REFLEXIONS JURIDIQUES AFRICAINES
Fondée à Lubumbashi, en date du 10 janvier 2023
Par :
Maître Hubert KALUKANDA MASHATA
Présentation de la Revue et normes de publication
La Revue Réflexions Juridiques A fricaines, en sigle « RJA » a été créée, en date du 10 janvier 2023, sous l’initiative de Maître Hubert Kalukanda Mashata, en sa
qualité de Directeur Général des Éditions Hubert Kalukanda.
La RJA est une revue indexée et enregistrée sous N°MIN.RSIT/SG/182/152/2023 au Ministère de la recherche scientifique et
innovation technologique de la République Démocratique du Congo.
RJA est une revue scientifique, version papier et électronique, axée sur la diffusion de la recherche en droit et en interdisciplinarité. Elle est un espace de publication bilingue (français et anglais) à la fois rigoureux et accessible, offrant aux chercheurs
et penseurs du droit et de l’interdisciplinarité une visibilité essentielle à leur développement personnel, professionnel et académique. Elle offre à ses auteur(es) un excellent rayonnement puisque son contenu est diffusé et distribué en format papier et en
format électronique sur son site internet et autres plateformes.
La
La qualité de ses publications est due à la rigueur dans les évaluations par les professeurs, les experts et les chercheurs de haute qualité scientifique tant nationaux
qu’internationaux, des textes qui lui sont soumis. La vision est d’être un espace de publication fiable et régulière pour le rayonnement de ses auteur.es qui sont des
chercheur.es de différentes universités nationales, africaines et internationales. La Revue espère ainsi inspirer des vocations, mais aussi à sensibiliser les chercheurs
(du circuit universitaire ou non) de la République Démocratique du Congo (RDC) et du monde entier à l’importance de la doctrine, pierre angulaire et source fondamentale en droit, ainsi qu’à la manière dont elle se construit. La doctrine et la jurisprudence étant des sources évolutives et dynamiques de droit.
Éditée par les Éditions Hubert Kalukanda, en sigle « E.H.K », la RJA est ouverte aux établissements universitaires, institutions, organismes ou associations, congolais ou étrangers, qui apporteraient leur concours scientifique et/ou financier.
La RJA reçoit régulièrement des propositions d’articles, des recensions et de commentaires de décisions judiciaires qui apportent une contribution majeure de style
universitaire sur le droit et sur des thèmes d’autres disciplines ayant de rapports étroits avec le droit.
La Revue accepte également les études des cas sur des questions d’actualité nationale et internationale traitées ou développées dans le contexte juridique, des actes
des conférences et ceux des journées scientifiques (en forme d’articles).
En ce qui concerne la méthodologie et conformément à son objet, les contributions adoptant une approche multidisciplinaire et empirique sont fortement encouragées. Quelles sont les lignes directrices et les normes de rédaction des textes soumis à la publication.
Normes de soumission
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1. Format : La Revue n’accepte aucun manuscrit soumis dans un format autre que MS Word.
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ci-dessus fixée. De même, les modes de styles, de rédaction et de références doivent être conformes aux règles développées dans le « Guide Kandolo. Mé-
thodes et règles de rédaction d’un travail de recherche en droit », ouvrage paru aux Éditions Universitaires Européennes, en
janvier 2018. Les membres du Comité de rédaction s’occupent de l’uniformisation de la présentation des notes de bas de page
au cas où l’auteur.e n’est pas parvenu.e à se conformer aux règles de présentation matérielle, de style de citations et de rédactions décrites dans le Guide précité.
5. Prénoms, noms et fonctions de l’auteur(e). Les auteur (es) indiquent en bas de page leur s fonctions, leur s diplômes ou tout autr e r enseignement per tinent
dont ils veulent faire apparaître en utilisant l’astérisque après leurs identités.
6. Résumé, mots-clés et sommaire. Les manuscr its doivent êtr e accompagnés d’un résumé, en français et anglais, d’un seul paragraphe ne dépassant pas 250
mots (10 lignes au maximum), taille 11 et d’un minimum de 5 mots-clés dans chaque langue. Un sommaire en forme d’un plan cartésien, constitué des divisions et
subdivisions du texte, doit y être joint avant l’introduction de l’article. La Revue suit l’ordre de subdivision du texte à soumettre en forme d’escalier comme ciaprès :
I. Intitulé ………………………1 (Grands points, en majuscules)
A. Intitulé ………………….2 (Sous-points, en minuscules)
1. Intitulé ……………..3 (Sous petits-points, en minuscules)
a. Intitulé .………..4 (petites divisions, en minuscules)
i. Intitulé ……5 (sous-petites subdivisions, en minuscules).
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Une fois réceptionné, le texte est traité en pré-évaluation par le Comité de rédaction avant d’être transmis aveuglement, ensemble avec les fiches d’évaluation, aux
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l’évaluateur. Le texte n’est publié que si l’ensemble de trois évaluations rend le texte publiable à 70 % au moins. S’il y a des remarques majeures, le texte est retourné à l’auteur avec les avis et considérations. L’auteur.e peut retravailler son sujet en fonction des remarques y afférentes, s’il le désire.
8. Responsabilité
La Revue ou les Editions Hubert Kalukanda décline toute responsabilité sur les différents points de vue émis par les auteur.es et sur les fraudes et autres actes d’improbité que ces derniers commettraient dans le cadre des textes transmis, notamment le plagiat, l’autoplagiat, le cyberplagiat et autres fautes interdites par la déontologie de la recherche scientifique.
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Pour tous autres renseignements, prière contacter la Revue soit par adresses e-mail ci-dessus, soit au numéro de téléphone : +243 995593572
THE GARDEN PARC D’ATTRACTION ET A THEME
REFLEXIONS JURIDIQUES AFRICAINES
Vol. 1, N°3
Editions Hubert Kalukanda
(E.H.K.)
© Réflexions juridiques africaines
Lubumbashi, 2023
Dépôt légal : 8.20.2023.80.
3eme Trimestre 2023
ISSN : 2960-0693 (En ligne)
ISSN : 2960-0685 (imprimé)
Editions Hubert Kalukanda
https://editions-hubert-kalukanda
Imprimerie Unilu-Print - Université de Lubumbashi
2
REFLEXIONS JURIDIQUES AFRICAINES
Volume 1, Numéro 3 - 2023
3
REFLEXIONS JURIDIQUES AFRICAINES
REVUE SEMESTRIELLE
Directeur de publication
Pr Pierre Félix KANDOLO ON’UFUKU WA KANDOLO
Faculté de droit, Université de Likasi, Université de Sherbrooke et Université de Montréal
A. Comité de rédaction
Christophe Kongolo Bin Mwamba
Procureur Général près la Cour d’Appel.
Jean Kapita Kaniama N’thie
Avocat Général au Parquet près la Cour d’Appel du Haut-Katanga,
Enseignant – Université de Lubumbashi.
Hubert Kalukanda Mashata
Doctorant en droit à l’Université de Lubumbashi,
Avocat au Barreau du Haut-Katanga, Conseil à la Cour Africaine des Droits de l’Homme
et des Peuples (CADHP),
Fondateur - Directeur Général des Editions Hubert Kalukanda et Editeur - Responsable
de la RJA.
Freddy Kenye Kitembo
Enseignant – Université de Likasi,
Président du Tribunal de commerce de Kolwezi.
Julie Kamitshim-A-Kyend
Premier Substitut du Procureur de la République/Lubumbashi.
Sabin Mande M.
Enseignant – Université de Lubumbashi,
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga (RDC).
Daddy Ilambwetsi
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel de Kinshasa/Matete.
Guylain Kasongo Kawaya
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga.
Blaise Bwanga Anembali
Enseignant – Université de Likasi,
Défenseur judiciaire au Tribunal de grande instance de Likasi.
Elie Musambya Kapasa
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga.
Freddy Ngoy Mwamba
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga.
Hugues Mugalu Lwamba
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga.
5
B. Conseil scientifique
Pr. Pierre-Felix Kandolo On’Ufuku wa Kandolo,
Docteur en droit à l’Université de Montréal,
Enseignant - Université de Likasi,
Directeur de publication de la Revue Réflexions Juridiques Africaines (RJA),
Avocat au Barreau du Haut-Katanga, Conseil à la Cour Pénale Internationale (CPI) et à
la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP).
Pr. Joseph Yav Katshung
Docteur en droit à l’Université Lubumbashi,
Enseignant - Université de Lubumbashi,
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga et Arbitre au centre
d’arbitrage, de médiation et de conciliation de Ouagadougou (CAMC-O).
Pr. Ghislain David Kasongo Lukoji
Docteur en droit à l’Université d’Aix-Marseille (France),
Enseignant - Université de Gbadolité et Université Protestante de Lubumbashi,
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel de Kinshasa/Matete.
Pr. Trésor Gauthier M. Kalonji
Docteur en droit fiscal à l’Université Neuchâtel (Suisse),
Enseignant – Ecole Nationale des Finances et Université Pédagogique Nationale,
Conseiller Fiscal Principal au Cabinet Daldewolf RD Congo.
Pr. Gilbert Musangamwenya Walyanga Kubabezaga
Docteur en droit à l’Université de Lubumbashi
Enseignant - Université de Lubumbashi,
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga.
Pr. Joseph Kazadi Mpiana
Docteur en droit international et de l’Union européenne de l’Université de Rome « La
Sapienza » (Italie),
Enseignant - Université de Lubumbashi.
Pr. Junior Mumbala Abelungu
Docteur en droit à l’Université de Gand (Belgique),
Enseignant - Université de Lubumbashi et Doyen de la Faculté de Droit de l’Université
Protestante de Lubumbashi,
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Lualaba.
Pr. Jean Marc Mutonwa Kalombe
Docteur en droit international à l’Université de Lubumbashi,
Enseignant - Université de Lubumbashi,
Juge au Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi.
Pr. Emmanuel Monga Monga
Docteur en Sciences Politiques et Administratives à l’Université de Lubumbashi,
Enseignant - Université de Lubumbashi,
6
Pr. Victor Kalunga Tshikala
Docteur en droit à l’Université de Lubumbashi,
Enseignant - Université de Lubumbashi et Recteur à l’Université de Kalemie,
Avocat au Barreau du Haut-Katanga et Consultant à la Commission Nationale OHADA.
Pr. Don José Mwanda Nkole wa Yahve
Docteur en Droit des affaires, spécialiste du Droit OHADA et Titulaire d’une thèse
postdoctorale en Didactique des sciences juridiques,
Enseignant – Université de Kinshasa.
Pr. Franck Mukadi Tshakatumba
Docteur en Droit, Université de Lubumbashi,
Enseignant – Université de Lubumbashi,
Conservateur des titres immobiliers de Lubumbashi.
Pr. Aimé Banza Ilunga
Docteur en droit à l’Université de Lubumbashi,
Enseignant - Université de Lubumbashi,
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga.
Pr. Pascal Kakudji Yumba
Docteur en droit à l’Université de Lubumbashi,
Enseignant - Université de Lubumbashi,
Avocat au Barreau du Haut-Katanga.
7
Sommaire
Sommaire ................................................................................................................ 9
Editorial ................................................................................................................ 11
Prescription des conflits nés de la relation du travail et l’application de
l’article 258 du code Civil Congolais, Livre III
par Jean-Claude Kayombo Kyungu ............................................................................... 15
Observation électorale et crédibilité du processus électoral. Quelle
contribution, quelles perspectives
par Joseph Kazadi Mpiana ............................................................................................. 31
Contentieux électoraux et considérations critiques du régime de la preuve
devant le juge constitutionnel congolais
par Adolphe Musulwa Senga ......................................................................................... 85
Contrat du commerce électronique et responsabilité contractuelle de plein
droit du cybercommerçant dans le nouveau Code congolais du numérique
par Aimé BANZA ILUNGA ........................................................................................ 131
Gestion bancaire à l’aune de la digitalisation du secteur bancaire
par Sam KASSANDA SALMA ................................................................................... 167
Numérisation des services publics et archivage électronique en République
Démocratique du Congo
par KABASELE DIKEBELE Willy& MUZIR KIMPANI Jabino .............................. 193
L’action publique et le Droit numérique congolais : Domaines fertiles pour un
effort de compréhension et de cohérence
par Eddy MULENDA KABADUNDI ......................................................................... 216
Justice transitionnelle dans une approche comparative
par Pierre Félix Kandolo On'ufuku wa Kandolo .......................................................... 233
L’accessibilité du mineur à la parentalité en droit congolais : Entre hypocrisie
normative et insolence factuelle
par Ghislain-David KASONGO LUKOJI & Georges DIANKEBA MATUBA. ........ 256
La justiciabilité du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’industrie
du bâtiment en République Démocratique du Congo
par Yves-Junior MANZANZA LUMINGU et Jacques-Octave KABEMBA
FANZAL ...................................................................................................................... 278
Le juge congolais face au règlement des litiges individuels du travail
Elie KAKO KANU ...................................................................................................... 301
La fiscalité exceptionnelle de sauvetage des entreprises industrielles en
difficulté en droit congolais
par Trésor-Gauthier M. KALONJI............................................................................... 318
La « fiscalité informelle » en République Démocratique du Congo :
dérèglement de la légitimité fiscale versus légitimation de quelques pratiques
socio-fiscales praeter legem
par Trésor-Gauthier M. Kalonji et Jean-Baptiste BAGULA BATULIRE ................... 329
La tierce opposition en droit judiciaire congolais
par Hubert KALUKANDA MASHATA ..................................................................... 342
Implications de la récusation collective en droit judiciaire congolais : une
question qui divise les praticiens
par Guylain KASONGO KAWAYA ........................................................................... 362
10
Editorial
Une année d’existence, le bébé commence à marcher : Moment très riche
en émotion
La vie de l’être humain est le type de la vie de toute entreprise. Les premiers
pas de bébé sont généralement très attendus par les parents. C’est le cas de la revue
Réflexions Juridiques Africaines (RJA) créée en date du 10 janvier 2023. Elle est
un regroupement humain où ses membres observent avec fierté son évolution
radieuse et ce, en dépit de la question de nouveaux défis qui revient régulièrement.
Certes, la marche est et demeure un processus long composé de nombreuses
étapes, découvertes, échecs et réussites de toute personne ou de toute société. C’est
d’ailleurs grâce à ses échecs qu’on va réussir à passer toutes les étapes. Ne dit-on pas
que le succès nécessite de nombreux échecs !
Avant de faire les premiers pas, il est nécessaire d’avoir un environnement
sûr et propice pour un développement durable. A cet effet, il n’est pas facile, mais
pas impossible, d’œuvrer et de se développer en République Démocratique du Congo
(RDC), un État qui ne prête pas mains fortes aux chercheurs et aux institutions de
recherche scientifique. Et pourtant, les dispositions de l’article 37 de la Constitution,
telle que révisée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de la
Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006
renseignent pertinemment que : « (…) Les pouvoirs publics collaborent avec les
associations qui contribuent au développement social, économique, intellectuel,
moral et spirituel des populations et à l’éducation des citoyennes et des citoyens.
Cette collaboration peut revêtir la forme d’une subvention (…) ». Malgré les
difficultés financières et matérielles, la RJA, notre centre de recherche
interdisciplinaire, est une école par excellence pour le changement humain collectif
de larges continuelles transformations environnementales. En tant que telle, elle
demeure un haut lieu de savoir, de savoir-faire, de savoir-devenir et de savoir-être.
C’est ici l’occasion de relever que la recherche scientifique est une nécessité,
capables de doter les Etats Africains en général et la République Démocratique du
Congo en particulier, des ressources humaines valables et susceptibles de contribuer
au développement social, économique, intellectuel, moral et spirituel de notre
communauté.
La RJA accomplit une mission énormément stratégique, celle d’organiser et
de diriger la société humaine par la maîtrise des connaissances et des technologies
qui contribuent au bien-être individuel et collectif. Elle permet aux chercheurs et aux
professionnels de Droit d’approfondir des questions se rapportant à l’émergence et à
l’application des normes dans diverses matières ; de partager des expériences et
11
stratégies de lutte contre les antivaleurs qui gangrènent notre système juridique et de
faire constater d’énormes efforts fournis par les structures étatiques pour une
véritable démocratie et un Etat de Droit.
Permettez-nous donc de saluer en ce début d'année 2024, le lancement de ce
troisième numéro qui clôture le tout premier volume de la revue. Par cette occasion,
la RJA remercie les différents professeurs et chercheurs de plusieurs Universités
congolaises et étrangères pour leur collaboration dans le cadre de cette revue.
Nous ne pouvons pas oublier de remercier, de manière exceptionnelle The
Garden Lubumbashi – Parc d’attractions, le partenaire habituel et permanent de notre
revue. Nous espérons que de nombreux autres chercheurs et partenaires rejoindront
ce bateau et contribueront ainsi au rayonnement de notre prestigieuse revue au cœur
de l’Afrique.
Hubert KALUKANDA MASHATA
Fondateur – Directeur Général des Editions Hubert Kalukanda,
Avocat au Barreau du Haut-Katanga et à la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des
Peuples,
Doctorant en droit à l’Université de Lubumbashi,
Editeur – Responsable de la Revue Réflexions Juridiques Africaines.
*
*
*
12
FORUM
Prescription des conflits nés de la relation du travail et
l’application de l’article 258 du code Civil Congolais, Livre
III1
Par :
Jean-Claude Kayombo Kyungu
Président du Tribunal du Travail de
Lubumbashi
Resumé
La présente étude s’est inscrite dans une logique de démonstration de
l’incompétence matérielle du juge de l’article 258 du Code civil congolais, Livre III
pour connaître d’une demande en dommages et intérêts nés de la relation du travail
et ce, conformément à la Loi n°015-2002, telle que modifiée et complétée par la Loi
n°16/010 du 15 juillet 2016 portant code du travail en République Démocratique du
Congo. A cet effet, l’article 15 de la Loi n° 016/2002 du 16 Octobre 2002 portant
création, organisation et fonctionnement des Tribunaux du Travail dispose que :
« Les Tribunaux du Travail connaissent des litiges individuels survenus entre le
travailleur et son employeur dans ou à l’occasion du contrat de travail, des
conventions collectives ou de la législation et de la réglementation du travail et de
la prévoyance sociale ».
Toutefois, le juge civil est compétent lorsqu’il est saisi aux termes de l’article
149 de la Loi organique n° 13|011 – B du 11 Avril 2013 portant organisation,
fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire qui dispose
que : « Les règles relatives à l’organisation et à la compétence prévues par la
présente loi organique sont applicables en matières commerciales et sociales là où
les Tribunaux de commerce et les Tribunaux du travail ne sont pas encore installés ».
C’est pourquoi, la présente réflexion conclut que, seuls les Tribunaux du
Travail sont compétents pour connaître des litiges individuels survenus entre
l’employé et l’employeur, le législateur congolais n’ayant pas prévu le temps durant
lequel l’interruption de la prescription doit durer, la prescription étant effectivement
interrompu de manière indéterminée.
Mots-clés : contrat de travail – prescription – interruption – employeur – employé.
1
Le présent article est le fruit d'un Mot de circonstance prononcé à l’occasion du renouvellement de
serment du Président du Tribunal de Travail de Lubumbashi, en date du 14 octobre 2023. L'auteur
remercie, par ce canal, Dieu d'avoir permis sa nomination et affectation à ce poste. Il présente
également ses remerciements au Président de la République, Son Excellence Félix-Antoine
Tshisekedi Tshilombo. Il remercie enfin au Président du Conseil Supérieur de la Magistrature et
au Premier Président de la Cour de Cassation pour l’avoir proposé à un grade supérieur de
conseiller à la Cour d’Appel et assumé les fonctions de Président du Tribunal de travail.
Abstract
The purpose of this study was to demonstrate the lack of material jurisdiction
of the judge under Article 258 of the Congolese Civil Code, Book III to hear a claim
for damages arising from the employment relationship, in accordance with Law No.
015-2002, as amended and supplemented by Law No. 16/010 of July 15, 2016 on the
Labour Code in the Democratic Republic of Congo.
To this end, article 15 of Law No. 016/2002 of 16 October 2002 on the
establishment, organization and functioning of the Labour Courts stipulates that:
“The Labour Courts shall hear individual disputes arising between the worker and
his employer in or in connection with the employment contract, collective
agreements or labour and social security legislation and regulations".
However, the civil court has jurisdiction when it is seized under Article 149
of Organic Law No. 13|011 – B of 11 April 2013 on the organization, functioning
and jurisdiction of the courts of the judicial order, which provides that: "The rules
relating to the organization and jurisdiction provided for in this organic law are
applicable in commercial and social matters where the Commercial Courts and the
Labour Courts are not still installed."
This is why this reflection concludes that only the Labour Courts have
jurisdiction to hear individual disputes arising between the employee and the
employer, as the Congolese legislator did not provide for the time during which the
interruption of the limitation period must last, the limitation period being effectively
interrupted indefinitely.
Keywords: employment contract – prescription – interruption – employer –
employee.
Plan sommaire
Introduction
I.
II.
III.
Point de départ du délai de prescription
Hypothèses où le délai de prescription est interrompu ou suspendu
Moment d’expiration du délai de prescription
Conclusion
……………………………………………………………..
16
Introduction
Avant toute chose, il est loisible de relever que la notion de la prescription
diffère selon que, l’on est en matière civile ou en matière pénale ou encore en matière
sociale. Autrement dit, la prescription est un concept qui implique plusieurs
acceptations.
La prescription tend à faire déclarer l’action irrecevable parce qu’elle a pour
effet l’extinction de l’action. La prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer
par un certain laps de temps et sous les conditions déterminée par la loi2.
A noter que la prescription peut désigner deux éléments juridiques, à savoir :
-
Un ensemble de règles et de conseils formalisé par écrit règlementant
officiellement une activité, généralement professionnelle.
Le mode d’acquisition d’un droit, ou d’extinction d’un droit ou des
possibilités de poursuites, par l’écoulement d’une certaine durée.
En droit civil des obligations, la prescription extinctive se définit comme un
mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un
certain laps de temps3. En droit civil des biens, la prescription acquisitive
« usucapion »4 est un moyen d’acquérir un bien ou un droit réel5 par l’effet de la
possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on
puisse opposer l’exception déduite de la mauvaise foi.
En conséquence, la prescription est un mode légal d’acquisition ou
d’extinction des droits par le simple fait de leur possession pendant une certaine
durée. D’ailleurs il faut noter que la prescription est un principe général de droit qui
désigne la durée au-delà de laquelle une action en justice pénale, n’est plus recevable.
En droit pénal, on parle de la prescription de l’action publique et de la prescription
des peines (voir les articles 24 et suivants du code pénal congolais). En matière
répressive, enseigne Esika Makombo Eso Bina, la prescription se définit comme
étant le droit accordé par la loi à l’auteur d’une infraction, de ne plus être poursuivi
ou, s’il a déjà été poursuivi et condamné, de ne plus subir sa peine, après
2
Article 613 du Code Civil Congolais, Livre III
L’article 613 du Décret du 30 juillet 1888 portant code civil congolais, livre III dispose que : « La
prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps et sous les
conditions déterminées par la loi ».
4
KATUALA KABA KASHALA, De prescription en matière civile, Editions Batena Tambua,
Kinshasa, 1996, p.3.
5
Remy KASHAMA TSHIKONDO, « La prescription acquisitive en matière immobilière est-elle
possible en droit positif congolais ? Maître Remy Kashama Tshikondo réagit à la thèse développée
par le Professeur Kifwabala Tekilazaya dans le n°45 de la revue les analyses juridiques », In
Réflexions Juridiques Africaines, Vol.1, n°1, Editions Hubert Kalukanda, Lubumbashi, 2023,
p.17.
3
17
l’écoulement d’un certain laps de temps, déterminé par la loi, depuis la perpétration
de l’infraction ou depuis le jugement6.
La prescription de l’action publique consiste en ce que celle-ci s’éteint si,
après l’écoulement d’un certain délai, les poursuites n’ont pu être engagées7.
En droit congolais, enseigne la jurisprudence, la prescription est
essentiellement une question de fond et non une question de procédure, comme c’est
le cas dans certains systèmes juridiques8.
La prescription de l’action publique est sans influence sur la prescription de
l’action civile. L’action civile ne peut être introduite devant le juge répressif qu’à
condition que l’action publique ne soit pas encore éteinte9. A cet effet, il a été décidé
en ce sens qu’ « Est irrecevable l’action civile introduite alors que l’action publique
était déjà éteinte par la prescription au moment où le juge en était saisi »10. Dans ce
sens, il a été également jugé par la Cour Suprême de Justice de la RDC qu’ « Est
irrecevable l’action civile introduite alors que déjà l’action publique était éteinte
par la prescription au moment où le juge en a été saisi »11.
En cas de prescription de l’action publique, pour se prononcer valablement
sur l’action civile, le tribunal doit constater d’abord que la prescription de l’action
publique est intervenue en cours d’instance12.
En matière civile, la prescription n’est pas d’ordre public. Le juge ne peut
suppléer d’office au moyen résultant de la prescription, aux termes de l’article 617
du C.C.L III. Il a été arrêté à cet effet que « Viole l’article 617 du code civil, Livre
III, la décision judiciaire qui soulève d’office l’exception tirée de la prescription de
l’action en justice instituée par cette disposition légale étant donné que cette
prescription est d’ordre privé »13. En matière de prescription, les actions judiciaires
6
ESIKA MAOMBO ESO BINA, le Code pénal zaïrois annoté, livre premier, des infractions et de la
répression en général, Lubumbashi, 1977, p.10.
7
NYABIRUNGU MWENE SONGA, Droit pénal général Civil, Editions Droit et Société « DES »,
Kinshasa, 1989, p.342.
8
Kin 16 jan 1974, RJZ 1975, Mai – Déc, N° 2x3, pp119 – 123, citée par Ruffin LUKOO MUSUBAO,
Droit pénal congolais, principes et subtilités, Tome I, 3ème Edition, On s’en sortira, Kinshasa,
2012, p.345.
9
Gabriel KILALA Pene AMUNA, Procedure civile, Volume I, Kampala, Leadership Editions, 2012,
p.287.
10 ère
1 Inst. Elis, Rev. Jur. 1930, p 179, C.S.J, 3 Déc. 1976. Bull. 1977, p.198 ; R.J.Z, 1978, p. 94 citées
par G. KILALA Pene AMUNA, Op.cit., p.287.
11
C.S.J, RPA, 38,23/18/1976, Bull. 1977, p198 ; R.J.Z. 1978, p.94, citée par DIBUNDA KABUINJI
MPUMBUAMBUJI, Répertoire Général de jurisprudence de la Cour Suprême de justice 1969 –
1985, p.179.
12
C.S.J, RP 429, 9/9/1980, R.J.Z 1983, p.17, citée par DIBUNDA KABUINJI MPUMBUAMBUJI,
Op. cit., p.180.
13
C.S.J. Juin 1979, Bull. 1984, p.173 ; C.S.J, 2 Fév. 1978, Bull 1979, p.14, citées par G. KILALA
Pene AMUNA, Op.cit., p.284.
18
découlant du contrat de travail sont régies par les dispositions particulières. Leurs
périodes de prescription sont fixées par l’article 317 du code du travail.
En droit du travail, la prescription a pour effet d’éteindre l’action avec comme
conséquence que les tribunaux ne peuvent pas la recevoir et l’examiner. Par l’effet
de la prescription, l’obligation contractuelle change de nature et devient une
obligation naturelle qui ne peut faire l’objet d’un jugement. L’obligation naturelle
ou morale ne peut être exécutée que volontairement par le débiteur 14. Dès lors que
ce délai de prescription est dépassé, aucune action en justice, qu’elle soit civile,
sociale ou pénale, ne peut aboutir. On dit aussi que la prescription a un effet extinctif.
Par ailleurs, il ne faut pas confondre la prescription et la forclusion. En effet,
si la forclusion et la prescription sont sanctionnées de la même manière par une fin
de non-recevoir, il existe des différences entre les deux notions. Les délais de la
prescription sont susceptibles d’interruption et de suspension alors que ce n’est pas
le cas pour le délai de forclusion qui est un délai préfix qui n’est susceptible ni de
suspension ni d’interruption ; la forclusion encourue par celui qui n’a pas respecté le
délai est de plein droit, elle doit être relevée d’office par le juge et celui qui en profite
ne saurait y renoncer. S’agissant de l’action fondée sur le licenciement, la
prescription se justifie par la nécessité de préserver l’ordre public et la paix sociale15.
La forclusion, enseigne la doctrine, entrainerait non seulement la perte de
l’action mais encore l’impossibilité de faire valoir son droit par voie d’exception
contrairement à la maxime : « quae temporallia sunt ad agendum perpetua sunt ad
excipiendum »16.
La notion de la prescription en droit du travail est loin d’être simple. En effet,
le droit du travail met en place une multitude de délais de prescription différents,
selon le litige concerné. Si certains de ces délais semblent raisonnables (par exemple
trois ans pour les actions naissant du travail), d’autres sont au contraire extrêmement
courts (par exemple un an pour les actions en paiement du salaire)17, pour contester
devant l’Inspecteur du travail et devant le tribunal du travail.
14
KALANGO MBIKAYI, Droit Civil des obligations, Editions Universitaires Africaines, Kinshasa,
2012, p.203, cité par TSHIZANGA MUTSHIPANGU, Droit Congolais des relations de travail,
Editions connaissance du droit, Kinshasa, 2017, p.393.
15
TSHIZANGA MUTSHIPANGU, Op.cit., p.395.
16
G. KILALA Pene AMUNA, Op.cit., p.278. Il sied de signaler que lorsqu’une action en nullité ne
peut plus être intentée parce qu’elle a été éteinte par l’écoulement du délai de la prescription, son
bénéficiaire peut s’abriter derrière une exception qui, elle, est perpétuelle.
17
L’article 317 du code congolais du travail dispose que : « Les actions naissant du contrat de travail
se prescrivent par trois ans après le fait qui a donné naissance à l'action, à l'exception : 1) des
actions en paiement du salaire qui se prescrivent par un an à compter de la date à laquelle le
salaire est dû , 2) des actions en paiement des frais de voyage et de transport qui se prescrivent
par deux ans après l'ouverture du droit au voyage, en cours d'exécution du contrat, ou après la
rupture de ce dernier. La prescription n'est interrompue que par a) la citation en justice ; b)
l'arrêté de compte intervenu entre les parties mentionnant le solde dû au travailleur et demeuré
19
Dans ce sens, il a été jugé que « Toute action dont le titulaire de droit saisit
l’inspection du travail plus de trois ans après le licenciement est prescrite. Si au
contraire, avant le délai de trois ans à dater de la naissance du litige, le titulaire du
droit saisit l’inspection du travail, cette saisine interrompt la prescription dès la
réception de la demande de conciliation »18.
Nous allons tenter dans cette analyse de faire le point sur les règles
applicables de prescription (Quel est le point de départ ?, La prescription peut-elle
être interrompue ou suspendue ?), avant d’exposer précisément sur certains délais
existants en droit du travail.
I. Point de départ du délai de prescription
Le point de départ du délai de prescription se situe le jour où le titulaire d’un
droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Ainsi, la
jurisprudence enseigne que les actions naissant d’un contrat de travail se prescrivent
par un délai de trois ans. Ce délai ne commence à courir effectivement qu’à partir de
la rupture par un des contractants. Tel n’est pas le cas si la rupture n’a jamais été
notifiée19.
Il y a lieu que nous apportons quelques précisions sur le point de départ du
délai de prescription. Ainsi, la doctrine enseigne que le délai de prescription de
salaires ne court qu’à partir de la date à laquelle les salariés payés au mois, par
exemple, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement
des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférant
au mois considéré20.
Contrairement à un arrêt de la Cour d’Appel qui a jugé que dès lors qu’il n’y
a pas rupture du contrat, le travailleur est en droit de réclamer paiement de salaire dû
à tout moment peu importe l’écoulement de temps, car le point de départ de la
prescription semble plutôt être la date de l’expiration du contrat et non celle du
moment où le droit est né, il est donc irrelevant de considérer comme prescrite après
18
19
20
impayé ; c) la réclamation formulée par le travailleur auprès de l'employeur, par lettre
recommandée avec avis de réception ; d) la réclamation formulée par le travailleur devant
l'Inspecteur du Travail, sous réserve des dispositions de l'article 299 du présent Code ».
C.A L’shi RTA 348|349|350|351 du 23 Mai 2000, citée par Ruffin LUKOO MUSUBAO, La
jurisprudence congolaise en droit du travail et de la sécurité sociale, Volume I, Éditions On s’en
sortira, Kinshasa, 2006, p.177.
C.A Kin/Gombe, RTA 3621 du 27 Mars 1997, citée par Ruffin LUKOO MUSUBAO, Droit du
travail et de la sécurité sociale, principes et subtilités, 2ème édition, Éditions On s’en sortira,
Kinshasa, 2023, p.318.
Vital ILUNGA KASONGO, Code du Travail. Modifié, complété et annoté, Editions Nouveaux
Elans, Kinshasa, 2019, p.231.
20
un an, l’action en réclamation de salaire alors que le contrat liant le travailleur à son
employeur est en cours d’exécution par les deux parties21.
Aux termes de l’article 317 du code du travail, les actions en paiement de
salaire se prescrivent par un an à compter de la date à laquelle le salaire est dû. Il y a
lieu de noter que l’article 98 du code du travail s’applique pour autant que l’action
en paiement de salaire ne soit pas déjà prescrite conformément aux articles 299 et
317 du code du travail. Ici, l’employeur doit soulever l’exception de la prescription
de l’action en payement de salaire, qui elle, se prescrit par un an à dater du jour où
le salaire est dû, même si le contrat entre parties est encore en vigueur. Ainsi, par
exemple en cas de discrimination, le délai de prescription court à compter de la
révélation de la discrimination. En cas de harcèlement moral, le délai de prescription
court, quant à lui, à compter du jour où le dernier fait constituant un harcèlement a
été commis.
La jurisprudence apporte parfois quelques précisions sur le point de départ
du délai de prescription. Ainsi, selon la Cour de cassation Française, pour les salariés,
le délai court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue
exigible22. Elle souligne d’ailleurs que pour les salariés payés au mois, la date
d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en
vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois
considéré. Et s’agissant de l’indemnité de congés payés, le point de départ du délai
doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de
laquelle les congés payés auraient pu être pris.
Pour notre part, si une demande est prescrite, le demandeur doit donc prouver
qu’il ne connaissait pas, mais aussi qu’il ne pouvait pas connaître son droit d’ester
en justice.
Aussi, il a été jugé que « Lorsque le salarié n’a été mis en mesure de
connaître la convention collective dont relève son employeur qu’à l’issue d’une
procédure judiciaire, le délai de prescription de l’action en paiement d’un rappel de
primes conventionnelles court à compter de cette date »23. Analysons quelques
hypothèses de délai de prescription.
II. Hypothèses où le délai de prescription est interrompu ou suspendu
Avant de détailler le cas d’interruption ou de suspension de la prescription, il
y a lieu de rappeler la distinction entre les termes « suspension » et « interruption ».
21
C.A Matadi, RTA 754 du 28 Aout 2013, Aff. Ntanga Loangu C/ SAFRITEL, inédit, citée par V.
ILUNGA KASONGO, Op.cit., p. 231.
22
Cass. Soc. 14 Nov. 2013, N° 12-17409, en ligne sur : https://juricaf.org/arret/FRANCECOURDECASSATION-20131114-1217409 (consulté le 9 novembre 2023 à 15h14).
23
Cass. Soe. 25 Septembre 2013, N° 11-27. 693, BC V N° 806, citée par Benjamin MARCOLIS et
Lysiante THOLOY, Jurisprudence sociale, droit du travail, 19ème édition, Groupe Revue
Fidriciciné, Revis, 2016, p. 1391.
21
En effet, la suspension stoppe temporairement le délai de la prescription qui court
mais sans pour autant effacer le délai déjà couru. Au contraire, l’interruption efface
le délai de prescription déjà acquis. Un nouveau délai de même durée que l’ancien
redémarre.
L’interruption de la prescription, enseigne Tshizanga Mutshipangu, consiste
en l’effacement du temps de prescription qui a couru et en recommencement d’une
nouvelle période de prescription24. Le Législateur Congolais n’a pas prévu le temps
durant lequel l’interruption de la prescription doit durer, et donc lorsqu’il y a un acte
interruptif, la prescription est effectivement interrompue de manière tout à fait
indéterminée.
Bien que le code de travail congolais est muet sur la suspension de la
prescription, que ce silence ne présuppose pas qu’elle est inexistante en droit de
relation de travail, parce qu’elle ait pour finalité d’empêcher le déclenchement de la
prescription ou de provoquer l’arrêt de son cours lorsqu’elle a commencé son envol
et ce, jusqu’à ce que disparaisse la course qui l’a générée. Le délai qui a couru ne
s’efface pas. Il subsiste et s’ajoute au temps restant à courir.
En principe, le délai de prescription est interrompu si une demande en justice
est effectuée. Il en est de même du délai de forclusion. L’interruption de la
prescription consiste en l’effacement du temps de prescription qui a couru et en
recommencement d’une nouvelle période de prescription. Pour notre part, cette
interruption s’applique même si la demande en justice est portée devant le Tribunal
du Travail incompétent ou si l’acte de saisine de la juridiction est annulé en raison
d’un vice de procédure. La prescription des actions en payement de salaire est
interrompue, soit par la citation en justice, soit par l’arrêt de compte intervenu entre
les parties, lequel mentionne le solde dû au travailleur et demeuré impayé, soit par la
réclamation formulée par le travailleur auprès de l’employeur par lettre
recommandée avec avis de réception, soit enfin par le travailleur devant l’inspecteur
du travail, sans réserve que, en cas de non conciliation, l’action en justice soit
introduite dans le délai maximum de douze mois qui suivent l’établissement du
procès – verbal qui clôture la procédure devant l’inspecteur.
Lorsque le travailleur muni de son procès – verbal de non-conciliation ou de
carence forme sa demande devant le tribunal, la prescription de douze mois est
interrompue. C’est la date de la réception au greffe du tribunal, de la requête du
salarié qui constitue le point de départ de l’interruption de la prescription qui est
d’ordre public et non la date de la fixation de l’audience.
La présente réflexion partage la position de la Cour d’Appel de Lubumbashi,
actuellement Cour d’Appel du Haut-Katanga qui a arrêté que la prescription en
matière du travail étant d’ordre public, le premier juge a bien dit le droit en la
24
TSHIZANGA MUTSHIPANGU, op cit, p.395.
22
soulevant d’office étant donné que le travailleur a introduit son action en justice
douze mois après l’établissement du procès – verbal de non-conciliation25.
La doctrine de Tshizanga Mutshipangu enseigne également que la
prescription est interrompue par la citation en justice, l’arrêt de compte intervenu
entre l’employeur et le travailleur et comportant le solde restant dû et non encore
payé ainsi que la réclamation du travailleur introduite auprès de l’employeur par
lettre recommandé avec avis de réception. Il en est de même de la réclamation du
travailleur introduite auprès de l’Inspecteur du travail26.
Il y’a lieu de préciser que la saisine de l’inspection du travail interrompt la
prescription à l’égard de toutes les demandes du salarié relatives au même contrat de
travail, mais aussi à l’égard de toutes les demandes de l’employeur. La procédure
interruptive des délais prévus par l’article 317 du code du travail constitue une faveur
pour la partie qui veut initier une action contre l’autre partie, car l’interruption
prolonge le délai prévu.
Notons également que la prescription ne court pas ou est suspendue en cas
d’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement réduit résultant de la loi, de la
convention ou de la force majeure. La jurisprudence a précisé que le délai de
prescription peut être suspendu chaque fois qu’il existe une raison de droit qui
empêche d’agir celui contre lequel il court. Une impossibilité de fait est sans effet27.
Quel est le moment d’expiration du délai de prescription.
III. Moment d’expiration du délai de prescription
La prescription se décompte par jours et non par heures. Elle est acquise
lorsque le dernier jour du terme est accompli. Tout délai expire le dernier jour à
vingt-quatre (24) heures. Si ce dernier jour est un samedi, un dimanche ou un jour
férié ou chaumé, le délai est encore prolongé jusqu’au premier jour ouvrable et
suivant.
A titre de rappel et ce, conformément à l’article 317 du Code de Travail
Congolais, les actions qui naissent du contrat de travail se prescrivent par trois ans
après le fait qui a donné naissance à l’action, à l’exception :
1. Des actions en paiement du salaire qui se prescrivent par un an à compter de
la date à laquelle le salaire est dû ;
C.A L’Shi, RTA 655, du 20 Février 2008, Aff. BUKASA KANDOLO C/ La Banque Commerciale
du Congo, inédit.
26
TSHIZANGA MUTSHIPANGU, Op.cit., p.395.
27
Cons. Prud. Appel Liège, 29 Janv. 1954 ; JT, 1955, p.218, cité par Ruffin LUKOO MUSABAO,
La jurisprudence en droit du travail et de la sécurité sociale, Tome I, 2ème Edition ON S’EN
SORTIRA, 2011 – 2013, p.319.
25
23
2. Des actions en paiements des frais de voyage et de transport qui se prescrivent
par deux ans après l’ouverture du droit au voyage, en cours d’exécution du
contrat, ou après la rupture de ce dernier.
La prescription n’est interrompue que par :
a. Une action en justice,
b. Un arrêté de compte intervenu entre les parties, mentionnant le solde dû au
travailleur et demeuré impayé ;
c. La réclamation formulée par le travailleur auprès de l’employeur par lettre
recommandée avec avis de réception ;
d. La réclamation formulée par le travailleur devant l’inspecteur du travail, sous
réserve des dispositions de l’article 299 du présent code.
Toute action judiciaire en matière du travail doit s’exercer dans un délai de
trois ans à compter de la survenance du fait qui l’a généré, à l’exception de l’action
en paiement du salaire qui doit s’exercer dans le délai d’un an à compter de la date à
laquelle le salaire est dû et de l’action en paiement des frais de voyage et de transport
dans le délai de deux ans à compter de la naissance du droit au voyage ou à compter
de la rupture du contrat de travail.
Ainsi, lorsque le titulaire d’un droit n’a pas fait valoir celui-ci dans le délai
légal ou se décide de le faire fort tard au-delà du délai légal, le prétoire lui sera fermé
au motif qu’il ne peut plus agir parce que son action ou son droit de poursuivre en
justice étant déjà éteint. Sa demande sera ainsi déclarée irrecevable, parce que son
action est prescrite. Ainsi, a-t-il été jugé qu’ « Est prescrite et irrecevable, l’action
en dommages-intérêts fondée sur un contrat de travail exercée en dehors du délai
légal »28.
Le Législateur congolais n’a pas prévu le temps durant lequel l’interruption
de la prescription doit durer, et donc lorsqu’il y a un acte interruptif, la prescription
est effectivement interrompue de manière tout à fait indéterminée. Contrairement à
un arrêt qui considère que même si les actes interruptifs de la prescription sont
valables et probants, ils ne peuvent en aucun cas durée au-delà du double du terme
primitif29.
Dans l’arrêt du 18 mars 2013, la Cour de Cassation Belge dans l’affaire
opposant la Générale des Carrières et des Mines, en abréviation GECAMINES SA
contre C.L et UMICORE SA, a soutenu que la jurisprudence congolaise s’est
L’Shi, 1er Juin 1974, cité par LUWENYEMA LULE, Précis de droit du travail congolais, 2ème
édition, Kinshasa, Editions LULE, 2017, p.792.
29
C.A Kin/Gombe, RTA 6696 du 10 Octobre 2013, Aff ELOHA DIATA C/INSS, inédit.
28
24
récemment prononcée sur la nature du délai de prescription annale, à deux reprises 30.
Ainsi, soutient cette Cour de Cassation, la Cour d’Appel de Kinshasa – Gombe avait
décidé que « les courtes prescriptions » de l’article 152 (actuel article 317) du code
du travail congolais, telles que les actions en paiement des frais de voyages et de
transport sont fondées sur une présomption de paiement. De même, poursuit cette
Cour de Cassation, la Cour d’Appel de Kinshasa – Matete a, à proposer de l’effet de
la réclamation formulée à l’égard de l’employeur, visée à l’article 152 (article 317)
alinéa 2, e), décidé par cette réclamation, la présomption de paiement disparait et la
créance tombe sous l’emprise de la prescription trentenaire ou autrement dit, que
cette réclamation opère l’intervention de la prescription, mécanisme propre aux
prescriptions fondées sur la présomption de paiement.
Pour notre part, les Cours d’Appel sus évoquées se sont référées dans les deux
cas, à la doctrine spécialisée de Luwenyema Lule, dans son ouvrage intitulé « précis
de droit du travail » de 1987. Cet auteur range la prescription de l’article 152
(actuelle article 317) du code de travail dans la catégorie des prescriptions fondées
sur une présomption de paiement à l’instar de celles qui sont visées par les articles
652 et suivants du décret du 30 juillet 1888 sur les contrats ou obligations
conventionnelles, en raison de la brièveté de son délai ou qui s’explique par le fait
que le salaire devait être payé très strictement à l’échéance. Le Législateur a estimé
qu’au bout d’un temps, assez bref, le paiement devrait être présumé avoir été
effectué ; qu’en raison du caractère alimentaire du salaire, il est supposé que le
travailleur n’a pas pu faire crédit à son employeur31.
La Cour de Cassation Belge a soutenu qu’il n’était pas isolé dans cette
opinion puisque, dans un article publié en 1974, intitulé « le problème de la
prescription en droit moderne et traditionnel », dans la revue juridique du congo,
Monsieur Mbaya Ngang Kumabuenga indiquait que : « Les courtes prescriptions ont
un délai variant de six ans à deux ans. Elles tirent leur rendement de la présomption
de paiement ».
En effet, comme il s’agit ici des dettes qui, dans la pratique des choses, se
règlent rapidement, on présume que le débiteur a payé sa dette à l’expiration du
terme. La loi suppose que le créancier a été payé dès lors qu’il n’a pas réclamé son
paiement dans un court délai.
Nul n’ignore que le code congolais du travail établit une présomption d’un
an pour les actions en paiement du salaire et de deux ans pour les actions en paiement
des frais de voyage. Il est exact que Luwenyema Lule conforte son analyse de la
30
Arrêt de la Cour de Cassation Belge du 18 mars 2013, en ligne sur :
https://www.dipr.be/sites/default/files/rechtspraak/20132_20130318A.pdf
(consulté le 9
novembre 2023 à 15h51).
31
Revue juridique du Zaïre : droit écrit et droit coutumier, Année 1974, pp 243-274.
25
nature de la prescription instaurée par l’article 317 du code congolais du travail par
une jurisprudence qui sera ultimement renversée.
Il convient de rappeler que cet article introduit une prescription de courte
durée pour les seules actions des travailleurs en paiement de leurs salaires et de leurs
frais de voyage et de transport, prenant cours à la date à laquelle le salaire ou la
créance de frais est dû, a, ou non, un lien de filiation direct avec les dispositions
coloniales et donc avec la jurisprudence rappelée ci-dessus.
Ainsi, selon la doctrine et la jurisprudence, les courtes prescriptions prévues
par le code du travail n’ont pas une nature libératoire. Elles n’éteignent pas la dette
de salaire. Il est d’avis de la doctrine que cette solution est la seule qui va dans le
sens de la finalité poursuivie par le code du travail, la protection du travailleur. Elle
est d’autant plus logique que dans la pratique, certains employeurs restent en défaut
de payer la rémunération depuis plusieurs années32. La même doctrine renseigne que,
admettre qu’ils sont libérés de leur obligation de payer ladite rémunération après
écoulement d’un certain laps de temps reviendrait à nier la finalité ci-dessus.
Nous estimons pour notre part que, pareille solution serait aussi inéquitable
et immorale. Elles s’inscrivent en marge de la tendance de la plupart des pays
francophones d’Afrique qui admettent que les courtes prescriptions en matière de
salaire sont fondées sur une présomption de paiement.
Ainsi, est-il possible qu’un salarié dont le prétoire est fermé pour n’avoir pas
fait valoir son droit dans le délai légal de saisir le juge de l’article 258 du CCL III
pour demander les dommages-intérêts, ainsi que le paiement de la créance de
rémunération au motif que la prescription civile est trentenaire alors que la
prescription annale des actions en paiement du salaire est extinctive ?
La prescription extinctive se définit comme « un mode d’extinction d’un droit
résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ».
Nous notons qu’il s’agit de la conception subjectiviste de la responsabilité
civile qui sous-tend l’article 258 du code civil congolais, livre III qui stipule que :
« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui, par
la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Le Droit congolais consacre l’obligation de réparer à toute personne qui cause
dommage à autrui. Cette obligation peut naître non seulement du fait de la personne,
mais aussi par sa négligence et son imprudence. Il s’agit des obligations qui naissent
en dehors d’un contrat et font partie de la responsabilité civile. Contrairement aux
litiges du travail, les articles 258 et 259 du code civil congolais, livre III, posent des
règles concernant deux sources d’obligations, à savoir le délit et le quasi-délit. Il
32
Arrêt de la Cour de Cassation Belge du 18 mars 2013, en ligne sur :
https://www.dipr.be/sites/default/files/rechtspraak/20132_20130318A.pdf
(consulté le 9
novembre 2023 à 15h51).
26
s’agit de toute faute (délit) ou toute imprudence et négligence (quasi-délit) qui cause
un dommage à autrui et qui nécessite réparation33.
Conclusion
En conclusion, au vu de ce qui précède, l’employé ne peut nullement saisir le
juge civil pour obtenir paiement de dommages-intérêts, étant donné qu’il s’agit des
obligations qui naissent du contrat du travail qui échappent au juge de l’article 258
et 259 du code civil congolais, livre III.
Nous observons que le juge civil est incompétent à connaître d’une demande
en dommages et intérêts pour réparation d’un dommage lié au contrat du travail dès
lors que celle-ci peut être sanctionnée par le tribunal de travail si les faits ne sont pas
encore prescrits au regard de la notion développée supra. A cet effet, l’article 15 de
la Loi n° 016/2002 du 16 Octobre 2002 portant création, organisation et
fonctionnement des Tribunaux du Travail dispose que : « Les Tribunaux du Travail
connaissent des litiges individuels survenus entre le travailleur et son employeur
dans ou à l’occasion du contrat de travail, des conventions collectives ou de la
législation et de la réglementation du travail et de la prévoyance sociale ».
Ainsi, le juge de l’article 258 du code civil congolais, livre III est
matériellement incompétent pour connaître des litiges nés d’un contrat de travail.
Toutefois, le juge civil est compétent lorsqu’il est saisi aux termes de l’article 149 de
la Loi organique n° 13|011 – B du 11 Avril 2013 portant organisation fonctionnement
et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire qui dispose que : « Les règles
relatives à l’organisation et à la compétence prévues par la présente loi organique
sont applicables en matières commerciales et sociales là où les Tribunaux de
commerce et les Tribunaux du travail ne sont pas encore installés ».
De ces dispositions légales pertinentes qui précèdent, seuls les Tribunaux du
Travail sont compétents pour connaître des litiges individuels survenus entre
l’employé et son employeur, le législateur congolais n’ayant pas prévu le temps
durant lequel l’interruption de la prescription doit durer, la prescription étant
effectivement interrompu de manière indéterminée.
*
*
*
33
KALONGO MBIKAYI, Op.cit., p. 31.
27
DOCTRINES
Observation électorale et crédibilité du processus électoral.
Quelle contribution, quelles perspectives
Par :
Joseph Kazadi Mpiana*
Professeur à l’Université de Lubumbashi et à
l’Université Nouveaux Horizons
Résumé
L’observation électorale est au cœur de tout processus électoral en RDC
depuis le premier cycle initié en 2006. Elle exerce une fonction à la fois préventive
et curative. A travers les rapports que les missions d’observation publient et
contenant des recommandations, certaines sont prises en compte pour des réformes
institutionnelles. Dans cet article il est question de réfléchir sur la contribution des
missions d’observation électorale à la crédibilité du processus électoral. Pour ce faire
le cadre juridique de l’observation électorale est illustré, une analyse diachronique
des missions d’observation électorale est scrutée depuis 2006 jusqu’au récent cycle
électoral initié le 20 décembre 2023. Pour l’auteur de ces lignes, les conclusions des
missions d’observation électorale ont inspiré certaines réformes législatives dont le
but concourt à l’amélioration du processus électoral. Cet apport est toutefois limité
et ne concerne pas le règlement du contentieux électoral en RDC.
Mots-clés : observation électorale, juge électoral, CENI, contentieux, transparence,
crédibilité.
Abstract
Election observation has been at the heart of any electoral process in the
DRC since the first cycle initiated in 2006. It has both a preventive and curative
function. Through the reports that the observation missions publish and containing
recommendations, some of them are taken into account for institutional reforms.
This article examines the contribution of election observation missions to the
credibility of the electoral process. To this end, the legal framework for election
observation is illustrated, a diachronic analysis of election observation missions is
scrutinized from 2006 until the recent electoral cycle initiated on December 20,
2023. According to the author of these lines, the conclusions of the election
observation missions have inspired certain legislative reforms aimed at improving
the electoral process. However, this contribution is limited and does not concern
the settlement of electoral disputes in the DRC.
Keywords: election observation, electoral judge, CENI, litigation, transparency,
credibility.
…………………………………………………………………………………..
31
Introduction
Depuis le premier cycle électoral initié en 2006 jusqu’au cycle ouvert depuis
le 20 décembre 2023, la présence des observateurs électoraux est l’une des constantes
du paysage électoral congolais. Le travail des observateurs est généralement mal
perçu par une certaine opinion qui considère l’observation électorale internationale
comme une atteinte à la souveraineté nationale. Cette conception est erronée.
L’observation électorale internationale respecte la souveraineté de l’Etat car la
mission est accréditée sur invitation de la structure organisatrice du processus
électoral ou à l’initiative de la mission électorale qui en formule la demande.
L’observation renforce la confiance du public et encourage la participation des
citoyens au processus électoral. L’observation devient également un complément au
travail des structures de gestion électorale. L’objectif principal d’une mission est de
favoriser le développement d’une culture démocratique. A cette fin, un rapport est
dressé pour chaque mission par des observateurs. Par des recommandations, les
observateurs apportent une amélioration sur l’organisation des élections. La présence
des observateurs peut aider à prévenir la fraude électorale. Ils doivent agir de manière
strictement neutre34.
L’observation électorale nationale n’échappe pas non plus à la critique, soit
de sa proximité avec le pouvoir en place soit de sa proximité avec l’opposition. Ces
préjugés présentent une image biaisée de l’observation électorale dont le
fonctionnement se fonde sur certains principes tels que l’invitation, la neutralité,
l’objectivité, la non-immixtion dans le processus électoral de manière à l’influencer
au profit des parties prenantes. L’image caricaturée de l’observation électorale
consiste à lui conférer des responsabilités dont elle n’est nullement investie. Elle
évalue ou apprécie le processus électoral dans son intégralité. Dans cette optique, les
observateurs électoraux ne certifient pas les résultats électoraux, mais émettent une
opinion, sur la base des informations recueillies d’une manière vérifiable, sur le
processus électoral.
L’observation peut porter sur un agrégat d’éléments tels que la composition
et le fonctionnement de l’organe de gestion électorale, la campagne électorale,
l’éducation électorale, l’accès aux médias publics, les activités de l’opposition, les
étapes préélectorales (l’identification, l’enrôlement des électeurs, l’établissement des
listes, déploiement du matériel, la logistique, le déroulement des opérations
* Professeur de Droit public à l’Université de Lubumbashi et à l’Université Nouveaux Horizons.
Professeur visiteur à l’Université Protestante de Lubumbashi. Cet article résulte d’une
communication orale que nous avons présentée le 14 décembre 2023 à l’Université Protestante de
Lubumbashi. Les données ont été complétées, étoffées et ajournées au regard de la tenue des
élections du 20 décembre 2023.
34
F. DESIRE NDOUMOU, Les missions d’observation des élections, Paris, L’Harmattan, 2012,
pp.152-153.
32
électorales le jour des scrutins, l’affichage des résultats, leur publication et
éventuellement le règlement du contentieux électoral).
Depuis le premier cycle électoral de 2006, différentes missions d’observation
électorale, aussi bien nationales qu’internationales ont été déployées en RDC et leurs
rapports ont été rendus publics. Certaines réformes de la loi électorale ou de la CENI
ont été partiellement inspirées par les rapports desdites missions. Les élections
présidentielles, législatives, provinciales et communales organisées le 20 décembre
2023 ont bénéficié de l’observation électorale. Les différentes missions électorales
ont déjà rendu publics leurs rapports préliminaires (déclarations préliminaires) qui
contiennent des informations et recommandations pertinentes.
La problématique au cœur de cet article est de cerner dans quelle mesure ou
à quelles conditions l’observation électorale peut contribuer à la crédibilité du
processus électoral. Quelle serait la valeur juridique des conclusions formulées dans
les rapports des missions d’observation électorale ? Peuvent-ils être pris en compte
et de quelle manière par les juridictions internes et internationales ? Quels seraient
les enjeux politico-diplomatiques de l’observation électorale ? Quel est l’impact de
l’observation électorale ou son apport à la crédibilité des processus électoraux ?
Voilà les questions sui sont au cœur de cet article et auxquelles nous tentons
de formuler des hypothèses et des réponses. Loin de les présenter de manière
disparate, ces questions sont reliées entre elles par une même trame et forment un
tout que nous analysons à travers ses différentes composantes.
De notre avis l’observation peut largement contribuer à l’amélioration des
processus électoraux futurs si les rapports établis par les missions d’observation
présentent des recommandations pertinentes et qu’ils sont pris en compte par les
pouvoirs publics notamment dans le processus d’amélioration de la loi électorale, de
la loi sur la CENI et des lois connexes à l’organisation des élections. Les juridictions
internes et internationales peuvent se servir à toutes fins utiles des appréciations
formulées par les missions d’observation électorale.
Précisons d’emblée que l’observation électorale est convoitée par plusieurs
disciplines scientifiques à l’instar de la sociologie politique, de la science politique,
des relations internationales, du Droit. Elle est par conséquent analysée selon les
orientations épistémologiques de chacune de ces disciplines recensées. La méthode
de l’observation électorale que nous développons dans cet article est principalement
juridique, orientée à la mise en exergue du fondement juridique de l’observation
électorale aussi bien en Droit international que dans le Droit interne congolais, à
scruter et à analyser les dispositions juridiques pertinentes relatives aux observateurs
électoraux et à leurs rapports. Elle s’inscrit dans le positivisme méthodologique. Ce
dernier a deux variantes : le positivisme juridique qui restreint l’analyse sur le droit
tel qu’il est élaboré et le positivisme factualiste qui commande d’aller au-delà de la
33
règle pour questionner son application dans la réalité sociale35 . C’est le positivisme
factualiste qui sert de fil conducteur à cet article.
Cette méthode n’ignore pas le substrat sociologique de l’observation
électorale ni les enjeux de celle-ci du point de vue des relations internationales ni les
rapports de forces entre les parties prenantes au processus électoral ou les défis à
relever dans la conduite du processus électoral. Sans biaiser la neutralité axiologique
qui devrait caractériser tout chercheur, un point de vue de notre part ne constitue
qu’une suite logique de tout effort entrepris dans la conduite de la recherche ayant
abouti à l’élaboration de cet article.
L’article est structuré en six points sans compter l’introduction et la
conclusion : Notions liminaires sur l’observation électorale (I), les structures de
gestion électorale et l’observation électorale (II), le cadre juridique de l’observation
électorale internationale (III), le cadre juridique de l’observation électorale en RDC
(IV), les Missions d’observation électorale en RDC : rétrospectives et perspectives
(V), l’observation électorale et le juge électoral (VI).
I. Notions liminaires sur l’observation électorale
A. Définition de l’observation électorale
L’observation électorale est parfois confondue avec des notions qui lui sont
proches comme la surveillance, la certification. Il importe, par conséquent de
déblayer le terrain en restituant à l’observation électorale la signification qui est la
sienne et qui est reprise dans cet article.
L’observation électorale constitue une collecte systématique et détaillée des
informations pertinentes sur le processus électoral ainsi que l’opinion rationnelle
faite sur la base des informations recueillies. Elle s’inscrit dans une dynamique à la
fois préventive et curative. Dans sa dimension préventive, elle peut contribuer à
prévenir, à réduire, les situations de fraude électorale. Dans son volet curatif, elle
peut formuler des recommandations pertinentes pour améliorer les futurs processus
électoraux. En effet, les rapports établis par les différentes missions d’observation
électorale crédibles peuvent inspirer les réformes électorales nécessaires. Ils peuvent
aussi être pris en compte, à des degrés variables par le juge dans le règlement du
contentieux électoral ou pour toute autre finalité.
Plusieurs définitions ont été proposées pour cerner la notion d’observation
(électorale). Ces définitions se recoupent. Deux peuvent être retenues dans le cadre
de cet article. Il s’agit d’une part d’une définition concise tirée de Directives de
l’OUA pour les missions d’observation et de suivi des élections en Afrique du 8
35
C.MVOGO MAURICE, « La présentation des candidats à l’élection présidentielle au Cameroun :
vertus apparentes et vices cachés », in ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux
constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie
constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp.413-436, spéc. à la p. 418.
34
juillet 2002 et d’autre part celle mieux élaborée et étoffée, proposée par la
Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections du 7 juillet
2005 souscrite par plusieurs Organisations internationales gouvernementales et non
gouvernementales. Les Directives précitées distinguent trois notions : l’observation,
le suivi et l’évaluation des élections. Par observation, les Directives visent l’action
de recueillir des informations et d’exprimer une opinion judicieuse sur la base des
informations recueillies. Le suivi y est entendu comme le droit d'observer le
processus électoral et d'intervenir dans ce processus au cas où les lois applicables ou
les normes établies sont violées ou ignorées. L’évaluation des élections renvoie à
l’évaluation préliminaire sur place des conditions dans lesquelles les élections se
dérouleront.
La Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections
entend par l’observation électorale internationale « la collecte systématique, exacte
et exhaustive d’informations relatives à la législation, aux institutions et aux
mécanismes régissant la tenue d’élections et aux autres facteurs relatifs au
processus électoral général; l’analyse professionnelle et impartiale de ces
informations et l’élaboration de conclusions concernant la nature du mécanisme
électoral répondant aux plus hautes exigences d’exactitude de l’information et
d’impartialité de l’analyse. L’observation internationale d’élections doit, dans la
mesure du possible, déboucher sur des recommandations visant l’amélioration de
l’intégrité et de l’efficacité des processus électoraux et autres procédures connexes
sans que cela ne perturbe ou n’entrave ces processus »36. Par mission d’observation
électorale internationale, la Déclaration entend « l’action concertée des associations
et organisations intergouvernementales et non gouvernementales internationales
chargées de l’observation internationale d’élections ».
Cette Déclaration ainsi que le Code de conduite y annexé ont été adoptés le
7 juillet 2005 par plusieurs organisations internationales et non internationales. Elle
a été commémorée aux Nations unies le 27 octobre 2005. L’Union africaine,
l’Organisation des Etats américains, l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe, l’Union européenne figurent parmi les organisations internationales ayant
souscrit cette Déclaration. Cette adoption représente un tournant historique décisif
dans l’observation électorale internationale traduisant une certaine codification
souple des règles qui émergeaient de la pratique des missions d’observation
électorale par les organisations internationales, les organisations internationales non
gouvernementales, des codes électoraux nationaux etc. Cette Déclaration constitue,
du point de vue juridique, un acte concerté non conventionnel ou un acte relevant de
la soft law dont les principales dispositions ont fait l’objet d’internalisation au sein
des ordres juridiques nationaux. L’observation électorale s’inscrit dans une optique
diachronique.
36
Souligné par nous.
35
B. Observation électorale : une pratique à la fois vieille et renouvelée
L’observation électorale internationale constitue une pratique à la fois vieille
et renouvelée. Le premier cas rapporté dans l’histoire moderne de l’observation
internationale des élections remonte à 1857, lorsqu’une commission européenne
formée par les représentants de l’Autriche, de l’Angleterre, de la France, de la Prusse,
de la Russie et de la Turquie avaient observé les élections générales tenues dans les
territoires controversés de la Moldavie et de la Wallachie. La pratique ne se
généralisa réellement qu’après la Seconde Guerre mondiale, sous l’égide de l’ONU
et dans le contexte de la décolonisation, de la transition démocratique et des
opérations de maintien de la paix37.
Les organisations internationales et les représentants des gouvernements ont
surveillé les événements électoraux qui se sont déroulés depuis la première Guerre
mondiale, et ce phénomène s’est généralisé au cours de la période suivant la seconde
Guerre mondiale. Au niveau universel, les Nations unies avaient institué un contrôle
international des élections dans les pays sous tutelle comme le Togo et le Cameroun38
. Au niveau régional, l’Organisation des Etats américains (OEA) était la première
Organisation régionale à envoyer les missions d’observation des élections dans ses
Etats membres. Ces missions avaient pour but de familiariser les Etats membres avec
les libertés démocratiques mais surtout de faire bloc derrière les idéaux
caractéristiques de la guerre froide39.
La fin de la guerre froide, la conversion des Etats autoritaires vers des
transitions démocratiques ont été accompagnées, dans plusieurs Etats de l’Europe
centrale, de l’Europe de l’est, de l’Amérique latine et de l’Afrique, par l’organisation
des élections multipartites. Ces transitions démocratiques ont été encouragées par
des organisations internationales qui se sont dotées de moyens dont l’observation
électorale, pour rendre libres, transparents et fiables les processus électoraux. C’est
pourquoi l’observation électorale, jadis une pratique éphémère et aléatoire, est
devenue, depuis trois décennies, une pratique constante dans la dynamique des
relations internationales et au sein des Etats.
Plusieurs facteurs expliquent ce regain : les mutations internationales
caractérisées par la fin de l’antagonisme entre les deux blocs et surtout le nouveau
vent de la démocratie « occidentale » qui soufflait depuis l’Est et le centre européen
jusqu’en Afrique où les différents régimes autoritaires et parfois totalitaires ont été
ébranlés et secoués d’une manière pacifique ou violente. S’ouvrit ainsi en Afrique
V.-Y. GHEBALI et NTOLE KAZADI, « La Déclaration de principe pour l’observation
internationale d’élections de l’UNEAD du 7 Juillet 2005, suivie des commentaires de l’OIF », in
J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 104-117, spéc. à la p. 105.
38
F. DESIRE NDOUMOU, Les missions d’observation des élections, Paris, L’Harmattan, 2012, p.5.
37
39
F. DESIRE NDOUMOU, op.cit., p. 6.
36
une transition des anciens régimes vers des nouveaux, à des rythmes variés selon
l’évolution de chaque Etat. Les élections libres et démocratiques, considérées à
l’époque comme une pratique rarissime dans un désert démocratique, devenaient le
chemin recommandé, encouragé ou parfois imposé pour assurer le passage de
l’ancien vers le nouveau. Les élections devaient être marquées par le sceau de la
sincérité, c’est-à-dire un ensemble des principes et règles garantissant
nécessairement la régularité de tout processus électoral. Parmi ces principes figurent
l’égalité, la liberté et le caractère secret du vote40.
De nouvelles Constitutions ont été adoptées dans cette vague proclamant
l’attachement des Etats africains au respect de l’Etat de droit, des droits de l’homme
dans leurs sources aussi bien internes qu’internationales. Cette attention portée sur
les élections libres et transparentes a été accompagnée en Afrique par la création de
nouvelles institutions ou structures de gestion électorale indépendantes chargées de
conduire dans la transparence le processus électoral. L’observation électorale est
inséparable en Afrique des structures de gestion électorale. Elles constituent l’objet
d’intérêt de l’observation électorale. Ce sont ces structures qui organisent et
conduisent les processus électoraux. En revanche les missions d’observation sont
accréditées auprès d’elles.
II. Les structures de gestion électorale et l’observation électorale
A. Emergence des structures de gestion électorale
Elles se développent en Afrique depuis le renouveau de la décennie 1990.
Ces structures prirent différentes dénominations et se sont généralisées en Afrique,
aux fortunes variées telles que Commission électorale nationale indépendante
(CENI), Commission électorale indépendante (CEI), Commission électorale
nationale autonome (CENA), Agence nationale des élections (ANE). Ces structures
de gestion apparaissent de nos jours comme l’une des tendances lourdes du
renouveau constitutionnel en Afrique en matière électorale dans la mesure où elles
sont prévues dans la plupart des Constitutions ou des lois africaines. En outre, leur
création est encouragée par l’Union africaine à travers son Acte constitutif du 11
juillet 2000 et surtout la Charte africaine de la démocratie, des élections et la bonne
gouvernance du 30 janvier 2007, le Protocole de la CEDEAO de 2001 sur la
démocratie et la bonne gouvernance. La Cour africaine des droits de l’homme et des
40
ABDOUL AZIZ MBODJI, « L’avènement d’un droit africain des élections démocratiques ? », in
ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges
en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan,
2022, pp. 339-369, spéc. à la p. 358.
37
Peuples a rendu au moins deux arrêts mettant en doute l’indépendance ou
l’impartialité de certaines structures de gestion électorale41.
Selon l’avis de certains auteurs, la création des Commissions électorales
sur le continent africain disqualifie le sempiternel reproche de mimétisme. Ces
organes répondent en effet à un besoin politique et social réel, authentique. Ils sortent
des entrailles de la société »42. Jean du Bois de GAUDUSSON voit dans ces
institutions « une manifestation de l’imagination africaine en matière d’ingénierie
juridique. Plus encore, de recettes politiques inventées pour résoudre une crise, elles
deviennent un dogme démocratique ; on les a considérées comme le passage obligé
de la consolidation démocratique »43. Ces structures de gestion électorale sont
indépendantes aussi bien du Pouvoir exécutif que du Pouvoir législatif bien que
collaborant avec ces deux Pouvoirs et le Pouvoir juridictionnel.
B. Nature juridique des structures de gestion électorale
Dans sa décision DCC 34-94 du 23 décembre 1994, la Cour constitutionnelle
du Bénin avait dégagé la nature juridique de la Commission électorale nationale
autonome (CENA) ainsi que ses finalités en ces termes : « Considérant que la CENA
s’analyse comme une autorité administrative autonome et indépendante du pouvoir
législatif et du pouvoir exécutif ; Considérant que la création de la CENA, en tant
qu’autorité administrative indépendante, est liée à la recherche d’une formule
permettant d’isoler, dans l’administration de l’Etat, un organe disposant d’une
réelle autonomie par rapport au Gouvernement, aux départements ministériels et au
Parlement, pour l’exercice d’attributions concernant le domaine sensible des
libertés publiques, en particulier des élections honnêtes, régulières, libres et
transparentes ; Considérant que l’institution de la CENA se fonde sur les exigences
de l’Etat de droit et de la démocratie pluraliste affirmées dans le Préambule de la
Constitution du 11 décembre 1990 (…). Considérant que la création d’une
Commission électorale indépendante est une étape importante de renforcement et de
garantie des libertés publiques et des droits de la personne ; qu’elle permet, d’une
part, d’instaurer une tradition d’indépendance et d’impartialité en vue d’assurer la
liberté et la transparence des élections, et d’autre part, de gagner la confiance des
électeurs et des partis et mouvements politiques ».
41
42
43
A titre indicatif, Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples. Affaire Actions pour la
protection des droits de l’homme (APDH) c. La République de Côte d’Ivoire. Requête n°
001/2014. Arrêt du 18 novembre 2016.
ALIOUNE SALL, Singularités juridiques africaines. Ce que l’Afrique apporte au droit, Paris,
L’Harmattan, 2023, p. 218
J. du BOIS de GAUDUSSON, « Les structures de gestion des opérations électorales. Bilan et
perspectives en 2000 et…dix ans après », in J-P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), Démocratie et
élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 259-286, spéc. à la p. 261.
L’ingénierie des structures indépendantes de gestion des élections a été prévue aussi dans des
Constitutions non africaines. A titre d’exemple la Constitution du Kosovo du 15 juin 2008 institue
une commission électorale centrale (art. 139).
38
C’est dans cette même perspective que s’est prononcée la Haute Cour
constitutionnelle de Madagascar dans sa décision du 16 octobre 2015 concernant la
commission électorale nationale indépendante44. Ces structures de gestion électorale
répondent au critère d’autorités indépendantes, c’est-à-dire « des organismes experts
qui remplissent des fonctions publiques avec le soutien de l’autorité
gouvernementale et au nom de l’Etat mais qui ne peuvent pas être dirigés par les
organes politiques45.
Dans une étude comparative consacrée aux Commissions électorales en
Afrique de l’ouest, M. HOUNKPE et Ismaila MADIOR FALL constatent que le
statut desdites Commissions comporte des traits communs et des différences
résultant de l’histoire de la démocratisation de chaque pays, de sa tradition juridique
et du rapport de forces politiques qui a permis la naissance de la Commission
électorale. La composition de ces Commissions est différente selon que dans certains
Etats les membres desdites commissions proviennent des acteurs politiques et/ou de
la société civile. Les Etats anglophones de l’Afrique de l’ouest (Gambie, Ghana,
Nigeria, Sierra Léone et Libéria) privilégient une commission politique neutre avec
une part plus belle aux experts46. L’indépendance statutaire de ces commissions
figure parmi les caractéristiques communes. Après l’étude précitée en langue
Décision n°31-HCC/D3 du 16 octobre 2015 concernant la loi n°2015-020 relative à la structure
nationale indépendante chargée de l’organisation et de la gestion des opérations électorales
dénommée « Commission électorale nationale indépendante ». La Haute Cour constitutionnelle
circonscrit la portée de l’indépendance de cette structure de gestion des opérations électorales en
ces termes : « (…). Considérant que la signification communément admise de la notion
d’indépendance d’un organe de gestion des élections, telle que la Commission électorale nationale
indépendante instituée par la loi sous examen, recèle deux dimensions distinctes, mais
complémentaires ; celle, d’une part, de l’indépendance institutionnelle, ou organique qui
s’apprécie principalement par rapport à l’Exécutif, celle, d’autre part, de l’indépendance
substantielle ou matérielle, qui se rapporte aux attributions et à la nature des responsabilités
confiées à la Commission ; que ce dernier aspect se vérifie à travers l’autonomie de la volonté de
la commission dans ses prises de décision, lesquelles doivent être dénuées de l’ingérence d’autres
institutions et des influences partisanes ; Considérant que ces deux acceptions de l’indépendance
de la Commission électorale sont certes rattachées à des problématiques distinctes, mais qu’elles
demeurent liées, la première tenant à la composition de la commission, la seconde à l’essence
même de la responsabilité de la commission (…) ». Cette décision est disponible en ligne à
l’adresse
http://www.hcc.gov.mg/decisions/d3/decision-n-31-hccd3-du-16-octobre-2015concernant-la-loi-n2015-020-relative-a-la-structure-nationale-independante-chargee-delorganisation-et-de-la-gestion-des-operations-elector/ consultée le 18 octobre 2015.
45
A. SAYO, « Les autorités indépendantes », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité
international de droit constitutionnel. Distribution des pouvoirs, Tome 2, Paris, Dalloz, 2012, pp.
321-365, spéc. à la p. 322.
46
Pour plus d’approfondissements, M. HOUNKPE et I. MADIOR FALL, Les Commissions
électorales en Afrique de l’ouest. Analyse comparée, Deuxième édition, Abuja, Friedrich Ebert
Stiftung, 2011, spéc. aux pp. 11-16.
44
39
française, une autre étude a fait l’objet de publication concernant les Commissions
électorales de l’Afrique australe47 et de l’Afrique de l’est48.
Examinant la conformité à la Constitution de la loi relative à la Commission
électorale indépendante (CEI) de la Côte d’Ivoire et principalement au regard de son
indépendance, le Conseil constitutionnel ivoirien relève que « désignés et nommés,
les membres de la Commission électorale indépendante ne sont pas des
représentants mais les organes de la personne morale qu’est la Commission
électorale indépendante, devant laquelle ils sont responsables »49. Cependant, la
Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, dans son arrêt du 18 novembre
2016, avait statué que la CEI manquait d’indépendance et que la Côte d’Ivoire ne
s’était pas conformée à son obligation tirée du Protocole de la CEDEAO sur la
démocratie et la bonne gouvernance d’une part et de la Charte africaine de la
démocratie, des élections et de la gouvernance d’autre part d’instituer des organes
de gestion électorale indépendants50. Dans son arrêt du 15 juillet 2020, cette Cour
constate que, nonobstant la modification de la loi ivoirienne sur la CEI, la Côte
d’Ivoire ne s’est pas conformée à ses obligations tirées de deux textes précités 51.
Selon Alioune SALL, l’impartialité prônée (des structures de gestion électorale) est
comprise comme « l’absence de parti-pris, l’éviction de toute considération
partisane dans la composition des commissions électorales »52.
Il apparaît évident que le crédit initial et les espoirs suscités par ces structures
de gestion électorale se sont progressivement effrités dans la plupart des Etats que
certaines voix s’élèvent sur leur remise en question. Dans un nombre réduit d’Etats,
particulièrement en Afrique de l’ouest, elles ont favorisé l’alternance démocratique.
Ces prémisses sont essentielles pour situer et comprendre la place qu’occupe
l’observation électorale. Son objectif est de contribuer à créer la confiance dans le
processus électoral.
47
OSISA, Election Management Bodies in Southern Africa. Comparative Study of the Electoral
Commissions’ Contribution to Electoral Processes. A Review by open Society Initiative for
Southern Africa and ECF-SADC 2016, South Africa, 2016.
48
OSISA, Election Management Bodies in East Africa. A Comparative study of the Contribution of
Electoral Commissions to the strengthening of democracy. A review by Afrimap and open Society
Initiative for Eastern Africa 2015, Open society Foundations, New York, 2016.
49
Conseil constitutionnel. Décision n° CI-2014-138/16-o6/CC/SG du 16 juin 2014 relative à la
requête de Monsieur KRAMO KOUASSI, représentant du collectif de 29 députés à l’Assemblée
nationale sollicitant le contrôle de constitutionnalité de certaines dispositions de la loi portant
modification de la loi n° 2001-634 du 19 octobre 2001. Inédit.
50
Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples. Affaire Actions pour la protection des droits
de l’homme (APDH) c. La République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18
novembre 2016.
51
Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples. Affaire Suy Bi Gohore Emile et autres c.
République de Côte d’Ivoire. Requête n°044/2019. Arrêt du 15 juillet 2020.
52
ALIOUNE SALL, Singularités juridiques africaines. Ce que l’Afrique apporte au droit, Paris,
L’Harmattan, 2023, p.228.
40
L’importance de l’observation électorale a été soulignée à plusieurs
occasions et dans plusieurs documents. Dans sa Résolution adoptée le 18 décembre
2009, l’Assemblée générale reconnaît que « l’observation d’élections par la
communauté internationale contribue à promouvoir des élections libres et honnêtes,
à renforcer l’intégrité du processus électoral dans les pays demandeurs, à encourager
la confiance du public et la participation électorale et à atténuer les risques de
troubles liés aux élections (…) »53. Pour l’Union africaine, « les observateurs
internationaux, régionaux et nationaux jouent maintenant un rôle important dans le
renforcement de la transparence et de la crédibilité des élections et de la gouvernance
démocratique en Afrique, et dans l’acceptation des résultats des élections à travers
le continent. Les missions d’observation et de suivi des élections peuvent également
jouer un rôle clé dans la réduction des conflits avant, pendant et après les
élections »54. Le cadre juridique de l’observation électorale au niveau international
est fragmenté ou morcelé dans plusieurs textes, manuels, directives dont la valeur
juridique est plus proche du droit non contraignant. Il est par contre à la fois
contraignant et non contraignant, selon le cas, en Afrique. Dans ce troisième point,
le cadre juridique international de l’observation électorale est analysé avant
d’illustrer les spécificités de ce cadre juridique en Afrique.
III. Cadre juridique de l’observation électorale internationale
A. Un cadre juridique médiat ou indirect
L’observation électorale tire son fondement juridique médiat des dispositions
internationales et nationales par lesquelles les Etats se sont engagés à organiser les
élections libres et honnêtes à intervalles réguliers. Ces élections constituent l’un des
moyens par lesquels les citoyens participent à la direction des affaires publiques.
Ce droit aux élections est, en Droit international, exprimé par la Déclaration
universelle des droits de l’homme55, le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques56. Au niveau régional, le Protocole 3 à la Convention européenne des
Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 18 décembre 2009. 64/155. Renforcement du rôle
que joue l’Organisation des Nations Unies dans la promotion d’élections périodiques et honnêtes
et de la démocratisation.
54
Directives pour les missions d’observation et de suivi des élections de l’Union africaine adoptée le
8 juillet 2002 à Durban.
55
Art.21.3: « La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics; cette volonté
doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage
universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ».
Souligné par nous.
56
Art.25: Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article
2 et sans restrictions déraisonnables : (…) b) De voter et d'être élu, au cours d'élections
périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression
libre de la volonté des électeurs (…) ». Mis en évidence par nous.
53
41
droits de l’homme57, la Convention américaine des droits de l’homme58, la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples59, la Charte arabe des droits de
l’homme60, la Déclaration de l’ASEAN des droits de l’homme61, la Charte africaine
de la démocratie, des élections et de la gouvernance62, le Protocole de la CEDEAO
Art.3 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales : « Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des
intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la
libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». Notre mise en évidence.
58
Art.23 (droits politiques). 1. Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ci-après énumérés:
(…) b) d'élire et d'être élus dans le cadre de consultations périodiques authentiques, tenues au
suffrage universel et égal, et par scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté des
électeurs, et c. d'accéder, à égalité de conditions générales, aux fonctions publiques de leur pays
(…) ». Souligné par nous.
59
Elle est assez « timorée ». L’article 13 de cette Charte reprend certaines dispositions analogues à
celles de la Convention européenne et de la Convention américaine des droits de l’homme. Cet
article passe sous silence toute référence aux consultations ou élections : « 1. Tous les citoyens
ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit
directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux
règles édictées par la loi. 2. Tous les citoyens ont également le droit d’accéder aux fonctions
publiques de leur pays (…) ». Toutefois dans son premier arrêt sur le fond, rendu le 14 juin 2013,
la Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples avait interprété, entre autres, cet article 13
en rapport avec l’interdiction, en République-Unie de Tanzanie des candidatures indépendantes
aux élections présidentielles. Une telle interdiction était au contraire au droit de participer à la
direction des affaires publiques. Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Jonction
d’instances. 1. Tanganyika Law society. 2. The Legal and Human Rights Centre c. RépubliqueUnie de Tanzanie (Requête n°009/2011). Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de
Tanzanie (Requête n° 011/2011).
60
Art.24 c : « Tout citoyen a le droit de se porter candidat ou de choisir ses représentants dans des
élections libres et régulières et dans des conditions d'égalité entre tous les citoyens assurant la
libre expression de sa volonté ». Mis en relief par nous.
61
Ar.25 (2): « Every citizen has the right to vote in periodic and genuine elections, which should be
by universal and equal suffrage and by secret ballot, guaranteeing the free expression of the will
of the electors, in accordance with national law ». Il convient de noter que cette Déclaration, non
contraignante, a été adoptée le 18 novembre 2012 par les Etats de l’Association des Pays de SudEst Asiatique (ASEAN). Elle est connue sous le titre anglais de Asean Human Rights Declaration
(AHRD).
62
L’article 2 fixe les objectifs de cette Charte, parmi lesquels figure la promotion de « la tenue
régulière d’élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité et un
gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement ». Art. 3 :
« Les Etats parties s’engagent à mettre en œuvre la présente Charte conformément aux principes
énoncés ci-après : (…).4. La tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes ». Souligné
par nous. Le contexte socio-politique qui avait prévalu en Afrique lors de l’élaboration et de
l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples avait changé à partir de
1990 en faveur d’une ouverture à la démocratie. L’Acte constitutif de l’Union africaine adopté le
11 juillet 2000 à Lomé énonce de nouveaux principes (Respect des principes démocratiques, des
droits de l’homme, de l’état de droit et de la bonne gouvernance). Ces derniers ont été complétés,
entre autres, par la Déclaration de l’OUA/UA sur les principes régissant les élections
démocratiques en Afrique adoptée le 08 juillet 2002.
57
42
sur la démocratie et la bonne gouvernance63, etc. A part les deux derniers instruments
juridiques qui se réfèrent, dans leurs dispositions, à l’observation électorale, les
autres instruments juridiques ne contiennent aucune référence directe à l’observation
électorale.
Au niveau international, le cadre juridique de l’observation électorale s’est
développé sur le fondement médiat, à l’exception de deux textes adoptés en Afrique.
En d’autres termes, au niveau international, la pratique de l’observation électorale
s’est développée sur aucun fondement juridique immédiat contraignant. Chaque
Organisation internationale qui recourait à cette pratique se dotait d’un corpus de
règles, pour la plupart, non contraignantes pour régir l’observation électorale.
B. Vers un cadre juridique immédiat ou direct
B.1. Au niveau universel
Parallèlement au cadre juridique médiat plus étoffé s’est développé
progressivement, d’une manière disparate, un cadre juridique spécifique à
l’observation internationale fragmenté jusqu’en 2005. En effet, les opérations
d’observation électorale furent, pendant longtemps, menées en l’absence de normes
uniformes ou de directives communément acceptées. Cette situation a évolué à partir
du 7 juillet 2005, date correspondant à l’adoption d’un acte concerté non
conventionnel souscrit par plusieurs Organisations internationales et certaines
organisations internationales non gouvernementales. Ce fut à l’initiative de la
Division de l’assistance électorale de l’ONU et de deux ONG américaines (le Carter
Center et le National Democratic Institute), qu’une Déclaration de principes pour
l’observation internationale des élections » accompagnée d’un Code de conduite à
l’usage des observateurs électoraux internationaux virent le jour. Ces textes
recueillirent l’adhésion immédiate des Organisations intergouvernementales les plus
concernées par la question- l’ONU, l’Union africaine, l’Organisation des Etats
américains, le Secrétariat du Commonwealth, l’Assemblée parlementaire et la
Commission de Venise du Conseil de l’Europe, la Commission de l’Union
européenne et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme
(BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)64.
Ces deux textes furent commémorés aux Nations unies le 27 octobre 2005.
Le véritable mérite de cette Déclaration réside dans la codification des
pratiques touchant les conditions préalables à l’observation électorale, ainsi que la
63
64
Art. 1er b) Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et
transparentes. Souligné par nous.
V.-Y. GHEBALI et NTOLE KAZADI, « La Déclaration de principe pour l’observation
internationale d’élections de l’UNEAD du 7 Juillet 2005, suivie des commentaires de l’OIF », in
J.P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 104-117, spéc. à la p. 106.
43
conduite pratique et l’évaluation de celle-ci65 . Les parties adhérentes à cette
Déclaration de principes relative à l’observation internationale des élections et au
Code de conduite des observateurs internationaux entendent conférer à ces textes le
statut d’un simple acte concerté non conventionnel, dépourvu de toute force
juridique66.
L’expression « codification » ne devrait pas être entendue dans toute sa
rigueur étant donné que ces deux instruments (Directives et Code de bonne conduite)
ne sont pas obligatoires à l’égard des parties qui y ont souscrit et qui sont pour la
plupart des Organisations internationales. La contribution des organisations
internationales non gouvernementales (OING) au progrès de l’observation électorale
n’est pas à sous-estimer tout comme leur apport à l’émergence de ce Droit
international relatif à l’observation électorale. Cette dernière ne peut plus se passer
des OING. Celles-ci ont acquis une véritable expérience et une capacité technique
qui font d’elles des actrices complémentaires et incontournables de l’action des
Organisations intergouvernementales67 .
Nous pouvons considérer l’adoption de la Déclaration et du Code de bonne
conduite comme l’amorce, sur le plan du Droit international, d’un Droit souple (ou
la soft law) international relatif à l’observation électorale. Sur le nouveau Droit
international relatif aux élections, Didier MAUS est d’avis qu’ « il existe encore trop
peu d’études et de réflexions, voire de synthèses, sur les approches et le contenu de
ce nouveau corps. Ce Droit international constitutionnel consacré aux élections
n’étant ni du véritable Droit national, ni la plupart du temps du véritable Droit
international, s’inscrit dans un entre deux et ne passionne guère ceux qui ne savent
pas dépasser l’horizon constitutionnel national, mais fournit un véritable terrain
d’études pour ceux qui tentent d’approfondir en français la notion de soft law du droit
anglo-saxon68 .
Le Droit international relatif aux élections s’est particulièrement développé à
l’aune de la soft law, Pour T. ONDO, cette expression vise, en matière électorale, à
décrire les déclarations des conférences intergouvernementales, les résolutions de
l’assemblée générale des Nations unies, les recommandations, déclarations, les
conventions internationales ou régionales non ratifiées relatives aux droits de
V.-Y. GHEBALI et NTOLE KAZADI, « La Déclaration de principe pour l’observation
internationale d’élections de l’UNEAD du 7 Juillet 2005, suivie des commentaires de l’OIF », in
J.P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), op.cit., spéc. à la p. 107.
66
V.-Y. GHEBALI et NTOLE KAZADI, « La Déclaration de principe pour l’observation
internationale d’élections de l’UNEAD du 7 Juillet 2005, suivie des commentaires de l’OIF », in
J.P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), op.cit., spéc. à la p. 114.
67
M. FAU-NOUGARET, « L’observation internationale non-gouvernementale des élections », in
J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 625-637, spéc. à la p. 636.
68
D. MAUS, « Elections et constitutionnalisme : vers un droit international des élections ? », in J.P.
VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 51-58, spéc. à la p. 58.
65
44
l’homme, aux élections, à la démocratie, etc., les actes concertés non conventionnels,
les avis consultatifs, les codes de bonne conduite et toute autre initiative émanant
d’acteurs étatiques ou non étatiques etc. (…). En fin, participant à la même finalité
d’outil de référence, les rapports des missions internationales des élections, les
communiqués et les recommandations des Nations unies et des organisations
internationales ou non gouvernementales, les déclarations et rapports des
Organisations intergouvernementales69.
Ce développement du Droit international relatif aux élections en général et à
l’observation électorale, en particulier par le biais de la Soft Law présente quelques
avantages comme une grande flexibilité dans son adoption. Elle peut aussi servir de
préalable à l’établissement du Droit positif. Le recours à la Soft Law peut aussi
apparaître comme une stratégie d’évitement du droit et des obligations juridiques
contraignantes existantes70.
Au regard de la multitude de manuels élaborés par plusieurs organisations
internationales et des ONG internationales destinés à leurs observateurs électoraux,
certains auteurs estiment que la variété de ces manuels justifie, s’il en était besoin,
l’urgence d’élaborer au moins un projet de Convention générale relative à la liberté
des élections et à l’observation internationale des élections71. L’Afrique a déjà
franchi cette étape en se dotant de deux textes conventionnels dont le contenu porte
partiellement sur l’observation électorale internationale.
B.2 Au niveau africain
La CEDEAO peut être considérée comme pionnière en matière de
« codification régionale » de l’observation électorale car le Protocole de la CEDEAO
adopté en 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance (Protocole de la
CEDEAO) constitue la première intégration conventionnelle de l’observation
électorale72. Cette première expérience inspirera partiellement l’Union africaine à se
doter d’un instrument juridique contraignant en matière d’observation électorale, à
savoir la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Ces
deux instruments juridiques ont été considérés par la Cour africaine des droits de
l’homme et des peuples comme étant des instruments juridiques pertinents relatifs
aux droits de l’homme qu’elle peut interpréter et appliquer.
69
70
71
72
T. ONDO, « L’internationalisation du droit relatif aux élections nationales : à propos d’un droit
international des élections en gestation », Revue du Droit public, 2012, N°5, p. 1405.
T. ONDO, « L’internationalisation du droit relatif aux élections nationales : à propos d’un droit
international des élections en gestation », Revue du Droit public, 2012, N°5, p. 1405.
K. VASAK, « Les normes internationales relatives aux élections et leur mise en œuvre », in J.P.
VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 73-87, spéc. à la p. 77.
En intégralité Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et bonne gouvernance additionnel au
Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien
de la paix et de la sécurité.
45
Le Protocole de la CEDEAO précède l’émergence du Droit électoral en
Afrique au niveau continental et précède l’adoption des directives de l’OUA/UA
pour l’observation des élections du 8 juillet 2002 et surtout la Charte africaine de la
démocratie, des élections et de la gouvernance adoptée le 30 janvier 2007 et en
vigueur depuis le 15 février 2012. Tous les Etats africains n’ont pas encore ratifié
cette Charte. La RDC l’a signée sans pour autant parachever le processus de
ratification.
Le Protocole de la CEDEAO présente une double nature : d’une part il
constitue un traité international d’un genre particulier et d’autre part il est intégré
dans le bloc de constitutionnalité de certains Etats membres de la CEDEAO.
Analysant cette double nature du Protocole, Alioune SALL estime que ce Protocole
constitue « un véritable traité constitutionnel, si l’on entend par là un instrument
juridique formellement international mais matériellement constitutionnel au sens où
il se rapporte à la matière constitutionnelle, celle qui est relative à l’organisation et
au fonctionnement du pouvoir dans l’Etat. Entendu dans ce sens, un traité
constitutionnel est donc un acte soustractif, un engagement international qui
implique des sacrifices de souveraineté de la part des Etats, sacrifices bien entendus
élevés puisqu’ils portent sur des symboles de souveraineté, ils sont d’ordre
constitutionnel »73.
Cet ancrage constitutionnel du Protocole n’est pas seulement matériel, mais
aussi formel car il fait partie du préambule de certaines Constitutions africaines
(Préambule de la Constitution guinéenne du 7 mai 2010, abrogée, et du Préambule
de la Constitution du Burkina Faso telle que révisée en 2015), mais aussi figure parmi
les normes de référence dans l’appréciation de la conformité des actes soumis au
contrôle de constitutionnalité (cas de la Cour constitutionnelle du Togo dans sa
décision N° C003/09 du 9 juillet 2009, de l’arrêt 2018-03/CC-EP du 8 août 2018 de
la Cour constitutionnelle du Mali). C’est au regard de tous ces éléments qu’Alioune
SALL soutient que « l’ancrage constitutionnel du traité conclu dans le cadre de la
CEDEAO est donc évident. Ancrage matériel, dans la mesure où son objet ou une
partie de cet objet est indubitablement d’ordre constitutionnel, ancrage formel au
sens où il a été érigé en norme constitutionnelle formelle ou en norme de référence
pour le juge constitutionnel »74
Pour compléter l’ancrage formel du Protocole de la CEDEAO, nous pouvons
aussi faire allusion d’une part à la Charte de transition du Mali du 1er Octobre 2020
et à la Charte de transition de Guinée du 27 septembre 2021 d’autre part qui
intègrent, dans leurs préambules, la référence au Protocole de la CEDEAO75. Cette
ALIOUNE SALL, Singularités juridiques africaines. Ce que l’Afrique apporte au droit, Paris,
L’Harmattan, 2023, p.175. Souligné par nous.
74
ALIOUNE SALL, op.cit., pp. 182-183. Mis en évidence par nous.
75
Décret n° 2020-0072/PT-RM du 1er Octobre 2020 portant promulgation de la Charte de la transition
(Journal officiel de la République du Mali. Spécial n° 17, 1 er octobre 2020). Charte de transition
de Guinée du 27 septembre 2021.
73
46
référence n’est pas reprise dans la Constitution du Mali du 22 juillet 202376. Dans sa
décision DCC 15-086 du 14 avril 2015, la Cour constitutionnelle du Bénin avait
déclaré contraire à la Constitutionnelle la loi adoptée par l’Assemblée nationale le
16 mars 2015 modifiant certaines dispositions de la loi du 25 novembre 2015 portant
Code électoral en République du Bénin dans la mesure où cette loi avait été adoptée,
sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques, moins de six (6)
mois des élections et ce, contrairement aux prescriptions du Protocole de la
CEDEAO77.
Ce Protocole est aussi justiciable devant la Cour de justice de la CEDEAO et
devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette dernière le
considère, à l’instar de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la
gouvernance comme deux instruments juridiques pertinents relatifs aux droits de
l’homme qu’elle peut interpréter et appliquer78. Elle s’est focalisée sur les
dispositions de l’article 3 dudit Protocole ainsi que sur celles de l’article 17 de la
Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) qui
engagent les Etats à instituer des organes impartiaux chargés de l’organisation des
élections 79. La jurisprudence est, à ce sujet, prolifique80
76
Décret n° 2023-0401/PT-RM du 22 juillet 2023 portant promulgation de la Constitution. Journal
officiel de la République du Mali du 22 juillet 2023.
77
L’article 2 (1) dudit Protocole est rédigé en ces termes : « Aucune réforme substantielle de la loi
électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement
d’une large majorité des acteurs politiques ». Souligné par nous.
78
Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, Affaire Actions pour la protection des droits
de l’homme (APDH) c. la République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18
novembre 2016. § 63 : « la Cour observe donc que l’obligation des Etats parties à la Charte
africaine sur la démocratie et au Protocole de la CEDEAO sur la démocratie de créer des organes
électoraux nationaux indépendants et impartiaux vise la mise en œuvre des droits ci-dessous
mentionnés, prévus par l’article 13 de la Charte des droits de l’homme, à savoir le droit, pour
chaque citoyen, de participer librement à la direction des affaires publiques de son pays (…) ». §
65 : « de ce qui précède, la cour conclut que la charte africaine sur la démocratie et le Protocole
de la CEDEAO sur la démocratie sont des instruments relatifs aux droits de l’homme, au sens de
l’article 3 du Protocole, et qu’elle a, en conséquence, compétence pour les interpréter et les faire
appliquer ».
79
Art.3 : « Les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la
confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. En cas de nécessité, une concertation
nationale appropriée doit déterminer la nature et la forme desdits Organes ». Notre
soulignement.Art.17 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance :
« Les Etats parties réaffirment leur engagement à tenir régulièrement des élections transparentes,
libres et justes conformément à la Déclaration de l’Union sur les Principes régissant les Elections
démocratiques en Afrique. A ces fins, tout Etat partie doit : 1. Créer et renforcer les organes
électoraux nationaux indépendants et impartiaux, chargés de la gestion des élections (…) ».
Souligné par nous.
80
Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, Affaire Actions pour la protection des droits
de l’homme (APDH) c. la République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18
novembre 2016 ; affaire Houngue Eric Noudehouenou c. République du Bénin. Requête n°
028/2020. Arrêt (fond et réparations), 1 er décembre 2022, § 31 ; affaire Laurent Gbagbo c.
47
Pour la Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, l’impartialité et
l’indépendance constituent les principales caractéristiques d’un organe électoral en
vertu de l’article 17 de la CADEG d’une part et du Protocole de la CEDEAO d’autre
part81. Dans l’affaire APDH contre la Côte d’Ivoire, la Cour africaine considère
qu’un organe électoral est indépendant quand il jouit d’une autonomie administrative
et financière et qu’il offre des garanties suffisantes quant à l’indépendance et
l’impartialité de ses membres.82
Les garanties d’indépendance et d’impartialité tiennent aussi compte de
l’équilibre dans la composition de l’organe électoral. C’est dans cette optique que,
saisie de la composition de la Commission électorale indépendante (CEI), l’organe
électoral ivoirien, la Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples a jugé cette
dernière déséquilibrée au profit du pouvoir en place. Au regard de ce déséquilibre,
la Cour africaine statue que la CEI ne présente pas les garanties d’indépendance et
d’impartialité requises pour un organe électoral et qu’il ne peut donc pas être perçu
comme tel83.
La Cour de justice de la CEDEAO considère que la violation des principes
de convergence constitutionnelle qui figurent à l’article premier dudit Protocole peut
être invoquée avec pertinence par une personne physique à la condition que la
violation porte atteinte à ses droits de l’homme84. C’est dans ce sens qu’elle s’est
prononcée dans l’affaire Abdoulaye Baldé contre l’Etat du Sénégal85. Elle a confirmé
cette orientation dans l’affaire Bazoum et deux autres contre l’Etat du Niger86. A ce
propos, la Cour estime qu’en l’espèce, le coup d’Etat commis par la junte militaire,
qui s’est par la suite donnée le nom de Conseil national pour la sauvegarde de la
Patrie, en abrégé CNSP, constitue un changement inconstitutionnel de gouvernement
et viole les principes de convergence constitutionnelle.
République de côte d’Ivoire. Requête n° 025/020. Ordonnance (Mesures provisoires). 25
septembre 2020 ; affaire XYZ c. République du Bénin. Requête n° 010/2020, Arrêt du 27 novembre
2020 (Fond et réparations) ; affaire XYZ c. République du Bénin, Requête n° 059/2019, Arrêt du
27 novembre 2020 (fond et réparations).
81
Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples. Affaire XYZ c. République du Bénin. Requête
n° 010/2020, arrêt du 27 novembre 2020 (Fond et réparations), § 124.
82
Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, Affaire Actions pour la protection des droits
de l’homme (APDH) c. la République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18
novembre 2016§ 118.
83
Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, Affaire Actions pour la protection des droits
de l’homme (APDH) c. la République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18
novembre 2016, § 133.
84
L’article 1er dudit Protocole : Les principes ci-après sont déclarés principes constitutionnels
communs à tous les Etats membres de la CEDEAO.
85
CJ CEDEAO. Arrêt n°ECW/CCI/JUG/04/13. Abdoulaye Baldé c. l’Etat du Sénégal. 22 février
2013.
86
CJ CEDEAO. Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/57/23 du 15 décembre 2023. Bazoum et deux autres contre
l’Etat du Niger. Requête n° ECW/CCJ/APP/36/23.
48
L’Union africaine s’est dotée, avant l’adoption de la Charte africaine de la
démocratie, des élections et de la gouvernance, des déclarations et directives dont la
portée n’oblige pas formellement les Etats membres de l’Union africaine87. La
Déclaration de l’OUA sur les principes régissant les élections démocratiques en
Afrique engage les Etats africains, entre autres, à « garantir la transparence et
l’intégrité de l’ensemble du processus électoral en facilitant le déploiement des
représentants des partis politiques et des candidats dans les bureaux de vote et de
dépouillement, et en accréditant des observateurs nationaux et autres (…) »88.
Il est évident que cette Déclaration constitue un engagement solennel pris par
les Etats membres ne revêtant aucun caractère obligatoire. C’est sur la base de cette
Déclaration qu’avaient été élaborées les Directives pour les missions d’observation
et de suivi des élections. La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la
gouvernance (CADEG) du 30 janvier 2007 et entrée en vigueur le 15 février 2012
intègre, dans le Droit conventionnel africain les principes et les directives
susmentionnés en s’inspirant par ailleurs de la Déclaration de principes pour
l’observation internationale d’élections et le Code de conduite à l’usage des
observateurs électoraux internationaux.
La CADEG prend aussi en considération l’expérience développée par
l’Union africaine dans l’observation électorale. Certaines dispositions de ladite
Charte résultent d’une adaptation des dispositions relatives au Protocole de la
CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001. Ce Protocole constitue
le texte précurseur au niveau conventionnel de l’observation électorale.
Le cadre juridique de l’Union africaine relatif aux élections comprend l’Acte
constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000, la Charte africaine de la
démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007, la Déclaration de
l’OUA/UA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique du 8
juillet 2002, les Directives de l’Union africaine pour les missions d’observation et de
suivi des élections du 8 juillet 2002 et les Notes pour les Observateurs du processus
électoral. En fin, les rapports établis par les différentes missions d’observation
électorale ou d’évaluation des processus électoraux munies des mandats spécifiques
complètent le cadre normatif de l’Union africaine.
Partant de ces différents textes, L.E.OGNIMBA se propose d’établir entre
eux une hiérarchie au regard de l’auteur ayant été à la base de l’adoption de ces
textes. Au sommet de la hiérarchie l’Acte constitutif de l’Union africaine suivi de la
Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Cette charte
serait suivie de la déclaration des Chefs d’Etat et de gouvernements, puis des
directives de l’Union africaine pour les missions d’observation et de suivi des
La Déclaration et les directives du 8 juillet 2002 ont été adoptées par l’OUA au crépuscule de sa
disparition au profit de l’Union africaine. Elles font partie désormais du patrimoine de l’Union
africaine.
88
Souligné par nous.
87
49
élections et les Notes pour les observateurs. Pour l’auteur, les déclarations, bien
qu’émanant de l’organe suprême de l’Union dont elle définit les politiques, elles
devraient, si l’on se situe dans une perspective strictement juridique, n’avoir qu’une
valeur morale et devraient rester de ce fait de simples documents de politique
générale chargés d’orienter l’action ou la politique des Etats membres et le travail de
la Commission.
Néanmoins, dans la réalité et en raison de la confusion qui existe dans
l’ordonnancement juridique des actes juridiques de l’Union, observe l’auteur,
certaines d’entre elles prennent le caractère d’un véritable instrument juridique dans
leur mise en œuvre. C’est le cas pour la Déclaration de l’OUA sur les principes
régissant les élections démocratiques en Afrique sur laquelle se fondent les initiatives
de l’Union en matière électorale. Les directives constituent un acte réglementaire
appliquant une décision des Chefs d’Etat et de gouvernement et s’imposant à la
Commission. Au bas de l’échelle, il y aurait les Notes pour les observateurs du
processus électoral qui ne sont qu’un document administratif chargé d’éclairer le
travail pratique des observateurs89. La SADC a adopté le 20 juillet 2015 les principes
et lignes directrices régissant les élections qui ont été révisés en 2021.
L’internationalisation du Droit relatif aux élections en général et de manière
particulière à l’observation électorale (internationale) entraîne des conséquences
comme le souligne MAMADOU SALIF SANE : « Désormais, la régularité des
élections et la légitimité des autorités élues sont appréciées en fonction du respect
des normes secrétées par la Communauté internationale via les résolutions des
Organisations internationales universelles, et régionales. En Afrique de l’ouest
francophone, il se développe depuis un certain temps des normes électorales
communautaires »90. Le droit international relatif à l’observation électorale a exercé
une influence sur le Droit électoral des Etats qui ont initié des réformes ayant abouti
à l’internalisation de l’essentiel du cadre juridique susmentionné. Le Droit congolais
a intégré en son sein l’essentiel des dispositions internationales relatives à
l’observation électorale dont il importe d’illustrer le cadre juridique.
IV. Le cadre juridique de l’observation électorale en Droit congolais
A. L’observation électorale en Droit congolais
Le cadre juridique relatif aux observateurs électoraux est fragmenté dans
plusieurs dispositions législatives, complétées et étoffées par des dispositions
L.-E. OGNIMBA, « Le cadre juridique de l’observation et de l’assistance électorales de l’Union
africaine » in J-P. VETTOVAGLIA, et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace
francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 88-103, spéc. aux pp. 91-92.
90
MAMADOU SALIF SANE, « L’ordre juridique électoral dans l’espace CEDEAO », in ISMAILA
MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur
du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp.
371-411, spéc. à la p. 385 et s.
89
50
règlementaires. Certaines dispositions ont été abrogées. La première référence aux
observateurs électoraux est tirée de la loi n° 04/009 du 5 juin 2004 portant
organisation, attributions et fonctionnement de la Commission électorale
indépendante (CEI)91. Cette loi n’a pas défini l’observateur électoral. C’est la loi
n°04/028 du 24 décembre 2004 portant identification et enrôlement des électeurs en
RDC qui propose la première définition de l’observateur électoral en droit congolais
et dessine le statut de l’observateur électoral en énumérant un certain nombre de
droits et des obligations applicables aux observateurs électoraux92.
L’article 32 de la loi précitée entend par observateur « tout Congolais ou
étranger mandaté par une organisation nationale ou internationale et agréé par la
Commission Electorale Indépendante pour assister à toutes les opérations »93. Cette
définition a été reprise dans des termes quasi identiques en substituant le verbe
« agréer » par celui d’« accréditer » par la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant
organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines,
municipales et locales. L’article 42 de cette loi électorale, qui a survécu aux
différentes modifications de cette loi en 2011, 2015, 2017 et 2022, est libellé comme
suit : « Est observateur, tout congolais ou étranger mandaté par une organisation
nationale ou internationale et accrédité par la Commission électorale indépendante
pour assister à toutes les opérations électorales »94. Les observateurs électoraux
peuvent être accrédités dès la phase de l’identification et de l’enrôlement des
électeurs95 jusqu’au dépouillement des résultats. L’absence des observateurs ne peut
constituer un motif pour l’invalidation des opérations électorales. Les observateurs
assistent aux opérations de dépouillement sans toutefois signer les procès-verbaux ni
les fiches des résultats. Ils ne reçoivent pas non plus copie de ces documents qui
servent de moyens de preuve dans le règlement du contentieux électoral.
La loi du 24 décembre 2004 portant identification et enrôlement des électeurs
en RDC telle que modifiée et complétée par la loi n° 16/007 du 29 juin 2016 énonce,
pour la première fois, un noyau de règles embryonnaires servant de base à
l’élaboration progressive du statut de l’observateur électoral. Ce statut
91
Article 27 : Dans le cas des observateurs internationaux, la demande est présentée par le
gouvernement à l'initiative de la Commission électorale indépendante. Les demandes
d'observation émanant des organisations internationales sont introduites par la voie diplomatique
et transmise à la Commission Electorale Indépendante par le gouvernement. Article 28 : La
Commission électorale indépendante accrédite les observateurs nationaux et internationaux. Elle
reçoit les listes des témoins désignés par les candidats et les partis politiques. Cette loi a déjà été
abrogée.
92
Cette loi du 24 décembre 2004 a été modifiée et complétée par la loi n° 16/007 du 29 juin 2016.
93
Souligné par nous.
94
Journal officiel de la République démocratique du Congo, Kinshasa, 10 mars 2006, col.3. Souligné
par nous.
95
Cette disposition est prévue dans la loi n° 04/028 du 24 décembre 2004 portant identification et
enrôlement des électeurs. Article 6 : « Les opérations d’identification et d’enrôlement s’effectuent
en présence des observateurs nationaux et/ou internationaux ainsi que des témoins des partis
politiques accrédités par la Commission Electorale Indépendante (…) »
51
« embryonnaire » a été étoffé par la loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant
organisation des élections présidentielle, provinciales, urbaines, municipales et
locales96 dans ses diverses modifications97, la loi organique portant organisation et
fonctionnement de la Commission électorale indépendante (CEI) de 2004 et de la
Commission électorale nationale indépendante (CENI) du 28 juillet 2010 jusqu’à la
dernière modification98. Au niveau des opérations d’identification et d’enrôlement
des électeurs, la présence d’observateurs nationaux ou internationaux a pour but
d’assurer la transparence des opérations d’identification99.
A ces dispositions législatives, il convient d’ajouter des dispositions
règlementaires. C’est le cas, d’une part, de la Décision n°026 bis/BUR/CENI/16 du
13 juillet 2016 relative aux mesures d’application de la loi n° 04/028 du 24 décembre
2004 portant identification et enrôlement des électeurs en RDC telle que modifiée et
complétée par la loi n°16/007du 29 juin 2016 et d’autre part du Règlement intérieur
de la CENI du 09 février 2022 déclaré conforme à la Constitution par la Cour
constitutionnelle100.
96
Journal officiel de la République démocratique du Congo, Kinshasa, 10 mars 2006, col.3.
Loi n° 11/003 du 25 juin 2011 modifiant la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des
élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales ; Loi n° 15/001
du 12 février 2015 modifiant et complétant la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation
des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que
modifiée par la Loi n°11/003 du 25 juin 201 ; Loi n° 17/013 du 24 décembre 2017 modifiant et
complétant la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle,
législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales ; Loi n°22/029 du 29 juin 2022
modifiant complétant la loi n°06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections
présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par
la loi n°11/003 du 25 juin 2011, la loi n°15/001 du 12 février 2015 et la loi n°17/013 du 24
décembre 2017.
98
Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la
Commission électorale nationale indépendante telle que modifiée et complétée par la loi organique
n°13/012 du 19 avril 2013 et la loi organique n°21/012 du 03 juillet 2021 (Textes coordonnés et
mis à jour). Journal officiel de la République démocratique du Congo, Kinshasa, 20 juillet 2021,
Col.3.
99
Art.45 de la Décision n°026 bis/BUR/CENI/16 du 13 juillet 2016 relative aux mesures d’application
de la loi n° 04/028 du 24 décembre 2004 portant identification et enrôlement des électeurs en RDC
telle que modifiée et complétée par la loi n°16/007du 29 juin 2016 : « La présence d’observateurs
nationaux ou internationaux a pour but d’assurer la transparence des opérations d’identification et
d’enrôlement des électeurs. Ils ont accès à tous les Centres d’inscription. Outre les dispositions de
l’article 36 de la loi portant identification et enrôlement des électeurs en République démocratique
du Congo, ils sont tenus de se conformer aux règles de conduite édictées par la Commission
électorale nationale indépendante. Nul ne peut invoquer l’absence d’observateurs comme motif
d’invalidation d ces opérations, conformément à l’article 30 de la loi portant identification et
enrôlement des électeurs en République démocratique du Congo »
100
Cour constitutionnelle. R.Const.1722. En cause : Requête en appréciation de la conformité à la
Constitution du Règlement intérieur de la Commission électorale nationale indépendante, CENI
en sigle, adopté par l’Assemblée plénière le 09 février 2022. Arrêt du 1er mars 2022. Inédit.
97
52
La CENI agrée les demandes d’observation introduites par les Organisations
internationales ou non gouvernementales pour qu’elles s’assurent du bon
déroulement des opérations avant, pendant et après une élection ou un référendum.
Les demandes d’observation émanant des organisations internationales ou non
gouvernementales sont introduites par voie diplomatique et transmises à la CENI. La
CENI accrédite les observateurs nationaux et internationaux 101. Les différentes
dispositions applicables aux observateurs électoraux contiennent des règles formant
le statut juridique des observateurs en RDC.
B. Statut des observateurs électoraux en Droit congolais
Le statut des observateurs électoraux comprend des droits et des obligations
qui résultent de différents textes sus-évoqués et qui prennent en considération les
différentes étapes des opérations électorales. Les observateurs nationaux et
internationaux jouissent de droits ci-après : 1. Le droit à l’accréditation102 ; 2. Le
droit d’accéder à tous les lieux où se déroulent les opérations d’identification
d’enrôlement des électeurs sans interférer dans la procédure ; 3. Le droit de
bénéficier de la sécurité et de la protection des pouvoirs publics pendant toute la
durée des opérations ; 4. Le droit de veiller à la régularité des opérations
conformément à la loi et aux procédures édictées à cet effet. 5. Le droit à la liberté
de circulation et à la sécurité garanti par le gouvernement ; 6. Le droit de saisir la
CENI de toute violation des dispositions législatives et règlementaires régissant les
élections et/ou un referendum103.
Ils sont astreints aux obligations ci-après : 1. Le respect des lois et règlements
de la RDC ainsi que le code de bonne conduite des observateurs ; 2. Le port de
manière visible de leurs cartes d’accréditation et leur exhibition à toute réquisition
de l’autorité compétente ; 3. L’apposition de la signature sur le registre de présence
dans les lieux visités où se déroulent les opérations d’identification et d’enrôlement
des électeurs ; 4. L’interdiction de s’immiscer directement ou indirectement dans le
déroulement des opérations électorales ; 5. L’interdiction de battre campagne ou de
101
Art.45 de la Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de
la CENI telle que modifiée et complétée par la loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 et la loi
organique n° 21/012 du 03 juillet 2021 (Textes coordonnés et mis à jour). JORDC, Kinshasa, 20
juillet 2021, Col.2.
102
Le pouvoir discrétionnaire de la CENI d’accréditer les observateurs est encadré par un nouvel
alinéa inséré à l’article 43 de La loi n° 22/029 du 29 juin 2022 modifiant et complétant la loi n°
06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales,
urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la loi n° 11/003 du 25 juin 2011, la loi n°
15/001 du 12 février 2015 et la loi n° 17/013 du 24 décembre 2017 (JORDC, N° spécial, 5 juillet
2022) : « En cas de refus d’accréditation, la décision est motivée. Elle est notifiée au requérant
qui, le cas échéant, peut introduire un recours ». Souligné par nous.
103
Art.29 de la Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de
la CENI telle que modifiée et complétée par la loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 et la loi
organique n° 21/012 du 03 juillet 2021 (Textes coordonnés et mis à jour). JORDC, Kinshasa, 20
juillet 2021, Col.2.
53
porter tout signe partisan le jour du scrutin ; 6. Le dépôt à la CENI, à l’Assemblée
nationale, au Sénat et au gouvernement d’une copie de leur rapport d’observation104.
La CENI peut aussi, à titre de sanction, retirer l’accréditation à un observateur qui
enfreint les obligations auxquelles il est tenu.
V. Missions d’observation électorale en RDC : rétrospectives et perspectives
A. Critères d’évaluation du processus électoral
Les observateurs évaluent le processus électoral de l’État où ils sont présents,
conformément aux critères standards d’élections honnêtes et démocratiques. Cette
mission, qui se veut impartiale, se fait au regard des normes internes et
internationales régissant les élections tout en prenant en compte l’environnement
local, tant du point de vue du contexte culturel, historique que juridique105. En
général, le rôle de la mission d'observation consiste à évaluer la manière dont les
procédures des systèmes électoraux et les garanties légales sont appliquées pour
aboutir à des élections libres et régulières. Dans cette perspective, les observateurs
nationaux et internationaux devraient déterminer si les indicateurs des élections
libres et régulières ont été respectés tout au long de la période électorale 106 . La
liberté, l’égalité, la sincérité et la transparence font partie de critères à l’aune desquels
sont évalués ou appréciés les différents processus électoraux. Une élection peut être
libre sans pour autant être transparente ou régulière.
La transparence est volontairement viciée par certaines administrations
électorales qui peuvent refuser d’accréditer les organismes d’observations ou par
certains agents qui peuvent interdire l’accès des observateurs aux bureaux de vote.
Elle est encore viciée lorsque le pouvoir organise la rétention des informations
électorales ou cherche à tromper l’information des électeurs et des acteurs. Souvent,
les informations relatives aux nombres de bureaux de vote, la consistance du fichier
électoral sont présentées d’une manière floue. Ces attitudes sont souvent renforcées
par l’inaccessibilité ou l’indisponibilité de la liste électorale 107
L’article 45 comporte un dernier alinéa libellé comme suit : « L’organisme dont l’observateur est
accrédité s’engage à déposer copie de son rapport d’observation à la CENI, à l’Assemblée
nationale, au Sénat et au Gouvernement ». La loi n° 22/029 du 29 juin 2022 modifiant et
complétant la loi n° 06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle,
législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la loi n° 11/003
du 25 juin 2011, la loi n° 15/001 du 12 février 2015 et la loi n° 17/013 du 24 décembre 2017
(JORDC, N° spécial, 5 juillet 2022).
105
G.-F. HOLO, « La démocratie électorale en Afrique : état des lieux et propositions » in F.J. AIVO
et alii (dir.), L’amphithéâtre et le prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie.
Mélanges en l’honneur du Président Robert Dossou, Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 617-654, spéc.
à la p. 636.
106
P. MUKONDE MUSULAY, Démocratie électorale en Afrique subsaharienne. Entre droit,
pouvoir et argent, Genève, Globethics.net African Law, N° 4, 2016, spéc. à la p. 121.
107
ABDOUL AZIZ MBODJI, « L’avènement d’un droit africain des élections démocratiques ? », in
ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges
104
54
La sincérité du scrutin comporte une dimension individuelle et collective.
Dans sa dimension individuelle, la sincérité du scrutin implique que l’intention
exprimée de l’électeur soit respectée, pourvu que celui-ci se soit conformé aux
prescriptions régissant le vote et ait utilisé le matériel électoral prévu à cet effet. Dans
sa dimension collective, elle suppose que le résultat d’ensemble correspond avec
exactitude aux votes émis par les électeurs et que soit vérifiée la concordance entre
le nombre des membres composant le collège électoral et le nombre de ceux qui se
sont exprimés en votant ou en s’abstenant108. Ces critères sont contenus dans les
différents manuels, directives, déclarations, traités internationaux, droit dérivé des
organisations internationales etc.
Le rapport de la mission électorale a pour principal objet de contenir la
conclusion sur la question de savoir si les élections peuvent être considérées comme
ayant été libres et honnêtes, étant entendu que cette conclusion doit être basée sur les
données vérifiables et être présenté d’une manière concise et accessible.
Normalement, le rapport devrait être prêt dix jours après le retour de la mission
d’observation. Pour que le modèle soit accepté, certains éléments essentiels du
rapport sont importants et ceux-ci seront complétés en cas de nécessité par les
observateurs.
Le rapport se compose généralement de deux parties. La première partie
comprend les conclusions, la description des méthodes suivies, l’évaluation du
processus électoral ainsi que l’observation électorale elle-même. La seconde partie
(les annexes) contient les observations faites sur le terrain, les exemplaires non
utilisés des listes de contrôle et les informations sur la loi et les procédures électorales
ainsi que d’autres documents appropriés109.
B. Les observateurs électoraux et leurs rapports ou déclarations préliminaires
Les déclarations préliminaires précèdent les rapports qui sont plus exhaustifs
et élaborés quelques semaines, voire quelques mois après la fin du processus
électoral. Les données des déclarations préliminaires peuvent être exploitées dès lors
que les rapports ne sont pas encore disponibles.
B.1 Présentation diachronique des missions d’observation électorale depuis 2006
Les observateurs électoraux aussi bien internationaux que nationaux
participent au processus électoral depuis le premier cycle électoral de 2006. Selon
Jean-Louis ESAMBO, le premier tour de l’élection présidentielle de juillet et août
2006 avait mobilisé soixante-deux mille quarante observateurs. Le deuxième tour de
108
109
en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan,
2022, pp. 339-369, spéc. aux pp. 368-369.
P. MUKONDE MUSULAY, Démocratie électorale en Afrique subsaharienne. Entre droit,
pouvoir et argent, Genève, Globethics.net African Law, N° 4, 2016.
F. DESIRE NDOUMOU, Les missions d’observation des élections, Paris, L’Harmattan, 2012,
p.164.
55
la même élection avait enregistré cent quatorze mille neuf cent deux observateurs.
Pour les scrutins des élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011,
la Commission électorale nationale indépendante avait accrédité cent huit mille deux
cent trente-huit observateurs. La Conférence Épiscopale Nationale du Congo
affirme, pour sa part, selon les écrits de l’auteur, avoir déployé, à l’occasion des
élections générales du 30 décembre 2018 et du 31 mars 2019, quarante millions
d’observateurs électoraux (sic), contre vingt mille pour le compte de la Synergie des
missions d’observation citoyenne du cadre permanent pour les élections et trois mille
pour l’association Agir pour les élections transparentes et apaisées, le Réseau
d’éducation civique et électoral, ainsi que le collectif 24110.
La présence des observateurs nationaux est complétée par celle des
observateurs internationaux à long ou à court terme déployés par les organisations
internationales ou les organisations internationales non gouvernementales. Ces
observateurs ont été déployés dès le premier cycle électoral et se présentent comme
suit, selon les données fournies par Jean-Louis ESAMBO KANGASHE : la
présence, pour le premier tour de l’élection présidentielle de juillet 2006, de deux
mille soixante-quatorze observateurs internationaux, contre deux mille six cent
quatre-vingt-treize, pour le deuxième tour du même scrutin.
Des considérations spécifiques des Missions d’observation électorale de
l’Union européenne (MOE UE) méritent d’être développées. Les MOE UE
comprennent, en moyenne, de 60 à 300 observateurs, en fonction de la dimension du
pays, de son électorat et de la complexité du processus électoral. A titre d’exemple,
la MOE UE déployée en RDC en 2006 constitue, à ce jour, le plus large dispositif
d’observation électorale jamais mis en œuvre par l’Union européenne. La mission
était composée d’une équipe-cadre de 14 personnes et de quelques 300 observateurs
électoraux issus des Etats membres de l’UE ainsi que de la Suisse, du Canada et de
la Norvège111.
Il est important de préciser que les missions d’observation de l’UE n’ont
jamais pour mandat de valider les résultats d’une élection donnée. Ces missions
valident le processus électoral et non les résultats des élections. La validation des
résultats demeure une prérogative des autorités nationales. La Communauté
internationale ne saurait en effet se substituer aux autorités nationales et intervenir
dans un domaine qui est du ressort de la souveraineté nationale112.
110
111
112
ESAMBO KANGASHE, J.L. Droit électoral congolais. Deuxième édition, Louvain-La-Neuve,
Academia-L’ Harmattan, 2020, p.116.
V. ARNAULT, « La politique d’observation électorale de l’Union européenne », in J.P.
VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 661-669, spéc. à la p.665.
V. ARNAULT, « La politique d’observation électorale de l’Union européenne », in J.P.
VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 661-669, spéc. à la p. 663.
56
Pour l’observation de l’élection présidentielle et celle des députés nationaux
du 28 novembre 2011, la CENI avait accrédité sept cent quatre-vingt-cinq
observateurs internationaux. En vue de la tenue des élections présidentielles,
législatives et provinciales des 30 décembre 2018 et 31 mars 2019, elle avait procédé
à la sélection de missions d’observation internationale, excluant les délégués de
l’Union européenne et du Centre Carter au profit de ceux de l’Union africaine, de la
Conférence internationale sur la région de Grands Lacs, de la Communauté
économique des États d’Afrique centrale, du Forum des commissions électorales des
pays membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe et de
l’Organisation internationale de la francophonie113.
Une Mission d’observation électorale de l’Union africaine (MOEUA) avait
été déployée pour procéder à une évaluation objective du processus électoral en RDC
de 2018. Elle était composée de 80 observateurs de Long et de Court Terme.
L’évaluation de la MOEUA repose sur les dispositions de la Charte africaine de la
démocratie, des élections et de la gouvernance, la Déclaration de l’OUA/UA sur les
principes régissant les élections démocratiques en Afrique, les Directives de l’Union
africaine pour les missions d’observation et de suivi des élections, le Mécanisme
Africain d’Evaluation par les Pairs, les instruments internationaux pertinents
régissant l’observation internationale des élections ainsi que la Constitution et les
lois de la RDC.
Pour les élections du 20 décembre 2023, l’Union africaine et la Communauté
de développement d'Afrique australe (SADC) avaient lancé le10 décembre 2023 à
Kinshasa la mission d’observation électorale. En ce qui concerne la SADC, la
mission est constituée de 94 membres dont 73 observateurs de terrain venus de 8
pays d’Afrique. Chacune de ces deux missions d’observation électorale a fait une
déclaration préliminaire contenant l’évaluation du processus et formulant des
recommandations.
Dans la Déclaration préliminaire de la Mission d’observation électorale de
l’Union africaine, l’Union africaine avait dépêché une mission de court terme du 13
au 26 décembre 2023 composée de 65 observateurs répartis en 24 équipes déployées
dans six provinces114. Elle a formulé des recommandations, entre autres, au
113
114
J.-L. ESAMBO KANGASHE,op. cit., pp.117-118.
Kinshasa, Haut-Katanga, Nord-Kivu, Kwilu (Bandundu et Kikwit), Kongo central (Matadi et
Boma).
57
Gouvernement et au législateur115 d’une part et à la CENI d’autre part116. En ce qui
concerne l’audiovisuel, elle a recommandé l’adoption des mesures pour garantir
l’accès équitable à l’audiovisuel public à tous les candidats sans discrimination. En
fin, la Mission a relevé que les élections se sont déroulées dans une atmosphère
relativement calme avec des défis logistiques.
La Mission d'observation électorale de la SADC a mobilisé 72 observateurs,
dont 52 ont été déployés dans 14 provinces de la RDC117. Les observateurs
provenaient de six (6) États membres de la SADC: Afrique du Sud, Angola, Namibie,
Zambie, Zimbabwe et République-Unie de Tanzanie. Dans sa Déclaration
préliminaire publiée le 22 décembre 2023 à l’issue des élections du 20 décembre
2023, la Mission a constaté que certaines de recommandations formulées à l’issue
des scrutins du 30 décembre 2018 ont été prises en compte dans les réformes qui ont
été réalisées. Il s'agit de la loi n° 22/029 du 29 juin 2022 amendant et complétant la
loi n° 06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections, et Loi organique n°
21/012 du 2021 modifiant et complétant la loi n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant
organisation et fonctionnement de la CENI. En outre, la mission a noté l'introduction
du vote des membres de la diaspora, qui est conforme à la section 4.1.8 des principes
et des lignes directrices de la SADC.
La Mission Internationale d'Observation des Elections (MIOE) du Carter
Center était composée de 43 observateurs accrédités, provenant de 20 Etats. Les
observateurs déployés dans 11 provinces et à Kinshasa, ont évalué que les opérations
de vote s'étaient déroulées relativement bien dans 88 des 109 bureaux de vote visités,
même si certains de ces bureaux de vote ont ouvert plusieurs heures après l'heure
prévue d’ouverture. En outre, le déroulement du vote a été évalué négativement dans
21 bureaux de vote, avec de graves irrégularités observées dans plusieurs d'entre eux.
Le Centre Carter a déployé 16 équipes d’observateurs, qui ont observé les procédures
durant le vote dans onze provinces118 : Du fait d’un nombre limité d’observations,
les constatations ne reflètent pas l’évaluation de l’ensemble des procédures le jour
du vote
115
Au Gouvernement et au législateur de prendre toutes les mesures nécessaires pour appuyer
l’acheminement à temps du matériel électoral sur toute l’étendue du territoire national afin de
permettre une plus grande participation des populations. Le retard ou l’absence du déploiement
des matériels électoraux a causé des préjudices à la bonne tenue du scrutin. Garantir
l’indépendance et l’impartialité des institutions impliquées dans le processus électoral, notamment
la CENI et la Cour constitutionnelle.
116
A la CENI elle recommande l’organisation du déploiement à temps du matériel électoral sur toute
l’étendue du territoire ; de prendre les mesures nécessaires pour traiter les problèmes relatifs aux
cartes électorales (duplicata), d’organiser un processus transparent de dépouillement des résultats.
117
Kinshasa, l'Équateur, le Haut-Katanga, le Kasaï occidental, le Kasaï oriental, le Kongo central, le
Lualaba, le Kwilu, le Maniema, le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, le Sud-Ubangui, le Tanganyika et la
Tshopo.
118
Sud Kivu, Nord Kivu, Tanganyika, Kasai Central, Kasai Oriental, Tshopo, Lualaba, Haut Katanga,
Kongo Central, Equateur et Kinshasa.
58
Pour la MIOE du Carter Center, les élections se sont déroulées dans un
contexte de profond manque de confiance de la part de nombreux citoyens vis-à-vis
d’un processus électoral équitable. Ce manque de confiance découle en partie de la
conduite des processus électoraux précédents, mais aussi de la composition de la
CENI, ainsi que d’un manque de transparence, notamment en ce qui concerne le
processus d’enregistrement des électeurs. La confiance a également été entamée du
fait d’un grand nombre de cartes d'électeurs illisibles et du fait de l'affichage tardif
des listes électorales.
La MIOE du Centre Carter était la seule mission internationale d’observation
des élections à déployer des observateurs à long terme à travers le pays. Des
organisations régionales, dont l'Union africaine, la Communauté économique des
États de l'Afrique centrale (CEEAC), la Conférence internationale sur la région des
Grands Lacs (CIRGL) et la Communauté de développement de l'Afrique australe
(SADC), ont déployé des observateurs à court terme le jour du scrutin. L'Union
européenne a maintenu une équipe d'experts à Kinshasa après avoir décidé de retirer
les observateurs de longue durée. La mission de la Communauté d’Afrique de l’Est
(EAC) n’a pas obtenu l’autorisation de déployer une mission119.
Les missions d’observation électorale sous la conduite des organisations
internationales (Union africaine, SADC) et des organisations internationales non
gouvernementales (Mission de Carter Center) présentent des similitudes : un nombre
réduit d’observateurs, pour la plupart à court terme et déployés seulement dans
certaines provinces. L’échantillon est moins représentatif et ce, au regard de
l’étendue de la RDC. Les Missions d’observation électorale précitées n’ont pas
encore déposé leurs rapports définitifs se limitant à des déclarations préliminaires
faites au lendemain du scrutin120.
Il est souhaitable d’encourager des missions conjointes d’observation
électorale pour une synergie entre ces missions mais aussi pour la couverture d’une
bonne partie du territoire national étant donné que les différentes missions
d’observation se concentrent dans les mêmes provinces. De telles missions
conjointes ont déjà été conduites. C’est le cas de la Mission conjointe d’observation
électorale de l’Union africaine (UA) et du Marché commun de l’Afrique orientale
(COMESA) pour l’élection présidentielle du 16 novembre 2023 en République de
Madagascar. Cette Mission a rendu sa Déclaration préliminaire le 18 novembre
2023. Les critères d’évaluation sont à peu près similaires.
119
120
Toutes les informations des Missions d’observation électorale exploitées sont puisées de leurs
déclarations préliminaires rendues pour la plupart le 22 décembre 2023. Pour éviter d’alourdir les
textes, nous avons préféré ne pas utiliser les guillemets tout en précisant que ces informations ne
proviennent pas de nous, mais puisées directement sans les déclarations préliminaires.
Les rapports définitifs ou complets de l’observation électorale sont généralement présentés
quelques mois après l’organisation des scrutins.
59
L’observation électorale internationale est complétée par l’observation
nationale ou locale. Plusieurs observateurs électoraux provenant de différentes
structures de la société civile ont été accrédités auprès de la CENI. Il n’est pas aisé
d’accéder à leurs déclarations préliminaires et leur influence est relative ou variable.
Cependant, la Mission d’observation électorale de la CENCO-ECC (MOE CENCOECC) est, du point de vue de l’observation nationale, celle qui a été la plus robuste
au regard du nombre d’observateurs électoraux mobilisés et des moyens utilisés à
cette fin. C’est au regard de cette importance que nous retenons cette Mission
d’observation électorale comme cas d’illustration de l’observation électorale
nationale.
Pour la réalisation de ses objectifs, la MOE CENCO-ECC a fait recours à une
méthodologie d’observation électorale mixte alliant : 1. L’observation dite classique
avec un déploiement de 23 944 observateurs de court terme et 500 Observateurs de
Long Terme ; 2. Un dispositif de comptage/dépouillement parallèle de voix pour la
vérification indépendante des résultats sur base d’un échantillon aléatoire
représentatif de 1056 Bureaux de Vote et de Dépouillement (BVD) dans les 26
provinces et 176 villes/territoires concernés par l’organisation des scrutins du 20
décembre 2023 ; 3. La surveillance électorale avec au moins 11 000 surveillants
électoraux et 3000 membres des clubs d’écoute sélectionnés par les radios
communautaires affiliées à la CENCO et à l’ECC déployés dans les villes et chefslieux des territoires administratifs de la RDC pour renforcer la couverture nationale
en collectant spécifiquement les cas d’incidents qui ont été documentés dans
l’annexe de ce rapport.
La MOE CENCO-ECC, grâce au dispositif de comptage parallèle des voix
qu’elle a mis en place, a pu constater qu’un candidat s’était largement démarqué des
autres avec plus de la moitié de suffrages à lui seul. Elle a, par ailleurs, documenté
de nombreux cas d’irrégularités susceptibles d’affecter l’intégrité des résultats de
différents scrutins, en certains endroits. Elle a mis à la disposition de toutes les parties
prenantes un document annexe reprenant ces irrégularités documentées.
Au regard de ce qui précède, la MOE CENCO-ECC a invité la CENI, la Cour
constitutionnelle ainsi que d’autres Cours et Tribunaux habilités à tirer, en toute
responsabilité, toutes les conséquences qui s’imposent, en fonction de l’incidence
sur la base des calculs des résultats pour le scrutin concerné, avant de proclamer
respectivement les résultats provisoires et définitifs de différents scrutins.
Eu égard aux conditions dans lesquelles les scrutins se sont déroulés, la MOE
demande particulièrement à la CENI, pour rassurer les différentes parties prenantes,
de préciser le nombre de BVD qui ont ouvert le 20 décembre 2023 et ceux qui ont
ouvert après cette date, en informant aussi sur le nombre de DEV et bulletins qui y
ont été utilisés régulièrement. L’acceptation des résultats par les parties prenantes
passe aussi par le respect des dispositions pertinentes de l’article 71 de la Loi
électorale. Cela étant, la MOE exhorte la CENI à ne publier les résultats provisoires
que sur la base des résultats consolidés de tous les Centres Locaux de Compilation
60
des Résultats (CLCR). La prise en compte des irrégularités documentées par les
instances ci-haut citées constitue un gage pour l’acceptation des résultats par le
public et pour garantir au mieux la paix, la cohésion et la stabilité en République
Démocratique du Congo. Cette déclaration a été faite le 28 décembre 2023.
Elle a été complétée par la Déclaration conjointe CENCO-ECC à la suite de
l’observation électorale pour la justice et la paix post-électorales signée en date du
04 janvier 2024 par le Président de la CENCO et le Président de l’ECC121. A ces
déclarations s’ajoute le Message des Evêques de la CENCO à l’issue de leur réunion
tenue du 15 au 16 janvier 2024 pour l’évaluation du processus électoral. Au vu de
l’ampleur et de l’étendue des irrégularités et incidents constatés, les membres de la
CENCO ont qualifié les élections du 20 décembre 2023 d’une « catastrophe
électorale »122.
Il est possible, partant du premier cycle électoral jusqu’au quatrième cycle,
de tirer les leçons des limites du processus électoral tout en étant conscient que les
irrégularités ne se présentent pas avec la même ampleur dans tous les processus
électoraux. Il y a lieu de dégager les grandes lignes des caractéristiques du processus
électoral en RDC partant de considérations faites notamment par les Missions
d’observation électorale. Ces grandes lignes sont résumées par Jean-Louis ESAMBO
KANGASHE et que nous partageons : « La lecture des différents rapports
d’observation électorale fait ressortir le manque de consensus et de confiance au
processus électoral et à l’organe qui le pilote, la modification du cadre juridique à la
veille des scrutins, l’inadéquation de la communication proposée par la centrale
électorale, l’absence d’appréciation partagée sur la fiabilité du fichier électoral et
l’utilisation de la machine à voter, l’interdiction de quelques rassemblements
politiques, pendant la campagne électorale, le dysfonctionnement logistique, la
modification unilatérale de la cartographie des bureaux de vote à la veille du scrutin,
la politisation, dans le recrutement et le déploiement du personnel et du matériel
électoral, l’insuffisance de formation du personnel opérationnel et de la
population123.
Dans la Déclaration de la Mission d’observation électorale- Commission
Justice et Paix/CENCO (MOE-CJP/CENCO) du 3 janvier 2019, celle-ci avait
constaté que les données en sa possession, issues des procès-verbaux des bureaux de
121
Dans cette Déclaration, tout en notant les efforts accomplis par la CENI, ils déplorent le fait que
ce processus électoral a connu plusieurs cas de violation du cadre légal, de l’administration
électorale et, partant, a occasionné plusieurs irrégularités documentées dans les annexes de la
déclaration préliminaire. Ils demandent à la CENI de faire la lumière sur tous les cas documentés
par les différentes parties prenantes. La mise sur pied d’une commission d’enquête indépendante
fait partie de recommandations figurant dans cette Déclaration.
122
Message des Evêques de la CENCO à l’issue du processus électoral. Kinshasa, le 16 janvier 2024.
Toutes les données exploitées se rapportant à la Mission d’observation électorale CENCO-ECC
sont tirées directement de la déclaration préliminaire et des déclarations connexes.
123
J.-L. ESAMBO KANGASHE, Droit électoral congolais. Deuxième édition, Louvain-La-Neuve,
Academia-L’ Harmattan, 2020, p.116.
61
vote, consacraient le choix d’un candidat comme Président de la République. A cet
effet, elle priait la CENI de publier en toute responsabilité les résultats des élections
dans le respect de la vérité et de la justice124. En d’autres termes, cette Mission
d’observation électorale constatait une différence entre les données en sa possession
et les résultats publiés par la CENI et confirmés par la Cour constitutionnelle.
Combinées aux appréciations fournies par les missions d’observation
internationale, Jean-Louis ESAMBO KANGASHE se fait vite l’écho d’une
impréparation à la base de sérieux doutes sur la crédibilité et la transparence des
scrutins, ainsi que les résultats officiellement proclamés125. Les missions
d’observation rencontrent un certain nombre de difficultés qui constituent des limites
à leurs activités.
B.2 Limites et perspectives des missions d’observation électorale
L’étude de l’observation électorale montre les limites d’une approche qui se
veut juridique, donc objective, d’un phénomène essentiellement politique. La
qualification divergente possible de mêmes faits électoraux et les conséquences
parfois imprévisibles attachées à cette qualification ne sont pas sources de sécurité
juridique pour l’Etat observé (…). Une exigence qui demeure toutefois à géométrie
variable »126.
