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International Review of Community Development
Revue internationale d’action communautaire
Le local convié au développement
Inviting local communities to participate in development
La esfera local invitada al desarrollo
Marc Mormont
De l’espace pour le local
Résumé de l'article
Numéro 22 (62), automne 1989
Le développement local se définit par son opposé, à savoir les politiques
régionales mises en place dans les années soixante. À partir du cas wallon,
l’auteur rappelle à travers quel jeu d’acteurs ces politiques se sont imposées. Le
développement local, considéré ici surtout du point de vue des régions rurales,
se construit sur deux bases distinctes, sinon indépendantes. D’une part les
critiques venues de la base, qui mettent en cause le monopole des institutions
régionales et ses effets pervers; d’autre part les critiques venues des sphères du
pouvoir économique, qui reprochent à ces institutions leur inefficacité. Le
développement local est ambigu, mais il révèle qu’il se produit dans le mode
d’action de l’État et dans le rapport à l’économique des glissements qui font du
local une réalité renouvelée.
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1034026ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1034026ar
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Lien social et Politiques
ISSN
0707-9699 (imprimé)
2369-6400 (numérique)
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Citer cet article
Mormont, M. (1989). Le local convié au développement. International Review of
Community Development / Revue internationale d’action communautaire, (22),
151–165. https://doi.org/10.7202/1034026ar
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Le local convié au développement
M. Mormont
L'importance prise ces dernières années par les questions
de développement local marque
certainement un tournant dans les
politiques régionales. L'article qui
suit se base avant tout sur la
connaissance des problèmes des
régions rurales en Europe. Que
signifie finalement cette sorte de
retournement vers le local? Il
s'agit en première analyse d'un
relatif effacement du poids de
l'État, mais cet effacement n'est
pas seulement arraché par des
mouvements locaux, il est
consenti, voire souhaité par certaines fractions de l'appareil d'État. Il s'agit aussi sans doute d'un
effet de l'internationalisation de
l'économie, qui a affaibli le poids
économique des États. Mais cette
tendance ne libère-t-elle pas des
forces et des espaces où des
acteurs locaux peuvent mieux
gérer leur devenir? Ou ces derniers ne font-ils que croire qu'ils
gèrent, sans apercevoir ou en se
dissimulant les dépendances qui
les contraignent? Il ne s'agit ni
d'ignorer ni de minimiser ces
questions, mais les lignes qui
suivent cherchent moins à faire
un bilan critique du développement local qu'à comprendre comment l'idée et les pratiques du
développement local réussissent
à s'imposer, voire à devenir le
cadre de référence d'un certain
nombre de politiques, d'actions et
d'acteurs. Dès lors notre hypothèse est avant tout qu'il s'agit là
d'une transformation du cadre de
référence de l'action, d'une manière de voir non seulement
l'économique, mais peut-être,
plus largement, le monde social.
Le développement local :
discours ou pratique?
L'idée même d'un développement « local » ne peut se comprendre que par ce à quoi elle
s'oppose, c'est-à-dire plus exactement par le rapport qu'entretient
le « développement local » avec
les formes dominantes de développement et de gestion socio-politique du développement, qu'on
peut appeler modèles de développement. Je poserai en effet
comme point de départ qu'il est
nécessaire de distinguer le développement — à savoir les transformations multiples qui accompagnent, conditionnent ou stimulent la croissance économique —
de ce qu'on pourrait appeler les
politiques de développement,
dans lesquelles il faut ranger les
théories, les idées mais aussi les
institutions et les pratiques des
acteurs publics qui cherchent à
intervenir sur le développement.
Or, rappelons-le, cette intervention publique sur le développe-
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ment, qui a été le fait de l'État,
intervention orientée par le souci
de corriger les effets du développement autant que par celui de
produire du développement, s'est
constituée assez récemment, en
tout cas au cours de ce siècle, et
par opposition à un certain laisser-faire libéral. Même si elle n'a
pas les mêmes sources, elle se
développe parallèlement à l'État
providence, lequel se constitue
aussi en opposition à la même
philosophie sociale du libéralisme, ce qui crée des affinités
évidentes entre les deux perspectives. Je ferai plus loin une
analyse des forces sous-jacentes
à ce processus de mise en place
d'une politique de développement, car je veux insister d'emblée sur les questions que pose le
développement local du fait
même qu'il se définit par rapport à
un univers institué d'action publique. Qu'on pense le développement local comme opposé ou
comme complémentaire à la politique établie de développement, il
se pense de toute manière en
référence à celle-ci, c'est-à-dire
principalement aux formes que la
politique de développement régional a prises dans l'après-guerre.
En ce sens c'est bien un projet
« alternatif » 2.
Il s'ensuit qu'avant d'être un
objet de science, le développement local constitue un discours,
aussi bien que des pratiques plus
ou moins légitimées ou institution-
nalisées, un discours sur le développement et sur le mode d'intervention dans le développement,
qui doit certaines de ses propriétés au fait qu'il est «alternatif».
En quelque sorte on pourrait
affirmer qu'il y a toujours eu du
développement local, c'est-à-dire
des pratiques locales de développement, et même d'intervention
sur le développement, et que
toujours des élites ont cherché à
orienter le devenir économique de
l'espace où elles étaient. Mais ces
pratiques locales — sans doute
aussi réelles dans le passé qu'aujourd'hui — n'ont pas exactement
le même sens et la même portée
selon le statut qu'on leur donne
dans le vaste champ des pratiques de développement; elles
sont vues autrement à partir du
moment où s'installent des politiques nationales de développement régional, et encore d'une
manière différente quand celles-ci
sont mises en question. Ce statut
des pratiques locales, c'est aussi
bien un degré de légitimité qu'un
poids politique ou des moyens
financiers dont elles peuvent disposer, tous facteurs qui peuvent
d'ailleurs conditionner leur efficacité.
Il est en effet pertinent, ici
autant que dans d'autres secteurs
de la vie sociale, de rappeler cette
réalité sociologique qui veut que
toute politique doit une partie de
son efficacité au fait qu'elle constitue un discours performatif, un
discours qui se réalise au moins
en partie parce que, émanant
d'une autorité reconnue, il détermine le comportement des acteurs et s'accompagne de mesures symboliques, juridiques,
pratiques et économiques qui
tendent à faire agir les individus et
les groupes dans un sens déterminé. En insistant sur cette dimension du discours de développement, je ne veux aucunement
me placer en opposition aux
théories (plus directement écono-
miques) qui interprètent ces modèles de développement en les
rapportant aux fonctions économiques qu'elles remplissent (que
d'autres appellent des fonctions
de régulation sociale et économique). Ces théories, pertinentes et
fécondes, risquent cependant de
ne pas saisir avec assez de
finesse les médiations sociales et
politiques du développement, oubliant notamment que le développement ne se fait pas de la même
manière quand il est l'objet d'une
intervention plus ou moins volontariste, et non plus le seul effet
des mécanismes « spontanés »
des structures ou des marchés.
Surtout, il importe ici de mettre en
avant la perspective selon laquelle les modèles et leur efficacité ne résultent pas mécaniquement des fonctions qu'ils peuvent
remplir, mais sont générés par
une lutte, par des rapports de
force entre des groupes qui entrent en concurrence pour imposer leur représentation de ce
qu'est le développement, soit finalement de ce qu'est le devenir
social.
Ces hypothèses de travail, qui
se concrétisent dans la suite du
texte, nous semblent imposer une
triple analyse, ou trois démarches
complémentaires :
— d'abord, il est important de
comprendre quel est l'enjeu qui
donne sens à cette opposition dont
le local est un terme, de comprendre quelles sont les positions qui
s'affrontent, et comment elles s'expriment et se font stratégies ;
— ensuite, il faut se demander
ce que peut révéler et ce que
révèle déjà la pratique du développement local, compte tenu de
la position et du point de vue
qu'on adopte sur lui ;
— enfin, il faut s'interroger sur
les facteurs divers qui, dans le
champ du développement, comme
dans le champ économique ou plus
largement dans le champ social,
peuvent expliquer les changements
en cours et donnent un sens et
une efficacité relative aux « nouveaux modèles».
