Marc Chalier
Les normes de prononciation du français
Beihefte zur Zeitschrift
für romanische Philologie
Herausgegeben von
Éva Buchi, Claudia Polzin-Haumann, Elton Prifti
und Wolfgang Schweickard
Band 454
Marc Chalier
Les normes de
prononciation du
français
Une étude perceptive panfrancophone
Les travaux touchant aux chapitres canadiens du présent ouvrage ont été financés par une
Bourse de rédaction de thèse du Conseil international d’études canadiennes (CIEC) ainsi
que par une bourse KWA (kurzfristiges wissenschaftliches Auslandsstipendium) du DLE
Internationale Beziehungen de l’Université de Vienne.
Publié avec le soutien de l'Austrian Science Fund (FWF): PUB 808-Z.
Cette publication a été soumise à une évaluation anonyme par les pairs.
ISBN 978-3-11-070743-4
e-ISBN (PDF) 978-3-11-070754-0
e-ISBN (EPUB) 978-3-11-070764-9
ISSN 0084-5396
DOI https://doi.org/10.1515/9783110707540
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© 2021 Marc Chalier, published by Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston.
The book is published open access at www.degruyter.com.
Typesetting: Integra Software Services Pvt. Ltd.
Printing and binding: CPI books GmbH, Leck
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Remerciements
Cet ouvrage est une version modifiée de ma thèse de doctorat, rédigée sous la
direction d’Elissa Pustka (Université de Vienne, Autriche) et de Marie-Hélène Côté
(Université de Lausanne, Suisse) et soutenue le 17 janvier 2020.
Bien qu’il ne soit signé que par une seule main, le présent ouvrage est bien
une œuvre en partie collective. Un nombre considérable de personnes méritent
donc d’être remerciées pour leur contribution à son accomplissement.
Tout d’abord, je tiens à remercier mes deux directrices de thèse, Elissa Pustka
et Marie-Hélène Côté, de m’avoir permis de réaliser la présente thèse : votre
soutien, vos conseils, votre expertise, vos idées, votre disponibilité et votre confiance ont très largement contribué à l’achèvement de ce projet de longue haleine.
Merci infiniment !
Je tiens également à remercier les membres du jury pour leurs suggestions
et conseils : Kristin Reinke (Québec), que j’ai appris à connaître dans le cadre
de conférences, et – bien sûr – Isabelle Racine (Genève), pour ses conseils, son
expertise, sa disponibilité et son soutien logistique lors de mes séjours en Suisse
romande.
À Paris, j’aimerais tout particulièrement remercier Bernard Laks, qui m’a
permis – financièrement et logistiquement – de réaliser mon premier séjour
de recherche en région parisienne dans de bonnes conditions. Un grand merci
également aux responsables du programme de Phonologie du Français Contemporain (PFC) de m’avoir donné la possibilité de participer à plusieurs reprises aux
Journées PFC, à travers lesquelles j’ai toujours pu obtenir un retour critique et
fructueux qui était nécessaire à l’avancée de mon projet.
En Suisse romande, mes remerciements s’adressent également aux collaborateurs d’Isabelle Racine, Marion Didelot, Romain Isely et Roberto Paternostro qui – en plus de leur soutien moral – m’ont aidé à deux reprises durant ma
recherche d’informateurs à Genève. Merci également à Matthieu Avanzi, Virginie
Conti, Pauline Dubosson, Cristina Grisot, Marinette Matthey, Mélanie Sandoz et
Florence Waelchli d’avoir pu me soutenir dans ma recherche d’informateurs à
Neuchâtel.
À Québec, je tiens à remercier Julie Bilodeau, Isabelle Marcoux, Marie-Pier
Picard et Hugo Saint-Amant Lamy pour leur soutien dans ma recherche d’informateurs, leurs conseils et/ou la prise en charge des tâches de codages de mon
corpus québécois, ainsi que Zita de Koninck pour son soutien administratif et les
différents contacts qu’elle a pu me fournir. Un grand merci également à Richard
Carrier pour son soutien dans ma recherche d’informateurs, sa grande disponibilité et son tour guidé inoubliable de la région de Québec.
Open Access. © 2021 Marc Chalier, published by De Gruyter.
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VI
Remerciements
À Passau, mes remerciements s’adressent tout particulièrement à Ursula
Reutner pour ses conseils, sa disponibilité, ses idées, son expertise et son soutien.
Merci pour tout !
Je remercie également tous mes collègues de Vienne et de Passau, qui m’ont
aidé durant mes recherches, que ce soit par des conseils, des critiques ou leur
propre travail scientifique. Si je ne peux les citer tous, je tiens à remercier en particulier Luise Jansen, Julia Forster et Julia Kamerhuber.
Je voudrais en outre remercier chaleureusement tous les enquêtés parisiens,
suisses romands et québécois, qui, même s’ils doivent rester anonymes ici, ont
permis la réalisation de ce projet à travers leur disponibilité et leur bon vouloir.
Merci également aux éditeurs des Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie, Éva Buchi, Claudia Polzin-Haumann, Elton Prifti et Wolfgang Schweickard,
d’avoir permis la publication de l’ouvrage dans cette série. Chez De Gruyter, je
tiens particulièrement à remercier Ulrike Krauß et Gabrielle Cornefert pour leur
aide et leurs suggestions durant la phase de révision du manuscrit. Un grand
merci également aux deux évaluateurs anonymes auxquels De Gruyter et le Fonds
zur Förderung der wissenschaftlichen Forschung (FWF) ont fait appel dans le cadre
du processus d’évaluation par les pairs (peer-review) et à Emmanuel Faure pour
la relecture du manuscrit.
Merci au DLE Internationale Beziehungen de l’Université de Vienne pour
la bourse de recherche (Kurzfristiges wissenschaftliches Auslandsstipendium –
KWA) et au Conseil international d’études canadiennes (CIEC) pour sa Bourse de
rédaction de thèse, deux soutiens financiers m’ayant permis de réaliser un long
séjour de recherche à Québec, Montréal, Montmagny et Lachute. Merci également
à l’Institut für Romanistik de l’Université de Vienne pour les nombreuses aides
financières obtenues pour divers séjours de recherche durant le processus de la
thèse et au Fonds zur Förderung der wissenschaftlichen Forschung (FWF), qui a
financé le lectorat du présent ouvrage ainsi que sa publication en open source.
Enfin, j’aimerais remercier chaleureusement toutes celles et tous ceux qui
m’ont soutenu moralement au cours de ces quatre dernières années, qu’il s’agisse
de membres de ma famille ou d’amis. Un grand merci s’adresse ici en particulier
à mes parents Sabine et Alexis, mais également à mon frère Cyril et ma sœur
Nadine ainsi qu’à leurs familles respectives pour leur soutien moral et leurs différentes marques d’attention. Je désire finalement surtout remercier Meike, qui
m’a soutenu tout au long de ma thèse, aussi bien dans les moments réjouissants
que dans les moments plus difficiles. Elle a non seulement toujours été à mon
écoute, mais a maintes fois donné de son énergie pour préserver la mienne,
notamment dans la réalisation de plusieurs de mes enquêtes. Elle m’a également
toujours permis de revenir à l’essentiel durant toutes ces années. Merci pour tout !
Table des matières
Remerciements
V
Table des illustrations
Table des tableaux
XIII
XXIII
Liste des abréviations, des sigles et des acronymes
1
1.1
1.2
1.3
1.4
1
Introduction
Problématique
Objectifs
2
Méthode
3
Structure
4
XXIX
1
7
2
État de l’art
2.1
Norme(s)
7
2.1.1
Concept de norme
7
2.1.1.1
Aperçu historique
8
2.1.1.2
Sociolinguistique
11
2.1.1.3
Modèle démocratique et modèle autoritaire
18
2.1.1.4
Aménagement linguistique
19
2.1.2
Attitudes
21
2.1.2.1
Insécurité linguistique
22
2.1.2.2
Prestige latent et prestige manifeste
26
2.1.2.3
Attitudes linguistiques en francophonie
27
2.1.2.4
Pluricentrisme
42
2.2
Norme(s) de prononciation
54
2.2.1
Définition et modèles
54
2.2.1.1
Cour et bourgeoisie parisienne
55
2.2.1.2
Parisiens d’adoption
56
2.2.1.3
Professionnels de la parole
57
2.2.1.4
Approche empirique et démocratique actuelle
58
2.2.1.5
Normes de prononciation en périphérie
59
2.3
Caractérisation phonético-phonologique des normes
étudiées
65
2.3.1
Inventaire de référence
66
2.3.2
Traits de prononciation potentiels d’une norme
parisienne
67
VIII
2.3.3
2.3.4
2.4
3
3.1
3.2
3.3
3.3.1
3.3.1.1
3.3.1.2
3.3.1.3
3.3.1.4
3.3.1.5
3.3.1.6
3.3.2
3.3.3
3.4
3.4.1
3.4.1.1
3.4.1.2
3.4.2
3.4.2.1
3.4.2.2
3.4.2.3
3.5
3.5.1
3.5.2
3.5.3
Table des matières
Traits de prononciation potentiels d’une norme suisse
romande
73
Traits de prononciation potentiels d’une norme
québécoise
76
Bilan et objectifs
82
85
Méthode
Productions, perceptions, représentations et attitudes
85
Principes fondamentaux de la recherche empirique en sciences
sociales
86
Représentations et attitudes : questionnaires
89
Questionnaires
89
Section 1 : représentations des accents de la
francophonie
90
Section 2 : représentations des accents des régions
étudiées
91
Section 3 : représentations des différences d’accent à l’intérieur
des régions étudiées
92
Section 4 : représentations de la prononciation des présentateurs
de télévision des régions étudiées
93
Section 5 : attitudes face à la prononciation de chaque région
dans une comparaison avec les prononciations d’autres régions
francophones
94
Informations sociodémographiques
99
Sélection et recrutement des informateurs
101
Protocole d’analyse
107
Productions : analyse de voyelles produites par des locuteursmodèles
108
Collecte des données
109
Sélection et recrutement des locuteurs-modèles
109
Enregistrements des productions des locuteurs-modèles
114
Protocole d’analyse
118
Choix des syntagmes et des mots à analyser
118
Analyses acoustiques des voyelles orales
126
Analyse des voyelles nasales
130
Perception : évaluation des voyelles des « locuteurs-modèles »
par des auditeurs « non experts »
133
Stimuli
134
Questions et catégories de réponses
140
Informations sociodémographiques
144
Table des matières
3.5.4
3.5.5
Sélection et recrutement des informateurs
Protocole d’analyse
145
IX
144
147
Représentations et attitudes
Paris
147
Représentations des accents du français
147
Représentations de l’accent en usage à Paris
151
Représentations des différences d’accent à l’intérieur
de la France
156
4.1.4
Représentations de la prononciation des présentateurs
de télévision parisiens
159
4.1.5
Attitudes face à la prononciation parisienne dans une comparaison
avec les prononciations d’autres régions francophones
163
4.2
Suisse romande
182
4.2.1
Représentations des accents du français
182
4.2.2
Représentations de l’accent en usage en Suisse romande
184
4.2.3
Représentations des différences d’accent à l’intérieur de la Suisse
romande
192
4.2.4
Représentations de la prononciation des présentateurs de
télévision suisses romands
195
4.2.5
Attitudes face à la prononciation suisse romande dans
une comparaison avec les prononciations d’autres régions
francophones
198
4.3
Québec
220
4.3.1
Représentations des accents du français
220
4.3.2
Représentations de l’accent en usage au Québec
221
4.3.3
Représentations des différences d’accent à l’intérieur
du Québec
230
4.3.4
Représentations de la prononciation des présentateurs de
télévision québécois
233
4.3.5
Attitudes face à la prononciation québécoise dans une comparaison
avec les prononciations d’autres régions francophones
237
4.4
Discussion
256
4.4.1
« Centre » : Paris
256
4.4.1.1
Prestige
257
4.4.1.2
Critères de définition de la norme de prononciation
française
258
4.4.2
« Périphéries » : Suisse romande et Québec
259
4
4.1
4.1.1
4.1.2
4.1.3
X
4.4.2.1
4.4.2.2
Table des matières
Prestige
259
Critères de définition des normes de prononciation
endogènes
261
264
5
Productions
5.1
Paris
264
5.1.1
Voyelles orales
264
5.1.1.1
Opposition /a/ : /ɑ/
264
5.1.1.2
Opposition /e/ : /ɛ/
270
5.1.1.3
Opposition /ø/ : /œ/
276
5.1.2
Voyelles nasales : opposition /œ̃/ : /ɛ̃/
280
5.1.3
Discussion
283
5.2
Suisse romande
284
5.2.1
Voyelles orales
284
5.2.1.1
Opposition de durée et de timbre en syllabe finale
fermée
284
5.2.1.2
Opposition de durée avec éventuelle diphtongaison en syllabe
finale ouverte
290
5.2.1.3
Opposition /e/ : /ɛ/ en syllabe finale ouverte
294
5.2.1.4
Préférence de la diérèse à la synérèse
296
5.2.2
Voyelles nasales : opposition /œ̃/ : /ɛ̃/
300
5.2.3
Discussion
303
5.3
Québec
304
5.3.1
Voyelles orales
305
5.3.1.1
Opposition /a/ : /ɑ/
305
5.3.1.2
/a/ final dans <oi> : [wa] ~ [wɑ]
309
5.3.1.3
Opposition /ɛ/ : /ɛː/
312
5.3.1.4
Diphtongaison de la voyelle allongée /ɛː/
313
5.3.1.5
Ouverture et relâchement des voyelles /i, y, u/
316
5.3.1.6
Dévoisement (ou effacement) des voyelles /i, y, u/
320
5.3.2
Voyelles nasales
323
5.3.2.1
Opposition /œ̃/ : /ɛ̃/
323
5.3.2.2
Réalisation de /ɑ̃/ : [æ̃]/[ã] ~ [ɐ̃] ~ [ɑ̃]/[ɒ̃]
325
5.3.2.3
Réalisation de /ɛ̃/ : [ẽ] ~ [ɛ̃]
329
5.3.3
Discussion
331
6
6.1
6.1.1
6.1.2
334
Perceptions
Paris
334
Opposition /a/ : /ɑ/
Opposition /e/ : /ɛ/
334
341
Table des matières
6.1.3
6.1.4
6.1.5
6.2
6.2.1
6.2.2
6.2.3
6.2.4
6.2.5
6.2.6
6.3
6.3.1
6.3.2
6.3.3
6.3.4
6.3.5
6.3.6
6.3.7
6.3.8
6.3.9
6.4
349
Opposition /ø/ : /œ/
Opposition /œ̃/ : /ɛ̃/
356
Discussion
362
Suisse romande
365
Opposition /a/ : /ɑː/ en syllabe finale fermée
365
Opposition /e/ : /eː/ en syllabe finale ouverte
370
Opposition /e/ : /ɛ/ en syllabe finale ouverte
375
Préférence de la diérèse à la synérèse
378
Opposition /œ̃/ : /ɛ̃/
383
Discussion
390
Québec
392
Opposition /a/ : /ɑː/
393
/a/ final dans <-oi> : [wa] ~ [wɑ]
399
ɜ
Opposition /ɛ/ : /ɛː/ ~ /a /
404
Ouverture et relâchement des voyelles /i, y, u/
408
Dévoisement (ou effacement) des voyelles /i, y, u/
414
Opposition /œ̃/ : /ɛ̃/
418
Réalisation de /ɑ̃/ : [ɐ̃] ~ [ɑ̃]/[ɒ̃]
423
Réalisation de /ɛ̃/ : [ẽ] ~ [ɛ̃]
428
Discussion
434
Problèmes méthodologiques récurrents
436
439
Conclusion
Résumé
439
Norme(s) de prononciation : Paris, Suisse romande,
Québec
440
7.1.1.1
Paris
440
7.1.1.2
Suisse romande
442
7.1.1.3
Québec
443
7.2
Pluricentrisme : tendance bicentrique
445
7.3
Perspectives
447
7.3.1
Élargissement (interne) à d’autres traits
448
7.3.2
Élargissement (externe) à d’autres variétés
de français
450
7.3.3
Considérations théoriques
450
7.3.4
Considérations méthodologiques
452
7
7.1
7.1.1
8
Références
Corpus
457
478
XI
XII
Annexes
Index
Table des matières
479
Annexe 1 : Questionnaire écrit – Paris
479
Annexe 2 : Questionnaire écrit – Suisse romande
485
Annexe 3 : Questionnaire écrit – Québec
491
Annexe 4 : Protocoles des entretiens – Paris
497
Annexe 5 : Protocoles des entretiens – Suisse romande
499
Annexe 6 : Protocoles des entretiens – Québec
501
Annexe 7 : Texte lu (Paris, Suisse romande et Québec)
503
Annexe 8 : Liste de mots PFC (Paris, Suisse romande et
Québec)
504
Annexe 9 : Liste de mots complémentaire (Paris, Suisse romande et
Québec)
505
Annexe 10 : Fiche signalétique (Paris, Suisse romande et
Québec)
506
Annexe 11 : Consentement de participation (Paris, Suisse
romande et Québec)
508
509
Table des illustrations
Figure 1
Figure 2
Figure 3
Figure 4
Figure 5
Figure 6
Figure 7
Figure 8
Figure 9
Figure 10
Figure 11
Figure 12
Figure 13
Figure 14
Figure 15
Figure 16
Figure 17
Figure 18
Figure 19
Figure 20
Modèle autoritaire et linéaire de la norme
18
Modèle démocratique et dynamique des normes
19
Questions sur l’informateur du questionnaire distribué au Québec (à titre
d’exemple)
100
104
Quatre points d’enquête retenus à Paris
Quatre points d’enquête retenus en Suisse romande
105
Quatre points d’enquête retenus au Québec
106
Point de transition entre [y] et [ɛ] dans muette [my.ɛt] (locuteur sgTfd1) choisi
selon un changement dans la fréquence fondamentale et dans l’amplitude
globale
127
Diérèse présentant deux voyelles distinctes ([y]/[ɛ]) ayant chacune une partie
stable
128
Synérèse présentant une semi-voyelle [ɥ] instable et en variation permanente
(formants F2 et F3 ascendants) et ne pouvant être segmentée de la voyelle qui la
suit ([ɛ])
129
Question 1 : Comment évalueriez-vous la prononciation du mot/groupe de mots
que vous entendez ? ; exemple du stimulus six [sɪs] (Québec)
141
Question 2 : Selon vous, comment un présentateur de télévision suisse/
québécois/parisien devrait-il prononcer le mot/le groupe de mots suivant ? ;
exemple des stimuli six [sis] vs. six [sɪs] (Québec)
142
Question 3 : Selon vous, laquelle des deux prononciations du mot/de la phrase
suivant(e) serait la plus adaptée à être enseignée à des non-francophones à
Paris/en Suisse romande/au Québec ? ; exemple des stimuli six [sis] vs. six [sɪs]
(Québec)
143
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Selon vous, où a-t-on le
moins d’accent dans le monde ? (n=96)
149
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Les Parisiens ont-ils un
accent ? (n=96)
152
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Si oui, à quoi peut-on
les reconnaître le plus ? (n=35)
154
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Selon vous, où a-t-on le
moins d’accent en France ? (n=96)
157
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Les présentateurs des
journaux télévisés français ont-ils un accent propre à Paris ? (n=96)
160
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Selon vous, quel est le
français le plus représentatif de l’ensemble de la France ? (n=96)
162
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Quand, à la
télévision, vous regardez une publicité utilisant un accent régional, vous vous
sentez . . . charmé, amusé, agacé, indifférent (n=96)
164
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Face à un Suisse ayant
la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport à sa façon de
parler ? (n=96)
166
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XIV
Figure 21
Figure 22
Figure 23
Figure 24
Figure 25
Figure 26
Figure 27
Figure 28
Figure 29
Figure 30
Figure 31
Figure 32
Figure 33
Figure 34
Figure 35
Figure 36
Table des illustrations
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Face à un Québécois
ayant la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport à sa façon
168
de parler ? (n=96)
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Face à un Tourangeau
ayant la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport à sa façon
de parler ? (n=96)
170
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Face à un Toulousain
ayant la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport à sa façon
de parler ? (n=96)
171
Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Selon vous, quel accent
de français devrait-on apprendre dans les cours de français langue étrangère
(FLE) donnés en France ? (n=96)
173
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Selon vous, où
a-t-on le moins d’accent dans le monde ? (n=96)
183
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Les Suisses
romands ont-ils un accent ? (n=96)
185
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Si oui, à quoi
peut-on les reconnaître le plus ? (n=89)
186
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Y a-t-il
des Suisses romands qui essaient de perdre leur accent ? (n=96) ; réponses
présentées dans leur globalité ainsi que selon le sexe et le niveau d’éducation
des informateurs
189
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Selon vous, où
a-t-on le moins d’accent en Suisse romande ? (n=96)
193
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Selon vous,
où a-t-on le moins d’accent en Suisse romande ? (n=96) ; réponses séparées
selon l’origine des informateurs : Genevois et Veyrites du canton de Genève,
Neuchâtelois et Boudrysans du canton de Neuchâtel
194
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Les
présentateurs des journaux télévisés suisses romands ont-ils un accent propre à
195
la Suisse romande ? (n=96)
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Selon vous,
quel est le français suisse romand le plus représentatif de l’ensemble de la Suisse
romande ? (n=96)
198
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Quand, à la
télévision, vous regardez une publicité suisse utilisant l’accent suisse romand,
vous vous sentez . . . fier, amusé, gêné, agacé, indifférent (n=96)
199
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Face à un
Français ayant la même profession, comment un Suisse romand se sent-il par
rapport à sa façon de parler ? (n=96)
201
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Face à un
Québécois ayant la même profession, comment un Suisse se sent-il par rapport à
sa façon de parler ? (n=96)
203
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question À votre avis, le
jugement des Québécois sur l’accent des Suisses romands est. . . moins critique
que celui des Français, le même que celui des Français, plus critique que
celui des Français (n=96)
204
Table des illustrations
Figure 37
Figure 38
Figure 39
Figure 40
Figure 41
Figure 42
Figure 43
Figure 44
Figure 45
Figure 46
Figure 47
Figure 48
Figure 49
Figure 50
Figure 51
Figure 52
XV
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Face à un
Genevois ayant la même profession, comment un Neuchâtelois se sent-il par
rapport à sa façon de parler ? (n=96)
206
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Face à un
Genevois ayant la même profession, comment un Neuchâtelois se sent-il par
rapport à sa façon de parler ? (n=96) ; réponses séparées selon l’origine des
informateurs : Genevois et Veyrites du canton de Genève, Neuchâtelois et
Boudrysans du canton de Neuchâtel
207
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Face à un
Lausannois ayant la même profession, comment un Neuchâtelois se sent-il par
rapport à sa façon de parler ? (n=96)
208
Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Selon vous,
quel accent de français devrait-on apprendre dans les cours de français langue
étrangère (FLE) donnés en Suisse romande ? (n=96)
210
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Selon vous, où a-t-on
le moins d’accent dans le monde ? (n=96)
221
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Les Québécois ont-ils
un accent ? (n=96)
222
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Si oui, à quoi peut-on
les reconnaître le plus ? (n=91)
223
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Y a-t-il des Québécois
qui essaient de perdre leur accent ? (n=96) ; réponses présentées dans leur
globalité et selon le niveau d’éducation des informateurs
225
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Selon vous, où a-t-on
le moins d’accent à l’intérieur du Québec ? (n=96)
230
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Les présentateurs
québécois des journaux télévisés ont-ils un accent propre au Québec ?
(n=96)
234
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Selon vous,
quel est le français québécois le plus représentatif de l’ensemble du Québec ?
236
(n=96)
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Quand, à la télévision,
vous regardez une publicité québécoise utilisant l’accent québécois, vous vous
sentez. . . fier, amusé, gêné, agacé, indifférent (n=96)
237
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Face à un Français
ayant la même profession, comment un Québécois se sent-il par rapport à sa
façon de parler ? (n=96)
239
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Face à un Suisse ayant
la même profession, comment un Québécois se sent-il par rapport à sa façon de
parler ? (n=96)
240
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question À votre avis, le
jugement des Suisses sur l’accent des Québécois est. . . moins critique que
celui des Français, le même que celui des Français, plus critique que celui
des Français (n=96)
242
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Face à un Montréalais
ayant la même profession, comment un Magnymontois se sent-il par rapport à sa
façon de parler ? (n=96)
244
XVI
Figure 53
Figure 54
Figure 55
Figure 56
Figure 57
Figure 58
Figure 59
Figure 60
Figure 61
Figure 62
Figure 63
Figure 64
Figure 65
Figure 66
Figure 67
Figure 68
Table des illustrations
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Face à un Québécois
de la ville de Québec ayant la même profession, comment un Magnymontois se
sent-il par rapport à sa façon de parler ? (n=96)
245
Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Selon vous, quel
accent de français devrait-on apprendre dans les cours de français langue
étrangère (FLE) donnés au Québec ? (n=96)
246
Formants F1 et F2 des occurrences de /a/ et /ɑ/ mesurés à 50% de la durée
vocalique dans les mots isolés patte et pâte chez les présentateurs parisiens
(n=20)
265
Formants F1 et F2 des occurrences des voyelles /a/ et /ɑ/ mesurés à 50% de la
durée vocalique dans les mots patte et pâte dans la lecture du texte PFC par les
présentateurs parisiens (n=20)
268
Formants F1 et F2 des occurrences des voyelles /e/ et /ɛ/ mesurés à 50% de
la durée vocalique dans les mots isolés épée et épais chez les présentateurs
parisiens (n=20)
272
Formants F1 et F2 des occurrences des voyelles /e/ et /ɛ/ mesurés à 50% de la
durée vocalique dans les mots et et est extraits de la lecture du texte PFC par les
présentateurs parisiens (n=20)
273
Formants F1 et F2 des occurrences de la voyelle /ɛ/ dans étaient mesurés à 50%
de la durée vocalique dans la lecture du texte PFC par les présentateurs parisiens
(n=20) et comparés aux mêmes formants des voyelles extraites des mots et /e/ et
est /ɛ/
275
Formants F1 et F2 des occurrences des voyelles /ø/ et /œ/ mesurés à 50% de
la durée vocalique dans les mots isolés jeûne et jeune chez les présentateurs
parisiens (n=20)
278
Formants F1 et F2 des occurrences des voyelles /ø/ et /œ/ mesurés à 50% de la
durée vocalique dans les mots jeûne et jeune extraits de la lecture du texte PFC
par les présentateurs parisiens (n=20)
279
Taux de réalisations arrondies [œ̃] et écartées [ɛ̃] (en %) de la graphie <un> chez
les présentateurs parisiens (n=20) en lecture de un et brun dans les deux listes
281
de mots
Taux de réalisations arrondies [œ̃] et écartées [ɛ̃] (en %) du mot un chez les
présentateurs parisiens (n=20) en lecture du texte PFC
282
Formants F1 et F2 des occurrences de /a/ et /ɑ/ mesurés à 50% de la durée
vocalique dans les mots patte et pâte chez les présentateurs suisses romands
(n=20)
286
Formants F1 et F2 mesurés à 25% et 75% de la durée de la voyelle /eː/ dans le mot
pensée chez les présentateurs suisses romands (n=20)
292
Formants F1 et F2 mesurés à 25% et 75% de la durée de la voyelle /eː/ dans le
mot année du syntagme en fin d’année chez les présentateurs suisses romands
(n=20)
293
Formants F1 et F2 des occurrences des voyelles /e/ et /ɛ/ mesurés à 50% de la
durée vocalique dans les mots isolés pourrai et pourrais chez les présentateurs
suisses romands (n=20)
296
Taux de réalisations avec diérèse et synérèse (en %) des hiatus dans les mots
isolés lier, muette et mouette chez les présentateurs suisses romands
(n=20)
298
Table des illustrations
Figure 69
Figure 70
Figure 71
Figure 72
Figure 73
Figure 74
Figure 75
Figure 76
Figure 77
Figure 78
Figure 79
Figure 80
Figure 81
Figure 82
Figure 83
Figure 84
Figure 85
XVII
Taux de réalisations avec diérèse et synérèse (en %) des hiatus se trouvant dans
les mots habituels et vouer extraits du texte PFC lu par les présentateurs suisses
romands (n=20)
299
Taux de réalisations arrondies [œ̃] et écartées [ɛ̃] (en %) de la graphie <un> chez
les présentateurs suisses romands (n=20) en lecture de un et brun dans les deux
listes de mots
301
Taux de réalisations arrondies [œ̃] et écartées [ɛ̃] (en %) du mot un chez les
présentateurs suisses romands (n=20) en lecture du texte PFC
302
Formants F1 et F2 des occurrences des voyelles /a/ et /ɑ/ mesurés à 50% de la
durée vocalique dans les mots patte et pâte chez les présentateurs québécois
(n=20)
306
Formants F1 et F2 des occurrences de la voyelle [ɑ] mesurés à 50% de la durée
vocalique dans le mot baignoire de la liste de mots PFC chez les présentateurs
québécois (n=20), en comparaison aux occurrences de /a/ et /ɑ/ dans patte et
pâte (liste de mots PFC)
310
Formants F1 et F2 des occurrences de la voyelle [ɑ] mesurés à 50% de la durée
vocalique dans le mot trois dans le syntagme trois échevins du texte PFC chez les
présentateurs québécois (n=20), en comparaison aux /a/ et /ɑ/ de patte et pâte
de la liste de mots PFC
311
Formants F1 et F2 mesurés à 25% et 75% de la durée de la voyelle /ɛː/ dans le mot
fête chez les présentateurs québécois (n=20)
314
Formants F1 et F2 des occurrences de la voyelle [ɪ] mesurée à 50% de sa durée
dans le mot isolé six chez les présentateurs québécois (n=20), en comparaison
aux formants de la voyelle [i] dans ami
317
Formants F1 et F2 des occurrences de la voyelle [ɪ] mesurée à 50% de sa durée
dans villes du syntagme autour des mêmes villes chez les présentateurs
québécois (n=20), en comparaison aux formants de la voyelle [i] dans jusqu’ici
les seuls titres de gloire de Beaulieu
319
Taux de réalisations voisée, dévoisée ou syncopée (en %) du /i/ entre deux
consonnes sourdes chez les présentateurs québécois (n=20) en lecture de la liste
321
de mots PFC
Taux de réalisations voisées, dévoisées ou syncopées (en %) du /i/ entre deux
consonnes sourdes chez les présentateurs québécois (n=20) en lecture du texte
PFC
322
Taux de réalisations arrondies [œ̃] et écartées [ɛ̃] (en %) de la graphie <un> chez
les présentateurs québécois (n=20) en lecture des mots un et brun dans les deux
listes de mots
324
Taux de réalisations arrondies [œ̃] et écartées [ɛ̃] (en %) du mot un chez les
présentateurs québécois (n=20) en lecture du texte PFC
325
Réalisation de la voyelle nasale /ɑ̃/ (en %) chez les présentateurs québécois
(n=20) dans les graphies <an> et <en> des deux listes de mots
326
Réalisation de la voyelle nasale /ɑ̃/ (en %) chez les présentateurs québécois
(n=20) dans les graphies <an> et <en> du texte PFC
328
Réalisation de la voyelle nasale /ɛ̃/ (en %) chez les présentateurs québécois
(n=20) dans la graphie <in> des deux listes de mots
330
Réalisation de la voyelle nasale /ɛ̃/ (en %) chez les présentateurs québécois
(n=20) dans les graphies <in>, <im>, <ym> et <en> du texte PFC
331
XVIII
Figure 86
Figure 87
Figure 88
Figure 89
Figure 90
Figure 91
Figure 92
Figure 93
Figure 94
Figure 95
Figure 96
Figure 97
Figure 98
Figure 99
Figure 100
Figure 101
Figure 102
Figure 103
Figure 104
Figure 105
Figure 106
Figure 107
Figure 108
Table des illustrations
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [a] et [ɑ] par les informateurs parisiens
335
(n=96) dans le mot isolé <pâte>
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [a] et [ɑ] par les informateurs parisiens
(n=96) dans le mot <pâte> tiré du texte PFC
337
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Mots isolés
338
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Texte PFC ; réponses présentées dans leur globalité ainsi que
selon le niveau d’éducation des informateurs
339
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
340
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
340
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [e] et [ɛ] par les informateurs parisiens
(n=96) dans le mot isolé <épais>
342
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [e] et [ɛ] par les informateurs parisiens
(n=96) dans le mot <est> tiré du texte PFC
343
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [e] et [ɛ] par les informateurs parisiens
(n=96) dans le mot <étaient> tiré du texte PFC
344
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <épais> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Mots isolés
345
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <est> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Texte PFC
345
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <étaient> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Texte PFC
346
Voyelle privilegiee (en %) dans le mot <epais> pour les cours de francais langue
etrangere (FLE) (n=96) – Mots isoles
347
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <est> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
348
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <étaient> pour les cours de français
348
langue étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [œ] et [ø] par les informateurs
parisiens (n=96) dans le mot isolé <jeûne>
350
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [œ] et [ø] par les informateurs
parisiens (n=96) dans le mot <jeûne> tiré du texte PFC
351
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <jeûne> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Mots isolés
352
Voyelle privilegiee (en %) dans le mot <jeune> pour les presentations de
journaux televises (n=96) – Texte PFC
353
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <jeûne> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
354
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <jeûne> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
355
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [œ̃] et [ɛ̃] par les informateurs
parisiens (n=96) dans le mot isolé <brun>
357
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [œ̃] et [ɛ̃] par les informateurs
parisiens (n=96) dans le mot <un> tiré du texte PFC
358
Table des illustrations
Figure 109
Figure 110
Figure 111
Figure 112
Figure 113
Figure 114
Figure 115
Figure 116
Figure 117
Figure 118
Figure 119
Figure 120
Figure 121
Figure 122
Figure 123
Figure 124
Figure 125
Figure 126
Figure 127
Figure 128
Figure 129
Figure 130
Figure 131
XIX
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <brun> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Mots isolés
359
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <un> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Texte PFC
360
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <brun> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
360
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <un> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
361
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [a] et [ɑː] par les informateurs suisses
romands (n=96) dans le mot isolé <pâte>
366
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [a] et [ɑː] par les informateurs suisses
romands (n=96) dans le mot <pâte> tiré du texte PFC
367
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Mots isolés
367
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Texte PFC
368
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
369
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
369
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [e] et [eː] par les informateurs suisses
romands (n=96) dans le mot isolé <pensée>
371
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [e] et [eː] par les informateurs suisses
romands (n=96) dans le mot <pensée> tiré du texte PFC
371
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pensée> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Mots isolés
372
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <année> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Texte PFC
373
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pensée> pour les cours de français
langue étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
374
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <année> pour les cours de français langue
374
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [e] et [ɛ] par les informateurs suisses
romands (n=96) dans le mot isolé <(je) pourrai>
376
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <(je) pourrai> pour les présentations
de journaux télévisés (n=96) – Mots isolés ; réponses présentées dans leur
globalité ainsi que selon l’âge des informateurs
377
Voyelle privilégiee (en %) dans le mot <(je) pourrai> pour les cours de français
langue étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
378
Évaluation perceptive effectuée par les informateurs suisses romands (en %) de
la diérèse et de la synérèse dans le mot isolé <muette> (n=96)
379
Évaluation perceptive (en %) effectuée par les informateurs suisses romands de la
diérèse et de la synérèse dans le mot <habituels> tiré du texte PFC (n=96)
379
Variante privilégiée (en %) dans le mot <muette> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Mots isolés
380
Variante privilégiée (en %) dans le mot <habituels> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Texte PFC
381
XX
Figure 132
Figure 133
Figure 134
Figure 135
Figure 136
Figure 137
Figure 138
Figure 139
Figure 140
Figure 141
Figure 142
Figure 143
Figure 144
Figure 145
Figure 146
Figure 147
Figure 148
Figure 149
Figure 150
Figure 151
Figure 152
Table des illustrations
Variante privilégiée (en %) dans le mot <muette> pour les cours de français
382
langue étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
Variante privilégiée (en %) dans le mot <habituels> pour les cours de français
langue étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
383
Évaluation perceptive (en %) des voyelles nasales [ɛ̃] et [œ̃] par les informateurs
suisses romands (n=96) dans le mot isolé <brun>
384
Évaluation perceptive (en %) des voyelles nasales [ɛ̃] et [œ̃] par les informateurs
suisses romands (n=96) dans le mot <un> tiré du texte PFC
385
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <brun> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Mots isolés ; réponses présentées dans leur globalité ainsi
que selon l’âge des informateurs
386
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <un> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Texte PFC ; réponses présentées dans leur globalité ainsi que
selon l’âge des informateurs
387
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <brun> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
388
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <un> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
389
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [a] et [ɑː] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot isolé <pâte>
393
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [a] et [ɑː] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot <pâte> tiré du texte PFC
394
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Mots isolés
395
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Texte PFC ; réponses présentées dans leur globalité ainsi que
selon le niveau d’éducation des informateurs
396
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
397
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <pâte> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC ; réponses présentées dans leur globalité
398
ainsi que selon le sexe des informateurs
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [a] et [ɑ] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot isolé <baignoire>
400
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [a] et [ɑ] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot <trois> tiré du texte PFC
400
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <baignoire> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Mots isolés
401
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <trois> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Texte PFC ; réponses présentées dans leur globalité ainsi que
selon le sexe des informateurs
402
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <baignoire> pour les cours de français
langue étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
403
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <trois> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
404
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [ɛ], [ɛː] et [aɜ] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot isolé <fête>
405
Table des illustrations
Figure 153
Figure 154
Figure 155
Figure 156
Figure 157
Figure 158
Figure 159
Figure 160
Figure 161
Figure 162
Figure 163
Figure 164
Figure 165
Figure 166
Figure 167
Figure 168
Figure 169
Figure 170
Figure 171
Figure 172
Figure 173
Figure 174
XXI
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <fête> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Mots isolés
406
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <fête> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés : réponses présentées dans leur globalité
ainsi que selon le sexe des informateurs
407
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [i] et [ɪ] par les informateurs québécois
(n=96) dans le mot isolé <six>
409
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [i] et [ɪ] par les informateurs québécois
(n=96) dans le mot <villes> tiré du texte PFC
410
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <six> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Mots isolés
411
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <villes> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Texte PFC
411
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <six> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés ; réponses présentées dans leur globalité
ainsi que selon le sexe des informateurs
412
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <villes> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
413
Évaluation perceptive (en %) du /i/ voisé et syncopé dans le mot <vérifications>
tiré du texte PFC (n=96)
415
Variante privilégiée (en %) dans le mot <vérifications> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Texte PFC
416
Variante privilégiée (en %) dans le mot <vérifications> pour les cours de français
langue étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC ; réponses présentées dans leur
globalité ainsi que selon le sexe des informateurs
417
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [œ̃] et [ɛ̃] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot isolé <brun>
419
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [œ̃] et [ɛ̃] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot <un> tiré du texte PFC
419
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <brun> pour les présentations de journaux
420
télévisés (n=96) – Mots isolés
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <un> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Texte PFC
421
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <brun> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
422
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <brun> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
422
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [ɑ̃]/[ɒ̃] et [ɐ̃] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot isolé <penser>
424
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [ɑ̃]/[ɒ̃] et [ɐ̃] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot <vendue> tiré du texte PFC
424
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <penser> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Mots isolés
426
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <vendue> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Texte PFC
426
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <penser> pour les cours de français
langue étrangère (FLE) (n=96) – Mots isolés
427
XXII
Figure 175
Figure 176
Figure 177
Figure 178
Figure 179
Figure 180
Figure 181
Table des illustrations
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <vendue> pour les cours de français
427
langue étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [ɛ̃] et [ẽ] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot isolé <médecin>
429
Évaluation perceptive (en %) des voyelles [ɛ̃] et [ẽ] par les informateurs
québécois (n=96) dans le mot <coin> tiré du texte PFC
430
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <médecin> pour les présentations de
journaux télévisés (n=96) – Mots isolés
431
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <coin> pour les présentations de journaux
télévisés (n=96) – Texte PFC ; réponses présentées dans leur globalité ainsi que
selon le sexe des informateurs
431
Variante privilégiée (en %) dans le mot <médecin> pour les cours de français
langue étrangère (FLE) (n=96) – Liste de mots PFC ; réponses présentées dans
leur globalité ainsi que selon le sexe des informateurs
432
Voyelle privilégiée (en %) dans le mot <coin> pour les cours de français langue
étrangère (FLE) (n=96) – Texte PFC
433
Table des tableaux
Tableau 1
Tableau 2
Tableau 3
Tableau 4
Tableau 5
Tableau 6
Tableau 7
Tableau 8
Tableau 9
Tableau 10
Tableau 11
Tableau 12
Tableau 13
Tableau 14
Tableau 15
Tableau 16
Tableau 17
Tableau 18
Tableau 19
Tableau 20
Tableau 21
Tableau 22
Tableau 23
Tableau 24
Tableau 25
Tableau 26
Tableau 27
Tableau 28
Tableau 29
Degrés d’endo- et d’exo-normativité
49
Français de référence, standards nationaux et régionaux, variétés
régionales
53
Approche de la norme de prononciation en linguistique
59
Inventaire vocalique du français de référence
66
Auto-représentations et hétéro-représentations de l’accent/des accents
parisien(s)
68
Traits de prononciation appartenant potentiellement à la norme de
prononciation parisienne
69
Traits de prononciation appartenant potentiellement à la norme de
prononciation suisse romande
74
Traits de prononciation appartenant potentiellement à la norme de
prononciation québécoise
77
Variation de la prononciation de <-oi>/<-oî> selon la syllabe et le lexème dans
lesquels il apparaît
79
Structure du sous-chapitre sur les questionnaires
90
Choix des informateurs par point d’enquête selon leur sexe, leur âge et leur
niveau d’éducation
102
Journalistes-présentateurs recrutés à Paris
111
Journalistes-présentateurs recrutés en Suisse romande
112
Journalistes-présentateurs recrutés au Québec
113
Traits suisses romands testés dans la liste de mots complémentaire
116
Traits québécois testés dans la liste de mots complémentaire
116
Étendue du corpus selon les régions, le média et la situation de
communication
117
Syntagmes du texte du programme PFC contenant les traits parisiens à analyser
dans la production des locuteurs-modèles
118
Syntagmes du texte du programme PFC contenant les traits suisses romands à
analyser dans la production des locuteurs-modèles
120
Syntagmes du texte du programme PFC contenant les traits québécois à
analyser dans la production des locuteurs-modèles
121
Mots tirés de la liste de mots PFC contenant les traits parisiens à analyser dans
la production des locuteurs-modèles
122
Mots tirés des deux listes (liste PFC et liste complémentaire) contenant les traits
suisses romands à analyser dans la production des locuteurs-modèles
124
Mots tirés des deux listes (liste PFC et liste complémentaire) contenant les
traits québécois à analyser dans la production des locuteurs-modèles
125
Système de codage des voyelles nasales analysées dans le corpus
132
Stimuli pris en compte : différences entre les analyses de production et les
tests de perception à l’exemple de la paire minimale patte ~ pâte
134
Choix des stimuli
135
Stimuli pris en compte dans le test de perception effectué à Paris
137
Stimuli pris en compte dans le test de perception effectué en Suisse
138
Stimuli pris en compte dans le test de perception effectué au Québec
139
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Tableau 30
Tableau 31
Tableau 32
Tableau 33
Tableau 34
Tableau 35
Tableau 36
Tableau 37
Tableau 38
Tableau 39
Tableau 40
Tableau 41
Tableau 42
Tableau 43
Tableau 44
Tableau 45
Tableau 46
Tableau 47
Tableau 48
Table des tableaux
Questions et catégories de réponse du test de perception
144
Taux de signification entre les six catégories prises en compte dans le modèle
de régression multinomiale appliqué à la question 5
158
Attitudes des Parisiens envers sept accents de français
176
Précisions des informateurs suisses romands par rapport aux traits et mots les
plus saillants dans leurs auto-représentations du français suisse romand
187
Attitudes des Suisses romands envers différents accents du français
214
Précisions des informateurs québécois par rapport aux traits et mots les plus
saillants dans leurs auto-représentations du français québécois
224
Répartition des réponses touchant aux régions de Québec et de Montréal à
la question Selon vous, où a-t-on le moins d’accent à l’intérieur du Québec ?
selon la région d’origine des informateurs (Québec, Montmagny, Montréal,
Lachute)
232
Taux de signification entre les quatre catégories prises en compte dans le
modèle de régression multinomiale appliqué à la question 14
247
Attitudes des Québécois envers différents accents du français
251
Hiérarchie de prestige des accents francophones dans les attitudes des
Parisiens
257
Prestige des accents parisiens à Paris
258
Évolution du prestige des variétés du français au Québec
260
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les voyelles
/a/ et /ɑ/ des mots patte et pâte chez les présentateurs parisiens et résultats
du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces formants
(n=20)
266
Moyenne et écart-type en millisecondes (ms) de la durée mesurée des
voyelles /a/ et /ɑ/ des mots patte et pâte chez les présentateurs parisiens
et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces
durées (n=20)
267
Types de différences (qualitatives et/ou quantitatives) (en %) dans la
réalisation de patte ~ pâte chez les 20 locuteurs parisiens
267
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les
voyelles extraites des mots patte et pâtes de la lecture du texte PFC par les
présentateurs parisiens et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans
269
une comparaison de ces formants (n=20)
Moyenne et écart-type en millisecondes (ms) de la durée mesurée dans les
voyelles des mots patte et pâte chez les présentateurs parisiens et résultats
du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces durées
(n=20)
270
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les voyelles
/e/ et /ɛ/ des mots épée et épais chez les présentateurs parisiens et résultats
du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces formants
(n=20)
272
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les
voyelles /e/ et /ɛ/ des mots et et est extraits de la lecture du texte PFC par les
présentateurs parisiens et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans
une comparaison de ces formants (n=20)
274
Table des tableaux
Tableau 49
Tableau 50
Tableau 51
Tableau 52
Tableau 53
Tableau 54
Tableau 55
Tableau 56
Tableau 57
Tableau 58
Tableau 59
Tableau 60
XXV
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans la voyelle
/ɛ/ de étaient chez les présentateurs parisiens et résultats du test de WilcoxonMann-Whitney dans une comparaison de ces formants à ceux des voyelles /e/
dans et et /ɛ/ dans est de la liste de mots PFC (n=20)
275
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les voyelles
/ø/ et /œ/ des mots isolés jeûne et jeune lus par les présentateurs parisiens
et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces
formants (n=20)
277
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les voyelles
/ø/ et /œ/ des mots jeûne et jeune extraits de la lecture du texte PFC par les
présentateurs parisiens et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans
une comparaison de ces formants (n=20)
280
Traits appartenant potentiellement à la norme de prononciation parisienne
selon les analyses acoustiques (voyelles orales) et les analyses issues des
codages par accord interjuges (voyelles nasales)
284
Moyenne et écart-type en millisecondes (ms) de la durée mesurée des
occurrences de /a/ et /aː/ des mots patte et pâte chez les présentateurs
suisses romands et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une
comparaison de ces durées (n=20)
285
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les
occurrences de /a/ et /ɑː/ des mots patte et pâte chez les présentateurs
suisses romands et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une
comparaison de ces formants (n=20)
287
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les
voyelles extraites des mots patte et pâtes de la lecture du texte PFC par les
présentateurs suisses romands et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney
dans une comparaison de ces formants (n=20)
288
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les
voyelles extraites des mots patte et pâtes de la lecture du texte PFC par les
présentateurs suisses romands et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney
289
dans une comparaison de ces formants (n=20)
Moyenne et écart-type en millisecondes (ms) de la durée mesurée des
occurrences de /e/ et /eː/ des mots penser et pensée chez les présentateurs
suisses romands et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une
comparaison de ces durées (n=20)
290
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés à 25% et 75%
des occurrences du /eː/ dans le mot pensée chez les présentateurs suisses
romands et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison
entre ces formants (n=20)
292
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés à 25% et 75% de
la voyelle /eː/ dans le mot année chez les présentateurs suisses romands et
résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison entre ces
formants (n=20)
294
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les voyelles
/e/ et /ɛ/ des mots pourrai et pourrais chez les présentateurs suisses romands
et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces
formants (n=20)
296
XXVI
Tableau 61
Tableau 62
Tableau 63
Tableau 64
Tableau 65
Tableau 66
Tableau 67
Tableau 68
Tableau 69
Tableau 70
Tableau 71
Table des tableaux
Traits appartenant potentiellement à la norme de prononciation suisse
romande selon les analyses acoustiques (voyelles orales) et les analyses issues
des codages par accord interjuges (voyelles nasales)
304
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les voyelles
/a/ et /ɑ/ des mots patte et pâte chez les présentateurs québécois et résultats
du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces formants
(n=20)
306
Moyenne et écart-type en millisecondes (ms) de la durée mesurée des
voyelles /a/ et /ɑ/ des mots patte et pâte chez les présentateurs québécois
et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces
durées (n=20)
307
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les voyelles
/a/ et /ɑ/ extraites des mots patte et pâtes de la lecture du texte PFC par les
présentateurs québécois et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans
une comparaison de ces formants (n=20)
308
Moyenne et écart-type en millisecondes (ms) de la durée mesurée dans les
mots patte et pâte chez les présentateurs québécois et résultats du test de
Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces durées (n=20)
308
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans la voyelle
[ɑ] dans le mot baignoire chez les présentateurs québécois et résultats du test
de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces formants à ceux des
voyelles /a/ et /ɑ/ dans patte et pâte de la liste de mots PFC (n=20)
310
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans la voyelle [ɑ]
dans le mot trois du syntagme trois échevins chez les présentateurs québécois
et résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces
formants à ceux des voyelles /a/ et /ɑ/ dans patte et pâte de la liste de mots
PFC (n=20)
312
Moyenne et écart-type en millisecondes (ms) de la durée des voyelles
mesurées dans les mots faites et fête chez les présentateurs québécois et
résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces
313
durées (n=20)
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés à 25% et 75% de
la voyelle /ɛː/ dans le mot fête chez les présentateurs québécois et résultats
du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison entre ces formants
(n=20)
315
Comparaison des valeurs F1 et F2 moyennes à 25% et 75% de la voyelle /ɛː/
chez les présentateurs de télévision de mon corpus par rapport aux locuteurs
québécois « ordinaires » de Martin (2002, 86)
316
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les voyelles
[ɪ] et [i] des mots six et ami chez les présentateurs québécois et résultats
du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces formants
(n=20)
318
Table des tableaux
Tableau 72
Tableau 73
Tableau 74
Tableau 75
Tableau 76
Tableau 77
Tableau 78
XXVII
Moyenne et écart-type (en Hz) des formants F1 et F2 mesurés dans les
voyelles [ɪ] et [i] des syntagmes autour des mêmes villes et jusqu’ici les seuls
titres de gloire de Beaulieu chez les présentateurs québécois et résultats
du test de Wilcoxon-Mann-Whitney dans une comparaison de ces formants
(n=20)
319
Traits appartenant potentiellement à la norme de prononciation québécoise
selon les analyses acoustiques (voyelles orales) et les analyses issues des
codages par accord interjuges (voyelles nasales)
332
Comparaison des résultats touchant aux productions et perceptions pour les
quatre traits étudiés dans le cas de Paris
363
Comparaison des résultats touchant aux productions et perceptions pour les
cinq traits étudiés dans le cas de la Suisse romande
390
Résumé des traits appartenant (ou non) à la norme de prononciation suisse
romande
392
Comparaison des résultats touchant aux productions et perceptions pour les
neuf traits étudiés dans le cas du Québec
434
Résumé schématique des traits appartenant (ou non) à la norme de
prononciation québécoise
436
Liste des abréviations, des sigles
et des acronymes
all.
ANOVA
bac
BBC
cf.
CIEC
CITE
coef.
dB
DEC
DFP
DHFQ
DQA
EF
e.s.
et al.
F0
F1
F2
F3
FLE
GSG
Hz
KWA
ms
n
OLF
p. ex.
PFC
RAI
RDA
RFA
RTS
s
SRC
s.v.
TSR
UNESCO
vs.
x̅
χ2
σ
allemand
analysis of variance ‘analyse de la variance’
baccalauréat français
British Broadcasting Corporation
confer ‘comparer, se reporter à’
Conseil International d’Études Canadiennes
Classification Internationale Type de l’Éducation
coefficient
décibel
Diplôme d’études collégiales
Dictionnaire du français plus
Dictionnaire historique du français québécois
Dictionnaire québécois d’aujourd’hui
European French
erreur standard, erreur type
et alii ‘et autres’
formant 0, fréquence fondamentale
formant 1, marqueur de l’aperture
formant 2, marqueur de l’antériorité
formant 3, marqueur de l’arrondissement
français langue étrangère
German Standard German ‘allemand standard d’Allemagne’
hertz
Kurzfristiges wissenschaftliches Auslandsstipendium
milliseconde
taille de l’échantillon
Office québécois de la langue française
par exemple
Phonologie du Français Contemporain : usages, variétés et structure
Radiotelevisione italiana S.p.A.