Les missions d’observation électorale conduites sous l’égide des
Organisations internationales ne sont pas exemptes de limites étant donné que les
critères d’appréciation du caractère libre et transparent du processus électoral
peuvent faire l’objet de divergences d’opinions. Cette situation est soulignée par
Mathieu FAU-NOUGARET en ces termes : « La multiplication des organisations
régionales compétentes dans ce domaine peut entraîner des logiques
organisationnelles qui peuvent nuire à l’action internationale. En effet, lorsque deux
ou plusieurs organisations sont en concurrence il y a des risques de conflit de
compétence, voire d’instrumentalisation, par l’Etat (…). De même, il y a des risques
d’appréciation divergente des critères permettant de qualifier les opérations
électorales de libres et équitables »127. Le recours aux observateurs internationaux a
cependant un coût et il n’est pas le gage absolu d’une élection crédible et
transparente128.
Rapport intermédiaire de l’observation des élections présidentielle, législatives nationales et
provinciales du 30 décembre 2018 en RDC, p.14.
125
J.-L. ESAMBO KANGASHE, op.cit., p. 117.
126
M. FAU-NOUGARET, « Approche critique du rôle des Organisations internationales en matière
électorale », Revue belge de Droit international, 2009, N° 2, pp. 596-623, spéc. à la p. 623.
127
M. FAU-NOUGARET, « Approche critique du rôle des Organisations internationales en matière
électorale », Revue belge de Droit international, 2009, N° 2, pp. 596-623, spéc. à la p. 615.
128
G.-F. HOLO, « La démocratie électorale en Afrique : état des lieux et propositions » in F.J. AIVO
et alii (dir.), L’amphithéâtre et le prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie.
124
62
Dans le cadre de l’Union africaine, la mission d’observation électorale est
précédée, au cours de la période pré-électorale, par l’envoi d’une mission
d’évaluation ou d’exploration du processus électoral qui peut suggérer la pertinence
ou non de l’envoi d’une mission d’observation électorale qui arrive généralement
deux jours ou à la veille du scrutin. La délégation est composée d’observateurs dont
le nombre est généralement inférieur à 100 observateurs. Une telle situation ne
permet pas à cette Mission d’observation de disposer de tous les éléments pertinents
de l’appréciation du processus électoral en se focalisant davantage sur le jour du
scrutin et rarement pendant la phase du dépouillement ou de la compilation des
résultats. Cette limite des missions d’observation sous l’égide de l’Union africaine
sont soulignées par Abdoul AZIZ MBODJI qui estime qu’avec une simple mission
d’observation électorale dans la période électorale, l’Union africaine ne peut pas
appréhender les pratiques frauduleuses perpétrées plusieurs mois avant la tenue du
scrutin129.
Les conclusions des Missions d’observation électorale, au-delà de leur
vocation à la neutralité peuvent être exploitées à des fins politiques devenant ainsi
les enjeux au centre d’une diplomatie favorable ou moins favorable aux nouvelles
autorités issues du processus électoral. Il s’agit là, pour reprendre les propos de
DODZI KOKOROKO des enjeux politico-diplomatiques de l’observation électorale
conférant à celle-ci « une nouvelle dimension, celle de légitimer ou non au regard de
la communauté internationale les dirigeants issus du processus électoral. Mais cette
légitimation, à géométrie variable, est aussi largement influencée par la politique
étrangère de l’Etat ou de l’organisation internationale qui apprécie, à sa manière, les
rapports des missions d’observation internationale »130.
En d’autres termes, « la conclusion des rapports d’observation confère ainsi
à l’Etat-hôte une sorte de certificat de bonne conduite dont il pourra se prévaloir
devant la communauté internationale pour accéder à certains avantages politiques
(…) et économiques que d’aucuns ont pu qualifier de rente de légitimité
démocratique (…). A contrario, une appréciation négative des observateurs
internationaux sur le processus électoral mettra les gouvernants de ce pays dans une
situation inconfortable à l’égard de la communauté internationale »131
Mélanges en l’honneur du Président Robert Dossou, Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 617-654, spéc.
à la p. 636.
129
ABDOUL AZIZ MBODJI, « L’avènement d’un droit africain des élections démocratiques ? », in
ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges
en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan,
2022, pp. 339-369, spéc. à la p. 367.
130
DODZI KOKOROKO, « La portée de l’observation internationale des élections », in J.P.
VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 755-765.
131
DODZI KOKOROKO, « La portée de l’observation internationale des élections », in J.P.
VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 755-765, spéc. aux pp. 756-759.
63
Les Procès-verbaux des résultats de vote sont remis aux témoins et non aux
observateurs électoraux. Ces pièces constituent des documents faisant foi et utilisés
dans le contentieux électoral. N’étant pas en possession de ces pièces, les
observateurs électoraux sont dans l’impossibilité de pouvoir contribuer à la
manifestation de la vérité. En outre, certaines preuves que les missions d’observation
peuvent documenter en matière de fraudes généralisées ne sont pas reprises dans les
moyens des preuves recevables devant le juge électoral. Les observateurs électoraux
peuvent saisir la CENI de toute violation des dispositions législatives et
réglementaires régissant des élections et/ou un référendum132. Le juge électoral ne
figure pas parmi les destinataires des copies du rapport des organismes dont les
observateurs ont été accrédités sont tenus de déposer133.
Pour atténuer les limites de l’observation électorale dont la perception n’est
pas la même entre les acteurs, des solutions structurelles sont nécessaires. Il s’agit de
promouvoir l’organisation des processus électoraux dans les conditions leur assurant
la transparence, la confiance entre les principaux acteurs et surtout l’appropriation
du processus électoral par les Congolais car les premiers bénéficiaires de bonnes
élections sont les Congolaises et Congolais qui ont droit d’exiger, entre autres que
les élections se déroulent dans un cadre juridique plus consensuel, que la CENI
inspire confiance afin que les résultats qu’elle publie soient acceptés par une large
partie comme étant la résultante de la vérité des urnes. L’élection est transparente et
crédible quand elle est perçue en tant que telle par la grande majorité des citoyens.
Le juge électoral est aussi appelé à jouer sa partition pour qu’il exerce la mission
délicate lui confiée en toute responsabilité et impartialité.
Le temps doit être révolu où les élections sont justes pour les gagnants et
iniques pour les perdants. L’observation électorale peut constituer dans ce cas une
valeur ajoutée, non indispensable, à condition que les conclusions objectives issues
de l’évaluation objective du processus électoral puissent inspirer les réformes
institutionnelles tendant à l’amélioration du processus électoral et à accroître la
confiance d’une large partie de l’opinion dans ledit processus. La prise en compte
déjà initiée des conclusions des missions d’observation électorale dans la
modification de certaines lois mérite d’être poursuivie et consolidée, la finalité de
ces missions électorales étant de contribuer à la crédibilité des processus électoraux.
132
Art.29 de Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la
Commission électorale nationale indépendante telle que modifiée et complétée par la loi organique
n°13/012 du 19 avril 2013 et la loi organique n°21/012 du 03 juillet 2021 (Textes coordonnés et
mis à jour). Journal officiel de la République démocratique du Congo, Kinshasa, 20 juillet 2021,
Col.3.
133
Les destinataires des copies du rapport des missions d’observation électorale sont la CENI, le
gouvernement, le parlement.
64
VI. Observation électorale et juge électoral
Les missions électorales peuvent interagir avec le juge électoral selon que ce
dernier peut réserver une suite aux différentes évaluations ou appréciations du
processus électoral. En d’autres termes, les conclusions contenues dans les rapports
ou déclarations préliminaires des missions électorales peuvent-elles constituer les
moyens de preuve dans le règlement du contentieux électoral ? Dans une première
approche nous nous focalisons à mettre en relief la délicatesse de la mission du juge
électoral, spécifiquement le juge constitutionnel (A) et dans une seconde approche
la valeur des conclusions contenues dans les rapports des missions électorales et leur
exploitation par le juge électoral (B). Nous avons une conception large du juge
électoral ne se limitant pas seulement au juge ayant reçu la compétence pour
connaître de contentieux électoraux mais aussi à toute juridiction internationale qui
s’est prononcée, dans le cadre africain, sur les questions électorales.
A. La mission du juge électoral
La mission dévolue au juge constitutionnel en tant que juge électoral est
délicate dans la mesure où il est habilité à garantir la sincérité du suffrage en
recourant au besoin à l’annulation ou à la reformation des résultats électoraux134. Le
juge électoral dispose de larges pouvoirs lorsqu’il est en face d’une opération
électorale irrégulière. Il peut adopter les types de décision suivants : la confirmation
de l’élection malgré les irrégularités, la rectification et la réformation des résultats
et l’annulation de l’élection.135
Il ne saurait y avoir d’élections crédibles sans juge électoral au regard de
nombreuses contestations qui accompagnent la proclamation des résultats ou même
dès la phase de la présentation des candidatures à l’élection présidentielle qui est la
plus ressentie en Afrique et de tous les enjeux136. De sa capacité à restituer la volonté
réelle exprimée par le suffrage dépend la légitimité du juge électoral face aux
C. PARENT, « Le juge électoral est-il garant de la liberté de choix de l’électeur’ », Revue de
Recherche Juridique, 2011, n°1, pp. 449-467. St. BOLLE, « Vices et vertus du contentieux des
élections en Afrique », in J-P. VETTOVAGLIA, et alii (dir.), Démocratie et élections dans
l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 532-552.
135
R. RAMBAUD, Droit des élections et des référendums politiques, Paris, LGDJ, 2019, p. 666 et s.
136
J du Bois de GAUDUSSON, « Préface » dans J-L. ESAMBO KANGASHE, Le droit électoral
congolais, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2014, p. 14. Cette affirmation peut être
relativisée au regard de certaines Constitutions attribuant au parlement la compétence de connaître
de contestations électorales pour ses membres. A titre d’exemple l’article 48 de la Constitution de
la Belgique dispose que chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les
contestations qui s’élèvent à ce sujet. Aux Etats-Unis, l’article 1 section 5 est rédigé en ces termes :
« Chaque chambre sera juge de l’élection de ses membres, du nombre de voix qu’ils ont obtenues
et de leur éligibilité ». Dans certains Etats européens (Belgique, Danemark, Luxembourg, PaysBas, Suède, Italie), le contentieux électoral reste généralement un contentieux parlementaire. Voy.
D. REMY-GRANGER, « Le pouvoir de suffrage », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD
(dir.), Traité international de droit constitutionnel. Tome 2. Distribution des pouvoirs, Paris,
Dalloz, 2012, pp. 369-412, spéc. à la p. 394.
134
65
urnes137. Le contentieux des résultats est susceptible de légitimer l’œuvre du juge ou
de le disqualifier. C’est pourquoi les considérations suivantes convergent vers le
règlement du contentieux des résultats.
Dans le cadre du contentieux des résultats, c’est-à-dire, de la validation, de
la réformation ou de l’annulation des résultats, le juge électoral est chargé de la
vérification de la régularité et de la sincérité des résultats. Il en garantit leur
authenticité et leur exactitude avant d’en proclamer le (s) vainqueur (s). Il peut, dans
certains cas, relever d’office certaines irrégularités et procéder au redressement des
voix138. Il veille ainsi à la régularité du scrutin, même si celle-ci ne constitue pas une
fin en soi, mais seulement un critère permettant d’apprécier la sincérité globale
d’une élection. Le juge électoral doit garantir la sincérité du vote car elle permet de
préserver la volonté des électeurs. Le juge doit s’assurer que le vote n’a pas été
trompé ou modifié par des agissements ou des manœuvres frauduleuses139.
La délicatesse de la mission du juge électoral est dépeinte en ces termes par
Stéphane BOLLE : « Force est de reconnaître qu’à l’aube ou dans le tumulte d’une
élection la mission du juge constitutionnel s’avère particulièrement ingrate :
trancher un litige, c’est souvent s’exposer à l’accusation de partialité et
d’inféodation aux autorités ; c’est souvent cristalliser les maux de tout un processus
électoral ; c’est parfois prendre des risques pour sa sécurité, voire pour sa vie ; c’est
toujours déplaire aux détenteurs du pouvoir, aux candidats au pouvoir et/ou à une
frange de l’électorat »140
La crédibilité du juge constitutionnel en Afrique en matière de contentieux
électoral- et par la même le respect, voire l’admiration à son égard de la société civile
et la confiance qu’il suscitera auprès des populations quant à sa contribution à la
consolidation de la démocratie sur le continent- ne saurait être assurée si le contrôle
qu’il exerce sur les opérations électorales suite aux recours introduits par les
protagonistes lors d’une compétition électorale, n’est pas assuré de manière
Ch. PARENT, « L’office du juge électoral », Revue du droit public, n°5, 2011, pp. 1213-1234,
spéc. à la p. 1223.
138
Par exemple la Cour constitutionnelle du Bénin et celle de la Guinée sont habilitées à relever
d’office des irrégularités. A titre d’exemple, la Cour constitutionnelle de Guinée, dans son arrêt
du 31 octobre 2015 (Arrêt n° AE05) avait relevé l’incohérence dans les résultats provisoires
proclamés par la Commission électorale nationale indépendante le 17 octobre 2015 à l’issue de
l’élection présidentielle du 11 octobre 2015. Voy. Contestation des résultats provisoires du
premier tour de l’élection présidentielle du 11 octobre 2015 et proclamation des résultats
définitifs de ladite élection. Arrêt n° AE05 du 31 octobre 2015. Dans une optique comparée,
MAMADOU SENE, La juridictionnalisation des élections nationales en Afrique noire
francophone : les exemples du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. Analyse politicojuridique, Thèse, Université de Toulouse, 2017.
139
ADIL MOUSSEBBIH, « L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral », Revue
française de Droit constitutionnel (RFDC), 2017, n° 110, pp. 437-464, spéc. à la p. 441.
140
St. BOLLE, « Vices et vertus du contentieux des élections en Afrique », in J.P. VETTOVAGLIA
et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp.
532-552, spéc. à la p. 534.
137
66
impartiale (…) et si les décisions rendues ne semblent pas commandées par les seules
considérations juridiques. C’est dire combien la régularité des opérations électorales
doit rester l’une des préoccupations majeures du juge141 .
Le contentieux des résultats s’inscrit dans le cadre des contentieux de pleine
juridiction. Le caractère de plein contentieux attribué au contentieux électoral est
synonyme de pouvoirs d’appréciation et de décision étendus pour le juge. Il possède
dans le cadre de la procédure des compétences particulières dont celle d’aller au-delà
des conclusions qui lui sont adressées, c’est-à-dire statuer ultra petita, pour
appréhender les conséquences réelles sur la sincérité du scrutin des irrégularités
commises142.
La Cour constitutionnelle de la RDC, dans son arrêt du 9 janvier 2024 s’est
inscrite dans cette optique de statuer ultra petita en motivant le bien-fondé de
l’annulation des résultats provisoires des élections législatives, provinciales et
communales dans les circonscriptions concernées aux résultats de l’élection
présidentielle qui n’étaient pas pris en compte par la décision de la CENI.
Procédant de cette manière, elle s’est comportée en juge de la sincérité et de
l’authenticité du scrutin, du moins en ce qui concerne la prise en compte de
l’annulation des résultats de l’élection présidentielle dans les deux circonscriptions
concernées par la décision de la CENI : « (…). Cependant, la CENI a transmis à la
Cour constitutionnelle la Décision n° 001/CENI/AP/2024 du 5 janvier 2024, portant
annulation des élections législatives, provinciales dans les deux circonscriptions de
YAKOMA et MASIMANIMBA (…). Au regard de cette nouvelle donne, la Cour
considère que, comme juge électoral, elle doit vérifier l'authenticité et la sincérité
du scrutin en s'assurant que les irrégularités dénoncées sont avérées et susceptibles
d'influer sur les résultats électoraux si bien qu'il peut rectifier les résultats s'ils sont
entachés d'erreur matérielle ou de fraude avérée, même en dehors de tout
contentieux ou en cas d'un recours déclaré infondé. A cet égard, considérant que le
vote s'est passé à bulletin unique, la Cour va en tirer les conséquences, en étendant
l'annulation des résultats dans les circonscriptions précitées à l'élection
présidentielle, et retranchera à chaque candidat les suffrages qu'il a obtenus dans
ces circonscriptions si bien que les résultats communiqués le 31 décembre 2023 ont
une nouvelle configuration qui se présente comme suit : (…) »143.
141
ALIOUNE FALL, « Le processus de démocratisation en Afrique francophone : le juge de
l’élection dans l’impasse ? (essai de prospective) », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.),
Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 553-573, spéc.
à la p. 566.
142
H. CAUCHOIS et J.C. SAVIGNAC, Droit et pratique des élections, 3 ème éd., Paris, BergerLevrault, 2017, p.308
143
Cour constitutionnelle. RCE. 016/PR-CR. Arrêt Proclamation des résultats définitifs de l’élection
présidentielle du 20 décembre 2023, Arrêt du 9 janvier 2024. JORDC, 65è année, N° spécial, 13
janvier 2024, col.2
67
Bien que le juge électoral utilise de manière trop prudente et rarissime,
l’annulation, il recourt souvent à la modification des résultats de l’élection à travers
la rectification et la réformation. Dans les hypothèses où les erreurs peuvent être
corrigées sans renouvellement du vote, le juge électoral procède aux rectifications
lui-même, pouvant annuler l’élection d’une personne et en proclamer une autre élue,
et c’est seulement dans la double hypothèse où il ne peut pas corriger les irrégularités
et où les résultats ont été affectés que l’annulation est prononcée144.
Le juge constitutionnel congolais s’inscrit également dans la perspective
d’assurer la sincérité des urnes : « (…), en matière de contentieux des résultats, le
juge électoral vérifie l’authenticité et la sincérité du scrutin. Il recherche les
incidences des irrégularités constatées sur les résultats. Dans cette optique, ne sont
retenues que les irrégularités susceptibles de fausser les résultats de l’élection, eu
égard notamment à l’écart des voix entre candidats… »145.
La Cour suprême du Kenya s’est écartée de cette tendance en forgeant deux
hypothèses pouvant justifier l’annulation des élections. Il peut s’agir soit des
irrégularités qui ont eu une influence déterminante sur le résultat final, soit l’organe
chargé de l’organisation de l’élection (la Commission électorale indépendante et des
circonscriptions-IEBC) n’a pas respecté certains principes de la Constitution ou des
lois applicables en matière électorale. Ainsi, dans son arrêt du 20 septembre 2017,
elle a annulé l’élection présidentielle du 8 août 2017 aussi bien pour méconnaissance
de la Constitution, des lois applicables que des irrégularités jugées déterminantes146.
C’est la première fois qu’une juridiction africaine annule totalement
l’élection présidentielle pour irrégularités substantielles et significatives et pour
violation de la Constitution et des lois en matière électorale. Elle enjoint la
Commission électorale indépendante et des circonscriptions d’organiser une
nouvelle élection présidentielle dans le délai de 60 jours et ce, dans le strict respect
de la Constitution et des lois applicables. Cette jurisprudence peut servir de leçon à
d’autres juridictions, à l’instar de celle de la RDC comme le suggère BALINGENE
KAHOMBO147. Cet arrêt de la Cour suprême du Kenya a été évoqué dans un
passage de la Cour constitutionnelle du Mali148.
144
P. TANCHOUX cité par R. RAMBAUD, op.cit., p. 669 et s.
Arrêt R.C.E. 011/PR de la Cour suprême de justice (RDC) siégeant en matière de contentieux
électoral du 16 décembre 2011.JORDC, Kinshasa, 22 décembre 2011.
146
Republic of Kenya. Supreme Court. Presidential Petition n° 1 of 2017 Between Raila Amolo
Odinga , Stephen Kalonzo Musyoka and Independent Electoral and Boundaries Commission &
Others. 20 Septembre 2017.
147
BALINGENE KAHOMBO, « Perspective congolaise sur les leçons à tirer de l’annulation de
l’élection présidentielle d’août 2017 au Kenya », Annuaire congolais de justice constitutionnelle,
Vol. 3-2018, 2019, pp. 184-199.
148
Cour constitutionnelle du Mali. Arrêt n° 2018-04/CC du 20 août 2018 portant proclamation des
résultats définitifs du second tour de l’élection du Président de la République (scrutin du 12 août
2018) in Recueil des arrêts, avis et autres décisions de la Cour constitutionnelle du Mali, vol. 7
145
68
Le juge électoral malawite s’est aussi inscrit dans cette voie tracée par son
homologue du Kenya en annulant, par son arrêt du 03 février 2020, l’élection
présidentielle du 21 mai 2019. Il a jugé, dans le cas soumis à son examen, que les
irrégularités étaient tellement généralisées et systématiques qu’elles ont
sérieusement affecté ou compromis l’intégrité des élections. Les résultats proclamés
ne reflètent pas réellement la volonté des électeurs telle qu’exprimée à travers leur
vote du 21 mai 2019. Par conséquent celui qui a été proclamé Président n’a pas été
régulièrement élu. La Haute Cour ordonne l’annulation de l’élection présidentielle
et l’organisation d’une nouvelle élection dans un délai de 150 jours à dater du
prononcé de l’arrêt149. La Haute Cour a, par ailleurs, relevé la violation, par la
Commission électorale, de plusieurs dispositions de la Constitution et de la loi
électorale n’ayant pas permis de garantir la transparence et la régularité dans le
déroulement du processus électoral, notamment le défaut du dépôt des procèsverbaux auprès de l’Office de l’Assemblée.
Ces deux exemples d’annulation de l’élection présidentielle en Afrique
constituent des cas rarissimes. L’administration des moyens de preuve devant le juge
électoral, la conduite du processus électoral par les structures de gestion électorale,
le contexte de l’environnement politique en Afrique incitent le juge électoral à plus
de réserve ou pusillanimité dans le règlement du contentieux électoral devant des
fraudes massives ou systématiques. Il est plus porté à annuler partiellement les
résultats dans certaines circonscriptions électorales qu’à annuler l’intégralité des
résultats de l’élection présidentielle.
Cette attitude du juge électoral, assez répandue en Afrique, suscite une
réflexion concernant l’annulation, par la Cour constitutionnelle de la RDC, dans son
arrêt du 9 janvier 2024, des résultats de l’élection présidentielle dans les deux
circonscriptions de Yakoma et Masimanimba. Cette solution est partiellement
satisfaisante, mais la Cour constitutionnelle pouvait être plus audacieuse. La solution
draconienne aurait été d’annuler les résultats obtenus dans toutes les circonscriptions
électorales ou dans les centres dans lesquels les suffrages obtenus par certains
candidats aux élections législatives, provinciales et communales étaient annulés par
la CENI, notamment pour détention et/ou utilisation des dispositifs électroniques de
vote.
(2018-2019), Décembre 2019. Nous pouvons lire ce passage : « (…) Qu’une jurisprudence
comparée de la Cour suprême du Kenya, (Raila Amolo ODINGA et autres contre Commission
électorale indépendante et des circonscriptions, 01/09 /2017) indique que toute allégation de
bourrage des urnes et de fraude systématique doit être soutenue par des preuves fiables ; Que ces
éléments doivent clairement et formellement démontrer que les faits allégués ont entaché de façon
déterminante l’intégrité et la sincérité du scrutin, auquel cas, la Cour devra en tirer toutes les
conséquences qui s’imposent ;.. », p. 105.
149
High Court of Malawi. Constitutional Reference No. 1 of 2019 Between Dr Saulos Klaus Chilima
(1st Petitioner). Dr Lazarius MCCarthy Chakwera (2 nd Petitioner) and Professor Arthur Peter
Mutharika (1st respondent) ; Electoral Commission (2nd Respondent). Judgment. 3 February
2020.
69
La fraude orchestrée à l’aide de ces dispositifs est difficilement quantifiable
et qu’elle n’aurait pas profité uniquement à leurs utilisateurs. L’annulation trouverait
sa justification dans l’impossibilité de reconstituer l’authenticité des suffrages
exprimés dans ces différents centres d’une part et dans l’intérêt général d’assurer un
processus électoral crédible, sincère et dans un climat apaisé d’autre part. C’est au
regard de la sauvegarde de cet intérêt général que la Cour constitutionnelle avait
accordé à la CENI une dérogation lui permettant d’organiser l’identification et
l’enrôlement des Congolais résidant à l’étranger uniquement dans les cinq Etats
pilotes désignés par la CENI justifiant ainsi une atteinte aux droits de tous les
Congolais de participer aux élections conformément à l’article 5 de la Constitution.
Pour la Cour constitutionnelle, « l'intérêt général consiste, dans le cas
d'espèce, en la nécessité de l'organisation des élections générales et particulièrement
pour celle du Président de la République, afin de respecter le délai constitutionnel
de ce dernier, pilier majeur du système démocratique congolais. Dès lors, l'intérêt
général sera préservé au détriment du droit à être électeur reconnu aux congolais
résidant à l'étranger qui ne se retrouvent pas dans les cinq pays désignés par la
CENI. Il s'agit concrètement de préserver le bien commun, en ignorant
exceptionnellement et momentanément des intérêts particulier en ce que les
distinctions sociales entre les hommes, nés libres et égaux en droit, ne peuvent être
fondées que sur l'utilité commune (…) »150.
Au nom de cet intérêt général, la Cour constitutionnelle aurait mieux fait
d’annuler les élections dans toutes les circonscriptions ou les centres dans lesquels il
s’était avéré que le recours aux dispositifs électroniques de vote par des personnes
étrangères à la CENI était établi. Cette annulation lourde des conséquences pour les
électeurs préjudiciés trouverait sa justification dans la sauvegarde de cet intérêt
général en matière électorale : l’authenticité et la sincérité électorales. En effet,
l’établissement de l’impact de la fraude dans ces conditions n’est pas aisé et les
moyens de preuve deviennent inopérants face à de telles fraudes électroniques.
Les rapports des missions d’observation électorale peuvent –ils servir de
moyen de preuve ou tout au moins peuvent-ils être exploités par le juge électoral à
toutes fins utiles ? En d’autres termes, quelle serait la valeur juridique de ces
rapports.
B. Valeur juridique des rapports des missions d’observation électorale
Concernant les rapports des missions d’observation électorale, il convient de
relever, avec MAMADOU SALIF SANE, l’ambiguïté de leur force juridique au
150
Cour constitutionnelle. R.Const.1879. Arrêt du 20 décembre 2022. Requête de la Commission
Electorale Nationale Indépendante, « CENI » en sigle, poursuites et diligences de son président
Monsieur Kadima Kazadi Dénis, en interprétation de l'article 5 alinéa 5 de la Constitution.
Journal officiel de la République démocratique du Congo, 15 février 2023, col. 126. Souligné par
nous.
70
niveau interne. En effet, si beaucoup de juges électoraux dénient toute force juridique
aux rapports des missions d’observation internationale et régionale, il existe toutefois
des cas isolés dans lesquels, les juges électoraux nationaux ont reconnu une valeur
juridique suprême aux conclusions des missions d’observation151 .
A notre avis l’auteur se réfère à la prise en compte de la certification des
élections en Côte d’Ivoire par le Représentant spécial du Secrétaire général des
Nations unies en Côte d’Ivoire. Cette certification approuvée par le Conseil de paix
et de sécurité de l’Union africaine et la CEDEAO avait justifié le revirement
jurisprudentiel du Conseil constitutionnel ivoirien de revenir sur sa décision initiale
qui proclamait Laurent Gbagbo Président élu152 au profit d’Alassane Ouattara153.
La certification dans la pratique électorale constitue « le processus légal par
lequel une autorité nationale approuve les résultats finaux d’une élection »154. Ce
processus, qui se développe au sein des Nations Unies depuis la décennie 2000,
demeure d’une utilisation marginale. Il a été appliqué au Timor Leste en 2007 et en
Côte d’Ivoire en 2010. Il vise à attester que les étapes fondamentales du processus
électoral se sont déroulées selon les normes et principes internationaux d’équité, de
liberté, d’inclusivité et de transparence155.
Le mécanisme de certification est différent de l’observation internationale
même s’il présente des rapprochements avec cette dernière du fait que le résultat de
la certification bénéficie d’une autorité par rapport à l’observation qui demeure une
opinion. Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1765 (2007) avait décidé de
confier la certification des élections en Côte d’Ivoire au Représentant spécial du
Secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire. Dans cette résolution, le
Conseil de sécurité décide en conséquence que « (…)le Représentant Spécial du
Secrétaire général en Côte d’Ivoire certifiera que tous les stades du processus
électoral fourniront toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections
présidentielle et législatives ouvertes, libres, justes et transparentes, conformément
MAMADOU SALIF SANE, « L’ordre juridique électoral dans l’espace CEDEAO », in ISMAILA
MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur
du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp.
371-411, spéc. à la p.392.
152
Conseil constitutionnel. Décision n°CI-2010-EP-34/03 du 3 décembre 2010.
153
Conseil constitutionnel. Décision n°CI-2011-036 du 4 mai 2011. l’un des considérant de la
décision du 4 mai 2011 du Conseil constitutionnel : « (…) le 3 décembre 2010, le Représentant
spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire, a certifié les résultats
provisoires du second tour de l’élection présidentielle tels que proclamés par le Président de la
Commission électorale indépendante le 2 décembre 2010 désignant Monsieur Alassane
OUATTARA, vainqueur de l’élection présidentielle… ». Pour un commentaire de cette décision,
voy. G.-F. NTWARI, « La décision du Conseil constitutionnel n°CI-2011-036 du 4 mai 2011 »,
Revue québécoise de Droit international, Vol. 24, N°1, 2011, pp. 407-411.
154
L. PASCOE, « L’assistance électorale des Nations Unies et le mandat de certification appliqué à
la Côte d’Ivoire », in J-P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace
francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 649-669, spéc. à la p. 657.
155
L. PASCOE, art.cit., p. 657.
151
71
aux normes internationales, et prie le Secrétaire général de prendre toutes les
dispositions nécessaires afin que le Représentant Spécial dispose d’une cellule
d’appui lui fournissant toute l’assistance requise pour pouvoir s’acquitter de cette
mission »156.
Cette certification résulte de la volonté des parties prenantes ivoiriennes
impliquées dans la recherche de solution de confier aux Nations unies un rôle
important dans l’organisation des élections157. Le Représentant spécial du Secrétaire
général avait, le 3 décembre 2010, certifié le résultat du second tour de l’élection
présidentielle du 28 novembre 2010 proclamé par la Commission électorale
indépendante reconnaissant la victoire du candidat Alassane Ouattara158. Le Conseil
constitutionnel ivoirien avait pris en compte, dans sa décision du 4 mai 2011, les
résultats de l’élection présidentielle tels que proclamés par la CEI et certifiés par le
Représentant spécial.
Dans l’affaire Dynamique de l’opposition contre CENI et
UDPS/Tshisekedi159, la Cour constitutionnelle, siégeant en matière de contentieux
électoral, avait été invitée par la partie demanderesse, entre autres, à ordonner
l’audition des observateurs de l’Eglise catholique, ceux de la Synergie de mission
d’observation citoyenne et électorale, SYMOCEL en abrégé, ainsi que de toute autre
mission d’observation dont elle trouvera l’audition nécessaire, de rectifier les
résultats erronés publiés par la CENI, de proclamer élu Président de la République
Monsieur FAYULU MADIDI Martin et, enfin de communiquer à la CENI sa
décision conformément à l’article 75 de la loi électorale.
En sa qualité d’experte, la CENI avait allégué le défaut de pertinence de
ladite audition en soulignant que « la mission d’observation se limite à la
surveillance électorale et même alors elle ne peut accéder aux procès-verbaux et
fiches de résultats qui ne sont remis qu’aux seuls témoins présents, et ce, au regard
156
§ 6 de la Résolution 1765 (2007) du 16 juillet 2007 du Conseil de sécurité. Cette fonction avait été
exercée par le Représentant du Secrétaire général certifiant, entre autres, que les résultats
proclamés par la CEI ivoirienne proclamant Alassane Ouattara étaient conformes aux standards
internationaux.
157
L’Accord de Pretoria du 6 avril 2005 sur le processus de paix en Côte d’Ivoire. Point 10 : « (…).En
vue d’assurer l’organisation d’élections libres, justes et transparentes, elles ont admis que
les Nations Unies soient invitées à prendre part aux travaux de la Commission Electorale
Indépendante. A cet effet, elles ont donné mandat au Médiateur, Son Excellence Monsieur
Thabo Mbeki, d’adresser une requête aux Nations Unies, au nom du peuple ivoirien, en vue
de leur participation dans l’organisation des élections générales. Les parties de mandent que
la même requête soit adressée aux Nations Unies en ce qui concerne le Conseil
Constitutionnel. Les Nations Unies doivent s’assurer à ce que leur mission d’intervention
sollicitée soit appuyée par un mandat et des pouvoirs appropriés à l’accompl issement de
leur mission ». Souligné par nous.
158
Ces résultats certifiés avaient été reconnus aussi par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union
africaine, la CEDEAO. Voy. Communiqué du 28 janvier 2011 dudit Conseil
PSC/AHG/COMM/CCLIX).
159
Cour constitutionnelle, RCE 001/PR. Arrêt du 19 janvier 2019.
72
des articles 68 de la loi électorale et 72 des mesures d’application à tel enseigne que
la comparution de ces missions d’observation s’avère injustifiée (…) ».
Toutefois, la CENI avait pris soin de verser au dossier les différents rapports
des missions d’observation accréditées par elle à savoir : la mission d’observation,
protection et défense de droit de l’homme, l’observatoire de la société civile pour le
suivi du dialogue, la déclaration préliminaire du forum des commissions électorales
des pays membres de la SADC (ECF-SADC) sur les élections présidentielle,
législatives et provinciales tenues en République Démocratique du Congo le 30
décembre 2018, le rapport d’observation de la plateforme de la société civile
électorale, la SYMOCEL, la mission conjointe d’observation électorale de la
diaspora africaine en Europe et celle du groupe agir Europe-Afrique, la mission
d’observation électorale de l’IGE, la Coalition des organisations congolaises pour
l’observation des élections.
La Cour constitutionnelle relève qu’« au regard de ces différents rapports,
(…) les résultats du suffrage proviennent des procès-verbaux de dépouillement et
des fiches des résultats signés par les membres des bureaux de vote et des témoins.
Il se dégage que ces missions d’observation n’ont pas participé à la rédaction de ces
pièces, leur rôle étant limité à assister aux opérations de vote, d’établir des rapports
en vue de l’amélioration des scrutins à venir et n’ont pas eu droit à l’obtention des
procès-verbaux pour établir la sincérité des résultats provenant des pièces ci-haut
énumérées. Dès lors leur audition s’avère sans objet (…). »160.
Sans nécessairement lier le juge, Jean-Louis ESAMBO KANGASHE estime
que les conclusions d’une observation électorale peuvent l’amener à se faire une idée
sur l’organisation du scrutin et la préparation éventuelle des irrégularités, afin de
motiver sa décision. Dans l’arrêt sus-évoqué, le juge s’est autorisé, selon l’auteur
précité, de recevoir, à titre de preuves, les observations de la Commission électorale
nationale indépendante, contenant, notamment les conclusions de quelques missions
d’observation électorale triées par elle pour rejeter la demande d’audition des
observateurs de la Conférence Épiscopale nationale du Congo161 .
Cette orientation de la Cour constitutionnelle de la RDC était anticipée par la
Cour constitutionnelle du Togo. En effet, dans une décision du 17 mars 2010, la Cour
constitutionnelle du Togo avait considéré que la déclaration préliminaire de la
Mission d’observation électorale de l’Union européenne (Rapport) sur laquelle se
fondait le requérant n’avait aucune portée juridique et ne pouvait, par conséquent,
constituer un moyen de preuve162. Cette fin de non-recevoir du Rapport d’une
160
Souligné par nous.
J.-L. ESAMBO KANGASHE, op.cit., p. 256 et s.
162
Cour constitutionnelle du Togo. Décision n° E-007/10 du 17 mars 2010 portant saisine de
M.YAWOVI AGBOYIBO, candidat du parti du Comité d’action pour le Renouveau (CAR). Journal
officiel de la République togolaise, 55ème année, N° 12, N° spécial 18 mars 2010.
161
73
mission d’observation électorale a été perçue par MAMADOU SALIF SANE
comme procédant de la défense du « souverainisme juridictionnel »163.
Dans certains Etats, le juge électoral ne peut ignorer les conclusions des
observateurs. C’est le cas du Bénin et du Togo où le juge constitutionnel peut
dépêcher ses propres observateurs, appelés délégués dans les bureaux des votes.
Dans sa Décision du 12 janvier 2023 portant proclamation des résultats des élections
législatives du 08 janvier 2023, la Cour constitutionnelle du Bénin prend en compte,
parmi les moyens de preuve pour lui permettre d’apprécier la régularité du scrutin,
les procès-verbaux de déroulement du scrutin, les feuilles de dépouillement, les
observations des délégués des partis politiques et les observations de ses délégués
assermentés. De telles observations faites par ses délégués assermentés dans certains
bureaux font foi et servent de moyens de preuves. Dans son arrêt n° 52/2019 du 30
août 2019 portant proclamation des résultats définitifs des élections municipales
partielles du 15 août 2019, la Cour suprême du Togo avait aussi visé les rapports de
ses délégués dans cinq communes164.
Cette pratique appréciable est toutefois limitée comme l’a relevé KOFFI
AHADZI. Dans ces Etats, le juge procède, le jour du scrutin, au déploiement de ses
propres observateurs dans un certain nombre de circonscriptions électorales et de
bureaux de vote. Mais outre que cette observation se fait uniquement le jour du
scrutin, son ampleur reste limitée, car faute de moyens, elle ne peut couvrir
l’intégralité des centres de vote165.
L’évaluation du processus électoral ou l’appréciation qui en est faite par les
observateurs électoraux n’est pas ignorée par les juridictions internationales. La Cour
de justice de la CEDEAO, dans son arrêt du 15 décembre 2023, considère que le
Président nigérien Mohamed BAZOUM, évincé du pouvoir à la suite d’un
changement anticonstitutionnel (dans l’espèce coup d’Etat), était élu le 21 mars 2021
à l’issue d’un scrutin présidentiel qualifié de transparent, inclusif, démocratique et
sincère, donc régulier par les nombreux observateurs internationaux présents sur
les lieux du vote166. Le caractère transparent du scrutin précité résulte de la
convergence des rapports établis par les missions d’observation électorale et la Cour
de justice de la CEDEAO se fonde sur ces conclusions pour valider à son tour la
transparence d’un tel scrutin. L’appréciation par la Cour de justice de la CEDEAO
MAMADOU SALIF SANE, « L’ordre juridique électoral dans l’espace CEDEAO », in ISMAILA
MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur
du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp.
371-411, spéc. à la p. 392 et s.
164
Journal officiel de la République togolaise. 6 septembre 2019.
165
KOFFI AHADZI NONOU, « Contentieux électoral et Cours constitutionnelles en Afrique noire
francophone », Constitutions, 2019, pp. 319-330.
166
Cour de justice de la CEDEAO. Dans l’affaire Mohamed Bazoum et deux autres contre l’Etat du
Niger. Requête n° ECW/CCJ/APP/36/23. Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/57/23 du 15 décembre 2023,
§ 110. Souligné par nous. Souligné par nous.
163
74
du caractère transparent du scrutin présidentiel nigérien est influencée, dans une
large mesure, par les conclusions des missions d’observation électorale.
Par ailleurs, pour étayer sa conviction sur le caractère déséquilibré de la
Commission électorale indépendante (CEI) qui est l’organe électoral ivoirien, la
Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples s’est fondée sur le Rapport de
la Mission d’observation de l’Union africaine (MOEUA) établi le 27 octobre 2015 :
« (…). Au regard de sa composition, la MOEUA a pu relever un déséquilibre en
termes de représentation numérique de la coalition au pouvoir et des partis politiques.
La MOEUA a noté que l’autorité électorale ne fait pas l’objet d’un consensus au sein
de la classe politique (…). Au regard de ses échanges avec les acteurs sociopolitiques, la Mission a nettement perçu la méfiance d’’une frange de l’opposition et
de la société civile (…) »167.
Il résulte de ce qui précède que la valeur juridique des rapports des missions
d’observation électorale est ambivalente. Nous pouvons recenser des décisions de
justice ne reconnaissant aucune valeur juridique auxdits rapports au moment où
d’autres juridictions constitutionnelles, à l’instar de la Cour constitutionnelle
béninoise, intègrent les observations de ses propres délégués assermentés parmi les
moyens de preuves dans le contentieux électoral. Les juridictions qui ne
reconnaissent aucune valeur juridique auxdits rapports ne peuvent toutefois les
ignorer dès lors qu’ils leur sont présentés. Au niveau de la Cour africaine des droits
de l’homme et des peuples d’une part et de la Cour de justice de la CEDEAO d’autre
part, les évaluations ou les appréciations des missions d’observation électorale
servent d’arguments a fortiori pour corroborer l’appréciation de ces deux
juridictions.
En Droit congolais, nonobstant l’énumération des moyens de preuve,
notamment les procès-verbaux des résultats, les fiches de résultats, le juge
constitutionnel ne peut s’autolimiter aux moyens de preuve. Etant donné le caractère
du plein contentieux que présente le contentieux des résultats, il dispose de plusieurs
pouvoirs pour reconstituer la sincérité et l’authenticité des suffrages en procédant à
tous les devoirs d’instruction nécessaire, y compris, en cas de besoin, l’exploitation
des rapports ou des déclarations préliminaires des missions d’observation électorale
dès lors qu’ils sont susceptibles à contribuer à la manifestation de la vérité des urnes.
L’expédient selon lequel les procès-verbaux ne sont pas remis aux
observateurs électoraux n’est pas suffisant pour les écarter du processus du
règlement du contentieux électoral. Les fraudes massives et systémiques ne peuvent
être documentées par les procès-verbaux, mais par d’autres moyens utilisés par les
observateurs électoraux comme le comptage des voix parallèles, la documentation
des irrégularités. La Cour constitutionnelle aurait intérêt, en cas de nécessité, à
167
Cour africaine des droits de l’homme et des Peuples, Affaire Actions pour la protection des droits
de l’homme (APDH) c. la République de Côte d’Ivoire. Requête n° 001/2014. Arrêt du 18
novembre 2016 § 132
75
exploiter les rapports des missions d’observation électorale qui sont convergents et
crédibles.
L’exigence faite aux organismes dont les observateurs ont été accrédités de
déposer une copie de leurs rapports à la CENI, au gouvernement et au parlement
témoigne de l’intérêt accordé aux activités des missions d’observation électorale et
de leur capacité à contribuer à l’amélioration du cadre juridique lié aux élections en
général, mais de manière particulière à l’amélioration de futurs scrutins électoraux.
Certaines innovations apportées à la loi électorale, à la loi organique relative à la
CENI ou à la loi portant répartition des sièges ont été, dans une certaine mesure,
inspirées par les recommandations des missions d’observation électorale.
Certains exposés des motifs des lois prennent en compte de critiques
formulées dans la gestion et la conduite du processus électoral par les différentes
parties prenantes ou impliquées dans ce processus, dont les observateurs. L’Exposé
des motifs de la Loi n° 15/001 du 12 février 2015 modifiant et complétant la Loi n°
06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle,
législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la
Loi n°11/003 du 25 juin 2011 est plus explicite : « (…). Le processus de 2006 à 2011
a donné lieu à diverses critiques de la part des parties prenantes et des observateurs.
Au terme de différents débats, il est apparu que des faiblesses contenues dans la loi
électorale ont été, dans certains cas, à l’origine des irrégularités décriées. Parmi ces
faiblesses figurent notamment celles portant sur le dépôt des candidatures, la gestion
administrative du processus, le fonctionnement des centres locaux de compilation
des résultats, le traitement des incidents pendant la tenue des opérations, le mode de
pré constitution de la preuve et la gestion du contentieux par l’autorité judiciaire
(…) »168.
L’exposé des motifs de la loi n° 18/005 du 08 mai 2018 portant adoption de
la répartition des sièges par circonscription électorale pour les élections
présidentielle, législatives, provinciales, municipales s’inscrit dans la même logique.
En effet, la refonte du fichier électoral s’était avérée indispensable en vue de prendre
en compte, entre autres, des conclusions des différents rapports d’observation
électorale et de l’audit du fichier électoral des parties prenantes au processus
électoral »169. La loi électorale du 9 mars 2006 a été modifiée en 2011, 2015, 2017
et 2022. Les différentes innovations apportées à la loi électorale visent, entre autres,
à l’amélioration de la transparence, de la fiabilité du processus électoral.
Les élections du 20 décembre 2023 ont été diversement commentées. Elles
ont suscité certains débats au regard de réponses apportées à certaines questions ou
problématiques. Celles-ci n’ont pas laissé indifférent l’auteur de ces lignes qui y
consacre les développements ci-dessous.
168
169
Souligné par nous.
Notre soulignement.
76
C.Questions controversées à la suite des scrutins du 20 décembre 2023
Il s’agit de notre appréciation sur certaines questions juridiques qui
s’inscrivent en marge du processus électoral. Les questions pertinentes concernent
le taux d’abstention électorale, la décision de la CENI annulant les élections
législatives, provinciales et communales dans deux circonscriptions électorales et
l’annulation des suffrages obtenus par certains candidats, la question du référéliberté devant le Conseil d’Etat et le télégramme du ministre ayant l’Intérieur dans
ses attributions.
Le taux de participation aux élections présidentielle, législatives, provinciales
et communales du 20 décembre 2023 était le plus faible. Initialement fixé par la
CENI à 43,23 % par la CENI, puis revu à la baisse par la Cour constitutionnelle à
42,65 % après annulation des élections dans les deux circonscriptions de Yakoma et
de Masimanimba, ce taux est le plus bas depuis le premier cycle organisé en 2006 et
marque un taux d’abstention le plus élevé. Ce taux peut être diversement analysé.
Cette baisse constatée d’une manière constante ne constitue pas un fait aléatoire ou
un simple comportement fugitif. Il s’enracine et peut constituer un message de
désaffection de la part des électeurs, exception faite des circonstances particulières
qui empêchent les électeurs désireux de se rendre aux urnes d’exercer leur droit de
vote.
Il est difficile de prédire si l’abstention électorale peut exercer une influence
déterminante sur la sincérité des résultats. En principe le juge électoral ne s’intéresse
pas à l’abstention qui participe du comportement électoral. Néanmoins, dans un
considérant, le Conseil constitutionnel français n’avait pas exclu la possibilité pour
le juge électoral d’apprécier si un taux d’abstention n’a pas altéré la sincérité du
scrutin : « (…).Il appartiendra, le cas échéant, au juge de l'élection, saisi d'un tel
grief, d'apprécier si le niveau de l'abstention a pu ou non altérer, dans les
circonstances de l'espèce, la sincérité du scrutin (…) »170. Une autre question est
celle posée par la décision de la CENI d’annuler les élections ou les suffrages obtenus
par certains candidats.
La décision de la CENI n°001/CENI/AP/2024 du 05 janvier 2024 portant
annulation des élections législatives, provinciales et communales dans deux
circonscriptions et des suffrages obtenus par certains candidats est, a priori, salutaire.
Cependant, elle présente non moins des difficultés du point de vue de sa conformité
à la logique qui sous-tend l’Etat de droit. La décision modifie la situation juridique
des candidats ou mieux leur chance d’être élus sans leur avoir accordé la possibilité
170
Décision du Conseil constitutionnel (français) n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 (Journal officiel
de la République française du 18 juin 2020). Souligné par nous. Pour un commentaire de cette
décision, P. ESPUGAS-LABATUT MARIE BROS, « Le mariage de l’abstention et de la sincérité
du scrutin : une union-prudente et à trois ! », Revue française de Droit constitutionnel, 2022/1,
Vol.129, pp e 19 à e 30.
77
de présenter leurs moyens de défense, exception faite du candidat ayant introduit un
recours à la CENI et jugé par cette dernière, fondé171.
Cette décision constitue, par ailleurs, un acte administratif, à la fois
réglementaire172 et individuel173 qui pouvait être attaquée, selon le cas, devant le
Conseil d’Etat en excès de pouvoir ou tout au moins à travers la procédure du référéliberté. Le recours en excès de pouvoir aurait été inapproprié à cause des conditions
de recevabilité qui supposent au préalable, une réclamation. La voie indiquée était
celle choisie par les requérants à travers la procédure de référé-liberté174. C’est à tort,
à notre avis que le Conseil d’Etat, dans son ordonnance du 11 janvier 2024 s’est
déclaré incompétent. Cette conclusion est aussi partagée, partant d’autres arguments
par Yav Katshung dans une réflexion récente quand il soutient qu’en se déclarant
incompétent, le Conseil d’Etat semble manquer une occasion de prouver qu’il est audessus de tout soupçon de partisannerie175.
Pour éviter une telle situation préjudiciable aux droits de la défense des
candidats dont la situation juridique est modifiée par une décision de la CENI, il
convient de modifier la loi électorale et/ou la loi portant sur les juridictions de l’ordre
administratif de manière à y intégrer, de manière expresse, la procédure de référéliberté ou référé-suspension. Cette modification s’impose pour tenir compte de deux
impératifs : d’une part la protection des droits fondamentaux des candidats dont les
suffrages ont été annulés et bénéficiant de la présomption d’innocence et d’autre part
la célérité exigée par les délais des opérations électorales. Le référé-liberté est à
promouvoir au regard du délai bref dans lequel le juge administratif est tenu à se
prononcer (48 heures) et tient compte de la célérité précitée. En droit français le
référé-liberté peut être utilisé à l’occasion des opérations électorales étant donné que
ces opérations constituent le domaine par excellence de l’exercice de nombreuses
171
Décision n° 003/CENI/AP/2023 du 13 janvier 2024 portant réhabilitation des suffrages du
candidat Kalumba Mwana Ngongo Justin dans la circonscription électorale de Kasongo-Province
du Maniema.
172
La partie de la décision annulant les élections dans les deux circonscriptions concernées est un acte
règlementaire à portée générale et impersonnelle.
173
La partie de la décision annulant les suffrages dans certaines circonscriptions électorale revêt le
caractère d’un acte à portée individuelle destiné à modifier la situation juridique des candidats
dont les suffrages ont été annulés.
174
Art.283 de la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et
fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif : « Lorsqu’une décision administrative
porte gravement atteinte et de manière manifestement illégale à une liberté publique et/ou
fondamentale, le juge des référés saisi par une demande en référé-liberté peut ordonner toute
mesure nécessaire à la sauvegarde de la liberté. Le juge des référés se prononce dans les quarantehuit heures lorsqu’il statue sur une demande en référé-liberté ». JORDC, 18 octobre 2016, N°
spécial, col.1.
175
J.YAV KATSHUNG, « Annulation de scrutin et invalidation des candidats par la CENI : quel
recours possibles ? cas de Evariste Boshab & consorts in https://www.legavox.fr/blog/yavassociates/annulation-scrutin-invalidation-candidats-ceni-34975.htm, publié le 8 janvier et
modifié le 13 janvier 2024. Consulté le 20 janvier 2024 à 17h30.
78
libertés publiques. Les conditions de l’urgence et d’une atteinte grave et
manifestement illégale à une liberté fondamentale sont cumulatives et doivent être
réunies en même temps176.
Un autre avantage offert par le référé-liberté consiste dans le fait qu’il ne
présuppose pas l’introduction d’une requête principale et ce, contrairement à la
procédure de référé-suspension. La jurisprudence du Conseil d’Etat consolide cette
orientation.
Il a été jugé que « (…) contrairement au référé-suspension, le référé-liberté
est un référé autonome et sa recevabilité n’est pas subordonnée à l’existence d’une
requête principale en annulation ou en réformation. Pour toutes ces raisons, (…) le
juge des référés fera droit à la requête du demandeur et ordonnera, en guise de
sauvegarder des libertés fondamentales ou publiques gravement et illégalement
atteintes, la suspension du procès-verbal sans numéro du 1er septembre 2023
constatant la résolution portant sa déchéance au poste de Président de la CNDH (…).
Le juge des référés suspend les effets du procès-verbal sans numéro du 1er septembre
2023 constatant la résolution portant déchéance du demandeur au poste de Président
de la CNDH (…) »177.
Il va de soi que cette procédure de référé-liberté devrait être organisée avant
la proclamation des résultats définitifs par le juge électoral concerné. Il s’agit de
protéger l’Etat de droit en tenant compte du respect des droits fondamentaux et en
soumettant les actes administratifs de la CENI au contrôle de légalité. Ce contrôle
des actes administratifs de la CENI s’impose pour respecter l’Etat de droit au cœur
du nouvel ordre constitutionnel congolais178 et dans sa jurisprudence, de plus en plus
prolifique, la Cour constitutionnelle insiste sur la spécificité que le constituant
accorde à la protection des droits de la défense179.
Une autre possibilité serait celle ouverte par l’article 49 de la loi organique
n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour
Conseil d’Etat (français), 27 mars 2001, Ministre de l’Intérieur c./M. Djalout ; Tribunal
administratif de Rouen, 6 mars 2001, M. Dore et autres. Cette jurisprudence est citée par H.
CAUCHOIS et J.-C. SAVIGNAC, Droit et pratique des élections, 3ème édition, Berger-Levrault,
2017
177
Conseil d’Etat, ROR. 708. En cause: Monsieur Paul Nsapu Mukulu (demandeur en référé-liberté)
contre: 1. Tshibanda Nduba Jean Richard et les autres (Défendeurs en référé-liberté).
Ordonnance du 1er novembre 2023, inédit.
178
L. ODIMULA LOFUNGUSO KOS’ONGENYI, L’Etat de Droit en Droit congolais, Paris,
L’Harmattan, 2021.
179
Pour une brève analyse de cette jurisprudence, J. KAZADI MPIANA, « Les juridictions
constitutionnelles et la protection des droits de l’homme en Afrique : quelques réflexions à partir
de la Cour constitutionnelle de la RDC » in P. MUHINDO MAGADJU et M. CIFENDE KACIKO
(dir.), Normativité et pratiques juridictionnelles : la mise en œuvre des droits de l’homme en
R.D.Congo. Tome 2, Paris, L’Harmattan RDCongo, 2022, pp. 21-58.
176
79
constitutionnelle accordant au Procureur près la Cour constitutionnelle le droit de
saisir d’office cette dernière lorsque l’un des actes prévus par l’article 43 de ladite
loi organique, dans le cas d’espèce, les actes règlementaires de la CENI violent les
droits fondamentaux180. Au contraire, les actes administratifs de la CENI à portée
individuelle peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir181 ou des
procédures d’urgence. Les procédures d’urgence constituent une ressource dans le
Droit administratif comparé exercées selon certaines spécificités nationales182.
Si la décision précitée de la CENI annulant les suffrages obtenus par certains
candidats présente des écueils par rapport au respect des droits de la défense, le
télégramme du Vice Premier ministre et ministre de l’Intérieur (pris en son nom par
le Vice-ministre de l’Intérieur) enjoignant aux Gouverneurs des provinces dont les
suffrages ont été annulés par la décision de la CENI de démissionner au profit des
Gouverneurs intérimaires qu’il a désignés constitue, à notre avis, un acte ultra
vires183.
Bien que le ministre ait agi formellement par télégramme, ce dernier ne
constitue pas moins le support d’un acte décisoire modifiant la situation juridique
des Gouverneurs visés. Le ministre de l’Intérieur n’est ni l’autorité de tutelle, ni
l’autorité hiérarchique des Gouverneurs. Le télégramme destiné aux Gouverneurs
manque en fait de fondement juridique. Ni la Constitution, ni la loi du 31 juillet 2008
portant Principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces ni
l’ordonnance du 7 janvier 2022 fixant les attributions des ministères n’accorde un tel
pouvoir exorbitant au ministre de l’Intérieur. La pratique qui s’est développée
tendant à tolérer l’exercice d’un certain pouvoir du ministre de l’Intérieur sur les
Gouverneurs de provinces est contraire à l’Etat de droit. A fortiori le message officiel
communiqué par télégramme est signé par le vice-Ministre pour le compte du
Art.49 : « A l’exception des traités et accords internationaux, le Procureur Général saisit d’office
la Cour pour inconstitutionnalité des actes visés à l’article 43 de la présente Loi organique
lorsqu’ils portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés
publiques ». Mis en évidence par nous. Art.43 : « La Cour connaît de la constitutionnalité des
traités et accords internationaux, des Lois, des actes ayant force de Loi, des édits, des Règlements
Intérieurs des Chambres parlementaires, du Congrès et des Institutions d’Appui à la Démocratie
ainsi que des actes règlementaires des autorités administratives ».
181
Art.85 de la loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et
fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif : « La section du contentieux du Conseil
d’État est le juge de toutes les affaires qui relèvent de la compétence contentieuse du Conseil
d’État. Sans préjudice des autres compétences que lui reconnaît la Constitution ou la présente loi
organique, la section du contentieux du Conseil d’État connaît, en premier et dernier ressort, des
recours en annulation pour violation de la loi, de l’édit ou du règlement, formés contre les actes,
règlements ou décisions des autorités administratives centrales ou contre ceux des organismes
publics placés sous leur tutelle ainsi que ceux des organes nationaux des ordres professionnels
(…) ». JORDC, 18 octobre 2016, N° spécial, Col.1.
182
D. LE PRADO (dir.), Les procédures d’urgence devant les juges de l’Administration. Etude
comparative, Paris, SLC, 2015.
183
Message officiel N°25/CAB/VPM/MININTERSECAC/PKK/005/2024 du 11 janvier 2024.
180
80
ministre de l’Intérieur ; ce qui implique une délégation de signature et non de
pouvoir.
Conclusion
L’observation électorale constitue l’une des composantes du processus
électoral dont l’apport est appréciable dans l’évaluation globale du processus
électoral. En dépit de quelques faiblesses inhérentes à ce mécanisme, la présence des
observateurs électoraux nationaux et internationaux peut prévenir des irrégularités et
contribuer à l’acceptation des résultats par une large partie de l’opinion publique
nationale, voire internationale. Les observateurs internationaux peuvent apporter et
font en réalité une contribution positive aux processus électoraux, plus précisément
dans des pays aux régimes semi-dictatoriaux, ceux en transit vers la démocratie, ou
dans des environnements d’après conflit. La présence d’observateurs étrangers
pourra toujours être un élément dissuasif vis-à-vis de la fraude électorale184.
Cette importance de la présence des observateurs est encore soulignée avec
emphase par Didier MAUS en ces termes : « Qu’ils soient missionnés par une
organisation internationale, spécialisée ou non spécialisée, ou par des pays tiers en
ayant reçu mission ou s’étant donné mission de surveiller les élections nationales,
ces équipes d’observateurs apportent une caution. En tout cas, elles empêchent dans
la plupart des cas que les élections se déroulent à l’opposé des critères de
transparence, de liberté, de sincérité et forment les canons de référence de la
démocratie contemporaine185 .
Malgré la présence des observateurs électoraux et la quantité de
recommandations qu’ils formulent dans leurs rapports, les élections demeurent un
véritable enjeu et défi pour la plupart des Etats africains qui domestiquent à peine les
processus électoraux qui y sont organisés. L’acceptation des résultats électoraux
demeure une gageure tant les soupçons pèsent d’une manière constante sur les
structures de gestion électorale et que celles-ci donnent parfois l’impression d’un
accommodement aux intérêts du pouvoir en place. Comme l’a constaté ABDOUL
AZIZ MBODJI, l’acceptation générale en Afrique du principe de l’organisation
d’élections libres et transparentes à intervalles réguliers qui a entraîné la réforme des
codes électoraux, l’institutionnalisation des Commissions électorales mais aussi
l’acceptation des observateurs électoraux, n’a pas permis de préserver effectivement
l’intégrité de la plupart des opérations électorales organisées en Afrique (…). En
définitive, la question de la réalité d’un droit africain des élections démocratiques ne
se pose plus. Il se pose essentiellement la question de l’effectivité de ce droit surtout
J.-P. KINGSLEY, « Surveillance d’élections : développement de la démocratie ou tourisme
électoral ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace
francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 193-208, spéc. à la p. 205.
185
D. MAUS, « Elections et constitutionnalisme : vers un droit international des élections ? », in J.P.
VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 51-58, spéc. à la p. 57.
184
81
dans un contexte d’apparition d’un vent de remise en cause des acquis démocratiques
nés du renouveau constitutionnel en Afrique186
Cette acceptation des résultats suppose un large consensus entre les
principaux acteurs électoraux sur les règles du jeu électoral car le consensus accroît
la confiance qui constitue l’un des leviers importants de la crédibilité du processus
électoral. MAMADOU SALIF SANE n’a pas tort de le souligner : « (…) la stabilité
d’un système repose sur la recherche de l’équilibre. Plus spécifiquement, le sort des
élections dépend des acteurs du jeu électoral et de leurs comportements. Il s’y ajoute
que la culture du consensus y fait défaut (…). La phase cruciale de tout processus de
maturation démocratique et d’ancrage de l’Etat de droit est l’élaboration des règles
de la compétition électorale (…). A cet égard, l’existence de règles consensuelles
claires est une des conditions d’une démocratie libérale apaisée. Etant la source
principale des crises en Afrique, les règles électorales ne doivent pas être
l’affirmation de la raison du plus fort émanant de la seule majorité présidentielle,
mais le résultat d’une construction née d’un dialogue entre les différents acteurs. Les
normes électorales doivent être la traduction normative des négociations et
compromis des acteurs sociaux et politiques (…) »187.
Il est difficile que tous les acteurs apprécient d’une manière convergente
l’ensemble du processus électoral. Le risque de subjectivité, celle des gestionnaires
comme celle des observateurs et des chercheurs est rarement évité, lorsqu’il s’agit
d’apprécier la conformité des opérations aux principes fondamentaux du droit
électoral énoncés et proclamés en des termes généraux qui recueillent l’adhésion
mais dont les traductions normatives, logistiques et matérielles sont rarement claires
et précises188
L’observation locale ou nationale est souvent méconnue mais n’en a pas
moins d’importance pour cela. Nous avons relevé que de toutes les missions
d’observation électorale accréditées auprès de la CENI, celle de l’Eglise catholique
avant 2023, puis celle conjointe MOE CENCO-ECC est la plus numériquement
importante et couvre toutes les 26 provinces. Elle est traditionnellement critique à
l’égard de l’œuvre de la CENI. Les observateurs internationaux peuvent faire des
déclarations aux médias internationaux et à l’endroit de la communauté
internationale intéressée dans un effort louable de dénoncer une situation honteuse,
ABDOUL AZIZ MBODJI, « L’avènement d’un droit africain des élections démocratiques ? », in
ISMAILA MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges
en l’honneur du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan,
2022, pp. 339-369, spéc. à la p. 369.
187
MAMADOU SALIF SANE, « L’ordre juridique électoral dans l’espace CEDEAO », in ISMAILA
MADIOR FALL (dir.), Théorie et contentieux constitutionnels en Afrique. Mélanges en l’honneur
du Professeur El Hadj Mbodj. Vol.1. Théorie constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2022, pp.
371-411, spéc. à la p. 408 et s.
188
J.-P. KINGSLEY, « Surveillance d’élections : développement de la démocratie ou tourisme
électoral ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii (dir.), Démocratie et élections dans l’espace
francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 193-208, spéc. à la p. 183.
186
82
mais une fois que tout est dit et fait, seuls les citoyens du pays concerné peuvent
amener leurs gouvernements à rendre des comptes de façon responsable189.
En définitive, comme l’observe J.-P. KINGSLEY, ce sont les propres
citoyens d’un pays qui déterminent si une élection est crédible ou non, et ce qui est
important pour ces citoyens, c’est qu’ils puissent penser à juste titre que les processus
électoraux reflètent effectivement leur volonté. Quand des citoyens voient des
processus électoraux transparents, bien administrés, et libres de toute interférence
politique et de toute corruption, élection après élection, ils auront confiance en ces
élections et les considéreront crédibles indépendamment de la présence
d’observateurs internationaux ou des conclusions qu’en tirent ces mêmes
observateurs internationaux190 .
Le droit international relatif aux élections et de manière particulière à
l’observation électorale se développe aussi bien sur le versant du soft law au niveau
international (servant de prémisses à un droit international coutumier relatif aux
élections) que sur le versant du droit international conventionnel ou contraignant au
niveau africain. Ce cadre juridique international est complété par les dispositions
d’ordre constitutionnel, législatif, réglementaire ou juridictionnel des Etats.
Cependant, comme l’a relevé Didier MAUS, le développement de cet ensemble ne
peut garantir à lui seul la sincérité des élections. Les élections libres, honnêtes et
régulières reposent avant tout sur un consensus politique, celui-ci permettant à la
fois d’organiser les élections et d’en accepter par avance les résultats quels qu’ils
soient191.
Or, en RDC ce large consensus politique fait largement défaut en amont,
c’est-à-dire dans la désignation des animateurs de la CENI, dans l’adoption de la loi
modificative de la loi électorale à chaque scrutin, dans la conduite du processus
électoral à travers la constitution du fichier électoral et de sa fiabilité, dans le
déploiement du matériel et de la logistique électorale, y compris l’organisation des
scrutins. En aval ce défaut de consensus se manifeste aussi à l’occasion du nombre
de bureaux de vote, du dépouillement des résultats, de leur affichage, de la
proclamation des résultats provisoires par la CENI ainsi que du règlement du
contentieux électoral.
Les fondements de l’éthique électorale résident essentiellement dans
l’établissement de la confiance et dans la recherche de la vérité. En Afrique, la
J.-P. KINGSLEY, « Surveillance d’élections : développement de la démocratie ou tourisme
électoral ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace
francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 193-208, spéc. aux pp. 206-207.
190
J.-P. KINGSLEY, « Surveillance d’élections : développement de la démocratie ou tourisme
électoral ? », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace
francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 193-208, spéc. à la p. 207 et s.
191
D. MAUS, « Elections et constitutionnalisme : vers un droit international des élections ? », in J.P.
VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace francophone, Bruxelles,
Bruylant, 2010, pp. 51-58, spéc. à la p.58.
189
83
confiance dans les résultats électoraux prononcés par la Commission électorale a
fortement baissé, entraînant parallèlement la baisse de confiance dans le Parlement
qui accueille des élus dont l’élection n’est pas reconnue par les électeurs, ainsi que
la baisse de confiance envers celui qui a été élevé au rang de chef de l’État192.
Bref, la conduite du processus électoral est marquée par une certaine
méfiance à l’égard de la CENI, mais aussi par un désaccord souvent permanent entre
le pouvoir en place et l’opposition, désaccord auquel participe aussi bien la CENI
que la société civile sous le regard intéressé ou désintéressé de la Communauté
internationale. La signification attribuée au processus électoral est un facteur crucial
de respect de ses résultats. Une élection perçue comme un jeu à somme nulle, dont
le résultat est connu d’avance, risque de ne pas susciter d’acquiescement. Au
contraire, si la compétition ouverte et si la victoire ne représente rien de plus que
l’exercice temporaire du pouvoir, on peut s’attendre au consentement du vaincu193.
La problématique au cœur de cette contribution était celle de réfléchir sur les
potentialités dont disposent les missions d’observation électorale de contribuer, au
travers de leurs rapports définitifs ou des déclarations préliminaires, à l’amélioration
des processus électoraux avec un regard particulier sur la RDC. Sans angélisme, les
missions d’observation électorale peuvent constituer une valeur ajoutée, certes
limitée au processus électoral et ce, au regard des finalités assignées à toute mission
d’observation électorale d’évaluer, de manière indépendante et impartiale, le
processus électoral et de formuler des recommandations dans l’espoir qu’elles
puissent susciter des réformes nécessaires pour l’amélioration du cadre juridique
relatif aux élections et des conditions d’organisation des processus électoraux.
Cependant, la présence des observateurs électoraux n’est ni indispensable à la
régularité des scrutins ni ne peut garantir la transparence des scrutins.
*
*
192
193
*
FWELEY DIANGITUKWA, Les élections en Afrique. Analyse des comportements et pistes
normatives de gestion des conflits, Genève, Globethics.net. African Law, N° 11, 2022, pp.298300.
F. OLIVA, « Vainqueurs et vaincus : deux faces de la même médaille ? ou comment accepter le
verdict des urnes », in J.P. VETTOVAGLIA et alii dir.), Démocratie et élections dans l’espace
francophone, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 454-476, spéc. à la p. 469.
84
Contentieux électoraux et considérations critiques du
régime de la preuve devant le juge constitutionnel
congolais
Par :
Adolphe Musulwa Senga194
Résumé
Le présent article analyse l’organisation des quatre cycles des élections
(2006, 2011, 2018 et 2023) du Président en République démocratique du Congo, et
la proclamation des résultats provisoires par les structures de gestion électorale
(Commission Electorale Indépendante et Commission Electorale Nationale
Indépendante), puis les contestations des résultats portées devant les Hautes
juridictions (la Cour Suprême de Justice ou la Cour constitutionnelle). Il découle de
ces contentieux des résultats, pour les demanderesses et les défenderesses devant les
juridictions de céans, d’administrer les moyens de preuve, afin de soutenir et faire
valoir leurs prétentions respectives. De ce qui précède et pour l’essentiel, rappelons
qu’aux termes des requêtes introduites par les différentes parties demanderesses, les
juridictions des contentieux électoraux les ont reçues et les déclarées non fondées,
pour absence des moyens persuasifs de preuve, devant aboutir à la manifestation de
la vérité des urnes. Compte tenu des limites que renferme la législation congolaise
en droit électoral en ce qui concerne la preuve, l’intérêt de cette étude réside dans la
prise en compte de son aspect prospectif, de repenser le cadre juridique du régime
de l’administration et de la réception des moyens de la preuve, à l’occasion,
probablement des contentieux des résultats de l’élection du Président en République
démocratique du Congo.
Mots-clés : contentieux électoraux – regime de la preuve – juge constitutionnel résultats provisoires
Abstract
This article analyzes the organization of the four presidential election periods (2006,
2011, 2018 and 2023) in the Democratic Republic of the Congo, and the delivery of
provisional results by the DRC Election Authority, said (Commission Electorale
Assistant au Département de Droit public de la Faculté de Droit de l’Université de Lubumbashi
(République démocratique du Congo). Apprenant au programme supérieur d’études de 3 ième cycle
(DEA) au sein de la même Université, et Avocat près la Cour d’Appel du Haut-Katanga.
Téléphone: +243 992674741. E-mail :
[email protected]
La contribution en exergue est un extrait de notre mémoire de troisième cycle qui sera présenté et
défendu en vue de l’obtention du diplôme supérieur d’Etudes approfondies. Notre soulignement.
194
85
Independante and Commission Electorale Nationale Indépendante), then disputes
over the results brought before High Courts (the Supreme Court of Justice or the
Constitutional Court). As a result of these disputes, the plaintiffs before the lower
courts are obliged to adduce evidence in support of their respective claims. In the
light of the foregoing and for the most part, it should be recalled that, under the
terms of the petitions lodged by the various plaintiffs, the electoral disputes courts
received them and declared them to be unfounded, for lack of persuasive means of
evidence, leading to the manifestation of the truth of the ballot box. The interest of
this study lies in its prospective aspect, to rethink the regime of the administration of
evidence in the Congolese Electoral Law, on the occasion of future litigations of the
results of the election for the President in the Democratic Republic of Congo.
Keywords: electoral litigation – rules of evidence – constitutional judge –
provisional results.
Introduction
Pendant longtemps, le droit de gouverner une population était considéré
comme découlant naturellement de l’ordre des choses. Mais devant l’impossibilité
de voir tout le monde gouverner la République en même temps et pour éviter la
création d’un désordre permanent, « on proposa la solution suivante : choisissons
nos gouvernants au moyen d’élections ; ces gouvernants nous représenteront parce
que nous les aurons élus à cet effet. La violence verbale et physique avait ainsi été
transformée dans l’urne où chacun cherchait à se confronter à l’autre ou à combattre
l’autre par voie pacifique, conformément à ses valeurs et à ses intérêts représentés
par le candidat qu’il choisirait librement195.
Fort de cet entendement, l’on considère que les élections sont un mode de
dévolution du pouvoir reposant sur un choix opéré par l’intermédiaire d’un vote ou
suffrage. Plus un corps électoral ne confère un mandat à une ou plusieurs personnes
qu’il choisit par son vote. De ce qui précède, toute élection suppose donc que soient
définis : le corps électoral que les modalités de ce suffrage ; le ou les mandats mis en
compétition que le calendrier de cette compétition ; le mode de scrutin ;
l’encadrement administratif et financier du processus électoral ; le mode de contrôle
de la régularité des élections et de la proclamation des résultats196.
195
196
FWELEY DIANGITUKWA., Les élections en Afrique. Analyse des comportements et pistes
normatives de gestion des conflits, Genève, Globethics, 2022, p. 33.
HOLO, G – F., « La démocratie électorale en Afrique : Etat des lieux et propositions », in
L’Amphithéâtre et le prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie, Mélanges en
l’honneur du Président Robert DOSSOU, sous la direction de Frédéric Joël AÏVO, Jean du Bois
de GAUDUSSON, Christine DESOUCHES, Joseph MAÏLA, Paris, l’Harmattan, 2020, p. 617
86
Cela étant, et sauf à considérer par surcroit que l’élection s’entend alors du
« procédé d’expression de la volonté des électeurs et de leur choix des dirigeants
chargés de décider en leur nom. Les élections s’analysent comme un procédé du
régime représentatif, c’est-à-dire le mode normal de désignation et de révocation des
gouvernants ou, (plus exactement) le processus de la légitimation du pouvoir. C’est
donc par l’expression de la volonté du peuple qu’elles se distinguent des autres
modes de désignation des gouvernants qui, eux, se sentent subis par le peuple même
s’ils comportent également une part de choix. On comprend dès lors pourquoi, dans
un contexte démocratique, de surcroit pluraliste, elles sont ressenties comme une
alternative viable à ces procédés, et donc, un mode privilégié et incontestable
d’émergence des représentants197.
In casu specie, le nouvel ordre politique institué par le constituant du 18
février 2006 met le peuple au centre du jeu politique. En vertu de la souveraineté
nationale dont il est détenteur, il est appelé à choisir, aux termes des élections libres,
pluralistes, démocratiques, transparentes et crédibles, ses dirigeants, le pouvoir étant
son émanation. L’élection devient ainsi le moyen direct par lequel il exerce son
pouvoir autant que le référendum, quoique pouvant également l’exercer
indirectement par ses représentants élus198 .
Nous ne pouvons pas dans cet ordre d’idées nous empêcher de relever que
l’article 5 de la Constitution de la République Démocratique du Congo dispose que
la souveraineté appartient au peuple. Tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce
directement par voie de référendum ou d’élections et indirectement par ses
représentants199.
De ce qui précède, trois éléments essentiels se dégagent de la lecture de cette
disposition à savoir : la souveraineté de la République démocratique du Congo,
197
AFO SABI, Kasséré, La transparence des élections en Droit public africain, à partir des cas
béninois, sénégalais et togolais, Thèse en cotutelle, Université Montesquieu – Bordeau IV (Ecole
doctorale) et Université de Lomé (Faculté de Droit, soutenue le 26 mars 2013, p. 39.
198
Adolphe MUSULWA SENGA., « Etude prospective sur la réalisation de l’alternance politique par
voie de la désobéissance civile en République Démocratique du Congo », in Annuaire congolais
de justice constitutionnelle, volume 4-2019, p. 132.
199
Lire avec intérêt in limitis les dispositions de l’article 5 de la Constitution de la RDC, telle que
modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la
Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006. En effet, aux termes
du cinquième alinéa de l’article précité, dispose que sans préjudice des dispositions des articles
72, 102, et 106 de la présente Constitution, sont électeurs et éligibles, dans les conditions
déterminées par la loi, tous les congolais de deux sexes, âgés de dix-huit ans révolus et jouissent
de leurs droits civils et politiques.
87
l’origine du pouvoir et la voie d’exercice de celui-ci et les conditions d’accès au
pouvoir200.
Quoi qu’il en soit, la République démocratique du Congo a déjà connu quatre
cycles électoraux, au cours desquels la Cour constitutionnelle a eu l’occasion de
rendre trois arrêts en matière des contentieux des résultats présidentiels201, qu’aux
termes des requêtes introduites par les différentes parties demanderesses, la Haute
Cour les a reçues avant de les déclarer non fondées, pour absence des moyens
persuasifs de preuve, devant aboutir à la manifestation de la vérité des urnes.
Aussi, est-il qu’en pratique, ces contentieux portés devant la Cour de céans,
porte sur l’administration de la preuve juridique occupe une place de prédilection,
sur laquelle le juge fonde sa conviction202.
Comme on le sait, en toute matière de contestation juridique, la preuve revêt
une importance capitale, car il ne suffit pas de prétendre d’être titulaire d’un droit,
encore faudra-t-il savoir comment prouver. Aussi, pour jouir de son droit, sera-t-il
presque toujours nécessaire d’en établir l’existence. Faute de cela, tout se déroulera
comme si le droit allégué n’avait jamais existé car « à défaut de preuve, un droit est
pratiquement vidé de toute son effectivité concrète puisque le créancier est à la merci
de son débiteur ». « Un droit ne présente pour son titulaire d’utilité véritable que pour
autant qu’il peut être établi ; un droit qui ne peut être prouvé est un droit pratiquement
inexistant ». Tel était le cas déjà en Droit Romain, ce qui a donné lieu à un adage
célèbre dans l’ancien Droit : Idem est non esse et non probari, « C’est la même chose
que de ne pas être de ne pas être prouvé »203.
Dans tous les cas, l’admissibilité et la recevabilité d’un moyen de preuve en
justice sont synonymes d’une même réalité et renvoient à la façon dont les parties
doivent rapporter la preuve de ce qu’elles allèguent. Il s’agit de répondre à la question
200
MUKUBI KABALI, P., La Constitution de la RDC : Annotée, commentée et expliquée, Kinshasa,
éditions ITONGOA, mai 2009, pp. 37-40.
201
Il s’agit des décisions ci-après : - Arrêt RCE 099 du 27 novembre 2006, requête du Mouvement de
libération du Congo, qui représentait Sieur Jean-Pierre BEMBA GOMBO comme candidat à
l’élection présidentielle, à l’occasion du second tour tenu le 29 octobre 2006. Arrêt RCE 011. PR
du 16 décembre 2011, requête du parti de l’Union pour la Nation Congolaise, UNC pour le compte
de Sieur Vital KAMEHRE LWA KANYINGIYI. Arrêt RCE 001/PR. CR 2018 du 19 janvier
2019, requête introduite pour le compte de Sieur Martin FAYULU MADIDI, en contestation des
résultats des résultats de la Dynamique de l’Opposition, l’arrêt RCE 016/PR-CR du 09 janvier
2024, la requête de Monsieur NGOY ILUNGA WA NSENGA Théodore contre la CENI, en
annulation des résultats de l’élection présidentielle. Source : Le Greffe de la Cour constitutionnelle
de la République Démocratique du Congo. Rôle du Contentieux électoral (RCE). Notre
soulignement.
202
C’est nous qui mettons en relief
203
ABOUDRAMME ONAHARA, La preuve électronique. Etude de Droit comparé Afrique, Europe,
Canada, Paris, Presses Universitaires d’Aix – Marseille, 2011, pp. 17-19.
88
« comment doit-on prouver ? », si un élément de preuve est déclaré adminissible par
la Loi, le magistrat est tenu de le prendre en considération et de procéder à l’examen
de l’élément en question sans que ce dernier n’emporte nécessairement sa conviction.
Le juge reste libre d’en apprécier souverainement la valeur probante. C’est le « stade
préliminaire de la réception des preuves ». Une preuve irrecevable est d’office rejetée
par le juge sans qu’il puisse en examiner le fondement et la portée. Le concept
d’admissibilité d’une preuve ne vise donc que la conformité d’un élément de preuve
aux règles relatives à la preuve au sens strict et laissé de côté la problématique de la
preuve déloyale ou contraire à une règle de droit étrangère à la preuve204.
De la sorte, examinant le régime de l’administration de la preuve en droit
électoral congolais, il est rappelé que les moyens de preuve devant les juridictions
contentieuses sont les procès-verbaux de vote et de dépouillement des fiches des
résultats, des observations des membres du bureau de vote ou des témoins des
candidats, des constats des irrégularités relevées par la juridiction elle-même et des
réclamations des électeurs annexés aux dits procès-verbaux205.
Et combien n’est-il pas soutenable de garder à l’esprit l’importance de
comprendre inévitablement qu’en droit électoral congolais, la hiérarchisation des
moyens de preuve demeure le principe, et il va de soi pour le juge saisi de s’inscrire
dans ce formalisme tel qu’établi par le cadre légal.
En tout état de cause, il faut noter que le contentieux est consubstantiel aux
élections, tout comme l’élection le serait en principe à la démocratie ; la sincérité
d’une élection doit être assurée et garantie par le juge qui, tout en préservant la vérité
des urnes, doit se montrer redevable vis-à-vis du peuple, détenteur du pouvoir dans
une démocratie206.
Au demeurant, le contentieux électoral est un procès contre l’acte et non
contre une personne qui doit être considérée comme défendeur ou intimé en cas
d’appel. La CENI ne peut être appelée par la Cour que lorsqu’elle estime avoir besoin
de son éclaircissement sur tel ou tel point, donc à titre d’expert. C’est ce qui justifie
l’usage du verbe pouvoir au prescrit de l’article 74 de la Loi électoral207.
Ceci nous permet de préciser que le contentieux examiné en relief, n’est ni
celui des actes préparatoires des élections, ni des listes électorales, ni des
204
ANDREA CATALDO, FLORENCE GEORGE et alii, Droit de la preuve (Codes annotés 2022),
Mise à jour au 1er septembre 2022), Bruxelles, Larcier, 2022, p. 18.
205
Jean Louis ESAMBO KANGASHE, Le droit électoral congolais, 2ème édition, Louvain-la-Neuve,
Academia, Paris, 2020, pp. 271-272.
206
DJOLI ESENG’EKELI, Jacques Adam., « La Cour constitutionnelle congolaise et la vérité des
urnes », in Congo-Afrique, numéro 536, juin-juillet-Août 2019, p. 602
207
BUSHIRI OMARI., Le contentieux électoral et le juge constitutionnel : l’impératif de vérité,
sincérité, régularité et crédibilité. RD Congo 2006, 2011, Paris, l’Harmattan, 2020, pp. 318-319.
89
candidatures, ni de la campagne électorale, ni répressif, mais celui des résultats de
l’élection présidentielle.
En toute évidence, l’intérêt du contentieux des résultats de l’élection
présidentielle est éloquent, lorsque l’on sait que le Chef d’Etat est investi de
beaucoup de responsabilités et il est auréolé du prestige qui séduit beaucoup de ses
concitoyens. Dès lors, l’élection présidentielle équivaut à confier le destin d’un Etat
à un homme, vu le caractère central de la figure du Président de la République en
Afrique. Les conditions pour accéder à cette charge ainsi que son exercice ne sont
pas les mêmes que celles des autres mandataires politiques. Cette discrimination est
justifiée dans la mesure où le droit de participer aux affaires publiques ne constitue
pas un droit absolu, il peut connaître des restrictions nécessaires pour une société
démocratique208.
Allant dans le même sens, notons que l’on ne peut pas ne pas procéder de la
sorte, étant donné qu’il n’a pas aucun domaine des autres grands pouvoirs où le
Président de la République n’a pas son mot à dire. En raison de son mode d’élection
prestigieux, il « incarne l’unité nationale ». Il est aussi le gardien de la Constitution
et veuille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure la continuité de
l’Etat209.
En toile de fond de cette étude, il sera question d’examiner le contentieux
juridictionnel des résultats210 de l’élection du Président de la République, en
République démocratique du Congo211, dont la juridiction compétente demeure la
208
209
210
211
Joseph KAZADI MPIANA., « L’odyssée de la clause intangible du nombre de mandats
présidentiels au regard de la révision par voie référendaire dans le constitutionnalisme africain.
Une valse à trois temps ? » in Mélanges en l’honneur du Professeur Emérite Auguste MAMPUYA
(La responsabilité du juriste face aux manifestations de la crise dans la société. Un regard croisé
autour de la pratique du droit par le Professeur Auguste MAMPUYA, sous la direction d’Ivon
MINGASHANG, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 594
BANKOUDA-MPELE, F., « Repenser le Président africain », Association française de droit
constitutionnel, VII ème Congrès français de droit constitutionnel, 50 ème anniversaire de la
Constitution du 04 octobre 1958, Paris, du 25, 26 et 27 septembre 2008, Atelier 6 : Constitution,
pouvoirs et contre-pouvoirs, pp.9-10
Le contentieux des résultats est l’étape cruciale du processus électoral, dans la mesure où la fraude
électorale intervient le plus souvent dans le dépouillement et la compilation des résultats et qu’il
appartient au juge électoral de garantir la vérité des urnes. Le processus de comptage passe par le
dépouillement des suffrages, la compilation ainsi que la publication des résultats. Lire à ce sujet,
KAPINGA K. NKASHAMA., « La Cour constitutionnelle et les enjeux électoraux en République
Démocratique du Congo », in Libraire africaine d’études juridiques, 3(2016), pp. 132-134.
Aux termes des dispositions des articles 70, 71, 72, 73 et suivants de la Constitution de la
République Démocratique du Congo disposent que : article 70 : « Le Président de la République
est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. A la
fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective
du nouveau Président élu. Article 71 : Le Président est élu à la majorité simple des suffrages
exprimés. Article 72 : Nul ne peut être candidat à l’élection du Président de la République s’il ne
90
Cour constitutionnelle, et les questions de l’administration et de la réception et du
traitement des moyens de preuve à l’occasion des contentieux des résultats, ici
considérés dans une optique prospective.
Excluant l’introduction et la conclusion, nous attendons développer les points
ci-après : La Cour constitutionnelle congolaise : La juridiction des contentieux des
résultats de l’élection présidentielle (A) ; Le régime de la preuve en droit électoral
congolais (B) ; Le contentieux électoral des résultats présidentiels de 2006 devant la
Cour suprême de justice siégeant comme Cour constitutionnelle (C) ; Le contentieux
électoral des résultats présidentiels du 28 novembre 2011 (D) ; Le contentieux
électoral des résultats présidentiels du 30 décembre 2018 (E) ; le contentieux
électoral de l’annulation des résultats présidentiels du 31 décembre 2023 (F) ;
Aménagements prospectifs du régime de la preuve en droit électoral congolais (G).
A.La Cour constitutionnelle congolaise : La juridiction des contentieux des
résultats de l’élection présidentielle
Notons en liminaire que la justice constitutionnelle remplit sept fonctions, à
savoir :
-
La garantie des rapports constitutionnels entre la fédération et les provinces
et des läder en eux, c’est-à-dire centre et les collectivités fédérées (litiges
fédératifs) ;
La garantie des rapports constitutionnels entre les organes politiques de l’Etat
(litiges inter organes) ;
Le contrôle de la validité constitutionnelle des normes (Lois et règlements) ;
La garantie des droits fondamentaux ;
La justice électorale, garantissant la sincérité de la représentation politique ;
La protection de la Constitution contre ses ennemis politiques (mise en
accusation d’autorités politiques ou judiciaires, interdiction des partis
politiques déchéance des droits fondamentaux) ;
Le pouvoir de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité
des pouvoirs publics212.
Dans le cadre de cette étude, il s’avère indispensable de relever à ce stade que
le cinquième point ci-haut illustré, relatif à la justice électorale, nous intéresse
principalement. En effet, en droit constitutionnel congolais, aux termes des
212
remplit les conditions ci-après : 1. Posséder la nationalité congolaise d’origine, 2. Etre âgé de 30
au moins ; 3. Jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques, 4. Ne pas se trouver dans un
des cas d’exclusion prévue par la loi électorale. Article 73. Le scrutin pour l’élection du Président
de la République est convoqué par la Commission électorale nationale indépendante, quatre-vingtdix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice.
GILLES BADET, Les attributions originales de la Cour constitutionnelle du Bénin, Cotonou –
Bénin, Bibliothèque nationale, 2013, pp. 241 et suivant.
91
dispositions des articles 161, alinéa 2 de la Constitution et 81 de la Loi organique
n°13/026 du 15 octobre 2013 relative à l’organisation et au fonctionnement de la
Cour constitutionnelle, celle-ci est notamment chargée du contentieux de l’élection
présidentielle, des élections législatives nationales ainsi que du référendum 213.
Ceci nous permet d’affirmer que la Cour constitutionnelle est la juridiction
des contentieux des élections présidentielles, législatives ainsi que du référendum.
Les règles juridiques applicables à l’élection du Président de la République sont
réparties dans des textes assez disparates, de valeurs juridiques différentes plusieurs
fois modifiées et dans lesquels il faut rechercher les compétences de la Cour.
L’analyse croisée de ces dispositions précitées, accorde à la Cour constitutionnelle
congolaise le pouvoir de proclamer les résultats définitifs des élections
présidentielles et législatives dans les deux jours pour les secondes qui suivent
l’expiration du délai de recours, si aucune réclamation ou contestation n’a été
introduite devant elle214.
Etant donné que la crédibilité du juge constitutionnel est en effet souvent
appréciée à travers le tropisme partisan de son rôle en matière électorale dans lequel
il est renfermé215. C’est fort de ce prétexte que la justice électorale constitue l’une
des variables majeures de la présente étude. Cependant, à l’occasion d’un
contentieux, il ne suffit pas de faire prévaloir un droit déjà devant le juge
constitutionnel électoral congolais, mais encore faudra-t-il déterminer le régime de
la preuve qui prévaut en exergue.
B. Le régime de la preuve en droit électoral congolais
En fait, rappelons dans l’entre temps qu’en droit électoral, le principe en
matière de preuve demeure celui de la hiérarchisation des moyens de preuve. A titre
d’exemple, devant les juridictions contentieuses, les moyens de preuve sont pour
rappel, constitués des procès-verbaux de vote et de dépouillement, des fiches des
résultats, des observations des membres du bureau de vote ou des témoins des
candidats, des constats des irrégularités relevées par la juridiction elle-même et des
réclamations des électeurs annexés auxdits procès-verbaux. Ont été, également,
admis comme moyen de preuve, les supports amovibles de stockage des données
informatiques produites par la Commission électorale nationale indépendante.
Quoique crédités d’assurer une transmission rapide et sécurisée des résultats
213
Notre soulignement.
Didier YANGONZELA LIAMBOMBA., L’avènement de la justice constitutionnelle en
République Démocratique du Congo. De la Cour suprême de justice à la Cour constitutionnelle,
Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 298-299.
215
KANTE, B., « La justice constitutionnelle face à l’épreuve de la transition démocratique en
Afrique », sous la direction d’OUMAROU, la justice constitutionnelle. Actes du Colloque
international de l’ANDC (Association Nigérienne de Droit constitutionnel), Paris, l’Harmattan,
2016, pp. 21-22.
214
92
électoraux, les supports amovibles de stockage des données informatiques sont, en
raison de leur accessibilité au seul personnel électoral, une chasse gardée, n’offrant
que très peu de garantie de neutralité et de transparence216.
L’on peut objecter qu’en matière de contentieux électoral, il faut non
seulement que les faits allégués pour obtenir l’annulation des résultats des élections
soient établis sur base des preuves fournies au juge, mais aussi et surtout que ces faits
aient une influence déterminante sur les résultats du scrutin au point de modifier
l’ordre de présentation des candidats selon les résultats obtenus. Autrement dit,
même si les faits sont constitutifs des violations de la législation électorale, le juge
ne pourra procéder à l’annulation partielle ou totale du scrutin que si ces irrégularités
ont de l’incidence sur la sincérité des scrutins217.
Il est de principe que l’élection du Président de la République est arbitrée par
une institution suprême dont les fonctions sont à la fois juridiques et politiques. Sa
dénomination varie d’un Etat à un autre. Si ce n’est le Conseil constitutionnel pour
certains, c’est la Cour constitutionnelle pour d’autres. Ces dénominations qui, dans
une certaine mesure ont été transposées, mettent fin aux anciennes Cours Suprêmes
qui représentaient ces nouvelles institutions218.
C. Le contentieux électoral des résultats présidentiels de 2006 devant la Cour
suprême de justice siégeant comme Cour constitutionnelle
Au titre de rappel, signalons avec ILUME MOKE Michel, que le contentieux
des résultats est un recours porté par le candidat indépendant, le parti ou le
regroupement politique ou leurs mandataires devant le juge électoral en contestation
des résultats des élections provisoires. La Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant
organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines,
municipales et locales telle que modifiée et complétée prévoit qu’aussitôt le
dépouillement terminé, le résultat est immédiatement rendu public et affiché devant
le bureau de dépouillement. Les procès-verbaux de dépouillement et les pièces
jointes sont acheminés pour centralisation et complication au centre local de
216
Jean-Louis ESAMBO KANGASHE., Le droit électoral congolais, 2ième édition,op.cit, pp. 271-272.
Roger THAMBA THAMBA., « Contentieux de l’élection présidentielle devant la Cour
constitutionnelle congolaise: esquisse de questions de questions d’ordre procédural », in Librairie
Africaine d’Etudes Juridiques 4 (2017), p. 628.
218
Stève MOASSACK, « La responsabilité pénale postélectorale des élus en Afrique noire
francophone », in Revue des réflexions constitutionnelles (Revue mensuelle de publication de droit
constitutionnel), N°032-Avril 2023, p. 89.
217
93
complication situé dans chaque circonscription électorale. Ce centre établit une fiche
de compilation des résultats. Il en dresse le procès-verbal219.
Nous allons examiner dans les lignes qui suivent les points suivants : Bref
aperçu sur les élections de 2006 (I), de la proclamation provisoire des résultats de
l’élection présidentielle et la saisine de la Cour Suprême de Justice (II), la
recevabilité des moyens de preuve (III), appréciation de l’arrêt (IV).
I. Bref aperçu sur les élections de 2006
Il est logique de considérer les élections qui ont eu lieu en 2006 en
République démocratique du Congo comme transitionnelles. Elles ont été organisées
pour achever le processus de passage institutionnel et qualitatif amorcé depuis 1990,
devant faire passer le pays du système dictatorial institué par Mobutu et de régimes
contestent comme illégitimes, parce que procédant de la violence des coups d’Etatvers la démocratie, l’institution des régimes légitimes et la paix durable. De ce fait,
elles ont bénéficié d’un concours abondant est décisif de la part de la communauté
internationale, à travers, principalement le Programme des Nations Unies pour le
développement, la Mission de l’organisation des Nations Unies au Congo, l’Agence
des Etats-Unis d’aide internationale (USAID), et l’Union Européenne220.
En 2006, l’élection présidentielle premier tour et législative nationale sont
organisées avec 33 candidats au premier tour et Kabila Kabange Joseph et Bemba
Gombo Jean Pierre arrivent successivement 1e et 2ème sur les 33 candidats en lice. Le
27 octobre est organisé le 2ème tour combiné avec les législatives provinciales. Kabila
Kabange Joseph est proclamé élu par la Commission Electorale Indépendante (CEI).
Bemba Gombo Jean Pierre dénonce des fraudes et la partialité de la communauté
internationale et ne reconnaît pas l’élection de Kabila Kabange Joseph. Des violences
éclatent dans la capitale entre les deux leaders. La Cour suprême de justice est même
touchée par ces violences. Elle confirme l’élection de Kabila Kabange Joseph au
motif qu’il n’y a pas de preuve de fraude évoquée par le candidat Bemba Gombo
Jean Pierre et Kabila Kabange Joseph qui prête serment le 6 décembre. Bemba
Gombo Jean Pierre s’exile en Belgique en 2007221.
219
Michel ILUME MOKE., Droit constitutionnel et institutions politiques de la République
Démocratique du Congo, 2ème édition, Kisangani, Presses Universitaires Patrice Emery Lumumba
de Kisangani, PUPELK, 2022, pp. 165-166.
220
Elie NGOMA BINDA., « Elections en R.D. Congo 2006 et 2011. Bref regard comparatif et
prospectif », in Congo – Afrique, n° 462, février 2012, p. 115.
221
BUSHIRI OMARI, op.cit., pp. 270-271.
94
II. De la proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle et la
saisine de la Cour suprême de justice
Les résultats proclamés par la CEI ont été confirmés le lundi 27 novembre
2006 par la Cour suprême de justice donnant à Bemba Gombo Jean Pierre 42%
contre 58% pour son adversaire, le Président Kabila Kabange Joseph devenant le 1er
Président congolais élu, en l’emportant à la majorité absolue (…) »222.
III. La recevabilité des moyens de preuve
Relativement au droit de la preuve devant la Cour suprême de justice siégeant
en matière de contentieux électoral, à l’occasion de l’audience publique du 27
novembre 2006, en cause Mouvement de Libération du Congo, MLC en sigle contre
la Commission Electorale Indépendante, CEI en abrégé.
La CSJ relève que la preuve des faits articulés par le requérant n’est pas
rapportée. Elle constate en effet qu’elle n’a pas été produite au dossier de manière à
lui permettre d’exercer son contrôle sur l’existence desdites (sic) témoins et leur
accréditation dans les bureaux de vote et de dépouillement concernés, alors que
l’article 55 de la Loi électorale n° 003/CEI/BUR/06 du 09 mars 2006 portant mesures
d’application de la Loi électorale prescrit en son 2ème alinéa que la liste des témoins
des partis politiques et leurs suppléants doit être communiquée à la CEI sept jours
avant le scrutin. A cette liste sont annexées les photocopies des cartes d’électeur des
concernés.
La Cour note par ailleurs que les faits allégués par le requérant selon lesquels
les agents de la CEI auraient intentionnellement et délibérément refusé d’admettre
ses témoins dans les bureaux de vote et de dépouillement cités par lui et de leur
délivrer les copies des fiches des résultats après dépouillement dans les centres cidessus indiqués alors qu’ils en avaient expressément fait la demande, ce qui a
favorisé la falsification des résultats, ne sont pas établis ou dressés à cet effet par les
OPJ ou des magistrats sur dénonciation des faits par des témoins concernés,
conformément à sa jurisprudence (CSJ, 30 octobre 2006, RCE 029 aff. Jacques Boke
Nkoso contre Egide Michel).
Du reste, divers motifs peuvent expliquer l’absence d’un témoin dans un
centre ou bureau de vote comme l’a indiqué à juste titre la Commission Electorale
Indépendante. En effet, un témoin peut n’avoir pas été affecté ; il peut être affecté
mais sans qu’il se présente dans l’éventualité où il n’avait pas perçu sa rétribution,
car selon l’article 38 alinéa 2 de la Loi électorale, les témoins sont à charge de leur
client ; une autre hypothèse possible est que le témoin peut refuser de signer une
fiche des résultats dans le cas où son client n’avait pas réalisé un bon résultat. C’est
222
Idem, pp. 274-275.
95
pour toutes ces raisons que la Cour exige des preuves écrites émanant des autorités
officielles pour étayer les faits allégués. Dans le cas sous examen, la preuve des faits
reprochés par le requérant à la Commission Electorale Indépendante d’avoir
intentionnellement et délibérément refusé de délivrer les fiches des résultats dans les
centres où ils en ont fait la demande n’étant pas rapportée223, la Cour déclarera les
moyens du requérant non fondés avec la conséquence que le scrutin ne sera pas
invalidé ni les résultats annulés dans lesdits bureaux et centres.
IV. Appréciation de l’arrêt
Relativement aux faits rapportés à son instance, la Cour a fait un examen
laconique, sans moindre effort de fouiller davantage, afin de découvrir la vérité des
urnes. La Cour s’est contentée à tort ou à raison, faisant foi aux allégations apportées
par la CEI, et laissant examiner de fond en comble les moyens de preuve apportés
par la demanderesse. La Cour s’est montrée beaucoup plus passive que dynamique.
En effet, il ne suffisait pas de se contenter de seuls plis électoraux de la CENI, pour
soutenir son intime conviction. En vertu du principe de la procédure inquisitoriale
qui lui est reconnue, la Cour devrait jouer un rôle actif, en reconstruisant autrement
son intime conviction, lorsque l’on sait qu’il était de bon droit de rechercher et
compléter les informations, en rapport avec le contentieux porté devant sa
connaissance à travers d’autres voies, entre autres, les descentes sur les lieux, par les
greffiers et les huissiers.
L’invocation de l’article 38 alinéa 2 de la loi électorale n’est pas globalement
persuasive, dans la mesure où les seuls motifs évoqués par la juridiction de céans ne
sont pas suffisants pour écarter les prétentions de la partie demanderesse. Dans les
mêmes conditions, il reviendrait à la CEI de produire les preuves contraires, pour
justifier en fait comme en droit le refus des témoins de signer les fiches des résultats
des élections des candidats. Faire le contraire, serait une manière de cautionner le
refus de rechercher la vérité des urnes.
De ce qui précède, il y a lieu de s’en convaincre que la Cour a rendu un arrêt
aux motivations juridiques moins étoffées, au pire de cas, satisfaire la volonté de la
CENI. Le moins que l’on puisse dire par voie de conséquence, il s’agit là d’une
appréciation arbitraire.
D. Le contentieux électoral des résultats présidentiels du 28 novembre 2011
Dans le cadre de ce point, il sera question d’analyser le Contexte (I), la
proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle (II), Analysecritique du déroulement du cycle électoral (III), la saisine de la Cour suprême de
justice et la recevabilité des moyens des parties (IV), appréciation critique de l’arrêt
(V).
223
MUNTUMBI MWASHAL., Justice électorale congolaise, Tome I, Code électoral annoté,
Kinshasa, CRPJ, pp. 426-427.
96
I. Contexte
L’organisation des élections du 28 novembre 2011 a été très laborieuse. La
mise en place de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) ; chargée
de les organiser a été tardive. Sa création n’a été instituée que par la Loi du 28 juillet
2010 et son bureau n’a été installé que le 26 février 2011. Il comprenait quatre
membres désignés par la majorité et trois par l’opposition. Pour arriver aux élections,
il lui fallait établir le fichier électoral et la cartographie des bureaux de vote, recevoir
et traiter les candidats aux différentes élections, imprimer les bulletins de vote,
assurer la sensibilisation de la population, déployer le matériel électoral et former les
agents des différents centres et bureaux de vote. En ce qui concerne le taux de
participation aux scrutins, en 2011, sur 32.024.640 électeurs enrôlés, seuls
18.911.091 soit 59,10% ont participé au vote, avec 18.143.104 suffrages valablement
exprimés. La faible participation est dès lors dans une large mesure le résultat de
l’absence ou de l’arrivée en retard de certains bulletins de vote, ainsi que de la
difficulté pour beaucoup d’électeurs de trouver le bureau où ils auraient dû se rendre.
II. La proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle
La CENI affirme d’abord qu’il n’y aurait pas de publication partielle des
résultats provisoires de l’élection présidentielle. L’opinion publique se rallia
cependant à l’affirmation de l’opposition qu’une telle pratique était un refus de
transparence. La CENI publia dès lors cinq « résultats de circonscriptions électorales
précises, dans lesquelles la compilation devait être effectuée. Elle publia par
province des résultats pour un certain nombre de bureaux de vote, sans dire à quelles
territoires (sic) ou villes ils correspondaient et sans même proclamer le total auquel
les différents chiffres conduisaient au niveau national. Ces résultats ne furent en outre
jamais portés sur le site Internet de la CENI224.
III. Analyse-critique du déroulement du cycle électoral
A la suite des développements de BALINGENE KAHOMBO, soulève de
nombreux problèmes, irrégularités et fraudes dénoncés par les Missions
d’observations électorales de l’UE et du centre Carter qui concernaient notamment
les aspects ci-après : meetings politiques annulés, radios et télévisions privées
fermées, privatisation et personnalisation des médias publics par le Gouvernement
sortant au mépris du principe de l’équilibre et d’égalité en matière d’information,
bulletins cochés à l’avance, bourrage d’urnes, violences armées et contrainte sur le
choix des électeurs, non admission des témoins et des observateurs à la phase de
consolidation de résultats au centre national de traitement (CNT), nombre excessif
des votants au centre national de traitement, nombre excessif des votants par
224
LEON, Saint MOULIN., « Analyse des résultats officiels des élections du 28 novembre 2011 »,
in Congo – Afrique, N° 462, février 2012, pp. 87-96.
97
dérogation sur simple présentation de la carte électorale d’urnes, échec de la CENI à
publier des résultats des bureaux de vote pour les élections législatives, multiple
retard, de l’annonce des résultats des législatifs durant les deux mois de compilation,
publication par la CENI des résultats de l’élection présidentielle contenus dans un
CD – Rom et non par référence aux procès-verbaux scannés de bureaux de vote,
traitement chaotique du contentieux électoral par la Cour suprême de justice et le
manque de son indépendance. Devant un tel cliché sombre du processus électoral,
d’aucuns ont osé dédouaner la CSJ, qui a entériné les résultats provisoires
proclamés par la CENI, pourtant faisant curieusement fi des toutes les contestations
négatives des Missions d’observations électorales225.
IV. La saisine de la Cour suprême de justice et la recevabilité des moyens des
parties
Au titre du contentieux des résultats, la Cour Suprême de Justice a été saisie
d’un recours à l’encontre des résultats provisoires de l’élection présidentielle et de
519 autres contre les résultats provisoires des élections législatives. Introduit par
l’UNC, le recours à l’encontre des résultats provisoires de l’élection présidentielle
a été rejeté. En ce qui concerne les recours contre les résultats provisoires des
élections législatives des élections législatives, 32 (6,1%) ont été déclarés recevables
et fondés. Les autres (93,9%) ont été déclarés irrecevables ou non-fondés sans
compter le désistement des requérants et les recours pour lesquels la Cour s’est
déclarée incompétente. Le formalisme de la Cour se confirme de manière saisissante.
Une autre impression que laissent ces statistiques, c’est que le contentieux
électoral est réduit à une simple formalité d’usage, la CSJ se comportant comme une
simple « caisse de résonnance de la CENI »226. Cette situation procède du caractère
sommaire de l’instruction que mène la CSJ sur les allégations électorales dont elle
est saisie.
L’arrêt UNC contre Joseph Kabila en constitue une éloquente illustration. Par
sa requête du 12 décembre 2011, l’UNC sollicitait l’annulation du scrutin
présidentiel du 28 novembre 2011. Elle alléguait que ce scrutin était entaché de
BALINGENE KAHOMBO, « L’imbroglio électoral vu de la République Démocratique du
Congo : Regards croisés sur l’observation internationale du double scrutin du 28 novembre
2011 », in Droit bonne gouvernance et développement durable, Mélanges en l’honneur du
Professeur Jean Michel Kumbu Kingimbi, sous la direction de Yves Junior MANZAMBA
LUMINGU et Justin MONSENPWO MWAKWAYE, Paris, L’Harmattan, 2018, p. 252.
226
Rapport final de la mission d’observation électorale de l’Union européenne aux élections
présidentielle et législatives du 28 novembre 2011, in Cahiers africains des droits de l’homme de
la démocratie, Op.cit., pp.59-60, cité par Marcel WETSH’OKONDA KOSO., et BALINGENE
KAHOMBO., Le pari du respect de la vérité des Urnes en Afrique. Analyse des élections
présidentielles et législatives du 28 novembre 2011 en République Démocratique du Congo,
Bruxelles, Combattons l’injustice, 11.11.11. 2014, pp. 204-207.
225
98
nombreuses irrégularités et illégalités de nature à altérer sensiblement la sincérité des
résultats provisoires proclamés par la CENI, en l’occurrence :
1) L’affichage progressif des listes des électeurs, en commençant par Kinshasa,
deux jours seulement avant le début de la campagne électorale au lieu de
trente jours prévus par l’article 8, alinéa 1, de la Loi électorale ; ce qui
explique le faible taux de la participation aux élections ;
2) La publication de la cartographie des bureaux de vote à quelques jours du
scrutin en violation de l’article 47, alinéa 3 de la Loi électorale qui veut
qu’elle intervienne trente jours avant la date du scrutin ; ce qui ne lui a pas
permis de déployer convenablement ses témoins ;
3) L’établissement des procès-verbaux des opérations électorales d’une manière
telle que tous les témoins des partis, des regroupements politiques et des
candidats indépendants n’étaient pas en mesure d’exercer leur droit de les
contresigner et d’en recevoir une copie, conformément à l’article 40 de la Loi
électorale ;
4) La violation du droit des témoins des partis politiques, des regroupements
politiques et des candidats indépendants, consacré par l’article 40, alinéa 5,
de la Loi électorale, d’accompagner le transfert des procès-verbaux des
opérations électorales des bureaux de vote au centre de compilation ; ce qui
a été à la base de la fraude électorale, notamment au centre de compilation de
la Foire de Kinshasa (FIKIN) ;
5) Le non-accès des témoins au centre national de traitement ;
6) La mise à la disposition de certains bureaux et centres de vote, au mépris de
l’article 56, alinéa 1, de la Loi électorale, d’un nombre de bulletins de vote
ne correspondant pas au nombre des électeurs enrôlés et attendus ; ce qui a
constitué un facteur supplémentaire du faible taux de participation à
l’élection ;
7) La fuite des bulletins de vote dont certains ont été trouvés entre les mains de
certains individus avant le scrutin ;
8) L’existence de bulletins de vote précoces au nom du candidat Joseph Kabila,
Président de la République sortant, dont certains ont été surpris entre les
mains de certaines personnes notamment d’un certain Néron Mbungu
poursuivi à cet effet devant la justice ;
9) L’utilisation, par le Président de la République sortant, à des fins de
propagande électorale, des avions et des véhicules de l’Etat ainsi que des
édifices publics et des tracteurs sur lesquels ses effigies ont été affichées en
violation des articles 27 et 36 ; ce qui devrait entraîner la radiation de sa
candidature.
L’UNC reprochait également aux résultats provisoires de l’élection
présidentielle de manquer de sincérité du fait qu’ils étaient différents de ceux publiés
après le dépouillement dans les bureaux de vote. Il faut y ajouter le fait que lors de
ses interventions sur les antennes de la radio France internationale (RFI) et de radio
99
Okapi, le vice-Président de la CEN, le Professeur Djoli Eseng’ekeli, avait mis en
doute la transparence du processus électoral en affirmant qu’il n’avait signé le
procès-verbal de proclamation des résultats que dans le souci d’éviter une crise qui
avait déjà duré trois jours. En guise d’illustration du manque de sincérité des résultats
provisoires de l’élection présidentielle, l’UNC a mis en exergue les cas suivants :
1) L’existence de deux procès-verbaux de compilation du CLCR d’Idiofa dans
lesquels le premier daté du 6 décembre 2011 donnait au candidat Kabila
265.173 voix alors que le second daté du 8 décembre 2011 lui donnait
273.690 voix ;
2) Le suffrage valablement exprimé et reparti entre les onze candidats à
l’élection présidentielle au Katanga laisse planer plus de 70.000 voix nonattribuées ;
3) A Malemba Nkulu, tous les candidats ont obtenu zéro voix sauf le candidat
Joseph Kabila qui a recueilli cent pourcent de voix, ce qui, selon le parti cher
à Vital Kamerhe, est curieux et symptomatique de la fraude ;
4) Les résultats de la CENI renseignent qu’il y a eu 3.200.000 votants par
dérogation, de quoi combler le retard du candidat Etienne Tshisekedi
lorsqu’on sait qu’à Kinshasa plus de 2000 procès-verbaux n’ont pas été pris
en compte dans les calculs des résultats publiés par la CENI ;
5) Les résultats affichés après le dépouillement donnaient Vital Kamerhe
gagnant dans le Nord et Sud – Kivu et l’Ituri (sic) ; paradoxalement, ceux
publiés par La CENI (…) ont fait du candidat Joseph Kabila gagnait dans
cette partie de la République. A titre d’exemple, à l’Ecole primaire Epee
Naezi, territoire de Jugu, Code 16766, le candidat Kabila aurait obtenu 143
voix contre 1155 pour Vital Kamerhe ; à l’Ecole primaire Lola, Djugu, Code
20846, Joseph Kabila et Vital Kamerhe auraient obtenu respectivement 35 et
778 voix ; les mêmes candidats auraient obtenu 24 et 661 voix à l’Ecole
primaire Lubangiru, Code 28842 ; à l’Ecole primaire Ganzi de Bunia, Code
28842, les deux candidats auraient obtenu respectivement 620 et 870 voix,
tandis que qu’à Aveba, les voix de chacun d’entre eux étaient de 278 et 1549
voix. Pour l’UNC, l’allure de ces résultats contredit ceux de la CENI
proclamant Joseph Kabila gagnant sur Vital Kamerhe dans l’Ituri.
Certes, cette jurisprudence n’est pas à l’abri de la critique. Ngoma Binda,
Otemikongo Mandefu Yehisule et Leslie Moswa Mombo lui réprochent par exemple
de ne pas « approfondir l’examen sur fond par des mesures d’instruction »227.
227
Elie NGOMA BINDA J., OTEMIKONGO MANDEFU YEHISULE et L. MOSWA MOMBO,
République Démocratique du Congo, démocratie et participation à la vie politique : une
évaluation des premiers pas dans la IIIème République, Une étude d’Afrimap et de l’Open
Society Initiative Justice for Southern Africa, Johannesburg, novembre 2010, p. 110.
100
Katuala Kaba Kashala a justifié cette position jurisprudentielle en ces
termes : « en Droit congolais, la preuve est libre en matière pénale et administrative ;
elle est réglementée et hiérarchisée en matière civile. La matière électorale
s’apparentant en Droit administratif, nous pensons que la preuve y est libre même
si, dans certaines dispositions de la Loi électorale, le législateur indique sa préférence
pour le témoignage. Les candidats indépendants, les partis politiques ou
regroupements politiques ont droit à avoir des témoins dans chaque bureau de vote
(article 38 de la Loi électorale), ces témoins doivent être choisis parmi les personnes
inscrites sur la liste électorale (article 39 de Loi électorale), ils peuvent
contresigner les procès-verbaux des opérations et en recevoir copie, assister à la
centralisation des résultats et faire des réclamations, mais leur absence n’est pas un
motif d’invalidation (article 40 et 67 de la Loi électorale)228.
V. Appréciation critique de l’arrêt à l’aune des moyens de preuve
Il convient de noter qu’à la suite de Roger Thamba Thamba que la Cour
suprême de justice, faisant l’office de la Cour constitutionnelle, lors du contentieux
de l’élection présidentielle de 2011 a malheureusement procédé à une sélection de
moyens de preuve, conformément à sa tactique forgée depuis le contentieux de 2006,
alors que la procédure inquisitoire par la révision du 25 juin 2011 de la Loi électorale
du 9 mars 2006, laissant ainsi de côté ceux qui pouvaient peut-être éclairer sa
lanterne. Dans l’arrêt RCE 011/PR. Aff. Kamerhe Lwakanyingini Vital et Union
pour la Nation Congolaise UNC, en sigle contre Kabila Kabange Joseph et la
Commission Electorale Nationale Indépendante, la CSJ a indiqué dans l’appréciation
de la régularité du scrutin, le procès-verbal de dépouillement, les observations des
membres du bureau de vote ou des témoins de candidats, le constat des irrégularités
qu’elle aurait relevé elle-même, ainsi que les réclamations des élections annexées
aux procès-verbaux.
Ont donc été exclus par la Cour les rapports d’observations et pourtant
élaborés par des organisations que la CENI a elle-même accréditées et l’enquête de
terrain, en violation de la procédure inquisitoire qui oblige le juge de mener son
enquête ex officio. En effet, « ayant un large pouvoir d’investigation », le juge
électoral est autorisé à se munir de toutes les preuves dont il a besoin pour motiver
sa décision. Il peut donc dans ce cas exiger non seulement la communication des
pièces mais aussi ordonner des descentes sur les lieux ou le déploiement dans les
centres et bureaux de vote de ses délégués en vue d’y récolter les statistiques des
opérations de déploiement et la centralisation des résultats. C’est à ce niveau qu’il
convient également de soulever la mesure de recomptage des voix, prévue à l’article
76 bis inséré par la révision de la Loi électorale du 12 février 2015, considéré comme
une mesure extraordinaire d’instruction à laquelle le juge peut recouvrir après avoir
228
KATUALA KABA KASHALA, « Les causes du contentieux électoral », in Congo-Afrique, n°
459, 2011, p. 681.
101
épuisé toutes les autres vérifications d’usage. Dans la pratique, le recomptage des
voix n’est envisageable que dans la mesure où les bulletins de vote ont été avec les
autres pièces communiquées à la juridiction compétente, ici la Cour
constitutionnelle. A défaut, le juge peut par un avant-dire droit, en ordonner la
communication. Mais, il est tout de même curieux de constater que le législateur
congolais ait lui-même limité le recours au recomptage des voix, après avoir reconnu
d’importants pouvoirs dans la réunion des preuves nécessaires à éclairer la lanterne
du juge, au lieu qu’une telle limitation ne résulte de la pratique. On y voit, donc, une
brèche ouverte par le législateur pour permettre au juge électoral de s’échapper
chaque fois qu’une telle requête lui sera adressée229.
Encore une fois de plus, le juge constitutionnel électoral congolais s’est
illustré dans l’inapplication du principe inquisitorial de la recherche des moyens de
preuve. Voulant tout attendre du demandeur, il a sacrifié le processus de la recherche
de la vérité des urnes issu de l’expression de la volonté du peuple.
E. Contentieux électoral des résultats présidentiels du 30 décembre 2018
Afin de mieux cerner tant soit peu les contours du contentieux électoral des
résultats du 30 décembre 2018, nous allons ci-dessous examiner, le contexte et rappel
des faits (I), les moyens des parties (II), La recevabilité des moyes des parties (III),
Les dispositifs de l’arrêt (IV), Appréciation critique de l’arrêt à l’aune des moyens
de preuves (V).
I. Contexte et rappel des faits
A titre de rappel, la CENI a organisé le 30 décembre 2018 les élections
présidentielles, législatives nationales et provinciales. Neuf jours après, elle a
procédé à la proclamation des résultats de ces élections. Au niveau de l’élection
présidentielle, la CENI a proclamé provisoirement le candidat Félix Antoine
Tshisekedi Tshilombo, Président de la République élu230.
D’après les résultats provisoires publiés par la Commission Electorale
Nationale Indépendante (CENI) dans la nuit du 09 au 10 janvier 2019, Monsieur
Félix Antoine Tshisekedi, candidat de l’Union pour la Démocratie et le Progrès
Social (UDPS/Tshisekedi) a été proclamé élu avec 38,57% des voix devant Martin
Fayulu (34,8%), candidat soutenu par la plateforme électorale LAMUKA.
229
230
Roger THAMBA THAMBA., « Contentieux de l’élection présidentielle devant la Cour
constitutionnelle congolaise : esquisse de questions d’ordre procédural », in Librairie africaine
d’études juridiques 4 (2017), pp. 426-427.
SULUBIKA ASHA, Dodo., « Note juridique sur l’opinion dissidente du juge Corneille
WASENDA en marge de l’arrêt R.CE 001/PR.CR rendu en réponse à la requête contre la décision
portant publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 »,
in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 3-2018, p. 581.
102
Mécontente de la décision de la CENI, la dynamique de l’opposition, agissant par
l’entreprise de son coordonnateur national, Martin Fayulu Madidi a saisi, la Cour
constitutionnelle par sa requête en contestation des résultats provisoires de l’élection
présidentielle du 30 décembre, déposée au greffe le 11 janvier 2019. Aux termes de
cette requête, la partie demanderesse sollicite de la Cour principalement l’annulation
des résultats erronés, … la proclamation de Fayulu Madidi Martin comme élu
Président de la République et subsidiairement, l’organisation de l’élection
présidentielle dans les entités où elle n’a pas eu lieu … et la surséance de la
publication de résultats définitifs. Enrôlée sous RCE 001, la cause a été appelée à
l’audience publique du 15 janvier 2019. Dans son arrêt prononcé la nuit du samedi
19 au dimanche 20 janvier 2019, la Cour constitutionnelle a déclaré recevable mais
non fondée la requête de la Dynamique de l’Opposition.231
II. Les moyens des parties
Retenons qu’à la suite de Balingene Kahombo que dans l’arrêt Fayulu, le
requérant a présenté sa requête de façon peu orthodoxe. A titre principal, il a soutenu
que la CENI avait publié les résultats provisoires de l’élection présidentielle en
violation des articles 70,70 bis et 71 de la loi électorale. Grosso modo, il a reproché
à la CENI d’avoir reçu et publié des résultats non-consolidés, sans fiches de
compilation et procès-verbaux signés par des témoins. Pire, au moment de la
publication des résultats provisoires, certains centres locaux de compilation étaient
encore en plein travail pour traduire les résultats par bureau de vote et de
dépouillement »232.
En sus, à titre principal, la requérante demandait aux juges, d’annuler les
résultats provisoires erronés proclamés par la CENI, d’ordonner le recomptage
manuel des voix obtenues par tous les candidats , d’auditionner notamment les
observateurs de l’Eglise catholique, de la SYMOCEL, de rectifier les résultats
erronés publiés par la CENI, en proclamant élu Président de la République Monsieur
FAYULU MADIDI Martin et de communiquer à la CENI la décision conformément
à l’article 75 de la loi électorale. A titre subsidiaire, la Dynamique de l’Opposition
231
Symphorien KAPINGA K. NKASHAMA., « La Cour constitutionnelle et le contentieux des
résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. Retour sur quelques questions de forme
dans l’affaire enrôlée sous R. CE. 01 du 19 janvier 2019 », in Annuaire congolais de justice
constitutionnelle, Volume 3, 2018 (numéro spécial sur les contentieux électoraux), p. 545. De
toute évidence, les questions relativement à la forme ont porté sur les fins de non-recevoir
soulevées par la défenderesse, à savoir : La mauvaise direction, la fraude quant à la date du dépôt
de la requête, du défaut de la qualité dans le chef de requête, du défaut de la qualité dans le chef
du requérant et de l’obscurité du libellé. Pour plus de détail lire, Symphorien KAPINGA K.
NKASHAMA, S., Idem, pp. 546-556.
232
BALINGENE KAHOMBO., « Note juridique critique sur l’arrêt RCE 001/PR. CR de la Cour
constitutionnelle du 19 janvier 2019 relatif à l’affaire de la contestation des résultats de l’élection
présidentielle du 30 décembre 2018 », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume
3-2018, pp. 562.
103
demandait à la Cour constitutionnelle de constater la violation par la CENI des
articles 5 et 13 de la Constitution ainsi que 100 de la loi électorale du fait d’exclusion
du vote du 30 décembre 2018 des électeurs de Beni, Butembo et Yumbi, d’ordonner
en conséquence à la CENI d’organiser l’élection présidentielle dans ces entités dans
les deux semaines du prononcé de l’arrêt à intervenir et de surseoir à la publication
des résultats définitifs de l’élection présidentielle jusqu’à l’organisation dudit scrutin
dans ces entités233.
Subsidiairement à l’administration des preuves par la demanderesse et à la
réception des moyens par la Cour constitutionnelle, celle-ci a dit n’avoir pas la
preuve des allégations du requérant par rapport à la victoire de son candidat, alors
qu’elle a refusé l’administration lorsque le demandeur a été en position de le faire.
Le motif a été pris de ce que les pièces produites à l’audience, qui n’avaient pas été
déposées au greffe au moment du dépôt de l’acte introductif d’instance, ne pouvaient
pas être reçues afin de respecter le principe du contradictoire, les autres parties
n’ayant pas eu l’occasion d’en prendre connaissance au préalable. Pourtant, le
principe de la communication des pièces que l’on connait bien en matière privée
n’est pas de mise en droit du contentieux électoral. Le principe du contradictoire doit
plutôt s’interpréter comme une exigence visant à soumettre au débat et à la
contradiction tous les éléments de preuve présentés dans le cadre de l’instruction,
avant la prise en délibéré de l’affaire234. Pour la défenderesse (UDPS/TSHISEKEDI),
quatre fins non-recevoir ont été soulevées, à savoir, la mauvaise direction, la fraude
quant à la date du dépôt de la requête, du défaut dans le chef du requérant, l’obscurité
du libellé235.
III. La recevabilité des moyens des parties
Par ailleurs, pour montrer davantage que la demanderesse l’a saisie sans
apporter aucune preuve de ses prétentions, la Cour s’en remet à sa note de plaidoirie
déposée au greffe le 18 janvier 2019. Selon cette note, la requérante a affirmé
qu’il est mal venu de lui demander de citer les centres qui n’ont pas procédé à la
compilation. Il appartenait à la CENI et à l’UDPS/TSHISEKEDI de rapporter la
preuve contraire par la production des procès-verbaux de compilation et rien de tel
n’a été fait. Toutes ces raisons ont amené la Cour constitutionnelle à rejeter les pièces
de la demanderesse236.
233
SULUBIKA ASHA, Dodo., art.cit, p. 582.
BALINGENE KAHOMBO., « Note juridique critique sur l’arrêt RCE 001/PR. CR de la Cour
constitutionnelle du 19 janvier 2019 relatif à l’affaire de la contestation des résultats de l’élection
présidentielle du 30 décembre 2018 », art.cit, pp. 567-568.
235
Pour les amples détails, lire Symphorien KAPINGA K. NKASHAMA., « La Cour
constitutionnelle et le contentieux des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018.
Retour sur quelques questions de forme dans l’affaire enrôlée sous R.CE.001 du 19 janvier 2019 »,
in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 3-2018, pp. 546-557.
236
SULUBIKA ASHA, Dodo., « Note juridique sur l’opinion dissidente du juge Corneille
WASENDA en marge de l’Arrêt R.CE 001/PR. CR rendu en réponse à la requête contre la
234
104
IV. Les dispositifs de l’arrêt
Aux termes de la requête en contestation des résultats provisoires de
l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, la Cour constitutionnelle a rendu
l’arrêt RCE 001/PR.CR. du 19 janvier 2019 : Monsieur Martin FAYULU MADIDI,
candidat du regroupement de l’opposition politique congolaise, contestant les
résultats provisoires publiés par la Commission Electorale Nationale Indépendante
(CENI) en date du 10 janvier 2019, proclamant Monsieur Félix Antoine
TSHISEKEDI TSHILOMBO, comme élu Président de la République Démocratique
du Congo.
Pour la Cour de céans, la requête a été reçue mais déclarée non fondée.
V. Appréciation critique de l’arrêt à l’aune des moyens de preuve
Pour le juge WASENDA N’SONGO Corneille, la requête devrait être
déclarée fondée au regard de l’aveu de violation dans le chef de la CENI pour le
premier moyen, au regard de ce que les procès-verbaux ont été soumis au débat
contradictoire et de ce que la force majeure pourrait à la rigueur justifier le report et
non la privation du droit de voter237. Dans cet ordre d’idées, poursuit l’auteur en
conséquence :
-
-
La Cour devrait dire la décision n°001/CENI/19 janvier 2019 portant
publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30
décembre 2018 irrégulière, l’annuler et ordonner à la CENI de continuer la
compilation ;
Ordonner à la CENI d’organiser les élections dans les circonscriptions
électorales de Beni, Beni ville et Butembo ville en pronvince du Nord Kivu,
ainsi que Yumbi dans la province de Maindombe dans le plus bref délai
Ordonner à la CENI de ne publier que les résultats compilés dans les centres
locaux de compilation238.
La Cour a été trop passive au lieu de contribuer activement à la recherche et
à la manifestation de la vérité des urnes. Les juges sont restés statiques au lieu de
s’adapter à l’évolution du cadre juridique électoral intervenue depuis 2011. Il
s’ensuit que la Cour constitutionnelle n’a pas été à la hauteur de sa tâche. Son arrêt
décision portant publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre
2018 », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 3-2018, pp. 590-591.
237
Opinion individuelle, WASENDA N’SONGO Corneille, Juge à la Cour constitutionnelle, du 19
janvier 2019. Lire, annuaire congolais de justice constitutionnelle, volume 3-2018, p.
575.République Démocratique du Congo, Cour constitutionnelle, RCE 001/PR.CR. En cause :
Requête de la Dynamique de l’Opposition congolaise, D.O. en contestation des résultats
provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 (…).
238
Idem, p. 580.
105
n’a que le mérite d’exister et d’avoir juridiquement mis fin à la contestation
électorale en RDC239.
Partant de ce qui précède, il convient de remarquer que la Cour
constitutionnelle a loupé une fois de plus, une occasion propice pour se confirmer
comme juge de régularité de l’élection. Vu le caractère fulgurant des irrégularités
persistantes décelées dans le chef de la CENI par la demanderesse, tant qu’à la phase
préliminaire qu’à l’instruction de la cause, au mépris du principe du contradictoire
et l’égalité des moyens de moyens de preuve entre les parties au contentieux, aussi
bien qu’au mépris des dispositions pertinentes des textes juridiques internationaux et
nationaux relatifs aux élections. De la sorte, qu’il ne restait qu’à la Cour de réunir sa
bravoure et annuler le scrutin de l’élection présidentielle.
F. Contentieux électoral de l’annulation des résultats présidentiels du 31
décembre 2023
Dans le cadre de cette section, il sera essentiellement question d’examiner les
points ci-dessous : Rappel des faits (§1), de la nature du contentieux et les moyens
des parties (§2), les dispositifs de l’arrêt RCE 016/PR-CR (§3) et appréciation
critique de l’arrêt (§4).
§1. Rappel succinct des faits
A la suite de la publication des résultats provisoires de l’élection du Président
de la République du 20 décembre 2023, et sur le fond de l’article 71 de la loi
n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle,
législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, et compte tenu de la
proclamation des résultats provisoires et la nécessité de dégager les détails suivants,
et c’est à titre illustratifs :
Nombre de candidats : 26 ;
Nombre total d’électeurs : 41.738.628 ;
Nombre total des votants : 18.045.348 ;
Taux de participation : 43, 23%240.
Aux termes de ce qui précède, la CENI a proclamé provisoirement Monsieur
Tshisekedi Tshilombo Félix-Antoine comme Président élu, après avoir obtenu
13.215.366 voix, soit 73,34% des suffrages.
BALINGENE KAHOMBO., « Note juridique critique sur l’arrêt RCE 001/PR. CR de la Cour
constitutionnelle du 19 janvier 2019 relatif à l’affaire de la contestation des résultats de l’élection
présidentielle du 30 décembre 2018 », art.cit, pp. 574.
240
Journal officiel de la RDC, cabinet du Président de la République, Kinshasa 13 janvier 2024, Cour
constitutionnel RCE. 016/PR-CR. Arrêt, proclamation des résultats définitifs de l’élection
présidentielle du 20 décembre 2023, pp. 5-9
239
106
§2. De la nature du contentieux et les moyens des parties
Il importe de rappeler qu’à la suite de la publication des résultats provisoires
de l’élection du Président de la République, deux recours ont été enregistrés et
enrôlés au greffe de la Cour constitutionnelle, à savoir : le RCE 014/PR-CR :
Monsieur Théodore NGOY ILUNGA WA NSENGA c/CENI et le RCE 015/PRCR : Monsieur EHETSHE MPALA David c/CENI ; à l’opposé du défendeur et ce,
en présence de la Commission électorale nationale indépendante rn qualité
d’Experte.
Ici, est le lieu de rappeler que de ces deux requêtes, seule, celle de Monsieur
Théodore NGOY ILUNGA WA NSENGA a été déclarée recevable pour recevoir
examen et plaidoirie devant la Cour constitutionnelle et la requête de Sieur
EHETSHE MPALA David, déclarée irrecevable.
L’on ne peut pas dans ce même ordre d’idées, s’empêcher de relever les
moyens de la requérante sur le fond des irrégularités qui ont entachées le processus
électoral, à savoir :
-
Le débordement de la tenue du scrutin conformément à l’article 52 de la loi
électorale241 ;
L’absence des procès-verbaux de bureau par bureau, en vertu de l’article 71
de la loi électoral qui devraient être produits par la CENI ;
Le défaut de la complication des résultats par le centre national de
complication ;
Le caractère erroné des résultats issus des élections organisées. D’où, la
nécessité de l’annulation des résultats.
A titre principal, compte tenu de toutes ses irrégularités, la partie requérante
a sur pied de l’article 75 alinéa 2 de la loi électorale : « Dans tous les autres cas, elle
peut annuler le vote en tout ou en cas partie lorsque les irrégularités retenues
ont pu avoir une influence déterminante sur le scrutin. S’il n’y a pas appel, un
nouveau scrutin organisé dans les soixante jours de la notification ».
Fort de cette disposition, la requérante a sollicité, qu’elle soit fondée la
présente requête et annuler les élections pour qu’elles soient réorganisées avec une
CENI autrement composée.
241
Aux termes de l’article 52 de la loi électorale in fine, dispose que : « Le jour et l’heure de vote
sont fixés par la Commission Electorale Nationale Indépendante. Le vote, par le scrutin direct,
se tient le dimanche ou un jour férié. Il a lieu de six heures à dix-sept heures. Toutefois, le
préposé de la Commission Electorale Indépendante remet le jeton aux électeurs présents et le
vote continue jusqu’au vote de dernier électeur muni de jeton (…)
107
A. L’épineuse question du débordement de la date de la tenue du scrutin
Pour la défenderesse, en rencontrant l’épineuse question relative au
débordement de la date de la tenue du scrutin; le demandeur a omis dans le chef de
la première demande les prescriptions constitutionnelles à savoir :
-
-
L’article 5 de la Constitution en ce qui consacre le droit d’exercice de la
souveraineté nationale par tout le peuple. En vertu de cette disposition,
« (…). Tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce directement par voie de
référendum ou d’élections et indirectement par ses représentants (…) » ;
L’article 13 de la Constitution en ce qu’il interdit toute forme de
discrimination qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif ;
La doctrine juridique faisant autorité à plus d’un titre, notamment sous la
plume de l’immortel Hans Kelsen, enseigne à ce juste propos que
« l’influence qu’un électeur exerce sur le résultat de l’élection doit être
égale à celle qu’exerce chacun des autres électeurs : Chaque suffrage doit
avoir un poids égal à celui de tous les autres » et personne ne peut se voir
exclu du bénéfice d’un tel droit.
Toujours en déroulant les maillons de la chaine de la normativité susceptible
d’encadrer la régularité et donc la légalité des opérations du vote ayant eu lieu après
extension du délai initial, il est important de revenir aux notions élémentaires devant
être connues de tout juriste sérieux, à savoir le statut de la Constitution d’un pays au
sein de l’ordre juridique international.
-
Pour rappel, l’article 215 de la Constitution de notre pays stipule que « Les
Traités et Accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur
publication, une autorité supérieure à celle de lois, […] » ;
La raison en est que la République Démocratique du Congo est un pays de
tradition moniste ;
Or, il s’avère qu’elle a ratifié un certain nombre d’instruments
internationaux, lesquels érigent la participation à l’élection au titre d’un
droit fondamental.
Partant de ce qui précède, la décision de la CENI en question se justifie
amplement sur le plan du Droit international général, en vertu, notamment :
-
De l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
sur pied duquel « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune
discrimination […] et sans restriction déraisonnables : […] ; b De voter et
d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel
et égal et au scrutin, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ;
[…] » ;
108
-
De l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en vertu
duquel, in fine, « […] 3. La volonté du peuple […] doit s’exprimer par des
élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage
universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente
assurant la liberté du vote ».
Au niveau régional africain spécifiquement parlant, la régularité de la
décision de la CENI peut être appréciée au regard, notamment :
-
De l’article 13 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
en ce qu’il consacre librement le droit de participer à la direction des affaires
publiques ;
Du point IV.2 de la Déclaration de l’organisation de l’Union Africaine sur
les principes régissant les élections démocratiques, en ce qu’il consacre le
droit de participer aux processus électoraux y compris le droit de vote sans
aucune discrimination.
La jurisprudence constate de la Cour africaine des droits de l’homme et des
peuples en la matière, dont nous faisons l’économie de l’exposé en cette
circonstance, est riche d’enseignements qui vont dans le sens de ce que nous
défendons.
Il est donc superfétatoire de se braquer en deçà de la marge de juridicité
pouvant être établie, à l’aune d’une compréhension systématique d’un ordre
juridique quelconque, en s’efforçant maladroitement de donner l’impression que la
loi électorale constitue la ligne de crête qui viendrait circonscrire marginalement
l’ossature juridique et réglementaire destinée à encadrer le processus électoral en
accusant de ce fait même les limites de la connaissance du droit électoral dans son
ensemble.
B. A propos de prétendues irrégularités délibérées qui entacherait les opérations
de dépouillement et de compilation des résultats
Le mur de lamentation autour du processus électoral à l’issue duquel notre
client, Monsieur Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, affectueusement et
démocratiquement désigné « Fatshi Béton » a été proclamé vainqueur de cette
élection, atteint son point culminant avec des larmes de crocodile versées sur les
prétendues irrégularités qui seraient par ailleurs délibérées au sujet des opérations de
dépouillement et de compilation des résultats.
Cette accusation constitue la manifestation d’un élan vindicatif, teinté de
passion et d’amertumes, sur fond des frustrations qui brouillent manifestement la
marge qui s’impose nécessairement entre la lucidité et l’acharnement à l’issue de
toute compétition à laquelle on s’est engagé sur la base des espérances putatives.
109
En effet, sans préjudice de la substance de nos développements relatifs à ce
volet d’argumentation contenu dans nos observations écrites, il importe de rappeler
succinctement ce qui suit à ce propos :
-
-
-
-
La démarche du requérant est caractéristique d’une confusion délibérée de
genres – et cette fois l’adjectif « délibéré » a tout son sens – entre les
différents épisodes relevant des plusieurs registres normatifs dans le cadre
d’une application rigoureuse et objective de la loi électorale en l’espèce ;
Le processus électoral comporte respectivement des phases préparatoires
préalables au déclenchement des élections proprement dites, le stade des
candidatures ainsi que celui du déroulement du scrutin, et même ici, il faut
encore subtilement distinguer le déroulement en tant que tel de
l’opération de vote par rapport aux opérations consécutives de
dépouillement et de compilation ; en effet, il n’est pas dit que les
actes de violences perpétrées , par exemple dans les limites d’un
bureau ou d’un centre de vote conditionnement nécessairement
l’intégrité des opérations matérielles de comptage de voix ;
Par ailleurs, il apparaît surréaliste d’avoir saisi la Juridiction de céans en
contestation des modalités du déroulement des élections et acquiescé à
l’arrêt rendu à cette fin, pour revenir plus tard après avoir participé à ladite
élection dans les conditions jadis décriées mais auxquelles on adhéré en
participant à l’élection proprement dite, vue d’en contester la régularité et
la légalité ;
Pour les avocats-conseils du Président de la République proclamé élu
jusqu’à preuve du contraire, ce chef d’accusation ressemble à une farce de
mauvais goût ;
Dans la vie, tout ne doit pas être théâtralisé à ce point ;
Comment le requérant pourrait-il prétendre aspirer à une apparence de
sérieux en manquant de verser au dossier ne fût-ce qu’un indice de quelque
moindre valeur soit-il pouvant contribuer à établir la véracité de ses
allégation ?
La tentative en vue de la contestation de cette élection est un indice de la crise
de modèles et de valeurs qui affecte le comportement et les attitudes de nombreux
opérateurs politiques dans notre pays.
Il n’est pas possible de saisir les motivations implicites à la démarche du
requérant, si l’on ne prend pas en compte la tendance récurrente à l’usurpation du
titre ou des prérogatives du titulaire authentique du pouvoir, par le biais des artifices
110
rhétoriques ou des montages juridiques difficilement conciliables avec la nature et
l’entendue des attributs du « souverain primaire ».242
§3. Les dispositifs de l’arrêt RCE 016/ PR – CR
Aux termes de la requête en annulation des résultats provisoires de l’élection
présidentielle du 20 décembre 2023, la Cour constitutionnelle, siégeant en audience
publique conformément aux dispositions des articles 71 et 161 alinéa 2 de la
Constitution et faisant application des articles 81, 110 et 111 de la loi organique n°
013/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour
constitutionnelle, 74 alinéa et 4, 74 bis et 114 de la loi n° 06/006 du 09 mars 2006
portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines,
municipales telle que modifiée et complétée à ce jour, le ministère public entendu,
après la prise en compte et l’examen du nombre total d’électeurs, nombre total des
votants, le taux de participation, les suffrages valablement exprimés, le nombre de
bulletins déclarés nuls ou blancs et nombre des suffrages obtenues par candidat, la
Cour constitutionnelle par voie de conséquence proclamer élu à la majorité des
suffrages exprimés, Président de la République Démocratique du Congo Monsieur
Tshisekedi Tshilombo Félix-Antoine.
§4. Appréciation – critique de l’arrêt
Au fond de cet arrêt, il n’est pas exclu de noter qu’il ne doit pas se dérober
de certaines critiques objectives, tant sur le plan de la substance de l’arrêt, de droit
procédural, du régime de la preuve, de la violation de la loi électorale et des forces
dans la perception et le caractère dynamique et actif du juge constitutionnel, agissant
comme juge électoral.
En effet, proportionnellement aux droits et aux moyens de la requérante, il
sied de préciser que les motivations de l’arrêt sont laconiques et moins étoffées. Il
s’est dégagé une observation selon laquelle la Cour n’a pas fourni assez d’efforts
dans sa décision, afin de réserver les réponses aux chefs de demande de la
requérante.