En suivant cette triple démarche, j'espère éviter trois biais
qui pèsent, me semble-t-il, sur la
réflexion. Le premier consisterait à
réifier le développement local en le
considérant comme un objet donné
(négligé mais intemporel), alors
qu'il doit sa réalité actuelle au fait
qu'il procède d'un discours et d'une
stratégie : quoi qu'il en soit des
pratiques locales, il y a bien
nouveauté à partir du moment où
un modèle se présente comme
alternatif. D'autre part il faut éviter
de ne centrer l'observation que sur
des pratiques qui se donnent à voir
sous le label du développement
local, d'une part en essayant de
voir ce qu'elles peuvent avoir de
commun avec d'autres pratiques
qui ne sont pas codées comme
telles, d'autre part en examinant
quel est le rapport entre la représentation et la pratique du développement local, et comment certains
acteurs peuvent s'en servir. Enfin, il
semble pertinent de retourner l'analyse vers les facteurs englobants
qui peuvent expliquer ces modèles
et ces stratégies, en se demandant
comment celles-ci sont possibles et
peuvent s'harmoniser avec des
processus globaux de transformation du champ social et de l'espace.
L'envers du développement
régional
En Belgique et plus spécialement en Wallonie, le développe-
ment local se définit en effet
d'abord par la différence qu'il
cherche à établir avec l'ensemble
des institutions qui gèrent le
développement régional, institutions multiples qui ont été mises
en place au cours des années
soixante à la suite des réflexions
et des revendications des années
cinquante. Ces institutions, ce
sont avant tout celles qui gèrent le
développement économique et
celles qui gèrent l'aménagement
du territoire. Elles forment
aujourd'hui un réseau qui couvre
l'ensemble de la région et trouvent leur base juridique dans les
lois d'expansion économique de
1959 et de 1960 et dans la loi
organique sur l'aménagement du
territoire de 1962. Leur structure
ne peut se comprendre sans une
brève description de l'espace régional.
L'espace national est évidemment déjà profondément divisé
entre les régions wallonne et flamande. La Wallonie commence à
prendre conscience du déclin relatif
des industries de base qui ont fait
l'expansion de ses bassins industriels (les deux pôles étant Liège et
Charleroi); on peut interpréter la
mise en place des institutions de
développement régional comme
une réponse à ce défi (face à une
Flandre en expansion, les responsables wallons s'inquiètent), mais
aussi aux revendications d'une
partie du mouvement ouvrier wallon (socialiste), qui exige des
« réformes de structure » et une
intervention directe de l'État dans
l'économie. À côté de ces bassins
industriels, il existe en Wallonie de
vastes zones rurales (périphériques) qui sont en plein changement technique, économique et
social. Les années cinquante
voient se développer des mouvements ruraux, catholiques d'inspiration (Mougenot et Mormont, 1988),
qui vont également revendiquer
une intervention publique, notamment un développement des équi-
pements sociaux et scolaires et
un aménagement « régional ».
Cette conjoncture spatiale et politique explique la forme que vont
prendre les institutions de développement régional.
Ces institutions vont en effet se
constituer comme des sociétés
« intercommunales » qui couvrent
tout ou partie d'une province (entité
administrative et politique) : ces
sociétés sont censées élaborer des
projets d'équipements et d'infrastructures pour la réalisation desquels elles obtiennent des moyens
financiers de l'État. Elles ont ceci
de particulier qu'opérant sur des
espaces assez vastes, elles ne
sont que formellement sous le
contrôle des communes, qui resteront jusqu'en 1976 de petites
entités dépourvues des moyens
d'exercer un réel pouvoir. Quant à
l'aménagement du territoire, il sera
géré par une institution centrale
chargée d'élaborer des plans de
secteurs (espaces sans signification administrative) que les communes peuvent amender à travers
un processus de consultation complexe et long. Par ailleurs, le
développement régional est aussi
le soutien que l'État apporte, dans
divers secteurs économiques, à la
mise en place de « structures » qui
rassemblent les professionnels
pour développer des stratégies
communes et diffuser l'information
et la formation : un exemple en est
la constitution des «fédérations
touristiques». Il s'ensuit deux caractéristiques fondamentales, à savoir que le développement régional
dont il s'agit est certes celui de la
région wallonne, mais qu'il est mis
en oeuvre par des institutions qui
correspondent à des sous-régions
et qui se superposent ou s'imposent aux formes traditionnelles du
pouvoir local, spécialement dans
les régions rurales.
Cet état de fait résulte d'un
rapport de forces spécifique qu'il
faut analyser. À l'échelle de la
Wallonie, la constitution d'une
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institution « régionale » de développement se heurte à plusieurs
obstacles : d'une part elle figurerait trop la constitution d'un pouvoir wallon face à l'État central,
d'autre part elle risquerait d'être
dominée par la famille socialiste;
cela heurte en particulier l'intérêt
politique de la droite et du parti
catholique, qui se pose en défenseur de l'autonomie locale (des
communes) et des régions rurales. Par ailleurs, et cela est tout
aussi important, la politique de
développement ne sera pas non
plus locale, et l'analyse de la
situation des régions rurales peut
aider à comprendre pourquoi.
Dans ces régions en effet, l'initiative ne vient pas des élites
locales, mais bien de mouvements volontaires (où les jeunes
et les femmes sont très actifs) et
d'organisations professionnelles
(agricoles). Alors que les pouvoirs
locaux sont immobilistes et cherchent à se protéger du progrès,
ces mouvements vont, sur la base
d'une analyse des besoins des
jeunes et sur fond de réaffirmation
d'une identité rurale forte (bien
que passéiste), réclamer des
moyens de développer leur village. Il faut bien comprendre que
les mouvements volontaires se
créent en fait pour donner une
réponse à des transformations en
cours : modernisation agricole,
exode rural, crise de l'artisanat,
tous phénomènes qui placent les
ruraux devant le choix entre un
passé condamné et un futur qu'ils
ne maîtrisent guère. Et leur
demande est avant tout de créer
des institutions « régionales »,
mais ils entendent par là des
institutions de coopération volontaire entre quelques communes
pour gérer des équipements communs; ces institutions devraient
demeurer sous le contrôle direct
des communes. Cette position,
fondée sur le souci de la « participation de tous » et sur une
approche plus sociale qu'économique, sera battue en brèche
pour deux raisons : d'une part, les
pouvoirs locaux ne prendront aucune initiative pour l'appuyer,
d'autre part, elle est soutenue par
les premiers sociologues ruraux
et s'oppose à la vision des
économistes et géographes-aménageurs, qui ont une légitimité
bien plus forte dans le monde
scientifique et social et peuvent
imposer une vision du développement qui s'appuie sur d'autres
références 3. Tout en appuyant de
leurs revendications la création de
nouvelles institutions, les mouvements ruraux, qui prônaient des
formules locales (c'est-à-dire à
l'échelle de petites régions où
l'interconnaissance existe), seront
ainsi pris en tenaille entre l'immobilisme des élites traditionnelles et
l'économisme des « spécialistes »
qui raisonnent à une autre échelle
et selon d'autres critères.