République démocratique allemande
République fédérale d’Allemagne
Radio Télévision Suisse francophone
seconde
Société Radio-Canada
sub verbo ‘au mot’
Télévision Suisse Romande
United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization
versus ‘contre, par opposition à’
moyenne arithmétique
chi carré
erreur standard, erreur type
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1 Introduction
1.1 Problématique
Traditionnellement, la recherche sur la norme du français fait état de cette langue
comme étant le prototype d’une langue monocentrique (cf. Pöll 2005), Paris étant
en général représenté comme l’unique centre de la francophonie entouré de périphéries locales, régionales, nationales ou continentales (cf. Pustka et al. 2019, 27).
Ce monocentrisme représenterait par ailleurs une « exception sociolinguistique »
par rapport aux autres principales langues de grande extension (cf. Le Dû/Le Berre
1997, 11) : l’anglais, l’espagnol et le portugais présentent en effet des tendances
largement pluricentriques (cf. Pöll 2005) alors que l’allemand est considéré, selon
les études, comme étant une langue pluriaréale1 (cf. Wolf 1994) ou pluricentrique
(cf. Clyne 1995 ; Muhr 1997 ; 1998).
Des études de sociolinguistique publiées à partir des années 1960 et 1970 dans
la foulée de la sociolinguistique de tradition labovienne, qui visait entre autres à
mesurer le prestige (latent et manifeste) de langues et de variétés (cf. Labov 1966 ;
Trudgill 1972), montrent cependant qu’il pourrait exister une tendance actuelle à
l’apparition d’une certaine pluralité des normes du français (cf. Pöll 2011). C’est
tout d’abord au Québec qu’une forte expansion de la recherche en (socio-)linguistique sur les variétés du français québécois et sur l’apparition d’une norme dite
endogène (Pöll 2008, 99–101) peut être observée dans les décennies faisant suite
à la Révolution tranquille des années 1960 et 1970 (cf. Plourde et al. 2003, 232–234).
Ce faisant, les résultats montrent deux tendances : certaines études observent
uniquement une recrudescence d’un prestige latent (sur l’axe de la solidarité et
de la loyauté à l’in-group) des variétés du français québécois (cf. Kircher 2012).
D’autres montrent une diminution de l’importance du français parisien en tant
qu’unique porteur du prestige manifeste (sur l’axe vertical du pouvoir) et, parallèlement, l’apparition d’un certain prestige manifeste de diverses variétés du
français québécois (cf. entre autres Bouchard/Maurais 1999 ; Laur 2001). À partir
des années 1980, ce type d’études prend également pied au sein de la recherche
sur la francophonie européenne : ce faisant, les recherches font état, pour ce
qui est de la Belgique (cf. Garsou 1991 ; Lafontaine 1991 ; Francard 1993 ; Goosse
1 Au contraire du terme de pluricentrisme, qui est utilisé pour désigner les langues de grande
extension possédant plusieurs normes nationales, le terme de pluriaréalité est utilisé pour désigner l’existence de différentes normes régionales qui sont indépendantes des frontières politiques (Wolf 1994, 74–75). Une définition détaillée des deux termes pourra être trouvée au chapitre 2.1.2.4.
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2
1 Introduction
1995 ; Lafontaine 1997) et de la Suisse romande (cf. De Pietro 1995 ; Cichon 1998 ;
Knecht 2000), d’une situation double, similaire à la première tendance observée
au Québec : elles montrent, d’une part, l’émergence d’un prestige latent lié chez
une majorité des locuteurs à la conscience des particularités linguistiques de leur
région respective et, d’autre part, la forte orientation linguistique (et culturelle)
de ces mêmes locuteurs vers la France, dont le centre parisien continue à lui seul
à bénéficier d’un prestige manifeste.
Ces études portent principalement sur le domaine des représentations et attitudes, raison pour laquelle l’on pourrait reprocher à la recherche actuelle sur les
normes du français une perspective trop « impressionniste » négligeant les aspects
linguistiques internes. Mais, dans une moindre mesure, le changement allant
en direction d’une pluralité des normes est également étudié d’un point de vue
« interne », notamment dans le domaine de la prononciation et en particulier dans le
cas du Québec (cf. Cox 1998 ; Reinke 2005 ; Ostiguy/Tousignant 2008 ; Bigot/Papen
2013). Cette norme de prononciation, qui est plus difficile à définir que la norme
de la grammaire en raison de son caractère implicite et proprement oral (cf. Laks
2002, 5 ; cf. également Pöll 2018, 76), a longtemps été majoritairement considérée
comme étant une construction artificielle, que l’on désignait par le terme de français de référence (cf. Morin 2000 ; Laks 2002). Mais actuellement, de plus en plus
d’études tentent de définir cette norme sur la base d’études empiriques se basant sur
des expériences de perception (cf. entre autres Detey/LeGac 2008 ; Racine/Schwab/
Detey 2013) et des stimuli de locuteurs-modèles (cf. Chalier 2018). Cependant, si ces
méthodes empiriques permettent de définir les normes de prononciation en prenant
en compte la conscience linguistique des locuteurs non experts, elles n’établissent
cependant pas de corrélation directe entre les perceptions d’informateurs non
experts et les traits de prononciation observés dans les stimuli testés. Les explications linguistiques données (p. ex. les schibboleths observés dans les stimuli) pour
expliquer les évaluations obtenues n’en restent ainsi que trop peu fiables. Par ailleurs, ces études, très faibles en nombre, sont quant aux régions étudiées de portée
relativement faible car généralement restreintes à une seule variété.
1.2 Objectifs
Deux principaux objectifs, qui entendent répondre à ces lacunes de la recherche
actuelle, peuvent être présentés pour le présent ouvrage : premièrement, cette
dernière a l’ambition de montrer dans quelle mesure de potentielles normes de
prononciation endogènes propres à deux périphéries francophones, la Suisse
romande et le Québec, peuvent être décelées dans la conscience linguistique des
locuteurs non experts de ces régions. Deuxièmement, elle tentera de dégager – à
1.3 Méthode
3
l’exemple d’un choix de traits vocaliques propres à la Suisse romande et au
Québec – les traits de prononciation pouvant être définis comme appartenant à
ces normes. Ces deux régions périphériques sont par ailleurs complétées par la
région de Paris, traditionnellement considérée comme centre de la francophonie.
Ce choix repose, d’une part, sur la volonté de prendre en compte (en particulier en ce qui concerne les représentations et attitudes) la perspective « inverse »
de celle des périphéries et, d’autre part, sur la différence qu’il est important de
faire entre « français parisien » et « français de référence ». Ces deux termes sont
en effet souvent considérés comme synonymes, le français parisien étant, à tort
(cf. Pustka 2008, 213), régulièrement qualifié de géographiquement « neutre »
(cf. Müller 1975, 111 ; Carton et al. 1983, 76). La prise en compte de trois régions
francophones, le « centre » parisien ainsi que deux périphéries, repose par ailleurs sur la nécessité de pallier le manque d’études comparant la situation des
normes dans plus d’une région francophone. En effet, seules les études de Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978) (Tours, Limoges, Lille, Saint-Denis de la Réunion),
de Moreau (1996) (Belgique et Afrique), de Ledegen (2000) (France et Belgique)
et de Moreau et al. (2007) (France, Belgique, Suisse, Québec, Tunisie et Sénégal)
prennent plus d’une région en compte. Dans le but de diversifier le mieux possible les périphéries prises en compte dans le présent ouvrage, ces dernières ont
été délibérément choisies sur deux différents continents (l’Europe dans le cas de
Paris et de la Suisse romande, l’Amérique du Nord dans le cas du Québec).
Le choix des normes de prononciation en particulier est, pour sa part, tout
d’abord explicable par le fait que trois des quatre études sociolinguistiques portant
sur plusieurs régions francophones (cf. supra) n’abordent pas spécifiquement la
prononciation (à l’exception de l’étude de Moreau et al. 2007). Étant donné que le
domaine de la prononciation présente l’avantage de pouvoir isoler les traits pris en
compte et de réduire à un minimum le contexte linguistique dans lequel se trouvent
ces traits, ce domaine se trouve par ailleurs être particulièrement propice à satisfaire la nécessité de mettre les analyses des productions en corrélation directe avec
les tests de perception. Cette caractéristique permet ainsi – contrairement aux
études publiées jusqu’ici, qui se basent uniquement soit sur des perceptions soit
sur des productions (ou encore sur des représentations et attitudes) – de donner
des explications linguistiques solides et fiables quant aux évaluations obtenues.
1.3 Méthode
Les deux objectifs de recherche de l’ouvrage seront abordés sur la base de trois
méthodes complémentaires destinées à couvrir différents aspects de la norme de
prononciation :
4
–
–
–
1 Introduction
Représentations et attitudes d’informateurs non experts : l’existence de
normes de prononciation endogènes sera tout d’abord testée sur la base de
questionnaires quantitatifs sur les représentations et attitudes d’informateurs « non experts » (méthode sociolinguistique).
Productions de locuteurs-modèles : des hypothèses quant aux traits de prononciation pouvant appartenir à ces normes seront formulées sur la base de
l’analyse des productions linguistiques de locuteurs-modèles (méthode phonétique), c’est-à-dire des présentateurs de radio et de télévision de chacune
des régions étant considérés quant à leur usage comme modèles de prononciation (cf. Chalier 2018).
Perceptions d’auditeurs non experts : les traits endogènes potentiellement
standards dégagés des productions de locuteurs-modèles seront évalués
quant à leur aptitude à être pris en considération dans ces normes sur la base
de tests de perception effectués à nouveau par des auditeurs non experts
(méthode sociophonétique).
La combinaison de ces trois méthodes permet, premièrement, de surmonter
l’opposition souvent établie entre les aspects « externes » (sociolinguistiques)
et « internes » (prononciation) de la norme de prononciation. Deuxièmement,
elle offre la possibilité de mettre en corrélation directe perceptions et productions pour permettre de définir de manière concrète et fiable des traits considérés
comme standards dans chacune des régions. Finalement, elle se rapproche d’un
idéal « démocratique » en ne prenant plus seulement en compte la perspective
des linguistes, mais également celle des locuteurs-auditeurs « non experts ».
1.4 Structure
L’ouvrage est structuré de la manière suivante :
Le chapitre 2 (État de l’art) fait un état de la recherche actuelle sur la norme
de prononciation du français. Dans un premier temps, la norme linguistique
sera abordée dans sa signification générale, de même que les concepts y étant
associés (attitudes, prestige, pluricentrisme), afin de pouvoir mettre en place un
modèle de norme dynamique et « démocratique » réunissant la perspective des
linguistes à celle des locuteurs-auditeurs « non experts » (cf. 2.1). Dans un deuxième temps, j’aborderai la norme de prononciation en particulier. Ce faisant, je
présenterai les différents modèles de normes de prononciation proposés jusqu’ici
et la question des normes de prononciation endogènes dans les périphéries québécoise et suisse romande (cf. 2.2). Je proposerai par ailleurs un choix de différents traits de prononciation qui pourraient faire partie de chacune des poten-
1.4 Structure
5
tielles normes de prononciation (cf. 2.3). Je terminerai ce chapitre par un bilan
mettant en lumière les lacunes actuelles de la recherche que l’ouvrage se propose
de combler (cf. 2.4).
Le chapitre 3 (Méthode) décrit les trois méthodes combinées dans le présent
ouvrage pour étudier la norme de prononciation dans chacune des régions. Après
deux sous-chapitres introductifs visant à différencier les trois perspectives combinées dans cette étude (productions, perceptions, représentations/attitudes ;
cf. 3.1) et à présenter les principes fondamentaux de la recherche empirique en
sciences sociales sur lesquels reposent le choix des méthodes (cf. 3.2), le souschapitre 3.3 est dédié au questionnaire écrit employé pour étudier les représentations et attitudes des Parisiens, des Suisses romands et des Québécois par rapport
à la norme de prononciation (cf. 3.3). Il propose une description détaillée du
questionnaire (questions, objectif de chaque question, ordre des questions), de la
sélection (échantillonnage par quotas) et du recrutement des informateurs ainsi
que du protocole d’analyse statistique. Le sous-chapitre suivant est consacré à la
description des analyses de voyelles produites par les locuteurs-modèles et décrit
la récolte de données ainsi que les étapes d’analyses (mots et syntagmes pris en
compte, segmentation, mesures) (cf. 3.4). Le dernier sous-chapitre décrit les tests
de perception effectués auprès d’auditeurs non experts. J’y décris les stimuli utilisés dans chaque région, les questions et les catégories de réponse ainsi que la
sélection des informateurs et le protocole d’analyse statistique (cf. 3.5). Les trois
chapitres suivants sont dédiés aux résultats.
Le chapitre 4 (Attitudes et représentations) rend compte des résultats des
questionnaires sur les représentations et attitudes de locuteurs « non experts »
face à différents aspects de la norme de prononciation traditionnelle et face à
de potentielles normes de prononciation endogènes. Après une présentation
des résultats pour chacune des trois régions (cf. 4.1–4.3), une comparaison des
conclusions tirées des trois questionnaires est proposée dans le cadre d’une discussion (cf. 4.4). De cette manière, je pourrai donner les principaux éléments permettant de déterminer dans quelle mesure il émane des normes endogènes des
périphériques francophones suisses romandes et québécoises (cf. 1.2 : premier
objectif).
Le chapitre 5 (Productions) contient les résultats des analyses des voyelles
produites par les locuteurs-modèles parisiens, suisses romands et québécois. Il
s’agit de mesures acoustiques dans le cas des voyelles orales et d’analyses quantitatives basées sur des codages par accord interjuges dans le cas des voyelles
nasales. Dans ce chapitre également, la présentation des résultats des analyses
pour chacune région est suivie d’une discussion (cf. 5.1.–5.3), qui permettra de
formuler des hypothèses quant aux traits entrant en ligne de compte dans la définition de chacune des potentielles normes endogènes (cf. 1.2 : deuxième objectif).
6
1 Introduction
Le chapitre 6 (Perceptions), finalement, contient les résultats des tests de perception, qui ont été effectués afin de corroborer ou de réfuter les hypothèses faites
sur la base de l’analyse des productions (cf. 1.2 : deuxième objectif). Ces tests
portent ainsi sur les mêmes voyelles que celles analysées dans le chapitre sur
les productions des locuteurs-modèles et se basent sur trois types de questions
destinées à tester trois conceptions bien distinctes de la norme de prononciation
(norme indépendante de la situation, norme liée à l’usage de locuteurs-modèles
des médias de masse, norme à enseigner dans les cours de français langue étrangère). Les résultats de ces tests seront présentés pour chacune des trois régions de
manière séparée et comparés respectivement aux résultats des productions dans
le cadre d’une discussion (cf. 6.1–6.3). De cette manière, un bilan solide et fiable
des traits vocaliques testés appartenant à ces normes pourra être présenté pour
chacune des régions.
2 État de l’art
Le présent ouvrage étudiant les normes de prononciation du français à Paris, en
Suisse et au Québec sur la base de méthodes aussi bien sociolinguistiques que
sociophonétiques, l’état de l’art présenté ci-dessous portera sur les concepts étant
rattachées à ce type de normes ainsi que sur les traits de prononciation qui pourraient appartenir à ces normes. Tout d’abord, le concept de norme sera abordé et
défini des points de vue historique (cf. 2.1.1.1) et sociolinguistique (cf. 2.1.1.2) afin
de pouvoir, sur cette base, proposer une définition de norme « démocratique » sur
laquelle se basera la suite de l’ouvrage (cf. 2.1.1.3). L’aménagement linguistique, aspect
politique de la norme, clôturera ce premier sous-chapitre (cf. 2.1.1.4). Toute norme
étant par ailleurs définie par un ensemble de valeurs extralinguistiques d’une
communauté (p. ex. la « qualité », la « justesse », la « pureté », la « beauté »), je traiterai du concept d’attitudes linguistiques dans le sous-chapitre suivant (cf. 2.1.2), en
abordant les axes fondamentaux de l’insécurité linguistique et du prestige latent et
manifeste (cf. Labov 1963 ; Trudgill 1972) et en proposant un aperçu des attitudes
linguistiques dans les trois régions étudiées dans cet ouvrage. Le sous-chapitre sera
clos par une discussion du concept controversé de pluricentrisme, qui se trouve au
centre de cet ouvrage. La deuxième partie de cet état de l’art (cf. 2.2) portera sur le
concept de norme de prononciation en particulier. J’y présenterai, d’une part, la
controverse autour de la définition d’une telle norme pour le français, et, d’autre
part, les cas particuliers des trois régions étudiées : Paris, la Suisse romande et le
Québec. Le sous-chapitre suivant sera consacré aux différents traits de prononciation (cf. 2.3) qui seront à la base des analyses de production et des tests de perception des chapitres 5 et 6. L’état de l’art sera clos par un bilan de l’état actuel de la
recherche ainsi que par les objectifs du présent ouvrage qui en découlent (cf. 2.4).
2.1 Norme(s)
2.1.1 Concept de norme
Une considération lexicologique du terme de norme dans sa définition la plus
générale – bien au-delà de la sociolinguistique – met en lumière deux concepts distincts : « [. . .] [le premier relève] de l’observation, l’autre de l’élaboration d’un
système de valeurs, [. . .] [le premier correspond] à une situation objective et statistique, l’autre à un faisceau d’intentions subjectives » (Rey 1972, 5). Ces deux
concepts peuvent être retrouvés dans les dictionnaires actuels, dans lesquels
on définit le premier type de norme comme un « type concret ou [une] formule
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8
2 État de l’art
abstraite de ce qui doit être, en tout ce qui admet un jugement de valeur » (Le
Grand Robert 2017, s.v. « norme »). Il s’agit donc, selon le cas, d’un idéal, d’une
règle ou encore d’un modèle. Le deuxième type de norme fait, pour sa part, référence à un « état habituel, ordinaire, régulier, conforme à la majorité des cas »,
c’est-à-dire en d’autres termes une sorte de moyenne, de tendance générale ou de
normale.
Mais qu’en est-il des normes linguistiques ? Comment se sont-elles développées dans le cas particulier du français ? Afin de pouvoir répondre à ces questions et de pouvoir proposer un aperçu le plus complet possible du concept de
norme, qui servira de point de référence à cet ouvrage, il conviendra tout d’abord
de proposer un bref aperçu historique de l’évolution de la norme du français en
France (cf. 2.1.1.1). Par la suite, je présenterai les principaux travaux de sociolinguistique de tradition anglo-saxonne et francophone sur la norme (cf. 2.1.1.2), ce
qui m’amènera finalement à définir le terme tel qu’il sera utilisé dans l’ouvrage
(cf. 2.1.1.3). Dans ce cadre-ci, j’aborderai également la problématique autour des
attitudes face à une telle norme (cf. 2.1.2) et celle de la diversification géographique des normes, connue en sociolinguistique sous le nom de pluricentrisme
(cf. 2.1.2.4).
2.1.1.1 Aperçu historique
En matière de langage, si l’on reprend les réflexions sur la norme dans une perspective historique (cf. Rey 1972, 7–8), c’est tout d’abord le concept d’usage qui
domine les premiers commentaires sur la norme proposée par les grammairiens du 16ème siècle ayant travaillé sur le français (cf. principalement Tory 1529 ;
Sylvius 1531 ; Meigret 1542 ; Estienne 2003 [1557]). En l’absence d’auteurs antérieurs pouvant servir de modèle, ces derniers sont en premier lieu intéressés à
atteindre une norme « descriptive » pour la langue écrite dans le but d’élever le
français à un statut de langue classique comparable au grec et au latin. En fonction de l’auteur, cette norme doit se baser sur le modèle d’un usage oral et/ou
écrit, cet usage écrit pouvant être, pour sa part, archaïque ou non (cf. Brunot
1905, 124–159 ; Marzys 2010, 193). Par ailleurs, il faut noter qu’étant donné que le
16ème siècle a été un siècle d’élaboration linguistique non systématique, décentralisée et sans prétention de prescription, le concept de norme du 16ème siècle
doit être compris comme découlant également du besoin pratique d’une certaine
uniformité de la langue afin de pouvoir profiter au mieux des avantages de l’imprimerie (cf. Marzys 2010, 193). Ainsi, la norme définie au 16ème siècle doit être
comprise comme une norme du deuxième type mentionné plus haut (cf. 2.1.1) :
une norme « objective » et « statistique ».
2.1 Norme(s)
9
Plus tard, les nouvelles conditions socio-politiques1 du 17ème siècle font apparaître une nouvelle dimension plus « volontariste » de la norme, qui tourne autour
d’un système de valeurs prédéterminées. Il s’agit donc d’une norme du premier
type mentionné plus haut (cf. 2.1.1) : une norme liée à des jugements de valeur subjectifs. C’est dans ce cadre-ci que Claude Favre de Vaugelas (1585–1650) propose sa
célèbre norme dans ses Remarques sur la langue françoise :
« C’est la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’escrire de la plus saine partie des Autheurs du temps. Quand je dis la Cour, j’y comprens les
femmes comme les hommes, et plusieurs personnes de la ville où le Prince reside, qui par
la communication qu’elles ont avec les gens de la Cour participent à sa politesse » (Vaugelas
2009 [1647], 68).
Dans sa définition, Vaugelas propose d’aligner la norme sur le modèle de l’usage
du français parlé à la Cour et trouvé dans les œuvres de quelques « grands » écrivains de son temps.2 Il est donc le premier à définir la norme en premier lieu
comme une forme de langue se manifestant non plus dans l’usage, mais dans le
bon usage.
Par ailleurs, la définition de Vaugelas fait ressortir des instances normatives
liées à des critères géographiques et sociaux. Au niveau géographique, il situe
le bon usage dans « la ville où le Prince réside », c’est-à-dire, en 1642, la ville de
Paris, le roi Louis XIV ne s’installant à Versailles qu’en 1682 (cf. Marzys 2010, 192).
Au niveau social, sa définition de la « Cour » ne se réduit pas seulement à l’aristocratie, mais contient également toutes les personnes participant à la « politesse »
des courtisans, c’est-à-dire, en utilisant les termes de l’époque, les « honnêtes
gens » (cf. Auerbach 21965, 4–5). Vaugelas ajoute cependant une restriction à ces
deux critères en ne choisissant que « la plus saine partie », soit une minorité
« élitiste » de la Cour et des auteurs. Ces derniers n’ont, au contraire de la Cour,
pas une fonction fondatrice de la norme, mais une fonction plus subalterne d’authentification de cette norme.
Quant aux destinataires de la norme de Vaugelas, ils représentent non pas la
totalité de la population française, mais principalement ces mêmes « honnêtes
1 Les conditions les plus souvent nommées sont la fin des guerres civiles, l’unification de grands
États européens (Angleterre, Espagne, France), l’essor de la monarchie absolue et la centralisation du pouvoir. Il faut cependant noter que certains linguistes remettent ce narratif historique
en question (cf. entre autres Ayres-Bennett/Seijido 2013, 8).
2 Parmi les auteurs français désignés par leur nom, l’on retrouve Jacques Amyot, Jean Bertaut,
Nicolas Coëffeteau, Philippe Desportes, Joachim du Bellay, le cardinal Jacques Davy du Perron,
Guillaume du Vair, François de Malherbe, Michel Eyquem de Montaigne et Pierre de Ronsard
(cf. Ayres-Bennett 1987, 61).
10
2 État de l’art
gens » : « [. . .] il n’estoit pas permis aux honnestes gens de parler jamais autrement que dans le bon Usage, ny aux bons Escrivains d’escrire autrement aussi que
dans le bon Usage » (Vaugelas 2009 [1647], 84). La question des registres touchés
par le bon usage est également clarifiée par Vaugelas. Selon lui, ce dernier doit en
effet réglementer la langue dans tous ses registres stylistiques :
« Pour moy j’ay creu jusqu’icy que dans la vie civile, et dans le commerce ordinaire du
monde, il n’estoit pas permis aux honnestes gens de parler jamais autrement que dans
le bon Usage, ny aux bons Escrivains d’escrire autrement aussi que dans le bon Usage ;
Je dis en quelque stile qu’ils escrivent, sans mesmes en excepter le bas » (Vaugelas 2009
[1647], 84).
Finalement, pour ce qui est de l’objectif de ce bon usage, Vaugelas affirme dans le
sous-titre de son œuvre que ses Remarques doivent être « utiles à ceux qui veulent
bien parler et bien escrire » (Vaugelas 1647, page de titre), c’est-à-dire ceux qui
veulent parler selon le bon usage de manière à se faire accepter par « le ‹ public ›,
autrement dit par la société aristocratique, seul public qui compte » (Marzys
2010, 194).
Ainsi, une telle définition pousse la plupart des linguistes à interpréter le bon
usage de Vaugelas comme une norme qu’ils qualifient de « totalitaire » ou encore
d’« autoritaire » (Rickard 1992, 4), au contraire des tentatives de codification proposées antérieurement à Vaugelas (cf. supra). La qualification d’« autoritaire »
doit cependant être relativisée : Vaugelas témoigne non seulement de l’attitude
restrictive du classicisme, mais aussi d’une position d’observateur tolérant privilégiant en partie la variation sociolinguistique. En effet, son bon usage n’inclut
pas seulement l’oral et l’écrit, ainsi que l’usage linguistique des femmes et des
hommes, mais – fait plus révélateur encore – la rigidité théorique de sa définition
est également relativisée par la souplesse de l’interprétation dans ses observations grammaticales à proprement parler (cf. Ayres-Bennett/Seijido 2013, 9–10 ;
cf. également Ayres-Bennett 1994 ; 2004) :
« L’Usage neantmoins a estably recouvert pour recouvré, c’est pourquoy il n’y a point de
difficulté qu’il est bon : car l’Usage est le Roy des langues, pour ne pas dire le Tyran : Mais
parce que ce mot n’est pas encore si generalement receu, que la pluspart de ceux qui ont
estudié ne le condamnent, et ne le trouvent insupportable, voicy comme je voudrois faire ;
Je voudrois tantost dire recouvré, et tantost recouvert ; j’entens dans un œuvre de longue
haleine, où il y auroit lieu d’employer l’un et l’autre » (Vaugelas 2009 [1647], 139).
Ce n’est donc qu’à partir du 18ème siècle que le bon usage de Vaugelas porté par
la « plus saine partie de la Cour » commencera à s’étendre hors du domaine des
« honnêtes gens ». Ce processus sera initié par « la plus saine partie des écrivains », suivis par la société bourgeoise et, à la fin du 19ème siècle, par l’école obli-
2.1 Norme(s)
11
gatoire, cette dernière étant soutenue par la création des premières grammaires
normatives (cf. Suso López 1996, 175–188 ; Marzys 2010, 201).
Quant au statut actuel du bon usage, bien que de façon adaptée, il est possible d’affirmer qu’il a forgé une attitude normative plus affirmée chez les francophones que celle qui peut être trouvée chez les locuteurs d’autres langues de
grande extension. Ainsi, selon Marzys (2010, 202–203), cette attitude se traduit
par trois idées :
(1) La norme du français se fonde sur l’usage d’une élite sociale.
(2) La norme fait partie de la culture francophone et est conçue par les locuteurs
« comme un savoir, un savoir-vivre et l’enracinement dans une tradition »
(Marzys 2010, 202).
(3) Au-delà de la fixation classique et scolaire de la norme durant les 18ème et
19ème siècles et en accord avec Vaugelas, la norme admet un certain changement, aussi bien interne (réformes grammaticales, orthographiques, etc.)
qu’externe (modèle de référence à suivre).
La question de la norme introduite par Vaugelas subsiste donc encore dans la
conscience ainsi que dans les pratiques linguistiques des francophones, faisant
d’elle un sujet d’étude fondamental de la sociolinguistique du français (cf. entre
autres Baylon 1991, 161–162 ; Marzys 2010, 203). C’est de cette perspective de la
sociolinguistique que traitera le chapitre suivant.
2.1.1.2 Sociolinguistique
2.1.1.2.1 Définition
En sociolinguistique, ce sont ces deux mêmes concepts de l’usage (ou du normal,
selon la citation de Calvet 1998 présentée ci-dessous) et du bon usage (ou du
normatif) (cf. 2.1.1) qui peuvent être trouvés dans la définition traditionnelle des
normes linguistiques : « Le mot norme renvoie en effet en français à deux sens
différents, désignant d’une part l’idée de moyenne, de fréquence (et correspondant dans ce sens à l’adjectif normal) et d’autre part celle de soumission à un jugement de valeur, à une règle (et correspondant dans ce sens à l’adjectif normatif) »
(Calvet 1998, 13). Le consensus part du principe qu’il est possible de différencier une norme descriptive d’une norme prescriptive (cf. Pöll 2005, 51). La norme
descriptive, nommée également norme d’usage (cf. Girard/Lyche 1997, 8–9) ou
norme objective (cf. Pöll 2005, 51) est une norme que l’on pourrait qualifier de
« statistique ». Elle englobe en effet l’ensemble des traits linguistiques qui sont
communs à une majorité des locuteurs, ces derniers la réalisant de façon habituelle ou normale. Il s’agit donc d’une norme implicite (cf. Ostiguy/Tousignant
12
2 État de l’art
2008, 23–28) qui se réfère au respect des règles générales de l’usage de la langue.
Cette caractéristique fait d’elle ainsi non pas une norme unique, mais une norme
dépendant de la situation de communication et du groupe social dans laquelle
elle est en usage, c’est-à-dire une norme plurielle ou plutôt des normes.
L’autre type de norme proposée dans la citation de Calvet (1998) (cf. supra) est
la norme prescriptive, qui, elle, n’est pas centrée sur ce qui est « normal », mais
sur ce qui est « normatif ». Elle est donc liée à un système de valeurs et tend à
fixer un « bon usage », c’est-à-dire un ensemble de règles à caractère prescriptif
et explicite, cet usage étant imposé de l’extérieur, notamment à travers l’aménagement linguistique (cf. Girard/Lyche 1997, 8 ; cf. également chapitre 2.1.1.4).
Selon Ostiguy/Tousignant (2008, 24–25), cette norme prescriptive est par ailleurs
pourvue de trois caractéristiques fondamentales. Premièrement, du point de vue
des locuteurs, elle se fonde sur la notion d’un « bon » et d’un « mauvais » usage.
Deuxièmement, elle repose sur un appareil de référence complexe. Ce dernier
englobe les locuteurs-modèles (qui servent de référence à la communauté linguistique), les organismes publics (qui diffusent le « bon usage ») et, finalement, les
ouvrages de référence (qui servent à codifier ce « bon usage » dans des grammaires, des dictionnaires et, en particulier, des dictionnaires de prononciation).
Troisièmement, jouant le rôle de « référence légitime », cette norme est diffusée
et imposée à la communauté linguistique dans des lieux stratégiques comme
l’école, l’administration publique et la presse.
Cette séparation classique entre normes descriptives et normes prescriptives semble cependant présenter trois problèmes. Tout d’abord, en reprenant
la critique de Houdebine-Gravaud (1995, 111), cette approche sociolinguistique
masque la valeur subjective des normes en mettant l’accent sur le fait que les
normes seraient régies par leur appartenance à un groupe social. Elles sont
« déterminées certes par la position du sujet dans la société, mais peut-être plus
encore par la façon dont il se la représente » (Houdebine 1983, 116). Il est ainsi
essentiel de prendre également en compte les représentations et attitudes des
membres d’un groupe social (cf. 2.1.1.3). Ensuite, il faut ajouter à la critique de
Houdebine-Gravaud le fait que la définition de la norme descriptive ne sépare pas
suffisamment la description qu’en font les linguistes des normes implicites non
décrites des locuteurs. Enfin, ce modèle n’explicite pas non plus suffisamment la
dynamique des interactions entre la catégorie des représentations et attitudes3
des locuteurs et celle des productions concrètes.
3 Postlep (2010, 55–56) définit les attitudes comme étant les évaluations et sentiments affectifs
face à la variation linguistique, au contraire des représentations linguistiques qui représentent
la structuration cognitive de cette variation.
2.1 Norme(s)
13
Une typologie plus complète de cinq types de normes prenant en compte ces
trois éléments jusqu’ici lacunaires se trouve chez Moreau (1997).4
(1) La première catégorie de normes décrites par cette dernière est celle des
normes objectives (également appelées normes de fonctionnement ou normes
de fréquence). Il s’agit ici des habitudes linguistiques partagées par les
membres d’une communauté linguistique. Les locuteurs n’étant pas obligatoirement conscients de l’existence de ces normes, elles sont caractérisées
comme implicites. Dans le but de l’identification de ces normes, elles peuvent
par la suite faire l’objet d’une observation et d’une description de la part des
sociolinguistes.
(2) Une fois que cette étape allant d’une nature implicite et non décrite à un état
explicite et décrit par les sociolinguistes est accomplie, ces normes sont appelées normes descriptives. Ces descriptions font état des faits constatés sans
procéder elles-mêmes à une hiérarchisation ou une association à des jugements de valeur (ce qui n’empêche pas une description des hiérarchisations
et des jugements de valeur se trouvant dans la conscience des locuteurs).
Il est par ailleurs important de noter que ces normes descriptives décrivent
souvent uniquement une partie des normes objectives. Elles ne sont donc pas
exhaustives de la totalité des normes objectives dans leur description.
(3) Selon Moreau (1997), la troisième catégorie de normes est celle des normes
prescriptives. Ces dernières fixent une norme objective ou un ensemble de
normes objectives (cf. Reinke/Ostiguy 2016, 93) comme le modèle à suivre,
c’est-à-dire ce que les locuteurs considèrent comme le « bon usage » ou encore
la norme. Toutes les autres normes objectives sont alors hiérarchisées à partir
de cette norme de référence. Il s’agit donc bien d’une norme définie et légitimée par les rapports sociaux, la norme ainsi prescrite étant souvent celle
d’une élite sociale dominante aux niveaux économique, social et/ou culturel
(cf. Reinke/Ostiguy 2016, 93). C’est par ailleurs cette norme qui est codifiée
dans les ouvrages de référence tels que les grammaires et les dictionnaires.
(4) Les normes évaluatives (nommées également normes subjectives) sont liées
aux attitudes et représentations des locuteurs par rapport à leur langue. Elles
influencent les normes prescriptives et prennent donc part à la hiérarchisation des variétés.
(5) Moreau (1997) nomme finalement un cinquième type de normes, les normes
fantasmées, qu’elle définit comme un « ensemble abstrait et inaccessible de
prescriptions et d’interdits que personne ne saurait incarner et pour lequel
4 Cf. également Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978, 773), Aléong (1983, 261), Lafontaine (1986,
16), Leclerc (1986, 267) et Reinke/Ostiguy (2016, 92–93).
14
2 État de l’art
tout le monde est en défaut » (Moreau 1997, 222–223), c’est-à-dire une sorte de
« norme supérieure » idéalisée, irréaliste et inaccessible, mais présente dans
la conscience des membres d’une communauté linguistique.
Le modèle de Moreau (1997) présente cependant, lui aussi, plusieurs lacunes
et points problématiques. Premièrement, les normes fantasmées étant directement liées aux représentations, il me semble important de ne pas les considérer
comme équivalentes aux autres normes, mais plutôt comme une sous-catégorie
des normes évaluatives.
Deuxièmement, il est problématique d’appeler norme objective une norme
des locuteurs implicite et non décrite. Il semblerait plus judicieux de la compter
parmi les normes subjectives (c’est-à-dire, au sens strict du terme, les normes
se trouvant dans la conscience des locuteurs étudiés), à la différence que cette
norme se base, elle, non pas sur les représentations et attitudes, mais sur les productions des locuteurs. Notons que cette différence de fondement de la norme
dans différentes catégories linguistiques (productions et représentations)5 a été
proposée par Pustka/Chalier/Jansen (2017, 102) : selon eux, il est important de
noter que les normes descriptives et les normes prescriptives ne reposent pas sur le
même fondement théorique. En effet, les normes descriptives ont leur fondement
dans la production linguistique, l’usage étant différent selon le groupe social
et selon la situation de communication. Les normes prescriptives sont, elles,
fondées sur les représentations des locuteurs, ces derniers ayant une conscience
plutôt homogène de ce qui est considéré comme un « bon » ou un « mauvais »
usage. Ainsi, selon ces auteurs, il semble plus approprié de qualifier ces deux
normes de normes descriptives des productions et de normes prescriptives des
représentations. Il faut cependant remarquer que cette catégorisation ne prend
pas en compte la stricte séparation entre (1) locuteurs, (2) linguistes et (3) organismes publics et que les dynamiques présentes entre les différentes normes n’y
sont pas abordées.
Le troisième point problématique touche au fait que, de façon complémentaire au point précédent, Moreau (1997) ne mentionne pas la catégorie des normes
de la perception. En effet, selon le modèle de la ‘linguistique perceptive des variétés’ (all. Perzeptive Varietätenlinguistik, cf. Krefeld/Pustka 2010 ; cf. également
Krefeld 2005), les perceptions, qui se basent directement sur la perception de la
parole dans des situations de communication concrètes, doivent être strictement
5 Pustka/Chalier/Jansen (2017, 102–103) font cette différenciation pour la norme de prononciation en particulier. La prononciation faisant cependant partie des domaines les moins explicites
dans la conscience des locuteurs, ces réflexions semblent pouvoir être transposées aux autres
niveaux linguistiques.
2.1 Norme(s)
15
séparées des représentations, qui, elles, forment une partie de la conscience linguistique (langue) et ne sont donc pas impérativement reliées à la production linguistique. Reportée sur la problématique des normes, cette approche met à jour
la nécessité de distinguer les normes subjectives des représentations et attitudes,
d’une part, des normes subjectives des perceptions, d’autre part. Les premières
sont des normes présentes dans la conscience linguistique des locuteurs n’étant
pas impérativement liées à la production linguistique concrète. Les secondes sont
des normes liées à la perception d’un acte de parole concret dans une situation de
communication concrète.
Quatrièmement, bien que Moreau (1997) fasse une différence entre les normes
descriptives et les normes prescriptives, il est important de rendre plus explicite la
séparation entre, d’une part, les descriptions et abstractions (les plus objectives possibles) des linguistes et, d’autre part, les prescriptions des organismes publics (dans
le cadre d’un aménagement linguistique). Ces prescriptions doivent (dans l’idéal)
être comprises comme une étape suivant la description et se basant sur celle-ci, bien
que ceci ne soit pas toujours le cas (cf. 2.1.1.1).
2.1.1.2.2 Autorité(s)
Une problématique supplémentaire de l’étude de la norme est celle de l’autorité
sur laquelle s’appuient les normes. Les grammairiens se sont basés, du 16ème siècle
à aujourd’hui, sur la production linguistique de groupes sociaux bien définis
pour en déduire leur norme idéale. Or, ces groupes se sont déplacés, selon la
période et l’auteur, de l’érudit au mondain, du Palais à la Cour et, pour ce qui est
du médium, de l’oral (Vaugelas) à l’écrit (cf. Ayres-Bennett/Seijido 2013, 12–13).
Cette relation entre norme et autorité peut être expliquée par la théorie du
marché linguistique de Bourdieu (1982) : « Les rapports de communication par
excellence que sont les échanges linguistiques sont aussi des rapports de pouvoir
symbolique où s’actualisent les rapports de force entre les locuteurs ou leurs
groupes respectifs » (Bourdieu 1982, 14). Ainsi, selon Bourdieu, les locuteurs
ont tendance à prêter une valeur sociale aux variantes existant au sein de ce
« marché », et ils octroient une légitimité particulière aux variantes symboliquement « dominantes » (1982, 14).
En d’autres termes, les variantes appartenant à la norme sont plus prestigieuses que les variantes n’y appartenant pas. En reprenant le modèle de Labov
(1963 ; 1966) et Trudgill (1972), ce prestige linguistique peut se manifester sous
deux formes différentes, suggérant de la même manière deux autorités différentes. D’une part, ce prestige peut être manifeste (overt prestige), c’est-à-dire se
baser sur l’utilisation de traits linguistiques manifestement prestigieux au sein de
la communauté linguistique, ces traits étant attribués à l’élite d’une communauté
16
2 État de l’art
linguistique. D’autre part, le prestige peut être latent (covert prestige), c’est-à-dire
se reposer sur l’utilisation de traits linguistiques liés à des valeurs populaires privilégiant l’adhésion sociale des locuteurs.
La question de l’autorité (élite vs. peuple) est donc directement reliée à la
différenciation entre usage et bon usage présentée dans l’historique (cf. 2.1.1.1) et
dans les travaux de sociolinguistique (cf. 2.1.1.2) : on pourrait dire qu’une norme
démocratique se base sur l’usage d’une majorité des locuteurs d’une communauté alors qu’une norme autoritaire est fondée sur le bon usage d’une élite de
cette communauté.
En appliquant ces réflexions à la situation actuelle, il faut observer, comme le
souligne Marzys (2010, 203), qu’il n’existe certes plus de Cour propageant le bon
usage. La notion d’élites sociales porteuses de la norme est restée cependant bien
présente dans la conscience des locuteurs jusqu’à aujourd’hui, aussi bien dans
la communauté francophone que dans d’autres communautés linguistiques.
Ainsi trouve-t-on des propositions de modèles dans les domaines du théâtre (cf.
pour l’allemand la Deutsche Bühnenaussprache de Siebs 1898 ; pour le français
le modèle de la Comédie-Française proposé par Le Roy 1967), de la radio (cf. Léon
1968 dans le cas du français) ou encore de la télévision (le BBC accent en Angleterre, l’accento RAI en Italie et la prononciation de la Tagesschau en Allemagne,
cf. Pöll 2005). Le modèle le plus actuel proposé pour le français peut être trouvé –
entre autres – chez Reinke (2004, 14–17 ; cf. également Reinke 2005, 14–15), qui
affirme que l’usage linguistique de ce qu’elle nomme les ‘locuteurs-modèles’ (all.
Modellsprecher), en l’occurrence les présentateurs de journaux radiophoniques
et télévisés, équivaut actuellement au bon usage de l’époque. En effet, même si
l’influence de cet usage linguistique n’a jusqu’ici pas été étudié de manière approfondie, la plupart des linguistes s’accordent à en admettre l’existence : « Obwohl
es unseres Wissens keine Studien gibt, die eindeutig die Art und Weise der Beeinflussung des allgemeinen durch den öffentlichen Sprachgebrauch untersuch[en],
wird dieser Einfluss immer wieder betont [. . .] » (Reinke 2004, 14).6
Maurais (1985, 71), Léon (1994, 404) et Reinke (2004, 14) expliquent cette
considération par la portée des médias audiovisuels et, par conséquent, l’effet de
consommation de masse à travers toutes les couches sociales.7 Ils font par ailleurs
remarquer que la télévision, à travers sa possibilité de visualisation des contenus,
6 ‘Bien qu’à notre connaissance, il n’existe aucune étude examinant clairement l’influence de
l’usage linguistique des médias publics sur l’usage linguistique général, cette influence est soulignée à maintes reprises’ (Traduction : Marc Chalier).
7 Notons que cette influence des médias de masse n’est pas un phénomène récent : il a débuté
dès les années 1880, avec l’apparition d’une forte consommation des médias de masse écrits
(principalement la presse écrite) (cf. Schildt 2001, 177–206).
2.1 Norme(s)
17
présente un grand pouvoir d’attraction auprès du public et favorise son identification aux présentateurs de télévision et son accommodation linguistique par
rapport à l’usage de ces présentateurs. Ces affirmations sont soutenues par les
travaux de psychologie médiatique touchant à l’‘interaction parasociale’ (angl.
parasocial interaction, cf. Horton/Wohl 1956), qui ont constaté que la formation
d’un attachement émotionnel et social des téléspectateurs avec les présentateurs
des journaux est une caractéristique commune de l’interaction unidirectionnelle
des téléspectateurs avec les journaux télévisés (cf. Levy 1979). Dans des travaux
d’application de ce concept à la sociolinguistique, Stuart-Smith (2011 ; 2012) a
montré une influence de feuilletons télévisés populaires sur l’usage linguistique
de locuteurs de Glasgow à travers cette interaction parasociale (cf. également
Gunter 2014). Notons cependant il n’existe pas encore d’étude de ce genre consacrée aux présentateurs de télévision et qu’il manque encore des études portant
sur la production linguistique dans les médias eux-mêmes (cf. Androutsopoulos
2014, 243). Soulignons par ailleurs que l’influence des médias sur l’usage linguistique reste controversée : Trudgill (2014) affirme notamment que les médias audiovisuels seraient historiquement beaucoup trop récents pour avoir une influence
notable sur les changements linguistiques (cf. Trudgill 2014, 221).
Bien que l’influence de l’usage linguistique des présentateurs des journaux
sur l’usage de la population n’ait pu être montrée empiriquement jusqu’ici pour ce
qui est de la production linguistique (cf. supra), plusieurs études ont pu montrer
que ce modèle est bien présent dans les représentations et attitudes des locuteurs.
En sociolinguistique du français, ce phénomène a principalement été étudié pour
le cas du Québec. En effet, un certain nombre de travaux sont arrivés à la conclusion que l’usage linguistique des présentateurs du journal télévisé de la chaîne
publique Radio-Canada est considéré comme un modèle de référence pour une
grande majorité des Québécois francophones (cf. D’Anglejan/Tucker 1973 ; Lappin
1982 ; Bouchard/Maurais 2001 ; Reinke 2004 ; 2005 ; Bigot/Papen 2013 ; Chalier
2018). Par ailleurs, selon Maurais (1999, 69), la télévision introduirait dans l’usage
des locuteurs de la communauté linguistique non seulement des variantes formelles, mais aussi des variantes informelles, préférant ainsi la variation linguistique. Ceci pousserait progressivement ces locuteurs à abandonner les formes
jugées moins correctes lorsque la situation de communication l’exige (cf. également Reinke 2005, 11).
Ainsi, les locuteurs-modèles semblent bien représenter un groupe social
ayant une fonction de référence pour la communauté linguistique, ce qui – au
premier abord – les rapproche sur le fond des élites de la Cour privilégiées par
Vaugelas. Cependant, la qualification de leur usage comme modèle de référence
n’étant pas, contrairement au modèle de Vaugelas, imposée par le haut (perspective étique) mais bien par la volonté d’une majorité des locuteurs eux-mêmes
18
2 État de l’art
(perspective émique) (cf. Postlep 2010, 61–62, se basant sur les travaux de Pike
2
1967), ce modèle permet de se détacher de la norme autoritaire et de baser la
norme prescriptive moderne non plus sur un bon usage autoritaire, mais sur un
bon usage démocratique.
2.1.1.3 Modèle démocratique et modèle autoritaire
Un résumé des réflexions présentées jusqu’ici permet de distinguer deux modèles
de normes : le modèle à l’image du bon usage proposé pas Vaugelas, que je qualifierais d’autoritaire, et le modèle plus moderne et démocratique du bon usage
proposé par les sociolinguistes. Ce modèle autoritaire – malgré la relativisation
de ce terme proposée par plusieurs linguistes (cf. 2.1.1.1) – doit être compris
comme ayant une autorité élitiste ne prenant pas en compte les normes subjectives des locuteurs. Par ailleurs, ce modèle se base uniquement sur les productions
des locuteurs des élites, sans prendre en compte les domaines des perceptions ni
des représentations et attitudes des locuteurs. Il s’agit ainsi d’un modèle pouvant
être qualifié de linéaire, étant donné qu’il n’autorise pas d’influences réciproques
entre les instances, mais se limite à une influence unidirectionnelle entre les
autorités décidant de la norme (locuteurs d’une élite sociale et grammairiens) et
les locuteurs (cf. figure 1).
Figure 1 : Modèle autoritaire et linéaire de la norme.
Le modèle démocratique, pour sa part, propose une autorité en quelque sorte
« élue » par une majorité des locuteurs : les locuteurs-modèles des médias audiovisuels. Ce modèle ne prend pas seulement en compte les productions (de ces
locuteurs-modèles), mais également les perceptions ainsi que les représentations
et attitudes des locuteurs « ordinaires ». Par ailleurs, contrairement au modèle
autoritaire, ce modèle contient trois normes distinctes (normes subjectives, normes
descriptives, normes prescriptives) liées à trois instances différentes (locuteurs,
linguistes, organismes publics), ces instances et normes étant liées entre elles.
Le modèle autorise en effet une adaptation permanente à travers les influences
réciproques entre locuteurs, linguistes et organismes publics : les normes
subjectives des productions, des perceptions et des représentations et attitudes
peuvent être décrites et abstraites par les linguistes dans le cadre de normes des-
2.1 Norme(s)
19
criptives. Une fois décrites et abstraites, ces normes descriptives forment la base
théorique de normes prescriptives qui, elles, sont destinées à être codifiées dans
des ouvrages de référence conçus pour les locuteurs, ces ouvrages de référence
étant eux-mêmes adaptés à mesure des changements dans l’usage des locuteurs
(cf. figure 2).
Figure 2 : Modèle démocratique et dynamique des normes.
Les types de normes ayant été définis, il reste maintenant à aborder l’aspect diachronique de ces normes, ces dernières étant en effet – indépendamment de la
nature de l’autorité sur laquelle elles se basent – le résultat d’un processus diachronique d’aménagement linguistique.
2.1.1.4 Aménagement linguistique
Le terme d’aménagement linguistique renvoie, selon Cooper (1989), aux « [. . .]
efforts intentionnels faits pour influencer le comportement des autres, conformément à l’acquisition, à la structure et à la répartition fonctionnelle des codes
linguistiques » (Cooper 1989, 45). Il s’agit ainsi des décisions prises pour orienter
ou régler l’usage d’une ou plusieurs langues, ce qui est en général lié à des décisions et mesures politiques. Le premier des linguistes à poser les fondements de
20
2 État de l’art
ce terme est Kloss (1969) avec sa distinction entre le language corpus planning et le
language status planning, cette distinction étant également faite par Calvet (1996,
64–66, 88–90) avec les termes de l’action sur la langue (le corpus) et l’action sur
les langues (le statut). L’aménagement du corpus fait référence aux interventions
sur la forme d’une langue (lexique, prononciation, grammaire, orthographe, etc.).
L’aménagement du statut fait, pour sa part, référence au statut « officiel » donné
à une langue (statut législatif). Conformément au modèle dynamique des normes
présenté ci-dessus (cf. figure 2), l’aménagement du corpus est en général l’objet
de descriptions de spécialistes de la langue (notamment des linguistes), alors que
l’aménagement du statut est plutôt associé à la politique linguistique d’un gouvernement (« organismes publics » dans la figure 2), mais peut également être l’affaire
d’associations ou même d’individus. Sur cette base théorique, Haugen (1983) va
proposer son célèbre modèle de l’aménagement linguistique, dans lequel il sépare
ce processus en quatre étapes diachroniques distinctes (cf. également Reutner
2015, 189–192) : la sélection, la codification, l’implantation ainsi que l’élaboration.
L’étape nommée sélection par Haugen (1983) est celle du choix de la norme
à standardiser. Comme présenté au chapitre 2.1, cette norme se fonde en général
sur l’usage d’une communauté linguistique (en général une ville ou une région)
ou le bon usage d’une élite sociale de cette communauté. Alors que dans le cadre
de normes autoritaires, ce choix revient à une autorité élitiste particulière (grammairiens), cette norme peut, dans le cadre d’une norme « démocratique », être
décelée à l’aide d’études portant sur les perceptions ainsi que sur les attitudes et
représentations des locuteurs. La codification, pour sa part, consiste en des règles
formelles fixées et conservées sous forme écrite dans les grammaires et les dictionnaires et permettant de fournir une réglementation pour l’usage de la norme
sélectionnée (cf. Crystal 1987, 364 ; Goebl et al. 1996, 827). Par la suite, une fois la
norme sélectionnée et codifiée, celle-ci doit encore suivre un processus d’implantation au sein de la communauté linguistique, notamment par l’intermédiaire de
l’école. Une fois l’implantation accomplie, la norme devra être enrichie au niveau
fonctionnel, ce qui comprend, selon Haugen (1983), une modernisation de la terminologie et un développement de la fonction stylistique de la langue, une étape
qu’il nomme l’élaboration (cf. Haugen 1983, 275).
Dans le cas du français, par ailleurs, l’aménagement linguistique est lié à deux
concepts qui n’ont jusqu’ici pas toujours été utilisés de façon univoque dans la
recherche sur la norme et qu’il serait nécessaire de séparer clairement : le français
standard et le français de référence. Martel (2001, 124–125) définit le français de
référence comme un terme abstrait faisant référence au français tel qu’il est décrit
normativement dans les dictionnaires usuels du français hexagonal (cf. également
Morin 2000 ; Laks 2002). Le français standard est défini par Martel (2001, 126) (cf.