L’on retiendra l’absence d’une démonstration adéquate de la production des
procès-verbaux des résultats compilés, déposés par la CENI, afin de servir des
moyens de preuve contradictoire, gage d’un procès équitable. Le régime de
l’exercice du droit de la preuve n’a pas permis de manière équitable à l’une des
parties de prendre connaissance des procès-verbaux, non seulement pour en discuter
242
Cour constitutionnelle-Contentieux des résultats-Election présidentielle du 20 novembre
2023/audience publique du lundi 08 janvier 2023, Lire avec intérêt la note de plaidoirie de Maître
Ivon MINGASHANG/ Eureka Law Firm/
pp. 4-10. Le défendeur en exergue est l’un des Avocats-Conseils de Monsieur Félix Antoine
TSHISEKEDI TSHILOMBO, candidat indépendant proclamé Président élu par la décision de la
Commission électorale Nationale Indépendante portant proclamation des résultats du scrutin
présidentiel du 20 décembre 2023.
111
mais aussi et surtout, éclairer la religion du juge de céans. L’absence de l’égalité des
armes est consécutive à la violation de l’article 3 in fine de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples243.
Par voie de conséquence, dans le cadre de ce contentieux de l’annulation de
l’annulation des résultats du Président de la République, le droit de la preuve tel que
prétendu administrer par la CENI s’est articulé visiblement sur le versant déclaratoire
par la Cour de céans et non par démonstration et opposable à la requérante.
Poursuivons en relevant que la Cour a violé l’article 70 de la loi électorale
qui dispose que : « Un centre de compilation établit une fiche de compilation des
résultats. Il en dresse un procès-verbal. La fiche de compilation et le procès-verbal
sont signés par les membres du bureau du centre de compilation de la circonscription
et par les témoins. Le Président du centre de compilation rend public, en affichant au
centre, les résultats du vote pour les élections législatives, provinciales, urbaines,
communales et locales, et les résultats partiels de l’élection présidentielle au niveau
de la ville ou du territoire. Les procès-verbaux et les pièces joints sont transmis au
siège de la Commission Electorale Nationale Indépendante, conformément à son
plan de ramassage. Celle-ci les transmet à la juridiction compétente.
Et l’article 70 bis quant à lui, dispose que : « Dans l’agrégation doit veuille à
traduire fidèlement les résultats par bureau de vote et de dépouillement. En cas de
redressement pour erreur matériel, la présence des témoins du candidat concerné est
requise, s’il en avait dans ledit bureau de vote de dépouillement.
Dans un passé récent, examinant la question relative à la violation de l’article
70 de la loi électorale, dans l’affaire de la Dynamique de l’opposition congolaise
D.O en sigle (demanderesse) contre Union pour la Démocratie et le Progrès Social
(défenderesse), en cause : Requête de la Dynamique de l’opposition congolaise, en
contestation des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre
2018, le juge Corneille Wasenda, dans l’opinion individuelle a relevé cette violation
de l’article 70, en ce sens que dans le troisième paragraphe du procès-verbal de la
réunion de l’assemblée plénière relative à la publication des résultats provisoires de
l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, la CENI considère que le centre de
compilation des résultats de l’élection présidentielle est le secrétariat exécutif
national déduisant cela de ce qu’« il ne peut être installé plus d’un centre local de
compilation des résultats par circonscription électorale ».
Effectivement, dans son mémoire, elle affirme que « La compilation et
l’agrégation des suffrages valablement exprimés a été effectué au secrétariat exécutif
national de la CENI, les centres locaux de compilation des résultats n’ayant servi que
243
Aux termes de l’article 3 de la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples : « 1. Toutes
les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi. 2. Toutes les personnes ont droit à une
égale protection de la loi. »
112
les dieux d’assemblage et de transmission des plis des résultats et des données
électorales en provenance des bureaux de vote et de dépouillement (…).
La Cour a fait une mauvaise lecture de la loi. En effet, elle n’a prévu que les
centres locaux de compilation et n’a aucunement crée un centre national de
compilation. En faisant des centres locaux de compilation de résultats ne servaient
que des lieux « d’assemblage et de transmission », la CENI a violé la loi qui veut
que le président du centre de compilation publie les résultats partiels pour la
présidentielle.
En effet, l’article 70 alinéa 2 dispose : « Le Président du centre de
compilation rend publics, en affichant au centre, les résultats du vote pour les
élections législatives, provinciales, urbaines, communales et locales et les résultats
partiels de l’élection présidentielle au niveau de la ville ou du territoire ».
Il va de soi que le Président du centre de compilation ne pourrait rendre
publics des résultats partiels de l’élection présidentielle sans les avoir agrégés et
compilés comme en dispose l’article 70 bis de la loi électorale. Ainsi, le moyen
qui reproche à la CENI d’avoir violé la loi en publiant des résultats non compilé
(sic) sera déclaré fondé244.
Par ailleurs, dans le cadre du contentieux électoral à l’élection présidentielle
de 2024, il y a lieu de stigmatiser également un aveu de la violation de l’article 70
in fine de la loi électorale par la CENI. En considération de sa correspondance,
saisissant la Haute juridiction pour la transmission de la Décision
n°130/CENI/AP/2023 du 31 décembre 2023 portant publication des résultats
provisoires de l’élection du Président de la République, le Président de la CENI dans
la présente, a relevé que : « Les plis des différentes circonscriptions électorales
contenant les procès-verbaux des opérations de vote, les procès-verbaux des
opérations de dépouillement et les fiches des résultats issues des dispositifs
électroniques de vote vous proviendront au fur et à mesure de leur réception au siège
de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) à Kinshasa »245.
L’une des annexes de la décision de la CENI, telle que précitée en son
troisième point est contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 70 in fine de la loi
électorale. En effet, aux termes de cette disposition légale, les plis des différentes
circonscriptions électorales et autres imprimés des résultats de l’élection
présidentielle ne devraient pas être réceptionnés au siège de la CENI, mais bien au
contraire au centre national de compilation.
244
République Démocratique du Congo, Cour constitutionnelle, RCE 001/ PR.CR, Opinion
individuelle du juge constitutionnel Corneille Wasenda dans l’affaire Dynamique de l’opposition
congolais D.O. contre Union pour la Démocratie et le Progrès Social, in Annuaire congolais
de justice constitutionnelle, Volume 3-2018, pp. 575-576.
245
Journal officiel de la RDC, Kinshasa 13 janvier 2024, Cour constitutionnelle, RCE. 016/PR-CR,
Op.cit., pp. 5-6.
113
Par ailleurs, il découle de ce qui précède, en tenant compte des limites de
l’arrêt de la Cour constitutionnelle, sous examen , il est de bon droit de ressortir
toutefois les forces. En effet, dans le cadre de manifestation comme juge de la
régularité la Cour constitutionnelle a eu à faire preuve, dans sa saisine, d’étendre
ses pouvoirs au-delà des prétentions de la CENI.
Et combien n’est-il pas judicieux de préciser que la CENI a transmis à la Cour
constitutionnelle la Décision n° 001/CENI/AP/2024 du 5 juillet 2024 portant
annulation des élections législatives provinciales dans les deux circonscriptions de
Yakoma et Masimanimba. En effet, selon la CENI, après les investigations de la
Commission qu’elle a mise sur pieds, pour enquêter sur les dénonciations de fraude,
la centrale électorale a annulé les élections dans les circonscriptions.
Au regard de cette nouvelle donne, la Cour constitutionnelle considère que,
comme juge électoral, elle doit vérifier l’authenticité et la sincérité du scrutin en
s’assurant que les irrégularités dénoncées sont avérées et susceptibles d’influer sur
les résultats électoraux, si bien qu’il peut rectifier les résultats s’ils sont entachés
d’erreur matérielle ou de fraude avérée en dehors de tout contentieux ou en cas
d’un recours déclaré infondé246.
De la sorte, en voulant concilier la véracité des faits par rapport à son intime
conviction comme juge de la régularité et de la sincérité, la Cour constitutionnelle, à
travers cet arrêt a fait preuve à statuer ultra petita. L’allusion est faite ici, dès lors
que la Cour tient à examiner l’affaire, même en dehors de tout contentieux ou en
cas d’un recours déclaré infondé. C’est donc au-delà des moyens portés à sa
connaissance.
Dans cette trame d’idées, c’est ici le lieu de rappeler les dénonciations de
fraude à l’occasion des élections générales de 2023 a suscité un intérêt manifeste
dans le chef de l’observation électorale pour la justice et la paix post- électorales. En
effet, dans une déclaration conjointe CENCO – ECC, dans son septième point, il est
repris : « Nous demandons au Procureur Général près la Cour constitutionnelle de se
saisir d’office de toute dénonciation en rapport avec les irrégularités afin d’amener
la haute juridiction de la sincérité électorale à dire le droit et redorer la fierté de
notre République »247.
S’agissant de la saisine d’office du Parquet général près la Cour
constitutionnelle, il y a lieu de noter que le point 7 de la déclaration conjointe
précitée, CENCO-ECC, de la saisine d’office du Procureur général près la Cour
constitutionnelle est contraire à la loi portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle de 2013. En effet, tout en sachant dorénavant que la
Jour officiel de la RDC, Kinshasa 13 janvier 2024, Cour constitutionnelle, RCE. 016/PR – CR,
Op.cit., pp. 9-10.
247
Déclaration conjointe CENCO-ECC à la suite de l’observation électorale pour la justice et la paix
post-électorales, Kinshasa, le 04 janvier 2024, Lire point 7, p. 2. Pour l’ECC, Révérend Dr André
BOKUNDA-bo-LIKABE et pour la CENCO, Marcel UTEMBI TAPA, Archevêque de Kisangani.
246
114
détermination spécifique de la compétence tant répressive aussi bien personnelle de
la Cour constitutionnelle, cette dernière n’est pas investie de cette compétence de
poursuivre toutes les incriminations248.
Il importe de conjurer que la Cour constitutionnelle n’est pas une juridiction
ordinaire ayant une compétence répressive couvrant toutes les infractions et dont les
justiciables sont les simples citoyens. Concernant la compétence personnelle de la
Cour constitutionnelle elle ne concerne que le Président de la République et le
Premier Ministre et par extension de compétence les personnes qui sont co-auteurs
ou complices de Président de la République et du Premier Ministre des infractions
limitativement énumérées dans la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013.
Faisant suite de ce qui précède, il est particulièrement intéressant de s’attarder sur la
saisine d’office du Parquet près la Cour constitutionnelle. Le législateur organique
de 2013, a prévu deux cas de saisine de la Cour constitutionnelle par le Procureur
général agissant d’office. Il s’agit du cas de la violation des dispositions relatives à
la déclaration du patrimoine familial ainsi que celui de l’inconstitutionnalité d’un
certain nombre d’actes violant les droits fondamentaux de la personne humaine249.
G. Aménagements prospectifs sur le régime de la preuve en droit electoral
congolais
Dans le but d’aboutir à la manifestation de la vérité des urnes et à la
conformité au principe de la liberté des moyens de preuve, il s’avère de jure d’établir
que la preuve en droit électoral congolais nécessite des aménagements subséquents.
Ces aménagements sont de deux ordres, à savoir aux niveaux tant législatif (§1) que
juridictionnel (§2).
§1. Une prospection législative portant aménagement du régime de
l’administration de la preuve en matière électorale
De ce qui précède, comme le régime de la preuve relève du domaine de la loi,
nous allons orienter nos apports et suggestions vers le pouvoir législatif, dans ces
deux chambres réunies, à savoir l’Assemblée nationale et le Sénat.
A. Repenser le cadre législatif sur l’équité procédurale gage de la promotion de
l’égalité des armes à l’occasion du contentieux des résultats de l’élection
présidentielle
De toute façon, il importe dès lors de relever tout de suite que le procès contre
le juge constitutionnel a émergé dans un contexte politique où son œuvre ne
248
Notre soulignement
Guy-Prosper DJUMA BILALI LOKEMA, « Parquet général près la Cour constitutionnelle de la
République Démocratique du Congo », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle,
Volume 1- 2016, p. 98 et surtout 102.
249
115
répondait pas aux attentes sociales. Le juge lui-même paraissant comme le
prolongement des bras séculiers du pouvoir exécutif. Ses décisions ont souvent été
considérées comme des « volontés politiques » coulées en moule juridique250.
En effet, contre toute attente, il s’observe malheureusement qu’en pratique
que la Cour constitutionnelle, saisie en matière de contentieux des résultats
présidentiels accorde essentiellement foi à la production des résultats venant de la
CENI. Et pourtant, la Cour devra se placer dans l’envergure de doute préalable, et
procéder à la vérification du caractère authentique des résultats. Toutes les preuves
devant l’instance peuvent soit valoir ou rejetées. Néanmoins, pour que le juge
électoral s’en aperçoive, il faudrait que la loi lui fasse l’obligation d’accorder les
mêmes possibilités aux parties, pour que les moyens de preuve soient administrés,
en respectant les principes de l’équité procédurale et l’égalité des armes.
De la sorte, l’équité procédurale et l’égalité des armes font appel à l’usage
proportionnel des moyens qui doivent concourir à l’organisation d’un procès
constitutionnel équitable. Il faudra donc au pouvoir législatif de concevoir une
législation en matière électorale, susceptible d’assouplir les inégalités sur le plan de
l’administration de la preuve entre les parties au cours d’un contentieux électoral.
Quoi qu’il en soit, l’égalité des armes, « composante essentielle de l’égalité
de tous devant la loi, protégée par l’article 3 de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples et l’article 26 de la Constitution » est également « une
composante autonome, une exigence et une garantie fondamentale du procès
équitable. Elle traduit (…) le juste équitable qui doit s’instaurer entre les parties et
implique l’obligation d’offrir à chacune d’elles une possibilité raisonnable de
présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net
avantage par rapport à son adversaire. Elle doit être respectée dans toutes les
procédures et en toutes les matières. Elle s’apprécie concrètement, au cas par cas, et
globalement, au vu de l’ensemble du procès. Elle s’applique à travers toutes les
obligations découlant du principe de la contradiction. Le principe du contradictoire,
quant à lui, « implique en principe la faculté pour les parties à un procès de prendre
connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa
décision et de la discuter. Ce principe doit pouvoir s’exercer dans des conditions
satisfaisantes, en permettant au plaideur, notamment, d’examiner les documents
communiqués, de les commenter d’une façon appropriée et de bénéficier d’un délai
suffisant pour rédiger ses arguments, quitte à obtenir un renvoi. Le respect du
principe s’impose non seulement aux parties mais aussi au juge, par exemple,
lorsqu’il relève un moyen d’office ou lorsqu’il envisage de procéder par substitution
250
Lire utilement l’avant – propos de Jean Michel KUMBU KI – NGIMBI, in Annuaire congolais de
justice constitutionnelle, Kinshasa, Vol. 1, 2016, p. 11.
116
de motifs. Il ne le faire qu’après en avoir informé les parties et sollicité leurs
observations251.
B. La participation du juge constitutionnel en amont et en aval aux étapes du
processus électoral
Nous pensons dès lors qu’il est plus indiqué de faire remarquer qu’en Droit
constitutionnel congolais, le juge constitutionnel électoral est certes un juge de la
régularité du processus électoral, auquel il participe seulement a posteriori. Cet état
de chose nous pousse à conjurer que, pour que son œuvre soit efficace à l’occasion
du prononcé d’un contentieux des contestations des résultats présidentiels, il aurait
pu falloir que le juge constitutionnel électoral des résultats présidentiels soit associé,
à la fois en amont et en aval au processus électoral, pour qu’à l’occasion des
contestations qu’il ne soit pas étranger au contentieux pour lequel il est convié de
régler le litige. Faisant le contraire, le juge constitutionnel est réduit à un juge passif,
qui prend connaissance des faits de la procédure à l’audience comme les deux autres
parties au procès. De cette façon, nous suggérons au législateur que la Cour
constitutionnelle figure parmi les structures opérationnelles des élections comme
l’une des aiguilleurs, au même titre que les témoins, les observateurs électoraux
(nationaux ou domestiques et internationaux) les médias252. Dans le cas d’espèce, la
Cour aura à exercer la fonction de prévention électorale, en envoyant ses propres
observateurs pour identifier au préalable les circonscriptions électorales qui peuvent
poser des problèmes.
Cette opacité est également relevée dans une étude similaire par Kazadi
Mpiana Joseph253, en abordant la question du contentieux des lois électorales, il a
indiqué que ce contentieux a toujours été un rendez-vous manqué dans la mesure où
la Cour constitutionnelle n’est pas consultée dans le processus de révision de la loi
électorale. Elle n’est saisie que rarement après la promulgation des lois de révision
(R. Const. 624/630/631.Opinion dissidente R.Const. 624/630/631. Requêtes en
inconstitutionnalité de la loi électorale ; R. Const. 1826, requête de Monsieur
Sekimoyo Mutabazi en inconstitutionnalité des articles 22 alinéa 2, 104 alinéa 3, 118
et 121 et de la loi électorale révisée). Même dans le cas où elle a été saisie, sa
jurisprudence est déficitaire ou épisodique (R. Const. 0089/2015, R.Const. 1756, R.
Const. 1826).
251
Akouègnon DASSI., « Les droits procéduraux du citoyen dans le contentieux constitutionnel au
Bénin », in Etudes en l’honneur de la 5ème mandature présidée par le Professeur Théodore Holo.
Jurisprudence de la Cour constitutionnelle : Le citoyen, Tome 1, Cotonou, 2023, p. 321.
252
C’est nous qui mettons en relief.
253
Joseph KAZADI MPIANA, « La Cour constitutionnelle et le contentieux des lois électorales », in
Note de presse N°004/CREEDA/2023, Conférence-Débat animée au Centre de recherches et
d’Etudes sur l’Etat de Droit en Afrique, à l’occasion du 8 ième anniversaire de l’installation
effective de la Cour constitutionnelle. Tenue à Kinshasa, le 04 avril 2023, pp. 1-2.
117
Il est aussi nécessaire de mettre l’accent sur ce qui relève du Droit électoral
comparé tel qu’enseigné par Jean Louis Esambo Kangashe ; au Bénin, le Mali en
effet, l’on autorise la présence dans les cercles et bureaux de vote, des représentants
de la Commission Electorale Nationale Indépendante, de la Cour constitutionnelle et
de délégation générale aux élections pour, selon le cas, y superviser les préparations
de vote et de dépouillement, la compilation, la centralisation, la transmission et la
proclamation des résultats provisoires, afin qu’en cas de contestation des résultats,
les juges soient autorisés à se référer aux relevés de la Commission Electorale
Indépendante et compilations de ses délégués254.
C. La nécessité d’abandonner le principe de la hiérarchisation des moyens de
preuve pour celui de la liberté des moyens de preuve en droit électoral
congolais
Il est admis que les moyens de preuve sont principalement établis dans la
fiche des résultats, le procès-verbal de déroulement du scrutin, celui de
dépouillement et éventuellement des observations des témoins des candidats, partis
ou regroupements politiques dans les systèmes qui autorisent leur présence dans les
bureaux de vote et de dépouillement. Ils sont produits en original ou en copie certifiée
conforme à l’originale255.
Rappelons tout de même qu’à la suite de Julien Coomlan Hounkpé 256que les
modes de preuves n’ont pas tous le même statut. Certains sont nommés, ce qui
signifie qu’un texte aménage leur régime juridique. D’autres sont innommés, car ils
existent que dans la pratique. Bien qu’aucun texte ne les prévoie, ces preuves
innommées sont produites par les parties et elles sont retenues par le juge pour forger
sa conviction. Toutes ces preuves – qu’elles soient nommées ou innommées – sont
autant de preuves spéciales. Pour les désigner, on utilise fréquemment l’expression
« mode de preuve ». On parle encore de « techniques » ou de « procédés de preuve ».
Les règles relatives aux preuves spéciales sont donc celles qui définissent les
modalités de recueil, de production et d’appréciation des modes de preuve utilisés
quotidiennement en justice.
En se fondant par ailleurs sur l’activité de la procédure inquisitoriale du juge
d’une part, et d’autre part, sur sa participation en amont et en aval comme aiguilleur
des structures opérationnelles des élections, nous estimons que l’administration de
la preuve ne doit pas être figée ou cartésienne. Le juge constitutionnel électoral ne
doit pas fondamentalement accorder la sincérité et l’authenticité des résultats de
l’élection présidentielle aux seuls procès-verbaux de la CENI, dotée du statut
d’expert. Pour l’essentiel, cette manière de faire, entraine la Cour dans
254
Jean- Louis ESAMBO KANGASHE, Le Droit électoral congolais, 2ème édition, Op.cit., p. 300.
Ibidem, p. 254.
256
J. COOMLAN HOUNKPE, le droit de la preuve dans l’espace OHADA, Paris, l’Harmattan, 2021,
p. 325.
255
118
l’autosuffisance, et au mépris de la procédure inquisitoriale, pourtant prévue dans
l’ordonnancement juridique congolais.
Comme il est enseigné par une doctrine minoritaire, à laquelle nous
accordons nos suffrages, qui conteste la qualification du statut d’expert de la CENI
à tout degré d’instance juridictionnelle, selon qu’elle ne pourra avoir ce statut dans
un contentieux électoral que dans l’hypothèse où les reproches contenus dans la
requête en contestation des résultats ne sont pas formulés contre elle-même ou ses
agents et qu’elle est invitée par le juge pour l’éclairer sur une situation technique.
Autrement dit, elle est partie au procès, comme elle démontre elle-même, en pratique
par son attitude et son comportement qui n’a rien voir avec le statut d’un expert257.
En effet, c’est le lieu de stigmatiser et de repenser le statut d’expert de la
CENI, dans le sens où, à l’occasion d’un contentieux des contestations des résultats
présidentiels, la CENI vient au procès, après la notification de la date d’audience par
le greffe de la haute juridiction de céans, et s’en suit l’échange des mémoires en
réponses, aux termes desquels se créent à toutes fins utiles la formation d’un contrat
judiciaire entre la demanderesse et la CENI. Fort de cet état de lieu, il y a lieu
d’émettre un bénéfice de doute sur la CENI, à contester les scrutins électoraux pour
lesquels elle est la cheville ouvrière. Ainsi, elle vient donc devant le juge pour
soutenir son œuvre. Il serait tout de même de soi et dans une large mesure, de
considérer la CENI comme partie au contentieux électoral, au même titre que la
demanderesse et la défenderesse. D’où, l’intérêt non seulement de lier la CENI, mais
aussi la criminaliser en cas de la violation des dispositions de la loi électorale. A
titre d’illustration parmi tant d’autres, le refus ou le défaut d’affichage des résultats
par les bureaux de vote, conformément à l’article 70 in fine de la loi électorale telle
que modifiée258.
D. Annulation des résultats de l’élection présidentielle non comme une faculté
pour le juge constitutionnel mais une règle en cas de l’établissement de la
fraude électorale
L’article 75 alinéa 2 de la Loi électorale dispose que : « Dans tous les autres
cas, elle peut annuler le vote en tout ou en partie lorsque les irrégularités retenues
ont pu avoir une influence déterminante sur les résultats du scrutin ».
En raison du caractère facultatif de cette disposition précitée, disons que la
Cour constitutionnelle est investie du pouvoir d’ordonner des recomptages partiels
ou complets, ce qui pose des problèmes logistiques et opérationnels à part entière.
257
Symphorien KAPINGA K. NKASHAMA, « La Cour constitutionnelle et le contentieux des
résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. Retour sur quelques questions de forme
dans l’affaire enrôlée sous R.CE.001 du 19 janvier 2019 », in Annuaire congolais de justice
constitutionnelle, volume 3, 2018, p. 558.
258
C’est nous qui mettons en relief.
119
La règle de preuve en termes juridiques, en ce qui concerne une annulation partielle
ou totale est plus faible en République démocratique du Congo qu’ailleurs. Une
élection peut être annulée purement et simplement, lorsque des irrégularités
pourraient avoir eu une incidence sur le résultat, non seulement s’il est avéré au-delà
de tout doute raisonnable qu’elles ont en réalité eu une incidence sur le résultat. Avec
seulement sept jours pour examiner la preuve (Si aucun recomptage n’est ordonné,
le Tribunal pourrait bénéficier d’un « tampon » international pendant la divulgation
de la preuve. Ce tampon dissuaderait les forces armées et les acteurs politiques de
perturber le travail de la Cour en asseyant d’exercer une influence indue sur ses
membres259.
Néanmoins, selon une doctrine majoritaire, en appui malencontreusement
d’une jurisprudence laconique et moins étoffée en droit électoral congolais dont
nous n’accordons pas nos suffrages, d’autant plus qu’elles accordent la latitude
d’appréciation, ou mieux la faculté utilitaire au juge électoral avant d’annuler les
élections. En tout état de cause, il s’ensuit pour cette opinion de soutenir que
s’agissant du contentieux électoral, plus spécifiquement celui des résultats, la Cour
constitutionnelle n’est pas le juge de la légalité des opérations électorales. C’est
pourquoi, la simple violation de la loi ne conduit pas nécessairement à l’annulation
du résultat du scrutin. Elle est le juge de l’exactitude et de la sincérité du résultat
électoral. Cela veut dire que la Cour a le choix, au fond, entre la confirmation de
l’élection ou son annulation. Cette dernière sanction ne peut être prononcée que si
les irrégularités constatées ont eu une influence déterminante sur le résultat. Sinon,
y compris même en cas d’erreur matérielle, la Cour confirme l’élection, sous réserve
de la correction du résultat erroné260.
Plusieurs pistes et paramètres peuvent être explorés afin de guider la décision
du juge au regard de ce qui précède. Il peut lorsque les irrégularités sont de nature à
impacter significativement et influencer ou changer les données des résultats
provisoires présentés par la Commission électorale, annuler les résultats des
élections ou les réformer. La Haute Cour constitutionnelle malgache a à cet effet,
procédé au contrôle, recomptage et validation des bulletins dûment qualifiés de
blancs et nuls dans 133 bureaux de vote. Le juge peut également lorsque les
manœuvres n’ont aucune incidence sur les résultats du scrutin, proclamer élu le
candidat qui a la majorité des suffrages valablement exprimés. La Cour
constitutionnelle béninoise a rappelé en ce qui la concerne dans sa décision du 21
mai 2003 que : « (…) le juge électoral n’annule une élection que dans la mesure où
les fraudes électorales constatées ont eu une influence déterminante sur les résultats
des élections ; qu’à supposer même que les irrégularités alléguées aient été avérées,
elles n’auraient pas suffi à elles seules à expliquer l’écart important qui sépare le
requérant et Monsieur André DASSOUNDO ( 5 031 voix contre 21 572 voix) ;
259
260
USAID, Evaluation des préparatifs électoraux en R.D. Congo, 28 février – 9 mars 2018, p. 21.
BUSHIRI OMARI., Op.cit., pp. 294-295
120
(…) ». Le juge électoral rejette cette requête sur ce fait selon les écarts de voix entre
les deux candidats sont largement distants261.
Afin de mieux saisir la portée et l’étendue de la notion des irrégularités
retenues ont pu avoir une influence déterminante sur les résultats du scrutin (…),
telles que reprises dans l’article 75 alinéas 2 de la loi précitée, il y a lieu de soutenir
que ces dispositions sont à la fois claires et obscures, et susceptibles de prêter
confusion dans une large mesure d’interprétation alternative. En tout état de cause,
le législateur n’a pas su préciser les nuances sémantiques de ces deux notions ci-haut
évoquées, afin de déterminer les stricts contextes d’application, soit de la reformation
ou soit de comptage des résultats.
Dans cette optique, souligne Tshitamba Kabala Jeef que le critère du grand
écart de voix couramment employé par les tribunaux pour justifier la non annulation
de l’élection, transforme en « bonus »un « malus » ; ajoutons que « cette
jurisprudence incite donc les fraudeurs à faire toujours plus de manière à créer un
grand écart de voix. Plus on commet d’irrégularités, plus on fraude et mieux on
fraude, plus on a de chances au sens mathématique du terme de s’assurer une victoire
large ou confortable. Ainsi, les juridictions électorales ne permettent pas à la CENI
d’éviter les fraudes électorales262.
En droit français, ce raisonnement est critiqué par une frange de la doctrine.
En premier lieu, certains auteurs mettent en avant le manque de moralité de cette
solution : Bernard Maligner aurait souhaité que le juge contrôle aussi la moralité de
l’élection et il est vrai qu’outre la référence à la sincérité du scrutin. Il est certes
arrivé, dans des cas très excessifs, que le Conseil d’Etat estime que les irrégularités
en cause n’appelaient pas de réponse et que l’élection devait être annulée parce que
l’écart de voix était faible et/ou parce qu’il devenait impossible de déterminer l’effet
de ces irrégularités sur la répartition des voix, mais ces cas de figure sont assez rares
et n’excluent pas dans la plupart des cas une appréciation sur l’écart des voix. Il
semble au demeurant que le Conseil constitutionnel ne s’engage pas dans cette voie
et s’en tienne à une vision non moraliste de l’élection. En deuxième lieu, une critique
d’une nature totalement différente est portée par de nombreux auteurs, comme André
et Francine Demichel, Bernard Malinger ou Dominique Rousseau, qui font valoir
que ces solutions indulgentes ont un effet pervers : les « fraudeurs » sont plutôt
incités à faire davantage de violations afin de creuser l’écart et rendre ainsi l’élection
incontestable263.
261
S. MOASSACK, Op.cit., pp. 93-94.
Jeef TSHITAMBA KABALA, Institutions d’appui à la démocratie et élections en République
Démocratique du Congo. Une réflexion sur la CENI., Thèse de doctorat présentée et soutenue
publiquement en vue de l’obtention de grade de docteur en Sciences Politique et Administratives,
Université de Lubumbashi, Faculté des Sciences Politiques et Administratives, Département des
Sciences Politiques et Administratives, 2021-2022, p.321.
263
R. RAMBAUD, Droit des élections et des référendums politiques, Paris, Libraire générale de droit
et de jurisprudence, 2019, pp. 668-669.
262
121
Partant de ce qui précède, Il nous revient sur le plan de lege ferenda,
d’accorder nos suffrages à l’objection de reformer et de recompter les résultats, non
comme une faculté pour le juge mais un devoir pour toutes les fois que les
irrégularités se feront observer et c’est de la sorte que la reformation et le recomptage
des résultats ne seront pas comme une exception mais comme une règle264 en se
fondant sur l’interprétation stricte de l’un des principes de droit pénal « Fraus omnia
currumpit » : « La fraude corrompt tout » dans l’hypothèse où le vote serait organisé
à bulletin unique. Dès lors que la fraude est établie, à l’occasion de la vérification
des résultats provisoires, le juge électoral, comme juge de la régularité et de la
sincérité ne serait pas investi à aménager la fraude, au motif que les irrégularités
retenues n’ont pas pu avoir une influence déterminante sur les résultats du scrutin.
Cette thèse est partiellement fondée et soutenable pour la simple raison que le juge
électoral dans ses manifestations répressives, lorsqu’il est saisi pour les descriptions
des faits incriminés qui relèvent spécifiquement du droit pénal électoral, le juge sera
tenu à mobiliser les règles répressives, qui font de son instruction, la prise en compte
de l’application stricte de certains principes généraux de droit pénal.
Usant les analogies de fortunes issues de l’expérience du droit électoral dans
certains Etats africains, la Cour suprême du Kenya a fait preuve d’un devoir
d’ingratitude vis-à-vis de l’autorité de nomination, à la suite de l’annulation de
l’élection présidentielle d’août 2017. Selon Balingene Kahombo, « l’on retiendra
d’abord le courage des juges qui ont su marquer leur indépendance en brisant la peur
de se mettre en face du pouvoir politique. Car c’est encore pour la première fois en
Afrique qu’une élection présidentielle est annulée en défaveur du candidat et Chef
de l’Etat sortant, Uhuru Muigai Kenyatta. Qui plus est, ce dernier s’est plié, non sans
amertume, à la décision judiciaire, en acceptant de retourner devant les électeurs lors
du scrutin du 26 octobre 2017 qu’il a largement remporté avec 98 % des suffrages
exprimés, après le boycott du candidat principal de l’opposition, Raila Amolo
Odimba qui craignait une nouvelle mascarde électorale ». Ensuite, il faut noter selon
Balingene Kahombo, « la transparence du mode judiciaire de prise de décision, deux
juges ayant exercé leur liberté d’entrer en dissidence contre la décision de la majorité
pour offrir un autre regard sur ce qu’ils estiment qui aurait été l’issue du contentieux.
C’est toute l’importance de l’émission des opinions individuelles ou dissidentes des
juges, dans un domaine souvent marqué par des passions et des tensions, qui est à
souligner ici (sic). Chacun pourra apprécier la décision rendue à la lumière des
positions contraires ainsi émises265.
Cela étant dit ci-haut, il sied dans cette trame de rappeler que le juge électoral
Malawite s’est aussi inscrit dans cette voie tracée par son homologue du Kenya en
annulant par son arrêt du 03 février 2020 l’élection présidentielle du 21 mai 2019.
La Haute Cour (High Court of Malawi) rappelle qu’il est impossible d’organiser les
264
265
C’est nous qui mettons en relief
BALINGENE KAHOMBO., « Perspective congolaise sur les leçons à tirer de l’annulation de
l’élection présidentielle d’Août 2017 au Kenya », in Annuaire congolais de justice
constitutionnelle, numéro spécial sur les contentieux électoraux, volume 3-2018, p.197.
122
élections qui soient complétement libres ou à l’abri des irrégularités ou anomalies.
Cependant dans le cas soumis à son examen, les irrégularités étaient tellement
généralisées et systémiques qu’elles ont sérieusement affecté ou compromis
l’intégrité des élections. Les résultats proclamés ne reflètent pas réellement la
volonté des électeurs telle qu’exprimée à travers leur vote du 21 mai 2019. Pae
conséquent celui qui a été proclamé Président n’a pas été régulièrement élu. La Haute
Cour ordonne l’annulation de l’élection présidentielle et l’organisation d’une
nouvelle élection dans un délai de 150 jours à dater du prononcé de l’arrêt266.
De ce point de vue, Jean Louis Esambo Kangashe ne se démarque pas de
cette façon de voir les choses, lorsqu’il relève que comme arbitre, le juge chargé du
contentieux électoral doit être capable de garantir, au-delà de la régularité du scrutin,
la sincérité des résultats. Il doit éviter que la gestion du contentieux soit à la base des
conflits politiques (Côte d’Ivoire et la République Démocratique du Congo). Ainsi
qu’il est démontré, la vérité des urnes n’est plus à rechercher dans un discours
politique comportant une certaine dose de passion, dans un tabou électoral mais dans
le domaine du vécu. Le moins que l’on puisse dire est que la notion est relative et
tributaire de l’environnement politique dans lequel s’organise une élection et de la
confiance mutuelle que doivent tous les acteurs impliqués267.
§2. Aménagement prospectif de l’administration et de la réception des moyens
de preuve devant la Cour constitutionnelle
Aménager sur le plan prospectif le régime de l’administration et de la
réception des moyens de preuve devant la Cour constitutionnelle, à l’occasion de
contentieux de l’élection présidentielle en droit congolais postule ce qui suit :
A. La consolidation de la procédure inquisitoriale dans le chef des
membres de la Cour constitutionnelle
A titre principal, il y va de bon droit d’accorder nos suffrages à la doctrine
d’Antoine Rubbens selon laquelle : « Dans la procédure inquisitoriale, les juges
prennent l’initiative de rétablir le droit partout où ils le voient violer ou de le protéger
chaque fois qu’ils le savent menacer. Ils se saisissent d’office des litiges de leur
compétente et pour y apporter la juste solution : ils cherchent de leur propre initiative
la vérité au sujet de faits sous examen, recourant d’office à tous les moyens de preuve
266
High Klaus of Malawi. Constitutional Reference N°1 of 2019 between Dr Saulos Chilina (1st
Petitioner ). and Professor Arthur Peter Mutharika ; Electoral Commission (2nd Respondent).
Judment 3 February 2020.
267
Jean-Louis ESAMBO KANGASHE., « Elections en Afrique, un modèle d’importation étrangère
ou une voie originale de démocratie ? », in la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un
modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice Ahanhanzo-Glélé, Etudes
coordonnées par F. J., AIVO L’Harmattan, Paris, 2014, p. 448. Mis en relief par Adolphe
MUSULWA SENGA., « Du pouvoir normatif des juridictions constitutionnelles en Afrique à
l’épreuve du devoir d’ingratitude : état des lieux et critique », in Revue Justitia, Faculté de Droit,
Université de Lubumbashi, mai 2022, pp. 349-350.
123
susceptible de les éclairer ; ils prennent en main la direction des opérations de la
procédure réglant d’autorité tous les incidents qui peuvent surgir pour faire aboutir
le procès à un jugement qui peut d’ailleurs retenir les solutions différentes de celles
que les parties ont postulées268.
En effet, l’on peut se rendre à l’évidence que la Loi électorale demande au
juge électoral de veiller à la régularité et à la sincérité des élections et par voie de
conséquence, de prendre toutes les mesures d’instructions nécessaires à cette fin.
L’article 74 quater alinéa 2 de la Loi électorale dispose que « La juridiction saisie
prend toutes les mesures d’instructions nécessaires. La Commission Electorale
Nationale Indépendante ainsi que toute autorité politique ou administrative sont en
termes de lui communiquer toutes les informations nécessaires en leur possession ».
Cependant, nonobstant l’existence de ce cadre normatif, il est regrettable et
anodin de constater que le juge constitutionnel se comporte en matière électorale,
comme un juge civil, selon qu’il refuse particulièrement de se « mouiller », préférant
jouer un rôle passif, voire poussif. Il s’accroche parfois sur la théorie de l’effet utile,
consacrée dans l’article 75 alinéa 2 de la Loi électorale qui dispose que « dans tous
les autres cas, elle peut annuler le vote en tout ou en partie lorsque les irrégularités
retenues ont pu avoir une influence déterminante sur les résultats du scrutin … ». Le
juge choisit de ne pas prendre en compte ces illégalités, d’ignorer ou de mépriser la
Loi269.
B. La liberté d’appréciation et la nécessité pour le juge constitutionnel électoral
à statuer ultra petita
En effet, le juge électoral étant doté des pouvoirs étendus et il existe une
controverse s’agissant du principe de l’interdiction à statuer ultra petita, c’est-à-dire
au-delà des prétentions des parties. Certains auteurs considèrent en effet que le juge
peut, en cette matière et par dérogation au principe général, statuer ultra petita. A
l’appui de cette affirmation, René Chapus utilise l’exemple de contentieux où, saisi
d’une protestation relative au second tour, le juge se prononce également sur le
premier tour de l’élection, ou encore « la solution selon laquelle il appartient au juge
d’étendre son contrôle aux bulletins, même non contestés, annexés au procèsverbal ». Par ailleurs, il est difficile de donner tout à fait raison à ceux qui soutiennent
que le juge électoral est enfermé dans l’interdiction de statuer ultra petita : cette
notion est très relative pour le droit électoral car la prétention d’une personne peut
atteindre au final l’ensemble de l’opération et conduire à remettre en question la
sincérité du scrutin. Cela implique parfois, en raison du caractère indivisible de
Antoine RUBBENS, Droit judiciaire congolais, Tome I, le pouvoir, l’organisation et la
compétence judiciaire, Kinshasa/Bruxelles, Université de Lovanium/Larcier, 1970, pp. 37 et aussi
55 spécialement.
269
Jacques DJOLI ESENG’EKELI, « La Cour constitutionnelle congolaise et la vérité des urnes », in
Congo-Afrique, n° 536, Juin-juillet – août, 2019, pp. 597-598.
268
124
certaines opérations électorales ou de la nature des irrégularités constatées, que le
juge se prononce sur des éléments et tranche des questions qui n’étaient pas
soulevées par la protestation initiale270.
A la lumière de ce qui précède, il convient de préciser que fort de l’intime
conviction du juge constitutionnel, il ne doit pas considérer à première vue, tous les
plis électoraux fournis par la CENI, comme éléments suffisants de preuve à
l’occasion d’un contentieux des résultats. Il est de l’obligation pour le juge de
recourir à son pouvoir d’instruction par le déploiement et de l’accréditation de ses
propres observateurs électoraux, sur le versant de la contre-expertise, afin de
compléter les moyens de preuve mis à disposition pour instruction. L’objectif pour
le juge constitutionnel à statuer ultra petita, rappelons-le, réside dans la recherche
de la manifestation de la vérité des urnes, afin de lui permettre de prononcer un arrêt
qui va traduire réellement l’expression du corps électoral.
C. La nécessité d’un dialogue institutionnel entre la Cour constitutionnelle et
certains organismes d’observations électorales
L’intérêt de ce dialogue institutionnel entre la Cour constitutionnelle et
certains organismes d’observations électorales peut se concevoir comme une forme
de redevabilité entre ces deux institutions, aux missions initiales qui sont les leurs.
Fort de ce dialogue, il reviendra à la Cour de prendre en compte, non
seulement les copies des éléments de procès-verbaux qui proviendraient de la CENI,
mais aussi, à toutes fins utiles, les rapports des Missions d’observations électorales,
lorsqu’on sait que l’un des objectifs de l’accréditation des organismes d’observations
électorales figure l’apport à la transparence du processus électoral.
Par ailleurs, dans la mesure où ces rapports émaneraient des Missions
d’observations électorale rependues sur l’ensemble du territoire national, ayant
couvert le déroulement du processus électoral, et assistance à tous les niveaux de
dépouillement et de compilation des résultats, dont leur action est fondée sur
l’indépendance, la crédibilité, la transparence et la neutralité ; il y a lieu de les
mobiliser pour servir des bases à un commencement de moyen de preuve,
susceptibles d’éclairer la Cour à l’occasion d’un contentieux électoral, d’autant plus
que ces rapports vont exercer une fonction curative.
Rappelons dorénavant que le rôle des observateurs consiste à être en mesure,
au moyen de témoignages personnels, de déterminer si les élections se sont déroulées
conformément aux principes démocratiques généralement acceptés, ce qui donne aux
autorités nouvellement élues du pays concerné, ainsi qu’à la communauté
internationale, la garantie qu’il en a bien été ainsi. Le rapport sera présenté comme
preuve de ce témoignage au secrétariat de l’organisation responsable pour la mission
270
R. RAMBAUD, Op.cit., p. 666.
125
des observateurs, ainsi qu’au chef du gouvernement nouvellement élu et aux
dirigeants des partis politiques engagés dans le processus électoral. Le rapport a pour
principal objet de contenir la conclusion sur la question de savoir si les élections
peuvent être considérées comme ayant été libres et honnêtes, étant entendu que cette
conclusion doit être basée sur les données vérifiables et être présentée d’une manière
concise et accessible. La conclusion et l’évaluation générale peuvent être dans
certaines mesures basées sur les informations indirectes (par exemple les institutions
qui ont suivi la préparation des élections). Mais dans ce cas aussi, l’observateur doit
pouvoir accéder aux données justifiant les informations en question271.
En tout état de cause, aux termes de l’article 45 de la loi électorale :
« L’observateur est tenu de respecter les lois et règlements de la République
Démocratique du Congo ainsi que les dispositions arrêtées par la Commission
électorale nationale indépendante pour la bonne organisation du scrutin. Il ne peut
s’immiscer ni directement ni indirectement dans le déroulement des opérations
électorales.
Cette disposition précitée (article 45), est une innovation de la loi électorale
qui mérite d’être précisée afin de soutenir notre position. Il s’agit de : L’organisme
dont l’observateur est accrédité s’engage à déposer copie de son rapport
d’observation à la Commission électorale indépendante, à l’Assemblée
nationale, au Sénat et au Gouvernement.
Toutefois, il y a lieu d’observer avec Balingene Kahombo quand il opine que
les observateurs ayant l’occasion de superviser les opérations électorales depuis les
bureaux de vote et de dépouillement jusqu’aux centres locaux de compilation
pouvaient éclairer la Cour constitutionnelle sur au moins deux points. Premièrement,
sur l’exactitude des résultats publiés par la CENI avec ceux qu’ils ont observés lors
de l’affichage devant les bureaux de dépouillement. Deuxièmement, sur la question
précédente du respect de la procédure de compilation préalable des résultats publiés,
d’autant plus que ceux-ci sont censés avoir été affichés aux centres locaux de
compilation à l’attention du public. La Cour pouvait même faire appel aux dits
observateurs électoraux d’office272.
C. L’institution des « portes étroites » devant la Cour constitutionnelle
Rappelons que s’agissant de la pertinence des portes étroites devant la Cour
constitutionnelle, l’intérêt de la réception s’articule autour de l’envoi de documents,
comme il est enseigné en Droit français au Conseil constitutionnel est libre, et il ne
Fabien Désiré NDOUMOU, Les Missions d’observation des élections, Paris, l’Harmattan, 2012, p.
164.
272
BALINGENE KAHOMBO, « Note juridique critique sur l’arrêt RCE 001/PR. CR. la Cour
constitutionnelle du 19 janvier 2019 relatif à l’affaire de contestation des résultats de l’élection
présidentielle du 30 décembre 2018 », in Annuaire congolais de justice constitutionnelle, Vol. 3,
2018, pp. 568-569.
271
126
peut guère en aller autrement. On voit très bien, en revanche comment une
prohibition des « portes étroites » pourrait être aisément contournée273 .Suivant la
formule du Doyen Georges Vedel, la « porte étroite » est ouverte aux citoyens
agissant isolément ou en groupe « ce n’est ni une saisine, ni une intervention au sens
procédural du terme, mais une simple information fournie par le bon citoyen. La
vertu des « portes étroites » ne réside pas du côté de la théorie juridique. L’intérêt
général attaché à cette théorie réside du côté de la qualité du travail de la juridiction
constitutionnelle. Dans le contexte africain, toute personne physique ou morale peut
adresser à la juridiction constitutionnelle une observation dans un mémoire. Dans le
cadre de l’Union des Comores, aux termes de l’article 55, du décret N°4 août 2004
portant promulgation de la Loi N°04/001/AU du 30 juin 2004, relative à
l’organisation et aux compétences de la Cour constitutionnelle dispose que : Lorsque
la Cour constitutionnelle statue à titre préjudiciel sur les questions visées à l’article
34. Toute personne justifiant d’un intérêt dans la cause devant la juridiction qui
ordonne le renvoi, peut adresser un mémoire à la cause dans les sept jours de la
publication du journal officiel de l’avis visé à l’article 41. Elle est, de ce fait, réputés
partie au litige. Lorsque la Cour constitutionnelle statue sur les recours tendant à faire
déclarer l’inconstitutionnalité d’une loi, toute personne justifiant d’un intérêt peut
adresser ses observations dans un mémoire à la Cour dans les sept jours de la
publication prescrite par l’article 41. Tout le monde gagne à ce que la réflexion du
juge soit la mieux éclairée possible. L’envoi de document à la juridiction
constitutionnelle est libre, et il ne peut guère en être autrement, puisqu’aucune règle
n’interdit au juge instructeur de tirer enseignement d’une porte étroite ».
Aussi, faut-il certes admettre qu’en Droit constitutionnel congolais, le statut
de porte étroite n’est pas institué. C’est d’ailleurs, ce qui exprime notre leitmotiv que
les portes étroites soient effectives, lesquelles qui permettraient la création d’une
sorte de collaboration entre la Cour constitutionnelle et certaines corporations des
personnes averties en Droit, dans l’optique de produire de nouvelles connaissances,
des recommandations de haute portée juridique à l’issue d’une contestation
électorale, pour permettre à la Cour de céans de retrouver la voie utile. Cela étant, il
demeure dans tous les cas que la Cour aura intérêt à collaborer avec cet échantillon
des juristes certifiant d’une connaissance incontestable dont la passion et l’intérêt
273
Pour les développements plus détaillés, Lire Denys DE BECHILLON, « Réflexions sur le statut
des « portes étroites » devant le Conseil constitutionnel, Paris, Janvier 2017 (Le club des juristes),
pp. 25-29 et suivant.
« Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite. Car je vous le dis, beaucoup chercheront à entrer et ne
le pourront pas ». Luc 13-24.
« Mais étroite est la porte resserrée le chemin qui mène la vie et il y en a peu qui les trouvent ».
Matthieu 7 :14.
127
particulier, voire certain et réel d’une part au Droit public et d’autre part au Droit
constitutionnel, tant institutionnel, substantiel, normatif et jurisprudentiel274.
De ce qui précède, il en ressort que la phase indispensable au déroulement du
procès se réalise par la juridiction constitutionnelle et elle est préalable à la tenue du
procès par la recherche des éléments de preuve et la production des pièces.
L’instruction du procès constitutionnel permet de savoir qu’elle est une phase
indispensable au déroulement du procès et une phase décisive au dénouement du
procès, à travers l’articulation des phases de l’instruction275.
Conclusion
Arrivé à ce niveau de notre cogitation sur les contentieux électoraux et les
critiques du régime de la preuve devant le juge constitutionnel congolais, nous tenons
à préciser que les préoccupations majeures relatives à l’organisation des élections en
République démocratique du Congo, et l’examen des contentieux de l’élection du
Président de la République, couplées de l’administration de la preuve devant la
juridiction de céans ont fait l’objet de la présente étude.
Il convient de rappeler que la saisine de la Haute juridiction, in casu specie,
la Cour suprême de justice et la Cour constitutionnelle en matière des contentieux
des résultats a attiré notre curiosité scientifique, qu’à l’occasion de différentes
contestations, formalisées en requêtes et portées devant la juridiction compétente.
Par ailleurs, comme on le sait, le fondement du régime de l’administration
de la preuve en droit électoral congolais repose sur le principe de la hiérarchisation,
dont les moyens de preuve devant les juridictions contentieuses sont entre autres, les
procès-verbaux de vote et de dépouillement des fiches des résultats, des témoins des
candidats, …
En tout état de cause, c’est ici le lieu de fustiger les limites de l’organisation
du régime de la preuve en droit électoral congolais, tel qu’exercé devant la Cour
274
Notre soulignement. Dans une étude similaire, soulignent Joseph CIHUNDA HENGELELA et
alii,la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut accepter l’amicus curiae. Il s’agit d’un
document écrit adressé à un tribunal dans lequel un amicus curiae ( littéralement « ami du
tribunal » : une personne ou une organisation qui n’est pas partie à la procédure) expose des
arguments juridiques et des recommandations dans une affaire donnée. Lire avec intérêt, Joseph
CIHUNDA HENGELELA, et alii., La nécessité du renforcement de la pratique du dialogue dans
le renforcement de la Cour constitutionnelle. Une exigence pour respecter les principes de
redevabilité de participation populaire et de régulation de la vie politique », in Annuaire congolais
de justice constitutionnelle, volume 5-2020-2021, pp. 181 et suivant.
275
Agathe EVANE, « L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des Etats
d’Afrique noire francophone », in Etudes en l’honneur de la 5ème mandature présidée par le
Professeur Théodore Holo. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle : Le citoyen, Tome 1,
Cotonou, 2023, pp. 269-270.
128
constitutionnelle, à l’issu des contentieux de l’élection du Président de la
République. In concreto, rappelons que quatre contentieux des élections
présidentielles ont retenus notre attention, il s’agit de ceux de 2006, de 2011 et de
2018, et 2023 pour lesquels les Hautes juridictions ont été saisies (La Cour suprême
de justice et la Cour constitutionnelle) et se sont contentées de recevoir les requêtes
des demandeurs, et les déclarer non fondées pour divers griefs dont l’absence des
preuves convaincantes.
En effet, la loi électorale demande au juge électoral constitutionnel de veiller
à la régularité et à la sincérité des élections, surtout présidentielle, avec et par voie
de conséquence, de prendre toutes les mesures d’instructions nécessaires à cette fin.
L’article 74 quater alinéa 2 de la loi électorale dispose que : « la juridiction saisie
prend toutes les mesures d’instruction nécessaires. La Commission électorale
nationale indépendante ainsi que toute autorité politique ou administrative sont
tenues de lui communiquer toutes les informations nécessaires en leur possession ».
Cependant, nonobstant ce cadre normatif plus que précis, la Cour se comporte
comme un juge civil ; la Cour refuse particulièrement de se « mouiller », préférant
jouer un rôle passif, voire poussif. Elle s’accorde parfois sur la théorie de l’effet utile,
consacrée dans l’article 75 alinéa 2 de la loi électorale que dispose que « dans tous
les autres cas, elle peut annuler le vote en tout ou en partie lorsque les irrégularités
retenues ont pu avoir une influence déterminante sur les résultats du scrutin … ». Le
juge choisit de ne pas prendre en compte ces illégalités, d’ignorer ou de mépriser la
loi. En fait, c’est une théorie qui veut que l’on ne procède pas à une invalidation d’un
scrutin que dans l’hypothèse où les irrégularités constatées sont suffisamment graves
pour avoir eu un effet utile sur le résultat du scrutin. Elle devient pathologique
lorsque le juge électoral en fait une utilisation abusive276.
C’est de bon droit que Jean-Louis Esambo Kangashe établit une
recommandation, en ce qui concerne l’intérêt de l’activité du juge électoral dans la
recherche des moyens de preuve, lorsqu’il enseigne qu’ayant un large pouvoir
d’investigation, le juge électoral est autorisé à se munir de toutes les preuves dont il
a besoin pour motiver sa décision. Il peut exiger non seulement la communication
des pièces mais aussi ordonner des descentes sur les lieux ou le déploiement dans les
centres et bureaux de vote, de ses délégués en vue d’y récolter les statistiques des
opérations de dépouillement et de centralisation des résultats277.
Arrivé à ce stade de notre cogitation, qui se veut prospective, il y a lieu
d’insister que le régime de l’administration et de la réception des moyens de preuve
devant le juge constitutionnel congolais nécessitent d’être repensés sur le plan
Jacques DJOLI ESENG’EKELI., « La Cour constitutionnelle congolaise et la vérité des urnes »,
art.cit, pp. 597-598.
277
Jean-Louis ESAMBO KANGASHE., Le Droit électoral congolais, Louvain-la Neuve, Academia
/ L’Harmattan, 1ère édition, Paris, p. 208.
276
129
législatif au profit de la bonne administration électorale et de bons usages sur le plan
de la procédure devant la juridiction compétente. En substance, le cadre légal de la
hiérarchisation des moyens de preuve ne concourt pas dans une large mesure à la
consolidation de la vérité des urnes et de l’intime conviction du juge constitutionnel
saisi. Ce dernier doit être appelé à faire preuve de sa liberté active d’instruction, pour
une bonne administration de la justice électorale. D’où, l’intérêt des considérations
critiques abordées dans le fond de la présente, dans l’optique de repenser la
législation en matière du régime de la preuve devant le juge constitutionnel
congolais, à l’occasion des probables futurs contentieux des résultats de l’élection
du Président de la République.
*
*
*
130
Contrat du commerce électronique et responsabilité
contractuelle de plein droit du cybercommerçant dans le
nouveau code congolais du numérique
Par :
Aimé BANZA ILUNGA
Professeur à la Faculté de Droit/Université de
Lubumbashi, Avocat au Barreau du Haut-Katanga
Resumé
Le nouveau Code congolais du numérique procède de l’Ordonnance-Loi n°
23/010 du 13 mars 2023 et prévoit des dispositions ayant trait au commerce
électronique au Titre V III du Livre II (art.48 à 72). Ce Titre aborde successivement
les principes moteurs de ce commerce, les conditions de conclusion et d’exécution
du contrat électronique, le droit de rétractation du client et la publicité par voie
électronique. Dans cette réflexion, l’accent est mis sur les dispositions ayant trait à
la formation et à l’exécution du contrat en ligne et à la responsabilité contractuelle y
relative à l’aune de la protection de la partie faible.
Certainement, ce Code regorge plusieurs dispositions novatrices tendant à
protéger la partie faible à l’instar de l’obligation préalable d’information en faveur
du client, de l’obligation de livraison des biens conformes et non défectueux, du droit
de rétractation du client, de la responsabilité de plein droit du cybercommerçant, etc.
Cependant, l’analyse critique des nouveautés indique que plusieurs d’entre elles
nécessitent des mesures supplémentaires en termes de clarification ou d’adoption des
outils d’application.
Mots-clés : commerce électronique, contrat électronique,
contractuelle de plein droit, cybercommerçant et code numérique.
responsabilité
Abstract
The new Congolese Digital Code is based on Ordinance-Law No. 23/010 of
13 March 2023 and provides for provisions relating to electronic commerce in Title
V III of Book II (arts. 48 to 72). This Title deals successively with the driving
principles of this trade, the conditions for the conclusion and execution of the
electronic contract, the customer's right of withdrawal and electronic advertising. In
this reflection, the focus is on the provisions relating to the formation and
performance of the online contract and the contractual liability relating thereto in
the light of the protection of the weaker party.
Certainly, this Code is full of several innovative provisions aimed at
protecting the weaker party, such as the obligation to provide prior information to
the customer, the obligation to deliver compliant and non-defective goods, the
131
customer's right of withdrawal, the automatic liability of the e-merchant, etc.
However, a critical analysis of the new features indicates that several of them require
additional measures in terms of clarification or adoption of application tools.
Keywords: e-commerce, e-contract, contractual liability by operation of law, emerchant and digital code.
Plan sommaire
Introduction
I.
A.
B.
C.
II.
A.
Conclusion et exécution du contrat du commerce électronique
Notions des commerce et contrat en ligne
Conclusion du contrat électronique
Exécution des obligations issues du contrat électronique
Responsabilité contractuelle de plein droit du cybercommerçant
Responsabilité contractuelle des parties en cas d’inexécution du contrat
électronique
B. Nouveau régime de la responsabilité contractuelle de plein droit du
cybercommerçant
Conclusion
……………………………………………………………………………
Introduction
« Nous vivons de plus en plus contractuellement 278 » plus que jamais la
formule de Josserand s’avère pertinente279. Ce qui caractérise le contrat au XXIe
siècle, c’est en effet son extrême vitalité. Du constat commun de l’inflation moderne
des contrats, on déduit, dans les sociétés modernes, l’existence des multiples contrats
particuliers que les individus concluent entre eux tant en présentiel qu’en ligne.
S’agissant des contrats en ligne, nombreux se concluent dans le cadre du commerce
électronique et mettent en relation contractuelle d’une et d’autre part, des
cybercommerçants et des clients, consommateurs ou non.
A titre illustratif, aujourd’hui plus que jamais, le consommateur utilise le
Web pour acheter des produits (du matériel hi-fi, des ordinateurs, de la musique, des
livres, etc.), pour réserver un vol pour ses vacances, pour accéder à des services tels
que les sites de socialisation comme Facebook et Twitter, ou des moteurs de
278
L. JOSSERAND, « Aperçu général des tendances actuelles de la théorie des contrats », in RTD
Civ., n°4, Dalloz, 1937, pp.1 et s.
279
F. COLLART DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, 7 éd., Dalloz,
Paris, 2015, p.1.
132
recherches, etc. À cet égard, il conclut, consciemment ou non de nombreux contrats
qui souvent ont un caractère transfrontalier280.
Il arrive malheureusement que l’exécution normale du contrat dûment conclu
soit compromise suite à de divers motifs, dont l’inexécution, l’exécution
défectueuse, la rupture unilatérale ou brutale des relations contractuelles, … Ce qui
engendre la question de responsabilité contractuelle ou délictuelle devant les
juridictions. C’est pourquoi, le contrat et la responsabilité sont qualifiés des piliers
du Droit281, ou, encore, de ciment de l’activité juridique des citoyens, tant dans leur
vie particulière que dans leur vie professionnelle.
Ainsi, la présente réflexion s’attèle à analyser les règles du contrat du
commerce électronique et de la responsabilité contractuelle en cas d’inexécution.
Cette analyse est basée sur les dispositions du nouveau Code congolais du numérique
issu de l’Ordonnance-Loi N° 23/010 du 13 mars 2023. En effet, ce texte dégage les
principes du commerce électronique en ses articles 48 à 52, les conditions de
formation du contrat électronique en ses articles 53 à 56 ; les conditions d’exécution
de ce contrat aux articles 57 à 60 ; le régime du droit de rétractation du client aux
articles 61 à 65, etc.
Au regard de ce qui précède, il est légitime de nous interroger, d’abord sur
l’efficacité des règles de formation et d’exécution du contrat du commerce
électronique en vue de la protection de la partie faible. Ensuite on peut s’interroger
sur la portée, l’étendue et les limites du nouveau régime de responsabilité de plein
droit du cybercommerçant.
En effet, si l’on veut comparer les dispositions de l’ordonnance-loi portant
Code du numérique à celles du Droit commun des contrats et de la responsabilité
civile issues du Code civil congolais livre III (CCC L III) ; dans cette ordonnanceloi, plusieurs innovations tendant à protéger la partie économiquement faible sont à
signaler, entre autres : l’obligation préalable d’information en faveur du client
(art.53), la garantie légale de conformité ou de livraison des biens conformes et non
défectueux(art.59), le droit de rétractation accordé à l’acheteur, la responsabilité de
280
J-P. MOINY et B. DE GROOTE, « Cyberconsommation" et droit international privé », in Revue
du Droit des Technologies de l'information, N°37, 2009, p. 5.
281
A ce sujet, Jean Carbonnier associe à côté du contrat, la responsabilité. Lorsqu’il s’est interrogé «
sur les causes rationnellement concevables d’un effet de Droit, quel qu’il soit. Au fond, le Droit
privé n’en connaît que deux : si ce n’est la responsabilité, c’est le contrat. Le contrat est, avec la
responsabilité, le point d’ancrage le moins incertain de notre civilisation juridique, il désigne avec
finesse les deux branches majeures qui fondent le Droit civil et qui en assurent la stabilité » (J.
CARBONNIER, Essais sur les lois, Defrénois, Paris, 1979, p. 130). Ces deux concepts sont aussi
« les piliers du Droit » selon Frison-Roche (M-A, FRISON-ROCHE, « La redécouverte des
‘’piliers du Droit’’ : le contrat et la responsabilité », in Les transformations de la régulation
juridique, Dir. J. CLAM et M. GILLES, L.G.D.J., Paris, 1998, p. 277).
133
plein droit du professionnel ou cybercommerçant (art.51 et 56), l’interdiction de la
prospection directe des clients (art.68), etc.
En ce qui concerne par exemple, la responsabilité contractuelle du
cybercommerçant, le siège de la matière, qui semble être énoncé à l’article 56 de
l’ordonnance susvisée282 est en réalité l’article 51 qui précise que « la personne
physique ou morale exerçant les échanges électroniques et transactions électroniques
est responsable de plein droit à l'égard de son co-contractant de la bonne exécution
des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient
exécutables par elle-même ou par d'autres prestataires des services, sans préjudice
de son droit de recours contre ceux-ci. Toutefois, la personne est exonérée de cette
responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution, l'exécution tardive ou, la
mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l'acheteur, soit à un cas de force
majeure, soit à un tiers à la fourniture des prestations prévues au contrat ». Pour
comprendre ce régime de responsabilité, il est nécessaire de déterminer le réel
responsable visé, le réel bénéficiaire ou la victime visée, l’étendue des obligations
imposées au cybercommerçant, les conditions de mise en œuvre, voire les modalités
d’une réparation appropriée des préjudices causés aux clients.
A ce stade, on note que l’article 51 instaure une responsabilité de plein droit
à l'égard de la personne qui exerce une activité de commerce électronique
(cybercommerçant), au profit de l'« acheteur » et ce, quel que soit l'auteur de
l'inexécution : le contractant lui-même ou un autre prestataire qu'il s'est adjoint (le
transporteur par exemple). Le régime de l’article 51 qui ne nécessite pas de faute,
déroge aux principes moteurs de la responsabilité civile de droit commun prévus aux
articles 258 et 45 du CCC L III et instaure une responsabilité originale du
professionnel du fait personnel et du fait des tiers prestataires.
Les non commerçants (ou non professionnels) semblent ne pas être visés par
ce régime comme responsables. Mais les victimes ou les bénéficiaires visés peuvent
bien être des consommateurs ou non car la loi ne parle que de l’acheteur (art.51 al.2).
Aussi, la loi met en charge du « cybercommerçant » une obligation de résultat qui
semble être nouvelle dans le paysage juridique congolais. Affinant la démarche, on
peut se demander si ce régime ne crée pas une discrimination entre les commerçants
classiques (ou en présentiel) sur qui ne pèsent pas cette obligation de résultat et les
cybercommerçants visés par cette obligation.
282
L’article 56 qui a pour intitulé « La responsabilité contractuelle des parties » énonce que « Dès la
conclusion du contrat électronique, le fournisseur est tenu de transmettre au client une copie
électronique du dit contrat. Toute vente de produit ou prestation de service par voie électronique
donne lieu à l'établissement, par le fournisseur, d'une facture transmise au client. La facture doit
être établie conformément à la législation et à la réglementation en vigueur ». Nous réalisons que
« le contenu ou le libellé » de cet article est en rapport avec la forme et la preuve du contrat de
vente et non avec la responsabilité contractuelle des parties(comme indiqué au titre qui chapeaute
l’article). Donc un changement soit de l’intitulé ou soit du contenu de cet article s’impose pour
raison de cohérence du Chapitre II du Titre V III du Livre I du Code.
134
Tout compte fait, nous constatons que le nouveau Code congolais du
numérique, précisément à son Livre II, Titre V III contient des dispositions
novatrices, dont l’application effective peut significativement contribuer à la bonne
régulation du commerce électronique et à la protection de la partie faible dans le
contrat en ligne. Cependant, l’analyse critique des opportunités indique qu’un bon
nombre d’entre elles requièrent des mesures supplémentaires en termes de
clarification, d’adoption des textes ou outils d’application et de suivi en vue d’une
protection efficace des parties, et en particulier des cyberconsommateurs.
En bref, par une approche praxéo-herméneutique et comparative283, cette
réflexion est essentiellement orientée à faire une doctrine de législation284, pour
autant qu’elle cherche à analyser les dispositions régissant la thématique sous
examen dans la nouvelle ordonnance-loi, bien sûr, avec des commentaires pertinents.
Elle est donc focalisée dans sa première partie à l’analyse des conditions de
formation et d’exécution du contrat à la lumière du nouveau code du numérique (I).
Sa deuxième partie s’attèle à étudier les principes moteurs du nouveau régime de la
responsabilité contractuelle de plein droit du cyber vendeur (II).
I. Conclusion et execution du contrat du commerce électronique
Dans le nouveau code du numérique, la notion du contrat électronique a
comme cadre d’émergence le commerce électronique, c’est le premier point que nous
traitons de manière succincte (A). Ensuite, l’analyse des conditions de conclusion
(B) et d’exécution de ce contrat est faite (C).
A. Notions des commerce et contrat en ligne
1. Notion du commerce électronique et principes moteurs
Historiquement c’est au début des années 1990 que le « commerce
électronique », tant Business to Business (B2B) que Business to Consumer (B2C), a
fait son apparition sur la scène internationale. L’étape décisive de son développement
se situe évidemment en 1995, avec l’ouverture d’Internet à des utilisations
commerciales. Internet, devenu le réseau des réseaux, a ainsi volé la vedette aux
réseaux EDI (Echange de Données Informatisées) et au Minitel. Depuis, le
commerce électronique poursuit son évolution. Les processus de vente sur Internet
283
Dans le cadre de cette méthode comparative, le recours est généralement fait aux Droits français
et belge, et c’est pour plus d’une raison : il y a que le Droit civil écrit congolais procède en ligne
droite du Droit civil belge dont la jurisprudence et les principes généraux inspirent, à ce titre, les
juridictions congolaises. Les systèmes belge et français se trouvent à l’origine du Droit congolais
qu’ils influencent encore aujourd’hui. Toute recherche dans ce contexte prend forcément une
dimension comparatiste. D’ailleurs, plusieurs dispositions du Code congolais du numérique
analysées ici sont tirées (ou copiées textuellement) de la loi française n° 2004-575 du 21 juin 2004
pour la confiance dans l'économie numérique.
284
La doctrine de législation porte généralement sur des textes particulièrement récents, n’ayant pas
encore fait l’objet d’applications jurisprudentielles. Alors que la doctrine de jurisprudence
consiste à commenter une décision jurisprudentielle (v. A. BANZA ILUNGA, Manuel de
méthodologie de recherche juridique, Lubumbashi, 2023, p.37).
135
ont évolué et l’on trouve, aux côtés de la boutique en ligne, de véritables places de
marché électroniques où vendeurs et acheteurs peuvent entrer en relation, y compris
entre particuliers (Consumer to Consumer ou C2C). On note également l’arrivée du
commerce mobile, avec la sophistication des appareils portables de toute sorte,
connectés au réseau sans fil à haut débit285. Plus généralement, le phénomène actuel
de convergence des médias et des télécommunications devrait encore générer de
nouvelles mutations dans le commerce électronique.
Dans cette perspective, l’article 2 point 15 du Code du numérique définit le
commerce électronique comme « une activité commerciale par laquelle une personne
propose ou assure par voie électronique au via un système informatique, moyennant
paiement d'un prix, la fourniture de biens ou de services 286287». La personne qui
propose la fourniture de biens ou de services, exerce une activité commerciale et
devra être considérée comme un professionnel, mieux un commerçant.
Le cybercommerçant est donc un commerçant (personne physique ou
entreprise) qui exerce ses activités sur Internet, lequel est un espace virtuel. Il est
dans le cyberespace et devient de ce fait, une personne virtuelle à cause de la
dématérialisation. Il se distingue du commerçant traditionnel par la dématérialisation
de ses activités qui implique ubiquité et dépersonnalisation288. Et pour montrer que
les activités du commerce en ligne ont pris de plus en plus de l’ampleur en RD
Congo, nous pouvons citer plusieurs entreprises qui s’y adonnent, entre autres :
Zefonewold RDC, EIS Sarl (Elili Investments et services), Congo online Shop,
Helios Districts, Vraidjo, JB Trading, Wiikko, Jokissshop, Bertha Business, Intit le
roi, Vraicop, Congo Bon Marché, …
Il sied de noter que le Droit du commerce électronique tel qu’issu du Code
du numérique n’est pas un Droit de la consommation électronique. Il régit non
seulement les relations entre professionnels et consommateurs, mais également entre
professionnels ou entre particuliers.
285
M. DEMOULIN, Droit du commerce électronique et équivalents fonctionnels, Larcier, Bruxelles,
2014, p.25.
286
Cet article est presque le même que l’article 4 du Projet de loi sur les échanges et le commerce
électronique (LECE) en RDC, qui définissait le commerce électronique comme l’« activité
commerciale par laquelle une personne effectue ou assure par voie électronique la fourniture de
biens ou de services ». Pour d’amples commentaires sur cet article, Voy. K. NDUKUMA
ADJAYI, Le Droit de l’économie numérique en République Démocratique du Congo à la lumière
des expériences européennes et Françaises, Thèse, Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017,
pp.435-439, NNT : 2017PA01D085ff. fftel-03402977.
287
En d’autres termes, c’est l’ensemble des échanges numérisés liés à des activités commerciales
entre entreprises, entre entreprises et particuliers, entre entreprises et administrations.
288
A.S. LAUBOUE, Le cybercommerçant, Thèse en Droit, Université de Bordeaux, 2015, p.21.
136
Ainsi, les dispositions ayant trait au commerce électronique sont prévues au
Titre V III du Livre II289 du nouveau Code du numérique. Ce Titre VIII portant sur le
commerce électronique a cinq chapitres. Le chapitre premier de ce Titre analyse les
principes du commerce électronique (art.48-52), le deuxième chapitre s’attèle à la
conclusion du contrat électronique (art.53-56) ; le troisième est relatif à l’exécution
de ce contrat (art.57-60) ; le chapitre quatrième traite du droit de rétractation du client
ou du non professionnel (art.61-65) et le chapitre cinquième traite de la publicité par
voie électronique (art.66-72).
Enfin, ce code a innové en instaurant trois principes moteurs pouvant régir
les échanges et les transactions électroniques (art.49) :
-
la liberté d'exercice du commerce électronique sur le territoire
congolais;
la responsabilité du professionnel ;
l’obligation d'information et de transparence incombant au
professionnel.
2. Notion du contrat électronique
De prime abord, le concept de contrat électronique ou contrat conclu par voie
électronique n’est pas défini dans l’ordonnance-loi portant Code du numérique.
L’article 2 de cette ordonnance-loi consacré aux définitions n’en a pas prévu une.
Mais nous pouvons dire que le contrat conclu par voie électronique est la convention
entre deux ou plusieurs personnes nécessitant l’utilisation de tout support
électronique pour transmettre des informations en rapport avec une offre de
contracter et l’acceptation de cette offre. Kodjo Ndukuma l’a défini comme un
contrat qui est conclu par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication290. En
dépit des efforts de distinction faites par les auteurs entre contrat hors ligne et contrat
en ligne, la « voie électronique » demeure l’aspect technique certes ambigu mais
déterminant pour parler du contrat électronique. Les problèmes juridiques relatifs
aux transactions électroniques sont liés à l’immatérialité des contrats passés par le
biais des réseaux, à la fugacité des messages échangés, à l’éloignement, voire à
l’identification des parties.
On devra préciser que l’expression « contrat électronique », désigne, non pas
un nouveau type de « contrat spécial », ayant une nature juridique propre, mais un
contrat dont le processus de conclusion est soumis à un régime juridique résolument
original. La qualification ne change pas en raison du mode particulier de conclusion
289
290
Le Livre I du Code est consacré aux activités et services numériques. Et le service ou activité
numérique : c’est la prestation proposée et/ou fournie au moyen d'un système informatique ou
d’un réseau de communication électronique en vue notamment de créer, de traiter, de stocker ou
de diffuser les données (art. 2 point 72).
K. NDUKUMA ADJAYI, Cyberdroit, télécoms, internet, contrats de e-commerce : Une
contribution au Droit congolais, P.U.C., Kinshasa, 2009, p.24.
137
du contrat. Ainsi, une vente reste une vente, qu’elle soit conclue par voie orale ou
par écrit entre personnes présentes, ou par échange de lettres missives, ou encore par
l’une ou l’autre voie électronique (sur le web, par échange d’e-mails ou par des
agents électroniques). Dès l’instant où le contrat est, par essence, translatif de
propriété, l’on a affaire à une vente, quel que soit le canal emprunté par les volontés
pour communiquer et s’accorder.
L’expression « contrat du commerce électronique » est voulue ici dans la
mesure où le commerce électronique reste le cadre général d’émergence des contrats
électroniques. Le législateur analyse lui-même ce type de contrat au Titre VIII ayant
trait au commerce électronique.
Précisons enfin que conformément à l’article 1er du Code du numérique, le
champ d’application des règles des commerce et contrat électroniques qui sont
analysées ici est le territoire de la RD Congo. Autrement, on s’arrêtera aux
transactions électroniques conclues en RD Congo, pourtant, on assiste aussi à une
internationalisation des contrats en raison du grand nombre de sites de commerce en
ligne situé hors du territoire congolais291, avec les problématiques de Droit
international privé que cela suscite292.
B.Conclusion du contrat électronique
1. Esquisse sur les conditions de formation en général
De manière générale, le contrat par voie électronique pose un certain nombre
de problèmes juridiques particuliers auxquels contribuent la rapidité, l’interaction
simultanée, l’ouverture et la globalité, l’anonymat caractéristique de l’Internet. Ces
caractéristiques influent sur l’appréhension des modalités de formation du contrat en
même temps qu’ils accentuent le risque de contracter. L’identification des parties à
la communication électronique, l’intégrité des messages échangés par voie
électronique, la preuve de la naissance des liens de droit sur le media informatique
sont autant des questions qui se posent avec acuité en matière de formation du contrat
électronique.
Par exemple : Est-ce qu’un acheteur congolais peut-t-il sérieusement assigner Amazon Aux Etats
Unis, en appliquant la loi américaine, si le livre qu’il a commandé n’a pas été livré ou si sa carte
de crédit a été débitée d’un montant inexact ? Sachant qu’il lui en coûtera environ 1000 fois le
prix du livre, on peut douter qu’il se lance dans l’aventure. Et c’est bien là le problème, en cas de
litige, bien souvent le consommateur ne pourra raisonnablement réagir.
292
Les transactions transfrontalières entre parties, en particulier quand elles sont menées par voie
électronique sont soumises au cadre existant, en matière de droit applicable et de compétence
juridictionnelle régi par le Droit international privé. Le Droit international privé a donc le mérite
de prévoir des solutions dans lesquelles figure un élément d’extranéité, solutions qui ont vocation
à s’appliquer aux contrats conclus sur internet. Le commerce électronique et la dématérialisation
des échanges qu’il suppose, remettent en cause ces frontières géographiques et juridiques et posent
des défis au cadre juridique existant, rendant ce dernier inadapté pour assurer une protection
efficace et transparente de la partie faible (le consommateur).
291
138
La théorie classique relative à la formation des contrats s’intéresse à des
questions aussi diverses que la licéité de l’objet et de la cause des engagements pris,
la capacité de contracter et la nécessité d’un consentement libre et éclairé de la partie
qui s’oblige. Telles sont, comme on sait, les quatre conditions essentielles de la
validité des contrats en Droit congolais293. Ces conditions demeurent d’application
dans le cadre de la formation des contrats par voie électronique.
Mais, les conditions d’objet et de cause n’appellent pas généralement de
développements particuliers. Tous les contrats doivent satisfaire, de la même
manière, aux exigences relatives à ces notions, qu’ils soient conclus entre personnes
physiquement présentes, par échange de correspondance, par téléphone ou… par le
biais d’un réseau numérique. « D’une forme de communication à l’autre, seules
changent les modalités de conclusion, et l’on ne voit pas en quoi la substance des
règles concernant l’objet ou la cause devrait en être affectée »294. Le droit commun
issu du CCC L III s’applique et il suffit de se reporter aux études qui y sont
consacrées.295
La question de la capacité des parties mériterait une grande attention, mais
cette matière relève traditionnellement du Droit civil des personnes, conformément
au plan du Code de la famille296. A la faveur de la distance et d’une technologie
faisant écran entre parties non présentes, il n’est pas exclu que des incapables
(mineurs, prodigues, faibles d’esprit, affaiblis par l’âge, …) tentent de conclure un
contrat. Pour des raisons évidentes, ce danger est faible en matière de contrats
conclus par échange de lettres missives ou par téléphone. Par contre, le risque est
bien réel dans les réseaux ouverts, tel l’Internet, qui permettent à des usagers d’entrer
en relation sans se connaître au préalable. L’on peut redouter, en particulier, la
conclusion de contrats à l’initiative d'un mineur, sans le consentement de ses parents.
Dès lors que le contrat est un accord de volontés, le consentement apparaît,
lui, comme la pierre d’angle de sa formation. Ainsi, cette condition mérite la plus
grande attention parce qu’il s’agit d’apprécier des consentements échangés en ligne.
Et même le législateur au chapitre de la conclusion du contrat sous forme
électronique (art. 53 à 56 du Code du numérique) ne fait allusion qu’aux éléments
293
Art. 8 du Code Civil Congolais Livre III, CCC L III (Décret du 30 juillet 1888).
M. DEMOULIN et É. MONTERO, « La conclusion des contrats par voie électronique », in M.
FONTAINE (dir.), Le processus de formation du contrat. Contributions comparatives et
interdisciplinaires à l’harmonisation du Droit européen Bruylant, L.G.D.J., Bruxelles, Paris,
2002, p.538.
295
Voy. KALONGO MBIKAYI, Droit civil, T.1, Les obligations, éd. UA, Kinshasa, 2012, p.102 et
s. ; L. KYABOBA KASOBWA, Droit civil, les obligations, Cours, Université de Lubumbashi,
2018, p.41 et s.
296
Voy. les articles 211 et suivants ; MWANZO IDIN’ AMINYE, Que dit le Code de la famille de la
République Démocratique du Congo ? : Commentaire article par article, L’Harmattan, Paris,
2019, p. 177 et s.
294
139
lieu au consentement (l’offre et l’acceptation) et à la preuve du contrat. Mais cela ne
fait pas dire qu’il ne reconnaît pas les autres conditions de formation du contrat.
2. Protection du consentement dans le Code du numérique
a. Instauration de l’obligation préalable d’information du client
Les articles 52 et 53 obligent le professionnel (cybercommerçant) à fournir
au client (non professionnel ou consommateur), préalablement à la conclusion du
contrat, une impressionnante série de renseignements, qu’il est néanmoins possible
de répertorier en trois principales catégories. La première catégorie permet
l’identification du cybercommerçant ; la deuxième englobe les renseignements
relatifs à l’objet ou contenu du contrat et les étapes de formation ; la troisième, enfin,
concerne les modalités d’exécution de l’obligation contractuelle. On peut résumer
ces catégories dans les points suivants :
- Une identification transparente et un accès facile du professionnel (art.52) ou
première catégorie de renseignements : Sans préjudice des autres obligations
prévus par les textes législatifs et règlementaires en vigueur, toute personne qui
réalise une activité commerciale en ligne ou un échange électronique est tenue
d'assurer aux clients auxquels est destinée la fourniture des biens et la prestation
des services un accès facile, direct, permanent, tout en utilisant un standard ouvert
aux informations suivantes : 1° prénom, nom et post-nom, s'il s'agit d'une
personne physique ; 2° dénomination sociale, s'il s'agit d'une personne morale ;
3° adresse complète de la résidence ou du siège social, son adresse de courrier
électronique ainsi que le numéro de téléphone ; 4° si elle est assujettie aux
formalités d’inscription au registre du commerce, le numéro de son inscription au
Registre de Commerce et de crédit Mobilier, sa forme juridique, le numéro
d'identification national, le numéro d'identifiant fiscal, le capital social et l'adresse
de son siège social ; 5° si son activité est soumise à un régime quelconque
d'autorisation préalable, l'adresse et la fonction de l'autorité ayant délivré celleci ; 6° si elle est membre d'une profession réglementée, la· référence aux règles
professionnelles applicables, le titre professionnel, l'état dans lequel ce titre a été
octroyé ainsi que la dénomination de l'ordre ou de l'organisme professionnel
auprès duquel elle est inscrite ; 7° le code de conduite auquel elle est
éventuellement soumise ainsi que les informations relatives à la façon dont ces
codes et informations peuvent être consultés par voie électronique.
En outre, toute personne intervenant dans le commerce électronique mentionne
les prix de son offre de manière claire et signale si les taxes et frais de livraison,
notamment, y sont inclus.
- Une offre claire, compréhensible et non équivoque (deuxième et troisième
catégorie de renseignements) : L’article 53 énumère 20 mentions substantielles
de l’offre qui est faite par le cybercommerçant. Ces informations ou ces mentions
140
visent à permettre au client de faire sa commande en âme et conscience297.
L’article 54 in fine est plus explicite à ce sujet quant il précise que « les
informations contenues dans l'offre sont fournies avant que le client du service ou
du bien passe commande. La commande par voie électronique est faite de manière
claire, compréhensible et non équivoque ». Et l’article 279 du CCCL III, selon
lequel « le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’engage, tout pacte
obscur s’interprète contre le vendeur », est aussi d’application en cette matière.
Ces informations substantielles à communiquer au client de manière lisible et
compréhensible sont les suivantes: 1°les caractéristiques essentielles du bien ou
du service; 2° les différentes étapes à suivre pour conclure le contrat par voie
électronique; 3° les moyens techniques permettant à l’utilisateur, avant la
conclusion du contrat, d’identifier les erreurs et de les corriger;4° la durée de
l’offre du produit ou du service; 5° le prix du bien ou du service offert; 6° les
modalités et délais de paiement; 7° les modalités et délais de livraison du bien ou
de la fourniture de services; 8° la ou les langue(s) proposée(s) pour la conclusion
du contrat; 9°en cas d’archivage du contrat, les modalités de cet archivage par
l’auteur de l’offre et les conditions d’accès au contrat archivé; 10° les dispositions
relatives à la protection des données à caractère personnel; 11° les conséquences
de l’absence de confirmation des informations communiquées par le client; 12°
les conséquences d’une inexécution ou d’une mauvaise exécution des obligations
du fournisseur; 13° le numéro de téléphone, ainsi que l’adresse électronique du
fournisseur en vue d’éventuelles réclamations; 14° les modalités prévues par le
fournisseur pour le traitement des réclamations; 15° le cas échéant, les
informations relatives aux procédures extrajudiciaires de réclamation et de
recours auxquelles le fournisseur est soumis, et les conditions d’accès à celles-ci;
16° l’existence ou l’absence d’un droit de rétractation et ses conditions d’exercice;
17° le cas échéant, les modalités de retour, d’échange et de remboursement des
biens; 18° le cas échéant, les informations relatives à l’assistance après-vente, le
service après-vente et les conditions y afférentes; 19° le cas échéant, les
informations relatives à la nature et l’étendue des garanties commerciales; et 20°
les informations relatives aux garanties légales de conformité, garanties légales
des vices cachés et garanties légales d’éviction.
- L’obligation d’information ultérieure (après la conclusion du contrat) n’est
pas prévue par le Code congolais du numérique, pourtant elle joue un rôle de
protection de la partie faible dans les systèmes juridiques qui la prévoient. Par
exemple, selon l’article L.221-13 du Code français de la consommation, « après
la conclusion du contrat et au plus tard au moment de la livraison du bien ou avant
le début de l’exécution du service, le professionnel fournit au consommateur, sur
support durable, la confirmation du contrat ». Cette information ultérieure n’a pas
ici pour mission d’éclairer le consentement du consommateur, pour la simple et
297
Voy. S. KABLAN et A. OULAÏ, « La formalisation du devoir d’information dans les contrats de
cyberconsommation : analyse de la solution québécoise », in McGill Law Journal / Revue de droit
de McGill, 54(4), 627–668. https://doi.org/10.7202/039647ar (consulté le 15/11/2023).
141
bonne raison que celui-ci a déjà été donné ! Il s’agit pourtant toujours de
protection, mais celle du contractant, plus que de sa volonté. Cette information
doit permettre au consommateur d’exercer correctement, et concrètement, les
droits qui découlent du contrat qu’il a conclu. En quelque sorte, l’information
précontractuelle permet la correcte formation du contrat (le consommateur est
engagé en connaissance de cause), alors que l’information ultérieure permet de
rendre l’exécution des droits et obligations qui découlent de la convention
effective : en d’autres termes, elle est relative au régime juridique du contrat ainsi
conclu298.
En lieu et place de cette obligation d’information ultérieure, l’article 56 du code
du numérique fait juste allusion à la copie électronique du contrat et à la facture
qui doivent être remises à l’acheteur.
b. L’acception du client faite dans des conditions renforcées
« Le client accepte l'offre, après avoir eu, au préalable, la possibilité de
vérifier et de réagir aux détails de sa commande. La commande, la confirmation de
l'acceptation de l'offre et l'accusé de réception sont considérées comme reçus lorsque
les parties y ont accès par voie électronique » (art.55). C’est en fait, la règle dite du
« double-clic 299» qui ressort de cet article 55 (copie de l’article 1127-2 du Code civil
français300) : le bénéficiaire de l’offre devant en effet accepter l’offre, puis confirmer
cet accord après avoir vérifié le détail de sa commande. En plus, le pollicitant doit
avertir l'acceptant de ce qu'il a reçu son acceptation, c’est le bien fondé de l’exigence
de l’accusé de réception par le professionnel. Le législateur espère que seront ainsi
évitées ou corrigées les erreurs de manipulation301. Le contrat n'est donc formé que
par la validation, après vérification, de l'acceptation émise. Il a ainsi été jugé que le
clic de fin de commande manifeste l'acceptation du contrat et des conditions
générales de vente302.
298
J. JEROME, Droit de la consommation, L.G.D.J., Paris, 2019, p.127, n°157.
Même s’il ne s’agit plus, en fait, de double-cliquer, mais bien de confirmer, par une réitération, sa
volonté. V. Fr. TERRE et al., Droit civil des obligations, 12e éd, Dalloz, Paris, 2019, p.260.
300
Art. 1127-2 du Code civil français, « Le contrat n'est valablement conclu que si le destinataire de
l'offre a eu la possibilité de vérifier le détail de sa commande et son prix total et de corriger
d'éventuelles erreurs avant de confirmer celle-ci pour exprimer son acceptation définitive. L'auteur
de l'offre doit accuser réception sans délai injustifié, par voie électronique, de la commande qui
lui a été adressée. La commande, la confirmation de l'acceptation de l'offre et l'accusé de réception
sont considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir
accès » (Code civil français, Institut français d’information juridique, édition du 26 mai 2020, in
https://www.droit.org(20/11/2023).
301
Ph. MALAURIE, L. AYNÈS et Ph. STOFFEL-MUNCK, Droit des obligations, LGDJ, Paris,
2016, p.262, n°482.
302
Paris, 25 nov. 2010, n°08-22287, Sa Karavel c/ M et Mme C, CCE 2011, comm. n°56, note A.
Debet.
299
142
Quant au moment précis de la formation du contrat, ce n’est plus le système
de l’émission mais celui de la réception ou de l’information qui est consacré303. Et
on sait qu’en cette matière, d’une part, les professionnels sont de toute façon obligés
de maintenir leurs offres pendant le temps indiqué ou à défaut pendant un délai
raisonnable304 ; et d’autre part, les acheteurs bénéficient d’un droit de rétractation.
c. Instauration du droit de rétractation du client
Le droit de rétractation est la pièce maitresse de la règlementation des contrats
à distance : le client, consommateur surtout, peut, pendant un certain délai après
avoir signé, renoncer à contracter. Ce droit de se dédire ou de changer d’avis du client
court 72 heures soit 3 jours avant l’expédition du bien ou service par le professionnel.
A ce sujet, l’article 62 du Code mentionne que « Nonobstant l'accord entre les
parties, avant le jour de l'expédition prévu dans le contrat, le client dispose d'un délai
de soixante-douze (72) heures pour exercer son droit de rétractation. Ce droit s'exerce
par le client, sans justifications et sans frais, autres que les éventuels coûts directs de
renvoi du bien au professionnel, le cas échéant (…)305 ». Dans le cas où le
professionnel manque à son obligation d'information préalable, le délai de
rétractation est porté à quinze (15) jours.
Quant à la procédure, le client qui veut exercer ce droit notifie au
professionnel sa décision, par courrier électronique, dans le délai de soixante-douze
(72) heures prévues ci-dessus.
Quant aux effets, la rétractation anéantit rétroactivement le contrat
électronique, ainsi que tout contrat accessoire. Elle met fin aux obligations des
parties. Si le contrat a déjà été exécuté, la rétractation oblige les parties à des
restitutions réciproques, de façon que tout soit remis en l’état antérieur à la
conclusion du contrat (voir les art. 63 et 64 al.2).
Dans l’opinion dominante, il s’agit là d’une dérogation à la force obligatoire
des contrats. Mais nous pensons qu’elle ne porte pas atteinte au principe de
Selon ce système, la formation du contrat a lieu au moment où l’offrant a personnellement
connaissance du contenu de l’acceptation, en lisant par exemple le courrier électronique dans
lequel l’acceptant marque son accord. Voy. KUMBA SHINDANO, « Règlementation du contrat
électronique : quelques orientations de la réforme du Droit contractuel congolais », in M-T.
KENGE NGOMBA TSHILOMBAYI, La réforme du Droit des obligations en RD Congo,
Mélanges à la mémoire du Doyen Bonaventure Olivier KALONGO MBIKAYI, L’Harmattan, Paris,
2020, p.240-242.
304
J. CALAIS-AULOY, H. TEMPLE et M. DEPINCE, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz,
Paris, 2020, p.605.
305
Et l’article 63 dispose qu’« en cas d'exercice du droit de rétractation, le professionnel est tenu de
rembourser toute somme reçue du client en paiement de sa commande ou liée à celle-ci. Ce
remboursement intervient dans un délai maximum de soixante-douze (72) heures, à compter de la
date de réception par la notification de la rétractation. En cas de non remboursement dans le délai
prévu à l’‘alinéa précédent, les sommes dues au client sont, de plein droit, majorées au taux
d’intérêt légal, à compter du lendemain de l'expiration du délai ».
303
143
l’obligatoriété des contrats, elle se situe encore pendant la période de formation du
contrat électronique.
3. Modalités pratiques et techniques de conclusion par voie
électronique
Les modes pratiques de contracter par voie électronique (ou modalités
d’échanges de consentements sur Internet306) sont divers.
D’abord, le contrat peut se former par un échange de courriers électroniques
entre les parties. Pratiquement, l’offrant expédiera par e-mail un fichier attaché
contenant le contrat et invitera son client à le lui retourner muni de sa signature
électronique. A l’évidence, ce mode de communication permet également une forme
de négociation entre parties (offre, contre-offre…). Ce modus operandi est à
rapprocher de la figure des contrats conclus par échange de lettres missives. Dans les
deux cas, rien n’empêche le client de prendre le temps de la réflexion avant de
s’engager juridiquement. L’échange de courriers électroniques comme mode de
contracter n’est pas très éloigné d’autres communications individuelles, tel le chat, à
la différence qu’en ce dernier cas, les utilisateurs engagent une discussion en direct,
par écran interposé. Au titre des modes de communication individuelle, on ajoutera
la vidéo-conférence et la téléphonie vocale sur le net.
Ensuite, le contrat peut être conclu sur le web : l’offre prend ici la forme d’un
catalogue interactif que l’internaute consulte directement à l’écran. Pour passer le
contrat, il est invité à compléter un formulaire (ou bon de commande) électronique
et à payer, soit en transmettant son numéro de carte de crédit, soit en remplissant un
bulletin de virement électronique, le tout étant ainsi effectué en ligne. Ici aussi, le
temps se comprime en manière telle que des achats peu réfléchis ne sont pas à exclure
a priori307. Effectivement, les différentes phases de la démarche contractuelle
(publicité, offre, acceptation, payement, voire livraison) s’enchaînent rapidement, au
rythme des « clics » successifs commandés par la souris de l’internaute.
Enfin, les contrats peuvent être conclus moyennant une communication
directe entre les applications des correspondants, sans intervention humaine (ou
contrats entre « absents » ou entre « non présents »). L’automatisation complète qui
suppose l’adoption d’une syntaxe commune, est la caractéristique la plus
remarquable de l’échange de données informatisées (EDI). Les systèmes
informatiques assurent, de façon autonome, toutes les étapes du processus
contractuel : la création, l’autorisation, l’envoi et l’interprétation des messages de
commande et d’acceptation. Si ce type d’échange peut se réaliser dans des formes et
selon des modalités les plus variées, une notion relativement précise de l’EDI s’est
imposée au fil du temps. Celui-ci consiste en « un échange automatisé de messages
306
307
K. NDUKUMA ADJAYI, Cyberdroit, op. cit., p.194.
M. DEMOULIN et É. MONTERO, art. cit., p.539.
144
normalisés et agréés entre applications informatiques, à l’aide d’un moyen
téléinformatique 308».
Mais on note que le Code du numérique congolais n’est pas du tout clair en
ce qui concerne ces modalités pratiques de conclusion par voie électronique. Et
même si on s’en tient à ce qui est dit à l’article 53, alinéa 3, point 2° à savoir, « le
professionnel doit fournir les différentes étapes à suivre pour conclure le contrat par
voie électronique ». Mais, ces étapes s’appliquent à quel mode de conclusion en
ligne ? par web ou par courrier électronique ? On voit qu’il y a nécessité de compléter
cet article ou prendre des mesures d’application claires quant à ce (des arrêtés, par
exemple).
4. Conditions de forme et de preuve du contrat électronique
Le code exige à l’article 56309 qu’il y ait une copie du contrat pour le
fournisseur et une autre copie pour le client. Il est en de même de la facture qui devra
être établie en cas de vente électronique. La copie du contrat et la facture sont exigées
pour raison de preuve. Et « les formes exigées aux fins de preuve ou d'opposabilité
sont sans effet sur la validité des contrats310».
En matière de preuve, la question est aujourd’hui réglée par l’article 95 du
code du numérique qui assimile « l’écrit sous forme électronique » à « l’écrit sur
support papier »311. En outre, quand l’écrit est exigé ad validitatem, il peut être établi
et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 96 et 97
du même code.
Mais, ce qui est curieux est de voir que l’article 56 susvisé qui a trait aux
éléments de forme et de preuve du contrat électronique ait dans l’ordonnance-loi,
pour titre « la responsabilité contractuelle des parties ». Il ne fallait pas un tel intitulé
à la Section 3e du chapitre II en rapport avec la conclusion du contrat sous forme
électronique, car il ne s’agit pas là d’éléments liés à la responsabilité. C’est une erreur
ou incurie légistique qu’il faudrait corriger prochainement.
308
L. ELIAS et G. KUO WANG, « Le droit des obligations face aux échanges de données
informatisées », in Cahiers du C.R.I.D., n° 8, Bruxelles, E. Story-Scientia, 1992, p. 3.
309
Art. 56 du Code du numérique : « -Dès la conclusion du contrat électronique, le fournisseur est
tenu de transmettre au client une copie électronique dudit contrat. Toute vente de produit ou
prestation de service par voie électronique donne lieu à l'établissement, par le fournisseur, d'une
facture transmise au client. La facture doit être établie conformément à la législation et à la
réglementation en vigueur ».
310
Voy. art. 1173 du Code civil français.
311
Art.95 du Code du numérique : « L'écrit électronique est admis comme preuve au même titre que
l'original de l'écrit sur papier et a la mêrne force probante que celui-ci, sous réserve que puisse
être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions
de nature à en garantir l'intégrité conformément à la législation relative à la conservation des
archives ». Cet article est presque la copie conforme de l’article 1366 du Code civil français.
145
C. Exécution des obligations issues du contrat électronique
Les parties au contrat électronique sont tenues d’exécuter leurs obligations
de bonne foi. Ce principe général de l’article 33 alinéa 3 du CCC L III s’applique
aussi dans ce type de contrat. La bonne foi c’est le comportement loyal que requiert
l’exécution d’une obligation ; l’attitude d’intégrité et d’honnêteté ; l’esprit de
droiture qui vaut un bienfait à celui qu’il anime312. Il existe, autrement dit, entre les
contractants un devoir de loyauté s'imposant au débiteur mais aussi au créancier,
allant jusqu'à une véritable collaboration ou coopération pour parvenir au but
poursuivi par eux.
1. Obligations de l’acheteur (ou client)
Sauf dispositions contraires prévues dans le contrat électronique, le client est
tenu de payer le prix convenu dès sa conclusion (art.57 du Code du numérique). Il
s’agit du prix du bien ou du service. Les modalités et délais de paiement sont ceux
précisés par le cybercommerçant conformément à l’article 53 alinéa 3 point 8 du
même code.
Dans la pratique, le paiement est sécurisé et doit se faire soit par chèque bancaire ou
par carte bancaire. Si la carte a été utilisée à distance et frauduleusement les sommes
débitées à la suite de cette utilisation devront être restituées au titulaire de la carte.
En outre, l’acheteur a une obligation de réception de bien ou de prise de la livraison
(la poste ne stocke pas les produits achetés313), s’il ne le fait pas, le cybercommerçant
n’est pas tenu responsable de la « non » livraison. Il doit donc accuser réception de
la livraison du bien ou de la fourniture du service. Il devra payer aussi les frais de
livraison.
2. Obligations du cybercommerçant (ou professionnel)
a. Livraison du produit conforme ou fourniture du service convenu
dans le délai
L’ordonnance-loi impose au cybercommerçant l'obligation de l'exécution de la
commande dans un délai de 30 jours à compter du jour où la commande a été
transmise par l’acheteur (art.59 al.1).
Il est tenu d’exécuter son obligation de livraison dans ce délai légal et c’est
moyennant accusé de réception. Parallèlement à cette obligation de livraison, le
cybermarchand est tenu de respecter la nouvelle obligation légale de conformité du
312
R.O DALCQ, « Quelques réflexions à propos de la rédaction des articles 1101 à 1167 du Code
civil », in Mélanges offertes à Marcel Fontaine, Larcier, Bruxelles, 2003, p.123.
313
E. MBOKOLO ELIMA et al., « Les problèmes liés au contrat électronique en Droit congolais »,
in International Journal of Innovation and Scientific Research, Vol. 48 No. 2, Mai. 2020, pp. 204215, in http://www.ijisr.issr-journals.org/ (12/11/2023).
146
produit à la commande et la garantie des vices cachés prévus aux articles 318 à 326
du CCC L III314.
En cas de non-respect par le fournisseur des délais de livraison, ou lorsque les
conditions de l'offre ne sont pas remplies, le client peut réexpédier le produit dans un
délai n'excédant pas quatre (04) jours ouvrables à compter de la date de la livraison
effectuée du produit et ce, sans préjudice de son droit de réclamer la réparation du
préjudice causé. Dans ce cas, le fournisseur doit restituer au ·client le montant payé
et les dépenses afférentes au retour du produit dans un délai de quinze (15) jours à
compter de la date de réception du produit (art.58 al. 3).
b. Conséquences et obligations nées de la livraison d’un produit non
conforme et d’un produit défectueux (ou la violation de la garantie
légale de conformité)
L’article 59 précise qu’« en cas de livraison d'un article non conforme à la commande
ou dans le cas d'un produit défectueux, le fournisseur reprend sa marchandise.
Lorsque le produit défectueux constitue une menace à la santé publique, à la sécurité
ou à l'environnement, celui-ci est constaté et détruit par les services compétents
conformément à la législation en vigueur. Le client réexpédie la marchandise dans
son emballage d'origine dans un délai maximal de sept (07) jours augmentés de délai
de distance conformément à la législation en vigueur à compter de la date de livraison
effective en indiquant le motif de refus, les frais étant à la charge du fournisseur.
A défaut pour le client de réexpédier la marchandise dans le délai prévu à l'alinéa
précédent, la marchandise est réputée être acceptée.
Le fournisseur est tenu de faire soit :
1. une nouvelle livraison conforme à la commande ;
2. une réparation du produit défectueux,
3. un échange de produit par un autre identique ;
4. une annulation de la commande et un remboursement des sommes versées
et ce, sans préjudice de la possibilité de demande de réparation par le client,
en cas de dommage subi.
Le remboursement doit intervenir dans un délai de quinze (15) jours à compter de la
date de réception du produit ».
En premier lieu, il ressort des dispositions des articles 58 et 59 que sans définir
les concepts comme « article non conforme ou obligation générale de
314
A. BANZA ILUNGA, Manuel des contrats d’adhésion et protection des consommateurs,
Lubumbashi, 2023, p. 151-157.
147
conformité315 » ou circonscrire « les critères légaux de la conformité du bien316 »,
le législateur congolais fait de la délivrance d’une chose conforme, la seule
obligation principale du vendeur en ligne, l’élément déterminant étant désormais
l’existence d’un « défaut de conformité à la commande ou l’offre ». Ce dispositif,
proche du régime belge de la garantie de conformité des biens de
consommation317, a, par ailleurs, uniformisé les recours ouverts aux clients
cyberconsommateurs, lesquels sont désormais indépendants au caractère
apparent ou caché du vice de la chose et de la bonne ou mauvaise foi du vendeur,
tout en les hiérarchisant de façon partiellement contraignante, avec une
prévalence accordée à l’exécution en nature ( voir les obligations imposées au
fournisseur aux points 1, 2, 3, 4 de l’art. 59 al.4).
Pour l’obligation générale de conformité en Droit Français, voy. – L’article L. 212-1 du Code de
la consommation forme à lui seul un chapitre consacré à l’obligation générale de conformité. Sa
substance est résumée dans son premier alinéa : « Dès la première mise sur le marché, les produits
doivent répondre aux prescriptions en vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes,
à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs ». Le texte est,
pour une fois dans le code, peu détaillé, alors qu’il renvoie à une réalité très complexe (J.
JEROME, op. cit., p.294).
En Droit congolais, on peut se référer, pour cette obligation générale de conformité, à l’alinéa 2 de
l’article 50 du Code du numérique, selon lequel « Le commerce électronique s’exerce librement
sur tout le territoire de la RD Congo, sous réserve des lois et règlements en vigueur. Les atteintes,
notamment à l'ordre et à la sécurité publics, à la protection des mineurs, à la protection de la santé
publique, aux bonnes mœurs, à la défense nationale, à la protection des personnes ou de
l'environnement, constatées dans l'exercice ou à l’occasion de l'exercice du commerce
électronique donnent lieu à des mesures de· restriction et sont sanctionnées conformément à la
présente ordonnance-loi ou aux dispositions légales et réglementaires en vigueur (…) ». L’article
59 al.2 (cité ci-haut) en rapport avec le produit défectueux est aussi pertinent en la matière.
316
En Droit belge, par exemple, les critères légaux de la conformité sont bien déterminés (ils sont au
nombre de 4). Ainsi, en vertu de l’article 1649ter du Code civil belge, le bien de consommation
délivré par le vendeur au consommateur n’est réputé conforme au contrat que si :
1° il comprend la description donnée par le vendeur et possède les qualités du bien que ce dernier a
présenté sous forme d’échantillon ou modèle au consommateur ;
2° il est propre à tout usage spécial recherché par le consommateur, sous la double condition que cet
usage ait été porté à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat et que ce
dernier l’ait accepté ;
3° le bien est propre aux usagers auxquels servent habituellement les biens du même type ;
4° Le bien présente la qualité et les prestations habituelles d’un bien de même type auxquelles le
consommateur peut raisonnablement s’attendre.
317
Ce régime émane de la loi du 1er septembre 2004 relative à la protection des consommateurs en
cas de vente de biens de consommation (M.B., 21 Sept. 2004). Cette loi régit plus particulièrement
les droits contractuels dont dispose l’acheteur-consommateur à l’encontre de son cocontractant
direct, le vendeur professionnel, en cas de non-conformité du bien livré au contrat, contribuant, à
une échelle plus large, à améliorer la qualité des produits mis en circulation sur le marché. Voy.
C. DELFORGE et Y. NINANE, « La garantie de conformité des biens de consommation.
Chronique de jurisprudence (2005-2015) », in Théorie générale des obligations et contrats
spéciaux, op. cit., p.334 ; S.STIJNS et I. SAMOY, « Le nouveau Droit de la vente : la transposition
en Droit belge de la directive européenne sur la vente des biens de consommation », in R.G.D.C.,
2003, p.9.
315
148
Quant à l’articulation de ce régime issu des articles 58 et 59 du Code du numérique
avec le Droit commun des obligations et de la vente (art. 318-326 du CCCL III), bien
que le législateur en soit resté muet, il y a lieu de tirer de conclusion en rapport avec
l’exclusivité de ce régime spécial ou de sa complémentarité dans certaines
hypothèses avec le régime du droit commun relatif aux vices cachés.
Quant à la preuve, c’est sur le client que repose la charge de la preuve de la nonconformité du bien, une telle preuve peut être rapportée par toutes voies de Droit.
Mais, le client peut être buté à de sérieuses difficultés de preuve comme la loi n’a
pas prévu des critères généraux de conformité du bien au contrat, même si le recours
expertal s’avère aussi pertinent.
En deuxième lieu, le législateur fait allusion à l’expression « produit
défectueux », à l’article 59, sans la définir au préalable. Pourtant, la notion est
bien cernée en Droit comparé et c’est depuis longtemps. Ainsi, l’article 5 de la
loi belge du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits
défectueux 318 précise qu’« un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la
sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les
circonstances et notamment : a) de la présentation du produit ; b) de l’usage
normal ou raisonnablement prévisible du produit ; c) du moment auquel le
produit a été mis en circulation ».
Il ressort de cette disposition que le défaut est donc déterminé en considération de ce
que le consommateur était en droit d’attendre par rapport à la sécurité du produit. Il
est dès lors nécessaire de prendre en compte les informations préalablement fournies
par le producteur (dans la notice d’utilisation ou sous toute autre forme) afin de
pouvoir définir ce que l’utilisateur pouvait escompter. Il apparaît également qu’il
appartient au producteur de prévoir certains usages anormaux de son produit, si du
moins ceux-ci sont raisonnablement prévisibles.
De même, un produit ne pourra pas être considéré comme défectueux s’il ne répond
pas à des normes de sécurité établies après sa mise en circulation 319. L’existence du
318
319
La responsabilité du fait des produits, a fait l’objet de la Directive du Conseil des communautés
européennes n° 85-374 du 25 juillet 1985, dont la substance a été transposée en Droit belge par la
loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (M.B., 22 mars
1991) telle que modifiée par la loi du 12 décembre 2000, M.B., 19 déc. 2000 et en Droit français
par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, J.O. RF.,
n°117, 21 mai 1998 (actuels art. 1245 à 1245-17 C. civ. fr.). L’idée générale est que celui qui
achète un produit commercialisé a droit à une certaine sécurité ; à défaut, il doit être facilement
indemnisé.
P. VAN OMMESLAGHE, Traité de Droit civil Belge, t. II, Les obligations, Vol.2, sources des
obligations (deuxième partie), Bruylant, Bruxelles, 2013, p. 1498. Voy. aussi F.-X. TESTU et JH. MOIRTRY, « La responsabilité du fait des produits défectueux - Commentaire de la loi 98389 du 19 mai 1998 », in Dalloz Affaires, 1998, p.1 ; M. FALLON, « La loi du 25 fevrier 1991
relative à la responsabilité du fait des produits défectueux », J.T, 1991, p.465 ; L. KYABOBA
KASOBWA, La prévention des atteintes à la sécurité des consommateurs. Etude comparée des
Droits Congolais et belge et de l’Union européenne, PAF, Saarbrücken, 2013, p.78 ; A. BANZA
149
défaut relève du pouvoir d’appréciation du juge du fond, dans les limites de la
définition du concept320.
En bref, on note qu’il y a nécessité pour le législateur congolais de compléter
le régime de livraison des biens conformes à la commande en déterminant par
exemple les critères légaux de cette conformité à l’article 59. Il en est de même de la
précision de la notion de produit défectueux dans le contrat en ligne. Le présent
article devrait donc être compléter par d’autres dispositions claires.
c. De l'obligation de conserver les registres des transactions
Il ressort de l’article 60 du Code du numérique que « le fournisseur opérant
sur le territoire national est tenu de conserver les registres des transactions
commerciales réalisées ainsi que leurs dates, et de les transmettre par voie
électronique sur les plateformes de l'Institut National de statistiques, de l'Autorité de
régulation, ainsi que du guichet unique du commerce extérieur dans le cas où la
transaction s'opère avec un client se retrouvant en dehors du territoire de la
République Démocratique du Congo, ou lorsque la prestation ou le bien objet de la
transaction provient de l’étranger ».
Cette disposition vise en fait la traçabilité d’une opération en ligne qui est
rendue possible par la conservation des données (sauvegarde des données en l'état
dans lequel elles se trouvent321) et leur transfert aux services compétents. Cette
conservation des transactions électroniques garantit la traçabilité de l’opération et
répond aux exigences relatives à la production de la preuve ; au stockage des données
et informations afin de pouvoir les utiliser ultérieurement.
3. Modalités pratiques d’exécution
L’exécution du contrat électronique peut se faire aussi de manière
électronique ou non. Tout dépend du bien ou du service à livrer ou encore de la nature
de l’obligation à exécuter.
- Si un bien ou un service immatériel (logiciel, jeu électronique, accès à une base
de données, information au sens large, musique… ) a été commandé, le contrat
sera également exécuté, de façon instantanée, par le biais des réseaux. Ce mode
d’exécution présente le principal avantage de la rapidité, ce qui plaît généralement
au client. Cet avantage masque néanmoins une concession : la livraison en ligne
peut entraîner en effet une exception au droit de rétractation du consommateur
prévu à l’article 62 du Code du numérique.
ILUNGA, Des préjudices par ricochet en matière contractuelle. Contribution à l’étude des
principes moteurs de réparation en Droit positif congolais, Thèse, UNILU, 2020, p.302 ;
A.BANZA ILUNGA, Manuel des contrats d’adhésion et protection des consommateurs, p.212 et
s.
320
Cass. be., 26 sept. 2003, Pas. 2003, p.1494.
321
Art. 2 point 19 du Code du numérique.
150
- Si la commande porte sur un bien matériel (soulier, livre, vêtement, appareil
électroménager…) ou un service qui se matérialise par la fourniture d’un produit
(abonnement à un périodique sur support papier…), elle sera exécutée par
l’intermédiaire des modes de transport traditionnels (paquet ou pli postal
acheminé par avion, train, bateau, transport routier…). Il s’agit alors d’une vente
à distance traditionnelle, à la différence près que l’internationalisation sera
fréquemment beaucoup plus poussée.
Donc, les contrats peuvent être soit conclus et exécutés via les réseaux, soit
seulement conclus par leur biais, mais exécutés en dehors de ceux-ci.
4. Effets de l’inexécution du contrat ou de l’exécution tardive
De manière générale, les conséquences de l’inexécution du contrat sont régies
par des mécanismes spécifiques telles que l’exécution directe, l’exception
d’inexécution, la résolution, la théorie des risques 322et la responsabilité
contractuelle. Il convient de préciser que le régime de la responsabilité contractuelle
ressurgit et interfère à différents niveaux avec les autres régimes classiques de
sanction, par exemple comme recours subsidiaire ou complémentaire à l’exécution
directe en nature, ou comme sanction principale infligée débiteur.
Dans cette perspective, l’article 65 du Code du numérique précise que
« Nonobstant l’accord entre les parties, le fournisseur exécute la commande dans un
délai maximum de 30 jours ouvrables, à compter du lendemain de la conclusion du
contrat. En cas de manquement contractuel du fournisseur après une mise en demeure
de deux (02) jours ouvrables restés sans suite, le client obtient de plein droit la
résiliation du contrat, par simple notification adressée au fournisseur par courrier
avec accusé de réception ». Ces dispositions sont complétées par celles de l’article
59 susvisé.
Ainsi, un contrat électronique légalement formé mais non exécuté peut
entraîner soit la résolution ou résiliation du contrat lui-même soit la responsabilité
contractuelle du débiteur. L’exécution directe ou forcée est aussi possible en cette
matière.
La résiliation et l’exécution forcée sont les conséquences de l’inexécution ou
du retard de livraison affectant le contrat lui-même ; alors que la responsabilité de
plein droit du cybercommerçant (art.51) est une conséquence de l’inexécution
n’affectant pas le contrat.
322
F. GERMAIN, « Responsabilité contractuelle et remèdes à l’inexécution du contrat », in Droit des
obligations : Notions et mécanismes en matière de responsabilité, Bruylant, Bruxelles, 2014, p.
107.
151
C’est important de préciser aussi qu’en cas d’inexécution, le règlement des
litiges entre parties et le prononcé des sanctions susvisées peuvent être faits par des
procédures extrajudiciaires323 que judiciaires.
Ainsi, dans les lignes qui suivent nous allons insister sur la sanction ayant
trait à la responsabilité contractuelle de plein droit du professionnel dont la mise en
œuvre se distingue de celle de l’inexécution des contrats classiques de vente à
distance.
II. Responsabilité contractuelle de plein droit du cybercommercant
La responsabilité civile est la conséquence de la violation d’une obligation
civile de manière à manquer au devoir général de veiller à ne pas nuire à autrui. Audelà de toute controverse doctrinale sur la question de l’unité et de la dualité de la
responsabilité civile324, elle est contractuelle lorsque cette obligation est issue d’un
contrat en particulier et ce qu’on appelle aujourd’hui la responsabilité délictuelle ou
extracontractuelle est le droit commun de la responsabilité civile. Lorsqu’il n’y a pas
de faute, le devoir de veiller à ne pas nuire à autrui entraîne l’obligation de garantir
certains dommages, notamment ceux résultant des risques pris pour autrui dans le
but d’obtenir un profit personnel325, comme il en est le cas en matière de transactions
électroniques.
Selon l’art.53 al.3 point 15 du Code, le professionnel doit fournir au client, le cas échéant, les
informations relatives aux procédures extrajudiciaires de réclamation et de recours auxquelles il
est soumis, et les conditions d’accès à celles-ci.
324
Depuis le XIXe siècle à ce jour il y a, d’un côté des auteurs qui soutiennent que la responsabilité
civile est une, la responsabilité délictuelle et contestent farouchement l’existence du concept ou
de la notion de « responsabilité contractuelle » : J. GRANDMOULIN, De l’unité de la
responsabilité ou nature délictuelle de la responsabilité pour violation des obligations
contractuelles, Thèse, Rennes, Typographie Alphonse Le Roy, 1892 ; Ph. REMY, « La
responsabilité civile : histoire d’un faux concept », in RTD. Civ., n°1, 1997, p.323; E.
SAVAUX, « La fin de la responsabilité contractuelle ?», RTD Civ., 1999, p.1; LAPOYADEDESCHAMPS, « Le mythe de la responsabilité contractuelle en Droit français », in : Failure of
contracts (dir. F. D. ROSE), Hart Publishing, Oxford, 1997, p. 175 ; Ph. LE TOURNEAU, Droit
de la responsabilité, 5e éd., Dalloz, Paris, 1998, n°1 ; E. JUEN, La remise en cause de la
distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle, L.G.D.J, Paris,
2016, p. 525 ; etc.
Contra. De l’autre côté, il y a ceux qui sont pour la dualité de la responsabilité civile et affirment
l’existence de la notion de « responsabilité contractuelle » : Ch. SAINCTELETTE, De la
responsabilité et de la garantie (accidents de transport et de travail), Bruylant-Christophe,
Bruxelles, 1884 ; A. CHENEVIER, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, éd.
KREIS, Nancy, 1899, p. 26 ; J. HUET, Responsabilité contractuelle et délictuelle : essai de
délimitation entre les deux ordres de responsabilité, LGDJ, Paris, 1978 ; M. RAE, Droit civil :
Des engagements qui se forment sans convention, SEJK, Lubumbashi, 1967, p. 44 ; J. ZOE, Payer,
réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en Droit français, allemand
et anglais, Thèse, Université Panthéon-Assas, 2015, 554 p. ; etc.
325
K. BELLIS, « Contrat et responsabilité civile : pour un système juste en Droit des obligations »,
in Revue juridique Thémis de l’Université de Montréal, vol.52, n°2, 2018, p.292.
323
152
Avant d’insister sur la responsabilité de plein droit du professionnel(B), il
sied au préalable d’analyser les principes de la responsabilité contractuelle des
parties au contrat électronique en général(A).
A.Responsabilité contractuelle des parties en cas d’inexécution du contrat
électronique
Le siège de la matière serait l’article 56 du Code du numérique dont le titre
est « Section 3 : la responsabilité contractuelle des parties », alors que son contenu a
trait à d’autres matières.
Pour qu’il y ait responsabilité contractuelle entre parties contractantes,
certains éléments sont requis :
- L’existence d'un contrat valable (obligation contractuelle) entre le responsable
(le cybercommerçant) et la victime (le client), comme cela a été développé au Point
I.
- La violation de l’obligation contractuelle ou l’inexécution : Par défaut de
définition établie par le législateur congolais, l’article 7.1.1 des Principes
d’UNIDROIT entend par inexécution, « tout manquement par une partie à l’une
quelconque de ses obligations résultant du contrat, y compris l’exécution
défectueuse ou tardive326». En doctrine, nous retenons la définition explicite de
Deprez selon laquelle « l’inexécution du contrat, c’est l’échéance non respectée,
la livraison tardive, la perte d’une marchandise, la mort d’un passager transporté ;
c’est la négligence, la mauvaise foi, le préjudice dans les relations ; c’est la rupture
d’un équilibre fondé sur une confiance qui est, en définitive, trompée »327328.
Ainsi, l’inexécution de l’obligation, source du préjudice est à l’origine de
deux distinctions subtiles. La première distinction, c’est celle relative au défaut
d’exécution et du retard dans l’exécution, qui résulte de l’énoncé de l’article 45
CCCL III329. Signe d’un manquement définitif, le défaut d’exécution total ou partiel,
donne lieu à l’octroi des dommages et intérêts compensatoires. On suppose au
contraire que le débiteur ait exécuté son obligation mais tardivement, le retard dans
l’exécution donne droit à des dommages et intérêts moratoires.
Principes relatifs aux contrats du commerce international, Publié par l’Institut International pour
l’Unification du de Droit privé (UNIDROIT), Rome, 2010.
327
J. DEPREZ, « Les sanctions qui s’attachent à l’inexécution des obligations contractuelles en Droit
civil et commercial français », in Travaux de l’association Henri CAPITANT XXVII, Dalloz,
Paris, 1968, p. 29.
326
329
Art. 45 du CCC L III : « -Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts,
soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois
qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée,
encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
153
La deuxième distinction, celle de l’inexécution totale ou partielle ne
coïncide pas avec la première : ainsi, le défaut d’exécution peut-il n’être que total ou
partiel mais le retard peut-il concerner l’obligation en son entier. Selon que
l’inexécution est partielle ou totale, le montant des dommages et intérêts, évidement,
varie ; en outre, la résolution du contrat est exclue en cas d’inexécution partielle, si
ce qui a été exécuté laisse subsister une cause suffisante de l’engagement de l’autre
partie, auquel cas une condamnation à des dommages et intérêts suffit. L’exécution
défectueuse de l’obligation est traitée comme une inexécution totale ou partielle.
- L’inexécution fautive : l’inexécution de l’obligation contractuelle ne suffit pas à
engager la responsabilité du débiteur, il y faut une faute contractuelle, mais
présumée dans le cas de l’article 45, mais elle doit être prouvée dans l’esprit de
l’article 36 du CCCL III330. Ainsi, l’apport de ces deux articles est durable.
Négativement, quant à la distinction des fautes, la division tripartite331 a été
abandonnée. Positivement, la combinaison de ces dispositions sert de support à la
distinction capitale des obligations de moyen et obligations de résultat.
En outre, faute, préjudice et inexécution gravitent autour du même concept
qu’est l’obligation contractuelle. C’est pourquoi Kifwabala Tekilazaya insiste sur le
fait que toute inexécution d’un contrat n’engendre pas automatiquement l’allocation
des dommages et intérêts en faveur de la victime qui devra, d’une part, démontrer
que la responsabilité contractuelle est établie à charge du débiteur défaillant332, et
d’autre part prouver qu’il existe un lien de causalité entre l’inexécution et le préjudice
dont il se prévaut.
En clair, ces éléments en rapport avec l’existence de la responsabilité
contractuelle s’appliquent aussi en cas d’inexécution du contrat électronique. Toutes
Art. 36 du CCCL III : « -L’obligation de veiller à la conservation de la chose soit que la
conservation n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité
commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d’un bon père de famille
(…) »
331
Il s’agit de la faute lourde, faute légère et faute très légère. Le dol, faute intentionnelle qui implique
la mauvaise foi du débiteur, est comparable à la faute lourde.
332
KIFWABALA TEKILAZAYA, note d’observation sous CA/Lshi, RACA 022/163 du 20 fév.
2014, SNCC c/KABEYA BWENDA in Les Analyses Juridiques, n°32, Sept. 2015, pp.72-73 : « Il
est de droit que l’inexécution d’un contrat n’engendre pas automatiquement l’allocation des
dommages et intérêts en faveur du créancier. Ceux-ci ne sont dus que s’il est établi une
responsabilité contractuelle à charge du débiteur défaillant, c’est aux termes de l’art. 45 CCC LIII
(…). Il ressort de l’arrêt annoté que le défaut de paiement résulte d’une faute quelconque de sa
part, la SNCC a été condamné à payer des dommages et intérêts pour le simple fait de n’avoir pas
payé les sommes reprises dans le procès-verbal de réconciliation des comptes qui du reste, nous
semble-t-il, ne fixait même pas de délai de paiement. Il nous revient dès lors qu’en condamnant
ainsi au paiement des dommages et intérêts sans d’une part, préalablement démontrer que la
créance était exigible et que le débiteur n’avait pas respecté les délais fixés par les parties pour
ledit paiement, et d’autre part sans démontrer que la responsabilité contractuelle était établie à
charge de la débitrice ; l’arrêt annoté n’a pas judicieusement appliqué les dispositions des article
45 et 36 du CCCL III ».
330
154
les deux parties, le professionnel tout comme l’acheteur, peuvent engager leur
responsabilité, c’est ce qui devrait normalement être ressorti à l’article 56 du Code
du numérique ayant pour titre « de la responsabilité contractuelle des parties », mais
qui a malheureusement un autre contenu. Si pour la responsabilité du
cybercommerçant, on peut recourir à l’article 51 qui instaure une responsabilité de
plein droit, l’ordonnance-loi ne dit rien en ce qui concerne la responsabilité
contractuelle de l’acheteur. C’est donc une disposition à réécrire afin d’insérer des
libellés ayant trait à une responsabilité contractuelle. Ou encore, il est souhaitable de
changer ce titre et instituer un autre article consacré uniquement à la responsabilité
contractuelle des parties.
B.Nouveau régime de la responsabilité contractuelle de plein droit du
cybercommerçant
1. Fondement légal et théorique du régime
La responsabilité du professionnel se situe dans le champ d’application du
commerce électronique et est réglée par l’article 51 du code du numérique qui
dispose que : « La personne physique ou morale exerçant les échanges électroniques
et transactions électroniques est responsable de plein droit à l'égard de son cocontractant de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à
distance, que ces obligations soient exécutables par elle-mêrne ou par d'autres
prestataires des services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci.
Toutefois, la personne est exonérée de cette responsabilité en apportant la
preuve que l’inexécution, l'exécution tardive ou la mauvaise exécution du contrat est
imputable soit à l'acheteur, soit à un cas de force majeure, soit à un tiers à la
fourniture des prestations prévues au contrat ».
En responsabilité délictuelle, la responsabilité de plein droit signifie que le
débiteur ne peut s'exonérer qu'en démontrant la force majeure, le fait du tiers
présentant les caractéristiques de la force majeure ou la faute de la victime. En effet,
l'expression de responsabilité de plein droit est empruntée au régime de la
responsabilité générale du fait des choses qui ne permet au gardien de s'exonérer
qu'en démontrant la force majeure (qui comprend le fait du tiers imprévisible,
irrésistible et cause exclusive du dommage) ou la faute de la victime.
Cet article rapproche la notion de responsabilité de plein droit empruntée à la
responsabilité délictuelle de la responsabilité contractuelle ici en cause. Cette
responsabilité de plein droit couvre le fait contractuel d’autrui puisque le
professionnel est responsable personnellement et du fait des autres prestataires de
services, contre lesquels il peut toutefois se retourner ensuite. Seule une cause
étrangère peut permettre d’exonérer le professionnel. Cela est très protecteur pour
l’acheteur en cas d’inexécution du contrat de la part du professionnel. Il dispose
d’une action directe contre ce professionnel.
Ce nouveau régime, salutaire pour les cyberacheteurs en Droit congolais,
existe depuis longtemps en Droit comparé. Le législateur congolais s’est bien inspiré
155
de l’article 15 de la Loi française de la Confiance dans l’économie numérique (de
2004)333. Cet article introduit deux alinéas supplémentaires au sein de l’article L12120-3 du Code de la consommation, relatif aux contrats conclus à distance334. Cet
article 15 de loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 s’est, d’ailleurs à son tour, inspiré de
l’article 23 de la loi française n° 92-645 du 13 juillet 1992, fixant les conditions
d’exercice des activités relatives à l’organisation et à la vente des voyages ou de
séjours (JORF n° 162 du 14 juillet 1992, p. 9457)335.
Enfin, en termes d’actualité, beaucoup de Droits positifs africains
d’inspiration française ont depuis belle lurette inséré ce régime de responsabilité de
plein droit du cybercommerçant dans leurs législations : le Droit sénégalais depuis
2008336, le Droit malien en 2016337, le Droit algérien depuis 2018338, etc.
2. Responsable visé : le cybercommerçant
a. Quant au champ d’application : seul le cybercommerçant (le
professionnel ou le fournisseur) est visé
Ce régime s’applique à toute personne qui exerce les échanges électroniques
et transactions électroniques339, c’est-à-dire le commerce électronique (voir art.48
333
Art. 15 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique : « Toute personne physique ou morale exerçant l'activité définie au premier alinéa de l'article 14 est
responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant
du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de
services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. Toutefois, elle peut s'exonérer de
tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise
exécution du contrat est imputable, soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable,
d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure.
334
L'article L. 121-20-3 du code de la consommation : « -Le professionnel est responsable de plein
droit à l’égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat à
distance, que ces obligations soient à l’exécuter par le professionnel qui a conclu à distance, que
ces obligations soient à exécuter par le professionnel qui a conclu ce contrat ou par d’autres
prestataires de service, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. Toutefois, il peut
s’exonérer de toute ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution ou la
mauvaise exécution du contrat est imputable, soit au consommateur, soit au fait, imprévisible et
insurmontable, d’un tiers au contrat, soit à un cas de force majeure ». Voy. L. GRYNBAUM, C.
LE GOFFIC et L. MORLET-HAÏDARA, Droit des activités numériques, Dalloz, Paris, 2014,
p.97 et s. ; K. NDUKUMA ADJAYI, Cyberdroit, op. cit., p.261 ; A.S. LAUBOUE, Le
cybercommerçant, op. cit., p.418 et s. ; A. KUMBA SHINDANO, art. cit., p.544.
335
Aux termes de l’article 23, alinéa 1 de la Loi n° 92-645 du 13 juillet 1992, « Toute personne
physique ou morale qui se livre aux opérations mentionnées à l’article 1er est responsable de plein
droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces
obligations soient à exécuter par elle-même ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice
de son droit de recours contre ceux-ci ».
336
Art. 11 de la loi (sénégalaise) n°2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques.
337
Art. 77 de la loi (malienne) n°2016-012 du 06 mai 2016 relative aux transactions, échanges et
services électroniques.
338
Art. 18 de la loi (algérienne) n°18-05 du 10 mai 2018 relative au commerce électronique, J.O. RA,
16 mai 2018.
339
Selon l’art. 2 point 82 du Code du numérique, les transactions électroniques sont des « échanges
sécurisés effectués lors d'un achat ou d'un paiement en ligne ».
156
al.1340) que la loi appelle « professionnel ». L'idée sous-jacente au texte, quand bien
même, le terme de commerçant ou cybercommerçant n'est pas utilisé, ce que la
personne physique ou morale en cause a pour habitude d'offrir des biens ou services
car elle développe ainsi « une activité commerciale » tel que défini à l’article 2 point
15 du Code du numérique.
Lorsque l’article 51 alinéa 2 fait allusion au concept « acheteur », ceci peut
faire croire qu’il faut appliquer la responsabilité de plein droit exclusivement au
cybervendeur. Mais, l’interprétation des dispositions en présence (art.48 et 51) nous
mène à affirmer que cette responsabilité serait applicable aussi aux prestataires de
services car l’activité de commerce électronique concerne aussi les activités de
services (art.48 al.2341). Les éditeurs professionnels de contenu en ligne342, les
fournisseurs d’accès à internet343, les loueurs de véhicules en ligne, les prestataires
offrant des services de paiement mobile et électronique, les intermédiaires
commerciaux, les hébergeurs344, etc. se verront imposés par l’ordonnance-loi une
responsabilité de plein droit. Les fournisseurs de services en ligne, par exemple,
seront responsables lorsqu’ils ne pourront plus fournir leur service du fait de la
défaillance d’un opérateur de télécommunications345.
On peut affirmer que tout prestataire, au-delà du vendeur au sens strict, qui
propose ou offre ses biens ou services par Internet est soumis au à ce régime de la
responsabilité de plein droit. L'objectif consiste en ce que le cybercommerçant
réponde de toute défaillance, les siennes et celles des tiers qu'il pourrait se substituer
dans l’exécution du contrat. Cependant, le non professionnel, vendeur ou prestataire
de services occasionnel en ligne ne saurait se voir imposer cette responsabilité de
plein.
340
Art. 48 al.1 : « -Le présent titre (du commerce électronique) fixe les règles générales régissant les
échanges et les transactions électroniques ».
341
Art. 48 al. 2 : «- II (le titre sur le commerce électronique) s'applique aussi aux prestations des
activités et services d'assurance, aux prestataires offrant des services de paiement mobile et
électronique, aux intermédiaires commerciaux et des places de marche numériques ‘’ marketplace
‘’ ».
342
Par exemple : www.mediacongo.net. Voy. aussi C. ROJINSKY, « Qu’en est-il de la responsabilité
de plein droit des éditeurs en ligne (art. 15 de la LCEN)? La délicate assimilation au commerce
électronique », in LEGICOM, 2006/1(N° 35), p. 71-77, article disponible à l’adresse
https://www.cairn.info/revue-legicom-2006-1-page-71.ht (consulté le 23/10/2023).
343
Les FAI déclarés en 2005 en RDC sont : MICROCOM, GLOBAL BROADBAND, I-BURST,
STANDARD TELECOM, VODANET (opérant sous licence de Vodacom avec les actifs rachetés
à l’ISP INTERCONNECT), RAGA, SIMBA TELECOM, HITEC (Roffe Congo), AFRINET,
SATEL-KIN, SAPROCOM, RUTEL CONGO (voy. K. NDUKUMA ADJAYI, Cyberdroit, op.
cit., p.101.
344
On peut citer en RDC, le cas de DRC WORLD WEB Sprl(www.drc-worldweb.com) ; la société
GNN (Groupe Nzaza Nowa)in www.gnn-rdc.com ; etc.
345
Par exemple en Droit français : TGI Paris, 26 juin 2007, Que choisir (UFC - Que Choisir) c/ SAS
Free, N° RG : 05/08845, URL: http://www.foruminternet.org/specialistes/veillejuridique/jurisprudence/tribunal-de-grande-instance
157
En bref, le régime de responsabilité de plein droit de l’article 51 constitue
l’un des principes régissant le commerce électronique tel qu’énoncé à l’article 49 du
même code. En combinaison des articles 51 et 48, il ne s’applique qu’au
cybercommerçant (vendeur ou prestataire) que l’ordonnance-loi appelle tantôt
professionnel (voir art. 53, 55, 62, 63) tantôt fournisseur (voir art. 54, 56, 58, 59,
60,70). Même à ce niveau, il y a une nécessité de préciser les concepts, comme le
législateur vise le cybercommerçant ou le professionnel, il devrait le préciser
expressément pour dissiper toute confusion lors de l’application du texte. L'existence
d'une précision légale en la matière permettrait de gagner en sécurité juridique346.
b. Quant au critère lié à l’auteur de l’inexécution : le cybercommerçant
comme responsable final
Il est dit à l’article 51 alinéa 1 que la personne physique ou morale est
responsable de plein droit de la bonne exécution des obligations « que ces
obligations soient exécutables par elle-mêrne ou par d'autres prestataires des
services ». Par ces mots, le législateur a voulu accroître la responsabilité du
professionnel sur les contrats réalisés par voie électronique, et deux cas sont
possibles :
- L’inexécution peut émaner du professionnel lui-même lorsqu’il il est convenu
qu’il devra exécuter les obligations contractuelles seul, dans ce cas il engage sa
responsabilité du fait personnel, ce qui est d’ailleurs le principe en matière de
responsabilité contractuelle (art. 44 et 45 du CCC L III). Mais à la seule différence
avec ce principe du droit commun, qu’ici le co-contractant (acheteur) n’a pas à
prouver une quelconque faute du professionnel (la responsabilité est sans faute),
seule l’inexécution préjudiciable suffit.
- L’inexécution peut émaner d'autres prestataires des services lorsqu’il il est
convenu que le professionnel fera recours à ces derniers pour l’exécution des
obligations contractuelles, même dans ce cas, c’est le professionnel qui engage
sa responsabilité du fait du tiers substitué ou sa « responsabilité contractuelle
du fait d’autrui ».
Du point de vue de la théorie du contrat, la solution n’est pas surprenante :
l’acheteur n’a contracté qu’avec le professionnel, et lui seul. Il ne connaît pas les
tiers que le professionnel introduit dans l’exécution du contrat et au fond, peu lui
importe. Si le professionnel choisit de ne pas exécuter lui-même sa prestation mais
de recourir pour ce faire à un tiers, il le fait à ses risques et périls. Il serait même
impropre de parler ici de responsabilité contractuelle du fait d’autrui : c’est en réalité
l’article 33 du CCC L III et le principe de force obligatoire des conventions qui
imposent la solution.
346
Pour de détails, voy. A. BANZA ILUNGA, « De la réforme du Droit congolais des obligations
pour une sécurité juridique accrue », in Revue Internationale de Droit et Science Politique,
Numéro spécial, Hors-série, Juin 2023, p.202 et s.
158
Dans la gamme des autres prestataires, on peut compter généralement les
sous-traitants, les fournisseurs, les transporteurs et les courtiers ou commissionnaires
en ligne…, auxquels le professionnel peut se retourner par une action récursoire.
En fait, l'article 51 du Code du numérique déplace le risque de la livraison
vers le professionnel exerçant son activité en ligne qui doit supporter la perte ou
l'avarie de la chose en cours de transport bien qu'elle ait pour origine la faute ou la
négligence du transporteur. Ainsi, peu importe l’éventuelle faute du transporteur qui
n’a pas respecté le délai annoncé, l’acheteur va pouvoir s’adresser à son vendeur
pour obtenir satisfaction. Le vendeur est responsable contractuellement du fait
d’autrui et cette responsabilité contractuelle du fait d’autrui contribue à gagner la
confiance du client. A ce sujet, il a été jugé en Droit comparé, que le transporteur
n’est pas un tiers à l’égard du contrat conclu par le consommateur avec l’entreprise
de vente à distance, laquelle ne pourra plus s’exonérer de sa responsabilité en cas de
perte ou de détérioration en cours de transport347.
C’est dans cette même perspective que la Cour d’appel de Paris dans un arrêt
en date du 12 septembre 2013, a fait application de la responsabilité du fait d’autrui,
dans le cadre d’un contrat conclu sur Internet, pour retenir la responsabilité de la
société IKEA, vendeur de meubles à distance, en ces termes : « Dès lors que la société
meuble IKEA France a été avisée dès le 20 mars 2009 des contraintes de livraison
imposant l’aide d’un engin élévateur et que le transporteur, prestataire de service
auquel elle a recours pour l’exécution des obligations résultant du contrat de vente
conclu à distance n’est pas un tiers au contrat au sens de l’article L. 120-20-3 du
Code de la consommation, elle est responsable du retard apporté à l’exécution de son
obligation de délivrance348 ». Il a aussi été jugé que le professionnel qui avait eu
recours à la Poste pour l'acheminement de bons d'achat était responsable de la
défaillance de cette dernière349.
Comme nous le constatons, mu par le souci de donner confiance dans le
commerce électronique, le législateur a jugé utile de créer une responsabilité globale
du cybercommerçant sur toute la prestation, celui-ci étant institué comme
interlocuteur unique du client pour l'ensemble des opérations pouvant mobiliser des
sous-traitants ou d’autres prestataires. C'est donc là, un apport essentiel de l'article
51 du Code du numérique : rendre le professionnel qui commerce en ligne,
responsable unique et final de la bonne fin de la transaction, qu'il s'agisse d'une
prestation sous-traitée ou de l'opération de transport.
347
Cass. (fr) Civ. 1 ère.13 novembre 2008 cité par V. GESLAK, La protection du consommateur et
le contrat en ligne, Mémoire, Université de Montpellier I, 2010-2011, p.114 ; M. VETTER, Les
conséquences de la livraison tardive d’un bien en exécution d’un contrat de commerce
électronique, Mémoire de master, Université de Strasbourg, 2008, p.20.
348
Paris, pôle 4, 9e ch., 12 sept. 2013, n° 11/10899, P. c/ SNC Meubles IKEA France, note Anne
DEBET, Comm. com. électr., déc. 2013, comm. 124, p. 26.
349
Cass (fr) Civ. 1e , 13 nov.. 2008, Bull. civ. I, n°263.
159
3. Victime ou bénéficiaire visé : le cybercocontractant (l’acheteur ou le
client)
Il est précisé à l’article 51 alinéa 1 que la personne physique ou morale est
responsable de plein droit à l'égard de son « co-contractant ». Donc le bénéficiaire
de ce régime de protection est « le co-contractant », que l’ordonnance-loi appelle
tantôt « acheteur » (art.51 al.2), tantôt « client » (art.52 à 59, art. 64-65), ou encore
« non professionnel » (art.55, 61). D’emblée on peut considérer que cet acheteur ou
client est un non professionnel, donc un consommateur ou usager350. La difficulté
d’un tel raisonnement est que, dans une logique tout à fait consumériste, tout non
professionnel n’est pas nécessairement un consommateur. Dans la conception
française par exemple, le consommateur, stricto sensu, « ne peut être qu’une
personne physique, à l’exclusion donc des personnes morales 351». Dans le Code
congolais du numérique, la catégorie des non professionnels pourrait compter des
consommateurs (personnes physiques) et les personnes morales dépourvues
d'activité professionnelle, qu'il s'agisse d'associations caritatives ou de syndicats.
Ainsi, une ASBL qui a conclu avec le cybercommerçant pour un besoin lié à son
objet social, peut bien être considérée comme non-professionnelle.
Si l’article 20 point 20 du Code du numérique définit le consommateur ou
usager dans ce domaine comme « l’utilisateur des activités et/ou services
numérique », mais pourquoi, le terme « consommateur » n’est pas repris dans
l’article 51 sus analysé ? Et même s’il en était le cas, cet usager ou utilisateur peut
être une personne physique ou morale. Cette définition du consommateur est à la fois
imprécise et généraliste, et ne rencontre pas la vision protectionniste du Droit
moderne de la consommation. Il y a donc une nécessité de précision de la part du
législateur congolais.