En effet, le développement
régional tel qu'il est pensé par les
spécialistes s'organise avant tout
sur une conception de la région
polarisée et de la professionnalisation sectorielle. Ce sont les
études sur les armatures urbaines
et les typologies de communes
basées sur la distribution sectorielle de l'emploi qui vont constituer les références théoriques
utilisées pour l'aménagement. Il
est cependant essentiel de voir ici
aussi que le développement régional ne s'institue pas en dehors
d'un rapport de forces spécifique,
car ni les découpages en « secteurs » des aménageurs, ni la
répartitionspatiale des intercommunales ne vont obéir aux conclusions des spécialistes. Ce qui
va se constituer, ce sont des
« sous-régions » de taille variable,
qui obéissent en fait à des
compromis politiques, et vont entrer en concurrence pour attirer
des investisseurs privés et obtenir
des financements publics pour les
infrastructures et équipements
qu'elles promeuvent. C'est là une
preuve de plus que le « développement régional » tel qu'il se
réalise n'obéit directement ni à
des impératifs économiques ni à
des théories, mais bien à un jeu
de concurrence. Je ne développerai pas ici le contenu de cette
politique de développement régional ni sa critique 4. Je veux plutôt
insister sur le fait que le « développement régional » constitue,
au début des années septante, un
« appareil » de lois, de pratiques,
d'institutions et de spécialistes qui
doit ses caractéristiques aux rapports de forces qui lui ont permis
de se développer. C'est par rapport à lui que le développement
local va se constituer progressivement dans le milieu des années
septante.
Au risque de tomber dans la
tautologie, je dirai que le premier
effet de l'institutionnalisation du
développement régional est de
monopoliser le « développement » et de contraindre à penser
le devenir à travers les catégories
qu'il utilise et réalise. La preuve
en est qu'une bonne partie des
actions politiques va simplement
consister à essayer de manipuler
l'« appareil » en fonction des positions et stratégies de chaque
acteur. Ainsi, l'action politique
communale va se développer en
direction des intercommunales et
des avantages qu'elles peuvent
procurer en équipements et en
infrastructures. De même, plus
largement, ce sera une stratégie
constante des régions les plus
rurales que d'obtenir des normes
particulières pour la création de
certains équipements pour lesquels des normes nationales ont
été fixées (par exemple une
bibliothèque centrale est allouée
pour 500 000 habitants, mais on
réclame la possibilité d'un tel
équipement pour chaque arrondissement rural). L'appareil de
développement régional organise
donc des luttes et des concurrences qui, par la reconnaissance
qu'elles donnent au développement et aux institutions qui l'assurent, légitiment et l'idée et l'appareil de développement régional.
Un autre effet du développement régional doit être souligné.
Si le développement régional vise
en principe à combler les inégalités de développement, et reconnaît donc des différences, il impose pourtant une vision homogénéisante de l'espace, continuum
qui va du plus au moins sur une
série de critères univoques (taux
d'emploi, niveaux de revenu, etc).
L'espace est hiérarchisé mais
sans spécificités, et le « développement » consiste en principe à
réduire les différences et à intégrer les régions les plus périphériques dans les champs de relations qui s'organisent à partir du
centre. Cette vision homogénéisante structure la perception de
l'espace et de chacun des espaces locaux en seule référence
à la centrante des villes : en effet,
si on reconnaît par exemple que
les caractéristiques paysagères
particularisent certaines zones rurales, c'est d'abord en fonction
d'un usage récréatif ou touristique
des populations urbaines. C'est
donc bien par l'intégration à un
réseau de relations avec les
centres que le développement est
rendu possible, et la concurrence
qui s'instaure entre les sous-régions porte sur l'accessibilité aux
facteurs dynamisants qui sont au
centre 5 . Cela explique l'impor-
tance qu'ont prise, dans les revendications des communes, les
infrastructures de communication
qui les relient au réseau urbain.
Le développement local apparaît au milieu des années septante, et il se présente d'abord
comme un projet de développement rural. Ses principales caractéristiques se définissent en opposition au « développement régional » institué. On peut les résumer
comme suit :
— la représentation de l'espace réintroduit l'idée d'une spécificité du rural, et pose donc que
l'espace est hétérogène, le rural
étant fait de collectivités locales
(sur le plan social) mais comportant aussi des spécificités culturelles (patrimoine) et écologiques
(environnement et ressources).
Le rapport à la ville est pensé
comme complémentarité de différences et non plus comme intégration ;
— la participation de la population est affirmée comme une
des clés du développement local,
en opposition aux institutions purement techniques qui gèrent le
développement; l'initiative individuelle et l'identité locale sont
définies comme des moteurs du
développement; par là, le développement local s'adresse plus au
citoyen qu'au professionnel ;
— la gestion, tant des collectivités publiques (les communes)
que des initiatives privées ou
associatives, occupe une place
centrale dans les priorités; elle
est souvent associée à l'utilisation
de technologies nouvelles qui
sont vues comme un moyen de
concilier la spécificité locale et le
développement;
— le partenariat est considéré
comme un mode privilégié pour
l'action, et il réunit le plus souvent
des initiatives privées et des
initiatives associatives, et des
collectivités locales et des partenaires divers, publics ou privés, à
l'échelle nationale (certaines ad-
ministrations centrales, des fondations privées, voire des institutions européennes) ;
— plus globalement, l'accent
est mis sur les ressources locales
à mobiliser plus que sur l'attrait à
exercer sur des investisseurs privés ou publics; l'idée d'une intégration locale des activités (c'està-dire de synergies, de complémentarités économiques et
sociales) est opposée à la spécialisation sectorielle.
Les terrains privilégiés par le
« développement local » sont précisément ceux qui sont délaissés
par les institutions dominantes :
c'est aussi bien la formation des
mandataires locaux (des petites
communes) que les problèmes
d'environnement ou l'aide aux
petites entreprises, ou encore les
actions qui visent à protéger et à
mettre en valeur des patrimoines
locaux (architecturaux, naturels...). Le développement local
s'élabore ainsi à la marge des
formes établies de gestion du
développement, et chacune de
ses caractéristiques peut être lue
comme leur envers. En fait, on
peut penser que le « développement local » prend forme à la fois
sur la base des contradictions et
des impasses du développement
institué, et sur la base de nouvelles préoccupations diffuses
dans la société globale, comme
l'intérêt pour le cadre de vie, pour
le patrimoine populaire et plus
généralement pour la campagne.
Ce faisant, le développement local forme progressivement un
quasi-corps de « professionnels »
qui sont appelés agents de développement : les agents interviennent comme intermédiaires entre
les acteurs locaux et les institutions, tirant leur légitimité de leur
compétence et de leur capacité
pratique de susciter des projets et
de les gérer.
On peut par conséquent voir le
« développement local » comme
une forme d'encadrement corn-
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plémentaire des institutions existantes (il fait ce qu'elles ne font
pas) ; mais c'est aussi une forme
concurrente d'encadrement, et
cela apparaît bien dans les luttes
qui l'opposent aux institutions
quand il s'agit de gérer des
programmes comme ceux qui
sont développés par la CEE en
faveur des régions rurales défavorisées, ou plus généralement un
ensemble de programmes étatiques développés au cours des
années pour lutter contre les
effets de la crise économique. Et
cela permet de suggérer que
l'opposition entre développement
local et formes instituées de
développement régional traverse
aussi le champ des institutions
régionales, nationales et européennes. On peut faire l'hypothèse que le « développement
local » trouve une de ses conditions d'émergence précisément
dans le fait qu'un certain nombre
d'actions nouvelles des pouvoirs
publics vont à sa rencontre : ce
sont généralement des actions
plus ponctuelles, définies en
termes d'objectifs et non d'administration, plus limitées dans le
temps ou l'espace et visant à
résoudre des problèmes spatialement mieux circonscrits. Il peut
s'agir par exemple d'un programme de formation de jeunes
entrepreneurs, ou de la mise en
place d'un parc naturel régional,
ou encore d'efforts pour susciter
des projets « alternatifs » de dé-
veloppement agricole... Je fais
donc ici l'hypothèse que le « développement local » se constitue
parce qu'il offre un outil adapté à
certaines formes relativement
nouvelles d'intervention publique
dans un contexte de crise et de
plus grande incertitude 6. Le « développement local » s'appuierait
en fait sur un clivage (caché) à
l'intérieur même des pouvoirs
publics, clivage qui opposerait les
tenants des modes d'encadrement traditionnels et les défenseurs de nouvelles formes, plus
légères, moins coûteuses, plus
efficaces et plus partenariales
d'intervention de la puissance
publique dans le développement
et plus généralement dans la vie
sociale.
