « sont considérés comme auteurs d'une infraction : Ceux qui l'auront exécutée ou qui auront coopéré directement à son exécution ; Ceux qui, par un fait quelconque, auront prêté pour l'exécution une aide telle que, sans leur assistance, l'infraction n'eut pu être commise... » ; Que dans le cas sous examen, le prévenu Jossart MUNDEMBA a coopéré directement à l'exécution de la dissipation des fonds mis à leur disposition aux fins de desservir les autres agences qui dépendent de la banque car n'eut été cette coopération étroite entre les deux prévenus Jossart MUNDEMBA détenteur du mot de passe du coffre-fort qui a en date du 04/02/2022 dans les environs de 13 heures ouvert le coffre - fort pour faciliter au prévenu RAJ MUNANA, la sortie de 300.00$. 418 Que sans le mot de passe introduit par le prévenu Jossart MUNDEMBA, le coffrefort de la banque n'aurait pas pu être ouvert, et ce détournement n'aurait pas été effectif ; Qu’il a été juge que constitue une aide nécessaire prévue à l'article 21 du code pénal livre 1, et sans laquelle l'infraction de détournement de deniers publics n'eut pu être commise de la manière dont elle l’a été, l'acceptation d'endosser un chèque tiré sur un compte de dépôt de fonds publics détournés (CSJ, RP 20/C.R, 15 août 1979, Affaire Ministère Public C/Tepandole Zambite, Mukendi Katema, Kisudi Ntima Ntimansiemi di Bwaka et Yumba di Tshibuka, R.J.Z , 1979, pp. 56-58, cité par Odon NSUMBU KABU, Cour suprême de justice, Héritage de demi- siècle de jurisprudence, Les Analyses Juridiques, Kinshasa, 2015, p.36); Qu'il sied de noter que le prévenu RAJ MUNANA auteur matériel du détournement ne pouvait en aucun cas se passer de l'aide de son coauteur en l'occurrence le prévenu Jossart MUNDEMBAU MWANSA en vertu du principe de 4 yeux, l'un détenteur de la clé et l'autre le mot de passe ; Qu'il a également été jugé qu'il y a participation à l'infraction de détournement lorsqu'il résulte des faits et actes de la cause une volonté commune et convergente de tous les prévenus de se procurer un avantage illicite, notamment en faisant des prélèvements et en les acceptant des autres, et il n'est pas nécessaire que les sommes détournées soient entre les mains du détourneur mais il suffit qu'en vertu de sa charge il exerce un certain pouvoir sur lesdites sommes (CSJ, RPA 89, 20 janvier 1984, Affaire Ministère public C/ Kapembe Nkorin et consorts, Bulletin des arrêts de la cour suprême de justice années 1980 à 1984, année d'édition 2001, PP.436-442). Qu'in specie causa, les deux prévenus précités ont eu la volonté commune et convergente de se procurer un avantage illicite sur les fonds détournés, mais aussi, cela a été facilité par la charge et les fonctions qu'ils occupent au sein de la banque leur donnant un certain pouvoir sur les encaisses ; Attendu que l'article 22 du code pénal livre 1 dispose que : sont considérés comme complices : - Ceux qui auront donné des instructions pour la commettre ; Ceux qui auront procurés des armes, des instruments ou tout autre moyen qui a servi à l’infraction sachant qu’ils devaient y servir ; Ceux qui, hors le cas prévu par l'alinéa 3 de l'article 22, auront avec connaissance aidé ou assisté l'auteur ou les auteurs de l'infraction dans les faits qui l'ont préparée ou facilitée ou dans ceux qui l'ont consommée ; Qu'in specie causa, sur instruction du prévenu RAJ MUNANA, le prévenu LOSHI MUTAMBA Kyky a transféré les 300.000$ sur un compte dont il savait parfaitement bien qu'il était inoperationnel, et ce transfert consistait à faire disparaître lesdits fonds au préjudice de la partie civile EQUITY BCDC S.A ; 419 Que le prévenu LOSHI MUTAMBA Kyky a apporté une aide indispensable dans la perpétration de l'infraction d'abus de confiance à charge du prévenu RAJ MUNANA, en ce qu'il a permis le transfert de la somme de 300.000$ vers un compte dont il savait pertinemment bien inoperationnel alors que selon le règlement de la banque, il est interdit au cash management d'entrer en contact direct avec le caissier secondaire (cfr pièce cotée 191); Qu'à la question de savoir est-il permis à un caissier d'entrer en contact direct avec son