Nous constatons d’ailleurs que dans l’ensemble des 24 articles en rapport
avec le commerce électronique (Titre VIII du Livre I du Code), le terme
« consommateur » n’est cité nulle part. En outre aux articles 55 et 61, on trouve des
expressions comme « dans le cas d'un contrat conclu entre un professionnel et un
non professionnel… », cela veut clairement dire a contrario que le législateur a
entendu régir aussi dans ce Titre V III des contrats électroniques conclus entre
professionnels. Et par voie de conséquence, le professionnel qui exerce son activité
351
Voy. Article préliminaire du Code français de la consommation : « Au sens du présent code, est
considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas
dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » ; E. CHEVRIER,
(coll.), Loi relative à la consommation : L’analyse des principales dispositions de la loi et ses
difficultés de mise en œuvre, Dalloz, Paris, 2014, p. 8 ; G. RAYMOND, « Définition légale du
consommateur par l’article 3 de la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 », CCC, mai 2014, dossier
3 ; A. BANZA ILUNGA, Manuel des contrats d’adhésion et protection des consommateurs, op.
cit., p. 117.
160
par Internet et qui conclut un contrat avec un autre professionnel sera certes soumis
à la responsabilité de plein droit de l'article 51.
Le terme « acheteur » n’étant pas aussi défini, peut renvoyer à un non
professionnel ou à un professionnel. Donc, tous les acheteurs, qu’ils soient
consommateurs, professionnels ou commerçants, sont a priori protégés par cette
disposition. On voit que l’ordonnance-loi n’est pas claire quant à la qualité de ce cocontractant ou acheteur qu’il cite à l’article 51.
A ce jour, ce régime de responsabilité de plein droit tel que prévu est d’abord
général car il s’applique à tout cybercocontractant. Ensuite, ce régime est novateur
dans sa substance, car dans la pratique, la question de la livraison et de l’irrespect
des délais constitue un motif majeur d’insatisfaction en matière de contrat
électronique auquel les cybercommerçants répondent souvent qu’ayant expédié la
marchandise à temps, le reste n’était plus de leur ressort. L’acheteur a beaucoup de
difficultés à trouver le responsable de l’inexécution de son contrat car les différents
intervenants se renvoient tous la balle. Avec l’instauration de cette responsabilité de
plein droit le client est protégé car il ne devra s’adresser qu’à son vendeur et ce
dernier ne pourra plus être tenté de dire que ce n’est plus de son ressort.
4. Etendue des obligations issues de ce régime responsabilité et causes
d’exonération
Il sied de noter d’abord que la responsabilité de plein droit est étendue à tout
contrat à distance (voir art 51 al.1) de vente, de passation de commande, de
fourniture de biens ou de la prestation de service, « quel que soit le canal utilisé » ou
la technique de communication à distance (par voie électronique, téléphone,
imprimé...). Ainsi, il n’y a pas de distinction de régime de responsabilité spécifique
au contrat de commerce électronique.
Ensuite, l’article énonce que « la personne physique ou morale est
responsable de la bonne exécution des obligations résultant du contrat à distance ».
L’étendue de cette responsabilité est très large. Elle semble induire qu’il n’y a plus
d’obligations de moyen dans les contrats conclus par voie électronique. Et donc une
différence de traitement est établie entre les contrats conclus à distance et les contrats
conclus sur place.
Appliquée au contrat conclu par voie électronique, la responsabilité de plein
droit instauré par le législateur revient à faire peser sur le professionnel offrant ses
biens ou services en ligne une obligation de résultat. En présence d'une obligation
de moyens le créancier est obligé de montrer que son débiteur a commis une faute
dans l'exécution du contrat pour engager la responsabilité de son contractant qui n'a
pas exécuté convenablement ses obligations. En revanche, le débiteur d'une
obligation de résultat est placé dans la même situation que le gardien d'une chose,
dès lors que le résultat prévu au contrat n'est pas atteint, il est responsable
directement. Il n'est pas nécessaire pour le créancier de l'obligation inexécutée de
161
prouver une faute, il appartient au débiteur de prouver la force majeure ou la faute
du créancier pour s'exonérer.
Avant l’avènement de ce régime, ce qui était mis en avant par le professionnel
est « le principe de transfert de propriété dès la conclusion de la transaction » (art.264
CCC L III352) et qui créait le problème car la chose s’en trouvant transportée aux «
risques et périls de l’acquéreur » (art. 37 du CCC L III353), cela mettait ce dernier à
la merci des opérateurs chargés de la livraison. Mais, l’ordonnance-loi, alors loi
spéciale a changé la tendance, « la chose, objet du contrat électronique est
transportée aux risques et périls du vendeur ». Et l’autre justification de cette
responsabilité résulte dans le fait qu’il y a « une impossibilité de voir ou de toucher
les produits » pour l’acheteur lors de la conclusion du contrat. Et donc la règle de res
perit domino (la perte est pour le propriétaire, l’acheteur), n’est pas d’application ici.
Au contraire, c’est la règle de principe « res périt debitori » qui s’applique car c’est
le débiteur de l'obligation inexécutée (le cybervendeur qui n’a pas livré
matériellement la chose) qui supporte la perte fortuite de la chose ou de la prestation.
En sus, le cybercommerçant ne va pas pouvoir invoquer simplement le fait
d’un tiers contractant mais doit rapporter : « la preuve que l’inexécution ou la
mauvaise exécution du contrat est imputable, soit à l’acheteur, soit à un cas de force
majeure, soit à un tiers à la fourniture des prestations prévues au contrat » (art.51
al.2). En pratique, cette preuve sera difficile à rapporter. De plus, les dispositions du
Code du numérique étant d’ordre public, le professionnel a une marge de manœuvre
réduite. Enfin, gageons que l’hypothèse de « l’inexécution imputable à l’acheteur »,
pour n’être pas exclue, est cependant rare354.
Quant aux clauses limitatives de responsabilité ou de clauses définissant le
champ des obligations assumées par le prestataire, leur licéité semble menacée. Les
activités de commerce électronique étant constituées d’une succession de prestations
interdépendantes, le régime de responsabilité de plein droit pourrait avoir un impact
sur certaines situations généralement couvertes par ces clauses limitatives de
responsabilité355. On peut ainsi se demander quelle sera la responsabilité d’un éditeur
352
Art. 264 du CCC L III : « - Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à
l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait
pas encore été livrée ni le prix payé ».
353
Art. 37 du CCC L III : « - L'obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des
parties contractantes. Elle rend le créancier propriétaire, et met la chose à ses risques dès l'instant
où elle a dû être livrée, encore que la tradition n'en ait point été faite, à moins que le débiteur ne
soit en demeure de la livrer ; auquel cas, la chose reste aux risques de ce dernier ».
354
Mais on peut citer le cas dans lequel le professionnel fabrique un bien ou réalise une prestation de
service d’après les informations, incomplètes ou erronées, de l’acheteur. Finalement, le bien ou le
service ne correspond pas, n’est pas utilisable...
355
C. ROJINSKY et G. TEISSONNIERE, « L’encadrement du commerce électronique par la loi
française du 21 juin 2004 ‘’pour la confiance dans l’économie numérique’’ », in Lex Electronica,
vol. 10, n°1, 2005, p.4, http://www.lex-electronica.org/articles/v10-1/rojinsky_teissonnier
(23/11/2023).
162
de site en cas de défaillance causée par l’un de ses prestataires techniques ? Ou bien,
quelle sera la responsabilité d’un hébergeur ou d’un fournisseur d’accès à Internet
qui ne pourra plus fournir son service du fait de la défaillance d’un opérateur de
télécommunications ? D’abord, il n’est pas certain que les causes d’exonération de
responsabilité prévues par la loi, et en particulier le fait du tiers, puissent être
invoquées dans de telles circonstances. Ensuite, il n'est donc pas possible au
professionnel d'aménager sa responsabilité de plein droit relativement aux délais de
livraison, par exemple. De même, le fait pour le professionnel d’insérer dans le
contrat une clause tendant à s’exonérer totalement de sa responsabilité si
l’inexécution est due du fait d’un transporteur, serait abusif voire illégal. Une telle
clause sera réputée non écrite et ne produira aucun effet car elle entame la substance
même de l’article 51 sus analysé.
Le dispositif incite donc les prestataires (transporteur des biens, tierscollaborant à l’exécution, …) à définir plus exactement quelle sera la nature et
l’étendue de leurs obligations, à peine d’encourir la responsabilité générale de plein
droit prescrite par le texte.
En fin, il sied de savoir si cette responsabilité de plein droit devait cohabiter
avec la garantie du vice de la chose du droit commun. La garantie des vices cachés
des articles 318 à 326 du CCC L III ne peut que trouver à s'appliquer lorsque le défaut
rend la chose impropre à sa destination. De même, en cas de livraison d’une chose
non conforme à la commande, la garantie légale de conformité (art. 59 du Code du
numérique) devra s’appliquer.
5. Conditions de mise en œuvre de la responsabilité de plein droit et
paiement des dommages et intérêts
La mise en œuvre de la responsabilité contractuelle suppose un contrat
régulièrement formé, une inexécution totale ou partielle d’une des obligations (faute
contractuelle), un préjudice, et un lien de causalité.
Dans notre cas du contrat de commerce électronique de vente d'un bien ou
d’un service, l'inexécution est constituée du défaut d’un des aspects de l'obligation
de délivrance. Il s'agit ou bien de l’absence de livraison, ou bien d'un retard de
livraison, ou bien de la livraison partielle ou de la livraison d'un produit non
conforme, dont le remplacement nécessitera plus de temps que le délai initialement
prévu pour la livraison du bien. L’obligation de délivrance qui pèse sur le
cybercommerçant étant est une obligation de résultat, l’acheteur n’a qu’à démontrer
que le résultat attendu n’a pas été obtenu, en l’espèce que l’objet ou le service n’a
pas été livré à temps et selon les stipulations contractuelles, afin d'établir celui-là.
Le préjudice est clair ici : il s'agit du préjudice subi résultant de l’absence ou
du retard de livraison. Il peut s’agir d’un gain manqué ou d’une perte subie. Pour
donner lieu à réparation, ce préjudice doit être direct, certain et prévisible. Il peut
163
être causé à une victime directe (acheteur) ou à des tiers-victimes par ricochet356 (les
proches de l’acheteur).
Le lien de causalité, dont le demandeur a la charge de la preuve, est à établir
entre le défaut de livraison ou le retard de livraison et le préjudice (préjudice matériel
ou moral, perte de temps, retard dans les travaux…). Cela est laissé à l’appréciation
des juges. Il peut arriver aussi que les juges se fondent sur des présomptions de
causalité.
Enfin, une fois la responsabilité du cybercommerçant établie, il est condamné
à verser à l'acheteur des dommages-intérêts compensatoires sans que soit prononcée
la résolution du contrat quand la livraison du bien ou du service n'a pas eu lieu ou si
elle a été retardée. Dans ces conditions, cette condamnation doit avoir lieu sur le
fondement du droit commun (art.45 du CCC L III), et sur pied des articles 58 alinéa
2 et 59 alinéa 4 du Code numérique, qui précisent qu’outre les autres sanctions
prévues, le client a la possibilité de demander réparation en cas dommage subi.
Conclusion
Les dispositions spécifiques du Code numérique relative aux contrats du
commerce électronique tendent à prendre en considération les particularités
techniques du procédé utilisé, ainsi que l’absence de présence physique simultanée
des deux parties. En effet, ce code livre les principes du commerce électronique aux
articles 48 à 52, les conditions de formation du contrat électronique aux articles 53 à
56, les conditions d’exécution de ce contrat aux articles 57 à 60, le droit de
rétractation du client aux articles 61 à 65 et la publicité par voie électronique aux
articles 66 à 72.
Nous nous sommes principalement questionné sur la nouveauté et l’efficacité
de ces dispositions dans la protection de la partie faible dans le contrat du commerce
électronique.
Certainement, si l’on veut comparer les dispositions de l’ordonnance-loi
portant Code du numérique à celles du Droit commun des contrats et de la
responsabilité civile issues du CCC L III ; dans cette ordonnance-loi, plusieurs
nouveautés ou dispositions novatrices tendant à protéger la partie économiquement
faible sont à signaler, entre autres : l’obligation préalable d’information en faveur du
client (art.53), la garantie légale de conformité ou de livraison des biens conformes
et non défectueux(art.59), le droit de rétractation accordé à l’acheteur, la
responsabilité de plein droit du professionnel (art.51 et 56), l’interdiction de la
prospection directe des clients (art.68), etc.
S’agissant, par exemple, de la phase de formation du contrat, les informations
précontractuelles, au titre de l’article 53, doivent être transmises par le professionnel
356
V. A. BANZA ILUNGA, Des préjudices par ricochet en matière contractuelle, op. cit., p. 301 et
s.
164
au client par tout moyen adapté à la technique de communication à distance utilisée.
Il n’est possible de fournir, que certaines informations qui, aux yeux du législateur,
apparaissent comme indispensables : caractéristiques essentielles, prix, identité du
professionnel, durée du contrat, droit de rétractation… En quelque sorte,
l’information précontractuelle permet la correcte formation du contrat (le client est
engagé en connaissance de cause). Mais pour bien protéger le client, cette obligation
d’information devrait être encore plus complète (information précontractuelle et
information ultérieure à la formation).
Quant à l’exécution du contrat, les parties doivent le faire de bonne foi, mais
la loi insiste sur le fait que le professionnel est responsable de plein droit à l’égard
de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à
distance. C'est donc là, l’apport essentiel et novateur de l'article 51 du Code du
numérique : rendre le cybercommerçant qui commerce en ligne, responsable unique
et final de la bonne fin de la transaction, qu'il s'agisse d'une inexécution provenant
de son fait personnel ou du fait des tiers prestataires (transporteur, tiers collaborant,
sous-traitant, etc.). La transparence du contrat et sa prévisibilité ressortiront
renforcées de cette pratique.
Il ressort que dans le souci de protéger la partie faible, le formalisme présidant
à la formation du contrat électronique, a trouvé un prolongement au stade de son
exécution par le rehaussement formel de la responsabilité objective du professionnel.
Mais, sans souci d’exhaustivité, certains recadrages en termes de suggestions
devraient être faits et pris en compte afin de rendre les règles de conclusion et
d’exécution du contrat du commerce électronique plus aptes à protéger les parties et
davantage la partie faible :
- Outre l’obligation préalable d’information (art.53), il serait souhaitable d’insérer
expressément aussi l’obligation ultérieure d’information (si les informations
précontractuelles concourent à la correcte formation du contrat, le client étant
engagé en connaissance de cause ; les informations ultérieures (d’autres
informations exigées du professionnel après la formation du contrat) permet de
rendre l’exécution des droits et obligations qui découlent de la convention
effective : en d’autres termes, elles sont relatives au régime juridique du contrat
ainsi conclu) ;
- En ce qui concerne les modalités techniques de conclusion du
contrat électronique, le Code du numérique congolais n’est pas du tout clair quant
à ce ; et même si on s’en tient à ce qui est dit à l’article 53, alinéa 3, point 2° à
savoir, le professionnel doit fournir « les différentes étapes à suivre pour conclure
le contrat par voie électronique » ; mais, ces étapes s’appliquent à quelle modalité
de conclusion en ligne ? Par web ou par courrier électronique ? Il y a donc
nécessité de compléter cet article ou prendre des mesures d’application claires
quant à ce (des arrêtés, par exemple).
- En ce qui concerne l’intitulé et le contenu de l’article 56, c’est curieux de voir que
cet article a pour intitulé « Section 3 : la responsabilité contractuelle des parties
165
», mais que son contenu puisse renvoyer à des éléments de forme et de preuve du
contrat. C’est une erreur ou incurie légistique qu’il faudrait corriger
prochainement. On sait que toutes les deux parties, le professionnel tout comme
l’acheteur, peuvent engager leur responsabilité, ce qui devrait normalement être
écrit à cet article. Si pour la responsabilité du professionnel, on peut recourir à
l’article 51 qui instaure une responsabilité de plein droit, le Code ne dit rien en ce
qui concerne la responsabilité contractuelle de l’acheteur. C’est donc une
disposition à réécrire afin d’insérer des libellés ayant trait à une responsabilité
contractuelle. Ou encore, il est possible de changer cet intitulé et laisser intact le
contenu et instituer un autre article consacré uniquement à la responsabilité
contractuelle des parties.
- En ce qui concerne l’obligation de livraison des biens conformes et non
défectueux, il y a nécessité pour le législateur congolais de compléter ce régime
en déterminant par exemple les critères légaux de cette conformité ; ou de
circonscrire ou définir la notion de bien conforme à la commande et la notion de
bien défectueux. L’article 59 devrait donc être compléter par d’autres dispositions
claires.
- En ce qui concerne la qualité de la partie victime et bénéficiaire du régime de la
responsabilité de plein droit, l’ordonnance-loi n’est pas claire quant à la qualité
de ce co-contractant ou acheteur qu’il cite à l’article 51. Cet acheteur peut être
consommateur ou non, ce qui rend ce régime de responsabilité général, pourtant
il devrait viser plus la partie faible qu’est le cyberconsommateur.
- En ce qui concerne la qualité de la personne visée comme responsable dans le
régime de la responsabilité de plein droit, il est souhaitable de préciser à l’article
51 du Code que c’est le cybercommerçant, qui peut être vendeur des biens ou
prestataire des services en ligne qui est censé répondre et que le non professionnel,
vendeur ou prestataire de services occasionnel en ligne n’est pas concerné par ce
régime. D’ailleurs, sans aucune définition légale, le cybercommerçant est qualifié
par l’ordonnance-loi tantôt de professionnel, tantôt de fournisseur. Ces concepts
devraient être bien circonscrits afin de dissiper toute confusion d’interprétation.
Tout compte fait, nous retenons que le Droit du commerce électronique tel
qu’issu du Code du numérique n’est pas un Droit de la cyberconsommation. Il régit
non seulement les relations contractuelles entre professionnels et
cyberconsommateurs, mais également entre professionnels ou entre particuliers. Si
l’on veut protéger efficacement les cyberconsommateurs congolais, il faudrait un
régime juridique particulier de la consommation électronique qui peut soit être
clarifié dans l’actuel Code du numérique ou soit inséré dans le futur Code de la
consommation. Mais, à ce jour, il reste à voir si la mise en pratique des dispositions
pertinentes actuelles du Code du numérique remplira l’objectif de protection efficace
du cyber acheteur congolais.
*
*
*
166
Gestion bancaire à l’aune de la digitalisation du secteur
bancaire
Par :
Sam KASSANDA SALMA
Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete et
Assistant à l’Université de Kinshasa
Apprenant au 3e cycle de DEA à l’Université
de Kinshasa
[email protected]
Resumé
Notre article analyse essentiellement l’apport de la dématérialisation des
instruments financiers dans la gestion bancaire. En effet, les nouvelles technologies
de l’information et de communication dans la gestion bancaire ont bousculé
positivement les habitudes des institutions bancaires pour un meilleur rendement de
la politique de la gestion de la clientèle. La dématérialisation, comme composante
fondamentale de la digitalisation vise à rendre les banques plus compétitives en
mettant en exergue la politique de la dématérialisation dans l’offre des produits
financiers. Depuis le début des années 2000, le secteur bancaire et financier se
confronte à un remodelage total de ses activités traditionnelles. Les acteurs disruptifs
de ces changements profonds sont les « fin-techs », nouveaux arrivants sur le marché
financier qui ont su faire démentir l’idée reçue selon laquelle, les banques
traditionnelles étaient détentrices de toute l’activité bancaire. En termes simples, de
nouvelles solutions se sont avérées nécessaires pour une large variété de prêteurs, la
poussée vers le digital devient donc une priorité. Ainsi, appert-il également capital
de démontrer la nécessité de l’apport de la numérisation et la dématérialisation des
instruments financiers en République Démocratique du Congo.
Mots clés : Banque-Digitalisation-Instruments financiers-Numérisation-Opérations
bancaires- NTIC-OHADA.
Abstract
Our study aims substaially to contribute to the dematerialization of financial
instruments in banking management. Indeed, information and communication
technologies in banking management or sector have visible impact to the point of
disrupting banking practices for better performance of customer management policy.
Dematerialization, as a fundamental component of digitalization, aims to make
commercial banks more competitive by highlighting the policy of dematerialization
in the offering of financial products. Since the beginning of the 2000s, the banking
and financial sector has been faced with a total remodeling of its traditional
167
transactions. The disruptive actors in these profound changes are the “fin-techs”,
new arrivals on the financial sector which have been able to disprove the received
idea that traditional banks own all banking activity. Simply put, new solutions have
proven necessary for a wide-covered ground and variety of lenders, so the push to
digital is becoming a priority. Thus, it is clearly obvious to highlighting the
existential necessity for the real advantage of digitalization to the banking sector in
the dematerialization of financial instruments.
Keywords: Banking-digitalization-financial instruments- digitalization-banking
operations-Ntic-Ohada
Plan sommaire
Introduction
I.
II.
III.
IV.
V.
VI.
VII.
Evolution du droit bancaire congolais
Bref regard du droit bancaire.
Réformes intervenues dans ledit système
Impact de la numérisation sur les opérations bancaires.
Rôle de la nouvelle technologie dans les opérations de crédit.
Législation communautaire sur la dématérialisation des instruments
financiers.
Conditions de création et de détention des instruments financiers
dématérialisés.
Conclusion
……………………………………………………………….
Introduction
Les nouvelles technologies d’information et de communication engendrent
pour chacun d’entre nous un nouveau rapport dans le monde des affaires, une
nouvelle façon d’appréhender le temps et l’espace, une autre manière de concevoir
l’information, les connaissances et l’autonomie d’action, de transactions
commerciales, économiques, financières et sociales n’échappent plus à ce nouveau
mode d’existence. De ce fait, elles introduisent une série de révolutions en chaîne
dans notre vie quotidienne, comme c’est le cas d’ailleurs dans le secteur bancaire357.
Les auteurs experts attitrés dans le domaine, vont jusqu’à parler d’un nouveau
concept qu’est la "disruption numérique", c’est-à-dire d'une rupture entre le système
traditionnel et classique dans le secteur bancaire d'avec le mode actuel et moderne
357
KLEIN (O), « Banque et nouvelles technologies : la nouvelle donne » ; in revue d’économie
financière
168
reposant sur la digitalisation dans le secteur de la vie économique et financière dans
un sens large358. La numérisation ou la digitalisation, les deux vocales signifiant la
même chose, touche et redéfinit tous les aspects de la vie publique, de la vie
socioéconomique et de la vie financière. Elle préside désormais sur l'archivage
électronique, la dématérialisation des procédures administratives, fiscales,
financières, commerciales et bancaires. Aucun domaine dans le secteur des affaires
n'échappe dès lors à la digitalisation ou à la numérisation359.
Ainsi, dénote-t-on une révolution commerciale qui bouleverse, d'une part, les
rapports entre les producteurs, les distributeurs et, d'autre part, les clients et les tierces
personnes notamment le fisc et les créanciers obligataires ou toute autre personne
physique ou morale contractant avec l’entité économique ou commerciale. Ces
derniers voient, en effet, leur pouvoir très renforcé puisqu’ils sont aujourd’hui plus
libres d’agir, plus avertis, ils disposent de plus d’informations, peuvent comparer les
prix et bénéficient ainsi d’une plus grande liberté de choix. C’est ce que nous
appelons la « révolution client ». Elle est devenue le centre d’intérêt des entreprises.
C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre elles développent depuis quelque
temps des discours orientés vers les clients, comme si la préoccupation était nouvelle.
La seconde est que les rapports de pouvoir se trouvent donc inversés au
bénéfice du client. Mais, dans bon nombre de secteurs économiques diversifiés, ce
phénomène est également perceptible dans les rapports entre les producteurs et les
distributeurs. La position de ces derniers se trouve alors potentiellement renforcée.
De toute évidence, la prise de pouvoir du client met fin à la hiérarchie traditionnelle,
née au XXème siècle, reposant sur la capacité du producteur360 à imposer ses produits
aux distributeurs qu’il a choisis et sur celle du distributeur à imposer ces mêmes
produits aux consommateurs. Cette disruption numérique, soulignent Émile Laroche
et Josh Denis précités, « va apporter un nouvel attribut de performance qui permettra
de remplacer les anciennes technologies.
C'est donc un phénomène de rupture qui fissure les modèles traditionnels et
qui «évince» des marchés certains acteurs qui n'ont pas su se réinventer, innover,
répondre rapidement aux bouleversements (nouveaux) technologiques, et par
conséquent ne survivent pas ». En outre elle s'avère indispensable d'autant plus
qu'elle favorise la dématérialisation des produits financiers et d’autres types de
produits financiers dérivés. Toutefois cette révolution (disruption numérique) n’a pas
358
359
360
GUERRERO (G.G), Disruption numérique et impacts sectoriels, Paris, disponible en ligne :
https://www.bsi-economics.org/547-disruption-numerique-impacts-sectoriels, consulté le 15
août 2023.
Voir LAROCHE (J.E), et DENIS (B.J), Les enjeux de la digitalisation et perspectives de
performance du secteur bancaire, Paris, Éditions Saint Honoré, 2020.
KHARÖL (P), Effets de la digitalisation sur l’économie et les services publics : quand la
numérisation se globalise, Genève, édition de CRAEM, p.120.
169
laissé le secteur bancaire indifférent comme nous pouvons nous en apercevoir.
Somme toute, il est débusqué certains défis sur multiples fronts. Particulièrement du
point de vue professionnel, les établissements de crédits ou les banques congolaises
œuvrant dans le secteur privé, sont affectées par des facteurs macroéconomique et
des exigences en capitaux alors que du point vue technologique, elles sont impactées
par un environnement en disruption numérique en constante évolution qui plus,
demeure soumise incessamment à une prolifération des nouvelles technologies qui
n’arrêtent pas de se développer. Pour preuve, l’intelligence économique qui d’ores
et déjà, soulève des polémiques entre scientifiques et professionnels bancaires. Ces
défis n’ont pas seulement impacté le potentiel de croissance de la profession
bancaire, mais ils ont aussi entrainé des changements dans la manière dont les
interactions ont lieu entre les banques et leurs clients. Ainsi, les banques luttent pour
se conformer aux attentes grandissantes des clients, lesquelles sont suscitées par des
nouveaux entrants technologiques361.
Diversité des intentions, rapidité de diffusion de l’innovation,
bouleversement des modes de consommation, mutation de l’organisation du travail,
révolution des données362, somme toute, les changements sociétaux induits par la
révolution digitale sont multiples, profonds et durables, et l’accélération
phénoménale363. A cet effet, on ne peut nier que les réseaux bancaires sont au cœur
et un moteur de l’innovation.
Au vu de ce qui précède, le présent article examine la préoccupation des
retombées de la nouvelle technologie sur le droit bancaire qui fait exclusivement
l’objet de notre étude. Il s’agit d’une part, de nous interroger sur la régulation
existante par le législateur congolais en rapport avec la numérisation du secteur
bancaire et d’autre part, de tirer comprendre les enjeux et perspectives en lien avec
l’évolution du comportement et des attentes des clients vis-vis des banques364.
D’explorer également les avantages sécuritaires et indispensables à
l’épanouissement des affaires et de l’épargne, offerts par la présence des banques en
ligne, d’en expliciter la transformation nécessaire des banques traditionnelles face à
l’arrivée des banques mobiles sur le marché national et enfin, d’évaluer les
innovation apportées par la technologie numérique dans le secteur bancaire.
CICHOWLAS (A), « Technologie et transformation des services bancaires : l’exemple de technovision de CAP Gemini », disponible en ligne : www.cairn.info/revue_d’économie-financière2015, n° 120, pp.35-56., (consulté le 19 août 2023).
362
KHARÖL (P) et HELENE (F), Qui du secteur bancaire et financier face aux nouveaux produits
financiers ? Genève, édition de CRAEM, p.120.
363
Idem, p.121.
364
RICARDO (G), Digitalisation des marchés financiers en en Asie : émergence de la transformation
numérique, Sfax, Presses universitaires de Sfax, pp.34-39.
361
170
I. Evolution du droit bancaire
Au cœur du droit bancaire se trouve le commerce de l’argent, ce bien
précieux, qui a toujours été l’une des principales préoccupations des organisations
ou entités de toute taille. La réalisation des différents projets nourris par les ménages
nécessite le plus souvent l’intervention des banques sous forme de prêts divers. Par
le droit bancaire, il faut entendre comme l’ensemble des règles visant à régir les
activités exercées à titre de profession habituelle par les établissements de crédit. Il
régit donc à la fois, le droit des professionnels et celui des opérations de banque365.
L’activité bancaire est fondée sur la réception de dépôts du public et
l’affectation des sommes reçues à des opérations de crédit et à des opérations
financières. Cette analyse est fort éloignée de la réalité économique, en supposant
que les banques se bornent à redistribuer les dépôts reçus alors que leur activité
fondamentale est le crédit366. Cette définition montre que le droit est à la fois un droit
des acteurs et un droit des activités367. Le droit bancaire est une expression parfois
délaissée au profit de celle de droit de crédit368. La réalisation des projets nécessite
toujours l’argent ; il a toujours été une des préoccupations humaines, sans argent
dans le monde contemporain comme dans le monde moderne, il n’est pas possible
de développer une quelconque activité. Cela nécessite généralement l’intervention
des intermédiaires comme les banques.
Ces dernières ne datent pas d’aujourd’hui quand bien même elles connaissent
une certaine évolution. D’où l’importance d’interroger l’histoire pour mieux
appréhender son fonctionnement datant et ainsi cerner l’essence même de
l’amélioration du système bancaire grâce aux nouvelles technologies. Ainsi ce
chapitre s’articulera autour de l’évolution du système bancaire congolais et les
reformes intervenues dans ce domaine.
II. Bref aperçu du système bancaire congolais
Etant donné que le métier de la banque est aussi vieux que la monnaie, parler
de l’origine existentielle de la banque reviendrait à parler de l’usage de la monnaie.
Il est démontré qu’il a existé bien avant la colonisation sur le territoire congolais des
monnaies convertibles qui ont permis les échanges entre les différentes populations
des royaumes, empires et d’autres territoires. Somme toute, l’avènement des banques
commerciales et d’investissements, reste la résultante de la monnaie bien avant que
365
LUABA NKUNA (D), Manuel de droit bancaire et monétaire, cours aux apprenants du troisième
cycle 2018-2020, p.7, inédit
366
GAVALDA (G) et STOUFFLET (J), Manuel de droit bancaire « institutions-comptes, opérationsservices, 7ème édition, Paris, Litec, 2008, p.19.
367
BONNEAU (T), Droit bancaire, 13e édition, Paris, LGDJ, 2019, pp.13-14.
368
Idem, p.14.
171
l’or ne soit changé en unité de monnaie fiduciaire et en monnaie scripturale369.
Lorsque la banque centrale achète des obligations d'Etat sur le marché primaire, elle
crée néanmoins de la monnaie de façon indirecte. En effet, la banque centrale paye
les titres qu'elle acquière au moyen de liquidités qu'elle crée ex nihilo 370. En effet,
divers objets ont été utilisés comme monnaie par plusieurs communautés du Congo.
Selon la Banque Centrale, cette monnaie était préférable par rapport aux autres suite
à sa forme et difficile à contrefaire. Cependant, en raison de l’exploitation abusive,
de ces coquilles par les arrivants portugais, il en résulta une forte dévaluation du
« nzimbu » à l’époque comme la première de l’histoire monétaire congolaise et sa
substitution par les tissus du pays371 connus par presque toutes les communautés
congolaises avant la colonisation372.
A. Système bancaire congolais durant la période d’avant et d’après l’indépendance
à nos jours
Bien plus, avant l’arrivée des occidentaux, les forgerons congolais avaient à
fondre le fer et le cuivre et à fabriquer divers objets comme par exemple la population
du Katanga qui par la suite d’abondance des métaux et spécialement du cuivre facilita
la fabrication des monnaies, y compris les croisettes, bracelets, annaux appelées
« luhanu » ou « luleano ». Malgré les influences extérieures par l’effet des
conquêtes, nous pouvons assumer qu’il a existé une organisation légale autour des
rois, empereurs et autres autorités de l’époque qui a permis cette stabilité373. En dépit
de ce qui précède, on peut convenir que le système bancaire congolais moderne est
de formation récente et en perpétuelle adaptation.
B. Deux grandes périodes : de l’État indépendant du Congo à l’indépendance du
30 juin 1960 et à nos jours
Il peut se subdiviser en deux grandes périodes, la première allant de la
proclamation de l’Etat indépendant du Congo à l’indépendance le 30 juin 1960 et la
369
DAVID GAUTHIRER (P), Apport de la transformation numérique dans la gestion des ressources
humaines, p.54. Voir NINGANGA MASIALA (J), La monnaie ayant en cours en RD Congo,
cahiers de droit et d’économie monétaire, p.78. Et document disponible en ligne : officiel
www.bcc.cd, pour plus de détails sur la monnaie congolaise avant la colonisation. Lire également
en ligne sur : https://chainglob.com/monnaie-au-congo-rdc-histoire/. En effet, l’histoire monétaire
du Congo (celle bien documentée) commence à 1887, lorsque le colon Belge Léopold II dota à
l’Etat Indépendant du Congo (ancienne appellation de la RDC) sa propre monnaie; le Franc
congolais (CDF). A l’époque, la valeur du CDF était équivalente à celle du franc-or belge. Le
franc congolais est resté usuel jusqu’en 1967, sept ans après l’indépendance du Congo (DRC). Ce
changement a eu lieu suite à la prise du pouvoir du Maréchal Mobutu qui a changé le nom du
pays, celui du fleuve Congo et de la monnaie en Zaïre.
370
https://www.lafinancepourtous.com ›, consulté le 19 novembre 2023 à22h55
371
ANNIE (C), op.cit., p.56.
PUTU KIWANDA (D), Droit bancaire congolais, 1ère édition, Kinshasa, Médiaspaul, 2015, p.50.
373
Idem, p.51.
372
172
seconde du 30 juin 1960 à nos jours374. Avant la colonisation, l’économie congolaise
n’était pas monétaire, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existait pas d’activité
commerciale, bien au contraire au contraire375. Au cours des années dernières, la
technologie a influencé de façon importante la presque totalité des secteurs de
l’économie. Des façons plus spécifiques, les nouvelles technologies ont modifié la
façon dont les entreprises du secteur entrent en contact avec leurs clients376. De la
proclamation de l’Etat indépendant du Congo à l’indépendance, le Congo n’exerçait
pas encore sa souveraineté monétaire et le système mis en place parait presque
opaque. Pendant toute cette période, une banque privée aura donc exercé les
fonctions de la banque centrale alors que la supervision du secteur bancaire était
assurée par la commission Bancaire Belge en toute opacité377. La banque s’engageait
à assurer le service de la caisse et de la trésorerie dans ses succursales et agences aux
conditions d’une convention spéciale signée le 07 juillet 1911 ; avec comme
conséquence, l’émission de billets était autorisée à Matadi, Léopoldville, Stanley
ville et Elisabethville et dans toutes autres succursales ou agences désignées avec
l’accord du ministre des colonies, sans que le nombre des centres d’émission ne
puisse être supérieur à six. Le secteur de la micro finance n’a, au cours de la même
période, été organisé qu’après 1950. Mais cette législation est embryonnaire et
inadaptée aux institutions financières comme les établissements de crédits378. En
outre, tout en étant conscient que l’utilisation des billets et des pièces comme moyen
de paiement n’irait pas sans mal379. L’absence des établissements de crédit public
ainsi que l’effritement presque total des participations publiques ; pareil les
institutions financières spécialisées qui se font rares actuellement380.
I.
Des réformes intervenues dans le système bancaire congolais
Les développements qui précèdent démontrent donc que le système bancaire
d’abord était devenu non seulement inadapté et obsolète mais aussi qu’il ne répondait
plus à ses fonctions traditionnelles et aux attentes des ménages. Au-delà de tout ce
qui précède, il s’est observé récemment un renouveau mais en même temps une
modernisation du système bancaire congolais. D’où différentes réformes sont
intervenues et cette évolution positive découle des réformes entreprises depuis 1997
DAVID MARTIN (V), Droit bancaire et numérisation : regard d’Afrique, Paris, Saint Honoré,
p.34.
375
LUABA NKUNA (D), op. cit., p.2.
376
BÉLISLE (D), L’impact de l’utilisation des technologies bancaires libre-service sur l’intérêt du
consommateur pour l’approche relationnelle, Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade
de maitrise en science à l’école des hautes études commerciales affiliée à l’Université de Montréal,
2001, p.17
377
PUTU KIWANDA, op.cit., p.52.
378
Document disponible en ligne : www.bcc.cd, consulté le 18 août 2023.
379
MALLARD DUPONT (F), Histoire des banques en Afrique, 2ème édition revue, Paris, PUF, 2022,
pp.45-47.
380
Idem, p.48.
374
173
et qui se poursuivent de nos jours, vu les exigences de la numérisation et de la
digitalisation de l’économie à travers le monde381.
Dans la même optique, on note que ces évidences factuelles dans le secteur
bancaire, sont notamment marquées par l’adaptation du cadre légal, liquidation et
restructuration des banques, le renforcement de la supervision des établissements
bancaires et d’autres intermédiaires financiers y compris la modernisation des
infrastructures relatives au système national de paiement382.
Au départ, la réforme a visé entre autre l’encadrement de l’introduction de la
nouvelle monnaie, l’unification de l’espace monétaire national dans lequel circulait
les différentes monnaies, l’homogénéisation de l’éventail fiduciaire, le
rapprochement des taux de change à travers les différentes provinces, le contrôle des
émissions monétaires ainsi que l’équilibre budgétaire par la limitation des dépenses
de l’Etat en fonction des recettes effectivement encaissées383. Ainsi après avoir
obtenu à partir du mois d’avril 1998 la résorption des enclaves monétaires et de la
convergence des taux de change, le franc congolais fut lancé le 30 juin 1998.
Au niveau de la Banque Centrale du Congo, plusieurs pesanteurs étaient
identifiées, en l’occurrence, la prépondérance des structures logistiques non liées aux
missions essentielles de la Banque, comme l’Hôtel des monnaies, les services
médicaux, l’atelier de menuiserie et de garage, etc384. Le diagnostic tiré de l’échec
du système financier d’avant 1997 commandait d’adapter la législation aux standards
internationaux, ainsi les lois suivantes ont servi de support aux différentes réformes
notamment :
-
Décret-loi n°004 relatif au régime des opérations en monnaies
nationale et étrangères en République Démocratique du Congo ;
Loi n°002/2002 portant dispositions applicables aux coopératives
d’épargne et de crédit ;
Loi n°003/2002 relative à l’activité et au contrôle des établissements
de crédit ; Loi n°005 relative à la constitution, à l’organisation et au
fonctionnement de la Banque Centrale du Congo ;
Décret-loi n°064 du 24 avril 1998 portant régime d’exemption relatif
à la restructuration de la Banque Centrale du Congo ;
Le Décret-loi n°065 du 24 avril 1998 portant régime spécial de la
restructuration des banques et institutions financières ;
Loi n°04/016 portant lutte contre le blanchiment de capitaux et le
financement du terrorisme ;
381
SUMATA (C), Gestion bancaire Kinshasa, CRIDP, UPN, p. 32.
Voir BCC, « Plan stratégique de la BCC 2010-2013 », Kinshasa, Décembre 2010.
383
MASENGU MULONGO, Contribution à l’assainissement du système financier congolais,
Kinshasa, 2004.
384
PUTU KIWANDA, op.cit., pp. 63-69.
382
174
-
Loi n°18/027 du 13 décembre 2018 portant organisation et
fonctionnement de la Banque Centrale.
A ces textes législatifs dont la liste n’est pas exhaustive, il convient de
mentionner de nombreux textes réglementaires d’origine diverse en l’occurrence les
instructions385 de la Banque Centrale du Congo qui ont force de lois selon le
Professeur Bankandeja wa Mpungu (G)386. Soit dit en passant, un marché
boursier est un marché sur lequel les investisseurs, qu'ils soient particuliers ou
professionnels, propriétaires d'un ou plusieurs comptes en bourse, peuvent acheter
ou vendre différentes valeurs mobilières387.
Cet auteur qui plaide en faveur d’une institution d’un marché financier au
sens d’une Bourse de valeurs mobilières, est relayé par le professeur Muanda Nkole
wa Yahve (D.J.)388 qui à son tour, affirme que : « l’on ne peut confondre le marché
financier et le système bancaire car en République Démocratique du Congo, le
législateur depuis l’accession à l’indépendance n’a toujours pas institué un marché
boursier, causant ainsi une absence de capacité d’absorption de cotation des sociétés
commerciales. Les sociétés cotées, les sont à l’étranger. Ce qui représente une perte
en termes de fiscalité d’entreprise de sociétés multinationales et de groupe de
sociétés tel que le souhaite le législateur communautaire de l’OHADA. Ainsi, noteon, un manque à gagner fiscal et comptable dans le secteur des entreprises
marchandes ou industrielles ou sociétés commerciales cotées en bourse »389.
IV. Impact de la numérisation sur les opérations bancaires en Républiques
Démocratique du Congo
Au terme de l’article 3 de la Loi n° 003/2002 du 02 février 2002 relative à
l’activité et au contrôle des établissements de crédit : « la banque est un
établissement de crédit habilité de façon générale à recevoir du public des fonds à
vue, à terme fixe ou avec préavis et à effectuer toutes les autres opérations de
banque ». Les opérations de banque comprennent essentiellement :
-
la réception et la collecte des fonds du public ;
les opérations de crédit ;
385
Document
disponible
en
ligne dans
https://www.bcc.cd/operations-etmarches/reglementation/instructions, consulté le 25 septembre 2023.
386
Lire à ce sujet : BAKANDEJA wa MPUNGU (G), Les finances publiques en République
démocratique du Congo, Bruylant, 2020, p.54.
387
Idem, p.34.
388
MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), Droit pénal des affaires : infractions relevant du droit
bancaire et financier, droit économique, droit commercial et droit des sociétés Franceville, 2ème
édition revue et augmentée, Editions africaines du CERDA, Université Omar Bongo et Université
de Sorbonne Paris 1, 2022, pp.105.110.
389
Idem, 112.
175
-
les opérations de paiement et ;
la gestion des moyens de paiement.
Etant donné que la banque inscrit l’innovation technologique dans son
développement, elle développe constamment des nouveaux produits afin de réaliser
ces différentes opérations lui conférer par la loi. Ainsi, nous verrons les différentes
innovations apportées grâce à la technologie à la réception et la collecte des fonds
publics, aux opérations de crédit.
Cependant, il sied de noter que la numérisation du système bancaire telle
qu’abordée dans le présent article, doit être différenciée de la numérisation de
transaction des opérations et des produits financiers via le mobile money et des
institutions de microfinance. Ainsi, la première et fondamentale différence entre les
opérations bancaires ; celles de mobile money et celles de structures de
microfinance, repose sur ce qui suit :
A. Réception et collecte de fonds publics : différence d’avec les institutions de
microfinance
La réception et la collecte des fonds publics se réalisent à travers les sommes
déposées par les utilisateurs de services de paiement sur les comptes de paiement
qu’ils ouvrent auprès d’établissement de paiement. Le dépôt de fonds en banque est
une forme de dépôt très particulière ayant la nature juridique d’un contrat car le
banquier n’est pas tenu de restituer la chose qu’il a reçu mais seulement son
équivalent : s’il reçoit des espèces, il restitue souvent par paiement d’un chèque,
virement, etc.
Selon l’article 6 de la loi n°003/2002 du 2 février 2002 « sont considérés
comme reçu du public, le fonds qu’une personne requiert d’un tiers notamment sous
forme des dépôts avec le droit d’en disposer pour son propre compte, mais à charge
pour elle de les restituer »390. Pour réaliser ces dépôts, le client est appelé à ouvrir un
compte à la banque. Et cette ouverture était datant fait en remplissant un formulaire,
deux photos passeport mais à l’ère de la technologie, certaines banques ont adopté
l’ouverture des comptes numérisés et bio-métrisés avec empreinte digitale. Cela
s’opère à l’aide des logiciels amplitude et delta.
B. Nouvelle technologie dans les opérations de paiement et gestion des moyens de
paiement
La loi de 2002 relative à l’activité et aux contrôles des établissements de
crédit, donne aux moyens de paiement la définition suivante : « sont considérées
comme moyens de paiement tous les instruments qui, quel que soit le support ou le
390
Lire l’article 6 de la Loi n° 003/2002 du 02 février 2002 relative à l’activité et au contrôle des
établissements de crédit
176
procédé technique utilisé, permettent à toute personne de transférer des fonds ». La
loi numéro 18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement et de
règlement énumère bon nombre d’instruments de paiement à savoir : le chèque, le
billet à ordre, lettre de change, ordre de virement, l’avis de prélèvement et la carte
de paiement391.
Ainsi, prenant en compte la qualité de la personne qui donne l’ordre de
paiement, on peut classer ces instruments en deux grandes catégories : ceux initiés
par le débiteur (chèque, billet à ordre, espèces, virement, carte de paiement) et ceux
initiés par le créancier (lettre de change et avis de prélèvement). Le chèque392 était
l’instrument le plus utilisés dans le système bancaire pour effectuer des transferts.
Cela exigeait du client un déplacement vers leurs banques pour réaliser ces
opérations.
Le chèque est un effet de commerce par lequel une personne appelée tireur
donne au tiré qui est obligatoirement la banque, l’ordre de payer le bénéficiaire393.
Le billet à ordre est un écrit par lequel le tireur s’engage à payer une somme à une
échéance déterminée à son fournisseur, le bénéficiaire. Les espèces désignent une
monnaie qui a cours légal. Le recourt à ses moyens de paiement est toutefois limité
essentiellement afin d’éviter la fraude fiscale. Son intervention en tant qu’opération
de banque se justifie par la considération du retrait des fonds pour compte propre
comme une opération de paiement au regard du droit bancaire. Sans nul doute,
plusieurs retraits de fonds en République Démocratique du Congo s’effectuent en
espèces après le simple remplissage d’un bordereau de retrait indiquant, notamment
le numéro de compte et le montant à retirer394. Le virement bancaire est un transfert
d’argent pouvant s’effectuer entre deux comptes ouverts dans le même établissement
bancaire ou entre deux comptes domiciliés dans des enseignes différentes.
La carte de paiement est un moyen de paiement au même titre que l’argent
liquide, consistant à la glisser dans le terminal de paiement électronique et confirmer
la transaction à l’aide d’un code PIN personnel ou signature. L’article 3 point 6 de la
loi n 18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement et de règlement
titres définit tout instrument de transfert électronique de fonds, émis par les émetteurs
d’instruments de paiement agréés dont les fonctions sont supportées par une carte de
paiement ou intelligente, permettant à son titulaire de retirer ou de transférer des
fonds.
Voir l’article 3 de la loi susmentionnée.
Pour approfondir la question, lire : DANIELLA MELANIE (M.F), Les instruments financiers,
Presses Universitaires de Toulouse, pp.67
393
Pour approfondir le sujet, lire : AKER (J.C) et MBITI (M), Mobile Phones and Economic
development in Africa, THL, 20110, p.7.
394
LUABA NKUNA, op.cit., p.109.
391
392
177
Avec les nouvelles technologies, plusieurs autres instruments de paiement
ont vu naissance tels que : le mobile « Banking et le fin-tech ». Ces nouveaux outils
numériques ont altéré deux paramètres, le facteur temps et le facteur distance. La
relation entre le client et sa banque est devenue immédiate et l’achat de produits ou
de services bancaires se fait maintenant à distance. Le client pousse de moins en
moins la porte de son agence bancaire, sauf pour traiter de ses projets de vie
significatifs. Et c’est bien là, le cœur du réacteur. L’entreprise banque plus
spécifiquement la banque commerciale n’échappe pas à ces bouleversements, bien
au contraire, étant au cœur de l’activité économique.
D’autant qu’apparaissent de nouveaux acteurs, comme les start-up de la
finance digitale, les « Fin-Tech395 » qui, en réinventant le parcours client ou en
développant des savoir-faire sur certaines des activités historiques des banques,
viennent les aiguillonner et les obliger à accélérer leur mutation. Qu’il s’agisse de la
banque en ligne, du mobile banking, du paiement et, plus généralement, de la relation
entre la banque et ses clients particuliers, l’accélération de la révolution numérique
pousse inévitablement à se demander s’il y a encore de la place pour des agences
bancaires au coin de la rue.
Selon nous, la réponse est positive. Il va de soit de la télématisation dont de
manière banale est la mécanisation des opérations bancaires a succédé avec divers
phases l’informatisation ou pour utiliser le langage euro-technocratiques la
télématisation, avec une rapidité des mutations qui a même vite dépassé ce stade396.
Avec l’arrivé de la technologie dans le secteur bancaire, la banque centrale n’est du
reste déphaser. Cela est couché dans l’instruction n°37 relative au système de
conservation, règlement et de livraison des titres géré par la banque centrale du
Congo. Le marché congolais est monétaire, c’est-à-dire celui du court terme, avec
les extensions récentes de cette notion397. Il faut bien se rendre à l’évidence :
Dans un contexte de défiance accrue des consommateurs, les banques doivent
répondre aux nouvelles exigences de leurs clients, qui expriment une forte attente de
proximité (quel que soit le canal utilisé), de praticité, comme de pertinence et de
personnalisation accrues du conseil apporté. Les clients veulent une banque plus
simple, plus pratique à utiliser et à joindre. La praticité se décline tant en termes
d’accueil, d’horaires, de canaux de relation avec son conseiller pour, le cas échéant,
ne pas avoir à se déplacer, que de disponibilité et de stabilité de leur interlocuteur.
Les clients sont également demandeurs de conseils accrus et de plus en plus
395
Terme signifiant « Financial technology », en français : « technologie financière ».
NYEMBO TAMPAKANYA, L’organisation des marchés financiers en République
Démocratique du Congo : pour l’instauration d’une bourse des valeurs mobilières, Thèse de
doctorat en vue de l’obtention du grade de docteur en Droit de l’Université de Kinshasa, soutenue
et publiquement le 16/02/2016, p.603.
397
NYEMBO TAMPAKANYA, op.cit., p.320.
396
178
appropriés ; ils exigent ainsi une vraie personnalisation de la relation, donc, ici
encore, une stabilité de leur conseiller398.
A notre humble avis, la seule issue passe par la réinvention de la banque de
proximité. La relation personnelle entre un conseiller et son client n’est pas
négociable, surtout dans un groupe bancaire composé de banques régionales de
proximité dont la force réside dans la capacité à promouvoir ce que nous pouvons
appeler la « banque sans distance », par différence avec la notion de « banque à
distance », qui fait l’hypothèse qu’une banque complète peut se passer totalement
d’un réseau d’agences.
Que recouvre ce concept ? Tout naturellement, ce qu’exigent les clients avec
la révolution technologique, sans couper court avec une relation personnalisée forte,
c’est plus de praticité et de valeur ajoutée. Conserver un relationnel fort avec son
conseiller bancaire, mais par le canal de son choix, téléphone, email ou rendez-vous
physique, en fonction du sujet que l’on veut traiter, du moment de la journée, etc.
Mais ce concept recouvre aussi une meilleure réponse au besoin d’un conseil encore
plus avisé, plus pertinent, plus approprié. Fini les produits que les banques
cherchaient à vendre par le biais d’une succession de campagnes indifférenciées. Il
serait en outre particulièrement dangereux de proposer à des clients très informés des
conseillers qui en sauraient parfois moins qu’eux-mêmes399.
Pourvu qu’elle soit plus agile, plus interconnectée et plus proactive, la banque
de réseau a tout en main pour préserver sa relation fondamentale avec ses clients en
croisant sa force la proximité avec les nouveaux outils Internet, tablette, smartphone,
en combinant au sein de chaque agence le meilleur de la banque traditionnelle et le
meilleur de la banque en ligne. Concrètement, dans chaque agence, chaque conseiller
devient ainsi le porteur du multicanal. Ce qui revient, comme nous le disions, à offrir
au client la possibilité de traiter, selon son choix, les sujets d’importance avec son
conseiller attitré face à face, par téléphone ou par email, sans se déplacer et, surtout,
avec toujours le même conseiller. Le reste, c’est-à-dire la banque au quotidien, se
traite évidemment sur téléphone mobile ou via les guichets automatiques. Combe
(E) renseigne qu’on peut en outre parfaitement développer, parallèlement aux
agences, des banques en ligne avec des conseillers attitrés pour les clients très
mobiles ou très peu disponibles. L’auteur renchérit que : « un tel modèle de « banque
sans distance » engendre automatiquement des coûts salariaux plus élevés que ceux
d’une banque à distance de type « low cost ». Cela conduit la banque à concentrer
ses ressources à commencer par ses collaborateurs sur l’apport d’une valeur ajoutée,
pour justifier la rémunération du service proposé et, partant, à miser sur le capital
398
Voy. Klein O., « Banque et nouvelles technologies : la nouvelle donne », disponible en ligne,
dans : https : //www.cairn.info/revue-d-economie-financiere-2015-4-page-17.htm, consulté le 18
août 2023 à 15 heures 30.
399
Idem.
179
humain, seul véritable facteur de différenciation dans la banque. Les produits ne font
pas la différence ». De par la réglementation et la très grande facilité à être copiés,
ils sont le plus souvent très semblables dans toutes les banques. Le vrai facteur
d’avantages compétitifs réside dans la qualité de la relation personnalisée, donc dans
le facteur humain, d’où le caractère crucial de la capacité de mobilisation et de la
pertinence des équipes de conseillers. La compétence, la réactivité et la proactivité
sont clés400.
Henrica Dorothee (P.J)401 pense que : « la digitalisation des institutions
bancaires en Afrique subsaharienne, a apporté plus de souplesse mais que le taux de
pénétration bancaire pose encore problème dans certaines pays africains. De ce fait,
l’explosion des données, conséquence de la digitalisation, et le développement des
technologies permettant de les analyser ouvrent de nouvelles perspectives encore
difficiles à appréhender. Il est cependant acquis qu’une utilisation intelligente et non
intrusive d’outils de CRM de dernière génération, fondée sur une analyse fine des
big data, permet non seulement de faciliter le parcours client, mais aussi de répondre
et surtout d’anticiper les besoins de chacun.
Les conseillers sont alors en mesure de répondre aux nouvelles attentes de
leurs clients, de développer avec eux des solutions parfaitement adaptées et
pertinentes ou de les solliciter à bon escient pour leur permettre de mener leurs
projets de vie402. Parmi les instruments dématérialisés de la banque, notons aussi que
les paiements en ligne, couramment désignés de e-paiement, sont effectués par
internet403 et permettent notamment la réalisation de paiement par carte à distance
ainsi que l’exécution des virements ou de prélèvements par le biais de service
bancaire en ligne ou le payeur passe par un portail bancaire en ligne pour
s’authentifier. L’usage de la monnaie électronique est également un instrument de
paiement dématérialisé qui est stocké sous forme électronique, y compris
magnétique reposant sur un contrat conclu entre émetteur et détenteur404. La Banque
centrale du Congo a mis en place un logiciel du système de conservation de
règlement et de livraison des titres « SCRLT » en abréger. Le SCRLT est la propriété
de la Banque Centrale du Congo, qui veille à son fonctionnement harmonieux et
continu. A ce titre, elle assure :
400
COMBE (E), Lw cost, une révolution économique et démocratique, Paris, « Fondapol », p.56.
HENRICA DOROTHEE (P.J), Effets de distorsion numérique, Paris, « Maison du livre », p.34.
402
Développements
tirés
des
sources
disponibles
en
ligne,
dans :
http :
//doi.org/10.3917/ecofi.120.0017, consulté le 19 août 2023.
403
ESPAGNON (V), « Le paiement d’une somme d’argent sur internet : évolution ou révolution du
droit des moyens de paiement ? » dans JCP, 1999, éd. E, I, 131. Spéc., n° 7 et n° 11 et s. Voir
également, du même auteur, « l’ordre de paiement d’une somme émis sur internet », Rév. Dr
bancaire et bourse, n°71, janvier-février, 1999.
404
BONNEAU (T), op.cit., pp.502-503.
401
180
-
-
Un accès réseau sécurisé aux émetteurs et aux participants au SCRLT
conformément aux dispositions de l’article 27 de la présente
instruction. Un manuel des procédures définit les protocoles d’accès
y relatifs. Ce manuel précise notamment la solution de secours
applicable en cas de dysfonctionnement du réseau ou du SCRLT et le
moment d’irrecevabilité ;
La maintenance du SCRLT ;
Tout autre service à valeur ajoutée405.
Nous pouvons lire avec ce système, la Banque Centrale décline toute
responsabilité pour les routages des ordres vers le SCRLT pris en charge par un autre
prestataire des services informatiques406, ce qui n’est pas du tout normal car la
banque fait présager un climat de méfiance à l’endroit des émetteurs, alors qu’elle
devrait prendre toute précaution sécuritaire et assumer en cas de dérapage. L’accès
au dit système pour permettre à sécuriser les opérations qui s’effectuent à travers la
SCRLT, à l’aide d’un code, dont chaque participant garantit et prend l’engagement
que ce système soit protégé contre toute utilisation non autorisés407.
V. Rôle de la nouvelle technologie dans les opérations de crédit
Depuis le début des années 2000, le secteur bancaire et financier se confronte
à un remodelage total de ses activités traditionnelles. Les acteurs disruptifs de ces
changements profonds sont les « fin-techs », nouveaux arrivants sur le marché qui
ont su faire mentir l’idée reçue selon laquelle les banques traditionnelles étaient
détentrices de toute l’activité bancaire. En effet, dès 1994, Bill Gates donne le ton
et déclare « banking is necessary, banks are not ». Dans cette dynamique, la branche
du crédit ne fait pas exception et des acteurs émergents pour répondre à des besoins
de plus en plus exigeants, pressants et trop souvent laissés pour compte par les
acteurs traditionnels bien en place408.
Même si les dérogations au monopole bancaire se multiplient, et rappelons
que la pratique des habituelle des opérations de crédit est réservée aux établissements
de crédit et aux sociétés de financement409. Le crédit constitue une technique de
financement. Cet octroi des crédits consiste à soutenir les entreprises et les ménages.
Signalons qu’avec la nouvelle technologie, il y a un logiciel maintenant qui calcul
les échéances et les intérêts idoines et certaine banque tente déjà ce mécanisme, c’est
Lire l’article 26.1 de l’instruction n°37 relative au système de conservation, de règlement et de
livraison des titres géré par la Banque Centrale du Congo de 2019.
406
Voir l’article 26-2 de la même instruction.
407
MUANDA NKOLE WA YAHVE (D.J.), La dématérialisation des instruments financiers : aperçu
du secteur bancaire congolais, Paris, édition Saint Honoré, 2020, pp.56-59.
408
www.https://skaleet.com/blog/le-credit-dans-une-nouvelle-ere-technologique/ consulté le
10/10/2023 à 13h04
409
DEKEUWER (D), op.cit., p.115.
405
181
le cas notamment de la Rawbank qui a déjà instauré le « Smart contract » dans
l’opération de crédit.
En plus des disrupteurs du marché remettant en cause le statu quo, le
comportement des consommateurs a clairement changé. Ceci, associé aux effets du
COVID-19, conduit à de nouvelles façons de prêter. Avec des réglementations
changeantes, une demande accrue et des troubles du marché, le secteur des prêts est
plus compliqué que jamais. Les prêteurs veulent accélérer les réponses aux
demandes d’emprunts et fournir le meilleur service à leurs clients, en minimisant les
risques. Pour livrer, ils cherchent à concevoir des produits agiles grâce à la
digitalisation. En termes simples, de nouvelles solutions sont nécessaires pour une
large variété de prêteurs, la poussée vers le digital reste donc une priorité410. Il appert
capital de démontrer également de la nécessité de l’apport de la numérisation au
secteur bancaire dans la dématérialisation des instruments financiers en République
Démocratique du Congo.
A. Problématique de la dématérialisation des instruments financiers en
République démocratique du Congo
Il convient de relever que pour le besoin de leur financement, depuis
l'avènement de la désintermédiation, la mobiliérisation et la titrisation des actifs
financiers, toutes les sociétés des capitaux, à moins de n'y avoir pas été autorisées,
émettaient des documents dénommés« titres»411 qui étaient représentatifs des valeurs
investies par les actionnaires, les porteurs de parts ou par les obligataires 412. Il y a
peu, leur cession avait lieu par simple remise du titre papier à l'acheteur par le
vendeur des instruments financiers413. On distinguait en effet, deux catégories de
titres : au porteur et nominatifs. Les premiers étaient ceux dans lesquels le
propriétaire restait anonyme ; son nom n'y étant nullement mentionné, seule la
410
411
412
413
Document disponible en ligne : www.https://skaleet.com/blog/le-credit-dans-une-nouvelle-eretechnologique/ consulté le 10/10/2023 à 13h04
MORRISON (A.D), «Credit derivatives, disintermediation and investment decisions», Working
Paper, Oxford University, May.
DJ MUANDA NKOLE WA YAHVE ET AHMED MOUSTAFA N’GNGUESSA M., « La
Dématérialisation des Valeurs Mobilières et L'économie numérique dans la pratique des affaires
en Afrique, séminaire de formation, 3ème Session de formation, Lomé, du 12 au 14juillet 2020,
p.28-35.
Avant, le titre au porteur matérialisait le droit qui l'avait vu naître. C'est-à-dire que ce droit était
incorporé au titre, il faisait corps avec le titre. Celui qui avait le titre avait aussi, de surcroît, le
droit qu'il contenait en lui-même. Il s'en dégage que le droit du détenteur du titre était considéré
d'une certaine manière comme portant sur une chose matérielle. Et la circulation de ce droit
incorporé se faisait sous un mode de transmission, facilité par le caractère matériel du titre : la
tradition du bien. « Titres au porteur», disponible en ligne : www.google.fi ; consulté le 18 mai
2006. Lire aussi Causse H., Principe. Nature et logique de la dématérialisation, Paris, éd. JCP,
Paris, 1992, p.54.
182
possession du titre lui en conférait, de plein droit, propriété ; en d'autres termes, le
détenteur de titres au porteur était présupposé en être, d'office, propriétaire.
Ces titres existaient sous forme matérielle (sur papier) que sous forme
scripturale (sous dos sier). Un éventuel transfert de leur propriété intervenait par
simple transfert physique (forme matérielle) ou par virement vers le dossier-titres
d'un tiers (forme scripturale)414. Par contre, les seconds mentionnaient clairement le
nom du titulaire. Ils étaient inscrits au registre des actionnaires de l'entreprise au nom
d'une personne bien définie et ne pouvaient être cédés que moyennant le respect des
procédures spécifiques et des dispositions statutaires415. Les conséquences de cette
matérialisation des actifs financiers sur l'efficacité des systèmes financiers des États
cependant, le manque de la croissance économique réelle d’une part et d'un
développement fulgurant des opérations du marché se sont avérées
systématiquement regrettables face à tous les risques auxquels ses derniers étaient
exposés d’autre part ; d’où la nécessité de la dématérialisation pour République
démocratique du Congo.
Devant des divers problèmes de sécurité et de fiabilité des investissements
posés par le système des instruments matérialisés, un besoin urgent de réforme s'est
fait sentir dans presque tous les pays à forte économie de marchés.
B. Législation interne face à la dématérialisation des valeurs mobilières en RDC
Les textes juridiques précurseurs de ce système sont très récents et plusieurs
n’en ont pas encore pris connaissance jusque-là du fait du défaut ou du moins de la
conception des mécanismes nationaux de vulgarisation ; dont le décret n°18/025 du
11 juin 2018 portant modalités d’émission et de remboursement des bons du trésor
et la loi n°18/019 du 09/07/2018 relative aux systèmes de paiement et de règlement-
414
Don José MUANDA explique que : « dans les titres au porteur, les droits du titulaire étaient
incorporés dans le certificat d'action (ou d'obligation) établi par la société émettrice de telle sorte
que le porteur du titre en était réputé propriétaire. Le titre au porteur était cessible par simple
tradition, c'est-à-dire par remise de main à main. Toutefois, les sociétés faisant appel public à
l'épargne avaient la faculté d'opter pour un régime d'inscription de leurs actions, qu'elles soient
nominatives ou au porteur, dans un compte ouvert au nom de leur propriétaire, soit par la société
émettrice, soit par un intermédiaire financier agréé par le ministre chargé de l'économie et des
finances, leur transmission s'opérant alors par virement de compte à compte. Ancien article 7642° de l'acte uniforme de l'OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et groupement
d'intérêt économique ».
415
Les droits du titulaire des titres nominatifs résultaient de la seule inscription dans les registres de
la société, le certificat nominatif délivré en pratique par la société émettrice ne valant pas en luimême titre de propriété. FOYER (J.), La dématérialisation des valeurs mobilières en France,
Mélanges Flattet. Lausanne, 1985, p.2.
183
titre ; le législateur a généralisé la dématérialisation qui, n’était prévue jusque-là que
pour certains titres sur le sol camerounais416.
Néanmoins, l'expression« titres financiers» n'a toujours pas été cisaillée du
vocabulaire juridique national des marchés financiers. Ce qui présage une confusion
entre les titres et les instruments financiers417.
Les instruments financiers sont des titres ou contrats, qui peuvent pour
certains se négocier sur les marchés réglementés ; Pour d'autres, ils sont utilisés pour
anticiper une rentabilité ou un risque financier ou monétaire. A titre d'exemple, une
action d'une société cotée en bourse, est un instrument financier ; alors
qu’un titre financier
représente
un
droit
de
propriété.
C'est une
reconnaissance qu'une personne ou une organisation est propriétaire d'une partie du
capital de la société ou alors d'une partie de la dette d'une société418. La
dématérialisation des titres au porteur est un système par lequel la loi française a
séparé le droit du titre qui le constate. Désormais, le droit existe séparément du titre,
dans un registre tenu à cet effet. L'acquisition du droit est enregistrée au profit de
celui qui transige avec la société émettrice.
Ce système ne s'est pas amené de lui-même sans cause. Il a fallu que le
législateur français y eût trouvé avantage sur le plan économique. C'est ainsi qu'il
réduit les coûts d'émission du titre et apporte aussi certains autres avantages sur le
plan fiscal. Le système de dématérialisation en soi n'est pas sans conséquences sur
la nouvelle considération que nous devons faire au titre au porteur et sur le droit qui
le sous-tend. Si cession des valeurs mobilières admises aux opérations d’un
dépositaire central ou livrées dans un système de règlement et de livraison agrée par
l’organe compétent de chaque Etat partie, s’il y a, cette inscription sera effectuée à
la date et selon les conditions définies par l’autorité de marché compétente. Pour les
autres cas, l’inscription est faite à la date convenue par l’accord des parties tout en
notifiant la société émettrice. De cette révision découle l’obligation pour chaque
416
417
418
La République Démocratique du Congo également en dépit du vide juridique sur la question de
l’organisation du marché financier, prévoit tout de même la dématérialisation des valeurs des
instruments financiers en vue de se conformer au droit Ohada,
La République Démocratique du Congo, en dépit du vide juridique entretenu en matière
d'organisation des marchés financiers des capitaux, prévoit tout de même la dématérialisation des
instruments financiers en vue de se conformer à la législation communautaire qui, du reste, n'a
consacré que la dématérialisation des valeurs mobilières, renvoyant la possibilité de celle des
instruments financiers du marché monétaire aux autorités compétentes des États parties; mais cette
confusion n'a également pas semblé être détectée par le législateur.
ROSETTE MARIER-FRANCE, la dématérialisation des produits financiers face au Droit
OHADA, quelle interaction ? Bruxelles, IPSO, « actes de colloque », Université Libre de
Bruxelles, pp.231.
184
valeur mobilière, peu importe sa forme, de faire objet d’une inscription au compte et
au nom du propriétaire419.
VI. Législation communautaire sur la dématérialisation des instruments
financiers
Dès alors que la République Démocratique du Congo adhère à l’OHADA, le
mot dématérialisation ne figurait dans l’acte uniforme relatif au droit des sociétés
commerciales et GIE. Il a fait son entré en 2014, après la révision faite le 30 janvier
de la même année, et en République démocratique du Congo logiquement ce concept
apparait et cela sur pied de l’article 744 qui adapte les régimes des opérations
boursières communautaires aux exigences modernes des marchés financiers. Cette
révision a apporté des innovations suivantes :
-
l’intégration de la distinction entre le marché des capitaux, le marché
monétaire et le marché dérivé ou à terme ;
la consécration de l’émission par les sociétés anonymes des
instruments financiers autres que les valeurs mobilières et la
soumission de la fixation de leurs régimes, forme et caractéristiques
à la réglementation de l’autorité compétente de l’Etat partie.
Cependant, il se dégage néanmoins, certaine contradiction à l’idée de la
dématérialisation contenue dans les articles 744 et 744-1 notamment dans la
consécration de la dualité de titres à l’article 745 AUSCGIE, ainsi facilitant la
transition des titres aux porteurs et (matérialisé) de celui-ci dématérialisé instauré
avec l’avènement de l’OHADA. Les valeurs mobilières confèrent des droits
identiques en donnant accès directement et indirectement à une quotité du capital de
la société émettrice ou à un droit de créance général sur son patrimoine par
catégories. L’émission des parts bénéficiaires et des parts de fondateur est interdite ;
les sociétés anonymes peuvent aussi conclure des contrats financiers, également
appelés instruments financiers à terme, cas échéant, dans les conditions fixées par
l’autorité étatique compétente de chaque Etat.
Il convient de se demander si ceci n'a pas été précipité par le législateur. Etaitil donc opportun de consacrer la dématérialisation des valeurs mobilières alors que
les marchés financiers des capitaux, cadre idéal de leurs émission et circulation, n'ont
pas encore été organisés ? Nous estimons, de notre part, que cette dématérialisation
concerne également les instruments financiers délivrés aux fondateurs de la société
en contrepartie de leurs apports, quoiqu'en dehors du cadre de marchés financiers ;
419
MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J) et MOUSTAFA N’GNGUESSA (M), « la
dématérialisation des valeurs mobilières et l’économie numérique dans la pratique des affaires en
Afrique, séminaire de formation, 3e session de formation, Lomé, du 12 au 14 juillet 2020, p.p2835
185
ce qui implique, dorénavant, la délivrance, par les nouvelles sociétés, des instruments
financiers aux fondateurs à travers leur inscription aux comptes ouverts en leurs
noms ; et la conversion des titres des anciennes sociétés en instruments financiers
dématérialisés420.
Cependant, la loi n°18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de
paiement et de règlement-titres, y compris la loi n°18/027 du 13 décembre 2023
portant organisation et fonctionnement de la Banque Centrale avec l'intégration des
divers procédés électroniques y relatifs, a apporté sans doute une autre innovation
majeure dans l'arsenal juridique congolais, à l'instar de la dématérialisation sus
évoquée, y consacrent l'exclusivité de cette dématérialisation qui traduit par la
soumission de tout instrument financier à l'obligation d'inscription est appelée à
réglementer les marchés monétaires et promouvoir les marchés des capitaux » et les
articles 23 respectifs qui disposent : « la banque réglemente, par voie d'instructions,
les opérations sur les marchés monétaires. A cet effet, die est habilitée à déterminer
les entités autorisées à émettre des instruments financiers sur ce marché et à fixer les
règles régissant les marchés primaires relatifs à ces instruments. En outre, la banque
fixe des règles : régissant les marchés secondaires relatifs à ces instruments,
notamment les critères et les conditions d'éligibilité des différents participants à ces
marchés ; de fonctionnement de ce marché ; relatives à la liquidation des opérations
sur ces instruments ».
Les acteurs de la dématérialisation sont notamment, les émetteurs, les teneurs
de comptes conservateurs (principalement les établissements de crédit) et le
dépositaire central dont le rôle en République Démocratique du Congo est
fondamentalement joué par la Banque Centrale qui est l'autorité de régulation et de
contrôle des marchés monétaires421. Par ailleurs, le décret n°18/025 du 11 juin 2018
fixant les modalités d'émission et de remboursement des bons du trésor et obligations
du trésor n'a du moins pas été muet sur la notion de la dématérialisation des
instruments financiers en République Démocratique du Congo.
Les articles 5 et suivants de ce texte prévoient le principe de l'exclusivité de
ce système en écartant, donc, toute possibilité de la détention des bons et obligations
du trésor sous forme de titres, quels qu'ils soient, en République Démocratique du
Congo422. Cependant, il faut le rappeler, la confusion entre titres et instruments
financiers décriée ci-haut a été reprise par les autorités congolaises tant dans le décret
du 11 juin que dans la loi du 09 juillet ci-dessus. L'article 1 de ce décret dispose : «
l'État peut émettre des titres représentatifs d'emprunts publics appelés bons du trésor
MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), MOUSTAFA (A) N’GNGUESSA (M), op.cit., pp. 28-35
Voir les articles 14 à 18 de la loi n° 18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement
et de règlement-titres. Et l’article 23 loi n°18/027 du 13 décembre 2018 portant organisation et
fonctionnement de la banque centrale.
422
MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), MOUSTAFA (A) et N’GNGUESSA (M), op.cit., p.45.
420
421
186
et obligations du trésor»423 ; l'article 4 du même texte s'ajoute à ce constat en
définissant les bons et obligations du trésor comme des titres424.
En plus, le libellé même de la loi du 09 juillet 2018 précitée commence par
faire preuve de l'entretien de ce quiproquo en parlant du règlement-titres alors que
son contenu consacre la dématérialisation des instruments financiers, ce qui signifie
l'absence de titres représentatifs de ces derniers. Cette situation nous parait très
délicate et nécessite la correction de ces différentes imprécisions, d’apparences
simples, mais qui peut causer plusieurs difficultés, surtout en ce qui concerne le
contentieux qui porte, notamment sur les différentes modalités d'échange des
instruments financiers dématérialisés.
VII. Conditions de création et de détention des instruments financiers
dématérialisés
Tous les pays consacrant l'exclusivité du régime de la dématérialisation,
suivent généralement ou doivent normalement mettre en place des mesures
d’encadrement de la suppression des titres au porteur ou tout autre titre car dans un
système d'instruments financiers425 exclusivement dématérialisés et soumis au
régime d'inscription au compte- au nom du propriétaire et de la transmissibilité de
compte à compte, l'émission des titres est pratiquement inimaginable, comme les
nouveaux instruments financiers sont créés sous la forme détitrées.
Ainsi, les titres créés antérieurement, qu'ils soient au porteur ou nominatifs,
sont destinés à être détruits au profit des comptes ouverts au nom de leurs
titulaires426. Telles sont les deux sources de création des instruments dématérialisés
à l'ère actuel d'une véritable globalisation financière.
423
Article 1 du décret du 11 juin sus-évoqué
Article 4 du texte susmentionné
425
Voir les articles 14 à 18 de la loi n° 18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement
et de règlement-titres.
426
En France par exemple, la SICOVAM (Société Interprofessionnelle pour la Compensation des
Valeurs Mobilières), renommée Euroclear, assure la compensation des titres. 92% des actions
françaises seraient déjà en garde auprès d'un établissement financier. Pour les obligations, ce
pourcentage est de l'ordre de 75 à 80. A la date du 31 mars 1983, la SICOVAM assurait la
conservation de 1,5 l milliard de titres, dont 1.2 milliard de titres français et 0.3 milliard de titres
étrangers. L'effectivité de la dématérialisation le 04 Novembre 1984 ne devait alors porter que sur
la destruction d'environ 500 millions de titres, jadis au porteur. Un délai de cinq ans avait été
accordé aux actionnaires pour procéder à l'échange. Pourtant tous les porteurs de ces titres ne se
sont pas présentés. A l'expiration du délai accordé, les banques ont vendu par adjudication les
droits associés aux titres non échangés. Le produit de la vente a été confié à la Caisse des Dépôts
et des Consignations (CDC) pour 30 ans, délai de conservation pendant lequel elle a pour rôle de
restituer l'argent aux éventuels détenteurs qui viendraient se présenter. Cependant, si au bout de
30 ans certains propriétaires légitimes ne se manifestent pas, la loi prévoit que l'intégralité de la
424
187
Après cette création, les instruments financiers doivent se négocier sur les
marchés pour garantir la liquidité et l'accessibilité les caractérisant427.Pour parvenir
à cette reconversion ou à la création de nouveaux instruments dématérialisés, il se
pose une question de savoir la procédure à y mener et face à l'impossibilité de la
transférabilité manuelle de ces instruments, comment arriver à obtenir la preuve de
cette opération en cas de contentieux s’il échait. C’est donc autour de ses questions
que nous allons tenter de répondre dans les lignes qui suivent.
A. Conditions de création des instruments financiers dématérialisés
D’entame, les législateurs dans quasi tous les États à forte économie de
marchés convergent autour de l'idée telle que la procédure de dématérialisation
obéisse aux règles suivantes : l’émetteur ou le teneur de compte-conservateur fasse
inscrire en compte et délivre au propriétaire, son mandataire ou le détenteur des
valeurs mobilières, l’attestation portant sur les caractéristiques suivi du nombre
d'instruments qu'il détient ainsi à son inscription au compte, les valeurs mobilières et
leurs caractéristiques sont centralisées chez le dépositaire central pour leur
sécurisation, qui est chargé de la conservation, la coordination, le contrôle et la
supervision des opérations de dématérialisation des valeurs mobilières ; en
établissant l'information complète des valeurs inscrites au compte des instruments
financiers est ouvert, soit par l'entreprise émettrice, soit par le teneur de compte
conservateur selon les cas, question de centraliser auprès du dépositaire central pour
une bonne sécurité l'un ou l'autre428.
Par ailleurs, les titres nominatifs antérieurs à la dématérialisation peuvent
facilement être inscrits au compte, même à l’absence de leurs titulaires, du fait que
présence de ceux-ci ne pouvant servir qu'à la destruction physique de ces titres. Par
contre, en ce qui concerne les anciens titres- au porteur, la présence de leurs titulaires
auprès de l'entreprise émettrice ou du teneur de compte est exigée pour leur
inscription au compte du fait de leur anonymat.
La procédure se décline suivant le schéma ci-après en tenant compte de
plusieurs éléments :
somme reviendra alors de droit à l'État.
MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), MOUSTAFA (A) et N’GNGUESSA (M), op.cit., p.56.
428
ABDEL (M), Les instruments financiers et la monnaie fiduciaire : quelles innovations, Paris,
UCADF, coll. « Gestion et Banque », p78.
427
188
Certificat physique de titres
ou souscription de
Nouveaux instruments
Inscription des
Instruments financiers
en compte
Attestation de la
matérialiste
Centralisation auprès
du dépositaire central
Destruction des titres
physiques (certificat de
titres)
Source : élaboré par nous-mêmes.
189
Cependant, par rapport à la procédure prévue par la loi n°18/019 du 09 juillet 2018
relative aux systèmes de paiement et de règlement-titres429 comme relevé
précédemment, plusieurs flous demeurent notamment l'amalgame possible entre le
rôle du teneur de compte conservateur et celui du dépositaire central. L'article 14 de
cette loi dispose : « les titres financiers admis à la négociation d'un marché monétaire
ou des capitaux, négociés sur les systèmes de négociation multilatérale ou éligibles
au titre de garanties financières prévues par la présente loi sont inscrits en compte
sous forme dématérialisée auprès d'un dépositaire central de titres », en plus
d’attribuer plusieurs pouvoirs au dépositaire central à travers son article 15 qui
dispose :
« Le dépositaire central de titres :
-
réalise tout acte de conservation adapté à la nature et à la forme des titre
financiers qui lui sont confiés ;
ouvre et administre les comptes-titres ouverts au nom des participants ;
assure l'administration des systèmes de règlement-livraison;
opère tout transfert entre comptes-titres sur instruction de participants
directement et, concomitamment aux livraisons des titres financiers,
ordonnance, le cas échéant, les règlements en espèces correspondants;
détient les titres financiers donnés en garantie par les participants ;
fournit des services aux émetteurs des titres financiers; effectue toute autre
prestation requise selon les instructions de la Banque Centrale ou de toute
autre autorité de marché compétente. (. .. ) »430.
Nonobstant le fait qu'il aurait fallu parler d'instruments financiers en lieu et
place de titres, ces dispositions ne font aucune mention du teneur de compteconservateur tel que ci-haut analysé431. A quoi servirait le terme « central » si d'autres
diverses institutions qui sont censés tenir les comptes avant leur centralisation, ne
fonctionnent pas ! Si tous les comptes doivent être ouverts auprès du dépositaire
central et que le nombre d'investisseurs titulaires d'instruments financiers s'accroit
exponentiellement, sera-t-il réellement en mesure de les gérer facilement sans que la
lourdeur administrative décourage les investisseurs, préjudiciable sans doute. De
même l'avènement de l'instruction 38 bis relative au règlement général du marché
des valeurs du trésor n’a pas répondu à ce flou, car, comme souligné, son
inapplication peut se couvrir derrière le flou que laisse planer la loi432.
429
Article 14 de loi n°18/019 du 09 juillet 2018 relative aux systèmes de paiement et de règlementtitres
430
Article 15 de la loi sus citée
431
MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J) et MOUSTAFA (A) et N’GNGUESSA (M), p.82.
432
Idem, p.82.
190
Cette situation risque de mettre les juges devant de diverses difficultés
d'interprétation en cas de contentieux. Il importe donc impérativement de clarifier en
vue de prévenir toute incapacité au juge de trancher du litige.
B. Conditions de détention des instruments financiers dématérialisés
L'avènement de la dématérialisation433 consacre l'existence d'un droit sans
titre qui constate ou pouvant lui servir de support. Ce système a fonctionné à partir
de l'habitude qui s'est dégagée de placer les valeurs mobilières dans une caisse
commune sans se soucier de leur individualité, en vue de l'inscription du droit y
relatif sur un registre commun, moyennant remise au titulaire d'un coupon ou de tout
autre certificat qui atteste l'existence de son droit. Cependant, ce droit, n'étant plus
matérialisé, s'est converti en un bien meuble incorporel et ne conditionne plus son
existence à la détention du document qui l'atteste434.
Conclusion
Comme nous l’avons dit en prélude, les nouvelles technologies engendrent
pour chacun un nouveau rapport au monde, une nouvelle façon d’appréhender le
temps et l’espace, une autre manière de concevoir l’information, les connaissances
et l’autonomie d’action.
La révolution technologique positionne les collaborateurs au centre de
l’entreprise, avec des impacts sur l’organisation. La révolution technologique
développe l’esprit d’entreprendre et devient un véritable enjeu pour les grandes
entreprises. Les banques organisées en réseau entre les différentes parties de la
banque ou entre différentes entreprises sont plus adaptables, plus agiles, absorbent
mieux les chocs et gèrent mieux la complexité. Le facteur sociétal enfin doit aussi
433
434
Les modalités d'inscription en compte et de transferts des valeurs mobilières dématérialisées
peuvent être résumées comme suit: Tenue des comptes: les comptes dans lesquels doivent être
inscrits les instruments seront tenus, soit par l'émetteur (par exemple la société émettrice), soit par
un teneur de compte - conservateur agréé (au Cameroun, par la Commission des Marchés
Financiers). Les modalités d'inscription en compte et de fonctionnement des teneurs de compteconservateur agréés doivent être fixées par voie réglementaire; Justification d'inscription en
compte: celle-ci donnera lieu à la délivrance par l'émetteur ou le teneur de compte-conservateur
d'une attestation d'inscription en compte, établie au nom du propriétaire des instruments et
précisant les caractéristiques et le nombre de titres détenus ; Virement de compte à compte : les
valeurs mobilières se transmettent par virement de compte à compte. Des instruments nominatifs:
la circulation des valeurs mobilières par inscription en compte n'exclut pas, pour les sociétés par
actions. La tenue obligatoire d'un registre d'instruments nominatifs contenant toutes les mentions
relatives aux opérations de transfert, de conversion, de nantissement et de séquestre d'instruments.
OHADA. (…).
Néanmoins, il existe sur fondement d'un contrat signé entre la société émettrice et
l'investisseur et qui génère, soit une créance pour ce dernier sur la société émettrice
(obligations), soit l'obtention par lui de la qualité d'actionnaire avec tous les avantages y
relatifs (actions). Dans la mesure où le droit existe sans titre, il importe de voir, dans un
premier temps, les différents droits issus de l'acquisition des instruments dématérialisés émis
et, dans un second, les modalités de transférabilité de ceux-ci.
191
être traité très sérieusement, car la société devient une véritable partie prenante de
l’entreprise, Internet et réseaux sociaux obligent.
Les nouvelles technologies ont changé nos façons d’agir et notre rapport au
monde. Nous sommes d’avis que l’entreprise-banque – plus spécifiquement la
banque n’échappe pas à ces bouleversements, bien au contraire, étant au cœur de
l’activité économique. Qu’il s’agisse de la banque en ligne, du mobile banking, du
paiement et, plus généralement, de la relation entre la banque et ses clients
particuliers, l’accélération de la révolution numérique pousse inévitablement à se
demander s’il y a encore de la place pour des agences bancaires au coin de la rue.
Les nouveaux outils numériques sont altéré deux paramètres, le facteur temps
et le facteur distance. La relation entre le client et sa banque est devenue immédiate
et l’achat de produits ou de services bancaires se fait maintenant à distance. Le client
pousse de moins en moins la porte de son agence bancaire. Le reste, c’est-à-dire la
banque au quotidien, se traite évidemment sur téléphone mobile ou via les guichets
automatiques. En République Démocratique du Congo, seul une banque se démarque
en innovant avec la technologie, nous citons la Rawbank qui a dématérialisé ses
opérations bancaires notamment avec illico cash, d’où l’on peut faire ses transactions
à partir de son téléphone, avec un chiffre d’affaire fortement considérable, d’où le
plaidoyer serait que les autres banques exerçant au Congo d’emboiter le pas.
*
*
*
192
Numérisation des services publics et archivage
électronique en république démocratique du congo
Par:
KABASELE DIKEBELE Willy435&
MUZIR KIMPANI Jabino436
Resumé
Les organisations, les entreprises sociétaires et les services publics, cherchent
désormais des moyens de convertir plus facilement les informations en données
électroniques pouvant être stockées et recherchées facilement, permettant des workflows rapides et exacts, que ce soit au sein de l’entreprise ou chez les fournisseurs et
les clients. Fort heureusement une solution s’offre. Il s’agit de la « transformation
numérique » et son activité de soutien, avec comme, ambition fondamentale, celle
de capturer autant d’informations que possible au format électronique et d’utiliser
ces actifs numériques au sein des processus opérationnels plutôt que d’utiliser du
papier. Le présent article examine les hypothèses émises en réponse au
questionnement suivant : qu’est-ce que la numérisation ? Quels en sont les
avantages ? Et Quel est l’état actuel des services publics et privés face à la
numérisation ?
Mots-clés : Administration – Archivage électronique – Innovations – Numérisation
– Papier –Digitalisations des services publics et privés.
Abstract
Stocking paper information is extremely difficult, because even if the paper can be
found, searching for information is necessarily a manual process and leads to paper
archiving that does not appear easy. The organizations, corporate and public
services are now looking for ways to more easily convert information into electronic
data that can be stored and searched easily, enabling fast and accurate work-flows,
whether within the company or with suppliers and customers. Fortunately, a
solution is available, it is about the «digital transformation» and its support activity,
435
436
Ingénieur en Administration Réseaux et Télécommunication. Il est également Assistant de 2 ème
mandat à l’Université Chrétienne Catholique Don Akam. L’auteur peut être contacté via :
[email protected]
Ingénieur en Conception des Systèmes Informatiques. Il est aussi Assistant de 1 èr mandat à
l’Université Chrétienne Catholique Don Akam. Ci-dessous son adresse e-mail :
[email protected]
193
with, as, fundamental ambition, capturing as much information as possible in
electronic format and using these digital assets in business processes rather than
using paper. This study examines what is digitization, its benefits and explains the
current state of public and private services in the face of digitization.
Keywords. Data-Dematerialization-Electronic-filing-Innovations-Digitization-FilePaper-Public and private services-Trading companies.
Introduction
Le présent article examine et commente en en termes de contribution au
développement du numérique et de la digitalisation des services publics et de
l’archivage électronique. L’objectif fondamentalement existentiel et scientifique
consiste dans le plaidoyer d’une numérisation et de la digitalisation dans tous les
secteurs concernés du pays : administration publique, administration privée,
structures commerciales, parapubliques, structures économiques, sociétaires et à but
lucratif, entreprises ou sociétés commerciales unipersonnelles étatiques congolaises
et sociétés commerciales mixtes ou privées issu de l’OHADA. Bref, tous les secteurs
relevant du cadre national des affaires.
En République démocratique du Congo (RDC), l’Ordonnance-loi n°23/010
portant sur le Code du numérique a été promulguée le 13 mars 2023, marquant ainsi
une étape importante dans le développement du secteur numérique dans le pays. Il
vient combler le vide juridique et réglementer ainsi le secteur du numérique au
Congo-Kinshasa.
Au-delà de l’enthousiasme suscité par cette promulgation, plusieurs
questions fondamentales substantielles demeurent sans réponses et méritent d’être
discutées. Certaines sont relatives aux innovations et à la pertinence de ce code.
D’autres concernent la capacité réelle de cet instrument juridique à contribuer à une
meilleure protection des droits numériques et ses incidences sur l’exercice des droits
de l’homme et des libertés fondamentales. Il va falloir, enfin, analyser les défis de
l’applicabilité effective du code de numérique dans le contexte de la République
démocratique du Congo.
A propos, reprenant fondamentalement le contenu sémantique et le corpus du
Plan National du Numérique, Horizons 2025, on note : « qu’en 2015, la République
Démocratique du Congo a élaboré son Programme National Stratégique de
Développement (PNSD) qui donne le reflet de la vision gouvernementale et décline
le cadre stratégique pour affronter les défis de développement. L’ambition du PNSD
est de propulser la RDC au rang des pays à revenu intermédiaire en 2021, au rang
des pays émergents en 2030, et au rang des pays développés en 2050. Cette ambition
tient compte du processus de décentralisation que le pays a entamé depuis 2017,
processus qui agence le champ de l’exercice du pouvoir central avec la libre
administration des provinces.
194
En effet, depuis 2017, le pays compte 26 provinces aux potentialités diverses,
sur lesquelles le Gouvernement entend accélérer le développement du pays. Les
stratégies nationales prennent en compte les spécificités provinciales en les intégrant
dans les objectifs globaux et vice-versa. L’élaboration des cadres stratégiques suit
une démarche itérative437. À la faveur de la mise en œuvre de son Document de
Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté (DSCRP) I et II, la
République Démocratique du Congo a progressivement mis en place depuis 2010
des politiques sectorielles438.
A propos, ce Document, élaboré par un groupe d’experts et spécialistes en
numériques congolais et certains professeurs des Universités congolaises,
spécialement en droit de TIC et en droit des affaires et, initié par la volonté
déterminante du Chef de l’État et Président de la République, poursuit une visée nette
et claire en sens qu’il vise une meilleure prise en charge des priorités stratégiques
sectorielle, de même que leur mise en cohérence pour rester en phase avec les
objectifs généraux de développement de moyen et long termes. Aujourd’hui, le
papier représente un problème pour les organisations : la transcription manuelle de
contenu du papier aux systèmes électroniques introduit non seulement tant d’erreurs
liées aux caractéristiques du fort de l’humain mais le stockage de papier nécessite à
la fois beaucoup d’espace, l’obligation de maintenir la qualité du papier pendant des
délais légaux de plus en plus longs dans divers secteurs d’activité, expose à des aléas
de toute nature accidentelle.
Le stockage en papier devient de plus en plus coûteux et se heurte tant à de
multiples obligations légales au plan international et national destinées à la
protection de l’environnemental. En outre, on ne peut en douter, l’usage du papier
induit des erreurs humaines manifestes et apporte des gros problèmes quant à sa
conservation, la maintenance de sa qualité et sa pérennité. Le monde d’aujourd’hui
a besoin d’évolution, et la numérisation s’impose comme un facteur clé pour y
arriver. Ainsi à la question centrale : pourquoi faut-il numériser ? Les réponses ou
les objectifs positifs poursuivis par la numérisation sont pléthoriques.
Nous nous limitons à mentionner dans le cadre de cet article, quelques-uns
parmi tant d’autres, spécialement ceux retenus par les doctrinaires de renommée. Il
s’agit d’atteindre les objectifs en termes de performance, de rentabilité, de souplesse,
d’efficacité et d’améliorer des conditions d’archivage.
I.1. Préservation des documents
La numérisation à des fins de préservation vise les documents dont le support
est obsolète, qui présentent des altérations ou dont la manipulation peut causer une
437
Présidence de la République, « Plan National du Numérique Horizons 2025, pour une RD Congo
connectée et performante », Kinshasa, septembre 2019, pp.2-4.
438
Document de Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté de la République
Démocratique du Congo, 2010.
195
détérioration irréversible. Les documents originaux seront conservés, à moins qu’ils
ne soient complètement irrécupérables. La copie numérisée constitue la copie de
consultation privilégiée auprès des utilisateurs439.
Ainsi, la numérisation contribue et améliore largement l’archivage
électronique dans les services publics et dans les services privés. A ce titre, nombreux
sont les avantages à tirer de l’archivage électronique en commençant par numériser
toutes les opérations ou activités liées à l’administration comme le service de l’état
civil par exemple. L’apport s’avère considérable au point que la numérisation ou la
digitalisation fiscale à titre d’illustration, remplace en Afrique, progressivement la
gestion de paperasse au sein desdites administrations fiscales.
Précisons que lors de nos enquêtes par entretien libre, il a été constaté que
proximité et accessibilité apparaissent comme les attentes principales des
Congolais440 à l’égard des services publics. Les deux attentes les plus citées par les
personnes interrogées ont été : d’une part la réponse aux demandes dans les délais
annoncés et l’information sur l’avancement du dossier (cité par 84% des personnes
interrogées), d’autre part le fait d’être joignables par téléphone ou en face-à-face et
la facilitation des démarches en ligne (75%).
Prenons le cas du secteur fiscal, on se rend compte que la numérisation ou la
digitalisation fiscale, permet la performance, la rentabilité et l’efficacité dans
l’atteinte des assignations des recettes fiscales en particulier et des ressources
financières. C'est-à-dire toutes les recettes provenant des sources génératrices des
institutions de la République, savoir : la fiscalité et la parafiscalité, d’où faut-il y
inclure la digitalisation du domaine de l’État congolais comme le prône le Chef de
l’États et Président de la République de la République, depuis le programme du Plan
numérique 2030 pour favoriser entre autres, la synergie communicationnelle et
relationnelle dans le cadre des ressources humaines. Il n’est pas question que de la
digitalisation de l’Administration fiscale mais en in globo dans la vision du Chef de
l’État de la numérisation de tous les services publics.
Selon Tayazime (J) et Moutahaddib (A) : « la transformation numérique dans
l’administration publique est un terme qui renvoie au changement de direction de
l'administration numérique. La maturité des services d'administration en ligne peut
constituer une estimation du niveau des gains de productivité interne générés par les
pays grâce à l'utilisation des TIC. Le concept d’e-Participation est basé sur
JEANNOT (G), La digitalisation face aux impératifs de la modernisation de l’Administration
publique, Paris, édition « Science et Affaires », p.34.
440
D.J MUANDA NKOLE wa YAHVE et KIKUNI SAIDO ANSELME, Digitalisation des services
publics cas de la commune de Selembao : étude à l’intention de la Cellule du Climat des Affaires
à la Présidence de la République Démocratique du Congo, Kinshasa, éditions africaines du
CERDA, 2023, pp.45.
439
196
l'utilisation des technologies de l'information et de la communication pour impliquer
les citoyens dans la prise de décision »441.
A en croire les auteurs spécialisés, le nouveau modèle de développement
prend en compte forcément d’ici 2030, la digitalisation un centre d’intérêt. L'objectif
principal de cette projection étant le fait de déterminer si les usagers de
l'administration publique congolaise trouvent que la transformation digitale
améliorera ses services. Certes, cette problématique soulevée par des doctrinaires,
s’avère en quelque sorte le prolongement du questionnement central de la présente
réflexion mais, il est également opportun d’y apporter d’emblée, une réponse
affirmative tout en accélérant la mise en œuvre de la digitalisation des services
publics pour amener l’Administration publique à l’usage de zéro papier quant à
l’archivage.
I.1.1. Diffusion des documents et archivage électronique
La numérisation à des fins de diffusion vise les documents qui seront utilisés
dans le cadre d’un projet de diffusion telle une exposition ou pour rendre accessibles
des documents aux utilisateurs sur place ou à distance. Les documents originaux
seront conservés, mais, comme dans le cas précédent, la consultation se fera à partir
de la copie numérisée. Aujourd'hui le support d'archivage du document n'est plus
obligatoirement un support papier mais aussi un support électronique442.
C'est pourquoi, sensibilisés au problème de la conservation des documents,
les entreprises ont recours à l'archivage électronique des documents, abandonnant
ainsi l’archivage en papier qui fait désormais partie de la défunte méthode de
conservation des documents authentiques et officiels. Comme le souligne le
professeur Djereba (C)443, de l’Université de Lille, expert international en Sciences
Informatique. La définition d'une politique d'archivage nécessite une démarche
préalable d'analyse du patrimoine documentaire de l'entreprise (son origine, son
utilisation et sa destination dans l'entreprise)444. Ensuite, il s'agit de déterminer les
modes d'archivage puis les modalités de mise en œuvre d'un archivage en interne,
c'est-à-dire au sein de l'entreprise445.
Jihane TAYAZIME et Aziz MOUTAHADDIB, « La transformation digitale de l’Adlinistration
publique au Maroc : La perception des usagers particuliers », In Journal of Businnes and
Economics, Vol.9, N°1, 2021, p.1.
442
BETTY ABDALLAH (Ph), Les enjeux de la digitalisation dans les pays africains : cas des pays
du Sahara et du Sub-saharien, Sfax, Presses universitaires de Sfax, pp.78.85.
443
Le professeur Charbaan DJEREBA a supervisé et codirigé le présent article conjointement avec le
Professeur Don José MUANDA N. wa YAHVE.
444
ARIEL (F) et MARTT (O), La digitalisation face à l’OHADA, Paris, études Droit et Internet,
pp.15.
445
VIJAYASARATHY (L.R), « characteristics and Internet shopping intentions. Internet Research
», 411-426. https://doi.orgIl0.1l081l0662240210447164, consulté le 15 novembre 2023 à 12
heures 30.
441
197
A. Archivage électronique : enjeux actuels
L’archivage électronique s’avère un outil de la numérisation des services
publics mais aussi de toutes les entreprises et organisations de différentes natures
comme l’avons souligné en reprenant et en citant les affirmations du professeur
Claros Mathieu (G) dans son ouvrage sur la numérisation face aux impératifs de
l’Administration publique et entreprises privées et publiques en Afrique qui y trouve
des opportunités fructueuses446. En outre, la numérisation devient un outil pour les
petits marchands et les entrepreneurs.
Selon Kotler et al. (2016), grâce à la transparence d'Internet, les entrepreneurs
dans les pays émergents peuvent s'inspirer de leurs homologues des pays développés.
Enfin, la relation entre les entreprises et les consommateurs rencontre des
changements. Leur relation s'intensifie, le service et le produit inclus447. Les clients
deviennent plus en plus importants dans le développement de l'entreprise, selon le
point de vue de l'innovation. Pour faire face à l'environnement digital actuel, les
innovations internes ne suffirent plus pour être compétitif Aujourd'hui, l'innovation
est horizontale, c'est-à-dire, le marché fournit les idées et les entreprises
commercialisent les idées448.
La transformation numérique des entreprises impacte plusieurs enjeux
macroéconomiques, par exemple: la transformation du marché du travail, le salaire
des employées, le phénomène d'inégalités sociales et les changements sur les
emplois. Aussi, la digitalisation est capable de toucher plusieurs aspects de
l'entreprise: les technologies de l'information, les stratégies, les produits, les
processus internes et externes et la culture de l'entreprise.
Il est possible de conclure que l'influence de la digitalisation peut se
décomposer en trois dimensions :
1. l'efficacité d'Internet soit la qualité et la cohérence pour remplacer les étapes
manuelles ;
2. les opportunités externes, soit l'amélioration dans la rapidité de répondre aux
clients et dans le service à la clientèle ;
3. les changements subversifs (les innovations ruptures pour les opérations). Il
est raisonnable de dire que l'essor de l'économie digitale peut être perçue
comme une conséquence, responsable des changements successifs dans
plusieurs domaines, comme : l'informatique, les réseaux sociaux, le savoir et
les connaissances.
Somme toute, les objets à archiver sont constitués dans la présente étude uniquement
de fichiers électroniques. Un fichier électronique doit être compris comme un
446
CLAROS MATHIEU (G), livre paru aux éditions de Presses universitaires de Nantes, 2022, p.30.
Idem, p.30
448
Ibid., p.35.
447
198
ensemble de données comprenant tout type de forme : texte, tableau, graphique,
image, message, base de données…
I.1.2. Structuration et archivage des données
Dans l’organisation des données, chaque nœud de l’arborescence doit être
défini de manière claire et significative. Le but est que chaque personne au premier
regard sache ce que chaque branche renferme. La construction d’un background ou
d’une arborescence en matière d’archivage numérique, s’élabore en se fondant sur
une représentation qui doit mettre en évidence :
- Le nom du dossier principal qui doit être explicite.
- Quelques lignes pour décrire les données traitées dans ce dossier. La date à
-
laquelle le dossier a été créé.
Le nom de la personne responsable de la gestion de ce dossier.
La liste des sous-dossiers et leurs définitions.
On note que l’arborescence d’un dossier pour reprendre l’expression des
auteurs précités449 n’est pas figée dans le temps. La structure évoluera en fonction
du volume d’information acquis par l’entreprise. Il faut que la personne responsable
du dossier veille à ce que cette structure soit dynamique et évolutive tout en étant
maîtrisée450.
A. Objectifs de l’archivage
Bouchetal, précité renchérit que : « les objectifs de l’archivage : L’archivage
de certaines données a été mis en place pour éviter que le serveur soit saturé par un
surplus d’information. Par conséquent, il est conseillé aux employés de n’enregistrer
que les données indispensables dans leur travail quotidien. Quant aux données jugées
trop anciennes et plus utiles, certaines seront effacées d’autres seront archivées en
vue d’un usage ultérieur. Les données stockées prêtes à être archivées sont ensuite
enregistrées sur des CD-ROM »451. Il existe aussi un archivage journalier qui permet
le cas échéant de restaurer des données qui auraient malencontreusement été effacées
ou perdues. Cet archivage quotidien se fait à l’aide de cassettes qui sont relevées
449
BOUCHETAL (C), Mise en place d'un système d'archivage électronique et étude d'un modèle de
GED Ou comment améliorer la communication et la diffusion des informations au sein de
Transénergie S.A., enssib, p.7.
450
ARNAUD (C), La gestion des ressources humaines et la numérisation, Liège, Université de Liège,
p.145.
451
CLAUDIA NDEMEBELE (F), précité, p.94.
199
chaque début de semaine. Sur ces cassettes, il est possible de stocker jusqu’à trois
semaines d’information452.
Somme toute, cette transformation numérique spécifique apportera certes
plus d’avantages par rapport aux procédures en papier qui restent exposées à tous
genres de risques de destruction ou de perte irréversible453. Ces avantages sont à tirer
du secteur public et du secteur privé dans la sphère des affaires comme le souligne
le professeur Muanda Nkole wa Yahve (D.J), relayé par le professeur Kola Gonze
(R) dans leurs interventions à l’occasion de la Conférence organisée par la Cellule
du Climat des Affaires, organe rattaché à la Présidence de la République comme
structure d’expertise et d’accompagnement en qualité de conseils en matière du
Climat des Affaires auprès du Chef de l’État, son Excelle Monsieur le Président et
Chef de l’État, Félix Antoine Tshisekedi454.
Claudia Ndemebele (F), soutient en outre que : « Le développement dans les
technologies informatiques, comme la révolution digitale, permettent de créer un
environnement intelligent: « ... la révolution numérique promet des usines
intelligentes, une organisation du travail intelligente, un management intelligent,
ainsi que des villes intelligentes, des magasins intelligents, des systèmes de
production d'énergie intelligents, des infrastructures de transport intelligentes ... »455.
B. Sauvegarde des documents et substitution des documents
La numérisation à des fins de sauvegarde de documents vise essentiellement
des documents d’une importance vitale pour les institutions (documents essentiels)
et qui nécessitent la conservation d’un deuxième exemplaire, par mesure de
précaution (copie de sécurité).
Habituellement, cette copie de sécurité sera effectuée sur un support différent
et, de préférence, conservée dans un autre lieu que les originaux. Les documents
originaux seront conservés, mais la consultation se fera à partir de la copie
numérisée456. Quant au processus de substitution des documents, la numérisation à
des fins de substitution vise à rationaliser les coûts de conservation liés aux espaces
et aux ressources matérielles nécessaires pour l’entreposage des documents.
Elle vise également à faciliter l’accès et la consultation des documents. Les
documents originaux seront éliminés une fois que ceux-ci auront été numérisés et
452
Idem, p.94.
CLAUDIA NDEMEBELE (F), Quid des avantages de la digitalisation, mémoire de Master
professionnel en vue de l’obtention du grade de l’executive Master, ISC Kinshasa-ENGDE-Paris,
(dr), KOLA GONZE (R) et MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), 2023, pp.60-72.
454
La Cellule du Climat des Affaires, est un service spécialisé auprès du Président de la République
de la RD Congo dont les attributions sont définies par un décret présidentiel.
455
CLAUDIA NDEMEBELE (F), précité, p.93.
456
MARLOT (G), L’ère du numérique et les effets sur nos économies, Yaoundé II, UCDA, 2023,
p.78.
453
200
qu’un contrôle de qualité en ait validé l’intégrité. Le recours à ce type de
numérisation se répand de plus en plus dans les établissements universitaires, étant
donné les problèmes de pénurie d’espace physique pour l’entreposage des documents
dans les bureaux ou dans les dépôts de documents semi-actifs. Toutefois, la
réalisation de ces projets doit être rigoureusement encadrée par des lois, des
règlements et des normes afin de garantir la valeur de preuve des documents et leur
pérennité457.
I.1.3. Accessibilité aux services publics
Il ne suffit pas de réussir cette mise en place institutionnelle numérique. Il
importe de viser en outre, efficacement l’accès au service public, qui se rattache au
principe d’égalité, est conditionné par deux éléments. Les auteurs s’accordent à dire
qu’il faut de prime abord, ce qui est effectif, l’existence d’un service public ou de du
service de manière plus globale. A cet égard, le développement des télé-services et
télé-procédures, outil de modernisation de l’administration, conduit à une
réévaluation de la répartition des moyens de l’administration.
La transformation numérique permet d’envisager la suppression d’un certain
nombre de services ayant perdu de leur pertinence et la création de nouveaux, rendus
possibles par les outils informatiques. Sur le plan de l’organisation du service, les
gains d’efficacité et de simplification offerts par la dématérialisation conduisent,
dans une perspective d’économies budgétaires, à des réductions d’effectifs et de
structures physiques. Et secondairement, l’accès au service est tributaire du
fonctionnement du service public. Le fonctionnement du service public est, en
principe, régi par les textes légaux et réglementaire congolais doivent tenir compte
de l’égalité de la continuité, de la mutabilité et enfin de la satisfaction du public
concerné458.
Le principe d’accès au service public se rattache, aux trois principes des
services publics459. Ainsi, réalise-t-on que le développement du numérique pouvant
néanmoins conduire à des restrictions de l’accès au service pour les usagers, exige
un encadrement des télé-services et des télé-procédures et un accompagnement des
usagers afin de garantir une égalité d’accès au service public460.
A. Cadre égal et accès au service public et prenant en considération la
transformation numérique
En droit interne congolais, le droit d’accès au service public ne trouve qu’un
fondement limité dans les textes. La Constitution congolais en vigueur dans son
457
BRIGITTE Deville (F), Droit numérique face à la mondialisation, Paris, édilivre, p.79.
DONNAT (B) et ALLAN (T), Droit numérique, PUF, 2023, p.79.
459
BIAMBA (J.P) et MUANDA NKOLE wa YAHVE (D.J), les trois principes de l’Administration
publique face à la numérisation du cadre des affaires OHADA, p.56.
460
CORMIER (T), Le numérique et l’accès aux services publics, Public Policy master Thesis, p.40.
458
201
préambule prône et garantit l'égalité d’accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction,
à la formation professionnelle et à la culture » et aux services publics qui s’y
attachent461.
B. Acteurs de l’économie numérique
Les spécialistes de la question, distinguent quatre (4) catégories d’acteurs.
1) Les entreprises des secteurs producteurs des services des technologies de
l’information et de la communication (STIC) au sens de l’OCDE ou de
l’Insee, dont les activités s’exercent dans les domaines de l’informatique, des
télécommunications et de l’électronique. Chiffre d’affaires 200 milliards
d’euros.
2) Les entreprises dont l’existence est liée à l’émergence des TIC (services en
ligne, jeux vidéo, e-commerce, médias et contenus en ligne…). En 2010, le
e-commerce B to C représentait un chiffre d’affaires de 31 milliards d’euros
3) Les entreprises qui utilisent les TIC dans leur activité et gagnent en
productivité grâce à elles (banques, assurances, automobile, aéronautique,
distribution, administration et tourisme…)462.
Les particuliers et les ménages qui utilisent les STIC dans leurs activités
quotidiennes, pour les loisirs, la culture, la santé, l’éducation, la banque, les réseaux
sociaux. D’après différentes études, les principales caractéristiques de l’économie
numérique sont les suivantes :
-
461
462
Elle accélère le rythme de l’innovation et de la diffusion des nouveaux biens
et services.
Elle entraîne des gains d’efficacité chez les utilisateurs ;
Elle transforme les façons de faire et conduit à de nouvelles activités
économiques.
Elle est un des moteurs de l’économie verte ;
Elle mobilise des investissements massifs en capital de risque qui
s’accompagnement d’une exigence de rendement important :
Elle conduit fréquemment à l’acquisition de positions dominantes sur le
marché ;
Elle est en mutation rapide et perpétuelle dans tous les secteurs, de sorte qu’il
est difficile d’y déceler des points de stabilité ;
Elle donne parfois lieu à de nouveaux modèles d’affaires permettant aux
nouveaux acteurs de bouleverser les leaders traditionnels installés ;
Idem, p.40
BELLEMARD (G) ET GORGES (K), Droit numérique, éditions africaines du CERDA-Pool
Afrique de l’Ouest, p.45.
202
-
Elle multiplie de façon systématique les lieux d’établissement de la
consommation.
Selon Bsi-economics (2020), même si la littérature est variée et riche il
n’existe cependant pas de définition exacte de l’économie numérique. En effet elle
ne se limite pas à un secteur d’activité particulier et englobe des concepts très
différents. Elle résulte de l’utilisation répandue des nouvelles technologies, d’usage
général tout d’abord dans le domaine de l’information et la communication ;
néanmoins elle s’est transformée en une technologie universelle qui a eu des
implications bien au-delà des technologies de l’information et de la communication
(TIC)463.
Elle a eu un impact sur tous les secteurs économiques, la croissance et la
productivité des Etats sans oublier l’environnement des entreprises, les particuliers,
les ménages et leur comportement. L’utilisation d’internet, par exemple, a permis le
rassemblement des personnes et de moyens en dématérialisant la distance physique
pour créer, développer et partager leurs idées donnant lieu à de nouveaux concepts,
nouveaux contenus et par conséquence à la naissance d’une nouvelle génération
d’entrepreneurs et des marchés.
Le secteur des TIC regroupe les entreprises qui produisent des biens et
services supportant le processus de numérisation de l’économie, c’est-à-dire la
transformation des informations utilisées ou fournies en informations numériques
(informatique, télécommunications, électronique)464. Le caractère transversal de
l’économie numérique impacte tous les secteurs d’activité, elle est à l’origine des
nouveaux secteurs innovants et a rendu l’existence d’autres secteurs dépendants de
celle-ci. Elle regroupe le secteur des TIC, les secteurs utilisateurs et les secteurs à
fort contenu numérique, ces derniers ne pourraient exister sans ces technologies465.
Il arrive de se demander si à la lumière de l’évidence et de la digitalisation de notre
ère, on est en droit de se demander si l’Afrique en général et la République
Démocratique du Congo, participe aux efforts dictés par la mondialisation
(économique surtout), à la numérisation ou à la digitalisation de ses structures
étatiques et publiques, quand on note le grand retard observé dans le pays quant à
ce466.
463
Idem, p.45.
La transformation digitale procure de nombreuses opportunités pour les citoyens afin d'améliorer
leur mode vie et leur bien-être, cependant il y a des risques à prévoir. Il est nécessaire de saisir les
opportunités de cette transformation digitale avec les risques correspondants, et d'implémenter le
cadre juridique et législatif au préalable.
465
Cité par KLEN DEAN, « Digitale Transformation - La plus grande révolution de l'industrie dans
la révolution » in Science and technology, USA, Books-House, p.67.
466
BILOMBE MAPASA (J), Droit de la numérisation et protection des données privées en
République Démocratique du Congo, Thèse de doctorat en vue de l’obtention du grade de docteur
ès Sciences informatiques et Nouvelles Technologies, de l’Université de Lille en cotutelle avec
l’Université Hassan II, 2021, p.55.
464
203
I.1.4. Digitalisation fiscale face aux petites et moyennes entreprises
congolaises
De nos jours, il semble difficile, a priori, d’isoler l’impact de la digitalisation
des procédures fiscales, d’autres réformes de politique et d’administration fiscale
ayant une incidence sur les performances escomptées de ces régies financières.
Toutefois, l’impact de certaines réformes peut être perceptible au double plan
quantitatif et qualitatif. L’usage d’Internet a pour effet d’accroître de 10 % la
productivité des PME dans les pays où est implémentée la digitalisation fiscale et
administrative.
Les PME congolaises sont considérées faire un fort usage des technologies
Web et exportent et croissent deux fois plus que les autres entreprises de grande
taille. Elle (la transformation digitale), se réfère aux changements induits par le
développement des technologies numériques qui se produisent un rythme effréné,
qui bouleversent la manière dont est créé la valeur, les interactions sociales, la
conduite des affaires et, plus généralement, notre façon de penser.
La transformation digitale fait partie de ce qu’appelle l’innovation par la
transformation complète qui est le quatrième et dernier type d’innovation aux cotés
des innovations procédures, innovation produit et l’innovation de la valorisation de
l’expérience client. En tant que stratégie d’innovation, la transformation digitale
soutient la performance des entreprises en apportant de nouveaux investissements
TIC ou en renforçant l’usage des TIC existantes. La transformation digitale a la
particularité d’être plus aboutie, car elle transforme complètement le modèle
d’affaire d’une entreprise ou la totalité de sa chaine de valeur dans un secteur, en
configurant ses produits, procédures, et de ses expériences client, avec un juste
équilibre entre les couts et les avantages donnés aux consommateurs ou aux
acheteurs industriels.
Dina Marcus (Ph), nous éclaire que l’économie digitale est une économie en
formation, une économie de la connaissance, systémique et fonctionnant en réseau,
une économie qui se joue des espaces et du temps. De manière globale on estime
cette contribution n’a été que de 10 %11. Les retombées de l’usage des TIC d’ici
2030 sont estimées à 11 400 G$12, cogitant sur les pays africains, estime que si les
pays développés continuent leurs avancées, on note un élan plutôt mou et lent en
République Démocratique du Congo467.
Congo
I.1.5. Transformation numérique : une nécessité impérieuse pour la RD
De toute évidence, Biang (O), pense que la transformation numérique stimule
l’innovation, génère des gains de productivité et améliore les services tout en
favorisant une croissance plus inclusive et plus durable ainsi qu’une amélioration du
bien-être. Cela étant, la portée et la rapidité de ces changements soulèvent des défis
467
DINA MARCUS (Ph), Digitalisation des services publics au Maroc, Marrakech UGH, 2023,
pp.40-45.
204
dans de nombreux domaines de l’action publique, dont la fiscalité. Aussi, la réforme
du système fiscal international visant à relever les défis fiscaux que pose la
transformation numérique de l’économie représente depuis plusieurs années une
priorité pour la communauté internationale, qui s’est engagée à parvenir à une
solution fondée sur un consensus d’ici la fin de l’année 2020468.
A. Passage de l’économie matérielle à l’économie digitale
Actuellement 70 % des grandes compagnies inscrites au Fortune 500
n’existent plus. Certaines ont perdu leur place dans le top 500 ou ont littéralement
disparues à cause de la révolution digitale. Depuis 2011 la révolution digitale touche
les grandes entreprises à mesure que les startups et les concurrents agiles trouveraient
des moyens de transformer leur activité. L’économie digitale est une économie en
formation, une économie de la connaissance, systémique et fonctionnant en réseau,
une économie qui se joue des espaces et du temps469. Elle se traduit par le
développement de nouveaux modèles d’affaires qui s’appuie sur une relation
interactive avec le client.
Il faut reconnaître que la digitalisation de l’économie a évolué. En quelques
années une nouvelle composante s’est imposée comme moteur de croissance des
économies : l’Immatériel. Le succès économique ne reposant plus sur la richesse des
matières premières, comme ce fut le cas durant les trente glorieuses, mais plutôt sur
un capital immatériel comme source d’avantage compétitif.
Cette nouvelle économie a émergé au cours de la dernière décennie sous
l’inclusion de deux facteurs : la mondialisation et le progrès technologique470. Celleci est considérablement différente de l’ancienne économie, car la connaissance a
remplacé la productivité traditionnelle, émanant des ressources naturelles, avec
comme résultat un changement des approches et des politiques de développement.
Même si la nouvelle économie peut avoir des dangers tels que l’élargissement du
fossé numérique entre pays riches et pauvres, elle offre des opportunités de
développement, et a un impact sur la productivité et la croissance.
B. Regard sur les défis fiscaux issus de la transformation numérique
Moscovici P (2018), nous éclaire à ce sujet : ces défis fiscaux constituaient
l’un des axes principaux du Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition
et le transfert de bénéfices (BEPS), qui a donné lieu à l’élaboration du Rapport sur
l’Action 1 du Projet BEPS (Rapport sur l’Action 1) publié en 2015 (OCDE, 2017).
Les auteurs du Rapport sur l’Action reconnaissaient que la transformation numérique
468
BIANG (O), Fiscalité et digitalisation au Congo, Université MARIEN NGOUABI, p.65.
LEVY et JOUYET, cité par BIANG (O), précité, p.70.
470
CLAIRE MARIE, document disponible en ligne, par une double dimension digitale et humaine ».
https://www.pwc.fr/fr/espace-presse/communiques-de-presse/2016/decembre/priorites-2017-dudaf.html., consulté le 20 novembre 2023.
469
205
touche l’économie toute entière et qu’en conséquence, il serait difficile, sinon
impossible, de délimiter le champ de l’économie numérique.
Depuis lors, les 137 membres du Cadre inclusif ont travaillé sur une solution
mondiale basée sur une approche à deux piliers. Au titre du second pilier, le Cadre
inclusif est convenu de réfléchir à une approche centrée sur les questions de BEPS
non résolues en offrant une solution pour que les entreprises qui exercent leur activité
à l’international s’acquittent systématiquement d’un impôt minimum.
Clarke (D)471, énumère les caractéristiques suivantes de la nouvelle
économique suivant sa théorie :
1. Production et distribution des bits électroniques plutôt que des atomes de
matière physique ;
2. Une intensité croissante des connaissances dans toutes les industries, y
compris celle du secteur des services ;
3. Une baisse de l’intensité des ressources de l’activité économique ;
4. L’augmentation des flux internationaux de capitaux, de technologies et de
main d’œuvre qualifié. Des niveaux de productivité élevés et croissants dans
le secteur manufacturier, spécialement dans les pays avancés, grâce à des bas
couts de production.
5. La numérisation dans l’environnement économique est génératrice de réseau,
porté par des biens et services complémentaires, qui donnent lieu à des
innovations numériques, telles que les cartes bancaires, et distributeurs
automatiques ;
6. L’économie virtuelle est caractérisée par les points suivants : devenant de
plus en plus immatérielle ;
7. La compétitivité des entreprises est davantage fondée sur l’expérience
promise ou pressentie par le consommateur que sur le produit ;
8. Les logiques et les stratégies concurrentielles reposent de plus en plus sur les
technologies de l’information et les systèmes en réseau. Au premier rang
figure l’internet ;
9. Le processus de gestion de l’information remplace le produit physique et
s’approprie certaines contraintes472.
Tout ce regard nouveau sur la digitalisation de l’économie et partant de la
fiscalité, appelle de nouveaux instruments. Ainsi, dans beaucoup de disciplines ayant
une interaction quintessentielle, assiste-t-on, à la disparition des intermédiaires
traditionnels, ou les consommateurs passent directement par les prestataires. Grace
à internet la relation entreprises/clients est facilitée, permettant à l’entreprise de
471
472
CLARKE DEAN, précité, p.89.
CLAIRE MARIE et JEANNOT (G.P), La place de la numérisation dans le monde économique :
études des enjeux et perspectives, Mémoire de Master de Recherche 2 en Droit des affaires,
Université de Lille 2, p.10.
206
récolter des informations sur les gouts des clients actuels ou potentiels. A partir d’un
click, un client peut comparer les prix de différents fournisseurs.
C. Solution aux problématiques de BEPS non résolues liées à la numérisation de
l’économie
Selon le récent rapport des doctrinaires spécialiste, les experts poursuivent en
affirmant que ce faisant, elle contribue à apporter une solution aux problématiques
de BEPS non résolues liées à la numérisation de l’économie, numérisation qui va de
pair avec un accroissement de l’importance relative des actifs incorporels dans la
création de valeur, donnant aux entreprises du numérique souvent davantage
d’opportunités pour recourir à des structures d’optimisation via un transfert des
bénéfices. Le deuxième pilier laisse les juridictions libres de déterminer leur propre
système fiscal, elles ont ainsi le choix de mettre en place un impôt sur les bénéfices
des sociétés et d’en définir les taux et prévoit le droit d’autres juridictions d’appliquer
les règles contenues dans le présent rapport lorsque les bénéfices sont taxés à un taux
effectif inférieur à un taux minimum473.
Conscients des coûts liés à la charge administrative et au respect des
obligations fiscales, les membres du Cadre inclusif ont également décidé de
simplifier toute règle autant que le permet le contexte de la politique fiscale, y
compris en envisageant de possibles mesures de simplification. Après l’adoption du
Programme de travail en mai 2019, le Cadre inclusif s’est attaché à développer les
différents aspects du Pilier Deux.
Une consultation publique organisée le 9 décembre 2019 a rassemblé plus de
150 contributions écrites, totalisant plus de 1300 pages provenant d’un large éventail
d’entreprises, d’associations sectorielles, de cabinets juridiques et de conseil et
d’organisations non gouvernementales, qui ont apporté un éclairage essentiel sur la
conception de nombreux aspects du deuxième Pilier (OCDE, 2019)474.
II.1. Les 5 étapes retenues dans notre étude
Les cinq étapes ci-après, ont retenu notre attention :
A. Etape 1 : Les objectifs à définir
La première étape de numérisation consiste à en définir les objectifs et les
buts. Il faut commencer par se poser les questions suivantes :
473
474
Pourquoi numériser un document ? Pour quel usage ?
Visons-nous la protection et la préservation du document, ou souhaitons-nous
gagner de la place ?
Ce document a-t-il une valeur légale ?
Idem, p.12.
En consultant les ouvrages qui parlent de la numérisation, nous avons constaté qu’il n’y a pas
d’unanimité dans le nombre d’étapes à franchir pour numériser les données.
207
L’objectif de cette étape est de déterminer le choix du format, la résolution
des documents numériques, l’utilisation d’une numérisation simple ou numérisation
fidèle pour garder la valeur probante des documents.
B. Etape 2 : Les documents à sélectionner
L’étape suivante est l’identification des documents à numériser.
La fréquence de l’utilisation des documents, leur consultation, leurs durées
de conservation, leur état de dégradation éventuel, leur confidentialité, ou encore leur
valeur légale, sont autant de facteurs à prendre en compte afin de sélectionner les
documents à numériser.
Ainsi, la dématérialisation peut débuter avec une première prise en charge
contenant les documents définis comme prioritaires, puis s’étaler dans le temps avec
des numérisations « à la demande » qui se feront au fur et à mesure des besoins.
C. Etape 3 : Les ressources à analyser
Il est nécessaire de dresser un inventaire des ressources matérielles (scanners,
ordinateurs, logiciels, réseaux et serveurs, locaux nécessaires, matériel), humaines et
financières disponibles pour une bonne finalité dans la dématérialisation.
D. Etape 4 : Numérisation des documents
Cette étape nous permettra de transformer le flux de documents papier en
données numériques. Elle comporte quatre (4) sous-étapes décrites ci-dessous :
-
-
-
-
Soulevez le capot supérieur et placez le document sur la vitre. Ensuite, fermez
le capot supérieur. N’oubliez pas de placer le papier qui contient les
informations ou l’image que vous voulez numériser, face vers le bas, c’est-àdire que le côté vierge du papier doit être tourné vers le haut.
Recherchez le bouton « Scanner » ou « Démarrer la numérisation » sur le
scanner. Ensuite, appuyez sur le bouton pour commencer à numériser votre
document.
À partir de votre ordinateur, cliquez sur Démarrer – Tous les programmes.
Sélectionnez le nom du scanner et le type de scanner. Sélectionnez ensuite
Numériser. Une boîte de dialogue s’ouvre et vous demande ce que vous
souhaitez faire. Sélectionnez l’option appropriée dans la liste donnée.
Ensuite, enregistrez votre document numérisé en tant que fichier. Après avoir
numérisé votre document, une boîte de dialogue Enregistrer s’ouvre.
Sélectionnez un emplacement sur votre ordinateur où vous souhaitez
enregistrer le document. Saisissez un nom de fichier approprié pour le
document numérisé. Sélectionnez un type de fichier approprié dans la liste
donnée, généralement PDF ou JPEG. Cliquez sur Enregistrer.
208
Etant donné qu’au centre de la numérisation on retrouve les données, il est donc
important qu’on définisse la numérisation de données. Rappelons que
la numérisation des données est le premier processus de transformation
numérique de l’entreprise. La société utilise un logiciel de numérisation pour
extraire, capturer les données, puis les envoyer de manière automatisée dans les
applications métiers de l’entreprise afin d’y être directement exploitées. Ces données
sont également classées, rangées selon les règles de l’entreprise dans une solution
GED (gestion électronique de documents) pour un archivage structuré de vos
dossiers.
II.1.1. Composantes de la transformation digitale
La transformation digitale s'appuie essentiellement sur les nouveaux usages
induits par les technologies en tenant compte de leur évolution rapide, le large public
qu'elle cible et notamment le monde de l'entrepreneuriat, et les changements qu'ils
apportent sur différents niveaux. L'observation des situations de digitalisation nous
a conduits à définir ce concept au travers des éléments suivants: portabilité,
automatisation, dématérialisation.
A. Portabilité
L'un des caractères fondamentaux du digital est la « portabilité » ou en encore
la « mobilité ». En effet, il est constitué d'un ensemble d'applications informatiques
mobiles développées à l'aide de langages permettant leur portabilité sur différents
supports partant des ordinateurs de bureaux jusqu'aux smartphones et tablettes.
Maintenant toutes les applications (commerciales, partages des documents ...)
peuvent être utilisées sur des supports portables ce qui offre un large espace de liberté
d'action.
B. Dématérialisation
Les processus sont dématérialisés en totalité ou une partie grâce aux
applications digitales dans un cadre informationnel ou transactionnel, ainsi il y a la
possibilité de réaliser des processus sans aucune intervention humaine et sans un
document physique. Les informations sont saisies et traitées par la suite avec la
sauvegarde de tous les détails de transactions, le client participe aussi à la création
de ses données en saisissant par exemple des informations concernant sa demande,
la prestation peut être réalisée à travers ces informations numérisées475.
C. Automatisation
Elle se manifeste par l'accroissement de performance dans l'utilisation des
facteurs de production : productivité du travail, productivité du capital, productivité
de l'énergie et des matières premières. On peut ajouter également l'amélioration des
475
METAIS ET AUTISSIER, Digitalisation des entreprises, Liège, CURRM, p.40.
209
capacités d'individualisation et de personnalisation. Les actions s'enchainent
automatiquement sur la base de règles de gestion issue de l'observation, cette
automatisation a pour avantage la rapidité d'exécution des étapes d'un processus.
(…)476.
D. Maturité digitale
La maturité digitale combine deux éléments étroitement liés, le premier est
l'intensité digitale, c'est le niveau d'investissement dans les nouvelles technologies
afin de changer le mode de fonctionnement de l'entreprise. Le deuxième est
l'intensité de la gestion de la transformation, il détermine le niveau d'investissement
dans les capacités de management et de leadership destinées à réussir la
transformation digitale au sein de l'entreprise.
Figure sur les quatre niveaux de maturité digitale
Source : Westerman et McAfee 2012.
De ce qui précède, a transformation digitale est un facteur déterminant non
seulement pour la survie des entreprises mais également pour leur réussite sur le
moyen et le long terme, pour réussir une transformation digitale et bénéficier d'un
privilège concurrentiel il ne suffit pas d'intégrer de nouveaux outils et technologies
digitales au sein de l'entreprise, mais il faut se doter d'une stratégie de transformation
efficace et bien définie qui permet de transformer en profondeur tous les processus
de l'entreprise, de changer sa culture et de réorienter son business model.
Le contrôle de gestion par son rôle informationnel et de conseil a une position
clé au sein de l'entreprise, il a évolué ces dernières années grâce aux innovations
managériales qui ont apporté plusieurs solutions aux insuffisances de ses outils
traditionnels.
Les systèmes ERP ont facilité les tâches du contrôle de gestion en lui
permettant de gagner en efficacité et en terme d'économie du temps, toutefois ils
présentent plusieurs limites ce qui poussent les spécialistes de l'informatique à
476
210
développer une nouvelle technologie plus puissante. Le Big Data a apporté de
nombreuses opportunités aux entreprises en particulier le contrôle de gestion sur
différents niveaux, cependant sa mise en œuvre a des limites et des risques qu'il faut
faire face en mettant à la disposition de l'entreprise les compétences et les outils
pertinents477.
En somme, la transformation digitale est un facteur déterminant non
seulement pour la survie des entreprises mais également pour leur réussite sur le
moyen et le long terme, pour réussir une transformation digitale et bénéficier d'un
privilège concurrentiel il ne suffit pas d'intégrer de nouveaux outils et technologies
digitales au sein de l'entreprise, mais il faut se doter d'une stratégie de transformation
efficace et bien définie qui permet de transformer en profondeur tous les processus
de l'entreprise, de changer sa culture et de réorienter son business model478.
A titre d’illustration politique, le contrôle de gestion par son rôle
informationnel et de conseil a une position clé au sein de l'entreprise, il a évolué ces
dernières années grâce aux innovations managériales qui ont apporté plusieurs
solutions aux insuffisances de ses outils traditionnels. Les systèmes ERP ont facilité
les tâches du contrôle de gestion en lui permettant de gagner en efficacité et en terme
d'économie du temps, toutefois ils présentent plusieurs limites ce qui poussent les
spécialistes de l'informatique à développer une nouvelle technologie plus puissante.
Le Big Data a apporté de nombreuses opportunités aux entreprises en
particulier le contrôle de gestion sur différents niveaux, cependant sa mise en œuvre
a des limites et des risques qu'il faut faire face en mettant à la disposition de
l'entreprise les compétences et les outils pertinents.
II.1.2. Vétusté et anachronisme du cadre légal des archivages en République
Démocratique du Congo
En République Démocratique du Congo, nous notons que le régime général
des archivages date d’une ancienne assurément devenue inappropriée, il s’agit de la
loi 78-013 du 11 juillet 1978 portant régime général des archives. Aux termes de
l’article premier de cette loi qui nécessité une révision par les exigences indéniables
de la digitalisation on entend par :
1. Archives : les documents écrits et audiovisuels, qui présentent un intérêt
historique, scientifique ou culturel, constitués par des institutions, des
personnes physiques ou morales, du fait de leurs activités et délibérément
conservés ;
2. Archives : tout service quelconque, chargé de la gestion et de la conservation
des archives au sens de l'alinéa précédent ;
477
478
DANIELLA (M), Numérisation de l’économie, p.45.
Idem, p.46.
211
3. Archives nationales : le service créé par l'État pour la conservation, la
protection et la mise en valeur des archives en République du Démocratique
du Congo.
Le patrimoine archivistique national comprend :
-
Tous les documents provenant des services publics de l'État, d'organismes
privés et des particuliers ;
Tous documents, quelles qu'en soient la nature et la provenance, tant que les
services compétents de l'administration des archives estiment qu'ils
présentent un intérêt historique. (Article 2).
II.1.3. Distinction des archives publiques et des archives privées
L’article 3 de la loi susmentionnée, qualifie dispose que sont réputées
publiques et font partie du patrimoine de l'État, toutes les archives des services
publics de l'État. Tandis que l’article 4 de la même loi, précise nettement que ces
archives publiques sont destinées à l'usage public. Elles sont inaliénables,
imprescriptibles, insaisissables et incessibles. Par contre l’article 5 de la loi sous
examen, nous éclaire que sont réputées privées, les archives appartenant à des
particuliers, à des personnes physiques ou morales, qui en demeurent
propriétaires479.
II.1.4. Constitution et de la conservation du fonds d'archives nationales
Les archives nationales ont pour rôle de recevoir et de conserver les
documents visés à l'article 2, et d'assurer un contrôle général sur les archives
publiques et privées (Article 6). Le fonds d'archives nationales est constitué par :
-
Dépôt obligatoire des services publics de l'État ;
Achat des documents d'archives ou réputés tels ;
Dépôt facultatif ;
Expropriation pour cause d'utilité publique ;
Dons et legs.
Tous les documents datant de plus de trente ans conservés par les
administrations et services publics de l'État, sauf dispense accordée par le président
du Mouvement populaire de la révolution, président de la République, sont
obligatoirement versés aux archives nationales et sont aussi obligatoirement versés
479
ERICA MANUELLA (H) et DONETTI PIRO (G), Droit des affaires : la numérisation du secteur
bancaire, Document des actes de colloques, Université de Liège, 2020, p.60-62.
212
aux archives nationales tous documents de moins de trente ans ayant perdu leur utilité
administrative immédiate480.
II.1.5. Conservation des archives par les administrations publiques congolaises
Les administrations et les services publics en République Démocratique se
voient confiée l’obligation de la bonne conservation de leurs archives courantes. Cela
signifie que toute administration ou service public peu importe sa nature juridique et
ses missions et attributions légales, doivent procéder à une bonne tenue de la
conservation de tous les documents de quelques natures que ce soient qui sont émis
ou reçus par eux en respectant les règles de la périodicité légale fixée pour chaque
type de document. Il arrive selon l’article 11, que les institutions publiques dotées du
caractère de pouvoir public, procèdent à l’achet des archives nationales et cela avec
droit de préemption comme un privilège si elles sont en concurrence avec les
particuliers. Et cette prérogative ne peut se concevoir que dans l’hypothèse des
documents d'archives lesquels présentant un intérêt national.
III.1.1. Communication des archives : prise en compte de la sécurité nationale et
du respect de la vie privée
Les archives conservées aux archives nationales sont librement
communicables à toute personne qui en fait la demande sous réserve des conditions
déterminées par le Président de la République (Article 23). Les archives publiques,
dès leur origine, sont en principe communicables sans limitation de date. Pour
certaines archives jugées particulièrement secrètes dans l'intérêt de la politique
intérieure, de la défense nationale et de la politique étrangère, les archives nationales
peuvent proposer au président du Mouvement populaire de la révolution, président
de la République, la prorogation jusqu'à cinquante ans ou plus du délai de leur
communication au public (Article 25).
Les archives relatives à la procédure criminelle ainsi que celles ayant trait à
la vie privée des personnes peuvent également être communiquées 50 ans après leur
versement aux archives nationales (Article 26).
Ainsi, pour les raisons sus-évoquées, les archives nationales peuvent, sur avis
favorable du commissaire d'État ayant la culture et les arts dans ses attributions,
autoriser la communication à des fins scientifiques, de certaines archives même avant
l'expiration du délai de communication visé aux articles 25 et 26. De cette façon, les
archives des organismes privés et des particuliers peuvent être communiquées
gratuitement à des fins scientifiques. Ainsi, la digitalisation devra viser les piliers
relatifs à la confiance et à l’usage effectif par des usagers des services publics, des
outils numériques tels que des outils de TIC481.
480
481
Idem, p.60.
MUANDA NKOLE WA YAHVE (D.J), Droit pénal numérique, Butemno, CIDSG, Université
Catholique du Graben, p.78.
213
III.1.3. Bénéfices pour les agents publics
Au-delà des objectifs d’optimisation de l’expérience citoyenne, la
digitalisation des services publics permettra également d’améliorer les conditions de
travail des agents publics. Il faut développer des outils informatiques performants et
compatibles entre services de l’État. Il faut que la simplification administrative soit
aussi pour les fonctionnaires. Il faut une performance numérique : les outils
interfacés (entre services, avec les collectivités…) sont très inaboutis.
Le travail des agents publics dépendant directement de la performance des
outils informatiques mis à disposition, il va sans dire que la digitalisation transverse
de l’administration simplifiera les processus métiers et donc permettra ainsi aux
agents publics de consacrer davantage de temps à des missions à plus forte valeur
ajoutée (projets, conseil, réponses, cas particuliers, etc.
III.1.4. Bénéfices à tirer du Plan Numérique 2023 prôné par le Chef de l’État
Avec un pilotage au plus haut niveau (la Direction Interministérielle du
Numérique et Fiances et Economie), cette volonté doit s’illustrer par la mobilisation
de moyens exceptionnels :
- Action publique locale : élaborer un premier grand programme consacré à la
simplification du service public via le digital ;
- Le Plan de relance et une enveloppe conséquente destinée au volet numérique
; ou encore un outil ou logiciel approprié à cet effet, pour encourager le
développement d’une nouvelle génération de services numériques de qualité,
tout en protégeant au mieux les données des entreprises et des citoyens et de
l’Administration publique au niveau du Pouvoir central et au niveau de
provinces.
Par ailleurs, pour des réussites garanties, il faut compter sur des références
numériques existant ou à créer voire à importer d’autres pays qui ont réussi en
matière de simplification par le numérique : le dispositif impôts électronique et la
déclaration en ligne. La stratégie « zéro papier ou digital function » va sûrement
engendrer une véritable transformation du système administratif avec la
dématérialisation de l’échange de données d’état civil à l’appui des démarches
administratives, grâce à la mise en place de l’archivage électronique de tous les actes
de l’état civil.
Conclusion
Au vu de ce qui précède, nous terminons notre réflexion en reprenant
textuellement l’idée phare du Plan national du Numérique, qui dans son introduction
Horizons 2025, affirme que : « La République Démocratique du Congo (RDC) est
un pays vaste aux énormes potentialités que la population rêve de transformer en
richesses au bénéfice de l’amélioration de ses conditions de vie. C’est un marché
214
important des biens et services, étendu sur un territoire de 2.345.410 Km². Il est
entouré de 9 pays ci-après : Angola, Burundi, Congo-Brazzaville, Centrafrique,
Rwanda, Ouganda, Tanzanie, Sud-Soudan et Zambie, avec lesquels elle partage
9.165 Km de frontières. Plus grand pays francophone en termes de locuteurs, la RDC
possède d’immenses ressources naturelles (minerais, terres arables, …) et une
population d’environ 78,7 millions d’habitants, dont moins de 40% vivent en milieu
urbain. Avec ses 80 millions d’hectares de terres arables et plus de 1.100 minéraux
et métaux précieux répertoriés, la RDC pourrait devenir l’un des pays les plus riches
du continent africain et l’une de ses locomotives de croissance, si elle parvenait à
surmonter son instabilité politique »482.
Dans la même optique, ce plan poursuit : « La RDC a connu un taux de
croissance de 4,1% (2018) contre 3,7% (2017), et de 2,4% (2016). Sa tendance
haussière est soutenue par le secteur primaire (37,2%), le secteur secondaire (24,3%),
le secteur tertiaire (33,2%) dont 8,6% des transports et télécommunications, et 5,2%
des taxes sur le produit [Rapport annuel de la Banque Centrale du Congo, 2017]. Sur
le plan politique, le pays a réussi en 2018 des élections libres et transparentes qui
créent les conditions d’une stabilité politique favorable à son développement
économique ».
C’est sur le fond de cette stabilité politique, grâce à une alternance des
pouvoirs réussie, que les dirigeants du pays ouvrent plusieurs chantiers sur les plans
économique, social, technologique, environnemental et des infrastructures. Les
dirigeants du pays entendent aussi tirer avantage du dividende démographique (3,30
% taux de croissance démographique par an) et de la bonne gouvernance, pour
relever le défi d’une croissance inclusive et d’un développement durable.