Si tel est bien l'enjeu (caché,
répétons-le) du développement
local, on peut comprendre qu'il en
existe différentes interprétations,
ou différentes représentations
concurrentes.
Experts et agents du
développement local
Il est intéressant de constater
que le développement régional,
tel qu'il est institué dans la plupart
des pays développés, fait l'objet
d'une critique ou d'une « réévaluation » progressive au cours
des années septante. C'est spécialement à l'Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) que nous
nous intéressons, pour noter que
cette institution, qui ne dispose
d'aucun pouvoir formel sur les
pays membres mais fait plutôt
office de club et de bureau
d'études, développe au cours de
ces années une réflexion de plus
en plus critique sur les politiques
de développement régional (OCDÉ, 1974, 1977a, 1977b, 1979).
La démarche des experts de
l'OCDE ne met aucunement en
cause la légitimité des politiques
de développement régional, elle
tâche plus simplement d'en évaluer l'efficacité, de les rapporter
au nouveau contexte (de crise) et
de suggérer des mesures plus
fines et plus appropriées. La
réflexion abordera directement en
1979 le problème des stimulants
à l'industrie, problème difficile
puisqu'il s'agit de la pierre d'angle
de la plupart des politiques régionales, et de la principale justification des institutions existantes.
Néanmoins nous avons attiré l'attention
sur quelques-uns des dangers que peuvent comporter les stimulants : non seulement, ils n'aboutissent pas toujours aux
résultats escomptés, mais ils risquent en
outre d'encourager l'inefficacité, de stimuler le développement sous des formes
moins bien adaptées aux besoins des diverses régions, de rendre celles-ci tributaires à long terme de ce genre de mesures et de réduire leurs possibilités de
parvenir à une croissance autonome, alimentée par les entreprises locales et externes, et de susciter ainsi une rivalité et
des surenchères à l'échelon international
(OCDE, 1974).
Dans ces conditions, il paraît particulièrement important, à court terme, notamment
pour les régions qui connaissent les problèmes les plus graves, de renforcer les
politiques tendant à encourager le développement à partir des possibilités, des
ressources, des compétences et des entreprises locales, en prévoyant sur place
des programmes de formation et de recyclage de grande envergure, plutôt que de
faire fond sur des transferts importants
d'activités industrielles venus d'autres régions (OCDE, 1977b).
L'analyse des experts de
l'OCDE repose à la fois sur un
doute voilé à propos de l'efficacité
des politiques habituelles (qui
sont peu sélectives) et sur des
constats « réalistes » tels l'affaiblissement des moyens financiers
disponibles et l'effet de la crise,
qui augmente le nombre de régions à problèmes et pousse les
Etats à des politiques plus sectorielles. Elle débouche finalement
sur une série de propositions
modérées où il est difficile de ne
pas voir l'amorce d'une politique
de développement local. Pour
l'OCDE, en effet, une telle politique (que les acteurs n'appellent
pas locale, car ils sont plutôt des
réformistes du développement régional) consiste en plusieurs éléments : analyse plus précise de
la situation des régions et définition d'une stratégie propre (et non
plus seulement de mesures générales applicables à toutes les
régions en retard ou en déclin),
appui sur les ressources propres
des régions. L'OCDE invite donc
à revoir les politiques régionales
dans un sens qui fait de chaque
région un espace spécifique, bref
ce qu'on peut appeler un espace
local, si on entend par là un
espace que l'on considère en
accentuant les caractéristiques et
les relations qui lui sont spécifiques et non plus seulement en
tenant compte de sa place dans
une hiérarchie définie par des
critères généraux ou abstraits.
En regardant ainsi du côté des
experts de la gestion du développement, on peut faire l'hypothèse
que le « développement local »
trouve aussi sa source dans une
reconsidération des formes dominantes de gestion du développement. En Wallonie, c'est à l'occasion de la régionalisation de l'État,
qui transfère aux régions la plupart des composantes du développement régional et de l'aménagement du territoire, que cette
reconsidération se fait jour, débouchant sur des projets dont
l'avenir est encore incertain mais
qui vont dans le même sens d'une
place à faire au développement
local.
Ainsi, en matière d'aménagement du territoire, un projet de
plan régional verra le jour qui
reconnaît la différence entre des
régions urbaines, marquées par
l'industrialisation — et qui ont à
faire face à des problèmes de
reconversion — et des régions
rurales qui possèdent leur spécificité : le plan prévoit une plus
grande autonomie de chacun des
types d'espace en vue d'un aménagement qui n'est plus exclusivement centré sur l'intégration à
un réseau urbain mais qui envisage une mise en valeur par
chacune des sous-régions de ses
propres atouts. Ce projet reste en
suspens, mais d'ores et déjà on
assiste à une décentralisation de
l'aménagement vers les pouvoirs
locaux, qui, sous condition notamment de l'existence d'une forme
de consultation de la population,
se voient reconnaître le droit de
planifier leur propre espace.
Dans le champ du développement économique, il n'est pas
inutile de rappeler que les politiques européennes tendent à aller
dans le même sens, notamment à
travers la réalisation de programmes de développement intégré 7. Très récemment, la Commission des communautés européennes a décidé de restructurer
les trois fonds principaux qui
peuvent agir en matière de développement — fonds agricole,
fonds de développement régional
et fonds social 8 — en créant une
direction de coordination, mais
surtout en faisant en sorte qu'un
programme de développement
puisse (ou doive) désormais recourir simultanément à l'action
des trois. La procédure mise en
place joue sur l'initiative des
régions, qui doivent proposer un
projet global à partir duquel une
négociation s'engagera « entre
partenaires ». Il semble bien
qu'une tendance fondamentale de
la réforme consiste à concevoir le
développement comme un développement local : la réalisation de
ces plans de développement
passe en effet par la mise en
place d'institutions nouvelles (provisoires) chargées de générer des
projets de développement avec
les acteurs économiques locaux,
qui doivent coordonner sur le plan
local l'action de tous les acteurs
publics et privés.
Dans le domaine rural, que
nous privilégions dans cette analyse, l'OCDE se signale à nouveau en 1986 et en 1988 par des
travaux qui concernent la « politique rurale » et appliquent au
développement rural les perspectives amorcées dans la réévaluation des politiques régionales. Le
premier document conclut par
quatre recommandations (OCDE,
1986) : renforcement de la gestion locale, développement de
l'aptitude à diriger, et coordination
et perfectionnement de la gestion
publique rurale au niveau central
(ce qui sous-entend la nécessité
de nouvelles institutions). Enfin, le
document plus élaboré de 1988
se termine par le souhait de voir
se développer :
— une approche intégrée et territoriale [...]
— un élargissement des types d'acteurs
appelés à participer [ou] une plus large
participation aux décisions
— une répartition différente des tâches [...]
— une coopération pragmatique entre
secteurs privés et publics (OCDE, 1988).