également Detey/Le Gac 2008 ; Bigot/Papen 2013) comme un terme plus concret
2.1 Norme(s)
21
faisant référence à des variétés de français existantes (p. ex. le français québécois) et ajoutant au français de référence des spécificités propres à chacune de
ces variétés. Par ailleurs, ces variétés peuvent être actualisées dans des ouvrages
de référence (grammaires, dictionnaires, etc.). Il existe donc, à côté de la norme
de référence commune à tous les francophones, des français standards d’étendue
plus régionale, comme par exemple le français standard québécois.
Comme le suggère cette distinction entre français de référence et français
standard et les réflexions faites au chapitre 2.1.1.3, la norme doit être comprise non
pas comme un concept unique et statique, mais bien comme un concept pluriel
défini par la communauté linguistique. Cette dernière détermine un ensemble de
valeurs extralinguistiques rattachées à la norme (notamment la « qualité », la
« justesse » et la « pureté ») et condamne les usages n’y correspondant pas. Ces
valeurs sont ancrées dans ce que la sociolinguistique nomme les attitudes linguistiques.
2.1.2 Attitudes
Dans l’acception la plus large, les attitudes linguistiques, un des concepts centraux de la sociolinguistique, peuvent être définies comme suit :
« Attitudes que les locuteurs de différentes langues ou de variétés linguistiques différentes
ont à l’égard des langues des autres ou de leurs propres langues. L’expression de sentiments
positifs ou négatifs concernant une langue peut être le reflet d’impressions sur la difficulté
ou la simplicité linguistique, la facilité ou difficulté de l’apprentissage, le degré d’importance, l’élégance, le statut social, etc. Les attitudes à l’égard d’une langue peuvent aussi
refléter ce que les gens pensent des locuteurs de cette langue » (Richards/Platt/Platt 1997, 6).
Dans cette acception du terme, les attitudes linguistiques désignent ainsi tout phénomène à caractère épilinguistique se référant au rapport que les locuteurs entretiennent à la langue (cf. aussi Lafontaine 1997, 57). Au niveau méthodologique,
ces attitudes linguistiques sont étudiées à l’aide de méthodes très variées, comme
les entretiens, les questionnaires ou encore les (auto-)évaluations (cf. Lafontaine
1997, 57).
En psychologie sociale du langage, le terme d’attitudes linguistiques connaît
cependant une définition plus restreinte. En effet, il désigne un concept portant
sur la façon dont des informateurs évaluent soit, d’une part, des langues, des
variétés ou des variables, soit, d’autre part, des locuteurs parlant dans des langues
ou des variétés ou en utilisant des variables particulières (cf. Garett/Coupland/
Williams 2003, 17–18). Ces évaluations sont faites à l’aide d’échelles relatives à
des caractéristiques comme la compétence, le statut social, la personnalité ou
22
2 État de l’art
encore l’intelligence (cf. en particulier l’étude utilisant la ‘technique du locuteur masqué’ (angl. matched-guise) de Lambert et al. 1960 pour le cas du bilinguisme français/anglais à Montréal ; cf. également Lambert et al. 1966, Lambert
1967). D’un point de vue méthodologique, ces études sont donc, contrairement
aux entretiens et questionnaires, basées sur des expériences, c’est-à-dire sur
des méthodes plus indirectes mesurant le comportement et non la conscience
déclarée. Par ailleurs, Lafontaine (1997, 57) décèle deux fonctions fondamentales à ce type d’études : elles ont tout d’abord ce qu’elle appelle une fonction de
‘débroussaillage’ lorsqu’il s’agit de saisir de manière structurée les attitudes et
stéréotypes associés à des langues ou des variétés spécifiques par une majorité
des locuteurs. Par ailleurs, les attitudes linguistiques ont permis l’établissement
de tendances générales reconnues majoritairement en sociolinguistique : le phénomène de l’insécurité linguistique et celui du prestige manifeste et du prestige
latent.
Avant de passer à ces deux concepts fondamentaux, notons finalement les
avantages et inconvénients de l’étude des attitudes (cf. Lafontaine 1997, 59–60).
Pour ce qui est des avantages, elle a le mérite (1) de pouvoir expliquer les raisons
poussant les locuteurs à adopter une langue ou une variété et (2) de permettre
aux locuteurs de se situer dans le monde social. Malgré cela, elle reste souvent
approximative et ses résultats proches de stéréotypes, raison pour laquelle Lafontaine (1997, 59) affirme qu’elle « semble condamnée à jouer éternellement les prolégomènes pour débroussailler un nouveau terrain » (Lafontaine 1997, 59). Il est
ainsi essentiel – en particulier dans une étude portant sur la norme de prononciation comme le présent ouvrage – de toujours combiner ces résultats aux productions et aux perceptions (cf. chapitre 5 et 6).
2.1.2.1 Insécurité linguistique
L’insécurité linguistique est un concept fondamental en sociolinguistique provenant à l’origine des études de Lambert et al. (1960), Lambert (1966) et Lambert
et al. (1967), qui font référence à cette insécurité linguistique sans pour autant
employer ce terme de manière explicite. C’est Labov (1963 ; 1966) qui va instaurer
le concept dans le cadre de ses travaux sur la stratification sociale des variables
linguistiques à New York. Ce terme sera appliqué aux études sur le français pour
la première fois par Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978). Dans le discours francophone également, Lafontaine (1986) et Francard (1993) vont appliquer ce terme
à des enquêtes menées aussi bien dans des écoles (enseignants et étudiants)
qu’en milieu universitaire (étudiants) (cf. Bulot/Blanchet 2013, 58).
Une définition complète du concept d’insécurité linguistique pourra être
trouvée chez Francard (1993), qui travaille sur le français parlé en Belgique :
2.1 Norme(s)
23
« [. . .] l’insécurité linguistique [est] la prise de conscience, par les locuteurs, d’une distance
entre leur idiolecte (ou leur sociolecte) et une langue qu’ils reconnaissent comme légitime
parce qu’elle est celle de la classe dominante, ou celle d’autres communautés où l’on parle
un français ‘pur’, non abâtardi par les interférences avec un autre idiome, ou encore celle
de locuteurs fictifs détenteurs de LA norme véhiculée par l’institution scolaire » (Francard
1993, 13).
Un premier aspect de la définition réfère aux travaux de Labov (1976) (et de Bourdieu 1982, bien que ce dernier ne mentionne pas explicitement le terme d’insécurité linguistique),8 pour qui les attitudes traduisent les tensions qui existent
entre les classes sociales. Dans son enquête menée dans un centre commercial
sur la stratification sociale de l’anglais parlé à New York, Labov (1976) tente en
particulier de déceler les indices d’insécurité linguistique au sein de la « petite
bourgeoisie », cette couche sociale ayant, selon lui, une conscience de la norme
particulièrement forte et également tendance à dévaloriser son propre usage linguistique. Ainsi, sa notion d’insécurité linguistique est principalement basée sur
les concepts de norme et de communauté linguistique (cf. aussi Bulot/Blanchet
2013, 59–60).
Le deuxième aspect du concept de l’insécurité linguistique touche aux travaux
de Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978), d’une part, et à ceux de Francard (1993),
d’autre part. Les premiers étudient les attitudes linguistiques dans quatre milieux
urbains (Tours, Lille, Limoge et Saint-Denis de la Réunion) et observent que
dans les localités où les locuteurs du français sont exposés à des dialectes ou
des langues minoritaires, l’insécurité linguistique est particulièrement forte, au
contraire de la ville de Tours, qui est caractérisée – au niveau de la dimension
régionale uniquement (et non au niveau de la dimension oral/écrit, cf. infra) – par
un sentiment généralisé de sécurité linguistique.9 Ils déduisent de ces observations un rapport de causalité entre l’insécurité linguistique et la diglossie. Notons
que Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978) ne définissent pas clairement le type de
8 Bourdieu (1982) parle de domination d’une « classe sociale favorisée » sur une « classe sociale
défavorisée » : la « classe sociale favorisée » possède le « capital » économique et culturel, la
langue étant elle-même une composante de ce « capital » culturel (cf. également Bulot/Blanchet
2013, 58–59). Ceci s’inscrit dans sa notion de légitimité linguistique, elle-même faisant partie
de son cadre théorique du marché linguistique. Dans ce cadre-ci, la domination se traduit « par
des corrections, ponctuelles ou durables, auxquelles les dominés soumettent, consciemment ou
inconsciemment, les aspects stigmatisés de leur prononciation, de leur lexique [. . .] et de leur
syntaxe ; ou dans le désarroi qui leur fait ‹ perdre tous leurs moyens › les rendant incapables de
‹ trouver leur mots ›, comme s’ils étaient soudain dépossédés de leur propre langue » (Bourdieu
1982, 38).
9 Notons que, selon Østby (2016), ce sentiment de sécurité linguistique se retrouve également au
sein de la bourgeoisie parisienne.
24
2 État de l’art
diglossie auquel ils font référence. Il s’agit cependant probablement de la définition donnée par Fishman (1967) de l’extended diglossia, qui élargit la définition
de Ferguson (1959) en prenant également en compte les situations diglossiques
entre des langues qui ne sont pas apparentées (cf. Fishman 1967, 95–109).
Francard (1993), pour sa part, dans une étude similaire portant sur un village
du Sud de la Belgique dans lequel le français est également en contact avec un dialecte régional (de la famille wallo-lorraine), complète ces observations, en ajoutant au critère de la diglossie le critère de l’institution scolaire, qui génère « [. . .]
leur dépréciation au profit d’un modèle mythique et inaccessible » (Francard 1989,
159), ce modèle correspondant à la norme fantasmée décrite par Moreau (1997)
(cf. 2.1.1.2.1). Tout locuteur d’une langue ou variété dominée n’est pas impérativement touché par l’insécurité linguistique (cf. Bulot/Blanchet 2013, 60). Selon
Francard (1993, 33–36), il doit en effet exister une conscience de la langue ou
variété légitime et d’une distance entre celle-ci et son propre usage linguistique,
cette conscience étant produite, selon lui, par l’institution scolaire. En effet, les
écoles privilégieraient une approche prescriptive dans l’enseignement des langues
et n’accorderaient que très peu de légitimité aux variétés parlées par les élèves.
Ceci pousserait les élèves à développer des attitudes négatives face à leur propre
usage linguistique (cf. aussi Remysen 2004, 109).
Toutefois, il n’existe pas un type unique d’insécurité linguistique, mais bien
plusieurs types qu’il s’agit de catégoriser. Calvet (1996), qui est le premier à employer ce terme non plus seulement dans une perspective intralinguistique (rapports entre différentes variétés d’une langue), mais également interlinguistique
(rapports entre différentes langues) (cf. Remysen 2004, 97), propose de différencier l’insécurité statutaire et l’insécurité formelle. Il définit l’insécurité statutaire
comme le sentiment d’un locuteur que la langue qu’il parle est moins prestigieuse
qu’une autre langue. Ce type d’insécurité est donc lié au problème de la « légitimité du choix du code » (Canut 1998, 44), c’est-à-dire la position qu’occupe une
variété ou une langue au sein d’une communauté linguistique (cf. Remysen 2004,
97–98). L’insécurité formelle, pour sa part, est le sentiment d’un locuteur de ne
pas être capable de parler sa langue tel qu’il pense le devoir (cf. Calvet 1996, 22).
Ces deux types d’insécurité linguistique définis, Calvet (1996) propose de séparer
quatre cas sur la base des relations qui les lient (cf. Calvet 1996, 22 ; Bulot/Blanchet
2013, 61–62) :
(1) L’insécurité formelle et statutaire : les locuteurs pensent qu’ils parlent « mal »
et que ce qu’ils parlent n’est pas une « langue » digne de ce terme (mais,
par exemple, un « patois »). Ainsi, selon Calvet (1996), ces locuteurs auraient
deux formes légitimes dans leur conscience : celle qui est pratiquée par les
locuteurs de leur langue parlant « correctement » et la forme légitime du
point de vue statutaire.
2.1 Norme(s)
25
(2) La sécurité formelle et insécurité statutaire : les locuteurs pensent bien parler
une forme linguistique qu’ils considèrent eux-mêmes comme non légitime du
point de vue statutaire.
(3) L’insécurité formelle et sécurité statutaire : les locuteurs d’une langue légitime
considèrent ne pas en parler une forme légitime.
(4) La sécurité statutaire et formelle : les locuteurs pensent bien parler une
langue dont le statut est incontesté.
Bien que ces quatre catégories touchent dans l’enquête de Calvet (1996) à des
situations interlinguistiques, la séparation faite entre (in)sécurité formelle et
(in)sécurité statutaire peut être appliquée à des situations intralinguistiques
similaires, notamment entre une variété considérée comme « illégitime » par les
locuteurs (p. ex. le français méridional) par rapport à son ou ses pendants « légitimes » (p. ex. le français de Tours ou le français de la bourgeoisie parisienne).
Ces deux types d’insécurité linguistique correspondent d’ailleurs pour l’essentiel à une proposition faite plus récemment par Preston (2013) dans le cadre
d’une étude comparant l’insécurité linguistique de locuteurs de trois variétés de
l’anglais nord-américain (New York, Winnipeg, Michigan) : l’(in)sécurité formelle
de Calvet (1996) correspond dans cette étude à la dimension de la personal (in)
security et l’(in)sécurité statutaire à celle de la regional (in)security, sans pour
autant que Preston 2013 fasse explicitement référence au modèle de Calvet 1996 :
« There are those who find their region (or group) incorrect and apparently extend that to
personal insecurity [. . .]; there are those who find their own region (or group) relatively
correct and extend that to their personal security [. . .], but there are also those who find
their own area correct (perhaps even considerably so) but may find their individual performances lacking [. . .] » (Preston 2013, 322).
Soulignons cependant que la sécurité formelle et insécurité statutaire de Calvet
(1996) (cas no 2 supra) n’apparaît pas dans la proposition de Preston (2013) et que
ce dernier fait, au contraire du modèle de Calvet (1996), uniquement référence à
la perspective intralinguistique (variétés de l’anglais nord-américain).
En outre, deux autres catégorisations de l’insécurité linguistique ont été
entreprises jusqu’ici en sociolinguistique. Premièrement, selon Robillard (1996,
68), il est important de noter que l’insécurité linguistique n’est pas impérativement restreinte aux locuteurs des variétés non légitimes d’une langue normée,
mais que chaque locuteur peut être touché par ce phénomène, étant donné que
tout locuteur « sait bien qu’il ne maîtrise pas parfaitement sa langue, qu’il ne peut
en connaître toutes les subtilités [. . .] » (Robillard 1996, 68). Cela confirme ce que
Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978) avaient déjà pu montrer : ce type d’insécurité linguistique est commun à tous les francophones, qui pensent « mal parler »
26
2 État de l’art
par rapport à la norme de référence. Robillard (1996) nomme ce type d’insécurité
touchant chaque locuteur l’insécurité linguistique saine et l’oppose à l’insécurité
linguistique pathologique, qui, elle, est présente lorsque le locuteur se trouve en
« ‹ surinsécurité › (dont le ‹ surnormativisme › est une manifestation) » (Bulot/
Blanchet 2013, 61).
Deuxièmement, Moreau (1996, 119) distingue l’insécurité linguistique dite de
l’insécurité linguistique agie. La première se manifesterait dans le cadre des discours épilinguistiques (comme, par exemple, tout propos négatif par rapport à sa
propre variété) et serait principalement liée à des stéréotypes, sans être réellement
ancrée dans ce que ressentent les individus. L’insécurité linguistique agie, pour
sa part, se manifesterait dans les pratiques linguistiques (comme, par exemple,
dans les autocorrections, les hypercorrections, etc.) et serait, elle, ancrée dans
une « expérience affective individuelle » (Moreau 1996, 119 ; cf. également Bulot/
Blanchet 2013, 61).
Comme cela aura pu être souligné par Bulot/Blanchet (2013, 58–60), l’insécurité linguistique est – entre autres – intimement liée aux concepts de prestige, ce
dernier étant traditionnellement subdivisé en prestige latent et prestige manifeste.
2.1.2.2 Prestige latent et prestige manifeste
La différenciation faite entre les termes du ‘prestige manifeste’ (angl. overt prestige)
et du ‘prestige latent’ (angl. covert prestige) remonte aux travaux de Labov (1963 ;
1966) et Trudgill (1972). Le prestige manifeste peut être, selon ces travaux, défini
comme étant l’utilisation de traits linguistiques liés à des valeurs reconnues traditionnellement comme appartenant à la variété légitime comme, par exemple, le
statut social, la compétence ou encore l’élégance (cf. Lafontaine 1997, 58). Le prestige latent, pour sa part, consiste à associer aux variétés non légitimes et dominées
un certain nombre de valeurs socio-affectives comme, par exemple, l’identité de
groupe, la sociabilité, la culture populaire ou encore, selon – entre autres – Rovere
(1982, 28) et Bourdieu (1982, 89–95), des connotations « viriles ». Selon Lafontaine
(1997, 58), le prestige latent expliquerait le fait que certaines variantes et variétés
non légitimes s’avèrent plus adéquates dans certaines situations (en général moins
formelles), dans lesquelles l’utilisation de variantes et variétés légitimes ne serait
pas adaptée.
Selon les travaux de Labov (1972), le prestige manifeste et le prestige latent
peuvent être mis directement en relation avec les concepts du change from above
(le ‘changement par le haut’ lié au prestige manifeste) et du change from below
(le ‘changement par le bas’ lié au prestige latent). Précisons que Labov (1972)
définit ce changement par le haut comme un processus se produisant au-dessus
du niveau de la conscience sociale et étant en général initié par un groupe social
2.1 Norme(s)
27
dominant. Le changement par le bas est, pour sa part, un processus se produisant au-dessous du niveau de la conscience sociale et ayant en général son origine
dans le discours des groupes de faible prestige. Des exemples de ces deux types
de changements et de prestige peuvent être trouvés dans les études de Labov
(1963 ; 1966) : tout d’abord, la célèbre étude labovienne du centre commercial
de New York (cf. Labov 1966) a en effet montré un changement par le haut dans
l’emploi du /r/. La variante présentant le prestige manifeste des classes sociales
plus élevées – une variante se trouvant au-dessus du niveau de la conscience
sociale – serait en effet, au moment de l’étude, de plus en plus utilisée par les
locuteurs des classes socialement défavorisées. Par ailleurs, une autre étude de
Labov menée sur l’île de Martha’s Vineyard (cf. Labov 1963) montre qu’un changement par le bas, se produisant donc au-dessous du niveau de la conscience
sociale et étant lié au prestige latent, est également possible. Dans cette étude, il a
pu en effet montrer que l’articulation centralisée des diphtongues /ai/et/au/, telle
qu’elle est produite par les pêcheurs locaux, se trouve être de plus en plus utilisée
par les autres habitants de l’île. Il explique ce phénomène par une certaine loyauté
locale, étant donné qu’à travers cet usage linguistique, ces derniers peuvent se
démarquer linguistiquement des touristes, eux-mêmes identifiés comme ne provenant pas de l’île précisément en raison de leurs variantes non centrales.
Trudgill (1972, 179–195) arrive à des résultats similaires dans ses enquêtes
réalisées à Norwich. Il constate en effet que le remplacement glottal du /t/ intervocalique (comme dans later réalisé comme [leːʔə]) est jugé incorrect par ses
informateurs, même s’ils utilisent cette variante eux-mêmes, probablement pour
des raisons « latentes ».
Le présent ouvrage portant principalement sur les attitudes linguistiques et
ayant un rapport direct avec les termes de l’insécurité linguistique et du prestige
latent et manifeste, j’aborderai ci-dessous l’état de l’art touchant aux attitudes
par rapport aux trois régions étudiées : la France (en particulier Paris), la Suisse
romande et le Québec.
2.1.2.3 Attitudes linguistiques en francophonie
2.1.2.3.1 Catégories géolinguistiques
Avant de présenter l’état de l’art sur chacune des régions étudiées, une brève
clarification des catégories géolinguistiques utilisées (France septentrionale et
méridionale, Suisse romande et Québec) semble cependant être de mise. Les
réflexions touchant aux attitudes linguistiques étant d’ordre sociolinguistique,
il me semble important de différencier le concept politique des États-nations de
celui des nations culturelles, comme le fait Polenz (1988) :
28
2 État de l’art
« Es sind mindestens zwei ‹ Nation ›-Begriffe zu unterscheiden [. . .]: einerseits Staatsnationen, die vorzugsweise auf der vereinigenden Kraft einer gemeinsamen politischen
Geschichte und Verfassung beruhen, andererseits Kulturnationen, vorzugsweise auf einem
irgendwelchen gemeinsam erlebten Kulturbesitz beruhend, durch Gemeinsprache, gemeinsame Literatur und gemeinsame Religion geschaffen und zusammengehalten [. . .] » (Polenz
1988, 200, mises en relief dans l’original).10
Ce n’est donc bien pas le concept des États-nations qui est à la base des catégories géolinguistiques utilisées ci-dessous, mais celui des nations culturelles. Cela
permet ainsi d’utiliser aussi bien les catégories géolinguistiques de la France que
celles de la Suisse romande et du Québec.
2.1.2.3.2 France
Les premiers à avoir exploité le concept des attitudes pour le cas du français sont
Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978) dans le cadre d’une étude comparant les
attitudes d’informateurs de quatre centres urbains (75 enquêtés à Tours, 21 à Lille,
18 à Limoges et 28 à Saint-Denis de la Réunion) face à la norme. En plus (1) d’analyses phonétiques de la paire /e/ : /ɛ/ produite par les informateurs de Tours sur
la base de tâches de parole en lecture (textes et mots isolés) et (2) de tests de perception (de mots lus et de voyelles synthétiques) visant à découvrir si ces mêmes
locuteurs tourangeaux perçoivent la paire et de quelle manière ils en évaluent la
prononciation dans différents contextes (cf. Gueunier/Genouvrier/Khomsi 1978,
11–70), les informateurs ont également été soumis (3) à un entretien guidé (cf.
Gueunier/Genouvrier/Khomsi 1978, 38–40, 128–129). Ce dernier visait à étudier
leurs attitudes par rapport à la norme orale, à mettre en lumière leur propre définition (extralinguistique) de la norme, leur attachement à la norme ainsi que leur
degré de sécurité ou d’insécurité linguistiques (cf. Gueunier/Genouvrier/Khomsi
1978, 73). Les auteurs observent que dans les régions dans lesquelles le français coexiste avec des dialectes ou des langues minoritaires (à Lille, Limoges et
Saint-Denis de la Réunion), l’insécurité linguistique est plus marquée, d’où leur
conclusion d’un rapport de causalité entre l’insécurité linguistique et la diglossie
(l’utilisation de ce dernier terme n’étant cependant pas précisément définie, cf.
supra). Tours serait, pour sa part, une région de forte sécurité linguistique (au
niveau de la dimension régionale mais pas au niveau de la dimension oral/écrit).
10 ‘Au moins deux différents termes de « nation » doivent être distingués : d’une part, les Étatsnations, en général basés sur la force unificatrice d’une histoire politique et d’une constitution
communes, et, d’autre part, les nations culturelles, en général basées sur un patrimoine culturel
commun, créées et maintenues à travers une langue commune, une littérature commune et une
religion commune’ (Traduction : Marc Chalier).
2.1 Norme(s)
29
Cette observation serait en corrélation, selon Genouvrier (1986), avec l’avis des
locuteurs, qui verraient Tours comme la région linguistique dans laquelle serait
parlé le « français le plus pur » ou le plus « neutre » (cf. également Østby 2016
pour le cas similaire de la bourgeoisie parisienne). Il explique cette observation
comme suit :
« Une très ancienne tradition donne à la Touraine une vocation à la fois horticole et linguistique : ‹ Tours, jardin de la France et du beau langage. . . › [. . .] séjour d’élection des rois de
France, [. . .] lieu natif ou de prédilection de Rabelais et de Ronsard, de Balzac, d’A. France
et de J. Romains [. . .] » (Genouvrier 1986, 49).
Notons cependant que cette enquête pose quelques problèmes méthodologiques.
Premièrement, elle ne prend que quatre villes en compte et oppose Tours (comme
centre de sécurité linguistique) à Lille, Limoges et Saint-Denis de la Réunion
(comme centres d’insécurité linguistique). Ainsi, les résultats de Tours ne sont
pas comparés à Paris, région linguistique reconnue par de nombreux linguistes
(et locuteurs) comme étant le centre de la norme du français (cf. Pustka 2008,
217–219). Par ailleurs, la situation de Saint-Denis de la Réunion semble difficilement comparable, en raison de l’éloignement géographique et du contact avec le
créole.
Paltridge/Giles (1984, 75–78) ont, pour leur part, travaillé avec la technique
du locuteur masqué (matched-guise) de Lambert et al. (1966) et Lambert (1967)
dans le but de déterminer les attitudes face à quatre accents de France (Paris,
la Provence, la Bretagne et l’Alsace). Leurs 244 informateurs (qui provenaient
eux-mêmes de ces quatre régions) ont dû évaluer respectivement deux stimuli
pour chacune des régions (8 stimuli au total) selon les catégories suivantes :
professional appeal (‘image professionnelle’), social appeal (‘qualités sociales’),
steadiness (‘fiabilité’), power (‘pouvoir’) et accentedness (‘degré d’accent’). Selon
leurs résultats, les locuteurs de l’accent parisien présentent la prononciation au
degré d’accent le plus bas des quatre accents testés et ont, par ailleurs, le plus
grand prestige en ce qui concerne leur image professionnelle, leur fiabilité et leur
pouvoir. Cependant, leurs qualités sociales sont moins bien évaluées que celles
des locuteurs des accents bretons et provençaux, mais mieux que celles des locuteurs alsaciens. Les locuteurs bretons et provençaux obtiennent, pour leur part,
des valeurs moyennes aussi bien dans le cas où ils sont évalués par des auditeurs
parlant un autre accent que dans le cas où ils sont évalués par des auditeurs du
même accent. Par ailleurs, les auditeurs bretons et provençaux évaluent les qualités sociales des locuteurs de leur propre accent de façon beaucoup plus positive
que les Parisiens et les Alsaciens. Lafontaine leur attribue par conséquent une
forme de loyauté face à leur propre accent (cf. Lafontaine 1991, 11). Les Alsaciens,
de manière similaire aux évaluations de leurs qualités sociales, finissent à la
30
2 État de l’art
dernière position au niveau des critères relatifs au prestige et ils s’évaluent euxmêmes de manière significativement plus négative que les locuteurs des autres
régions, ce qui correspond à la situation qu’Alén-Garabato/Colonna (2016) et
Bretegnier (2016) caractérisent par le terme d’auto-odi (ou haine de soi). Il s’agit
chez les Alsaciens d’un sentiment de rejet de leur propre variété maternelle, qu’ils
considèrent comme étant illégitime face à la variété dominante. Notons que cette
dernière conclusion a également été obtenue par Hoppe (1976, 129), qui, elle aussi,
a travaillé sur ces mêmes quatre régions sur la base de la technique du locuteur
masqué. Le phénomène de dépréciation de la variété que l’on parle soi-même
est d’ailleurs observable dans d’autres régions francophones à grande insécurité
linguistique, comme la Suisse romande et le Québec (cf. 1.1.2.3.3, 1.1.2.3.4). Notons
finalement que cette étude comporte également deux problèmes méthodologiques. Premièrement, les quatre régions étudiées ne sont représentées que par
deux stimuli respectifs. Deuxièmement, les auteurs n’utilisent que des stimuli
lus, ce qui, pour une étude portant sur des accents du français, peut poser certains problèmes d’artificialité des données (cf. entre autres Blas 1999, 53 ; Garrett/
Coupland/Williams 1999, 346 ; Woehrling/Boula de Mareüil 2005, 91–92 ; Postlep
2010, 90 pour les avantages et inconvénients des stimuli lus et spontanés).
Kuiper (1999) a, pour sa part, étudié les attitudes de Parisiens face aux accents
du français, mais – au contraire de Paltridge/Giles (1984) – en ne se basant pas sur
des stimuli. Dans l’une des tâches de l’enquête, les informateurs parisiens ont dû
classifier différents accents de français selon les critères du degree of difference,
de la correctness et de la pleasantness. Les résultats de l’enquête ont pu montrer
que les accents de l’Alsace, de la Lorraine, de la Belgique et de la Suisse romande
sont considérés par ces locuteurs comme étant les moins « corrects », présentant
donc la plus grande distance par rapport à la norme. Les accents « du sud » (cf.
Pustka 2010, 125–128 pour la problématique de ce terme), pour leur part, font
également partie des accents considérés comme les moins corrects, mais aussi –
plus encore que les accents de l’Île-de-France et de la Touraine – comme les plus
agréables. Notons ici aussi un problème méthodologique : une étude sans stimuli
comme celle-ci peut aisément entraîner des confusions entre espaces linguistiques et espaces sociaux, ce qui peut mener à des résultats portant sur des représentations et attitudes (plus ou moins exclusivement) motivées culturellement
(cf. Pustka 2008, 215) et ne correspondant pas forcément aux perceptions.
Deux autres études de Taylor (1996) et de Castellotti/Robillard (2002) se sont
concentrées sur le français méridional en particulier et ont pu souligner le statut
social particulier de son accent déjà observé chez Paltridge/Giles (1984) et Kuiper
(1999). Taylor (1996) a étudié les différents sociolectes d’Aix-en-Provence. Dans ce
cadre-ci, elle a pu observer que le standard régional de cette région semble bénéficier du plus grand prestige. Ce standard régional serait une version de l’accent
2.1 Norme(s)
31
d’Aix-en-Provence proche du standard parisien, c’est-à-dire présentant des traits
de l’accent méridional, mais se rapprochant également du français de référence.
Ainsi, Taylor (1996) affirme, en guise d’exemple, que les locuteurs présentant des
voyelles nasales nasalisées et suivies d’un très léger appendice consonantique
seraient évalués comme étant non seulement cultivés mais aussi loyaux envers
leur région. Au contraire, les locuteurs présentant la prononciation la plus proche
du français parisien sont évalués comme étant, certes, cultivés et ayant du succès
professionnel, mais également comme étant dépourvus de sincérité et d’humour
(cf. Taylor 1996, 192–193).
Castellotti/Robillard (2002) ont étudié un autre aspect touchant au prestige
de l’accent méridional : l’acceptabilité de cet accent dans l’espace public. Ils
posent en effet la question de savoir s’il serait acceptable de laisser travailler des
enseignants ou des présentateurs de télévision en tant que tels s’ils présentent un
accent méridional. Leurs résultats indiquent que 70,0% des informateurs n’auraient rien contre un enseignant ayant un tel accent, alors que seulement 36,7%
des informateurs accepteraient un accent méridional chez un présentateur de
télévision.
Ainsi, une comparaison des études de Taylor (1996), Castellotti/Robillard
(2002), Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978), Paltridge/Giles (1984) et Kuiper
(1999) quant à l’accent méridional fait ressortir deux éléments remarquables :
(1) L’accent méridional semble bénéficier de la plus grande sympathie. Des explications de cette constatation peuvent être trouvées dans l’étude de Pustka
(2010, 137). Elle affirme en effet que ce prestige pourrait être dû au patrimoine
culturel de cette région (elle nomme entre autres les cinéastes comme Marcel
Pagnol) et aux associations positives avec le soleil, la mer et les vacances (cf.
également Hoppe 1976, 129 ; Hawkins 1993, 79).
(2) Par ailleurs, l’accent méridional semble bénéficier d’un prestige latent à l’intérieur de la communauté linguistique méridionale. En effet, selon les résultats de Taylor (1996), les locuteurs à faible accent méridional bénéficieraient
d’un certain prestige au sein de cette communauté linguistique. Cette constatation est confirmée par Castellotti/Robillard (2002), qui montrent que les
méridionaux accepteraient dans une grande majorité un enseignant ayant
un accent méridional (prestige latent à l’intérieur de la sous-communauté
linguistique méridionale), alors que seul un tiers de ces mêmes informateurs accepterait ce même accent chez un présentateur de télévision (prestige
manifeste du français parisien dans l’ensemble de la communauté linguistique de la France).
La dernière étude portant sur les attitudes linguistiques en France qu’il convient
de mentionner est celle de Fischer (1988). Même si elle s’inscrit dans la lignée
32
2 État de l’art
des travaux de Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978), cette enquête se différencie
quelque peu des travaux présentés jusqu’ici dans la mesure où elle étudie pour
la première fois les attitudes de locuteurs de Paris face au français standard. Sur
la base d’une analyse d’entretiens guidés qu’elle a menés elle-même, Fischer
(1988, 69–72) y émet l’hypothèse que la grande importance portée aux questions
de langue qu’elle observe aussi bien dans les médias que dans le discours privé et
public français pourrait être expliquée par la forte insécurité linguistique ressentie par les Français face à cette norme « idéale » et « inaccessible » que Moreau
(1997, 222–223) nommerait norme fantasmée (cf. 2.1.1.2.1). La plupart de ses informateurs désignent cette norme comme « le bon français » (cf. Fischer 1988, 76),
alors que dans la plupart des cas, ils jugent l’usage actuel de la langue et leur
propre usage de façon négative et comme étant « en défaut » par rapport à cette
norme. Cette observation confirme ce que Martinet (21974) avait déjà constaté :
« Les Français n’osent plus parler leur langue parce que des générations de grammairiens, professionnels et amateurs, en ont fait un domaine parsemé d’embûches
et d’interdits » (Martinet 21974, 29).
Ainsi, dans l’étude de Fischer (1988), seuls trois informateurs sur 34 estimeraient parler un « bon français », alors que tous les autres seraient touchés par
une mauvaise conscience constante vis-à-vis de leur propre usage linguistique
(cf. Fischer 1988, 162–165). Il est également important de noter que les informateurs de Fischer considèrent un bon nombre de caractéristiques de l’oral comme
des erreurs de langue (comme par exemple la négation sans la particule ne). Le
« bon français » semble donc être principalement associé non pas à la langue
orale, mais à la langue écrite (cf. Fischer 1988, 157–159). Notons finalement que,
de manière similaire à l’étude de Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978), Fischer
observe qu’une grande majorité de ses informateurs situent la norme soit à Tours,
soit à Paris (cf. Fischer 1988, 129–130, 160). Soulignons cependant que pour les
locuteurs provinciaux, cet accent parisien n’est pas « neutre », mais bien marqué
au niveau géographique (cf. Pustka 2008, 221–222). Par ailleurs, il existe non pas
un accent parisien, mais plusieurs accents parisiens aux prestiges différents (p. ex.
l’« accent parigot », l’« accent de banlieue » et l’« accent de la bourgeoisie parisienne », cf. Pustka 2008, 222–234).
Ainsi, ce survol des principales études portant sur les attitudes linguistiques
en France aura pu montrer quatre points fondamentaux :
(1) En France, le phénomène d’insécurité linguistique se manifeste de manière
plus ou moins forte selon la région. Alors que les régions dans lesquelles le
français coexiste avec des dialectes ou des langues minoritaires sont considérées comme présentant une insécurité linguistique (relative), Paris et Tours
sont considérés comme des régions présentant une sécurité linguistique
(relative).
2.1 Norme(s)
33
(2) Malgré cette observation, la plupart des locuteurs français (les locuteurs de
Paris et de Tours inclus) présentent une forme d’insécurité linguistique. Alors
que les locuteurs de Paris et de Tours présentent uniquement une insécurité
linguistique face à la norme fantasmée décrite par Moreau (1997, 222–223),
les locuteurs de nombreuses autres régions présentent cette même insécurité linguistique face à la norme fantasmée, en plus d’un complexe d’infériorité face aux régions considérées comme porteuses de la norme (Paris et
Tours).
(3) La norme fantasmée présente dans la conscience des locuteurs est en général
associée à un français écrit et non pas oral.
(4) Parmi les variétés de français « non dominantes », le français méridional
semble bénéficier de la plus grande sympathie dans les attitudes des locuteurs français et d’un prestige latent à l’intérieur de la communauté linguistique régionale.
Qu’en est-il maintenant des attitudes face aux variétés et face à la norme en
dehors de la France ? Quelles différences et similitudes peuvent être observées
entre les situations de la France, d’une part, et celles de la Suisse et du Québec,
d’autre part ? Existe-t-il par ailleurs des similitudes entre les situations de ces
deux régions périphériques ?
2.1.2.3.3 Suisse
Les études sur les attitudes en Suisse romande ont une tradition encore plus
brève que celles qui portent sur la France. Ce n’est en effet qu’à partir des années
1980 que la conscience linguistique des Suisses romands ainsi que leurs attitudes
face à d’autres langues et variétés ont été étudiées, des études montrant le rôle
prépondérant que joue le concept d’insécurité linguistique dans la description de
cette conscience linguistique.
Tout comme pour de nombreuses périphéries francophones, comme la Belgique francophone, la situation des attitudes en Suisse romande peut être décrite
par une ambiguïté entre la dépréciation et la valorisation des variétés du français
parlé en Suisse face à la variété de la bourgeoisie parisienne (cf. Bayard/Jolivet
1984 ; De Pietro/Matthey 1993 ; De Pietro 1995 ; Singy 1996) :
« Les attitudes des Romands ne sont d’ailleurs pas homogènes et uniformes. Et l’ambigüité
[sic] n’en est pas absente : parallèlement à une loyauté parfois très forte au français ‹ de
France ›, doublée d’une légère gêne à l’égard de son propre parler, voire d’un rejet de tout
ce qui est teinté d’accent régional, on peut rencontrer l’attitude opposée faite d’affirmation
identitaire vis-à-vis du grand voisin » (De Pietro 1995, 230).
34
2 État de l’art
Ainsi, d’une part, les Suisses romands semblent s’orienter linguistiquement et
culturellement vers la France, ce phénomène étant principalement dû au prestige
du « français de France » dans la conscience des locuteurs suisses romands et
observable à travers un complexe d’infériorité des Suisses romands face aux locuteurs français ainsi qu’une forte insécurité linguistique (cf. De Pietro 1995, 230).
L’orientation de la Suisse romande vers cette norme « française » (dans leurs
propos) ou, plus précisément, parisienne (dans leurs représentations) commence
déjà au 16ème siècle, période durant laquelle le français commence à se diffuser oralement au sein la population, et ce, à la faveur de la Réforme, qui a probablement
contribué « à valoriser le français au détriment du vernaculaire par l’obligation,
faite aux fidèles, de lire la Bible en français » (Knecht 1996, 761). Une expression
symptomatique de cette insécurité linguistique face au français parisien peut
d’ailleurs être trouvée dans la critique de la langue de l’administration fédérale, à
laquelle l’on reproche de diffuser des textes contenant des erreurs de français. La
critique concerne en particulier les textes traduits de l’allemand que l’on considère
comme véritable « porte d’entrée » pour les germanismes. Ce langage administratif ne correspondant pas à la norme du français de référence est ainsi souvent
désigné par l’appellation connotée négativement de français fédéral (cf. Kolde/Näf
1996, 394).
D’autre part, les locuteurs suisses romands présentent une conscience des
particularités régionales de leurs variétés de français liée à l’aspiration à une
identité propre se démarquant explicitement de la France. De Pietro (1995)
montre que les Suisses romands se sentent liés émotionnellement à leurs variétés
locales respectives et qu’ils attribuent également une forte valeur émotionnelle
aux helvétismes (cf. De Pietro 1995, 233–234). Des études portant sur le lexique
ont en effet pu mettre en lumière une certaine légitimité du français de Suisse
romande dans la conscience de ses locuteurs. Thibault (1998, 40) et Prikhodkine
(2011, 410) observent notamment une tendance des Suisses romands à valoriser
certains lexèmes endogènes, même si les jugements peuvent être très différents
d’un lexème à l’autre,11 d’une situation à l’autre et d’un locuteur à l’autre. Ainsi
Thibault (1998) écrit-il que « le français de Suisse romande jouit d’une légitimité
certaine, qui varie toutefois selon l’époque et le type de discours, la nature des
particularités en cause (accent, mots, expressions), l’énonciateur et le contexte
énonciatif » (Thibault 1998, 40). Cichon (1998) fournit, pour sa part, une explication à cette ambiguïté. Il explique en effet que les locuteurs qu’il a interviewés
11 Soulignons notamment les jugements très différents portés sur panosse, qui est considéré
comme populaire et moins légitime (cf. Prikhodkine 2011, 146–147), par rapport à nonante, qui,
lui, est diffusé par le système scolaire de Suisse romande (cf. Prikhodkine 2011, 156–157).
2.1 Norme(s)
35
s’identifient, d’une part, à leur propre région respective et, d’autre part, à la
France, mais pas à la totalité de la Suisse romande. Ainsi, l’ambiguïté résulterait
de l’absence d’un sentiment d’identité homogène en Suisse romande (cf. Cichon
1998, 101), et ce, principalement en raison des trois facteurs suivants :
(1) La Suisse romande est répartie en quatre cantons monolingues (Genève, Jura,
Neuchâtel et Vaud) et trois cantons bilingues (Berne, Fribourg et le Valais)
(cf. Lüdi/Werlen 2005).
(2) Elle présente une forte hétérogénéité linguistique, avec, d’une part, des traits
diffusés dans la totalité de la Suisse romande et respectant ou non les frontières, certains traits se retrouvant en Belgique, au Canada ou dans une large
partie de l’Est ou du Sud-Est du territoire francophone. D’autre part, certains
traits ne sont diffusés que localement, dans une région particulière de la
Suisse romande, ou même dans une localité unique (cf. Knecht 1979).
(3) Les questions de langue ne sont pas réglées de manière centrale comme c’est le
cas en France, mais par les cantons, comme le prévoit le principe de territorialité stipulé par la Constitution fédérale helvétique (cf. Cichon 1998, 106–107).
Dès lors, conformément à l’hétérogénéité linguistique de la Suisse romande et
à l’absence d’une identité homogène, les attitudes des Suisses romands face au
« français de Suisse » et au « français de France » sont différentes à l’intérieur
même de la Suisse romande : c’est ce que montre l’étude de Cichon (1998, 132)
menée sur la base d’entretiens qualitatifs auprès de 90 informateurs suisses
romands vivant à Genève/Lausanne (contexte monolingue francophone), à Fribourg (contexte bilingue à majorité francophone), à Bienne (contexte bilingue à
majorité germanophone) et à Saint-Gall (contexte monolingue germanophone).
Cichon (1998) montre que les régions proches de la Suisse alémanique ou à majorité germanophone (Bienne et Fribourg) présentent un profil différent des régions
proches de la France (Genève et Lausanne). Ainsi, les informateurs de Cichon
(1998) provenant de Bienne et de Fribourg ont tendance à s’identifier fortement à
la France, ce que Cichon explique par un désir de compenser la domination de la
langue allemande (cf. Cichon 1998, 209). Par ailleurs, ils semblent présenter une
insécurité linguistique particulièrement forte, nient une variété ou identité propre
à la Suisse romande, mais sont très attachés à leur variété et identité régionales
(cf. Cichon 1998, 131–132). Les informateurs provenant de Genève et de Lausanne,
pour leur part, s’orientent linguistiquement et culturellement vers la France, mais
présentent un sentiment de dépréciation de la part des locuteurs français, ce qui
les pousse à moins s’identifier à la France (cf. Cichon 1998, 321–326). Par ailleurs,
leur sentiment d’appartenir à une Suisse romande homogène est encore plus
faible que celui des locuteurs de Bienne et de Fribourg, et ce, en raison de la proximité culturelle et géographique de la France (cf. Cichon 1998, 357–358). L’étude
36
2 État de l’art
de Cichon (1998) confirme ainsi l’hétérogénéité observée dans les attitudes des
Suisses romands et illustre leur vision d’une France porteuse de la variété légitime
(cf. Cichon 1998, 357), ce que Knecht avait déjà exprimé vingt ans auparavant, en
affirmant que « la Romandie est une France politiquement suisse ou une Suisse
linguistiquement française » (1979, 249).
Racine/Schwab/Detey (2013) ont, pour leur part, étudié les attitudes et représentations de 79 informateurs de Genève (15), Fribourg (12), Neuchâtel (17) du
Jura (12) et de Paris (23) par rapport à des stimuli lus (une phrase et la paire de
mots épée ~ épais) par des locuteurs de deux variétés suisses (2 locuteurs de
Genève et 2 locuteurs de Neuchâtel), de la variété parisienne (2 locuteurs) ainsi
que de 7 autres variétés (Grenoble : 2 ; Sénégal : 2 ; Côte d’Ivoire : 2 ; Québec : 2 ;
Hearst : 2 ; Liège : 2 ; Tournai : 2). Se basant sur des stimuli concrets (à l’exception
de l’enquête fribourgeoise), cette étude est donc de nature perceptive, contrairement aux études précédentes. Les auditeurs avaient pour tâche d’estimer le degré
de proximité des variétés entendues (1) avec leur propre prononciation, (2) avec
le français reconnu comme standard international et (3) avec le français reconnu
comme standard dans leur vie quotidienne (question 3), et ce, sur la base d’une
échelle allant de 1 (= absolument pas) à 5 (= absolument). Les résultats de cette
enquête de perception peuvent être classés en trois catégories :12
(1) Les Genevois semblent s’identifier aux locuteurs de leur région, évaluer leur
propre variété comme proche de leur « standard quotidien » et le français
parisien « comme standard international ».
(2) Les Neuchâtelois et Jurassiens semblent s’identifier aux locuteurs suisses
romands en général, sans faire de différence entre Genève et Neuchâtel. Par
ailleurs, ils perçoivent aussi bien la variété genevoise que la variété neuchâteloise comme proche de leur standard quotidien. Le standard international
est, pour sa part, perçu non seulement à Paris, mais également à Genève.
(3) Les Fribourgeois semblent s’identifier uniquement aux Genevois, la variété
genevoise ayant également le statut de standard quotidien. Le standard international est, comme pour Neuchâtel, perçu à Paris et Genève.
Ainsi, selon cette étude et de manière quelque peu différente de l’étude de Cichon
(1998), la variété genevoise semble être considérée à côté de celle de Paris comme
standard international pour la Suisse romande, exception faite des locuteurs
12 Le présent chapitre portant sur les attitudes des Suisses romands, les résultats des Parisiens
n’ont pas été pris en compte. Sans surprise, ces résultats confirment globalement le statut de
« norme internationale » de la variété parisienne, avec les taux les plus élevés quant à la question de savoir si cette prononciation est celle du « français reconnu internationalement comme
‹ standard › » (cf. Racine/Schwab/Detey 2013, 10–11).
2.1 Norme(s)
37
genevois, qui considèrent uniquement la variété parisienne comme porteuse de
la norme internationale. Racine/Schwab/Detey (2013) interprètent ces résultats
à l’aide du modèle Centre/Périphérie de Reynaud (1981). Genève représenterait,
à côté de Paris, un centre pour la périphérie suisse (Neuchâtel, Fribourg, Jura)
en raison de son statut de ville-canton partageant la plupart de ses frontières
avec la France et de sa fonction de siège de nombreux médias (comme la Radio
Télévision Suisse – RTS). Les Genevois se considèreraient cependant eux-mêmes
comme périphériques par rapport à Paris.
Ainsi, les Suisses romands semblent également présenter une ambiguïté dans
leur conscience de la norme. Alors que le français parisien bénéficie d’un prestige
manifeste, les variétés suisses romandes présentent différents types de prestige :
alors qu’à petite échelle, les variétés locales semblent bénéficier d’un prestige
latent, la variété genevoise semble, elle, bénéficier d’un prestige manifeste similaire à celui du français parisien pour l’ensemble des Suisses romands (exception
faite des Genevois).
2.1.2.3.4 Québec
Tout comme en Suisse romande, les attitudes des Québécois face à leurs variétés
et face au français de référence semblent se caractériser par une ambiguïté entre
valorisation et dépréciation des variétés régionales face aux variétés françaises.
Malgré cette similitude, les raisons sont différentes et doivent être cherchées principalement dans l’histoire linguistique du Québec.
Durant la période du régime français, c’est-à-dire entre le début du 17ème
siècle et le milieu du 18ème siècle, les variétés de français parlées au Québec bénéficiaient d’attitudes très positives (cf. p. ex. Pöll 2005, 161). Cette observation est
en général attribuée à l’homogénéité du français parlé par les premiers colons,
jugée absente étant donné que la majorité de la population ne parlait pas français,
mais un dialecte ou une langue minoritaire (cf. Kircher 2012, 346 ; cf. également
Certeau 1975 ; Poirier 1994). La conquête du Québec par les Britanniques en 1759
marque un tournant dans l’histoire du français et de sa perception au Québec :
coupées de la France, les variétés de français parlées au Québec commencent à
différer les unes des autres. Elles ne subissent pas les bouleversements linguistiques de la Révolution française et, une partie des élites québécoises retournant
en France, sont sujettes à ce que Kircher (2012, 347) nomme « a greater emphasis on the language of the masses », déclenchant non seulement une « renaissance » de nombreux régionalismes mais aussi un grand afflux d’anglicismes (cf.
Oakes 2008, 369). Ceci résulte au milieu du 19ème siècle en des attitudes des Canadiens anglophones et des Français très négatives envers le français québécois,
dénigré et réduit à un statut de patois. Ce mythe débouche par conséquent sur
38
2 État de l’art
un profond sentiment d’insécurité linguistique chez les Québécois francophones
(cf. également Bouchard 2002, 95–98 ; Kircher 2012, 347). Selon Kircher (2012,
347), cette insécurité linguistique a été renforcée par deux facteurs fondamentaux : premièrement, la querelle débutant en 1960 par rapport au « joual », une
altération du mot cheval tirée de l’expression parler cheval pour désigner le fait de
« mal parler » (cf. Bouchard 2002, 220 ; Oakes/Warren 2007, 111). Deuxièmement,
la politique linguistique des gouvernements français ainsi que de l’Office de la
langue française aurait contribué à la considération du français parisien comme
norme de prestige dans la totalité de la francophonie (cf. Bourhis/Lepicq 1993,
366–368). Ainsi, alors que l’Office de la langue française avait été créé au début
des années 1960 avec pour mission la « correction » et l’« enrichissement » de la
langue parlée et écrite au Québec ainsi que la revalorisation du français québécois (cf. Levine 1990, 53), les premiers bulletins de cette institution montrent un
désir d’aligner le français québécois sur la norme parisienne :
« [La norme] doit [. . .] coïncider à peu près entièrement avec celle qui prévaut à Paris,
Genève, Bruxelles, Dakar et dans toutes les grandes villes d’expression française. [. . .] La
norme ainsi conçue doit s’étendre à tous les aspects de la langue : morphologie, syntaxe,
phonétique, lexique ; mais pour ce qui est des deux premiers, qui sont d’ordre structural, la
variation doit être inexistante » (Office de la langue française 1965, 6).
L’insécurité linguistique des Québécois et les attitudes largement plus positives envers le français parisien qu’envers le français québécois sont illustrées
par la série d’enquêtes menées par Lambert et al. (1960) et leurs successeurs (cf.
Preston13 1963 ; D’Anglejan/Tucker 1973 ; Bourhis et al. 1975) auprès de Québécois
francophones et anglophones.
Ce n’est qu’à partir de la Révolution tranquille des années 1960 et 1970 et la
croissance d’une identité nationale au Québec que commence à se construire une
identité linguistique québécoise se détachant (1) du reste du Canada (anglophone)
et (2) de la France. Le remplacement par les francophones de la dénomination
Canadiens par Québécois est l’illustration symptomatique du premier aspect (cf.
Conrick/Regan 2007, 30). Par ailleurs, pour ce qui est du second aspect, les Québécois prennent conscience que la variation géographique, sociale et situationnelle n’est pas limitée au Québec, mais est également bien présente en France,
et que la norme (française) de référence n’est pas la seule à être légitime, chaque
variété ayant sa légitimité dans sa situation particulière (cf. 2.1.1.2).
13 Notons qu’il s’agit d’une publication de Malcolm S. Preston (1963) et non de Dennis R. Preston (1996 ; 1999a ; 1999b ; 2013), cité également dans cet ouvrage.
2.1 Norme(s)
39
Cette prise de conscience mène les Québécois à considérer l’existence d’une
norme propre au Québec, certes proche de la norme française, mais suffisamment
éloignée pour ne pas les confondre (cf. Corbeil 2007, 311). Ce constat est confirmé
en 1977 par l’Association québécoise des professeures et professeurs de français,
qui adopte « le français d’ici » comme modèle de français devant être enseigné
dans les écoles québécoises (cf. Cajolet-Laganière/Martel 1995, 13 ; Martel/CajoletLaganière 2000, 380). Ce français standard a depuis lors été accepté par une grande
proportion de la population québécoise (cf. Kircher 2012, 348), même si Lockerbie (2005) constate l’existence d’un nombre considérable de Québécois linguistiquement plus conservateurs refusant le remplacement du modèle parisien par le
modèle québécois en tant que norme de référence (cf. Lockerbie 2005, 16). Il s’agit
là d’une controverse s’étendant, selon Pöll (2008), jusqu’à aujourd’hui et opposant
les « aménagistes », partisans d’une codification du français québécois (notamment Martel/Cajolet-Laganière 1996 ; Poirier 1998a ; Martel 2001 ; Lockerbie 2003),
aux « conservateurs », partisans d’un « français international » (ayant pour objectif d’assurer l’intercompréhension au sein de la francophonie) et donc opposés à
cette codification (notamment Barbaud 1998 ; Paquot 2009 ; Meney 2010).