*
*
482
*
Rapport de la Banque Mondiale sur la RDC, diagnostic systématique pays, 2018.
215
L’action publique et le droit numérique congolais :
domaines fertiles pour un effort de compréhension et de
cohérence
Par :
Eddy MULENDA KABADUNDI483
Resumé
La législation congolaise sur le numérique renferme une multitude des règles
pénales tant de forme que de fond, qui impactent sur l’action publique que le Ministère
public exerce ordinairement. En effet, si le Code du numérique a permis au Parquet d’étendre
sa zone de recherche, de constat et d’instruction d’infractions, intégrant outre le monde
physique (Territoire de la République), le monde virtuel (Cyberespace), il a permis au
Parquet congolais de considérer les personnes morales de droit privé ainsi que ses
responsables voire ceux des personnes morales de droit public, comme pénalement
responsables des infractions commises par le moyen de l’Internet. Cependant, le renvoi
incessant aux Codes pénal et de procédure pénale (qui sont devenus obsolètes au regard de
l’évolution tant technologique que scientifique) fait par le Code du numérique, ne permet
pas au Ministère public d’assurer pleinement son rôle de maitre de l’action publique, surtout
sur les questions relatives à l’administration de la preuve et à la prescription des infractions
du numérique. Il est impérieux que le Parquet s’accommode au langage ou à la dialectique
du numérique, pour un nouvel ordre juridique dans la prophylaxie criminelle en la matière.
Les différentes incriminations prévues par le Code du numérique appellent une expertise
sérieuse afin d’éviter au Parquet les ratés procéduraux. D’où, un effort de compréhension et
de cohérence entre l’action publique et le droit numérique s’impose comme solution pouvant
rendre efficace l’intervention du Ministère public dans ce domaine.
Mots- Clés : Infraction- Action publique- Cyberespace- Droit numérique- Ministère public.
Abstract
Congolese digital legislation contains a multitude of criminal rules, both formal and
substantive, which impact the public action that the Public Prosecutor's Office normally
exercises. Indeed, if the Digital Code has allowed the Public Prosecutor's Office to extend
its area of research, reporting and investigation of offenses, integrating in addition to the
physical world (territory of the Republic), the virtual world (Cyberspace), it allowed the
Congolese Public Prosecutor's Office to consider legal entities under private law as well as
their managers or even those of legal entities under public law, as criminally responsible
for offenses committed via the Internet. However, the constant reference to the Penal and
Criminal Procedure Codes (which have become obsolete in view of both technological and
scientific developments) made by the Digital Code, does not allow the Public Prosecutor's
483
Magistrat et Procureur de la République, Chef de travaux à l’Université Libre de Matadi/R.D.C.,
Faculté de Droit. Doctorant à l’Université de Lubumbashi, Département de Droit privé et
judiciaire. Auditeur Forensique et Expert en Droit judiciaire. Chercheur en Droit de l’Ohada.
Mail :
[email protected]
Office to fully fulfill its role as master of public action, especially on questions relating to
the administration of proof and the limitation period for digital offenses. It is imperative that
the Prosecutor's Office adapts to the language or dialectic of digital technology, for a new
legal order in criminal prophylaxis in this area. The various incriminations provided for by
the Digital Code call for serious expertise in order to avoid procedural failures for the
Prosecutor's Office. Hence, an effort at understanding and coherence between public action
and digital law is essential as a solution that can make the intervention of the Public
Prosecutor's Office in this area effective.
Keywords: Offense- Public action- Cyberspace- Digital law- Public prosecutor.
Plan sommaire
Introduction
I. Action publique en droit congolais du numérique
A. Responsabilité et juridictions (auteur et juridiction)
B. Poursuites et administration de la preuve (constat, poursuites, extinction de
l’action publique)
II. Droit numérique congolais
A. Contenu sommaire de la législation du numérique congolais
B. Le droit pénal du numérique
III. Perspectives
Conclusion
……………………………………………………………………
0. Introduction
L’évolution des nouvelles technologies de l’information et de la
communication (NTIC) et des techniques des sciences expérimentales enregistrée
depuis plus de deux décennies déjà dans notre pays, a eu pour effet, de bousculer les
règles de jeu dans plusieurs domaines de la vie humaine, en l’occurrence, le domaine
pénal.
Le Ministère public, maitre de l’action publique, n’a pas été épargné par ce
phénomène dans l’exercice de ses pouvoirs régaliens qui fondent l’objet de son
action répressive à savoir : la recherche des infractions aux actes législatifs et
réglementaires commises sur le territoire de la République, la détermination des
217
auteurs desdites infractions et la saisine des juridictions compétentes pour requérir
l’application des peines484.
En effet, avec l’Ordonnance- loi n°23/010 du 13 mars 2023 portant Code du
numérique, la mission du Ministère public congolais connait sans nulle doute le
tournant de son histoire, car, elle intègre l’espace virtuel, appelé cyberespace485,
comme support de constatations, des poursuites et de répression des infractions. Il
s’invite alors le débat sur la réforme de l’article 67 de la Loi organique n°13/011-B
du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des
juridictions de l’ordre judiciaire, qui limite l’activité du Ministère public aux
infractions commises sur le territoire de la République486 c’est-à-dire, au monde
matériel et physique (« hard Word »).
Les innovations touchant au Droit pénal de forme et de fond qu’apporte le
Code congolais sur le numérique, nous poussent à considérer qu’il s’agit de deux
domaines très fertiles, dont un effort de compréhension de la dialectique de chacune
des disciplines en présence à savoir normative pour le droit pénal et expérimentale
pour la science ainsi que la technologie et de cohérence, permettra de définir une
meilleure prophylaxie criminelle en la matière.
C’est par les méthodes de l’herméneutique juridique fondée sur
l’interprétation des textes légaux, de la systématique, qui permet de considérer le
droit pénal évoluant dans un contexte de judiciarisation, comme un système dictant
des principes pour son maintien en équilibre et descriptive, qui nous a aidé à
examiner l’ossature organisationnelle voire fonctionnelle de cette Ordonnance- loi
sous examen, lesquelles se sont exprimées par la technique documentaire, que les
résultats de notre réflexion scientifique qui est divisée en deux points à savoir :
l’Action publique en droit congolais du numérique (1) et le Droit numérique
congolais (2), outre l’introduction et les perspectives et conclusion, seront présentés.
484
Article 67 de la Loi- organique n°13/013- B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement
et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, JORDC, 54ième année, Numéro spécial, 4 mai
2013.
485
Le cyberespace comprend les réseaux informatiques, les ressources informatiques et tous les
dispositifs fixes et mobiles connectés au réseau mondial. Le cyberespace d'une nation fait partie
du cyberespace mondial; il ne peut être isolé pour en définir les limites puisque le cyberespace est
sans frontières. Il est toutefois possible de se référer à la doctrine de défense française qui définit
le cyberespace comme « un domaine global constitué du réseau maillé des infrastructures des
technologies de l’information (dont Internet), des réseaux de télécommunications, des systèmes
informatiques, des processeurs et des mécanismes de contrôle intégrés. Il inclut l’information
numérique transportée ainsi que les opérateurs des services en ligne, écrit Barbara Louis- Sidney,
« La dimension juridique du cyberespace », in Revue Internationale et stratégique, 2012, Volume
3 (n°87), p.p. 73 à 32.
486
Considéré comme espaces physiques constitués de la terre, des eaux « fleuves, rivières, lacs, etc. »
et l’air « aérien ».
218
I. Action publique en droit congolais du numérique
Le Code de procédure pénale487 n’a pas défini ce que l’on entend par « action
publique ». Cependant, la doctrine se charge de proposer quelques-unes que nous
retiendrons dans le cadre de la présente étude.
Pour M. Franchimont et Alii, l’action publique est l’action d’intérêt général,
née d’un fait qualifiée infraction, qui a pour objet la poursuite devant les autorités
compétentes, spécialement les cours et tribunaux, dans les formes prescrites par la
loi, de la personne prévenue ou accusée de ladite infraction, aux fins d’examiner sa
culpabilité, et de lui appliquer, si elle est coupable, les sanctions ou mesures prévues
par les lois pénales488. Y. Jeanclos quant à lui, enseigne que, l’action publique est un
acte processuel à la disposition du juge, qui déclenche une poursuite judiciaire à la
suite de la survenance de faits infractionnels, à l’encontre de la personne suspectée
de leur commission. L’action publique est exercée dans l’intérêt public, pour arrêter
physiquement et poursuivre judiciairement l’auteur d’un crime ou d’un délit
contraire à la loi et à la sécurité publique489. L’action publique s’impose face à
l’action privée à la disposition de la victime ou de sa famille. Elle n’empêche pas
l’action privée mais elle a la préséance, car elle permet à la justice de se saisir d’une
affaire criminelle, dès qu’elle est informée des faits incriminables. Elle met fin à la
pratique de la vengeance privée, qui laisse des crimes impunis, par peur des victimes
face à un criminel d’influence490. R. Declercq quant à lui aussi, définit l’action
publique ou l’action pénale comme le droit de poursuivre qui naît par le fait même
qu’une infraction est commise491. T. Kavundja N. Maneno pour sa part, dit que
l’action publique est celle qui est exercée au nom de la société par le ministère public
et a pour objet l’application, par une juridiction pénale, de la loi pénale à l’auteur
d’une infraction, afin de réparer le dommage qu’il a causé à la société492.
B. Bouloc et H. Matsopoulou disent pour leur part que, l’action publique est
l’action répressive mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les
fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi, au nom de la société, contre
l’auteur de l’infraction, et tendant à le faire condamner à une peine ou à une mesure
de sûreté ou tout au moins à faire constater son comportement (l’auteur des faits
487
Décret du 06 août 1959 portant Code de procédure pénale, in B.O., 1959, p. 1934.
M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et A. MASSET, Manuel de procédure pénale, 4ième édition,
Bruxelles, Larcier, 2012, p.42 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 5ième édition,
Paris, Litec, 2009, p. 601.
489
Y. JEANCLOS, Dictionnaire de droit criminel et pénal : dimension historique, Paris, édition
Economica, 2011, p. 2.
490
Idem, p.p. 2 à 3.
491
R. DECLERCQ, Eléments de procédure pénale, Bruxelles, édition Bruylant, 2006, p. 49.
492
T. KAVUNDJA N. MAMENO, Traité de droit judiciaire congolais. Tome 2 : Procédure pénale,
Volume 1, Paris, éditions Espérance, 2022, p. 235.
488
219
incriminés pouvant échapper à la sanction à raison d’une cause d’irresponsabilité,
telle la légitime défense493.
Cette partie de notre réflexion s’articule en deux points à savoir : la
responsabilité et juridiction (auteur et juridiction) (A) et les poursuites et
administration de la preuve (constat, poursuites et extinction de l’action publique)
(B).
A. Responsabilité et juridiction
Sous cette rubrique seront développées les questions relatives à la
détermination de l’auteur de l’infraction (délinquants) et à la juridiction compétente
pour connaitre les infractions au Code du numérique.
1. Les délinquants dans le cyberespace
La question qui se pose est de déterminer le sujet de l’infraction. Il est en
principe admis, en droit pénal classique, que seules les personnes physiques peuvent
être des délinquants (« societas non delinquere potest »)494. Car, l’infraction est
nécessairement l’œuvre de l’être humain doté de volonté et des facultés
mentales. Ce qui exclut, en principe, du champ de la responsabilité pénale, les
choses, les animaux et les êtres moraux. Sauf qu’en ce qui concerne ces
derniers, particulièrement les personnes morales de droit privé, il y a une
évolution tant en droit comparé qu’en droit congolais495.
En effet, en droit numérique congolais496 comme dans d’autres domaines
spécifiques qui l’ont précédés497, l’on compte désormais parmi les acteurs passifs de
l’action publique, non seulement les personnes physiques mais aussi les personnes
493
B. BOULOC et H. MATSOPOULOU, Droit pénal général et procédure pénale, 19ième édiction,
Paris, Sirey, 2014, p. 203.
494
Voir articles 20 bis CPO ; 226 à 246 AU.PCAP (acte uniforme sur les procédures collectives).
495
NYABIRUNGU MWENE SONGA, Traité de droit pénal général congolais, 2ième édition, éditions
Universitaires Africaines, Kinshasa, 2007, p. 236. Lire également KASONGO LUKOJI G.D.,
Cours de Droit pénal général, Notes polycopiées, G2 Droit/Master 1, UPN/Ecole de Criminologie
de Lubumbashi, 2021-2022, p.34 ; Cours de Droit pénal comparé, Notes polycopiées, G3 Droit
privé, ULK/Kinshasa, 2020-2021, §§.144-149. NB. Les cours et articles du professeur Ghislain
KASONGO LUKOJI sont télécharges gratuitement en ligne.
496
Articles 308 et 309 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique.
497
Il était affirmé en droit congolais que la personne morale ne peut être pénalement responsable ;
seules les personnes physiques, organes de la personne morale, par lesquelles elle aurait agi seront
pénalement responsables. Mais, l’on note depuis les années 2000, la récurrence des textes spéciaux
qui admettent la possibilité d’imputer une infraction à l’être moral et/ou de lui appliquer des
sanctions pénales, sans déclarer ouvertement leur responsabilité pénale (Voir, art. 29 de la Loi n°
04/002 du 15/03/2004 portant organisation et fonctionnement des partis politiques, 36, 38, 42 de
la Loi n°04/016 du 19/07/2004 portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement
du terrorisme, 42 de la Loi n° 08/011 du 14/07/2008 portant protection des droits des personnes
vivant avec le VIH/Sida et des personnes affectées...).
220
morales. Toutefois, rappelons que dans les affaires DIFCO498 et SOCOBANQUE499,
la Cour d’appel de Kinshasa et la Cour Suprême de Justice avaient déjà
respectivement pénalement condamnées les personnes morales sur pied de l’article
11 de l’Ordonnance- loi n°67/272 du 23 juin 1967 relative au change qui dispose que
« l’infraction à la réglementation du change est réputée existante dans le chef de
toutes les personnes physiques et morales intervenant directement ou indirectement
dans le fait qui la caractérise ».
Il faut cependant noter que, la reconnaissance de la responsabilité pénale des
personnes morales de droit privé par le législateur du Code numérique congolais
s’ajoute à la liste des autres textes légaux du genre qui existent dans notre pays.
L’idéal serait celui d’avoir un texte à portée générale sur cette question afin que l’on
passe de l’exception au principe.
2. Les juridictions compétentes en cas d’infraction du cyberespace
Ne pouvant laisser impunis les délinquants dans le domaine du numérique, le
législateur a prévu des juridictions que le Ministère public aura à saisir ou devant
lesquelles seront présentés les prévenus. C’est dans cette occurrence que la Loi
organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et
compétences des juridictions de l’ordre judiciaire ainsi que les Lois créant les
juridictions spécialisées notamment le Tribunal de commerce aideront le Ministère
public dans son travail d’envoi en fixation des dossiers judiciaires devant les
juridictions compétentes, sous réserve des termes de l’article 329 du Code numérique
qui règle la compétence territoriale des juridictions congolaises pour les infractions
commises sur Internet tant sur le territoire de la République Démocratique du Congo
que non.
En effet, les termes de l’article 329 laissent à désirer en ceci que, le législateur
se réfère au Code de procédure pénale, qui, en son sein, ne contient aucune
disposition d’organisation et de compétences judiciaires. D’où, il y a lieu de corriger
humblement la syntaxe utilisée dans cette prévision légale pour se ranger dans le
camp de la légalité. Avec l’article 329 susvisé, l’on se trouve à peu près dans les
hypothèses développées à l’article 3 du Code pénal congolais, Livre I, que le
professeur Nyabirungu Mwene Songa appelle les correctifs empruntés
successivement au système de l’universalité et à celui de la personnalité passive, qui
accompagnent le principe de la territorialité des infractions500. Le point 1 de cet
article contient un correctif relevant du système de l’universalité lorsqu’il dit que
l’infraction a été commise sur Internet sur le territoire de la République
Démocratique du Congo ou non dès lors que le contenu illicite est accessible depuis
la République Démocratique du Congo. C’est dire en clair que le tribunal congolais
498
Kin., 11 avril 1970, Revue Congolaise de Droit, Kinshasa, ONRD, 1971, p. 9.
CSJ (Cour de Cassation à ce jour), 13 août 1971, Revue Congolaise de Droit, 1972, p. 14 ; Bull.,
1974, 14.
500
NYABIRUNGU MWENA SONGA, Op. Cit., p. 120.
499
221
peut juger toute personne, quelle que soit sa nationalité ou celle de la victime, qui se
sera rendue coupable, à l’étranger, d’une infraction du numérique dès lors que le
contenu est accessible dans notre pays. Le point 3 de cette disposition comme le
premier, porte aussi un correctif du système de l’universalité, en ce qu’il ne
s’applique qu’aux congolais qui ont commis des infractions du numérique à
l’étranger, mais dont le pays de la commission réprime les faits.
Donc, le principe de la double incrimination de l’article 3 du Code pénal
congolais, Livre I cède la place à celui du monisme criminel. Ainsi, sans
criminalisation des faits par la législation étrangère, celui qui commenterait un acte
délictueux à l’étranger ne se verra jamais être traduit devant une quelconque
juridiction dans notre pays. Enfin, le point 2 de l’article 329 susvisé pose le principe
de la double incrimination qui veut que les faits infractionnels commis à l’étranger
soient criminalisés à la fois par la législation étrangère que congolaise, afin
d’attribuer la compétence de juger à une juridiction congolaise.
Ainsi, le Ministère public devra maitriser les arcanes de la législation sur le
numérique tant de la République Démocratique du Congo que des autres pays aussi,
afin d’éviter les ratés procéduraux. Les renvois par le législateur du numérique aux
Codes pénal et de procédure pénale qui sont devenus obsolètes, ne permettent pas
de dégager une ligne claire dans l’exercice de l’action publique dans le domaine du
numérique. La charge d’administrer la preuve demeure une équation difficile à
résoudre.
B. Poursuites et administration de la preuve (constat, poursuites, extinction
de l’action publique
Cette rubrique s’articule en quatre points qui traitent du constat des
infractions, des poursuites, de l’administration de la preuve et de l’extinction de
l’action publique.
1. Constatation des infractions dans le cyberespace
Il faut noter à ce stade de réflexion que l’assiette ou le support matériel de
constatation des infractions par le Ministère public connait un élargissement, car,
non seulement que les actes répréhensibles seront constatés par l’organe de la loi sur
le territoire de la République (espace terrestre, aérien, lacustre, fluvial, marin501,
etc.502) mais aussi sur l’espace ou le réseau Internet. Il s’agit là de la cybercriminalité
telle que prévue par l’Ordonnance- loi Code du numérique. En effet, le Code de
procédure pénale, l’Ordonnance- loi portant Code numérique et le Code pénal sont
et demeurent les principaux instruments du Ministère public dans l’exercice de
l’action publique dans le domaine du numérique.
501
Loi n°74/009 du 10 juillet 1974 portant délimitation de la Mer Territoriale de la République
Démocratique du Congo, in J.O., n°16 du 15 août 1974, p. 689.
502
NYABIRUNGU MWENA SONGA, Op. Cit., p.121.
222
Ainsi, le Ministère public devra faire montre d’une grande maitrise des
notions de cyberespace comme milieu criminogène, afin de s’assurer de faire un
travail considérable qui répondra aux attentes de la population. La mobilité de
théories, des règles et principes qui caractérisent l’espace cybernétique constitue un
défi que le magistrat du parquet devra relever en tout état de cause.
Il ressort de l’article 318 du Code numérique congolais que « les infractions
à la législation du numérique sont constatées par les officiers de police judiciaire à
compétence restreinte ou à compétence générale selon le cas. Lorsque les officiers
de police judiciaire sont saisis ou constatent les faits infractionnels aux dispositions
de la présente ordonnance- loi, ils en informent l’officier du ministère public
compétent conformément aux dispositions du Code de procédure pénale ». Les
infractions à la législation du numérique sont constatées dans des procès- verbaux
établis conformément au Code de procédure pénale503.
2. Poursuites des infractions dans le cyberespace
Aux termes de l’article 325 du Code numérique, les infractions à la législation
du numérique sont poursuivies conformément au Code de procédure pénale et
prouvées par toute voie de droit. L’action publique contre les infractions au Code du
numérique est exercée conformément au Code de procédure pénale et aux
dispositions de la présente ordonnance- loi504.
Les règles relatives à la participation criminelle et à la tentative punissable
restent celles prévues par le Code pénal congolais, Livre I. La récidive et les
circonstances aggravantes font objet de réglementation. Le Code de procédure
pénale et le Code pénal sont et demeurent les principaux instruments du Ministère
public pour résoudre plusieurs questions (constat d’infraction505, extinction de
l’action publique506, perquisitions507, etc.) et les dispositions de l’Ordonnance- loi
portant Code numérique sont complémentaires dans l’exercice de l’action publique.
Considérant que le Code du numérique n’ayant précisé aucun mode particulier, on
conclut que les poursuites sont initiées soit sur base d’une plainte, soit d’une
dénonciation ou soit d’un constat d’office de l’autorité compétente.
3. Administration de la preuve dans le cyberespace
S’agissant de la preuve des infractions commises dans le secteur du
numérique, l’article 325 de l’Ordonnance sous examen dispose que lesdites
infractions sont prouvées par toute voie de droit. Les termes de cette disposition
légale sont loin de rendre facile le travail du Ministère public, car, dans une matière
spécifique et technique comme celle- ci, nous aurions souhaité avoir un corps des
Article 318 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique.
Article 326 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique.
505
Articles 318 et 319 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique.
506
Article 327 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique.
507
Articles 320 et 321 de l’Ordonnance- loi portant Code du numérique.
503
504
223
règles propres d’administration de la preuve. Sinon, le Ministère public va recourir
aux témoignages, aux aveux, aux procès- verbaux auxquels la loi attache une force
probante particulière, l’écrit électronique, l’expertise forensique, les indices, etc.
pour soutenir ses accusations devant une juridiction. Ceci est donc un sérieux défi à
relever par le législateur du numérique et pour le Ministère public appelé à exercer
l’action publique dans ce domaine, car, l’élément central de tout procès, c’est la
preuve.
Nous pensons qu’il serait impérieux que le législateur du numérique de notre
pays fasse de la preuve expertale comme la reine des preuves en cette matière
technique. Les raisons de ce choix sont multiples au nombre desquelles nous notons
la complexité des opérations d’identification du fichier (image, vidéos, etc.) mis en
cause à savoir : horodatage, cryptologie, cyber- attaque, cyber- crime, etc. Ainsi,
nous sommes tenté de réfléchir comme le professeur Emmanuel Jeuland qui affirme
que « l’expertise est une preuve à la mode : chaque époque a une prédilection pour
un mode de preuve. Le Moyen Age chrétien avec une préférence pour l’ordalie et le
serment. L’Ancien Régime a développé l’écrit et l’aveu qui impliquait la torture.
Mais notre époque a une prédilection pour l’expertise508. Le niveau du progrès
technique, technologique et scientifique de notre pays demeure un handicap et un
défi à surmonter, pour une justice efficace dans le domaine du numérique.
En l’absence d’une expertise sérieuse, le ministère public congolais sera le
plus malheureux et le plus ridicule, car, il y aura beaucoup de ratés procéduraux. Le
Code congolais du numérique risque, pour emprunter l’expression de Joseph Yav
Katshung, d’être regardé comme une belle femme au ménage sans avoir des enfants,
pourtant tout le monde les attendait impatiemment depuis le jour du mariage. Pour
paraphraser Elysée Tshinyam Nzav, l’administration de la preuve dans ce domaine
est un processus affreux. Le professeur Joseph Tshibasu Pandamadi n’a-t-il pas
affirmé lors de sa brillante intervention lors des Journées Scientifiques de la Faculté
de Droit de l’Université de Lubumbashi, organisées en date du 20 au 21 juillet 2023,
sur la thématique principale intitulée « Droit congolais à l’ère du numérique : Etat
de la législation, défis et perspectives », que dans la répression des infractions issues
du Code du numérique, l’expertise est et reste un moyen de preuve le plus fiable tant
pour le Ministère public que pour le juge.
4. Extinction de l’action publique
Le Ministère public avant de se décider d’ouvrir une instruction ou d’engager
les poursuites, s’emploie à toujours se rassurer qu’il n’y a aucun obstacle légal
extinctif de l’action publique. Pour s’en rendre compte, non seulement l’organe de
la loi devra préalablement catégoriser l’infraction par lui constatée, c'est-à-dire,
508
E. JEULAND, Expertise, in L. Cadiet (direction), Dictionnaire de la justice, Paris, édition PUF,
2004, p. 503.
224
savoir si elle a un caractère instantané ou continue, avant d’interroger les articles 24
à 26 du Code Pénal Congolais, Livre I.
La section 5 du chapitre II du titre IV du Code du numérique a comme intitulé
« De l’extinction de l’action publique ». Sous cette section se trouve inséré un seul
article à savoir le 327 qui dispose que "l’action publique en répression des infractions
à la législation du numérique se prescrit conformément au Code de procédure
pénale". "Les délais de prescription commencent à courir du jour de la commission
du fait infractionnel ou, s’il a été dissimulé, du jour de sa découverte ou de sa
révélation". Cette disposition légale ressemble étrangement à une vielle
jurisprudence de la Cour de Cassation Belge libellée de la manière ci- après : la
prescription de l’action publique exercée en raison d’un faux et de divers faits
d’usage de ce faux, ne commence à courir à l’égard du faussaire, qu’à la date du
dernier fait d’usage du faux509.
En effet, la syntaxe utilisée et le renvoi fait par le législateur du numérique,
nous semble incorrecte dans la mesure où, il se réfère au Code de procédure pénale
pour la question relative à la prescription de l’action publique en cette matière,
pourtant aucune disposition de ce Code du 06 août 1959 n’en parle d’une part ,et
d’autre part, en ne retenant que la prescription comme mode d’extinction de l’action
publique en droit du numérique, cela pose le problème de l’exclusion des autres
modes d’extinction de l’action publique (amnistie, dépénalisation, décès du
délinquant, etc.) en cette matière. Si non, il y a lieu de modifier le libellé de cette
section en disant « De la prescription de l’action publique ». Ce dernier libellé nous
semble plus correct.
S’agissant du dies aquo dans la computation des délais de la prescription de
l’action publique en cette matière, il y a lieu de dire qu’il est reportable selon que le
décompte commence à courir le jour de la commission de l’infraction, de sa
découverte ou de sa révélation. Dans ces deux derniers cas, c’est un casse- tête qui
risque d’imploser l’action publique en la matière. On risque de passer de l’objectif
pour le subjectif.
On s’aperçoit aisément que le libellé de l’article 329 du Code du numérique
est peu heureux et rend ardu la tâche au Ministère public. Qui doit découvrir ? La
victime ou le magistrat du parquet ? Qui doit relever ? Un tiers ou la victime ? Nous
pensons qu’il y a lieu d’être précis comme c’est le cas dans les articles 24 à 26 du
Code pénal Livre, I.
II. Droit numérique congolais
L’Ordonnance- loi n°23/010 du 13 mars 2023 portant Code du numérique est
celui qui porte les enseignements sur le droit numérique congolais. Les matières
509
Cass., 13 janvier 1943, Pas., I, 18 ; G. MINEUR, Commentaire du Code pénal Congolais, 2ième
édition, Bruxelles, Maison F. Larcier S.A., 1953, p. 289.
225
qu’elle contient résolvent beaucoup de questions civiles, commerciales, bancaires,
pénales, etc. L’espace cybernétique, jadis non encadré par le législateur l’est
désormais. Les différentes théories du droit pénal de forme, notamment en ce qui
concerne l’espace criminogène offert au Ministère public pour exercer l’action
publique, les actes d’instruction et de fond, notamment les nouvelles incriminations
possibles commises sur Internet, la reconnaissance de la preuve électronique, la
participation criminelle numérique, la récidive, les circonstances aggravantes, etc.
constituent autant des matières fertiles pour un nouvel ordre juridique dans notre
pays. Etant un droit nouveau, il est impérieux que les différentes analyses faites
puissent permettre sa symbiose avec d’autres branches de droit, en l’occurrence le
droit de procédure pénale, spécialement sur la question relative à l’action publique.
A. Contenu sommaire de la législation du Code du numérique congolais
Sans pouvoir présenter in extenso les différentes matières développées dans
le Code du numérique, nous nous efforcerons à présenter à ce point, une vue générale
du contenu de cette nouvelle législation.
Le Code congolais du numérique comprend 390 articles qui sont répartis sur
en principe six livres c'est-à-dire un livre préliminaire et cinq proprement dits. Le
livre préliminaire (articles 1 à 2) et le cinquième (articles 283 à 390), ont une
subdivision particulière dans la mesure où ils sont subdivisés en chapitres et non en
titre comme les autres, qui contient les chapitres dans leurs démembrements.
En effet, en correction de la version électronique du Code du numérique
publié sur Internet, le livre premier consacré aux activités et aux services
numériques, contient formellement dix (10) titres510 au lieu de neuf (9) comme
indiqué dans ladite version. Le législateur a repris deux fois le Titre VIII dont le
premier parle « du commerce électronique » et le second « des plateformes
numériques et fournisseurs en position dominante ». Les titres I à VII et IX avant
correction, traitaient respectivement : de l’objet et du champ d’application, du cadre
institutionnel, du régime juridique applicable aux activités et services numériques,
aux droits, principes généraux et obligations applicables aux fournisseurs des
activités et services numériques, de l’administration dématérialisée, de l’archivage
électronique, des droits de propriété intellectuelle et industrielle et enfin, à la
surveillance, au contrôle technique des activités et services numériques, du
règlement des différends, des mesures et sanctions administratives et de la
prescription. Il faut ainsi lire les articles 3 à 82 de l’Ordonnance- loi portant Code du
numérique.
Le livre deuxième traitant des écrits, des outils électroniques et des
prestataires des services de confiance, comprend en principe cinq (05) titres, étalés
sur 83 articles au lieu de sept (VII) comme l’indique la législation congolaise sur le
numérique. Les titres III et IV ne figurent pas dans la version électronique du texte
510
Version publiée au JORDC, 2023.
226
du Code du numérique publié sur Internet. Donc, dans la version physique publiée
au Journal officiel, cette erreur matérielle a été corrigée et le texte harmonisé en
même temps. Avant correction, on s’aperçoit aisément qu’il y a les titres I, II, V à
VII qui examinent tour à tour, les matières relatives : aux écrits et outils
électroniques, aux prestataires de service de confiance, le cinquième titre dans le
format actuel régule le contrôle des prestations de services de confiance, le sixième
parle de la cessation des activités, le septième traite des sanctions administratives.
Les articles 83 à 165 du Code du numérique sont à lire utilement.
En effet, quatre titres composent le livre troisième du Code du numérique qui
est consacré à l’étude des contenus numériques. Les titres I à IV traitent
respectivement des matières suivantes : la détermination de l’objet et le champ
d’application, des contenus publics, des données personnelles et de l’autorisation de
la protection des données. Il serait de bon droit de lire les articles 166 à 270 de
l’Ordonnance- loi portant Code du numérique.
Subdivisé aussi en quatre titres, le livre quatrième traite de la sécurité et de la
protection pénale des systèmes informatiques. Ce livre considéré comme le plus
grand en terme de nombre d’articles, en comprend au total 112 allant de l’article 271
à l’article 382 du Code du numérique. Il traite respectivement de : l’objet et du champ
d’application, du cadre institutionnel, de la sécurité des systèmes informatiques et de
la protection des systèmes informatiques.
C’est ce dernier livre dans notre énumération qui porte, définit ou justifie
l’intervention ou l’exercice de l’action publique par le Ministère public dans le
domaine du numérique. En clair, il faut noter qu’il y a une réelle différence de
structure entre la version électronique publiée sur Internet et la version physique
offerte par les soins des services du Journal Officiel de la RDC. On se pose la
question de savoir si cette compétence de correction ou d’harmonisation a été
attribuée à ce service ?
B. Droit pénal du Code du numérique
Faut-il parler du droit pénal général ou spécial du numérique en République
Démocratique du Congo ? Ou des infractions en matière du numérique dans notre
pays ? Les réponses à toutes ces questions ne sont pas aisées à donner. Il ressort de
l’alinéa 2 de l’article 330 du Code du numérique que « la présente ordonnance- loi
définit les incriminations et les peines des infractions spécifiques liées au
numérique ». D’où, nous pensons que le Code du numérique contient les dispositions
d’incriminations pénales qui intègrent par ce fait ou désormais, l’arsenal juridique
pénal congolais.
En effet, le Code du numérique distingue d’une part, les infractions de droit
commun commises au moyen d’un ou sur un réseau de communication électronique
ou un système informatique et d’autre part, des atteintes aux systèmes informatiques.
Pour les premières, le législateur du numérique dit qu’elles sont réprimées
conformément au Code pénal congolais et aux dispositions particulières en vigueur.
227
L’on comprend à ce niveau que si l’incrimination tire sa nomenclature du Code pénal
ordinaire mais commise par le moyen d’un système informatique, l’auteur de l’acte
répréhensible sera condamné des peines qui y sont prévues. L’examen méticuleux
des dispositions répressives de cette Ordonnance- loi nous amène à conclure que le
législateur congolais du numérique s’avères être très rigoureux au vu des taux des
peines de servitudes pénales et d’amendes qu’il a fixés, en cas de violation des
dispositions légales en la matière. La confiscation spéciale, peine prévue à l’article
14 du Code pénal congolais, Livre I est aussi prononcée par le juge dans les cas
prévus par la législation du numérique.
Le législateur du numérique prévoit aussi que les infractions sur le
cyberespace peuvent être commises en participation d’une part et d’autre part,
peuvent aussi être tentée. D’où, la notion de la tentative punissable. L’article 315 de
l’Ordonnance- loi susvisée enseigne que « est puni de la même peine que l’infraction
consommée, et ce, conformément au Code pénal, Livre I, toute participation
criminelle et toute tentative de violation de la présente ordonnance- loi ». Une fois
de plus, il y a un imbroglio dans cet article, car, en droit pénal la participation
criminelle qui se résume en « corréité » ou en « complicité », permet d’évaluer le
rôle des prévenus ayant agis dans un concert511. Par contre, la tentative512 est
appréciée dans l’exécution d’une infraction. Donc, pour le législateur du numérique,
il n’y a aucune distinction possible entre auteur, co-auteur ou complice dans la
répression, comme c’est fait dans le Code pénal, car la peine reste la même que celle
de l’infraction consommée. Ainsi, si la tentative punissable à des éléments à
démontrer à savoir : résolution criminelle, actes extérieurs formant le
commencement d’exécution et l’absence de désistement volontaire, la participation
criminelle requiert aussi de démontrer l’aide indispensable ou nécessaire dont à jouit
l’auteur des faits incriminés. C’est original pour cette législation nouvelle en
République Démocratique du Congo.
S’agissant des peines, le législateur du numérique prévoit les peines
principales applicables aux personnes physiques ainsi qu’aux personnes morales
d’une part et d’autre part, les peines complémentaires. La lecture attentive des termes
de l’article 310 du Code du numérique permet de comprendre que la servitude
pénale, l’amende et la confiscation spéciale sont les seules peines principales
applicables aux personnes physiques en matière d’infractions relatives à la
cybercriminalité. L’article 311 indique les peines encourues par les personnes
morales (une amende, dissolution, interdiction, fermeture et confiscation). Les
peines complémentaires sont régies par les articles 312 et suivants du Code du
numérique (confiscation, interdiction, l’injonction à garantie, interdire en tout ou
partie l’exercice des droits civiques et civils, etc.). Cependant, le législateur fait
obligation de publication au journal officiel de la République Démocratique du
511
512
Lire les dispositions des articles 21 et 23 du Code pénal congolais, Livre I.
Article 4 du Code pénal congolais, Livre I.
228
Congo les décisions de condamnation prises en vertu de l’article 314 du Code du
numérique.
III. Perspectives et conclusion
Nous pensons que l’Ordonnance- loi portant Code du numérique mérite
d’être non seulement corrigée mais aussi vulgarisé pour que les citoyens congolais
en général et les opérateurs judiciaires (magistrats, avocats, etc.) en particuliers, puis
en maitriser le contours. Si les décideurs peuvent prendre rapidement en
considération nos réflexions, avis et considérations sur les textes de ladite
Ordonnance- loi, cela permettre d’harmoniser ledit texte afin de le rendre
scientifiquement comestible. Les germes de confusion qu’elle porte, les renvois
parfois hasardeux aux textes légaux particuliers, etc. sont autant des faits qui risquent
de plomber le succès que pouvait avoir la législation sur le numérique, si et seulement
si, cette Ordonnance- loi les avait évités.
Un texte correcteur prenant humblement en charge des différentes études
faites par les scientifiques et lecteurs sur cette Ordonnance- loi portant Code du
numérique, serait salutaire non seulement pour le Gouvernement mais aussi pour les
destinataires ou utilisateurs de cette législation.
De tout ce qui précède, nous saluons l’effort législatif enregistré par notre
pays dans le domaine du numérique, même si le chemin est encore long. C’est un
début des problèmes pour tous les opérateurs judiciaires en général et en particulier,
le Ministère public chargé d’exercer l’action publique, qui est obligé d’administrer
la preuve des éléments constitutifs des incriminations relevant du cyberespace ou de
la cybercriminalité qu’il a constaté.
La maitrise du contenu fertile de cette législation interne sur le numérique et
celles des autres pays sur la même matière reste un défi énorme à relever par l’organe
de la loi. Ceci lui éviterait à coup sûr les ratés procéduraux pouvant faire plomber le
prestige, l’honneur et la dignité des fonctions régaliennes dont ce dernier est investi.
Ainsi, un effort de compréhension de la part du Ministère public de arcanes
du droit du numérique dans son acception globalisante, lui permettra de faire montre
une cohérence dans l’exercice de l’action publique et dans la détermination d’une
prophylaxie criminelle adéquate, susceptible de répondre aux objectifs ou aux
attentes du gouvernement congolais dans la prise de ladite législation en République
Démocratique du Congo.
*
*
*
229
VARIA
Justice transitionnelle dans une approche comparative
Par :
Pierre Félix Kandolo On'ufuku wa
Kandolo513
Résumé
Les objectifs de justice transitionnelle sont poursuivis dans le cadre de la
paix et de la restauration d'un État de droit, généralement à la sortie de crise
politique. La question devient sujette à étude lorsque les objectifs poursuivis par
cette justice ne sont plus pour le rétablissement de la paix et l'instauration de la
démocratie et de l'État de droit parce que ceux-ci existent déjà mais pour réparer
les préjudices subis par des communautés. C'est le cas lorsque l'on doit l'appliquer
dans un pays politiquement, institutionnellement et démocratiquement stable, qui
respecte les règles d'un État de droit. Le modèle canadien de justice transitionnelle,
plus inspirant, a fonctionné sous la dimension d'un État développé, stable,
démocratique et appliquant les règles requises pour un État de droit. De par la
définition de la justice transitionnelle, qui fait de celle-ci un mécanisme permettant
de mettre fin aux conflits, pouvons-nous soutenir que le modèle canadien de justice
transitionnelle répond-t-il aux exigences de cette institution? À partir des objectifs
et des mécanismes de la justice transitionnelle, le présent article essaye de dégager
les caractères qui distinguent la justice transitionnelle mise en œuvre au Canada de
celle organisée dans d'autres pays.
Mots-clés : Justice transitionnelle - approche comparative - pensionnats - vérité réconciliation
Abstract
The objectives of transitional justice are pursued in the context of peace and the
restoration of the rule of law, generally at the end of political crises. The question
becomes open to study when the objectives pursued by this justice system are no
longer to restore peace and establish democracy and the rule of law, because they
already exist, but to repair the damage suffered by communities. This is the case
when it has to be applied in a country that is politically, institutionally and
democratically stable, and which respects the rules of the rule of law. The Canadian
513
Pierre Félix Kandolo est Docteur en droit de l'Université de Montréal, Chercheur postdoctoral et
Étudiant en DESS de 3ème cycle de perfectionnement de recherche - carrière scientifique en milieu
universitaire, Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke. Il est Professeur full à la Faculté de
droit de l'Université de Likasi, Avocat au Barreau du Haut-Katanga, à la Cour africaine des droits
de l'Homme et des peuples et à la Cour pénale internationale.
233
model of transitional justice, which is more inspiring, has operated under the
dimension of a developed, stable, democratic state applying the rules required for
the rule of law. Given the definition of transitional justice, which makes it a
mechanism for ending conflict, can we argue that the Canadian model of transitional
justice meets the requirements of this institution? Based on the objectives and
mechanisms of transitional justice, this article attempts to identify the characteristics
that distinguish transitional justice implemented in Canada from that organized in
other countries.
Keywords: Transitional Justice - Comparative Approach - Residential Schools - Truth –
Reconciliation
Plan sommaire
Introduction
I. Justice transitionnelle et ses mécanismes de mise en œuvre
II. Approche comparative pour comprendre l'archétype canadien
A. Actes et légalité des pensionnats autochtones
B. Pressions des survivants et double validation de la convention de règlement
C. Accord des parties et institution de la Commission de vérité et réconciliation
III. Autres nouveautés de l'archétype canadien de justice transitionnelle
A. Préférence de la justice réparatrice sur la justice transitionnelle classique
B. Absence de conflit armé et longue période séparant les faits et la justice
Conclusion
……………………………………………………………………………….
Introduction
Bien connue dans toutes les sociétés, la justice transitionnelle semble
débordée classiquement par les résultats qu'elle a fournis. Si elle est aujourd’hui un
concept largement répandu et l’outil censé permettre le passage – la transition – d’un
système autoritaire – où l’État de droit est nié – à un régime démocratique
respectueux des droits de la personne, elle n’en demeure pas moins extrêmement
ambigüe tant dans sa philosophie que dans ses méthodes514. Ses différents éléments
constitutifs combinent généralement des mesures réparatrices de justice
restauratrice, tout en maintenant parallèlement des moyens de justice punitive à
l’égard des principaux responsables ou des exécutants directs des crimes les plus
graves. De ce fait, elle poursuit un but multiple dans le cadre de la fin d’un conflit
où d’autres impératifs s’imposent aux responsables gouvernementaux tels que le
désarmement [et la démobilisation] des forces combattantes, le renforcement de la
514
Éric SOTTAS, « Justice transitionnelle et sanction/Transitional justice and sanctions », (2008) 90870 International Review of the Red Cross 371‑398, 371, en ligne :
<https://www.icrc.org/fre/assets/files/other/ irrc-870-sottas-web-fra-final.pdf>.
234
sécurité des citoyens, la compensation des victimes et la relance de l’économie de
sociétés dévastées515. Là où elle a été mise en place, la "justice transitionnelle" a
réussi à réparer, ne fût-ce que moralement, les préjudices subis par les victimes issues
des conflits qu'elle voudrait arrêter et [ou] limiter516 dans le cadre d'une lutte contre
l'impunité.
À la différence de la justice dite "ordinaire", rendue par des juridictions qui
disent le droit et tranchent les litiges, la justice transitionnelle repose sur une pluralité
de mécanismes qui ne disent pas seulement le droit mais cherchent la vérité et qui
n’ont pas forcément pour but de condamner [ou de trancher les conflits] mais de
déterminer les responsabilités et de traiter les exactions commises par le régime
passé517 en vue d'une réconciliation, d'une reconstruction et d'une réparation. Elle
s’identifie donc plus par le but recherché que par les organes, et finalement par les
moyens pour l’atteindre518. Par essence, elle intervient pour mettre fin aux atrocités
commises pendant une période donnée à la suite de conflits (armés) et sortir
définitivement de ces derniers. Cette forme de justice a été retenue comme mode
traditionnel par lequel un règlement des conséquences néfastes qui en ont été
occasionnées allait être trouvé519.
De l'ensemble des mécanismes de justice transitionnelle connus, quatre ont
émergé de façon incontestable, à savoir : l’amnistie, les poursuites pénales, la
Commission de vérité et réconciliation et les réformes institutionnelles. Ces
mécanismes se traduisent par les piliers ci-après : les procès, les réparations, la
recherche de la vérité et les réformes institutionnelles, qui doivent être combinés
dans une stratégie "holistique", et en les intégrant tous dans le règlement de conflit
né520 en vue de prévenir des conflits à naître.
515
Id.
Nous pouvons citer les pays comme l'Afrique du Sud avec The Truth and Reconciliation
Commission, le Chili avec la Commission nationale de vérité et de la réconciliation, etc.
517
Fabrice HOURQUEBIE, « Réparer pour construire », dans Xavier PHILIPPE (dir.), La justice face
aux réparations des préjudices de l’histoire. Approche nationale et comparée, Université
Varenne, coll. "Transition & justice", n°1, Varenne, Institut universitaire Varenne, 2013, p. 73‑79.
Voir également Fabrice HOURQUEBIE, "La notion de « justice transitionnelle » a-t-elle un
sens ?",
en
ligne :
<http://www.droitconstitutionnel.org/congresParis/comC5/
HourquebieTXT.pdf> (consulté le 22 août 2023).
518
F. HOURQUEBIE, préc., note 4.
519
Maritza FELICES-LUNA, « La Justice en République Démocratique du Congo : transformation
ou continuité ? », (2010) VII Champ pénal/Penal field 1‑17, 2‑3, en ligne :
<http://champpenal.revues.org/7827> (consulté le 13 octobre 2023).
520
"Rétablissement de l'État de droit et administration de la justice pendant la période de transition
dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit", NATIONS UNIES - CONSEIL DE
SÉCURITÉ, « Rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur le rétablissement de l’état de
droit et l’administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à
un conflit ou sortant d’un conflit », Conseil de Sécurité des Nations Unies (23 août 2004), en
ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/2004/616> (consulté le 15
août 2023). Voir Andrieu KORA, La justice transitionnelle. De l’Afrique du Sud au Rwanda, coll.
"Folio Essais", n°571, Paris, Gallimard, 2012, p. 489.
516
235
Si dans certains États cette forme de justice a été connue et n'a existé qu'à la
fin de conflit armé, dans d'autres, cependant, elle a été mise en œuvre en l'absence
de tout conflit armé immédiat et, dans la plupart des cas, même pendant le régime
démocratique, stable, respectant les règles d'un État de droit. C'est le cas lorsqu'elle
intervient pour cause de l'esclavage, de la colonisation, de la dictature, de la shoah
ou de toute autre forme de maltraitance ou de l'injustice faite à la population pendant
les périodes de sa vulnérabilité et lorsque les préjudices de ces crimes historiques
n’en finissent pas de se perpétuer des décennies, voire des siècles après521.
Cette présentation de la justice transitionnelle sous ces deux formes nous
conduit à analyser le cas particulier du modèle canadien en vue de la situer par
rapport aux autres modèles mis en œuvre dans d'autres États. Pratiquement, nous
confrontons le modèle général de cette justice des autres modèles. Il s'agit de
développer les notions théoriques de justice transitionnelle déjà mise en œuvre
ailleurs qu'au canada (I) ; d'analyser le modèle canadien pour comprendre ses
différences avec d'autres modèles préexistants (II) et ce, avant d'examiner les
éléments plus particuliers créés par le modèle canadien (III).
I. Justice transitionnelle et ses mécanismes de mise en œuvre
L’évolution de la justice transitionnelle, telle que décrite par Hinton522,
permet une compréhension claire du développement de ce concept et est compatible
avec les évolutions décrites par d’autres auteurs tels que Hazan 523, La Rosa et
Philippe524. Si pour ces derniers, la naissance de la justice transitionnelle remonte à
la fin de la deuxième guerre mondiale, d'autres, comme Kora Andrieu, Neil et
Fabrice Hourquebie, la situent dans les années 1980525. Bien qu'ayant existé sous la
521
Radio France Internationale, Interview de Magali BESSONNE, "Comment réparer les crimes de
l’histoire?",
8
novembre
2018,
en
ligne :
<https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/matieres-a-penser/
comment-reparer-lescrimes-de-l-histoire-6082746> (consulté le 19 octobre 2023).
522
Alexander Laban HINTON, « Introduction : Toward an Anthropology of Transitional Justice »,
par Alexander Laban HINTON (éd.), “Transitional Justice : Global Mechanisms and Local
Realities After Genocide and Mass Violence”, New Jersey, Rutgers university press, 2010, p. 124, dans Geneviève PARENT, « Justice transitionnelle et maintien de la paix », Réseau de
recherche sur les opérations de paix (ROP) (13 janvier 2012), en ligne :
<http://www.operationspaix.net/134-resources/details-lexique/justice-transitionnelle-etmaintien-de-la-paix.html> (consulté le 29 août 2023).
523
Pierre HAZAN, « La Paix contre la Justice ? Comment reconstruire un État avec des Criminels
de Guerre », Bruxelles, Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP),
2010, dans Id.
524
Anne-Marie LAROSA et Xavier PHILIPPE, « Transitional Justice », cité dans Vincent CHETAIL
(ed.), « Post-Conflict Peacebuilding : A Lexicon », Oxford, Oxford University Press, 2009, 368379, dans Ibid.
525
Fabrice HOURQUEBIE, « Les processus de justice transitionnelle dans l’espace francophone :
entre principes généraux et singularités », (2015) 3-3 Les Cahiers de la justice 321‑331, 323; A.
KORA, préc., note 7, p. 479.
236
forme de justice internationale depuis le tribunal international de Nuremberg526,
nombreux chercheurs s'accordent à situer la vie de la justice transitionnelle à partir
des années 1980527. De l'ensemble des États ayant recouru à la mise en œuvre de la
justice transitionnelle, nous pouvons dégager, avec Anne Stefani528, trois groupes de
sociétés.
Le premier groupe concerne des sociétés issues de colonisations de
peuplement, à savoir l'Afrique du Sud (en forme d'Apartheid), le Canada (avec les
Amérindiens), l'Australie (avec les Aborigènes), la Norvège et la Finlande (pour les
politiques d'assimilation norvégiennes à l'égard des Samis, des Kven et des
Norvégiens finnophones, y compris les finlandais des forêts529). Si ces sociétés sont
aujourd'hui très différentes, leurs histoires respectives, anciennes et récentes, sont
toutes marquées par des schémas d'oppression visant des populations autochtones,
fondées sur des institutions créées et perpétuées par des descendants de colons
européens en position de pouvoir. À part l'Afrique du Sud où la politique d'apartheid
a donné lieu à la Commission vérité et réconciliation530 après la lutte armée, la
question de justice transitionnelle dans ces États n'est pas fondée sur des conflits
armés immédiats, mais plutôt sur la politique d'oppression mise en place lors de la
colonisation ou de l'occupation étrangère contre les ascendants des actuels
descendants.
Le deuxième groupe provient des conflits impliquant des États-nations
européens établis de longue date, où des mouvements, protestataires ou nationalistes,
526
G. PARENT, préc., note 9.
Contrairement à Hinton sur ce point, Noémie Turgis situe le début de la forme actuelle de la justice
transitionnelle dans les années 70 avec la chute des régimes militaires grecs en Europe du sud (en
1974), Espagnols à la suite de la « révolution des Œillets » (événement d’avril 1974) et portugais
(avec la fin de la dictature au décès du Général Franco en 1975), en Amérique du sud avec le refus
opposé par la population à la réforme constitutionnelle en Uruguay (au début des années 1983),
l’élection de Raül Alfonsin en Argentine (1985), l’installation progressive de la démocratie au
Brésil (à partir de 1985), la défaite de Pinochet lors du plébiscite de 1988, ainsi qu’avec
l’effondrement du bloc soviétique en 1989 : Noémie TURGIS, La justice transitionnelle en droit
international, coll. "Organisation internationale et relations internationales", n°76, Bruxelles,
Bruylant, 2014, p. 9.
528
Préface de Anne Stefani dans Joana ETCHART et Franck MIROUX (dir.), Les pratiques de vérité
et de réconciliation dans les sociétés émergeant de situations violentes ou conflictuelles, coll.
Transition & justice, n 26, Bayonne, Institut francophone pour la justice et la démocratie, 2020,
p. 15‑17.
529
Pour le cas de Norvège et de Finlande, l'on peut utilement lire le Rapport de la Commission vérité
et réconciliation ainsi que son résumé dans Astrid NONBO SNDERSEN, Astri DANKERTSEN
et Otso KORTEKANGAS, « Le processus de Vérité et réconciliation en Norvège va-t-il changer
les choses ? », Justice info. Fondation Hirondelle (29 août 2023), en ligne :
<https://www.justiceinfo.net/fr/120811-processus-verite-reconciliation-norvege-changerchoses.html> (consulté le 23 octobre 2023).
530
Denis HISRSON, « Quelques réflexions sur la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du
Sud », dans Joana ETCHART et Franck MIROUX (dir.), La justice participative. Changer le
milieu juridique par une culture intégrative de règlement des différends, coll. "Transition &
justice", n°26, Bayonne, Institut francophone pour la justice et la démocratie, 2020, p. 23‑31.
527
237
fortement influencés par les luttes pour l'égalité des droits menées dans les années
1960 et 1970, ont lutté contre l'État central, mais aussi contre leurs opposants au sein
des territoires concernés. Dans cette catégorie, nous retenons les États comme
l'Irlande du Nord et le Pays Basque espagnol531.
Le troisième groupe est composé des États-nations créés à l'issue de la
décolonisation, gouvernés d'abord par une succession de régime autoritaire dans un
système de parti unique, puis déchirés par des guerres entre les forces
gouvernementales et les forces de l'opposition, et enfin, le peuple réconcilié autour
des conférences nationales, pour quelques-uns, en vue de l'instauration de la
démocratie et de l'État de droit. Dans cette catégorie, la majeure partie des États se
trouvent en Afrique francophone (Congo-Brazzaville, République démocratique du
Congo, Benin, Côte d'Ivoire, etc.). L’ampleur des exactions commises, la destruction
du lien social qui empêche les individus à vivre ensemble sans un minimum de
pardon, et le profond bouleversement du tissu social et politique qui en découle ont
poussé à l'idée d'une justice de transition avec un objectif principal : "établir la vérité
et les responsabilités pour permettre aux individus de revivre dans une société
apaisée qui parvienne à restaurer le sentiment d’appartenance à un même groupe532.
Bien qu'il n’existe pas encore aujourd’hui une définition unanime533 de cette
forme de justice534, il y a lieu de retenir, de manière large, que la justice
transitionnelle est comprise comme un
531
Pour plus de détails à propos de la torture au Pays Basque Espagnol, voir Pauline GUELLE,
« Torture et vérité au Pays Basque », dans Joana ETCHART et Franck MIROUX (dir.), Les
pratiques de vérité et de réconciliation dans les sociétés émergeant de situations violentes ou
conflictuelles, coll. "Transition & justice", n°26, Bayonne, Institut francophone pour la justice et
la démocratie, 2020, p. 146‑166.
532
Antoine MICHON (dir.), Les processus de transition, justice, vérité et réconciliation dans l’espace
francophone. Guide pratique, 2ème édition, Paris, Organisation internationale de la francophonie,
2021,
p. 26,
en
ligne :
<https://www.francophonie.org/sites/default/files/202108/guide_pratique_transition_justice_verite_conciliation_ 2021.pdf> (consulté le 19 octobre
2023).
533
Le Secrétaire général des Nations unies note que « [D]es concepts tels que ceux de « justice »,
d’« état de droit » et « d’administration de la justice pendant la période de transition » sont
essentiels pour comprendre les efforts de la communauté internationale visant à promouvoir les
droits de l’homme, protéger les personnes de la peur et du besoin, régler les litiges en matière de
propriété, stimuler le développement économique, promouvoir une gouvernance responsable, et
résoudre pacifiquement les conflits. Ils nous permettent de définir tout à la fois nos objectifs et
nos méthodes. Pourtant, ces concepts sont définis et compris de multiples façons ». Doc. UN.
S/2004/616, p. 6 : N. TURGIS, préc., note 14, p. 16.
534
Certains allant même jusqu’à lui refuser une existence en tant que concept : Sandrine LEFRANC,
« La justice transitionnelle n’est pas un concept », (2008) 53-1 Mouvements 61, DOI :
10.3917/mouv.053.0061 ; F. BRISSET-FOUCAULT, N. GANDAIS-RIOLLET, A. LIPIETZ, A.
NICOLAIDIS, « Vérité, justice, réconciliation : les dilemmes de la justice transitionnelle », nº
spécial, Mouvements, Paris, 1998, p. 61-69, dans Noémie TURGIS, La justice transitionnelle en
droit international, coll. "Organisation internationale et relations internationales", n°76,
Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 16.
238
[…] ensemble des mesures judiciaires et non judiciaires qui ont été
mises en œuvre par différents pays afin de remédier à l’histoire de
violations massives des droits humains en temps de conflits et/ou de
répression par l’État. Ces mesures comprennent les poursuites
pénales, les programmes de réparation, les diverses réformes
institutionnelles et les commissions de vérité535.
Une telle définition ne peut être retenue par rapport aux objectifs que poursuit
la justice transitionnelle. Elle parait limiter ce dernier concept aux seuls tribunaux,
commissions de vérité, amnistie, réparations et politiques de lustrations, en mettant
de côté les projets d’édification pour la mémoire collective536 et la refondation d’un
État de droit qui sont parmi les principaux objectifs à atteindre. Pour cette raison,
l'on recoure souvent à celle à la fois large et holistique, impliquant clairement
l’aspect de réparation, donnée par le Secrétaire général des Nations unies et qui fait
de la justice transitionnelle un concept qui
[…] englobe l’éventail complet des divers processus et mécanismes
mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions
massives commises dans le passé, en vue d’établir les
responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation.
Peuvent figurer au nombre de ces processus des mécanismes tant
judiciaires que non judiciaires, avec (le cas échéant) une intervention
plus ou moins importante de la communauté internationale, et des
poursuites engagées contre des individus, des indemnisations, des
enquêtes visant à établir la vérité, une réforme des institutions, des
contrôles et des révocations, ou une combinaison de ces mesures537.
L’on doit relever qu'en droit international le concept de « Justice
transitionnelle » est relativement nouveau, n’ayant été fondé que vers la fin de la
535
Traduction libre de « What is transitional Justice ? » : Marc FREEMAN et Dorothée MAROTINE,
« Qu’est-ce que la justice transitionnelle ? », Centre International pour la Justice transitionnelle
(19 octobre 2007), en ligne :<http:/www.ictj.org/images/contents/7/5/752pdf> (consulté le 5 juin
2016). Pour une définition de la justice transitionnelle, v. également : Alex BORAINE, "La justice
transitionnelle : un nouveau domaine", Colloque sur Réparer les effets du passé. Réparations et
transitions vers la démocratie, Ottawa, Canada, 11 mars 2004, en ligne :
<http:/www.idrc.ca/uploads/user-S/10899187131Discours_d’Alex-Boraine.dco> (consulté le 5
juin 2016). Voy. également les réflexions de Juan Méndez dans l’Amicus Curiae présentées à la
Cour Constitutionnelle colombienne sur la loi 975 de Justice et Paix analysant, à partir de diverses
expériences, les exigences de la justice transitionnelle, 17 janvier 2007, en ligne :
<http://www.Americas/Colombia/colombia. justicebrief.spa.pdf> (consulté le 5 juin 2016).
536
Tricia D. OLSEN, Leigh A. PAYNE et Andrew G. REITER, «Transitional Justice in Balance:
Comparing Processes, Weighing Efficacy », Washington D.C., United States Institutes of Peace
Press, 2010, dans G. PARENT, préc., note 9.
537
NATIONS UNIES - CONSEIL DE SÉCURITÉ, préc., note 7, par. 8, p. 7.
239
guerre froide538 pour devenir un champ d’étude et de défense des droits de la
personne à part entière dans les années 1990539. La lutte pour l’instauration d’un
nouvel ordre mondial, évoquée dans toutes les conférences nationales et lors des
tractations pour la recherche de la paix540, surtout en Afrique d’où est issue
véritablement les formes actuelles de la justice transitionnelle (plus précisément de
l’Ouganda avec le dictateur Idi Amin Dada)541, a occasionné une nouvelle « vague
de démocratisation observée à la suite des indépendances des pays de l’Europe de
l’Est. En Amérique latine et en Afrique, des pays postsocialistes ont eu à faire face
à leur passé violent et répressif alors qu’ils tentaient de se démocratiser. C’est dans
ce contexte que la justice transitionnelle a pris forme, alors qu’un consensus croissant
se développait au sein de la communauté internationale selon lequel des mesures de
justice transitionnelle étaient nécessaires à la gestion des violations des droits de la
personne perpétrées dans ces pays542.
Depuis cette période donc, la justice transitionnelle fait référence aux défis
auxquels font face les nouveaux régimes devant confronter le passé violent et
répressif des régimes autoritaires précédents avant de pouvoir s’engager pleinement
dans leur projet de démocratisation543. Dans les autres États, non socialistes, ce sont
les guerres fratricides entre les nationaux, faites après les dictatures qui ont suivi la
période des indépendances, qui ont donné naissance à cette forme de justice.
Alexander Laban HINTON, « Introduction: Toward an Anthropology of Transitional Justice », par
Alexander Laban HINTON (éd.), “Transitional Justice : Global Mechanisms and Local Realities
After Genocide and Mass Violence”, New Jersey, Rutgers university press, 2010, p. 1-24 ; Arthur
PAIGE, « How “Transitions” Reshaped Human Rights: A Conceptual History of Transitional
Justice », Human Rights Quarterly, 31, 2009, p.321-367, dans G. PARENT, préc., note 9.
539
Marine Eudes explique, à propos du terme justice transitionnelle, que si cette notion a rencontré
un écho positif dans la doctrine et les organisations non-gouvernementales (autour de
l’incontournable International Center for Transitional Justice), elle suscite aussi l’intérêt des
instances internationales depuis le milieu des années 1990 : Marina EUDES, « La justice
transitionnelle », dans Hervé ASCENSIO, Emmanuel DECAUX et Alain PELLET (dir.), Droit
international pénal, 2ème édition révisée, Paris, A. Pedone, 2012, p. 594‑601 à la page 593. ; Naomi
ROHT-ARRIAZA, « The New Landscape of Transitional Justice », par Naomi ROHT-ARRIAZA
et Javier MARIEZCURRENA (eds.), “Transitional Justice in the Twenty-First Century”, New
York, Cambridge University Press, 2006, p.1-16, dans G. PARENT, préc., note 9.
540
Ruffin Viclère MABIALA, La justice dans les pays en situation de post-conflit. Justice
transitionnelle, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 98.
541
Sous la pression internationale, le Président Ougandais, Idi Amin Dada, décida d’ouvrir une
enquête sur les violations massives des Droits de l’Homme commises par son prédécesseur,
Milton Oboté, en 1974, alors qu’il fut son Chef d’État-Major. Il n’est pas surprenant de constater
que ce soit un dictateur qui, après avoir pris le pouvoir par la force, créa la première structure de
justice transitionnelle : R. V. MABIALA, préc., note 27, p. 100‑101.
542
Id., p. 101.
543
Harvey M. WEINSTEIN, Laurel E. FLETCHER, Patrick VINCK et Phuong N. PHAM, « Stay the
Hand of Justice: Whose Priorities Take Priority? », cité par Rosalind SHAW, Lars WALDORF et
Pierre HAZAN, « Localizing Transitional Justice: Interventions and Priorities after Mass
Violence », Stanford, Stanford University Press, 2011, dans Ibid.
538
240
De tous les principaux mécanismes de justice transitionnelle auxquels les
États se sont référés, cette dernière s’est exprimée en particulier et de manière
emblématique dans les Commission Vérité et Réconciliation (CVR), Commission
Vérité et Justice (CVJ), Dialogue Vérité et Réconciliation (DVR) ou encore
Clarification historique (CH). Ce mécanisme est parfois accompagné, dans certains
pays sortant des conflits armés, par d’autres formes de justice alternatives
traditionnelles comme le gacaca au Rwanda (créé pour accompagner la Commission
nationale pour l'unité et la réconciliation du Rwanda544) ou l'Adat (coutume ou droit
coutumier) au Timor-Leste (ex - Timor oriental).
Il faut résumer que la justice dite transitionnelle est une justice qui dépasse «
la seule justice rétributive – la punition du coupable – pour s’intéresser également à
la recherche de la vérité et au sort des victimes »545. Il s’agit, à juste titre, s’agissant
de certaines réponses apportées aux crimes de masse, de « nouvelles formes de
justice »546, qui viennent s'établir, de manière temporelle, au côté de la justice
traditionnelle et dont les mécanismes s'articulent autour de quatre piliers ci-après:
544
Voir la Loi n 3/99 du 12 mars 1999 portant création de la Commission nationale pour l'unité et la
réconciliation du Rwanda (CNUR) et la Loi n 35/2002 du 14 novembre 2002 modifiant et
complétant la Loi n° 3/99 du 12 mars 1999 visant à rendre permanente la Commission nationale
pour l'unité et la réconciliation, en ligne : <https://www.refworld.org/cgibin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=52df9 c374> (consulté le 23 octobre
2023).
545
Xavier PHILIPPE, « Les Nations unies et la justice transitionnelle : bilan et perspectives », (2006)
21-22 Observatoire des Nations Unies 169-191, 170, en ligne : <https://halshs.archivesouvertes.fr/halshs-0054 2128/en/> (consulté le 30 août 2018).
546
Antoine GARAPON, Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner pour une justice
internationale, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 282. Certains auteurs préfèrent classer la justice
transitionnelle dans le courant transitologique (ou de la transitologie), qui relève des sciences
politiques, né dans les années 1980 aux États-Unis et développé sur la base des changements
démocratiques amorcés dès les années 1970 dans certains pays d’Europe du sud et de l’Amérique
latine. V. les quatre volumes publiés sur cette question en 1986 : Guillermo O’DONNEL, Philippe
C. SCHMITTER et Laurence WHITEHEAD (ed.), « Transitions from Authoritarian Rule :
Southern Europe », Baltimore London, The Johns Hopkins University Press ; Guillermo
O’DONNEL, Philippe C. SCHMITTER et Laurence WHITEHEAD (ed.), « Transitions from
Authoritarian Rule : Latin America », Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press,
1986 ; Guillermo O’DONNEL, Philippe C. SCHMITTER et Laurence WHITEHEAD (ed.), «
Transitions from Authoritarian Rule : Comparative Perspectives», Baltimore-London, The Johns
Hopkins University Press, 1986 ; Guillermo O’DONNEL, Philippe C. SCHMITTER et Laurence
WHITEHEAD (ed.), « Transitions from Authoritarian Rule. Tentative Conclusions about
Uncertain Democracies », Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press, 1986. Pour
un résumé de la naissance de ce courant aux États-Unis dans les années 1980, v. Pierre HAZAN,
« Juger la guerre, juger l’histoire. Du bon usage des Commissions vérité et de la justice
internationale », PUF, 2007, p. 46 à la page 47, dans Émmanuel GUEMATCHA, Les commissions
vérité et les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, coll.
"Publications de l’Institut international des droits de l’homme", n°23, Paris, A. Pedone, 2014, p.
24-25. Le courant transitologique appréhende la transition comme correspondant à la période qui
se situe entre deux régimes politiques, de l’autoritaire vers une libéralisation ou une
démocratisation du conflit armé vers l’instauration d’une paix durable : Guillermo O’DONNEL,
241
1) les mécanismes pour établir la vérité (le droit des victimes à la vérité) ;
2) les mécanismes pour la répression pénale des crimes commis (droit des victimes
à la justice) ;
3) les mécanismes ou mesures de réparation (droit des victimes à la réparation) et
4) les réformes des institutions pour éviter de nouvelles crises (droit des victimes aux
garanties de non-répétition).
Le souci majeur d'instauration d'une justice transitionnelle reste la
reconstruction de la structure étatique et des institutions, d’un côté, et la restauration
de la Nation au sens du « vouloir vivre ensemble », par la sanction et la réparation
des violations individuelles de l’autre. C’est dans ce contexte qu’il importe de bien
comprendre l’approche reconstructive et réconciliatrice des commissions vérité et
réconciliation ou des institutions équivalentes dans les processus de justice
transitionnelle547. Ces institutions sont avant tout créées pour révéler, comprendre et
établir l’histoire des violations passées afin de reconstruire une identité nationale qui
va trouver son ancrage dans le partage d’une histoire commune de la violence548.
La théorie de la justice transitionnelle ainsi précisée, tant sur la définition que
sur les mécanismes, n'a pas reçu la même compréhension dans tous les États. Si pour
certains le conflit armé est l'élément déclencheur de cette forme de justice, pour
d'autres cependant, elle a existé en dehors de tout conflit armé. Le modèle canadien
demeure un cas d'illustration sur lequel porte cette réflexion.
II. Approche comparative pour comprendre l'archétype canadien
La compréhension de l'institution de la justice transitionnelle à travers la
Commission de vérité et réconciliation canadienne nous oblige à présenter, en
premier lieu, les faits à l'origine du processus de réconciliation à travers les actes
posés et la légalité des institutions des pensionnats indiens (A). En second lieu, nous
examinons les pressions à l'origine de l'institutionnalisation de la Commission de
vérité et réconciliation et la double approbation de la convention de règlement
Philippe C. SCHMITTER et Laurence WHITEHEAD (ed.), « Transitions from Authoritarian
Rule. Tentative Conclusions about Uncertain Democracies», Baltimore-London, The Johns
Hopkins University Press, 1986, p. 7 à la page 11 ; Ruti TEITEL, « Transitional Jurisprudence :
The Role of Law in Political Transformation », The Yale Law Journal, Vol. 106, 1997, 20092080, p. 2013, dans Émmanuel GUEMATCHA, Les commissions vérité et les violations des droits
de l’homme et du droit international humanitaire, coll. "Publications de l’Institut international des
droits de l’homme", n°23, Paris, A. Pedone, 2014, p. 25.
547
F. HOURQUEBIE, préc., note 12, 326.
548
Antoine MICHON (dir.), Les processus de transition, justice, vérité et réconciliation dans l’espace
francophone. Guide pratique, 2ème édition, Paris, Organisation internationale de la francophonie,
2021,
p. 20,
en
ligne :
<https://www.francophonie.org/sites/default/files/202108/guide_pratique_transition_justice_verite_conciliation_ 2021.pdf> (consulté le 19 octobre
2023).
242
conclue entre les parties litigantes (B). En troisième lieu, nous examinons la nature
et le contenu des accords ayant précédé l'institution de cette Commission (C).
A. Actes et légalité des pensionnats autochtones
Les faits à la base de la justice transitionnelle au Canada présentent un
caractère particulier. La Commission de vérité et réconciliation canadienne,
contrairement aux commissions créées dans d'autres pays, a été instituée en vue de
traiter une situation causée légalement par l'État, avec des lois qui ont créé les
pensionnats autochtones dont les préjudices ont été commis avec le soutien de
plusieurs gouvernements successifs549.
De la lecture de nombreuses versions des faits, il a été narré que c'est,
officiellement, entre 1881 et les années 1996, que plus de 150 000 enfants métis,
Inuits et membres des Premières nations ont été placés dans les 130 pensionnats pour
autochtones (officiellement appelés "pensionnats indiens" et parfois appelés
"pensionnats autochtones"), souvent contre la volonté de leurs parents. Ces écoles
confessionnelles chrétiennes, subventionnées par le gouvernement et administrées
par des congrégations religieuses, ont été instituées pour éliminer le rôle des parents
dans l’épanouissement intellectuel, culturel et spirituel des enfants autochtones dans
le cadre d’une politique officielle de « re-culturation ». La plupart des enfants placés
n’avaient pas le droit de parler leur langue et de conserver leur culture et ont subi des
violences psychologiques, physiques et sexuelles, conduisant certains d’entre eux à
mettre fin à leurs jours550.
Dans le Rapport intérimaire de la Commission de vérité et réconciliation551,
il est affirmé que jusqu'aux années 1990, le gouvernement canadien, avec le concours
d'un certain nombre d'églises chrétiennes, a exploité un système de pensionnats pour
les enfants autochtones. Ces écoles et pensionnats financés par l'État et généralement
dirigés par une église ont été créés pour assimiler de force les Autochtones dans le
courant dominant du Canada en éliminant la participation des parents et de la
collectivité du développement intellectuel, culturel et spirituel des enfants
autochtones.
En règle générale, il était légalement interdit à ces enfants de parler leurs
langues maternelles ou de se livrer à leurs propres pratiques culturelles et spirituelles.
Des générations d'enfants ont été traumatisés par l'expérience. L'absence de
549
Marie WILSON, « Il est bien trop tôt pour dire que Canada a eu un grand succès avec la
Commission », Justice info.net - Fondation Hirondelle (21 septembre 2020), en ligne :
<https://www.justiceinfo.net/fr/45447-marie-wilson-trop-tot-pour-dire-canada-grand-succescommission.html> (consulté le 9 novembre 2023).
550
A. MICHON (dir.), préc., note 35, p. 56.
551
COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, Commission de vérité et
réconciliation du Canada : Rapport intérimaire, Winnipeg (Manitoba), Commission de vérité et
réconciliation du Canada, 2012.
243
participation parentale et familiale à l'éducation des enfants a également empêché
ces derniers d'acquérir des compétences sur l'art d'être parent. On évalue à 80 000 le
nombre d'anciens élèves encore vivant lors de la création de la Commission vérité et
réconciliation552.
Puisque les pensionnats indiens ont fonctionné pendant bien plus d'un siècle,
les répercussions qui en découlèrent furent transmises des grands-parents aux
parents, puis aux enfants. Ces séquelles qui se sont transmises de génération en
génération ont contribué à des problèmes sociaux, à une mauvaise santé et à de
faibles taux de réussite scolaire dans les communautés autochtones d'aujourd'hui.
Pour ces raisons, à compter du milieu des années 1990, des milliers d'anciens
pensionnaires ont intenté des poursuites judiciaires contre des églises qui dirigeaient
ces écoles et contre le gouvernement fédéral qui les finançait. Elles ont été à l'origine
de plusieurs recours collectifs importants qui ont été réglés en 2007 grâce à la mise
en œuvre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, le plus
important règlement d'un recours collectif dans l'histoire du Canada. La Convention,
placée sous la surveillance d'un tribunal, a eu pour but de remédier aux torts causés
par le système de pensionnats indiens. En plus d'indemniser les anciens
pensionnaires, la Convention a établi la Commission de vérité et réconciliation du
Canada dont le budget a été évalué à 60 millions de dollars et la durée du mandat de
cinq ans, soit de 2008 à 2012553, avec le mandat de rédiger "un rapport à l'intention
de la population du Canada sur les faits qui se sont déroulés dans les pensionnats
indiens fréquentés par des enfants des membres des Premières Nations, des Inuits et
des Métis, sur la reconnaissance des expériences et sur les conséquences et les
séquelles durables laissées par ces institutions554".
La pression sociale fut exercée sur le Gouvernement fédéral canadien par des
plaintes déposées par les enfants passés par les pensionnats et leurs héritiers. C'est
cette pression qui poussa la justice à prendre une décision en faveur d'un règlement
négocié. Cela a nécessité deux choses importantes : d'abord, que les autochtones
soient suffisamment structurés et organisés pour faire la demande ; et, ensuite, que
l’État canadien ait la capacité de l’accepter politiquement et socialement.
La justice mise en œuvre par suite de ces pressions a conduit d'abord à une
double validation de la convention de règlement conclue entre le gouvernement et
les victimes et, ensuite, à l'institution de la Commission de vérité et réconciliation.
552
A. MICHON (dir.), préc., note 35, p. 56.
COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, préc., note 38.
554
Le mandat de la Commission est défini à l'Annexe N de Règlement relatif aux Pensionnats Indiens,
en ligne : <https://www.residentialschoolsettlement.ca/French/settlement.html> (consulté le 1er
novembre 2023).
553
244
B. Pressions des survivants et double validation de la convention de règlement
Pour la première fois dans l'histoire de la justice transitionnelle, une
commission a été créée grâce aux actions et aux pressions des survivants, des
victimes des pensionnats, devant les tribunaux où le gouvernement et les Églises
étaient les accusés. À en croire Marie Wilson, au moins 80 000 survivants [des
victimes] ont porté leurs plaintes555. Une autre innovation est l'approbation par la
Cour fédérale de l'entente de règlement Gottfriedson pour les anciens élèves externes
des pensionnats indiens. En effet, dans les pays où la justice transitionnelle a été
organisée, les décisions des Commissions s'appliquaient sans recourir à une
procédure judiciaire supplémentaire d'approbation par une juridiction de droit
commun.
Le système de justice transitionnelle canadien s'est distingué par
l'approbation, en date du vendredi 24 septembre 2021, de l'Accord de règlement
Gottfriedson pour les anciens élèves externes des pensionnats indiens par la Cour
fédérale. Cette approbation a été précédée, en mai 2006, de l'approbation par toutes
les parties à la Convention de règlement. La Cour a statué que la convention est juste,
raisonnable et dans le meilleur intérêt des membres du groupe des survivants et des
descendants556.
Contrairement aux modèles classiques mis en œuvre dans de nombreux pays,
la justice transitionnelle canadienne a commencé par le recours collectif des victimes
devant la Cour, qui a abouti à une entente de règlement de différend, appelée aussi
"Convention de règlement". Cette dernière a été soumise à la Cour fédérale pour son
approbation. Cette formule que nous qualifions de "double validation" sépare le
Canada des autres pays qui ont fait recours à la justice transitionnelle par le
mécanisme de Commission vérité et réconciliation. Cette dernière, tout en demeurant
totalement extrajudiciaire permettant de dédommager les personnes touchées et de
leur procurer le soutien psychologique nécessaire, a vu les accords des particuliers
conclus sous ses auspices être validés par une juridiction de droit commun. De cette
façon, la Convention de règlement a maintenu sa forme d'une entente, convenue par
consensus, entre les avocats des anciens élèves, les avocats des Églises, l'Assemblée
des Premières Nations, d'autres organisations autochtones et le gouvernement du
Canada pour parvenir à une résolution juste et durable des séquelles laissées par les
pensionnats indiens. Il s'est agi de la mise en rapport les règles du "droit civil" avec
les "programmes des réparations" conçus et appliqués.
555
556
M. WILSON, préc., note 36.
GOUVERNEMENT DU CANADA, « La Cour fédérale du Canada a approuvé l’accord de
règlement Gottfriedson pour les anciens élèves externes des pensionnats indiens », Relations
Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (1er octobre 2021), en ligne :
<https://www.canada.ca/fr/relations-couronne-autochtones-affaires-nord/nouvelles/2021/10/lacour-federale-du-canada-a-approuve-laccord-de-reglement-gottfriedson-pour-les-anciens-elevesexternes-des-pensionnats-indiens.html> (consulté le 2 novembre 2023).
245
C. Accord des parties et institution de la Commission de vérité et réconciliation
Dans le but de mettre un terme aux différents recours collectifs et recours
collectifs Cloud mus par les victimes indiennes, et comme dans toutes les sociétés
animées par le souci de réparer les victimes de ces genres d'actes à travers la mise en
œuvre des mécanismes de la justice transitionnelle suivi du programme des
réparations, le Canada a pris une série des textes légaux afin de tourner la page sur
l’épisode des pensionnats indiens. Ces textes résultent de "Accord de principe"
conclu le 20 novembre 2005 entre le Canada, les demandeurs et les Associations
suivantes : Inuvialuit Regional Corporation, Société Makivik, Nunavut Tunngavik
Inc., Avocats indépendants et Assemblée des Premières Nations, Synode général de
l’Église anglicane du Canada, Église presbytérienne au Canada, l’Église Unie du
Canada et Entités catholiques romaines557.
Pour mettre en œuvre l'esprit de cet Accord de principe, trois textes peuvent
être évoqués : la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (Annexe
N) (qui découle d’un recours judiciaire intenté par plusieurs anciens élèves des
pensionnats, appuyé par l’Assemblée des Premières nations, contre le gouvernement
du Canada et les congrégations religieuses) datée du 10 mai 2006 ; la Déclaration de
Réconciliation du 7 janvier 1998 et les Principes établis par le Groupe de travail sur
la vérité et la réconciliation et pendant les dialogues exploratoires (1998-1999).
La Convention de règlement prévoyait notamment l'établissement de la
Commission de vérité et réconciliation (CVR) du Canada afin de faciliter la
réconciliation entre les anciens élèves des pensionnats indiens, leurs familles, leurs
communautés et tous les Canadiens. Cette Commission est une entité historique
chargée de contribuer à la vérité, à la guérison, à la réconciliation558 et à la réparation
des victimes ou de leurs descendants. Le mandat officiel de la CVR se trouve à
l'annexe N de la Convention de règlement. Il énonce les principes qui ont guidé la
Commission dans ses importants travaux.
Pour le Canada, au regard des éléments et de la procédure adoptée et suivie
par la Commission de vérité et réconciliation, l'approche de "justice réparatrice"
semble avoir été privilégiée au détriment de celle transitionnelle proprement dite.
Comme nous l'analysons plus bas, cette justice réparatrice a été appliquée par un
Notons que les organismes religieux retenus dans la Convention sont ceux qui n’ont pas exploité
un pensionnat indien ou qui ne comptaient aucun pensionnat indien à l’intérieur de leur territoire
et qui ont apporté ou qui apporteront une contribution financière en vue du règlement des
demandes déposées par des personnes qui ont fréquenté les pensionnats indiens. C'est le cas du
diocèse de l’Église anglicane du Canada nommés à l’annexe G et des entités catholiques nommées
à l’annexe H de la Convention du Règlement. Voir les Parties signataires de la Convention de
Règlement relative aux Pensionnats Indiens.
558
Commission de vérité et réconciliation du Canada, en ligne : <https://www.rcaanccirnac.gc.ca/fra/145012440559 2/1529106060525> (consulté le 1 er novembre 2023).
557
246
mécanisme dit "Commission de vérité et réconciliation" auquel les missions ci-après
ont été confiées559 :
- de sensibiliser les Canadiens à ce qu’il s’est passé dans les pensionnats indiens en
se basant notamment sur les dossiers, les déclarations des dirigeants de ces
établissements, sur les expériences des survivants, de leurs familles, des
collectivités…;
- de révéler aux Canadiens la vérité complexe sur l'histoire et les séquelles durables
des pensionnats dirigés par des églises d'une manière qui décrit en détail les torts
individuels et collectifs faits aux Autochtones, qui rend hommage à la résilience ;
- d'orienter et d'inspirer un processus de témoignage et de guérison qui devrait aboutir
à la réconciliation au sein des familles autochtones, et entre les Autochtones et les
communautés non autochtones, les églises, les gouvernements et les Canadiens en
général. Le processus contribuera à renouveler les relations qui reposeront sur
l'inclusion, la compréhension mutuelle et le respect.
Composée de trois commissaires dont un juge en chef autochtone, une
personne de la société civile et un avocat, la Commission de vérité et réconciliation
a été dotée pour missions :
- de reconnaître les expériences, les séquelles et les conséquences liées aux
pensionnats ;
- de créer un milieu holistique, adapté à la culture et sûr pour les anciens élèves, et
leurs familles et collectivités, quand ils se présentent devant la commission ;
- d'assister aux événements de vérité et de réconciliation, au niveau national et
communautaire, et d'appuyer, de promouvoir et de faciliter de tels événements.
Comme l'a affirmé Marie Wilson, dans une interview accordée à
justiceinfo.net,
"La Commission de vérité et réconciliation était tout à fait
indépendante, [...], et si on la compare avec d’autres CVR ailleurs
dans le monde, son but n’était pas politique mais c’était un but de
guérison et de revendication des droits des victimes. C’était une
commission tout à fait extraordinaire. Ce n’était pas une commission
du gouvernement mais une commission pour laquelle le
gouvernement a dû fournir les fonds comme une restitution
financière pour les pensionnaires qui, eux, ont lutté pour la CRV en
estimant que c’était l’aspect le plus important de l’entente. Ce n’était
pas pour l’argent minable qu’ils [les autochtones] ont reçu, mais
559
COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, préc., note 38.
247
plutôt l’occasion d’expliquer ce qu’ils avaient vécu et d’éduquer le
grand public sur l’histoire canadienne"560.
La Commission a été chargée de révéler toute la vérité sur le système des
pensionnats indiens au Canada et d'ouvrir la voie au respect grâce à la réconciliation
au nom de l'enfant déraciné et du parent oublié561. Ce rôle est celui reconnu à toutes
les Commissions vérité et réconciliation en tant que processus de justice post-conflit
institué à la suite d'une guerre ou d'un conflit interne dont la nature extrêmement
violente des crimes (crime de masse ou de génocide) rend difficile pour les anciens
agresseurs et les agressés, ou survivants, de vivre ensemble à nouveau562. Leur but
est d'assurer la transition vers une paix durable en réconciliant les parties563.
Dans le but de connaître et de faire connaître la vérité, la commission a
organisé des événements dans l’ensemble du pays. Elle estime qu’il y a eu jusqu’à
155 000 visites aux sept événements nationaux ; plus de 9 000 survivants des
pensionnats indiens s’y étaient inscrits. La commission a aussi organisé des
événements régionaux et mis en place 238 jours d’audiences locales dans 77
collectivités du pays. Les activités de sensibilisation visaient notamment à
encourager les Canadiens de différents milieux à en apprendre davantage sur les
séquelles des pensionnats indiens et à participer au travail de réconciliation en
assistant aux événements proposés par la commission564. Toutefois, cette dernière
dimension éloigne le Canada des autres États. Il est donc nécessaire de dégager
quelques autres aspects les plus importants qui distinguent le Canada des autres États
sur la justice transitionnelle.
III. Autres nouveautés de l'archétype canadien de justice transitionnelle
Outre les distinctions énumérées ci-dessus, le contexte particulier de la justice
transitionnelle au Canada s'explique également par plusieurs autres éléments pouvant
être constatés par la préférence du choix de l'approche justice réparatrice en lieu et
560
Interview de M. WILSON, préc., note 36.
COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, préc., note 38.
562
Dany RONDEAU, « Vérité et narration dans les processus de justice post-conflit : Le cas de la
Commission de vérité et réconciliation du Canada sur les pensionnats indiens », dans Joana
ETCHART et Franck MIROUX (dir.), Les pratiques de vérité et réconciliation dans les sociétés
émergeant des situations violentes ou conflictuelles, coll. "Transition & Justice", n° 26, Bayonne,
Institut francophone pour la justice et la démocratie, 2020, p. 33‑54 à la page 35.
563
Id., p.35.
564
COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, Honorer la vérité,
réconcilier pour l’avenir. Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation
du Canada, s.l, s.e, 2015, en ligne : <https://ehprnh2mwo3.exactdn.com/wpcontent/uploads/2021/04/1-Honorer_la_verite_reconcilier_pour_lavenir-Sommaire.pdf>
(consulté le 1 novembre 2023).
561
248
place de celle transitionnelle classique (A) et l'absence d'un conflit armé et d'une
transition à la base d'une justice transitionnelle (B).
A. Préférence de la justice réparatrice sur la justice transitionnelle classique
S'agissant de la mise en œuvre de la justice transitionnelle, il a été appliqué
dans le monde une diversité de modèles de Commission vérité et réconciliation
(CVR), que l'on peut classer, selon Dany Rondeau, en deux groupes en fonction de
leur rapprochement à la justice post-conflit565: d'une part, la justice transitionnelle et,
de l'autre part, la justice réparatrice566. Si la première approche est calquée sur le
processus des cours de justice ordinaire [ou classique] tournée vers l'établissement
des faits et des responsabilités des accusés ou des agresseurs567 en se fondant sur les
témoignages des parties et centrée sur le crime ou la faute, la seconde approche se
concentre sur les témoignages des victimes survivantes et de leurs proches afin de
faire connaître et reconnaître les souffrances et les torts causés aux victimes568. Elle
est donc centrée beaucoup plus sur les victimes et sur leurs témoignages. Les deux
approches peuvent aller de pair, mais rarement en même temps ou au sein des mêmes
instances. Le plus souvent, les Commissions vérité et réconciliation auront à faire un
choix entre les deux formes de justice en fonction d'un objectif prioritaire569.
La justice réparatrice, appelée aussi « justice restauratrice ou restaurative »,
est celle qui vise à remettre en état le tissu social perturbé570, à instaurer ou à rétablir
des rapports fondés sur l’équité sociale, des rapports où les droits de chacun à la
dignité, à la sollicitude et au respect sont honorés en toute égalité571. Tendant vers
l’équité sociale, la justice réparatrice exige essentiellement que l’on se préoccupe de
565
D. RONDEAU, préc., note 49.
Sur les deux formes de justice, voir Pierre Félix KANDOLO ON’UFUKU WA KANDOLO, Droit
des réparations. Droit général, droits de la personne et droit international humanitaire, Vol. 1,
coll. "Économie/Droit", Paris, Edilivre Aparis, 2020 et Pierre Félix KANDOLO ON’UFUKU WA
KANDOLO, Droit des réparations. Mécanismes pour l’accès des victimes à la justice, Vol. 2,
coll. "Droit/Économie", Saint-Denis, Édilivre, 2020.
567
Matt JAMES, « A Carnival of Truth? Knowledge, Ignorance and the Canadian Truth and
Reconciliation Commission », (2012) 6 The International Journal of Transitional Justice 1‑23, en
ligne :
<https://www.uvic.ca/socialsciences/politicalscience/assets/docs/faculty/james/jamescarnival-of-truth.pdf> (consulté le 2 novembre 2023).
568
D. RONDEAU, préc., note 49 à la page 35.
569
Id.
570
Jennifer J. LLEWELLYN et Robert HOWSE, La justice réparatrice - Cadre de réflexion. Mémoire
préparé
pour
la Commission
du
droit
du Canada, 1999,
en ligne :
<https://dalspace.library.dal.ca/bitstream/handle/10222/
10287/Howse_Llewellyn_Research_Restorative_Justice
Framework_FR.pdf?sequence=4&isAllowed=y > (consulté le 2 novembre 2023).
571
Pour plus de détails, voir Howard ZEHR, « Justice rétributive, justice restauratrice », dans Philippe
GAILLY (dir.), La justice restauratrice. Textes réunis et traduits par Philippe Gailly, coll.
"Crimen", Bruxelles, F. Larcier, 2011, p. 89‑108 ; Howard ZEHR, La justice restaurative. Pour
sortir des impasses de la logique punitive, traduit par Pascale RENAUD-GROBRAS, coll.
"Champ éthique", n°57, Genève, Labor et Fides, 2012.
566
249
la nature des rapports qui existent entre les particuliers, les groupes et les
collectivités572. Au-delà de la dénonciation d’un comportement, de la réaffirmation
de la loi ou du rétablissement immédiat de la paix sociale, la justice réparatrice donne
la parole aux victimes et les replace dans une position de sujet actif573. Toutefois, le
rétablissement des rapports ne signifie pas forcément la restauration de liens
personnels ou intimes, mais bien plutôt l’équité sociale.
Pour atteindre cette équité sociale, les réclamations formulées par les
victimes indiennes ont trouvé finalement un arrangement particulier pour mettre un
terme non seulement au litige proprement dit mais aux frustrations subies par cette
communauté, en vertu duquel il a été convenu de créer une Commission de vérité et
réconciliation. Cette dernière a réussi : à recueillir les déclarations et les documents
des anciens élèves, de leurs familles, de la communauté et de tous les autres
participants intéressés (la commission a reçu plus de 6 750 témoignages de
survivants des pensionnats, de membres de leur famille et d’autres personnes) ; à
faire appel à toute procédure ou méthode informelle nécessaire à la bonne marche
des événements et activités de la commission; à tenir des séances à huis clos et à
faire appel au Comité d’administration national (CAN) pour la détermination de
litiges impliquant la production de documents, et leur disposition et archivage, le
contenu du rapport et des recommandations de la commission, et les décisions de
cette dernière.
À cet effet, une entente a prévu un paiement d’expérience commune pour les
survivants, allant à la hauteur de 10 000 $ pour la première année de fréquentation
dans un pensionnat, puis de 3 000 $ pour les années subséquentes. Entre 2007 et
2011, environ 105 000 applications ont été reçues. 79 000 personnes ont reçu un
paiement, le paiement moyen étant d’environ 20 000 $. La Convention de règlement
prévoyait également un processus d’évaluation indépendant par lequel les survivants
pouvaient passer afin de réclamer des compensations pour abus. 38 000 réclamations
ont eu lieu à cet effet, la compensation moyenne étant de 91 000 $. À cela s’ajoute
une enveloppe de 20 millions de dollars afin de développer des projets de
commémoration et une enveloppe de 125 millions de dollars afin que la Fondation
autochtone de guérison puisse étirer son mandat de cinq ans574.
Toutefois, plusieurs interdictions pouvant constituer en même temps les
faiblesses de la Commission de vérité et réconciliation ont été faites. C'est le cas
notamment de ne pas tenir d’audiences formelles, ni faire fonction de commission
572
Godefroid MWAMBA MATANZI, La justice transitionnelle en RDC. Quelle place pour la
commission vérité et réconciliation?, Paris, L’Harmattan, 2016.
573
P.F. KANDOLO ON’UFUKU WA KANDOLO, préc., note 53, vol.2, p. 232, n° 195.
574
Pour d'amples précisions sur les chiffres, voir : RADIO CANADA, « Le point sur les pensionnats
pour Autochtones : savoir les différencier », Espaces autochtones (15 août 2022), en ligne :
<https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1900095/pensionnat-externat-reglementconvention-compensation-autochtone> (consulté le 2 novembre 2023).
250
d’enquête publique, ni encore mener un processus judiciaire formel ; de ne pas
assigner à témoigner ni à contraindre la présence ou la participation à l’un de leurs
événements ou activités qui doit être strictement volontaire ; de s’abstenir de faire
des constatations ou de formuler la moindre conclusion ou recommandation au sujet
de l’inconduite d’une personne, à moins que ces constatations ou informations
concernant la personne aient déjà été confirmées dans le cadre d’une procédure
judiciaire, d’aveux, ou de déclarations publiques par la personne en question ;
d’accéder à des déclarations faites par des individus à l’occasion d’événements,
activités ou processus de la commission, à moins que l’individu ait donné son
consentement exprès575.
Il faut noter que la Commission de vérité et réconciliation a effectué son
travail en l'absence préalable d'un conflit armé ou d'un pays sortant de conflit armé.
Ceci constitue également une particularité de la justice transitionnelle canadienne.
B. Absence de conflit armé et longue période séparant les faits et la justice
Depuis plus de 20 ans, plus d'une quarantaine de commissions de vérité et de
réconciliation ont été créées à l'issue de conflits civils dans des pays comme l'Afrique
du Sud, le Pérou, la Colombie, la Sierra Léone, etc. La CVR canadienne est unique
en ce sens que c'est la première Commission à traiter de violations des droits de la
personne qui s'échelonne sur un siècle et qui portent sur le traitement des enfants
autochtones576.
En mars 2021, le rapport de l'Organisation Internationale de la Francophonie
(OIF) révélait que sur une trentaine de ses pays membres ayant organisé la justice
transitionnelle à travers des Commissions vérité et des institutions équivalentes, des
Commissions d’enquête et des Commissions d’établissement des faits à l’exclusion
des mécanismes juridictionnels (internationaux ou internationalisés) et coutumiers
participant aux processus de transition, justice, vérité et réconciliation, l'on dénombre
17 États qui l'ont fait à la sortie des crises créées particulièrement par les conflits
armés ; une douzaine des pays à cause de "mémoire" pour leurs ascendants. Pour
certains pays africains, le mandat des Commissions a été élargi jusqu'à la période
coloniale, à partir du 26 février 1885577.
En effet, l'histoire mondiale contient d'innombrables chapitres d'atrocités
commises par les hommes contre leurs semblables. Parmi les exemples de ce siècle
figurent l'Holocauste de la Seconde guerre mondiale, les répressions et tortures sous
les régimes dictatoriaux en Amérique du sud et en Afrique, la "guerre sale" de
l'Argentine, le renvoi forcé d'enfants autochtones de leurs familles en Australie,
575
D. RONDEAU, préc., note 49; D. RONDEAU, préc., note 49.
COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, préc., note 38, p. 11.
577
C'est le cas des pays tels que : le Burundi, la Côte d'Ivoire, la Gambie, le Madagascar, le Seychelles
et le Togo.
576
251
l'assimilation des populations autochtones au Finland et en Norvège, la persécution
systématique et généralisée du régime d'apartheid en Afrique du sud, le génocide au
Rwanda et les différentes guerre en Europe de l'Est (ex-Yougoslavie) et en Afrique
(République démocratique du Congo, Cote d'Ivoire, Libéria, Sierra-Léone).
Qu'il s'agisse de la sortie de crise ou des crimes de l'histoire, la justice
transitionnelle a été mise en place pour les réparations individuelles et collectives
des préjudices causés aux victimes, réconcilier les membres des différentes
communautés qui s'étaient violemment affrontés et instaurer les institutions
démocratiques et l’État de droit. C'est dans ce sens que de nombreux programmes de
réparation, selon les objectifs, ont été instaurés578.
Pour la justice transitionnelle canadienne, la situation des peuples
autochtones est un exemple des peuples dont l’histoire devrait conduire à se tourner
vers elle parce que ces peuples ont subi des crimes extrêmement graves, de nature
génocidaire, qui sont anciens et pour lesquels ils ont demandé des réparations pour
les ascendants et les descendants. Ils sont en quelque sorte, pour reprendre les termes
de Jean-Pierre Massias, "les sujets naturels de la justice transitionnelle, dont l’objet
premier est de rattraper maintenant ce qui aurait dû être jugé avant579".
Les mérites de cette justice se justifie par le fait que les "autochtones sont des
peuples extraordinairement fragiles dans la mesure où ils sont peu nombreux,
marginalisés, toute atteinte directe ou indirecte a presque une dimension génocidaire
du fait qu’elle met en danger l’existence du groupe580". Ainsi, la Commission de
vérité et réconciliation, contrairement aux autres pays, mais un peu plus qu'en
Finlande et Norvège, est intervenue sans transition d'un régime quelconque vers un
régime démocratique, et à l'absence de tout conflit armé et/ou de toute crise politique.
Au lieu de déclencher la consolidation démocratique comme c'est le cas dans
plusieurs États sortis de la crise, la justice transitionnelle canadienne contribue à
l'amélioration la volonté de consolidation démocratique581. C'est donc, comme
l'affirme Marie Wilson, "pour la première fois au monde, il y avait une commission
vérité et réconciliation dans un pays soi-disant développé"582.
578
Pour plus de détails sur les programmes de réparations de justice transitionnelle, voir Rachelle
KOUASSIA KOSSIA, Programmes de réparations, justice transitionnelle et droit international.
Analyse à la lumière du droit individuel à réparation, Université de Genève, Faculté de droit, coll.
Collection Genevoise. Droit international, Genève, Schulthess Éditions romandes, 2019, p.229 et
ss.
579
Jean-Pierre MASSIAS, « Le nouveau modèle de la justice transitionnelle, c’est la Commission
canadienne », Justiceinfo.net - Fondation Hirondelle (23 juillet 2019), en ligne :
<https://www.justiceinfo.net/fr/41978-jean-pierre-massias-nouveau-modele-justicetransitionnelle-commission-canadienne.html> (consulté le 9 novembre 2023).
580
J.-P. MASSIAS, préc., note 66.
581
Id.
582
M. WILSON, préc., note 36.
252
Étant donné que la destruction d’une culture peut entraîner la destruction d’un
groupe humain sans entraîner nécessairement la destruction physique des membres
qui le compose, la commission canadienne a reconnu que les violences faites aux
filles et aux femmes autochtones est une forme de génocide spécifique. Par cette
reconnaissance, la commission introduit un nouvel élément sur le contenu du crime
de génocide et a redéfini largement cette notion par rapport à la définition de la
Convention internationale de 1948 sur la prévention et la répression du crime de
génocide qui n'a retenu que : a) le meurtre de membres du groupe; b) l'atteinte grave
à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) la soumission
intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle; d) les mesures visant à entraver les naissances au sein
du groupe; et e) le transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe583.
Conclusion
Généralement, le projet de reconstruire un État de droit et de restaurer une
gouvernance apaisée après la violence politique ou les exactions commises doit en
effet permettre, à terme, la refondation d’un rapport politique solide au sein d’une
société bien ordonnée et organisée. Sans la reconstruction du sentiment
d’appartenance commune, point de dialogue national et de réconciliation possibles
et sans la refondation de la mémoire collective en appelant à l’établissement des faits,
au pardon, à la réparation, point de possibilité pour les individus de se retrouver dans
une identité commune après une période – partagée par force – de violation massive
des droits de la personne.
Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique indienne du
Canada étaient d'éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des
Autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus
d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant
qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada584.
L’établissement et le fonctionnement des pensionnats ont été un élément central de
cette politique, que l’on pourrait qualifier de « génocide culturel ». À l'opposé du
génocide physique, qui est l’extermination massive des membres d’un groupe ciblé
583
Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, article II,
Résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies, A/RES/3/260.
584
John P. BROWN, « La réconciliation, votre responsabilité », Juste. Pour ceux qui ont une vocation
(19 mars 2019), en ligne : <https://www.oba.org/JUST/Archives_List/2019/February-2019/AFirm-Route-to-Reconciliation?lang=fr-ca> (consulté le 11 novembre 2023). Voir aussi Brian
FRANCIS et Dan CHRISTMAS, C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à
l’inscription au registre des Indiens. Rapport provisoire du Comité sénatorial permanent des
peuples autochtones, Rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Ottawa,
Sénat
Canada,
2022,
en
ligne :
<https://sencanada.ca/content/sen/committee/441/APPA/Reports/2022-06-27_APPA_S3_Report_f_FINAL.pdf> (consulté le 11 novembre 2023).
253
et du génocide biologique, qui se manifeste par la destruction de la capacité de
reproduction du groupe, un génocide culturel (nouvelle notion introduite par la CVR
canadienne) pratiqué contre les autochtones au Canada est la destruction des
structures et des pratiques qui permettent au groupe de continuer à vivre en tant que
groupe. Les États qui s’engagent dans un génocide culturel visent à détruire les
institutions politiques et sociales du groupe ciblé. Des terres sont expropriées et des
populations sont transférées de force et leurs déplacements sont limités. Des langues
sont interdites. Des chefs spirituels sont persécutés, des pratiques spirituelles sont
interdites et des objets ayant une valeur spirituelle sont confisqués et détruits et
interdiction de transmettre leurs valeurs culturelles et leur identité d’une génération
à la suivante585.
Devant pareil génocide, il faut des réparations, individuelles et collectives, au
profit des victimes. La résolution des séquelles laissées par les pensionnats indiens
est au cœur même de la réconciliation et du renouvellement des relations entre les
Autochtones ayant fréquenté les pensionnats indiens, de même que leurs familles et
leurs collectivités et tous les Canadiens.
Telle qu'appliquée, la commission de vérité et réconciliation canadienne est
un instrument de justice transitionnelle à long terme pour traiter les tensions de la
mémoire, à la différence du rôle qu'elle joue dans les pays sortant des conflits armés
immédiats ou des troubles politiques internes. Cette forme de justice transitionnelle
s'est développée dans des sociétés démocratiques, stabilisées, pour des problèmes
précis, et qui tentent de trouver une solution par la vérité586, par la reconnaissance,
par la réparation et par la non-répétition. On a, par certains côtés, un précédent récent
en France, concernant les mineurs licenciés après la grande grève de 1948. En 2014,
le Parlement français vote une loi d’indemnisation, de reconnaissance et de mise en
place d’une commission, dont l’objectif est de réécrire l’histoire pour les manuels
scolaires et de réévaluer les atteintes dont ces mineurs ont été victimes587. Toutefois,
cette commission avait la forme d'une commission d'experts.
La Commission vérité et réconciliation canadienne est la première à être
instituée dans un pays dit "développé" et "hautement stable et démocratique". C'est
pour la première fois, qu'une commission faisait face aux dommages vécus
particulièrement par des enfants, et des enfants d’une ethnie particulière.
Contrairement à ailleurs, elle ne se déroulait pas dans un contexte militaire ou de
585
COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, Honorer la vérité,
réconcilier pour l’avenir. Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation
du Canada, s.l., s.e., 2015, en ligne : <https://ehprnh2mwo3.exactdn.com/wpcontent/uploads/2021/04/1-Honorer_la_verite_reconcilier_pour_lavenir-Sommaire.pdf>
(consulté le 1er novembre 2023).
586
Sur les différents types de vérité à considérer lors de la narration et de la reconstruction des faits,
voir D. RONDEAU, préc., note 49 aux pages 45-46.
587
J.-P. MASSIAS, préc., note 66.
254
guerre, avec un laps de temps plus court. Elle traitait de violences qui se sont
déroulées pendant plus de 130 ans. Bien que la Canada ne soit pas le premier pays
développé avec des institutions stables à organiser cette forme de justice, la
particularité de son modèle se caractérise par plusieurs autres éléments dont le
traitement par la commission d'une situation causée légalement, avec des lois qui ont
créé les pensionnats autochtones dont les préjudices ont été commis avec le soutien
de plusieurs gouvernements successifs. Aussi, les pressions des survivants en
l'absence de tout conflit armé tant à l'époque des faits qu'au jour de l'institution de la
justice y relative, l'approbation de la convention de règlement à la fois par la Cour
fédérale et par les parties, le choix de la justice réparatrice en lieu et place de la justice
transitionnelle classique ainsi que la reconstitution des faits datant de plus d'un siècle
sont autant d'innovations qu'apporte le Canada.
Cet archétype canadien a inspiré certains pays "développés", qui ont traversé
des situations semblables avec leurs peuples. C'est le cas de la Finlande. En effet,
après plusieurs années de négociations, le gouvernement de Finlande a donné le feu
vert à la création d’une commission de vérité et réconciliation pour les Samis 588, un
peuple autochtone de l’Arctique européen. Le Parlement sami de Finlande avait
suggéré au premier ministre finlandais de suivre l’exemple du Canada en lançant à
son tour une commission de vérité et réconciliation qui viserait à mieux comprendre
les traumatismes historiques vécus par les Samis de Finlande et comment bon
nombre d’entre eux ont perdu leur langue et leur culture589.
Le modèle canadien peut ainsi servir de référence pour tous les pays, même
ceux sortant des conflits armés, qui n'ont jamais organisé une justice transitionnelle
en vue de réparer les préjudices causés aux victimes. Pour les États instables et non
développés, cette justice servira à transiter vers l'instauration de la paix, de la
démocratie et de l'État de droit par la réconciliation et la réparation des victimes.
*
*
*
588
Les Samis sont un peuple autochtone situé dans une zone qui couvre le nord de la Norvège, de la
Suède et de la Finlande ainsi que le nord-ouest de la Russie. Environ 10 000 Samis vivent
actuellement en Finlande, selon le Parlement sami (Sámediggi).
589
Matisse HARVEY, « Une commission de vérité et réconciliation pour les Samis de Finlande verra
le jour », Regard sur l’Arctique (12 avril 2021), en ligne : <https://www.rcinet.ca/regard-surarctique/2019/11/14/samis-finlande-autochtones-commission-verite-reconciliation-culturelangue-arctique/> (consulté le 11 novembre 2023).
255
L’accessibilité du mineur à la parentalité en droit
congolais : entre hypocrisie normative et insolence
factuelle
Par :
Ghislain-David KASONGO LUKOJI590 &
Georges DIANKEBA MATUBA591.
Résumé.
Le « mineur-parent » met à l’épreuve la présomption sociologique et légale de son
immaturité, voire de son incapacité. En accédant à la parentalité, le mineur arbore deux
statuts juridiques vraisemblablement antipodiques entre créancier et débiteur, sujet et objet
d’une protection : il évolue, à cet effet, dans un environnement juridique sui generis où il est
appelé à exercer l’autorité parentale sur son enfant tout en étant lui-même sous autorité
parentale. Cette situation paradoxale, qui n’est pas clairement prévue ou prise en compte par
le droit congolais, invite que les règles de l’autorité parentale soient réaménagées (II) à
l’aide, soit d’une jurisprudence militante, soit d’une intervention spécifique du législateur.
Malheureusement l’on assiste à une pratique tendant simplement et automatiquement à
dénier au mineur les droits relatifs à son statut de parent en instituant une suppléance de son
autorité parentale (I). Cette contribution se fonde sur une approche historio-socioépistémologique : elle a d’abord utilisé la méthode exégétique pour rechercher la portée et
l’évolution de l’encadrement juridique de la parentalité et de la minorité afin de les
confronter à la pratique, puis de proposer des solutions et des institutions idoines.
Mots clés: Autorité parentale, Capacité anticipée, Enfant, Emancipation, Intérêt de l’enfant,
Mineur, Mineur-parent, Pré-majorité, Vulnérabilité.
Abstract. The "minor-parent" tests the sociological and legal presumption of his immaturity
or even incapacity. By becoming a parent, the minor has two legal statuses that are probably
antipodic between creditor and debtor, subject and object of protection: to this end, he
evolves in a sui generis legal environment in which he is called upon to exercise parental
authority over his child while being himself under parental authority. This paradoxical
situation, which is not clearly foreseen or taken into account by Congolese law, calls for the
rules of parental authority to be reorganized (II) with the help of either militant case law or
specific intervention by the legislator. Unfortunately, there is a practice which simply and
automatically tends to deny minors the rights relating to their status as parents by instituting
a substitute for their parental authority (I). This contribution is based on a historical-socioepistemological approach: she first used the exegetical method to research the scope and
590
591
Professeur d’université, Avocat, Docteur en Droit (Aix-Marseille université),
[email protected]
Assistant à la Faculté de Droit (Université Kongo), Licencié en droit (Bac+5),
[email protected]
256
evolution of the legal framework of parenthood and minority in order to confront them with
practice, and then to propose appropriate solutions and institutions.
Keywords: Parental authority, Anticipated capacity, Child, Emancipation, Interests of the
child, Minor, Minor-parent, Pre-majority, Vulnerability.
Plan sommaire.
I.
II.
La suppléance de l’autorité parentale, un mécanisme de négation de
l’autorité parentale du mineur
A. La suppléance de l’autorité parentale, institution légalement consacrée
et encadrée
B. La suppléance de l’autorité parentale, institution relativement
applicable au mineur-parent
L’Aménagement de l’autorité parentale, une nécessité d’encadrement
de l’autorité parentale du mineur
A. La délégation de l’autorité parentale, institution d’intérêt limité pour le
mineur- parent
B. La révision de l’autorité parentale, exigence indispensable pour le
mineur-parent
…………………………………………………………………….
Introduction
1/ Tous, vraisemblablement fruits de la sexualité. Malgré le développement
scientifique qui fait apparaitre certains procédés de substitution telle que
l’insémination artificielle ou le clonage ; la sexualité, qu’elle soit voulue ou imposée,
reste la voie principale de la perpétuation humaine592 et, de ce fait, d’accession à la
parentalité du moins au Congo. Elle relève de la vie privée593, un droit subjectif
reconnu à tout être humain, y compris la personne âgée de moins de dix-huit ans594.
Cependant, tout porte à croire que cette activité et, son corollaire, la parentalité sont
interdites au mineur595 au regard de leur incidence et, surtout, au nom de la
592
Ph. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, Defrénois, Paris, 2004, §.800 : « Nous tous
sommes le fils ou la fille d’un père et d’une mère et, souvent, le père ou la mère d’un enfant ».
593
Ce droit fait l’objet d’une reconnaissance indirecte, à travers d’autres droits, qui en sont les
corollaires, tels que celui à la vie, à la vie privée et familiale, à la libre disposition de son corps,
au mariage ou de fonder une famille.
594
Articles 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH), 17 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), 16 de la Convention internationale relative aux
droits de l’enfant (CIDE), 10 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (CADE),
31 de la Constitution (const.) et 30 de la Loi n°09/001 portant protection de l’enfant (LPE).
595
Ce concept peut avoir plusieurs sens dans la langue française renvoyant notamment aux travailleurs
des mines, à une note musicale, à une étape du raisonnement syllogistique. Mais, il est ici entendu
dans sa portée juridique comme la catégorie de personnes en deçà du seuil de majorité. C’est-àdire, celles âgées de moins de 18 ans accomplis/accomplis (art. 219 CF, 41 const.). Néanmoins, il
faut reconnaitre que le droit congolais consacre deux autres concepts pour designer la même
257
sauvegarde de la moralité, de la santé et de l’intégrité physique de ce dernier. En
effet, il n’est pas aisé de trouver un fondement juridique à l’exercice de la liberté
sexuelle par cette catégorie des personnes en droit congolais. D’une part, l’âge
nubile596 est désormais fixé à dix-huit ans impliquant l’interdiction du droit au
mariage au mineur (Art. 48 LPE, 352 CF et 40 const.). D’autre part, la liberté
sexuelle ne semble être reconnue qu’aux individus majeurs et consentants, sous
réserve cependant que leur comportement n’entraine ni scandale, ni trouble à l’ordre
public encore moins la corruption des mœurs des mineurs597. Pourtant, il n’existe en
droit congolais aucune interdiction formelle de l’activité sexuelle du mineur.
2/ Tous, vraisemblablement attirés par la sexualité. Malheureusement les
pulsions sexuelles, exacerbées souvent par l’accessibilité à certaines informations
(internet, réseaux sociaux, télévision, cinéma…), auxquelles sont confrontés les
adolescents les poussent à sacrifier à Venus (consommer l’acte sexuel). Cet acte est
parfois perçu, selon les cultures, soit comme un comportement encourageant
l’apprentissage598, soit comme une déviance. La culture africaine, en général, et
congolaise en particulier, influencée par les théories judéo-chrétiennes, semble
relever du second courant. Raison pour laquelle elle encourageait parfois les
mariages précoces afin de permettre au les plus jeunes d’y découvrir l’intimité599.
3/ Mais la question de l’encadrement juridique de la sexualité, voire de
l’intimité, n’a jamais été facile quelles que soient les époques. Aujourd’hui encore
tranche d’âges : « enfant » (art. 2.1 LPE, 1 CIDE, 2 CADE) et « enfant mineur » (art. 41 Const.).
Ainsi pour éviter toute confusion terminologique dans une telle réflexion qui porte à la fois sur la
« parentalité » et la « minorité », nous utiliserons, d’une part, « mineur » pour désigner les
personnes âgées de moins de 18 ans et, d’autre part, « enfant » pour évoquer le lien de filiation
direct entre ascendant et descendant (père ou mère et fils ou fille). Lire à cet effet, G. CORNU,
Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 2008, V ° « minorité » ; B. MARRION, Le mineur, son corps
et le droit criminel, Thèse, Nancy 2, 2010, §.8 ; G.D KASONGO LUKOJI, Essai sur la
construction d’un droit pénal des mineurs en R.D. Congo à la lumière du droit comparé.
Approches lege lata et lege feranda, Thèse, Aix-Marseille, 2017, §.4, spéc. note 14 ; KASONGO
LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, Kongo Editions, Kinshasa, 2022,
§§.35 et svt, spéc. §.40. ; A.VARINARD (dir.), Adapter la justice pénale des mineurs, entre
modifications raisonnables et innovations fondamentale, La doc. fr., 2009, pp.15 et svt.
596
Sans vouloir lier juridiquement la « sexualité » au « mariage », il semble que la mentalité
congolaise fait du mariage le seul cadre autorisé de consommation de l’acte sexuel.
597
A. SITA MUILA, Protection pénale de la famille e de ses membres : Comment la famille et ses
membres sont-ils protégés par la loi pénale… ?, ODF, Kinshasa, 2002, p.25, cité par G.D
KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §.458.
598
M.L BRIVAL, « La question de la sexualité chez les adolescents », Les enjeux du développement
de l’enfant et de l’adolescent, 2013, pp.201-212 ; S. ROUGET, « Sexualité, adolescence et vie
affective dans la société d’aujourd’hui », Ordres et désordres dans la sexualité, la conjugalité, la
parentalité, 2019, pp.69-99.
599
Voir l’ancienne version de l’article 352 CF : « L’homme avant dix-huit ans révolus, la femme
avant quinze ans révolus, ne peuvent contracter mariage. Néanmoins, il est loisible au tribunal de
paix d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves. Le tribunal statue à la requête de toute
personne justifiant d’un intérêt ».
258
aucun texte congolais ne règle clairement la problématique de la consommation de
l’acte sexuel par le mineur, ni celle de majorité sexuelle, laissant libre champs aux
spéculations doctrinales et aux tâtonnements jurisprudentiels basés essentiellement
sur des présomptions d’origine coutumière, cultuelle ou morale, elles-mêmes
fuyantes et relatives. D’aucuns estiment même que cette question serait réglée par
l’interdiction du mariage et des fiançailles des mineurs (art. 48 LPE et 352 CF) :
expression, comme sus-évoquée, de cette moralité, voire hypocrisie, collective
consistant à lier la « sexualité » au « mariage ». D’ailleurs, le code pénal congolais,
issu de la réforme de 2006, est le seul texte à s’approcher davantage, courageusement
et non sans difficulté de cette épineuse question : On lui attribuerait la consécration
du principe de la non-validité du consentement donné par le mineur en matière
sexuelle afin d’imputer à son partenaire le viol à l’aide de violence sur mineur (art.
170 al.3 CPO)600. Laquelle approche est de plus en plus contestée surtout lorsque les
deux partenaires sont des mineurs.
4/ Mineur-parent, une nécessité d’une norme spécifique ? Qu’à cela ne
tienne, quelles que soient les considérations sociales ou juridiques, la consommation
de l’acte sexuel par les mineurs est un fait social réel et répandu dans la société
congolaise601. Elle peut conduire à la procréation et à la parentalité qu’il se pose des
questions de rapports des droits entre le consommateur de l’acte (mineur-parent,
vivant, non absent et non-aliéné) et la conséquence de l’acte (mineur enfant ou
mineur nouvellement né). Cette question vaut son pesant d’or étant donné que la
réforme du code de la famille de 2016 a supprimé la notion de l’émancipation du
mineur par le mariage qui en était l’une des solutions. L’on pourrait se réjouir du fait
que l’incertitude juridique qu’entraine cette question ne couvre qu’une période
réduite602 ; hélas il se constate une extension sociologique de cette situation du
mineur-parent au jeune-majeur, parent et non autonome économiquement. Pendant
que dès la naissance d’un enfant, ses parents ont, sauf restrictions légales ou
judiciaires, des prérogatives sur sa personne et ses biens603. Les dispositions du
Code de la famille604 relatives à l’exercice de l’autorité parentale en droit congolais
ne posent aucune condition dans le chef de son bénéficiaire, hormis le lien
biologique : aucune capacité d’exercice, aucune manifestation de volonté et aucun
seuil d’âge n’est exigé(e). Il en est de même des articles 260 al.2 du code civil
L’article 171 LPE semble souscrire également à cette logique.
Selon un rapport de l’UNFPA [Fonds des Nations-Unies pour la population, « Les grossesses des
adolescents », Journée mondiale de la population, Kinshasa, 11 juillet 2013, pp.3-4, [en ligne]
drc.unfpa.org>sites>files>pub-pdf,], près de 23% des filles âgées de 14 à 19 ans ont déjà eu une
naissance vivante au cours de leur vie.
602
Si l’on se réfère à l’âge de la plus jeune maman congolaise selon les statistiques précitées (14 ans).
Cette situation de double minorité (parent et enfant) ne couvre qu’environ 4 années qui peuvent,
en effet, apparaitre très longues au regard du poids de la responsabilité et de ses implications
sociojuridiques.
603
E. MWANZO Idin’ AMINYE, Que dit le code de la famille de la République Démocratique du
Congo ? Commentaire article par article, L’Harmattan, Paris, 2019, p.223.
604
Voir les articles 317 et svt.
600
601
259
congolais livre 3 et 114 du code de la famille qui se rapportent respectivement à la
responsabilité civile des parents pour les faits de leurs enfants et au défaut de
déclaration de naissance.
5/ Ainsi, plusieurs préoccupations peuvent être soulevées. A qui doit
légalement revenir l’exercice de l’autorité parentale d’un enfant dont au moins l’un
des parents est mineur ? Le mineur, civilement incapable, peut-il, de droit ou de fait,
exercer l’autorité parentale sur son enfant, et de ce fait poser à l’égard de ce dernier
des actes dont il en est incapable à l’égard de lui–même ? L’accession à la parentalité
du mineur présume-t-elle une capacité juridique anticipative ou une émancipation ?
Quel est le fondement juridique de la pratique qui consiste à imputer la responsabilité
civile des faits du mineur au grand-parent, tuteur ou responsable [social] plutôt qu’à
ses parents directs lorsqu’ils sont également mineurs ou socialement dépendants ?
6/ « Mineur-parent » ou « parent-mineur » : une question
épistémologique. Toutes ces préoccupations se répercutent même sur le plan
terminologique qu’il se pose aussi la question de savoir si l’on doit parler de
« mineur-parent » ou « parent-mineur » ? Répondant à cette question, largement
ignorée de la doctrine, un auteur605 estime que le terme « mineur-parent » marque
l’idée d’une stabilité du statut de mineur, en privilégiant l’incapacité sur le statut de
parent. À l’inverse, le terme de « parent-mineur » introduit l’idée d’un
bouleversement de la situation juridique de ces mineurs et met en lumière sa
spécificité ainsi que son caractère paradoxal, en renforçant un sentiment
d’antagonisme et en décrivant le fonctionnement familial dans lequel ils évoluent
avec leur enfant. Une fois liés juridiquement à leur enfant, il semble plus intéressant
de désigner ces mineurs comme étant des « parents mineurs ». Un trait d’union606 () doit également être inséré entre parent et mineur, pour symboliser la confrontation
et l’éventuelle imbrication de ces deux statuts juridiques. Quant à nous, nous avons
opté, au regard des vissés de cette réflexion ainsi que de l’évolution de la mentalité
congolaise et du droit congolais, le premier concept, à savoir, « mineur-parent ».
7/ Articulations de la réflexion. Le code de la famille présente le droit
l’autorité parentale essentiellement sous deux catégories d’attributs dépendamment
des aspects du droit de l’enfant qu’ils touchent ; d’une part, ceux qui se rapportent
sur la personne de l’enfant et sous-entendent les droit à la garde et à l’éducation, et
d’autre part, ceux qui sont relatifs à la gestion des biens et des revenus de l’enfant et
se subdivisent en droits d’administration et de jouissance légales 607. Accédant au
605
J. BUREL, Le Parent-Mineur, Thèse, Bretagne Occidentale-Brest, 2019, §.28.
Le trait d’union associe deux éléments disjoints pour qu’ils ne forment plus qu’une seule entité
linguistique. Il sert aussi à relier deux éléments susceptibles de conserver chacun leur autonomie.
607
AMISI HERADY, Traité de Droit des relations familiales, EUA, Kinshasa, 2022, p.270 ; P.
BONFILS et A. GOUTTENOIRE, Droit des mineurs, Dalloz, 2ème éd., Paris, 2014, §§.10081011 ; G. CORNU, La famille, Montchrestien, 9ème éd., Paris, 2006, §.73 ; G.D KASONGO
LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §.144 ; E. MWANZO
idin’ AMINYE, Cours de Droit civil : Personnes, Famille et incapacités, Notes polycopiées,
606
260
statut de parent, le mineur est sensé exercer sur son enfant, de surcroit mineur
également, tous les attributs de l’autorité parentale. Ce qui implique de sa part, non
seulement une capacité juridique, mais aussi des aptitudes psychologiques et
intellectuelles ainsi qu’une certaine autonomie sociale et financière afin préserver
l’épanouissement et l’intérêt supérieur de son enfant. Dans le cas contraire, il met en
danger à la fois son « enfant » et lui-même. En plus, les deux doivent bénéficier
d’une manière ou d’une autre d’une protection en tant que mineur. Cette lourde
responsabilité n’est pas toujours facile à porter ou à gérer pour le parent-mineur.
Ainsi, pour prévenir des abus ou des défaillances, surtout pour pallier à ces difficultés
manifestes que peuvent confronter ces parents particuliers, il se constante une
pratique consistant à dénier simplement leur autorité parentale en faisant recours aux
mécanismes de délégation ou substitution ses droits parentaux (I) ; pendant que la
question mériterait, lege ferenda, un aménagement, légal sinon jurisprudentiel, de la
notion de l’autorité parentale face aux enjeux liés au cumul du statut de « mineur »
d’avec celui de « parent » chez une seule et même personne (II).
I.
La substitution de l’autorité parentale, un mécanisme de négation de
l’autorité parentale du mineur
8/ L’autorité parentale tire son fondement sur une conception naturaliste qui a
traversé les époques selon laquelle les parents n’useraient de leur droit que dans
l’intérêt et pour le bien-être de leurs enfants. C’est pourquoi, le droit moderne fait du
parent, le premier interprète et débiteur de l’intérêt de son enfant (art. 326 CF, art.
371 et svt. Code civil français)608. La pratique a vite démontré les limites d’une telle
approche ; car, l’enfant, sujet de droit à part entière, peut avoir des intérêts différents
de ceux de ses parents. Ces derniers peuvent également faire preuve des défaillances
et des insuffisances dans l’accomplissement de leurs missions. Ainsi, l’exercice de
l’autorité parentale peut faire l’objet des certaines limitations609 qui peuvent consister
notamment en sa perte, en sa déchéance ou en sa délégation. Prenant en compte
toutes ces réalités, le droit congolais prévoit également, en dehors des mécanismes
de cessation, ceux qui tendent à substituer de l’autorité parentale (A). Le mineur, en
tant que parent, n’en est pas exclu. Mais la question qui se pose est celle de savoir
s’il pèse, de jure au regard de son statut [de minorité], sur lui une présomption d’un
exercice défaillant de l’autorité parentale afin que ces mécanismes de substitution lui
soient imposés ? Sinon dans quelles conditions ces derniers peuvent-ils lui être
Première année de droit, Université Kongo, 8ème éd., 2016-2017, p.239 ; F. TERRE & D.
FENOUILLET, Les personnes, La famille, Les incapacités, Dalloz, 7ème éd., Paris, 2005, §§.1011
et svt.
608
Pour le droit français, l’autorité parentale est l’ensemble des droits et devoirs ayant pour finalité
l’intérêt de l’enfant (art. 371 code civil). Dans le même sens, l’article 326 du code de la famille
précise que les titulaires de l’autorité parentale ne peuvent en faire usage que dans l’intérêt de
l’enfant.
609
A. BATTEUR, Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, LGDJ, 10ème éd., Paris,
2019, §.656.
261
appliqués et dans quelle mesure peuvent-ils être considérés comme une solution au
vide juridique et/ou législatif constaté (B).
A. La substitution de l’autorité parentale, institution légalement consacrée
et encadrée
9/ Substitution de l’autorité parentale : Précision terminologique et
Typologie. Par substitution de l’autorité parentale, nous entendons dans le cadre de
cette réflexion tout mécanisme qui tend à remplacer entièrement ou partiellement les
titulaires, naturels et à titre principal, de l’autorité parentale, - le père et la mère - ,
par d’autres personnes. Nous en excluons particulièrement la déchéance qui n’entre
pas dans notre hypothèse d’études et renvoie à une sanction face aux comportements
malveillants, indignes, inadmissibles des titulaires de l’autorité parentale
particulièrement à l’égard leur enfant (art. 319 CF, 159 LPE). Il en est de même de
la perte de l’autorité parentale qui en constitue essentiellement la conséquence (art.
318 CF). Ainsi, les mécanismes dont il sera question à ce stade se rapportent à
d’autres circonstances qui permettent de constater la difficulté pour les parents
d’accomplir convenablement leurs devoirs vis-à-vis de leurs enfants. Imposés et,
parfois volontaires, ils se réalisent en droit congolais via notamment ; l’adoption, la
tutelle, le père juridique et le placement social. En vue de leur analyse, nous les
regrouperons en deux catégories au regard de leur impact sur l’exercice de l’autorité
parentale610.
1. Les mécanismes d’adoption et de tutelle
10/ L’adoption et la tutelle peuvent être considérées comme des mécanismes
de suppléance de l’autorité parentale en droit congolais. Elles modifient
définitivement ou momentanément les droits parentaux reconnus aux géniteurs
(parents biologiques). Néanmoins, elles sont soumises chacune à des règles
spécifiques et se rapportent des situations différentes qu’il sied de passer en revue.
11/ L’adoption : Notions. L’adoption est un mécanisme artificiel de
rattachement d’un mineur à une famille de substitution, ou plus particulièrement à
un adulte afin que ce dernier exerce sur lui l’autorité parentale. Elle est, en d’autres
termes, la création, par l’effet de la loi et d’un acte volontaire, d’un lien juridique de
filiation entre deux personnes qui, sous le rapport du sang, sont généralement
étrangères l’une à l’autre. Le droit congolais a opté pour un modèle intermédiaire611
en ce que le lien de parenté juridiquement créé entre l’adoptant et l’adopté ne
610
611
Rappelons que d’autres critères de catégorisation sont également possibles. Par exemple, les
mécanismes d’adoption et de père juridique ont en commun le fait d’être une source de parenté, à
côté de la filiation biologique.
En droit comparé, il existe généralement deux formes d’adoption. Dans la première (adoption
simple ou adoption-maintien), l’adopté garde des liens avec sa famille biologique ; tandis que dans
la seconde (adoption plénière ou adoption-rupture), il intègre entièrement la famille de l’adoptant
et rompt les liens avec sa famille d’origine.
262
soustrait pas ce dernier de sa famille d’origine (art. 678 al.1 CF) ; quoique dans tous
les cas où un choix doit être fait entre les deux familles, la famille adoptive sera
préférée (art. 679 CF). A cet effet, elle apparait comme une substitution définitive,
sauf révocation, à la fois de l’autorité parentale et, dans une certaine mesure, de la
filiation.
12/ Effets de l’adoption. L’adoption peut être révoquée pour des motifs graves
appréciés par le juge à la demande de toute personne intéressée (art. 691 CF). A
défaut de la révocation, elle fait principalement naitre, sur le plan patrimonial, une
vocation successorale dans le chef de l’adopté vis-à-vis de sa famille adoptive,
hormis celle de sa famille biologique (art. 690 a1.1, 758 CF). Elle produit aussi
d’autres effets sur les personnes, à savoir : la création artificielle de la filiation entre
l’adoptant et l’adopté (art. 677 al.2 CF) avec possibilité de changement de nom de
l’adopté, le transfert de l’autorité parentale (688 CF) avec possibilité du maintien du
droit de visite des parents biologiques, les empêchements au mariage (art. 353 al.4
et 687 CF), l’obligation alimentaire (art. 689 CF) à charge de la famille adoptive et,
même biologique, ainsi que le transfert de la nationalité de l’adoptant à l’adopté.
13/ La tutelle : Notions et formes. La tutelle, quant à elle, est un mécanisme
qui consiste à confier l’autorité parentale d’un mineur non émancipé à une personne,
autre que ses père et mère, appelée tuteur. Il s’agit donc d’une suppléance
momentanée de l’autorité parentale qui ne concerne qu’une catégorie spécifique des
mineurs, à savoir : ceux doublement orphelins (à la fois de père et mère), ceux dont
les deux parents sont absents ou ont perdu l’autorité parentale, ou encore ceux dont
la filiation paternelle et maternelle n’a été établie à l’égard d’aucun géniteur (art.
199, 200, 222, 223 CF). Le code de la famille en distingue deux types, d’une part, la
tutelle ordinaire ou familiale, et d’autre part, la tutelle de l’Etat ou publique. Dans la
première, l’autorité parentale est décernée à la personne désignée par le tribunal pour
enfants, sur proposition du conseil de famille, soit parmi les plus proches parents du
mineur, soit parmi les autres personnes susceptibles de remplir adéquatement cette
fonction (art. 199, 200, 224, 229 CF). Dans la deuxième, considérée également par
la loi portant protection de l’enfant comme un mécanisme de protection des enfants
en situation difficile (ESD), l’autorité parentale est attribuée aux organes
administratifs spécifiques de l’Etat : Elle vise une catégorie plus restreinte des
mineurs appelés « pupilles de l’Etat » (art. 237 CF)612. En tant que mécanisme
temporaire, la tutelle prend fin à la majorité du mineur, à son décès, à la destitution
ou le décès du tuteur (pour la tutelle familiale) ou encore à la cessation des situations
qui l’ont justifié (art. 236, 279-282 CF).
612
AMISI HERADY, Op.cit., §§. 260 et svt. ; G.D. KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais
de Protection des mineurs, précit., §.220 ; J.P. KIFWABALA TEKILAZAYA, Droit civil
congolais: les personnes, les incapacités, la famille, PUL, 2ème éd., Lubumbashi, 2018, §§.244,
254 ; E. MWANZO idin’ AMINYE , Cours de Droit civil, précit., pp.250-258.
263
2. Les mécanismes de père juridique et de placement social
14/ Contrairement aux précédents mécanismes, le père juridique et le
placement social ne touchent qu’à certains attributs de l’autorité parentale sans
l’entamer complètement. Ils sont également soumis chacun à des règles spécifiques
et se rapportent des situations différentes qu’il convient d’analyser.
15/ Le père juridique : Notions. Le premier mécanisme tend, sur pied du
principe posé à l’article 591 al.1 du code de la famille, à doter le mineur d’un père
légalement connu, à défaut d’un père biologique, afin qu’il assume à l’égard de ce
dernier les obligations résultant de la filiation, plus précisément de l’autorité
parentale (art. 649 CF). Il se rapporte au cas où la filiation paternelle de l’enfant né
hors mariage n’a pu être établie ou encore en cas d’impossibilité pour la mère
d’indiquer le véritable père. Le père biologique est désigné par le tribunal pour
enfants à la demande du mineur, de sa mère ou du ministère public parmi les
membres de la famille de la mère ou à défaut de ceux-ci, une personne proposée par
la mère613. La paternité juridique ne confère aucun droit successoral au profit du
mineur concerné.
16/ Le placement social : Définition. Enfin, le placement social est défini
comme « une mesure provisoire, prise par le JPE à la requête de l’assistant social,
qui a pour finalité la protection, la récupération et l’orientation du mineur vers la
réunification familiale et la réinsertion sociale »614. Il s’agit, en effet, d’un
mécanisme organisé par la loi portant protection de l’enfant qui consiste à déplacer
le mineur en handicap social (enfant en situation difficile) d’un milieu (ou
environnement) réputé dangereux ou néfaste à son épanouissement et à son
éducation vers un autre plus sain. Contrairement à la tutelle qui vise uniquement la
suppléance de l’autorité parentale, le placement social est avant tout une mesure
spatiale615 qui peut avoir des incidences indirectes sur l’exercice de l’autorité
parentale, particulièrement le droit à la garde et à l’éducation616.
17/ Le placement social : Typologie. Le législateur prévoit cinq formes de
placement social, dépendamment des structures d’accueil et des mineurs concernés,
à savoir ; en famille élargie, en famille d’accueil, dans une institution publique, dans
une institution privée agréée à caractère social et, enfin, dans un foyer autonome (art.
64 à 68 LPE). Les deux premières formes consistent en des placements familiaux :
elles maintiennent l’autorité parentale originelle et en créent une nouvelle qui reste
exercée dans les modalités traditionnelles, c’est-à-dire, en préservant une relation
613
AMISI HERADY, Op.cit., §.187.
Article 5 de l’arrêté ministériel n° RDC/0248/GC/CAB.MIN/AFF.SAH/SN/09 du 19/11/2009
portant réglementation du placement social des enfants en situation difficile/rupture familiale.
615
E. POTIN, « Placement et déplacement social : Expériences et témoignages d’enfants et leurs
parents», Les Cahiers Dynamiques, 2010/1, n°46, pp.63-71.
616
G.D. KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §§.230
et svt.
614
264
directe entre le gardien (l’oncle, le grand frère ou l’accueillant) et le mineur. Quant
aux trois dernières formes, elles sont des placements institutionnels : elles apportent
des modifications importantes dans la vie du mineur et, particulièrement, dans
l’exercice de l’autorité parentale de substitution en ce qu’elle est décernée à une
personne morale et qui l’exerce quotidiennement par les personnes composant ses
organes (stagiaires, encadreurs, formateurs, enseignants, assistants sociaux …).
Raison pour laquelle, elles sont soumises à trois conditions cumulatives relatives à
leur nature (caractère ultime617), durée (moins de six mois) et destinataire
(uniquement pour les enfants en situation difficile d’au moins quinze ans)618.
B. La substitution de l’autorité parentale, institution relativement
applicable au mineur-parent
18 /Après avoir abordé ces différents mécanismes de substitution de l’autorité
parentale prévus en droit congolais, il sied de jauger leur applicabilité au cas du
mineur-parent au regard de leurs conditions légales respectives (cas d’ouverture) et
de la pratique.
19/ A cet effet, trois caractères ressortent de ces mécanismes, à savoir ; le
caractère juridictionnel, le caractère supplétif et le caractère relativement
volontariste.
1. Le caractère juridictionnel
20/ Des mécanismes de substitution d’ordre juridictionnel. Tous les
mécanismes sus-analysés ont en commun le fait d’être établis à la suite d’une
décision de justice, particulièrement du Tribunal pour enfants (Art. 199, 200 al.1,
224, 226 CF, 63 LPE), sauf dans une certaine mesure, le placement social des ESD
en rupture familiale619. Or, dans la pratique, il se constate,
parfois et
malheureusement sur entérinement par des autorités publiques, une substitution de
fait, sans aucune décision de justice, que l’on tente même de justifier par une
interprétation large des certaines dispositions du code e la famille.
21/ Une substitution contra-legem. En effet, lorsqu’un mineur accède à la
parentalité, il y a apparemment et sociologiquement un transfert direct à ses propres
parents (c’est-à-dire, grands-parents du nouveau-né) ou à son tuteur de l’autorité
Articles 19, 26.3 Ensemble de règles minima des Nations-Unies concernant l’administration de la
justice pour mineurs (« Règles de Pékin »), 9 CIDE, 25 CADE.
618
Article 64 LPE.
619
Rappelons que le placement social est soumis à deux procédures distinctes selon que le mineur est
ou pas en rupture familiale. En cas de rupture familiale, c’est l’assistant social qui prend la décision
du placement et ne saisit le juge pour enfants que pour l’entérinement de son acte : On parle de
requête d’homologation du placement social (art. 63 al.2 et 3 LPE). Mais lorsque l’ESD est entre
les mains de ses parents, l’assistant social propose la décision de placement au juge qui en évalue
le bien-fondé et le décide s’il y a lieu : l’on parle de la requête de placement social. Dans les deux
cas, il y a une intervention juridictionnelle quoique de portée différente.
617
265
parentale qu’il devrait exercer sur son enfant. Il s’agit généralement des parents, soit
du jeune père, soit ceux auprès de qui la jeune demoiselle aurait accouché. Dans
l’hypothèse où le partenaire du mineur-parent est un majeur, de surcroit de genre
masculin620, et s’il y a eu entente entre les deux familles pour que l’affaire ne soit
portée devant les autorités judiciaires, l’autorité parentale semble être exercée, soit
en totalité par lui, soit conjointement avec la famille de la jeune-mère. Généralement,
il est difficile de retrouver le géniteur-majeur étant donné que ce fait est constitutif,
d’après la jurisprudence constante, de viol de mineur en droit congolais (art. 170 al.3
CPO, 171 LPE). Ainsi, soit le concerné prend la fuite pour réapparaitre plus tard afin
d’assurer tant soit peu ses responsabilités parentales, soit il est arrêté et condamné à
une servitude pénale. Ce qui peut conduire à l’ouverture d’une procédure en perte de
l’autorité parentale à son égard.
22/ Le forcing analogique : Incapacité de manifestation de la volonté,
incapacité juridique et incapacité domestique. Parfois, même l’on essaie de faire
des interprétations extra-extensives des certaines dispositions pour justifier la
négation de ses droits parentaux au mineur-parent. Il s’agit par exemple de la
deuxième condition de la perte de l’autorité parentale reprise à l’article 318 CF qui
se rapporte au fait « d’être hors d’état de manifester sa volonté en raison de son
incapacité ». Pourtant, cette disposition fait aucunement et/ou expressément allusion
au cas du mineur-parent ; mais plutôt aux causes pathologiques (démence,
maladie…) qui empêcheraient les géniteurs de s’exprimer lucidement. Parfois, il est
aussi évoqué, à l’étai de l’article 223 CF, une présomption de capacité d’exercice
requise pour l’exercice de l’autorité parentale en vertu de laquelle le mineur-parent
serait empêché d’exercer valablement les droits parentaux sur son enfant. Nul besoin
de rappeler qu’une telle condition n’est nulle part exigée expressément aux parents
biologiques mais qu’il est normal qu’elle soit imposée au tuteur, comme à l’adoptant
ou au père juridique (art. 223, 649, 653 al.1 CF), étant donné qu’il s’agit des
institutions artificielles ou des fictions juridiques.