chef, le prévenu Jossart MUNDEMBA répond << non>>, (cfr pièce cotée 191) ; Qu'à la question de savoir est ce que le prévenu RAJ malgré l'injonction qu'il avait donné au prévenu LOSHI MUTAMBA Kyky, l'avait-il caché la destination de la transaction, ce dernier a répondu non ; Que donc, le prévenu LOSHI savait pertinemment bien que le compte dans lequel il devait effectuer l'opération était un compte inoperationnel (cfr pièce cotée 196) ; Que le Tribunal fait observer que le prévenu RAJ MUNANA a tenté de faire l'opération retour de ladite somme mais le compte inoperationnel était bloqué d'où il n'y avait pas moyen d'y accéder, ce qui cristallise davantage l'infraction d'abus de confiance dans son chef, (cfr pièce cotée 192) ; Que s'agissant du prévenu KABWIT MAKAL Didier, sa responsabilité est nettement établie en tant que complice dans la perpétration de l'infraction d'abus de confiance par le prévenu RAJ MUNANA car il s'était abstenu d'auditer le prévenu RAJ alors qu'il est responsable de la digitalisation et de la validation des opérations de ce dernier, en tant que responsable des opérations du prévenu RAJ celui qui détenait le registre de retrait des fonds des encaisses de la banque, mais ce dernier s' était évertué juste de valider l'opération de 300.000$ aux fins de faciliter le prévenu RAJ dans son entreprise criminelle alors qu'il pouvait dénicher ledit écart le même jour; Qu'il a été enseigné que certaines abstentions circonstanciées ou qualifiées sont retenues comme actes de participation lorsque, à l'analyse, elles s'avèrent revêtir un aspect positif, lorsqu'en raison des circonstances qui les accompagnent, elles peuvent être assimilées à un acte positif (NYABIRUNGU mwene SONGA, Traité de droit général congolais, deuxième édition, 2007, P. 257) ; Que le Tribunal fait observer qu'à l'audience d'instruction, le prévenu RAJ MUNANA a soutenu que c'est le prévenu KABWIT MAKAL qui détient le registre de retrait des encaisses, et le prévenu précité a confirmé que ce registre existe bel et bien, et selon la procédure de EQUITY BCDC les deux prévenus précités devraient conjointement signer dans le registre pour confirmer les constatations opérées, chose que le prévenu KABWIT MAKAL s'était abstenu de faire alors que c'était dans ses prorogatives ; (cfr pièce cotée 153 à 190) ; 420 D. De l'action civile Attendu que l'article 107 alinéa 1 de la loi organique N°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l'ordre judiciaire énonce que : « l'action en réparation du dommage causé par une infraction peut être poursuivie en même temps que l'action publique et devant le même Juge... » ; Que dans le même ordre d'idée le doctrinaire LUZOLO BAMBI aborde en disant que « la victime d'une infraction peut directement saisir le Tribunal d'une demande de réparation du préjudice subi par le fait de l'infraction » (LUZOLO BAMBI LESSA et BAYONA BA MEYA, Manuel de procédure pénale, PUC, Kinshasa, 2011, page 387) ; Que dans le cas sous examen, la société EQUITY BCDC S.A victime de l'infraction d'abus de confiance s'est constituée partie civile sous RP 10982 dossier envoyé en fixation par le ministère public contre les prévenus RAJ MUNANA Venant, LOSHI MUTAMBA Kyky, Jossart MUNDEMBA MWANSA et KABWIT MAKAL Didier ; Qu'ainsi, le Tribunal de céans est compétent de connaître de son action civile vu qu'elle a consigné les frais suivant la quittance N046 du 27/02/2023, qu'il la dira recevable quant à la forme ; Attendu que statuant quant au fond, l'article 258 du code civil congolais livre 3 dispose que : « Tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » ; Qu'il ressort de cette disposition légale que trois conditions doivent être remplies pour que soit établie cette responsabilité civile à savoir l'existence d'un dommage ou préjudice, la faute qui a engendré ce dommage et l'établissement d'un lien causal entre le dommage subi et la faute invoquée ; Que dans le cas d'espèce, la partie civile EQUITY BCDC S.A a subi un préjudice matériel réel en ce qu'elle a connu une perte importante d'argent estimée à 300.00$, et en tant que société commerciale cela constitue un manque à gagner