La persistance de cette controverse jusqu’à aujourd’hui peut expliquer les
résultats un peu plus récents de Genesee/Holobow (1989) : sur la base d’une
enquête de perception menée selon les mêmes principes empiriques que l’étude
de Lambert et al. (1960), ils montrent que le français parisien continue à bénéficier d’attitudes plus favorables chez les francophones et les anglophones selon la
dimension du statut. Quant à la dimension de la loyauté, les attitudes des deux
groupes ont évolué d’une préférence pour le français parisien vers des attitudes
positives similaires face au français parisien et au français québécois.
Des sondages sociolinguistiques (non perceptifs) plus récents montrent, pour
leur part, que les francophones et les anglophones ne considèrent plus le modèle
parisien comme une norme à laquelle ils aspirent : l’étude d’Evans (2002), en
particulier, montre que les Québécois évaluent mieux leur propre variété sur l’axe
de la pleasantness par rapport à ce qu’elle nomme le Continental French, qui équivaut à la représentation des Québécois d’un français « européen ». D’autre part,
les résultats de l’étude montrent que ces mêmes informateurs considèrent leur
variété comme étant aussi correcte que ce Continental French (cf. Evans 2002,
90), Bouchard/Maurais (1999) et Laur (2001) obtenant des résultats similaires. Il
s’agit donc ici de résultats suggérant une progression du statut du français québécois dans les attitudes des locuteurs. Notons, tout comme pour l’étude de Kuiper
(1999) (cf. chapitre 2.1.2.3.2), que ces études sans stimuli peuvent être sujettes
(1) au problème de ‘désirabilité sociale’ (all. soziale Erwünschtheit, cf. Diekmann
6
2012, 447–451) et (2) à des problèmes de confusion des espaces linguistiques
avec les espaces sociaux menant à des résultats « faussés », étant donné qu’ils ne
40
2 État de l’art
portent pas sur de réelles perceptions, mais sur des représentations et attitudes
motivées culturellement (cf. Pustka 2008, 215 ; Krefeld/Pustka 2010, 12–13).
Finalement, l’étude la plus récente de Kircher (2012), qui se base sur un questionnaire et une expérience utilisant la technique du locuteur masqué, montre
que les attitudes par rapport au français québécois touchant à la dimension de la
loyauté se sont améliorées depuis les années 1980 et l’étude de Genesee/Holobow
(1989). Le français québécois n’y est en effet plus seulement évalué de façon similaire au français parisien, il est même préféré par les informateurs. Quant aux
attitudes touchant à la dimension du statut, contrairement à Bouchard/Maurais
(1999) et Laur (2001), Kircher (2012) n’observe pas de changements notables par
rapport aux résultats de Genesee/Holobow (1989). Elle associe ces résultats, d’une
part, à l’émergence du sentiment d’appartenance des Québécois à leur société
depuis 1960 et, d’autre part, à la perception traditionnelle du français comme
une langue non pas pluricentrique, mais monocentrique (cf. Kircher 2012, 365).
En reprenant la proposition de Pöll (2005, 185–188) et de façon similaire aux
cas de la France méridionale (cf. 2.1.2.3.2) et de la Suisse romande (cf. 2.1.2.3.3),
il est à présent possible de systématiser les résultats des études faites jusqu’ici
à l’aide des termes de prestige latent et prestige manifeste. En effet, les études
menées durant les années de la Révolution tranquille (1960–1970) montrent que
les attitudes des Québécois étaient alors nettement plus favorables au français
parlé en France et que les locuteurs parlant ce français étaient considérés comme
détenteurs de plus grandes qualités personnelles et sociales (cf. Ostiguy/Tousignant 2008, 29 ; cf. également Lambert et al. 1960, Lambert/Frankel/Tucker 1966,
D’Anglejean/Tucker 1973). À cette époque, il n’existe donc apparemment qu’une
variété de prestige : le français « de France ».
Les années 1980–2000 paraissent, pour leur part, apporter un changement
quant au prestige latent. En effet, alors qu’au niveau du prestige manifeste seule une
« faible amélioration de la conscience linguistique des Québécois » (Pöll 2005, 187)
semble être observable, l’étude de Genesee/Holobow (1989) révèle une augmentation considérable du prestige latent du français québécois.
Finalement, les travaux les plus récents n’obtiennent pas les mêmes résultats. Alors que les études de Bouchard/Maurais (1999) et Laur (2001) portant sur
les attitudes non perceptives semblent montrer une diminution de l’importance
du français parisien en tant que porteur du prestige manifeste, l’étude mixte de
Kircher (2012) (questionnaire et étude de perception) montre une augmentation
du prestige latent du français québécois par rapport aux années 1980, mais n’observe aucun changement quant au prestige manifeste du français parisien. Même
si la question reste donc encore ouverte, il pourrait ainsi exister une différence
entre les attitudes déclarées, obtenues à l’aide de méthodes non perceptives, qui
pourraient être motivées (plus ou moins exclusivement) culturellement, et les
2.1 Norme(s)
41
attitudes non déclarées, peut-être même inconscientes, obtenues à l’aide d’études
de perception (cf. Pustka 2008, 215).
2.1.2.3.5 Attitudes dans la francophonie : bilan intermédiaire
La situation des attitudes des locuteurs appartenant aux périphéries francophones face à leur variété de français respective et face à la variété « française »
ou « parisienne » semble ainsi être comparable, bien que les cas du Québec et de
la Suisse présentent une particularité supplémentaire :
(1) Prestige latent : les périphéries francophones abordées plus haut voient
l’émergence interne à leur communauté linguistique d’un prestige latent de
leurs variétés régionales.
(2) Prestige manifeste : la variété parisienne est porteuse du prestige manifeste
dans les deux périphéries étudiées. En Suisse romande, il existe pourtant un
centre régional, Genève, dont la variété est porteuse d’un prestige manifeste
similaire à celui de Paris, ce qui a pu être montré dans le cadre d’une étude de
perception. Au Québec, un prestige manifeste régional similaire au cas de la
Suisse romande est observé dans l’usage des présentateurs de Radio-Canada
dans le cadre des études les plus récentes, ce qui a cependant été analysé
uniquement dans le cadre de sondages non perceptifs.
Bien que les types d’études (enquête de perception pour la Suisse, sondage pour
le Québec) soient différents et que les résultats portent sur différents types de
catégories (catégories géographiques pour la Suisse romande : Genève vs. autres
cantons ; catégories sociales et situationnelles pour le Québec : présentateurs de
Radio-Canada en situation de présentation de journal), les résultats suisses et québécois semblent montrer l’émergence d’une variété manifestement prestigieuse
dans ces deux régions. Malgré ces résultats, il serait cependant encore nécessaire
de vérifier systématiquement ces observations dans le cadre d’une étude de perception comparative pour ces deux régions, chose n’ayant pas été faite jusqu’ici.
En effet, comme le notent Bulot/Blanchet (2013, 59), la plupart des travaux sur les
attitudes dans le domaine francophone ont porté jusqu’ici respectivement sur un
seul pays où coexistent différentes langues et/ou variétés (Suisse : cf. Singy 1996 ;
Belgique : cf. Francard 1993). Les études portant sur plusieurs pays (Belgique et
Afrique : cf. Moreau 1996 ; France et Belgique : cf. Ledegen 2000 ; France, Belgique, Suisse, Québec, Tunisie et Sénégal : cf. Moreau et al. 2007) ou plusieurs
régions (p. ex. Tours, Limoges, Lille, Saint Denis de la Réunion : cf. Gueunier/
Genouvrier/Khomsi 1978) restent plus rares.
Cette problématique autour d’éventuelles normes régionales ainsi que la question du prestige de la variété normative traditionnelle et des variétés régionales a
42
2 État de l’art
été traitée pour beaucoup de langues de grande extension (espagnol, portugais,
anglais, allemand et français) dans le cadre conceptuel du pluricentrisme (cf. Pöll
2005). Cet objet de recherche fondamental de toute étude portant sur la norme
sera abordé au chapitre suivant.
2.1.2.4 Pluricentrisme
Dans le chapitre 2.1.1, j’ai pu montrer qu’une définition de la norme dépend entre
autres de facteurs sociaux et situationnels. En plus de ces deux facteurs et en reprenant le troisième niveau du modèle variationniste de Koch/Oesterreicher (22011),
il est important d’y ajouter le facteur géographique. En effet, la question de la
norme du français fait débat à l’heure actuelle : dans la francophonie, existe-t-il
(toujours) un seul centre normatif, ou y en a-t-il plusieurs, à partir desquels se
diffuse la norme de chacune des sous-communautés respectives (France, Suisse
romande, Québec, etc.) ? Le concept étant rattaché à cette thématique est celui du
pluricentrisme.
2.1.2.4.1 Définition
Le concept du pluricentrisme remonte à l’origine aux travaux du linguiste allemand Heinz Kloss (21978), du sociolinguiste australien Michael Clyne (1989) ainsi
que des linguistes allemand Ulrich Ammon (1989) et autrichien Rudolf Muhr
(1993) (cf. Glauninger 2013, 460). Bien que controversée, la définition de ce terme
se base principalement sur les idées de Clyne (1989) et peut être formulée de la
manière suivante :
« [. . .] on entend par langue pluricentrique une langue qui n’a pas qu’un seul centre dont
émanent les normes de la langue standard. Un centre normatif peut se concevoir comme un
groupe de locuteurs ayant en commun certaines variables socio-culturelles, puis dans un
premier pas d’extension leur région, celle-ci coïncidant dans la pratique très souvent avec
un état indépendant » (Pöll 2005, 19).
Ces « États indépendants » mentionnés par Pöll ne doivent pas nécessairement être
compris comme des États-nations au sens politique du terme, mais plutôt comme
des nations culturelles (cf. Polenz 1988, 200). Il les définit en effet comme « groupe
humain, généralement assez vaste, qui se caractérise par la conscience de son
unité et la volonté de vivre en commun et qui vit effectivement en commun dans
un cadre légal » (Pöll 2005, 20). Ainsi, ces entités politiques comme le Québec,
la Suisse romande ou la Belgique francophone peuvent, à travers l’histoire, la
culture et la langue communes à leur sous-communauté respective, être considérées comme des centres normatifs à part entière, même s’ils ne représentent
politiquement qu’une partie de leurs États-nations respectifs.
2.1 Norme(s)
43
Clyne (1989, 358), ce faisant, dénombre trois types de centres normatifs dans
les langues de grande extension :
(1) Il peut s’agir d’États souverains (au sens d’États-nations, cf. Polenz 1988,
200) comme, dans le cas du français, la France.
(2) Ces centres peuvent également être des régions appartenant politiquement
à des États souverains, comme la Suisse romande, la Belgique francophone
ou le Québec.
(3) On trouve enfin le cas, très rare et non répertorié pour le français, des nations
politiquement divisées, comme dans le cas de la séparation entre 1949 et
1990 entre la République démocratique allemande (RDA) et la République
fédérale d’Allemagne (RFA).
Ammon (1995) ajoute à cette définition des langues pluricentriques la souscatégorie des langues plurinationales. Selon lui, alors que, de façon générale,
une langue ayant au moins deux variétés standard dans différents centres est
une langue pluricentrique, cette langue pluricentrique peut également être plurinationale si ses centres se trouvent dans au moins deux nations différentes. Ce
faisant, Ammon (1995) parle de ‘centres intégraux’ (all. Vollzentren) lorsque la
variété du centre (dans le cas du français, la France) est entièrement codifiée dans
le cadre d’ouvrages de référence, et de ‘semi-centres’ (all. Halbzentren) lorsque
cette codification n’est que partielle ou manquante (comme, dans le cas du français, le Québec). Notons que Clyne (2004), pour sa part, propose plus tard une
catégorisation tripartite (cf. Clyne 2004, 298) : il parle de full centres lorsqu’il
s’agit de centres possédant un standard endogène propre, de semi-centres lorsque
ceux-ci suivent aussi bien des standards endogènes qu’exogènes et de rudimentary centres lorsqu’ils suivent uniquement des normes exogènes, l’exemple donné
par Clyne (2004, 298) dans ce dernier cas étant celui du Liechtenstein pour la
langue allemande.
Une définition du terme ayant été donnée, il est cependant important de
faire remarquer que le concept du pluricentrisme reste très controversé, notamment dans les travaux de linguistes germanistes (cf. De Cillia 2006, 54–55). Notons
d’ailleurs que cette controverse prend parfois – du moins chez une partie des
chercheurs – une envergure non plus seulement scientifique, mais également
politique, émotionnelle et polémique. Le concept de pluricentrisme est en effet
rapproché par certains chercheurs au populisme, au nationalisme, voire même au
national-socialisme. Glauninger (2013) formule, par exemple, la critique suivante :
« [Man kann] den Vertretern des Modells einer ‹ plurinationalen › Sprache Deutsch einen
besonders schwer wiegenden Vorwurf nicht ersparen : Sie negieren, zumindest aber unterschätzen offensichtlich die aufgrund der Katastrophe des Nationalsozialismus – zumindest
44
2 État de l’art
latent – nach wie vor beobachtbare Stigmatisierung bzw. Tabuisierung alles ‹ Nationalen ›
im deutschsprachigen Raum » (Glauninger 2013, 462).14
Des arguments similaires pourront être trouvés – entre autres – chez Wolf (1994)
et Scheuringer (1996). Lorsque cette dimension est masquée au profit d’un débat
scientifique, cette controverse semble s’articuler autour d’une opposition terminologique faisant apparaître deux notions fortement différentes de la variation à
l’intérieur des langues de grande extension : le pluricentrisme et la pluriaréalité.
2.1.2.4.2 Pluricentrisme et pluriaréalité
En reprenant les principaux arguments évoqués dans le cadre de la controverse autour du pluricentrisme, on peut observer que les opposants du concept
de langues pluricentriques affirment que ce dernier dissimulerait le fait qu’il
n’existe souvent pas de variétés nationales homogènes comme cette terminologie
le sous-entendrait (cf. Scheuringer 1996, 151–152 ; Schrodt 1997, 16 ; Pohl 1998,
24 ; De Cillia 2006, 54).15 Ainsi leurs arguments touchent-ils principalement au
domaine des productions linguistiques :
(1) Au niveau des normes, les traits linguistiques de ces différents centres seraient,
selon eux, trop similaires les uns aux autres pour pouvoir réellement parler de
centres nationaux.
(2) Au niveau dialectal, de nombreux traits outrepasseraient les frontières politiques
des États. La répartition géographique interne aux langues de grande extension
ne pourrait donc se faire sur une base politique, mais devrait davantage reposer
sur de ‘vastes zones dialectales’ (all. dialektale Großräume), un exemple illustrant cette situation étant celui de la zone dialectale du bavarois en Bavière,
appartenant politiquement à l’Allemagne, et en Autriche (Pohl 1997, 69).
Les opposants au pluricentrisme préfèrent ainsi le terme de langues pluriaréales
pour désigner les langues de grande extension se répartissant selon cette notion
14 ‘Les partisans du modèle plurinational de la langue allemande s’exposent immanquablement à un reproche de taille : à l’évidence, ils nient, ou du moins sous-estiment la stigmatisation
et la tabouisation encore observables aujourd’hui dans l’aire germanophone – du moins de manière latente – de tout ce qui est « national », en raison de la catastrophe du national-socialisme’
(Traduction : Marc Chalier).
15 Notons qu’il s’agit ici principalement de linguistes germanistes travaillant principalement
(ou uniquement) sur l’allemand (cf. entre autres Clyne 1989 ; Muhr 1993 ; Ammon 1995 ; Scheuringer 1996 ; Schrodt 1997 ; Pohl 1998 ; De Cillia 2006 ; Glauninger 2013), langue dont la variation
dialectale est, pour des raisons historiques, aujourd’hui encore bien plus importante que dans
le domaine francophone.
2.1 Norme(s)
45
en vastes zones dialectales (cf. Wolf 1994, 74–75). Dans le domaine du français,
le français méridional illustre par exemple l’existence d’une norme régionale qui
n’est pas pour autant reliée à une frontière politique (cf. 2.1.2.3.2).
D’un autre côté, les partisans du pluricentrisme répondent à ces critiques en
employant des arguments touchant principalement à trois domaines : le domaine
fonctionnel des productions linguistiques, le statut et la valeur identitaire des
traits linguistiques. Au niveau des productions linguistiques, les deux arguments
suivants sont les plus fréquents :
(1) Le contexte politique de nations indépendantes donnerait, selon eux, nécessairement naissance à des évolutions linguistiques propres à chaque nation,
qui seraient également perçues comme telles à l’intérieur et à l’extérieur de ces
frontières (cf. Muhr 1998, 49). Pensons ici, en guise d’exemple, aux statalismes,
c’est-à-dire aux variantes linguistiques dont l’aire d’extension correspond à des
frontières politiques (cf. Thibault 1998, 25). En Suisse romande, les lexèmes
canton ‘État de la Confédération suisse’ et maturité ‘diplôme de fin d’études
secondaires correspondant au baccalauréat français’ (cf. Knecht/Thibault
2004, 198, 508), au Québec, baccalauréat ‘programme d’études universitaires
de premier cycle’ et cégep (collège d’enseignement général et professionnel) ‘établissement d’enseignement pré-universitaire’ (cf. Mercier/Remysen/CajoletLaganière 2017, 295) font partie des statalismes très courants.
(2) Les partisans du concept du pluricentrisme soulignent par ailleurs qu’ils ne
contestent pas les différences régionales à l’intérieur d’une variété standard,
mais que ces différences seraient cependant ‘souvent plus faibles qu’on le
présume’ (« geringer als oft angenommen », Muhr 1997, 55–56).
S’ajoutent à ces deux éléments les arguments touchant au statut de chaque
variante linguistique. En effet, selon Muhr (1997, 56), certaines de ces variantes
peuvent être dialectales dans un pays tout en étant standard dans un autre, ces
formes pouvant être trouvées dans ce dernier cas dans les médias écrits et/ou
audiovisuels (selon la nature linguistique du trait) ainsi que dans toute situation
formelle. Pour le cas de l’allemand autrichien, Clyne (1995) mentionne l’exemple
suivant :
« For instance, Jänner (‘January’, GSG Januar) and Feber (‘February’, GSG Februar) are
standard in Austria but not completely standard in South Germany, as is the case also with
sein (‘to be’) used as an auxiliary for verbs such as liegen (‘to lie’), sitzen (‘to sit’) and stehen
(‘to stand’). These are forms to be found in the newspaper, TV and radio news and in formal
speeches in Austria but not in South Germany » (Clyne 1995, 25).
Pour ce qui est du français, un exemple connu du français parlé en Suisse
romande est celui du lexème pive ‘fruit des conifères’, qui, venant des dialectes
46
2 État de l’art
jurassiens, fait maintenant partie du standard de Suisse romande, alors qu’en
France, il est considéré comme lexème dialectal du Jura français, du Doubs et de
la Haute-Savoie (cf. Andreassen/Maître/Racine 2010, 218).
S’ajoutent aux arguments touchant aux productions linguistiques et au statut
la valeur identitaire des variantes linguistiques. En effet, selon Pöll (2005, 21–24),
les recherches portant sur des aspects touchant au système linguistique pour
découvrir si des variétés de différentes nations ou régions pourraient être considérées comme standards devraient rester secondaires. Selon lui, une réponse à la
question de la norme ou des normes doit être cherchée en sociolinguistique (cf.
Pöll 2005, 21). Oesterreicher (2000, 306) souligne également l’aspect identitaire
de la formation de variétés nationales ou territoriales :
« Für die Linguistik entscheidend ist vor allem die Einsicht in die Tatsache, daß die Sprechergruppen einer plurizentrischen Sprache keineswegs die realen sprachlichen Verhältnisse im Bewußtsein haben, sondern sehr stark von – im Hintergrund wirksam – spezifisch
unterschiedlichen historisch-kulturellen, ideologischen Interpretamenten abhängig sind »
(Oesterreicher 2000, 306).16
La construction d’une norme régionale ou nationale est donc, selon Oesterreicher (2000), un phénomène principalement identitaire étant en rapport direct
avec « des représentations, des savoirs intuitifs sur les choses pouvant orienter
et organiser ces prises de position que constituent les opinions ou les attitudes »
(Pöll 2005, 24).
Malgré ces différents arguments de la part des partisans et des opposants
au pluricentrisme, les concepts de pluricentrisme et de pluriaréalité pourraient
tout à fait être considérés comme compatibles (cf. De Cillia 2009, 126). En effet,
De Cillia (2006, 55) et Spiekermann (2008, 32–33) expliquent que ces deux termes
font en définitive uniquement référence à des aspects différents de la variation
et de la norme. Alors que le pluricentrisme (ou la plurinationalité) justifie l’existence de standards nationaux, celui de la pluriaréalité s’intéresse à la question
des standards régionaux, c’est-à-dire les standards passant outre aux frontières
politiques. Il existe en effet, en-dessous des standards nationaux codifiés, des
standards régionaux dont la légitimité ne peut être expliquée en termes politiques, mais uniquement en termes dialectologiques, l’origine de standards régionaux pouvant souvent être trouvée dans les variétés régionales (cf. Spiekermann
2008, 32). Notons que ces standards régionaux sont souvent plus restreints que
16 ‘Pour la linguistique, il est avant tout crucial de reconnaître qu’en aucun cas, les groupes de
locuteurs d’une langue pluricentrique n’ont à l’esprit les relations linguistiques réelles, et qu’ils
sont bien plutôt sujets à la forte influence de différentes constructions interprétatives historicoculturelles et idéologiques spécifiques, actives à l’arrière-plan’ (Traduction : Marc Chalier).
2.1 Norme(s)
47
les standards nationaux (comme en Bavière dans le cas de l’allemand et dans le
Sud de la France pour le français), mais que dans certains cas, ils peuvent également être plus larges (comme dans les États des Andes dans le cas de l’espagnol ;
cf. Gauger 1992, 518 ; Oesterreicher 2000, 310).
Dans le cas des trois régions étudiées dans le présent ouvrage, cela implique
la possibilité de désigner, d’une part, les standards québécois, suisse romand et
français comme des standards nationaux (dans le sens du pluricentrisme) étant
donné qu’ils s’inscrivent dans un cadre politique, et de les opposer, d’autre part,
à d’autres standards régionaux indépendants des frontières politiques (dans le
sens de la pluriaréalité). Un tel standard régional pourrait être, par exemple, celui
du français méridional (cf. Poirier 1987, 146 ; Taylor 1996, 192 ; Pustka 2007, 93),
étant donné qu’il ne possède pas de cadre politique et peut uniquement être
expliqué en des termes dialectologiques.
Dans l’optique plus générale du présent ouvrage, deux aspects – terminologique et méthodologique – peuvent ainsi être retenus :
– Terminologie : le présent ouvrage porte sur les normes québécoises, suisses
romandes et parisiennes, trois normes appartenant à des États politiquement
distincts et étant (du moins potentiellement) indépendantes les unes des
autres quant aux questions d’aménagement linguistique. Selon les réflexions
faites ci-dessus, les normes y étant (potentiellement) présentes peuvent donc
être désignées par le terme de normes nationales, terme qui sera utilisé dans
la suite de l’ouvrage.
– Méthode : le présent chapitre aura pu montrer qu’une étude du pluricentrisme
ne peut se restreindre à la simple analyse des différences dans les systèmes
linguistiques des variétés. Il sera donc nécessaire d’ajouter à l’analyse de ces
productions linguistiques, celle des attitudes (perceptives et non perceptives).
Le concept de pluricentrisme ayant été défini et délimité de celui de pluriaréalité, il sera finalement nécessaire de décrire les principales caractéristiques des
langues pluricentriques, avant de pouvoir aborder le cas du français.
2.1.2.4.3 Caractéristiques des langues pluricentriques
Selon les principaux partisans du concept du pluricentrisme (cf. entre autres
Ammon 1989 ; Clyne 1993 ; 1995 ; 2004), l’une des caractéristiques principales
des langues pluricentriques est l’asymétrie existant entre leurs différents centres
normatifs.
Premièrement, le modèle de Clyne (1993 ; 1995 ; 2004) différencie les variétés
dominantes de celles qui ne le sont pas, et ce, sur la base de « l’asymétrie des
représentations que se construisent les locuteurs des différentes variétés d’un
48
2 État de l’art
espace linguistique pluricentrique » (Pöll 2005, 27). Partant ainsi de ce critère des
représentations (et des attitudes) des locuteurs, Clyne (1993, 3 ; 2004, 297–298)
détecte trois types de relations – symétriques ou asymétriques – entre les centres
normatifs de ces langues pluricentriques :
– La symétrie totale (qu’il considère comme étant quasiment utopique)
– Différents degrés d’asymétrie unidirectionnelle
– L’asymétrie bidirectionnelle ou bi-asymétrie
Selon Clyne (1995, 8), cette différence de statut des variétés dominantes et non
dominantes et ces asymétries trouvent leur source dans des facteurs historiques,
politiques, économiques et démographiques et présentent toute une série de
symptômes observables d’un point de vue synchrone, principalement dans les
attitudes des locuteurs de ces variétés (cf. Clyne 1995, 22). Les points principaux
sont résumés ci-dessous :17
– Les locuteurs des nations dominantes ont tendance à considérer leur norme dominante comme le modèle à suivre et les normes non dominantes comme divergentes de cette norme (ces dernières étant désignées par les non-experts comme
étant, par exemple, exotiques, charmantes ou encore vieillies/vieilles, etc.).
– Les locuteurs des nations dominantes ont tendance à ne pas connaître les
normes non dominantes, ce qui mène à des sentiments d’insécurité linguistique et des complexes d’infériorité chez les locuteurs de ces dernières et à un
processus de changement en direction de la norme dominante.
– Les nations dominantes possèdent un nombre considérable de moyens leur
permettant d’exporter et de propager leur norme, étant donné que les éditeurs de grammaires et de dictionnaires ont tendance à être situés dans ces
pays (cf. Clyne 2004, 297).
Ammon (1989), pour sa part, propose une autre modélisation des relations entre
les centres normatifs se basant sur « l’asymétrie des poids normatifs des divers
centres » (Pöll 2005, 27). Ce type d’asymétrie est estimé sur la base de deux critères :
d’une part, la provenance du code normatif et, d’autre part, les locuteurs-modèles,
c’est-à-dire les professionnels de la parole servant de modèle à leur (sous-)communauté linguistique. Or, aussi bien le code normatif que les locuteurs-modèles
peuvent provenir de l’intérieur et/ou de l’extérieur de cette (sous-)communauté
linguistique. Sur la base de ces réflexions, Ammon (1989) établit également une
17 La liste complète des comportements et attitudes des locuteurs des variétés désignées par
Clyne (2004) comme « dominantes » et « non dominantes » pourra être trouvée dans sa synthèse
sur le pluricentrisme (cf. Clyne 2004, 297–298).
2.1 Norme(s)
49
hiérarchie qualitative de degrés d’endo-normativité (normes provenant de l’intérieur d’une communauté) et d’exo-normativité (normes provenant de l’extérieur
d’une communauté), permettant ainsi de classer les langues pluricentriques :
Tableau 1 : Degrés d’endo- et d’exo-normativité (cf. Ammon 1989, 90 ;
version française, cf. Pöll 2005, 27–28).
Endo- vs.
exo-normativité
Provenance du
code normatif
Provenance des
locuteurs-modèles
Centre intégral
Endo-normativité
totale
Intérieur
Intérieur
Centre presque
intégral
Endo-normativité
prédominante
Intérieur
Intérieur et extérieur
Semi-centre
Endo-normativité
partielle
Intérieur et
extérieur
Intérieur et extérieur
Centre
rudimentaire
Exo-normativité
prédominante
Extérieur
Intérieur et extérieur
Non-centre
Exo-normativité
totale
Extérieur
Extérieur
Ces modèles de description des asymétries entre les centres normatifs des langues
pluricentriques, proposés par Clyne (1993 ; 1995 ; 2004) et Ammon (1989) me permettront ci-dessous d’estimer sur la base des études sociolinguistiques publiées
jusqu’ici dans quelle mesure le français peut être considéré comme une langue
pluricentrique.
2.1.2.4.4 Le cas du français
Au sein de la recherche en sociolinguistique, un certain nombre d’auteurs persistent à considérer aujourd’hui encore le français comme une « exception sociolinguistique » (cf. Le Dû/Le Berre 1997) caractérisée par un monocentrisme et une
« surévaluation du standard, de la ‹ belle langue › et de l’écrit » (cf. Boudreau/
Gadet 1998, 56). En effet, en utilisant, le critère de l’endo- et de l’exo-normativité
proposé par Ammon (1989, 90), Pöll affirme que « la francophonie périphérique –
tous pays confondus – se situera plutôt en bas de l’échelle » (Pöll 2005, 297). Par
ailleurs, une recherche sur les asymétries entre les différents centres normatifs
sur la base du modèle de Clyne (1993 ; 1995 ; 2004) présente des résultats similaires : le français resterait, selon Pöll (2005), une langue fortement asymétrique,
faisant preuve d’une asymétrie en faveur du « français de France ». Il serait alors
légitime de se demander si cet état de fait actuel proposé par Pöll (2005) pourrait éventuellement être en cours de changement, c’est-à-dire si, par exemple, les
50
2 État de l’art
français régionaux de la Suisse romande et du Québec deviennent actuellement
des centres à part entière.
Les résultats obtenus dans le chapitre touchant aux attitudes linguistiques
(cf. 2.1.2) semblent cependant contredire une telle hypothèse : actuellement, si
les périphéries francophones voient, certes, l’émergence d’un prestige latent de
leurs variétés régionales au sein de leur communauté linguistique, la variété
parisienne semble cependant rester porteuse du prestige manifeste dans toutes
les périphéries, signe d’une forte asymétrie unidirectionnelle selon le modèle de
Clyne (1993, 3 ; 2004, 297–298). Par ailleurs, le critère du code normatif proposé
par Ammon (1989) montre également un résultat similaire : les ouvrages de référence reconnus et utilisés par les locuteurs de périphéries proviennent dans le
cas des périphéries francophones de l’extérieur de la communauté.
Dans le cas de la Suisse, mis à part le Dictionnaire suisse romand (cf. Thibault/
Knecht 2004), les aspirations à la codification d’une variété de référence suisse
romande restent très rares jusqu’à aujourd’hui : il n’existe en effet ni dictionnaire
ni grammaire à portée normative (cf. Prikhodkine 2011, 412),18 de telle sorte que
la Suisse romande ne saurait constituer un centre définissant ses propres normes
(cf. Pöll 2005, 173–175).
Le cas du Québec est similaire, malgré la parution à partir des années 1960
de plusieurs dictionnaires rendant compte des usages spécifiques québécois.
Ces dictionnaires sont, dans l’ordre chronologique, le Dictionnaire général de la
langue française au Canada (cf. Bélisle 1957) et le Dictionnaire de la langue québécoise (cf. Bergeron 1980), deux dictionnaires précurseurs des principaux aboutissements du projet aménagiste que sont le Dictionnaire du français plus (DFP) (cf.
Auger et al. 1988) et le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (DQA) (cf. Boulanger
1992) ainsi que le Dictionnaire historique du français québécois (DHFQ) (cf. Poirier
1998b) et, récemment, l’USITO, Dictionnaire général de la langue française (cf.
Cajolet-Laganière/Martel/Masson 2016). Ayant longtemps fait débat au Québec,
ces dictionnaires ont été rejetés par la presse québécoise conservatrice et ne sont
pas réellement considérés par la communauté linguistique québécoise comme
ouvrages de référence (cf. Neumann-Holzschuh 1995, 205). Ainsi, du point de vue
de la provenance du code normatif (cf. Ammon 1989, 88), malgré certaines aspirations à la codification d’une norme du français propre au Québec, la norme linguistique orientant le comportement des Québécois semble rester celle de France.
18 Notons cependant les efforts de codification observables dans le domaine de la féminisation
des noms de métier, avec notamment le Dictionnaire féminin-masculin des professions des titres
et des fonctions (cf. Moreau 1991).
2.1 Norme(s)
51
Ces réflexions pousseraient donc, selon Pöll (2005), à la catégorisation de
ces variétés comme des « centres rudimentaires » ou des « non-centres » selon le
modèle d’Ammon (1989, 91). Pöll (2005, 295–297) fournit d’ailleurs quatre explications fondamentales expliquant cette présumée « exception sociolinguistique »
(Le Dû/Le Berre 1997, 11) du français :
– Démographie : au contraire de l’anglais, de l’espagnol et du portugais, dont
le nombre de locuteurs sur le continent américain dépasse largement celui de
l’Europe, le poids démographique de la francophonie périphérique reste très
faible, avec 15 millions de locuteurs en périphérie (dont seulement 8 millions
au Québec) et 61 millions de locuteurs en France.
– Culture : la France reste encore aujourd’hui la source principale de production culturelle, que ce soit dans le domaine littéraire ou dans celui des produits médiatiques de grande consommation.
– Marché linguistique : les deux premiers constats ont une influence sur les
marchés linguistiques en ce sens que la France et la norme provenant de
France (le « bon usage ») continuent à représenter ce que Bourdieu (1982)
nomme le marché officiel, au contraire des variétés vernaculaires qui représentent le marché restreint.
– Histoire : en francophonie, au contraire de l’émancipation des variétés
américaines de l’anglais (au 18ème siècle) ou de l’espagnol et du portugais
(au 19ème siècle), celle des variétés non dominantes du français (Belgique,
Suisse, Québec) a été tardive (au Québec à partir de la Révolution tranquille
des années 1960), voire inexistante (Belgique, Suisse). Qui plus est, dans le
cas du Québec, le but de l’émancipation n’était pas de se démarquer de la
France, mais d’échapper à la domination linguistique et culturelle du Canada
anglophone.
Malgré cet état de fait, les études les plus récentes présentées au chapitre 2.1.2.3
me poussent à remettre en question ces conclusions. En effet, comme le mentionnent Gleßgen/Thibault (2005, vii), il semble bien exister – parallèlement au
français « de France » – des variétés de français de référence qualifiables de nationales dans le cas de la Belgique, du Canada, de la Suisse, dans les trois pays francophones du Maghreb et dans certains pays d’Afrique subsaharienne (cf. Gleßgen
1996, 44–46) :
« Dans chacun de ces pays, le français a développé une variété de référence, de type standard, qui est reconnue par les locuteurs – au moins de manière intuitive – comme variété
nationale propre ; cette variété se distingue des autres variétés standard nationales par des
traits phonétiques, mais surtout lexicaux, phraséologiques et textuels, rarement grammaticaux » (Gleßgen/Thibault 2005, vii).
52
2 État de l’art
Gleßgen/Thibault (2005) ajoutent par ailleurs que malgré le prestige supérieur
dont peut bénéficier la variété standard de France et son influence certaine sur
les autres variétés standards, « les standards nationaux ont une autonomie de
fait » (Gleßgen/Thibault 2005, vii). Le deuxième critère du modèle d’Ammon
(1989, 88), celui de l’origine des locuteurs-modèles, semble d’ailleurs montrer
effectivement l’émergence de nouveaux centres normatifs, notamment ceux de la
Suisse romande et du Québec :
– L’étude de Racine/Schwab/Detey (2013), à ce jour la seule étude perceptive
portant sur la norme de prononciation en Suisse romande, a pu montrer que
la variété genevoise paraît porteuse, pour les locuteurs romands (les Genevois eux-mêmes mis à part), d’un prestige manifeste similaire à celui de la
variété parisienne.
– Au Québec, un grand nombre d’études sociolinguistiques (cf. entre autres
D’Anglejan/Tucker 1973 ; Lappin 1982 ; Bouchard/Maurais 2001 ; Reinke
2004 ; 2005 ; Bigot/Papen 2013) ont pu montrer que les présentateurs de
Radio-Canada bénéficient d’un prestige manifeste au sein de leur communauté linguistique, une norme « neutre » des élites québécoises semblant
donc se profiler.
Ainsi, dans ces deux régions, les locuteurs-modèles semblent provenir soit partiellement (Suisse), soit presque totalement (Québec) de l’intérieur de la communauté linguistique. Selon le modèle d’Ammon (1989, 86–94), cet état de fait
justifierait une considération plus élevée du statut des centres normatifs suisses
et québécois : ils pourraient être considérés comme centres rudimentaires à
exo-normativité prédominante. La situation actuelle du français évolue donc progressivement en direction d’un pluricentrisme, ce qu’illustrent Gleßgen/Thibault
(2005) à l’exemple de la Belgique, de la Suisse et de la France :
« Les variétés régionales internes du français de Belgique (ou de Suisse) s’opposent autant
au standard national belge (ou suisse) qu’au standard (ou aux variétés régionales) de
France. D’une part, le français standard de Belgique ou de Suisse n’est pas un français
régional, mais un français national ; d’autre part, il montre des caractéristiques internes
très semblables à celles du français régional d’Alsace (pour ne nommer qu’une région) »
(Gleßgen/Thibault 2005, viii).
Les variétés de français des pays périphériques (la Belgique et la Suisse dans
le cas de cette étude) s’opposeraient ainsi aussi bien à leur standard national
respectif qu’au standard de France et aux variétés régionales de France. Une
distinction fondamentale semble cependant manquer à cette analyse : il est en
effet nécessaire de différencier le standard de France du français de référence, ce
dernier étant une norme artificielle se trouvant dans les manuels et dictionnaires
2.1 Norme(s)
53
de prononciation mais n’ayant aucun équivalent concret dans la langue parlée
(cf. Pustka 2008, 219 ; cf. également Morin 1987 ; Morin 2000 ; Laks 2002). C’est
la raison pour laquelle j’ajouterai à la catégorisation de Gleßgen/Thibault (2005,
viii) la différenciation faite par Martel (2001, 25–26) entre, d’une part, la norme
reconnue et institutionnelle qu’il nomme le français de référence et, d’autre part,
la norme pratiquée, mais non encore explicitée qu’il nomme le français standard
de chaque communauté.
Ainsi, en-dessous du standard de référence (= niveau 1, cf. tableau 2), standard
artificiel qui pourrait être mis en relation avec la norme fantasmée mentionnée par
Moreau (1997, 222–223) (cf. 2.1.1.2), chaque communauté linguistique peut présenter
respectivement un français standard national (= niveau 2, cf. tableau 2) se délimitant
nettement des autres standards nationaux, et des variétés régionales (= niveau 4,
cf. tableau 2), qui, elles, ne se délimitent pas clairement les unes des autres, mais se
recoupent sur un continuum. Ajoutons également, en reprenant la différenciation
faite plus haut entre pluricentrisme et pluriaréalité (cf. 2.1.2.4), qu’il existe, en plus
des français standards nationaux, des français standards régionaux (= niveau 3,
cf. tableau 2) transgressant les frontières politiques et trouvant leur origine dans ces
variétés régionales. Le tableau 2 résume schématiquement ces réflexions :
Tableau 2 : Français de référence, standards nationaux et régionaux, variétés régionales.
1.
2.
Français de référence
Fr. standard
national 1
3.
Fr. standard
régional 1
4.
Fr. régional 1
Fr. standard
national 2
Fr. standard
régional 2
Fr. régional 2
Fr. régional 3
Fr. standard
national 3
Fr. standard
régional 3
Fr. régional 4
Fr. régional 5
Comme, selon Pöll (2008) et Neumann-Holzschuh (1995), la morphologie et la
syntaxe19 des variétés régionales du français ne sont pas significativement diffé19 Quelques particularités morphosyntaxiques peuvent tout de même être mentionnées : certaines variétés du français parlé en Suisse romande connaissent par exemple l’utilisation de vouloir comme auxiliaire du futur proche (p. ex. il veut pleuvoir ‘il va pleuvoir’), particularité considérée comme un archaïsme, ou encore le calque syntaxique attendre sur quelqu’un/quelque chose
(‘attendre quelqu’un/quelque chose’) sur l’allemand (all. warten auf) (cf. Andreassen/Maître/
Racine 2010, 220–221). Pour leur part, les variétés du français parlé au Québec connaissent par
exemple la neutralisation du pronom de la 3ème personne du pluriel en [i] devant consonne ou en
[iz] devant voyelle (p. ex. Les filles, i sont d’accord) ou encore la particule interrogative et exclamative -tu, issue du pronom personnel tu (p. ex. Tu peux-tu venir ?, C’est-tu beau !) (cf. Mercier/
Remysen/Cajolet-Laganière 2017, 292).
54
2 État de l’art
rentes du français de référence, on notera que ces réflexions sur les différences
entre ces types de normes touchent principalement aux domaines du lexique et
de la prononciation.
Or, c’est précisément la prononciation qui est l’objet d’étude du présent
ouvrage. En reprenant les termes définis jusqu’ici, elle porte en effet explicitement sur les normes de prononciation nationales de trois régions francophones : le
Québec, la Suisse romande et Paris.
2.2 Norme(s) de prononciation
C’est donc aux normes de prononciation que sera consacré ce sous-chapitre. J’y
aborderai la question controversée de la norme de prononciation du français
de façon générale et présenterai l’état de l’art pour les trois régions étudiée
(cf. 2.2.1).
2.2.1 Définition et modèles
Contrairement aux domaines du lexique et de la syntaxe, pour lesquels il existe
une norme explicite et quasiment fixe depuis le 19ème siècle au moins (cf. Laks
2002, 5), il est difficile de donner une définition précise de la norme de prononciation. Le dialectologue Gaston Tuaillon (1977) nous fait ainsi remarquer :
« Nul n’a le droit d’ignorer quelle est la norme grammaticale du français. Quant au lexique,
bien que les cas difficiles ne manquent pas, on peut se fier à un bon dictionnaire, suffisamment hospitalier comme le Robert, pour avoir la liste des mots et des acceptions reconnues
par tous. [. . .] Rassurez-vous : j’ai bien conscience de vous dire des banalités. J’insiste simplement pour faire remarquer que des choses qui semblent pourtant si normales ne peuvent
pas s’appliquer à la phonétique et à la phonologie, parce que nous ne savons pas [. . .] ce que
serait le parfait ‹ accent › français [. . .] » (Tuaillon 1977, 10).
Dans la même ligne argumentative, Martinet (21974) affirme, pour sa part, qu’un
locuteur moyen du français ne saurait nommer des règles de prononciation,
alors que dans le domaine de la grammaire et du lexique, il en serait tout à fait
capable :
« Les Français sont beaucoup plus sensibles au maniement défectueux de la grammaire
qu’aux aberrances de la prononciation. Aucun ‹ accent › reconnu comme français ne saurait
déclasser personne [. . .] un Français sera toujours ‹ distingué › si sa syntaxe est impeccable
et s’il choisit immanquablement le mot juste » (Martinet 21974, 123–124).
2.2 Norme(s) de prononciation
55
Si la norme de prononciation est si difficile à définir, c’est, selon Laks (2002, 7),
principalement parce qu’elle est de nature implicite et proprement orale et qu’elle
est sujette à la variation géographique, sociale et situationnelle ainsi qu’aux
changements phonologiques qui se trouvent être « [. . .] très actifs à l’oral [et ne
sont] vraiment contraints et limités que par la forme graphique » (Laks 2002, 7).
Or, ces caractéristiques engendrent beaucoup d’incertitudes quant à la description de la norme de prononciation et rendent difficile toute définition concrète,
à tel point que Morin (2000), Laks (2002) et Pustka (2008) la considèrent comme
une référence artificielle qu’ils nomment français de référence, cette artificialité
poussant même Morin (1987, 819) à la qualifier de « linguistic Frankenstein ».
Finalement, la seule réalité explicite de ce type de norme en français est
représentée, d’une part, par les dictionnaires de prononciation (cf. Warnant
4
1987 [1962] ; Martinet/Walter 1973 ; Lerond 1980), au fondement méthodologique
douteux (cf. Pustka 2011, 15–16), auxquels s’ajoutent, d’autre part, les ouvrages
didactiques, une telle référence étant indispensable dans l’enseignement du
français langue étrangère (FLE) et du français langue première (cf. Morin 2000 ;
Laks 2002 ; Pustka 2008 ; Lyche 2010). Dans le cadre de ces travaux, trois principaux types de modèles ont été proposés dans la recherche sur la norme de prononciation jusqu’à aujourd’hui (cf. Pustka 2011, 14–16) : un modèle de la Cour et
de la bourgeoisie parisienne (cf. 1.2.1.1), un modèle des « Parisiens d’adoption »
(Martinet/Walter 1973) (cf. 2.2.1.2) et un modèle des professionnels de la parole,
avec notamment les présentateurs de journaux radiophoniques ou télévisés
(cf. 2.2.1.3), ce dernier étant celui qui est suivi dans le présent ouvrage. En outre,
la prise en compte de présentateurs de télévision comme modèles de prononciation va de pair avec un nouveau type d’approche « démocratique » et « descriptif » de la norme de prononciation (cf. 2.2.1.4).
2.2.1.1 Cour et bourgeoisie parisienne
Le premier modèle, qui est traditionnellement utilisé dans l’enseignement du
FLE, préconise la prononciation en usage dans les conversations naturelles soignées des couches sociales moyennes ou élevées de la France septentrionale ou
de Paris.
Dans le cadre de ce modèle, un processus de « démocratisation » de la norme
de prononciation est observable entre les propositions des premiers grammairiens et celles qui suivront : entre le 16ème et le 18ème siècle, les premiers grammairiens partaient encore de l’usage linguistique de la Cour et de l’aristocratie
de Paris et de la Touraine, où les rois de France avaient leurs résidences d’été
(cf. Morin 2000, 92–95). Au milieu du 20ème siècle, cette valorisation des groupes
sociaux privilégiés commencera à gêner les linguistes. C’est probablement la
56
2 État de l’art
raison pour laquelle à cette époque, Fouché (21959) va finalement situer la norme
de prononciation dans la « conversation ‹ soignée › chez les Parisiens cultivés »
(alors qu’en 1936, il parlait encore du « français parisien de la bourgeoisie cultivée » ; cf. Fouché 1936, 211), suggérant ainsi que la norme de prononciation
peut également être représentée par la petite et moyenne bourgeoisie (cf. Morin
2000, 94). Les critères de Fouché restent cependant tout de même l’origine géographique (« les Parisiens ») et sociale (« cultivés ») ainsi qu’une situation de
communication spécifique (« dans les conversations soignées ») (cf. également
Malécot 1977, 1). Notons que ce modèle est aujourd’hui encore très souvent utilisé
par les linguistes pour désigner le français standard, sans pour autant que les
auteurs ne fassent toujours de réelle différence entre cette norme prescriptive
localisée traditionnellement à Paris dans les ouvrages normatifs (cf. Léon 1966)
et les différentes variétés de français localisées à Paris (cf. 2.3.2 ; Pustka 2008,
217–218 ; cf. également Lyche/Østby 2009 ; Østby 2010).
2.2.1.2 Parisiens d’adoption
Le deuxième type de modèle, principalement diffusé par des linguistes « provinciaux qui acceptaient le discours idéologique de la prédominance de Paris, mais
incluaient des traits spécifiques de leurs régions d’origine » (Morin 2000, 95),
élargit le critère géographique à toute la France d’oïl. Le premier à préconiser ce
modèle sera Martinon (1913), qui écrit que « pour que la prononciation de Paris
soit tenue pour bonne, il faut qu’elle soit adoptée au moins par une grande partie
de la France du Nord » (Martinon 1913, vii). Dans ce modèle, la norme ne se trouve
donc pas dans la prononciation des Parisiens nés à Paris de parents et de grandsparents parisiens (le Paris-terroir et des « Parisiens de souche »), mais dans celle
du melting pot des Parisiens provenant à l’origine de diverses provinces de la
France septentrionale (le Paris-creuset et des « Parisiens d’adoption ») (cf. Walter
1988, 170–171 ; Walter 1998, 363).
C’est principalement grâce au Dictionnaire de la prononciation française dans
son usage réel de Martinet/Walter (1973, 9, 17–18) que ce modèle est connu : ces
derniers y localisent en effet la norme non plus chez les « Parisiens de souche »,
mais chez les « Parisiens d’adoption » originaires de la France septentrionale.
Notons que cette hypothèse est confirmée par les études perceptives d’Armstrong/Boughton (1998) et Boughton (2006), qui observent un nivellement des
différences de prononciation au sein de métropoles de la France septentrionale
(Nancy et Rennes). Cependant, la « neutralité » de la prononciation préconisée par
ce modèle ne correspond pas forcément aux perceptions des « non-Parisiens »,
étant donné que cette prononciation est justement identifiée par des locuteurs
extérieurs à la France septentrionale comme un accent du Nord de la France
2.2 Norme(s) de prononciation
57
(cf. Pustka 2008, 213). Finalement, notons également que Martinet (1990) évoque
quelques traits appartenant d’après sa définition à la norme de prononciation,
alors qu’ils ne caractérisent pas celle de la bourgeoisie parisienne (cf. 2.2.1.1) :
mentionnons en particulier l’opposition /a/ :/ɑ/, qui serait supprimée au profit
de la voyelle /a/, « [. . .] l’expérience nous [. . .] [ayant] montré que des usages
proprement parisiens comme un /ɑ/ d’arrière très profond ne jouissent d’aucun
prestige [. . .] » (Martinet 1990, 23).
2.2.1.3 Professionnels de la parole
La proposition de Martinon (1913) et de Martinet/Walter (1973), bien qu’élargissant le critère de l’origine géographique des locuteurs de la norme de prononciation à la France septentrionale, conservait cependant Paris comme réel centre
géographique de cette norme, puisque ces locuteurs devaient tout de même avoir
vécu à Paris durant un certain nombre d’années. Selon Morin (2000, 97–98), c’est
la raison pour laquelle un troisième type de norme de prononciation va alors être
proposé indépendamment de la géographie, continuant à démocratiser davantage
le critère de l’origine sociale des locuteurs devant représenter la norme de prononciation : il s’agit du modèle des professionnels de la parole (présentateurs, journalistes, comédiens), désignés en règle générale par le terme de locuteurs-modèles
(cf. déjà le terme de Modellsprecher chez Ammon 1995, 79–82 ; cf. également Cox
1998 ; Reinke 2004 ; Pöll 2008 ; Bigot/Papen 2013 ; Hansen 2015 ; Pustka/Chalier/
Jansen 2017 ; Chalier 2018 ; Hansen, à paraître). Le Roy (1967) va tout d’abord
prendre en compte l’usage observable au théâtre et définir la Comédie-Française
comme modèle de référence, de manière similaire à la Deutsche Bühnenaussprache de Siebs (1898). Léon (1966 ; 1968), pour sa part, va définir les annonceurs
et intervieweurs de radio comme porteurs de ce qu’il nomme le français standard :
« Malgré [. . .] l’espèce de mythe d’un ‘parisien cultivé’, il existe une prononciation
‹ standard › dont le niveau moyen est grosso-modo représenté par les annonceurs
et les intervieweurs de la radio » (Léon 1968, 69). Comme des études sociolinguistiques plus récentes ont pu le montrer, cette prise en compte d’un modèle basé
sur l’usage de locuteurs des médias de masse est, au contraire des précédentes
propositions, étayée empiriquement, étant donné que les enquêtes quantitatives
de Cajolet-Laganière/Martel (1995, 13) et Bouchard/Maurais (2001, 112) ont, par
exemple, pu montrer que dans la conscience linguistique d’une majorité des locuteurs (en l’occurrence québécois), la norme semble effectivement être représentée
par ces locuteurs-modèles, qui ont une fonction de « représentants » de l’autorité normative. Il s’agit de surcroît d’un modèle courant dans les communautés
linguistiques d’autres langues de grande extension : une fonction similaire peut
en effet être attribuée aux modèles de la Tagesschau en Allemagne (cf. l’introduc-
58
2 État de l’art
tion du Deutsches Aussprachewörterbuch de Krech et al. 2009, 16), de la British
Broadcasting Corporation (BBC) en Angleterre (cf. Jones 2011, vi ; cf. également
Trudgill 1999 ; Ladefoged 2001) ou encore de l’accento RAI (Rai Radiotelevisione
Italiana) en Italie (cf. Sobrero 1988, 743).
2.2.1.4 Approche empirique et démocratique actuelle
Cette prise en compte de locuteurs-modèles comme modèles de prononciation va
d’ailleurs de pair avec un autre changement observable depuis une dizaine d’années. L’approche de la norme de prononciation montre en effet une évolution
très similaire au changement d’approche observé dans les études de sociolinguistique portant sur la norme (cf. chapitre 2.1.1.2) : la façon d’aborder et de définir la
norme de prononciation semble évoluer dans le sens d’une « démocratisation ».