Toute la philosophie économique du développement local se
trouve résumée dans ces documents, et il est important de noter
qu'alors que les réflexions des
experts sur le développement
régional s'attaquaient plutôt à la
lourdeur, au coût et à l'inefficacité
des politiques régionales, les réflexions sur les politiques rurales
s'attaquent plus directement au
caractère sectoriel et centralisé
des politiques. Ainsi est-il clair
que, derrière le langage euphémisé des experts (qui parlent de « la
prédominance traditionnelle de
certains secteurs » ou se situent
« par opposition aux approches
Revue internationale d'action communautaire
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Le local convié au développement
158
traditionnelles sectorielles ou sociales »), il faut lire une critique
nette du poids trop important des
intérêts agricoles jugés explicitement «corporatistes». A cet
égard d'ailleurs, il est clair que le
souci du développement rural va
tout à fait de pair avec une
volonté de revoir radicalement la
politique agricole dans le sens
d'une moindre intervention financière des États.
Tout cela confirme notre hypothèse selon laquelle le développement local trouve une place et
une certaine légitimité à la fois
dans un discours dominant qui
critique les politiques actuelles et
dans les pratiques expérimentales lancées par certains acteurs
nouveaux (qu'il s'agisse d'acteurs
transnationaux comme la CEE, en
Europe, ou d'acteurs régionaux)
au détriment des institutions traditionnelles de gestion du développement. La perspective reste
certainement celle du développement économique, mais il y a une
redéfinition profonde, à la fois de
l'espace (du statut de la région),
du mode d'action de la puissance
publique et des acteurs du développement.
Eu égard à l'espace, il ne
semble plus y avoir d'échelle
unique de perception des différences spatiales qui classerait les
régions sur un continuum. Au
contraire, l'espace dont il est
question est diversifié, sujet à des
transformations diverses (exode
rural mais aussi migration de la
ville vers la campagne par exemple), et il est suggéré de prendre
en compte au mieux les ressources et avantages propres à
chacun. Chaque région devient
ainsi un espace local autant
qu'une partie d'un espace économique plus vaste.
Le mode d'action de l'État ou
plus exactement des pouvoirs
publics est défini de manière plus
humble; leur rôle est incitatif, ils
remplissent une fonction de coordination et agissent en partenaire
pragmatique. Surtout, peut-être,
on envisage de plus en plus d'agir
par des programmes ad hoc, qui
demandent réponse et initiative
locales, plutôt que par des incitatifs généraux ou des réglementations globales. La logique est
celle du projet plutôt que celle de
la règle.
Enfin, on peut noter une dévalorisation systématique de tout ce qui
est sectoriel, et par là aussi bien
des administrations centrales que
des «corporations» qui représentent traditionnellement les groupes
professionnels (les agriculteurs notamment) face à l'État et dans
l'État. L'appel au partenariat, à
l'action territoriale peut être vue
aussi comme une manière de
contrebalancer ces pouvoirs établis.
Tous ces éléments conduisent
à faire l'hypothèse qu'à travers
cette réflexion réformiste sur le
développement « local », c'est un
autre mode d'intervention du pouvoir étatique dans le développement qui s'élabore.
À l'autre bout de la chaîne, il
faut interroger aussi le discours
des praticiens du développement
local.
Les pratiques de développement qui se donnent comme « de
développement local » reposent
en effet sur une tout autre perception du phénomène. Si le discours
des experts reste articulé essentiellement sur le souci du dévelop-
pement économique et sur la
préoccupation d'équilibrer le développement des régions (fondements traditionnels du développement régional), et si sa critique se
réfère d'abord à une préoccupation d'efficacité, celui des acteurs
du développement local cherche
ailleurs sa légitimité et ses critères. Pour eux, le développement local, c'est à la fois, avec
des accents différents selon les
moments et les acteurs,
— une question de démocratie, en ce sens que les institutions
établies tendent à confisquer les
choix et à imposer leur propre
vision du développement.
— une question de culture
donc, puisque les modèles traditionnels de développement conduisent à imposer des formes
culturelles exogènes, que ce soit
en matière de consommation, de
mode de vie ou de cadre de vie,
au mépris des identités culturelles;
— une question sociale, en ce
sens qu'il s'agit aussi de favoriser
la participation à la vie sociale et
de lutter contre les exclusions que
produit le système économique,
mais aussi l'ensemble du système
social. Dans le discours de ses
promoteurs, sur le terrain, le
développement local est davantage un projet de société qu'un
strict projet économique.
Il n'est pas nécessaire de
montrer combien les projets de
développement local, même s'ils
sont beaucoup plus empreints
de préoccupations démocratiques et de visées sociales ou
culturelles, convergent avec le
discours des experts de l'OCDE,
surtout si on les situe par rapport
aux formes instituées du développement régional. Aux critiques euphémisées et techniciennes des experts répondent
sur le terrain des initiatives
locales et des conflits qui opposent les promoteurs du développement local aux institutions,
d'autant plus que ces promoteurs
entretiennent des connivences
avec les mouvements d'opposition qui mettent en cause les
effets négatifs du développement
institué, groupes de naturalistes
ou d'écologistes notamment, qui
luttent contre des implantations
touristiques ou industrielles ou
stigmatisent les impacts négatifs
de certains grands projets d'infrastructures. Ainsi s'esquisse un
champ particulier qui est celui de
la gestion du développement,
champ qui s'organiserait autour
de trois pôles : le premier pôle
seraitconstitué par les institutions
traditionnelles du développement
régional, qui continuent à agir
dans une logique d'attraction des
investissements publics et privés ;
un deuxième pôle serait formé
des experts, critiques du développement régional qui, au nom des
objectifs du développement régional, cherchent à trouver des
formes d'intervention plus efficaces et moins coûteuses et à les
imposer à travers les réformes
diverses de l'action de l'État
(régionalisation, décentralisation,
supranationalisation),cesexperts
pouvant d'ailleurs aussi servir de
conseillers pour les expériences
menées par les promoteurs du
développement local ; ceux-ci, qui
forment le troisième pôle, s'appuient sur une critique plus générale du développement et se
légitiment par un discours plus
politique et social mais sans
idéologie politique claire ou explicite. On peut cependant se demander si cette convergence est
bien réelle, ou s'il s'agit plus
simplement d'une critique commune des institutions en place à
partir de point de vue différents.
Toutefois, le développement
local n'est pas seulement un
discours; c'est davantage une
pratique qu'il faut interroger pour
ce qu'elle fait plus que pour ce
qu'elle dit. Et il nous semble
pertinent d'observer non pas dans
quelle mesure la pratique serait
conforme au discours, mais ce
que révèle en fait la pratique
quant à la réalité de l'espace et du
développement.
La pratique du
développement local
Les pratiques de développement local nous paraissent en
effet devoir être interrogées non
pas sur ce qu'elles disent mais
sur ce qu'elles font et révèlent par
leur action. On les considère alors
moins comme un mouvement
social qui opère ou vise des
transformations, que comme la
mise en forme de réalités sociales, leur figuration et leur organisation, dans un contexte en
transformation. Si on observe en
effet ces pratiques, il est important
de les analyser non pas comme
des réalisations de leur idéal
proclamé, mais comme la mise en
oeuvre de nouveaux champs de
relations, qui sont encore peu
institutionnalisés généralement,
mais qui agissent comme des
agents de changement. Et nous
nous interrogerons ici sur quelques aspects qui paraissent significatifs de ce que fait le développement local.
On peut commencer par le
rapport à l'espace. Et il faut
d'abord distinguer entre représentation et pratique de l'espace. Par
représentation, j'entends la manière dont les acteurs se réfèrent
à un type d'organisation de l'espace, alors que leur pratique peut
être différente, en décalage par
rapport à l'idée qu'ils se font.