pour ses activités commerciales ; Qu'aussi en initiant cette procédure judiciaire elle doit faire face aux frais de procédure et aux honoraires de ses avocats, il y a là un préjudice ; Attendu que la faute commise par les quatre prévenus est la violation de la loi pénale, laquelle a une conséquence directe sur le préjudice qu'a subi la partie civile EQUITY BCDC S.A car n'eut été leur comportement infractionnel la partie civile n'aurait pas connu cette perte, encore moins engager des procédures ; Que de ce fait, la doctrine en parlant de la réparation intégrale du dommage, dit que l'indemnité doit pouvoir réparer aussi intégralement que possible les préjudices 421 constatés... L'indemnité doit être évaluée en se plaçant à la date du jugement définitif et non à la date de réalisation du dommage.... Ainsi, c'est au jour de la décision judiciaire que l'on doit se placer pour fixer l'indemnité destinée à cette réparation (KALONGO MBIKAYI, Droit civil, les obligations, Tome 1, éditions université africaines, Kinshasa, 2012, P. 214) ; Attendu que de ce qui précède, le Tribunal dira établie en fait comme en droit l'infraction d'abus de confiance mise à charge des prévenus RAJ MUNANA Venant, LOSHI MUTAMBA Kyky, Jossart MUNDEMBA MWANSA et KABWIT MAKAL Didier ; Qu'il condamnera les prévenus RAJ MUNANA Venant et Jossart MUNDEMBA MWANSA à 5 ans de servitude pénale principale chacun, à une amende de 1000.000 FC (un million de franc congolais), chacun payable dans le délai légal, à défaut du paiement ils subiront chacun 30 jours de servitude pénale ; Qu'il condamnera les prévenus LOSHI MUTAMBA Kyky et KABWIT MAKAL Didier à 30 mois de servitude pénale principale et à une amende de 500.000 FC (Cinq cents mille francs congolais), chacun payable dans le délai légal, à défaut du paiement ils subiront chacun 15 jours de servitude pénale subsidiaire ; Qu’il les condamne tous solidairement à la restitution au profit de la partie civile EQUITY BCDC S.A de la somme d'argent de 300.000$ (dollars américains trois cents mille) ou son équivalent en francs congolais, par eux détournée ; Que le Tribunal ramènera la somme de 2000.000 $(dollars américains deux millions) postulée par la partie civile EQUITY BCDC S. A à titre de de dommages- intérêts à une somme juste et équitable ; Qu'il dira ainsi recevable et fondée l'action de la partie civile EQUITY BCDC S.A, qu'il condamnera les quatre prévenus in solidum au paiement de la somme en francs congolais équivalent à 1.000.000 $(dollars américains un million) en raison d'un quart à chacun, au profit de la partie civile EQUITY BCDC S.A à titre de dommagesintérêts, pour tous les préjudices subis ; Qu'il les condamnera enfin aux frais d'instance tarif plein a raison d'un quart à chacun, à défaut du paiement dans le délai légal, ils subiront chacun 20 jours de contrainte par corps ; PAR CES MOTIFS Le Tribunal ; Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties ; Vu la loi N°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l'ordre judiciaire ; Vu le code de procédure pénale ; 422 Vu le code pénal livre 1 en son article 22 et livre 2 en son article 95 ; Vu le code civil livre 3 en ses articles 258 et 526 ; Le ministère public entendu en ses réquisitions ; - Dit établie en fait comme en droit l'infraction d'abus de confiance mise à charge des prévenus RAJ MUNANA Venant, LOSHI MUATAMBA Kyky, Jossart MUNDEMBA MWANSA et KABWIT MAKAL Didier ; - Par conséquent condamne les prévenus RAJ MUNANA et Jossart MUNDEMBA MWANSA à cinq ans (5 ans) de servitude pénale principale, à une amende de 1000.000 FC (un million de franc congolais) chacun, payable dans le délai légal, à défaut du paiement ils subiront chacun 30 jours de servitude pénale subsidiaire ; - Condamne également les prévenus LOSHI MUTAMBA Kyky et KABWIT MAKAL Didier à 30 mois de servitude pénale principale, et à une amende de 500.000 FC (Cinq cents mille franc congolais) chacun, payable dans le délai légal, à défaut ils subiront chacun 15 jours de servitude pénale subsidiaire ; - Condamne les quatre prévenus précités in solidum au paiement de la somme en francs congolais équivalent de 1.000.000 $ (dollars américains un million) en raison d'un quart à chacun, au profit de la partie civile EQUITY BCDC S.A à titre de dommages - intérêts, pour tous préjudices ; - Les condamne tous solidairement à la restitution au profit de la partie civile EQUITY BCDC S.A de la somme d'argent de 300.000 $ (dollars américains trois cents mille) ou son équivalent en francs congolais, par eux détournée ; - Dit recevable et fondée l'action civile de la partie civile EQUITY BCDC S.A; - Condamne les quatre prévenus précités in solidum au paiement de la somme en francs congolais équivalent à 1.000.000 $(dollars américains un million) en raison d'un quart à chacun, au profit de la partie civile EOUITY BCDC S.A à titre de dommages- intérêts, pour tous les préjudices ; - Les condamne enfin aux frais d'instance tarif plein à raison d'un quart à chacun, à défaut du paiement dans le délai légal subir chacun 20 jours de contrainte par corps. Ainsi jugé et prononcé par le Tribunal de paix Lubumbashi/Kamalondo siégeant en matière répressive, à son audience publique du 07/04/2023 à laquelle ont siégé les magistrates MBIDI MANGO, président de chambre, MULANGA KAVUANDA et NSANA NSAKA juges, en présence de Albertine MWIPATA, officier du ministère public et l'assistance de Honoré KAMUNGA, greffier du siège. 423 Note d’observation La participation criminelle n’est établie que lorsqu’on s’est associé délibérément à la commission d’une infraction Par : Eddy Lokeso Omelanga Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga et Chercheur Indépendant. Il y a participation criminelle, lorsque plusieurs personnes prennent une part plus ou moins active et plus ou moins directe à la perpétration d’une infraction. Toute participation criminelle suppose des faits par lesquels on coopère à l’infraction960. Pour qu’il ait participation criminelle, il faut que l’on ait l’intention de s’associer à la perpétration d’une infraction, la participation suppose un concert, une entente entre les délinquants961. En vertu de l’adage « actori incumbit probatio », la charge de la preuve incombe donc au Ministère public qui est demandeur et qui doit apporter la preuve de la culpabilité de la personne poursuivie962. Mais, face à l’aveu judiciaire de l’auteur principal de l’infraction, longtemps considéré comme la « probatio probatissima », c’est-à-dire la preuve des preuves, il est superfétatoire pour le Ministère Public d’apporter la preuve. Dans le jugement annoté, le Tribunal de Paix de Lubumbashi/Kamalondo a dit établi en fait comme en droit l’infraction d’abus de confiance mise à charge de tous les prévenus poursuivis en participation criminelle. Examinant la motivation dudit jugement, il appert que c’est à tort que le Tribunal a sorti pareille décision, étant donné que la participation criminelle, qu'elle soit en terme de complicité ou de co-action, exige la réunion de certains éléments. À la lumière des articles 21 et 22 du Code pénal congolais, Livre premier, la participation criminelle exige l’intention de s’associer à la perpétration d’une infraction de manière consciente et volontaire. Il ressort de cette décision, en ce qui concerne la condamnation de Monsieur Mundemba Mwansa Jossart, le juge n’a pas démontré à quel point ou à quel moment 960 Georges MINEUR, Commentaire du code pénal congolais, 2eme édition, Bruxelles, Maison F.LARCIER, S.A, 1953, p.80. 961 Elis., 11 nov. 1913, Jur. Congo, 1922, p. 353; Elis., 21 sept. 1915, Jur. Col., 1926, p.156; Prins, n°549; Constant, n°93; Note sous app. R.U., 26 juin 1951, J.T.M., 1952, p.150. 962 NGOTO Ngoie NGALINGI, L’essentiel du droit pénal congolais, Kinshasa, Presses Universitaires du Congo, 2018, p.143. 