On constate en effet une redéfinition de l’autorité sur laquelle repose la norme de
prononciation et des personnes décidant de cette autorité (cf. déjà Chalier 2018,
124–125). Alors que jusqu’ici, la norme de prononciation était considérée comme
provenant de l’usage linguistique des élites (dans le sens d’un groupe social dominant) et qu’elle reposait principalement sur les intuitions des linguistes (cf. Morin
2000, 92 ; cf. également Laks 2002), on observe actuellement une tendance plus
descriptive qui s’appuie sur des études perceptives et de corpus, comme celle de
Detey/Le Gac (2008). Cette dernière se compose en effet d’évaluations perceptives
de 75 stimuli (15 extraits de texte lus, 15 extraits de conversation, 45 mots isolés
produits par 5 locuteurs différents)20 destinées à établir leur proximité avec la prononciation « standard » du français21 sur une échelle allant de 1 à 6. Au total, 58
auditeurs/évaluateurs provenant de France septentrionale (28, dont 11 de Paris),
de Provence (8), d’une autre région de France méridionale (6) et d’autres régions
hors de France (16) ont évalué les stimuli. Ce type de travaux se base ainsi sur le
modèle « démocratique » et empirique d’une majorité des auditeurs/locuteurs par-
20 Soulignons que, de manière quelque peu problématique, deux des cinq locuteurs enregistrés
sont les auteurs de l’article eux-mêmes, l’un né à Paris et vivant depuis cinq ans en Normandie
lors de la parution de l’article, l’autre originaire du Sud de la France, ayant vécu à Paris et vivant
à l’époque depuis deux ans en Normandie.
21 Notons qu’en plus de la question portant sur le degré de proximité de la prononciation entendue par rapport à la prononciation « standard » du français (« Sur une échelle de 1 à 6, dans
quelle mesure la prononciation des phrases/mots qui suivent est-elle proche de la prononciation standard du français ? »), les auditeurs ont également dû répondre à un deuxième type de
question portant sur la différence perçue entre la prononciation entendue et leur propre prononciation (« Sur une échelle de 1 à 6, dans quelle mesure la prononciation des phrases/mots qui
suivent présente-t-elle une différence par rapport à votre propre prononciation ? ») (cf. Detey/Le
Gac 2008, 481).
2.2 Norme(s) de prononciation
59
ticipants, qui ont donc un rôle d’« électeurs » de l’autorité normative. Et c’est précisément dans le cadre de ces études qu’il a pu être montré que dans la conscience
linguistique de cette majorité de locuteurs, la norme semble être représentée par
des locuteurs-modèles, (cf. p. ex. Cajolet-Laganière/Martel 1995, 13 ; Bouchard/
Maurais 2001, 112). Ces réflexions sont résumées dans le tableau 3 (cf. déjà Chalier
2018, 126) :
Tableau 3 : Approche de la norme de prononciation en linguistique (cf. déjà
Chalier 2018, 126).
Modèle « élitiste »
(cf. Morin 2000 ; Laks 2002)
Modèle « démocratique »
(cf. Detey/Le Gac 2008)
Représentants de
l’autorité normative
Groupe social dominant
Locuteurs-modèles
Électeurs de
l’autorité normative
Linguistes et grammairiens
(cf. Martinet 21974, 29)
Majorité des locuteurs
Approche
Linguistique introspective
(intuitif)
Linguistique de corpus
Linguistique perceptive
(expérimental)
Notons finalement que, comme évoqué dans le modèle présenté au chapitre 2.1.1.3
(cf. figure 2), cette nouvelle approche ne prend plus seulement en compte les productions (comme c’était le cas du modèle « élitiste »), mais également les perceptions ainsi que les représentations et attitudes de locuteurs ordinaires, étant
donné qu’elle est basée sur divers types d’expériences de perception touchant
aux représentations (cf. p. ex. Krefeld/Pustka 2010, 12) et aux attitudes (cf. p. ex.
Lambert et al. 1960, 44–51). Nous avons donc affaire à une approche de la norme
de prononciation dans une perspective nouvelle ayant le potentiel de redéfinir
la norme (ou les normes) de prononciation du français sous un angle nouveau.
C’est précisément cette approche qui sera employée dans la partie empirique du
présent ouvrage (cf. chapitres 4, 5 et 6).
2.2.1.5 Normes de prononciation en périphérie
De manière similaire à l’élargissement du critère d’origine géographique préconisé
dans le modèle des « Parisiens d’adoption » (cf. 2.2.1.2), certaines régions francophones hors de France (principalement le Québec, la Belgique francophone et
la Suisse romande) vont au même moment également commencer à revendiquer
leur émancipation face au modèle parisien et la reconnaissance de normes de
prononciation propres à leurs régions (cf. Morin 2000, 9). Le présent ouvrage
n’étudiant que les périphéries québécoise et suisse romande, c’est uniquement
60
2 État de l’art
sur ces deux régions que porteront les sous-chapitres suivants (cf. 2.2.1.5.1 pour la
Suisse romande, cf. 2.2.1.5.2 pour le Québec).
2.2.1.5.1 Suisse romande
Comme le mentionne Pooley (2012, 120), au contraire du Québec (cf. 2.2.1.5.2), les
périphéries européennes, dont la Suisse romande, ne font pas appel dans leur
définition de la norme (de prononciation) au concept de « français international »
ou d’une norme commune à la communauté francophone mondiale. Cependant,
la norme ancrée dans la conscience linguistique des locuteurs suisses romands
est celle de la France et plusieurs études sociolinguistiques ont pu observer une
« subordination » (Prikhodkine 2011, 24) ou « sujétion » (Singy et al. 2004, 6,
92–93) linguistique des Suisses romands, qui imputent à la France un usage de la
langue plus proche de la norme ainsi qu’une « hégémonie de la norme française »
(Pooley 2012, 124). Cette « sujétion » va par ailleurs de pair avec le rapport ambivalent que présentent les Suisses romands envers leur propre prononciation, ce
rapport étant caractérisé par une valorisation et une dépréciation, phénomène
typique d’une situation d’insécurité linguistique (cf. Singy 1996, 75).
De manière générale, les discours épilinguistiques touchant à la norme et à
l’usage linguistique en Suisse romande semblent cependant moins présents et
moins négatifs qu’au Québec et qu’en Belgique, et les débats polarisés qu’on peut
trouver dans ces deux régions restent très rares en Suisse romande (cf. Pooley 2012,
125). Ainsi Thibault affirme-t-il que tout usage linguistique peut présenter une certaine légitimité aussi longtemps qu’il est employé dans une situation appropriée
(cf. Thibault 1998, 26). Il faut cependant souligner que ce type de légitimation est,
tout comme au Québec ou en Belgique, principalement pratiqué à l’intérieur de la
Suisse romande et qu’elle diminue fortement dans des situations de contact avec
des locuteurs d’autres communautés francophones (cf. Pooley 2012, 126).
Au contraire du Québec, qui a été l’objet de nombreuses études sur la norme
de prononciation, seuls deux travaux ont traité jusqu’ici explicitement de la
norme de prononciation dans le cas de la Suisse romande : une étude de Pooley
(2012) et une autre de Racine/Schwab/Detey (2013). La première reprend l’idée de
Métral (1977) en définissant cette norme de prononciation comme une « koinè »
se superposant aux variétés de cette région (cf. Pooley 2012, 125). Les variétés de
Suisse romande étant très hétérogènes, il n’existerait en effet pas de variété nationale utilisée dans tous les cantons et se différenciant en même temps des variétés
de français parlées dans les régions voisines. Au niveau géographique, Pooley
(2012) considère l’usage linguistique des locuteurs « habitant la plaine (bassin
lémanique) » comme la forme la plus typique de cette « koinè » servant de norme
de prononciation (cf. Pooley 2012, 125).
2.2 Norme(s) de prononciation
61
Au niveau social, il associe ce qu’il nomme la « variété légitime » à différents groupes de locuteurs : d’une part, dans son état de l’art, sur la base des
travaux d’Andreassen (2006, 116) et d’Armstrong/Pooley (2010, 241), il l’associe
de manière générale aux locuteurs « cultivés ». Il mentionne ainsi les instituteurs, exemple qu’il tire de l’étude de Métral (1977). D’autre part, dans son étude
empirique, il s’inspire des études similaires touchant à la norme de prononciation québécoise (cf. Gendron 1990 ; Cajolet-Laganière/Martel 1995 ; Cox 1998 ;
Martel 2001 ; Corbeil 2007) et se base sur le groupe spécifique des « présentateurs
et journalistes de [. . .] journaux télévisés » de la chaîne de télévision publique
Radio Télévision Suisse RTS (encore nommée Télévision Suisse Romande (TSR) au
moment de la publication de l’article en 2012 ; cf. Pooley 2012, 127), qu’il considère comme étant également détenteurs de cette norme de prononciation. Cette
définition des présentateurs et journalistes comme représentants de la norme
confirme en outre le critère géographique du bassin lémanique étant donné que,
selon Pooley (2012), « les émissions de TSR se concentrent sur Genève, ville à
caractère international et qui fait depuis plusieurs années partie d’une agglomération transfrontalière avec Annemasse » (Pooley 2012, 128–129).
Finalement, Pooley (2012, 128–130) fait deux observations fondamentales à
propos de cette norme des locuteurs-modèles. Premièrement, il n’observe qu’un
nombre très restreint de traits divergeant de la norme de prononciation de référence (cf. 2.3.1). Deuxièmement, la variation interne au groupe des présentateurs
et journalistes semble être principalement liée à deux facteurs sociodémographiques : l’âge et le sexe des locuteurs. De manière peu surprenante, les locuteurs
plus jeunes et les locutrices semblent présenter le moins de traits qui divergent
de la norme de prononciation de France, ce qui correspond au comportement
linguistique de ces deux groupes sociodémographiques attendu par Labov (1990,
210–215). L’effet est d’autant plus important que la catégorie des locuteurs masculins et plus âgés semble être particulièrement importante et influencer fortement les résultats dans le sens d’un plus grand conservatisme de traits suisses
romands. Ainsi, ces deux observations plaideraient, elles aussi, en faveur d’un
rapprochement de la norme de prononciation des présentateurs suisses romands
en direction de la norme de prononciation française et donc contre une hypothétique norme nationale suisse romande.
La deuxième étude portant explicitement sur la norme de prononciation
suisse romande est celle de Racine/Schwab/Detey (2013), présentée en détails
au chapitre 2.1.2.3.3. Contrairement à Pooley (2012), qui porte sur la production,
cette étude, de nature perceptive, visait à examiner la perception de deux variétés suisses (celles de Genève et de Neuchâtel) et d’une variété parisienne par des
auditeurs suisses de quatre cantons (Genève, Neuchâtel, Jura et Fribourg) et des
auditeurs parisiens. L’étude ne porte pas sur des locuteurs-modèles à proprement
62
2 État de l’art
parler (la phrase utilisée en tant que stimulus n’a pas été lue par des locuteursmodèles) et ne peut donc apporter d’informations supplémentaires quant au
facteur social de la norme de prononciation. En comparaison à l’étude de Pooley
(2012), elle livre cependant plus de détails sur le facteur géographique de la norme
de prononciation à l’intérieur de la Suisse romande et teste également deux différents types de normes : un « français reconnu internationalement comme standard »22 et un français standard de la vie quotidienne des informateurs.
Ainsi, au niveau géographique, la norme « internationale » de prononciation
semble être localisée par les Suisses romands à Paris et à Genève, exception faite
des locuteurs genevois, qui ne la localisent qu’à Paris. Par ailleurs, la distinction
faite entre les deux normes dans cette étude révèle, elle, que cette norme internationale se superpose à d’autres normes régionales : les auditeurs des deux régions
suisses romandes également représentées dans les stimuli (Genève et Neuchâtel) s’identifient en effet aux locuteurs de leur région respective et perçoivent
cette prononciation régionale comme leur standard quotidien (les Neuchâtelois s’identifiant cependant également aux Genevois et percevant également cet
accent comme proche de leur standard quotidien). Notons que pour la définition de normes régionales, les résultats des auditeurs des autres régions suisses
romandes (Jura et Fribourg) ne peuvent être interprétés que sous réserves, étant
donné que leur propre prononciation n’est pas représentée dans les stimuli.
Une comparaison de ces résultats aux types de normes définis au chapitre
2.1.2.4.2 fait ressortir un aspect qui n’est abordé qu’implicitement dans l’étude :
Racine/Schwab/Detey (2013) considèrent en effet à l’aide du modèle Centre/Périphérie de Reynaud (1981) que Genève représente avec Paris un centre pour la périphérie suisse (Neuchâtel, Fribourg, Jura), ce qu’ils lient à la situation particulière
de Genève, une ville-canton siège de nombreux médias, dont la chaîne Radio
Télévision Suisse (RTS), et partageant une grande partie de ses frontières avec la
France. Ils ne mentionnent cependant pas explicitement la dimension nationale de
la norme genevoise à côté des dimensions régionale et internationale, ce qui pourrait expliquer que dans leurs résultats, les prononciations genevoise (en tant que
potentielle norme nationale) et parisienne sont évaluées de la même manière par
les Neuchâtelois, les Fribourgeois et les Jurassiens. Cette hypothèse est d’autant
22 Notons cependant qu’ici aussi (cf. Racine/Schwab/Detey 2013), le terme de « français reconnu internationalement comme standard » (qui équivaut dans les faits au terme de « français
international ») n’est pas défini de façon précise. Cela pose un problème de nature aussi bien
théorique qu’empirique, étant donné que ce terme est probablement identifié par certains au
français de référence traditionnel et par d’autres à un « standard parisien », ces deux termes ne
pouvant cependant pas être mis sur un même pied d’égalité (cf. entre autres Pustka 2008).
2.2 Norme(s) de prononciation
63
plus probable que les Neuchâtelois et les Fribourgeois s’identifient tous – du moins
en partie – aux Genevois.
Les résultats de cette étude semblent donc confirmer pour le cas de la Suisse
romande qu’il existe probablement une hiérarchie normative similaire à celle qui a
été proposée dans le chapitre sur le pluricentrisme (cf. 2.1.2.4.2) : une norme de prononciation internationale parisienne semble se superposer à une norme nationale
suisse romande (représentée par la variété de français parlée à Genève) se superposant elle-même aux différentes normes régionales (qui correspondent plus ou
moins aux différents cantons de la Suisse romande). Ces résultats vont donc à l’encontre de ceux de Pooley (2012) et plaident en faveur du modèle pluricentrique et de
la compatibilité de ce modèle (représenté par les normes genevoise et parisienne)
avec le modèle pluriaréal (représenté par les différentes normes régionales).
Finalement, la comparaison des études de Pooley (2012) et de Racine/
Schwab/Detey (2013) fait donc ressortir, pour la Suisse romande, une certaine
ambiguïté par rapport à une potentielle norme de prononciation nationale. Mais
les questionnaires sur les représentations et attitudes par rapport à cette norme
ainsi que l’analyse des productions de locuteurs-modèles et les tests de perception pourront apporter certains éléments de réponse supplémentaires
2.2.1.5.2 Québec
Le chef de file des revendications de normes endogènes pour les périphéries est le
Québec. Comme mentionné au chapitre 2.1.2.3.4, c’est en effet au Québec qu’une
controverse autour du choix d’un standard (« parisien » ou québécois) a lieu aussi
bien parmi les linguistes que dans les médias publics depuis au moins un siècle
et demi et, de manière plus intensive, depuis le début de la Révolution tranquille
dans les années 1960 (cf. Laforest 1997 ; Ouellon 1998 ; Corbeil 2007 ; Bigot/Papen
2013). Cette controverse oppose, d’un côté, les partisans d’une codification de la
norme socialement valorisée du français québécois (cf. p. ex. Ostiguy/Tousignant
2008, 116–117 ; cf. également Pöll 2005 ; 2008) et, de l’autre, les opposants à cette
même codification, qui plaident en faveur de ce qu’ils nomment le « français
international ». Notons que ce dernier terme n’est jusqu’ici défini que de façon
imprécise et qu’il est dans la plupart des cas identifié à un « standard parisien »
(cf. Corbeil 2007, 306 ; Bigot/Papen 2013, 116–117). Un exemple révélateur de
l’ambiguïté du terme et de sa connotation « centraliste » pourra être trouvé chez
Maurais (2008, 40), qui utilise dans son questionnaire les termes « français international », « français standard » et « français de France », et parfois « français
d’Europe », de façon quasiment synonyme.
C’est ainsi qu’une évolution peut être observée dans les propositions de
modèles de prononciation faites entre 1960 et aujourd’hui. En effet, en 1965, l’Of-
64
2 État de l’art
fice de la langue française du Québec préconisait encore le modèle du « français
international » comme norme (de prononciation) et écrivait à ce propos que l’usage
devrait « [. . .] s’aligner sur le français international, tout en faisant place à l’expression des réalités spécifiquement nord-américaines » (OLF 1965, 6). Cette norme était
certes principalement dédiée au domaine de la morphosyntaxe, mais l’OLF écrivait
également à propos de la prononciation : « [Q]uant à la phonétique [. . .], la marge
de variation doit être minime et ne tenir compte que de très légères différences d’accent qui s’expliquent par des raisons d’ordre orthographique » (OLF 1965, 6). C’est
donc bien le modèle du « français international » que préconisait alors l’OLF.
Pourtant, comme mentionné au chapitre 2.2.1.3, selon différentes études
sociolinguistiques publiées dans les trente dernières années, un autre modèle
de prononciation semble dominer actuellement dans les représentations des
locuteurs (cf. Gendron 1990 ; Cajolet-Laganière/Martel 1995 ; Cox 1998 ; Martel
2001 ; Corbeil 2007) : il s’agit du modèle de prononciation des présentateurs des
journaux télévisés de Radio-Canada (ou locuteurs-modèles), qui semble être
reconnu, décrit et accepté par les locuteurs québécois et certaines institutions
québécoises. Un sondage sociolinguistique de Bouchard/Maurais (2001, 112) a pu
en effet montrer qu’une grande majorité des Québécois francophones (71%) attribuent à la prononciation de ces présentateurs de télévision un rôle de modèle linguistique à suivre, Maurais (2008) arrivant à une conclusion similaire, avec 54,7%
d’informateurs trouvant que la prononciation des enseignants devrait être celle
des « personnes qui lisent les nouvelles à Radio-Canada » (Maurais 2008, 55).
Cajolet-Laganière/Martel (1995, 13) notent par ailleurs que l’Association québécoise des professeurs de français (1977, 10–12) a, elle, reconnu le modèle de prononciation des présentateurs de Radio-Canada comme modèle officiel.
De manière similaire, Gendron (2014, 49–52) observe également une prise de
distance par rapport au « français international » dans la politique linguistique
de la chaîne de télévision francophone nationale Radio-Canada. Argumentant
sur la base d’un texte programmatique de Robert Dubuc (2001), qui était alors le
nouveau directeur des Services linguistiques de Radio-Canada, il affirme que si en
1970, la norme définie à Radio-Canada était clairement une norme française, entre
1975 et 1990, la chaîne a commencé à passer « à un modèle de langue et de prononciation plus naturel, [. . .] le modèle [touchant] tous les aspects de la langue,
y compris [. . .] la prononciation » (Gendron 2014, 53). Cette conclusion ne semble
cependant pas incontestable, étant donné le modèle de prononciation préconisé
par Robert Dubuc pour les présentateurs de Radio-Canada en 1990. Il écrit en
effet : « Sur le plan de la prononciation, nous tentons de respecter le modèle phonétique du français actuel, précisé notamment dans le Dictionnaire de la prononciation française dans sa norme actuelle de Léon Warnant » (Dubuc 1990, 145). Or,
comme le mentionnent Bigot/Papen (2013, 118), le dictionnaire de prononciation
2.3 Caractérisation phonético-phonologique des normes étudiées
65
de Warnant (41987 [1962]) évoqué ici par Dubuc (1990) est un ouvrage de référence
basé sur le modèle proposé par Fouché (21959), qui, lui-même, préconise la norme
du « français parisien ». Il semble ainsi difficile d’observer un réel changement du
modèle linguistique prescrit par Radio-Canada.
Un changement a cependant bien eu lieu : il ne s’agit pas d’un changement
de la politique linguistique de Radio-Canada (cf. Dubuc 1990), mais d’un changement de l’usage des présentateurs de la chaîne. En effet, Bigot/Papen (2013,
118) observent, principalement sur la base des études de Cox (1998) et Reinke
(2004), que l’usage linguistique réel de ces présentateurs se différencie considérablement de ce modèle prescrit par la Société Radio-Canada (SRC), les présentateurs ne respectant que partiellement les consignes officielles de la chaîne et
privilégiant toute une série de traits de prononciation québécois. Étant donné que,
malgré l’écart existant entre la norme prescrite à Radio-Canada et l’usage réel des
locuteurs-modèles, une majorité des Québécois privilégie la prononciation des
locuteurs-modèles de Radio-Canada comme modèle de prononciation, c’est sur la
base de cet usage linguistique que la norme de prononciation québécoise devrait
être définie. Reste à savoir quels traits de prononciation utilisés par ces locuteursmodèles sont valorisés par les locuteurs québécois et lesquels ne le sont pas.
Avant de présenter la méthode et les résultats de la présente étude qui fourniront certains éléments de réponse à cette question, il faudra encore définir
précisément les traits de prononciation qui pourraient appartenir aux normes de
prononciation suisse romande, québécoise et parisienne (cf. 2.3), des traits qui
seront ensuite testés aussi bien dans le cadre d’une analyse de la production de
locuteurs-modèles de chacune des régions que dans le cadre de tests de perception.
2.3 Caractérisation phonético-phonologique
des normes étudiées
Après avoir discuté en détails de la question de la norme ou des normes (cf. 2.1)
et plus particulièrement de la norme ou des normes de prononciation (cf. 2.2), il
faudra encore présenter les traits qui pourraient appartenir aux normes de prononciation de chacune des variétés étudiées. Pour ce faire, il conviendra tout
d’abord de définir les traits de prononciation de référence (cf. chapitre 2.2.1 pour
un aperçu du concept de français de référence), sur lesquels se basent les descriptions de chacune de ces normes (cf. 2.3.1). Par la suite, je présenterai les traits
de prononciation appartenant potentiellement aux normes parisienne (cf. 2.3.2),
suisse romande (cf. 2.3.3) et québécoise (cf. 2.3.4). Notons que le présent ouvrage
se focalisant sur les voyelles (cf. chapitres 3, 5 et 6), les consonnes et les traits
suprasegmentaux ne seront pas pris en compte dans les descriptions qui suivent.
66
2 État de l’art
2.3.1 Inventaire de référence
Comme mentionné au chapitre 2.2.1, la norme de prononciation choisie comme
référence dans le présent ouvrage est celle qui fait consensus dans la communauté des linguistes depuis les années 2000, à la suite des travaux non plus introspectifs, mais empiriques publiés à partir de la deuxième moitié du 20ème siècle
(cf. Detey/Lyche 2016, 24–25).23 Ces travaux portaient alors sur ce que les linguistes
de l’époque nommaient encore le « français standard » (dans les années 1960 ;
cf. p. ex. Léon 1966) et plus tard le « français standardisé » (dans les années 1980 ;
cf. p. ex. Carton et al. 1983). Ces termes ont finalement été remplacés par celui
de « français de référence » (cf. Morin 2000 ; Laks 2002), caractérisant mieux la
dimension fonctionnelle du système décrit (cf. Detey/Lyche 2016, 24–25). Ce français de référence doit ainsi permettre de définir de façon empirique, c’est-à-dire
sur la base de l’observation des usages et de leurs valeurs, une norme prescriptive
pour les manuels d’enseignements du FLE . Notons cependant que, malgré cette
définition empirique du français de référence, l’emploi de cette référence reste
restreint aux situations de communication les plus formelles, alors que dans des
situations moins formelles, elle ne sera généralement pas en usage. La caractérisation de cette référence comme étant artificielle (cf. 2.2.1) reste donc valable bien
qu’elle repose sur une base empirique de productions concrètes.
Selon Detey/Lyche (2016, 25), le modèle du français de référence n’exclut
par ailleurs pas l’existence de standards variés hors de France, mais définit simplement une référence commune à partir de laquelle ces différents standards
peuvent être décrits. Ainsi, le français de référence décrit dans les études les plus
récentes comprend l’inventaire vocalique suivant :
Tableau 4 : Inventaire vocalique du français de référence
(en référence à Detey/Lyche 2016 ; Lyche 2010).
Voyelle
antérieure
non arrondie
antérieure
arrondie
postérieure
fermée
i
y
u
mi-fermée
e
ø
o
mi-ouverte
ɛ ɛ̃
œ (œ̃)
ɔ ɔ̃
a
(ɑ) ɑ̃
ouverte
23 Un aperçu historique détaillé de l’évolution de la définition et des modèles de prononciation
se trouve au chapitre 1.2.1.
2.3 Caractérisation phonético-phonologique des normes étudiées
67
Notons que cet inventaire oppose le point de vue traditionnel conservant le
/ɑ/ postérieur et le /œ̃/ (cf. tableau 4 : phonèmes entre parenthèses) à un point
de vue plus moderne et proche de la réalité actuellement observable ne prenant
plus en compte ces deux phonèmes, tous deux en voie de disparition du système
global (cf. Lyche 2010, 148). Par ailleurs, il faut souligner que tous les phonèmes
ne sont pas présents dans toutes les positions. Mentionnons ici principalement
la loi de position – tendance à la distribution complémentaire des voyelles miouvertes /ɛ œ ɔ/, utilisées en syllabe fermée, et des voyelles mi-fermées /e ø o/,
utilisées en syllabe ouverte –, systématique en français méridional et jusqu’ici
très limitée en français de référence, mais actuellement en voie de renforcement
en français parisien (cf. 2.3.2). À Paris, le nombre de contrastes de type bosse
/bɔs/ ~ fosse /fos/ ou jeune /ʒœn/ ~ jeûne /ʒøn/, déjà peu nombreux, se réduit en
effet considérablement (cf. Lyche 2010, 148–149). Soulignons également que la
longueur n’est pas non plus présente dans l’inventaire, étant donné qu’elle « n’a
plus droit de cité dans les manuels récents [. . .], pas plus que dans certains dictionnaires de langue » (Lyche 2010, 150).
2.3.2 Traits de prononciation potentiels d’une norme parisienne
Avant d’aborder les traits de prononciation du « français parisien » dont traitera
le présent ouvrage, une clarification doit être faite par rapport à l’ambiguïté du
statut de Paris au niveau de la prononciation. Métropole européenne en forte
croissance depuis le 13ème siècle déjà, Paris a en effet une longue tradition d’immigration de locuteurs venant d’autres régions et d’autres pays (cf. Hansen 2017, 123)
et présente par conséquent un « véritable melting pot linguistique » (Lyche/
Østby 2009, 205 ; mise en italique dans l’original), comme le soulignaient déjà
Martinet/Walter (1973) : « C’est donc là que viennent se fondre et s’amalgamer
les prononciations de toutes les régions pour former une sorte de dénominateur
commun entre Paris et la province » (Martinet/Walter 1973, 17). Notons que Walter
(1988 ; 1998) nomme ce melting pot le Paris-creuset, formé par les « Parisiens
d’adoption », en opposition au Paris-terroir, formé pour sa part par les « Parisiens
de souche » (cf. Walter 1988, 170–171 ; Walter 1998, 363 ; cf. également 2.2.1.2).
La ville de Paris est donc caractérisée par une grande diversité ethnique, culturelle et sociale qui se reflète dans des usages linguistiques multiples (cf. Lyche/
Østby 2009, 205). Ainsi, selon Pustka (2008), les Parisiens plus âgés différencient
traditionnellement deux accents parisiens intra-muros dans leurs représentations
(cf. Pustka 2008, 219) : l’accent de la « classe supérieure » du 16ème arrondissement
et l’accent « parigot » des classes ouvrières des quartiers du Nord-Est, chacun
de ces accents étant associé à une série de traits de prononciation prototypiques
68
2 État de l’art
les différenciant considérablement l’un de l’autre (une description de ces traits
pourra être trouvée dans Pustka 2008, 219–236). Ces accents sont par ailleurs
associés parallèlement à des représentations géographique, sociale et situationnelle (cf. Pustka 2008, 244–245) : l’accent du 16ème arrondissement est associé au
Sud-Ouest de Paris et de ses environs (Neuilly, Auteuil, Passy) (facteur géographique), à la « classe supérieure » de la ville (facteur social) et à un « style snob »
(facteurs situationnel), l’accent parigot aux quartiers de Belleville et Ménilmontant (facteur géographique), à la « classe ouvrière » (facteur social) et au registre
« vulgaire » (facteur situationnel).
Depuis plusieurs décennies cependant, la ville de Paris intra-muros est sujette à
une large gentrification, c’est-à-dire à une expansion de la bourgeoisie (cf. Pinçon/
Pinçon-Charlot 2004, 55–57), de sorte que l’accent anciennement bourgeois devient
actuellement l’accent parisien par excellence (cf. Lenning 1978, 7 ; Pustka 2008, 220).
Or, c’est précisément cet accent parisien qui se trouve dans les hétéro-représentations
de locuteurs « provinciaux », qui l’associent à la capitale française (facteur géographique) et – de manière similaire aux auto-représentations des Parisiens – à la bourgeoisie (facteur social) et à un style « snob » (facteur situationnel) (cf. Pustka 2008,
244–245). Les accents de couches sociales défavorisées sont, pour leur part, de plus
en plus situés dans les banlieues parisiennes, comme le font remarquer Armstrong/
Jamin (2002) : « [. . .] the banlieue vernacular phonological system seems to have
absorbed features of titi parisien » (Armstrong/Jamin 2002, 131). Selon Pustka (2008,
244), cet « accent des banlieues » est particulièrement associé au département de
la Seine-Saint-Denis (93) (facteur géographique), aux jeunes issus de l’immigration
(facteur social) et au registre « racaille » (facteur situationnel).
Les représentations géographiques, sociales et situationnelles des différents
accents parisiens présentés ci-dessus sont résumées dans le tableau 5 aussi bien
dans la perspective externe des « provinciaux » (hétéro-représentations) que dans
la perspective interne des Parisiens (auto-représentations) :
Tableau 5 : Auto-représentations et hétéro-représentations de l’accent/des accents parisien(s)
(en référence à Pustka 2008, 244–245).
Auto-représentations
Hétéroreprésentations
Accent du 16ème
Accent parigot
Accent de banlieue
Facteur
géographique
Capitale
française
Sud-Ouest de
Paris
Belleville et
Ménilmontant
Seine-Saint-Denis (93)
Facteur
social
Bourgeoisie
Classe
« supérieure »
Classe
« ouvrière »
Enfants d’immigrés
Facteur
situationnel
Style « snob »
Style « snob »
Registre
« vulgaire »
Registre « racaille »
2.3 Caractérisation phonético-phonologique des normes étudiées
69
Parallèlement à ces différents accents parisiens et aux représentations qui
y sont associées, comme mentionné aux chapitres 2.2.1.1 et 2.2.1.2, la prononciation des « classes supérieures » parisiennes a joué un rôle prépondérant dans
la définition du bon usage qui est devenu la référence linguistique pour toute la
France et la francophonie, ces représentations de la norme en tant que français
parlé à Paris étant toujours d’actualité (cf. également Hansen 2017, 123). Ainsi
les locuteurs parisiens intra-muros revêtent-ils un double rôle au niveau linguistique : selon leur « degree of social accent » (Hansen 2017, 123), ils représentent,
d’une part, la norme du français et parlent, d’autre part, une variété parisienne
de français.
Dans le domaine de la production, ces précisions rendent impérative une distinction entre prononciation de référence et prononciation parisienne, plusieurs
traits parisiens n’appartenant pas à la prononciation décrite dans les dictionnaires de prononciation traditionnels (cf. Lyche 2010 ; Detey/Lyche 2016 ; Detey
et al. 2017) et pouvant être perçus – dans le sens d’une définition pluricentrique
de la norme (cf. 2.1.2.4) – à l’intérieur même de Paris comme plus « corrects » ou
plus « neutres ». C’est de cette prononciation parisienne qu’il s’agira ci-dessous.
Le tableau 6 présente donc les voyelles dont l’appartenance à une norme de prononciation parisienne devra être testée dans le présent ouvrage :
Tableau 6 : Traits de prononciation appartenant potentiellement à la norme de prononciation
parisienne (en référence à Martinet 1945 ; Peretz 1977 ; Mettas 1979 ; Lerond 1980 ; Hansen
1998 ; Walter 1998 ; Pustka 2008 ; Lyche/Østby 2009 ; Hansen/Juillard 2011 ; Hansen 2017).
Traits parisiens potentiellement standards
Exemples
1.
Maintien de l’opposition /a/ : /ɑ/
patte /pat/ ~ pâte /pɑt/
2.
– Maintien de l’opposition /e/ : /ɛ/
– Tendance croissante à la loi de position : [e] en syllabe
finale ouverte, [ɛ] en syllabe finale fermée
– épais /epɛ/ ~ épée /epe/
– faites [fɛt] ~ est [e]
3.
– Neutralisation de l’opposition /ø/ : /œ/
– Tendance croissante à la loi de position : [ø] en syllabe
finale ouverte, [œ] en syllabe finale fermée (mais [ø]
devant /z/ et /v/)
– jeune /ʒœn/ ~ jeûne
/ʒøn/
– aveux [avø] ~ peuple
[pœpl]
4.
– Maintien de l’opposition /o/ : /ɔ/
– Tendance croissante à la loi de position dans les cas
hors paires minimales : [o] en syllabe finale ouverte,
[ɔ] en syllabe finale fermée (mais [o] systématique
avec graphies <au> et <eau>)
– paume /pom/ ~ pomme
/pɔm/
– socialisme [sosjalism] ~
rhinocéros [ʁinoseʁɔs]
5.
Neutralisation de l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/
brun /bʁœ̃/ ~ brin /bʁɛ̃/
6.
Postériorisation en chaîne des voyelles nasales : /ɛ̃/
réalisé en [ɑ̃], /ɑ̃/ en [ɔ̃], /ɔ̃/ en [õ]
bien [bjɑ̃], blanc [blɔ̃], blond
[blõ]
70
2 État de l’art
Dans les dictionnaires de prononciation, l’opposition /a/ : /ɑ/ (p. ex. pâte
/pɑt/ ~ patte /pat/, cf. tableau 6) est considérée traditionnellement comme faisant
partie des parisianismes (cf. Pustka 2008, 239 ; cf. également Michaelis/Passy
1914 ; Lerond 1980). Peretz (1977) et Mettas (1979) donnent des précisions supplémentaires sur la valeur sociale de l’opposition. Ils notent en effet une importante variation dans la distribution et la forme phonétique de ces deux voyelles
à travers les couches sociales parisiennes : alors que l’opposition serait neutralisée chez tous les locuteurs des classes « moyennes » et « populaires » (à l’exception
de certains locuteurs âgés), elle serait conservée par les locuteurs des classes
« supérieures ». Depuis Martinet (1945) cependant, une série d’études mentionnent la disparition graduelle de cette opposition (cf. Walter 1998 ; Pustka
2008 ; Lyche/Østby 2009 ; Hansen/Juillard 2011 ; Hansen 2017). Soulignons ici
en particulier les résultats de Lyche/Østby (2009, 214), qui ne notent, sur leurs 12
locuteurs provenant de la haute bourgeoisie parisienne, que 3 locuteurs font
l’opposition, ces locuteurs étant les plus âgés du corpus et l’opposition n’étant
faite qu’en lecture (liste de mots et texte) (cf. également Østby 2016). Notons que
cette dernière constatation pourrait être due à l’audio-monitoring labovien (cf.
Labov 1972, 208), c’est-à-dire à la plus grande auto-surveillance présentée par
ces locuteurs dans les situations plus formelles comme la lecture de mots ou
d’un texte. Martinet (21974, 207), Walter (1998, 17) et Pustka (2008, 240) émettent
l’hypothèse que la disparition graduelle de l’opposition pourrait être due à des
effets de la migration, étant donné que les « Parisiens de province » réagiraient
négativement à l’utilisation que feraient les Parisiens des /ɑ/ postérieurs et associeraient ce trait au registre « vulgaire ». Ainsi, même si l’on peut observer une
forte tendance à considérer l’opposition comme étant en voie de neutralisation,
son statut reste à clarifier (cf. 5.1.1.1, 6.1.1), étant données les différentes études
considérant le maintien de cette opposition comme un parisianisme.
Une tendance à la réduction phonémique peut également être observée dans
le domaine des voyelles moyennes, c’est-à-dire dans les oppositions /e/ : /ɛ/ (p. ex.
parlé ~ parlait), /ø/ : /œ/ (p. ex. jeûne ~ jeune) et /o/ : /ɔ/ (p. ex. saute ~ sotte) (cf.
Hansen 2017, 128 ; cf. également Hansen/Juillard 2011). Selon Lyche/Østby (2009,
211–212) et Hansen (2017, 128–129), l’opposition /e/ : /ɛ/ (cf. tableau 6) est neutralisée quasiment systématiquement en syllabe fermée, dans laquelle la voyelle se
prononce [ɛ], même si le timbre de cette voyelle peut être variable chez certains
locuteurs et se rapprocher considérablement du champ phonétique de [e]. L’opposition en syllabe ouverte, quant à elle, semble actuellement être une zone grise :
les deux variantes et certaines paires minimales sont, certes, encore attestées par
Lyche/Østby (2009, 212) et Hansen (2017, 128–129), comme, par exemple, dans été
/ete/ ~ était /etɛ/ ou épée /epe/ ~ épais /epɛ/. La prononciation de la voyelle varie
cependant fortement d’un locuteur à l’autre (surtout dans les lexèmes comme
2.3 Caractérisation phonético-phonologique des normes étudiées
71
piquet, aspect, cabinet), même si quelques tendances systématiques sont relevées
par Lyche/Østby (2009, 212) :
– Les articles définis (p. ex. les, des, ces, mes) sont réalisés en [e].
– Les terminaisons de l’infinitif (p. ex. piquer) et du participe passé (p. ex.
piqué) sont réalisées en [e].
– Les terminaisons de l’imparfait (p. ex. piquait) et du conditionnel (p. ex.
piquerait) sont réalisées en [ɛ], bien que cette prononciation perde actuellement fortement de sa systématicité depuis plusieurs décennies déjà (cf.
Hansen/Juillard 2011, 327).
– La terminaison du futur est réalisée avec la voyelle [ɛ] (p. ex. piquerai)
(contrairement au cas des locuteurs de Suisse romande, qui maintiennent la
distinction entre le conditionnel /ɛ/ et le futur /e/, cf. 1.3.3).
– La graphie semble présenter une forte influence sur la prononciation de ces
voyelles : les graphies -é, -er, -ez correspondent généralement à un [e], les graphies -è, -ê et -et, -ais/-ait à un [ɛ] (exception faite de la conjonction et, qui se
prononce [e]).
S’ajoute à cela un changement en cours observable dans la distribution contextuelle de l’opposition : dans les mots présentant une prononciation très variable
de la voyelle, Lyche/Østby (2009, 212) constatent « une préférence pour les réalisations mi-fermées chez les jeunes et plus particulièrement chez les sujets féminins ». Ainsi, il semble que ces locuteurs suivent de plus en plus la loi de position,
la voyelle [ɛ] étant quasiment systématique dans les syllabes fermées (p. ex. infect,
fête, liège, lierre, miette, muette, faites, bêtement) (cf. Hansen 2017, 129) et la voyelle
[e] de plus en plus courante également dans de nombreuses syllabes ouvertes dans
lesquelles la norme morphologique et graphique (cf. supra) exigeait traditionnellement le [ɛ] (p. ex. piquet, filet, il sait, je connais) (cf. Peretz 1977, 68). La tendance
à la fermeture en [e] touche également la forme est du verbe être (cf. Hansen 2011,
315). Par ailleurs, plusieurs études évoquent également l’existence de timbres
intermédiaires variables du /ɛ/ en syllabe inaccentuée fermée (p. ex. question) et
ouverte (p. ex. il est là) (cf. Léon 1973, 63) ainsi qu’en syllabe finale ouverte (p. ex.
piquet) (cf. Lefebvre (1988, 79). Ainsi, alors que la neutralisation de l’opposition
/e/ : /ɛ/ en syllabe fermée semble systématique, le statut de l’opposition en syllabe
ouverte – particulièrement en syllabe finale ouverte – doit encore être clarifié
(cf. 5.1.1.2, 6.1.2), bien que la plupart des études montrent une évolution vers l’utilisation de plus en plus fréquente du [e] fermé dans cette position.
En ce qui concerne l’opposition /ø/ : /œ/ (cf. tableau 6), selon Hansen (2017, 129),
la loi de position semble se renforcer en particulier chez les jeunes locuteurs, la voyelle
[ø] se retrouvant souvent en syllabe ouverte (p. ex. creux) et la voyelle [œ] en syllabe
fermée (p. ex. meurtre, peuple). Cette tendance avait déjà été observée par Peretz
72
2 État de l’art
(1977), qui faisait part d’une tendance à la neutralisation des paires jeune ~ jeûne
et veulent ~ veule plus forte dans les classes moyennes que dans les classes supérieures de Paris. Lyche/Østby (2009, 212–213) confirment, certes, que seul le [ø] est
observable en syllabe ouverte et qu’en syllabe fermée, le [œ] est plus courant. Elles
attestent cependant également des voyelles [ø] dans certains contextes en syllabe
fermée (devant /z/, p. ex. coiffeuse, nombreuse, rigoureuse, creuse, et devant /v/, p. ex.
épreuve) ainsi que la paire minimale jeune ~ jeûne réalisée chez 11 de leurs 12 locuteurs dans la lecture de la liste de mots du programme de recherche Phonologie du
français contemporain (cf. Durand et al. 2002 ; 2009 ; Detey et al. 2016 ; 2017). Notons
qu’ici aussi, cette constatation pourrait être attribuée à l’audio-monitoring (cf. Labov
1972, 208), avec plus d’auto-surveillance des informateurs dans une situation plus
formelle de lecture. Finalement, au vu de ces résultats divergeant considérablement
les uns des autres, la tendance au renforcement de la loi de position dans le cas de /ø/ :
/œ/ et la neutralisation de cette opposition doivent encore être testés (cf. 5.1.1.3, 6.1.3).
La dernière opposition de voyelles moyennes est celle des voyelles postérieures
/o/ : /ɔ/ (cf. tableau 6). Comme en français de référence, l’opposition est neutralisée
systématiquement en [o] en syllabe ouverte (cf. Lyche/Østby 2009, 213). En syllabe
fermée, la variante mi-ouverte [ɔ] est de loin la plus fréquente, mais le [o] est cependant systématique devant /z/ (p. ex. chose, cause) et avec les graphies <ô> (p. ex.
côte, drôle) et <au> (p. ex. gauche, pauvre), ce qui correspond également à la prononciation de référence (cf. Lyche/Østby 2009, 213). Par ailleurs, les principales paires
minimales (p. ex. pomme ~ paume, roc ~ rauque) se maintiennent (cf. Hansen 2017,
129). Hansen (2017, 129) observe cependant que le locuteur parisien qu’elle analyse
dans son article tend, non plus seulement en syllabe accentuée mais également en
syllabe inaccentuée, à respecter la loi de position dans tous les cas dans lesquels le
/O/ utilisé correspond également à un <o> graphique (jaune, avec graphie <au> sera
prononcé systématiquement [ʒon] et non [ʒɔn], cf. supra) et ne se trouve pas dans la
syllabe finale d’un mot appartenant à une paire minimale (p. ex. [o] dans socialisme
et explosion, [ɔ] dans rhinocéros, mais maintien de paume [pom] ~ pomme [pɔm]).
Ceci confirme une étude longitudinale de plus grande envergure de Hansen/Juillard, dans laquelle ces dernières ont pu montrer qu’aujourd’hui, en français parisien, le « /O/ se réalise beaucoup plus souvent de façon fermée ou intermédiaire
[. . .], soit dans 97,8% des cas au total » (2011, 328), y compris en syllabe ouverte
inaccentuée. Ces observations vont donc également en direction de la réduction
phonémique observée dans le cas des autres voyelles moyennes, mais cette réduction resterait tout de même, ici aussi, à clarifier.
Quant à l’opposition des voyelles nasales /ɛ̃/ : /œ̃/ (p. ex. brin /ɛ̃/ ~ brun /œ̃/,
cf. tableau 6), Hansen (1998) notait encore une distinction de timbre des deux
voyelles, même si elle observait déjà une tendance à l’antériorisation du timbre
du phonème /œ̃/ s’approchant graduellement de /ɛ̃/. Une étude plus récente de
2.3 Caractérisation phonético-phonologique des normes étudiées
73
Lyche/Østby (2009, 214–215) actualise en partie ces observations, les locuteurs de
la haute bourgeoisie parisienne tendant à fusionner le contraste en faveur du /ɛ̃/,
même si les auteures mentionnent quelques rares exemples de réalisations [œ̃] dans
un, brun et commun. Pustka (2008, 240) confirme la disparition de l’opposition et
explique que le cas de /ɛ̃/ : /œ̃/ présente une expansion contraire à celui de /a/ : /ɑ/
(dans lequel la prononciation du Paris-creuset a supplanté celle du Paris-terroir),
la prononciation parisienne fusionnant l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/ en faveur de /ɛ̃/ semblant se répandre dans l’ensemble de la France septentrionale à partir de Paris
(cf. également Lerond 1980 ; Walter 1998). Hansen (2017, 127), dans une étude plus
récente que celle présentée plus haut (cf. Hansen 1998), observe également que
/ɛ̃/ et /œ̃/ ne sont plus distingués au niveau du timbre, certains /œ̃/ étant écartés
([ɛ̃]), d’autres présentant un timbre se situant entre le [ɛ̃] et le [œ̃], et ce, aussi bien en
conversation qu’en lecture (texte et liste de mots) (cf. également Hansen 2001 ; 2012).
Mentionnons ce faisant une autre évolution actuelle des voyelles nasales du
français parisien observée par Hansen (2017, 127) : les voyelles nasales auraient
actuellement tendance à la postériorisation dans le cadre d’un changement en
chaîne (cf. tableau 6) : les /ɛ̃/ tendraient à être prononcés en [ɑ̃], les /ɑ̃/ en [ɔ̃] et
les /ɔ̃/ en [õ] (cf. également Hansen 1998 ; Delvaux 2003). Pustka (2008, 240) mentionne par ailleurs qu’au niveau des représentations, les prononciations comme
[bjɑ̃] pour bien seraient perçues à Paris même comme provenant du 16ème arrondissement, alors qu’en province, elles seraient perçues comme étant parisiennes
et dans les départements d’outre-mer comme étant simplement hexagonales.
2.3.3 Traits de prononciation potentiels d’une norme suisse romande
Pour ce qui est de la Suisse romande, pour laquelle l’on note de manière générale une forte convergence avec le français de référence (cf. Pöll 2017, 74), la seule
étude mentionnant explicitement les principaux traits appartenant à la norme
de prononciation est celle de Pooley (2012), dans laquelle quatre traits communs
à l’ensemble de la Suisse romande sont analysés dans l’usage de présentateurs
des journaux télévisés de la Radio Télévision Suisse (RTS) :24 l’opposition /a/ :
/ɑ/, les oppositions quantitatives (p. ex. /ɛ/ : /ɛː/) et la diphtongaison apparaissant à la suite d’un allongement vocalique en syllabe finale ouverte (p. ex. amie
[amiːj]) ainsi que l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/. Cette étude doit cependant être com-
24 Notons que Pooley (2012, 128) a analysé l’usage de trois présentateurs (Michel Cerutti, Darius
Rochebin et Agnès Wuthrich) ainsi que de plusieurs journalistes, dont il ne mentionne cependant ni le nombre ni les noms.
74
2 État de l’art
plétée par les travaux de Métral (1977), Andreassen/Lyche (2009), Andreassen/
Maître/Racine (2010) et Racine (2016), qui traitent certes de la variation en
Suisse sans se concentrer sur une potentielle norme de prononciation, mais
dont les données sont plus complètes. Le tableau 7 présente ainsi les voyelles
qui pourraient faire partie d’une norme de prononciation suisse romande.
Notons qu’étant donnée la grande hétérogénéité des variétés de Suisse romande
(cf. Andreassen/Maître/Racine 2010, 227), ce tableau ne rend pas compte de la
totalité des traits de prononciation caractérisant ces variétés, mais présente la
majorité des traits les plus répandus et communs à un grand nombre d’entre
elles, les seuls à pouvoir être acceptés à large échelle dans une norme suisse
romande (cf. Pooley 2012, 125) :
Tableau 7 : Traits de prononciation appartenant potentiellement à la norme de prononciation
suisse romande (en référence à Métral 1977 ; Andreassen/Lyche 2009 ; Andreassen/Maître/
Racine 2010 ; Pooley 2012).
Traits suisses romands potentiellement standards
Exemples
1.
en syllabe finale fermée
fête /fɛːt/ ~ faites /fɛt/
2.
en syllabe finale fermée +
différence de timbre (voyelles
de grande aperture)
patte /pat/ ~ pâte /pɑːt/
en syllabe finale ouverte
ami /ami/ ~ amie /amiː/
en syllabe finale ouverte +
diphtongaison
ami /ami/ ~ amie /amiːj/
3.
4.
Opposition
quantitative
5.
Opposition /e/ : /ɛ/ en syllabe finale ouverte
(distinction de certains temps et modes)
je pourrai /e/ ~ je pourrais /ɛ/
6.
Opposition /ɛ̃/ : /œ̃/
brun /bʁœ̃/ ~ brin /bʁɛ̃/
7.
Préférence de la diérèse à la synérèse
tuer [tye] ~ [tɥe]
Selon Pooley (2012, 128), les oppositions quantitatives représentent le seul trait
utilisé par tous les présentateurs de télévision et journalistes qu’il a analysés,
ce trait étant cependant variable chez tous ses locuteurs. Racine (2016, 44–45),
Andreassen/Maître/Racine (2010, 222), Andreassen/Lyche (2009, 68–69) et Métral
(1977, 167) mentionnent également la pertinence de la durée comme étant un trait
caractéristique du français parlé en Suisse romande, mais ajoutent plusieurs
nuances fondamentales dont Pooley (2012, 126) ne tient pas compte : chez certains locuteurs, en particulier dans le canton de Vaud, l’opposition de voyelles de
grande aperture ne se fonde pas seulement sur la longueur (cf. tableau 7), mais
également sur le timbre (p. ex. patte [pat] ~ pâte [pɑːt]) (cf. tableau 7). Cette opposition de timbre est également mentionnée par Pooley (2012, 128), sans pourtant
2.3 Caractérisation phonético-phonologique des normes étudiées
75
qu’il ne combine la qualité (le timbre) et la quantité vocaliques : il en observe
une utilisation « marginale » chez trois présentateurs et journalistes, les autres
ne l’utilisant pas. Andreassen/Maître/Racine (2010, 22) ajoutent, par ailleurs,
qu’en syllabe finale ouverte (p. ex. fit [fi] ~ fie [fiː]), l’opposition de durée seule
n’est utilisée que par une partie des locuteurs romands (cf. tableau 7), une autre
partie réalisant l’opposition en combinant l’allongement à une diphtongaison
(p. ex. fie [fiːj], chantée [ʃɑ̃teːj], bue [byːə] ; cf. tableau 7) (cf. Andreassen/Maître/
Racine 2010, 222–223). Cette diphtongaison n’est cependant observable que dans
les cantons de Genève, de Vaud et du Valais (cf. Racine 2016, 47) et, selon Pooley
(2012, 128), elle n’est utilisée par aucun des présentateurs. Il est donc probable
qu’il s’agisse d’un trait aussi bien géographiquement marqué que socialement
stigmatisé ne pouvant appartenir à une norme de prononciation suisse romande.
Finalement, l’étude de Pooley (2012) semble suggérer que l’allongement vocalique peut être pris en compte dans la définition de la norme de prononciation
suisse romande. Mais étant données les précisions apportées par Racine (2016),
Andreassen/Maître/Racine (2010), Andreassen/Lyche (2003) et Métral (1977), son
statut ainsi que le statut de sa combinaison avec des différences de timbre ne sont
pas encore clarifiés. Les analyses des productions (cf. 5.2.1.1–5.2.1.2) et les expériences de perception testant cette hypothèse (cf. 6.2.1–6.2.2) ne devraient donc
pas se restreindre à un seul contexte, mais prendre en compte aussi bien les syllabes finales fermées – avec voyelles de grande aperture ou non – que les syllabes
finales ouvertes – avec allongement ou avec allongement et légère diphtongaison.