23/ Quid de la Responsabilité du chef de famille ? Par ailleurs, l’article
713 du Code de la famille institue une responsabilité civile indirecte et spécifique du
chef de famille pour le dommage causé par les mineurs et aliénés mentaux placés
sous son autorité. Quoi que proche de la responsabilité parentale consacrée à l’article
260 al.2 du décret du 30/07/1886 portant Code civil congolais Livre 3, ces deux
notions ne doivent être confondues ; celle-ci, parentale, est moins large que celle-là,
domestique621. Si le mineur du Code de la famille d’avant 2016 pouvait également
Loin de nous la prétention d’affirmer que les majeurs, de genre féminin, ne font pas d’enfant avec
les mineurs, du genre masculin ; mais ces cas sont rares dans la société congolaise et posent
beaucoup moins de problème, tant sur le plan juridique que sociologique.
621
A. BANZA ILUNGA, « Le Droit congolais de la famille à l’aune des réalités sociales : qu’en estil de la responsabilité civile du chef de famille du fait des enfants et des aliénés mentaux ? », Revue
Africaine des Réflexions Juridiques et Politiques, Vol 2, n°5, Mai 2023, pp.20-43, spéc.38-40.
Lire également, E. MWANZO Idin’ AMINYE, Que dit le code de la famille de la République
Démocratique du Congo ?, précit. p.434.
620
266
et légalement être chef de famille via le mariage et cumuler, de ce fait, les deux
qualités (parent et chef de ménage), il n’en est plus le cas aujourd’hui. L’article 713
du code de la famille ne peut donc aujourd’hui se déployer sur le cas du mineurparent et, par ricochet, être évoqué pour dénier au mineur l’exercice de l’autorité
parentale sur son enfant.
2. Le caractère supplétif
24/ Des mécanismes d’ordre supplétif, non principal. Hormis l’aspect
juridictionnel, toutes les institutions analysées peuvent être à juste titre qualifiées de
« supplétif » par ce qu’elles ne sont envisagées que lors que le mineur n’a pas
personne qui peut exercer sur lui effectivement, voire valablement, totalement ou
partiellement l’autorité parentale. Or, pour notre cas d’espèce, le mineur-parent est
présent, connu, non-absent, non-aliéné, n’ayant jamais renoncé expressément à
l’exercice de l’autorité parentale sur son enfant ou n’ayant jamais fait l’objet d’une
décision juridictionnelle de perte d’autorité parentale (art. 318 CF).
25/ Incompatibilité relative à l’application de la tutelle à la situation du
mineur-parent. Pour la tutelle, par exemple, l’article 222 CF précise que « tout
mineur n’ayant ni père, ni mère pouvant exercer sur lui l’autorité parentale est
pourvu d’un tuteur qui le représente ». Dans la typologie des mineurs bénéficiaires
de ce mécanisme ne figurent pas ceux dont les parents sont âgés de moins de dixhuit ans. Même l’hypothèse des « mineurs dont les deux parents ont perdu l’autorité
parentale » ne peut se rapporter automatiquement au cas de mineur-parent. En ce qui
concerne la tutelle familiale, qui nous intéresse le plus dans cette réflexion, elle ne
peut être ouverte pendant que le père ou la mère existe622 ; sauf dans les cas
exceptionnels prévus aux articles 323 al.1 à 325 CF, à savoir : le décès de l’un des
auteurs exerçant l’autorité parentale, l’incapacité sentie par celui qui exerce seul
l’autorité parentale et la garde judiciairement confiée à un tiers consécutivement au
divorce ou à la séparation des corps des de fait des parents. Les deux premières
hypothèses pourraient concerner le cas du mineur-parent. Toutefois, leur évocation
signifierait en même temps une reconnaissance implicite du mineur-parent à exercer
l’autorité parentale ; quoi qu’à la suite de la perte du conjoint ou de l’incapacité
sentie, il aurait fait recours à la tutelle.
26/ La non-pertinence du mécanisme de père juridique sur le parentmineur. Quant au mécanisme de père juridique, il peut être appliqué indirectement
au mineur-parent uniquement lorsque la mère en fait la demande et, ce uniquement
lorsque en cas d’absence de filiation paternelle de l’enfant né hors mariage ou dans
l’impossibilité de l’établir. Il n’a pas d’incidence sur l’autorité parentale de la mère.
D’ailleurs, en tant que tel, ce mécanisme ne se substitue en rien à l’autorité de la
mineure-mère sur son enfant.
622
E. MWANZO Idin’ AMINYE, Que dit le code de la famille de la République Démocratique du
Congo ?, precit, p.183.
267
27/ La compatibilité de l’adoption et du placement social. Par contre, les
mécanismes d’adoption et de placement social peuvent aisément être appliqués au
mineur-parent. Le placement social, qui est sans incidence directe sur l’exercice de
l’autorité parentale, permet de mettre l’enfant du mineur au près d’une autre personne
ou institution afin de préserver son épanouissement et à son éducation dès lors que
ses parents ne peuvent le lui assurer. De même, il n’est pas exclu que l’enfant du
mineur-parent soit l’objet d’une adoption sur consentement de ce dernier (art. 662 et
663 al.1 CF).
3. Le caractère relativement volontariste
28/ Mécanismes partiellement imposés. Selon l’entendement commun que
l’on en fait, les mécanismes sus-analysées supposent l’absence ou l’incapacité
matérielle, voir juridique, des parents biologiques à assumer leurs responsabilités
vis-à-vis de leurs enfants, mineurs de surcroit. Ainsi, ils ne requièrent pas le
consentement des parents-biologiques et leurs sont imposés. Ce qui est partiellement
exact étant donné que certains de ces mécanismes exigent le consentement exprès
des parents-biologiques du mineur qui en fait l’objet.
29/ En effet, la tutelle, par exemple, se rapporte aux mineurs doublement
orphelins, ceux dont les deux parents sont absents ou ont perdu l’autorité parentale,
ou encore ceux dont la filiation paternelle et maternelle n’a été établie à l’égard
d’aucun géniteur. Quant au placement social, il peut être décidé dès lors qu’il est
prouvé le caractère nocif du milieu de vie à l’éducation et épanouissement du mineur.
Enfin, le père juridique sous-entend le défaut d’un père biologique : raison pour
laquelle tant la mère (mineure d’âge ou pas) que le mineur lui-même (destinataire
dudit mécanisme) peut en faire la demande. Sous cet angle, ils apparaissent comme
des mécanismes-sanction.
30/ Néanmoins, la délégation volontaire de l’autorité parentale, que nous
analyserons plus loin, et l’adoption623 sont des mécanismes qui exigent le
consentement des parents-biologiques, s’ils existent et mineurs soient-ils. Ils
apparaissent, à cet effet, comme des mécanismes-soutien.
II. L’Aménagement de l’autorité parentale, une nécessité d’encadrement de
l’autorité parentale du mineur
31/ La parentalité du mineur face aux réalités sociales congolaises. La
parentalité des mineurs est une réalité sociale inéluctable dans une société de
libéralisation des mœurs où l’impératif de conjugalité a laissé place à la suprématie
consensuelle dans la pratique sexuelle. Ainsi, cette question mérite d’être traitée avec
623
Lorsque l’un des parents ne sait manifester son consentement, parce qu’il n’a aucune demeure
connue ou est déchu de l’autorité parentale, son consentement est substitué par celui d’un membre
de sa famille désigné par le TPE (art. 662 al.2 CF). Lorsqu’aucun parent n’est connu, le
consentement est donné par le tuteur (art. 664 al.1 CF).
268
toute objectivité et réalisme au regard des réalités actuelles de notre société et de tout
ce qu’elle implique. Il conviendrait donc d’envisager des mécanismes
d’accompagnement, en lieu et place de ceux de substitution, de l’autorité parentale
du mineur en droit congolais. L’avant-gardisme de la doctrine et de la jurisprudence
peut ici être utile face à l’immobilisme du législateur.
32/ Loin de nous l’attention d’affirmer qu’il existe aucun mécanisme dans
l’arsenal juridique congolais qui peut s’appliquer à la situation de mineur-parent. Les
mécanismes de substitution sus-analysés peuvent, comme nous l’avons démontré,
dans certaines conditions et difficilement s’y adapter étant donné qu’ils ne sont pas
expressément conçus pour cette situation. L’institution existante la plus adaptée
serait, à notre avis, la délégation volontaire de l’autorité parentale (A) dont les effets
sont aussi, à notre avis, limités. C’est ainsi qu’il sied de régler carrément et
spécifiquement cette situation par des institutions autonomes (B).
A. La délégation de l’autorité parentale, institution d’intérêt limité pour le
mineur parent
33/ La délégation de l’autorité parentale : Notions. Lorsque les
circonstances l’exigent l’exercice de l’autorité parentale peut être délégué à un tiers.
Cette délégation consacre juridiquement la parentalité d’un tiers qui peut être amené
à prendre en charge l’enfant, à la place ou aux côtés des parents biologiques. Elle se
limite donc au transfert de la fonction parentale et elle n’affecte pas la qualité de
parent qui découle du lien de filiation direct qui unit l’enfant à ses géniteurs.
34/ La délégation de l’autorité parentale : Typologie. La délégation peut
être volontaire ou forcée, totale ou partielle. La délégation volontaire, qui nous
intéresse le plus ici, est prévue à l’article 320 du Code de la famille qui dispose ;
« les père et mère de l’enfant, à l’exclusion du tuteur, peuvent déléguer, en tout ou
en partie, l’exercice de l’autorité parentale à une personne majeure jouissant de la
pleine capacité parentale ». Quant à la délégation forcée, elle renvoie à l’hypothèse
de la déchéance de l’autorité parentale dont elle en est le corollaire (art. 319 CF).
Elle est totale lorsqu’elle transfert l’autorité parentale dans sa totalité ; mais elle est
partielle au cas contraire.
35/ Intérêt limité de la délégation volontaire : Superposition de
parentalité. Ce mécanisme permet de consacrer ou de couvrir juridiquement le rôle
factuel que les grands-parents occupent auprès de l’enfant de leur propre enfant. Il
peut permettre l’accompagnement du mineur-parent afin qu’il assume utilement ses
devoirs parentaux dans le futur. Toutefois, lorsque le tiers délégataire est choisi au
sein du cercle familial proche, il y a risque accru de confusion de rôle. L’autonomie
du statut du mineur-parent sera conditionnée par l’implication dont il fait preuve dans
l’exercice de son autorité parentale.
269
36/ Par ailleurs, l’aménagement du statut de ce parent particulier en dehors de
toute nécessité et/ou défaillance grave apparait inopportun ; car il conduit à mettre
en concurrence la parentalité du mineur avec celle d’un tiers qui, est généralement,
son propre parent. L’équilibre est parfois difficile à trouver dans le contexte
congolais. En effet, l’intérêt de l’enfant est d’être éduqué et pris en charge par ses
parents tant qu’ils sont en capacité de le faire. L’organisation et le fonctionnement
interne de la famille sont appréhendés comme des éléments de la vie privée et
familiale qui échappent au contrôle de la société tant qu’ils ne portent pas atteinte à
l’intérêt de l’enfant, à l’effectivité de sa protection et à l’ordre public. Ainsi, le
parent-mineur est libre d’accepter le soutien de ses parents ; mais en aucun cas et sur
fondement d’aucun droit ces derniers ne peuvent prétendre à se substituer à lui visà-vis de son rejeton.
37/ Intérêt limité de la délégation volontaire : Débiteur de l’obligation
d’entretien. Aussi, comme il en est souvent le cas, la substitution de l’autorité
parentale n’emporte pas automatiquement l’obligation d’entretien ou de prise en
charge matérielle (alimentation, santé, logement, éducation et habillement) qu’il se
pose la question de la détermination du débiteur de cette obligation vis-à-vis de
l’enfant du mineur durant la délégation de l’autorité parentale. A cet effet, précisons
que la délégation ne modifie en rien l’identité dudit débiteur : Tout comme le retrait,
la perte de l’autorité parentale, elle ne libère pas automatiquement et directement le
parent de l’obligation d’entretien mis à sa charge (art. 321 CF).
B. La révision de l’autorité parentale, exigence indispensable pour le
mineur-parent
38/ Pour une révision de l’autorité parentale. La parentalité est une lourde
responsabilité. Il faille que ceux qui amènent à l’existence des vies innocentes se
rassurent d’être à mesure de leur offrir des conditions descentes pour leur éducation
et leur épanouissement. Si cette lourde responsabilité n’est pas toujours facile à
porter, même pour les adultes socialement stables, à plus forte raison pour les
mineurs, en plein processus de maturation, et généralement sans ressources
autonomes. Ce faisant, l’accessibilité à la parentalité du mineur peut conduire les uns
à une responsabilisation, à la débrouillardise ; mais peut également être pour d’autres
une source de frustration, de déni de réalité aux conséquences néfastes voire
criminelles. D’où la nécessité pour le législateur congolais de s’y concentrer afin de
donner une position claire, soit en déniant carrément au mineur le statut de parent
tout en précisant les mécanismes de substitution consacrés, soit, à notre avis, en
aménageant un statut parental spécifique présumant, soit une capacité anticipée, qui
peut être générale (1), spéciale (2) ou graduelle (3), soit une incapacité sous régime
d’assistance ou d’autorisation (4). Tout dépendra de l’optique envisagée par le
législateur.
270
1. L’émancipation du mineur-parent
39/ Emancipation : Définition et fondement. L’émancipation peut-être une
solution aux difficultés liées au statut du mineur-parent624. Elle est un mécanisme qui
permet de faire présumer l’aptitude d’une personne n’ayant pas encore atteint l’âge
légal de majorité et de lui octroyer une capacité juridique entière625. Elle présente,
dans ce cas, l’avantage d’offrir au mineur-parent l’autonomie juridique personnelle
cohérente dans l’exercice de ses droits parentaux626 et permet également, de ce fait,
d’exhumer une institution en voie d’inhumation627.
40/ De l’émancipation limitée du mineur-parent. Toutefois, elle possède un
effet radical puisque le mineur émancipé ne sera plus sous l’autorité parentale et
deviendra capable en ce qui concerne les actes pour lesquels il a été émancipé,
particulièrement dans ce cas d’espèce, ceux relatifs à l’exercice de l’autorité
parentale. Ce qui peut poser problème étant donné que l’autorité parentale suppose
qu’en même des actes importants allant de la surveillance de la personne à
l’administration et la jouissance des biens des enfants par les parents628. Ici, le
mineur-parent bénéficiera d’une présomption légale de capacité et de maturité qui
lui permettra d’accomplir valablement lesdits actes pendant que sa propre éducation
n’est pas encore achevée ; et, son autonomie financière, pas encore acquise.
41/ Ainsi, l’émancipation rencontre ici un important obstacle. Elle ne peut
assimiler totalement le mineur à un majeur et ne permet pas de surmonter totalement,
réellement et sociologiquement toutes les difficultés liées à la minorité du parent
biologique. Bien plus, mettre fin prématurément à l’obligation d’entretien conduirait
à pérenniser l’état de vulnérabilité du parent-mineur et empêcherait une prise de
conscience dans son chef. Aussi, il découle de l’émancipation la naissance anticipée
d’obligations, patrimoniales comme extrapatrimoniales, liées à la majorité et,
surtout, à la parentalité. Dès lors, une émancipation qui donne à des jeunes gens les
droits et les devoirs des adultes ne correspond plus nécessairement aux aspirations
624
G.D. KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §.81.
I. CORPART, « Émancipation », SAVAUX E. (dir.), Rep. civ., Dalloz, janvier 2015, n° 10 ; S.
GUINCHARD et T. DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 25ème éd., Paris,
2017, voir « Emancipation ».
626
J. CARBONNIER, Droit civil, Tome. 1, Introduction, Les personnes, La famille, l’enfant, le
couple, PUF, 2ème éd., Paris, 2017, §.438.
627
En droit congolais par exemple, l’article 292 CF, issu de la réforme de 2016, ne confère plus la
pleine capacité juridique au mineur émancipé : ses effets sont limités à un cadre ou domaine précis,
[dont] le commerce. Voir également art. 7 al.2 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial
général.
628
E. MWANZO idin’ AMINYE , Cours de Droit civil, précit., p.239. Voir également ; G. CORNU,
Vocabulaire juridique, précit., ; S. GUINCHARD et T. DEBARD (dir.), Op.cit., voir « Autorité
parentale ».
625
271
de la société et au cadre de la protection de l’enfance, elle peut constituer la meilleure
comme la pire alternative offerte aux mineurs629.
42/ Ce faisant, la capacité et l’autonomie juridiques qu’elle semble offrir sont
relatives et conditionnées à l’existence d’une autonomie factuelle déjà acquise étant
donné que le mineur-parent ne devrait plus dépendre économiquement et
matériellement de ses parents630. Au cas contraire, l’émancipation se fera au
détriment de sa protection. Il serait convenable d’organiser une forme
d’émancipation, sauf renonciation du concerné, qui se limiterait à certains aspects
des droits parentaux notamment aux actes de la vie courante afin qu’elle mue en un
apprentissage de la parentalité sous-surveillance familiale (grands-parents ou tuteur
du mineur-parent) ou administrative (assistant social). En cas de conflits des droits
ou d’autorités, l’avis du mineur-parent doit prévaloir sur fond de l’intérêt supérieur
de l’enfant.
2. La capacité spéciale du mineur-parent
43/ La capacité résiduelle du mineur : Fondement et portée. Pour pallier
aux faiblesses précitées de l’émancipation, il y a lieu d’aménager un statut
d’autonomie circonstanciée portant sur l’exercice de certains droits ou la réalisation
de certains actes en fonction des besoins éprouvés par le mineur, particulièrement
parent. Ainsi, l’on pourrait consacrer expressis verbis une capacité spéciale ou
résiduelle du mineur. En d’autres termes, l’incapacité d’exercice du mineur serait la
règle, mais sa capacité d’exercice l’exception. Et ce, dans des cas et domaines
spécifiques, tels que l’accession à la parentalité. On parle même de la « prémajorité » ou « pré-capacité » que les auteurs parfois distinguent subtilement.
44/ En effet, l’individu se situe dans un processus de développement des
facultés physiques, sociales, cognitives, morales et émotionnelles tout au long de sa
croissance qu’il se pose toujours la question en droit moderne de savoir à quel instant
la personne se dote d’un niveau suffisant d’intelligence pour comprendre ses actes et
engager sa responsabilité sociale et juridique. Ainsi, la fixation du seuil de majorité,
qui est de surcroit une fiction juridique, apparait comme un procédé mécanique
méconnaissant parfois certaines réalités sociales et scientifiques. Le passage à la
majorité, à y regarder de près, ne marque finalement que l'ultime étape d'un
processus entamé plus tôt impliquant plusieurs étapes graduelles et complexes631. La
pré-majorité (ou pré-capacité) apparaitrait donc comme un statut juridique
intermédiaire (entre l’« infans » et majorité) plus adapté qui permettra aux
adolescents d’accomplir librement des actes valables dans des domaines où les
M. GRIMALDI, « L’administration légale à l’épreuve de l’adolescence », Defrénois, n°7, Avr.
1991, p.385.
630
I. CORPART, « Émancipation », précit., n° 96.
631
Voir, G. CORNU, « L'âge civil », Mélanges P. Roubier, Dalloz, 1961, Tome 2, pp.9-36.
629
272
parents n'auraient plus pour mission que de le conseiller, le guider et non lui imposer
des choix.
45/ Une capacité spéciale implicitement admise en droit comparé. Dans
tous les cas, le statut juridique du mineur n’est pas aussi simple qu’il n’y parait 632.
La minorité n’a jamais été homogène : elle est toujours plurielle633 de telle sorte que,
d’une part, il existe plusieurs catégories de mineurs soumis aux régimes juridiques
distincts selon plusieurs critères pris en compte souverainement par le législateur
(âge, discernement, maturité…), et d’autre part, l’incapacité civile du mineur,
ponctuée de multiples exceptions634, quoi que certains auteurs pensent que l’on ne
peut en déduire un principe général selon lequel le mineur deviendrait capable 635.
Malgré que la doctrine, en droit comparé romaniste surtout, soit partagée sur cette
question, l’on constate l’inadéquation de la présomption d’une incapacité civile
générale et abstraite du mineur face à la reconnaissance crescendo d’une capacité
civile résiduelle au mineur : Aucun argument des différents courants n’est sans faille
ou à l’abri des critiques.
46/ Une capacité spéciale implicitement consacrée en droit congolais.
Malheureusement, le droit civil congolais ne connaît que deux statuts, celui de la
minorité et celui de la majorité, donnant l’impression d’un régime uniformisé ou
homogène au sein de chaque groupe. Pourtant, il consacre bel et bien des statuts
intermédiaires. En effet, les hypothèses, où il est reconnu au mineur des ilots de
capacité d’exercice, ne sont pas totalement méconnues du droit congolais
quoiqu’elles ne se rapportent pas particulièrement au mineur-parent. Mais elles
semblent, pour des raisons inconnues ou inavouées, être tues ou ignorées tant par la
doctrine que la jurisprudence; sinon l’on se refuse d’en tirer la conséquence juridique
exacte qui est la capacité d’exercice exceptionnelle. Elles se rapportent notamment
au contrat du travail636, au testament, à la dation du nom, à la saisine des certaines
juridictions (tribunal pour enfants en matière pénale637, tribunal de travail pour les
conflits relatifs à l’exécution du contrat de travail638 et tribunal de commerce pour les
conflits relatifs aux effets de commerce dès lors qu’il est émancipé). Ces actes sont,
soit à caractère personnel (adoption, affiliation, recherche en paternité, autorité
632
P. MALAURIE et L. AYNES, Droit civil, les personnes, la famille, les incapacités, 8ème éd., LGDJ,
2015, §.598.
633
G.D. KASONGO LUKOJI, Manuel de Droit congolais de Protection des mineurs, précit., §.77.
Voir également X. PIN, « Les âges du mineur : réflexions sur l’imputabilité et la capacité pénale
du mineur », Gaz. Pal., n°195, 12 juil. 2012, pp.5 et svt.
634
M. DELGRANGE, Le statut juridique du mineur et les modèles de justice/Quelle protection de la
jeunesse entre incapacité, responsabilité et responsabilisation ?, Mémoire de Master 2, Faculté
de droit et de criminologie, Louvain, 2014-2015, p.6.
635
B. DUBUISSON, « Autonomie et irresponsabilité du mineur », L’autonomie du mineur, Bruxelles,
F.U.S.L., 1998, p. 79, cité par M. DELGRANGE, précit., p.6.
636
Articles 50 à 56 LPE, 6, 102, 133 Code du Travail.
637
Article 102 pt.6 LPE.
638
Articles 15 à 16, 25, 26 loi n° 016/2002 du 16/10/2002 portant création, organisation et
fonctionnement des tribunaux du travail.
273
parentale) ou patrimonial (testament, donation), soit encore autorisés par l’usage
(contrats usuels). Fort de ces cas, il y a lieu de consacrer expressément la capacité
spéciale du mineur-parent, une forme d’émancipation.
3. La capacité graduelle prenant en compte la situation du mineurparent
47/ La capacité évolutive, rempart au danger d’une capacité subjective.
Toutes les décisions ne nécessitent pas les mêmes seuils d’aptitude ; de même que
toutes les aptitudes n’entrainent pas le même degré de responsabilité. Une façon de
résoudre la question de la capacité, spéciale ou générale soit-elle, du mineur,
particulièrement du mineur-parent, serait également d’appliquer un principe de
proportionnalité avec une échelle mobile d’aptitude variant en fonction de la gravité
de la décision.
48/ En effet, l’appréciation subjective du discernement peut être source
d’inégalité entre les personnes et d’insécurité dans les interactions juridiques du
mineur. Il convient de recourir à des critères objectifs susceptibles de quantifier
l’aptitude du mineur à décider, permettant de faire présumer son discernement, à
charge pour ses interlocuteurs d’en apporter la preuve contraire. Ces seuils objectifs
peuvent être constitués par référence soit à un âge déterminé, soit à la survenance
d’un événement précis. Il n’est pas aussi exclu de cumuler les critères subjectifs aux
critères subjectifs afin de tirer profits de chaque modèle et de minimiser leurs
faiblesses respectives639.
49/ L’âge de la personne peut être utilisé afin d’organiser l’exercice progressif
de ses droits durant sa minorité. Ce critère présente l’avantage d’être non seulement
quantifiable, mais opposable à tous. Par exemple la législation québécoise, organise
une capacité civile progressive reposant sur des seuils basés sur l’âge qui octroie une
valeur juridique suffisante à la volonté du mineur. Ce dernier sera en capacité
d’exercer un certain nombre de droits dont il est titulaire, qu’ils soient de nature
patrimoniale ou simplement personnelle. Dès quatorze ans, il pourra par exemple
réaliser tous les actes relatifs à son travail640, contrôler la gestion de ses biens par son
tuteur légal641, consentir et refuser des soins médicaux642. Ces droits seront exercés
de manière concurrente à ceux des parents. À compter de seize ans, il se voit
reconnaître le droit de conduire, d’être émancipé simplement643 ou pleinement644.
Pour plus de détails, lire G.D KASONGO LUKOJI, Essai sur la construction d’un droit pénal des
mineurs en R.D. Congo à la lumière du droit comparé. Précit., §§.412 et svt ; Manuel de Droit
congolais de Protection des mineurs, précit., §§.275 et svt.
640
Article 156 Code civil québécois.
641
Article 246 Code civil québécois
642
Article 14 al. 2 Code civil québécois.
643
Article 167 Code civil québécois.
644
Article 175 al. 2 Code civil québécois.
639
274
50/ Le passage d’une personne de l’incapacité à la capacité peut se faire sans
que sa maturité ou son discernement n’ait subi de véritables bouleversements
justifiant un brusque basculement de l’ombre à la lumière. Ces seuils sont utilisés
pour encadrer l’exercice de droits qui par leur nature éminemment personnelle
échappent en principe à l’autorité parentale, ce qui est présenté à tort comme des
aménagements permettant de favoriser l’autonomie des enfants, alors qu’elles ne
font que la restreindre. Bien qu’il soit inenvisageable de déterminer l’âge à compter
duquel un mineur est susceptible d’accéder au statut de parent, il est possible de
déterminer l’âge à compter duquel il entre dans la puberté et dispose des capacités
reproductrices lui permettant d’y accéder.
4. Le régime d’assistance ou d’autorisation du mineur-parent
51/ Mineur-parent, un incapable non représenté. Au cas où, le fait de
reconnaitre au mineur-parent la capacité spéciale paraitrait incompatible à la
mentalité congolaise, le législateur a la possibilité de le maintenir sous le statut
d’incapable tout en lui aménageant un régime juridique autre que celui de la
représentation parentale. Il peut donc s’agir du régime d’autorisation ou d’assistance
afin de permettre au mineur-parent de ne pas être complètement effacé ou substitué
dans la vie juridique et la prise en charge de son enfant.
52/ Le régime d’autorisation du mineur-parent. L’autorisation consiste en
l’assentiment que l’incapable reçoit en avance de la part de son protecteur en vue
d’accomplir un acte juridique. Ayant pour vocation de renforcer ou contrer
juridiquement le consentement donné par la personne qui prend la décision, elle est
antérieure à l’accomplissement de l’acte645. Elle ne requiert pas que le mineur-parent
soit apte à raisonner comme un adulte : il suffit qu’il puisse saisir les enjeux de ses
choix sans pour autant en déceler toutes les incidences. Ainsi, la représentation légale
ne se justifie plus lorsque l’acte trouve son origine et sa validité dans l’association
de deux volontés. Il n’est plus question de substituer la volonté du mineur, mais de
l’étayer ; encore moins d’agir pour lui et pour son compte, mais impérativement avec
lui.
53/ Le régime d’assistance du mineur-parent. Quant à l’assistance, elle
consiste au fait de se tenir auprès de quelqu’un pour le seconder. Sur le plan
juridique, c’est le mécanisme par lequel l’incapable est tenu, pour la validité des
actes accomplis par lui, de se faire accompagner d’une autre personne, majeure, qui
a pour mission de le surveiller. Il s’agit, en réalité, d’un « accompagnement
habilitant » : il comprend implicitement la volonté de pallier au discernement
imparfait du mineur qui l’empêche de consentir seul et de poser valablement des
actes juridiques. Appliquée au mineur-parent, l’assistance permet de faire présumer
la validité et conformité de sa décision à ses intérêts et à celui de son enfant. Son
645
J. PICOTTE, Juridictionnaire/Recueil des difficultés et des ressources du français juridique,
Faculté de droit, Université de Moncton, CANADA, 2018, p. 297, v° autorisation/approbation.
275
immaturité est aussi compensée par la présence parentale ou tutélaire. En droit
congolais, ce régime est prévu pour certains majeurs (les prodigues, les faibles
d’esprit et les personnes dont les facultés corporelles sont altérées par la maladie ou
l’âge) qui, sans avoir perdu leurs facultés intellectuelles, méritent néanmoins
protection646.
54/ Portée de l’autorisation et de l’assistance vis-à-vis du mineur-parent.
Ces mécanismes de codécision mettront en place un modèle susceptible de s’adapter
aux besoins d’autonomie du mineur-parent sans pour autant sacrifier sa protection.
Ils permettraient d’articuler la volonté du mineur-parent avec celle de ses parents. Ils
profiteraient au mineur-parent en ce que sa volonté ; d’une part, sera toujours
récoltée647, et d’autre, sera cumulée avec celle de ses parents ou de son tuteur. Ce qui
pourrait l’épargner de certaines erreurs de jeunesse et lui offrir, ainsi qu’à son fils,
une protection supplémentaire. Sans oublier qu’ils peuvent constituer une belle école
d’apprentissage. L’étendue de ces deux volontés, surtout, en cas de désaccord,
dépendra selon qu’il s’agit, soit de l’autorisation où le point de vue du parent du
mineur-parent emporterait sur celui du mineur-parent, soit de l’accompagnement qui
induirait le contraire. Toutefois, rien n’empêche que le législateur aménage des
solutions intermédiaires ou supplémentaires.
55/ En conclusion, aux mineurs-parents, il est reconnu juridiquement une
autorité parentale qui est anéantie malheureusement par les réalités sociologiques
congolaises. L’idée principale de cette réflexion est de crever l’abcès et relancer un
débat sur une question réelle que connait notre société en vue de sa régulation, dans
toute objectivité, et d’érection d’un statut juridique adapté.
56/ Face aux enjeux, tant sociologiques et moraux que juridiques, relatifs,
d’une part, à la protection du mineur (parent et enfant du mineur-parent), et d’autre
part, à la superposition de parentalité (mineur-parent et ses parents ou son tuteur), la
modification des règles congolaises se rapportant à l’exercice de l’autorité parentale
s’impose. Toutefois, il est évident que l’autorité parentale du mineur-parent peut à
coup sûr être fragilisée faute de ressources personnelles, éducatives ou financières
suffisantes. Ce qui peut avoir une répercussion fâcheuse sur son enfant. Pour
remédier à cette double vulnérabilité, il convient de permettre aux mineurs-parents
de retrouver leur autonomie dans l’exercice de leur autorité parentale via un
accompagnement légal.
57/ En effet, la présomption d’incapacité du mineur tire son fondement à la
fois dans la protection de l’enfant, être humain inachevé et inexpérimenté648, et dans
la sécurité et l’ordre juridiques. Elle est perçue comme un « moyen de [lui] éviter les
646
Voir les articles 310 et suivants du Code de la famille
J. BUREL, Op.cit., §.760.
648
T. MOREAU, « Mineur incapable, mineur responsable », T. MOREAU et S. BERBUTO (dir.),
Réforme du droit de la jeunesse. Questions spéciales, Anthemis, Liège, 2007, pp.151-221, spéc.
p.153.
647
276
méfaits de [son] incapacité naturelle »649 et de son infirmité intellectuelle650 afin de
l’épargner des aléas et des subtilités de vie juridique. Toutefois, elle reste tributaire
de l’évolution sociale et surtout scientifique, particulièrement du développement des
sciences sociales et humaines. Sur ce, un auteur estime « que les notions de
discernement et de contrôle des actes renvoient sur un plan neurobiologique et
cognitif, à des aptitudes différentes, qui reposent sur des circuits neuronaux distincts
et se développent selon des rythmes spécifiques. Un adolescent peut être capable « à
froid » de discerner la portée de ses actes et ne pas être en mesure d’adopter une
attitude appropriée dans une situation réelle où il subit l’influence des pairs ou des
émotions fortes »651. Ainsi, la reconnaissance progressive, voir le transfert
progressif, des droits au mineur-parent est le gage par excellence de sa
responsabilisation, de son autonomie graduelle652.
*
*
*
649
D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, p.613.
G. CORNU G., « L'âge civil », précit.
651
Pour des amples détails, lire utilement Amiel M., Neurosciences et responsabilité de l’enfant, Les
notes scientifiques de l’office, Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et
technologiques (OPECST), note n°20, nov. 2019, La doc. fr., 2019.
652
G. LANSDOWN G., Les capacités évolutives de l’enfant, Innocenti Insights, n°11, UNICEF/Save
the children, 2005, p.20.
650
277
La justiciabilité du droit à la santé et à la sécurité au
travail dans l’industrie du bâtiment en république
démocratique du congo*
Par :
Yves-Junior MANZANZA LUMINGU et
Professeur aux Facultés de droit des universités de
Kikwit, Catholique du Congo et Nouveaux Horizons
Enseignant visiteur à l’Université de Würzburg
(Allemagne)
Avocat au Barreau du Haut-Katanga &
Jacques-Octave KABEMBA FANZAL
Diplômé en droit économique et social
Assistant à la faculté de droit de l’Université
Nouveaux Horizons
Résumé
L’appel à bâtir « un pays plus beau qu’avant » contenu dans l’hymne national de
la République Démocratique du Congo (RDC) traduit une réalité qu’il ne faut pas
seulement limiter à la nécessité de construire un Etat de droit démocratique, mais qu’il
convient également de comprendre au sens propre du terme « bâtir ». En effet, le pays
demeure encore ce grand chantier des travaux de construction dont le recours à une main
d’œuvre implique la mise en place des moyens de droit pour la protéger dans sa personne
en tant qu’individu et dans ses droits en tant que travailleur. Dès lors, les prescriptions de
santé et sécurité dans l’industrie du bâtiment s’inscrivent dans la droite ligne d’extirper
cette catégorie des travailleurs des dangers d’accidents et des maladies inhérents à ce
secteur d’activités économiques.
La question de la santé et de la sécurité des travailleurs en général est d’autant plus
importante que l’Organisation internationale du travail (OIT) a décidé, à la suite d’une
résolution de la Conférence internationale du travail (CIT) adoptée à sa 110e session (2022),
d’inclure le droit à un milieu de travail sûr et salubre parmi ses principes et droits
fondamentaux au travail. Cette reconnaissance implique que les Etats garantissent le droit
des travailleurs concernés d’exiger, notamment par voie de recours à un organe
juridictionnel ou quasi-juridictionnel, la jouissance d’un milieu de travail répondant à ces
caractéristiques. Un tel recours ne saurait véritablement être considéré comme garantie
indispensable pour l’effectivité d’un droit que s’il n’existe pas d’entraves, aussi bien au
niveau de la norme que de son exercice, qui ne puissent rendre hypothétique son examen
par le juge.
*
Cet article a été préparé dans le cadre du programme d’immersion scientifique du bureau pays de la
Friedrich Ebert Stiftung (Fondation Friedrich Ebert) en République Démocratique du Congo. Les
auteurs remercient sincèrement Messieurs Sven Schwersensky et Manuel Wollschläger,
respectivement ancien et nouveau représentant résident de la Fondation susmentionnée ainsi que
Madame Ruth Zinga, la chargée de programme, pour leur soutien.
278
Mots-clés : Industrie de construction, santé et sécurité au travail, justiciabilité, normes
internationales du travail, législation nationale.
Abstract
The call to build "a more beautiful country than before", which is contained in the
Congolese national anthem, reflects a reality that must not only be limited to the need to
build a democratic state based on the rule of law, but that must also be understood in the
literal sense. Indeed, the country till remains a major construction site whose recourse to a
workforce implies the implementation of legal means to protect it in its person as an
individual and in its rights as a worker. Therefore, health and safety requirements in the
construction industry are in line with the aim of extirpating this category of workers from
the dangers of accidents and diseases inherent in this sector of economic activity.
The issue of workers' health and safety in general is so important that the International
Labour Organization (ILO) has decided, following a resolution of the International Labour
Conference (ILC) adopted at its 110th Session (2022), to include the right to a safe and
healthy working environment among its fundamental principles and rights at work. This
recognition implies that States must guarantee the right of the workers concerned to
demand, in particular by access to a judicial or quasi-judicial body, the enjoyment of a
working environment which meets these characteristics. Such an appeal can really be
regarded as an indispensable guarantee for the effectiveness of a right only if there are no
obstacles, either at the level of the rule or of its exercise, which cannot make it hypothetical
that it should be examined by the court.
Keywords: Construction industry, occupational health and safety, justiciability,
international labour standards, national legislation.
Plan sommaire
Introduction
I. La reconnaissance juridique du droit à la santé et à la sécurité dans l’industrie du
bâtiment en RDC
A. La consécration de la protection internationale du droit à la santé et à la
sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment
B. L’affirmation du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’ordre
juridique interne
II. La justiciabilité et l’effectivité du droit a la santé et a la securité dans l’industrie
du batiment en RDC
A. Des obligations en matière de santé et sécurité au travail
B. Les droits des travailleurs exposés à un danger grave et imminent au travail
Conclusion
………………………………………………………………………………..
279
Introduction
Le droit à la santé et à la sécurité au travail est l’expression de la conviction
que toute personne a le droit de travailler dans un environnement qui ne peut générer
des maladies et des lésions liées au travail. S’agissant particulièrement de l’industrie
du bâtiment, l’existence de ce droit doit être intimement rattachée au Préambule de
la Constitution de l’OIT qui exprimait déjà le souci de reconnaître des droits à portée
internationale concernant notamment la santé et la sécurité au travail,653 surtout
pendant l’heure dite de la « reconstruction » où il fallait faire face aux multiples
destructions matérielles ayant durement affecté les habitations, les usines, les
exploitations agricoles et autres infrastructures de communication comme des ports,
des routes ou des voies ferrées, conséquences de la première guerre mondiale.654
L’avènement de l’OIT – dont la mission principale consiste à améliorer les
conditions de travail des personnes dans le monde – aurait offert à ce droit des
béquilles pour transcender les considérations restrictives en ce que la protection des
travailleurs contre les maladies et lésions liées au travail était devenue l’un des axes
prioritaires du mandat historique de l’Organisation.655 C’est dans ce contexte que
fut adoptée entre autres la convention n° 62 sur les prescriptions de sécurité dans
l’industrie du bâtiment, classée à l’époque parmi les secteurs économiques « très
exposés à l’insécurité et présentant des risques sérieux d’accident ».
En République démocratique du Congo, la protection des travailleurs contre
les conditions de travail inhumaines se trouve théoriquement au cœur des politiques
publiques. C’est ce qui ressort des dispositions combinées des articles 1 er et 36
alinéa 1er de la Constitution du 18 février 2006 qui respectivement, reconnaissent la
RDC comme un Etat de droit et le travail comme « un droit et un devoir sacré pour
chaque congolais ». Ces prescriptions, soutenues par le Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels,656 les instruments normatifs de l’OIT
Préambule de la Constitution de l’OIT, paragraphe 2 ; voir aussi Dorhothea HOEHTKER,
« L’OIT, les normes et l’histoire », Revue internationale de droit économique, 2019/4, p. 481.
654
Cette reconstruction avait acquis une dimension si importante faisant d’elle l’enjeu de la sortie du
conflit au niveau international et était d’ailleurs conçue à l’époque comme une véritable révolution
et un élément incontournable pour la paix et l’harmonie universelle prônée par le traité de paix de
1919 – géniteur de la Constitution de l’OIT. Voir également à ce sujet, Bertrand VAYSSIERE,
« Relever la France dans les après guerres : reconstruction ou réaménagement ? », Guerre
mondiale et conflits contemporains, n°236, 2009, p. 45 ; Fabienne CHAVALIER, « Sortie de
guerre et enjeux urbains : histoire de deux projets parisiens (1919-1939) », Histoire politique, n°3,
2007, p. 1.
655
Voir à ce sujet, Bureau International du Travail (BIT), Principes directeurs concernant les
systèmes de gestion de la sécurité et de la santé au travail, ILO-OSH 2001, Genève, 2002, p. v.
656
Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa
résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (ci-après : PIDESC) est entré en vigueur le 3 janvier 1976. Son
article 7 litera b reconnait « le droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et
favorables, qui assurent notamment […] la sécurité et l’hygiène du travail ».
653
280
en la matière et les dispositions pertinentes du Code du travail congolais657, créent
un droit pour les travailleurs de prester dans des conditions d’hygiène et de sécurité
qui leur évitent les maladies en général et celles professionnelles ou d’origine
professionnelle en particulier ainsi que les accidents liés au travail.658 C’est ce qu’on
entend par « droit à la santé et à la sécurité au travail ». Or, l’effectivité659 d’un tel
droit reconnu aux particuliers serait fortement dépendante des garanties en termes
de contrôle ou de voies de recours contre les atteintes dont pourraient en être
victimes ses bénéficiaires.660 C’est dans ce sens que Keba M’Baye souligne qu’à
l’existence d’un droit dans le texte doivent être rattachés les mécanismes de
revendication en cas d’atteinte, dont les voies à suivre doivent avoir été
préalablement tracées.661
De toutes ces voies de recours organisées pour revendiquer le plein exercice
d’un droit, il y en a une qui intervient souvent en dernier, mieux à l’échec des autres
voies empruntées, mais qui paraît offrir plus de garanties, et s’avère même être une
voie par excellence si toutes les conditions de sa réalisation sont respectées. C’est
la justiciabilité. A travers elle, le contrôle, mieux la sanction de la violation du droit
est directement demandée devant le juge, le garant des droits et libertés des
citoyens. Dans le contexte de cette réflexion, la justiciabilité doit être entendue
comme la possibilité qu’un droit soit utilement invoqué par un individu ou un
groupe d’individus devant un juge.662 Elle confirme donc « la capacité intrinsèque
du droit à être garanti par un juge et la possibilité formelle qu’il existe un juge pour
en sanctionner les violations éventuelles »,663 même si cette possibilité doit être
sujette à la portée normative664 du droit concerné qui ferait de celui-ci un droit
657
Loi n°015-2002 du 16 octobre 2002 portant Code du travail, telle que modifiée et complétée par
la loi n° 016/010 du 15 juillet 2016 (ci-après : Code du travail).
658
Art. 160 à 176 du Code du travail.
659
Voir Vincent ZAKANE, « Problématique de l’effectivité du droit de l’environnement en Afrique
:
l’exemple du Burkina Faso », in : Laurent GRANIER (dir.), Aspects contemporains du droit de
l’environnement en Afrique de l’Ouest et centrale, Gland, Ed. de l’UICN, 2008, pp. 13-34 (18).
L’auteur argue qu’« aussi pertinentes soient-elles, les règles de droit ne produisent pas, par ellesmêmes les effets que l’on attend d’elles. Leur efficacité dépend le plus souvent des moyens de
contrôle mis en œuvre par les pouvoirs publics pour en assurer le respect ».
660
Lire à ce sujet Carine LAURENT-BOUTOT, « L’injusticiabilité des droits sociaux consacrés par
les traités internationaux protecteurs des droits de l’homme », in : Pierre SERRAND et De Piotr
SZWEDO (dir.), L’injusticiabilité : Emergence d’une notion ? Mélange en l’honneur du
Professeur Jacques Leroy, Cracovie, Biblioteka Jagiellońska, 2018, p. 177.
661
KEBA M’BAYE, Les droits de l’homme en Afrique, Paris, 1992, p. 166.
662
Christian ATIAS, « Justiciabilité », in : Loïc CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, PUF, 2004,
p. 798 ; voy. aussi Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, Lexique des termes juridiques, 27e
éd., Paris, Dalloz, 2919, p. 628.
663
Diane ROMAN, « La justiciabilité des droits sociaux ou les enjeux de l’édification d’un Etat de
droit social », La Revue des Droits de l’Homme, n°1, 2012, paragraphe 8.
664
Lire à ce sujet Bernard NTAHIRAJA et Nestor NKURUNZIZA, « L’Etat et les droits sociaux de
ses citoyens : cas du droit à la santé au Burundi », Librairie d’études juridiques africaines, vol.7,
2011, p. 21.
281
subjectif exigible et qui reconnaîtrait à son titulaire des prérogatives nécessaires
pour obtenir son respect en justice.
C’est cette capacité des organes – judiciaires ou quasi-judiciaires – à
connaître de l’allégation de la violation du droit à la santé et à la sécurité par les
victimes que cette réflexion entend examiner. La démarche consiste d’une part, à
déterminer si et dans quelle mesure le droit à la santé et à la sécurité au travail dans
l’industrie du bâtiment en RDC pourrait faire l’objet d’un recours en vue de sa
protection devant le juge, et d’autre part, à analyser surtout les chances
d’aboutissement d’un tel recours dans un pays où la probabilité que l’attitude des
organes judiciaires instaure l’injusticiabilité665 d’un droit pourtant justiciable par la
volonté du législateur est assez élevée.
Cette réflexion qui se veut essentiellement descriptive se propose de
constater, à travers une approche critique, la reconnaissance juridique du droit à la
santé et à la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment en RDC (I) et de
l’apprécier à l’aune de sa justiciabilité (II).
I. La reconnaissance juridique du droit à la santé et à la sécurité dans l’industrie
du bâtiment en RDC
Le droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment est
couvert aussi bien par les textes juridiques internationaux (A) que nationaux (B)
qu’il convient de présenter et de commenter brièvement.
A. La consécration de la protection internationale du droit à la santé et à la
sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment
Deux principaux instruments juridiques internationaux ratifiés par la RDC
consacrent le droit à la santé et à la sécurité dans l’industrie du bâtiment. Il s’agit
du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC)
et de la convention de l’OIT n°62 (1937) concernant les prescriptions de sécurité
dans l’industrie du bâtiment.666 Si le premier instrument énonce le cadre juridique
général de protection de tous les travailleurs en matière de santé et de sécurité au
L’injusticiabilité correspond à une situation d’impossibilité pour un requérant d’obtenir justice,
c’est-à-dire d’obtenir une décision juridictionnelle réglant un litige, de telle manière que le litige
n’est pas jugé. Elle est le contraire de la justiciabilité. En ce sens, la notion d’injusticiabilité traduit
l’ensemble des hypothèses correspondant aux angles morts du droit et de la justice. Lire en ce sens
Pierre SERRAND et Piotr SZWEDO (dir.), L’injusticiabilité : Emergence d’une notion ?....,
Op.cit., p. 9.
666
Cette convention devra automatiquement être dénoncée dès que la RDC aura ratifié la Convention
n°167 sur la sécurité et la santé dans la construction (1988), laquelle convention révise et remplace
la précédente. A propos de la dénonciation immédiate d’une convention de l’OIT par la ratification
d’une nouvelle convention portant révision de la première, lire utilement Jean-Michel SERVAIS,
Droit international du travail, Bruxelles, Larcier, 2015, pp. 78-79 ; dans le cas d’espèce ici, voir
art. 24 de la convention n° 62.
665
282
travail, sans spécificité du secteur d’activités, le second en revanche a été
spécialement conçu pour la sécurité des travailleurs de l’industrie du bâtiment.
Par ailleurs, les deux conventions fondamentales de l’OIT sur la santé et la
sécurité au travail en général, à savoir les conventions n°155 et n°187, n’ont jamais
été ratifiées par la RDC, même si la garantie d’un milieu de travail sûr et salubre
qu’elles instituent a acquis la valeur d’un principe et droit fondamental au travail667
que tous les Etats membres de l’OIT, « même lorsqu’ils n’ont pas ratifié les
conventions en question, ont l’obligation, du seul fait de leur appartenance à
l’Organisation, de respecter, promouvoir et réaliser, de bonne foi et conformément
à la Constitution […] ».668
1. Le regard sur l’évolution historique
La genèse du droit à la santé et à la sécurité au travail remonte aux origines
même de l’OIT. Déjà dans le préambule de la convention n° 62, la Conférence
internationale du travail constate que l’industrie du bâtiment présente des risques
sérieux d’accidents qu’il est nécessaire de réduire pour des raisons d’ordre
humanitaire et économique. Ainsi, sur le plan humanitaire, les Etats sont obligés
d’adopter un régime de travail qui soit réellement humain, c’est-à-dire qui respecte
l’homme – le travailleur669 – parce que « le travail est fait pour l’homme et non le
contraire ».670 Sur le plan économique, la réduction des risques professionnels est
justifiée par le souci de réduire le coût économique671 dû non seulement à la prise
en charge des victimes des accidents de travail et des maladies professionnelles par
le système national de sécurité sociale, mais aussi au manque à gagner résultant de
La reconnaissance du principe d’un milieu de travail sûr et salubre trouve son origine dans le
Préambule de la Constitution de l’OIT (1919), lequel invoquait « l’urgence de protéger les
travailleurs contre les maladies générales ou professionnelles et les accidents résultant du travail ».
Cette idée a ensuite été reprise tour à tour dans la Déclaration de Philadelphie (1944), annexée au
texte de la Constitution, et plus récemment dans la Résolution de la Conférence internationale du
travail (CIT) du 21 juin 2019 sur la Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail
(paragraphe 1) et dans la Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail (point II.D),
avant d’être concrétisée à la suite de la Résolution de la CIT du 10 juin concernant l’inclusion
d’un milieu de travail sûr et salubre dans le cadre des principes et droits fondamentaux au travail
de l’OIT. L’adoption de la Convention n° 191 (2023) sur un milieu de travail sûr et salubre
(amendements corrélatifs) et les amendements apportés à la Déclaration relative aux principes et
droits fondamentaux au travail de 1998, telle que qu’amendée en 2022 (notamment paragraphe 2
litera d) constituent l’aboutissement heureux de ce long processus.
668
Cf. Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998, telle que
qu’amendée en 2022, paragraphe 2 ; voy. aussi Guy RYDER, « Préface », in : OIT, Déclaration
de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, 2e éd., Genève,
Publications du BIT, 2022, p. 1.
669
Guy RYDER, Le travail est un art. Déclaration à l’ouverture d’un colloque au Sénat français sur
l’avenir
du
travail organisé à l’occasion du centenaire de l’OIT, Paris, 17 avril 2019.
670
Jean-Michel SERVAIS, Op. cit., p. 227.
671
A propos du coût économique des risques professionnels en général, voir notamment Guy RYDER,
« Préface », Op. cit., p. 1.
667
283
l’absence au travail des salariés victimes. En effet, l’OIT estime ce coût économique
à 3,94% par an du produit intérieur brut mondial.672
Au fil des temps, des avancées notables, essentiellement d’ordre
économique et social, ont permis d’apporter quelques innovations majeures. Il
s’agit d’abord de l’extension du champ d’application et de la protection à assurer
aux travailleurs à travers la suppression du mot « bâtiment », considéré comme trop
restrictif, et son remplacement par celui de « construction »,673 jugé plus extensif.
Ensuite, les prescriptions relatives à l’hygiène sur les lieux de travail qui ne
figuraient pas dans la convention n°62 ont été fusionnées à celles relatives à la
sécurité dans le bâtiment dans un seul et unique texte qui constitue l’objet de la
Convention n°167 (1988) sur la sécurité et la santé dans la construction. Du point
de vue ratione materiae, le nouvel instrument a une conception extensive de ce
qu’il entend par construction (art. 1 alinéa 1 et 2 litera a), de même que son aspect
ratione personae n’intéresse pas seulement les travailleurs dépendants, mais
« s’applique également aux travailleurs indépendants que la législation nationale
pourrait désigner » (art. 1 al. 3). De même, la portée des mesures de prévention et
de protection à adopter est plus étendue que celle prévue dans la convention initiale
de 1937. En effet, les précautions à prendre ne doivent pas seulement viser les
travailleurs sur les chantiers, même si ces derniers en sont les principaux
bénéficiaires ; elles doivent également protéger les personnes qui, bien que ne
travaillant pas sur le chantier, vivent néanmoins à proximité de celui-ci de tous les
risques que ce chantier est susceptible de présenter (art. 13 al. 3).
Malheureusement, la RDC n’a pas encore ratifié cette convention malgré
plusieurs demandes directes lui adressées par la Commission d’experts pour
l’application des conventions et recommandations (CEACR).674
2. L’incidence de la non-ratification de la Convention n°167 par la RDC
L’insistance de la CEACR qui invite la RDC à envisager la ratification de
la convention n°167 se justifie par le fait que la convention n°62 a été classée parmi
les instruments dépassés675 et que le Conseil d’administration de l’OIT avait décidé
au cours de sa 334e session (octobre – novembre 2018) d’inscrire une question
concernant l’abrogation de la convention n°62 à l’ordre du jour de la session de la
CIT en 2024. En effet, au cas où cette convention serait effectivement abrogée avant
Pour plus de détails, voir OIT, La sécurité et la santé au cœur de l’avenir du travail. Mettre à
profit 100 ans d’expérience, Genève, Publications du BIT, 2019, notamment pp. 1-3.
673
BIT, Sécurité et santé dans la construction. Recueil de directives pratiques,
Genève, Bureau international du Travail, 1992, p. 1.
674
Voir notamment la demande directe la plus récente, adoptée en août 2022 et publiée à la 111 ème
session de la Conférence internationale du travail en 2023, disponible en ligne sur
https://ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:13100:0::NO:13100:P13100_COMMENT_ID,P13100_
COUNTRY_ID:4309437,102981:NO (consulté le 23.10.202).
675
Lire à ce propos le rapport de la quatrième réunion du Groupe de travail tripartite du mécanisme
d’examen des normes (MEN), GB.334/LILS/3, Genève, 31.10.2018, pp.7-9.
672
284
que la RDC ratifie le nouvel instrument la révisant, il y aura un vide et donc un
recul regrettable en matière de réglementation de la santé et de la sécurité au travail.
Il reste à espérer que le Gouvernement qui, dans sa réponse à la dernière demande
de la CIT, a promis « d’adresser une requête au BIT au cours de l’année 2023 pour
demander une assistance technique en vue de la ratification de la convention
n°167 »676 tiendra sa parole.
En attendant, l’ajout des conventions n°155 sur la sécurité et la santé des
travailleurs (1981) et n°187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au
travail (2006) parmi les conventions fondamentales de l’OIT, et l’inclusion du
milieu de travail sûr et salubre parmi les principes et droits fondamentaux au travail
proclamés dans la Déclaration de 1998 telle qu’amendée en 2022 pourraient
combler les lacunes résultant de la non ratification de ces instruments par la RDC.
En effet, le paragraphe 2 de la déclaration de l’OIT relative aux principes et droits
fondamentaux au travail prévoit l’obligation pour tous les membres de
l’Organisation, même s’ils n’ont pas ratifié les conventions en question, de
respecter, promouvoir et réaliser, de bonne foi et conformément à la Constitution,
les principes concernant les droits fondamentaux qui sont l’objet desdites
conventions. L’intelligibilité de cette disposition dans le contexte précis de cette
réflexion doit s’analyser comme empressant l’État677 congolais à ratifier en priorité
toutes les conventions portant sur la santé et la sécurité au travail, pas seulement la
convention n°167.
B. L’affirmation du droit à la santé et à la sécurité au travail dans l’ordre
juridique interne
La protection du droit à la santé et à la sécurité au travail en RDC est
organisée par le Code du travail et ses mesures d’application dans un cadre général
de la relation de travail, sans préjudice des dispositions particulières applicables à
certains secteurs d’activités économiques, telles que l’industrie du bâtiment, les
mines et carrières. En effet, les articles 159 et suivants du Code du travail instituent
un régime de protection applicable à toutes les entreprises et à tous les
établissements, indépendamment de leur nature et de leurs secteurs d’activités. A
côté de ces mesures à portée générale, des prescriptions en matière de santé et de
sécurité applicables spécialement dans l’industrie du bâtiment sont prévues dans
l’arrêté ministériel n° 017/73 du 6 février 1973 relatif à la sécurité sur les lieux de
676
https://ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:13100:0::NO:13100:P13100_COMMENT_ID,P13100_
COUNTRY_ID:4309437,102981:NO (consulté le 23.10.2023).
677
Ce mécanisme est qualifié par Markus KRAJEWSKI, „Entstehung und Wirkung von Standards
der Internationalen Arbeitsorganisation aus völkerrechtlicher Sicht“, Soziales Recht (SR), 1/2020,
pp. 2-16 (6) de « Nudge » de droit international public. Le « Nudge » ou « la théorie du coup de
pouce » est une technique consistant à inciter des individus ou groupes d’individus à faire certains
choix souhaités ou attendus d’eux sans y être contraints.
285
travail pour les travaux de terrassement, de fouille, ou d’excavation de toute espèce
et les travaux de l’industrie du bâtiment.
Sur le plan général, l’article 159 du Code du travail dispose que « les
conditions de santé et de sécurité au travail sont assurées en vue : de prévenir des
accidents du travail, de lutter contre les maladies professionnelles, de créer les
conditions de travail salubres, de remédier à la fatigue professionnelle excessive,
d’adapter le travail à l’homme, de gérer et de lutter contre les grandes endémies de
santé communautaire en milieu du travail ». La compréhension de cette disposition
semble plutôt orienter l’attention vers la finalité de garantir la santé et la sécurité au
travail qu’à l’existence même du droit. En d’autres termes, cette disposition qui
devait pourtant être le fondement légal de ce droit au niveau interne, ne le crée pas
expressément, mais se contente seulement de justifier le bien-fondé. Il serait
souhaitable, pour des raisons de sécurité juridique, que le législateur commençât
par rappeler expressément la reconnaissance de ce droit, avant d’avancer les raisons
pour lesquelles il devait être garanti. Sinon, il faudra se contenter de l’interprétation
des dispositions des articles 55 al. 2, 160, 163 et 170 du Code du travail, pour
déduire des obligations de l’employeur à veiller à l’accomplissement du travail dans
des conditions convenables, tant au point de la sécurité que de la santé et la dignité
du travailleur, s’assurer le concours des services de santé, organiser un service
spécial de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux du travail et à tenir
l’entreprise ou l’établissement dans un état constant de propreté, pour croire à
l’existence de ce droit.
Parmi les mesures d’application de ces dispositions du Code du travail, il
sied de citer notamment l’arrêté ministériel n°057/71 du 20 décembre 1971 portant
réglementation de la sécurité sur les lieux de travail, l’arrêté ministériel
n°12/CAB.MIN/ETPS/043/2008 du 8 août 2008 fixant les conditions
d’organisation et de fonctionnement des comités de sécurité, d’hygiène et
d’embellissement
des
lieux
de
travail
et
l’arrêté
ministériel
n°140/CAB/MINETAT/MTEPS/01/2018 du 8 novembre 2018 fixant les modalités
de promotion de la prévention des risques professionnels.
Le premier texte édicte les règles tendant à assurer la protection des
travailleurs contre les atteintes des machines et des organes techniques (art. 2 à 11),
les atteintes de débris d’éclats ou de matières quelconques (art. 12 à 14), les chutes
(art. 15 et 16), les accidents causés par le transport ou la manutention des objets
pondéreux, volumineux ou dangereux (art. 17 à 24) et contre les incendies et
explosions (art. 25 et 26).
Le deuxième texte, quant à lui, prévoit les modalités concrètes relatives à
l’obligation légale de constituer un comité de sécurité, d’hygiène et
d’embellissement des lieux de travail,678 comité dont les missions consistent à
concevoir, corriger et exécuter la politique de prévention des accidents du travail et
678
Art. 167 du Code du travail.
286
des maladies professionnelles ainsi qu’à stimuler et à contrôler le bon
fonctionnement des services de sécurité et de santé au travail dans les
établissements concernés.679 L’institution de ce comité est à la fois généralisée et
limitée : généralisée parce qu’il devait être constitué par toutes les entreprises et tous les
établissements de quelque nature que ce soit ; limitée parce que ce comité n’est impératif
que dans toute entreprise ou tout établissement qui occupe en son sein au moins vingt
travailleurs.680
Enfin, l’arrêté du 8 novembre 2018 fixe les modalités de promotion de la
prévention des risques professionnels, laquelle consiste pour la Caisse nationale de sécurité
sociale (CNSS) en la mise en œuvre d’actions visant à préserver la sécurité, la santé
des assujettis et à améliorer les conditions de travail tant au sein de l’entreprise,
qu’en cours de trajets légalement protégés (art. 1 et 3). Les actions envisagées ici
devraient consister à accompagner l’assujetti à appliquer les principes généraux de
prévention, lesquels visent notamment à éviter les risques ou à évaluer ceux qui ne peuvent
pas être évités, à combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, tenir
compte de l’évolution de la technologie et à prendre des mesures de protection collective
et individuelle (art. 4). L’approche abordée par l’autorité réglementaire ici est
essentiellement préventive. Elle tend à éduquer et à informer les assujettis afin de
les prémunir contre les risques éventuels d’accidents du travail et de maladies
professionnelles (art. 5 et 6).
Précisons que si l’employeur est considéré comme le premier et principal
responsable de l’application des mesures de prévention que le législateur édicte et
qui sont destinées à assurer la protection des travailleurs, les personnes visées par
la protection sont elles-mêmes aussi tenues de se conformer rigoureusement aux
dispositions des lois et règlements relatifs à la sécurité et à la santé au travail ainsi
qu’aux instructions du règlement intérieur y relatives. Pour s’assurer du respect de
ces obligations par les entreprises, la CNSS procède, par l’entremise des agents
assermentés de prévention, aux visites ou mieux aux contrôles de terrain dans les
entreprises.681 Tous manquements aux prescriptions en matière de santé et sécurité
au travail constatés lors de ces visites sont susceptibles de sanctions, dont la
majoration du taux de cotisation de la branche des risques professionnels à l’égard
des employeurs défaillants, laquelle majoration peut atteindre le double du taux
ordinaire682 fixé à 1,5% de la rémunération « imposable ».
II. La justiciabilité et l’effectivité du droit à la santé et à la securité dans
l’industrie du bâtiment en RDC
Avant d’aborder la question de savoir si les travailleurs de l’industrie du
bâtiment usent de la voie judiciaire pour réclamer la protection du droit à la santé
Art. 168 du Code du travail et 3 al. 1 de l’arrêté ministériel du 8 août 2008.
Cf. Articles 1 alinéa 1 et 2 et l’article 2 de l’arrêté de 2008.
681
Art. 18 de l’arrêté ministériel n°140/CAB/MINETAT/MTEPS/01/2018 du 8 novembre 2018.
682
Cf. art. 19 et 22 de l’arrêté ministériel n° 140 du 8 novembre 2018.
679
680
287
et à la sécurité au travail (B), il importe de rappeler que c’est l’atteinte à un droit
qui génère l’idée de chercher la protection du juge. En d’autres termes, le salarié
qui sollicite la protection juridictionnelle d’un droit devait démontrer les atteintes
portées à ce droit par son employeur, ce qui se traduit en pratique par le non-respect
par ce dernier de ses obligations légales et/ou contractuelles. Ainsi, il convient
d’analyser d’abord les obligations conventionnelles, légales et réglementaires
inhérentes à la mise en œuvre du droit à la santé et à la sécurité au travail, afin de
déterminer ensuite si ces obligations font de la santé et la sécurité au travail un
véritable droit subjectif et donc exigible (A).
A. Des obligations en matière de santé et sécurité au travail
Pour la mise en œuvre du droit à la santé et à la sécurité au travail dans
l’industrie du bâtiment, les principales obligations pèsent d’abord sur les pouvoirs
publics, ensuite sur les employeurs et, dans une certaine mesure, sur les travailleurs
eux-mêmes.
1. L’obligation des pouvoirs publics
La ratification d’une norme négociée entraîne naturellement de la part de
l’État, la souscription aux obligations qu’il doit respecter pour sa mise en œuvre.
S’inscrivant dans cette logique, la Convention n°62 exige des États l’adoption d’une
législation assurant son application et en vertu de laquelle une autorité appropriée
devrait disposer des pouvoirs d’édicter des règlements (art. 1er alinéa 1er litera b).
Le champ d’application de cette législation devra s’étendre à « tous travaux
effectués sur chantier concernant la construction, la réparation, la transformation,
l’entretien et la démolition de tout type de bâtiment » (art. 2 alinéa 1er) et devait
identifier les personnes responsables et prévoir des pénalités appropriées en cas de
violation des obligations imposées (art. 3, literas b et c).
En plus de l’adoption de la législation, les pouvoirs publics devaient d’une
part, faire parvenir tous les trois ans, au Bureau international du travail (BIT), un
rapport indiquant dans quelle mesure il a été donné effet aux dispositions des
normes ratifiées (art. 1er alinéa 2), et d’autre part soumettre – conformément aux
articles 19, 22 et 35 de la Constitution de l’OIT – des rapports périodiques sur les
renseignements statistiques les plus récents sur le nombre et la classification des
accidents survenus aux personnes occupées aux travaux visés par cette convention
(art. 6). Si l’obligation de soumission des rapports périodiques par les États
membres devait être conçue comme un moyen régulier de superviser les progrès en
matière d’application des Conventions par l’OIT et d’examiner la conformité des
législations ainsi que des pratiques nationales aux normes du travail concernées, le
risque de s’exposer à la critique de la CIT qui s’en suit, devrait représenter une
forme de pression subtile683 aux fins de pousser les États à soumettre régulièrement
leurs rapports.
683
D. HOEHTKER, Op. cit., pp .485ss.
288
Au-delà des obligations conventionnelles qui pèsent sur l’Etat, il sied de
noter aussi l’obligation constitutionnelle de diffusion des normes applicables en
RDC et les missions de contrôle confiées à l’Inspecteur du travail pour donner effet
à la réglementation en matière de santé et de sécurité au travail en général et dans
l’industrie du bâtiment en particulier. En effet, s’agissant de la première obligation,
l’article 142 alinéa 1er de la Constitution conditionne l’entrée en vigueur de la loi
par sa publication au journal officiel. Cette publication, qui vise à annoncer aux
destinataires l’existence des normes juridiques nouvelles,684 devait être suivie,
conformément à l’alinéa 2 du même article, de la diffusion des textes publiés en
français et dans chacune des quatre langues nationales dans le délai de soixante
jours à dater de la promulgation.
Par ailleurs, le législateur congolais dote l’Inspecteur du travail des pouvoirs
de contrôle au sein des entreprises et établissements aux fins de s’enquérir de la
situation des conditions de santé et de sécurité dans lesquelles les salariés sont
placés. S’il s’avère que l’entreprise ou l’établissement concerné est insalubre et/ou
présente des dangers d’accidents, l’Inspecteur du travail est appelé à mettre en
demeure l’entreprise,685 en précisant les infractions ou les dangers constatés et en
fixant les délais dans lesquels les mesures correctives devront être prises.686 Ainsi,
si malgré la mise en demeure les faits persistent et que ceux-ci constituent un danger
grave et imminent pour la santé et la sécurité des travailleurs, l’Inspecteur ordonne
ou fait ordonner l’arrêt des travaux incriminés.687
2. Les obligations de l’employeur
En l’état actuel de la législation congolaise, l’employeur est le principal
débiteur de l’obligation de réunir les meilleures conditions de travail, même si, dans
le cadre de l’exécution loyale du contrat de travail, le souci de se préserver et
préserver autrui exige du travailleur l’abstention et une attitude qui ne nuisent pas
à sa propre santé ou à celle d’autrui. Ainsi, dans le cadre de la relation de travail de
manière générale, deux séries d’obligations pèsent sur l’employeur, dont l’une à
priori consistant à prévenir et l’autre a posteriori, plutôt curative, visant la prise en
charge des travailleurs victimes d’accidents de travail ou de maladies
professionnelles.
Voyez en ce sens Jacques-Noé VUDISA MUNGUBUSHI, « A propos de l’entrée en vigueur de
la loi en droit constitutionnel congolais. Contribution à l’intelligibilité de l’alinéa 1er de l’article
142 de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 », Annuaire
congolais de justice constitutionnelle, pp. 57-93 ; voir aussi l’Ordonnance-loi n°68-400 du 23
octobre 1968 relative à la publication et à la notification des actes officiels en son article 1er qui
dispose que les actes législatifs et réglementaires doivent être portés à la connaissance des
particuliers par voie de publication.
685
Art. 175 al. 1er du Code du travail.
686
Art. 171 et 172 du Code du travail.
687
Art. 174 al. 4 du Code du travail.
684
289
a) De la prévention des risques
En tant que chef d’entreprise ou d’établissement, l’employeur a l’obligation
de « veiller à ce que le travail s’accomplisse dans des conditions convenables, tant
au point de la sécurité que de la santé et la dignité du travailleur ».688 Concrètement,
il est tenu de fournir aux travailleurs un environnement de travail sain, des objets et
équipements (tenues, chaussures, lunettes, cache-nez, ceinture de sécurité etc.)
appropriés aux circonstances et à la nature du travail. Dans le cadre spécifique de
l’industrie du bâtiment, la convention n°62 prévoit des prescriptions de sécurité
précises concernant respectivement les échafaudages (art. 7 à 10), les appareils de
levage (art. 11 à 15) et l’équipement de protection ainsi que les premiers secours
(art. 16 à 18).
Ainsi, l’employeur ou son préposé doit prévoir des échafaudages
convenables au profit des ouvriers pour tout travail qui ne peut pas être exécuté sans
danger avec une échelle ou par d’autres moyens. Ces échafaudages ne doivent être
construits, démontés ou modifiés que sous l’œil vigilant d’une personne ayant
l’expertise nécessaire. Les dispositifs qui s’y rattachent doivent également être
constitués en matériaux de bonne qualité et de résistance appropriée ; ils doivent
être construits de manière à empêcher, en cas d’usage normal, le déplacement
d’une quelconque de leurs parties. Des précautions spéciales doivent être prises
pour assurer la résistance, la stabilité et la maintenance de ces échafaudages par une
inspection périodique faite par des personnes qualifiées et s’assurer, avant
d’autoriser leur usage par les ouvriers, qu’ils répondent pleinement aux exigences
de sécurité. Les mêmes prescriptions concernent mutatis mutandis les appareils et
dispositifs de levage. Enfin, l’employeur doit mettre à la disposition du personnel
employé sur le chantier l’équipement de protection personnelle nécessaire et en état
d’utilisation immédiate et veiller à ce que cet équipement soit judicieusement utilisé
par les intéressés. De même, il a l’obligation de prendre des mesures appropriées
pour donner rapidement les premiers secours à toute personne blessée au cours du
travail.
A côté des règles formelles sur la santé et la sécurité qu’il doit faire
connaître, l’employeur est tenu d’informer les travailleurs de toutes les mesures de
santé et de sécurité contenues dans la législation nationale.689 Il faut préciser que
l’employeur ou toute personne chargée de guider les travaux de construction sur un
chantier devrait veiller à ce que les travailleurs soient instruits des dangers auxquels
ils peuvent être exposés sur les lieux du travail, et des moyens de protection pour y
faire face. Ne devrait se trouver sur un chantier qu’un employé qui ait reçu au
688
689
Art. 55 al. 2 du Code du travail.
Art. 3 litera a) de la Convention n° 62.
290
préalable une instruction indispensable dans une langue qu’il comprend690 sur les
dangers inhérents à la construction.
Mais si jamais cette prévention ne fonctionne pas, l’employeur est soumis à
la deuxième série d’obligations ou obligations a posteriori.
b) De la prise en charge des travailleurs victimes d’accidents de travail ou de
maladies professionnelles
Si les premières obligations se montrent beaucoup plus protectrices de la
santé et la sécurité des travailleurs, les secondes sont prévues pour venir au secours
de la faillite des premières. Ces obligations consistent en premier lieu, à aviser la
CNSS et l’Inspecteur du travail du ressort de la survenance de la maladie ou de
l’accident,691 et en second lieu, à fournir au travailleur concerné les soins médicaux,
dentaires et chirurgicaux, les frais pharmaceutiques et d’hospitalisation, les frais de
déplacement nécessaires, les lunettes et les appareils d’orthopédie et de prothèse, et
ce uniquement pendant la période non couverte par les prestations de la CNSS.692
Toutefois, le travailleur perd ce droit et l’employeur est délié de son
obligation d’assurer les soins de santé, lorsque la maladie ou l’accident s’est réalisé
dans les conditions des articles 107 et 108 du Code du travail.693
3. Les obligations du travailleur
Même s’il n’est pas responsable de la politique de sécurité au sein de
l’entreprise, le travailleur en tant que principal bénéficiaire des prescriptions en
matière de santé et de sécurité au travail en général et dans l’industrie du bâtiment
690
OIT, Projet de Recueil de directives pratiques sur la sécurité et la santé dans la construction,
Genève, 2022, p. 51.
691
Art. 176 du Code du travail.
692
Art. 178 et 179 du Code du travail.
693
Ces articles disposent expressément ce qui suit :
- Article 107 : « Aucune somme ni avantage n'est dû s'il est établi que la maladie ou l'accident ou
l'aggravation d'une maladie ou d'un accident antérieur résulte d'un risque spécial auquel le
travailleur s'est volontairement exposé en ayant conscience du danger encouru, ou si le travailleur,
sans motif valable, néglige d'utiliser les services médicaux ou de réadaptation qui sont à sa
disposition, ou n'observe pas les règles prescrites pour la vérification de l'existence du dommage
ou pour la conduite des bénéficiaires de prestations. »
- Article 108 : « Il y a risque spécial, au sens de l'article 107, lorsque la maladie ou l'accident, ou
l'aggravation d'une maladie ou d'un accident antérieur résulte : 2) d'une maladie ou d'un accident
provoqué par une infraction commise par le travailleur et ayant entraîné sa condamnation
définitive ; 3) d'un accident survenu à l'occasion de la pratique d'un sport dangereux, d'un exercice
violent pratiqué au cours ou en vue d'une compétition ou d'une exhibition, sauf lorsque ceux-ci
sont organisés par l'employeur ; 4) d'une maladie ou d'un accident survenu à la suite d'excès de
boisson ou de drogue ; 5) d'une maladie ou d'un accident provoqué par la faute intentionnelle de
l'intéressé ; 6) d'une maladie ou d'un accident survenu à la suite de travaux effectués pour compte
d'un tiers ; 7) des faits de guerre, de troubles ou d'émeutes, sauf si la maladie ou l'accident,
conformément à la définition qui en est donnée par la réglementation sur la sécurité sociale,
survient par le fait ou à l'occasion du travail. »
291
en particulier est aussi tenu à certaines obligations propres. Ainsi, partant de son
obligation générale d’exécution consciencieuse des prestations de travail,694 il « doit
respecter les règlements établis »695 et surtout « s’abstenir de tout ce qui pourrait
nuire soit à sa propre sécurité soit à celle de ses compagnons ou des tiers ».696 Il est
essentiellement question ici de « l’obligation générale de prudence […] à laquelle
tout être humain doit s’astreindre »697 ; ce qui requiert du travailleur une attitude de
clairvoyance et de circonspection en tout état de cause.
De façon plus particulière, les travailleurs du secteur de bâtiment sont tenus
d’observer scrupuleusement toutes les prescriptions et consignes de sécurité
données par l’employeur concernant notamment l’usage des échafaudages et des
appareils de levage et d’utiliser correctement l’équipement de protection personnelle
mis à leur disposition.698
4. Essai d’appréciation de l’exécution des obligations par les personnes
assujetties
Les lignes qui suivent se penchent essentiellement sur les constats
d’(in)exécution par les pouvoirs publics et les employeurs des obligations qui leur
incombent respectivement et dont il a été question aux points précédents.
a) Du degré d’exécution des obligations des pouvoirs publics en matière de santé
et de sécurité au travail
Il résulte de l’analyse de différents rapports sur l’application des
conventions et recommandations publiés par le BIT, dont le plus récent est de
2022699, que la RDC figure parmi les pays qui n’honorent pas l’engagement de
soumission des rapports périodiques sur l’application des normes qu’ils ont
librement ratifiées. Par conséquent, il est quasiment impossible que les données
statistiques sur le nombre et la nature des infractions, le nombre, la nature et les
causes des accidents du travail et des cas de maladies professionnelles dans
l’industrie du bâtiment que la RDC devait indiquer dans chacun de ses rapports
périodiques, soient connues de l’OIT. Et pourtant, « le but du système de contrôle
régulier est de s’assurer que l’État s’acquitte correctement d’obligations qui ne lui
ont pas été imposées unilatéralement, mais qu’il a acceptées simplement parce
qu’elles correspondent à des objectifs qu’il souhaite atteindre ».700 C’est un contrôle
a posteriori très important qui s’inscrit dans la logique d’une garantie additionnelle
Jacqueline MASANGA PHOBA, Droit congolais du travail, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 95.
Art. 50 al. 2 phrase 2 du Code du travail.
696
Art. 51 al. 1er du Code du travail.
697
Dieudonné DIUMI SHUTSHA, Six leçons de droit du travail, Kinshasa/Bruxelles, PLESLA, 2018,
p. 407.
698
Art. 16 al. 2 de la Convention n° 62.
699
OIT, Application des normes internationales du travail, 2022, (I), III (partie 1A), CIT, 110e
session, 2022, p. 95.
700
Isabelle DUPLESSIS, « Raisons d’être et perspectives de l’Organisation internationale du travail
(OIT) à l’aube de son centenaire », Revue générale du droit, vol. 48, n°2, 2018, pp. 391-443 (414).
694
695
292
de la protection assurée aux travailleurs couverts par des conventions. D’ailleurs,
c’est grâce à la soumission des rapports périodiques que le Conseil
d’Administration de l’OIT peut décider d’accompagner les efforts des
gouvernements par des recommandations adaptées à l’évolution de la situation des
travailleurs.
Quant à l’obligation de diffusion des normes, si l’Etat a adopté des
dispositions claires instituant le comité de sécurité, d’hygiène et d’embellissement
des lieux de travail (CSHE)701 dont le rôle consiste notamment à assurer à tous les
travailleurs une éducation appropriée en matière de sécurité, d’hygiène et
d’embellissement des lieux du travail ainsi qu’à élaborer et à mettre en œuvre les
moyens de propagandes et les mesures concernant l’accueil des travailleurs,
l’information et la formation à la prévention des accidents et maladies
professionnelles, il n’en demeure pas moins que le non-respect de l’obligation
constitutionnelle de publication conséquente et de traduction de tous les textes
légaux et réglementaires dans chacune des quatre langues nationales constitue un
morceau de cheveu dans la soupe. Ce manquement de la part des pouvoirs publics
n’est pas de nature à contribuer à la concrétisation du principe « nul n’est censé
ignorer la loi » proclamé à l’article 162 alinéa 1er de la Constitution congolaise du
18 février 2006 et à faciliter à l’employeur l’exécution de son obligation en matière
d’information.
Concernant l’exercice par les Inspecteurs du travail de leurs prérogatives de
contrôle au sein des entreprises et établissements, l’efficacité de leur mission
semble être tributaire de leurs propres conditions de travail. En effet, dépourvus de
moyens appropriés pour exécuter correctement leurs obligations, et placés dans des
conditions économiques précaires avec une rémunération de misère, les inspecteurs
du travail sont exposés à la tentation de fermer les yeux devant les dangers constatés
dans les entreprises visitées, en échange de quelques « avantages » proposés par les
chefs d’entreprises.
Enfin, s’agissant de l’obligation d’adoption des normes régissant la prise en
charge des sinistres survenus en milieux de travail, la configuration actuelle de la
législation congolaise en la matière laisse observer une double injustice qui
nécessiterait des mesures correctives. Premièrement, le législateur tient
l’employeur pour seul responsable de tous les accidents, même de ceux résultant
manifestement du défaut de prévoyance dans la conception et la planification du
plan de construction d’un bâtiment par l’architecte et/ou l’ingénieur chargé de
l’exécution des travaux, sans préjudice du droit de recours contre le tiers fautif.702
Deuxièmement, la référence à la relation de travail entre l’employeur et le
travailleur pour actionner le droit de la victime d’un accident survenu sur un
chantier au bénéfice des prestations prévues à l’article 178 du Code du travail serait
701
702
Cf. art. 3 points 10 et 14 de l’arrêté ministériel n° 12/043/2008 du 8 août 2008.
Art. 182 du Code du travail.
293
de nature à priver les travailleurs indépendants, qui sont de plus en plus nombreux
dans le secteur de construction, de toute protection en la matière. C’est ici le lieu de
déplorer une fois de plus la non-ratification à ce jour de la convention n°167 qui,
pour résoudre ce problème, élargit son champ d’application aux travailleurs
indépendants que chaque législation nationale pourrait désigner.
b) De l’effectivité des mesures prises par les employeurs
S’agissant des employeurs, si la plupart s’efforcent à respecter l’obligation
légale de constitution d’un CSHE dans leurs établissements respectifs, trop peu
seulement semblent exécuter convenablement leur obligation de fournir aux
travailleurs un environnement de travail sain, des objets et équipements appropriés
aux circonstances et à la nature du travail. En effet, il n’est pas rare de voir sur les
chantiers des ouvriers exécutant leur travail sans l’équipement de protection
personnelle approprié,703 transportant à mains nues ou sur la tête des matériaux de
construction d’un poids excessif parce que les appareils de levage font défaut.
De même, du point de vue de la prise en charge des sinistres, certains
travailleurs victimes d’accidents de travail ou de maladies professionnelles sont
abandonnés à leur triste sort à cause de la mauvaise foi de l’employeur qui tend à
se dérober de ses obligations légales et contractuelles, après s’être abstenu
d’immatriculer les travailleurs concernés à la CNSS au moment de leur embauche.
Tout compte fait, en examinant le degré d’exécution, tant par les pouvoirs
publics que par les employeurs, de leurs obligations et/ou engagements en matière
de santé et de sécurité dans l’industrie de construction en RDC, l’on ne peut
s’empêcher de confirmer que les prescriptions conventionnelles et législatives en la
matière peinent à être appliquées de manière effective. Dès lors, il reste à examiner
les moyens dont disposerait un travailleur qui se trouverait devant une situation
présentant vraisemblablement un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.
B. Les droits des travailleurs exposés à un danger grave et imminent au travail
Tout travailleur qui s’estime exposé à des conditions de travail présentant
un danger certain pour sa vie ou sa santé dispose de deux principaux moyens
d’exiger le respect de ses droits : le droit de résiliation immédiate du contrat et le
recours judiciaire.
1. Le droit de résiliation immédiate du contrat de travail pour faute lourde
Conçu comme une faculté pour le salarié, ce droit permet au travailleur qui
estime être victime d’une faute lourde de son employeur de résilier immédiatement
le contrat de travail sans préavis.704 Il en est ainsi lorsque l’employeur manque
gravement aux obligations du contrat, notamment lorsque « la sécurité ou la santé
du travailleur se trouve exposée à des dangers graves qu’il n’a pas pu prévoir au
703
704
Dieudonné DIUMI SHUTSHA, Op. cit., p. 413.
Art. 72 en combinaison avec l’article 73 du Code du travail.
294
moment de la conclusion du contrat ou lorsque sa moralité est en péril » ou encore
lorsque « l’employeur persiste à ne pas appliquer les dispositions légales ou
réglementaires en vigueur […] »,705 en l’occurrence les prescriptions de santé et de
sécurité au travail.
La rupture du contrat de travail intervenue dans ces conditions entraîne la
condamnation de l’employeur fautif au paiement, en faveur du travailleur, des
dommages et intérêts fixés conformément à l’article 63 du code du travail,706 c’està-dire par le tribunal du travail, qui tiendra compte notamment de la nature des
services engagés, de l’ancienneté du travailleur dans l’entreprise, de son âge et des
droits acquis à quelque titre que ce soit, sans toutefois que le montant ne soit
supérieur à 36 mois de sa dernière rémunération.
Au lieu de la résiliation du contrat, laquelle entraîne des conséquences
économiques indésirables pour le salarié, malgré le droit aux dommages et intérêts
qui lui est reconnu, le législateur congolais pourrait aussi de lege ferenda s’inspirer
des solutions prévues dans certaines législations étrangères, notamment celle de la
France, qui instituent le droit de tout travailleur de se retirer d’une situation de travail
périlleuse, c’est-à-dire d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de
penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé, en raison
notamment d’une défectuosité du système de protection, et ce après en avoir alerté
immédiatement l’employeur.707 Ce droit de retrait, exercé légitimement après
l’accomplissement du devoir d’alerte,708 a l’avantage de ne pas mettre fin aux
relations contractuelles et de ne pas priver le travailleur de son droit à la
rémunération ; en tant que tel, il constitue une vraie sanction infligée à l’employeur
qui ne peut ni licencier le travailleur qui en a fait usage,709 ni prendre une quelconque
sanction disciplinaire à son encontre, sans préjudice de la faculté reconnue au chef
d’entreprise d’affecter le travailleur concerné à un autre poste correspondant à sa
qualification professionnelle.710
705
Art. 73 literas c) et e) du Code du travail.
Art. 75 al. 1er du Code du travail.
707
Cf. art. L4131-1 du Code du travail français ; voir aussi les commentaires y relatifs chez Gilles
AUZERO, Dirk BAUGARD et Emmanuel DOCKÈS, Droit du travail, 36e éd., Paris, Dalloz,
2022, pp. 1267-1270.
708
Sur l’obligation de signalement préalable de la situation dangereuse à l’employeur avant l’exercice
par le travailleur concerné de son droit de retrait, voir Soc. 21.01.2009, n° 07-41.935, inédit
(disponible en ligne sur : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000020185202,
consulté le 12.11.2023).
709
Cf. art. L4131-3 du Code du travail français. Voir aussi la jurisprudence constante de la Cour de
cassation française qui considère nul tout « licenciement prononcé par l’employeur pour un motif
lié à l’exercice légitime par le salarié du droit de retrait de son poste de travail dans une situation
de danger », cf. Cass. Soc. 28.01.2009, n°07-44.556, Bull. 2009, V, n °24 ; 25.11.2015, n° 1421.272, Bull. 2016, n° 840, Soc., n° 552.
710
Gilles AUZERO, Dirk BAUGARD et Emmanuel DOCKÈS, Op. cit., p. 1268.
706
295
2. Le recours judiciaire
L’analyse ci-dessus vient de démontrer que le droit à la santé et à la sécurité
au travail est un droit « réclamable » à travers une action en justice dont les contours
sont précisés par la législation. Cependant, une question demeure centrale dont la
difficulté ne peut être éludée : le contrôle juridictionnel permet-il d’assurer
l’effectivité de ce droit dans l’industrie du bâtiment en RDC ?
En effet, alors que la justiciabilité renvoie à une procédure, l’effectivité
renvoie à la propriété d’un droit, la qualité d’une chose susceptible d’être
réclamée,711 mieux à l’achèvement, la finition.712 A en croire Pierre Sargos, « le rôle
du juge dans le concept d’effectivité des droits doit être d’en garantir
l’accomplissement »713 au point qu’il existerait « un nouveau droit fondamental à
vocation transversale [...], un droit à l’effectivité des droits fondamentaux devant
gouverner toutes les normes, fussent-elles de nature technique ».714 Pourtant, l’on a
constaté que si le juge congolais dispose des outils pour assurer l’effectivité de ce
droit dans ce secteur d’activités, son intervention n’est pas automatique, mieux
d’office. Il faut qu’il soit saisi à cet effet.
a) De l’existence d’un contrôle juridictionnel
Le droit à la santé et à la sécurité au travail peut faire l’objet d’un contrôle
juridictionnel en RDC. Ce contrôle est institué par les dispositions combinées des
articles 181 et 182 du Code du travail. En effet, ces articles prévoient
respectivement que l’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires
pour assurer les soins prévus au titre VIII du Code du travail et qu’en cas de maladie
ou accident pouvant engager la responsabilité d’un tiers, l’exercice d’une action
contre le tiers ne dispense pas l’employeur d’exécuter ses obligations.
Par ailleurs, même si le législateur ne donne aucune précision sur celui qu’il
faut qualifier de « tiers » au sens de l’article 182 du Code du travail, nous pensons
que dans le cadre de l’industrie du bâtiment, le mot tiers devait renvoyer à toutes les
personnes impliquées dans la conception ou la planification d’un projet de
construction sans être l’employeur direct du salarié. Ce qui importe plus c’est qu’à
travers ces articles, le législateur ne laisse planer aucun doute sur le caractère
justiciable du droit à la santé et à la sécurité au travail. Les travailleurs victimes
d’accidents de travail ou de maladies professionnelles peuvent, lorsqu’ils estiment
que l’auteur de l’accident ou de la maladie (employeur ou tiers) n’exécute pas
l’obligation d’assurer les soins médicaux nécessaires, saisir le juge pour exiger de
lui la protection nécessaire.
Benoît GRIMOPREZ, De l’exigibilité en droit des contrats, Paris, LGDJ, 2006, p. 4.
Diane ROMAN, Op. cit., paragraphe 48.
713
Pierre SARGOS, « Approche juridictionnelle de l’effectivité des droits sociaux », Justice et
Cassation, 2006, p. 423.
714
Ibidem, p. 430.
711
712
296
b) De la détermination du juge compétent et des modalités du recours
La saisine du juge est un préalable pour que ce dernier arrive à user des
moyens légaux à sa disposition pour sanctionner toute atteinte portée à un droit.
Rappelons qu’en ce qui concerne le contentieux de travail, la saisine du juge n’est
pas aussi automatique. Contrairement à ce qui prévaut en matière civile ou en
matière répressive où le juge peut directement être saisi par les justiciables, en
matière du travail, il y a deux conditions essentielles à remplir. Il s’agit d’une part,
de la soumission préalable du conflit devant l’inspecteur du travail pour
conciliation, et d’autre part de l’établissement par ce dernier d’un procès-verbal de
non-conciliation.
En effet, les articles 25 et 27 de la loi n°016/2002 du 16 octobre 2002 portant
création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail exigent que les
litiges individuels ou collectifs de travail ne soient recevables devant les tribunaux
du travail qu’à la condition d’avoir été préalablement soumis à la procédure de
conciliation à l’initiative de l’une des parties devant l’Inspecteur du travail du
ressort. En d’autres termes, la soumission du conflit pour une conciliation devant
l’Inspecteur du travail du ressort n’est pas seulement le mode préalable de
résolution des litiges en droit du travail, c’est aussi une exigence procédurale sans
laquelle le litige ne peut être reçu devant le juge.
La deuxième condition tient à l’établissement d’un procès-verbal de nonconciliation. Celui-ci intervient à la suite d’un désaccord manifesté par les parties
expressément ou tacitement à travers le refus de répondre à l’invitation, empêchant
ainsi l’Inspecteur à trouver un compromis. Il s’agit du procès-verbal de nonconciliation dans le premier cas, alors que dans le second, on parle plutôt de procèsverbal de carence valant procès-verbal de non-conciliation. Ce procès-verbal est un
document nécessaire en ce qu’il atteste de ce que les parties se sont bel et bien
soumises à la procédure de conciliation devant l’Inspecteur du travail qui n’a pas
réussi à les mettre d’accord.
L’on remarquera que l’absence de ce procès-verbal entraîne logiquement
une fin de non-recevoir de l’action devant le juge du travail.715 Pour être valable et
servir de fondement à l’exploit introductif d’instance, le procès-verbal de nonconciliation doit contenir certaines mentions obligatoires telles que les dates, mois,
l’année etc., sous peine de nullité.716 De même, la compétence étant d’attribution,
le défaut de qualité dans le chef de la personne qui signe le procès-verbal est une
cause d’irrecevabilité du litige individuel ou collectif de travail devant le juge.717
715
C.A Kin, RTA 1748, du 06 aout 1988 ; TGI Kis, RT 1218 du 17 déc. 2004, Manabudi c/ Unicom
Sprl, Recueil LUKOO, p. 201.
716
Cf. C.A Kin/Gombe RTA 3679 du 06/11/1997, M. Manzambi c/Shell, Recueil LUKOO, p. 199.
717
C.A Kin/Gombe, RTA 3900/3931/3932, Bralima CIB c/ Kanyinda.
297
c) Des obstacles à l’exercice du recours judiciaire par les travailleurs
Plusieurs obstacles semblent empêcher les travailleurs congolais en général
et ceux du secteur de bâtiment en particulier d’invoquer utilement devant le juge
compétent leur droit à la santé et à la sécurité au travail et d’obtenir de ce dernier la
protection y afférente.
Déjà, quand on analyse le temps que prend souvent la procédure de
conciliation devant l’Inspecteur du travail du ressort et le marchandage qui se fait
dans le cadre de ces discussions, il n’est pas anodin de se demander si le fait de
subordonner la saisine du juge par le procès-verbal de non-conciliation ne
constituerait pas, en pratique, une passerelle pour pouvoir contourner à tout prix le
contrôle juridictionnel. Ce qui devient finalement un piège dans la mesure où la
plupart des travailleurs, et pas seulement ceux de l’industrie du bâtiment, accusent
trop souvent, à tort ou à raison, l’Inspecteur du travail de jouer à la complicité avec
les employeurs pour retarder la procédure et/ou classer le dossier sans suite. Quand
bien même ces allégations ne seraient pas étayées par des preuves suffisantes, l’on
ne s’empêcherait pas toutefois de questionner l’impact réel de l’Inspection du
travail dans la protection des travailleurs en RDC, lorsqu’à tout moment, ceux-ci
crient au non-respect de leurs droits par les employeurs, surtout dans les entreprises
tenues par des expatriés, principalement des ressortissants asiatiques.
Par ailleurs, le dernier rapport publié par l’Institut national des statistiques
(INS) fait état de plus de 111 travailleurs exposés dans l’industrie du bâtiment pour
la période allant de 2015 à 2019, plus de 23 accidents, dont quatre ont entrainé
l’incapacité permanente de travailleurs et six l’incapacité temporaire.718 Selon le
même rapport, au total 1053 litiges individuels de travail dans l’industrie du
bâtiment et travaux publics ont été enregistrés pour la même période, dont 349
contre 211 ont abouti à une conciliation, 361 ont fait l’objet d’instance et 132
conflits dont le sort n’est pas encore connu à ce jour.719 Il faut tout de même signaler
que l’essentiel de ces litiges portent sur les prestations familiales (274), le salaire
(140), le congé (33), la durée du travail (73), les heures supplémentaires (8) et divers
(142).720
Il est difficile de déterminer si, sous la rubrique « divers », il faut aussi
inclure les litiges portant sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles, en l’occurrence dans l’industrie du bâtiment et travaux publics. A
examiner avec minutie la structure de ce rapport, il y a lieu de douter de l’inclusion
des accidents et maladies sous la rubrique consacrée aux litiges divers. Sinon, les
rédacteurs du rapport n’auraient pas hésité de les mentionner expressément. Il
s’ensuit qu’aucune action ne sera menée devant le juge du travail lorsque déjà au
718
INS, Annuaire statistique RDC 2020. Présentation de la RDC, données démographiques, sociales,
économiques et financières, mars 2021, p. 152, tableaux 234 à 236.
719
Ibidem, p. 150, tableaux 230 et 231.
720
Ibidem.
298
niveau de l’Inspection du travail, aucun litige n’a eu lieu en ce qui concerne la santé
et la sécurité au travail dans l’industrie du bâtiment. A partir de ce constat, il est
donc impossible d’apprécier ex nihilo la contribution du juge congolais dans
l’effectivité de ce droit faute des décisions. Mais cela ne peut nous empêcher non
plus d’interroger ceux que nous pouvons considérer comme parties prenantes (juge
et travailleurs eux-mêmes) sur cette absence des litiges.
Pour les juges des tribunaux du travail interrogés, cette absence serait due
en grande partie à l’ignorance des textes légaux et réglementaires par l’ensemble
des travailleurs en général et particulièrement la catégorie concernée par cette
réflexion. Tout de même, ces juges sont conscients du rôle qu’ils devraient jouer
dans la protection des travailleurs contre les conditions de travail insalubres, mais
ils ne peuvent pas se saisir d’office. Ce qui fait qu’on ne saurait logiquement
s’imaginer ce que serait leur position une fois qu’ils seront saisis des faits.
Devraient-ils pencher vers la justiciabilité ou l’injusticiabilité de ce droit ? Ce serait
précoce de le dire. Nous pensons tout de même qu’ils pourraient osciller entre
audace et frilosité pour protéger ce droit, en se servant utilement des exemples des
autres secteurs, telle que l’industrie extractive où la justiciabilité du droit à la santé
et à la sécurité est presqu’irréversible.
Pour les travailleurs par contre, le défi est énorme. En plus des difficultés
d’accès et de perception des prescrits légaux et réglementaires, on évoque la
pauvreté comme une des raisons sérieuses qui freinent considérablement l’usage du
recours juridictionnel pour la protection de leurs droits en général. La plupart
estiment qu’engager un procès contre son employeur, qui a une position financière
stable, nécessite le recours aux services d’un avocat à qui il faudra payer les
honoraires. Déjà avec des salaires de misère et la lenteur que prend la procédure
judiciaire en RDC, il est difficile de trouver l’équilibre pour répondre
favorablement à toutes les exigences. Par conséquent, les travailleurs ont le choix
entre accepter l’arrangement unilatéral proposé par l’employeur, et s’en remettre à
son bon vouloir, le tout dans un contexte de chômage généralisé.
Conclusion
Le problème de l’effectivité des droits proclamés reste entièrement lié aux
techniques et procédures de leur revendication.721 La justiciabilité paraît alors cette
voie grâce à laquelle le juge intervient personnellement pour contrôler l’effectivité
dans l’exercice d’un droit. Véritable sentinelle en dernier ressort, elle permet de
sanctionner toute atteinte à un droit et, le cas échéant, d’obtenir du juge la
satisfaction individuelle soit en nature, soit par compensation au titre de dommagesintérêts. Encore que les normes qui consacrent ce droit soient clairement posées et
ne comportent pas des zones d’ombre capables de flouer les obligations
correspondantes.
721
G. GURUITCH, La déclaration des droits sociaux, Paris, Dalloz, 1946, p. 42.
299
Mais pour y parvenir, le travailleur devrait braver la « peur » pour aller
devant le juge en commençant bien évidemment par l’Inspecteur du travail du
ressort. Le dialogue social étant le socle dans le règlement des conflits de travail,
les parties peuvent certes aboutir à un compromis devant l’Inspecteur du travail
pour mettre fin à leur litige. L’implication du juge se révèle toutefois nécessaire
lorsque l’employeur ou toute personne tenue de garantir les conditions de santé et
sécurité au travail ne le fait pas ou ne peut pas non plus assurer les soins de santé
au travailleur en cas d’accident ou de maladie. Dans ce cas, le juge vient user de la
contrainte pour faire respecter le droit attenté.
Ainsi à l’ère où le droit à un milieu de travail sûr et salubre est élevé au rang
des droits fondamentaux au travail, le défi pour le Gouvernement congolais reste la
ratification des Conventions fondamentales sur la santé et la sécurité des travailleurs
ainsi que celle technique sur la santé et la sécurité dans la construction. Ces actions
devraient être suivies de l’adoption par le Parlement national d’une législation
particulière sous forme de « Code de construction ». Et pour servir le peuple pour
lequel ce Code aura été adopté, il va falloir qu’il soit mis à la connaissance des
destinataires à travers le mécanisme constitutionnel de publication et de diffusion.
De même, les organisations syndicales, en tant que « prolongement de la
puissance publique intervenant dans l’entreprise », sont invitées à quitter le bateau
sélectif des droits à défendre et de se saisir de la santé et sécurité des travailleurs en
général comme nouvel enjeu de négociation en RDC. Elles devront désormais
démontrer leur capacité à outiller les salariés des atouts nécessaires relatifs à un
milieu de travail sûr et salubre. Porteuses de la solidarité des classes, elles devraient
contribuer à élever les garanties sociales au-dessus des volontés entrepreneuriales
de chaque entreprise.
Enfin, l’Inspection du travail devrait, quelles que soient les conditions de
travail dans lesquelles elle travaille, poser des actes qui encouragent et rassurent les
travailleurs de la ferme intention de l’administration à faire respecter les
dispositions légales et réglementaires sur les conditions minimales de travail. Ceci
créerait et solidifierait un climat de confiance entre administration et salariés hors
de tout soupçon de passivité aux violations de leurs droits, gage de la justiciabilité
et surtout de bonne administration de la justice qui va avec.
*
*
*
300
Le juge congolais face au règlement des litiges individuels
du travail*
Par :
Elie KAKO KANU
Diplômé en droit économique et social à
l’Université Catholique du Congo
Chercheur en droit social
Resumé
La présente étude sur l’intervention du juge en matière de règlement des conflits
individuels du travail en droit congolais s’est inscrite dans une logique de démonstration du
rôle de la justice dans la mise en œuvre effective de la législation sur le travail. L’Etat de
droit nécessite des mécanismes appropriés afin d’éviter l’arbitraire.
En effet, sans un pouvoir judiciaire indépendant et responsable, il paraît difficile
d’instaurer un Etat de droit démocratique et respectueux des droits fondamentaux de tous les
citoyens, et dans le cas d’espèce les droits des travailleurs.
Ainsi, le simple fait d’édicter les normes ne garantit pas leur effectivité, et il est
nécessaire de les accompagner des mesures d’application, d’un contrôle effectif et des
sanctions adaptées contre les éventuelles violations.
Mots-clés : litiges individuels – juridictions du travail – employeur – salarié – contrat de
travail.
Abstract
The present study on the intervention of the judge in the settlement of individual labour
disputes under Congolese law was part of a logic of demonstrating the role of the judiciary
in the effective implementation of labour legislation. The rule of law requires appropriate
mechanisms to avoid arbitrariness.
Indeed, without an independent and accountable judiciary, it seems difficult to establish a
democratic State governed by the rule of law that respects the fundamental rights of all
citizens, and in this case the rights of workers.
Thus, the mere fact of enacting standards does not guarantee their effectiveness, and it is
necessary to accompany them with enforcement measures, effective control and appropriate
sanctions against possible violations.
Keywords: individual disputes – labour courts – employer – employee – employment
contract.
*
Cet article a été préparé dans le cadre du programme d’immersion scientifique du bureau pays de la
Friedrich Ebert Stiftung (Fondation Friedrich Ebert) en République Démocratique du Congo.
L’auteur remercie sincèrement Monsieur Manuel Wollschläger, Représentant résident de la
Fondation susmentionnée, ainsi que Madame Ruth Zinga, Chargée de programme, pour leur
soutien.
301
Plan sommaire
Introduction
I.
Regard sur les litiges individuels du travail
A. Essai de compréhension de la notion de litige individuel de travail
B. Situations ou faits susceptibles de déclencher un litige individuel du travail
C. Règlement du contentieux
II.
Intervention du juge dans le contentieux du travail
A. Organisation et compétences des juridictions du travail
B. Analyse des quelques décisions judiciaires
Conclusion
…………………………………………………………………………
Introduction
Le droit du travail722 est perçu comme un droit qui régit les activités
professionnelles accomplies dans un état de dépendance à l’égard d’autrui. De ce
constat fondamental découle bien des spécificités qui marquent de leur empreinte le
droit du travail par rapport aux autres branches du droit723. En effet, alors que dans
d’autres disciplines la situation du titulaire des droits est identifiée du seul point de
vue patrimonial, le droit du travail définit son domaine d’application sur la base de
critères diversifiés724. Le travailleur dépendant, au sens du droit du travail, n’est pas
seulement celui dont les ressources sont tirées d’une activité professionnelle fournie
par une autre personne. Il est également un travailleur sur lequel s’exerce un pouvoir
en vue de la bonne réalisation de l’activité donnée.
Par conséquent, il peut être affirmé que le droit du travail dans son ensemble
légitime l’exercice d’un pouvoir sur autrui et organise les conditions de celui-ci. Il
constitue un ensemble des règles dont l’objet est de garantir la protection du
travailleur dépendant en société. Ce caractère protecteur du droit du travail est
observé immédiatement de la nature fondamentalement déséquilibrée de la relation
du travail qui s’établit entre l’employeur et le travailleur. Ceci explique que la règle
du travail crée des droits réservés au seul usage du travailleur, ou dont la sanction ne
peut être mise en œuvre qu’à l’initiative de ce dernier. L’objectif de protection
assigné au droit du travail explique aussi que ses règles sont, le plus souvent, le
résultat d’un rapport de force au sein même de la société. Or, pour être à mesure de
faire valoir leurs droits dans ce rapport de force avec leurs employeurs, les
travailleurs devraient avoir accès aux normes pertinentes en matière de travail dans
722
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Constitution de la République Démocratique
du Congo, telle que révisée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de la
Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, Article 122.
723
F. DUQUESNE, Droit du travail, Paris, Lextenso, 2016, p. 21.
724
Ibidem.
302
le pays concerné, y compris leur interprétation par les juridictions compétentes, et
les maîtriser.
Malheureusement, le constat sur le terrain révèle une ignorance dangereuse
de la législation sur le travail par ceux-là même qu’elle est censée protéger. Si l’accès
aux sources de droit peut être présenté comme l’une des raisons justifiant cette
ignorance, l’intelligibilité de la loi constituerait aussi un obstacle majeur : beaucoup
ne la comprennent pas, parce qu’écrite en français, langue officielle que peu
maitrisent dans l’un des pays où l’analphabétisme est endémique725. Encore plus
inintelligible est la langue du droit. L’insuffisante vulgarisation des textes est un
obstacle à leur application. Et quand bien même le salarié serait conscient de ses
droits, reste prégnante une certaine déférence vis-à-vis de l’employeur qui n’incite
guère à réclamer le bénéfice de ceux-ci.
Ce pourrait être le rôle de l’administration que de veiller au respect du droit.
Mais elle n’a pas les moyens du rôle que lui octroie la loi. Il existe bel et bien une
inspection du travail726, comme l’exigent les conventions internationales ratifiées727.
Elle se voit reconnaître des compétences voisines dans les grandes lignes de celles
que l’on connaît ailleurs, outre un rôle spécifique de conciliation préalable à la
saisine des tribunaux. Mais la réalité est celle d’une administration difficilement en
capacité d’exercer la mission de contrôle du respect de la réglementation. Dans ces
conditions, le recours au juge du travail se présente comme le dernier rempart qui
permettrait au droit de retrouver une emprise sur les rapports de travail subordonné.
A lire les décisions de justice rendues ces dernières années728, le contentieux du
travail paraît de prime abord abondant, ce que confirme la lecture des rôles
d’audience de ces mêmes juridictions. Les salariés du secteur formel saisissent le
juge du travail pour principalement contester leur licenciement et les salariés du
secteur informel, pour demander la reconnaissance d’un contrat de travail et que le
juge en tire toutes les conséquences sur le plan salarial, indemnitaire et de la sécurité
L. GAMET, Le droit du travail ivoirien, Paris, L’Harmattan, 2018, p. 17.
P. AUVERGNON, S. LAVIOLETTE ET M. OUMAROU, Les fonctions assurées par des
inspecteurs et des contrôleurs du travail dans le système d’administration du travail en Afrique
francophone subsaharienne, BIT, novembre 2007.
727
Il s’agit des quelques conventions ratifiées par la RDC dès son adhésion à l’OIT : convention n°81
sur l’inspection du travail, de 1947 ratifiée le 19/04/1960 ; la convention n°64 sur les contrats de
travail de 1939, ratifiée le 20/09/1960 ; la convention n°87 sur la liberté syndicale et la protection
du droit syndical de 1948 ratifiée le 20/06/1960 ; la convention n°94 sur les clauses du travail
(contrats publics), de 1949 ratifiée le 20/06/1960, la convention n°100 du 29 juillet 1951 etc.
Disponible
sur
https://www.africaefuture.org/files/fnc/Liste%20des%20Conventions%20Internationales%20du
%20travail%20ratifiees%20par%20la%20RDC.pdf (consulté le 24 décembre 2023 à 16h19).
728
Voir à titre d’exemples : Cour d’Appel de MATADI, matière du travail, degré d’appel, audience
publique du 14 mars 2003 ; ARRET RTA 467, Cour d’Appel de MATADI, matière du travail,
degré d’appel, audience publique du 10 mars 2004 ; ARRET RTA 256, Cour d’Appel de MBUJI
MAYI, matière du travail, audience publique du 31 octobre 2008 ; ARRET RTA 301/OPP/272,
Cour d’Appel de MBUJI MAYI, matière du travail, audience publique du 03 aout 2010, etc…
725
726
303
sociale. Cependant, de façon empirique, il semble que, rapporté au nombre de
travailleurs employés dans le secteur informel ou dont les droits sont méconnus, le
contentieux reste marginal.
Ainsi, la principale question de recherche sur laquelle se penche cette étude
tourne autour de la problématique de l’intervention du juge dans le règlement des
litiges individuels du travail et de sa contribution au maintien de la paix sociale
durable en milieux professionnels.
Pour répondre à cette question, nous avons recouru à la fois à la méthode
exégétique et à la méthode empirique. La première nous a aidé dans l’interprétation
des textes légaux et réglementaires en vue d’en ressortir le sens ou la volonté du
législateur, au-delà de ce qui est écrit. En revanche, la seconde, basée sur
l’observation des faits, leur expérimentation et leur évaluation, nous a permis de nous
rendre compte de l’effectivité des règles de droit régissant le contentieux en matière
du travail et de l’état d’application des décisions administratives et/ou judiciaires qui
en découlent.
Ainsi, avant de pencher sur l’intervention du juge congolais dans le règlement
des litiges individuels du travail (II), il sied de commencer d’abord par présenter la
notion de « litige individuel de travail », y compris les différentes situations qui en
seraient la cause.
I. Regard sur les litiges individuels du travail
Le conflit individuel est un différend à propos du contrat individuel de travail
depuis sa formation jusqu’à sa cessation. Il peut donc résulter de différentes
situations au cours du cycle de vie du contrat de travail.
A. Essai de compréhension de la notion de litige individuel de travail
Le litige individuel du travail, est perçu comme étant tout conflit survenu
entre un travailleur et son employeur dans l’exécution du contrat de travail,
d’apprentissage, d’une convention collective, ou en général, de la législation et de la
réglementation du travail et de la prévoyance sociale. Les litiges individuels du
travail opposent en effet, un ou plusieurs travailleurs à l’employeur au sujet du
respect, par celui-ci, d’une disposition contractuelle ou légale dont la violation est
généralement sanctionnée par les juridictions spécialisées en matière du travail729.
Ils demeurent individuels même lorsque plusieurs salariés licenciés ont agi en justice
dans un même dossier et par le même avocat, chaque salarié ayant été licencié
individuellement730.
729
730
J. MASANGA PHOBA, Droit congolais du travail, Paris, l’Harmattan, 2016, p.201.
J.M. KUMBU, Droit du travail et de la sécurité sociale, 4ème éd., Kinshasa, I.A.D.H.D., 2020,
p.87.
304
Cependant, il apparait impérieux d’établir une démarcation entre la notion du
conflit individuel du travail et celle du conflit collectif du travail qui sont, d’un point
de vue général, tous des contentieux liés au travail et souvent sujets à confusion.
Toutefois, le conflit collectif du travail se distingue du conflit individuel du travail
en ce qu’il renvoie au conflit survenu entre un ou plusieurs employeurs d’une part et
un certain nombre de membres de leur personnel d’autre part, au sujet des
conditions de travail lorsqu’il est de nature à compromettre le bon fonctionnement
de l’entreprise.731
Partant de cette disposition, nous pouvons fidèlement établir la démarcation
entre ces deux notions : la première concernant individuellement l’exécution ou
l’inexécution du contrat de travail au motif personnel et la seconde touchant aux
intérêts d’un groupe des travailleurs au sujet des conditions de travail et qu’il est
susceptible de provoquer le désordre au sein de l’entreprise.
B. Situations ou faits susceptibles de déclencher un litige individuel du travail
Lors de l’exécution du contrat de travail, les parties sont liées par leurs
obligations réciproques. L’inobservation ou manquement grave ou léger de l’une
d’elles peut susciter le besoin de désengagement vis-à-vis de l’autre ouvrant ainsi la
voie à la démission, un licenciement ou une rupture conventionnelle pour des
multiples raisons (force majeure, inaptitude du salarié, abandon de poste, faute
lourde, etc…). Pour mieux circonscrire les différents cas qui seraient susceptibles
d’engendrer les conflits individuels du travail, nous allons tenter de passer en revue
les obligations des parties au contrat de travail et les modes de cessation des relations
contractuelles.
1. Des obligations réciproques des parties au contrat du travail
Le contrat de travail fait naitre à charge des parties des obligations
réciproques pour lesquelles il existe une interdépendance étroite justifiant
notamment le recours à l’inexécution lorsque l’autre partie ne s’exécute pas et
confère aux parties des obligations propres au regard de l’inégalité existant entre
elles732.
a) Obligation du salarié
Soulignons ici que l’obligation principale du salarié est d’exécuter la
prestation de travail dans les conditions telles que convenues avec l’employeur et ce,
sous l’autorité ou la direction de celui-ci. Cette exécution doit être personnelle,
consciencieuse et loyale.
En clair, le salarié a l’obligation d’exécuter personnellement son travail dans
les conditions, au temps et au lieu convenus. Il n’a pas le droit de se faire substituer
731
Art. 303 de la loi n°015/2002 du 16 octobre 2002 portant code du travail telle que modifiée et
complétée par la loi n°16/010 du 15 juillet 2016.
732
J. MASANGA PHOBA, Op.cit., p.95.
305
par une personne de son choix pour l’exécution de la prestation de travail à laquelle
il s’était engagé. Il doit en outre accorder à son travail le plus grand soin possible et
éviter de poser des actes susceptibles de porter atteinte aux intérêts de son employeur.
Enfin, il est tenu à l’obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur et ce, tant en
cours d’exécution du contrat de travail qu’à la fin dudit contrat. Dans les deux cas,
le salarié est tenu de ne pas divulguer les informations pertinentes mises à sa
disposition par le secret professionnel même en dehors de l’entreprise.
b) Les obligations de l’employeur
Le droit du travail, droit d’inégalité, est prévu avant tout pour assurer la
protection du salarié subordonné. Mais il responsabilise aussi l’employeur pour toute
faute par lui commise. De ce fait, l’employeur doit procurer le travail dans les
conditions prévues par le contrat, préserver la personne du salarié qu’il s’agisse de
sa santé, de sa personnalité, de sa moralité et de sa dignité, assurer le transport des
travailleurs de leurs résidences au lieu du travail et vice-versa, verser le salaire et les
accessoires convenus, etc.
2. De la cessation des relations contractuelles
Les relations contractuelles en matière de travail peuvent cesser de plusieurs
manières. En effet, il existe les modes de cessation qui sont communs à tous les types
de contrat de travail, alors que d’autres sont spécifiques soit au contrat de travail à
durée déterminée (CDD), soit au contrat de travail à durée indéterminée (CDI).
Ainsi, parmi les modes communs à tous les types de contrat de travail figurent
le décès du salarié, la rupture par consentement mutuel des parties (art. 61bis CT), la
force majeure, lorsque le fait la caractérisant rend définitivement impossible
l’exécution du contrat733 et que cette cause est régulièrement constatée par
l’inspecteur du travail, et la faute lourde de l’une des parties.
En revanche, sans préjudice de ce qui est dit supra, le CDD ne peut être résilié
qu’à l’expiration normale du contrat, c’est-à-dire à l’arrivée du terme (art. 69). C’est
que toute rupture anticipée du CDD serait fautive à condition qu’elle soit justifiée
par une faute lourde des parties.
Enfin, s’agissant du CDI, il peut prendre fin par la volonté d’une des parties
au contrat et cela pour deux motifs : sauvegarder la liberté individuelle et assurer la
mobilité nécessaire de la main d’œuvre pour l’entreprise. La faculté de résiliation est
d’ordre public. Elle instaure une inégalité entre les parties car derrière l’unité
théorique du droit de résiliation unilatérale apparaissent deux réalités distinctes : la
démission et le licenciement734. C’est la rupture du CDI à l’initiative de l’employeur,
qui doit indiquer les motifs.
733
734
F. LEFEBVRE, Droit du travail, sécurité sociale, Mémento pratique, social 1991, n°2675.
J.M. KUMBU, Op.cit., p.69.
306
Les conflits individuels du travail nés à l’occasion de la survenance de l’une
ou l’autre situations passées en revue dans les pages précédentes doivent être réglés
conformément à la loi.
C. Règlement du contentieux
On distingue deux techniques des solutions des conflits individuels du
travail : la technique professionnelle et celle judiciaire. La première est beaucoup
plus pratiquée dans les pays anglo-saxons où le litige est pris en main par
l’organisation syndicale ouvrière et résolu à un échelon quelconque par voie de
conciliation dans un cadre purement professionnel. Et la seconde est plus pratiquée
dans les pays francophones, cas de la République Démocratique du Congo ; le salarié
recourt à un juge de droit commun ou au juge du travail afin de soumettre le conflit
l’opposant à son employeur.
Le législateur congolais prévoit le règlement des litiges individuels en deux
phases, à savoir la phase administrative et la phase juridictionnelle. Etant donné que
la seconde phase fera l’objet de la deuxième partie de cette étude, il convient à ce
niveau de se limiter à la présentation de la procédure administrative. Celle-ci revêt
un double caractère : obligatoire et préalable.
En effet, la procédure de conciliation devant l’inspecteur du travail en vue du
règlement d’un litige individuel du travail est obligatoire car la partie intéressée ne
peut y déroger. Elle est ensuite préalable pour la simple raison que le tribunal du
travail ne peut se déclarer saisi par une partie sans que celle-ci ait d’abord
entièrement épuisé la procédure de conciliation devant l’inspecteur du travail de son
ressort735.
Lorsque l’inspecteur du travail est saisi d’un litige individuel du travail, il
dresse, avec accusé de réception ou par pli recommandé, une invitation à comparaitre
en séance de conciliation dans la quinzaine736. En aucun cas, l’invitation ne peut
obliger l’une des parties à se présenter dans moins de trois jours.
En l’absence ou en cas d’échec du règlement amiable du litige qui oppose le
salarié à l’employeur, il est dressé un procès-verbal de non-conciliation. C’est ce qui
est prévu par le code du travail lequel dispose « …l’inspecteur du travail établit un
procès-verbal constatant la conciliation ou la non conciliation737… ». Parmi les
motifs pouvant occasionner l’échec de la conciliation, il y a le refus catégorique de
l’employeur de réintégrer le salarié, le refus par celui-ci d’accepter les sommes lui
proposées, surtout du fait de la complaisance de certains inspecteurs du travail.
735
J. MASANGA PHOBA, Op.cit., p. 202.
Article 300 al.1 de la loi n°015/2002, préc.
737
Article 300 al. 5 du code du travail.
736
307
II. Intervention du juge dans le contentieux du travail
L’élaboration et le contrôle de l’application de la réglementation du travail
sont assurés par les institutions administratives. Le soin de trancher des contestations
qui peuvent naître de cette application ou inapplication est confié à des juridictions
spécialisées, en l’occurrence les juridictions du travail, qui sont composées de
magistrats ordinaires (magistrats de carrière et assesseurs). Naturellement, d’autres
juridictions peuvent intervenir dans l’application de la réglementation sociale,
notamment les juridictions pénales, qui sont chargées de la répression de la violation
des dispositions législatives et réglementaires d’ordre public ayant un caractère de
contravention, de délit ou de crime. Mais il revient aux juridictions du travail de
connaître des litiges entre employeurs et travailleurs subordonnés. Le tribunal du
travail est une juridiction d’exception par rapport au Tribunal de Grande Instance qui
est le juge de droit commun chargé de connaître au premier degré certains conflits
de droit commun. Au deuxième degré, c’est-à-dire en appel, la juridiction du travail
perd son caractère de juridiction d’exception, du point de vue de sa composition, sauf
en ce qui concerne la connaissance de différends collectifs par la procédure de
l’arbitrage.
A. Organisation et compétences des juridictions du travail
L’organisation et la compétence des juridictions du travail sont déterminées
par le législateur dans la loi n° 016/2002 du 16 octobre 2002 portant création,
organisation et fonctionnement des tribunaux du travail.
1. De l’organisation judiciaire
Suivant l’article 3 alinéa 2 de la loi n°016/2002 du 16 octobre 2002 portant
création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail, le juge congolais
du travail est nommé par le Ministre ayant le travail et la prévoyance sociale dans
ses attributions, parmi les juges du Tribunal de Grande Instance du ressort. Les juges
assesseurs sont désignés pour un mandant de deux ans sur proposition des
organisations professionnelles des employeurs et des travailleurs.
En outre, il s’avère important de souligner deux choses :
- La première, le ressort du travail de travail couvre celui du tribunal de grande
instance dans lequel il a son siège ;
- La seconde, à défaut d’installation des tribunaux de travail dans certains ressorts,
les juridictions de droit commun sont réputées compétentes pour connaitre des litiges
individuels du travail.
2. De la compétence
Lors d’un conflit individuel du travail, la question de la compétence du
tribunal du travail parait aussi primordiale que celle de la conciliation préalable
engagée devant l’inspecteur du travail. Les tribunaux du travail créés par la loi de
2002 sont compétents pour connaitre de tous les litiges individuels survenus entre le
308
travailleur et son employeur à l’occasion du contrat de travail, des conventions
collectives ou de la législation et de la réglementation du travail. Ces mêmes
tribunaux sont également compétents pour connaitre des conflits collectifs du travail
survenu entre un ou plusieurs employeurs d’une part, et un certain nombre de
membres de leurs personnels d’autre part, au sujet de conditions du travail lorsqu’ils
sont de nature à compromettre le bon fonctionnement de l’entreprise.
Le tribunal compétent est celui du lieu du travail sauf accord international
contraire. Toutefois, lorsque la force majeure ou par le fait de l’employeur, le
travailleur se retrouve au lieu ou au siège de l’entreprise, le tribunal de ce lieu devient
par conséquent compétent. Cette disposition a été influencée par la jurisprudence qui
reconnaissait, avant cette loi que le tribunal du lieu du siège de l’entreprise était
compétent dès lors que le travailleur avait été forcé de quitter le lieu du travail après
résiliation de son contrat pour regagner le lieu d’engagement ou lorsque l’agent se
trouve au lieu du siège pour une enquête sur les faits, qui lui sont reprochés pendant
qu’il s’y trouve en mission738.
S’agissant des décisions de justice rendues, les tribunaux du travail
connaissent de l’exécution de toutes les décisions rendues en matière du travail, et
toutes les contestations élevées sur l’exécution des jugements en matière du travail
du lieu où l’exécution se poursuit739. Ils connaissent également de l’exécution et de
la rectification de toutes les décisions rendues par eux. Les décisions des juridictions
étrangères prises en matière du travail sont rendues exécutoires par les tribunaux du
travail pour autant qu’elles réunissent les conditions de l’exéquatur prévues à
l’article 117 du code de l’organisation, compétences et fonctionnement des
juridictions de l’ordre judiciaire.
3. De la procédure
Les litiges individuels du travail ne sont recevables devant les tribunaux de
travail qu’à condition qu’ils soient préalablement soumis à la procédure de
conciliation préalable à l’initiative de l’une des parties devant l’inspecteur du travail.
Le tribunal du travail est saisi par une requête écrite ou verbale du demandeur
ou de son conseil. La requête écrite est datée et signée par son auteur et déposée entre
les mains du greffier qui en accuse réception740. Tandis que la requête est actée par
le greffier et signée conjointement par lui et le déclarant. Le procès-verbal de nonconciliation ou de conciliation partielle dressé par l’inspecteur du travail du ressort
doit être obligatoirement joint à la requête. Dans les huit jours à dater de la requête,
le président de la juridiction fixe l’audience à laquelle l’affaire sera examinée et
désigne les juges assesseurs qui seront appelé à siéger.
738
Article 17 al.1 du code du travail.
Article 17 al.1 du code du travail.
740
J. MASANGA PHOBA, Op.cit., p.206.
739
309
Après avoir présenté succinctement l’organisation et la compétence des
juridictions du travail, nous allons dans les développements qui suivent analyser
quelques décisions judiciaires choisies.
B. Analyse des quelques décisions judiciaires
Il sera essentiellement question pour chaque décision à analyser de présenter
brièvement l’objet du litige, les prétentions des parties et la motivation du juge avant
de faire une appréciation.
1. Tribunal du travail de Kinshasa/Gombe, affaire RT 03174
a) L’objet du litige
Dans ce jugement, l’objet du litige porte sur le licenciement pour faute lourde
des six salariés de la société PREMIER GAMING Sarl. En effet, ayant remarqué que
plusieurs personnes tenaient un ticket gagnant de 20.000.000 francs congolais,
l’employeur (ici : partie défenderesse) a saisi la police pour qu’une enquête soit
diligentée aux fins de mettre la main sur l’auteur de cette tricherie. A la suite des
enquêtes ouvertes à la police, tous les demandeurs seront conviés à une réunion par
la défenderesse en date du 16 novembre 2019 et qu’en date du 18 novembre 2019,
ils recevront tous une demande d’explication de la part de la défenderesse pour refus
de se mettre à la disposition de la hiérarchie en vue de faciliter l’enquête en cours au
niveau de la police aux fins d’identifier le « maintenancier Y » qui serait à la base de
l’émission de plusieurs tickets frauduleux.
Après les demandes d’explication leur données par la défenderesse,
lesquelles ont été suivies de leur suspension pour raison d’enquête, la défenderesse
résiliera sans préavis leurs contrats de travail en date du 22 novembre 2019 après la
levée de leur suspension intervenue le 21 novembre 2019. Estimant que la rupture
de leurs contrats de travail telle qu’opérée par la défenderesse était abusive car
dépourvue de motif valable, chacun des demandeurs saisira l’inspecteur urbain du
travail en conciliation et qu’à son tour, s’étant rendu compte de l’impossibilité de
concilier les parties suite au refus de comparaître de la défenderesse, l’Inspecteur
urbain du Travail dressera en date du 20 avril 2020, les procès-verbaux de carence
valant non-conciliation du litige individuel du travail.
b) Les prétentions des parties
Les demandeurs reprochent à la société PREMIER GAMING Sarl d’avoir
résilié de manière abusive et sans préavis leurs contrats de travail pour des faits qui,
pour eux, étaient non fondés, mais qualifiés de faute lourde par l’employeur. Aussi
sollicitent-ils du tribunal de céans de dire leur requête recevable et totalement fondée,
de dire abusive la résiliation de leurs contrats de travail advenue au tort de la
défenderesse, de constater le refus de paiement de l’indemnité pour non observation
de préavis dans le chef de la défenderesse et de la condamner en conséquence au
paiement au profit de chacun d’eux de l’équivalent en francs congolais des sommes
ci-après : 500.000 dollars américains à titre de dommages-intérêts pour préjudices
subis et 200.000 dollars américains à titre d’indemnité pour inobservance de préavis
310
et, enfin, de revêtir le jugement à intervenir de la clause exécutoire nonobstant tout
recours.
La partie défenderesse, quant à elle, soutient quant à la forme l’irrecevabilité
de la présente action des demandeurs pour non-respect de la procédure de règlement
des conflits collectifs du travail et qu’en effet, argue-t-elle, le fait qui l’opposait aux
demandeurs constituerait un conflit collectif du travail dans la mesure où, en plus du
nombre de travailleurs concernés, il y a aussi la condition du lieu d’exercice de travail
qui est mise en cause. Par conséquent, les parties auraient d’abord dû épuiser tous
les moyens pacifiques de règlement de ce type des conflits de travail, en l’occurrence
la conciliation devant l’inspecteur du travail du ressort et, en cas d’échec de cette
première tentative, la médiation. N’ayant pas suivi la procédure sus invoquée, les
demandeurs ne devraient donc pas être reçus par devant le tribunal de céans.
En réaction à ces allégations de la défenderesse, les demandeurs soutiennent
que les faits en cause ne constituent pas un conflit collectif du travail, mais plutôt
des litiges individuels du travail. En effet, le litige porte sur le caractère abusif de
leur licenciement individuel et non pas sur les conditions de leur travail. Partant, le
tribunal de céans devrait dire non fondée l’exception tendant à l’irrecevabilité de leur
action soulevée par la défenderesse pour non-respect de la procédure relative aux
conflits collectifs du travail.
Quant au fond, les demandeurs soutiennent que le tribunal de céans ne devrait
pas avoir égard au procès-verbal de conciliation partiel établi par l’inspecteur général
du travail produit par la défenderesse dès lors qu’il y a un procès-verbal de carence
valant non-conciliation établi par l’inspecteur du ressort. Que par contre,
poursuivent-ils, si par impossible le tribunal arrivait à considérer le procès-verbal de
conciliation établi par l’inspecteur général du travail, il devra constater qu’il s’agit
d’un règlement partiel du litige, lequel justifie la saisine de l’inspecteur du ressort
pour les prétentions non résolues. Par ailleurs, enchaînent-ils, le tribunal devra
également constater que toutes les prétentions dont il est saisi ont été soumises en
conciliation devant l’inspecteur du travail du ressort et qu’une brèche a même été
laissée pour d’autres prétentions à compléter en cours d’instance. Et s’agissant de la
résiliation abusive de leur contrat de travail, ils allèguent que la défenderesse a mis
fin à leurs contrats de travail sans pour autant justifier d’une faute lourde dans leur
chef et que l’insubordination vantée par la défenderesse pour justifier la résiliation
pour faute lourde de leurs contrats de travail n’en est pas une, car le fait pour eux
d’exiger de la défenderesse l’acte les invitant à répondre à la police avant leur
présentation devant cette dernière ne constitue pas une faute lourde prévue à l’article
72 du Code du travail.
En sus de l’absence de faute lourde dans leur chef, avancent-ils, la rupture de
leurs contrats de travail a été opérée au-delà de deux jours ouvrables prévus à l’article
72 du Code du travail, en ce que pour des demandes d’explication leur données le 18
novembre 2019, la défenderesse a mis fin à leurs contrats le 22 novembre 2019 soit
quatre jours après avoir eu connaissance des faits leur reprochés.
311
Pour sa part, la défenderesse soutient le non fondement de la présente action
des demandeurs dès lors que le motif de leur licenciement, en l’occurrence
l’insubordination, est fondé et que, pour avoir déjà perçu leurs décomptes finals, les
demandeurs ne sont plus fondés à les lui réclamer. Qu’à l’appui de ses allégations,
elle produit les procès-verbaux de conciliation attestant le paiement des décomptes
finals des demandeurs. Fort de ce qui précède, elle sollicite du tribunal de céans de
dire non fondée la présente action des demandeurs.
c) La motivation du Juge
Ayant entendu toutes les parties au cours d’un débat contradictoire, le juge
examina l’exception tendant à l’irrecevabilité de la présente action des demandeurs
soulevée par la défenderesse pour non-respect de la procédure relative au conflit
collectif de travail, la déclara recevable mais non fondée.
En effet, l’article 303 du Code du travail définit le conflit collectif du travail
comme tout conflit survenu entre un ou plusieurs employeurs d’une part, et un certain
nombre de membres de leur personnel d’autre part, portant sur les conditions de
travail, lorsqu’il est de nature à compromettre la bonne marche de l’entreprise ou la
paix sociale. Or, le tribunal relève en l’espèce qu’il ne s’agit aucunement d’un conflit
survenu entre la défenderesse et les demandeurs et lequel a pour objet les conditions
de travail de ces derniers mais il s’agit plutôt d’un litige qui porte sur les contrats de
travail des demandeurs. Il rappelle que la distinction entre le conflit collectif du
travail et le litige individuel du travail porte surtout sur leur objet ; alors que le conflit
collectif porte sur les conditions de travail, le litige individuel du travail porte sur le
contrat de travail (sa conclusion, sa résolution, ses clauses et sur tout ce qui y
rattache). Attendu que les demandeurs ayant chacun saisi individuellement
l’inspecteur du travail en conciliation et formulé de façon individuelle leurs
prétentions dans leur requête introductive d’instance, le tribunal relève qu’il s’agit
bel et bien dans la présente cause d’un litige individuel du travail et non pas d’un
conflit collectif du travail.
Quant au fond, le tribunal de céans reçut l’action des demandeurs, mais la
déclara également non fondée, considérant que leur licenciement avait été opéré dans
le respect des dispositions de l’article 72 du Code du travail. Après avoir rappelé la
notion de faute lourde ainsi que le droit de résiliation immédiate du contrat de travail
pour ce motif, le tribunal relève en l’espèce que la résiliation des contrats des
demandeurs est motivée par leur insubordination résultant de leur refus d’obéir aux
instructions de la défenderesse leur données à travers son Directeur Administratif qui
consistait à l’arrêt de travail de maintenance et à leur collaboration avec les services
compétents pour faciliter les enquêtes en interne comme en externe, et leur départ de
l’entreprise pendant les heures de service sans son autorisation.
Contrairement aux allégations des demandeurs, le tribunal note que les
instructions leur données par la défenderesse de se mettre à sa disposition pour
faciliter les enquêtes ouvertes par la police en vue d’identifier le nommé « Y » qui
serait à la base de l’émission de plusieurs tickets frauduleux n’était pas un ordre
312
illégal dès lors qu’il concourrait à la bonne marche de l’entreprise. Le fait pour les
demandeurs de n’avoir pas répondu positivement à cette instruction de la
défenderesse et d’avoir préféré quitter l’entreprise en lieu et place de se mettre à la
disposition constitue une insubordination qui justifie la rupture sans préavis de leurs
contrats de travail.
Enfin, s’agissant du moyen soulevé par les défendeurs en rapport avec le délai
de notification de la résiliation de leurs contrats de travail pour faute lourde, le
tribunal note que l’article 72 du Code du travail dispose en son troisième alinéa que,
la partie qui se propose de résilier le contrat pour faute lourde est tenue de notifier
par écrit à l’autre partie sa décision dans les quinze jours ouvrables au plus tard après
avoir eu connaissance des faits qu’elle invoque. Qu’ayant procédé au licenciement
des demandeurs le 22 novembre 2019, soit quatre jours ouvrables après avoir eu
connaissance des faits leur reprochés, la décision de la défenderesse était intervenue
dans le délai de quinze jours ouvrables et était donc régulière.
d) Commentaires
Il apparait pertinent de relever dans le cadre de ce conflit individuel, quelques
éléments de confusions soulevés par les parties et sur lesquels le juge a su faire
preuve de beaucoup de tact et de flexibilité dans la formation de son raisonnement.
Pour autant que les parties ont fait valoir leurs prétentions, le juge du travail
quant à lui a pu développer un langage juridique cohérent dans la mesure où pour la
partie demanderesse qui, pour elle aurait été licenciée sans motif valable et donc il
fallait condamner la partie défenderesse pour le dommage subi ainsi que
l’inobservation du préavis qu’elle réclame, en argumentant que conformément à
l’article 72 du code du travail sus-évoqué, la défenderesse n’aurait pas respecté les
prescrits de l’alinéa 4 qui dispose « … pour besoin d’enquête, l’employeur a la
faculté de notifier au travailleur, dans les deux jours ouvrables après avoir eu
connaissance des faits, la suspension de ses fonctions. » alors que cet alinéa aborde
la question de la suspension d’un employé de ses fonctions pour des raisons
d’enquête en cas de suspicion, ce qui est différent de la suspension du contrat de
travail tel que prévue à l’article 57 du même code du travail. La suspension dont ont
fait preuve les demandeurs ici concernés, elle est comprise dans les 15 jours
ouvrables dont parle le législateur à l’alinéa précédent lorsqu’il existe un motif
valable pouvant être retenu ou qualifié de faute lourde par l’employeur ; ce qui a été
leur cas du fait de leur refus d’obtempérer et de collaborer avec la hiérarchie dans les
circonstances telles que soutenues plus haut.
Concernant la partie défenderesse, elle appert que le conflit l’opposant à la
partie demanderesse serait plutôt un conflit collectif et non individuel et donc devrait
être soumis à la commission de médiation en lieu et place de la saisine du tribunal,
une confusion qui a été soutenue sans fondement. Faudrait rappeler qu’une grande
différence est opérée entre un conflit individuel et le conflit collectif du travail du
fait de leurs objets qui sont distingués aux articles 298 et 304 du code du travail.
Dans le cas sous-examen, le conflit est bel et bien individuel du fait de son caractère
313
individuel et de sa motivation. Le juge étant valablement saisi et les parties entendues
par le truchement de leurs conseils, le licenciement pour faute lourde tel que
prononcé par le juge est bel et bien régulier du fait de la subjectivité de la notion de
la faute lourde ici constatée.
2. Tribunal du travail de Kinshasa/Gombe, Affaire RT 02079
a) Objet du litige
Dans ce jugement, l’objet du litige porte sur le licenciement abusif de Mme
Z qui soutient avoir été licencié sans motif valable par la défenderesse. Il ressort des
faits de la cause que la demanderesse a été aux services de la défenderesse depuis
l’année 2013 en qualité de comptable, et en date du 28 novembre 2016, suite à la
sollicitation du service Commercial Banking de la défenderesse, elle sera engagée
en qualité de Credit analyst, poste qu’elle occupera jusqu’à la résiliation de son
contrat de travail pour essai non concluant. Estimant avoir déjà fait montre de ses
compétences lors de son premier contrat, du reste verbal et entretenu d’un mystère
dont seul la défenderesse connaît les réalités, elle considère abusive la résiliation
pour essai non concluant de son contrat signé en novembre 2016 et, pour être rétablie
dans ses droits, elle a saisi l’Inspecteur urbain du travail en conciliation mais qu'à
son tour, s'étant rendu compte de l'impossibilité de concilier les parties, l'inspecteur
urbain du travail a dressé en date du 07 février 2017 le procès-verbal de nonconciliation.
b) Les prétentions des parties
La demanderesse reproche à la société ECOBANK S.A d’avoir rompu de
manière abusive et sans motif valable son contrat de travail. De ce fait, elle saisit par
le Tribunal de céans par le truchement de ses conseils aux fins d’ordonner par un
jugement avant-dire droit le calcul de son décompte final par l’Inspecteur provincial
du Travail et de condamner la Société ECOBANK RDC S.A au paiement à son profit
de l’équivalent en franc congolais de la somme de 200.000 dollars américains à titre
de dommages-intérêts en réparation de tous les préjudices par elle subis et ce,
conformément aux prescrits de l’article 258 et suivants du code civil congolais livre
III.
Au soutien de ses moyens, la demanderesse déclare que la résiliation pour
essai non concluant de son contrat de travail est abusive dans la mesure où, étant déjà
liée à la défenderesse par un contrat de travail, cette dernière ne pouvait pas mettre
fin à leurs relations de travail pour un essai non concluant et qu’en effet, précise-telle, quoique son premier contrat soit verbal, la lettre de demande d’explication lui
adressée par la défenderesse en prouve l’existence dès lors que, enchaine-t-elle,
celle-ci établit la matérialisation du lien de subordination qui gouvernait leur relation.
Partant de ce qui précède, dit-elle, le contrat de travail signé en novembre
2016, n’étant que la formalisation par écrit du contrat verbal signé en 2013, l’essai
non concluant avancé par la défenderesse pour justifier la rupture de son contrat de
travail n’est pas fondé car ses compétences ont été déjà appréciées tout le temps
314
qu’elle a eu à travailler en qualité de comptable mais aussi, ajoute-t-elle, son passage
du poste de comptable à celui de credit analyst implique une adaptation
professionnelle à laquelle la défenderesse ne l’avait pas soumise.
Considérant tout ce qui précède, elle conclut que la rupture de son contrat
telle qu’opérée par la défenderesse viole les prescrits de l’article 62 du code du
travail et en application de l’article 63 du même code, la défenderesse doit la
réintégrer ou à défaut de ce faire, elle doit lui payer son décompte final, jusque-là
non payé, tel que le sera calculé par l’inspecteur provincial du travail. Par ailleurs,
renchérit-elle, aucun lien de travail n’a existé entre elle et la Société SODEICO
comme cherche à le faire croire la défenderesse, si ce n’est que celui qui a existé
entre elle et cette dernière par leur contrat verbal de 2013 matérialisé par celui de
2016 et, enchaine-t-elle, la demande d’explication et le formulaire de demande de
congé annuel signés par son supérieur hiérarchique en sont plus qu’éloquents.
Pour sa part, la défenderesse soutient que la rupture pour essai non concluant
du contrat de la demanderesse est régulière dans la mesure où, contrairement aux
allégations de cette dernière, le seul contrat signé entre eux est celui assorti d’une
clause d’essai de 06 mois conclu le 28 novembre 2016. En dehors du contrat
susmentionné, aucun autre contrat ne l’a liée à la demanderesse car, comme le
témoignent les différentes pièces par elle versées au dossier, celle-ci était sous les
liens contractuels avec la Société SODEICO et son affectation en son sein était
justifiée par les liens de sous-traitance qui existaient entre la Société précitée et elle.
Au regard de ce qui précède, poursuit-elle, le tribunal constatera la régularité
de la rupture du contrat de la demanderesse et rejettera la postulation de la
demanderesse relative au paiement à son profit d’un décompte final calculé par
l’inspecteur du travail dès lors que cette postulation n’a pas été soumise devant
l’inspecteur du travail lors de la phase de conciliation préalable.
c) La motivation du Juge
Après avoir entendu toutes les parties au cours d’un débat contradictoire, le
juge relève à travers différentes pièces produites au dossier par la défenderesse,
notamment le rapport définitif du conseil de discipline chargé de l’audition de la
demanderesse et le procès-verbal sanctionnant cette d’audition, que le comportement
de la demanderesse est répréhensible, et que nulle part dans son audition la
demanderesse n’a su justifier son nom et sa signature apposés dans le registre de la
caissière.