424 ce dernier a pris part active dans la perpétration de l’infraction d’abus de confiance avec Monsieur Raj Munana. Ainsi, le juge s’est limité à dire que la participation de Monsieur Mundemba Mwansa Jossart se situe dans le fait pour lui d’introduire le mot de passe du coffre –fort sans lequel le coffre-fort n’aurait pas pu être ouvert et le détournement n’aurait pas eu lieu. Et pour soutenir la condamnation de Jossart Mundemba, le juge a utilisé le verbe lui prêté par la partie civile et le ministère public, notamment le verbe « livrer ». La présente réflexion renseigne que l’introduction du mot de passe au coffre-fort relève des attributions professionnelles régulièrement reconnues à Sieur Jossart Mundemba au sein de la Société EQUITY BCDC S.A. Dans le cas d’espèce, Monsieur Jossart Mundemaba n’a fait qu’exécuter une tâche qui entre dans ses attributions quotidiennes sans aucune intention de poser un quelconque acte criminel ; bien plus, il l'a fait sans aucune connaissance de tout ce qui se tramait par Monsieur Raj Munana. La doctrine enseigne que toute participation n’est pas punissable. Elle ne le devient que si elle consiste à favoriser la commission d’une infraction, c’est-à-dire un acte que la loi condamne et sanctionne d’une peine963. Il a été expliqué par la partie civile, en ce qui concerne les attributions et le fonctionnement du Cash Management, Monsieur RAJ au sein de la Société EQUITY BCDC S.A. le circuit habituel de la sortie de fonds qui peut être résumé comme suit : la demande de sortie de fonds est soumise au Cash Management qui en étudie la nécessité avant d’y répondre ; si celle-ci s’avère fondée, il décide seul de l’ouverture du coffre-fort avec le concours du chef de fil, à savoir Monsieur Jossart Mundemba qui détient le mot de passe. Toutefois, il est important de préciser que le Cash Management n’a aucune obligation de justifier la sortie de fonds au chef de fil, Monsieur Jossart Mundemba contrairement à ce que soutient malencontreusement le juge, en s’appuyant sur le fameux principe à quatre yeux que la partie civile a évoqué, en se fondant sur un document établi pour le besoin de la cause et contenant comme date de son entrée en vigueur, une date postérieure aux faits de la cause. Le système sécuritaire du coffre-fort contenu dans la chambre de trésors de la Société EQUITY BCDC S.A exige pour son ouverture, une intervention conjointe entre Monsieur Jossart Mundemba et Monsieur Raj Munana. Le premier étant détenteur du mot de passe ; le deuxième étant détenteur de la clé. Sans cette double intervention, le coffre-fort ne peut être ouvert et la banque n’aurait pas pu fonctionner correctement ce jour-là. 963 NYABIRUNGU mwene SONGA, Droit pénal général zaïrois, Kinshasa, Editions Droit et Société « DES », 1989, p.213. 425 S’agissant de la participation punissable, la doctrine enseigne que le juge a un devoir qui lui commande de spécifier les circonstances constitutives de la participation criminelle, de définir, avec toute la précision possible, les faits par lesquels on doit avoir coopéré à un crime ou à un délit, pour pouvoir être condamné du chef de cette coopération964. Et pourtant, Monsieur Raj Munana avait plusieurs fois déclaré que Monsieur Jossart Mundemba n’était au courant de rien, surtout ce qui concerne cette perte d’argent. L’élément constitutif de la participation criminelle, réclamant entre l’auteur et son complice, un concert de volonté ou une entente préalable, à défaut la complicité n’est pas établie965. Au regard de ce qui précède, c’est à tort que le juge a condamné Monsieur MUNDEMBA MWANSA Jossart comme coauteur à l’infraction d’abus de confiance, étant donné que la connaissance et la volonté de l’agent de participer à une infraction doivent exister au moment où il apporte son concours, son assistance ou son aide. Elles doivent être concomitantes à l’acte de participation966. C’est de bon droit que le Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi sous RPA.5739/5720/5723/5756/RP.10.982 a reformé le jugement annoté et renvoyé le prévenu Jossart Mundemba Mwansa libre de toutes fins de poursuites judiciaires. * * * 964 Jacques Joseph HAUS, Principes généraux du droit pénal belge, Tome II, 3eme édition, Gand, 1879, réimprimé à Bruxelles, 1979, cité par NYABIRUNGU mwene SONGA, Droit pénal général zaïrois, Editions Droit et Société « DES », Kinshasa, 1989, p.214. 965 CSJ. RPA 28, 28 août 1974, Affaire MUKENDI EGBOYA ET MUZINGU C/Ministère Public, Bulletin des arrêts de la cour suprême de justice année 1974, 1975, pp. 253-263. 966 NYABIRUNGU mwene SONGA, Op.cit., p.218. 426