Ainsi, dans les années cinquante,
les mouvements ruraux se référaient explicitement à une organisation de l'espace où s'opposaient la ville et la campagne, et
où le village constituait l'espace
de référence et l'espace d'action
privilégié. Pourtant, dans leur action et leur organisation, ils vont
en fait pratiquer la région : c'est à
cette échelle que leurs organisations vont fonctionner et surtout
développer des projets et des
revendications d'aménagement et
de développement des services
publics. Progressivement ils se
feront d'ailleurs les défenseurs
des petites régions. Cet exemple
donne à penser que les acteurs
peuvent très bien se référer à une
représentation de l'espace, parce
qu'elle légitime leur action, et agir
en fonction d'une autre organisation de l'espace. Et nous ferions
volontiers l'hypothèse que si l'image de référence du développement local est celle du territoire,
de la collectivité territoriale (voire
de la communauté), bref du local
au sens traditionnel, la pratique
de l'espace est en fait une
pratique spécifique qui n'obéit ni
au modèle territorial, ni au modèle
hiérarchisé du développement régional. L'espace du développeur
local, celui de l'agent de développement, est un espace qu'il est
difficile de décrire dans les termes
habituels de la description spatiale. Il apparaît comme une
multiplicité d'espaces enchevêtrés, et l'action du développeur
consiste précisément à mettre en
relation des points qui ne sont
connectés ni par des proximités
sectorielles, ni par des proximités
géographiques, ni par des proximités institutionnelles, ni même
par des proximités de réseau au
sens traditionnel de relations entre des acteurs ayant des préoccupations ou des intérêts communs dans des espaces géogra-
Revue internationale d'action communautaire
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Le local convié au développement
160
phiques différents. Chaque projet
de développement consiste à
construire ces relations en fonction d'un objectif précis. Ainsi un
projet de tourisme alternatif cherchera-t-il à mettre en relation un
espace local qui dispose de
ressources (site, bien immobilier)
avec une demande spécifique
localisée ailleurs, mais aussi avec
tous ceux qui peuvent fournir les
éléments nécessaires à sa réalisation (fournisseurs de capital, de
techniques, de main-d'œuvre
qualifiée, etc). L'espace n'a donc
pas de coordonnées précises;
cela explique la difficulté de le
nommer, dont témoigne l'emploi
de termes comme méso-espace
ou réseau, qui oscillent continuellement entre une représentation
territoriale et une représentation
sectorielle, toutes deux dépassées par la pratique.
La pratique de l'espace
qu'instaure le « développement
local » s'oppose aussi bien à la
vision hiérarchisée des régions
et des pôles du développement
régional qu'à la vision étroite
d'un espace local fermé sur
lui-même (sur ses ressources
propres, ses relations internes).
Celle-ci conserve néanmoins
une force de légitimation très
grande parce quelle récite une
série de connotations symboliques qui renvoient tantôt au
passé (la communauté rurale),
tantôt à l'idée d'autonomie, tantôt à une vision « écologiste » du
milieu : elle est donc efficace pour
mettre en doute la représentation
hiérarchisée qui est instituée.
Mais l'espace réel du développement local est autre. Il s'agit d'un
espace qui a de multiples pôles,
de multiples centres, et où l'essentiel est la mobilité qui permet
de les relier, indépendamment
des questions de distance ou
d'organisation instituée. Le développement local prend finalement
acte du fait que, dans beaucoup
de domaines, la distance n'est
plus un obstacle à la communication ni à l'échange. Il prend
également acte sans doute du fait
que l'espace est de moins en
moins vécu, pratiquement, sur le
mode d'une série d'espaces
concentriques superposés : l'espace rural est d'ailleurs utilisé
réellement par une pluralité de
groupes ou de catégories pour qui
il est un espace parmi d'autres
plus qu'un espace d'appartenance ; ou alors il représente une
appartenance parmi d'autres. Il
existe d'ailleurs une affinité entre
la trajectoire des agents de développement et leur manière de
pratiquer l'espace : les agents de
développement, dès qu'ils accèdent à un statut professionnel,
sont des gens très mobiles qui
peuvent passer d'une région à
l'autre et d'un secteur d'activité à
un autre, au gré des opportunités
d'un marché du travail très fluide.
l'espace local. Ce qui constitue
l'espace local, ce n'est pas l'existence d'enjeux locaux comme
dans la collectivité traditionnelle,
où la propriété constitue le point
clé autour duquel s'organisent les
rapports sociaux et les conflits, et
dont le mode de gestion définit les
caractéristiques de chaque localité. Ce n'est plus non plus la
position d'un espace dans un
réseau de pôles reliés de manière
hiérarchique par des flux, et où
chaque espace local se définit par
sa place, ses avantages comparatifs et surtout ses relations
fonctionnelles. Ce qui constitue la
nouvelle localité, ce sont des
liaisons diverses avec des
champs de relations qui permettent de valoriser telle composante
locale sans nécessairement passer par un réseau sectoriel ou par
un réseau spatial. Ce que cherchent finalement à créer les
agents de développement en chaque expériences, ce sont des
réseaux de proximité. Mais il
s'agit d'une proximité qui n'est ni
complètement
géographique
(même si elle incorpore encore
des groupes définis par la géographie) ni sectorielle ou professionnelle : les formes de proximité
sont définies par le projet, c'est-àdire par la conception d'un produit
spécifique, par l'usage d'une
technique particulière, voire par le
mode de vie.
Le territorial, l'espace local
n'est pourtant pas absent de leur
pratique. Mais ce rapport à l'espace constitue en fait le territoire
d'une manière particulière. Le
territoire est en effet un espace
local dont il faut avant tout
mobiliser les ressources inemployées, que ces ressources
soient naturelles ou autres. Aussi
peut-il y avoir autant de territoires
locaux qu'il y a de projets potentiels et de ressources à utiliser.
C'est dans ce sens qu'on peut
dire que le développement local
est aussi la mise en marché de
Cette pratique de l'espace
nous paraît correspondre à une
réelle transformation de l'espace
social et économique. On a assez
souligné la mobilité croissante
des entreprises industrielles, en la
désignant comme un phénomène
de délocalisation. On a beaucoup
moins remarqué que le développement des services et les transformations internes à l'industrie
elle-même avaient pour effet d'incorporer une part de plus en plus
grande de capital culturel (de
savoirs, de savoir-faire, de compétence relationnelle) dans l'en-
semble des activités économiques. Or, une des propriétés du
capital culturel est d'être en
bonne partie indissociable des
individus, mais par contre d'avoir
un coût de mobilité relativement
faible. Simultanément, l'accroissement continuel du niveau d'instruction projette sur le marché
une quantité toujours croissante
d'individus dotés de compétences
de ce type. Ces conditions nous
paraissent celles de l'émergence
d'un autre rapport à l'espace, que
préfigure la pratique de l'espace
du «développement local», car
elles accentuent le décrochage
(Giddens, 1987 : 173-200) entre
espace et entité sociale.
En effet, et c'est le deuxième
aspect que nous voulons souligner, le développement local instaure le local comme une entité
ou comme un micro-univers qu'il
est nécessaire de mettre en
mouvement pour « faire du développement». Ce qui importe au
développement local, dans le territoire comme dans le groupe
local, ce sont les potentialités qui
sont offertes par les relations
locales pour produire des effets
favorables au projet de développement. Il en découle une importance spéciale accordée aux spécificités locales comme aux relations locales, et aussi un refus
systématique de prendre en
compte les définitions professionnelles ou sectorielles. Ainsi sont
remis au goût du jour, et la plupart
du temps de façon non délibérée,
des phénomènes comme les externalités diverses qui peuvent
être produites par la proximité
spatiale, les échanges face-àface, l'économie souterraine ou
encore la pluriactivité, tous facteurs qui permettent de générer à
bon compte des avantages spécifiques.