Le tribunal note que l’acte posé par la demanderesse est improbe à telle
enseigne que par son fait, la confiance qui régissait leur rapport était ternie. Ainsi, le
tribunal estime que le motif avancé par la défenderesse pour justifier la résiliation
sans préavis de la demanderesse est fondé. Contrairement aux allégations de la
demanderesse, le tribunal relève à la lumière des pièces du dossier que le délai de
quinze prévu à l’article 73 du code du travail a bel et bien été respecté. En effet, le
rapport définitif du conseil de discipline chargé d’auditionner la demanderesse étant
315
transmis à l’organe décisionnel de la défenderesse en date du 22 juin 2016, le tribunal
estime que c’est à cette date que la défenderesse a pris connaissance des faits
reprochés à la demanderesse et c’est à cette date que le délai de quinze jours
ouvrables impartis par l’article 72 du code du travail commence à courir. Le
règlement d’ordre intérieur du conseil de discipline de la défenderesse a été respecté
dans la mesure où, depuis le 11 juillet 2016, date à laquelle la demanderesse a reçu
sa demande d’explication, et le 01 juillet de la même année, date à laquelle elle a été
invitée à se présenter devant le conseil de discipline, celle-ci a suffisamment pris
connaissance des faits lui reprochés. Dès lors, la violation de l’article 9 du règlement
d’ordre intérieur du conseil de discipline de la défenderesse invoquée par la
demanderesse n’est pas fondée.
Le tribunal note au regard des conclusions des parties que la demanderesse a
postulé aux dommages-intérêts sur pieds de l’article 258 du code civil congolais livre
III, alors que cette disposition est étrangère au code du travail
Attendu que, le tribunal relève que la présente action de la demanderesse est
dénuée de tout caractère téméraire et vexatoire comme le prétend la défenderesse
car, en initiant la présente action, la demanderesse n’a que fait exercer son droit le
plus légitime, celui de voir le tribunal examiner ses chefs de demande. Considérant
tout ce qui précède, le tribunal dira recevable la présente action de la demanderesse
mais la déclarera non fondée et l’en déboutera par conséquent ; il dira également non
fondée l’action reconventionnelle de la défenderesse.
d) Commentaires
Dans ce conflit individuel opposant Mme Z à la société ECOBANK S.A, il
se pose un problème de la qualification des rapports qui les lient d’autant plus que
chacune des parties soutient à sa manière l’existence ou l’inexistence d’un lien de
subordination né du contrat de travail à durée indéterminée entre 2013 et 2016.
Au regard des articles 62 et 63 du code du travail, le contrat de travail ne peut
être résilié à l’initiative de l’employeur que pour un motif valable. Toute résiliation
intentée sans motif valable par l’employeur entraine l’application de l’article 63.
Toute résiliation du contrat de travail qu’il soit à durée indéterminée ou à durée
déterminée est soumise avant tout à la reconnaissance de l’existence de celui-ci,
ensuite du lien de subordination direct ou indirect avant d’établir un motif valable ou
du moins fondé dans les deux cas.
Pour la défenderesse, la demanderesse serait déjà liée par un autre contrat de
travail avec une autre société SODEICO et serait donc liée à elle (défenderesse) par
un contrat de sous-traitance, faits qui n’ont pas été prouvés par la partie citée.
Toutefois, il n’est nullement proscrit dans le code du travail ou par les conventions
collectives, le cumul de deux emplois par une même personne du moment que l’un
n’empêche pas l’exercice de l’autre. Dans le cas sous-examen, la demande telle que
formulée par la partie demanderesse sur pied de l’article 258 du CCLIII n’entre pas
dans la compétence matérielle du tribunal du travail du fait de son fondement
316
purement civil. Ce qui aurait motivé le juge à déclarer non fondée la demande
formulée par la partie lésée.
Nous estimons que le juge aurait dû condamner la défenderesse au regard de
l’article 63 du code du travail. En effet, la demanderesse ayant été au service de la
défenderesse durant 3 ans au poste de comptable au sein de la même société a du
suffisamment faire montre d’aptitudes professionnelles satisfaisantes au point
qu’elle a été acceptée pour un nouveau poste. Elle ne devrait plus être encore soumise
à une période d’essai du fait qu’on pourrait considérer cela comme une promotion
au sein de la même société.
Conclusion
La présente étude sur l’intervention du juge en matière de règlement des
conflits individuels du travail en droit congolais s’est inscrite dans une logique de
démonstration du rôle de la justice dans la mise en œuvre effective de la législation
sur le travail. L’Etat de droit nécessite des mécanismes appropriés afin d’éviter
l’arbitraire. En effet, sans un pouvoir judiciaire indépendant et responsable, il paraît
difficile d’instaurer un Etat de droit démocratique et respectueux des droits
fondamentaux de tous les citoyens, et dans le cas d’espèce les droits des travailleurs.
Le simple fait d’édicter les normes ne garantit pas leur effectivité, et il est nécessaire
de les accompagner des mesures d’application, d’un contrôle effectif, et des
sanctions adaptées contre les éventuelles violations.
Ainsi, après avoir expliqué la notion de conflit individuel de travail et
parcouru quelques cas ou situations qui sont susceptibles d’engendrer pareils conflits
entre un employeur et ses salariés pris individuellement, il a été question de présenter
les mécanismes de règlement de ces conflits avant de se pencher sur l’intervention
du juge du travail en la matière. L’étude a montré que les conflits individuels du
travail résultent généralement de l’inexécution ou de la mauvaise exécution par l’une
des parties au contrat de ses obligations professionnelles, de la contestation du bienfondé ou de la régularité d’une décision de résiliation du contrat, etc.
Il ressort des enquêtes sur terrain qu’à comparer avec le nombre élevé des
litiges individuels du travail, trop peu de cas atteignent l’étape du recours en justice.
A travers quelques jugements du tribunal de travail de Kinshasa Gombe, l’on
constate quelques points de confusion dans le chef des parties au contrat, confusion
due probablement à l’ignorance de la loi. L’œuvre du juge est à saluer ici à sa juste
valeur, car elle a réaffirmé clairement les grands principes de droit en matière de
licenciement et rendu de manière satisfaisante la volonté du législateur sur la
question.
*
*
*
317
La fiscalité exceptionnelle de sauvetage des entreprises
industrielles en difficulté en droit congolais
Par :
Trésor-Gauthier M. KALONJI
Docteur en droit fiscal, Université de
Neuchâtel
Professeur à l’Université Pédagogique
Nationale et l’Ecole Nationale des Finances
Conseiller Fiscal Principal, Daldewolf RDC
Résumé :
Les entreprises industrielles en difficulté et qui font l’objet d’une procédure
collective de règlement préventif ou de redressement judiciaire, peuvent solliciter et obtenir,
auprès de l’ANAPI, l’application provisoire – en leur faveur – d’un régime fiscal, douanier
et parafiscal exceptionnel. Ce dernier est essentiellement constitué d’exonérations –
uniquement à l’importation – sur la TVA, les droits de douane ainsi que certaines taxes.
Mots-clés : Entreprise en difficulté ; Activités industrielles ; Règlement préventif ;
Redressement judiciaire ; Fiscalité exceptionnelle.
Abstract:
Industrial companies in difficulty and subject to collective preventive settlement or judicial
settlement proceedings may apply to the National Investment Promotion Agency for and
obtain the provisional application – in their favour – of an exceptional tax, customs and
parafiscal regime. These essentially consist of exemptions – on imports only – from VAT,
customs duties and some taxes.
Keywords: Company in Difficulty; Industrial Activities; Preventive Settlement; Judicial
Settlement; Exceptional Taxation.
…………………………………………………………….
I.
En guise d’introduction
Définie comme étant une « unité économique qui implique la mise en œuvre
de moyens humains et matériels de production ou de distribution des richesses
reposant sur une organisation préétablie »741, ou encore comme l’ensemble des
« établissements réunissant, sous une direction commune, des moyens tant humains
que matériels en vue de l’accomplissement d’activités économiques, commerciales,
741
S. GUINCHARD et Th. DEBARD, Lexique des termes juridiques 2017-2018, Paris, Dalloz, 2017,
p. 474.
318
industrielles ou de services »742, l’entreprise est un acteur majeur du fonctionnement
de l’économie tant nationale qu’internationale. Sa contribution économique se
manifeste sous forme de création d’emplois, de produits, de valeurs, de revenus, de
ressources pour les collectivités publiques, d’innovation et de diffusion du progrès
technique. C’est à juste titre que BLAISE et DESGORCES743 ont noté que
l’entreprise est d’abord une réalité du monde économique. Une réalité qui se présente
sous les formes les plus diverses : entreprise artisanale, commerce de détail, PME,
grande entreprise industrielle, entreprise publique, groupe international de sociétés,
mais aussi entreprise agricole, profession libérale, coopérative ou association.
Les entreprises sont donc vitales pour l’économie nationale, dans la mesure
où elles jouent un rôle essentiel dans le développement économique et la richesse
d’un pays. La réussite des entreprises peut être le moteur de la réussite de tout un
pays, notamment par le biais des contributions au produit intérieur brut (PIB) d’une
nation, ce qui a une incidence sur leur position dans le monde. La réussite des
entreprises se traduit par le bien-être économique d’une communauté et de ses
résidents grâce à la création d’emplois et à l’amélioration de la qualité de vie des
citoyens du pays. En d’autres termes, les entreprises sont directement liées à la santé
économique et au bien-être des citoyens de la ville, de la région, de l’État ou du pays
dans lequel elles sont actives. Somme toute, les entreprises rentables sont le moteur
de la santé économique, qui se traduit par une meilleure qualité de vie pour les
citoyens744.
Il va sans dire qu’il est de tout intérêt, pour un pays, de travailler à la mise
en œuvre des conditions propices au développement des activités des entreprises.
Cela participe de l’amélioration de l’environnement des affaires, un idéal tant exigé,
de nos jours, en vue de garantir une sécurité juridico-économique aux entreprises qui
exercent dans un territoire donné. Les pouvoirs publics devraient fournir des
conditions favorables aux entreprises, notamment lorsqu’elles éprouvent des
difficultés économiques, en vue de leur relance. C’est sous cette logique que le
législateur congolais a promulgué la Loi n° 14/023 du 07 juillet 2014 fixant les règles
relatives aux conditions et modalités de sauvetage de l’entreprise industrielle en
difficulté. En vertu de cette loi, lorsqu’une l’entreprise en difficulté relève d’un
secteur industriel, elle pourrait bénéficier ‒ en cas d’enclenchement de la procédure
collective d’apurement du passif ‒ de quelques avantages d’ordre fiscal, douanier et
parafiscales destinées à accompagner son redressement.
La présente contribution a pour visée de mettre en lumière ce dispositif
d’accompagnement fiscal, douanier et parafiscal au profit des entreprises
742
R. CABRILLAC, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2018, Paris, LexisNexis, 2017, p. 224.
J.-B. BLAISE et R. DESGORCES, Droit des affaires. Commerçants – Concurrence – Distribution,
Paris, LGDJ, 2015, n. 319.
744
Voir le dossier « Les différents rôles économiques d’une entreprise », publié [en ligne] le
17 juin 2020 : <http://www.faiences-moustiers.com/les-differents-roles-economiques-duneentreprise/> (consulté le 11 août 2023).
743
319
industrielles en difficulté en RDC (section III). Néanmoins, avant cela, il s’avère
opportun de passer en revue, de manière laconique, le régime juridique de traitement
de l’insolvabilité (section II), dans la mesure où ce dernier constitue de « passage
obligé » pour la mise en œuvre dudit dispositif.
II. Considérations générales sur le régime juridique de l’insolvabilité en RD
Congo
A.
Remarques préliminaires
Le régime juridique de l’insolvabilité en RD Congo procède de l’Acte
uniforme Ohada portant organisation des procédures collectives d’apurement du
passif, adopté le 10 avril 1998 et révisé le 10 septembre 2015 (ci-après « AUPC »).
Ce texte organise ‒ sauf existence d’une réglementation spécifique applicable à un
régime particulier (comme celui bancaire par exemple) ‒ les procédures préventives
ainsi que celles de traitement des difficultés des entreprises (déjà en phase de
cessation de paiement), applicables à toute personne physique exerçant une activité
professionnelle indépendante (civile, commerciale, artisanale ou agricole), à toute
personne morale de droit privé ainsi qu’à toute entreprise publique ayant la forme
d’une personne morale de droit privé745. Aussi, toute entreprise a la faculté de
solliciter, avant la cessation de ses paiements, l’ouverture d’une procédure de
médiation selon les dispositions légales de l’État partie concerné746.
Selon le professeur émérite GIBIRILA747, la cessation des paiements est une
notion spécifique au droit des entreprises en difficulté, lequel ne concerne que des
débiteurs, personnes physiques ou morales, exerçant ou ayant exercé une activité
professionnelle. Cette notion n’intéresse pas non plus les sociétés in bonis, c’est-àdire dont la situation financière est normale et donc, pas a priori exposées à une
procédure collective applicable aux entreprises en difficulté748. Selon l’AUPC, la
cessation des paiements est « l’état où le débiteur se trouve dans l’impossibilité de
faire face à son passif exigible avec son actif disponible, à l’exclusion des situations
où les réserves de crédit ou les délais de paiement dont le débiteur bénéficie de la
part de ses créanciers lui permettent de faire face à son passif exigible »749. C’est
ce qui est démontré dans la figure ci-après :
745
Voir art. 1-1 AUPC.
Voir art. 1-2 AUPC.
747
D. GIBIRILA, « La notion de cessation des paiements, critère de distinction entre la société in
bonis et l’entreprise en difficulté », Dossier : Droit des sociétés, publié le 31 juillet 2018 [en
ligne] : <https://www.actu-juridique.fr/affaires/la-notion-de-cessation-des-paiements-critere-dedistinction-entre-la-societe-in-bonis-et-lentreprise-en-difficulte/> (consulté le 11 août 2023).
748
Dans le même sens, lire J-P POULAIN et J. REEVE, « L’état de cassation des paiements : une
notion déterminante dans le cadre des procédures collectives », Décideurs : Stratégie Finances
Droit N° 89, p. 80-81.
749
Voir art. 1-3 AUPC.
746
320
Figure unique : Déséquilibre entre l’actif et le passif de l’entreprise –
Cessation de paiement
Source : Auteur.750
En cas de menace ou d’avènement d’une cessation de paiement, la mise en
œuvre des procédures préventives ainsi que celle de traitement des difficultés des
entreprises relèvent de la juridiction compétente en matière de procédures
collectives, à savoir celle désignée par chaque État partie. En RD Congo, il s’agit du
Tribunal du commerce751.
Dans les lignes qui suivent, il s’avère opportun de préciser rapidement les
quatre phases du régime d’insolvabilité, en l’occurrence les procédures de
conciliation (section B), de règlement préventif (section C), et de redressement
judiciaire ainsi que de liquidation des biens (section D). Pour sa part, le législateur
Ohada agrège ces procédures en deux, à savoir les procédures préventives
(conciliation et règlement préventif) d’une part et les procédures de traitement des
difficultés des entreprises (redressement judiciaire et liquidation des biens) d’autre
part. Dans les deux premières procédures, l’entreprise est économiquement en
difficulté, mais n’a pas encore atteint le stade d’une cessation de paiement. Elles sont
donc destinées à sauvegarder l’entreprise en difficulté et à apurer son passif avant la
cessation des paiements752. Quant aux procédures de traitement des difficultés, elles
interviennent à l’issue d’une cessation de paiement, c’est-à-dire lorsque l’entreprise
750
Sur base de la littérature tirée de : <https://www.captaincontrat.com/fermeture/entreprise-endifficulte/definition-cessation-des-paiements> (consulté le 11 août 2023).
751
Voir Loi n° 002/2001 du 03 juillet 2001 portant création, organisation et fonctionnement des
tribunaux de commerce.
752
Voir art. 5 AUPC.
321
ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Aussi, dans
une telle situation, la juridiction compétente peut prononcer la faillite personnelle
des personnes qui ont participé à la gestion calamiteuse de l’entreprise753. Peuvent
également être déclarés en faillite personnelle, les dirigeants d’une personne morale
condamnés pour banqueroute simple ou frauduleuse754.
B.
Conciliation755
La conciliation, qui a une durée maximale de 3 mois (et prorogeable sur une
décision spécialement motivée), est une procédure préventive, consensuelle et
confidentielle, destinée à éviter la cessation des paiements de l’entreprise débitrice
afin d’effectuer, en tout ou partie, sa restructuration financière ou opérationnelle pour
la sauvegarder. Cette restructuration s’effectue par le biais de négociations privées
et de la conclusion d’un accord de conciliation négocié entre le débiteur et ses
créanciers ou, au moins ses principaux créanciers, grâce à l’appui d’un tiers neutre,
impartial et indépendant dit « conciliateur ».
Le conciliateur est désigné dans la décision d’ouverture par le président de la
juridiction compétente, lequel est saisi par une requête du débiteur ou par une requête
conjointe de ce dernier avec un ou plusieurs de ses créanciers. Le conciliateur a donc
pour mission de trouver un accord amiable entre le débiteur et ses créanciers.
Toutefois, durant la phase de recherche de l’accord, les créanciers conservent leur
droit de poursuites.
Pendant la durée de son exécution, l’accord interrompt ou interdit toute action
en justice et arrête ou interdit toute poursuite individuelle, tant sur les meubles que
les immeubles du débiteur, dans le but d’obtenir le paiement des créances qui en font
l’objet.
L’accord interrompt, pour la même durée, les délais impartis aux créanciers
parties à l’accord à peine de déchéance ou de résolution des droits afférents aux
créances mentionnées par l’accord. Les personnes ayant consenti une sûreté
personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie et les coobligés peuvent se
prévaloir des dispositions de l’accord.
C.
Règlement préventif756
Le règlement préventif est une procédure collective préventive destinée à
éviter la cessation des paiements de l’entreprise débitrice et à permettre l’apurement
de son passif au moyen d’un concordat préventif.
753
Voir art. 198 AUPC.
Voir art. 196 AUPC.
755
Voir art. 5-1 à 5-14 AUPC
756
Voir art. 6 à 24-5 AUPC
754
322
Au fait, il revient aux dirigeants de l’entreprise en difficulté (c’est-à-dire celle
qui n’est pas encore en état de cessation des paiements, mais justifiant de difficultés
financières ou économiques sérieuses) de présenter au tribunal de commerce une
requête pour la désignation d’un expert avec un projet de plan d’apurement de ses
dettes. L’expert désigné aura pour mission de rechercher, à partir de ce plan, la
conclusion d’un accord avec les créanciers : c’est le concordat préventif. Aucune
requête en règlement préventif ne peut être présentée par le débiteur avant
l’expiration d’un délai de 3 ans à compter de l’homologation d’un précédent
concordat préventif ou avant l’expiration d’un délai de 18 mois à compter de la fin
d’un règlement préventif n’ayant pas abouti à un concordat préventif.
L’Expert procède à l’examen de la situation du débiteur et recherche un
accord avec les créanciers ; ceux-ci peuvent accepter des délais ou remises, mais en
cas de désaccord ne peuvent imposer un délai de paiement supérieur à deux ans. Si
les conditions légales sont réunies, le tribunal homologue le concordat préventif qui
devient alors obligatoire pour tous les créanciers.
La décision d’ouverture du règlement préventif suspend ou interdit toutes les
poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des créances nées
antérieurement à ladite décision pour une durée maximale de 3 mois (prorogeable de
1 mois). La suspension des poursuites individuelles s’applique à tous les créanciers
chirographaires et à celles garanties par un privilège général, un privilège mobilier
spécial, un gage, un nantissement ou une hypothèque (à l’exception des créances de
salaires et d’aliments) et concerne aussi bien les voies d’exécution que les mesures
conservatoires, y compris toute mesure d’exécution extrajudiciaire. Les créanciers
précités ne perdent pas leurs garanties, mais ne pourraient les réaliser qu’en cas
d’annulation ou de résolution du concordat préventif auquel ils ont consenti ou qui
leur a été imposé.
Néanmoins, la suspension ne s’applique pas aux actions tendant à la
reconnaissance des droits ou des créances contestées, ni aux actions cambiaires
dirigées contre les signataires d’effets de commerce autres que le bénéficiaire de la
suspension des poursuites individuelles. Les personnes physiques coobligées ou
ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie
peuvent se prévaloir du règlement préventif.
Par ailleurs, sauf autorisation motivée du président de la juridiction
compétente, la décision d’ouverture du règlement préventif interdit au débiteur, à
peine de nullité de droit : (i) de payer, en tout ou en partie, les créances nées
antérieurement à la décision d’ouverture ; (ii) de faire un acte de disposition étranger
à l’exploitation normale de l’entreprise ou de consentir une sûreté. Il est également
interdit au débiteur de désintéresser les coobligés et les personnes ayant consenti une
sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie lorsqu’elles ont
acquitté des créances nées antérieurement à la décision d’ouverture
323
Enfin, sauf remise par les créanciers, les intérêts légaux ou conventionnels
ainsi que les intérêts moratoires et les majorations continuent à courir mais ne sont
pas exigibles.
D.
Redressement judiciaire et liquidation des biens 757
Le redressement judiciaire est une procédure collective destinée au sauvetage
de l’entreprise débitrice en cessation des paiements mais dont la situation n’est pas
irrémédiablement compromise, et à l’apurement de son passif au moyen d’un
concordat de redressement (à déposer par le débiteur dans les soixante jours qui
suivent la décision d’ouverture du redressement judiciaire). Le tribunal de commerce
compétent peut être saisi, soit par le débiteur lui-même (qui fait sa déclaration de
cessation des paiements au plus tard dans les trente jours qui suivent cette cessation),
soit par des créanciers impayés, soit encore par le tribunal par auto-saisine d’office.
Ce dernier prononce le redressement judiciaire lorsque l’entreprise démontre qu’elle
peut poursuivre son activité et qu’elle propose un concordat sérieux ou si une cession
globale est envisageable.
Quant à la liquidation des biens, il s’agit d’une procédure collective destinée
à la réalisation de l’actif de l’entreprise débitrice en cessation des paiements dont la
situation est irrémédiablement compromise pour apurer son passif. Elle intervient
dans les mêmes conditions de procédure que le redressement judiciaire. Toutefois le
tribunal prononce la liquidation lorsqu’il lui apparaît que l’entreprise n’a aucune
possibilité de poursuite de son exploitation. La liquidation des biens consiste alors
en la vente par le syndic de l’actif du débiteur. Généralement l’actif ou le mobilier
est cédé globalement et la réalisation des immeubles peut se faire par vente forcée
sur saisie immobilière ou de gré à gré.
La décision qui prononce le redressement judiciaire emporte de plein droit
jusqu’à l’homologation du concordat de redressement ou la conversion du
redressement judiciaire en liquidation de biens, assistance obligatoire du débiteur par
un syndic, pour tous les actes concernant l’administration et la disposition de ces
biens. Le syndic procède à la vérification des créances au fur et à mesure de leur
production.
Le projet de concordat de redressement peut se limiter à des délais de
paiement, des remises de dettes et aux garanties éventuelles que le chef d’entreprise
doit accorder pour en assurer l’exécution. Si le projet de concordat prévoit des
remises de dettes ou des délais de paiement d’une durée supérieure de 2 ans, l’accord
de chaque créancier concerné est nécessaire. Dans le cas contraire, le projet de
concordat peut être homologué sans vote des créanciers.
Les créanciers, qu’ils soient chirographaires ou titulaires de sûretés, doivent
en tout état de cause déclarer leurs créances.
757
Voir art. 25 à 193 AUPC
324
Le redressement judiciaire permet au débiteur qui a cessé ses paiements
d’obtenir un concordat de redressement dont l’objet n’est pas seulement d’obtenir
des délais ou des remises, mais également de prendre toutes mesures juridiques,
techniques ou financières, y compris la cession totale ou partielle de l’entreprise,
susceptibles de permettre le redressement.
La décision d’ouverture d’un redressement judiciaire ou de liquidation des
biens d’une personne morale produit ses effets à l’égard de tous les membres
indéfiniment et solidairement responsables du passif de celle‐ci et prononce, contre
chacun d’entre eux, le redressement judiciaire. Cette décision constitue les créanciers
en une masse représentée par le syndic qui, seul, agit en son nom et dans l’intérêt
collectif et peut l’engager. Cette masse est donc constituée par tous les créanciers
dont la créance est antérieure à la décision d’ouverture, même si l’exigibilité de cette
créance était fixée à une date postérieure à cette décision à condition que cette
créance ne soit pas inopposable. En effet, sont inopposables de droit à la masse des
créanciers, certains actes posés pendant la période suspecte, c’est-à-dire celle
comprise entre la date de la cessation des paiements et la date de la décision
d’ouverture du redressement judiciaire Il s’agit, entre autres, de toute sûreté réelle
conventionnelle constituée à titre de garantie d’une dette antérieurement contractée,
à moins qu’elle ne remplace une sûreté antérieure d’une nature et d’une étendue au
moins équivalente ou qu’elle soit consentie en exécution d’une convention antérieure
à la cessation des paiements. Il en est de même de toute inscription provisoire
d’hypothèque judiciaire conservatoire ou de nantissement judiciaire conservatoire.
Par ailleurs, la décision d’ouverture du redressement judiciaire arrête le cours
des inscriptions de toute sûreté mobilière ou immobilière. Elle emporte, au profit de
la masse, hypothèque que le greffier est tenu de faire inscrire sans délai sur les biens
immeubles du débiteur et sur ceux qu’il acquerra par la suite au fur et à mesure des
acquisitions. Cette hypothèque est inscrite conformément aux dispositions relatives
à la publicité foncière. Elle prend rang du jour où elle a été inscrite sur chacun des
immeubles du débiteur.
Enfin, la décision d’ouverture du redressement judiciaire suspend toute
action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté
personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie à compter dudit jugement
et durant l’exécution du concordat de redressement judiciaire. Toutefois, les
créanciers bénéficiant de ces garanties peuvent prendre des mesures conservatoires.
III. Avantages fiscaux, douaniers et parafiscaux destinés à accompagner le
redressement d’une entreprise industrielle en difficulté
A.
Remarques préliminaires
En droit congolais, lorsqu’une entreprise en difficulté relève d’une filière
industrielle (c’est-à-dire une quelconque suite de phases d’un processus de
transformation allant de la matière première à la mise sur le marché du produit fini
325
ou semi-fini758), elle pourrait bénéficier ‒ en cas d’enclenchement de la procédure
collective d’apurement du passif ‒ de quelques avantages d’ordre fiscal, douanier et
parafiscales destinées à accompagner son redressement. Ces avantages procèdent de
la Loi n° 14/023 du 07 juillet 2014 fixant les règles relatives aux conditions et
modalités de sauvetage de l’entreprise industrielle en difficulté.
Selon ladite loi, on entend par entreprise industrielle en difficulté, « toute
entreprise industrielle menacée de cessation d’activités du fait des facteurs exogènes
ou qui fait l’objet d’une procédure collective préventive ou de redressement, dont
l’activité exerce des effets d’entrainement au niveau économique et social, en amont
et en aval, et dont les difficultés de production pourraient déboucher sur la
disparition des activités d’une filière industrielle, des branches ou des chaînes de
valeur »759. L’entreprise industrielle en difficulté est admissible aux avantages
prévus par ladite Loi, à la condition préalable de faire l’objet d’une procédure
collective de règlement préventif ou de redressement judiciaire visant à : (i) garantir
les emplois directs et indirects, (ii) valoriser les matières premières locales, (iii)
garantir la contribution fiscale aux recettes du pouvoir central, des provinces et des
entités territoriales décentralisées, et (iv) assurer le maintien des impacts socioéconomiques sur l’environnement local et national760. Il va sans dire que toute
procédure collective de règlement préventif ou de redressement judiciaire, qui serait
diligentée à des fins étrangères à celles précitées, ne donnerait pas lieu à l’octroi des
avantages sous-jacents à la Loi sous examen.
Toute entreprise industrielle en difficulté qui répond aux conditions ci-dessus
et souhaite bénéficier des avantages, est tenue de déposer, à l’ouverture ou après
l’ouverture de la procédure collective, au plus tard avant le concordat préventif ou
de redressement, une demande d’octroi à l’Agence Nationale pour la Promotion des
Investissements (ANAPI)761. Celle-ci est tenue d’examiner la requête dans un délai
ne dépassant pas 90 jours, moyennant une enquête qu’elle diligente pour évaluer
l’éligibilité de l’entreprise requérante aux conditions de sauvetage. Les avis émis par
l’ANAPI, à cette occasion, ne deviennent définitifs qu’après homologation du
concordat préventif ou de redressement par la juridiction compétente endéans un
mois de sa saisine762.
B.
Portée des avantages et obligations sous-jacentes
L’entreprise industrielle en difficulté ‒ dont le dossier aura été validé par l’ANAPI
‒ bénéficie, selon le cas, des avantages douaniers, fiscaux et parafiscaux suivants763:
758
Voir art. 2 de la Loi n° 14/023 précitée.
Ibidem.
760
Voir art. 4 de la Loi n° 14/023 précitée.
761
Voir art. 5 de la Loi n° 14/023 précitée.
762
Voir art. 6 de la Loi n° 14/023 précitée.
763
Voir art. 8 de la Loi n° 14/023 précitée.
759
326
-
L’exonération totale à l’importation des intrants, à l’exécution de la
redevance administrative y afférente. La liste des intrants est reprise en
l’annexe de l’Arrêté conjoint des Ministres ayant respectivement l’industrie,
le plan et les finances dans leurs attributions ;
-
L’exonération totale des droits et taxes à l’importation pour les machines,
l’outillage et le matériel neufs, les pièces de rechange de première dotation
ne dépassant pas 10 % de la valeur CIF desdits équipements, après
présentation de la demande approuvée par l’ANAPI, à l’exclusion de la
redevance administrative ;
-
L’application de l’amortissement dégressif dont le rythme est déterminé dans
le contrat-programme, pour les biens d’équipements acquis.
Comme on peut le constater, ces différentes exonérations portent
essentiellement sur la TVA, les droits de douane ainsi que certaines taxes et ce,
uniquement à l’importation. Aussi, un régime d’amortissement exceptionnel ‒ à
convenir entre le Gouvernement et l’entreprise dans le contrat-programme764 ‒ est
applicable aux équipements acquis par l’entreprise industrielle en difficulté.
En contrepartie des avantages fiscaux, douaniers et parafiscaux ci-dessus,
l’entreprise bénéficière est astreinte à quelques obligations, telles que : (i) réaliser le
contrat-programme dans les délais ; (ii) tenir une comptabilité régulière conforme au
système comptable en vigueur en République Démocratique du Congo ; (iii) se
soumettre à tout contrôle de l’administration compétente ; (iv) garantir et créer les
emplois ; (v) assurer la formation et la promotion du personnel conformément au
contrat-programme ; et (vi) conformer la production des biens et services aux normes
de qualité nationales et internationales765.
Il y a lieu de préciser que ces obligations ne sont pas limitatives, en témoigne
l’adverbe « notamment » usité en amont de l’article 9 de la Loi n° 14/023 sous
examen, à savoir « toute entreprise bénéficiaire est tenue au respect des obligations
générales, notamment : [..] ». Il va sans dire que le Gouvernement ‒ par le décret
du Premier Ministre qui détermine les modalités de suivi des engagements convenus
dans le cadre du contrat-programme ‒ pourrait imposer d’autres devoirs qu’il juge
En effet, selon l’article 7 de la Loi n° 14/023 précitée, le contrat-programme dont la durée ne peut
excéder cinq ans, est conclu avant l’homologation du concordat préventif ou de redressement. Il
comprend un exposé de la nature et de l’étendue de la difficulté de l’entreprise ainsi que
l’indication de la saisine. Il précise notamment : (i) l’identité complète de l’entreprise requérante
et celles de ses représentants ; (ii) l’objet et la durée du contrat-programme ; (iii) les engagements
de l’entreprise requérante à soutenir en termes d’objectifs ; (iv) le programme de redressement, la
durée et le planning de sa réalisation ; (v) les engagements de l’Etat en termes d’avantages octroyés
; (vi) l’engagement de conclure un plan social avec les partenaires sociaux ; (vii) les modalités
d’exécution et de suivi-évaluation du contrat-programme ; (viii) les sanctions en cas de nonrespect des engagements de l’entreprise requérante.
765
Voir art. 9 de la Loi n° 14/023 précitée.
764
327
nécessaires vis-à-vis de l’entreprise bénéficiaire, c’est-à-dire soit pour un meilleur
redressement de cette dernière, soit pour éviter une situation d’évasion ou de fraude
fiscale dans l’utilisation des avantages fiscaux, douanier et parafiscaux précités.
IV. Faut-il conclure ?
Dans un souci non seulement d’assainissement de l’environnement des
affaires, mais aussi de maintien d’activités des entreprises industrielles, actrices de
la solidité de l’économie nationale notamment par l’offre d’emplois et le paiement
des impôts, le législateur congolais a mis en place, depuis 2014, un régime fiscal,
douanier et parafiscal exceptionnel, applicable provisoirement auxdites entreprises
qui seraient en difficulté. Il s’agit des entreprises industrielles qui font l’objet d’une
procédure collective de règlement préventif ou de redressement judiciaire.
La jouissance d’une telle « fiscalité S.O.S » n’est pas automatique mais
octroyée, dans la mesure où il est nécessaire pour les dirigeants de l’entreprise en
difficulté de formuler une demande auprès de l’ANAPI. Dans ce cas, faut-il conclure
à une faute de gestion à charge des dirigeants d’une entreprise industrielle en
difficulté, qui n’auraient pas saisi l’ANAPI en vue de bénéficier d’un tel régime
incitatif ?
*
*
*
328
La « fiscalité informelle » en république démocratique du
congo : dérèglement de la légitimité fiscale versus
légitimation de quelques pratiques socio-fiscales praeter
legem
Par :
Trésor-Gauthier M. Kalonji et
Docteur/PhD en droit fiscal, Université de
Neuchâtel/Suisse
Professeur à l’Université Pédagogique Nationale et
l’Ecole Nationale des Finances
Conseiller Fiscal Principal, Daldewolf RD Congo
Jean-Baptiste BAGULA BATULIRE
Avocat Fiscaliste
Assistant à la Faculté de Droit de l’Université
Pédagogique Nationale
Résumé
Parallèlement à la fiscalité « formelle » – ensemble d’impositions fiscales établies
par les pouvoirs publics – émerge et coexiste au sein des économies en développement une
fiscalité « informelle » qui représente l’ensemble des impositions n’entrant pas dans le
champ des canaux officiels des pouvoirs publics, mais souvent exigées par leurs acteurs à
l’occasion de la perception des impositions officielles. En dépit de cette émergence, les
recherches sur la fiscalité informelle en RD Congo ne se situent qu’à un stade embryonnaire ;
ce qui ne permet pas de bien cerner ce phénomène. Le présent papier révèle que cette forme
d’imposition non légalisée a des conséquences lourdes et fâcheuses sur la société congolaise.
D’où la nécessité d’une rupture avec de telles pratiques praeter legem, afin de rétablir la
légitimité fiscale.
Mots-clés : Fiscalité formelle ; Fiscalité informelle ; Légitimité fiscale ; Concussion ;
Surimposition.
Abstract:
In parallel with 'formal' taxation – all taxes formally established by the law and the public
authorities – an 'informal' tax system is emerging and coexisting in developing economies.
This is every taxation that do not fall within the scope of official government ways, but which
is often demanded by those involved when official taxes are collected. Despite this
emergence, research into informal taxation in DR Congo is still at an embryonic stage,
which means that the phenomenon cannot be properly understood. This paper shows that
this form of taxation, which is not legalised, has serious and unfortunate consequences for
Congolese society. Hence the need to break with such praeter legem
Key words: Formal Taxation; Informal Taxation; Tax Legitimacy; Concussion;
Overtaxation.
………………………………………………………………
329
Introduction
La fiscalité est perçue comme un ensemble de prélèvements obligatoires
opérés par les pouvoirs publics ou alors un ensemble de pratiques utilisées par un
État ou une collectivité pour percevoir des impôts et autres prélèvements
obligatoires766.
De la sorte, elle remplit plusieurs fonctions, notamment budgétaire ou
financier, politique, économique et social. Toutes ces fonctions attribuées à la
fiscalité ne pourraient prospérer si le système ne repose sur une légitimité, une
acceptation voire une confiance collective placée en ses « vertus »767.
Cette légitimité se matérialise dans nos sociétés modernes, d’un point de vue
juridique et politique768, par la nécessité de l’intervention des représentants du peuple
pour établir l’imposition, la modifier ou la supprimer, et d’un point de vue
sociologique par l’adhésion de la communauté – pour laquelle l’imposition est
établie – à en reconnaître le bien fondé. C’est la rime « consentement à l’impôt » et
« consentement de l’impôt »769. C’est aussi ce qui donne à la fiscalité un caractère
formel. En effet, l’ensemble des impositions de toutes natures établies par les
pouvoirs publics forment la fiscalité formelle.
Dans ce sens, lire T.-G. KALONJI, Manuel de fiscalité et financement des entreprises – Avec une
référence spécifique au droit congolais et au droit Ohada, Saint-Ouen-Sur-Seine, Éditions du Net,
2021, p. 95 et suivants.
767
En effet, il est inimaginable de concevoir une société moderne sans impôt. Ce dernier est essentiel
à l’existence même de l’Etat. Il en garantit l’action publique (construction des routes,
réhabilitation d’hôpitaux, paiement des fonctionnaires, subvention de l’éducation et de la
formation, etc.). Sans impôt, les besoins sociaux et la vie en société seraient impossibles à
satisfaire. Pour plus de détails, lire V. DREZET, Une société sans impôts ? Plaidoyer pour une
fiscalité juste, Paris, éditions Les liens qui libèrent, 2014, p. 9 et suivant.
768
L’article 174 de la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ces jours précise qu’il ne
peut être établi d’impôts que par la loi. De même, il ne peut être établi d’exemption ou
d’allégement fiscal qu’en vertu de la loi. Cet article est le fondement du principe constitutionnel
de la légalité en RD Congo et traduit la notion de consentement de l’impôt.
769
Fondamentalement, il convient de distinguer entre le « consentement de l’impôt » et le
« consentement à l’impôt ». Le premier – également qualifié de principe de « consentement
démocratique à l’impôt » – est une notion juridique qui renvoie à la reconnaissance par tous, au
travers de la Constitution, de la prérogative pour les pouvoirs publics de lever l’impôt. En d’autres
termes, le consentement de l’impôt – dans la mesure où il fonde la légitimité politique du
prélèvement financier à opérer – implique que ce prélèvement soit de manière explicite agréé par
ceux sur qui pèse la charge fiscale ou par leurs représentants. Le « consentement à l’impôt » est,
en revanche, une notion sociologique qui implique l’acceptation individuelle de l’impôt, la
soumission volontaire à l’obligation fiscale. Il trouverait son origine notamment en France où les
vassaux donnaient leur accord à la guerre déclarée par le suzerain, et donc à son financement par
un effort collectif. Ces assemblées de vassaux ont donné naissance aux premiers parlements, qui
ont conservé une compétence particulière pour décider des règles fiscales. Pour plus de détails,
lire T.-G. KALONJI, Impact des actions de l’OCDE et de l’UE contre l’évasion fiscale sur les
systèmes fiscaux des pays en développement. Quelques contributions à l’amélioration de la
fiscalité congolaise des entreprises à la lumière des expériences suisse et belge, Bâle - Neuchâtel,
éditions Helbing & Lichtenhahn, 2020, p. 30 et suivant.
766
330
L’observation empirique de la société congolaise – comme celle de plusieurs
pays en voie de développement, voire même de certains pays développés – révèle
l’existence d’une fiscalité parallèle à cette forme d’imposition officielle. C’est ce
qu’il convient de qualifier de « fiscalité informelle ». Il s’agit de tout paiement, qu’il
soit en liquide ou en nature, ne paraissant pas réglementaire, mais pesant sur des
membres ou non-membres de l’Etat ou des autres collectivités territoriales. Ces
paiements peuvent prendre toute sorte de formes et nomenclatures, y compris des
pots-de-vin et des paiements volontaires à des acteurs étatiques, des groupes ou des
agents de sécurité à des postes de contrôle, etc. Il peut aussi s’agir des prélèvements
obligatoires informels faits à des autorités traditionnelles770, pour des projets de
communauté spécifiques ou pour des gains privés; ou encore des prélèvements
informels non-étatiques, qui sont souvent appliqués en guise de sanction sociale et
pourraient prendre la forme de prélèvements communautaires, avec des paiements
faits à des groupes locaux, des groupes d’entraides ou d’autres structures autonomes,
ou des paiements de protection faits à des groupes armés771.
En dépit de l’existence de cette forme d’imposition, la recherche sur la
fiscalité informelle en RD Congo, et plus largement dans des nombreux pays en voie
de développement, est à un stade embryonnaire. Cette absence ou cette tendance à
se concentrer sur la fiscalité formelle occulte des méthodes d’imposition informelles
qui sont très vastes et importantes. Ces dernières ont plusieurs traits communs avec
la fiscalité formelle mais en diffèrent fondamentalement par le fait qu’elles ne sont
nullement établies par les mécanismes et les canaux officiels, ce qui n’est pas sans
conséquence sur le fonctionnement de nos sociétés (section I). L’évolution, la portée
et l’ampleur de ce phénomène ainsi que les conséquences qui en résultent, plaident
pour un dérèglement des pratiques sous-jacentes afin de rétablir la légitimité fiscale,
gage de l’efficacité et l’efficience de tout système fiscal (section II).
I.Quelques pratiques sociales incubatrices de la fiscalité informelle : un
dérèglement de la légitimité fiscale
Dans le circuit officiel, formel de la fiscalité, le produit de toute forme
d’imposition passe par certaines étapes avant d’aboutir dans les caisses du trésor. En
effet, toute imposition nécessite de pouvoir déterminer ce sur quoi elle va reposer,
en indiquer le fait générateur, et procéder à sa liquidation et son recouvrement. Les
pratiques de la fiscalité informelle suivent à peu près les mêmes scenarii (A).
N’étant cependant pas nécessairement due en vertu d’un consentement
formel – voire sociologique – de ceux qui en sont redevables, la fiscalité informelle
a des conséquences dommageables sur le fonctionnement de nos sociétés (B).
770
Par autorité traditionnelle, il faut entendre le pouvoir coutumier basé sur les us et coutumes locales
et reconnu par la constitution du 18 février 2006 telle que révisée à ces jours (article 207).
771
International centre for tax and development, Qu’avons-nous appris sur la fiscalité informelle en
Afrique subsaharienne ?, Brighton-UK, 2016, p. 9.
331
A.Conceptualisation de la fiscalité informelle
Les usages de la fiscalité informelle se matérialisent sous la forme des
surimpositions, des prélèvements supplémentaires à ceux formels, autodéterminés
par les agents des administrations fiscales, voire auto négociés avec les contribuables
au moment de la liquidation et du paiement des impositions formelles. De la sorte,
ces pratiques s’apparentent très largement aux mécanismes et procédures
traditionnels de la fiscalité formelle, à la seule différence qu’ils sont aléatoires,
imprévisibles, négociables pour ne citer que ces traits ; et donc en cela, elles sont aux
antipodes de la fiscalité formelle.
Ainsi, la matière imposable de la fiscalité informelle est calquée sur celle de
l’imposition formelle considérée (1). Ses procédures de liquidation (2) et de
recouvrement (3) se rapprochent de l’imposition formelle considérée, tout en restant
largement à la seule appréciation de l’agent taxateur et des capacités de négociation
du contribuable.
1.Détermination de la matière imposable relevant de la fiscalité informelle
Les canaux formels de la fiscalité considèrent que déterminer la matière
imposable d’une imposition revient à fixer c’est sur quoi elle va être assise. Il peut
s’agir d’une réalité physique à l’exemple de l’hectolitre d’alcool, ou d’une réalité
économique comme le chiffre d’affaires ou le revenu, ou encore d’une réalité
juridique à l’instar de la propriété pour les droits de mutation772.
Parallèlement à cette façon classique de considérer la matière imposable 773,
les acteurs de la fiscalité informelle assoient leur imposition en s’en rapprochant,
c’est-à-dire en considérant que des éléments en nature ou en espèce détenus par « des
contribuables » peuvent faire l’objet d’imposition. Aussi, ils ne prennent que très
peu en compte les facultés contributives « des redevables » – leurs charges de famille
par exemple – afin de personnaliser la charge fiscale informelle qu’ils devront
assumer.
De la même manière, les canaux officiels de la fiscalité recourent à un certain
nombre des méthodes pour déterminer l’assiette fiscale. Il peut s’agir d’une
déclaration contrôlée qui est un acte par lequel le contribuable fait connaitre à
l’administration l’existence de la matière imposable, son montant et éventuellement
tous les éléments nécessaires au calcul ou au contrôle774. Il peut aussi s’agir d’une
méthode forfaitaire qui permet de procéder à une évaluation simplifiée et à substituer
à la déclaration exacte d’une donnée un calcul approché, fondé sur une analyse
intérieure de cette donnée. Il s’agit en fait d’un accord entre le contribuable et
772
G. BAKANDEJA WA MPUNGU, Les finances publiques en République Démocratique du Congo.
La longue croisade pour une gouvernance financière débarrassée des démons de la corruption et
du détournement des deniers publics, Bruxelles, Bruylant, 2020, p. 87.
773
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU et B. TRESCHER, Droit fiscal général, Paris, Dalloz,
2021, p. 9.
774
S. DAMAREY, Droit public financier, 2ème édition, Paris, Dalloz, 2021, p. 89.
332
l’administration du fisc sans évaluation directe de la matière imposable. Une autre
méthode employée est celle indiciaire, consistant à évaluer la matière imposable à
partir de certains signes extérieurs aisément constatables et auxquels est attribuée
une valeur représentative donnée775.
Une observation empirique des pratiques de la fiscalité informelle au sein de
la société congolaise, révèle que ses acteurs usent de façon concomitante de chacune
de ces méthodes selon les cas en présence. En effet, la déclaration contrôlée des
pratiques de la fiscalité informelle intervient bien souvent lorsque cette dernière est
requise au moment de la déclaration et du paiement d’une imposition formelle. A
cette occasion, l’agent de l’administration fiscale exige, de la part du déclarant, des
paiements supplémentaires pour pouvoir être libéré de sa dette fiscale formelle. La
méthode forfaitaire attire également les suffrages des acteurs de la fiscalité
informelle dans la mesure où elle simplifie profondément les modalités de
détermination du montant à payer. Il en va de même de la méthode indiciaire grâce
à laquelle le montant du produit de l’imposition due est évaluée en fonction de signes
extérieurs révélant certaines informations des « contribuables ». Par exemple, un
contribuable ou redevable qui se rend auprès du fisc en voiture de luxe, se verra exigé
un versement supplémentaire plus important que celui exigé à un piéton !
2.Fait générateur et liquidation de l’imposition relevant de la fiscalité informelle
Le fait générateur d’une imposition formelle s’analyse classiquement comme
l’élément dont la survenance crée l’obligation fiscale dans son principe, c’est-à-dire
une relation juridique de créancier à débiteur entre la collectivité publique et le
contribuable776. Le législateur le définit à partir tantôt d’un événement économique
– la livraison des produits pour l’impôt sur la consommation ou d’un acte juridique
– le transfert de propriété pour les droits d’enregistrement777.
Quant à la liquidation, elle consiste à calculer le montant de la dette fiscale à
partir de l’assiette en y appliquant un taux proportionnel ou progressif. En d’autres
termes, elle a pour objet de déterminer le montant de la dette fiscale par application,
à la base d’imposition, d’un tarif de l’imposition778.
Comme en matière de fiscalité formelle, il y a toujours un élément, un
événement ou un acte posé à la suite de quoi l’imposition informelle vient se grever
et fait naitre une dette au profit de l’entité ou de l’agent qui la requiert.
775
M. BOUVIER, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, 14ème édition, Paris,
LGDJ, 2020, p. 7.
776
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU et B. TRESCHER, Op.cit., p. 14.
Ibidem, p.15.
778
G. BAKANDEJA WA MPUNGU, Op.cit., p. 90.
777
333
De même, à partir de l’assiette définie, les acteurs de la fiscalité informelle
procèdent à la détermination du montant à payer en appliquant un tarif généralement
négocié avec « les contribuables ».
3.Recouvrement du produit de la fiscalité informelle
Le recouvrement dans les circuits formels de la fiscalité, permet d’assurer le
transfert d’un « pouvoir d’achat » du contribuable vers le patrimoine du trésor public.
En d’autres termes, il s’agit des opérations à l’issue desquelles le produit de l’impôt
passe des « poches » des contribuables aux « coffres » de l’Etat. Il s’agit de
l’encaissement matériel ou effectif de l’impôt par l’administration779.
Cet encaissement est organisé par des procédures qui varient d’une catégorie
d’imposition à une autre.
Le paiement effectif de l’imposition intervient le plus souvent à l’initiative
de l’administration : sur la base de la déclaration du contribuable elle liquide et lui
adresse un avis d’imposition. Parfois le paiement est spontané parce que la loi a mis
aussi à la charge du redevable une obligation de liquidation ; parfois aussi le
recouvrement sera effectué par un tiers chargé de procéder à une retenue à la source
sur les sommes qu’il perçoit. Si le contribuable ne s’exécute pas, le comptable public
met en œuvre des procédures de recouvrement forcé pour obtenir le règlement de
l’imposition, en usant des moyens de contrainte légaux.
Dans le cas particulier de la fiscalité informelle, on observe que le
recouvrement s’opère concomitamment avec celui de l’imposition formelle lorsque
celle-là se grève sur celle-ci. Lorsque l’imposition informelle n’intervient pas à la
suite ou ne se grève pas à une imposition formelle, les acteurs et les « redevables »
de la fiscalité informelle recourent à des modalités de recouvrement qui
s’apparentent à celles formelles.
Lorsque les « contribuables » ne s’exécutent pas, l’agent taxateur de
l’imposition informelle recourt à des modalités de contrainte pour l’amener à régler
sa dette fiscale et ce, sans le contrôle d’un quelconque juge. Rien n’est facile à
prouver. Rien n’existe, alors le juge ne peut rien faire !
B.Quelques conséquences
Ces pratiques attachées à la fiscalité informelle ont des conséquences néfastes
qui remettent en cause la « nature fiscale », les fondements même sur lesquels repose
tout système fiscal efficient. De la sorte, ils atteignent la sécurité juridique des
779
S. DAMAREY, Op.cit., p. 90.
334
contribuables (1), dégradent l’environnement des affaires (2) et impactent
négativement la capacité de mobilisation des recettes de l’Etat (3).
1.Insécurité juridique des contribuables
La fiscalité formelle représente un poids, une contrainte à la charge des
personnes qui en sont destinataires. De la sorte, il est utile qu’elles soient à même
d’identifier les règles qui la gouvernent. Ces règles doivent aussi être intelligibles
afin d’en faciliter l’usage. Il en va de même des relations qui se nouent entre
l’administration et les contribuables. On parle alors de sécurité juridique ou juridicofiscale pour les contribuables/redevables.
Or, le droit fiscal traduit sous la forme des normes, des objectifs politiques,
économiques et sociaux extrêmement variés. C’est la raison pour laquelle, il est
réputé être un droit complexe et la complexité de ce droit « n’a d’égale que la variété
des situations qu’il doit appréhender »780. Pour ce faire, le législateur est appelé à
réformer continuellement les règles fiscales, au travers notamment des dispositions
dérogatoires. Dans la même veine, on assiste à une floraison des sources de ce droit,
aussi bien sur le plan national qu’international. On s’aperçoit aussi de nouveaux
domaines, de nouveaux acteurs et de nouveaux problèmes. La conséquence d’un tel
« décor » est « une extrême diversité des impositions ainsi que des règles d’assiette
et de procédures souvent très compliquées qui renvoient une image complexe de la
structure fiscale qui n’est pas du tout sécurisante »781.
Les efforts fournis par les Etats vont donc dans le sens de mettre sur pied un
cadre qui permette de bien appréhender la norme fiscale, de faciliter
l’accomplissement des obligations fiscales et plus largement d’harmoniser les
relations qui s’établissent entre contribuable et administration fiscale. En d’autres
termes, les règles régissant notamment l’établissement et le recouvrement de l’impôt
ou encore la procédure, doivent être définies en des termes suffisamment clairs et
précis, pour permettre aux contribuables de s’acquitter convenablement de leur dette
fiscale782.
La montée en puissance du phénomène de la fiscalité informelle peut sans
aucun doute avoir un impact négatif sur la représentation que se font les
M. BOUVIER, Op.Cit., p. 8. Au sujet de la complexité des règles fiscales, c’est sans exagération
lorsque DEDEURWAERDER relève qu’elles sont arides, occultes, obscures, ésotériques,
hermétiques,
absconses,
impénétrables,
opaques,
rébarbatives,
etc.
Voir
G.
DEDEURWAERDER, Théorie de l’interprétation et droit fiscal, Paris, Dalloz, 2010, p.132.
781
M. BOUVIER, Op.Cit., p.186.
782
Dans ce sens, lire F. BELLANGER, « Les principes constitutionnels et de procédure applicables
en droit fiscal », Les procédures en droit fiscal, OREF (éd.), Berne, éditions Haupt, 2015, p.58 ;
C. CONSTANTIN, « Réflexions sur l’interprétation des lois d’impôt », Revue de droit
administratif et de droit fiscal, Partie 2 – Droit fiscal, Année 20 (1964), No. 1, p.1.
780
335
contribuables du système fiscal en général. Elle peut, en effet, contribuer à alourdir
la charge fiscale globale des contribuables dans des proportions confiscatoires783 et
les amener à perdre confiance dans le système fiscal.
2.Dégradation du climat des affaires
D’emblée, il convient de préciser – à la suite de KALONJI et LUKUSA784 –
que l’expression « climat des affaires » renvoie, en termes simples, à un espace
conceptuel dans lequel évolue une entreprise. Il s’agit de l’ensemble des facteurs
ayant un impact sur ses décisions et le développement de son activité. De manière
non exhaustive, le climat des affaires intègre les facteurs sociodémographique,
économique, politique, juridique, infrastructurel, technologique, environnementale,
culturels, etc. En d’autres termes, c’est l’ensemble de tous ces facteurs qui poussent
un investisseur à décider de s’installer dans un milieu ou dans un pays donné pour
faire ses affaires.
Ainsi, le climat des affaires est une perception que se fait le secteur privé sur
différents domaines de l’environnement des affaires. Cette appréhension conditionne
les décisions d’investissement. Un des aspects sur lesquels repose cette appréhension
est la fiscalité.
Dans cette veine, le baromètre national du climat des affaires en RD Congo
mesure le pilier fiscalité à travers notamment le niveau de la pression fiscale, la
complexité des procédures, la fréquence des contrôles fiscaux, le niveau de
satisfaction à l’égard des administrations fiscales785.
On peut observer que l’émergence et le développement de la fiscalité
informelle impactent la perception que les opérateurs économiques se font du climat
des affaires dans sa branche fiscalité dans la mesure où elle augmente le niveau
général de leur imposition. En ce sens, elle ne contribue donc pas à son amélioration,
mais plutôt participe de la réduction du niveau des investissements.
Globalement, une imposition est qualifiée de « confiscatoire » lorsqu’elle est lourde et méconnait
les principes constitutionnelles ou légales qui garantissent la propriété privée. Voy. T. OBRIST et
T. BORNICK, « L’imposition confiscatoire sous l’angle du droit Suisse », Revue européenne et
internationale de droit fiscal, No. 2017/2, p.171 et suivants.
784
T.-G. KALONJI et Ch. LUKUSA, « Climat des affaires et fiscalité incitative en faveur des
entrepreneurs - Aperçu à la lumière de la nouvelle législation sur la promotion de l’entrepreneuriat
et des startups en RD Congo », Momentum Working Paper Online, N°1-2022 ׀Octobre 2022, Vol.
1, p. 17.
785
Présidence de la République Démocratique du Congo, Cellule climat des affaires, Baromètre
national du climat des affaires en République Démocratique du Congo, 2023, p.10.
783
336
3.Inclinaison de la capacité de mobilisation de recettes fiscales
L’accroissement constant des besoins financiers de l’Etat ainsi que des autres
collectivités publiques, ne cesse de mettre en lumière l’importance de l’impôt dans
nos sociétés, particulièrement dans les pays en développement où la pression fiscale
demeure faible, dans une moyenne de 10 à 17% du PIB contre 40-45% du PIB dans
les pays industrialisés786.
A l’instar de plusieurs pays en développement, la RD Congo rencontre de
nombreuses difficultés dans la mobilisation de ses recettes fiscales. Ces difficultés
sont dues notamment à l’étroitesse de l’assiette fiscale, les défaillances dans
l’organisation et le fonctionnement des administrations fiscales, la mondialisation
des échanges qui a impacté sur les impositions indirectes, la montée en puissance de
l’économie numérique…qui rendent mobile l’assiette fiscale et, par conséquent,
difficile à imposer.
A côté de ces écueils qui affaiblissent la capacité de la RD Congo à mobiliser
des recettes fiscales, il faut ajouter le phénomène de la fiscalité informelle qui a un
impact réel sur la légitimité fiscale. En effet, ce phénomène a pour conséquence une
perte de confiance, un désaveu du système fiscal qui se caractérise par la fraude et
l’évasion fiscale faisant ainsi perdre à l’Etat des recettes fiscales considérables.
II.Délégitimation des pratiques sociales incubatrices de la fiscalité informelle :
pour une consolidation de la légitimité fiscale
En RD Congo, plusieurs textes juridiques proscrivent formellement les
pratiques de surimpositions et/ou de perception des montants supérieurs à ceux
légalement à devoir par les contribuables. Ces pratiques sont souvent flagellées sous
les auspices des règles pénales. Dans la pratique cependant, les agents des
administrations fiscales établissent et imposent des frais supplémentaires à ceux dus
par les contribuables, conditionnant ainsi la constatation formelle du paiement
effectué par les contribuables à la perception de ces derniers. Pareil agissement remet
fondamentalement en cause la nature du système fiscal et les principes sur lesquels
il est assis, tout en le rendant illégitime. Il convient donc de lutter efficacement contre
ces pratiques afin de rétablir la légitimité fiscale (A).
La fiscalité informelle n’est cependant pas le seul fait des agents des
administrations fiscales du pouvoir formel. Elle relève aussi des autorités
traditionnelles exerçant leur pouvoir dans les milieux les plus reculés du territoire
national où l’autorité de l’Etat est invisible. Le mécanisme de décentralisation fiscale
786
N. MEDE et E. TONI, La fiscalité de développement en Afrique de l’ouest francophone,
L’Harmattan, Paris, 2018, p. 42.
337
institué par la constitution de 2006 – telle que révisée à ces jours – peut permettre de
mieux identifier le pouvoir fiscal et de mieux le répartir au sein des différentes entités
territoriales. Le pouvoir traditionnel légalement reconnu pourrait être mis à
contribution pour faciliter cet exercice (B).
A.Lutter efficacement contre les pratiques de surimposition déployées par les
administrations fiscales et non fiscales
La floraison au sein de la société congolaise des pratiques de surimpositions,
de perception des frais supplémentaires au moment de l’accomplissement
d’obligations déclaratives fiscales, a fini par instaurer une fiscalité parallèle qui mène
son chemin avec succès bien que plusieurs les déplorent. Il s’agit, dans ce contexte,
de rappeler qu’elles ne sont aucunement légales (1) et que la seule façon d’y mettre
un terme est d’infliger des sanctions contre ceux qui en sont plébiscitaires (2).
1.Portée de l’interdiction des pratiques de surimposition déployées par les
agents des administrations fiscales
Sous ce titre, l’expression « administrations fiscales » est générique et
concernent à la fois la Direction générale des impôts (DGI), la Direction générale
des douanes et accises (DGDA), et la Direction générale des « recettes non fiscales »
(DGRAD).
Plusieurs textes relatifs au recouvrement des impositions de toute nature
proscrivent, explicitement ou implicitement, la perception des droits
supplémentaires aux droits légalement dus par les redevables.
Il en est ainsi, à titre illustratif, de l’alinéa 2 de l’article 3 de l’Ordonnanceloi n°18/003 du 13 mars 2018 fixant la nomenclature des droits, taxes et redevances
du pouvoir central, qui prévoit que la perception des frais administratifs, en plus des
droits, taxes et redevances légalement consacrés, est prohibée. Dans la même veine,
tout acte instituant de tels frais ou amputant des droits dus au Trésor public est nul
de plein droit.
Dans le même sens, l’esprit global du décret n° 20/019 du 21 août 2020
modifiant et complétant le décret n° 007/2002 du 2 février 2002 relatif au mode de
paiement des dettes envers l’Etat, proscrit la perception des sommes au-delà de celles
qui sont dues.
2.Sanctions contre les pratiques de surimpositions déployées par les agents des
administrations fiscale et non fiscale
Les administrations fiscales congolaises bénéficient des quelques primes de
performance pour encourager le travail abattu par leurs agents. Cette forme
338
d’encouragement est censée permettre à ces derniers de travailler dans des meilleures
conditions et sous le respect strict des obligations déontologiques.
Lorsque la pratique de surimpositions est durablement ancrée dans l’âme de
notre société, il convient d’agir efficacement pour l’enrayer ou, à tout le moins, la
réduire. Pour y parvenir, l’application des sanctions à l’encontre des agents fiscaux
contrevenants serait un moyen susceptible de permettre d’atteindre cet objectif. Dans
cette veine, les sanctions auxquelles on pourrait recourir sont civiles, pénales ou
disciplinaires.
Sous l’angle de la sanction civile, l’alinéa 2 de l’art 3 de l’Ordonnance-loi
n°18/003 prérappelée, renseigne que tout acte instituant des frais supplémentaires ou
amputant les droits du trésor sont nuls. La nullité est par définition une sanction qui
atteint la validité d’un acte juridique ou d’une procédure. Lorsqu’elle est prononcée,
elle ramène les parties dans une situation initiale (statu quo ante), c’est-à-dire celle
qui prévalait avant que l’acte ne soit posé787. Concrètement, dans le cas échéant,
l’acte est regardé comme nul et les montants indument perçus sont remboursés au
contribuable.
D’un point de vue pénal, la pratique de surimpositions peut être analysée sous
l’angle de la concussion, c’est-à-dire une infraction commise par une personne
dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ;
laquelle personne soit reçoit, exige ou ordonne de percevoir, à titre d’impositions,
une somme qu’elle sait ne pas être due ou excéder ce qui est dû, soit accorde une
exonération ou franchise de ces impositions en violation de la loi788. Cette infraction
peut être sanctionnée en application des textes pénaux correspondant789.
Quant au côté disciplinaire, par exemple la loi du 15 Juillet 2016 portant statut
des agents de carrière de services publics de l’Etat ainsi que le décret-loi du 03
Octobre 2002 portant code de conduite de l’agent public de l’Etat ainsi que les
différents règlements d’administrations des administrations financières, imposent un
certain nombre d’obligations déontologiques aux agents publics. La violation de ces
obligations déontologiques est sanctionnée par des sanctions disciplinaires
contraignantes.
B.Accélérer la mise en œuvre de la fiscalité locale pour maitriser les formes
d’impositions pratiquées par les autorités locales traditionnelles
La fiscalité informelle est, en RD Congo, une réalité courante dans de
nombreuses entités et collectivités où l’autorité de l’Etat n’est pas présente ou
787
Dans ce sens, voir S. GUINCHARD et Th. DEBARD, Lexique des termes juridiques, 25e édition,
Paris, Dalloz, 2017, p. 764 et suivant.
788
Idem, p. 257.
789
Voir l’article 146 du Décret du 30 janvier 1940 portant code pénal, tel que modifié et complété à
ce jour.
339
faiblement représentée. Elle est le fait des autorités traditionnelles et coexiste avec
la fiscalité formelle.
Pourtant, par essence la fiscalité ne saurait être le fait des autorités
coutumières soient-elles constitutionnellement reconnues. Cependant, ces autorités
peuvent être mises à contribution pour permettre d’identifier les contribuables et
faciliter les opérations de recouvrement du produit de la fiscalité formelle.
Dans ce contexte, il est utile de rappeler rapidement le cadre légal de la
compétence fiscale des collectivités territoriales en RD Congo (1) et déterminer
comment les autorités traditionnelles peuvent être mises à contribution dans le
processus d’imposition formelle au niveau des collectivités locales les plus reculées
(2).
1.Cadre juridique de la compétence fiscale
Il est de principe que les impôts, droits, taxes et redevances sont créés,
modifiés et supprimés par la loi790. De ce fait, le pouvoir fiscal est une attribution qui
relève des assemblées législatives centrales qu’elles partagent avec l’exécutif791.
Cependant, dans le cadre de la décentralisation, les entités territoriales
décentralisées peuvent se voir dotées d’une certaine autonomie en matière fiscale,
qu’elles exercent dans les limites légales fixées. Dans ce contexte, la constitution du
18 février 2006 telle que révisée à ces jours, la loi du 31 juillet 2008 relative à la libre
administration des provinces, la loi organique du 07 Octobre 2008 portant
composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées
et leurs rapports avec l’Etat et les provinces, la loi du 13 Juillet 2011 relative aux
finances publiques ainsi que d’autres textes relatifs à la décentralisation, accordent
une autonomie fiscale aux entités territoriales décentralisées.
A côté de ces textes, les ordonnances-loi du 13 mars 2018 fixant la
nomenclature des droits, taxes et redevances du pouvoir central, de la province et de
l’entité territoriale décentralisée, permettent d’identifier sans ambiguïté les
différentes impositions des différents niveaux des pouvoirs.
2.Participation des autorités traditionnelles dans le processus d’imposition au
niveau des collectivités locales
Dans les entités reculées de la RD Congo où l’autorité de l’Etat est absente,
les contribuables font bien plus confiance aux impôts informels que formels. Plus
directement, ces contribuables croient que les impôts informels [non-étatiques]
790
791
Voir article 174 de la Constitution de la RD Congo de 2006, telle que révisée en 2011.
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU et B. TRESCHER, Op.cit., p.16.
340
relevant des chefferies ont plus de chance d’être utilisés pour le bénéfice des
communautés, la plupart ou presque tout le temps, mieux que les impôts formels ou
informels étatiques. Il existe aussi, dans l’appréhension de ces contribuables, une
division similaire dans la manière dont les impôts formels ou informels sont perçus,
au travers de signes comme l’impartialité et la visibilité de la fixation des taux,
l’honnêteté des recouvrements, et la probabilité d’imposer les acteurs qui abusent
des recettes fiscales ou des recettes destinées à un projet de développement.
Une plus grande confiance locale dans une fiscalité informelle peut être la
conséquence d’une plus grande confiance dans des autorités locales et informelles,
car elles sont plus efficaces dans les prestations de services, et peuvent valoriser des
approches alternatives pour le recouvrement des impôts locaux, potentiellement si
l’Etat formel et ces acteurs informels coopèrent de manière plus soudée dans leurs
prestations de services.
Dans ce contexte, la seule façon de rétablir la fiscalité formelle dans ces
entités reculées est d’une part, d’en faire l’instrument véritable du financement de
l’action publique locale, et d’autre part d’associer les autorités traditionnelles plus
proches des administrés concernés afin de faciliter l’identification des contribuables
et les opérations de recouvrement.
Conclusion
En péroraison, il convient de retenir que la fiscalité informelle peut être
perçue – selon la logique que la fiscalité participe de l’édification de l’Etat – comme
une opportunité échappant à l’Etat en termes d’affaiblissement de ses revenus, aux
antipodes du renforcement de l’Etat. D’un autre côté, la prévalence de la fiscalité
informelle peut être également perçue comme une alternative efficace à des Etats
formels inefficaces: un moyen pour les citoyens d’éviter les dispositifs étatiques
coercitifs et irresponsables.
Quel que soit l’angle sous lequel on aborde la question, il ne faut pas perdre
de vue que les pratiques de fiscalité informelle ont un impact négatif sur la fiscalité
formelle de manière générale. En effet, elles contribuent à réduire la confiance que
les contribuables entretiennent à l’endroit du système d’imposition, avec toutes les
conséquences sous-jacentes.
Dans ce contexte, on ne peut donc pas se satisfaire de l’expansion de ce
phénomène dans une société comme la nôtre où la fiscalité formelle en soi connait
déjà plusieurs difficultés et peine à assumer ses fonctions traditionnelles.
*
*
*
341
La tierce opposition en droit judiciaire congolais
Par :
Hubert KALUKANDA MASHATA
Doctorant en Droit à l’Université de Lubumbashi Avocat
à la Cour d’Appel du Haut-Katanga en RDC et Conseil
à la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples.
Résumé
La présente réflexion a examiné la portée et l’étendue de la tierce opposition en Droit
judiciaire congolais.
En effet, le Droit congolais prévoit et organise la tierce opposition, la requête civile
et la cassation comme voies de recours extraordinaires. Il en est de même de la prise à partie.
La tierce opposition, voie de recours extraordinaire classique du Droit français et
belge, a été introduite dans l’arsenal judiciaire de la République Démocratique du Congo
(RDC) par le décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile lors de la reforme
opérée à cette époque. Sans doute eut-on pu soutenir à bon droit que les principes généraux
du droit exigent qu’un jugement ne puisse faire grief à un tiers qui n’y a pas été partie, mais
si la tierce opposition est une procédure utile à cette fin, la non-opposabilité peut
généralement suffire.
Ainsi, la tierce opposition est ouverte contre toutes les décisions de justice, même
provisoires ou conservatoires, pourvu que les conditions imposées par l’article 80 du Code
de procédure civile soient respectées. La recevabilité de ce recours est donc de principe.
Mots-clés : tierce opposition – voie de recours extraordinaire- tierce opposition principale
– tierce opposition incidentes – décision de justice.
Abstract
This reflection examined the scope and extent of third-party opposition in Congolese judicial
law.
Indeed, Congolese law provides for and organizes third-party opposition, civil petition and
cassation as extraordinary remedies. The same is true of the attack.
The third-party opposition, a classic extraordinary remedy under French and Belgian law,
was introduced into the judicial arsenal of the Democratic Republic of Congo (DRC) by the
decree of 7 March 1960 on the Code of Civil Procedure during the reform carried out at
that time. It might have been fair to argue that the general principles of law require that a
judgment cannot adversely affect a third party who has not been a party to it, but if a thirdparty objection is a useful procedure for that purpose, non-enforceability may generally
suffice.
342
Thus, third-party opposition is available against all court decisions, even provisional or
conservatory, provided that the conditions imposed by Article 80 of the Code of Civil
Procedure are respected. The admissibility of this action is therefore a matter of principle.
Keywords : third-party opposition – extraordinary remedy – third-party main opposition –
third-party interlocutory objection – court decision.
Plan sommaire
Introduction
I.Cadre théorique de la tierce opposition
1. Notions sur la tierce opposition
2. Formes de l’action en tierce opposition
II. Portée et étendue de la tierce opposition en droit congolais
1. Conditions de recevabilité de la tierce opposition
2. Effets de la tierce opposition
Conclusion
…………………………………………………………………………………..
Introduction
Le Droit congolais connaît la tierce opposition792, la requête civile793 et la
cassation comme voies de recours extraordinaires794. Il en est de même de la prise à
partie795, bien que le caractère de ce recours, en l’occurrence la mise à néant du
jugement entaché de dol dans le chef du juge, ne soit qu’un effet accessoire de cette
action.
En effet, la présente réflexion se limite à l’analyser spécifique de la « tierce
opposition ». Certes, le problème que nous abordons est bien connu des praticiens de
Droit. Cependant, il est peu connu du public796 (ou des justiciables). La tierce
opposition, voie de recours extraordinaire classique du Droit français et belge, a été
introduite dans l’arsenal judiciaire de la République Démocratique du Congo (RDC)
par le décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile lors de la reforme
opérée à cette époque.
La principale préoccupation au cœur de cette étude consiste à nous interroger
sur la portée et l’étendue de la tierce opposition, ainsi que ses conséquences
792
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Décret du 07 mars 1960 portant code de
procédure civile, Articles 80 à 84.
793
Décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile, Articles 85 à 95.
794
Antoine RUBBENS, Le droit judiciaire congolais, Tome II, Kinshasa, Presses Universitaires du
Congo, 1978, p. 191.
795
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Loi organique n° 13/010 du 19 février
2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation, Article 55.
796
KITOKO KIMPELE, La tierce opposition, Discours du Premier Président de la Cour Suprême de
Justice prononcé à l’occasion de la rentrée judiciaire 2017-2018, Kinshasa, 2017, p.5.
343
juridiques. Sans doute eut-on pu soutenir à bon droit que les principes généraux du
droit exigent qu’un jugement ne puisse faire grief à un tiers qui n’y a pas été partie797,
mais si la tierce opposition est une procédure utile à cette fin, la non-opposabilité
peut généralement suffire798.
L’action en tierce opposition doit en principe être dirigée contre celui qui
invoque le jugement incriminé. Il semblerait logique que l’on imposa aux tiers qui
attaquent la chose jugée entre les parties à un procès, de mettre en cause toutes ses
parties. En fait, le tiers opposant aura généralement intérêt à appeler toutes les parties
au premier procès à la deuxième instance pour avoir un jugement commun799, ou
opposable à toutes les parties.
Ainsi, la doctrine800 est assez partagée sur l’organe habilité à prendre la
décision préalable portant sur la suspension de l’exécution d’un jugement ou arrêt
attaqué en tierce opposition.
Hormis l’introduction et la conclusion, il sera question de relever le cadre
théorique de la tierce opposition (I) ; la portée et l’étendue de la tierce opposition en
Droit congolais (II).
797
DERRIKS, « La tierce opposition », In R.J., 1928, p.13.
A. RUBBENS, Op.cit., p.192.
799
GLASSON, Précis de procédure civile, Tome II, Paris, 1902, p.61, cité par A. RUBBENS, Op.cit.,
p.194.
800
MATADI NENGA GAMANDA, « Interprétation de l’article 84 du code de procédure civile », In
Les Analyses Juridiques, N°19 et 20, Lubumbashi, 2010, pp.51-52 ; p.63. Avocat de profession et
Professeur des Universités, l’auteur enseigne que cette décision ne peut résulter que d’un acte
juridictionnel. En revanche, la doctrine du Magistrat Gilbert KABASELE LUSONSO, « A propos
de l’article 84 du code de procédure civile », In Les Analyses Juridiques, N°20, Lubumbashi,
2010, pp.46-48. Du haut de son expérience de Président du Tribunal de Grande Instance, l’auteur
persiste et signe : C’est soit par un jugement, soit par une ordonnance que cette décision doit être
prise. Lire également cette position dans les numéros 21 et suivants de la même revue « Les
Analyses Juridiques ». Ainsi, s’invita dans le débat le Magistrat et Professeur de son état, Gérard
KATAMBWE MALIPO, « A propos de l’article 84 du Code de procédure civile : Quel est
l’organe habilité à prendre la décision de la suspension de l’exécution d’un jugement ou arrêt
attaqué en tierce opposition », In Les Analyses Juridiques, N°23, Lubumbashi, 2012, pp.41-45.
Selon cet auteur aussi Président du Tribunal de Grande Instance, la suspension (de l’exécution du
jugement ou arrêt s’entend) est faite par jugement (ou arrêt). Le juge saisi doit trancher par acte
juridictionnel, motivé, s’il accorde ou n’accorde pas la suspension de l’exécution de la décision
contre laquelle la tierce opposition est formée. Cet auteur renchérit que la suspension ne peut pas
intervenir d’une autre manière que par jugement (ou arrêt). Bref, le débat sur cette question ouvert
depuis près de quatre ans est à retrouver dans les numéros 19, 20, 21, 23, 24, 25 et 26 de la revue
« Les Analyses Juridiques ».
798
344
I.Cadre théorique de la tierce opposition
L’analyse du cadre théorique de la tierce opposition portera essentiellement
sur les notions de base (1), ainsi que sur les formes de la tierce opposition (2), telles
que prévues en Droit judiciaire congolais.
1.Notions de la tierce opposition
Le concept « tierce opposition » est issu de la combinaison de deux termes,
à savoir « tierce » (a) d’une part, et « opposition » (b), d’autre part, qu’il importe de
définir à toutes fins utiles ce, avant d’appréhender le sens lexical de deux termes mis
ensemble (c).
A. Définition du terme tierce (tiers)
Le mot « tierce ou tiers » vient du latin « tertius801 » qui signifie littéralement,
troisième personne ou personne étrangère à une affaire. Il semble d’appréhension
facile ou aisée à première vue. Cependant, le terme « tierce » a fait l’objet de
nombreuses études doctrinales dans la mesure où il renferme des ambiguïtés, si bien
que la qualité de tiers emporte parfois des incidences juridiques particulièrement
importantes.
En effet, le terme « tierce » est de plus en plus utilisé dans plusieurs
disciplines juridiques, notamment en Droit commercial et en Droit de suretés.
En Droit congolais, voire en Droit comparé, le terme « tierce ou tiers »
désigne, par opposition à « partie », toute personne étrangère à une instance, à une
convention ou à un acte juridique quelconque802. Autrement dit, il s’agit de toute
personne étrangère à une situation juridique ou même une personne autre que celle
dont on parle803. Par exemple, dans un contrat d’assurance de responsabilité, le tiers
est celui qui a subi le dommage dont l’assuré est responsable ; l’assuré est celui sur
lequel pèse le risque de responsabilité. En matière contractuelle, le tiers est la
personne étrangère à ce qui a été conclu et qui ne peut se voir opposer les termes de
la convention. Il ne peut pas non plus en réclamer le bénéfice. Abordons à cet effet
la définition du terme opposition.
B. Définition du terme opposition
Le terme « opposition » est entendu comme l’acte par lequel une personne
empêche légalement l’accomplissement d’un acte ou rend indisponible un titre se
trouvant entre les mains de son dépositaire.
801
https://www.cnrtl.fr/etymologie/tiers/1 (consulté le 09 octobre 2023 à 20h05)
Augustin MPANYA B. MUKELENGE, Dictionnaire juridique pratique, 1e édition, Kinshasa,
Presses Universitaires de Kinshasa, 2006, p.527.
803
Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 10e édition, Presses Universitaires de France, Paris, 1987,
p.1024.
802
345
Gérard Cornu souligne que c’est le fait de s’opposer à quelque chose, à un
jugement, l’acte par lequel on s’oppose, la situation qui en résulte. Elle signifie aussi
une manifestation de volonté destinée à empêcher l’accomplissement d’un acte
juridique ou à en neutraliser les effets : un veto, une contestation, un refus804.
Ainsi, l’ « opposition » constitue une voie de recours805 qui tend à faire
rétracter, c’est-à-dire, rejuger par la même juridiction, un jugement rendu par défaut
ou en l’absence de la partie qui en est l’objet, mais qui n’a pu faire valoir ses
arguments lors de la première instance. Lorsqu’une partie fait opposition, la
juridiction ayant initialement statué est à nouveau saisie de l’ensemble du litige et
une nouvelle instance reprend ab ovo, pouvant aboutir à la confirmation ou à
l’anéantissement de la première décision. Après l’étude des termes ci-dessus, il y a
lieu d’aborder le concept « tierce opposition ».
C. Esquisse lexicale de la tierce opposition
Le Législateur a ainsi prévu des couloirs permettant à toute personne
justifiant d’un intérêt d’attaquer une décision de justice qui lui porte préjudice. En
revanche, certains plaideurs véreux tentent souvent de s’engouffrer dans la brèche,
plus pour retarder les effets du verdict que pour une nouvelle analyse de l’affaire.
Il résulte d’un constat réel que, le Législateur congolais a prévu et organisé
la « tierce opposition », sans en donner une définition. A cet effet, la doctrine tente
de définir la tierce opposition comme une voie de recours extraordinaire que peuvent
former, contre un jugement qui préjudicie à leurs droits806, des personnes qui n’ont
pas été parties ni représentées à la procédure alors qu’elles avaient intérêt à y
défendre. L’idée est de protéger les tiers dont les intérêts seraient menacés par une
décision de justice rendue sans qu’ils aient pu défendre leurs droits807.
En principe ce recours est porté devant la juridiction qui a rendu la
décision critiquée 808.
Signalons que cette voie de recours ressemble à l’opposition en ce que le
tribunal qui remet l’affaire au rôle entend à nouveau809 les parties et rend un second
jugement. Mais, son pouvoir est alors limité, en ce sens que s’il déclare la demande
recevable et fondée, il ne peut modifier sa décision que sur les chefs de demande qui
sont préjudiciables au requérant. D’autre part, si au moment où l’intéressé forme
804
G. CORNU, Op.cit., p.1023.
A. MPANYA B. MUKELENGE, Op.cit., p.388.
806
Décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile, Article 80.
807
Maxime BIZEAU, La tierce opposition : définition, conditions, procédure et effets, en ligne sur :
https://fiches-droit.com/tierce-opposition (Consulté le 12 novembre 2023 à 14h14).
808
Philippe
PERNAUD,
Tierce
opposition,
en
ligne
:
https://www.pernaud.fr/info/glossaire/9206925/tierce-opposition (Consulté le 12 novembre 2023
à 15h04).
809
Serge BRAUDO, Définition de tierce opposition, en ligne sur : https://www.dictionnairejuridique.com/definition/tierce-opposition.php (Consulté le 22 novembre 2023 à 21h54).
805
346
tierce opposition, le jugement est devenu définitif à l’égard des autres parties ou à
l’égard de l’une ou l’autre d’entre elles, les modifications qui interviennent ne leur
sont pas opposables810.
Selon Katuala Kaba Kashala et Mukadi Bonyi, la « tierce opposition » est un
moyen ouvert par la Loi à une personne qui n’a pas figuré à une instance pour
attaquer le jugement rendu à la suite de cette instance en tant que ce jugement porte
préjudice à ses droits et pour en demander la rétractation ou la reformation811. La
juridiction ne prend pas en considération des faits intervenus postérieurement à
la décision et ne prend en considération que les faits qui auraient pu être portés
à la connaissance de la juridiction au jour où elle a statué, si le tiers y avait été
partie 812. Une partie (autre que le tiers opposant) n'est d'ailleurs pas recevable à
soulever dans le cadre d'une tierce opposition des arguments qu'elle avait omis
de soulever lorsque l'affaire avait été évoquée 813 et n'étant pas l'auteur de la tierce
opposition ne peut y formuler que des moyens de défense pour en soulever le cas
échéant l'irrecevabilité ou l'absence de fondement.
La tierce opposition est une voie de recours extraordinaire réservée aux tiers
pour attaquer une décision qui préjudicie à leurs droits814.
Gérard Cornu, abordant dans le même sens, définit la tierce opposition
comme étant une voie « extraordinaire » de recours permettant, en principe à toute
personne qui n’a été ni partie ni représentée à une instance d’attaquer, s’il lui est
préjudiciable le jugement rendu en dehors d’elle pour demander au juge de rejuger,
en ce qui la concerne les points qu’elle a critiqués et, sur ces points, de rétracter ou
de reformer le jugement relativement en elle815.
Pour la Cour Suprême de Justice de la RDC (éclatée actuellement en trois
juridictions, à savoir : la Cour de cassation, le Conseil d’État et la Cour
constitutionnelle), la tierce opposition comme une voie de recours extraordinaire qui
confère le droit à tiers non appelé à la cause de s’opposer à une décision qui
préjudicie à ses droits816. Il résulte de cette jurisprudence que la tierce opposition a
pour objet la rétractation ou la reformation d’un jugement qui a fait grief à un tiers.
Il sied de relever qu’il y a la rétractation, lorsque la même juridiction, qui a
rendu la décision attaquée corrige la partie du jugement qui a lésé un tiers dans ses
810
A.MPANYA B. MUKELENGE, Op.cit., p.527.
KATUALA KABA KASHALA et MUKADI BONYI, Procédure civile, Kinshasa, Editions
Batena Ntambua, 1999, p.152.
812
Cass civ 2ème 7 janvier 1999 n°95-21197.
813
Cass civ 2ème 9 octobre 2008 n°07-12409.
814
MATADI NENGA GAMANDA, Le droit judiciaire privé, Kinshasa, Éditions Droit et idées
nouvelles, 2006, p. 479.
815
G.CORNU, Op.cit., p.1024.
816
CSJ, RC.47, 8/05/1979, BACSJ.1975, p.137, citée par DIBUNDA KABUINJI
MPUMBUAMBUJI, Répertoire général de la jurisprudence de la Cour Suprême de Justice 19681985, Kinshasa, C.P.D.Z., 1990, p.226.
811
347
droits817. En revanche, il y a la reformation, lorsqu’une autre juridiction que celle
dont la décision est attaquée corrige la partie du jugement qui l’a lésé dans ses droits.
Pour bien y parvenir, il est impérieux que le tiers opposant appelle toutes les
parties au premier procès ou à la deuxième instance selon le cas afin d’avoir un
jugement opposable à tous.
Cette voie de recours est dite « extraordinaire », car elle est exceptionnelle
dans la mesure où elle ne peut s’exercer que si certaines conditions particulières sont
réunies et pour une situation bien déterminée, contrairement aux voies de recours
ordinaires, notamment l’opposition et l’appel utilisés respectivement contre les
jugements par défaut ou contradictoires dans les délais légaux818.
Pour notre part, la tierce opposition est une voie de recours extraordinaire qui
confère le pouvoir à un tiers non appelé à une instance (ou à un procès) de s’opposer
à une décision de justice qui cause un préjudice à ses droits ou à ses intérêts. A cet
effet, la tierce opposition tend à obtenir la rétractation ou la reformation de la
décision de justice attaquée.
C’est dans cette logique que le Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi a rendu son jugement
sous RC. 32935, dont la motivation est comme suit : « Qu’en l’espèce, sous le jugement RC 31509,
ayant ordonné le déguerpissement de la demanderesse MUKEMBE MUSAMBA et de tous ceux
qui occupent de son chef l’immeuble situé au n°PL 15, Avenue Fiminga, Quartier Bel-Air,
Commune de Kampemba, Ville de Lubumbashi, la demanderesse précitée, bien que copropriétaire
dudit immeuble par le fait du mariage, a été expressément écarté au profit des défendeurs précités,
et n’était ni partie ni représentée à la procédure du jugement précité ;
Que le Tribunal se convaincra que le jugement sous RC 31509, rendu par le Tribunal de céans,
préjudicie aux droits de la demanderesse MUKEMBE MUSAMBA ainsi qu’à ceux qui occupent
de son chef l’immeuble situé à l’adresse citée ci-haut, et que c’est de bon droit qu’elle attaque
devant le même Tribunal ledit jugement conformément aux articles 80 et 81 du Code précité ;
Que de ce qui précède, le Tribunal dira recevable et fondée l’action en tierce opposition initiée par
la demanderesse MUKEMBE MUSAMBA, par conséquent, Constatera que la demanderesse
MUKEMBE MUSAMBA est copropriétaire de l’immeuble situé au PL 15, Avenue Fiminga,
Quartier Bel-Air, Commune de Kampemba, Ville de Lubumbashi par le fait de mariage avec
monsieur MWABA MANDEFU Gabin ; Qu’il n’annulera pas le jugement sous RC 31509 mais le
rétractera pour des raisons sus évoquées ».
818
Le défenseur condamné par défaut peut faire opposition au jugement dans les « quinze jours » qui
suivent celui de la signification à personne, outre un jour par cent kilomètres de distance. La
distance à prendre en considération est celui qui sépare le domicile de l’opposant du lieu où la
signification de l’opposition doit être faite. Lorsque la signification n’a pas été faite à personne,
l’opposition peut être faite dans les quinze jours, outre les délais de distance, qui suivent celui où
l’intéressé aura eu connaissance de la signification. S’il n’a pas été établi qu’il en a eu
connaissance, il peut faire opposition dans les quinze jours, outre les délais de distance qui suivent
le premier acte d’exécution dont il a eu personnellement connaissance, sans qu’en aucun cas,
l’opposition puisse encore être reçue après l’exécution consommée du jugement (Article 61 du
Code de procédure civile). En revanche, le délai pour interjeter appel est de « trente jours ». Ce
délai court, pour les jugements contradictoires, du jour de la signification et pour les jugements
par défaut, du jour où l’opposition n’est plus recevable (Article 67 du Code de procédure civile).
817
348
Notons aussi que la tierce opposition se conçoit sous diverses formes dont il
convient de préciser les contours.
2.Formes de la tierce opposition
Le Législateur Congolais a prévu deux formes de l’action en tierce
opposition, à l’occurrence de la tierce opposition principale (a) et la tierce opposition
incidente (b).
A. Tierce opposition principale
L’action en tierce opposition est principale, lorsqu’elle apparaît en dehors de
tout procès. Elle est formée par action principale819 et doit être introduite devant le
tribunal qui a rendu la décision contestée par voie d’une assignation 820 en tierce
opposition. Elle constitue une voie de « rétractation »821 c’est-à-dire, on demande au
juge qui avait rendu la décision de rectifier une erreur ou de la reformer822.
Le Législateur congolais ne prévoit aucun délai. Toutefois, il est indiqué que
le jugement peut être attaqué dans le délai de trente (30) ans à compter du
jugement823, délai légal ordinaire de prescription d’action civile.
B. Tierce opposition incidente
Aux termes de l’article 82 du Code de procédure civile, le Législateur
congolais précise que : « La tierce opposition incidente à une contestation dont un
tribunal est saisi est formée par voie de conclusions, si ce tribunal est égal ou
supérieur à celui qui a rendu le jugement. S’il n’est égal ou supérieur, la tierce
opposition incidente est portée, par action principale, au tribunal qui a rendu le
jugement »824. Dans l’hypothèse où c’est le tribunal égal ou supérieur qui connaît de
la tierce opposition incidente, l’on se trouve devant un cas de reformation du
jugement825.
En effet, la tierce opposition est incidente, lorsqu’elle est formée au cours
d’un procès déjà engagé. Autrement dit, elle est formée, lorsqu’il y a demande en
justice. A cet effet, elle est introduite par voie de conclusions ; si la juridiction devant
laquelle l’incident est soulevé n’a pas compétence pour y faire droit, ces conclusions
tendent seulement à obtenir surséance de procédure, pour permettre au tiers opposant
de porter sa demande, comme question préjudicielle, devant la juridiction
compétente. Ce tribunal ne peut être saisi que par une assignation ou par comparution
819
Décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile, Article 81.
L’shi., 14 juin 1974, R.J., p.256.
821
A. RUBBENS, Op.cit., p.194.
822
MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p.486.
823
M. BIZEAU, Op.cit., en ligne sur : https://fiches-droit.com/tierce-opposition (Consulté le 12
novembre 2023 à 15h44).
824
Décret du 07 mars 1960 portant code de procédure civile, Article 82.
825
MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p. 486.
820
349
volontaire ; si la juridiction devant laquelle l’incident est soulevé est compétente, elle
pourra le vider de plano ou joindre l’incident au fond pour se prononcer en même
temps que sur l’action principale. Il convient de rappeler que le tiers opposant a dans
les formes de procédure intérêt à mettre en cause toutes les parties de la décision
attaquée par voie d’assignation en intervention forcée826.
Dans le même ordre d’idée, la jurisprudence abondante et constante relève
que, toute personne qui aurait qualité pour agir en tierce opposition peut être appelée
en intervention forcée, même au degré d’appel 827. Ceci appelle à l’analyse de la
portée et de l’étendue de la tierce opposition telle que prévue en Droit congolais.
II.Portée et étendue de la tierce opposition en droit congolais
Ce point tente d’aborder quelques aspects de la tierce opposition en rapport
avec les conditions de recevabilité (1) et ses effets (2) en droit positif congolais.
1. Conditions de recevabilité de la tierce opposition
Il existe un certain nombre de conditions de recevabilité de la tierce opposition tant
en matière de droit privé (A) qu’en matière répressive (B), ainsi qu’en matière
administrative (C) et spécialement en Droit OHADA (D).
A. En matière civile
La recevabilité de la tierce opposition en matière de droit privé implique la
réunion de certaines conditions, notamment :
-
Tout jugement est susceptible de tierce opposition, à moins que la loi n’en
dispose autrement. Le principe est donc la recevabilité de
la tierce opposition828. Autrement dit, la tierce opposition est ouverte contre
toutes les décisions, contentieuses (y compris les sentences arbitrales) ou
gracieuses829, à l’exception des décisions de la Cour de cassation830.
Toutefois, il doit s’agir d’une décision de justice définitive rendue sur le fond
de la cause. Cependant, certaines décisions ne sont pas susceptibles de tierce
opposition. Ce sont celles dans lesquelles l’action en justice est
exclusivement réservée à certaines personnes comme la contestation de
paternité ou de divorce.
826
A. RUBBENS, Op.cit., pp.194-195.
Elis., 20 décembre 1958, R.J., 1960, p.118; Elis., 20 décembre 1960, R.J., 1961, p.90.
828
Cass. Civ. 2ème, 6 déc. 2012, n° 11-24.443.
829
Si la tierce opposition est dirigée contre une décision gracieuse, elle sera formée, instruite et jugée
selon les règles de la procédure contentieuse.
830
RESEAU FRANCOPHONE DE DIFFUSION DU DROIT, Tierce opposition en procédure civile,
en ligne : https://www.lagbd.org/Tierce_opposition_en_procédure_civile_(fr) (Consulté le 12
novembre 2023 à 15h40).
827
350
-
Avoir un intérêt à obtenir la rétractation du jugement831, c’est-à-dire justifier
d’un préjudice causé à ses droits ou à ceux de ceux qu’il représente ;
-
Ne pas avoir été partie à la décision de justice contestée, ni n’y avoir été
appelé ou représenté ;
a. Avoir subi un préjudice par suite du jugement entrepris
Nul n’ignore que la première condition de toute action en justice est l’intérêt.
D’où l’adage : « pas d’intérêt pas d’action » ou mieux « pas d’action sans intérêt »,
ou encore « l’intérêt est la mesure de l’action ». L’intérêt légitime forme la base de
l’action judiciaire comme il en est la mesure832.
Ainsi, le tiers doit avoir intérêt à ce que la décision qui lui cause préjudice
soit anéantie ou modifiée. Il suffit alors qu’un préjudice puisse découler pour lui de
la décision en exergue.
Pour le Législateur congolais, la tierce opposition ne peut être envisagée que
si et seulement si un des droits du tiers se trouve méconnu ou mis en danger. Il s’agit
souvent de la violation d’un droit au sens subjectif833.
b. N’avoir pas été partie à la décision entreprise
Le tiers opposant ne doit pas avoir été partie, ni être intervenu en la même
qualité devant le juge qui a rendu la décision dont il sollicite la rétractation. Il ne doit
donc pas être personnellement partie à l’instance terminée par ce jugement ou par
arrêt entrepris. Il s’agit dans le cas d’espèce du plaideur qui n’a pas été appelé
personnellement au procès alors qu’il devait l’être. Il a été jugé que « la partie dont
Cass. Com., 4 mai 2017, n° 15-16.524. L’intérêt doit être légitime, actuel, direct et personnel à
peine d’irrecevabilité de la tierce opposition (Cass. Civ. 2ème, 25 sept. 2014, n° 12-27.450). Son
appréciation relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (Cass. Civ. 2ème, 2
juillet 2020, n°19-13.616).
832
Gabriel KILALA Pene AMUNA, Procedure civile, Volume I, Kampala, Editions Leadership,
2012, p.30.
833
Le terme « Droit » est un concept général qui se définit sur base de deux critères distincts : D’abord
par rapport à son objet (sens ou critère objectif du terme) et ensuite par rapport au sujet (sens ou
critère subjectif). La présente réflexion se limite d’analyser le sens subjectif. En effet, il désigne
l’ensemble des prérogatives découlant du Droit objectif et attribués à un individu, afin de lui
permettre de jouir d’une chose, d’une valeur ou d’exiger d’autrui une prestation. A cet effet, le
terme « droit » peut s’écrire soit au singulier, soit au pluriel, mais toujours avec la lettre « d » au
minuscule. L’on peut dire par exemple, droit d’accès à la justice, droit de former une tierce
opposition, droit à la propriété privée, droit à l’éducation, etc. Lire en détails Hubert
KALUKANDA MASHATA, « Droit africain des droits de l’homme », Lubumbashi, Cours
destinés aux étudiants de Bac 2, Faculté de Droit, Université Moderne de Lubumbashi, inédit,
2022-2023, p.3.
831
351
les moyens de défense dans la cause ont déjà été évalués par la décision attaquée,
ne saurait elle-même former une tierce opposition recevable »834.
c. N’avoir pas été représenté
En matière civile ou pénale, l’appréhension de la représentation n’a toujours
pas été facile. En effet, bien souvent, il appartient au défendeur en tierce opposition
de prouver que le demandeur était représenté au cours du jugement entrepris, la tache
consistant essentiellement à administrer la preuve de la régularité de la
représentation. Il a été jugé que « la communauté d’intérêt explique la représentation
d’une partie par l’autre et permet d’exclure la tierce opposition »835.
De son côté, le tiers opposant pourrait démontrer, soit qu’il n’y a pas eu de
représentation du tout, soit encore en opposant une fin de non-recevoir tirée du défaut
de qualité dans le chef du représentant.
Ainsi, la partie qui a fait défaut ne peut recourir à la tierce opposition parce
qu’elle dispose de la procédure d’opposition. Elle ne peut y recourir même si son
opposition était déclarée non fondée ou irrecevable. Le créancier d’une partie ne
dispose pas normalement de la tierce opposition lorsque son débiteur était au procès
; « il y était représenté »; mais dans les conditions où il aurait pu exercer l’action
paulienne836 en annulation d’une convention qui lui cause frauduleusement préjudice,
il dispose de la tierce opposition contre un jugement par lequel son débiteur s’est
laissé condamner par collusion837. Abordons brièvement les conditions de
recevabilité de la tierce opposition en matière répressive.
B. En matière pénale
Si la solution paraît aisée en matière civile, cela ne semble pas être le cas en
matière pénale. L’article 21 alinéa 2 de la Constitution de la RDC tel que révisé à ce
jour stipule que : « (…) Le droit de former un recours contre un jugement est garanti
à tous. Il est exercé dans les conditions fixées par la Loi »838.
En parcourant les diverses lois qui traitent de la procédure devant les
juridictions répressives de la RDC, il y a lieu de constater l’inexistence de la tierce
opposition comme voie de recours.
834
Cass.be 11 septembre 2007, Pas.2007, p.1476, cité par KIFWABALA TEKILAZAYA, « Qui
légalement peut agir en tierce opposition », In Les Analyses Juridiques, N°28, Lubumbashi, 2014,
p.66.
835
Cass. 1er civ. 8 décembre 1998, Bull.civ. 1998, n°354.
836
Le lecteur peut retenir que, l’action paulienne, c’est celle par laquelle le créancier demande en
justice la révocation des actes d’appauvrissement accomplis en fraude de ses droits par le débiteur
insolvable.
837
MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p. 485.
838
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Constitution de la République Démocratique
du Congo telle que révisée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de la
Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, Article 21.
352
Nous pensons qu’en raison du caractère absolu de la chose jugée en matière
répressive et strictement personnel de la responsabilité pénale consacrée par la Loi
fondamentale qu’est la Constitution, on ne peut concevoir qu’un tiers au fait
infractionnel jugé puisse prétendre avoir été préjudicié dès qu’il ne se présente pas
comme victime en même temps que l’action publique est portée devant le juge
répressif839.
La constitution de la partie civile, organisée par les articles 69 à 70 du Code
de procédure pénale tel que modifié à ce jour, nous paraît être la voie légale offerte
aux tiers pouvant prétendre avoir été préjudiciés840.
Mais dans une espèce dont elle avait été saisie, par une décision bien motivée
ayant toutes les qualités d’un arrêt de principe, la Cour Suprême de Justice de la RDC
s’était déclarée incompétente de connaître de la tierce opposition. Pour des raisons
pédagogiques, nous reprenons en grande partie les éléments de l’arrêt susvisé.
Par requête déposée au greffe de ladite Cour le 14 avril 2004, Monsieur B.K.
a formé tierce opposition à l’arrêt RP.45/CR rendu le 22 octobre 2003 par la Cour
sus évoquée. Cet arrêt avait condamné le prévenu J.B.M.G. à six mois de servitude
pénale principale avec sursis de douze mois pour faux en écritures, et la prévenue
RZM à six mois de servitude pénale principale avec sursis de six mois pour faux en
écritures et usage de faux. Il avait ordonné la confiscation et la destruction du
certificat d’enregistrement n°ANNA 25, Folio 173 portant sur la parcelle n°2777 du
plan cadastral de la Commune de Limete à Kinshasa, établi au nom du demandeur.
La Cour Suprême de Justice a relevé qu’à l’audience publique du 26 mai
2004, avant toute défense au fond, le ministère public avait opposé à la requête une
fin de non-recevoir tirée de ce que devant cette Cour, ce recours n’est organisé qu’en
matière d’annulation.
Pour sa part, le défendeur Z.M. a abondé dans le même sens que le ministère
public.
Dans ses moyens, le demandeur B.K., après avoir soulevé deux exceptions,
l’une d’irrecevabilité de la constitution de la partie civile du deuxième défendeur et
l’autre d’irrégularité dans la comparution du Conseil de ce dernier, soutient que son
recours est recevable sur base de l’article 24 de la Constitution de la transition aux
termes duquel le droit de former un recours contre un jugement est garanti à tous
conformément à la Loi.
Il prétend que cette disposition est de portée générale et s’impose à toutes les
procédures des juridictions, même à celles qui se sont déroulées dans le passé.
839
840
KITOKO KIMPELE, Op.cit., p.21.
David-Christophe MUKENDI MUSANGA, La citation directe en droit judiciaire congolais,
Québec, Éditions Akula, 2016, pp.28-33.
353
Il affirme que l’article 29 du code de procédure civile ne fait pas restriction
et que la tierce opposition est une voie de recours extraordinaire ouverte aux tiers
pour attaquer une décision qui préjudicie à leurs droits, même en matières répressive
lorsque les intérêts civils sont en jeu.
Il poursuit que l’article 29 de la Loi relative à la procédure devant la Cour
Suprême de Justice, selon lequel ses arrêts ne sont susceptibles d’aucuns recours, ne
s’applique qu’aux arrêts de cassation et non à ceux rendus lorsqu’elle siège comme
juridiction de fond.
Réagissant quant au fond, il reproche à l’arrêt entrepris d’avoir violé les
articles 101 et 105 de la procédure sus rappelée en recevant l’action introduite par le
Procureur général de la République saisi par un particulier contre l’ancien ministre
M. pour les actes qu’il avait accomplis en cette qualité, alors que selon les
dispositions légales susvisées, pareille initiative ne peut émaner que du Chef de
l’État.
Il relève que l’arrêt attaqué a condamné les prévenus sans toutefois établir les
éléments matériel et intentionnel de l’infraction de faux en écritures, la Cour s’étant
contentée de renvoyer au rapport établi par l’expert immobilier N.S. sans dire en quoi
ce rapport était faux et quelle était la part des responsabilités pénales des prévenus
dans la commission de cette infraction et surtout sans prouver l’intention frauduleuse
en affirmant simplement que les prévenus savaient que l’immeuble était la propriété
du deuxième défendeur.
Il conclut en demandant à la Cour de rétracter son arrêt RP.45/CR.
Sans qu’il soit nécessaire d’examiner toutes autres exceptions, la Cour
suprême de justice se penchera sur la fin de non-recevoir de la tierce opposition.
Elle observe que le Code de procédure pénale ne prévoit pas la tierce
opposition.
Elle observe en outre que sa procédure ne prévoit la tierce opposition qu’en
matière administrative comme il ressort de cet article 29 aux termes duquel les arrêts
de la Cour ne sont susceptibles d’aucun recours, sauf en ce qui est dit à l’article 84,
que la disposition de l’article 29 a une portée générale, se rapporte au chapitre V
relatif à ses arrêts, lequel se trouve dans les dispositions générales prévues au titre
1er et qu’elle est donc applicable dans toutes les matières, y compris celles de fond.
Elle note, au regard de l’article 24 de la Constitution de la transition qui
stipule que le droit de former un recours contre un jugement est garanti à tous,
conformément à la loi, que même la Constitution énonce, à l’alinéa 1er de l’article
148 : « Le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour suprême de justice, les Cours
d’appel et les Cours et tribunaux civils et militaires ainsi que les parquets » et à
l’alinéa 3 dudit article : « La nature, la compétence, l’organisation, le
fonctionnement et les sièges de ces cours et tribunaux et les parquets ainsi que la
354
procédure à suivre sont fixés par la Loi » et qu’en l’absence de celle-ci,
l’Ordonnance – Loi n°82-017 du 31 mars 1982 relative à sa procédure est
d’application, laquelle ne prévoit pas la tierce opposition en cette matière.
Il se dégage de ce qui précède que la Cour se déclara incompétente pour
connaître d’un tel recours841. Quid de la tierce opposition en matière administrative.
C. En matière administrative
Nul n’ignore que la tierce opposition était règlementée par l’article 84 de
l’Ordonnance-Loi n°82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour
suprême de justice, en son titre III relatif à la procédure devant la section
administrative.
La disposition légale sus évoquée est ainsi libellée : « Quiconque est
préjudicié dans ses droits peut former tierce opposition aux arrêts prononçant
annulation d’un acte, d’une décision ou d’un règlement d’une autorité publique s’il
n’a été partie au procès ni personnellement, ni par représentation, à moins qu’ayant
eu connaissance de l’affaire, il ne se soit pas abstenu volontairement d’intervenir ».
Dans le même ordre d’idée, l’article 258 de la Loi Organique n°16/027 du 15
octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de
l’ordre administratif dispose comme suit : « Toute personne peut former tierce
opposition à une ordonnance, un jugement ou un arrêt qui préjudicie à ses droits,
dès lors que, ni elle, ni ceux qu’elle représente n’ont été présents ou régulièrement
appelés dans l’instance ayant abouti à cette décision ». A cet effet, le délai
d’exercice de ce recours est, en des termes presque identiques, demeuré le même en
ce que l’alinéa 2 du même article 258 énonce que : « La tierce opposition n’est
recevable que si elle est introduite dans les 2 mois qui suivent la publication de
l’ordonnance, du jugement ou de l’arrêt ou, si l’exécution est parvenue à la
connaissance du tiers d’une manière quelconque avant la publication, trente jours
après la date à laquelle il en a eu connaissance »842.
Tous les principes régissant la tierce opposition en matière de Droit privé
sont, sauf dérogation expresse, d’application en matière administrative, surtout quant
à l’intelligence du vocable tiers et l’étendue de la représentation en justice.
Il convient de rappeler que, l’examen de la tierce opposition en matière
administrative exige la réunion des conditions d’admissibilité d’une tierce opposition
en matière de droit privé à la différence qu’en cette dernière matière, le délai est
trentenaire pour l’introduction de l’action.
841
842
KITOKO KIMPELE, Op.cit., pp.22-25.
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Loi Organique n°16/027 du 15 octobre 2016
portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif,
Article 258.
355
Il est admis que, lorsque le juge saisi déclare recevable la tierce opposition,
il est tenu d’en examiner le bien-fondé et d’y donner une suite conséquente.
Analysons dans les lignes qui suivent la procédure de la tierce opposition telle que
prévue par le Droit Communautaire, appelé communément « Droit OHADA ».
D. En Droit OHADA
Comme on le sait, la République Démocratique du Congo a, depuis
septembre 2012, adhéré à l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit
des Affaires, en sigle OHADA. A cet effet, il apparaît que le traité constitutif de
l’OHADA tel que modifié, dit en son article 10 que : « Les actes uniformes sont
directement applicables et obligatoires dans les Etats parties, nonobstant toutes
dispositions contraires du droit interne, antérieures ou postérieures »843. Il résulte
de cette disposition communautaire que la mise en application des dispositions des
actes uniformes ne nécessite pas l’intervention des autorités législatives ou
règlementaires des Etats membres, à l’occurrence de la RDC.
a. Notions de la tierce opposition devant la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage
La tierce opposition est ouverte à toute personne devant la juridiction de
l’Etat partie qui eût été compétente à défaut d’arbitrage et lorsque cette sentence
préjudicie à ses droits844.
Dans le même sens, l’article 80 du Code de procédure civile congolais
dispose que : « Quiconque peut former tierce opposition à un jugement qui
préjudicie à ses droits, et lors duquel ni lui, ni ceux qu’il représente n’ont été
appelés ».
Conformément aux articles 25 de l’Acte Uniforme relatif au droit de
l’arbitrage (AUA) et 80 du Code de procédure civile congolais, la Requérante saisit
la juridiction compétente, en tierce opposition, pour obtenir la rétractation
(réformation) de la sentence arbitrale.
La demande en tierce opposition doit en outre spécifier la sentence arbitrale
attaquée ; indiquer en quoi cette sentence préjudicie aux droits du tiers opposant et
Traité de port Louis du 17 octobre 1993 relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique,
tel que révisé à Québec le 17 octobre 2008, Article 10, en ligne : www.OHADA.com - Le Traité
relatif à l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (consulté le 10
septembre 2023 à 21h46) ;
844
Article 25 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, adopté le 23 novembre 2017
à Conakry (Guinée) et entré en vigueur le 16 mars 2018.
843
356
indiquer les raisons pour lesquelles le tiers opposant n’a pu participer au litige
principal845.
Les tiers qui peuvent utiliser cette voie de recours, doivent être définis de la
même façon qu'en matière contractuelle846. Il doit s'agir de personnes qui n'ont été ni
partie, ni représentées à la convention d'arbitrage et à la sentence qui en résulte. Il
faut en outre que le tiers n'ait pas été appelé à l'instance (article 25 alinéa 4 AUA).
En ce qui concerne la tierce opposition contre une sentence arbitrale rendue sous
l'égide de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), elle n'est pas formée
devant le tribunal arbitral mais plutôt devant la CCJA dans le cadre de ses
compétences purement juridictionnelles. La CCJA rendra donc un arrêt847.
b. Procédure de la tierce opposition devant la CCJA et ses conséquences
juridiques
L’article 47 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage dispose que :
« 1) Toute personne physique ou morale peut présenter une demande en tierce
opposition contre un arrêt rendu sans qu’elle ait été appelée, si cet arrêt préjudicie
à ses droits.
2) Les dispositions des article 23 et 27 du présent Règlement sont applicables à la
demande en tierce opposition. Celle-ci doit en outre :
a) spécifier l’arrêt attaqué ;
b) indiquer en quoi cet arrêt préjudicie aux droits du tiers opposant ;
c) indiquer les raisons pour lesquelles le tiers opposant n’a pu participer au
litige principal.
La demande est formée contre toutes les Parties au litige principal.
3) L’arrêt attaqué est modifié dans la mesure où il fait droit à la tierce opposition.
La minute de l’arrêt rendu sur tierce opposition est annexée à la minute de l’arrêt
attaqué. Mention de l’arrêt rendu sur tierce opposition est faite en marge de la
minute de l’arrêt attaqué »848.
845
Trésor ILUNGA TSHIBAMBA, Ohada : les voies de recours contre une sentence arbitrale, 2021,
en ligne : https://legalrdc.com/2021/01/07/ohada-les-voies-de-recours-contre-une-sentencearbitrale/ (Consulté le 12 novembre 2023 à 16h30).
846
Alphonse ANEYA N’GOUAN, La justice arbitrale dans l’espace OHADA, Mémoire de Master
II, Faculté des Sciences Juridique, Administrative et Politique, Université Félix Houphouêt
Boigny, 2012-2013, p. 21.
847
Article 33 du règlement d'arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, adopté le 23
novembre 2017 à Conakry (Guinée) et entré en vigueur le 16 mars 2018.
848
Article 47 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage du 18 avril
1996, modifié le 30 janvier 2014, en ligne sur : http://OHADA - Reglement d'arbitrage de la Cour
357
Après ce tour d’étude de la tierce opposition en droit OHADA, il y a lieu d’aborder
ses effets en droit positif congolais.
2. Effets de la tierce opposition
Comme toutes les voies de recours, l’étude de la tierce opposition suppose
l’examen de ses effets.
Il convient ainsi d’analyser l’effet suspensif (A) et l’effet dévolutif (B) ainsi
que l’effet de la chose jugée (C) de la tierce opposition, autant qu’il sera nécessaire
de voir la possibilité de recours contre les décisions rendues sur tierce opposition
(D).
A. Effet suspensif de la tierce opposition
Il est de principe que, la tierce opposition ne suspend pas de plein droit ni
l’exécution du jugement attaqué ni, (dans le cas de tierce opposition incidente) la
procédure en cours.
L’article 84 du code de procédure civile est éloquent en ce qu’il dispose que :
« La tierce opposition n’est pas suspensive à moins que, sur requête d’une partie, le
juge saisi de la demande ne suspende l’exécution de la décision ». Il découle de cette
disposition légale que, ce n’est que sur requête d’une partie que le juge peut
suspendre l’exécution. Il n’est pas dit expressément qu’il peut suspendre la procédure
en cours, mais cela va de soi ; le juge peut prendre toute mesure utile pour
l’instruction de l’affaire dont il est saisi. En cas de tierce opposition devant une autre
juridiction, il faut considérer qu’il s’agit d’une question préjudicielle qui suspend de
droit la procédure849. Autrement dit, quand une décision frappée de tierce opposition
est produite en justice, le juge devant laquelle elle est produite, peut selon les
circonstances, surseoir à statuer ou passer outre850.
Il sied de préciser avec Matadi Nenga Gamanda que la suspension sus
évoquée est faite par jugement. Le juge saisi doit trancher, par acte juridictionnel
motivé, s’il accorde ou n’accorde pas la suspension de l’exécution de la décision
contre laquelle la tierce opposition est formée851. Il en découle que la suspension ne
peut pas intervenir d’une autre manière que par jugement. C’est dans cette logique
commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA (CCJA) (www.droit-afrique.com) (Consulté le 22
novembre 2023 à 15h01).
849
A. RUBBENS, Op.cit., p.195.
850
RESEAU FRANCOPHONE DE DIFFUSION DU DROIT, Op.cit., en ligne :
https://www.lagbd.org/Tierce_opposition_en_procédure_civile_(fr) (Consulté le 12 novembre
2023 à 15h58).
851
MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p. 488. Toutefois, il y a lieu de rappeler de la controverse
doctrinale ci-dessus sur l’organe habilité à prendre la décision de suspension de l’exécution d’un
jugement ou arrêt attaqué en tierce opposition.
358
que dans un arrêt du 12 novembre 2002, la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe a rejeté
la demande de suspension de l’exécution852.
B. Effet dévolutif
La dévolution désigne la délimitation de ce qui doit être réexaminé en cas de
contestation d’un jugement.
En matière de tierce opposition, l’effet dévolutif est relatif : le juge statue
à nouveau en fait et en droit, mais uniquement à l’égard du tiers
opposant853. Cet effet dévolutif est limité au cadre fixé par le recours, en application
du principe dispositif854. En effet, « le jugement primitif conserve ses effets entre les
parties, même sur les chefs annulés »855.
En outre, la tierce opposition remet en question uniquement les points jugés
qu’elle critique. Toute demande nouvelle est exclue ; le juge ne peut trancher que
des questions qui ont été traitées par les premiers juges. Ainsi, en cas de succès de la
tierce opposition, le jugement rend inopposable au seul tiers opposant les points
jugés qu’il a critiqués.
Toutefois, en cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, le jugement
prononcé sur tierce opposition produira ses effets à l’égard de toutes ces parties. Cela
signifie qu’en cas d’indivisibilité des intérêts du tiers opposant et de parties au
jugement contesté, le jugement prononcé sur tierce opposition sera opposable à
toutes les parties, qui en profiteront toutes856.
C. Opposabilité et effet de la chose jugée du jugement sur tierce opposition
Pour rappel, le jugement faisant droit à la tierce opposition ne profite qu’à
l’opposant. Il peut y avoir des cas où l’indivisibilité de la décision apporte un
avantage à d’autres857. Lorsque la tierce opposition est irrecevable ou que le tiers
opposant est débouté, la décision attaquée lui sera opposable858.
Toutefois, les effets de la chose jugée sont à distinguer selon que, l’on est en
matière de droit privé ou en matière administrative.
852
C.A. Kinshasa/Gombe, 12 novembre 2002, RCA 19.976, en cause Succession Lumingu contre
Dame Makeli, inédit.
853
M. BIZEAU, Op.cit., en ligne sur : https://fiches-droit.com/tierce-opposition (Consulté le 12
novembre 2023 à 14h44).
854
RESEAU FRANCOPHONE DE DIFFUSION DU DROIT, Op.cit., en ligne :
https://www.lagbd.org/Tierce_opposition_en_procédure_civile_(fr) (Consulté le 12 novembre
2023 à 15h58).
855
M. BIZEAU, Op.cit., en ligne sur : https://fiches-droit.com/tierce-opposition (Consulté le 12
novembre 2023 à 14h44).
856
Cass. Civ. 1ère, 20 mars 2007, n° 05-11.296.
857
A. RUBBENS, Op.cit., p.195.
858
MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p. 488.
359
a. En matière de droit privé
Les effets de la tierce opposition sont limités comme les sont toujours ceux
en droit commun. Le juge va statuer à nouveau sur un ou sur plusieurs éléments du
présupposé de la règle de droit sur laquelle il a fondé sa première décision. L’intérêt
de la décision rendue sur la tierce opposition est qu’elle aura autorité de la chose
jugée pour ou contre le tiers opposant, à l’égard des parties de la première instance.
Autrement dit, si la décision en tierce opposition est confirmée, elle devient
opposable au tiers opposant. Si elle est rétractée ou réformée, elle devient
inopposable au tiers opposant, mais elle conserve ses effets entre les parties, même
sur les chefs annulés859.
b. En matière administrative
En matière administrative, la décision rendue sur la tierce opposition a
l’autorité de la chose jugée à l’égard de toutes les parties à l’instance860.
D. Recours contre les jugements sur tierce opposition
Le jugement rendu sur tierce opposition est susceptible des mêmes recours
que les décisions de la juridiction dont il émane861. Il en est de même des jugements
préjudiciels ou incidents vidant la tierce opposition sont susceptibles d’appel et
d’opposition, sauf si la juridiction dont le jugement est rétracté avait jugé en dernier
ressort862. Seul le pourvoi, dans ce cas, reste ouvert863. Des juges d’appel ayant reçu
l’appel contre une décision de tierce opposition rendue par la cour d’appel ont été
condamnés en prise à partie pour dol tiré de l’ignorance grossière du droit et en
particulier du brocard « appel sur appel ne vaut »864.
Conclusion
Eu égard à ce qui précède, la tierce opposition est ouverte contre toutes les
décisions de justice, même provisoires ou conservatoires, pourvu que les conditions
imposées par l’article 80 du Code de procédure civile soient respectées. La
recevabilité de ce recours est donc de principe. A cet effet, il a été jugé que « la
recevabilité de principe de ce recours interdit d’opérer des distinctions entre les
différents types des jugements pour admettre ou rejeter l’exercice de la tierce
859
RESEAU FRANCOPHONE DE DIFFUSION DU DROIT, Op.cit., en ligne :
https://www.lagbd.org/Tierce_opposition_en_procédure_civile_(fr) (Consulté le 12 novembre
2023 à 16h15).
860
KITOKO KIMPELE, Op.cit., p.30.
861
M. BIZEAU, Op.cit., en ligne sur : https://fiches-droit.com/tierce-opposition (Consulté le 12
novembre 2023 à 14h54).
862
A. RUBBENS, Op.cit., p.195.
863
MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p. 489.
864
C.S.J., 28 fevr.2003, R.P.P. 129, en cause Mpelembwe contre Nsumbu Kambumbu, Hubert
Kabeya, Albert Lukamba et la R.D.C., B.A., 2004, pp.227-234.
360
opposition. Ce qui amène la jurisprudence et la doctrine à dire qu’il est indiffèrent
pour l’ouverture de la tierce opposition que le jugement ait été rendu par une
juridiction de droit commun ou une juridiction d’exception, quelle que soit la matière
civile, commerciale, sociale, dans laquelle il a été statué. Il importe peu que le
jugement ait été rendu au premier degré ou au dernier ressort »865.
Partant du principe que tierce opposition sur tierce opposition ne vaut, bien
que la loi ne le prévoit pas expressément, les juridictions exigent de plus en plus,
qu’il soit assigné en procédure de tierce opposition par voie principale toutes les
parties ayant été au procès dont le jugement est attaqué. La difficulté est, et demeure
cependant en ce qui concerne la tierce opposition formée par voie de conclusions. Le
tiers opposant a lui-même avantage à appeler au procès toutes les parties afin
d’obtenir un jugement commun dont l’opposabilité ne sera pas contestée866.
*
*
*
865
C.A., Kinshasa/Gombe, 2 janvier 1997, RTA 3683, en cause Madame Marie Béatrice Bartz contre
M. Ngelesi Babande.
866
MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit., p.486.
361
Implications de la récusation collective en droit judiciaire
congolais : une question qui divise les praticiens
Par :
Guylain KASONGO KAWAYA867
Resumé
La présente étude analyse la question de la récusation collective à la lumière
de la Loi organique n°13/011-B du 11 Avril 2013 portant organisation,
fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire et de l’Arrêt de
principe sous REC. 037 de la Cour suprême de justice de la RDC du 11 novembre
2011 (éclatée actuellement en trois juridictions, notamment la Cour
constitutionnelle, la Cour de cassation et le Conseil d’état).
Il appert que l’Arrêt de principe sous REC. 037 est dans la pratique, mal
interprété tant par les juges que par les conseils des parties, si bien qu’une forte
confusion est créée autour de son contenu et de la finalité de la procédure de
récusation telle que prévue par la Loi.
L’étude démontre que contrairement à la position assez partagée par
différents juristes qui, s’appuyant à tort sur ledit Arrêt de principe, pensent
malencontreusement qu’une récusation collective qui met une juridiction dans
l’impossibilité de composer le siège n’est pas admise.
Le lecteur retiendra qu’aux termes du même Arrêt de principe, une telle
récusation donne plutôt lieu à un renvoi de juridiction pour cause de suspicion
légitime. Dans ce cas, la juridiction devra renvoyer l’affaire à date certaine pour, soit
saisir le Ministère public, soit permettre à la partie récusante de solliciter devant la
juridiction immédiatement supérieure, le renvoi pour cause de suspicion légitime
conformément aux articles 60 et suivants de la Loi organique.
Mots clés : Récusation – Suspicion légitime – Déport – Juge – Impartialité –
Indépendance
Abstract
This study analyzes the issue of collective recusal in the light of Organic Law No.
13/011-B of 11 April 2013 on the organization, functioning and competences of the
courts of the judicial order and the Judgment of principle under REC 037 of the
Supreme Court of Justice of the DRC of 11 November 2011 (currently split into three
867
Avocat au Barreau du Haut-Katanga, Chercheur à l’Institut de Recherche en droits humains
(IRDH) et Membre du Comité de rédaction de la revue Réflexions Juridiques Africaines, en sigle
« R.J.A ».
362
jurisdictions, including the Constitutional Court, the Court of Cassation and the
Council of State).
It appears that the Leading Judgment under REC 037 is in practice misinterpreted
by both the judges and the counsel for the parties, so that a great deal of confusion
is created around its content and the purpose of the recusal procedure as provided
for by the Law.
The study shows that, contrary to the position fairly shared by various jurists who,
wrongly relying on the said Judgment of Principle, inadvertently think that a
collective challenge that makes it impossible for a court to compose the seat is not
allowed.
The reader will note that, according to the same leading judgment, such a challenge
gives rise to a referral from court on the ground of legitimate suspicion. In this case,
the court will have to remit the case to a certain date in order either to refer the case
to the Public Prosecutor's Office or to allow the disqualifying party to request a
referral to the immediately higher court on the grounds of legitimate suspicion in
accordance with articles 60 et seq. of the Organic Law.
Keywords: Challenge – Legitimate suspicion – Deportation – Judge – Impartiality –
Independence.
Plan sommaire
Introduction
I. Cadre conceptuel et principes de base
1. Définition de la récusation
2. Notions voisines à la récusation
3. Principes de base
II. Causes et procedure de recusation
1. Causes de la récusation
2. Procédure de récusation
III. De la recusation collective et ses implications en droit judiciaire congolais
1. Etat de la question
2. Solutions de Droit
…………………………………………………………
363
Introduction
Il est de principe universel que « toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue par un juge impartial et indépendant 868». En effet, les notions
d’indépendance et d’impartialité sont à la fois complexes et essentielles à la fonction
de juger. Cependant, les textes qui les proclament, ne les définissent pas
malheureusement. Néanmoins, par recours aux considérations doctrinales, elles
reçoivent un contenu qui permet de les comprendre en tant que notions essentielles
sur lesquelles se fonde la justice.
Ainsi, l’indépendance du juge désigne le pouvoir et même le devoir du juge
de décider librement ; cette liberté étant celle d’apprécier sans contrainte les faits qui
lui sont soumis et d’interpréter sans entraves la norme qu’il est tenu d’appliquer en
l’espèce869. Elle entend rendre le juge inaccessible à toute ingérence ou pression
interne ou externe. En réalité, l’indépendance se manifeste par l’absence de lien et
par l’absence de subordination (hiérarchie, tutelle et autre mode de contrôle) vis-àvis d’un autre pouvoir de droit (législatif ou exécutif), vis-à-vis d’un pouvoir de fait
(groupes de pression, médias, opinion publique) et vis-à-vis de ses collègues et du
corps dont le juge fait partie870.
Quant à l’impartialité, elle a trait aux qualités personnelles et fonctionnelles
du juge . Elle exprime l’idée de neutralité du juge et de prise de distance872. Le juge
doit donc s’interdire de tout parti pris dans le traitement d’une affaire qui lui est
soumise. Il devrait s’acquitter de sa tâche sans favoritisme, manifestation d’un
871
Ce principe est expressément énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, en
son article 10, dans le Pacte International relatifs aux droits civils et politiques, en son article 141 ainsi que dans la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples, en son article 7-1 (a).
Toutefois, il convient d’insérer une incise de taille à ce niveau : Faute d’avoir intrinsèquement une
force juridique contraignante d’autant plus qu’elle s’analyse en termes de résolution ne créant pas
d’obligations à l’égard des Etats, la Déclaration Universelle des droits de l’Homme est depuis son
adoption, perçue comme une règle du Droit coutumier international (Lire à ce sujet LINDA A.
MALONE, Les droits de l’homme dans le droit international, Paris, Ed. Nouveaux HorizonsARS, 2004, p.26). Tandis qu’en vertu de l’article 215 de la Constitution de la République
Démocratique du Congo, telle que révisée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision
de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février
2006, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que la Charte africaine des
droits de l’Homme et des peuples ont, depuis leur publication au journal officiel, autorité
supérieure à celle des Lois nationales, sont donc contraignants et s’imposent au juge.
869
Pierre NIHOUL, « L’indépendance et l’impartialité du juge », In Annales de Droit de Louvain,
vol. 71, 2011, n°3, p. 207.
870
P. NIHOUL, Op.cit. p.208.
871
Idem
872
Noëlle COMMARET, Une juste distance ou réflexions sur l’impartialité du magistrat, Dalloz,
1998, pp. 262 et s. Cité par P. NIHOUL, Op. cit., p. 221.
868
364
préjugé ou prévention, et ne devrait pas se déterminer en fonction de considérations
étrangères à l’application des règles de droit873.
En ordre général, les deux valeurs constituent les garanties essentielles d’une
justice juste et équitable. Elles permettent en outre, de garantir la fonction protectrice
de la justice, l’équité et la justesse des décisions judiciaires 874. Elles sont également
à la base de la confiance des justiciables dans la justice et dans les juges qui la
rendent875 ; cette confiance qui découle de la présomption d’indépendance et
d’impartialité, voire de neutralité que bénéficient les juges dans l’exercice de leurs
fonctions876.
Cependant, il arrive très souvent que pour une raison ou une autre, un
justiciable remette en cause l’impartialité et l’indépendance du juge appelé à
connaître de sa cause. Dans pareille situation, la Loi a prévu une série des
mécanismes qui permettent de résorber la crise de confiance entre le justiciable et le
juge ; mécanismes parmi lesquels figure la récusation qui s’appréhende en termes de
possibilité légale donnée à toute personne impliquée dans une affaire judicaire de
faire écarter de la composition appelée à connaître de sa cause, tout juge dont elle
peut avoir de raisons de douter de sa capacité à rendre une décision de manière
indépendante et impartiale877.
Toutefois, les raisons de suspecter la partialité du juge peuvent avoir une
origine subjective, tenant à ses relations personnelles avec l’une des parties, ou
encore une origine objective ou fonctionnelle, tenant au fait que le juge a déjà été
amené à intervenir dans l’affaire, de telle sorte qu’il a pu se faire une opinion sur
celle-ci878.
Dans la pratique devant les instances judiciaires congolaises, il s’observe que
la procédure de récusation devient de plus en plus usitée par les justiciables qui
recourent à ce mécanisme pour faire écarter un juge de la connaissance de leur cause
sur base des raisons (sérieuses ou pas) touchant à son indépendance et/ou à son
impartialité, autant que d’autres y recourent uniquement dans le dessein de bloquer
873
Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE), Avis n° 3 du Conseil Consultatif des Juges
Européens (CCJE) à l'attention du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur les principes
et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la
déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité, Conseil de l’Europe, Strasbourg,
2002, p.4.
874
P. NIHOUL, Op.cit, p. 221
875
Clément SHAMASHANGA MINGA, « Récusation du Juge dans la Procédure Civile : Cadre
Juridique et Enjeux Actuels», Librairie Africaine d’Etudes Juridiques, Kinshasa, 2006, p.187
876
Lire à ce sujet Achille BETU NZUJI, La récusation et la suspicion légitime en droit congolais :
Garantie d’une justice équitable, Kinshasa, Medias Paul, 2013, p.7.
877
Clément SHAMASHANGA MINGA, Op.cit, p.188.
878
Natalie FRICERO, « Récusation et abstention des juges : analyse comparative de l’exigence
commune d’impartialité» In Le nouveau cahier du Conseil constitutionnel, Ed. Lextenso, 2013,
p.37.
365
ou de retarder la procédure. Bien plus, il s’observe des situations où un justiciable, à
raison ou à tort, récuse plus d’un juge ou carrément tous les juges d’une juridiction,
même ceux qui ne font pas partie de la composition appelée à juger sa cause.
Au regard de ce dernier cas, certains praticiens du Droit soutiennent que la
bonne administration de la justice étant fondée sur le principe de confiance entre les
justiciables et les juges, il est tout à fait logique de recourir à la récusation, même de
tous les membres d’une juridiction lorsqu’ils ne fournissent pas des garanties d’une
justice juste et équitable879. D’autres aussi, faisant application de l’Arrêt de principe
de la Cour suprême de justice sous REC 037 du 11 novembre 2011, opinent que la
récusation de tous les juges d’une juridiction ou de plusieurs d’entre eux dans le but
de mettre la juridiction en impossibilité de composer le siège ne peut être admise880.
D’autres encore, pensent que lorsque cette récusation met une juridiction dans
l’impossibilité de composer valablement le siège, elle aboutit à un renvoi881.
Dès lors, une problématique mérite d’être soulevée : Est-il possible pour un
justiciable de récuser tous les juges d’une juridiction ou plusieurs d’entre eux en
Droit judiciaire congolais ? Quelles sont les implications juridiques d’une telle
procédure ?
Partant des considérations qui précèdent, l’objet de la présente étude se veut
double : D’une part, l’étude entend élucider, à la lumière de la Loi, les contours de
la notion de récusation étant donné qu’il appert que dans la pratique, la procédure
semble à première vue, mal usitée aussi bien par les justiciables que par le juge
récusé, tant il est vrai que dans bien de cas, une fois obtenu la décision de surséance,
le justiciable récusant ne poursuit généralement plus l’instance de récusation882, ou
879
880
881
882
Dans l’affaire sous RC 6260 qui a opposé devant le Tribunal de paix Lubumbashi-Katuba,
Monsieur Eric KHALOKO NGWEWA à Madame ILUNGA KILUBA Helene, cette dernière
avait récusé tous les juges de cette juridiction estimant que du fait des relations amicales qui
existeraient entre le Président de ladite juridiction et Monsieur KHALOKO, l’influence dudit
Président sur l’indépendance de tous les juges de sa juridiction dans leur façon de dire le droit,
n’était pas à écarter. Voir aussi RP 2831/Tribunal de paix de Likasi, en cause : Ministère Public
et partie civile MWEPU MAUWA c/ KAFEKE TAKIZALA Willy où, pour des raisons liées au
rapprochement qui existerait entre le Président de la Juridiction et président de chambre, avec un
membre de la famille (aussi juge) du prévenu KAFEKE, l’indépendance et l’impartialité de tous
les membres de la composition étaient mises en doute par la partie civile, MWEPU MAUWA qui
les a tous récusé. (Sources : Greffe civil du Tripaix LSHI/KATUBA et Greffe pénal
Tripaix/LIKASI).
Cour suprême de justice, Arrêt sous REC 037 du 11 novembre 2011, en cause : L’Entreprise
Général MALTA FOREST, EGMF SPRL c/ KITOKO KIMPELE et consort.
Hubert KALUKANDA MASHATA et Pascal KABASELE wa NGOY, «L’impartialité et
l’indépendance du juge de l’article 49 AUPRSVE face aux procédures de récusation et de
suspicion légitime », Revue Générale de Droit et Interdisciplinaire de l’Université de Likasi
(RGDILI), 2021, p.927.
Cette thèse se confirme par le fait que les décisions rendues au fond en matière de récusation
n’existent quasiment pas aux greffes des différentes juridictions de Lubumbashi, à part les
quelques rares décisions dont les traces sont aussi difficiles à trouver dans les archives. Par
366
parfois, c’est le juge récusé qui se déporte seulement après avoir été notifié de la
récusation883.
D’autre part, l’étude se propose de décortiquer la question de la récusation
collective des juges d’une juridiction ou de plusieurs d’entre eux à l’aune de l’Arrêt
de principe de la Cour suprême de justice du 11 novembre 2011 sous REC 037, dont
l’interprétation et/ou l’application dans la pratique prétorienne, semble s’écarter
foncièrement du bien-fondé ou de l’essence même de la procédure de récusation telle
que prévue par la Loi.
De cette façon, l’intérêt de cette étude est telle qu’elle présente utilement les
règles régissant la procédure de récusation en droit judiciaire congolais avec un
regard particulier sur la question relative à la récusation collective ce, en vue de
contribuer à la bonne administration de la justice.
Pour besoin de commodité, nous avons limité le cadre de la présente étude
aux juridictions de l’ordre judiciaire. Et dans sa subdivision sommaire ce, en dehors
de l’introduction et de la conclusion, l’étude s’articule autour de trois points : le cadre
conceptuel de la récusation (I), le cadre juridique de la récusation (II) et la récusation
collective et ses implications en droit judiciaire congolais (III).
I. Cadre conceptuel de la recusation
La compréhension du problème abordé dans la présente étude ne peut être
possible que s’il est au préalable, fait un point sur le cadre conceptuel de la
récusation, c’est-à-dire, définir le concept même de « récusation » (1), le différencier
des autres notions qui lui sont voisines (2) et souvent sujet à confusion, puis, poser
ses principes de base (3).
1.
Définition de la récusation
En Droit congolais, le terme « récusation » n’a pas de définition légale. La
Loi se limite à en déterminer seulement les causes884. Cependant, par recours aux
sources complémentaires, l’on entend par « récusation », une procédure qui permet
exemple, au Greffe pénal du Tribunal de grande instance de Lubumbashi, quatre cas de récusation
seulement ont été enregistrés dans le registre du greffe et, jusqu’à ce jour, un seul a connu le
jugement au fond (REC 001/RPA 5429 du 10 mars 2021 ; en cause : Jean Pierre MUTEBA
LUHUNGA c/ Juges NYEMBO, Costa KOLESHA et TSHIBUMBU). Source : Greffe pénal
TGI/LSHI
883
Lors d’un échange avec le chef d’une des juridictions à Lubumbashi sur la question, il nous a été
révélé que généralement le chef de juridiction conseille au juge récusé de se déporter après avoir
été notifié de la récusation dirigée contre lui pour ainsi pourvoir à son remplacement le plus
rapidement possible ce, en vue de ne pas bloquer la procédure. Cependant, cette position nous
semble totalement contraire aux articles 50 et 51 de la loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013
portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire.
884
Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences
des juridictions de l’ordre judiciaire, art. 49
367
d’écarter un magistrat d’une procédure déterminée pour l’une des causes énumérées
par la loi885.
Dans le Lexique des termes juridiques, la récusation est entendue comme la
procédure par laquelle le plaideur demande que tel magistrat s’abstienne de siéger,
parce qu’il a des raisons de suspecter sa partialité à son égard, pour des causes
déterminées par la Loi : parenté ou alliance, lien de subordination, amitié ou inimitié
notoire, conflit d’intérêts886.
Selon Gérard Cornu, la récusation est un acte par lequel un plaideur refuse
d’être jugé par ou en présence d’un magistrat ou un arbitre dont il conteste
l’impartialité887.
A la suite de Matadi Nenga Gamanda, il s’agit d’un incident de procédure qui
consiste pour un plaideur de faire écarter du siège, pour le jugement de son procès,
un juge dont l’impartialité à son égard peut légalement être suspectée888. C’est aussi
une faculté reconnue à toute partie engagée dans un litige d’écarter la personne
chargée d’y apporter la solution dès lors que celle-ci se trouve dans la condition où
elle n’est pas en mesure de rendre sa décision en toute objectivité parce que son
impartialité est mise en doute889.
A la lumière des considérations qui précèdent, l’on notera que la récusation
est un droit garanti à tout justiciable tendant à solliciter la mise hors du siège appelé
à connaître de sa cause, tout juge qui ne fournit pas des garanties d’impartialité pour
une justice juste et équitable. Elle s’avère donc être l’un des mécanismes destinés à
garantir l’indépendance et l’impartialité des juges, et son exercice en tant que droit,
relève de l’appréciation souveraine de tout justiciable qui a des raisons de suspecter
la partialité du juge.
Cependant, la récusation n’a pas la même portée que les autres notions qui
lui sont voisines, et dont il importe d’apporter les éléments de démarcation.
885
Patient BAKADIKU, La récusation des magistrats en droit congolais : Principes, exceptions et
procédures, Disponible en ligne : https://leganews.cd/index.php/actualite/judiciaire/7036-larecusation-des-magistrats-en-droit-congolais-principes-exceptions-et-procedures/ (vu le 15
octobre 2023)
886
Serge GUINCHARD et alii, Lexique des termes juridiques, 25 édition 2017-2018, Dalloz, Paris,
2017, p.945.
887
Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, 2011, p.859.
888
MATADI NENGA GAMANDA, Droit judiciaire privé, éditions Droit et idées nouvelles,
Kinshasa, 2006, p.298
889
Pierre OKENDEMBO MULAMBA, Des procédures de récusation et de suspicion légitime en
droit congolais, Kinshasa, 2012, p.14, cité par Clément SHAMASHANGA MINGA, Op. cit,
p.189.
368
2.
Notions voisines à la récusation
Au nombre de mécanismes de garantie d’une justice équitable auxquels
recourent généralement les justiciables, existent aussi le déport (a), le déchargement
(b) et le renvoi de juridiction (c). Cependant, chacun d’eux a une portée différente
de celle de la récusation.
a. Le Déport et la récusation
Le déport est prévu à l’article 56 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril
2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre
judiciaire qui pose le principe selon lequel, le juge se trouvant dans une des
hypothèses prévues à l’article 49 de ladite loi organique est tenu de se déporter, sous
peine de poursuites disciplinaires.
Cependant, la Loi ne définit pas ce qu’il convient d’entendre par le terme «
se déporter » ou « le déport ». Toutefois, aux termes du Dictionnaire juridique, le
terme « déport » dérive du verbe « se déporter » et désigne l’acte par lequel pour des
motifs légitimes, un juge se retire d’une affaire, avant même qu’il y ait eu récusation
(…)890. Autrement dit, il s’agit pour le juge de s’abstenir de connaître l’affaire dont
il est saisi pour motif de conscience ou parce qu’il suppose en sa personne une cause
de récusation891.
Contrairement à la récusation dont l’initiative émane d’un justiciable qui
sollicite l’écartement d’un juge de la connaissance d’une affaire judicaire, le déport
lui, est un acte volontaire et spontané par lequel un juge se retire de la composition
appelée à juger une affaire parce qu’il suppose avoir des raisons qu’il ne saura pas
dire le droit en toute indépendance et impartialité. Il s’agit en réalité d’une obligation
légale et d’un devoir déontologique imposés au juge, sous peine de poursuites
disciplinaires.