L’opposition /e/ : /ɛ/ en syllabe finale ouverte (cf. tableau 7) est un trait ayant
entre autres la fonction grammaticale de permettre la distinction entre, d’une
part, la 1ère personne singulier du futur et du conditionnel présent et, d’autre
part, l’imparfait et l’infinitif ou le participe passé (cf. Andreassen/Maître/Racine
2010, 223). Ce trait est répandu dans toute la Suisse romande (mais pas uniquement) (cf. Métral 1977, 167 ; Andreassen/Lyche 2003, 64) et fait donc partie de ce
que Pooley (2012, 126) nomme la « koinè » suisse romande. Ce dernier mentionne
cependant au même endroit que la neutralisation de cette opposition semble
actuellement gagner du terrain, ce qui se confirme dans ses données, étant donné
qu’il n’en trouve aucune dans son analyse de l’usage de présentateurs et journalistes (cf. Pooley 2012, 127–128). Les résultats étant jusqu’ici ambigus, l’appartenance de ce trait à une norme de prononciation suisse romande demande donc à
être testée (cf. 5.2.1.3, 6.2.3).
L’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/ (cf. tableau 7) est également fortement variable dans
le corpus de Pooley (2012, 128) : un seul présentateur (Michel Cerruti : locuteur
masculin et relativement âgé lors des enregistrements) l’utilise de façon systématique, les autres l’utilisant de façon variable ou pas du tout. L’auteur relève
par ailleurs une tendance des locuteurs masculins et âgés à la conservation de
76
2 État de l’art
ce trait, au contraire des locuteurs plus jeunes et des locutrices. Ceci confirme le
recul de ce trait déjà observé par Schoch (1980) pour Genève et sa neutralisation
signalée par Andreassen/Maître/Racine (2010, 223–224) chez les jeunes Genevois
(neutralisation définitive) et les jeunes Neuchâtelois (neutralisation en cours),
alors qu’il y a une quarantaine d’années, Métral (1977) constatait encore un maintien de cette opposition. Andreassen/Maître/Racine (2010, 224) observent par ailleurs un chevauchement acoustique dans les occurrences des deux voyelles, ce
qui plaide en faveur d’un processus de fusion. Ils mentionnent cependant également que l’article indéfini un pourrait être plus résistant au processus de neutralisation, certains locuteurs neutralisant l’opposition dans la paire minimale
brin ~ brun, mais la réalisant dans l’article indéfini (cf. Andreassen/Maître/Racine
2010, 224). Ainsi, ici aussi, cette neutralisation en cours se trouvant actuellement
à différents stades selon l’âge et l’origine des locuteurs, l’appartenance du trait à
une norme suisse romande devra encore être testée (cf. 5.2.2, 6.2.3).
Un dernier trait, qui n’est cependant pas mentionné par Pooley (2012),
devrait également faire l’objet des analyses de production et des tests de perception étant donnée sa large diffusion dans toute la Suisse romande : la préférence de la diérèse à la synérèse dans les contextes dans lesquels le français
de référence connaît uniquement la synérèse (cf. tableau 7), c’est-à-dire ailleurs
qu’après un groupe constitué d’une consonne suivie d’une liquide (p. ex. tuer
[tye] ~ [tɥe], mais pas prier [pʁije] ou flouer [flue]). Ces deux derniers exemples
sont en effet réalisés avec des diérèses aussi bien en français de référence que
dans les variétés du français parlé en Suisse (cf. Andreassen/Maître/Racine 2010,
224). Soulignons que ce trait se retrouve également dans plusieurs autres régions
francophones, dont la Belgique (cf. p. ex. Hambye/Francard/Simon 2003, 59) et
certaines régions françaises (cf. p. ex. Carton 2007, 372).
Notons finalement qu’étant donné que l’opposition /ɔ/ : /o/ en syllabe finale
ouverte (p. ex. pot /pɔ/ ~ peau /po/), neutralisée en français de référence, n’est
pas maintenue dans deux cantons (Genève et le Valais ; cf. Racine 2016, 45 ;
Racine/Andreassen/Benetti 2017, 227), elle ne peut être considérée dans la définition d’une « koinè » suisse romande (cf. Pooley 2012, 125) et donc d’une norme de
prononciation commune à cette région. Par conséquent, ce trait n’a pas été pris
en compte dans les analyses de production et les tests de perception présentés
ci-dessous (cf. 5.2, 6.2).
2.3.4 Traits de prononciation potentiels d’une norme québécoise
Étant données les revendications de codification d’une norme endogène exprimées au Québec depuis les années 1960 (cf. 2.2.1.5.2), il n’est guère surprenant
2.3 Caractérisation phonético-phonologique des normes étudiées
77
que cette région ait déjà fait l’objet de nombreuses études tentant de définir les
traits de prononciation appartenant à ce standard québécois. En général, ces
études classifient une série de traits de prononciation comme (1) appartenant à
cette norme, (2) y appartenant potentiellement ou (3) n’y appartenant pas (en
raison d’une stigmatisation sociale dans les attitudes des locuteurs) (cf. Cox
1998 ; Reinke 2004 ; Reinke 2005 ; Pöll 2005 ; Ostiguy/Tousignant 2008 ; Bigot/
Papen 2013). Le présent ouvrage portera uniquement sur les traits relevés dans
ces études, même si, comme dans le cas de la Suisse romande (cf. 2.3.3), elles ne
rendent pas compte de la totalité des traits de prononciation caractérisant le français québécois. Une telle restriction présente cependant l’avantage de pouvoir
comparer mes résultats avec ceux des études précédentes (cf. Reinke 2005, 20).
Le tableau 8 présente donc le consensus général par rapport à ces traits de prononciation selon les trois catégories présentées plus haut ainsi que des exemples
les illustrant :
Tableau 8 : Traits de prononciation appartenant potentiellement à la norme de prononciation
québécoise (en référence à Cox 1998 ; Reinke 2004 ; Reinke 2005 ; Pöll 2005 ; Ostiguy/
Tousignant 2008 ; Bigot/Papen 2013).
Traits de prononciation québécois
Exemples
Traits standards
1.
Opposition /a/ : /ɑ/
patte /pat/ ~ pâte /pɑt/
2.1
/a/ final : [a] ou [ɑ] (variation selon le mot)
rat [ʁa] ~ [ʁɑ]
2.2
/a/ final dans <-oi> : [wa] ou [wɑ]
(variation selon le mot et le type de syllabe)
boit /bwa/ ~ bois /bwɑ/ ; moi /mwa/ ~
mois /mwɑ/
3.
Opposition quantitative /ɛ/ vs. /ɛː/
faites /ɛ/ ~ fête /ɛː/
4.
Quatre voyelles nasales
lin /lɛ̃/ ~ lent /lɑ̃/ ~ long /lɔ̃/ ~ l’un /lœ̃/
Traits potentiellement standards
5.
Réalisation de /ɛ̃/ comme [ẽ]
vin [vẽ] (~ [vɛ̃])
6.
Réalisation de /ɑ̃/ comme [ã] (antérieur) ou
[ɐ̃] (central)
temps [tɐ̃] ~ [tã] (~ [tɑ̃])
7.
Ouverture et relâchement des voyelles /i, y,
u/ en finale de mot se terminant par une ou
plusieurs consonne(s) non allongeante(s)
vite [vɪt], rude [ʁʏd], boule [bʊl]
8.
Dévoisement (ou effacement) des voyelles
/i, y, u/ entre consonnes sourdes
université [ynivɛʁsːte] ~ [ynivɛʁsite]
9.
Diphtongaisons des voyelles allongées
(à l’exception des diphtongaisons de /øː/
et /oː/, mieux acceptées)
Traits non standards
nei ge [naɛʒ] ~ [naeʒ] ~ [naiʒ]
soir [swaɔʁ] ~ [swaɛʁ]
78
2 État de l’art
En ce qui concerne l’opposition /a/ : /ɑ/ (cf. tableau 8), les principales études
convergent en affirmant que l’opposition est bien maintenue (cf. Cox 1998 ; Reinke
2004 ; Reinke 2005 ; Bigot/Papen 2013 ; Côté 2016). Notons cependant que cette
opposition n’est pas spécifique au Québec, et se retrouve dans de nombreuses
autres régions francophones, comme par exemple en Suisse romande (cf. 2.3.3) ou
encore dans certains accents parisiens (cf. 2.3.2).
Les résultats divergent cependant passablement quant au timbre de ces
deux voyelles selon leur position dans le mot (cf. tableau 8). Selon Cox (1998),
le [ɑ] postérieur ne serait utilisé, tous contextes inclus, que dans 27,0% des cas.
Par ailleurs, les présentateurs qu’il a analysés auraient tendance à l’éviter particulièrement en finale absolue (p. ex. Canada, syndicat, pas) et ne le réaliseraient jamais en [ɔ]. Dans les autres contextes, la réalisation semble fortement
varier selon le mot utilisé (cf. Bigot/Papen 2013, 123). Reinke (2005, 31) obtient,
elle, des résultats contredisant Cox (1998) : alors que la majorité des locuteurs
qu’elle analyse (78,5%) présentent un [ɑ] postérieur en finale absolue (p. ex.
Canada, chat, rat), 16,0% d’entre eux le prononcent en [ɔ] et seuls 5,5% en [a]
antérieur. Dumas (1986) et Ostiguy/Tousignant (2008) semblent confirmer les
résultats de Reinke (2005) et considérer le [ɑ] postérieur comme variante plus
« convenable » à une norme de prononciation en finale absolue que le [ɔ], trop
familier, et le [a], considéré, selon Dumas (1986), comme « snob » ou « prétentieux ». Notons par ailleurs que Côté (2016, 50), qui affirme certes décrire le
« français laurentien ‹ standard › » mais ne se base cependant pas, au contraire
des autres auteurs, sur des locuteurs-modèles, n’oppose pas le /a/ à un /ɑ/
écarté, mais à un /ɒ/ arrondi.
Quant aux variantes de ce deuxième trait dans les graphies <-oi> et <-oî> (cf.
tableau 8), qui peuvent présenter différentes prononciations en fonction de la
position qu’elles occupent dans le mot (cf. Reinke 2005, 52), Cox (1998) observe
une grande variation entre le [a] antérieur et le [ɑ] postérieur : alors que dans des
mots comme moi, toi, toit, loi, <-oi> serait prononcé majoritairement [wa], <-ois>,
dans un mot comme trois, serait tout de même prononcé [wɑ] dans 45% des cas,
contre 17% pour cette même prononciation dans le mot mois. Il n’observe par ailleurs aucune réalisation en [wɔ] ou [we].25 Reinke (2005, 52), pour sa part, systématise cette variation selon la position du <-oi>/<-oî> dans la syllabe et selon les
lexèmes dans lesquels ces graphies apparaissent :
25 Pour ce qui est du degré d’extension des variantes [wa] et [wɛ]/[we] et des hypothèses pouvant expliquer cette variation non pas dans la norme de prononciation, mais dans le registre
« populaire » du français québécois, cf. Reutner (2013).
2.3 Caractérisation phonético-phonologique des normes étudiées
79
Tableau 9 : Variation de la prononciation de <-oi>/<-oî> selon la syllabe et le
lexème dans lesquels il apparaît (cf. Reinke 2005, 52).
Position
Syllabe finale ouverte
Syllabe finale fermée
Syllabe intérieure ouverte
Variante
Lexèmes (sélection)
[wa]
boit, moi, noient, reçoit, droit
[wɑ]
bois, mois, noix, pois, poids, trois
[wa]
soif, poil, avoine, droite
[wɑː]
noir, framboise, soir, boîte
[wa]
poilu, voisin, boiteux, oiseaux
[wɑː]
framboisier, soirée, déboîter
La variation considérable observée entre les prononciations [wɑ], [wɑː] et
[wa] dépend donc des mots et du type de syllabe dans lequel se trouvent les graphies <oi> et <oî>. Reinke (2005, 52–53) affirme par ailleurs que les variantes [we]
et [wɛ] sont fortement stigmatisées au niveau social et que la variante [wɔ] est une
variante familière n’appartenant pas à la norme de prononciation. Elle rejoint en
ce sens les propos de Cox (1998).
L’opposition /ɛ/ : /ɛː/ (cf. Tableau 8) semble, pour sa part, être unanimement
considérée comme appartenant à la norme de prononciation québécoise (cf. Bigot/
Papen 2013, 120). En effet, les présentateurs analysés par Cox (1998) présentent
tous une distinction de longueur, le pourcentage de réalisations de celle-ci étant
cependant plus ou moins variable : chez trois des douze présentateurs, la distinction de longueur est faite dans 30% des cas. Chez les neuf autres, elle l’est dans 67%
à 90% des cas, particulièrement en syllabe accentuée (cf. Bigot/Papen 2013, 125).
Reinke (2005), pour sa part ne tient pas compte de ce trait de prononciation dans
son étude, partant du principe qu’il fait partie des « particularités de la prononciation québécoise [. . .] très courantes en situation de prise de parole surveillée au
point de ne pas être considérées comme des prononciations de registre familier »
(Reinke 2005, 20). Elle classifie donc – intuitivement – ce trait de prononciation
avec ceux appartenant à la norme de prononciation québécoise, ce que confirment
Bigot/Papen (2013, 125). Notons que Côté (2016, 50) relève, pour sa part, que le
/ɛː/ présente un timbre plus ouvert et central que le /ɛ/, raison pour laquelle elle
préfère la transcription /ɜ/ au /ɛː/.
Le maintien des quatre voyelles nasales (cf. tableau 8) est également unanimement considéré comme appartenant à la norme de prononciation du Québec,
à tel point que Reinke (2005, 20) ne prend pas non plus ce trait en compte dans
ses analyses de présentateurs, partant du principe qu’il est stable à travers tous
les styles et toutes les situations de communication. Les analyses de Cox (1998)
montrent pour leur part que tous les présentateurs qu’il a analysés maintiennent
cette distinction. Notons que, tout comme l’opposition /a/ : /ɑ/, ce trait n’est pas
80
2 État de l’art
non plus spécifique au Québec, et qu’il est également répandu dans un grand
nombre de régions francophones, dont la Suisse (cf. 2.3.3) ou encore le Sud de la
France (cf. Pustka 2008, 240).
En ce qui concerne le timbre des voyelles nasales (cf. tableau 8),26 alors que
le /ɔ̃/ et le /œ̃/ ne semblent présenter aucune particularité par rapport à la norme
de référence française (cf. Bigot/Papen 2013, 124–125), une certaine variation est
observée au niveau de la réalisation antériorisée ou non des voyelles /ɛ̃/ et /ɑ̃/,
respectivement comme [ɛ̃] ou [ẽ] (antériorisé) et [ɑ̃] ou [ã] (antériorisé).27 Le /ɛ̃/,
d’une part, semble être assez systématiquement réalisé comme un [ẽ] antérieur et
mi-fermé (Bigot/Papen 2013, 124–125, 127) : selon l’étude de Cox (1998), il serait
en effet réalisé dans 88% des cas en [ẽ] contre 12% en [ɛ̃]. Pour sa part, Reinke
(2005, 20) va à nouveau jusqu’à considérer la prononciation [ẽ] comme systématiquement privilégiée, raison pour laquelle elle ne tient pas compte de ce trait
dans ses analyses. Côté (2016, 50) considère également la réalisation [ẽ] comme
étant « standard ». En revanche, la réalisation du /ɑ̃/ dans la norme de prononciation québécoise ne semble pas être incontestée : dans le corpus de Cox (1998),
le /ɑ̃/ est réalisé dans un seul cas comme un [ã] antérieur (dans le mot parents),
tous les autres cas étant des [ɑ̃] postérieurs. Ostiguy/Tousignant (2008) confirment d’une certaine manière ces résultats, dans la mesure où ils observent une
baisse de la fréquence d’utilisation du [ã] antérieur chez les locuteurs présentant un niveau élevé de scolarisation (cf. Ostiguy/Tousignant 2008, 120). Reinke
(2005, 20), au contraire, considère – à nouveau intuitivement – le [ã] antérieur
comme variante privilégiée dans la norme, une observation que semblent confirmer Tremblay (1990), qui considère cette variante comme passant inaperçue dans
la perception des Québécois, et Côté (2016). Ainsi, alors que l’antériorisation du
/ɛ̃/ en [ẽ] semble être acceptée au sein de la norme québécoise, les études publiées
jusqu’ici ne sont pas unanimes sur le statut de la variante [ã] (cf. Bigot/Papen
2013, 127). Notons finalement que, considérant les réalisations du /ɑ̃/ sur une
26 Soulignons ici l’évolution actuelle inverse des voyelles nasales au Québec par rapport aux
variétés de la France septentrionale. En effet, alors que, selon Hansen (1998) et Delvaux (2003),
les voyelles nasales ont tendance à la postériorisation dans le cadre d’un changement en chaîne
(/ɛ̃/ vers [ɑ̃], /ɑ̃/ vers [ɔ̃], /ɔ̃/ vers [õ]) en France septentrionale (cf. 1.3.2), le Québec montre, lui,
un mouvement d’antériorisation (cf. entre autres Gendron 1966 ; Charbonneau 1971 ; Maurais
1993). Notons cependant aussi une tendance actuelle des jeunes Montréalais (en particulier des
jeunes locutrices montréalaises) à la variante postérieure [ɑ̃] en parole spontanée (cf. Remysen
2014 ; 2016a).
27 Notons qu’en parole spontanée, l’antériorisation peut être suivie d’une fermeture en [æ̃] ou
[ɛ̃] en syllabe ouverte accentuée (p. ex. allant [alã]) et que la voyelle nasale est souvent diphtonguée en [ãu] en syllabe fermée accentuée (p. ex. chance [ʃãus]) (cf. Martin 2002 ; Ostiguy/Tousignant 2008 ; Remysen 2014 ; 2016a ; Chalier 2019).
2.3 Caractérisation phonético-phonologique des normes étudiées
81
échelle graduelle entre deux pôles (antérieur et postérieur), Martin (2002), Remysen
(2016a) et Chalier (2019) relèvent l’existence d’une variante centrale [ɐ̃] se trouvant
entre la variante postérieure [ɑ̃] et la variante antérieure [ã]. En outre, Remysen
(2016a, 143) va jusqu’à considérer deux variantes supplémentaires, une variante
antérieure fermée [æ̃] et une variante postérieure fermée et arrondie [ɒ̃], de sorte
qu’il obtient cinq réalisations différentes du /ɑ̃/ : [æ̃], [ã], [ɐ̃], [ɑ̃] et [ɒ̃]. Remysen
(2016a) n’ayant cependant obtenu qu’un pourcentage infime de [æ̃] (1,0%) et de
[ɒ̃] (1,1%) dans ses résultats, Chalier (2019) propose une échelle non pas quinaire,
mais ternaire : [æ̃]/[ã], [ɐ̃], [ɑ̃]/[ɒ̃] (cf. 3.4.2.3).
L’ouverture et le relâchement des voyelles /i, y, u/ en finale de mot se terminant par une ou plusieurs consonnes non allongeantes (cf. tableau 8) présente
aussi un statut ambigu (cf. Bigot/Papen 2013, 126) : les analyses de présentateurs
de Cox (1998) montrent que ce trait est réalisé de manière variable (entre 60% et
97% selon le présentateur), ce qui pousse l’auteur à considérer ce trait comme
faisant partie de la norme de prononciation. Reinke (2005, 20) ne le prend pas en
compte dans ses analyses, mais le considère à nouveau comme faisant partie intégrante de la norme de prononciation québécoise. Côté (2016, 50) observe même
un contraste entre les voyelles tendues /i, y, u/ et relâchées /ɪ, ʏ, ʊ/, par exemple
dans cool /kul/ ~ coule /kʊl/, même si son rendement fonctionnel reste faible.
Dumas (1987, 5), au contraire, affirme que le relâchement de ces voyelles, s’il n’est
certes pas lié à des jugements négatifs, n’est cependant pas non plus utilisé dans
les styles formels, ce qui le pousse à ne pas considérer ce trait comme faisant
partie de la « prononciation officiellement admise » (Dumas 1987, 5 ; cf. également Dumas 2006, 102). Ostiguy/Tousignant (2008, 69) présentent, pour leur
part, un avis intermédiaire, considérant que le relâchement se fait chez tout type
de locuteur (« plus cultivé » ou non) et dans tout type de situation de communication, mais affirmant également qu’il est moins courant dans l’usage de certains
présentateurs de télévision. Ainsi, ici aussi, la norme de prononciation ne semble
pas encore être fixée pour ce trait (cf. 5.3.1.5, 6.3.4).
Tout comme l’ouverture et le relâchement des voyelles /i, y, u/, le dévoisement et le potentiel effacement de ces mêmes voyelles fermées (cf. tableau 8) reste
passablement controversé (cf. Bigot/Papen 2013, 127) : les analyses de Cox (1998)
font ressortir un taux d’usage moyen de ce trait de 43% chez les présentateurs
et une très forte variation se situant selon le locuteur entre 0% à 88%, ce qui
le pousse à considérer ce trait comme ne faisant pas partie de la norme de prononciation. Dumas (1987), Reinke (2005) et Ostiguy/Tousignant (2008), pour leur
part, le considèrent comme passant inaperçu au Québec et n’étant donc pas sujet
à une stigmatisation sociale ou à des attitudes négatives. Ces différents points
de vue révèlent donc que l’appartenance de ce trait à la norme de prononciation
québécoise reste encore à déterminer (cf. 5.3.1.6, 6.3.5).
82
2 État de l’art
Le dernier trait pris en compte dans les différentes études sur la norme de
prononciation québécoise est celui de la diphtongaison des voyelles longues
(cf. tableau 8). L’étude de Cox (1998) ne présente aucune diphtongaison parmi les
douze présentateurs que l’auteur analyse, et ce, indépendamment de la qualité
de ces diphtongues. Lappin (1982) et Tremblay (1990) affirment – uniquement à
propos de la diphtongaison du /ɑ̃/ – qu’il s’agit d’un trait socialement stigmatisé
dans la communauté québécoise. Reinke (2005, 32) observe également très peu de
diphtongaisons, mais évoque cependant les exceptions des voyelles moyennes /øː/
(p. ex. creuse) et /oː/ (p. ex. chaude), qui présentent respectivement 37,2% et 14,2%
de diphtongaisons, ce qu’elle justifie en affirmant que ces variantes seraient socialement moins stigmatisées que les diphtongaisons d’autres voyelles. Cette observation avait déjà été faite par Santerre/Dufour/Mc Duff (1985), qui affirmaient que
les diphtongaisons de /øː/ et /oː/ étaient socialement moins stigmatisées que celles
des autres voyelles, les Québécois ayant selon eux tendance à ne pas entendre
d’instabilité de timbre dans ces variantes et, par conséquent, à les associer aux
prononciations standards [øː] et [oː]. Dans sa grille d’analyse, Reinke (2005, 21)
considère ainsi uniquement les variantes allongées [øː] et [oː] comme faisant partie
de la norme québécoise. En résumé, les études semblent être unanimes sur le fait
que la diphtongaison est un trait socialement stigmatisé ne faisant pas partie de la
norme de prononciation du français québécois, exception faite des diphtongaisons
de /øː/ et /oː/, dont le statut reste à fixer.
2.4 Bilan et objectifs
En conclusion, l’état de l’art présenté dans ce chapitre aura permis les constats suivants par rapport à la situation actuelle de la norme ou des normes (de prononciation) à Paris, en Suisse romande et au Québec : tout d’abord, sur la base des études
sociolinguistiques publiées jusqu’ici, j’ai pu proposer un type de modèle « démocratique » et dynamique se basant sur trois instances (les locuteurs, les linguistes et
les organismes publics) et tenant compte aussi bien des productions de locuteursmodèles que des perceptions et des représentations et attitudes de locuteurs « non
experts ». Deuxièmement, les réflexions sur le pluricentrisme du français ont
permis de dresser un tableau des trois normes existant parallèlement dans chacune
des régions étudiées : la norme internationale (le français de référence), les normes
nationales (p. ex. les normes suisse romande ou québécoise) ainsi que les normes
régionales, les normes nationales étant de type pluricentrique et les normes régionales de type pluriaréal. Troisièmement, l’état de l’art a permis de dégager pour
chaque région étudiée des traits de prononciation dont l’appartenance à la norme
de prononciation respective devra être testée.
2.4 Bilan et objectifs
83
Par ailleurs, plusieurs points critiques et/ou encore ouverts ont pu être décelés
dans l’état de l’art et devront être abordés dans le présent ouvrage. Premièrement,
les stratégies argumentatives utilisées jusqu’ici dans le cadre des études sur les
normes (de prononciation) se basent en général sur une seule méthode isolée,
réduisant ainsi considérablement la portée des résultats :
– Comparaisons structurelles de la variété de référence avec les variétés à codifier (cf. p. ex. Barbaud 1998) ;
– Analyses (qualitatives et/ou quantitatives) des attitudes (cf. p. ex. Bouchard/
Maurais 1999) ;
– Approches perceptives (sans locuteurs-modèles) (cf. p. ex. Racine/Schwab/
Detey 2013) ;
– Analyse de la production de locuteurs-modèles (cf. p. ex. Reinke 2005 ;
Pooley 2012).
Une analyse des normes de prononciation devrait cependant se baser sur une
combinaison de ces méthodes afin de pouvoir couvrir les différents aspects qui
y sont liés :
– Aspect sociolinguistique : des questionnaires quantitatifs sur les représentations et attitudes des locuteurs « non experts » permettent de déceler (ou non)
une nécessité de codification d’une telle norme de prononciation nationale.
– Aspect sociophonétique (production) : des analyses acoustiques de la production linguistique de locuteurs-modèles permettent de formuler des hypothèses quant aux traits de prononciation appartenant à ces normes.
– Aspect sociophonétique (perception) : des expériences de perception se
basant sur les traits de prononciation de ces locuteurs-modèles permettent
de corroborer (ou non) ces hypothèses.
Cette combinaison de méthodes permet, deuxièmement, de résoudre le problème de beaucoup d’enquêtes se restreignant à la seule perspective du linguiste
sur la norme (cf. 2.1.1), étant donné qu’elle associe le point de vue des linguistes
à celui des « non-experts » (cf. Postlep 2010 ; Preston 1999a ; 2002), permettant
ainsi de s’approcher de l’idéal d’une définition « démocratique » de la norme
(cf. 2.1.1.3).
Troisièmement, les comparaisons de la situation des normes dans plus d’une
région (ou plus d’un pays) francophone restent rares, exception faite de Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978) (Tours, Limoges, Lille, Saint-Denis de la Réunion),
Ledegen (2000) (France et Belgique), Moreau (1996) (Belgique et Afrique), et
Moreau et al. (2007) (France, Belgique, Suisse, Québec, Tunisie et Sénégal). Ces
quatre études de nature sociolinguistique ne prennent toutefois pas en compte
les normes de prononciation.
84
2 État de l’art
Quatrièmement, l’état de l’art a permis de montrer que jusqu’ici, de nombreuses études sociolinguistiques ne différencient pas le « français parisien » du
français de référence et le considèrent – à tort (cf. Pustka 2008, 213) – comme un
français géographiquement « neutre » (cf. Müller 1975, 111 ; Carton et al. 1983, 76).
Il n’est donc pas surprenant qu’aucune étude n’ait jusqu’ici abordé cette différence entre « français parisien » et français de référence dans le cadre d’une étude
portant sur les normes de prononciation.
Dans le présent ouvrage, je tenterai ainsi de proposer une approche
des normes de prononciation tenant compte de ces différentes critiques : il
s’agira ainsi (1) de mettre en lumière la nécessité d’une codification des normes
nationales sur la base de questionnaires quantitatifs sur les représentations et
attitudes de locuteurs « non experts » dans deux périphéries (la Suisse romande
et le Québec) ainsi qu’à Paris et (2) de définir concrètement, à l’exemple des
voyelles, les traits de prononciation appartenant à ces normes. Cette définition
sera réalisée sur la base d’une analyse de formants des voyelles produites par
des locuteurs-modèles de chacune des régions et d’expériences de perception
visant à faire évaluer par des locuteurs « non experts » les traits révélés par ces
analyses de production. Cet ouvrage s’inscrit donc dans le cadre des travaux
visant à définir des normes prescriptives de prononciation sur la base de normes
descriptives dégagées des attitudes et représentations (perceptives) de locuteurs
« non experts ». L’objectif est d’obtenir un contenu d’enseignement reflétant les
normes parisienne, suisse romande et québécoise en matière de prononciation
(cf. Ostiguy/Tousignant 2008, 13). L’application de tels résultats pourrait ainsi
permettre de réduire de l’insécurité linguistique statutaire (cf. Remysen 2004, 97)
dans chacune de ces régions en respectant l’usage privilégié par leurs locuteurs.
3 Méthode
Avant de présenter les trois méthodes utilisées dans le cadre de la présente étude
(cf. 3.3 : questionnaires sur les représentations et attitudes ; 3.4 : analyse de
voyelles produites par des locuteurs-modèles ; 3.5 : évaluation des voyelles des
locuteurs-modèles par des auditeurs « non experts »), il est tout d’abord nécessaire, d’une part, de différencier les trois perspectives combinées dans cette étude
(productions, perceptions, représentations/attitudes ; cf. 3.1) et, d’autre part,
d’évoquer les principes fondamentaux de la recherche empirique en sciences
sociales sur lesquels repose le choix des méthodes (cf. 3.2).
3.1 Productions, perceptions, représentations et attitudes
La distinction conceptuelle entre les productions, les attitudes, les représentations et les perceptions peut être expliquée sur la base de l’utilisation qu’en fait
la ‘linguistique perceptive des variétés’ (all. perzeptive Varietätenlinguistik ; cf.
Pustka 2007 ; 2008 ; Krefeld/Pustka 2010 ; Postlep 2010). Remontant à Krefeld
(2005, 162), ce cadre théorique étudie la relation entre ‘conscience linguistique’
(all. Sprachwissen) et ‘parole’ (all. Sprechtätigkeit). La parole correspond aux productions se situant dans l’usage concret du langage. La conscience linguistique
regroupe, pour sa part, les représentations et attitudes – qui peuvent être basées
ou non sur des perceptions concrètes de productions linguistiques.
Les représentations peuvent toucher, d’une part, aux structures de la langue
au sens strict du terme, c’est-à-dire à la capacité de parler et de comprendre une
langue (cf. Chomsky 22000, 83). D’autre part, elles peuvent porter sur la structuration cognitive de la variation linguistique (cf. Postlep 2010, 55). Les attitudes, qui
remontent à la ‘linguistique populaire’ (folk linguistics, cf. Preston/Niedzielski
2000) et se basent sur la recherche en psychologie sociale (cf. Werlen 1984), sont
pour leur part définies comme étant les évaluations et sentiments affectifs face à
la variation linguistique (cf. Postlep 2010, 55–56). Au sein de la linguistique, elles
permettent en particulier d’étudier le statut (plus ou moins prestigieux ou stigmatisé) de langues et de variétés (cf. Glück 2000, 178 ; Krefeld/Pustka 2010, 15).
Aussi bien les représentations que les attitudes linguistiques peuvent être générées non seulement par la perception de productions linguistiques concrètes, mais
aussi par des facteurs extralinguistiques (p. ex. l’appartenance du locuteur à une
catégorie socio-économique et/ou ethnique particulière, cf. Didelot 2019, 119). Les
représentations et attitudes peuvent donc être perceptives ou non. Or, c’est aux
représentations ou attitudes perceptives que se réfère le terme de perceptions utilisé
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3 Méthode
systématiquement dans le présent ouvrage : il s’agit des représentations ou attitudes
systématiquement liées à la perception de productions linguistiques concrètes
dans une situation de communication réelle (cf. Krefeld/Pustka 2010, 14).
Il est cependant important de mentionner que les représentations et attitudes perceptives et non perceptives s’influencent mutuellement : d’une part, les
représentations et attitudes se basent sur des perceptions et sont constamment
modifiées par ces dernières ; d’autre part, les perceptions sont souvent filtrées par
les représentations non perceptives existantes. Ainsi, des attitudes touchant à la
prononciation pourront être fortement influencées par les représentations géographiques, sociales ou situationnelles que les auditeurs associent à la variété
entendue (cf. Didelot 2019, 119 ; cf. également Lippi-Green 2012 ; Moyer 2013). En
France septentrionale, par exemple, un écart linguistique par rapport à la norme
sera souvent perçu comme étant de nature géographique même s’il est plutôt spécifique à un groupe social défavorisé (cf. Hauchecorne/Ball 1997, 22).
3.2 Principes fondamentaux de la recherche empirique
en sciences sociales
En ce qui concerne les principes fondamentaux de la recherche empirique en
sciences sociales, mentionnons tout d’abord les trois critères fondamentaux de
qualité de telles recherches empiriques : l’objectivité, la fiabilité et la validité (cf.
Adams 1936, 329–335 ; König 2010, 495–498, Diekmann 62012, 479–488). Rappelons que l’objectivité de questions ou de mesures est garantie lorsque les réponses
obtenues ou les valeurs mesurées sont indépendantes de l’enquêteur (cf. König
2010, 495). La fiabilité fait référence au fait que ces réponses et valeurs mesurées
ne doivent pas être soumises aux hasards circonstanciels, de sorte qu’une étude
effectuée postérieurement devrait engendrer des résultats ou valeurs stables par
rapport à la précédente (cf. König 2010, 495–496). Finalement, la validité d’une
question est garantie lorsqu’elle est en adéquation avec ses objectifs, c’est-à-dire
lorsqu’elle mesure effectivement ce qu’elle est censée mesurer (cf. König 2010,
497–498). Notons que les méthodes non structurées, comme l’observation et l’entretien non directif (des méthodes considérées comme principalement qualitatives) auront plutôt tendance à être valides, mais moins objectives et fiables.
Les méthodes structurées, comme le questionnaire ou l’entretien directif (des
méthodes considérées comme principalement quantitatives), auront plutôt tendance à être plus objectives et fiables, mais moins valides. Finalement, certaines
méthodes semi-structurées, comme l’entretien semi-directif, se trouvent entre ces
deux pôles.
3.2 Principes fondamentaux de la recherche empirique en sciences sociales
87
Mentionnons par ailleurs un autre objectif que toute étude se voulant généralisable aux sous-groupes étudiés devrait viser : l’obtention de résultats s’approchant d’une certaine représentativité (cf. Leech 1991, 9 ; Manning/Schütze
1999, 119 ; Leech 2006, 135). Cependant, comme le souligne Sinclair (2004), il est
évident qu’aucun sondage ne peut prétendre être totalement représentatif :
« Everyone seems to accept that no limits can be placed on a natural language [. . .]. Therefore no corpus, no matter how large, how carefully designed, can have exactly the same characteristics as the language itself. [. . .] So we sample, like all the other scholars who study
unlimitable phenomena. We remain, as they do, aware that the corpus may not capture
all the patterns of the language, nor represent them in precisely the correct proportions »
(Sinclair 2004, 2).
C’est donc bien l’échantillonnage, c’est-à-dire la méthode de sélection des informateurs qui formeront la base de données de l’ouvrage, qui donne accès à cette représentativité (cf. Arbach/Ali 2013, 2). Cette question est abordée ci-dessous pour
chacune des trois méthodes utilisées dans le présent ouvrage (cf. 3.3.2, 3.4.1.1, 3.5.4).
Ces différents principes généraux se trouvent donc à la base des choix de
méthodes de toute étude empirique en sciences sociales. Pour ce qui est du présent
ouvrage en particulier, un rappel de ses deux principaux objectifs aidera à en comprendre le choix des méthodes :
1. D’une part, l’ouvrage a pour objectif de mettre en lumière une éventuelle
volonté ressentie par les informateurs « non experts » parisiens, suisses
romands et québécois de codifier des normes de prononciation propres à
chacune de ces régions.
2. D’autre part, il s’agira de définir, à l’exemple des voyelles, les traits de prononciation appartenant à ces normes potentielles.
Le premier des deux objectifs portant sur l’aspect des représentations et attitudes
(cf. Krefeld/Pustka 2010, 12), le choix de la méthode a dû se faire entre les deux
méthodes les plus courantes dans le domaine de la sociolinguistique : l’entretien et le questionnaire, qui présentent tous deux des avantages et des inconvénients. Si l’entretien présente « l’avantage de placer l’enquêteur et l’enquêté dans
une relation humaine, souple et coopérative » (Boukous 1999, 24), cette méthode
engendre en général également une réduction de la taille de l’échantillon pris
en compte, étant donnés le temps nécessaire ainsi que les moyens matériels et
financiers requis. Par ailleurs, une telle méthode est moins maîtrisable car plus
sensible à la subjectivité, la situation de l’entretien (endroit de l’entretien, personnalité, humeur, apparence, usage linguistique de l’enquêteur, etc.) pouvant
influencer les résultats de manière incontrôlée (cf. Boukous 1999, 24).
88
3 Méthode
Le principal avantage du questionnaire, méthode structurée sur support écrit,
est qu’il se prête à une analyse quantitative (cf. Boukous 1999, 15). Il permet en
effet de travailler avec un échantillon plus large et de manière systématique, et
ce, en peu de temps et avec peu de ressources. Par ailleurs, les réponses obtenues
sont souvent plus sincères car l’anonymat est mieux garanti sous forme écrite.
Cependant, les questions d’un tel questionnaire doivent être claires, bien ordonnées et dénuées d’ambiguïté pour tous les informateurs, faute de quoi certaines
restent sans réponse ou engendrent des types de réponse qui n’étaient pas visés
par la question. Par ailleurs, le temps nécessaire au questionnaire ne doit pas être
trop long pour éviter que de nombreux informateurs n’interrompent l’enquête
prématurément (cf. Boukous 1999, 24).
Le premier objectif, qui touche aux représentations et attitudes (cf. 3.1), visant
une certaine représentativité des trois populations étudiées (qui n’est atteignable
qu’à travers un échantillon assez large) et des réponses comparables (favorisées
par une certaine systématicité de l’enquête), la méthode du questionnaire sur
support écrit a été préférée à celle de l’entretien.
Le deuxième objectif du présent ouvrage, la définition des voyelles appartenant aux trois potentielles normes de prononciation (cf. supra), n’est, pour
sa part, pas lié aux représentations et attitudes globales des informateurs par
rapport à la norme de prononciation, mais aux domaines des productions et
des perceptions (cf. 3.1) : d’une part, il est en effet nécessaire de procéder à une
analyse acoustique des voyelles produites par les locuteurs du groupe considéré comme le modèle à suivre par les « non-experts » (les locuteurs-modèles,
cf. 2.2.1.3) pour pouvoir émettre des hypothèses concrètes quant aux voyelles
appartenant aux normes des trois régions étudiées. D’autre part, dans le sens de
la définition d’une norme démocratique (cf. 2.2.1.4), ces hypothèses devront être
confirmées par des tests de ces traits de prononciation dans la perception d’un
échantillon le plus représentatif possible de locuteurs « non experts » de chacune
des régions étudiées.
Ainsi, c’est sur la base de cette combinaison d’un sondage global sur les
représentations et attitudes, d’une analyse acoustique des voyelles produites par
des locuteurs-modèles et de tests perceptifs de ces mêmes voyelles qu’une définition relativement fiable et généralisable de ces normes de prononciation peut
être proposée. C’est donc sur la combinaison de ces trois méthodes que se fonde
le présent ouvrage, trois méthodes qui seront présentées dans ce chapitre :
– Le premier sous-chapitre portera sur les questionnaires écrits touchant aux
représentations et attitudes de locuteurs « non experts » face à différents
aspects liés à la norme (de prononciation) (cf. 3.3).
– Le deuxième sous-chapitre touchera aux analyses acoustiques de voyelles
produites par des locuteurs-modèles qui ont permis la mise en place d’hypo-
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
–
89
thèses quant aux traits de prononciation appartenant potentiellement à ces
normes (cf. 3.4).
Le dernier sous-chapitre abordera le test de ces hypothèses dans le cadre
d’expériences de perception : les informateurs « non experts » provenant de
ces trois régions ont dû y évaluer l’utilisation de ces traits selon différents
types de questions (touchant à différentes situations de communication) et
de réponses (échelles et réponses à choix simple) (cf. 3.5).
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
La première méthode utilisée dans ce travail concerne les représentations et
attitudes. La méthode se présente sous la forme de questionnaires principalement quantitatifs (avec quelques ajouts qualitatifs) distribués à Paris, en Suisse
romande et au Québec selon un échantillonnage par quotas. Ils touchent aux
représentations et attitudes d’informateurs « non experts » face au processus de
création d’une norme propre à chacune de ces régions. Le questionnaire aborde
ainsi aussi bien les auto-représentations des Parisiens/Suisses romands/Québécois face à leur propre prononciation que leurs hétéro-représentations de la norme
de prononciation traditionnelle et des autres prononciations francophones.
La présentation de cette méthode sera divisée en deux parties : je présenterai
d’abord les différentes questions du questionnaire et montrerai leur pertinence
pour les objectifs de l’étude (cf. 3.3.1), avant d’aborder la question de la sélection
et du recrutement des informateurs (cf. 3.3.2).
3.3.1 Questionnaires
Le questionnaire contient 17 questions groupées en cinq sections thématiques
ayant pour objectif de couvrir différents aspects liés à la norme (de prononciation) (cf. annexe 1 : Paris ; annexe 2 : Suisse romande ; annexe 3 : Québec) : les
auto- et hétéro-représentations, la valorisation et la dépréciation de prononciations endogènes et exogènes, le prestige latent et manifeste de ces mêmes prononciations et l’insécurité linguistique y étant liée (cf. 2.1.2). Les cinq sections, suivies
d’une sixième portant sur les données sociodémographiques récoltées à la fin du
questionnaire, se structurent de la manière suivante selon l’aperçu proposé dans
le tableau 10.
Trois précisions sont encore nécessaires quant à la présentation des trois
questionnaires ci-dessous : premièrement, je tiens à souligner que dans l’élaboration des questions, j’ai pris en compte le statut sociolinguistique différent de
90
3 Méthode
Tableau 10 : Structure du sous-chapitre sur les questionnaires.
Sous-chapitres
Sections
3.3.1.1
Représentations des accents de la francophonie
3.3.1.2
Représentations des accents des régions étudiées
3.3.1.3
Représentations des différences d’accent à l’intérieur ces régions
3.3.1.4
Représentations de la prononciation des présentateurs de télévision de ces
régions
3.3.1.5
Attitudes face à la prononciation de chaque région dans une comparaison
avec les prononciations d’autres régions francophones
3.3.1.6
Informations sociodémographiques
la Suisse romande et du Québec (considérés comme « périphériques » ; cf. p. ex.
Lafontaine 1986 ; Singy 1996) par rapport à celui de Paris (considéré comme
« central », cf. Valdman 1982 ; Gagné 1983). C’est la raison pour laquelle le questionnaire parisien contient certaines asymétries par rapport aux questionnaires
suisses romands et québécois : certaines questions n’étaient en effet aptes à être
posées que dans les « périphéries » (questions 4, 11, 12, 13 ; cf. 3.3.1.1), d’autres
ont dû être posées selon des perspectives contraires au centre et en périphérie
(questions 8, 9, 10, 15, 16 ; cf. 3.3.1.1). Deuxièmement, en raison de ces asymétries, la numérotation des questions présentée ci-dessous ne correspond pas dans
tous les cas à celle qui pourra être trouvée dans les questionnaires originaux (cf.
annexes 1–3). Troisièmement, il faut noter que dans la présentation des questions,
pour des raisons de clarté et d’économie de place, les questions identiques des
questionnaires parisiens, suisses romands et québécois ont été réunies autant
que possible dans un seul énoncé en utilisant des barres obliques pour séparer
les régions les unes des autres.
3.3.1.1 Section 1 : représentations des accents de la francophonie
Question 1 : Quels accents de français connaissez-vous dans le monde ?
La première question (cf. question 1) est une question d’introduction, nommée
également « question brise-glace » (all. Eisbrecherfrage ; cf. Diekmann 62012,
483–485). Elle favorise l’entrée en matière des informateurs, les met en confiance
et, dans l’idéal, suscite leur intérêt pour les questions de prononciation. Elle a
donc été formulée de façon ouverte et générale et ne touche pas directement aux
questions de normes de prononciation, mais aux questions plus générales d’ac-
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
91
cents du français dans le monde. Notons également qu’il s’agit d’une question
ouverte pour laquelle aucune possibilité de réponse préétablie n’a été donnée aux
informateurs.
Question 2 : Selon vous, où a-t-on le moins d’accent dans le monde ?
La deuxième question (cf. question 2) aborde, pour sa part, l’un des principaux
aspects de la norme de prononciation dans la conscience des informateurs : les
représentations de la variété considérée comme norme comme étant (perceptivement) « neutre ». Dans cette première section, cette question touche à la francophonie dans sa globalité. Il s’agit par ailleurs, ici aussi, d’une question ouverte
sans choix de réponses fixé au préalable, la quantification des réponses ayant dû
être faite à posteriori.
3.3.1.2 Section 2 : représentations des accents des régions étudiées
Question 3.1 : Les Parisiens/Suisses romands/Québécois ont-ils un accent ? (□ Oui □ Non)
Questions 3.2 : Si oui, à quoi peut-on les reconnaitre le plus ?
(□ À leur vocabulaire, □ À leur prononciation, □ À leur grammaire, □ À autre chose)
La deuxième section porte sur les représentations des différences perçues à l’intérieur de chaque région. Elle commence par une question qui visait, d’une part,
à tester les auto-représentations des informateurs de chaque région par rapport
à la « neutralité » perçue de leur prononciation à l’intérieur de leur région (cf.
question 3.1). D’autre part, la question avait pour objectif de découvrir à quel
niveau linguistique (vocabulaire, prononciation, grammaire) ces mêmes informateurs pensent percevoir le plus grand nombre de différences entre l’accent de leur
région et les autres accents. C’est la raison pour laquelle la question a été complétée par une question touchant à ces niveaux linguistiques (cf. question 3.2). Les
informateurs pouvaient y répondre sur la base d’un choix simple parmi quatre
possibilités de réponse (à leur vocabulaire, à leur prononciation, à leur grammaire,
à autre chose) qu’ils pouvaient préciser à l’aide d’exemples formulés librement.
La combinaison des réponses à choix simple avec des exemples formulés par
les informateurs présente en effet l’avantage de permettre, d’une part, la quantification des résultats et, d’autre part, leur vérification de manière qualitative.
Les informateurs auront en effet souvent tendance à nommer plus de traits
(des schibboleths ; cf. Glück 2000, 603 ; Krefeld/Pustka 2010, 20) aux niveaux
linguistiques (prononciation, lexique, grammaire) les plus saillants dans leur
conscience. Notons que ce type de combinaison de questions fermées et ouvertes
92
3 Méthode
s’est déjà avéré fructueux dans plusieurs enquêtes sociolinguistiques préalables
(cf. Boukous 1999, 17–18 ; des exemples de ce type de combinaison pourront être
trouvés chez Reutner 2005 ; Pustka 2010).
Question 4.1 : Y a-t-il des Suisses romands / Québécois qui essaient de perdre leur accent ?
(□ Oui □ Non)
Question 4.2 : Pourquoi (pas) ?
La deuxième question de cette section (cf. question 4.1/4.2) touche non plus aux
représentations, mais aux attitudes des informateurs face à leur propre prononciation : il s’agit ici de mettre en lumière la potentielle insécurité linguistique
statutaire (cf. Remysen 2004, 97) qu’ils pourraient ressentir en considérant leur
propre prononciation comme moins prestigieuse que celle du modèle de référence. Étant donné que la question touche au phénomène de l’insécurité linguistique des locuteurs « périphériques » face aux locuteurs parisiens, la question n’a
pas été posée dans le questionnaire parisien. Afin d’éviter autant que possible
tout risque de biais de réponse en termes de désirabilité sociale (cf. entre autres
Paulhus 2002, 49–69), la question a été formulée non pas du point de vue personnel des informateurs, mais dans la perspective d’un observateur externe (cf.
Avetisyan 2012, 3). Les informateurs pouvaient y répondre par oui ou non et justifier librement leur réponse (Pourquoi (pas) ?). Notons que la question est inspirée
d’une question similaire posée par Singy (1996, 286, question 23)1 à des informateurs du canton de Vaud, en Suisse.
3.3.1.3 Section 3 : représentations des différences d’accent à l’intérieur
des régions étudiées
Question 5 : Selon vous, où a-t-on le moins d’accent en France/en Suisse romande/au Québec ?
Cette section aborde les différences de prononciation perçues à l’intérieur de
chacune des régions. Elle est constituée d’une question (cf. question 5) similaire
à la question 2 (cf. supra), à la différence qu’elle ne touche pas à la francophonie dans sa globalité, mais uniquement aux accents se trouvant dans chacune
des régions étudiées. La question concerne donc les représentations de la variété
considérée à l’intérieure de chacune des régions comme norme (perceptivement)
1 Question 23 du questionnaire de Singy (1996, 286) : « Y a-t-il des Vaudois qui essaient de perdre
leur accent ? » ; possibilités de réponse : « oui » ou « non ».
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
93
« neutre ». Par ailleurs, il s’agit, ici aussi, d’une question ouverte sans possibilités
de réponse préétablies.
Notons par ailleurs que dans le questionnaire, cette question est précédée
d’une question supplémentaire utilisant la méthode des cartes mentales (angl.
mental maps, cf. entre autres Preston/Niedzielski 2000 ; Lameli/Purschke/Kehrein
2008 ; pour le français, cf. Kuiper 1999 ; Pustka 2010) : les informateurs étaient
invités, d’une part, à indiquer les contours et à nommer les différentes aires de
diffusion des variétés de français qu’ils pensaient être capables de distinguer sur
une carte de leur région linguistique (France, Suisse romande ou Québec). D’autre
part, ils avaient pour tâche d’entourer l’endroit où l’on parle, selon eux, le meilleur français à l’intérieur de cette même région. Les résultats de la question n’ont
cependant pas été utilisés dans le cadre du présent ouvrage, notamment en raison
des connaissances géographiques souvent lacunaires des informateurs, menant à
certaines distorsions des résultats.
3.3.1.4 Section 4 : représentations de la prononciation des présentateurs
de télévision des régions étudiées
Cette section concerne les représentations des informateurs des trois régions étudiées par rapport au rôle des présentateurs de télévision dans la définition de la
norme de prononciation. Étant données les critiques formulées au Québec par
certains linguistes considérant la prononciation de Radio-Canada comme trop
proche de celle de la norme traditionnelle de référence pour représenter une
norme de référence nationale,2 la section comprend deux questions touchant à la
légitimité du modèle des présentateurs au sein des trois communautés.
Question 6.1 : Les présentateurs des journaux télévisés parisiens/suisses romands/québécois
ont-ils un accent propre à Paris/à la Suisse romande/au Québec ? (□ Oui □ Non)
Question 6.2 : Si oui, qu’est-ce qui les différencie des présentateurs de journaux télévisés
d’autres pays/régions francophones ?
La première de ces deux questions cherchait à mettre en évidence dans quelle
mesure la prononciation des présentateurs de journaux télévisés de chacune des
régions est considérée par les informateurs « non experts » comme une prononciation standard propre à leur région et différente de la prononciation d’autres
régions francophones (cf. question 6.1). Les informateurs avaient la possibilité
2 Notons que ces critiques persistent malgré les résultats de différentes études sociolinguistiques présentées au chapitre 2.1.2.3.4 montrant la vaste acceptation de ce modèle de norme au
sein de la population québécoise.
94
3 Méthode
d’y répondre par oui ou non et d’ajouter des exemples différenciant la prononciation des présentateurs de leur région de celle d’autres régions francophones (cf.
question 6.2).
Question 7 : Selon vous, quel est le français / le français suisse romand / le français québécois le
plus représentatif de l’ensemble de la France / de la Suisse romande / du Québec ?
Possibilités de réponse : □ le français parlé dans le journal télévisé, □ le français utilisé dans
une discussion entre des étudiants, □ le français parlé dans la vie quotidienne à la campagne,
□ autre
La deuxième question (cf. question 7) cherchait, pour sa part, à vérifier le rôle de
modèle de prononciation des présentateurs de télévision au sein de chacune des
communautés et se rattache donc au même type que les questions proposées par
Bouchard/Maurais (2001, 112) pour le Québec (cf. 2.2.1.5.2). Afin de pouvoir quantifier les résultats et les comparer à ceux des études préalables, les possibilités de
réponses ont été présentées dans ce cas-ci sous forme de choix simple parmi trois
possibilités de réponse illustrant différentes situations de communications. Par
ailleurs, les informateurs avaient la possibilité de formuler librement une autre
réponse si besoin était (réponse autre).
3.3.1.5 Section 5 : attitudes face à la prononciation de chaque région dans une
comparaison avec les prononciations d’autres régions francophones
La dernière section de ce questionnaire touche aux attitudes des informateurs
face aux différences de prestige manifeste et latent de la prononciation de leur
région par rapport à celle d’autres régions.