Cette perspective — qui s'exprime le plus souvent à travers
une critique de la sectorialisation
de l'action publique — met en
évidence une réalité qui a été
assez largement sous-estimée
par le développement régional, et
surtout occultée par son souci de
construire des secteurs économiques et professionnels. Or, ce qui
est affirmé par le « développement local », c'est qu'on peut agir
par les relations « locales » entre
divers secteurs de l'activité économique, mais aussi entre activités économiques et non économiques. Un exemple très simple
pourrait être l'adaptation d'activités d'enseignement aux besoins
« locaux » ou de l'économie locale ou encore d'un projet de
développement. Le local se
trouve réinstauré comme lieu d'intervention spécifique à partir du
moment où on se rend compte
que la gestion centralisée est peu
efficace et qu'il est possible d'obtenir des effets de développement
en essayant de combiner des
éléments de l'économie, de la vie
sociale, voire de la culture dans
un projet local. W. Stôhr (1986) va
exactement dans ce sens quand,
passant en revue toute une série
d'études sur les conditions de
l'innovation, il insiste sur le fait
que chacun des facteurs envisagés (notamment les institutions de
recherche, les centres de services
aux entreprises et le cadre de vie)
n'est pas, pris isolément, un
véritable facteur d'innovation,
mais que c'est l'interaction « locale » de ces éléments qui constitue le facteur clé. On pourrait se
demander, à cet égard, quelles
sont les stratégies des grandes
firmes, notamment multinationales, qui cherchent à produire de
l'innovation en leur sein, c'est-àdire se demander quelles sont les
stratégies de localisation et de
gestion interne et externe qui leur
permettent de produire pareilles
interactions à leur avantage. Que
l'on partage ou non l'optimisme
du « développement local », il est
néanmoins verifiable, je pense,
qu'il existe effectivement des
marges de manœuvre au plan
« local » qui permettent à des
individus ou à des groupes porteurs d'un projet de développement de jouer des synergies
locales, et que cela se révèle
souvent plus efficace que de
tenter d'agir pour modifier les
règles reconnues au niveau de
l'État, ou les instituions centralisées. Le local se trouve donc
remis en valeur par l'analyse
économique elle-même, mais
comme lieu d'harmonisation des
« facteurs » sociaux, économiques, culturels et institutionnels
en fonction d'un projet de développement : vu sous cet angle,
l'enjeu devient bien celui de la
conception du projet de développement, la question celle de
savoir qui maîtrise le projet de
développement local. L'observation des pratiques tendrait en effet
à montrer que l'acteur du développement local, ce n'est jamais
la communauté locale dans son
ensemble, ni les porte-parole officiels de telle ou telle profession
ou d'un secteur déterminé. Ce ne
sont pas toujours non plus les
plus marginalisés. Ce sont plutôt
des groupes particuliers où se
mêlent souvent des gens venus
de l'extérieur, des jeunes, des
individus ou groupes porteurs de
propositions alternatives, et des
agents économiques quelque peu
en marge des réseaux professionnels établis. Il y a donc dans tout
projet de développement local un
travail de construction d'un nouveau groupe, de définition d'un
problème spécifique, voire de
redécoupage de l'espace en fonction d'une stratégie implicite.
À cet égard la pratique du
développement local est ambiguë. Comme le montre l'expérience de certains programmes
européens 9 , le développement
local est presque nécessairement
amené à contourner les structures
représentatives existantes (qu'elles soient syndicales, profession-
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Le local convié au développement
162
nelles ou, parfois, administratives), et il peut être vu comme un
danger pour ces organisations de
défense qui sont rarement préoccupées d'innovation économique;
simultanément le développement
local doit chercher des fractions
susceptibles d'entreprendre, et
donc souvent s'adresser à des
groupes marginalisés ou à des
acteurs extérieurs. Dans le cas du
développement agricole, il s'agira
par exemple d'agriculteurs jeunes
ou d'agriculteurs en difficulté, qui
peuvent vouloir innover, ou alors
de « néo-ruraux » qui cherchent à
s'établir dans l'agriculture par le
biais de productions ou de techniques nouvelles. Le développement local constitue donc souvent
une sorte d'entreprise de subversion des structures représentatives établies, via une alliance
implicite entre des développeurs
commandités par un pouvoir quelconque et des acteurs qui sont à
la marge des organisations et des
modèles établis.
On peut donc voir dans les
pratiques de développement local
aussi bien des entreprises de
promotion de nouvelles fractions
d'entrepreneurs et d'agents d'encadement que des entreprises de
défense de groupes en voie de
marginalisation ou d'espaces défavorisés : à nouveau, la convergence des acteurs n'est pas
nécessairement une communauté
d'intérêts ou d'objectifs.
Un troisième phénomène qui
me paraît révélé par la pratique
du développement local est qu'on
ne peut comprendre les pratiques
économiques seulement en leur
appliquant une lecture économique. Cela devrait paraître évident
à tout sociologue, mais il suffit de
constater la pauvreté de la littérature réellement sociologique sur
les indépendants et les entrepreneurs individuels 10 pour voir à
quel point on abandonné tout un
pan de l'activité économique à
une réflexion exclusivement économique voire idéologique. Or, et
les pratiques de développement
local le revendiquent aussi, l'action économique et surtout l'initiative économique obéissent à
d'autres mobiles, et il n'est pas
possible de réduire le dynamisme
des agents économiques à un
raisonnement comptable. Ce dynamisme peut aussi bien s'enraciner dans des traditions que
dans des projets alternatifs, dans
une préférence pour un endroit
ou pour un mode de vie. Beaucoup d'initiatives économiques
individuelles sont sans doute
souvent des pratiques de résistance : on prend une initiative
pour échapper à l'exode, au
chômage, au travail répétitif, ou
que sais-je encore; mais même
de simple résistance, ces pratiques ne sont pas insignifiantes.
Elles ont en tout cas en commun
de ne pouvoir s'analyser et se
comprendre que par le recours à
une analyse des identités des
acteurs, ou des ruptures que les
agents économiques cherchent à
faire avec les identités imposées
auxquelles ils ne peuvent ou ne
veulent plus se soumettre. C'est
bien ce qui se passe dans les
régions marginales quand des
agriculteurs essaient de rompre
avec les réseaux économiques et
sociaux d'encadrement agricole
et de redévelopper des activités
de transformation et de commercialisation directe, ou des activi-
tés qui combinent agriculture,
tourisme et autres services (Gerbaux et autres, 1989). Cette
réintroduction de l'identité sociale
dans l'analyse du développement
conduit sans doute certains à un
culturalisme idéaliste, mais il y a
là un vaste champ de recherche
relativement vierge, qui est celui
des déterminants sociaux et culturels des pratiques économiques.
À cet égard, la situation européenne a peut-être en propre que
l'intégration européenne constitue
dans les années quatre-vingt un
vaste processus de redéfinition
identitaire : non seulement l'identité européenne s'affirme au détriment des nations, et en essayant
de s'appuyer sur des entités
régionales, mais cette identité se
construit autour de l'idée de
développement. C'est en quelque
sorte l'entreprise « Europe » qui
cherche à se donner une culture
d'entreprise et à se lier à de
nouveaux groupements territoriaux mais aussi professionnels 11
et sociaux, avec l'avènement
d'une sorte d'élite européenne,
mobile, multilingue et agissant en
dehors des structures établies,
encore très liées aux États nationaux.
Un espace qui, pour être réel,
n'est ni géographique ni professionnel, un local réinstauré
comme lieu d'intervention pertinent des développeurs et de leurs
stratégies, une redécouverte des
facteurs non économiques de
l'action économique et une redéfinition des identités sociales, telles
me paraissent être les principales
lignes de force qui sous-tendent
les pratiques de développement
local.
voir comme partenaire du développement, pourrait bien consister
finalement en une transformation
profonde de la manière dont on
voit l'espace social, de la représentation implicite du monde social.
Un développement local ou
plusieurs?