Toutefois, en tant que devoir déontologique imposé au juge, les motifs du
déport ne doivent pas forcément être limités à ceux qui sont prévus à l’article 49 cidessus892. En dehors de ces motifs, le déport peut, pensons-nous, se justifier toutes
les fois que le juge estime se trouver dans les conditions qui ne lui permettent pas de
890
Jacques PICOTTE, Juridictionnaire : Recueil des difficultés et des ressources du français
juridique, Université de Moncton, Moncton (Canada), 2018, p.1437.
891
Clément SHAMASHANGA MINGA, Op.cit, p.191.
892
Ces motifs sont : 1. si lui ou son conjoint a un intérêt personnel quelconque dans l’affaire ; 2. si lui
ou son conjoint est parent ou allié soit en ligne directe, soit en ligne collatérale jusqu’au troisième
degré inclusivement de l’une des parties, de son avocat ou de son mandataire ; 3. s’il existe une
amitié entre lui et l’une des parties ; 4. s’il existe des liens de dépendance étroite à titre de
domestique, de serviteur ou d’employé entre lui et l’une des parties ; 5. s’il existe une inimitié
entre lui et l'une des parties ; 6. s’il a déjà donné son avis dans l'affaire ; 7. s’il est déjà intervenu
dans l'affaire en qualité de juge, de témoin, d'interprète, d'expert, d'agent de l'administration,
d'avocat ou de défenseur judiciaire ; 8. s'il est déjà intervenu dans l'affaire en qualité d'officier de
police judiciaire ou d'officier du Ministère Public.
369
rendre justice en toute impartialité et indépendance893. C’est notamment le cas d’un
juge qui subit la pression de son chef hiérarchique ou d’une autorité administrative
ou politique, sur l’orientation à donner à l’affaire selon ses intérêts. Dans ces
conditions, l’indépendance du juge est sérieusement mise à l’épreuve et la décision
à intervenir ne sera jamais impartiale.
En ordre général, l’article 58 de la Loi organique susvisée prévoit que le juge
qui désire se déporter informe le Président de la juridiction à laquelle il appartient en
vue de pourvoir à son remplacement. Le Président de la juridiction ainsi informé ne
peut ni refuser de prendre acte de la volonté du juge qui se déporte, ni l’obliger à
toujours statuer.
Autant, l’acte de déport ne peut pas faire l’objet de voies de recours, étant
donné qu’il n’est pas une décision (de justice), et aucune partie au procès n’a le droit
de choisir le juge qu’elle veut pour l’examen de sa cause ou obliger un juge à toujours
juger sa cause. Est donc mal venu et partant irrecevable pour défaut de décision de
justice attaquée, tout appel dirigé contre le déport d’un juge.
Par ailleurs, les dispositions relatives au déport sont applicables à l’officier
du Ministère Public lorsqu’il intervient par voie d’avis, généralement en matière
civile et commerciale. En revanche, en matière pénale, l’Officier du Ministère public
ne peut être récusé compte tenu de sa qualité de partie principale au procès pénal894.
Cela est d’autant plus vrai, car il n’est pas permis à une partie au procès de récuser
une autre.
b. Le déchargement et la récusation
Il découle des termes de l’article 59 de la Loi organique n°13/011 B du 11
Avril 2013 que l’inculpé qui estime que l’officier du Ministère Public appelé à
instruire son affaire se trouve dans l’une des hypothèses prévues à l’article 49 de la
loi organique susvisée, adresse au chef hiérarchique, une requête motivée tendant à
voir ce magistrat être déchargé de l’instruction de la cause. Il est répondu à cette
requête par une ordonnance motivée, non susceptible de recours, qui doit être rendue
dans les délais de quarante-huit heures, le magistrat mis en cause entendu.
A ces propos, il s’ensuit que le déchargement peut être défini comme l’acte
par lequel une personne poursuivie devant le Ministère public (Parquet) remet en
cause l’indépendance et l’impartialité du Magistrat instructeur et sollicite son
remplacement par un autre. En d’autres termes, il s’agit de l’équivalent de la
récusation, à la différence que le déchargement n’est dirigé que contre un Magistrat
L’article 69 alinéa 2 de la Loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire
va notamment dans ce sens lorsqu’il dispose que « Toutefois, le juge militaire qui, pour un motif
non prévu par la loi, estime qu’il y a pour lui convenance qu’il se déporte, en fait la déclaration
au Président de la Cour ou du Tribunal militaire qui en décide, après avis du ministère public».
894
A. BETU NZUJI, Op. cit., p.38
893
370
du Parquet (Officier du Ministère Public) par un inculpé durant l’instruction préjuridictionnelle.
Aussi, suivant l’interprétation stricte de l’article 59 ci-dessus, l’on conviendra
que seul l’inculpé a le droit de solliciter le déchargement du Magistrat instructeur, et
non pas le plaignant. Cependant, dans la pratique, cette possibilité est étendue et
généralement accordée même au plaignant qui peut solliciter et au besoin, obtenir le
déchargement d’un Magistrat pour des raisons prévues à l’article 49, ou pour un
motif quelconque touchant à l’indépendance et à l’impartialité du Magistrat visé.
Cela est d’autant plus vrai, car toutes les parties à une affaire judiciaire, même en
phase d’instruction pré-juridictionnelle, doivent avoir les mêmes droits.
Par ailleurs, comme pour le déport, les causes du déchargement ne sont pas
seulement celles prévues à l’article 49 : Tout fait généralement quelconque qui
touche à l’indépendance et à l’impartialité du Magistrat instructeur, peut être évoqué
comme motif de son déchargement. A ce sujet, Achille Betu Nzuji écrit que :
« (…) Toutefois, toute manifestation de partialité peut être prise en
compte. (…) le cas d’un magistrat qui pose au prévenu (inculpé)
des questions tendancieuses ayant pour but d’orienter ses
réponses, qui n’acte pas fidèlement les déclarations des parties
(…) Est déchargeable, un magistrat instructeur qui maintient un
prévenu (inculpé) en détention et qui, sans motif valable, ne fixe
pas rapidement le dossier au tribunal. Il en est de même de celui
qui place un inculpé sous mandat d’arrêt provisoire sans l’avoir
au préalable entendu et à la seule demande de la victime895».
Soulignons toutefois que non seulement que la Loi organique ne prévoit pas
de sanction contre un Officier du Ministère public qui, étant conscient de se retrouver
dans l’une des hypothèses de l’article 49, continue quand même à instruire l’affaire.
Mais aussi, elle ne prévoit expressément pas non plus la possibilité de déchargement
volontaire pour un Officier du Ministère Public. Faut-il dès lors considérer que faute
d’être déchargé (de force) conformément à l’article 59 ci-dessus, un Officier du
Ministère Public est tenu de poursuivre l’instruction d’une affaire même lorsqu’il est
personnellement conscient d’être sérieusement dans l’une des hypothèses de l’article
49 ou une cause quelconque touchant à son impartialité ? Le principe général de droit
selon lequel « Non omne quod licet honestum est » (ce qui n’est pas interdit est
autorisé) peut-il s’appliquer dans cette occurrence ?
Malgré le fait que la Loi n’ait pas expressément prévu la possibilité pour un
Officier du Ministère Public de solliciter volontairement son déchargement, celle-ci
(possibilité) demeure sous-entendue, dans la mesure où, même si l’Officier du
Ministère Public ne décide pas au fond d’une affaire, le principe d’indépendance et
d’impartialité reste de mise, et doit forcément caractérisé son action. A ce point de
895
Idem, pp.38-39
371
vue, il est tout à fait logique que lorsqu’il fait face à une situation qui mettrait en mal
son indépendance ou son impartialité dans l’instruction d’une affaire, il est en droit
de solliciter, au nom de sa déontologie, son déchargement volontaire ce, pour éviter
tout arbitraire dans son action.
c. Le Renvoi de juridiction et la récusation
Le renvoi de juridiction est défini comme la procédure par laquelle une
juridiction désigne une autre juridiction pour connaître d’une cause896. Il y a donc
renvoi de juridiction, lorsque pour cause de sureté publique ou de suspicion légitime,
une juridiction est dessaisie d’une affaire au bénéfice d’une autre par une juridiction
supérieure saisie sur requête897.
L’article 60 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 va dans ce sens
lorsqu’il dispose que :
« Le Tribunal de grande instance peut, pour cause de sûreté
publique ou de suspicion légitime, renvoyer la connaissance d’une
affaire, d’un Tribunal de paix de son ressort à un autre Tribunal
de paix du même ressort. La Cour d’appel peut, pour les mêmes
causes, renvoyer la connaissance d’une affaire d’un Tribunal de
grande instance de son ressort à un autre Tribunal de grande
instance du même ressort. La Cour de cassation peut, pour les
mêmes causes, renvoyer la connaissance d’une affaire d’une Cour
d'appel à une autre ou d’une juridiction du ressort d’une Cour
d’appel à une juridiction de même rang du ressort d’une autre
Cour d’appel (…)».
Il s’ensuit qu’en droit congolais, il est prévu deux motifs de renvoi de
juridiction : la sureté publique et la suspicion légitime.
En effet, il y a sûreté publique lorsqu’on craint que le procès ne soit
localement la cause ou le prétexte de troubles publics898. Autrement dit, il y a sûreté
publique lorsque le climat social ou politique du lieu où siège le juge naturel est
détérioré au point qu’il n’est plus possible de rendre une justice sereine, la cause qui
est pendante devant ce tribunal doit être renvoyée devant un autre tribunal899.
Seul le Ministère public peut introduire une requête aux fins de renvoi pour
cause de sûreté publique900.
896
S. GUINCHARD et alii, Op.cit. p.972.
MATADI NENGA GAMANDA, Op.cit. p.302.
898
S. GUINCHARD et alii, Op.cit. p.1081.
899
Emmanuel J. LUZOLO BAMBI LESSA, Manuel de procédure pénale, Kinshasa, PUC, 2011,
p.102.
900
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013,
art. 60 al. 4.
897
372
Par ailleurs, la suspicion légitime désigne quant à elle, le doute sur
l’impartialité des juges d’une juridiction901, ou le fait de soupçonner tous les juges
d’un tribunal d’avoir subi des pressions au point de ne plus jouir de l’indépendance
ou de l’impartialité requise pour juger une cause de manière équitable902. C’est en
réalité une possibilité reconnue à toute partie au procès 903, qui a des motifs sérieux
de penser que les juges appelés à connaître de son affaire ne sont pas en situation de
se prononcer avec impartialité en raison de leurs tendances ou de leurs intérêts, de
pouvoir demander que l’affaire soit renvoyée devant une autre juridiction904.
Ainsi, contrairement à la récusation, le renvoi pour cause de suspicion
légitime concerne la juridiction toute entière, et non un juge pris individuellement.
Par cette procédure, une partie cherche donc à obtenir la mise à l’écart de toute une
juridiction de la connaissance d’une affaire la concernant.
Autre élément de démarcation avec la récusation dérive de ce que la
procédure de récusation, comme on le verra plus loin, se déroule devant la juridiction
à laquelle appartient le juge récusé et si la récusation est fondée, le juge récusé quitte
le siège appelé à connaître de la cause qui concerne le justiciable récusant. Alors que
la procédure de renvoi de juridiction se déroule devant une juridiction supérieure à
celle qui est suspectée et dans le cas où le renvoi est fondé, la connaissance de
l’affaire est renvoyée devant une autre juridiction de même rang que celle suspectée.
Toutefois, il convient de noter que la compétence en Droit étant d’attribution,
la Cour d’appel n’est pas matériellement compétente à connaître de renvoi de
juridiction contre le Tribunal de commerce et le Tribunal du travail, nonobstant le
fait qu’ils aient tous le même rang que le Tribunal de grande instance, autant qu’elle
n’est pas compétente à connaître de renvoi de juridiction contre le Tribunal de paix.
L’article 60 alinéa 2 de Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 est assez clair à
ce sujet lorsqu’il dispose que « (…) La Cour d’appel peut, pour les mêmes causes,
renvoyer la connaissance d’une affaire d’un Tribunal de grande instance de son
ressort à un autre Tribunal de grande instance du même ressort. (…)», sans
expressément citer ni le Tribunal de commerce, ni le Tribunal du travail, ni encore
le Tribunal de paix.
La procédure contre le Tribunal de commerce et le Tribunal du travail doit
être initiée uniquement devant la Cour de cassation qui, conformément à l’article 60
alinéa 3 de Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, peut seule renvoyer la
connaissance d’une affaire d’une Cour d’appel à une autre ou d’une juridiction du
ressort d’une Cour d’appel à une juridiction de même rang du ressort d’une autre
901
S. GUINCHARD et alii, Op.cit. p.1086.
E. J. LUZOLO Bambi Lessa, Op.cit. p. 103.
903
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013,
art. 60 al. 5.
904
P. OKENDEMBO MULAMBA, Op. cit., p.14, cité par C. SHAMASHANGA MINGA, Op. cit.,
p.190.
902
373
Cour d’appel. Il en est de même de renvoi de juridiction contre le Tribunal de paix
dans le ressort d’un Tribunal de grande instance qui ne compte qu’un seul Tribunal
de paix : la procédure doit dans ce cas être initiée devant la Cour de cassation.
En ordre général, la Loi ne limite pas le nombre de fois qu’il convient de
suspecter une juridiction dans une procédure encore pendante ; le loisir étant laissé
aux parties qui ont des raisons de la suspecter d’apprécier s’il faut le faire encore,
après le rejet de la première requête, encore que si une requête est déclarée non
fondée, la Loi prévoit la condamnation du requérant à une amende, et même la
possibilité de condamnation aux dommages et intérêts en faveur des juges de la
juridiction suspectée905.
De même, la Loi ne prévoit pas un ordre quelconque à suivre dans la
procédure de renvoi de juridiction. Ce qui veut dire par exemple qu’une partie n’est
pas obligée de saisir toujours la Cour d’appel contre le Tribunal de grande instance,
et non pas directement la Cour de cassation, surtout, si elle a des raisons de craindre
la partialité de toutes les juridictions du ressort d’une Cour d’appel906.
Cependant, par sa note circulaire n°001/PPNDK/MANE/2024 du 03 janvier
2024 portant dispositions applicables en matière de renvoi de juridiction, le Premier
Président de la Cour de Cassation a pris des mesures suivantes désormais
d’application en cette matière :
(i) Il n’est organisé devant la Cour de cassation et les juridictions
inferieures compétentes, qu’une audience tous les deux mois en matière
de renvoi de juridiction ;
(ii) Si la cause ne relève pas de la compétence de la juridiction saisie ou
si elle est manifestement irrecevable, notamment lorsque l’avocat
signataire de la requête n’est pas porteur d’une procuration spéciale
ou, s’agissant d’une personne morale dont les statuts ne sont pas
produits, cette juridiction prononce d’office sur les bancs ;
(iii) Lorsque la partie requérante ne comparait pas à l’audience
d’introduction ou lorsqu’elle ne comparait pas après remise
L’article 62 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 dispose que « Si la requête aux fins
de renvoi pour cause de suspicion légitime est déclarée non fondée, la juridiction saisie peut,
après avoir appelé le requérant, le condamner à l'amende prévue à l’article 53 de la présente loi
organique sans préjudice des dommages- intérêts envers les juges composant la juridiction mise
en cause». Et aux termes de l’article 53 susvisé, cette amende est de l’ordre de de cinq cent mille
francs congolais.
906
Sous RR 5450, la Cour de cassation a malencontreusement rejeté la requête en renvoi de juridiction
initiée par une partie contre le Tribunal de paix de Kipushi estimant que « sans qu’il ne soit
nécessaire d’examiner les mérites de la présente requête, la Cour de cassation constate qu’elle
est incompétente, le ressort de Kipushi ayant plus ou moins six tribunaux de paix. Dans ces
circonstances, elle note que seul le tribunal de grande instance dudit ressort est compètent de
statuer sur une requête en renvoi de juridiction, (…) »
905
374
contradictoire ou qu’elle refuse de comparaitre alors qu’elle est
présente, sous prétexte de défaut de notification de date d’audience, la
juridiction saisie considère qu’ elle n’a pas d’arguments pour soutenir
sa requête et conclut au non fondement de son action ;
(iv) La juridiction saisie quant au fond qui constate la réitération de la
requête en renvoi de juridiction par la même partie passe outre l’arrêt
de donner acte et poursuit sans désemparer l’examen de la cause dont
elle est saisie.
Motivant ladite note circulaire, le Premier Président argue notamment que «
il m’a été donné de constater que les causes en renvoi de juridiction, matière
pourtant spéciale en vertu de la Loi organique n°13/010 du 19 février 2013 relative
à la procédure devant la Cour de cassation, sont enrôlées de manière exponentielle
au greffe de cette Cour (…) Par ailleurs, lorsque les parties ne sont pas sures de
l’impartialité d’un juge, elles ont la possibilité soit de le récuser, de le poursuivre,
après une décision prise hors du droit, en prise à partie ou devant les chambres de
discipline, soit d’exercer les voies de recours au lieu de bloquer la procédure par
cette pratique vulgairement appelée mbasu »907.
On notera que cette note circulaire ne va pas sans poser problème, surtout
lorsqu’il faut prendre en compte la mesure édictée au point (iv) qui oblige la
juridiction saisie au fond de passer outre un jugement ou arrêt de donner acte déposé
pour la deuxième fois dans la même procédure par la même partie.
Cette mesure est foncièrement contra legem en ce qu’elle viole
intentionnellement la Constitution ainsi que la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril
2013, et dénote un excès grave de pouvoir dans le chef du Premier Président.
En effet, une circulaire est un acte unilatéral, interne à l’administration et ne
modifiant normalement pas l’ordonnancement juridique, adressé par une autorité
administrative a ses subordonnés908. Il s’en suit qu’elle (note circulaire) n’est ni
supérieure ni égale à une Loi organique et n’a pas pour vocation de limiter
l’application de la Loi ou d’en atténuer les effets, autant qu’elle ne peut aucunement
limiter l’exercice des droits et libertés garantis aux citoyens.
Il est certes vrai que le constat fait par le Premier Président relativement à la
prolifération des requêtes en renvoi de juridiction devant la Cour de cassation est
réel. Mais, la Loi organique dans sa formulation actuelle, ne limite pas le nombre de
fois qu’il convient de suspecter une juridiction dans une procédure encore pendante.
De même, il n’appartient pas au Juge ; Premier Président soit-il, de modifier la Loi
à sa guise sous prétexte quelconque. En tant qu’organe appelé à dire le Droit, le Juge
907
Cour de Cassation : Premier Président, note circulaire n°001/PPNDK/MANE/2024 du 03 janvier
2024 portant dispositions applicables en matière de renvoi de juridiction, inédit.
908
Fiches d’orientation Dalloz 2023 : Circulaire. (En ligne) Disponible sur htpps://www.dalloz.fr (vu
le 3 janvier 2024)
375
est principalement soumis à la seule autorité de la Loi et doit l’appliquer (la Loi) en
l’état où elle se trouve, sous réserve de son pouvoir de contribuer à l’évolution du
Droit par la jurisprudence : cas d’un arrêt de principe par exemple.
Or, une note circulaire n’est jamais une décision de justice à mettre au compte
de la jurisprudence.
3.
Principes régissant la récusation
De la lecture combinée des articles 49 et 50 de la Loi organique n°13/011 B
du 11 Avril 2013 qui disposent respectivement que «Tout juge peut être récusé pour
l’une des causes limitativement énumérées ci-après : (…) », « Celui qui veut récuser
le fait sous peine d’irrecevabilité dès qu’il a connaissance de la cause de récusation
et au plus tard avant la clôture des débats, (…) », il se dégage deux principes majeurs
suivants : (a) seul un juge peut être récusé et, (b) la déclaration de récusation doit,
sous peine d’irrecevabilité, être faite au plus tard avant la clôture des débats.
a. Seul un juge peut être récusé
Il découle de la Loi que la procédure de récusation ne peut être dirigée que
contre un juge. Est donc mal venue et partant irrecevable, toute récusation dirigée
contre un Magistrat du Parquet (Officier du Ministère public) ; exception faite
uniquement lorsqu’il intervient par voie d’avis dans une procédure pendante devant
un Tribunal909.
Peuvent aussi être récusés, les juges des juridictions militaires910, les juges
assesseurs des Tribunaux de travail911 ainsi que les juges consulaires des Tribunaux
de commerce912.
Toutefois, une question majeure alimente les débats depuis un temps : Celle
liée à la récusabilité du juge de l’article 49 de l’Acte uniforme portant procédures
simplifiées de recouvrement des créances et des voies d’exécutions (AUPSRVE) 10
avril 1998. En effet, cet article dispose que : « la juridiction compétente pour statuer
sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une
saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d’urgence
ou le magistrat délégué par lui»913.
909
Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, selon l'esprit de l'art. 54 al. 2
Loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire, art. 69 al. 2.
911
Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux
du travail, art. 36.
912
Loi n° 002/2001 du 03 juillet 2001 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux
de commerce, art. 16.
913
Tenez ! Dans la nouvelle version de l’AUPSRVE modifié et complété le 17 octobre 2023, l’article
49 est libellé comme suit : « En matière mobilière, le président de la juridiction compétente dans
chaque État partie ou le juge délégué par lui connaît de tout litige ou toute demande relative à
une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire ». Aux termes de son article 338,
910
376
Il s’ensuit que le Président de la juridiction compétente ci-dessus visée
constitue à lui seul une juridiction à part entière, dont il est lui-même seul juge, et
détient le pouvoir de délégation de ses prérogatives à un magistrat (juge) qu’il
désigne souverainement.
S’agissant de sa récusabilité, une opinion assez partagée estime que
conformément à l’article 49 de la loi organique relative aux juridictions de l’ordre
judiciaire, le Président de la juridiction précitée est récusable lorsqu’il existe dans
son chef une cause de récusation914.
En principe, il est vrai qu’en tant que juge, le juge de l’article 49 de
l’AUPSRVE ne doit normalement pas échapper à la procédure de récusation. Mais,
une difficulté nait à partir du moment où il faudra tenir compte de sa nature spéciale :
Juge et juridiction en même temps, et la concilier à la procédure de récusation qui
veut que toutes affaires cessantes, il soit statué sur la récusation ; le juge récusé
entendu, alors que lui, en tant que juridiction, est seul juge de cette juridiction et
quand il délègue le pouvoir à un autre juge, il cesse pendant ce temps-là, d’être juge
de cette juridiction. Comment comprendre alors qu’il soit entendu sur la récusation
dirigée contre lui et par quel autre juge ?
A ces propos, Tony Mwaba Kazadi considérant le Juge susvisé comme une
juridiction à part entière, propose qu’il fasse non pas l’objet de la procédure de
récusation, mais plutôt de renvoi de juridiction915. En réalité, toute procédure de
récusation initiée contre le juge de l’article 49 de l’AUPSRVE doit normalement
donner lieu à une procédure de renvoi de juridiction pour cause de suspicion légitime.
Cela veut dire de manière pratique que, le juge récusé devra renvoyer l’affaire à date
certaine pour ainsi permettre à la partie récusante de formaliser la procédure de
renvoi de juridiction.
b. La déclaration de récusation doit, sous peine d’irrecevabilité, être
faite au plus tard avant la clôture des débats
Celui qui veut récuser un juge, le fait sous peine d’irrecevabilité dès qu’il a
connaissance de la cause de récusation et au plus tard avant la clôture des débats,
prévoit l’article 50 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013. Cependant,
aux termes de l’article 37 Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création,
914
915
cette nouvelle version entrera en vigueur normalement au mois de mars 2024 (voir article 9 du
Traité de l’OHADA).
C. SHAMASHANGA MINGA, Op.cit, p.199. Lire aussi H.KALUKANDA MASHATA et P.
KABASELE wa NGOY, Op.cit, p.925.
Tony MWABA KAZADI, « RDC : la récusation du juge président de la juridiction compétente
instituée à l’article 49 de l’AUPRSVE », In JuriAfrique, USA, 28 septembre 2016. (En ligne)
Disponible sur : <https://juriafrique.com/blog/2016/09/28/> (vu le 18 octobre 2023).
377
organisation et fonctionnement des Tribunaux du travail, ce moment est plutôt
ramené à « avant tout débat » 916, c’est-à-dire, avant plaidoirie.
En ordre général, la clôture des débats intervient à partir du moment où le
juge, après avoir reçu les plaidoiries des parties ainsi que l’avis ou les réquisitoires
du Ministère public selon le cas, prend l’affaire en délibère, sauf cas de réouverture
des débats917. Apres la clôture des débats, le seul document que les parties sont
autorisées de déposer au dossier, c’est la note de plaidoirie918.
Cependant, relevons que les prescrits des articles 50 et 37 ci-dessus,
concernent la recevabilité de la déclaration en récusation et non son dépôt au Greffe
de la juridiction à laquelle appartient le juge récusé ; sachant dès lors que la question
de recevabilité d’une demande en justice s’apprécie non pas au greffe, mais devant
le juge compètent (ici le juge de récusation). Un greffier qui refuserait donc de
recevoir une déclaration en récusation au motif qu’elle est faite après clôture des
débats, s’expose aux poursuites pénales éventuelles pour abstention coupable919.
La recevabilité d’une demande étant totalement différente du dépôt de ladite
demande au Greffe, la Loi n’empêche donc pas une partie qui estime pouvoir récuser
un juge, de déposer sa requête ou d’en faire déclaration au Greffe de la juridiction
même après clôture des débats. Seulement, à l’issue de l’instance devant le juge de
récusation, une telle requête sera déclarée irrecevable pour tardiveté ou forclusion.
Achille Betu Nzuji écrit à ce sujet que
« (…) si le juge est notifié de la récusation, même si la cause est
en délibérée, il doit se réserver de prononcer la décision. Le
Tribunal étant déjà saisi en récusation, il faudra qu’il se
prononce ne fut-ce que sur l’irrecevabilité de la demande pour
tardiveté. Un juge qui rendrait une décision dans ces conditions
mérite des poursuites disciplinaires et même une prise à partie
car cette décision qu’il aura rendue après avoir été notifié de la
récusation a très peu de chance d’être objective. Elle peut même
refléter la vengeance dudit juge vis-à-vis du demandeur en
récusation »920.
L’article 37 de la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 dispose que « la partie qui veut récuser un
Juge-assesseur est tenue de former son action sous peine d’irrecevabilité avant tout débat et d’en
exposer les motifs à l’audience soit verbalement soit dans une déclaration motivée revêtue de sa
signature ».
917
MATADI NENGA GAMANDA, Op. cit., p.363.
918
Idem.
919
BONY CIZUNGU NYANGEZI note « l’infraction d’abstention coupable vise aussi le
fonctionnaire qui s’abstient volontairement de faire dans le délai lui imparti par la Loi ou par les
règlements, un acte de sa fonction ou de son emploi, qui lui a été régulièrement demande», (BONY
CIZUNGU, Les infractions de A à Z, Editions Laurent Nyangezi, 2011, p.44).
920
A. BETU NZUJI, Op. cit., pp. 46-47
916
378
De manière pratique, lorsque l’affaire est en délibérée et après qu’un juge ou
tous les juges de la composition soient notifiés de la récusation, la réouverture des
débats doit être ordonnée d’office pour surseoir à statuer et ainsi permettre au juge
de récusation d’examiner la demande et au besoin, se prononcer sur son
irrecevabilité. C’est notamment le cas en matière de renvoi de juridiction lorsqu’un
jugement ou arrêt de donner acte est déposé ou, comme c’est fréquemment le cas
dans la pratique, signifié à la juridiction suspectée alors que l’affaire est déjà prise
en délibéré, la réouverture des débats est ordonnée d’office pour décréter la surséance
à statuer921.
Cela se justifie par le fait que la justice est une question de confiance entre le
justiciable et le juge. Mais, lorsque le justiciable n’a plus confiance en lui, le juge ne
doit pas s’accrocher à l’affaire. Un juge ne peut donc pas vouloir à tout prix juger
une affaire dans laquelle il est récusé, si ce n’est pour un intérêt personnel
quelconque.
II. Cadre juridique de la recusation
L’analyse du cadre juridique de la récusation consiste à présenter à toutes
fins utiles, le fondement légal ou les dispositions légales (1) qui l’organisent en tant
procédure judiciaire, ses causes (2) ainsi que les modalités de sa mise en mouvement
ou la procédure à suivre (3).
1. Fondement légal
En droit judiciaire congolais, la récusation trouve principalement son
fondement légal dans la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 portant
organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire,
spécialement en ses articles 49 à 56, qui en fixent, les causes ainsi que la procédure.
En dehors de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013, la récusation
est, pour les juridictions spécialisées de l’ordre judiciaire, respectivement prévue par
la Loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire,
spécialement en son article 69, la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant
création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail, spécialement en
ses articles 36 à 44, et la Loi n° 002/2001 du 03 juillet 2001 portant création,
organisation et fonctionnement des tribunaux de commerce, spécialement en son
article 16.
Seule la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation
et fonctionnement des tribunaux du travail prévoit des règles spécifiques. Les autres
Lois spéciales évoquées ci-dessus, renvoient à la Loi organique n°13/011 B du 11
921
Le Tribunal de grande instance de Lubumbashi avait sous RR 552/RP 10.031, réouvert les débats
puis ordonné la surséance, à la suite d’un arrêt de donner acte de la Cour d’Appel du Haut-Katanga
sous RR 1387 signifié par une partie, alors que la cause était en délibéré.
379
Avril 2013 s’agissant des causes et de la procédure de récusation qu’il convient
d’examiner ci-dessous.
2. Causes de la récusation
La récusation doit être fondée sur les motifs clairs, basés sur des éléments
concrets. Ainsi, les causes de récusation peuvent être classées en deux groupes : les
causes prévues par la Loi (a) et les causes non prévues par la Loi (b).
a. Les causes légales
L’article 49 Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013 énumère huit (8)
causes de récusation pour l’une desquelles, tout juge peut être récusé. Il s’agit de :
1. Si lui ou son conjoint a un intérêt personnel quelconque dans l’affaire ;
2. Si lui ou son conjoint est parent ou allié soit en ligne directe, soit en ligne
collatérale jusqu’au troisième degré inclusivement de l’une des parties, de
son avocat ou de son mandataire ;
3. S’il existe une amitié entre lui et l’une des parties ;
4. S’il existe des liens de dépendance étroite à titre de domestique, de serviteur
ou d’employé entre lui et l’une des parties ;
5. S’il existe une inimitié entre lui et l’une des parties ;
6. S’il a déjà donné son avis dans l’affaire ;
7. S’il est déjà intervenu dans l’affaire en qualité de juge, de témoin,
d’interprète, d’expert, d’agent de l’administration, d’avocat ou de défenseur
judiciaire ;
8. S’il est déjà intervenu dans l’affaire en qualité d’officier de police judiciaire
ou d’officier du Ministère Public.
Ces causes concernent tous les juges des juridictions ordinaires de l’ordre
judiciaire, les juges des juridictions militaires ainsi que les juges consulaires des
Tribunaux de commerce.
Quant aux juges assesseurs des Tribunaux du travail, l’article 36 la Loi n°
016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des
tribunaux du travail prévoit exceptionnellement cinq (5) causes de récusation. En
effet, l’article 36 susvisé dispose que
« Tout Juge-assesseur peut être récusé pour l’une des causes
énumérées limitativement ci-après :
1. si lui ou son conjoint a un intérêt personnel quelconque au litige
;
2. si lui on son conjoint est parent ou allié de l’une des parties
jusqu’au second degré inclusivement ;
3. si dans l’année qui a précédé la récusation, il y a eu une action
judiciaire civile ou pénale contre lui ou son conjoint et l’une des
parties ;
380
4. s’il a donné un avis écrit sur le litige ;
5. s’il est employeur ou travailleur de l’une des parties ».
Dans l’ensemble, il s’agit là des causes classiques qui peuvent donner lieu à
une action en récusation contre un juge. Aussi, ces causes ne sont pas cumulatives,
l’existence d’une seule suffit pour fonder un justiciable à initier une action contre un
juge.
Cependant, notons qu’au regard de l’évolution jurisprudentielle et doctrinale,
les causes légales ne sont pas les seules sur base desquelles une action en récusation
peut se fonder. En dehors des causes légales, il existe bien d’autres causes de la
récusation.
b. Les autres causes
Les autres causes de la récusation sont essentiellement jurisprudentielles et
doctrinales. En effet, la doctrine note qu’à ce jour, l’on constate plusieurs causes de
récusation non énumérées par le Code (la Loi organique), mais qui affectent
sérieusement l’impartialité et l’indépendance d’un juge922. A ce sujet, l’on notera que
la récusation apparait donc comme l’un des mécanismes visant à écarter du processus
de prise des décisions un des membres d’une juridiction dont l’impartialité est mise
en doute, indépendamment du déport du magistrat923.
Ceci étant, l’appréciation des faits (causes) de la récusation doit être faite en
fonction principalement de la confiance des justiciables, de l’opinion générale sur le
service public de la justice et de l’état de moralité des magistrats924.
Sous cet angle, la jurisprudence admet par exemple qu’en matière de renvoi
de juridiction,
« Est fondée, la requête dont le moyen est tiré de la perte de
confiance dans le juge naturel que la Loi a assigné »925. De
même, « est fondée et entraine en conséquence renvoi de
juridiction pour cause de suspicion légitime, une requête dans
laquelle le demandeur exprime une crainte justifiée eu égard aux
922
A. BETU NZUJI, Op. cit., p. 44
Pierre OKENDEMBO, Des procédures de récusation et de suspicion légitime en droit congolais.
Cité par A. BETU NZUJI, Op.cit, p. 60
924
Boniface KABANDA MATANDA, Droit processuel en RD Congo : les principes directeurs du
procès équitable et la responsabilité civile du magistrat, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 247.
925
CSJ, RR 545 du 01 février 2008. En cause : Mademoiselle KAZADI et consort c/ Monsieur
DIANGANI NSADI, Voir Contentieux de renvoi de juridiction, Tome IV, Kinshasa, éd.
Juricongo, 2011, p.107
923
381
motifs qu’il a invoqués et au sentiment de malaise qui fait qu’il
n’ait plus confiance aux juges du Tribunal saisi »926.
Il s’en suit que la récusation peut aussi se justifier toutes les fois que les faits
évoqués par la partie récusante mettent en cause l’impartialité et l’indépendance du
juge visé. C’est notamment le cas lorsqu’un juge oblige les parties à plaider une
affaire civile contre leur gré927, ou les contraint à plaider avant la mise en état de la
cause et sans acte régulier de sommation928, ou qui renvoie toujours la cause aux
dates de ses audiences en contradiction avec la volonté des parties, des délais légaux
de remise et de roulement fixée par le chef de juridiction929, ou encore qui suspend
l’audience pour consulter sa hiérarchie sur une question de droit soulevée au cours
de l’audience930, ou qui aurait pour sonnerie du téléphone la chanson d’un musicien,
alors que ce dernier est partie à une procédure, et ce parce que le reflexe normal ferait
à coup sûr penser au fanatisme du juge pour la vedette-justiciable931.
Bien plus, un justiciable peut aussi initier la procédure de récusation, lorsque
le motif qu’il évoque touche à la moralité du juge : Récusation pour cause
d’immoralité932. C’est notamment le cas d’un juge qui drague une dame qui est en
instance de divorce dans la chambre dudit juge.
L’on conviendra en définitive que les autres causes de la récusation consistent
plus généralement en tout acte ou fait non expressément prévu par la Loi, mais qui
touche à l’impartialité et l’indépendance du juge ou à sa moralité (probité), et qui
traduit la poursuite d’un intérêt quelconque ou la volonté de procurer à une partie au
procès un intérêt particulier.
Dans tout état de cause, qu’il s’agisse des causes légales ou des causes non
légales, la procédure de récusation reste la même.
3. Procédure de récusation
La procédure de récusation est prévue par les articles 50 à 54 de la Loi organique
n°13/011 B du 11 Avril 2013 et 36 à 44 de la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002
portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail.
Aux termes de ces dispositions, cette procédure peut être divisée en trois (3) étapes :
déclaration de récusation (a), déroulement de l’instance (b), la décision et les voies
de recours (c).
926
CSJ, RR 532 du 14 juillet 2006 En cause : TSHINGOMBE MANDE Pierre contre KASEM ALI
KARA. Voir Contentieux de renvoi de juridiction, Op. cit., p.102
927
A. BETU NZUJI, Op. cit., p. 44
928
B. KABANDA MATANDA. Op.cit, p. 248
929
Idem
930
A. BETU NZUJI, Op. cit., p. 44
931
B. KABANDA MATANDA. Op. cit., p. 240
932
Idem, p.239
382
a. Déclaration de récusation
Aux termes des articles 50 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013
et 36 de la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002, celui qui veut récuser un juge, fait
une déclaration motivée et actée au greffe de la juridiction dont le juge mis en cause
fait partie.
Dans la pratique, cette déclaration se fait aussi par écrit, c’est-à-dire, par
requête motivée et dument signée par la partie récusante adressée au greffier de la
juridiction à laquelle appartient le juge mis en cause, et dont l’objet porte sur la
déclaration de récusation. La requête doit être libellée de manière claire de sorte à
permettre au juge mise en cause de préparer ses moyens de défense.
Après, le greffier de la juridiction notifie la déclaration de récusation au
président de la juridiction ainsi qu’au juge mis en cause. Cette notification a pour
finalité de porter à la connaissance du juge qu’une procédure de récusation a été
initiée contre lui, et au Président de la juridiction, la notification a pour finalité de lui
permettre de composer le siège qui devra connaitre de cette procédure (récusation).
Faute de notification régulière, c’est-à-dire, procéder comme pour la
signification des exploits, la déclaration de récusation ne saura avoir d’effets à
l’égard dudit juge. Autrement dit, c’est la notification de la récusation qui oblige
véritablement le juge récusé à s’abstenir à poser les actes dans l’affaire dont il est
récusé et donc, de surseoir.
Une fois notifié, le juge est tenu de faire une déclaration écrite ou verbale,
actée par le greffier dans les deux jours de la notification de l’acte de récusation.
Cette déclaration est essentiellement constituée des moyens de défense ou de
réplique du juge mise en cause qui doit rencontrer les griefs contenus dans la
déclaration de récusation tan sur le plan de forme que de fond933. Il n’existe pas de
sanction en cas de refus pour ledit juge de faire la déclaration ci-dessus. Cependant,
ce refus peut être considéré comme un acquiescement dans son chef et la procédure
devra continuer934.
Notons aussi que la Loi ne prévoit pas à ce stade de procédure, une possibilité
de déport. Le fait pour un juge de se déporter après avoir été notifié de la récusation
est assimilable au refus pour lui de faire la déclaration prévue par la Loi, ce qui
équivaut à un acquiescement.
A la suite de la déclaration du juge ou à l’expiration du délai de deux (2)
jours, il est ouvert au greffe de la juridiction, un dossier sous REC (Rôle de
récusation) et fixé une date certaine pour permettre à cette juridiction de connaitre
de la demande (en récusation) en audience publique.
933
934
A. BETU NZUJI, Op. cit., p. 55.
Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002, art. 38
383
b. Déroulement de l’instance
Il découle des termes de l’article 51 de la Loi organique n°13/011 B du 11
Avril 2013, que la juridiction à laquelle appartient le juge mis en cause statue sur la
récusation toutes affaires cessantes et dans la forme ordinaire, la partie récusante
entendue. Cela veut dire qu’il sera préalablement sursis à l’examen de la cause que
connaissait le juge récusé pour statuer d’abord sur la récusation, étant entendu qu’il
s’agit d’un incident de procédure.
Le siège pour statuer sur la récusation sera ordinairement composé d’autres
juges de la même juridiction à l’exception de celui qui est récusé. Ainsi, les seules
parties à cette instance sont le récusant comme demandeur, et le juge récusé comme
défendeur, avec possibilité pour chacune d’elles de se faire représenter935.
L’adversaire du récusant dans l’affaire en surséance n’est pas partie à l’instance de
récusation, contrairement à la procédure de renvoi de juridiction où toutes les parties
à l’instance en surséance sont également parties en instance de renvoi.
Par ailleurs, il convient de noter que dans la pratique, les demandes en
récusations n’aboutissent généralement pas devant les juridictions pour plusieurs
raisons : D’une part, nombreux sont les demandeurs en récusations qui le font à titre
de dilatoire et une fois obtenu la surséance à l’examen de la cause soumise au juge
récusé, ne poursuivent plus l’instance ou c’est le greffe qui n’ouvre pas carrément
pas le dossier sous REC. D’autre part, certains demandeurs aussi craignent de
poursuivre l’instance de peur qu’elle n’aboutisse pas du fait que le juge récusé ne
sera jugé que par ses collègues de la même juridiction avec qui il a des liens soit
d’amitié soit simplement en termes de collègue.
Il s’en suit évidemment que lorsque l’examen de la demande en récusation
ne doit être soumis que devant la juridiction à laquelle appartient le juge récusé, le
risque de partialité est certainement grand et la crainte du récusant se justifie tout
autant.
Pour éviter une situation de crise de confiance sur une crise de confiance
(récusation dans la récusation), et ainsi garantir tant soit peu l’impartialité, gage
indispensable pour une justice équitable, il nous semble logique, à l’instar de Achille
BETU NZUZI936, que les demandes en récusation soient portées devant la juridiction
immédiatement supérieures, comme en matière de renvoi de juridiction ce,
nonobstant le fait qu’une possibilité de voies de recours soit prévue contre les
décisions sur récusation.
935
936
A. BETU NZUJI, Op. cit., p.54.
A. BETU NZUJI, Op. cit., p. 55.
384
c. Décision et voies de recours
Apres l’examen des moyens des parties (récusant et juge récusé), la
juridiction peut déclarer la demande soit fondée, soit non fondée, autant qu’il ne peut
se limiter que sur la forme, et décréter l’irrecevabilité de la demande.
Lorsque la demande est déclarée fondée, il sera ordonné que le juge récusé
ne fasse plus partie du siège appelé à connaitre de la cause antérieurement soumise
à son examen ce, sans préjudice de l’action disciplinaire contre ledit juge937.
Aux termes de l’article 52 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013,
si le tribunal statuant en premier ressort rejette la récusation, il peut ordonner, pour
cause d’urgence, que le siège comprenant le juge ayant fait l’objet de la récusation
rejetée poursuive l’instruction de la cause, nonobstant appel.938
La seule voie de recours prévue en matière de récusation est l’appel.
Cependant, la Loi ne détermine pas les formes et délais de cet appel. Pensons-nous
dès lors qu’au stade actuel, cet appel doit être fait dans les formes et délais ordinaires
selon les cas. C’est-à-dire, 30 jours si la récusation a été dirigée contre le juge qui
siégeait en matière civile939, 10 jours s’il siégeait en matière pénale940, 8 jours en
matière commerciale941, et 30 jours s’il s’agit du juge assesseur942.
En guise de lege ferenda, il convient en ordre général ce, pour éviter des
tâtonnements, que le législateur fixe clairement les choses en prévoyant un délai
certain pour faire appel en matière de récusation.
Dans tous les cas, si le jugement rejetant la récusation est maintenu par la
juridiction d’appel, celle-ci peut, après avoir appelé le récusant, le condamner à une
amende de cinq cent mille francs congolais, sans préjudice des dommages et intérêts
envers le juge mis en cause943.
En cas d’infirmation du jugement rejetant la récusation, le juge d’appel
annule toute la procédure du premier degré qui en est la suite et renvoie les parties
devant le même Tribunal pour y être jugées par un autre juge ou devant un Tribunal
voisin du même degré, sans préjudice de l’action disciplinaire944.
La possibilité des poursuites disciplinaires est prévue à l’article 54 de la Loi organique n°13/011
B du 11 Avril 2013
938
Voir aussi l’article 39 de la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002
939
Article 67 du Décret du 7 mars 1960 portant Code de procédure civile.
940
Article 97 du Décret du 6 aout 1959, portant Code de procédure pénale
941
Article 60 de la Loi n° 002/2001 du 03 juillet 2001 portant création, organisation et fonctionnement
des tribunaux de commerce.
942
Article 20 de la Loi n° 016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et
fonctionnement des tribunaux du travail.
943
Article 53 alinéa 1 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013
944
Article 54 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013
937
385
Cependant, lorsque la récusation est dirigée contre un magistrat siégeant à la
Cour de cassation, cette juridiction peut, en cas de rejet de la récusation, prononcer
les condamnations aux peines de l’article 53 alinéa 1945.
III. De la recusation collective et ses implications en droit judiciaire congolais
La question spécifique au cœur de la présente étude porte sur la récusation
collective et ses implications en droit judiciaire congolais, tirée des critiques
fondamentales liées à l’interprétation de l’Arrêt de principe sous REC 037 rendu par
l’ancienne Cour suprême de Justice en date du 11 novembre 2011.
En effet, il appert que cet Arrêt est dans la pratique, mal interprété tant par
les juges que par les Conseils des parties, si bien qu’une forte confusion est créée
autour de son contenu ainsi que de la finalité de la procédure de récusation telle que
prévue par la Loi.
Ci-dessous, l’étude présente d’abord l’état de la question (1) avant de
proposer quelques solutions de droit (2), en guise de contribution à la bonne
administration de la justice.
1. Etat de la question
Par son Arrêt de principe sous REC 037 du 11 novembre 2011, l’ancienne
Cour suprême de justice946 avait jugé que « la récusation des magistrats de la Cour
suprême de justice ou de plusieurs d’entre eux dans le but de mettre celle-ci dans
l’impossibilité de composer le siège, donc de bloquer son fonctionnement, ne peut
être admise ».
Dans sa motivation, la Cour a indiqué que :
« Par ailleurs, la Cour constate que depuis un certain temps, des
plaideurs de mauvaise foi se complaisent de récuser tous les
membres de la Cour ou plusieurs d’entre eux dans le but de
mettre celle-ci dans l’impossibilité de former le siège. (…). Il
convient de souligner que genre de récusation équivaut à une
suspicion légitime et ne peut dès lors se concevoir au niveau de
la Cour suprême de justice étant donné qu’aucune autre
juridiction ne peut être constituée pour traiter de la récusation
ou de l’affaire concernée. (…). De ce qui précède et pour
remédier à cette situation, la Cour rendre une décision de
principe telle que arrêtée en son assemblée mixte du 03 novembre
2011, à savoir que la récusation de tous les magistrats de la Cour
945
946
Article 53 alinéa 2 de la Loi organique n°13/011 B du 11 Avril 2013
Conformément à la Constitution du 18 février2006, la Cour suprême de justice a été éclatée en
trois juridictions : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat. C’est la Cour
de cassation qui a remplacé la section judiciaire de la Cour suprême de justice.
386
suprême de justice ou de plusieurs d’entre eux dans le but de
mettre celle-ci dans l’impossibilité de composer le siège, donc de
bloquer son fonctionnement, ne peut être admise »947.
Deux observations majeures découlent de la motivation de la Cour ci-dessus :
D’abord, la récusation de tous ses membres ou de plusieurs d’entre eux dans le but
de la mettre dans l’impossibilité de former le siège, équivaut à une suspicion
légitime. Ensuite, une telle procédure (suspicion légitime) ne peut logiquement pas
se concevoir au niveau de la Cour suprême de justice (actuellement Cour de
cassation), étant donné qu’aucune autre juridiction ne peut être constituée au-dessus
d’elle, pour traiter une telle affaire. Cela est tout à fait logique, étant entendu que la
Loi organique ne prévoit pas la possibilité de suspecter la Cour de cassation ni pour
cause de suspicion légitime ni pour cause de sûreté publique.
Cependant, la pratique devant les autres juridictions judiciaires révèle que la
récusation de tous les juges d’une juridiction ou de plusieurs d’entre eux est
carrément rejetée sur le banc, généralement sur instructions des chefs de juridictions,
qui évoquent pour raison qu’en application de l’Arrêt REC 037, une telle procédure
ne peut être admise, étant donné qu’elle mettrait ladite juridiction en impossibilité de
composer le siège948.
Cette position est malheureusement partagée aussi la Cour de cassation qui,
sous RR 5124, a notamment opiné que
« Quant au fait que la juridiction suspectée avait passé outre la
procédure de récusation à l’audience publique du 1er février
2023, elle (la Cour) note que cette juridiction s’est conformé
à l’arrêt REC 037 de la Cour suprême de justice en ce que la
récusation collective, ayant pour but de mettre un tribunal
dans l’impossibilité de composer le siège, donc de bloquer son
fonctionnement, ne peut être prise en considération949».
Il s’en suit qu’en jugeant ainsi, la Cour de cassation a d’une part, contredit
sur toute la ligne, sa propre jurisprudence à travers laquelle elle avait jugé que : « Est
fondée pour absence de probité, la requête en renvoi de juridiction dont le moyen est
CSJ. REC 037 du 11 novembre 2011. En cause : L’Entreprise Général MALTA FOREST, EGMF
SPRL c/ KITOKO KIMPELE et consort. (Cinquième feuillet).
948
Voir supra : Note 12. En effet, sous RC 6260, le juge du Tribunal de paix Lubumbashi-Katuba,
avait rejeté sur le banc, la récusation initiée contre tous les juges de cette juridiction s’appuyant
sur l’arrêt REC037. C’est également le cas sous RP 2831/Tribunal de paix de Likasi.
949
Cour de Cass. RR 5124 du 07 juin 2023. En cause : Madame MWEPU MAUWA c/ Monsieur
Willy KAFEKE et Tribunal de paix de Likasi
947
387
tiré de la récusation de tous les magistrats composant le siège de la Juridiction
suspectée qui est dans l’impossibilité de pouvoir valablement statuer»950.
D’autre part, ni elle (la Cour de cassation) ni les autres juridictions qui
s’appuient sur l’impossibilité de composer le siège pour rejeter la récusation
collective, ne précisent malheureusement pas de quel siège il s’agit dans cette
occurrence, entretenant ainsi une forte confusion : S’agit-il du siège appelé à
connaitre de la récusation ou de celui qui devra poursuivre l’examen de la cause dont
récusation ?
Il nous parait, non sans nous tromper, que l’interprétation et/ou l’application
dans la pratique prétorienne de l’arrêt REC 037 s’écarte foncièrement tant de la
finalité ou de l’essence même de la procédure de récusation telle que prévue par la
Loi, que de l’esprit de l’Arrêt lui-même.
Ainsi, il convient de trouver, à la lumière de la Loi, la doctrine et la
jurisprudence, des solutions de Droit envisageables dans pareille situation.
2. Solutions de Droit
La problématique de la récusation collective en droit judiciaire ne manque
pas d’arguments susceptibles d’y apporter une solution de Droit. Ces solutions
découlent tant de la Loi organique elle-même que de la doctrine et de la
jurisprudence.
En liminaire, il importe de relever que l’Arrêt sous REC 037 de la Cour
suprême de justice ne convient logiquement pas d’être appliqué devant les autres
juridictions de l’ordre judiciaire que la Cour de cassation, tant il est non seulement
vrai que le contexte de la Cour de cassation en tant que juridiction au sommet de
l’ordre judiciaire, diffère fondamentalement de celui des autres juridictions sous son
emprise. Mais aussi et surtout, l’Arrêt lui-même est assez clair à ce sujet lorsqu’il
indique en ordre utile que toute récusation collective équivaut à une suspicion
légitime. Seulement que devant la Cour de cassation, la procédure de renvoi de
juridiction n’est pas admise, étant donné qu’aucune autre juridiction ne peut être
constituée au-dessus d’elle, pour traiter une telle affaire.
Ceci signifie en d’autres termes que la Cour suprême a expressément admis
que devant les autres juridictions de l’ordre judiciaire, la récusation collective est
d’usage, mais donne plutôt lieu à un renvoi de juridiction pour cause de suspicion
950
CSJ, RR 542/543 du 20 octobre 2006, en cause : Monsieur Claude POLET c/ Monsieur Georges
Arthur FORREST. Monsieur Georges Arthur FORREST c/ Monsieur Claude POLET, la Société
GECAMINES et l’Entreprise MARLTA FORREST. Voir Contentieux de renvoi de juridiction,
Op.cit. p.105.
Tenez ! Toutes les décisions rendues par la section judiciaire de la Cour suprême de justice sont après
éclatement de celle-ci, intégralement héritées par la Cour de cassation.
388
légitime à soumettre devant la juridiction immédiatement supérieure, conformément
aux articles 60 et suivants de la Loi organique.
Telle est pratiquement la solution qu’avait par exemple donnée le Tribunal
de grande instance de Lubumbashi sous RUA 037 à la suite de la récusation initiée
par une partie contre 12 juges sur les 14 que comptait ledit Tribunal. Le Tribunal
avait renvoyé l’affaire à une date certaine en vue de permettre à la partie récusante
de formaliser la procédure de renvoi de juridiction pour cause de suspicion légitime
à la Cour d’appel951.
Il serait donc aberrant, comme le note Achille Betu Nzuzi952, à l’instar de
certains chefs de juridictions, de vouloir délibérément semer la confusion en étendant
le contenu de cet arrêt aux juridictions inferieures, qui ne sont pas visées ni protégées
par cet Arrêt de principe. Prétendre le contraire équivaudrait à conférer aux
juridictions inferieures le rang de la Cour de cassation, et cela constitue une hérésie.
Même s’il faudrait dans la pire des hypothèses, admettre le rejet de la
récusation collective, motif pris de l’impossibilité de composer le siège, l’on
conviendra néanmoins qu’il s’agit-là encore d’une autre confusion. En effet, le siège
impossible à composer dans cette occurrence, doit être celui appelé à statuer sur la
récusation, et non point celui auquel est soumis la cause dont récusation, étant donné
qu’au regard de l’article 51 de la Loi organique, ce dernier siège est obligé de surseoir
à statuer une fois la récusation notifiée au(x) juge(s) concerné(s) ce, aux fins de
permettre au juge de récusation de vider sa saisine.
A ce sujet, Matadi Nenga Gamanda écrit que
« La récusation est une mesure individuelle, contrairement à la
suspicion légitime. Elle est dirigée nommément contre un
magistrat. (…). A supposer que sur les trois juges qui composent
un siège d’appel, un plaideur venait à en récuser deux, la
juridiction ne recomposera le siège (de la récusation) qu’avec un
nouveau juge. Ainsi, siègera le juge dont la récusation ne fait pas
encore l’objet d’un examen. Autrement dit, le juge mis en cause
siège pour examiner la récusation de l’autre juge mise en cause.
(…)953».
Il s’en suit que l’impossibilité de composer le siège devra se constater en
instance proprement dite de récusation. Autrement, il devra d’abord être ouvert le
dossier REC suivant le nombre de juges récusés pour constater par la suite
l’impossibilité ou pas de composer le siège devant connaitre de ces récusations.
951
Voir RUA 037/TGI-LSHI. En cause : Monsieur SAEB EL CHAER c/ monsieur Michel
ANASTASSIOU et consort. (Source : Greffe civil TGI-LSHI).
952
A. BETU NZUJI, Op. cit., p.68.
953
MATADI NENGA GAMANDA, Op. cit., p.301
389
L’administration de la justice étant une question de confiance entre les juges
et les justiciables, il n’est donc pas admissible pour un juge récusé, c’est-à-dire, dont
l’impartialité est mise en cause, de passer outre cette récusation au motif qu’elle
mettrait la juridiction à composer le siège. C’est une mauvaise interprétation l’Arrêt
sous REC 037 de la Cour suprême de justice, si bien que cette position renforce
davantage la crise de confiance entre ce juge et le justiciable et entache à tout point
de vue, la décision à intervenir.
Note conclusive
Au cœur de la présente réflexion, il avait été question de passer en revue les
contours de la notions de récusation en Droit judiciaire congolais, avec accès
particulier sur la récusation collective, mieux, la récusation de tous les juges d’une
juridiction ou de plusieurs d’entre eux a la lumière de la Loi et de l’arrêt de principe
sous REC 037 de la Cour suprême de jus du 11 novembre 2011.
En effet, l’étude est partie du constat selon lequel dans la pratique judiciaire
congolaise, la procédure de récusation, à l’instar d’autres mécanismes tels le déport,
le renvoi de juridiction et le déchargement, est devenue de plus en plus usitée par les
justiciables qui recourent à ce mécanisme pour faire écarter un juge de la
connaissance de leur cause sur base des raisons (sérieuses) qui touchent à son
indépendance et/ou à son impartialité, autant que d’autres y recourent uniquement
dans le dessein de bloquer ou de retarder la procédure. D’autres encore, récusent plus
d’un juge ou carrément tous les juges d’une juridiction, même ceux qui ne font pas
partie de la composition appelée à juger sa cause.
La récusation apparait donc comme un rempart auquel les justiciables
recourent pour combattre certaines pratiques susceptibles à ne pas garantir une
justice juste et équitable
Cependant, quant à la question particulière de la récusation collective, la Cour
suprême de justice a sous REC 037 a jugé que genre de récusation équivaut à une
suspicion légitime et ne peut dès lors se concevoir au niveau de la Cour suprême de
justice étant donné qu’aucune autre juridiction ne peut être constituée pour traiter de
la récusation ou de l’affaire concernée. (…). De ce qui précède et pour remédier à
cette situation, la Cour rendra une décision de principe telle que arrêtée en son
assemblée mixte du 03 novembre 2011, à savoir que la récusation de tous les
magistrats de la Cour suprême de justice ou de plusieurs d’entre eux dans le but de
mettre celle-ci dans l’impossibilité de composer le siège, donc de bloquer son
fonctionnement, ne peut être admise.
Contrairement à la position assez partagée par différents juristes qui,
s’appuyant à tort sur ledit arrêt de principe, pensent malencontreusement qu’une
récusation collective qui met la juridiction dans l’impossibilité de composer le siège
n’est pas admise, le lecteur retiendra qu’aux termes du même arrêt de principe, une
telle récusation donne plutôt lieu à un renvoi de juridiction pour cause de suspicion
390
légitime. Dans ce cas, la juridiction devra renvoyer l’affaire à date certaine pour, soit
saisir le Ministère public, soit permettre à la partie récusante de solliciter devant la
juridiction immédiatement supérieure, le renvoi pour cause de suspicion légitime
conformément aux articles 60 et suivants de la Loi organique.
Par principe, l’arrêt de principe n’a donc pas interdit la récusation collective
des juges des juridictions inferieures. C’est seulement devant la Cour de cassation
qu’elle n’est logiquement pas admise, étant donné qu’aucune autre juridiction ne
peut être constituée au-dessus d’elle, pour connaitre du renvoi de juridiction.
*
*
*
391
JURISPRUDENCES
393
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LUBUMBASHI
RP 15786/FL DU 05 JUIN 2023
Ministère Public Contre NKULU KAMUNGA Matthieu, TSHIKALA NGOY
Jeff et KYUNGU NTAMBWE François
DROIT PENAL – DROIT PENAL SPECIAL- ADMINISTRATION DE
PREUVE
Rébellion – destruction méchante - coups et blessures volontaires – absences des
preuves à charge des prévenus – condamnation basée sur des présomptions –
contradiction entre la motivation et le dispositif.
1. Il est de principe que la responsabilité pénale est individuelle. Nul ne peut
donc être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné pour fait d’autrui ;
2. Le droit pénal consacre le principe de la présomption d’innocence et non celui
de la présomption de culpabilité, de telle manière qu’aucune condamnation
ne peut sérieusement reposée sur des présomptions factuelles ;
3. A l’absence des preuves matérielles des infractions mises à charge des
prévenus, l’acquittement s’impose comme décision juste et équitable ;
4. La motivation de toute décision de justice est une exigence constitutionnelle
pour permettre au justiciable de vérifier le raisonnement cohérent du juge,
afin d’éviter tout risque d’arbitraire, à défaut de quoi, la décision doit être
annulée.
JUGEMENT
Attendu que par sa lettre n°1861 RMPFL 30957/PR025/1/KOL, le Procureur de la
République près le Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi, a déféré devant le
Tribunal de céans, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU
NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeef, en procédure de flagrance, pour
les infractions d’association des malfaiteurs, rébellion, destruction méchante et
coups et blessures volontaires simples, respectivement prévues et punies par les
articles 156 et 158 ; 133 et 135 ; 112-110 ; 43 et 46 al.1 du code pénal livre II ; et les
articles 21 et 23 du code pénal livre I ;
Attendu qu’à l’audience publique du 05/06/2023 à laquelle la cause avait été
instruite, plaidée et prise en délibéré, les prévenus ont comparu en personne assistés
de leurs Conseils Maîtres TSHISWAKA Hubert, KITENGE MOGISHO, NGOY
KAKALA Magloire, Blanchard TEMBWE, KALUKANDA Hubert, Joseph
MWEMA, KASONGO King et Sage MULUME, tous Avocats au Barreau du HautKatanga ;
Attendu que le Tribunal s’est déclaré saisi sur conduite immédiate des prévenus à la
barre ;
395
Que la procédure suivie est régulière ;
Attendu que s’agissant des faits de la présente cause, il ressort de l’instruction à
l’audience et des pièces du dossier qu’il est reproché aux prévenus prequalifiés
d’avoir en date du 1er juin 2023 en leur qualité des membres du regroupement
politique « ensemble pour la République » interpelés un infiltré dépêché au siège
dudit regroupement par le ministre provincial de l’intérieur de la Province du HautKatanga et ses services pour transmettre à ces derniers à temps utile les résolutions
qui devaient être adoptées lors de la réunion du jeudi 01/06/2023 par le regroupement
politique précité ;
Qu’informé de l’interpellation de leur espion, le ministre provincial de l’intérieur du
Haut-Katanga a ordonné à ses services de se rendre au siège du regroupement
politique « ensemble pour la République », pour le récupérer, et ce, en faisant usage
du gaz lacrymogène, dispersant ainsi les membres qui se trouvaient sur le lieu de la
réunion ;
Que lors de cet incident, il a été constaté par le même ministre provincial de
l’intérieur que des véhicules avaient été détruit par le jet des pierres attribué au
mouvement de masse par ce dernier ainsi que de cas des blesses ;
Attendu que dans leurs dépositions, les renseignants ont tous relevé que l’incident
était l’œuvre d’un mouvement de masse et qu’il était difficile d’identifier les auteurs
de la destruction des véhicules ou ceux qui avaient administré des coups à
l’informateur du ministre provincial de l’intérieur et qu’il leur est difficile de
démontrer avec certitude le rôle joué dans le mouvement de masse par ceux qui ont
été appréhendés ;
Attendu qu’interrogé quant aux faits, les prévenus précités, ont soutenu qu’ils avaient
été appréhendés devant le siège de leur regroupement politique avant tout incident et
qu’étant au cachot, on leur fera savoir par le Ministre Provincial de l’intérieur qu’ils
étaient auteurs de troubles et de différentes casses et ont conclu en clamant leur
innocence et en sollicitant leur acquittement pur et simple et cette allégation a été
confirmé par le renseignant SHANDI KALENGA Moise, Commissaire Adjoint de
la police ;
Qu’au demeurant, la descente ordonné par le Tribunal dans l’enceinte du Ministère
Provincial de l’intérieur en vue de constater les véhicules « objets de destruction »,
n’a pas eu lieu au motif que le responsable du susdit Ministère ainsi que le Ministère
Public ne seraient pas à mesure d’assurer la sécurité tant du Tribunal que de détenus,
en cas de soulèvement des militants du Parti Politique Ensemble pour la République,
par solidarité avec leurs camarades actuellement prévenus ;
Attendu que le Ministère Public dans ses réquisitions a sollicité du Tribunal de dire
établie en fait comme en droit l’infraction d’association des malfaiteurs mises à
charge des prévenus et de les condamner chacun à la peine capitale ; de dire établie
en fait comme en l’infraction de rébellion mise à charge des prévenus et de les
396
condamner à 6 mois de servitude pénale principale chacun ; de dire établie en fait
comme en l’infraction de destruction méchante mise à charge des prévenus et les
condamner à 5 ans de servitude pénale principale chacun ; de dire établie en fait
comme en droit l’infraction de coups et blessures simples mise à charge des prévenus
et les condamner à 6 mois de servitude pénale principale ; frais comme de droit ; dit
que ces infractions viennent en concours idéal et condamner les prévenus à la peine
capitale ;
Attendu que le Tribunal pour sa part, relève que les articles 156 et 158 du code pénal
livre II disposent : « Toute association formée dans le but d’attenter aux personnes
ou aux propriétés est une infraction qui existe par le seul fait de l’organisation de la
bande. Tous autres individus faisant partie de l’association et ceux qui auront
sciemment et volontairement fourni à la bande des armes, munitions, instruments
d’infraction, seront également punis de mort » ;
Qu’il découle de ces dispositions que pour être établie, l’infraction d’association de
malfaiteurs requiert la réunion des éléments suivants : les caractères de l’association
de malfaiteurs, les objectifs de l’association de malfaiteurs et enfin l’élément moral ;
Que s’agissant des éléments matériels, il faut premièrement être membre et
deuxièment, l’association doit avoir une certaine permanence dangereuse, en raison
de la menace durable qu’elle fait peser sur la société. L’association doit être
organisée ; il doit exister entre les membres une entente préalable (MINEUR,
Commentaire du code pénal congolais, 2e éd., p.326) ;
Que dans le cas sous examen les faits reprochés aux prévenus NKULU KAMONGA
Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ne tombent
pas dans l’hypothèse d’une association des malfaiteurs mais plutôt dans celle
regroupement politique régulièrement constitué ;
Qu’il a été jugé à ces propos que : « pour que soit reconnue l’association des
malfaiteurs, il est nécessaire que l’entente soit réalisée en vue de la commission de
plusieurs infractions, et non d’une infraction isolée. Sinon tout fait de complexité en
matière de crime constituerait un cas d’association de malfaiteurs », (cfr Cass.Fr
Crim., 13 Janvier Dalloz, 1955, P.291 ; Trib Milit. Kin/Gombe RP. 210/2006, 16
Juin 2006, Affaire Kutino, cité par BONY CIZUNGU, les Infractions de A à Z,
Ed. Laurent Nyangezi, 2011, pp.86-87) ;
Que fort de ce qui précède, le Tribunal dira que les éléments matériels ne sont pas
réalisés ;
Que s’agissant de l’élément moral, il faut que l’auteur ait agit en connaissance de
cause, qu’il ait su qu’il entrait dans une bande des malfaiteurs ou qu’il fournissait (ne
serait-ce qu’une seule fois) des instruments destinés à la commission d’une infraction
par une association de malfaiteurs (LESUEUR, Op.cit., p.116) ;
397
Que dans le cas sous examen, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu,
KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff n’ont pas agi dans une
bande des malfaiteurs ;
Qu’il a été jugé que l’élément moral de l’infraction d’association de malfaiteur réside
dans la volonté non équivoque de former une association dont le but est d’attenter
aux personnes et aux propriétés (HCMRP001/2004 du 5 octobre 2004, Op.cit., in
LUKOO MUSUBAO, Jurisprudence en Droit Pénal, p.38) ;
Que ceci implique au préalable la formation d’une association des malfaiteurs et en
l’absence de ladite association, l’élément moral ferait défaut, que partant le tribunal
dira que l’élément moral n’est pas réalisé dans le chef des prévenus NKULU
KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY
Jeff ;
Attendu que de tout ce qui précède les éléments constitutifs de cette infraction ne
sont pas réunis dans le chef des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU
NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ;
Qu’en conséquence, le Tribunal dira non établie en fait comme en droit l’infraction
d’association de malfaiteurs mise à charge des prévenus NKULU KAMONGA
Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ; les
acquittera en les renvoyant libre de toutes poursuites judiciaires sans frais ;
Attendu que s’agissant de l’infraction de rébellion, le Tribunal relève que l’article
133 et 135 du code pénal livre II disposent que : « Est qualifiée rébellion toute
attaque, toute résistance avec violences ou menaces envers les dépositaires ou agents
de l’autorité ou de la force publique, agissant pour l’exécution des lois, des ordres
ou ordonnances de l’autorité publique, jugement ou autres actes exécutoires. Si la
rébellion a été commise par plusieurs personnes et par suite d’un concert préalable,
la servitude pénale peut être portée à cinq ans et l’amende est de deux cents à mille
francs » ;
Que les articles 21 et 23 du code pénal livre 1er disposent que : « Sont considérés
comme auteurs d’une infraction : ceux qui l’auront exécutée ou qui auront coopéré
directement à son exécution…Sauf disposition particulière établissant d’autres
peines, les coauteurs et les complices seront punis comme suit : les coauteurs, de la
peine établie par la loi à l’égard des auteurs… » ;
Attendu que pour sa cristallisation l’infraction de rébellion exige la réunion des
éléments suivants : la résistance violente, la qualité de la victime et l’intention
coupable ;
Que s’agissant de la résistance violente, la rébellion postule un acte de résistance
actif et violent. L’emploi des moyens violents, des actes de violences ou de menaces.
Par exemple, assener un coup violent. La rébellion traduit une opposition violente à
une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service
398
public agissant, dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres
de l’autorité publique, des décisions ou mandats publics (BONY CIZUNGU M.
NYANGEZI, Les infractions de A-Z, p.648) ;
Que dans le cas sous examen, la preuve d’actes de violences qu’auraient posés les
prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et
TSHIKALA NGOY Jeff à l’égard des agents de l’ordre public n’a pas été apportée
par le Ministère Public ; en effet, lesdits prévenus ayant nié les faits mis à leur charge,
depuis la police jusque devant le Tribunal de céans, aucune autre preuve n’a été
apportée hormis les présomptions tirées du fait que les prévenus susdits sont
membres du parti politique ensemble pour la République qui a fait l’objet d’une
incursion dans leur siège par un informateur du Ministère Provincial de l’intérieur
au moment de leur réunion habituelle, et les prévenus susdits font partir des membres
du parti précité qui ont résistés activement aux policiers ;
Que ce premier élément constitutif de l’infraction de rébellion pourra être retenu dans
le chef des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE
François et TSHIKALA NGOY Jeff à première vue, cependant, partant des
présomptions développées supra, cet élément est réalisé ;
Attendu que s’agissant de la qualité de la victime, les actes de violence doivent être
dirigés contre les dépositaires ou agents de l’autorité ou de la force publique
(Huissier, policier, agent de police judiciaire, greffier, etc.) (BONY CIZUNGU M.
NYANGEZI, Les infractions de A-Z, p.649) ;
Que dans le cas sous examen, le Ministère Public n’ayant pas de manière absolue
démontrer que les actes de violence dans le chef des prévenus NKULU KAMONGA
Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff, ni les
enseignants, victimes desdits faits, n’ont pas chargé les précités, par contre, ils
accusent les membres de l’Ensemble pour la République en général ;
Attendu qu’en outre, le Ministère Public et les victimes n’ont pas précisé au Tribunal
de céans la nature de l’ordre qui a été donnée aux prévenus requalifiés, qui n’ont pas
fait l’objet d’exécution, mais le fait par les prévenus susdits de faire partir au groupe
des gens qui ont résistés aux policiers constitue un acte de violence ;
Que par présomption du fait qu’ils étaient au lieu de trouble, cet élément est établi
dans leur chef ;
Attendu que s’agissant du second élément constitutif de l’infraction de rébellion en
ce que la victime soit un agent public, le Tribunal relève que la victime doit être un
agent qui agit pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des
décisions ou des mandats de justice (BONY CIZUNGU M. NYANGEZI, Les
infractions de A-Z, p.649) ;
Que dans le cas sous examen, cet élément pourra être retenu dans le chef des
prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et
399
TSHIKALA NGOY Jeff du fait que les victimes sont agents de l’ordre malgré que
deux seulement ont été identifiés devant le Tribunal de céans comme victime des
violences, mais ils n’ont pas chargé les précités comme auteurs de violences, à
l’exception de l’informateur privé appelé champion qui n’est pas agent de l’ordre, ni
agent du service du Ministère Provincial de l’intérieur ;
Que s’agissant de l’intention coupable, le prévenu agit avec intention coupable, en
sachant que par ses violences, il s’oppose à l’exécution des lois. Il suffit que l’auteur
des violences ait su qu’il risquait de mettre obstacle à l’exécution de l’ordre de
l’autorité (BONY CIZUNGU M. NYANGEZI, Les infractions de A-Z, p.649) ;
Que dans le cas sous examen, les actes de violences qu’auraient commis les prévenus
NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA
NGOY Jeff sont constitutifs de l’infraction de rébellion sera retenu dans le chef des
prévenus précités ;
Attendu que ces faits, le Tribunal les condamnera à 5 ans de servitude pénale
chacun ;
Attendu que s’agissant de l’infraction de destruction méchante, le Tribunal note que
les articles 111 et 112 combinés, disposent que : « sera puni d’une servitude pénale
d’un mois à un an et d’une amende de vingt-cinq à cinq cent francs quiconque aura
détruit, abattu, (…) « seront punis des peines portées à l’article précèdent ceux qui,
dans des endroits clôturés ou non-clôturés, auront méchamment détruit ou dégradés
des arbres, des récoltes, des instruments d’agriculture ou d’autres biens, meubles ou
immeubles appartenant à autrui » ;
Que la cristallisation de cette infraction exige la réunion de l’élément matériel
consistant à l’existence du bien mobilier endommagé et l’élément moral qui consiste
à la volonté consciente de l’agent de détruire le bien mobilier ;
Que dans le cas d’espèce, il est certes vrai qu’il a été produit au dossier un document
intitulé « bilan dégâts orchestrés par les combattants du parti politique ensemble pour
la République en date du jeudi 01 Juin 2023 » constatant la destruction de deux
rétroviseurs avant et une issue de secours coté chauffeur d’une Jeep HARRIER
GRISE N°1174 AL/05, appartenant au commissaire adjoint SHANDI KALENGA
Moïse, commandant second, détachement MININTER, de deux issues de secours
côté passager d’un mini-bus TOYOTA HIACE BLANCHE sans plaque en
stationnement dans l’enceinte du Ministère Provincial de l’Intérieur appartenant à un
inconnu ; cependant ledit document ayant constaté ces cas de destruction, ne les a
mis à charge d’aucun des prévenus précités ; bien plus, le renseignant SHANDI
KALENGA Moïse, propriétaire de la Jeep HARRIER GRISE N°1174 AL/05 lors de
sa déposition a déchargé tous les prévenus en arguant que le jet de projectiles qui ont
endommagé les véhicules précités, provenait du mouvement de masse des membres
du parti Ensemble pour la République à la suite de l’arrestation des prévenus
NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA
NGOY Jeff ;
400
Attendu qu’invité à éclairer le Tribunal pour tous les faits vécus par lui et qui ont
donné lieu à l’ouverture de la présente procédure de flagrance déclenchée contre les
prévenus précités, le Ministre Provincial de l’intérieur n’a pas comparu, faute de
citation à témoin, et la descente qui a été ordonné par le Tribunal de céans pour
éclairer sa religion quant aux faits de destruction susdites, n’a pas pu avoir lieu faute
par le Ministère Public, ainsi que le Ministère Provincial de l’intérieur de n’avoir pas
pourvu à la sécurité tant des détenus, des témoins, des avocats ainsi que des membres
de la composition, ce qui a encore rendu difficile la cristallisation de ladite
prévention, par rapport à son élément matériel ;
Qu’il en ressort qu’ayant déjà été arrêté, les trois prévenus précités, ne pouvaient
donc pas être auteurs des projectiles ainsi que des destructions intervenues
postérieurement à leurs arrestations ;
Que partant du fait ces prévenus figurent parmi les manifestants du parti politique
Ensemble pour la République qui auraient maitrisé l’agent KAMUNGA
MBAYABU, infiltré par eux, ceci pourrait donner à croire qu’ils ont été élément
déclencheur de ces jets des pierres ;
Que s’agissant de l’élément moral qui consiste en la volonté consciente de l’agent de
détruire le bien mobilier appartenant à autrui, le Tribunal note qu’en jetant les
projectiles vers l’enceinte abritant le Ministère Provincial de l’Intérieur, les
manifestants le faisaient avec l’intention de causer des dommages en espérant obtenir
par ce moyen la libération de leurs camarades, les prévenus NKULU KAMONGA
Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ;
Que partant, cet élément moral est établi à charge des prévenus précités, et le
Tribunal les condamnera à 12 mois de servitude pénale principale chacun ;
Attendu que s’agissant de l’infraction de coups et blessures simples, l’article 46 al.1er
disposent que : « Quiconque a volontairement fait des blessures ou porté des coups
est puni d’une servitude pénale de huit jours à six mois et d’une amende de vingtcinq à deux cent Francs Congolais ou d’une de ces peines seulement » ;
Que ressort de la disposition précitée que pour la réalisation de cette infraction il sied
de fixer l’élément matériel consistant à un acte positif et matériel ;
Que la doctrine enseigne que doivent être considérés comme des coups le fait de
donner une gifle, un coup de poing, un coup de pied, un coup de bâton, le fait de
saisir un individu, de le mordre et de projeter contre un mur, un arbre, une table ; le
fait de heurter quelqu’un pour le faire tomber ; le fait d’administrer une peine
corporelle, prévue par un règlement (BONY CIZUNGU M. NYANGEZI, Op.cit.,
pp.215-216) ;
Que dans le cas d’espèce, seul le prévenu NKULU KAMONGA Mathieu a été
reconnu par la victime KAMUNGA MBAYABU informateur privé du Ministère
Provincial de l’intérieur comme étant la personne qui lui a administré des coups au
401
motif qu’il était un infiltré dans la réunion du parti politique Ensemble pour la
République et au service du Ministère Provincial de l’intérieur ; bien plus, le
renseignant SHANDI KALENGA Moïse a soutenu que c’est grâce à l’intervention
des éléments de la police que la victime précitée a été arraché des mains du prévenu
NKULU KAMONGA Mathieu qui l’avait maitrisée en sa qualité d’agent commis à
la sécurité au sein du parti, et celui qui l’avait chargé de cette mission ;
Que s’agissant des prévenus KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA
NGOY Jeff, ces derniers ont été déchargés par la victime qui a soutenu avoir été
maitrisé et battu à coup de fouets par le prévenu NKULU KAMONGA Mathieu et
des personnes autres que les prévenus KYUNGU NTAMBWE François et
TSHIKALA NGOY Jeff ;
Attendu que partant de ce qui précède, l’élément matériel des coups et blessures
volontaires simples, est réalisé à charge des prévenus susdits ;
Attendu que s’agissant de l’élément moral qui consiste dans l’intention de commettre
l’acte volontairement et la volonté d’obtenir un résultat préjudiciable à la victime, le
Tribunal note que celui-ci est réalisé dans la mesure où, en administrant les coups de
fouets à la victime KAMUNGA MBAYABU, les prévenus avaient bel et bien
l’intention d’infliger un mal physique ou de causer des blessures à la victime
précitée ;
Qu’il s’en suit que cet élément est réalisé dans le chef des prévenus susnommés ;
Qu’ainsi le Tribunal les condamnera de ce chef à trois mois de servitude pénale
principale chacun ;
Attendu que statuant d’office quant aux dommages et intérêts, le Tribunal
condamnera IN SOLIDUM les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU
NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff au paiement d’une somme
équivalent en Francs Congolais de 2.000.000 de Francs Congolais, estimée juste et
équitable au profit de la victime KAMUNGA MBAYABU et SHANDI KALENGA
Moïse à titre de réparation de tous les préjudices subis ;
Attendu le Tribunal condamnera les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu,
KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff au paiement des frais
d’instance à raison de ¼ et délaissera le ¼ à charge du Trésor Public ;
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal,
Statuant publiquement et contradictoirement, en matière de flagrance à la prison
centrale de la Kasapa, à l’égard des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu,
NKYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ;
Vu la Loi organique N°13/011-B du 11 Avril 2013 portant organisation et
compétences des juridictions de l’ordre judiciaire ;
402
Vu l’Ordonnance-Loi n°78/001 du 24/02/1978 relative à la répression des infractions
flagrantes ;
Vu le Code de Procédure Pénale ;
Vu le Code pénal livre I en ses articles 21 et 23 ;
Vu le Code Pénal Livre II en ses articles 43 et 46 al.1 ; 112-110 ; 133 et 135, 156 et
158 ;
Le Ministère Public entendu en ses réquisitions ;
Dit non établie en fait comme en droit l’infraction d’association de malfaiteurs mise
à charge des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE
François et TSHIKALA NGOY Jeff ;
En conséquence,
Acquitte, de ce chef, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU
NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff et les renvoie libres de toutes
poursuites judiciaires ;
Dit établie en fait comme en droit l’infraction de rébellion mise à charge des
prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et
TSHIKALA NGOY Jeff ;
En conséquence,
Condamne de ce chef, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU
NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à 5 ans de Servitude pénale
principale chacun ;
Dit établie en fait comme en droit l’infraction de coups et blessures volontaires
simples mise à charge des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU
NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ;
En conséquence,
Condamne de ce chef, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU
NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à 3 ans de Servitude pénale
principale chacun ;
Dit établie en fait comme en droit l’infraction de destruction méchante mise à charge
des prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE François et
TSHIKALA NGOY Jeff ;
En conséquence,
Condamne de ce chef, les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU
NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à 12 ans de Servitude pénale
principale chacun ;
403
Dit que ces infractions viennent en concours idéal et faisant application du principe
de la plus haute expression pénale ;
Condamne les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE
François et TSHIKALA NGOY Jeff à 5 ans de servitude pénale principale chacun ;
Condamne d’office les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU
NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff au paiement de 2.000.000 de
Francs Congolais au profit de la victime KAMUNGA MBAYABU et SHANDI
KALENGA Moïse à titre des dommages et intérêts IN SOLIDUM, à raison de
1.000.000 Francs Congolais chacun ;
Ordonne l’arrestation immédiate des précités ;
Condamne les prévenus NKULU KAMONGA Mathieu, KYUNGU NTAMBWE
François et TSHIKALA NGOY Jeff au paiement des frais de justice à raison de 1/4
chacun et délaisse 1/4 au trésor public.
Ainsi jugé et prononcé par le Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi siégeant
en matière répressive, en flagrance, au premier degré à son audience publique du
05/06/2023 à laquelle ont siégé les Magistrats KALONGO KANYONGA,
Président de chambre, NDUME RUGADJO et KAHILU MUTUNDA, Juges ;
avec le concours de KOY LIMBOMBE, officier du Ministère Public et l’assistance
de Annie NGALULA, Greffier du siège.
Note d’observation
La motivation erronée de la décision judiciaire constitue un moyen
d’information ou de cassation
Par :
Guylain Kasongo Kawaya,
Avocat près la Cour d’Appel du Haut-Katanga,
Et
Hubert Kalukanda Mashata,
Doctorant en droit, Université de Lubumbashi
Avocat près la Cour d’Appel du Haut-Katanga et Conseil à la Cour africaine des
droits de l’homme et des peuples.
De la lecture de la décision annotée, il ressort clairement que le juge a non seulement
violé intentionnellement les dispositions pertinentes de la Constitution de la
République démocratique du Congo, spécialement en ses articles 17, 19 et 21, mais
a aussi fait une lecture erronée des éléments constitutifs des infractions par lui
retenues.
En effet, il convient de faire une démonstration juridique de cette erreur de droit à la
lumière des dispositions des articles 17, 19 et 21 de la Constitution de la République
Démocratique du Congo (RDC), comme suit :
404
1. Violation intentionnelle de l’article 17 alinéa 8 de la Constitution
En droit congolais, la responsabilité pénale n’est possible qu’à l’encontre de celui ou
de ceux qui ont personnellement commis l’infraction et qu’à partir de cet élément, il
y a lieu d’établir le lien de causalité entre la personne poursuivie et les faits lui
reprochés ;
En effet, l’article 17 alinéa 8 de la Constitution est sans équivoque à ce sujet lorsqu’il
dispose que : « (…) la responsabilité pénale est individuelle. Nul ne peut être
poursuivi, arrêté, détenu ou condamné pour fait d’autrui. (…) » ;
Cependant, force est de relever qu’au regard des éléments de la décision annotée, le
juge a gravement violé l’article 17 sus-évoqué en ce qu’il a condamné les prévenus
pour des faits prétendument commis dans un mouvement de masse attribué aux
membres du parti politique « Ensemble pour la République » en date du 1er juin
2023 ;
En substance, le juge indique expressément dans sa décision que :
« (…) Attendu que dans leurs dépositions, les renseignants ont tous
relevé que l’incident était l’œuvre du mouvement de masse et qu’il était
difficile d’identifier les auteurs de la destruction des véhicules ou ceux
qui avaient administré des coups à l’informateur du ministère
provincial de l’intérieur et qu’il est difficile de démontrer avec
certitude le rôle joué dans le mouvement de masse par ceux qui ont été
appréhendés » ;
« Attendu qu’interrogés quant aux faits, les prévenus précités ont
soutenu qu’ils avaient été appréhendés devant le siège de leur
regroupement politique avant tout incident et qu’étant au cachot, on
leur fera savoir par le Ministre Provincial de l’Intérieur qu’ils étaient
auteurs de troubles et différentes casses et ont conclu en clamant leur
innocence et en sollicitant leur acquittement pur et simple et cette
allégation a été confirmé par le renseignant SHADI KALENGA Moise,
Commissaire Adjoint de la police » ;
« (…) aucune autre preuve n’a été apportée hormis les présomptions
tirées du fait que les prévenus susdits sont membres du parti politique
ensemble pour la république qui a fait l’objet d’une incursion dans leur
siège par un informateur du Ministère Provincial de l’Intérieur au
moment de leur réunion habituelle, les prévenus susdits font partir des
membres du parti politique précité qui ont résisté activement aux
policiers (…) » ;
405
« attendu qu’en outre, le Ministère Public et les victimes n’ont pas
précisé au Tribunal de céans la nature de l’ordre qui a été donné aux
prévenus pré qualifiés, qui ont fait l’objet d’exécution, mais le fait par
les prévenus susdits de faire partir au groupe des gens qui ont résisté
aux policiers constitue un acte de violence » ;
« (…) bien plus, le renseignant SHADI KALENGA Moise a déchargé
tous les prévenus en arguant que le jet de projectiles qui ont
endommagé les véhicules précités, provenait du mouvement de masse
des membres du parti politique Ensemble pour la république à la suite
de l’arrestation des prévenus NKULU KAMUNGA Matthieu,
KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff » (…).
Il s’en suit qu’au regard des évidences sus-évoquées, aucune logique ne peut
expliquer que contrairement aux prescrits de l’article 17 de la Constitution, une
ou plusieurs personnes répondent pénalement et soient condamnées pour des
faits qui ont été commis par d’autres personnes, et dans le cas d’espèce, par un
groupe de gens qui seraient membres du parti politique Ensemble pour la
République, comme l’indique si bien le juge ;
Considérant le principe général de droit pénal selon lequel « la responsabilité
pénale est individuelle », les prévenus précités ne pouvaient donc pas être
tenus responsables des faits que le juge a expressément reconnu avoir été
commis dans un mouvement de masse, tant il est vrai qu’aucun des prévenus
ne s’appelle « Mouvement de masse ».
2. Violation intentionnelle de l’article 19 alinéa 3 de la Constitution
L’article 19 de la Constitution consacre un ensemble des principes de base qui
concourent à l’administration d’une justice voulue juste et équitable, lorsqu’il
dispose notamment que «(…) Le droit de la défense est organisé et garanti. (…) ».
Définissant l’expression « droit de la défense », la doctrine indique qu’il s’agit de
l’ensemble des garanties qui permettent à un individu mis en cause ou mis en
examen, prévenu ou accusé, d’assurer efficacement sa défense dans l’instruction ou
le procès qui le concerne et qui est sanctionné, sous certaines conditions, par la nullité
de la procédure. Autrement dit, les droits de la défense sont un ensemble très vaste
de prérogatives accordées à une personne en procès pour lui permettre d’assurer la
sauvegarde de ses intérêts face à son adversaire954. Consacré par les instruments
internationaux des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel et le Code de
954
Gilbert KABASELE LUSONSO, « Les droits de la défense et le principe du contradictoire,
garanties procédurales fondamentales. Principes, pratiques, et applications jurisprudentielles en
droit congolais », In Les Analyses Juridiques, N°36, Lubumbashi, 2016, p.14.
406
procédure pénale français, il se ramène, pour l’essentiel, au droit à l’assistance d’un
avocat, aux principes de la contradiction et de l’égalité des armes, à l’exercice de
voies de recours955.
Dans le cas d’espèce, la violation de l’article 19 alinéa 3 de la Constitution procède
de ce que le juge a reconnu les prévenus coupables de destruction méchante, des
coups et blessures volontaires et de rébellion sans qu’à la base de cette
condamnation, le corpus deliti, ou mieux, les preuves matérielles de ces infractions
ne lui soient présentées et contradictoirement opposées aux prévenus. En réalité, ni
l’objet prétendument détruit, ni la personne supposée victime des coups et blessures
ni moins la nature de l’ordre auquel les prévenus se seraient rebellés n’avaient jamais
été présentés au juge afin d’être opposés aux prévenus et ce, pour le respect du
principe du contradictoire et de l’égalité des armes, universellement admis comme
droit de la défense.
Il en découle que le fait pour le juge de condamner les prévenus pour des faits dont
les éléments de preuve ne lui ont jamais été présentés, constitue irréversiblement une
violation du droit de la défense prévu à l’article 19 alinéa 3 de la Constitution en ce
que le principe du contradictoire et de l’égalité des armes n’avait pas été respecté.
3. Violation intentionnelle de l’article 21 alinéa 1er de la Constitution
En droit procédural congolais, la motivation des décisions de justice occupe une
place de choix en ce qu’elle renferme l’ensemble des raisons de fait et de droit sur
lesquelles tout juge doit se fonder et justifier de la légalité de la décision qu’il
prononce.
Dans le même contexte, l’exigence de motiver toute décision de justice procède de
ce que la motivation permet au justiciable de vérifier la cohérence dans le
raisonnement du juge afin d’éviter tout risque d’arbitraire, à défaut, cette décision
doit être annulée.
A cet effet, l’article 21 alinéa 1er de la Constitution est sans équivoque lorsqu’il
dispose clairement que « Tout jugement est écrit et motivé. Il est prononcé en
audience publique ».
955
Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT, Lexique des termes juridiques, 25e édition, Paris, Dalloz,
2018, p.831.
407
Bien plus, il a été jugé que « l’obligation de motiver les jugements est une garantie
essentielle contre l’arbitraire et s’impose comme preuve que le magistrat a examiné
soigneusement les moyens qui lui étaient soumis et médité sa décision »956.
En l’espèce, la motivation ou le raisonnement du juge est suffisamment à problème
et partant, imprime le caractère arbitraire sur sa décision, lorsque le juge reconnaît
d’une part, le défaut des preuves à charges des prévenus. Mais se base d’autre part,
sur des suppositions et des présomptions pour essayer d’asseoir avec beaucoup de
tâtonnements les éléments constitutifs des infractions à charge des prévenus.
En effet, analysant l’infraction de rébellion mise à charge des prévenus, le juge
reconnaît et indique d’une part que :
« dans le cas d’espèce, la preuve d’actes de violences qu’auraient posés
les prévenus NKULU KAMUNGA Matthieu, KYUNGU NTAMBWE
François et TSHIKALA NGOY Jeff à l’égard des agents de l’ordre
public n’a pas été apportée par le Ministère public, en effet lesdits
prévenus ayant nié les faits mis à leur charge depuis la police jusque
devant le Tribunal de céans, aucune autre preuve n’a été apportée
hormis les présomptions tirées du fait que les prévenus susdits sont
membres du parti politique Ensemble pour la République qui a fait
l’objet d’incursion dans leur siège par un informateur du Ministère
Provincial de l’intérieur au moment de leur réunion habituelle, et les
prévenus susdits font partir des membres du parti précité qui ont résisté
activement aux policiers ».
Contre toute attente, il va d’autre part conclure que :
« Que ce premier élément constitutif de l’infraction de rébellion pourra
(tâtonnement) être retenu dans le chef des prévenus NKULU KAMUNGA
Matthieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff à
première vue, cependant, partant des présomptions développées supra,
cet élément est réalisé ».
Et de poursuivre :
« (…) Le Ministère Public n’ayant pas de manière absolue démontré
que les actes de violence dans le chef des prévenus NKULU
KAMUNGA Matthieu, KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA
NGOY Jeff, ni les renseignants, victimes desdits faits, n’ont pas
chargé les précités, par contre, ils accusent les membres de
l’Ensemble pour la République en général ».
956
Cass.B., 12 mai 1932, p., 1932, I, 166. Voy. Cass.B., 21 sept. 1933, p., 1933, I, 311, citée par
Ruffin LUKOO, La jurisprudence congolaise en droit pénal, Vol. I, Kinshasa, édition on s’en
sortira, 2006, p.185.
408
« attendu qu’en outre, le Ministère Public et les victimes n’ont pas
précisé au Tribunal de céans la nature de l’ordre qui a été donné aux
prévenus pré qualifiés, qui ont fait l’objet d’exécution, mais le fait par
les prévenus susdits de faire partir au groupe des gens qui ont résisté
aux policiers constitue un acte de violence ».
Curieusement, il va encore conclure en soutenant que « par présomption du fait
qu’ils étaient au lieu de trouble, cet élément est établi dans leur chef ».
Par ailleurs, analysant l’infraction de destruction méchante mise à charge des
prévenus, le juge indique et reconnaît clairement que :
« (…) bien plus, le renseignant SHADI KALENGA Moise a déchargé
tous les prévenus en arguant que le jet de projectiles qui ont
endommagé les véhicules précités, provenait du mouvement de masse
des membres du parti politique Ensemble pour la république à la suite
de l’arrestation des prévenus NKULU KAMUNGA Matthieu,
KYUNGU NTAMBWE François et TSHIKALA NGOY Jeff ».
« Qu’il ressort qu’ayant déjà été arrêté, les trois prévenus précités ne
pouvaient donc pas être auteurs des projectiles ainsi que des
destructions intervenues postérieurement à leurs arrestations ».
Soudainement, le juge va soutenir dans sa conclusion que :
« Partant du fait que ces prévenus figurent parmi les manifestants du
parti Ensemble pour la République qui auraient maitrisé l’agent
KAMUNGA MBAYABU, infiltré par eux, ceci pourrait donner à croire
qu’ils ont été élément déclencheur de ces jets des pierres ».
De la même manière, analysant l’infraction des coups et blessures volontaires,
le juge affirme que :
« Que s’agissant des prévenus KYUNGU NTAMBWE et TSHIKALA
NGOY, ces derniers ont été déchargés par la victime qui a soutenu
avoir été maitrisé et battu à coup de fouets par le prévenu NKULU
KAMUNGA Matthieu et des personnes autres que les prévenus
KYUNGU NTAMBWE et TSHIKALA NGOY ».
Curieusement, dans sa conclusion, le juge soutient que :
« Attendu que partant de ce qui précède, l’élément matériel des coups
et blessures volontaires simples est réalisé à charge des prévenus
susdits ».
Et plus généralement, le juge emploie le conditionnel (qu’auraient commis …,
pourra être retenu, …) pour justifier l’existence des éléments constitutifs des
infractions mises à charge des prévenus, ou carrément, il se fonde sur des
409
présomptions de leur appartenance au parti politique Ensemble pour la République
pour les condamner, comme si le fait d’appartenir audit parti politique est en soi un
élément constitutif de toutes les infractions au Code pénal congolais.
Il y a ici lieu à se poser utilement des questions sur le mécanisme juridique qui puisse
permettre à un juge de fonder l’existence d’un élément constitutif d’une infraction
sur des présomptions ou des suppositions, si bien qu’il est généralement connu
qu’une infraction ne peut exister que si et seulement si tous ses éléments constitutifs
existent réellement, c’est-à-dire en dehors de tout doute ou de toute présomption
possible étant entendu qu’en droit, seule la présomption d’innocence957 et les droits
des victimes958 est prévue, et non la présomption de culpabilité.
Il est de jurisprudence que : « Si, au sujet des faits, la juridiction du fond possède un
pouvoir souverain d’appréciation, résultant d’une évaluation subjective et
personnelle, doit néanmoins s’appuyer sur des éléments qui apportent à la
motivation une conclusion cohérente, rigoureuse ou logique. Ainsi, doit être cassé
pour vice de motivation portant gravement atteinte à la force majeure probante des
preuves, l’arrêt qui fonde sa décision de condamnation sur des présomptions graves,
précises et concordantes alors qu’elles découles de faits par eux-mêmes douteux et
de prémisses vagues, aléatoires et en soi peu cohérentes qui ne permettent nullement
d’apporter aux conclusions emportant la conviction de culpabilité, un soutènement
logique et satisfaisant » 959.
Il se dégage donc de ce qui précède que le raisonnement du juge n’est ni rationnel ni
cohérent pour fonder la condamnation par lui prononcée à l’endroit des prévenus,
induisant ainsi à une motivation erronée qui équivaut à l’absence de motivation.
En définitive, il est de bon droit que la Cour d’Appel du Haut-Katanga sous RPA
7760 a reformé en toutes ses dispositions le jugement annoté et renvoyé les prévenus
précités libres de toutes fins de poursuites judiciaires.
Il y a dès lors lieu de se demander pourquoi le premier jugé a choisi d’ignorer les
dispositions légales ci-haut rappelées. Pour cet oubli, il est bon pour les oubliettes.
*
*
*
957
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la RDC, Article 14; Voire la
Constitution de la RDC, telle que révisée à ce jour, Article 17 alinéa dernier.
958
Gilbert KABASELE LUSONSO, « La présomption d’innocence et le droit de la victime », In Les
Analyses Juridiques, N°17, Lubumbashi, 2009, p.20.
959
CSJ., Arrêt RP.40, En cause ZOLA contre A. Public, 07 février 1973, Bull 1974, p39, citée par
Joachim Prudent NAMWISI KASEMVULA, Recueil pratique de jurisprudence de la Cour
suprême de justice de 1970 à 2014, 2e édition, Kongo édition, 2020, p.492.
410
TRIBUNAL DE PAIX LUBUMBASHI/KAMALONDO
RP.10.982 DU 07/04/2023
Ministère Public & EQUITY BCDC S.A Contre RAJ MUNANA Venant et
Consorts
DROIT PENAL SPECIAL– PROCEDURE PENALE - DROIT BANCAIRE ADMINISTRATION DE LA PREUVE
Participation criminelle – corréité ou complicité – abus de confiance – absence
de preuve à charge du prévenu – condamnation basée sur des présomptions –
aveu de l’auteur principal de l’infraction.
5. La participation criminelle n’est établie que lorsque l’on s’est associé
délibérément à la commission d’une infraction.
6. La connaissance et la volonté de l’agent de participer à une infraction
doivent exister au moment où il apporte son concours, son assistance ou
son aide.
7. Il est superfétatoire pour le Ministère Public d’apporter la preuve, lorsqu’il
y a aveu judiciaire de l’auteur principal de l’infraction, longtemps
considéré comme la « probatio probatissima », c’est-à-dire la preuve des
preuves.
JUGEMENT
Attendu que par sa requête aux fins de fixation d'audience N°381/RMP
0097/PG.025/CHN/2023 du 20/02/2023, l'Officier du ministère public près la Cour
d'Appel du Haut - Katanga a poursuivi par devers le Tribunal de céans, les prévenus
RAJ MUNANA Venant, LOSHI MUTAMBA Kyky, MUNDEMBA MWANSA
Jossart et KABWIT MAKAL Didier, congolais mieux identifiés au dossier judiciaire
pour :
A charge du prévenu RAJ MUNANA Venant :
Avoir à Lubumbashi, Ville de ce nom et chef-lieu de la Province du HautKatanga, en République Démocratique du Congo, le 04/02/2022,
frauduleusement détourné au préjudice de la SOCIETE EQUITY BCDC S.A
qui en était propriétaire, la somme de 300.000 USD (Trois cents mille dollars)
qui ne lui avait été confiée que pour gérer en sa qualité de gestionnaire des
fonds. Faits prévus et punis par l'article 95 CPLII ;
A charge du prévenu LOSHI MUTAMBA Kyky :
Avoir étant complice selon l'un des modes légaux de participation criminelle
prévu à l'article 22 CPL I, avec connaissance aidé le prévenu RAJ MUNANA
Venant en opérant une transaction frauduleuse consistant à transférer la
somme de 300.000 USD (Trois cents mille dollars américains) mise à sa
411
disposition vers la caisse Amos MULENGA qui n'était pas opérationnelle, et
de lui avoir facilité de détourner ladite somme. Faits prévus et punis par les
articles 22 et 23 CPL.I et 95 CPL.II ;
A charge du prévenu MUNDEMBA MWANSA Jossart :
Avoir dans les mêmes circonstances de lieu et de temps que supra, étant
complice selon l'un des modes légaux de participation criminelle, avec
connaissance assisté le prévenu RAJ MUNANA Venant à commettre
l'infraction d'abus de confiance, dans les faits qui l'ont facilité, en l'occurrence
en livrant le mot de passe du coffre-fort qui a occasionné la sortie de 300.000
USD ;
A charge du prévenu KABWIT MAKAL Didier :
Avoir dans les mêmes circonstances de lieu que Supra, sans préjudice de date
plus précise, mais dans le courant de l'année 2022, période de temps non
encore couverte par le délai légal de prescription de l'action publique étant
complice selon l'un des modes de participation criminelle, sciemment aidé le
prévenu RAJ MUNANA Venant en le laissant agir sans l'auditer ni superviser
conformément aux règlements et procédure de EQUITY BCDC S.A et de lui
avoir ainsi facilité de détourner la somme de 300.000 USD. Faits prévus et
punis par les articles 22 et 23 CPLI et 95 CPL II ;
Attendu qu'à l'audience publique du 16/03/2023 à laquelle l’affaire a été appelée,
plaidée et prise en délibéré, la partie civile Société EQUITY BCDC S.A a comparu
représentée par ses conseils, Maîtres MASUMBU KAPWESHI Serge, MOMA
MUBENGU Barack , TSHINYAM NZAV Elisée et MULILA KAJA Ketsia, tous
Avocats au Barreau du Haut-Katanga, tandis que les prévenus RAJ MUNANA
Venant, LOSHI MUTAMBA Kyky, MUNDEMBA MWANSA Jossart et KABWIT
MAKAL Didier ont comparu en personne assistés de leurs Conseils, Maîtres
Georges KYUNGU WAPAMBA, Cheribun KASONGO, Gatien MWENGE,
Marcel MWAKU, Chougain NTUMBA, Henry MUTOMBO, Gregory KAHOZI,
Sion CIALU, LENZ IZAMBA, Eddy LOKESO, Paulin MUKESHI, François
KAKUDI, Jean BANZE, MABWISHA KABAMBI, Valentin MUKANGA, Fabien
BANZE,
Lumière
KINANDA,
MASANGU
INGANDU,
ILUNGA
TAMBAKANA, Esther MWANZA conjointement avec Maîtres MUNTU KAZADI
Valery et MUTEB KATENA. Les 20 premiers Avocats au même Barreau, et les
deux derniers Défenseurs judiciaires près le Tribunal de grande instance de
Lubumbashi, ce sur remise contradictoire à l'égard de toutes les parties ;
Attendu qu'il résulte des faits de la présente cause qu'il est reproché au prévenu RAJ
MUNANA d'avoir en date du 04/02/2022 détourné la somme de 300.000 USD
appartenant à la partie civile EQUITY BCBDC, somme lui remise en tant que
responsable du Cash management dont il avait la gestion des encaisses de la banque,
les deux prévenus RAJ MUNANA et Jossart MUNDEMBA avaient la gestion des
412
fonds du coffre, l'un possédait la clé et l'autre le mot de passe, mais curieusement le
coffre-fort tenu par les deux prévenus accusait un écart / de 300.000 USD;
Qu'après vérification, il s'est avéré que le prévenu RAJ MUNANA a camouflé ce
prétendu manquant en effectuant deux opérations de 200.000 USD et de 100.000
USD, et a demandé au prévenu LOSHI caissier front office de la banque de transférer
les 300.000$ du compte transit vers le compte de la caisse tenu par ce dernier alors
qu'il n'a pas reçu physiquement lesdits fonds et le prévenu KABWIT MAKAL, en sa
qualité du responsable de la digitalisation a validé le transfert de la somme de
300.000$ alors qu'il devrait superviser et auditer le prévenu RAJ;
Attendu qu'interrogé quant à ce, le prévenu RAJ MUNANA a persisté dans la
dénégation arguant que c'est depuis 1986 qu'il preste au sein de la banque, il n'a
jamais été reproché d'un détournement, sinon il avait camouflé l'écart de la somme
300.000$ pour se protéger du problème, (cfr pièce cotée 15).
Qu'il ajoute qu'il n'existe pas le système de contrôle efficace au sein de EQUITY
BCDC S.A, son système de contrôle est obsolète d'autant plus que les contrôleurs ne
faisaient pas le contrôle, sinon il n'en serait pas arrivé là (cfr pièces cotées 11, 16,
183, 184 à 186) ;
Que le prévenu LOSHI dans ses moyens de défense a rejeté en bloc toutes les
accusations mises à sa charge rétorquant qu'il ne pouvait pas refuser l'ordre lui
donner par son chef le prévenu RAJ dans la mesure où l'opération par lui effectuée
n'a pas impacté sa caisse et c'était juste un essai ;
Que dans ses moyens de défense, le prévenu Jossart MUNDEMBA a soutenu que
par rapport aux actes du 04/02/2022 il avait travaillé loyalement sur la gestion de la
chambre forte. A la différence du coffre-fort, il ne sait pas si le prévenu RAJ a dissipé
les fonds étant donné que lui ne se limite qu'à placer juste le code après il se retire ;
Qu'enfin, le prévenu KABWIT a soutenu qu'il n'y est pour rien car c'est le prévenu
RAJ MUNANA qui détient la clé du coffre et il ne lui avait pas informé de l'écart de
la somme de 300.000$ ;
Attendu que la partie civile dans ses conclusions, a soutenu que tous les quatre
prévenus ont agi en corréité, ils ont aidé le prévenu RAJ MUNANA dans son
entreprise criminelle de détourner la somme de 300.00 USD, et que leur
comportement lui cause d'énormes préjudices, qu'elle sollicite leur condamnation in
solidum aux dommages-intérêts à la hauteur de 2000.000 USD, à la restitution de la
somme détournée ;
EN DROIT
Attendu que la doctrine enseigne que l'abus de confiance consiste à détourner ou
dissiper au préjudice d'autrui l'une des choses énumérées par la loi, remise par la
victime à l'auteur de l'infraction en vertu d'un contrat, à charge pour le détenteur, de
rendre cette chose ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé (LIKULIA
413
BOLONGO, Droit pénal spécial Zaïrois, Tome 1, 2eme édition, LGDI, Kinshasa,
1985, P.418)
Que pour Georges MINEUR, l'abus de confiance est la violation frauduleuse d'un
contrat translatif de la détention ou de la possession précaire qu'il avait de la chose,
en une possession « animo domino », en détournant ou en dissipant un objet reçu à
charge de la rendre ou d'en faire un emploi déterminé (Georges MINEUR, cité par
Ruffin LUKOO, Droit pénal, jurisprudence, Tome 1, 2eme éditions, Editions On s'en
sortira, Kinshasa, p .9) ;
Que l'article 95 du Code pénal, Livre II punit d'une servitude pénale de trois mois à
cinq ans et d'une amende dont le montant ne dépasse pas mille francs ou d'une de ces
peines seulement, quiconque a frauduleusement détourné, soit dissipe au préjudice
d'autrui des effets, deniers, marchandises, billets, quittances, écrits de toute nature
contenant ou opérant obligation ou décharge et qui lui avaient été remis à la condition
de les rendre ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé ;
Attendu qu'il ressort de l'analyse de cette disposition légale que cette infraction
requiert pour sa réalisation d'abord la réunion des conditions préalables qui sont : un
contrat, une remise et une chose objet de la remise, et ensuite les éléments constitutifs
proprement dits qui sont : un acte matériel de détournement ou de dissipation, le
préjudice et l'élément intentionnel ;
A. Les conditions préalables
1. Le Contrat
Attendu que pour la doctrine, il est entendu comme un accord de volontés en vertu
duquel la chose a été remise à titre précaire, le contrat ne confère, au détenteur que
des droits limités sur la chose consistant en une simple détention ou possession
précaire, et qu'il y a lieu de retenir comme générateurs d'abus de confiance le contrat
de gage ou nantissement, le contrat de mandat, du prêt à usage, le transport, de louage
de chose, de dépôt et du travail (LIKULIA, Op. cit., P.419) ;
Attendu que l'article 526 du Code civil congolais, Livre III énonce que le mandat est
un acte par lequel une personne appelée mandant, donne à une autre appelée
mandataire, le pouvoir de poser pour elle un ou plusieurs actes juridiques ;
Que pour le Tribunal, il s'agit ici d'un contrat de mandat ;
Que dans le cas d’espèce ; la partie civile EQUITY BCDC S.A a donné mandat aux
prévenus RAJ MUNANA Venant et Jossart MUNDEMBA MWANSA
respectivement en leur qualité de gestionnaire du cash management de la région Sud
de la banque et chef de caisse de l'agence centre-ville de gérer conjointement le
coffre-fort contenant les encaisses de cette dernière ;
414
Que lors de l'instruction de la cause, le prévenu RAJ MUNANA a reconnu qu'il est
lié à la partie civile EQUITY BCDC par un contrat de travail, et ce depuis 1986, soit
36 ans de carrière (cfr pièce cotée 183) ;
Que tous les prévenus n’aient pas remis en cause leur lien avec la partie civile
EQUITY BCDC en l'exception du prévenu LOSHI MUTAMBA Kyky qui a soutenu
qu'il est agent du groupe service, affecté à EQUITY BCDC en qualité d'un simple
caissier ;
2. La remise de la chose
Attendu que le doctrinaire BONY CIZUNGU dit que la remise de la chose est
nécessairement préalable et volontaire, mais elle doit être affectée à un but précis
(BONY CIZUNGUU, Les infractions de A à Z, édition Laurent NYANGEZI,
Kinshasa, 2011, P.52) ;
Que le doctrinaire LIKULIA BOLONGO ajoute dans son ouvrage précité à la page
426 que cette remise doit être en outre, faite à titre précaire c'est-à-dire à la charge
pour le détenteur de rendre la chose reçue ou d'en faire un usage ou un emploi
déterminé par le contrat ;
Que dans le cas sous examen, la partie civile EQUITY BCDC avait remis
volontairement et préalablement aux prévenus RAJ MUNANA et Jossart
MUNDEMBA MWANSA de par leurs fonctions qu'ils exercent au sein de cette
dernière la gestion conjointe du coffre-fort contenant liquidités de la partie civile ;
Que cette remise relève donc de leurs attributions qui leurs avaient été confiées
quotidiennement comme les prévenus l'ont eu mêmes soutenu lors de l'audience
d'instruction (cfr pièces cotées de 185 à 186) ;
Qu'il a été jugé que l'employé qui s'approprie des fonds confiés par son patron,
commet un abus de confiance s'il avait été constitué mandataire par celui-ci (1ere Inst.
Léo. 21 avril et 26 mai 1950, J.T. O 1952, P.50, avec note ; Léo. App. 14 Octobre
1938, Rev. Jur. 1940, P.110) ;
Que dans le cas d'espèce, les prévenus RAJ MUNANA Venant et Jossart
MUNDEMBA MWANSA en tant qu'employés de la partie civile EQUITY BCDC
S.A, se sont appropriés les fonds de celle-ci qui leurs ont été remis dans le cadre de
leur mandat de la gestion du coffre ;
3. La chose, objet de la remise
Attendu que le doctrinaire BONY CIZUNGU souligne à la même page de son
ouvrage précité que cette remise doit obligatoirement porter sur des biens énumérés
par la loi, il s'agit des effets, des deniers, des marchandises, des billets, des quittances
(décharges) ou des écrits contenant ou opérant obligation ;
Attendu que dans le même sens le doctrinaire LIKULIA BILONGO aborde en
ajoutant que pour qu'il y ait abus de confiance, il ne suffit pas qu'un contrat ait été
415
formé et qu'il y ait eu remise, encore faut-il que cette remise ait porté sur un des
objets mobiliers énumérés par l'article 95 du code pénal ;
Que dans le cas de figure, la chose qui avait fait l'objet de la remise est la somme de
300.000 USD qui constitue les billets de banque ;
B. Les éléments constitutifs
Attendu qu'il résulte de l'article 95 du code pénal précité qu'outre les conditions
préalables, l'abus de confiance comporte trois éléments constitutifs : un acte matériel
constitué par le détournement ou la dissipation, le préjudice et l'intention coupable ;
1. L’élément matériel
Attendu que cet élément est caractérisé par le détournement ou la dissipation de la
chose reçue ;
Attendu que la dissipation consiste dans un acte de disposition mettant l'agent dans
l'impossibilité de rendre ou de restituer la chose reçue, ici l'abus de confiance se
manifeste aisément car en dissipant la chose l'agent se comporte en maître de celleci ; il peut s'agir soit d'un acte de consommation tel que dilapider une somme d'argent,
soit d'un acte de destruction, soit un acte de détérioration, soit un acte d'abandon, soit
un acte de vente, soit un acte de donation, soit la mise en gage (LIKULIA
BOLONGO, Op.cit., p.429);
Que le même auteur ajoute à la page 430 que l'acte de détournement se manifeste ici
dans l'usage abusif et le refus de restituer, l'agent agit souvent clandestinement en
intervertissant la possession de la chose d'autrui qu'il avait d'une manière précaire, il
se comporte ainsi en maître de la chose ;
Qu'il poursuit qu'en ce qui concerne l'usage abusif, on retient l’acte de détournement
constitutif de l'abus de confiance lorsque l'affectation d'un bien n'est pas respecté, ou
lorsque la finalité d'un droit est méconnue par l'agent ; pour ce qui est du refus de
restitution on estime d'abord que le simple retard mis à la restituer la chose ne suffit
pas à caractériser le détournement, mais il faut qu'il y ait appropriation ou même
rétention injuste ;
Que dans le cas d'espèce, il ne fait l'ombre d'aucun doute que les prévenus RAJ
MUNANA Venant et Jossart MUNDEMBA MWANSA ont disposé à leurs fins
personnelles la somme de 300.000 $ qui se trouvait dans le coffre - fort de la banque
étant donné que selon les taches qui leurs étaient confiées les deux prévenus
accédaient au même moment dans la chambre forte et agissaient conjointement dans
l'ouverture de la chambre où était logé les fonds de la banque en vertu du principe
des 4 yeux qui implique que l'accès au coffre soit subordonnée à la détention formelle
des moyens d'accès c'est-à-dire que le prévenu RAJ MUNANA détenait la clé et le
prévenu Jossart MUNDEMBA détenait le code d'accès;
416
Qu'il sied de relever que selon la procédure de la banque tout mouvement de fonds
au coffre c'est-à-dire l'augmentation ou la déduction doit être enregistré en temps réel
dans le registre des encaisses et les deux intervenants au coffre doivent faire un
rapprochement des chiffres prélevés dans le registre des existences avec les
existences réelles en espèces, données dont ils comparent les totaux aux soldes des
comptes des coffres en finale ;
Qu'in specie causa, bien que le prévenu Jossart MUNDEMBA MWANSA a soutenu
mordicus qu'il ne se limite qu'à introduire le code d'accès à la chambre forte, mais le
prévenu RAJ MUNANA a reconnu que tout le montant retiré au coffre était
renseigné dans le registre de retrait et le prévenu KABWIT MAKAL Didier a
soutenu que le registre de retrait existe (cfr pièce cotée 152, 153, 190 à 197) ;
2. Le préjudice
Attendu que la loi exige donc que pour que l'abus de confiance soit retenu, le
détournement ait été commis au préjudice d'autrui, et que la victime peut être un
propriétaire, un possesseur ou un détenteur, c'est ainsi qu'on retient non seulement
un préjudice réel, c'est-à-dire celui qui est réellement causé mais même un préjudice
éventuel, c'est-à-dire simplement possible dès lors que l'agent a pu le prévoir (Idem,
P.421) ;
Qu'en l'espèce, la partie civile EQUITY BCDC S.A à réellement subi un préjudice
matériel en ce qu'elle a connu une perte qui affecte sensiblement sa trésorerie de sorte
qu'elle a du mal à fonctionner ce jour en tant que société commerciale, et elle ne sait
plus faire face aux besoins imminents et pressants de certaines de ses agences ;
3. L'élément intentionnel
Attendu que le doctrinaire LIKULIA BOLONGO soutient à la même page que l'abus
de confiance n'existe que si le détournement a été commis avec une intention
frauduleuse qui consiste dans la connaissance qu'a l'agent de violer le contrat par
lequel il détenait la chose d'une manière précaire en ayant conscience qu'il cause un
préjudice au propriétaire, cette intention se déduit de l'impossibilité de restituer la
chose ou d'en faire l'usage ou l'emploi déterminé c'est-à-dire de lui donner
l'affectation ou la finalité convenue;
Qu'une autre doctrine ajoute que la fraude est un élément essentiel de l’abus de
confiance, elle doit être constatée par le juge, est réalisée lorsque l'auteur agit dans
l'intention de se procurer à lui-même ou il aurait un bénéfice illicite quelconque…,
l'intention frauduleuse doit être constatée formellement par le juge du fond, sans qu'il
soit astreint à donner les raisons juridiques de sa décision (G.MINEUR,
Commentaire du code pénal congolais, 2e édition, Maison F. LARCIER S.A,
Bruxelles, 1953, p. 226) ;
417
Qu'il a été jugé que cette intention se déduit dans l'impossibilité de restituer la chose
ou d'en faire l'usage ou l'emploi déterminé c'est-à-dire de lui donner l'affectation ou
la finalité convenue (CSI, 1/12/1977, R.J.C.B, 1955, P.214) ;
Que dans le cas d'espèce, les deux prévenus RAJ MUNANA et Jossart
MUNDEMBA avaient connaissance que les fonds ne leurs appartenaient pas et ce,
d'après la nature des fonctions qu'ils occupent au sein de la banque, mais cependant
ils ont profité de la défaillance du système sécuritaire de cette dernière pour
s'accaparer des fonds et s'en servir pour d'autres fins que celles reçues de leur mandat,
et au préjudice de la partie civile ;
Que les deux prévenus précités se trouvent dans l'impossibilité de restituer la somme
de 300.000 $ par eux détournée ;
Qu'il a été arrêté que « a suffisamment démontré l'existence de l'intention frauduleuse
d'abus de confiance, la motivation fondée sur le fait que le demandeur qui avait, en
vertu d'un contrat d'entreprise, la détention précaire du bois et l'argent en vue d'un
usage bien déterminé, les a utilisés à ses propres fins » (CSJ, RP 124. 1er décembre
1976, affaire Nsemi Loth Joseph C/Ministère public et Yangu Jean Baptiste, Bulletin
des arrêts de la cour Suprême de Justice année 1976, année d'édition 1977, pp.194198) cité par Odon NSUMBU KABU, Cour suprême de justice, Héritage de demisiècle de jurisprudence, Les Analyses juridiques, Kinshasa, 2015, P.52) ;
C. De la participation criminelle
Attendu qu'en rapport avec la participation criminelle, la doctrine note que pour
qu'elle soit retenue à titre de corréité ou de complicité, trois conditions doivent être
réunies, à savoir : l'existence d'une infraction principale, l'acte de participation selon
un des modes prévus par la loi aux articles 21 et 22 du code pénal et enfin l'élément
moral, (NYABIRUNGU MWENE SONGA, Droit pénal général, syllabus, éditions
droit et société, Kinshasa‚ 2005, P.149) ;
Que l'article 21 du code pénal livre 1 précise que : « sont considérés comme auteurs
d'une infraction :
Ceux qui l'auront exécutée ou qui auront coopéré directement à son
exécution ;
Ceux qui, par un fait quelconque, auront prêté pour l'exécution une
aide telle que, sans leur assistance, l'infraction n'eut pu être commise... » ;
Que dans le cas sous examen, le prévenu Jossart MUNDEMBA a coopéré
directement à l'exécution de la dissipation des fonds mis à leur disposition aux fins
de desservir les autres agences qui dépendent de la banque car n'eut été cette
coopération étroite entre les deux prévenus Jossart MUNDEMBA détenteur du mot
de passe du coffre-fort qui a en date du 04/02/2022 dans les environs de 13 heures
ouvert le coffre - fort pour faciliter au prévenu RAJ MUNANA, la sortie de 300.00$.
418
Que sans le mot de passe introduit par le prévenu Jossart MUNDEMBA, le coffrefort de la banque n'aurait pas pu être ouvert, et ce détournement n'aurait pas été
effectif ;
Qu’il a été juge que constitue une aide nécessaire prévue à l'article 21 du code pénal
livre 1, et sans laquelle l'infraction de détournement de deniers publics n'eut pu être
commise de la manière dont elle l’a été, l'acceptation d'endosser un chèque tiré sur
un compte de dépôt de fonds publics détournés (CSJ, RP 20/C.R, 15 août 1979,
Affaire Ministère Public C/Tepandole Zambite, Mukendi Katema, Kisudi Ntima
Ntimansiemi di Bwaka et Yumba di Tshibuka, R.J.Z , 1979, pp. 56-58, cité par Odon
NSUMBU KABU, Cour suprême de justice, Héritage de demi- siècle de
jurisprudence, Les Analyses Juridiques, Kinshasa, 2015, p.36);
Qu'il sied de noter que le prévenu RAJ MUNANA auteur matériel du détournement
ne pouvait en aucun cas se passer de l'aide de son coauteur en l'occurrence le prévenu
Jossart MUNDEMBAU MWANSA en vertu du principe de 4 yeux, l'un détenteur
de la clé et l'autre le mot de passe ;
Qu'il a également été jugé qu'il y a participation à l'infraction de détournement
lorsqu'il résulte des faits et actes de la cause une volonté commune et convergente
de tous les prévenus de se procurer un avantage illicite, notamment en faisant des
prélèvements et en les acceptant des autres, et il n'est pas nécessaire que les sommes
détournées soient entre les mains du détourneur mais il suffit qu'en vertu de sa charge
il exerce un certain pouvoir sur lesdites sommes (CSJ, RPA 89, 20 janvier 1984,
Affaire Ministère public C/ Kapembe Nkorin et consorts, Bulletin des arrêts de la
cour suprême de justice années 1980 à 1984, année d'édition 2001, PP.436-442).
Qu'in specie causa, les deux prévenus précités ont eu la volonté commune et
convergente de se procurer un avantage illicite sur les fonds détournés, mais aussi,
cela a été facilité par la charge et les fonctions qu'ils occupent au sein de la banque
leur donnant un certain pouvoir sur les encaisses ;
Attendu que l'article 22 du code pénal livre 1 dispose que : sont considérés comme
complices :
-
Ceux qui auront donné des instructions pour la commettre ;
Ceux qui auront procurés des armes, des instruments ou tout autre moyen qui
a servi à l’infraction sachant qu’ils devaient y servir ;
Ceux qui, hors le cas prévu par l'alinéa 3 de l'article 22, auront avec
connaissance aidé ou assisté l'auteur ou les auteurs de l'infraction dans les
faits qui l'ont préparée ou facilitée ou dans ceux qui l'ont consommée ;
Qu'in specie causa, sur instruction du prévenu RAJ MUNANA, le prévenu LOSHI
MUTAMBA Kyky a transféré les 300.000$ sur un compte dont il savait parfaitement
bien qu'il était inoperationnel, et ce transfert consistait à faire disparaître lesdits fonds
au préjudice de la partie civile EQUITY BCDC S.A ;
419
Que le prévenu LOSHI MUTAMBA Kyky a apporté une aide indispensable dans la
perpétration de l'infraction d'abus de confiance à charge du prévenu RAJ MUNANA,
en ce qu'il a permis le transfert de la somme de 300.000$ vers un compte dont il
savait pertinemment bien inoperationnel alors que selon le règlement de la banque,
il est interdit au cash management d'entrer en contact direct avec le caissier
secondaire (cfr pièce cotée 191);
Qu'à la question de savoir est-il permis à un caissier d'entrer en contact direct avec
son chef, le prévenu Jossart MUNDEMBA répond << non>>, (cfr pièce cotée 191)
;
Qu'à la question de savoir est ce que le prévenu RAJ malgré l'injonction qu'il avait
donné au prévenu LOSHI MUTAMBA Kyky, l'avait-il caché la destination de la
transaction, ce dernier a répondu non ;
Que donc, le prévenu LOSHI savait pertinemment bien que le compte dans lequel il
devait effectuer l'opération était un compte inoperationnel (cfr pièce cotée 196) ;
Que le Tribunal fait observer que le prévenu RAJ MUNANA a tenté de faire
l'opération retour de ladite somme mais le compte inoperationnel était bloqué d'où il
n'y avait pas moyen d'y accéder, ce qui cristallise davantage l'infraction d'abus de
confiance dans son chef, (cfr pièce cotée 192) ;
Que s'agissant du prévenu KABWIT MAKAL Didier, sa responsabilité est nettement
établie en tant que complice dans la perpétration de l'infraction d'abus de confiance
par le prévenu RAJ MUNANA car il s'était abstenu d'auditer le prévenu RAJ alors
qu'il est responsable de la digitalisation et de la validation des opérations de ce
dernier, en tant que responsable des opérations du prévenu RAJ celui qui détenait le
registre de retrait des fonds des encaisses de la banque, mais ce dernier s' était évertué
juste de valider l'opération de 300.000$ aux fins de faciliter le prévenu RAJ dans son
entreprise criminelle alors qu'il pouvait dénicher ledit écart le même jour;
Qu'il a été enseigné que certaines abstentions circonstanciées ou qualifiées sont
retenues comme actes de participation lorsque, à l'analyse, elles s'avèrent revêtir un
aspect positif, lorsqu'en raison des circonstances qui les accompagnent, elles peuvent
être assimilées à un acte positif (NYABIRUNGU mwene SONGA, Traité de droit
général congolais, deuxième édition, 2007, P. 257) ;
Que le Tribunal fait observer qu'à l'audience d'instruction, le prévenu RAJ
MUNANA a soutenu que c'est le prévenu KABWIT MAKAL qui détient le registre
de retrait des encaisses, et le prévenu précité a confirmé que ce registre existe bel et
bien, et selon la procédure de EQUITY BCDC les deux prévenus précités devraient
conjointement signer dans le registre pour confirmer les constatations opérées, chose
que le prévenu KABWIT MAKAL s'était abstenu de faire alors que c'était dans ses
prorogatives ; (cfr pièce cotée 153 à 190) ;
420
D. De l'action civile
Attendu que l'article 107 alinéa 1 de la loi organique N°13/011-B du 11 avril 2013
portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l'ordre
judiciaire énonce que : « l'action en réparation du dommage causé par une infraction
peut être poursuivie en même temps que l'action publique et devant le même
Juge... » ;
Que dans le même ordre d'idée le doctrinaire LUZOLO BAMBI aborde en disant
que « la victime d'une infraction peut directement saisir le Tribunal d'une demande
de réparation du préjudice subi par le fait de l'infraction » (LUZOLO BAMBI
LESSA et BAYONA BA MEYA, Manuel de procédure pénale, PUC, Kinshasa,
2011, page 387) ;
Que dans le cas sous examen, la société EQUITY BCDC S.A victime de l'infraction
d'abus de confiance s'est constituée partie civile sous RP 10982 dossier envoyé en
fixation par le ministère public contre les prévenus RAJ MUNANA Venant, LOSHI
MUTAMBA Kyky, Jossart MUNDEMBA MWANSA et KABWIT MAKAL
Didier ;
Qu'ainsi, le Tribunal de céans est compétent de connaître de son action civile vu
qu'elle a consigné les frais suivant la quittance N046 du 27/02/2023, qu'il la dira
recevable quant à la forme ;
Attendu que statuant quant au fond, l'article 258 du code civil congolais livre 3
dispose que : « Tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à autrui,
oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » ;
Qu'il ressort de cette disposition légale que trois conditions doivent être remplies
pour que soit établie cette responsabilité civile à savoir l'existence d'un dommage ou
préjudice, la faute qui a engendré ce dommage et l'établissement d'un lien causal
entre le dommage subi et la faute invoquée ;
Que dans le cas d'espèce, la partie civile EQUITY BCDC S.A a subi un préjudice
matériel réel en ce qu'elle a connu une perte importante d'argent estimée à 300.00$,
et en tant que société commerciale cela constitue un manque à gagner pour ses
activités commerciales ;
Qu'aussi en initiant cette procédure judiciaire elle doit faire face aux frais de
procédure et aux honoraires de ses avocats, il y a là un préjudice ;
Attendu que la faute commise par les quatre prévenus est la violation de la loi pénale,
laquelle a une conséquence directe sur le préjudice qu'a subi la partie civile EQUITY
BCDC S.A car n'eut été leur comportement infractionnel la partie civile n'aurait pas
connu cette perte, encore moins engager des procédures ;
Que de ce fait, la doctrine en parlant de la réparation intégrale du dommage, dit que
l'indemnité doit pouvoir réparer aussi intégralement que possible les préjudices
421
constatés... L'indemnité doit être évaluée en se plaçant à la date du jugement définitif
et non à la date de réalisation du dommage.... Ainsi, c'est au jour de la décision
judiciaire que l'on doit se placer pour fixer l'indemnité destinée à cette réparation
(KALONGO MBIKAYI, Droit civil, les obligations, Tome 1, éditions université
africaines, Kinshasa, 2012, P. 214) ;
Attendu que de ce qui précède, le Tribunal dira établie en fait comme en droit
l'infraction d'abus de confiance mise à charge des prévenus RAJ MUNANA Venant,
LOSHI MUTAMBA Kyky, Jossart MUNDEMBA MWANSA et KABWIT
MAKAL Didier ;
Qu'il condamnera les prévenus RAJ MUNANA Venant et Jossart MUNDEMBA
MWANSA à 5 ans de servitude pénale principale chacun, à une amende de 1000.000
FC (un million de franc congolais), chacun payable dans le délai légal, à défaut du
paiement ils subiront chacun 30 jours de servitude pénale ;
Qu'il condamnera les prévenus LOSHI MUTAMBA Kyky et KABWIT MAKAL
Didier à 30 mois de servitude pénale principale et à une amende de 500.000 FC (Cinq
cents mille francs congolais), chacun payable dans le délai légal, à défaut du
paiement ils subiront chacun 15 jours de servitude pénale subsidiaire ;
Qu’il les condamne tous solidairement à la restitution au profit de la partie civile
EQUITY BCDC S.A de la somme d'argent de 300.000$ (dollars américains trois
cents mille) ou son équivalent en francs congolais, par eux détournée ;
Que le Tribunal ramènera la somme de 2000.000 $(dollars américains deux millions)
postulée par la partie civile EQUITY BCDC S. A à titre de de dommages- intérêts à
une somme juste et équitable ;
Qu'il dira ainsi recevable et fondée l'action de la partie civile EQUITY BCDC S.A,
qu'il condamnera les quatre prévenus in solidum au paiement de la somme en francs
congolais équivalent à 1.000.000 $(dollars américains un million) en raison d'un
quart à chacun, au profit de la partie civile EQUITY BCDC S.A à titre de dommagesintérêts, pour tous les préjudices subis ;
Qu'il les condamnera enfin aux frais d'instance tarif plein a raison d'un quart à
chacun, à défaut du paiement dans le délai légal, ils subiront chacun 20 jours de
contrainte par corps ;
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal ;
Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties ;
Vu la loi N°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et
compétences des juridictions de l'ordre judiciaire ;
Vu le code de procédure pénale ;
422
Vu le code pénal livre 1 en son article 22 et livre 2 en son article 95 ;
Vu le code civil livre 3 en ses articles 258 et 526 ;
Le ministère public entendu en ses réquisitions ;
-
Dit établie en fait comme en droit l'infraction d'abus de confiance mise à
charge des prévenus RAJ MUNANA Venant, LOSHI MUATAMBA Kyky,
Jossart MUNDEMBA MWANSA et KABWIT MAKAL Didier ;
-
Par conséquent condamne les prévenus RAJ MUNANA et Jossart
MUNDEMBA MWANSA à cinq ans (5 ans) de servitude pénale principale,
à une amende de 1000.000 FC (un million de franc congolais) chacun,
payable dans le délai légal, à défaut du paiement ils subiront chacun 30 jours
de servitude pénale subsidiaire ;
-
Condamne également les prévenus LOSHI MUTAMBA Kyky et KABWIT
MAKAL Didier à 30 mois de servitude pénale principale, et à une amende
de 500.000 FC (Cinq cents mille franc congolais) chacun, payable dans le
délai légal, à défaut ils subiront chacun 15 jours de servitude pénale
subsidiaire ;
-
Condamne les quatre prévenus précités in solidum au paiement de la somme
en francs congolais équivalent de 1.000.000 $ (dollars américains un million)
en raison d'un quart à chacun, au profit de la partie civile EQUITY BCDC
S.A à titre de dommages - intérêts, pour tous préjudices ;
-
Les condamne tous solidairement à la restitution au profit de la partie civile
EQUITY BCDC S.A de la somme d'argent de 300.000 $ (dollars américains
trois cents mille) ou son équivalent en francs congolais, par eux détournée ;
-
Dit recevable et fondée l'action civile de la partie civile EQUITY BCDC S.A;
-
Condamne les quatre prévenus précités in solidum au paiement de la somme
en francs congolais équivalent à 1.000.000 $(dollars américains un million)
en raison d'un quart à chacun, au profit de la partie civile EOUITY BCDC
S.A à titre de dommages- intérêts, pour tous les préjudices ;
-
Les condamne enfin aux frais d'instance tarif plein à raison d'un quart à
chacun, à défaut du paiement dans le délai légal subir chacun 20 jours de
contrainte par corps.
Ainsi jugé et prononcé par le Tribunal de paix Lubumbashi/Kamalondo siégeant en
matière répressive, à son audience publique du 07/04/2023 à laquelle ont siégé les
magistrates MBIDI MANGO, président de chambre, MULANGA KAVUANDA et
NSANA NSAKA juges, en présence de Albertine MWIPATA, officier du ministère
public et l'assistance de Honoré KAMUNGA, greffier du siège.
423
Note d’observation
La participation criminelle n’est établie que lorsqu’on s’est associé
délibérément à la commission d’une infraction
Par :
Eddy Lokeso Omelanga
Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga et Chercheur
Indépendant.
Il y a participation criminelle, lorsque plusieurs personnes prennent une part plus ou
moins active et plus ou moins directe à la perpétration d’une infraction. Toute
participation criminelle suppose des faits par lesquels on coopère à l’infraction960.
Pour qu’il ait participation criminelle, il faut que l’on ait l’intention de s’associer à
la perpétration d’une infraction, la participation suppose un concert, une entente
entre les délinquants961.
En vertu de l’adage « actori incumbit probatio », la charge de la preuve incombe
donc au Ministère public qui est demandeur et qui doit apporter la preuve de la
culpabilité de la personne poursuivie962. Mais, face à l’aveu judiciaire de l’auteur
principal de l’infraction, longtemps considéré comme la « probatio probatissima »,
c’est-à-dire la preuve des preuves, il est superfétatoire pour le Ministère Public
d’apporter la preuve.
Dans le jugement annoté, le Tribunal de Paix de Lubumbashi/Kamalondo a dit établi
en fait comme en droit l’infraction d’abus de confiance mise à charge de tous les
prévenus poursuivis en participation criminelle.
Examinant la motivation dudit jugement, il appert que c’est à tort que le Tribunal a
sorti pareille décision, étant donné que la participation criminelle, qu'elle soit en
terme de complicité ou de co-action, exige la réunion de certains éléments. À la
lumière des articles 21 et 22 du Code pénal congolais, Livre premier, la participation
criminelle exige l’intention de s’associer à la perpétration d’une infraction de
manière consciente et volontaire.
Il ressort de cette décision, en ce qui concerne la condamnation de Monsieur
Mundemba Mwansa Jossart, le juge n’a pas démontré à quel point ou à quel moment
960
Georges MINEUR, Commentaire du code pénal congolais, 2eme édition, Bruxelles, Maison
F.LARCIER, S.A, 1953, p.80.
961
Elis., 11 nov. 1913, Jur. Congo, 1922, p. 353; Elis., 21 sept. 1915, Jur. Col., 1926, p.156; Prins,
n°549; Constant, n°93; Note sous app. R.U., 26 juin 1951, J.T.M., 1952, p.150.
962
NGOTO Ngoie NGALINGI, L’essentiel du droit pénal congolais, Kinshasa, Presses Universitaires
du Congo, 2018, p.143.
424
ce dernier a pris part active dans la perpétration de l’infraction d’abus de confiance
avec Monsieur Raj Munana.
Ainsi, le juge s’est limité à dire que la participation de Monsieur Mundemba Mwansa
Jossart se situe dans le fait pour lui d’introduire le mot de passe du coffre –fort sans
lequel le coffre-fort n’aurait pas pu être ouvert et le détournement n’aurait pas eu
lieu. Et pour soutenir la condamnation de Jossart Mundemba, le juge a utilisé le verbe
lui prêté par la partie civile et le ministère public, notamment le verbe « livrer ».
La présente réflexion renseigne que l’introduction du mot de passe au coffre-fort
relève des attributions professionnelles régulièrement reconnues à Sieur Jossart
Mundemba au sein de la Société EQUITY BCDC S.A. Dans le cas d’espèce,
Monsieur Jossart Mundemaba n’a fait qu’exécuter une tâche qui entre dans ses
attributions quotidiennes sans aucune intention de poser un quelconque acte
criminel ; bien plus, il l'a fait sans aucune connaissance de tout ce qui se tramait par
Monsieur Raj Munana.
La doctrine enseigne que toute participation n’est pas punissable. Elle ne le devient
que si elle consiste à favoriser la commission d’une infraction, c’est-à-dire un acte
que la loi condamne et sanctionne d’une peine963.
Il a été expliqué par la partie civile, en ce qui concerne les attributions et le
fonctionnement du Cash Management, Monsieur RAJ au sein de la Société EQUITY
BCDC S.A. le circuit habituel de la sortie de fonds qui peut être résumé comme suit
: la demande de sortie de fonds est soumise au Cash Management qui en étudie la
nécessité avant d’y répondre ; si celle-ci s’avère fondée, il décide seul de l’ouverture
du coffre-fort avec le concours du chef de fil, à savoir Monsieur Jossart Mundemba
qui détient le mot de passe.
Toutefois, il est important de préciser que le Cash Management n’a aucune obligation
de justifier la sortie de fonds au chef de fil, Monsieur Jossart Mundemba
contrairement à ce que soutient malencontreusement le juge, en s’appuyant sur le
fameux principe à quatre yeux que la partie civile a évoqué, en se fondant sur un
document établi pour le besoin de la cause et contenant comme date de son entrée en
vigueur, une date postérieure aux faits de la cause.
Le système sécuritaire du coffre-fort contenu dans la chambre de trésors de la Société
EQUITY BCDC S.A exige pour son ouverture, une intervention conjointe entre
Monsieur Jossart Mundemba et Monsieur Raj Munana. Le premier étant détenteur
du mot de passe ; le deuxième étant détenteur de la clé. Sans cette double
intervention, le coffre-fort ne peut être ouvert et la banque n’aurait pas pu fonctionner
correctement ce jour-là.
963
NYABIRUNGU mwene SONGA, Droit pénal général zaïrois, Kinshasa, Editions Droit et Société
« DES », 1989, p.213.
425
S’agissant de la participation punissable, la doctrine enseigne que le juge a un devoir
qui lui commande de spécifier les circonstances constitutives de la participation
criminelle, de définir, avec toute la précision possible, les faits par lesquels on doit
avoir coopéré à un crime ou à un délit, pour pouvoir être condamné du chef de cette
coopération964.
Et pourtant, Monsieur Raj Munana avait plusieurs fois déclaré que Monsieur Jossart
Mundemba n’était au courant de rien, surtout ce qui concerne cette perte d’argent.
L’élément constitutif de la participation criminelle, réclamant entre l’auteur et son
complice, un concert de volonté ou une entente préalable, à défaut la complicité n’est
pas établie965.
Au regard de ce qui précède, c’est à tort que le juge a condamné Monsieur
MUNDEMBA MWANSA Jossart comme coauteur à l’infraction d’abus de
confiance, étant donné que la connaissance et la volonté de l’agent de participer à
une infraction doivent exister au moment où il apporte son concours, son assistance
ou son aide. Elles doivent être concomitantes à l’acte de participation966.
C’est de bon droit que le Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi sous
RPA.5739/5720/5723/5756/RP.10.982 a reformé le jugement annoté et renvoyé le
prévenu Jossart Mundemba Mwansa libre de toutes fins de poursuites judiciaires.
*
*
*
964
Jacques Joseph HAUS, Principes généraux du droit pénal belge, Tome II, 3eme édition, Gand, 1879,
réimprimé à Bruxelles, 1979, cité par NYABIRUNGU mwene SONGA, Droit pénal général
zaïrois, Editions Droit et Société « DES », Kinshasa, 1989, p.214.
965
CSJ. RPA 28, 28 août 1974, Affaire MUKENDI EGBOYA ET MUZINGU C/Ministère Public,
Bulletin des arrêts de la cour suprême de justice année 1974, 1975, pp. 253-263.
966
NYABIRUNGU mwene SONGA, Op.cit., p.218.
426