Question 8 (Suisse romande, Québec) : Quand, à la télévision, vous regardez une publicité
suisse / québécoise utilisant l’accent suisse romand / québécois, vous vous sentez :
Possibilités de réponse : (□ fier □ amusé □ gêné □ agacé □ indifférent)
Question 8 (Paris) : Quand, à la télévision, vous regardez une publicité utilisant un accent régional, vous vous sentez :
Possibilités de réponse : (□ charmé □ amusé □ agacé □ indifférent)
La première question de cette section (cf. question 8), qui est également inspirée
d’une question posée par Singy (1996, 286, question 5),3 visait à mettre en lumière
les attitudes des informateurs face à l’utilisation de la prononciation de leur région
dans des contextes de parole publique. Cette question avait donc pour objectif de
3 Question 5 du questionnaire de Singy : « Quand vous voyez une publicité française qui utilise
l’accent ‹ suisse ›, vous êtes plutôt : ‹ indifférent ›, ‹ gêné ›, ‹ amusé ›, ‹ agacé ›, ‹ furieux › » (1996, 286).
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
95
mettre en lumière une éventuelle insécurité linguistique chez les informateurs des
variétés non dominantes suisse romande et québécoise. Dans le cas de Paris cependant, la question a été inversée afin de mettre en lumière la perspective contraire,
supposée au vu des résultats publiés dans les précédents travaux (cf. 2.1.2.3.2) : celle
de la sécurité linguistique, associée à des qualificatifs liés aux variétés dominantes.
Les possibilités de réponse proposées aux informateurs parisiens ont par conséquent également été adaptées à cette perspective. Notons finalement qu’ici aussi,
les possibilités de réponses ont été préétablies, pour des raisons de quantification.
Le thème de la sécurité/l’insécurité linguistique est abordé également dans
les cinq questions suivantes : les trois premières touchent au rapport qu’entretiennent les informateurs face au prestige de leur prononciation par rapport à
celui d’autres régions francophones et les suivantes à ces différences de prestige à
l’intérieur de chacune des régions. Notons que les formulations de ces questions
sont à nouveau reprises à Singy (1996, 286, questions 11–15).4
Question 9 (Suisse romande, Québec) : Face à un Français ayant la même profession, comment
un Suisse romand / un Québécois se sent-il par rapport à sa façon de prononcer ?
Question 9 (Paris, redoublée) :
– Face à un Suisse ayant la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport à sa
façon de parler ?
– Face à un Québécois ayant la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport à
sa façon de parler ?
Possibilités de réponse (pour toutes les questions) : □ en situation d’égalité, □ en situation
d’infériorité, □ en situation de supériorité
La première des cinq questions (cf. question 9) visait à mettre en lumière la différence de sécurité/d’insécurité linguistique des informateurs « périphériques »
(Suisse romande, Québec) par rapport à celle des informateurs français. La question a été formulée avec l’ajout ayant la même profession afin que les informateurs
ne puissent se référer qu’aux différences de prestige dues à l’origine géographique
des locuteurs et non à leur origine sociale. Notons que dans le cas des Parisiens,
4 Questions 11–13 du questionnaire de Singy (1996, 286) : « Face à un Français ayant la même
profession, un Romand se sent-il par rapport à sa façon de parler : » (11), « Face à un Belge ayant
la même profession, un Romand se sent-il par rapport à sa façon de parler : » (12), « Face à un
Lausannois ayant la même profession, un Payernois se sent-il par rapport à sa façon de parler : »
(13) ; possibilités de réponse (pour les trois questions) : « en situation d’égalité », « d’infériorité »
et « de supériorité ». Question 14 : « À votre avis, le jugement des Belges sur le parler des Vaudois
est : » ; possibilités de réponse : « le même », « plus critique que celui des Français », « moins
critique ». Question 15 : « Le jugement que portent les Lausannois sur le parler des autres Vaudois
est plutôt : » ; possibilités de réponse : « négatif », « positif », « ils ne portent pas de jugement ».
96
3 Méthode
la question a été inversée et redoublée afin de pouvoir confronter les attitudes
qu’ils présentent face aux locuteurs québécois à celles qu’ils présentent face aux
locuteurs suisses romands. J’ai, ici aussi, opté pour une réponse à choix simple
parmi trois possibilités de réponses (en situation d’égalité, en situation d’infériorité, en situation de supériorité).
Question 10 (Suisse romande, Québec) : Face à un Suisse / à un Québécois ayant la même profession, comment un Québécois / un Suisse se sent-il par rapport à sa façon de parler ?
Question 10 (Paris, redoublée) :
– Face à un Tourangeau ayant la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport
à sa façon de parler ?
– Face à un Toulousain ayant la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport
à sa façon de parler ?
Possibilités de réponse (pour toutes les questions) : □ en situation d’égalité, □ en situation
d’infériorité, □ en situation de supériorité
La deuxième de ces cinq questions (cf. question 10) aborde la même thématique,
mais cette fois-ci, dans les cas de la Suisse romande et du Québec, dans le cadre
d’une comparaison non plus avec des locuteurs parisiens, mais avec des locuteurs d’une autre variété « périphérique ». Dans le cas de Paris, la question a été
redoublée afin découvrir les attitudes non seulement face à une variété « périphérique » interne à la France (la variété toulousaine), mais également face à
l’autre variété de prestige française, celle de Tours (cf. 2.1.2.3.2). Notons que les
possibilités de réponse proposées aux informateurs sont les mêmes que pour la
question précédente (en situation d’égalité, en situation d’infériorité, en situation
de supériorité).
Question 11 : À votre avis, le jugement des Suisses / des Québécois sur l’accent des Québécois /
des Suisses est. . . (□. . .le même □ . . .plus critique que celui des Français □ . . .moins critique que
celui des Français)
La troisième des cinq questions (cf. question 11) complète les deux précédentes
en demandant explicitement aux informateurs d’estimer s’ils pensent que des
locuteurs français jugeront leur accent plus négativement que des locuteurs
d’autres « périphéries ». Comme cette question ne touche que les deux variétés
« périphériques », elle n’a pas été utilisée dans le questionnaire parisien. Il s’agit,
ici aussi pour des raisons de quantification, d’une question à choix simple parmi
trois possibilités de réponses.
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
97
Question 12 (Suisse) : Face à un Genevois ayant la même profession, comment un Neuchâtelois
se sent-il par rapport à sa façon de parler ?
Question 13 (Suisse) : Face à un Lausannois ayant la même profession, comment un Neuchâtelois se sent-il par rapport à sa façon de parler ?
Question 12 (Québec) : Face à un Montréalais ayant la même profession, comment un Magnymontois se sent-il par rapport à sa façon de parler ?
Question 13 (Québec) : Face à un Québécois de la ville de Québec ayant la même profession,
comment un Magnymontois se sent-il par rapport à sa façon de parler ?
Possibilités de réponse (pour toutes les questions) :
□ en situation d’égalité, □ en situation d’infériorité, □ en situation de supériorité
Les deux dernières de ces cinq questions (cf. questions 12 et 13) reprennent la thématique des différences de prestige des deux précédentes, mais à l’intérieur des
communautés étudiées. Ces questions n’ont, elles aussi, été posées qu’en Suisse
romande et au Québec, étant donné que la question d’un modèle de référence
interne à une région ne se pose pas réellement dans le cas de Paris. Elle ne se
trouve donc pas dans le questionnaire parisien.
Ainsi, deux villes pouvant jouer un rôle de modèle de référence régional ont
été respectivement prises en compte dans les questionnaires distribués en Suisse
romande (Genève et Lausanne) et au Québec (Montréal et la ville de Québec). Le
choix de ces quatre villes s’explique comme suit : Genève présente un statut supposé
de standard régional en Suisse romande (cf. Pooley 2012 ; Thibault 1998 ; Racine/
Schwab/Detey 2013) et accueille le siège de la télévision de la RTS (Radio Télévision
Suisse). Lausanne revêt une fonction de siège de la radio de cette même RTS, représente démographiquement la deuxième ville de Suisse romande (~ 135.000 habitants, cf. Office fédéral de la statistique 2017) et a déjà été prise en compte par Singy
(1996, 268), ce qui permet une comparaison de ses résultats avec les miens. Pour
ce qui est du Québec, le choix de Montréal et de la ville de Québec se justifie par le
découpage linguistique traditionnel du Québec en deux zones : l’Est, centré autour
de la ville de Québec, et l’Ouest, autour de Montréal (cf. Poirier 1994 ; Verreault/
Lavoie 2004).
Quant aux villes de Neuchâtel et Montmagny, elles ont été prises en compte
en tant que pôles opposés, en raison de leur éloignement géographique des zones
au statut supposé de standard régional (Genève en Suisse, Montréal et Québec
au Québec) et de leur poids démographique beaucoup plus faible que pour les
quatre villes mentionnées plus haut (Neuchâtel : ~ 34.000 habitants, cf. Office
fédéral de la statistique 2017 ; Montmagny : ~ 11.200 habitants, cf. Statistique
Canada 2016). Notons finalement que les possibilités de réponses sont les mêmes
que pour la question 10 (cf. supra) (en situation d’égalité, en situation d’infériorité,
en situation de supériorité).
98
3 Méthode
Question 14 : Selon vous, quel accent de français devrait-on apprendre dans les cours de français
langue étrangère (FLE) donnés en France / en Suisse romande / au Québec ?
Possibilités de réponse (Paris) : □ l’accent parlé dans les médias français, □ l’accent parisien, □
l’accent de Tours, □ aucun accent/accent neutre, □ peu importe, □ autre
Possibilités de réponse (Suisse romande) : □ l’accent genevois, □ l’accent lausannois, □ l’accent suisse romand parlé dans les médias, □ l’accent parisien, □ aucun accent/accent neutre,
□ peu importe, □ autre
Possibilités de réponse (Québec) : □ l’accent québécois de Montréal, □ l’accent québécois de
la Ville de Québec, □ l’accent québécois parlé dans les médias, □ l’accent parisien, □ aucun
accent/accent neutre, □ peu importe, □ autre
La question suivante (cf. question 14) porte sur le modèle de prononciation à
enseigner dans les cours de FLE en immersion en France, en Suisse romande et
au Québec. C’est en effet dans ce domaine que la question d’une norme de référence est particulièrement pertinente. Par ailleurs, les réponses auront tendance
à être différentes dans un cadre d’immersion par rapport au cadre d’apprentissage traditionnel restreint à la classe de langue (cf. entre autres Regan/Howard/
Lemée 2009 ; Mougeon/Nadasdi/Rehner 2010 ; Regan 2013). Pour cette question
également, j’ai opté pour une réponse à choix simple parmi plusieurs possibilités, en prenant en compte des accents pouvant éventuellement jouer un rôle dans
la définition d’un standard régional de chacune des trois régions (cf. supra).
Question 15 (Suisse romande, Québec) : Comment les Parisiens perçoivent-ils la façon de prononcer des Suisses romands / des Québécois ?
Question 16 (Suisse romande, Québec) : Comment les Parisiens perçoivent-ils leur propre façon
de prononcer ?
Les deux questions suivantes (cf. questions 15 et 16) visaient à découvrir explicitement les qualificatifs utilisés par les informateurs « périphériques » suisses
romands et québécois pour décrire leur sentiment d’infériorité linguistique par
rapport aux Parisiens. Afin d’éviter d’influencer les informateurs dans leur choix
de ces qualificatifs, les questions sont ouvertes et sans possibilités de réponse
préétablies, la catégorisation des données s’étant faite a posteriori.
Notons que, tout comme dans le cas des questions 11, 12 et 13, la présente
question n’a été posée qu’en Suisse romande et au Québec, étant donné qu’elle
porte sur le sentiment d’insécurité linguistique des locuteurs « périphériques ».
Question 17 : Lequel des accents suivants est selon vous. . .
Possibilités de réponse : □ le plus beau, □ le plus laid, □ le plus sympathique, □ le moins
sympathique, □ le plus sérieux, □ le plus ridicule, □ le plus raffiné, □ le moins raffiné, □ le plus
correct, □ le moins correct
Accents pris en compte (Paris) : parisien, méridional, tourangeau, suisse, belge, africain, québécois
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
99
Accents pris en compte (Suisse romande) : parisien, méridional, québécois, belge, africain, genevois, lausannois
Accents pris en compte (Québec) : parisien, méridional, suisse, belge, africain, acadien, québécois de Montréal, québécois de Québec
Finalement, des qualificatifs préétablis faisant référence aux axes de la pleasantness et de la correctness de Preston (1999b, xxxiv) (cf. 2.1.2.3.2) ont été combinés dans une dernière question (cf. question 17) portant sur les attitudes des
informateurs de chacune des trois régions face à différents accents. Lequel des
accents suivants est selon vous. . . (possibilités de réponse : le plus beau – le plus
laid, le plus sympathique – le moins sympathique pour l’axe de la pleasantness ; le
plus sérieux – le plus ridicule, le plus raffiné – le moins raffiné, le plus correct – le
moins correct pour l’axe de la correctness). Notons que les formulations de ces
qualificatifs sont en partie inspirées de l’étude de Pustka (2010, 137). Les accents
pris en compte incluent, pour la Suisse romande et le Québec, l’accent exogène
considéré traditionnellement comme modèle de référence (parisien) et de potentiels modèles de prononciation internes à chacune de ces deux régions « périphériques » (accent québécois de Montréal et de Québec pour le Québec, accent
genevois et lausannois pour la Suisse romande).
Notons que dans le cas du Québec, le choix des villes de Montréal et de Québec
s’explique par le fait qu’il s’agit des deux principaux accents associés au Québec
« urbain » et perçus positivement en termes normatifs dans l’étude de Remysen
(2016b, 52–53). Ce choix a également permis d’étudier les différences de représentations des prononciations des deux grandes régions québécoises établies par
Lavoie (1994), Bergeron (1995) et Verreault/Lavoie (2004) : la région de l’Est, qui
est centrée autour de la ville de Québec, et celle de l’Ouest, centrée autour de la
ville de Montréal. Dans le questionnaire destiné aux informateurs parisiens, ces
différenciations internes à la Suisse et au Québec n’ont pas été faites, mais l’accent tourangeau a été ajouté en raison de son statut traditionnel de prononciation
de prestige en France, à côté de celui de Paris (cf. 2.2.1.1).
3.3.1.6 Informations sociodémographiques
Dans un dernier temps, les informateurs ont été conviés à faire état d’une série
de données sociodémographiques. Comme il s’agit d’une des parties délicates de
tout questionnaire, elle a été, selon la règle évoquée par Hippler/Seidel (1985, 43),
placée à la fin du questionnaire. Les informations récoltées comprennent non seulement les données sociodémographiques comprises traditionnellement dans de
nombreuses études en sciences sociales (sexe, âge, lieu de naissance, domicile
actuel et nombre d’années durant lesquelles les informateurs y ont vécu, niveau
100
3 Méthode
d’éducation, profession), mais également des informations nécessaires à l’interprétation des résultats touchant aux attitudes des informateurs suisses romands
et québécois par rapport à la prononciation parisienne (éventuels séjours prolongés en France, stations de radio et chaînes de télévision – régionales et/ou françaises – écoutées et regardées par les informateurs québécois et suisses romands).
Notons qu’en ce qui concerne le niveau d’éducation, le questionnaire a été adapté
au système éducatif de chacune des régions (cf. annexes 1–3, section Questions sur
l’informateur).
Figure 3 : Questions sur l’informateur du questionnaire distribué au Québec (à titre d’exemple).
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
101
3.3.2 Sélection et recrutement des informateurs
Dans de nombreuses études sociolinguistiques similaires à la présente enquête,
la sélection d’informateurs se restreint à un échantillon spécifique de la population dans le cadre d’un échantillonnage dirigé. Cette méthode non probabiliste
présente en effet l’avantage considérable de permettre de réunir un nombre élevé
d’informateurs en peu de temps et de considérer l’enquête comme valable pour ce
groupe d’auditeurs en particulier, étant donnée la concentration d’informateurs
présentant un profil sociodémographique homogène (cf. Semaan 2010, 64). La
méthode n’est cependant pas adéquate pour atteindre une certaine représentativité d’une communauté linguistique. L’autre pôle est celui de l’échantillonnage
aléatoire, une méthode probabiliste qui permet d’obtenir la meilleure représentativité parmi les méthodes d’échantillonnage, mais qui ne peut être utilisée
que dans le cadre d’enquêtes de grande envergure en raison du vaste échantillon nécessaire pour obtenir une certaine représentativité des différents groupes
sociodémographiques (cf. Beaud 2010, 269–279).
Étant donné que la présente étude visait à obtenir des résultats les plus
généralisables possible (cf. 3.2) sans pour autant disposer des ressources nécessaires pour obtenir une base de sondage suffisante à l’utilisation de l’échantillonnage aléatoire, les informateurs ont été choisis selon une méthode se situant
entre les échantillonnages dirigés d’un groupe spécifique et les échantillonnages
aléatoires : il s’agit de l’échantillonnage par quotas (cf. Beaud 2010, 267–269 ;
cf. également Noelle 1963 ; Koolwijk 1974 ; Böltken 1976). Ce type d’échantillonnage s’effectue selon un nombre précis (un quota) et défini au préalable d’informateurs à atteindre pour des sous-populations, dans le but de pouvoir effectuer
une estimation relativement fiable des résultats pour la population définie sur
la base d’un nombre relativement restreint d’informateurs. Notons que cette
méthode est courante dans le domaine des sciences sociales (cf. Koolwijk
1974, 81–99 ; Matalon 1988, 81), mais qu’elle est également controversée (cf.
Weischer 2004, 140–141 ; Beaud 2010, 268–269) : puisque ce type d’échantillonnage est non probabiliste, c’est-à-dire que l’enquêteur a la possibilité de choisir
ses informateurs lui-même avec la seule restriction d’obtenir des informateurs
aux profils prédéfinis, le « tirage se fait accidentellement et non aléatoirement »
(Beaud 2010, 268) à l’intérieur de chaque sous-groupe sociodémographique.
Ainsi, cette méthode peut mener à des distorsions des résultats, de nombreux
facteurs pouvant influencer les résultats : l’endroit ou le moment choisi dans
la journée pourront par exemple favoriser certains profils d’enquêtés au détriment d’autres (cf. Beaud 2010, 269). Au sens strict du terme, cette méthode ne
peut donc pas être considérée comme représentative et elle est principalement
justifiable en invoquant des raisons pratiques : lorsque le chercheur peut s’at-
102
3 Méthode
tendre à un taux de réponses relativement faible, lorsque la population étudiée
présente une répartition de profils sociodémographiques très déséquilibrée (cf.
Diekmann 62012, 393–394) ou encore lorsque les ressources à disposition exigent
une certaine économie de travail (cf. Postlep 2010, 99). Malgré les inconvénients
évoqués, soulignons que l’on peut tout de même « accorder une assez grande
confiance aux enquêtes par quotas » (cf. Ardilly 22006, 220), étant donné que
des études comparatives ont pu montrer une équivalence entre les performances
des échantillonnages par quotas et celles des échantillonnages aléatoires lorsque
les échantillons sont de petite taille (cf. Desabie 1966, 44 ; Ardilly 22006, 140),
comme dans la présente étude.
Ainsi, l’échantillonnage s’est fait sur la base de quatre variables sociodémographiques : le sexe, l’âge, le niveau d’éducation et l’origine géographique des
informateurs (cf. tableau 11). Les trois premières variables (sexe, âge et niveau
d’éducation) ont été réparties de la façon suivante : la parité entre femmes (50%)
et hommes (50%) a été respectée, la variable de l’âge a été répartie en trois catégories (20–39 ans, 40–59 ans, 60 ans et plus) et celle du niveau d’éducation en deux
Tableau 11 : Choix des informateurs par point d’enquête selon leur sexe, leur âge et leur niveau
d’éducation.
Sexe
Femmes
Âge
12
20–39
40–59
Hommes
12
4
4
60+
4
20–39
4
40–59
60+
Total
Niveau d’éducation
4
4
Diplôme universitaire et diplôme de fin d’études secondaires
2
Diplôme inférieur ou aucun diplôme
2
Diplôme universitaire et diplôme de fin d’études secondaires
2
Diplôme inférieur ou aucun diplôme
2
Diplôme universitaire et diplôme de fin d’études secondaires
2
Diplôme inférieur ou aucun diplôme
2
Diplôme universitaire et diplôme de fin d’études secondaires
2
Diplôme inférieur ou aucun diplôme
2
Diplôme universitaire et diplôme de fin d’études secondaires
2
Diplôme inférieur ou aucun diplôme
2
Diplôme universitaire et diplôme de fin d’études secondaires
2
Diplôme inférieur ou aucun diplôme
2
24
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
103
catégories (diplôme universitaire et diplôme de fin d’études secondaires selon la
Classification Internationale Type de l’Éducation (CITE)5 vs. diplôme inférieur ou
aucun diplôme). Notons que la répartition de ces niveaux d’éducation est bien
entendu différente d’une région à l’autre : pour la France, le diplôme d’études
secondaires pré-universitaires correspond au Baccalauréat, pour la Suisse à la
Maturité et pour le Québec au Diplôme d’études collégiales (DEC) des programmes
d’études pré-universitaires. Compte tenu de cette catégorisation et de l’objectif
fixé d’un minimum de deux informateurs par sous-groupe sociodémographique
(colonne de droite), le nombre d’informateurs s’élève à 24 par point d’enquête,
donc 96 par région :
Le tableau 11 se lit de gauche à droite : chaque point d’enquête réunit 12
femmes et 12 hommes, ces deux catégories réunissant respectivement 4 informateurs de 20 à 39 ans, quatre informateurs de 40 à 59 ans et quatre informateurs de
60 ans et plus, ces quatre informateurs étant respectivement eux-mêmes répartis
en deux niveaux d’éducation.
En ce qui concerne la variable de l’origine géographique des informateurs,
quatre points d’enquête ont été retenus respectivement dans chacune des trois
régions (Paris, Suisse romande, Québec).
Paris
Dans le cas de Paris, la répartition s’est faite principalement à travers une combinaison de deux critères : les couches sociales (favorisées et défavorisées) et la
différence entre Paris intra-muros et extra-muros. Ainsi, le choix de points d’enquête s’est porté sur le 16ème arrondissement (intra-muros, couches sociales plutôt
favorisées), Neuilly-sur-Seine (extra-muros, couches sociales plutôt favorisées),
le 19ème arrondissement (intra-muros, couches sociales plutôt défavorisées) et
la Courneuve (extra-muros, couches sociales plutôt défavorisées) (cf. figure 4).
Cette répartition correspond également aux auto-représentations que donnent
les Parisiens de leurs différents accents (cf. Pustka 2008, 244–245 ; cf. également
chapitre 2.3.2), avec l’accent dit « snob » de la haute bourgeoisie du 16ème arrondissement et de Neuilly-sur-Seine, l’accent dit « parigot » de la classe ouvrière des
quartiers de Belleville et Ménilmontant (représenté par le 19ème arrondissement)
et l’accent dit « de banlieue » des personnes issues de l’immigration habitant
dans les banlieues (représenté par la Courneuve).
5 Il s’agit de la classification des systèmes éducatifs de référence de l’UNESCO (cf. Institut de
statistique de l’UNESCO 2011).
104
3 Méthode
Figure 4 : Quatre points d’enquête retenus à Paris.
Suisse romande
Pour la Suisse romande, le choix des points d’enquête s’est fait sur la base de
la répartition linguistique traditionnelle de cet espace en cantons, même si
cette répartition ne correspond pas forcément à la réalité linguistique, le français parlé en Suisse romande étant hétérogène (cf. Andreassen/Maître/Racine
2010, 216) : ses particularismes s’étendent en effet sur une partie plus ou moins
étendue du territoire (local, cantonal, supra-cantonal, etc.), débordent ou non
des frontières politiques et se retrouvent ou non dans d’autres régions francophones (limitrophes ou non) (cf. Knecht 1979, 254–255 ; Kristol 1994, 239–241 ;
Thibault 2000, 81–82 ; Andreassen/Maître/Racine 2010, 216). Ainsi, parmi les
sept cantons formant la Suisse romande (quatre cantons officiellement unilingues : Genève, Jura, Neuchâtel, Vaud ; trois cantons officiellement bilingues :
Berne, Fribourg, Valais), le choix s’est porté sur les cantons de Genève et de
Neuchâtel. Le choix du canton de Genève s’explique par son statut supposé de
standard régional en Suisse romande (cf. Racine/Schwab/Detey 2013) et par sa
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
105
fonction de siège de la télévision de la Radio Télévision Suisse (RTS). Le canton
de Neuchâtel a, pour sa part, été choisi en tant que canton unilingue formant
un contraste avec celui de Genève, étant données sa localisation dans l’Est de
la Suisse romande et ses frontières communes avec la Suisse alémanique. Afin
de pouvoir étudier les disparités entre les villes et les zones rurales, le choix des
points d’enquête s’est porté à l’intérieur de chacun des cantons sur une ville et
une commune plus rurale (d’un point de vue démographique, cf. Office fédéral
de la statistique 2017) : la ville de Genève (~ 200.000 habitants) et la commune
de Veyrier (~ 11.500 habitants) dans le canton de Genève, la ville de Neuchâtel (~ 34.000 habitants) et la commune de Boudry (~ 6.000 habitants) dans le
canton de Neuchâtel (cf. figure 5).
Figure 5 : Quatre points d’enquête retenus en Suisse romande.
Québec
Pour le Québec, c’est la séparation effectuée traditionnellement en dialectologie
en deux grandes zones dialectales qui est à la base du choix des points d’enquête, avec l’Est du Québec centré autour de la ville de Québec et l’Ouest de la
province centré autour de Montréal (cf. Verreault/Lavoie 2004 ; Poirier 1994), la
zone du centre autour de Trois-Rivières ayant un statut ambigu et étant considérée comme une aire de transition (cf. Lavoie/Verreault 1999). Sur cette base
dialectologique, le choix des points d’enquête s’est porté sur une grande ville
106
3 Méthode
et une petite ville rurale (à nouveau d’un point de vue démographique, cf. Statistique Canada 2016) dans chaque zone : la ville de Montréal (~ 1,70 millions
d’habitants) et celle de Lachute (~ 12.800 habitants) dans la zone ouest, la ville
de Québec (~ 531.000 habitants) et celle de Montmagny (~ 11.200 habitants) dans
la zone est (cf. figure 6).
Figure 6 : Quatre points d’enquête retenus au Québec.
Ainsi, les questionnaires de 24 informateurs aux profils présentés dans le tableau 11
ont été retenus pour chacun de ces 12 points d’enquête (4 par région) : ceci correspond à 96 informateurs dans chacune des trois régions et à 288 informateurs
au total. Ces informateurs devaient avoir vécu la majeure partie des dix dernières
années – selon le cas présenté plus haut – dans le quartier, la commune, la ville
ou l’agglomération urbaine en question et avoir au minimum un parent (père et/
ou mère) ayant vécu la plus grande partie de son enfance dans cet endroit. Tous
les auditeurs n’entrant pas dans ces critères ont ainsi été exclus du traitement des
données.
3.3 Représentations et attitudes : questionnaires
107
Quant au recrutement concret des informateurs (Paris : septembre-octobre
2015 ; Suisse romande : juillet-août 2015 ; Québec : mars-avril 2015),6 il s’est fait
sur la base de la méthode d’échantillonnage par quotas utilisée par Postlep (2010,
99) : dans un premier temps, la sélection des informateurs s’est faite de façon
aléatoire et rapide, principalement dans les universités et les bibliothèques, dans
les cafés et les bars ainsi que directement dans les rues. Une fois plusieurs quotas
remplis ou lors de l’apparition d’un excédent de certains profils, la recherche
s’est faite de façon ciblée, afin de pouvoir trouver des informateurs présentant
les profils manquants et remplir également ces quotas. Après avoir été recrutés,
les informateurs ont reçu de ma part une brève introduction destinée à leur expliquer la tâche à accomplir et son contexte, avant de procéder au remplissage du
questionnaire écrit, une tâche qui a pris entre 20 et 30 minutes par informateur.
3.3.3 Protocole d’analyse
En préparation aux analyses statistiques des données des questionnaires, ces
données ont tout d’abord été transférées manuellement dans une banque de
données structurée à l’aide du logiciel Excel. Notons que les réponses ouvertes ont
été catégorisées et quantifiées auparavant de façon manuelle et que la première
question de chaque questionnaire (Quels accents de français connaissez-vous
dans le monde ?) n’a pas été exploitée dans l’analyse des données, étant donné
qu’il s’agissait d’une question d’introduction sans véritable valeur substantielle
pour le sujet de recherche du présent ouvrage.
Les analyses statistiques ont ensuite été effectuées à l’aide du logiciel libre R.
Chaque question a été soumise à une analyse de régression logistique afin de
mesurer la signification statistique des résultats et de mettre en lumière les facteurs externes ayant influencé ces résultats. Pour chacune des questions, les
possibilités de réponse ont été utilisées en tant que variable dépendante et les
données sociodémographiques (sexe des locuteurs, âge, points d’enquête, niveau
d’éducation, consommation régulière de médias audiovisuels français) en tant
6 Notons que le recrutement des informateurs à Paris s’est fait lors d’un séjour de recherche à
l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense financé entre autres par le programme ERASMUS +
de mobilité d’enseignants en Europe. Le recrutement réalisé en Suisse été accompli à l’occasion
d’un séjour de recherche à l’École de langue et de civilisation françaises de l’Université de Genève
et avec le soutien financier de la Philologisch-Kulturwissenschaftliche Fakultät de l’Université de
Vienne. Finalement, le séjour au Québec s’est déroulé dans le cadre d’un stage de recherche à
l’Université Laval financé à l’aide d’une bourse de recherche de l’Université de Vienne (Kurzfristiges
wissenschaftliches Auslandsstipendium).
108
3 Méthode
que variables indépendantes. Notons ce faisant que les catégories de réponses ne
présentant que trois occurrences ou moins ont été systématiquement supprimées
des données brutes avant l’application des modèles de régression, car certains
d’entre eux requièrent un nombre minimum d’observations.
Selon le type de variable dépendante (binaire, qualitative à trois modalités
ou plus, qualitative à trois modalités ou plus et ordonnée hiérarchiquement), un
modèle de régression logistique différent a été appliqué aux données. Signalons
que dans plusieurs cas, le modèle de régression qui avait été prévu initialement par
le type de question a dû être remplacé par un autre modèle en raison du nombre
trop faible de réponses dans une ou plusieurs des catégories (p. ex. dans le cas de
la question 9 pour la Suisse romande, où le modèle de régression binomiale a été
finalement substitué à la régression logistique ordinale prévue, étant donné que
deux catégories ont été supprimées en raison du trop faible nombre de réponses :
– Dans le cas d’une variable dépendante binaire (c’est-à-dire de type « oui » ou
« non » ; questions 3.2 dans le cas de Paris ; questions 3.1, 4.1, 6.1 et 9 dans
le cas de la Suisse romande ; questions 3.1, 4.1, 6.1, 9 et 10 dans le cas du
Québec ; cf. annexes 1–3), une régression logistique binomiale a été appliquée aux données. Il s’agit, sous R, d’un modèle linéaire généralisé glm avec
réponse binomiale et lien logit.
– Dans le cas d’une variable dépendante qualitative à trois modalités ou plus
non ordonnée hiérarchiquement (questions 2, 3.1, 5, 6.1, 7, 8, 9.1, 9.2, 10.2,
14, 17 dans le cas de Paris ; questions 2, 3.2, 5, 7, 8, 12, 14, 17 dans le cas de
la Suisse romande ; questions 2, 3.2, 5, 7, 8, 14, 17 dans le cas du Québec, cf.
annexe 1–3), c’est une régression logistique multinomiale qui a été appliquée
aux données. Pour ce faire, j’ai utilisé la fonction multinom de l’extension
nnet sous R.
– Dans le cas d’une variable dépendante à trois modalités ou plus ordonnée
hiérarchiquement (questions 10.1 dans le cas de Paris ; questions 10, 11, 13
dans le cas de la Suisse romande ; questions 11, 12, 13 dans le cas du Québec,
cf. annexes 1–3), le choix s’est porté sur un modèle de régression logistique
ordinale. À cet effet, j’ai utilisé la fonction polr de l’extension MASS sour R.
3.4 Productions : analyse de voyelles produites
par des locuteurs-modèles
La deuxième méthode utilisée dans le présent ouvrage concerne les productions.
Il s’agit d’une analyse de voyelles orales et nasales produites par des locuteursmodèles m’ayant permis de dégager les principales voyelles appartenant potentiellement aux trois normes étudiées. La présentation de cette méthode sera divisée en
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
109
deux parties : dans un premier temps, je présenterai la collecte des données (cf. 3.4.1)
et, dans un deuxième temps, les analyses des voyelles orales et nasales (cf. 3.4.2).
3.4.1 Collecte des données
La présentation de la collecte des données de production des locuteurs-modèles,
à laquelle j’ai procédé en 2014 (octobre-novembre 2014 : Suisse romande) et 2015
(mars-avril 2015 : Québec, septembre 2015 : Paris), se fera en deux temps : j’aborderai, premièrement, les questions de la sélection et du recrutement des locuteursmodèles (cf. 3.4.1.1) et présenterai, par la suite, la question des enregistrements
effectués avec ces locuteurs et du contenu de ces enregistrements (cf. 3.4.1.2).
3.4.1.1 Sélection et recrutement des locuteurs-modèles
Comme mentionné dans l’état de l’art, le présent ouvrage propose une approche
de la norme de prononciation sur la base des productions de locuteurs-modèles
(cf. Maurais 1985, 71 ; Léon 1994, 404 ; Reinke 2004, 14–17), des professionnels
de la parole – en général des présentateurs de journaux radiophoniques ou télévisés – servant de modèle à leur (sous-)communauté linguistique. Notons qu’il
faut cependant nuancer ce terme de présentateurs de journaux télévisés : si, il y a
quelques décennies, de nombreuses chaînes de télévision engageaient des annonceurs (également appelés speakers en France et en Suisse romande) chargés de
lire le texte des informations à l’antenne sans en avoir préparé le contenu, les différences entre présentateurs, journalistes et reporters se sont quasiment estompées dans les trois régions étudiées. Ainsi, les employés des chaînes publiques
de ces trois régions sont formés dans chacun de ces domaines et écrivent en règle
générale eux-mêmes les textes qu’ils présentent. Il est donc préférable d’utiliser
le terme de journalistes-présentateurs et non de présentateurs (cf. Chalier 2020a,
96 ; cf. également Pustka/Chalier/Jansen 2017, 105–106 ; Chalier 2019, 428).
Soulignons, par ailleurs, que la formation des journalistes-présentateurs dans
le domaine de la prononciation se limite en règle générale à la pose de voix, les
questions d’accent n’étant que rarement abordées (cf. corpus Chalier 2015 ; cf. également Pustka/Chalier/Jansen 2017, 105–106 ; Chalier 2019, 428 ; Chalier 2020a, 96).
L’usage linguistique homogène observable à l’antenne des stations de radio et des
chaînes de télévision des trois régions analysées est en général expliqué par ces
locuteurs par ce qu’ils nomment le « mimétisme », c’est-à-dire l’accommodation
linguistique entre les différents journalistes-présentateurs de ces médias audiovisuels (cf. Pustka/Chalier/Jansen 2017, 105). De nombreux autres exemples peuvent
être trouvés dans les entretiens guidés du corpus (cf. 3.4.1.2), dont les suivants :
110
3 Méthode
« M6 a impulsé [. . .] aussi une tonalité très particulière, et ensuite, ça se reporte sur les
autres chaînes, et [. . .] tout le monde fait un peu la même chose. C’est le phénomène [. . .]
d’identification, c’est le mimétisme aussi [. . .] » (locuteur cqTbs1).
« [. . .] et puis vraiment, ou ils ont fait du mimétisme par rapport aux gens qui sont à l’antenne, ou on les fait travailler, travailler, travailler à l’antenne » (locuteur cqTsb1).
« [. . .] et puis je pense qu’après, il y a une espèce de [. . .] mimétisme [. . .] » (locuteur cmTad1).
(Corpus Chalier 2015)
Notons que l’étiquetage de ces locuteurs (cqTbs1, cqTsb1, cmTad1) ainsi que de
tous les locuteurs du corpus (cf. tableaux 12, 13 et 14) suit les conventions du
protocole du programme Phonologie du Français Contemporain PFC (cf. Durand/
Laks/Lyche 2002 ; 2009 ; Detey et al. 2016), mais les modifie sur deux points :
le type de média dans lequel travaillent les locuteurs (radio ou télévision) a été
ajouté et l’indice du point d’enquête (position 4 dans le protocole PFC) supprimé.
Ainsi, dans le présent corpus, la première lettre indique le pays dans lequel a
été effectué l’enregistrement (f pour France, s pour Suisse et c pour Canada), la
deuxième est l’initiale de la ville (p pour Paris, l pour Lausanne, g pour Genève,
q pour Québec, m pour Montréal et o pour Ottawa) et la troisième (en majuscule)
précise le type de média (R pour radio et T pour télévision). Suivent ensuite les initiales des témoins en positions 5 et 6 ainsi qu’un chiffre en position 7 permettant
de distinguer les locuteurs présentant les mêmes initiales.
La sélection de ces journalistes-présentateurs s’est faite sur la base de
plusieurs critères sociodémographiques : le premier de ces critères était bien
entendu leur fonction de journalistes-présentateurs au sein d’une des stations
de radio ou chaînes de télévision de leur région. Il s’agit dans la grande majorité des cas de chaînes publiques, mis à part deux journalistes-présentateurs de
radio de Paris, qui travaillent l’un et l’autre pour une station privée (BFM Radio,
Europe 1 ; cf. tableau 12). Par ailleurs, étant donné que la recherche sur le modèle
de prononciation des professionnels de la parole fait état aussi bien d’un modèle
des locuteurs de la radio (cf. Léon 1966 ; 1968) que de ceux de la télévision (cf.
Cajolet-Laganière/Martel 1995 ; Bouchard/Maurais 2001) (cf. 2.2.1.3), j’ai veillé
à une répartition égale des journalistes-présentateurs dans chacun des média
(radio et de télévision). Ainsi, 10 journalistes-présentateurs de télévision et 10
journalistes-présentateurs de radio ont été pris en compte dans chacun des trois
sous-corpus, pour un total de 60 informateurs. En outre, étant donné que chacune
des chaînes présente un certain pourcentage de journalistes-présentateurs originaires d’une autre communauté francophone, et de manière similaire au choix
des informateurs ayant répondu au questionnaire écrit (cf. 3.3.2), le choix de ces
locuteurs s’est porté uniquement sur les locuteurs natifs de chacune des régions.
Ainsi, les journalistes-présentateurs recrutés, de même qu’un de leurs parents
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
111
(mère et/ou père) au moins, devaient avoir vécu la majeure partie de leur enfance
respectivement en France septentrionale, en Suisse romande ou au Québec, tous
les locuteurs ne répondant pas à ces critères ayant été exclus du traitement des
données. Finalement, j’ai veillé dans chaque sous-corpus à une répartition égale
des sexes (dans l’idéal 50% de femmes et 50% d’hommes), qui n’a pas cependant pas toujours pu être respectée en raison du faible nombre de journalistesprésentateurs disponibles dans chaque région et du déséquilibre entre les sexes
encore présent dans cette profession (cf. tableaux 12, 13 et 14).
Paris
À Paris, le recrutement s’est fait, pour la radio, au sein de plusieurs des stations
publiques de Radio France (France Inter, France Info et France Culture) et, dans le
cas de deux locuteurs, dans deux stations privées (BFM Radio et Europe 1). Pour
la télévision, le recrutement a été effectué auprès des chaînes publiques France 2,
France 3 Paris Île-de-France et TV5 Monde (cf. tableau 12).
Tableau 12 : Journalistes-présentateurs recrutés à Paris.
Locuteur
Média
Chaîne
Sexe
fpRrl1
Radio
France Inter
Homme
fpRom1
BFM Radio
Homme
fpRsp1
France Inter
Homme
fpRjo1
France Info
Homme
fpRmp1
France Inter
Homme
fpRbd1
France Info, France culture, France Inter
Homme
fpRff1
Europe 1
Homme
fpRaa1
France Inter
Femme
fpRms1
France Info
Femme
France Inter
Femme
France 3 Paris Île-de-France
Homme
fpTav1
France 2
Homme
fpTyk1
TV5 Monde
Homme
fpTdd1
TV5 Monde
Homme
fpTaf1
TV5 Monde
Homme
fpTim1
TV5 Monde
Femme
fpTms1
France 2
Femme
fpTim2
TV5 Monde
Femme
fpTmt1
France 3 Paris Ile-de-France
Femme
fpTmb1
France 2
Femme
fpRml1
fpTjc1
Télévision
112
3 Méthode
Suisse romande
En Suisse romande, le recrutement s’est fait aussi bien pour la télévision que pour
la radio au sein de la Radio Télévision Suisse (RTS), une unité d’entreprise de la
Société suisse de radiodiffusion et télévision : les journalistes-présentateurs de radio
ont été recrutés dans la division des stations de radio de la RTS, qui a son siège à
Lausanne, alors que les journalistes-présentateurs de télévision ont été recrutés,
pour leur part, au sein de la division des chaînes de télévision de la RTS, qui a son
siège à Genève. En ce qui concerne la radio, tous les journalistes-présentateurs
travaillaient au moment des enregistrements pour la principale station publique
RTS La Première. Pour ce qui est de la télévision, les journalistes-présentateurs
travaillaient tous pour la RTS un et la RTS deux (cf. tableau 13).
Tableau 13 : Journalistes-présentateurs recrutés en Suisse romande.
Locuteur
Ville
Média
Chaîne
Sexe
slRsd1
Lausanne
Radio
RTS La Première
Homme
slRtc1
Homme
slRjb1
Homme
slRsm1
Homme
slReg1
Homme
slRad1
Homme
slRcm1
Femme
slRhk1
Femme
slRas1
Femme
slRlg1
sgTml1
Femme
Genève
Télévision
RTS un, RTS deux
Homme
sgTlm1
Homme
sgTba1
Homme
sgTeb1
Homme
sgTdr1
Homme
sgTmp1
Femme
sgTmm1
Femme
sgTim1
Femme
sgTrj1
Femme
sgTfd17
Femme
7 Précisons qu’en raison d’un manque de données comparables, la dernière locutrice du sous-corpus
suisse est une journaliste-présentatrice ayant travaillé aussi bien pour la division des stations de
radio que pour celle des chaînes de télévision de la RTS, mais spécialisée dans le domaine de la radio.
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
113
Québec
Au Québec, finalement, suivant les résultats de Gendron (1990), Cajolet-Laganière/
Martel (1995), Cox (1998), Martel (2001) et Corbeil (2007) montrant que le modèle
de prononciation québécois semble se trouver dans l’usage des journalistesprésentateurs des journaux télévisés de la Société Radio-Canada (cf. 2.2.1.5.2),
tous les locuteurs ont été recrutés au sein des chaînes de Radio-Canada : les
journalistes-présentateurs de radio contactés sont en poste dans les antennes de la
station de Radio-Canada ICI Radio-Canada Première à Montréal et à Québec, alors
que les journalistes-présentateurs de télévision ont, pour leur part, été recrutés au
sein des antennes de Montréal, de la ville de Québec et (pour une locutrice) d’Ottawa du réseau de télévision publique ICI Radio-Canada Télé. Notons que Montréal est le siège d’ICI Radio-Canada Première et d’ICI Radio-Canada Télé, alors que
les autres antennes (dont Québec et Ottawa) sont considérées comme régionales
(cf. tableau 14).
Tableau 14 : Journalistes-présentateurs recrutés au Québec.
Locuteur
Ville
Média
Chaîne
Sexe
cqRgl1
Québec
Radio
Homme
cqRpa1
Québec
ICI Radio-Canada
Première
cqRcb1
Québec
Homme
cmRfb1
Montréal
Homme
cmRbl1
Montréal
Homme
cqRcl1
Québec
Femme
cqRsb1
Québec
Femme
cmRjp1
Montréal
Femme
cmRgl1
Montréal
Femme
coRmg1
Ottawa
cqTbs1
Québec
cqTsb1
Québec
Homme
cmTjc1
Montréal
Homme
cmTfc1
Montréal
Homme
cmTmm1
Montréal
Homme
cmTad1
Montréal
Homme
cmTvm1
Montréal
Homme
cmTga1
Montréal
Femme
cmTcb1
Montréal
Femme
cmTfb1
Montréal
Femme
Homme
Femme
Télévision
ICI Radio-Canada Télé
Homme
114
3 Méthode
3.4.1.2 Enregistrements des productions des locuteurs-modèles
Le protocole d’enregistrement des locuteurs-modèles est une version modifiée
du protocole du programme Phonologie du Français Contemporain PFC (cf.
Durand/Laks/Lyche 2002 ; 2009 ; Detey et al. 2016). Trois des quatre situations
de communication prévues par le protocole PFC ont été prises en compte lors
des enregistrements : une modalité ouverte de la parole spontanée (un entretien
guidé) et deux modalités fermées (un texte lu et une liste de mots). Notons que
la liste de mots a été complétée par une liste supplémentaire propre au projet,
cf. infra).
L’entretien guidé effectué avec les locuteurs-modèles a duré de 15 à 30
minutes. Il a été structuré selon deux axes thématiques : dans un premier temps,
les locuteurs étaient invités à aborder leur formation (cursus universitaire,
études de journalisme) et leur cursus professionnel en tant que journalistes
(expériences professionnelles à l’étranger, notamment en France). Une question
portait également sur leur éventuelle formation en prononciation suivie durant
ce cursus (cours d’orthophonie avec éventuelles corrections de la prononciation, conditions préalables au travail en tant que présentateur des informations,
rôle de l’accent dans la formation des présentateurs). Dans un deuxième temps,
l’entretien portait – de manière parallèle aux questionnaires écrits (cf. 3.3) – sur
leurs auto-représentations de la prononciation de leur région ainsi que sur leurs
hétéro-représentations de la norme de prononciation traditionnelle et des autres
prononciations francophones. Ce faisant, la structure des questionnaires écrits a
été reprise, avec des sections thématiques touchant aux hétéro-représentations
des accents de la francophonie et aux auto-représentations de la prononciation
de la région d’origine des locuteurs et des différences de prononciation à l’intérieur de cette région. Afin de prendre en compte le degré de loquacité des enquêtés, le protocole de l’entretien été structuré sur la base de questions posées à tous
les informateurs et de questions facultatives complémentaires (cf. annexes 4–6).
Le texte lu, pour sa part, est tiré du corpus PFC (398 mots, comptage Word). Il a
été complété par l’ajout de 111 mots (comptage Word) développé initialement pour
les enquêtes PFC suisses et belges (cf. Andreassen/Maître/Racine 2010 ; Andreassen/
Racine 2012), pour un total de 510 mots et une durée moyenne de 3 minutes par
locuteur (cf. annexe 7). Il s’agit donc ici d’une situation de communication d’écrit
oralisé, c’est-à-dire, selon le modèle de Koch/Oesterreicher (22011), d’un écrit médial
(graphie) et conceptionnel (distance communicative) transféré dans le médium phonique. Selon l’effet Buben (cf. Buben 1935), ou spelling pronunciation en anglais,
une influence de la graphie sur la prononciation des journalistes devrait donc être
observable, de manière similaire à la situation de lecture des informations sur un
prompteur et des voix off à partir d’un texte dont les journalistes-présentateurs ont
l’habitude. Notons que, contrairement à l’étude de Pustka/Chalier/Jansen (2017, 106),
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
115
je n’ai pas pris en compte les présentations concrètes de journaux télévisés (ou voix
off) de ces mêmes présentateurs dans les médias (radio et télévision), étant donné
que pour les analyses acoustiques et les tests de perception, il était nécessaire de
disposer de données les plus comparables possible.
La dernière tâche effectuée par les journalistes-présentateurs était une
lecture de deux listes de mots. La première (cf. annexe 8), tirée du projet PFC et
comptant 94 mots, a initialement été conçue par les responsables du programme
PFC pour tester l’existence ou l’absence de toute une série de traits de prononciation du français (cf. entre autres Durand/Laks/Lyche 2002 ; 2009 ; Detey et al.
2016). Elle se prête bien à l’étude d’oppositions phonologiques et phonétiques
de voyelles orales et nasales, car elle contient plusieurs paires minimales réparties dans un ordre aléatoire parmi les 84 premiers mots, alors que les 10 derniers
mots présentent cinq paires minimales explicites, les deux mots de chaque paire
minimale étant lus directement l’un après l’autre (p. ex. patte ~ pâte, brin ~ brun).
De manière complémentaire, une deuxième liste de mots (cf. « liste de mots complémentaire », annexe 9) a été mise en place afin de pouvoir tester les traits de
potentielles normes suisse romande et québécoise présentés dans les tableaux 7
et 8 ne se trouvant pas dans la liste PFC.8 Cette liste a été créée sur la base de
mots extraits, d’une part, de la liste élaborée initialement pour les enquêtes PFC
suisses et belges (cf. Andreassen/Maître/Racine 2010 ; Andreassen/Racine 2012 ;
cf. tableau 15) et, d’autre part, de celle développée pour les enquêtes québécoises
(cf. Côté 2012 ; cf. tableau 16). Soulignons que, dans l’optique d’études à venir,
la liste complémentaire comprend également une série de mots se prêtant à
l’analyse de traits consonantiques des normes suisses romandes potentielles (cf.
section « consonnes » du tableau 15).
Notons finalement qu’à la fin de l’enregistrement de chacun des locuteursmodèles, ces derniers ont été invités à signer un consentement de participation
repris en partie du projet PFC, mais adapté aux besoins de mes enquêtes. La
garantie d’anonymat du consentement du projet PFC n’aurait en effet pas été suffisante à mes informateurs, étant donné qu’il s’agit de journalistes-présentateurs
dont la voix est souvent connue du grand public. Ainsi, j’ai donné la possibilité
aux informateurs d’autoriser ou de refuser la publication de chaque partie de l’enregistrement (entretiens guidés, lecture du texte, lecture des listes de mots) de
façon séparée. De cette façon, les informateurs avaient la possibilité de refuser la
publication de l’entretien guidé (qui, en tant que conversation, peut contenir des
8 Notons que Paris n’a pas été pris en compte ici, étant donné que les traits d’une potentielle
norme de prononciation parisienne peuvent tous être testés sur la base de la liste PFC. Un aperçu
de ces traits pourra être trouvé dans le tableau 6.
116
3 Méthode
Tableau 15 : Traits suisses romands testés dans la liste de mots complémentaire (en référence à
Andreassen/Maître/Racine 2010 ; Andreassen/Racine 2012).
Traits suisses romands testés dans la liste de mots complémentaire
Voyelles
Oppositions
quantitatives
Traits
Exemples
en syllabe finale fermée
belle /bɛl/ ~ bêle /bɛːl/
il /il/ ~ île /iːl/
sûr /syʁ/ ~ sûre /syːʁ/
en syllabe finale fermée + différence
de timbre (voyelles de grande
aperture)
salle /sal/ ~ sale /sɑːl/
en syllabe finale ouverte
(+ éventuelle diphtongaison)
ami /ami/ ~ amie /amiː/
venu /vəny/ ~ venue /vənyː/
penser /pɑ̃se/ ~ pensée /pɑ̃seː/
bleu /blø/~ bleue /bløː/
plaît /plɛ/ ~ plaie /plɛː/
bout /bu/ ~ boue /buː/
réseau /ʁezo/ ~ zoo /zoː/
ami /ami/ ~ amie /amiːj/
Opposition /e/ : /ɛ/ en syllabe finale ouverte
(distinction de certains temps)
je pourrai /e/ ~ je pourrais /ɛ/
Consonnes
Traits
Exemples
(Non-)prononciation de certaines consonnes finales
but, août, ananas, cerf, un fait, en fait,
sourcil, mœurs, tandis que, soûl, tabac
Assourdissement du /ʁ/ final
bar [baːR] ~ [baːR̥]
Fricative [χ] et affriquée [kχ]
Bach [bak] ~ [baχ]
stöck [stœkχ] ~ [stœk] (~ [ʃtœkχ])
Palatalisation de certaines occlusives
quatre [katʁ] ~ [kjatʁ]
époque [epɔkj]
Tableau 16 : Traits québécois testés dans la liste de mots complémentaire (en référence à Côté
2012).