Dans cet article, j'ai essayé
d'indiquer certaines des conditions
dans lesquelles l'idée et la pratique
du « développement local » ont pu
apparaître. Partant de l'idée qu'il
serait aussi naïf de considérer
celui-ci comme un phénomène
insignifiant que d'y voir une rupture
radicale, j'ai voulu montrer que le
« développement local » acquiert
une signification sociale à partir
d'une critique sévère des politiques
régionales. Mais cette critique
émane aussi bien des experts du
développement politiquement patentés que de mouvements et
d'initiatives qui, à la base, affirment
promouvoir des « alternatives » : il
en résulte une rencontre apparemment providentielle d'intérêts et de
préoccupations qui font du local un
lieu pertinent d'intervention. Il y a
certainement des transformations
de l'espace économique qui le
permettent (mobilité), mais aussi
des transformations sociales et
idéologiques qui font du développement la référence de toute action
socio-politique et bousculent les
formes instituées de représentation, aussi bien professionnelles
que politiques, au profit de nouvelles instances de décision (notamment supra-nationales) et de
nouvelles catégories socio-professionnelles. Cette analyse conduit à
faire une hypothèse générale en
conclusion, à savoir que l'invitation
adressée au local, invitation à se
Comme le dit G. Allaire dans
ce numéro, le développement
local s'exprime plus en termes de
procédure qu'en termes de projet
de développement ayant un
contenu. C'est peut-être qu'au
stade actuel le développement
local a davantage un enjeu social
(et politique) qu'un réel enjeu
économique. Les politiques de
développement régional s'appuyaient sur une conception du
progrès où la croissance économique devait, avec l'arbitrage de I'
État, servir à la promotion des
régions et des groupes sociaux,
et où les partenaires n'étaient
autres que les organisations représentatives (sectorielles, sociales). De son côté, le « développement local » semble bien à la
fois généraliser l'idée de développement à tous les secteurs de la
vie sociale (voire culturelle) et
établir de nouvelles règles du jeu
où c'est l'initiative, le projet, la
coopération qui sont les mots clés
et où l'État apparaît comme un
acteur parmi d'autres, dont le
projet ne serait que de maximiser
au niveau global les effets positifs
de l'ensemble des actions locales.
Si le « développement local »
possède une unité, c'est d'abord
peut-être parce qu'il propose une
nouvelle vision du jeu social et
économique qui peut convenir à
la critique des politiques et institutions traditionnelles de développement régional. Et cette critique
peut aussi bien convenir — en ce
moment — à ceux qui estiment
que ces politiques sont trop coûteuses pour l'État, qu'à ceux qui
s'estiment négligés par le développement régional. Il en va de
même des pratiques de développement local, qui peuvent aussi
bien servir à la promotion d'acteurs économiques (et politiques)
nouveaux qu'à défendre localement des groupes ou des régions
en voie de marginalisation. Ces
questions me paraissent rejoindre
d'une certaine manière les interrogations fréquentes sur les risques
de dualisation qu'entraînerait une
généralisation des politiques de
développement local. Sans avoir
abordé directement cette question, j'espère avoir fait ressortir les
ambiguïtés du « développement
local » et indiqué que son contenu
peut avoir des sens différents
selon les acteurs qui le portent. Il
y a autant de formes de développement local qu'il y a de lieux d'où
on peut émettre aujourd'hui une
critique des politiques régionales.
Mais il existe aussi autant de
« développements locaux » qu'il y
a de réponses ébauchées à des
transformations de l'espace, du
pouvoir économique et du mode
de vie qui ne peuvent plus être
affrontées dans le cadre de ces
politiques établies.
Marc Mormont
Fondation universitaire
luxembourgeoise
Arlon, Belgique
Revue internationale d'action communautaire
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Le local convié au développement
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ternance pour les jeunes sous-scolarisés.
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Notes
1
Cet article a été rédigé à la suite d'une
discussion qui a rassemblé durant deux
jours la plupart des auteurs qui ont collaboré à ce numéro. C'est pourquoi on y
trouvera plusieurs références aux textes
présentés ici. Il ne s'agit pour autant ni
d'une synthèse, ni d'une réflexion qui
s'opposerait à ces textes, mais plutôt
d'une réflexion qui s'est enrichie d'une
discussion où se sont exprimés des
points de vue différents, souvent complémentaires et quelquefois divergents.
2
Voir l'article de Juan-Luis Klein, dans ce
même numéro.
3
Un épisode de cette lutte de légitimité
se trouve dans une introduction, rédigée
par un historien universitaire, à la première grande étude d'aménagementdéveloppement des régions rurales wallonnes. S'appuyant sur une vision de
l'histoire qui fait de l'Ardenne un carrefour de communications et de culture,
ce propos légitime le découpage proposé de l'espace en fonction de l'armature
urbaine, mais surtout il s'oppose sans le
dire à l'analyse régionale de cette même
région proposée par le leader intellectuel des mouvements ruraux (G.
Hoyois), qui faisait de l'Ardenne une
région définie par son identité culturelle.
Voir Groupe L'Équerre, 1961.
4
Quevit (1978) analyse cette politique de
développement régional et montre bien
ses effets économiques pervers.
5
D'une manière tout à fait analogue à ce
que décrit l'article de P. Filion dans ce
même numéro.
6
On pourrait faire la même analyse dans
d'autres contextes. Citons-en deux seulement. Quand l'État belge cherche à
mettre en place des formules de formation-reconversion du personnel licencié
suite à des fermetures d'entreprise, il
recourt au moins partiellement à des
associations « locales » susceptibles de
susciter et de gérer des projets ; de
même quand il cherche à mettre en
place des formules de formation en al-
7
Ces programmes ont visé la plupart des
zones considérées comme défavorisées
du point de vue agricole jusqu'en 1988.
Ils additionnaient l'intervention du fonds
de la politique régionale, du fonds social
européen et des fonds agricoles. Devant la difficulté de coordonner l'action
de ces fonds entre eux et avec les
pouvoirs nationaux et régionaux et devant les problèmes régionaux posés par
l'intégration de nouveaux pays (Espagne, Grèce, Portugal), la CEE a récemment revu les critères d'éligibilité à
ces fonds (de manière plus sélective) en
faveur des régions périphériques du
Sud et des régions à gros problèmes de
structure industrielle, et décidé de faire
en sorte que ces programmes intègrent
au départ l'action des fonds européens.
8
II s'agit exactement du FEOGA, section
orientation, qui s'occupe non des marchés et des prix mais des structures
agricoles, du FEDER (Fonds européen
de développement régional), qui finance
des infrastructures et des équipements,
et enfin du Fonds social européen, qui
finance des programmes de formation
et de reconversion de la main-d'œuvre.
9
Je pense ici particulièrement au Programme de développement intégré financé par la Communauté européenne
dans les zones agricoles défavorisées
de Wallonie, et dont l'objectif principal
était de favoriser des reconversions
agricoles ou des améliorations de structure. La mise en place de « comités de
pays » destinés à faire émerger de nouveaux projets agricoles dans les sousrégions s'est heurtée au poids des organisations professionnelles agricoles
(dominées par des agriculteurs âgés, de
sexe masculin...) et à leur attitude revendicative alors qu'il s'agissait d'imaginer des projets innovateurs. Pour une
analyse de cette expérience, voir Lequeut, 1989.
10
Voir une recherche développée actuellement sur la question à la Fondation
universitaire luxembourgeoise par
Éliane Prévost. Voir aussi Gerbaux et
autres (1989).
11
En effet, au déclin patent des identités
professionnelles instituées et organisées (qu'il s'agisse du syndicalisme
agricole, du syndicalisme ouvrier ou de
certaines catégories moyennes comme
les enseignants et les fonctionnaires),
que le « développement local » contribue à ébranler, il serait indispensable
d'opposer la formation de nouvelles professions et de nouvelles trajectoires professionnelles autour des notions d'expert, de consultant et d'agent de
développement, ou encore la redéfinition de certaines fonctions comme celle
de l'élu-manager (voir dans ce numéro
l'article d'A. Faure).
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