Traits québécois testés dans la liste de mots complémentaire
Opposition quantitative /ɛ/ : /ɛː/
belle /bɛl/ ~ bêle /bɛːl/
Ouverture et relâchement des voyelles /i, y, u/
vive [vɪv] ~ [viv]
juste [ʒʏst] ~ [ʒyst]
couve [kʊv] ~ [kuv]
Dévoisement et effacement des voyelles /i, y, u/ entre consonnes
sourdes
coutume [kutym] ~ [kːtym]
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
117
informations délicates) en même temps qu’ils acceptent la publication des lectures du texte et des listes de mots (cf. annexe 11). En fin de compte, les 60 informateurs ont donné leur accord à la publication des enregistrements du texte lu et
des listes de mots lues, alors que 12 des 60 informateurs ont refusé la publication
des entretiens guidés. Par conséquent et pour des raisons d’uniformité du corpus,
seuls les enregistrements de parole lue (lectures du texte et des listes de mots)
seront mis à disposition de la communauté scientifique en open access.
Ainsi, un corpus d’une durée totale de 33 heures et 12 minutes a été mis en
place – entretiens guidés, texte lu et listes de mots inclus (cf. tableau 17). Pour
des raisons de comparabilité des données, les entretiens guidés n’ont pas été pris
en compte dans les analyses des productions de locuteurs-modèles : l’analyse de
formants des voyelles rendait en effet nécessaire la prise en compte de contextes
phonétiques identiques pour en permettre la comparabilité. C’est la raison pour
laquelle le choix s’est porté uniquement sur des mots (tirés des deux listes de
mots) et des syntagmes (tirés du texte) lus, identiques pour tous les locuteurs, les
entretiens guidés ayant uniquement été utilisés pour étayer qualitativement les
données quantitatives récoltées à l’aide des questionnaires écrits :
Tableau 17 : Étendue du corpus selon les régions, le média et la situation de communication.
Région
Média
Tâche
Total
Entretiens
guidés
Texte lu
Liste de
mots PFC
Liste de
mots 2
Radio
4h 14’ 44’’
28’ 31’’
31’ 47’’
15’ 22’’
5h 30’ 24’’
Télévision
3h 25’ 34’’
28’ 22’’
34’ 16’’
16’ 10’’
4h 44’ 22’’
Suisse
romande
Radio
4h 44’ 03’’
26’ 25’’
33’ 49’’
17’ 02’’
6h 01’ 19’’
Télévision
5h 11’ 09’’
27’ 29’’
32’ 55’’
16’ 14’’
6h 27’ 47’’
Québec
Radio
4h 17’ 39’’
28’ 21’’
37’ 41’’
18’ 33’’
5h 42’ 14’’
Télévision
3h 27’ 00’’
28’ 20’’
34’ 12’’
16’ 25’’
4h 45’ 57’’
25h 20’ 09’’
2h 47’ 28’’
3h 24’ 40’’
1h 39’ 46’’
33h 12’ 03’’
Paris
Corpus
Quant aux conditions des enregistrements, étant donné que les voyelles orales
ont été soumises à une analyse de formants, j’ai veillé à l’obtention d’une très
bonne qualité du signal sonore. Une grande partie des enregistrements a ainsi été
effectuée soit dans une chambre sourde des stations de radio et des chaînes de
télévision (cf. tableaux 12, 13 et 14) soit dans le bureau personnel des journalistesprésentateurs. Dans quelques cas (pour les locuteurs fpRom1, fpRff1, fpTjc1,
fpTaf1, sgTmp1, sgTmm1, cqRgl1), le manque de locaux à disposition m’a obligé à
faire les enregistrements dans l’une des salles communes de ces chaînes, raison
pour laquelle des voix et de légers bruits de fond sont parfois audibles. Tous les
118
3 Méthode
enregistrements ont été effectués à l’aide d’un enregistreur ZOOM H4n au format
.wav (44,1 KHz, stéréo, 16-bit) et ont été, par la suite, convertis en mono et normalisés (amplitude maximale à ‐1dB) à l’aide du logiciel Audacity.
3.4.2 Protocole d’analyse
L’analyse des voyelles produites par les locuteurs-modèles a été effectuée sur la
base de syntagmes tirés du texte lu PFC et de mots tirés des deux listes de mots.
Dans ce sous-chapitre, je présenterai tout d’abord les unités syntagmatiques et
lexicales prises en compte lors des analyses (cf. 3.4.2.1) et j’aborderai par la suite
les protocoles d’analyse des voyelles orales (cf. 3.4.2.2) et nasales (cf. 3.4.2.3).
3.4.2.1 Choix des syntagmes et des mots à analyser
Les traits de prononciation présentés dans les chapitres 2.3.2, 2.3.3 et 2.3.4 ont,
dans un premier temps, été analysés dans un contexte à l’intérieur de syntagmes
tirés des enregistrements du texte PFC.
Syntagmes : Paris
Dans le cas de Paris, les traits de prononciation parisiens à tester se trouvent ainsi
dans les syntagmes présentés dans la colonne de droite du tableau 18 :
Tableau 18 : Syntagmes du texte du programme PFC contenant les traits parisiens à analyser
dans la production des locuteurs-modèles.
Traits parisiens à tester
Syntagmes contenant ces traits
1.
Maintien de l’opposition /a/ : /ɑ/
– Syntagme : Et plus récemment, son usine
de pâtes italiennes (~ s’il faut montrer patte
blanche pour circuler)
– Prononciation : [pat] ~ [pɑt]
2.
Maintien de l’opposition /e/ : /ɛ/
Tendance croissante à la loi de position :
[e] en syllabe finale ouverte, [ɛ] en
syllabe finale fermée
– Syntagme (1) : Le Maire de Beaulieu est en
revanche très inquiet (~ et plus récemment
son usine de pâtes italiennes)
– Prononciation (1) : [ɛ] ~ [e]
– Syntagme (2) : Jusqu’ici les seuls titres de
gloire de Beaulieu étaient son vin blanc sec
– Prononciation (2) : [etɛ] ~ [ete]
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
119
Tableau 18 (suite)
Traits parisiens à tester
Syntagmes contenant ces traits
3.
Neutralisation de l’opposition /ø/ : /œ/
Tendance croissante à la loi de position :
[ø] en syllabe finale ouverte, [œ] en
syllabe finale fermée
– Syntagme : Quelques fanatiques auraient
même entamé un jeûne prolongé dans
l’église de Saint Martinville (~ un jeune
membre de l’opposition aurait déclaré)
– Prononciation : [ʒœn] ~ [ʒøn]
4.
Neutralisation de l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/
– Syntagmes : p. ex. D’un autre côté
– Prononciation : [œ̃] ~ [ɛ̃]
Pour l’opposition /œ̃/ : /ɛ̃/, non pas un seul contexte, mais tous les contextes
possibles du texte PFC (c’est-à-dire lors de l’apparition de <un> dans la graphie)
ont été pris en compte. Il s’agit de six contextes pour l’article indéfini un. L’analyse des voyelles nasales reposant non pas sur des mesures de formants, mais sur
des codages auditifs (cf. 3.4.2.3), j’ai préféré prendre en compte le plus de codages
possible pour permettre une plus grande fiabilité de ces codages.
Soulignons par ailleurs que pour la paire de voyelles [ɛ] ~ [e], deux syntagmes
ont été pris en compte, avec dans un cas la forme est (opposée à la conjonction
et extraite d’un autre syntagme) et dans l’autre, la forme étaient. Ce choix repose
sur le fait que l’état actuel de la recherche observe une différence entre ces deux
formes : alors qu’une tendance à la fermeture en [e] est observée pour la forme
est (cf. Hansen/Juillard 2011, 315), la paire minimale été /ete/ ~ étai(en)t /etɛ/ est
encore souvent attestée dans plusieurs études (cf. p. ex. Lyche/Østby 2009, 212 ;
Hansen 2017, 128–129 ; chapitre 1.3.2).
Mentionnons finalement que, faute d’extraits appropriés dans le texte et les
listes de mots, deux des traits parisiens mentionnés dans le tableau 6 (cf. chapitre
2.3.2) n’ont pas été pris en compte dans l’analyse des productions et ne figurent
donc pas dans le tableau 18. Il s’agit du maintien de l’opposition /o/ : /ɔ/ (p. ex.
paume /pom/ ~ pomme /pɔm/) ainsi que de la postériorisation en chaîne des
voyelles nasales (/ɛ̃/ réalisé comme [ɑ̃], /ɑ̃/ comme [ɔ̃], /ɔ̃/ comme [õ]) (cf. 2.3.2,
tableau 6).
Syntagmes : Suisse romande
Dans le cas de la Suisse, les traits de prononciation ayant fait l’objet des analyses
des productions se trouvent dans les syntagmes présentés dans la colonne de
droite du tableau 19.
120
3 Méthode
Tableau 19 : Syntagmes du texte du programme PFC contenant les traits suisses romands à
analyser dans la production des locuteurs-modèles.
Traits suisses romands à tester
Syntagmes contenant ces traits
1.
Opposition quantitative en syllabe
finale fermée (+ différence de timbre)
– Syntagme : Et plus récemment, son usine
de pâtes italiennes (~ s’il faut montrer patte
blanche pour circuler)
– Prononciation :
[pat] ~ [paːt] ~ [pɑːt]
2.
Opposition quantitative en syllabe
finale ouverte (+ diphtongaison)
– Syntagme : En fin d’année
– Prononciation :
[ane] ~ [aneː] ~ [aneːj]
3.
Opposition /ɛ̃/ : /œ̃/
– Syntagme : p. ex. D’un autre côté
– Prononciation : [œ̃] ~ [ɛ̃]
4.
Préférence de la diérèse à la synérèse
– Syntagme (1) : Car le Premier Ministre, lassé
des circuits habituels
– Prononciation (1) : [abity.ɛl] ~ [abitɥɛl]
– Syntagme (2) : À quel saint se vouer
– Prononciation (2) : [vu.e] ~ [vwe]
Notons que, pour les mêmes raisons que dans le cas de Paris (cf. supra),
l’analyse de l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/ repose non pas sur un seul contexte, mais sur
tous les contextes possibles du texte PFC (6 contextes pour l’article indéfini un).
Par ailleurs, deux syntagmes ont été pris en compte dans le cas de la différence entre les diérèses et les synérèses, afin d’obtenir un contexte pour au
moins deux des paires glissante-voyelle possibles ([i] ~ [j], [y] ~ [ɥ], [u] ~ [w]) : le
mot habituels contient la paire [y] ~ [ɥ] et le mot vouer la paire [u] ~ [w]. Aucun
contexte n’a cependant pu être trouvé pour la paire [i] ~ [j].
Soulignons finalement qu’aucun extrait n’a pu être trouvé pour l’opposition
/e/ : /ɛ/ en syllabe finale ouverte (p. ex. je pourrai /e/ ~ je pourrais /ɛ/) (cf. 2.3.3,
tableau 7). Ce trait n’a donc pas pu être testé dans un contexte syntagmatique.
Syntagmes : Québec
Pour finir, les traits de prononciation québécois soumis aux analyses de production se trouvent dans les syntagmes présentés dans la colonne de droite du
tableau 20.
Notons ici aussi que, comme l’analyse des voyelles nasales repose sur des
codages auditifs (cf. 3.4.2.3), toutes les occurrences possibles présentes dans le
texte PFC ont été prises en compte (6 contextes pour l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/, 19
contextes pour la réalisation du /ɛ̃/ et 50 contextes pour la réalisation du /ɑ̃/).
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
121
Tableau 20 : Syntagmes du texte du programme PFC contenant les traits québécois à analyser
dans la production des locuteurs-modèles.
Traits québécois à tester
Syntagmes contenant ces traits
1.
Opposition /a/ : /ɑ/
– Syntagme : Et plus récemment, son usine de pâtes
italiennes (~ s’il faut montrer patte blanche pour
circuler)
– Prononciation : [pat] ~ [pɑt]
2.
/a/ final : [a] ou [ɑ] (variation
selon le mot)
/a/ final dans <-oi> : [wa] ou [wɑ]
(variation selon le mot et le type
de syllabe)
– Syntagme : Trois échevins
– Prononciation : [tʁwa] ~ [tʁwɑ]
3.
Opposition /ɛ̃/ : /œ̃/
– Syntagme : p. ex. D’un autre côté
– Prononciation : [œ̃] ~ [ɛ̃]
4.
Réalisation de /ɛ̃/ comme [ẽ]
– Syntagme : p. ex. Dans le coin
– Prononciation : [kwɛ̃] ~ [kwẽ]
5.
Réalisation de /ɑ̃/ comme [ã]
(antérieur) ou [ɐ̃] (central)
– Syntagme : p. ex. L’ancienne poste vendue
– Prononciation : [vãdy] ~ [vɐ̃dy] ~ [vɑ̃dy]
6.
Ouverture et relâchement des
voyelles /i, y, u/ en finale de mot
se terminant par une ou plusieurs
consonne(s) non allongeante(s)
– Syntagme : Autour des mêmes villes
– Prononciation : [vil] ~ [vɪl]
7.
Dévoisement (ou effacement)
des voyelles
/i, y, u/ entre consonnes sourdes
– Syntagme : p. ex. Des vérifications d’identité
– Prononciation : [veʁifikasjɔ̃] ~ [veʁifːkasjɔ̃]
Mentionnons par ailleurs que l’analyse du dévoisement (ou effacement) des
voyelles /i, y, u/ se différencie également de celles des autres traits vocaliques en ce
sens qu’elle a été effectuée sur la base d’une lecture qualitative de spectrogramme et
d’un système de codage ternaire (cf. 3.4.2.2.2). Étant donné ce codage, le choix s’est à
nouveau porté sur l’analyse de ce trait non pas dans un seul lexème, mais dans tous
les contextes potentiels pouvant être relevés pour le /i/, en sous-entendant que les
dévoisements et effacements potentiels sont sans doute similaires pour les voyelles
/i/, /y/ et /u/. Dans le cas des listes de mots, il s’agit des lexèmes piquet, piqué,
piquais, piquer (dans lesquels le /i/ s’avère cependant se trouver dans un contexte
phonologique identique, ce qui n’est pas le cas des contextes trouvés dans le texte
PFC ; cf. infra).
Par ailleurs, faute d’extraits correspondants, ni l’opposition quantitative /ɛ/ vs.
/ɛː/ (p. ex. faites /ɛ/ ~ fête /ɛː/) ni les diphtongaisons des voyelles allongées (p. ex.
neige [naɛʒ] ~ [naeʒ] ~ [naiʒ]) n’ont pu être analysées dans un contexte syntagmatique (cf. 2.3.4, tableau 8).
122
3 Méthode
Mots isolés : Paris
Dans un deuxième temps, après avoir effectué les analyses des traits de prononciation en contexte syntagmatique, ces mêmes traits ont été analysés dans
des contextes à l’intérieur de mots isolés, ces mots ayant été tirés soit de la
liste de mots PFC, soit de la liste de mots complémentaire (cf. colonne de droite
dans chaque tableau). Notons que dans les cas où des paires minimales ont
été prises en compte (patte ~ pâte, épais ~ épée, jeune ~ jeûne, brin ~ brun), les
mots n’apparaissaient pas directement les uns après les autres (comme c’est le
cas des 10 derniers mots de la liste de mots PFC ; cf. annexe 8), mais à différents
endroits dans la liste. Dans le cas de Paris, le choix s’est donc porté sur les mots
suivants :
Tableau 21 : Mots tirés de la liste de mots PFC contenant les traits parisiens à analyser dans la
production des locuteurs-modèles.
Traits parisiens à tester
Mots contenant ces traits
Liste de mots
1.
Maintien de l’opposition /a/ : /ɑ/
patte /pat/ ~ pâte /pɑt/
Liste PFC
2.
Maintien de l’opposition /e/ : /ɛ/
Tendance croissante à la loi de position :
[e] en syllabe finale ouverte, [ɛ] en
syllabe finale fermée
épée /epe/
épais /epe/ ~ /epɛ/
Liste PFC
3.
Neutralisation de l’opposition /ø/ : /œ/
Tendance croissante à la loi de position :
[ø] en syllabe finale ouverte, [œ] en
syllabe finale fermée
jeune /ʒœn/ ~ jeûne /ʒøn/
Liste PFC
4.
Neutralisation de l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/
- brun /bʁœ̃/ ~ brin /bʁɛ̃/
- un [œ̃] ~ [ɛ̃]
Liste PFC, liste
complémentaire
Concernant l’opposition /e/ : /ɛ/, notons que la paire de mots utilisée pour l’analyse de mots isolés (épée ~ épais) ne correspond pas aux mots se trouvant dans les
syntagmes analysés (Le village de Beaulieu est en grand émoi ; Jusqu’ici les seuls
titres de gloire de Beaulieu étaient son vin blanc sec). Ainsi, étant donné que les
paires minimales été ~ étai(en)t et épée ~ épais sont encore attestées dans plusieurs études alors que l’on observe une tendance actuelle à la fermeture en [e]
de la forme est, il est probable que les analyses acoustiques révèlent des valeurs
différentes pour les voyelles produites dans épée ~ épais et étaient d’une part, et
dans est d’autre part.
Par ailleurs, deux commentaires s’imposent par rapport à l’opposition /ɛ̃/ :
/œ̃/ : premièrement, de manière similaire au cas des syntagmes (cf. supra), je n’ai
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
123
pas pris en compte un contexte unique dans les codages auditifs (cf. 3.4.2.3), mais
tous les contextes possibles, c’est-à-dire tous ceux contenant un <un> graphique.
Il s’agit dans les deux listes de mots de l’article indéfini un (9 contextes) et de l’adjectif brun (2 contextes). Deuxièmement, les interprétations devront prendre en
compte le fait que les deux lexèmes apparaissant dans ces listes de mots (brun et
un) peuvent engendrer différents résultats du point de vue du comportement de
/œ̃/. Il semble en effet exister un conditionnement lexical et prosodique favorisant une disparition du [œ̃] plus rapide dans certains contextes (cf. Hansen 1998,
106–107). Walter (1976, 319–338), tout d’abord, évoque la fréquence pour expliquer
la disparition plus rapide observable dans certains mots par rapport à d’autres :
des mots plus rares comme jungle, bungalow ou tungstène auraient, selon elle, tendance à garder plus longtemps le timbre [œ̃] que des mots très fréquents comme un,
lundi ou brun. Les observations de Nève de Mévergnies (1984, 211) confirment ces
hypothèses et y ajoutent le facteur de l’accentuation : la confusion entre /ɛ̃/ et /œ̃/
débuterait par l’article enclitique un inaccentué et le mot lundi (en raison d’une
harmonie vocalique avec le /i/ final). Elle se poursuivrait par le un numéral et les
dérivés de un (quelqu’un, chacun, aucun) ainsi que, par la suite, par les autres mots
contenant un /œ̃/ inaccentué. Finalement, elle se terminerait par les mots contenant un /œ̃/ accentué. Ainsi, pour l’analyse du présent corpus, il est probable que
chez certains locuteurs, un [œ̃] soit observable dans brun alors qu’il ne l’est pas
dans un.
Soulignons finalement que le maintien de l’opposition /o/ : /ɔ/ (p. ex. paume
/pom/ ~ pomme /pɔm/) (cf. 2.3.2, tableau 6) et la postériorisation en chaîne des
voyelles nasales (/ɛ̃/ réalisé en [ɑ̃], /ɑ̃/ en [ɔ̃], /ɔ̃/ en [õ] ; cf. trait 6 du tableau 6)
n’ont pas non plus été pris en compte ici.
Mots isolés : Suisse romande
Dans le cas de la Suisse romande, les traits de prononciation présentés dans le
tableau 7 (cf. chapitre 2.3.3) ont été analysés dans le contexte des mots se trouvant
dans le tableau 22. Notons que, comme dans le cas de Paris, l’analyse de paires
minimales (patte ~ pâte, penser ~ pensée, pourrai ~ pourrais, jeune ~ jeûne, brin ~
brun) porte sur des mots n’apparaissant pas directement les uns après les autres
mais bien à différents endroits dans la liste (cf. annexe 8).
Ici aussi, l’analyse de l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/ repose sur tous les contextes
contenant un <un> graphique (un : 11 contextes ; brun : 2 contextes). Ainsi, il est
important – comme dans le cas de Paris (cf. supra) – de prendre en compte la probable différence de prononciation de <un> dans brun et dans l’article indéfini un.
Cependant, selon Andreassen/Maître/Racine (2010), il semble que dans ce cas-ci
le un soit, au contraire de Paris, plus résistant au processus de neutralisation,
124
3 Méthode
Tableau 22 : Mots tirés des deux listes (liste PFC et liste complémentaire) contenant les traits
suisses romands à analyser dans la production des locuteurs-modèles.
Traits suisses romands à tester
Mots contenant ces traits
Liste de mots
1.
Opposition quantitative en syllabe
finale fermée (+ différence de timbre)
patte /pat/ ~
pâte /paːt/ ~ /pɑːt/
Liste PFC
2.
Opposition quantitative en syllabe
finale ouverte (+ diphtongaison)
penser /pɑ̃se/ ~
pensée /pɑ̃seː/ ~ /pɑ̃seːj/
Liste complémentaire
3.
Opposition /e/ : /ɛ/ en syllabe finale
ouverte (distinction de certains
temps et modes)
je pourrai /puʁe/ ~
je pourrais /puʁɛ/
Liste complémentaire
4.
Opposition /ɛ̃/ : /œ̃/
– brin /bʁɛ̃/ ~ brun
/bʁœ̃/
– un [œ̃] ~ [ɛ̃]
Liste PFC, liste
complémentaire
5.
Préférence de la diérèse à la
synérèse
– (fou à) lier [lije] ~ [lje]
– muette [my.ɛt] ~ [mɥɛt]
– mouette [muɛt] ~ [mwɛt]
Liste PFC
« [. . .] le timbre arrondi étant produit par des locuteurs qui ne connaissent que /ɛ̃/
dans la paire minimale brin-brun » (Andreassen/Maître/Racine 2010, 224).
Dans le cas des diérèses et synérèses, de manière similaire aux analyses effectuées dans le cadre du texte PFC, un contexte a été pris en compte pour chacune
des paires glissante-voyelle ([i] ~ [j], [y] ~ [ɥ], [u] ~ [w]) : (fou à) lier ([lije] ~ [lje]),
muette ([myɛt] ~ [mɥɛt]) et mouette ([muɛt] ~ [mwɛt]).
Mots isolés : Québec
Pour finir, les traits de prononciation québécois se trouvant dans le tableau 8 ont
été soumis à des analyses dans le contexte des mots se trouvant dans le Tableau 23.
Soulignons à nouveau que les mots touchés par l’analyse de paires minimales
(patte ~ pâte, faites ~ fête, brin ~ brun) apparaissent à différents endroits dans la
liste et non directement les uns après les autres (cf. annexe 8).
Notons que, dans le cas du Québec également, les voyelles nasales ont été analysées non pas sur la base d’un seul contexte, mais de tous les contextes possibles
dans les deux listes de mots. Il s’agit des mots un (7 contextes) et brun (2 contextes)
dans le cas de l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/, de 68 contextes contenant les graphies <in>,
<im>, <ym> et certains <en> dans le cas de la réalisation du /ɛ̃/ et de 81 contextes
contenant les graphies <an> et <en> dans le cas de la réalisation du /ɑ̃/.
Mentionnons par ailleurs à propos de l’opposition /œ̃/ : /ɛ̃/ que le problème
du comportement potentiellement différent du /œ̃/ dans brun et un se pose également dans le cas du Québec. Il est cependant probable que les résultats s’op-
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
125
Tableau 23 : Mots tirés des deux listes (liste PFC et liste complémentaire) contenant les traits
québécois à analyser dans la production des locuteurs-modèles.
Traits québécois à tester
Mots contenant ces traits
Liste de mots
1.
Opposition /a/ : /ɑ/
patte /pat/ ~ pâte /pɑt/
Liste PFC
2.
– /a/ final : [a] ou [ɑ]
(variation selon le mot)
– /a/ final dans <-oi> : [wa] ou
[wɑ] (variation selon le mot
et le type de syllabe)
baignoire [bɛɲwaʁ] ~ [bɛɲwɑʁ]
Liste PFC
3.
Opposition quantitative /ɛ/
vs. /ɛː/
faites /ɛ/ ~ fête /ɛː/
Liste PFC
4.
Diphtongaisons des voyelles
allongées
fête [fɛːt] ~ [faɜt]
Liste PFC
5.
Opposition /ɛ̃/ : /œ̃/
– brin /bʁɛ̃/ ~ brun /bʁœ̃/
– un [œ̃] ~ [ɛ̃]
Liste PFC, liste
complémentaire
6.
Réalisation de /ɛ̃/ en [ẽ]
p. ex. médecin [medsɛ̃] ~ [medsẽ]
Liste PFC, liste
complémentaire
7.
Réalisation de /ɑ̃/ en [ã]
(antérieur) ou [ɐ̃] (central)
p. ex. penser [pãse] ~ [pɐ̃se] ~ [pɑ̃se]
Liste PFC, liste
complémentaire
8.
Ouverture et relâchement des
voyelles /i, y, u/ en finale de
mot se terminant par une ou
plusieurs consonne(s) non
allongeante(s)
six [sis] ~ [sɪs]
Liste PFC
9.
Dévoisement (ou effacement)
des voyelles /i, y, u/ entre
consonnes sourdes
p. ex. piquer [pike] ~ [pːke]
Liste PFC
posent à ceux de Paris et de la Suisse romande, étant donné que le maintien de
l’opposition /œ̃/ : /ɛ̃/ est unanimement considéré comme très stable au Québec
(cf. 2.3.4), seul l’article défini un pouvant dans quelques rares cas présenter la
prononciation [ɛ̃] (cf. Léon 1983, 55). La variation lexicale pourrait par ailleurs
également jouer un rôle dans l’analyse de la réalisation du /wa/ dans baignoire et
trois, l’état actuel de la recherche considérant le [wɑː] dans la syllabe finale fermée
de baignoire et le [wɑ] dans la syllabe finale ouverte de trois comme étant les plus
« standards » (cf. 2.3.4, tableau 9). Mentionnons en outre que la réalisation de /ɛ̃/
dans médecin ~ coin, celle de /ɑ̃/ dans penser ~ vendue ainsi que celle de /i/ dans
six ~ ville pourraient également être sujettes à l’influence de la variation lexicale.
Des précisions doivent également être apportées par rapport à l’analyse du
dévoisement et de l’effacement des voyelles /i, y, u/ dans ce texte PFC : en effet,
comme dans le cas des mots isolés (cf. supra), cette analyse a été effectuée sur un
126
3 Méthode
nombre maximal d’occurrences du /i/ entre consonnes sourdes. Ce faisant, huit
lexèmes ont pu être relevés (jusqu’ici, officielles, vérifications, identité, situation,
participation, particulier), permettant ainsi une analyse plus détaillée des effets
lexicaux.
Comme déjà mentionné brièvement dans le présent sous-chapitre, les analyses des voyelles orales et nasales figurant dans les tableaux 21, 22 et 23 ont été
effectuées de deux manières fondamentalement différentes. En effet, en raison
des différents effets acoustiques de la nasalisation, comme les transitions des
formants, l’augmentation de la largeur des bandes de formants et la présence
d’antiformants dus aux antirésonances dans le signal acoustique (cf. Delvaux
1999, 8 ; cf. également Delvaux 2006 ; Carignan 2011), une analyse acoustique de
voyelles nasales est particulièrement difficile et peu fiable sans avoir également
des données sur l’articulation (cf. Carignan 2012, 747). Par conséquent, alors que
les voyelles orales ont fait l’objet d’analyses acoustiques (analyses de formants
dans le cas d’oppositions de timbre, analyses de durées vocaliques dans le cas
d’oppositions de durées ; cf. 3.4.2.2), les voyelles nasales ont été codées auditivement par accord interjuges (cf. 3.4.2.3). C’est la raison pour laquelle les protocoles
de ces deux types d’analyse seront présentés séparément ci-dessous.
3.4.2.2 Analyses acoustiques des voyelles orales
3.4.2.2.1 Segmentation
Dans un premier temps, les syntagmes et mots contenant les voyelles orales à
analyser (cf. 3.4.2.1) ont été segmentés manuellement à l’aide du logiciel PRAAT
(cf. Boersma/Weenink 2016). Ce faisant, les frontières du début et de la fin de
chacune des voyelles ont été placées sur la base des critères standards définis par
Schwab et al. (1998, 2–3) : dans la plupart des cas, la segmentation a été effectuée
en fonction des formants F2 et F3. Dans les cas de voyelles voisines présentant des
structures formantiques trop peu distinctes (comme [y] et [ɛ] dans habituels et
muette, cf. tableaux 19 et 22), la différenciation s’est faite sur la base d’un changement observable au niveau de la fréquence fondamentale et/ou de l’amplitude
globale du signal (cf. figure 7).
Notons que la mention de ces conventions de segmentation, qui ont été appliquées de manière systématique à toutes les voyelles segmentées, est importante,
étant donné que le recours à un autre type de segmentation aurait pu aboutir à
des résultats différents.
Les voyelles ainsi segmentées, des mesures ont été effectuées sur les voyelles,
ces mesures se divisant en deux catégories distinctes : toutes les oppositions de
timbre ont été analysées sur la base d’analyses de formants (cf. 3.4.2.2.2), alors
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
127
Figure 7 : Point de transition entre [y] et [ɛ] dans muette [my.ɛt] (locuteur sgTfd1) choisi selon
un changement dans la fréquence fondamentale et dans l’amplitude globale.
que les oppositions quantitatives ont été analysées sur la base des durées vocaliques (cf. 3.4.2.2.3).
3.4.2.2.2 Mesures de formants
Les analyses de formants ont été effectuées sur la base de la fréquence des deux
premiers formants (F1, F2), le troisième formant, associé à la labialité (cf. Vaissière 2011, 52–59), n’étant ici pas nécessaire puisque le seul trait concerné (/ɛ̃/ :
/œ̃/) est nasal et donc analysé, dans le présent ouvrage, sous forme de codages
par accord interjuges (cf. 3.4.2.1). Notons cependant que les mesures sont différentes selon le type de voyelle.
Dans le cas (le plus fréquent) des voyelles non diphtonguées (p. ex. patte
/pat/ ~ pâte /pɑt/, épée /epe/ ~ épais /epɛ/, jeune /ʒœn/ ~ jeûne /ʒøn/), les formants ont été extraits sous PRAAT à l’aide d’un script les mesurant à 50% de la
durée vocalique. Ce faisant, le formant maximum (F5) a été placé à 5000 Hz pour
les hommes et à 5500 Hz pour les femmes, avec une fenêtre temporelle (Gaussian)
de 0,025 s. La signification statistique des différences observées entre les fréquences formantiques des voyelles produites par les locuteurs-modèles a ensuite
été vérifiée, à l’aide du logiciel libre R, sur la base du test de Wilcoxon-MannWhitney, un test non paramétrique permettant de comparer deux échantillons
indépendants de petite taille, le seuil de signification statistique ayant été établi
à 0,05 (cf. Riverin-Coutlée 2013, 91–92).
Dans le cas des voyelles diphtonguées (cf. trait 4 du tableau 23 : fête [ɛː] ~
[aɜ]), le même script PRAAT a été adapté pour extraire les formants à 25% et 75%
de chaque voyelle, afin de pouvoir retracer le déplacement des formants lorsque
le /ɛː/ est diphtongué. Le même test de Wilcoxon-Mann-Whitney a ensuite été
appliqué aux résultats sous R afin d’en vérifier la signification statistique.
Notons pour ces deux premiers cas que jusqu’ici, différentes procédures de
normalisation ont été proposées dans le but de prendre en compte la variation
128
3 Méthode
des fréquences observées due aux caractéristiques physiologiques des locuteurs
(cf. Nearey 1989 ; Syrdal/Gopal 1986). Ces procédures présentent cependant des
inconvénients (cf. Disner 1980 ; Adank 2003), notamment la tendance à masquer
la variation intra-individuelle. Par ailleurs, étant donné que (1) le corpus sur
lequel reposent les mesures, avec ses 20 locuteurs par région, est assez vaste
pour que les mesures puissent être présentées en hertz sans avoir recours à une
normalisation (cf. Woehrling 2009, 70), et que (2) l’objectif des mesures de formants n’est pas de reconstituer un espace vocalique F1/F2 mais bien d’opposer
ponctuellement les valeurs formantiques de voyelles se trouvant majoritairement
dans des paires minimales pour y déceler une différence (ou non), la présentation
des valeurs formantiques se fera sans recours à une normalisation intrinsèque ou
extrinsèque ni à une échelle de type Bark.
Dans le cas des synérèses ou diérèses (cf. trait 4 du tableau 19 : habituels
[abity.ɛl] ~ [abitɥɛl] ; trait 5 du tableau 22 : fou à lier [lije] ~ [lje], muette [my.ɛt] ~
[mɥɛt], mouette [muɛt] ~ [mwɛt]), la différence ne peut pas être mesurée de
manière ponctuelle comme pour les voyelles (non) diphtonguées, mais seulement
par l’analyse du segment entier. L’utilisation d’une diérèse est ainsi déterminée
par l’apparition d’une voyelle (p. ex. [y]), alors que l’utilisation d’une synérèse est
déterminée par l’apparition d’une semi-voyelle (p. ex. [ɥ]). Cette semi-voyelle
est caractérisée par une structure formantique faible, instable et en variation
constante. Ainsi, elle ne possède aucune partie stable et son caractère transitoire
et vocalique rend impossible la segmentation entre la semi-voyelle et la voyelle qui
la suit ([j] et [e] dans fou à lier, [w] et [ɛ] dans mouette, [ɥ] et [ɛ] dans muette et habituels) (cf. Meunier 2007, 169). Au contraire, la voyelle présente cette partie stable
(cf. figures 8 et 9) :
Figure 8 : Diérèse présentant deux voyelles distinctes ([y]/[ɛ]) ayant chacune une partie stable.
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
129
Figure 9 : Synérèse présentant une semi-voyelle [ɥ] instable et
en variation permanente (formants F2 et F3 ascendants) et ne
pouvant être segmentée de la voyelle qui la suit ([ɛ]).
Ainsi, les analyses des deux contextes de synérèses et diérèses (cf. trait 4 du
tableau 19 : habituels [abity.ɛl] ~ [abitɥɛl] ; trait 5 du tableau 22 : fou à lier [lije] ~
[lje], muette [my.ɛt] ~ [mɥɛt], mouette [muɛt] ~ [mwɛt]) ont été effectuées sur la
base d’une lecture qualitative de spectrogramme, dans laquelle les formants F2
et F3 – également utilisés pour la segmentation (cf. 3.4.2.2.1) – ont été considérés quant à leur stabilité/leur variation. Ce faisant, chaque segment présentant
une partie stable et pouvant être séparé clairement de la voyelle suivante a été
considéré comme une voyelle ([i], [y] ou [u]), alors que tout segment instable ne
pouvant être séparé de la voyelle suivante a été considéré comme semi-voyelle
([j], [ɥ] ou [w]). Les résultats de ces lectures de spectrogramme ont ainsi été codés
selon un codage binaire (1 = synérèse, 2 = diérèse) sous PRAAT. Par la suite, les
données ont été extraites à l’aide de l’outil DOLMEN (cf. Eychenne/Paternostro
2016) et analysées statistiquement en utilisant le logiciel libre R. Ce faisant, j’ai
opté pour la méthode du chi carré de Pearson, étant donné que les données d’un
tel codage binaire sont structurées sous forme de proportions.
Quant à l’analyse du dévoisement (ou de l’effacement) de /i, y, u/ (cf. trait 7
du tableau 20 : des vérifications d’identité [veʁifikasjɔ̃] ~ [veʁifːkasjɔ̃] ; trait 9 du
tableau 23 : piquer [pike] ~ [pːke]), elle a également été effectuée sur la base d’une
lecture qualitative de spectrogramme, la présence ou l’absence d’un voisement
ne pouvant pas non plus être mesurée de manière ponctuelle mais seulement
à travers une analyse du segment entier. Ainsi, la différence entre les variantes
voisées et dévoisées a été détectée sur la base de la présence ou de l’absence de
la barre de voisement (dont la fréquence est celle de la fréquence fondamentale
(F0) ; cf. Meunier 2007, 168), et celle entre une voyelle dévoisée et l’absence totale
de voyelle sur la base de la présence ou de l’absence de formants vocaliques (cf.
Jacques 1990, 60). Les résultats ont alors été codés selon un codage ternaire sous
PRAAT, le code (1) correspondant à une voyelle voisée, le code (2) à une voyelle
dévoisée et le code (3) à une voyelle effacée :
130
1.
2.
3.
3 Méthode
Voyelle voisée : voyelle présentant une barre de voisement et des formants.
Notons qu’une barre de voisement partielle, c’est-à-dire n’apparaissant pas
sur toute la durée de la voyelle, a également mené à considérer la voyelle
comme voisée (p. ex. université [ynivɛʁsite]).
Voyelle dévoisée : voyelle ne présentant pas de barre de voisement, mais des
formants vocaliques (p. ex. université [ynivɛʁsi̥te]).
Syncope de la voyelle : aucune voyelle détectable en raison de l’absence
de formants, mais allongement de la consonne précédente (p. ex. université
[ynivɛʁsːte]).
L’extraction des données a, ici aussi, été effectuée à l’aide de l’outil DOLMEN (cf.
Eychenne/Paternostro 2016) et les tests statistiques en recourant au logiciel libre
R. Ce faisant, la signification des différences entre les fréquences statistiques des
trois types de réalisation du /i/ a, ici aussi, été effectuée sur la base de la méthode
du chi carré de Pearson.
3.4.2.2.3 Mesures quantitatives des durées vocaliques
Toutes les mesures des durées vocaliques ont été effectuées sous PRAAT en millisecondes (= ms) et les différences entre les résultats vérifiées quant à leur signification statistique sous R à nouveau sur la base du test Wilcoxon-Mann-Whitney.
Notons que toutes ces mesures ont été combinées à des mesures de formants présentées au chapitre précédent (cf. 3.4.2.2.2), étant donné que dans toutes les unités
lexicales utilisées, la durée vocalique peut apparaître soit avec une diphtongaison
(faites /fɛt/ ~ fête /fɛːt/ ~ /faɜt/ au Québec, penser /pɑ̃se/ ~ pensée /pɑ̃seː/ ~ /pɑ̃seːj/
et année [ane] ~ [aneː] ~ [aneːj] en Suisse romande), soit avec une simple différence
de timbre (patte /pat/ ~ pâte /paːt/ ~ /pɑːt/ en Suisse romande).
3.4.2.3 Analyse des voyelles nasales
Afin d’éviter toute erreur de calcul de formants due aux antirésonances présentes
dans le signal acoustique des voyelles nasales (cf. 3.4.2.2.1), ces voyelles ont été
codées auditivement sur la base d’un système par accord interjuges. Le codage a
été réalisé pour chacune des régions par deux étudiant·e·s de linguistique natifs/
natives d’une des variétés de la région en question et à l’aide du logiciel PRAAT.9
Notons que pour la Suisse romande, j’ai moi-même réalisé l’un des codages.
Les enregistrements des trois régions ont été analysés par rapport à la question du maintien ou de la déphonologisation de l’opposition /œ̃/ :/ɛ̃/. Dans ce
9 Les honoraires de ces étudiants ont été financés par l’Université de Vienne.
3.4 Productions : analyse de voyelles produites par des locuteurs-modèles
131
cas-ci, le codage est binaire : les codeurs avaient donc la possibilité de coder les
voyelles nasales entendues soit par un 1, un codage représentant une voyelle
arrondie [œ̃], soit par un 2, un codage représentant une voyelle non arrondie [ɛ̃].
Le codage a été effectué dans tous les contextes des deux listes de mots et du
texte lu dans lesquels une voyelle nasale arrondie [œ̃] était susceptible d’apparaître, c’est-à-dire tous les contextes correspondant à la graphie <un>. Dans les
cas de Paris et du Québec, cela représente 9 contextes dans la liste de mots PFC, 6
contextes dans la liste de mots complémentaire et 6 contextes dans le texte PFC. Dans
le cas de la Suisse romande, les nombres septante-et-un et nonante-et-un s’ajoutent
aux 9 autres contextes dans la liste de mots PFC, pour un total de 11 contextes dans
cette liste, les 6 contextes de la liste de mots complémentaire et les 6 contextes du
texte PFC étant les mêmes que pour Paris et le Québec. Ainsi, avec 20 locuteurs par
région, 420 contextes auraient théoriquement dus être codés dans les cas de Paris et
du Québec (300 dans les listes de mots et 120 dans le texte PFC) et 460 dans le cas
de la Suisse romande (340 dans les listes de mots et 120 dans le texte PFC), pour un
total de 1300 contextes. Cependant, une occurrence étant manquante dans la lecture
de la liste de mots PFC d’un des locuteurs suisses romands,10 le nombre effectif de
codages s’élève à 1299.
Alors que pour Paris et la Suisse romande, cette opposition est la seule à avoir
été testée au niveau des voyelles, le cas du Québec est plus complexe, car la réalisation phonétique du /ɑ̃/ et celle du /ɛ̃/ ont également été prises en compte.
Concernant la réalisation de la voyelle nasale /ɑ̃/, le codage s’est appuyé sur celui
proposé dans l’étude de Remysen (2016a), qui a utilisé un codage tenant compte
du « [. . .] caractère graduel des différentes réalisations de la nasale » (Remysen
2016a, 143). Le codage quinaire de Remysen (2016a), qui comprenait les variantes
[æ̃], [ã], [ɐ̃], [ɑ̃] et [ɒ̃], n’ayant mené qu’à un très faible pourcentage de variantes
fermées [æ̃] (1,0%) et de variantes postérieures arrondies [ɒ̃] (1,1%) (cf. Remysen
2016a, 144), je l’ai réduit pour le présent ouvrage à un codage ternaire, qui comprend une variante antérieure ([æ̃]/[ã], code 1), une variante centrale ([ɐ̃], code 2)
et une variante postérieure ([ɑ̃]/[ɒ̃], code 3) (cf. également Chalier 2019, 13). Ici
aussi, le codage a été effectué dans tous les contextes correspondant à un /ɑ̃/,
c’est-à-dire tous les contextes correspondant aux graphies <an> et <en> lorsque
celles-ci sont prononcées /ɑ̃/ selon la prononciation de référence. Cela représente
55 contextes dans la liste de mots PFC, 26 contextes dans la liste de mots complémentaire et 50 dans le texte PFC, pour un total théorique de 131 codages par
locuteur et, compte tenu des 20 locuteurs-modèles québécois, 2620 codages dans
10 Occurrence manquante : locuteur slRas1 : le locuteur commence la lecture de la liste de mots
PFC sans lire le chiffre 1 (/œ̃/ ~ /ɛ̃/).
132
3 Méthode
le corpus global. Cependant, trois occurrences étant manquantes11 et une occurrence répétée,12 leur nombre effectif s’élève à 2618 (1620 dans les mots isolés des
deux listes de mots, 998 dans le texte PFC).
Dans le cas du /ɛ̃/, le codage a été réduit à un codage binaire comprenant
la variante antérieure [ẽ], codée par un 1, et la variante postérieure [ɛ̃], que les
codeurs signalaient par un 2. Dans ce cas également, les codages ont été effectués
dans tous les contextes correspondant à un /ɛ̃/, c’est-à-dire les contextes correspondant aux graphies <in>, <im>, <ym> et <en> lorsque celles-ci sont prononcées
/ɛ̃/ selon la prononciation de référence. Cela représente 51 contextes dans la liste
de mots PFC, 17 contextes dans la liste complémentaire et 19 contextes dans le
texte PFC. Comme il y a 20 locuteurs-modèles québécois, il s’agit ainsi théoriquement de 87 contextes par locuteur et de 1740 contextes au total. Cependant, une
occurrence étant manquante,13 deux étant répétées14 et une ajoutée,15 le nombre
effectif de contextes s’élève 1742 (1361 dans les mots isolés des deux listes de mots,
381 dans le texte PFC) (cf. tableau 24).
Tableau 24 : Système de codage des voyelles nasales analysées dans le corpus.
Oppositions
Codages
Exemples
/œ̃/ : /ɛ̃/
1 = voyelle arrondie [œ̃]
brun
[bʁœ̃]
2 = voyelle non arrondie [ɛ̃]
brin
[bʁɛ̃]
[æ̃]/[ã] ~ [ɐ̃] ~ [ɑ̃]/[ɒ̃]
1 = voyelle antérieure [æ̃]/[ã]
présent
[pʁezã]
[ẽ] ~ [ɛ̃]
2 = voyelle centrale [ɐ̃]
[pʁezɐ̃]
3 = voyelle postérieure [ɑ̃]/[ɒ̃]
[pʁezɑ̃]
1 = voyelle antérieure [ẽ]
2 = voyelle postérieure [ɛ̃]
cinq
[sẽk]
[sɛ̃k]
11 Occurrences manquantes : locuteur cmRbl1 : /ɑ̃/ dans trente-six de la liste de mots PFC (le
locuteur saute ce chiffre dans sa lecture) ; locuteur cmTad1 : /ɑ̃/ dans il en dira dans le texte PFC
(le locuteur saute ce mot dans sa lecture) ; locuteur cmTvm1 : /ɑ̃/ dans dans la tournée dans le
texte PFC (le locuteur saute ce mot dans sa lecture).
12 Occurrence répétée : cqRgl1 : /ɑ̃/ dans penser dans la liste de mots complémentaire.
13 Occurrence manquante : locuteur cmTmm1 : /ɛ̃/ dans cinquante-deux de la liste de mots PFC
(le locuteur remplace cinquante-deux par quarante-deux dans sa lecture).
14 Occurrences répétées : locuteur cqRgl1 : /ɛ̃/ dans quatre-vingt-neuf et quatre-vingt-dix (le locuteur répète les deux entrées dans sa lecture).
15 Occurrence ajoutée : locuteur cmRbl1 : /ɛ̃/ dans fin de citation (le locuteur ajoute cette expression après la citation placée entre guillemets dans le texte PFC).
3.5 Perception : évaluation des voyelles des « locuteurs-modèles »
133
Après cette phase de codage, les données ont été extraites à l’aide de l’outil informatique DOLMEN (cf. Eychenne/Paternostro 2016) et analysées statistiquement
sous R. Travaillant sur des proportions dans des oppositions binaires (/œ̃/ : /ɛ̃/
et [ẽ] ~ [ɛ̃]), j’ai opté pour la méthode du chi carré de Pearson. Notons ce faisant
que si l’opposition [æ̃]/[ã] ~ [ɐ̃] ~ [ɑ̃]/[ɒ̃] codée dans le cas du Québec est théoriquement de nature catégorielle ordinale (codage 1 pour antérieur, codage 2 pour
central et codage 3 pour postérieur), la variante antérieure [æ̃]/[ã] n’atteint, dans
mes données (cf. 5.3.2.2), jamais un nombre d’observations suffisant pour être
prise en compte dans les modèles statistiques. C’est la raison pour laquelle le chi
carré de Pearson a également été appliqué à l’opposition [ɐ̃] ~ [ɑ̃]/[ɒ̃], en négligeant
dans les tests statistiques les quelques observations de la variante [æ̃]/[ã].
3.5 Perception : évaluation des voyelles des « locuteursmodèles » par des auditeurs « non experts »
La troisième méthode utilisée dans le cadre du présent ouvrage concerne les perceptions. Il s’agit de tests de perception effectués dans chacune des trois régions
afin de mettre en lumière les attitudes perceptives d’auditeurs non experts face
aux voyelles caractéristiques de l’usage des locuteurs-modèles de ces régions.
L’objectif de ces tests de perception était ainsi de découvrir dans quelle mesure
les voyelles spécifiques à chacune des régions sont privilégiées ou non par les
auditeurs de ces régions par rapport à la prononciation de référence équivalente
(p. ex. année : [aneː] en tant que prononciation suisse romande vs. [ane] en tant
que prononciation de référence).
Le test se base sur un total de 53 paires de stimuli (prononciation régionale
vs. prononciation de référence), évalués par 96 informateurs par région (288 au
total). Les questions posées par rapport à ces stimuli touchent à trois catégories :
premièrement, le degré de ce que la dialectologie populaire nomme correctness
(cf. Preston 1999b, xxxiv), deuxièmement, la prononciation idéale des présentateurs de journaux de ces régions et, troisièmement, la prononciation qui, selon
ces informateurs, devrait être enseignée dans les cours de FLE . Le test a été effectué sur la plateforme SoSci Survey (cf. SoSci Survey GmbH 2018), spécialement
conçue pour les enquêtes scientifiques.
La présentation détaillée de cette méthode sera structurée en quatre parties :
tout d’abord, j’expliquerai le choix des stimuli sur lesquels repose le test de perception (cf. 3.5.1). Ensuite, je présenterai les trois types de questions posées et les catégories de réponses ainsi que leur pertinence pour les objectifs du test (cf. 3.5.2). En un
troisième temps, j’aborderai la sélection et le recrutement des informateurs (cf. 3.5.3).
Pour finir, je présenterai le protocole d’analyse statistique des données (cf. 3.5.4).
134
3 Méthode
3.5.1 Stimuli
Les tests de perception sont basés sur la sélection de syntagmes et de mots lus
déjà pris en compte dans les analyses de production (cf. tableaux 18–23, chapitre
3.4.2.1). Cependant, dans le cas des tests de perception, de manière similaire à la
procédure de Detey/Le Gac (2008, 480), seuls les stimuli des mots contenant les
traits considérés comme « régionaux » ont été retenus pour chacune des paires,
avec pour chaque mot un stimulus donné par un locuteur lisant le mot avec ce
trait régional ainsi qu’un stimulus d’un autre locuteur lisant le mot avec le trait
de référence correspondant. Prenons, en guise d’exemple, l’opposition /a/ : /ɑ/
dans des mots isolés lus par des présentateurs suisses romands. Alors que les
analyses de production portent sur tous les stimuli enregistrés pour les deux
mots de la paire minimale patte ~ pâte, le test de perception ne prend en compte
que deux des stimuli des lectures de pâte, l’un d’entre eux étant lu [pat] par un
locuteur et l’autre [pɑt] par un autre locuteur. Cet exemple est résumé dans le
tableau 25 :
Tableau 25 : Stimuli pris en compte : différences entre les analyses de production et les tests de
perception à l’exemple de la paire minimale patte ~ pâte.
Paire minimale
Productions
des locuteurs
Analyses de
production
Tests de perception
patte ~ pâte
patte : [pat]
pâte :
[pɑt] ~ [pat]
Analyse de tous
les stimuli existant
pour patte et pâte
Prise en compte de deux des stimuli
du mot contenant le trait « régional » :
pâte [pɑt] ~ [pat]
Ce choix repose sur le fait que les auditeurs ont été invités à évaluer les prononciations entendues sur la base d’une représentation graphique du mot qu’ils
voyaient à l’écran, cette représentation graphique étant justement le mot contenant le trait considéré comme « régional » (p. ex. pâte dans l’exemple ci-dessus).
Ainsi, étant donnée cette représentation graphique, je n’ai eu besoin de prendre
en compte que les lectures de cet unique mot.
De même que pour les analyses de production, notons qu’il était nécessaire
ici aussi que les stimuli soient lus : il me fallait en effet contrôler au mieux que
ce sont bien les traits de prononciation devant être testés qui sont évalués par les
auditeurs (cf. Woehrling/Boula de Mareüil 2005, 91–92). Ainsi, j’ai choisi, d’une
part, de présenter les paires de voyelles dans un mot isolé prononcé une fois avec
la voyelle de référence (p. ex. brin [bʁɛ̃] dans le test québécois) et une fois avec la
voyelle considérée comme régionale (p. ex. brin [bʁẽ] dans ce même test). Cette
méthode garantissait en effet au mieux que les auditeurs se réfèrent bien à cette
3.5 Perception : évaluation des voyelles des « locuteurs-modèles »
135
différence de timbre dans leur évaluation. Le test a, d’autre part, également pris
en compte des syntagmes plus longs tirés du texte lu (p. ex. l’extrait Le village de
Beaulieu est en grand émoi pour tester l’opposition /ɛ/ : /e/), en raison de leur
nature moins artificielle que des mots isolés, combinée à leur meilleure comparabilité par rapport à des stimuli de nature spontanée (cf. Woehrling/Boula de
Mareüil 2005, 91–92).
Soulignons cependant que la nature des stimuli pour des tests de perception
reste une question controversée : alors que les stimuli lus sont mieux contrôlables
et comparables, mais également artificiels, les stimuli non lus sont plus proches
de l’usage spontané des locuteurs (cf. Purschke 2011, 151), mais permettent une
comparaison moins fiable des données. Notons pourtant que Postlep (2010, 106)
obtient des résultats contredisant ces observations : ses résultats liés à des stimuli
lus présentent en effet un écart-type plus élevé que ceux touchant à des stimuli
de nature spontanée.
En résumé, chaque trait mentionné dans les tableaux 18–23 (cf. 3.4.2.1) a été
inséré dans le test de perception selon le schéma du tableau 26, et ce, dans la
mesure du possible, aussi bien sous forme de paires de mots que sous forme de
paires de syntagmes. Certains traits n’apparaissent néanmoins pas dans les listes
de mots ou dans le texte et n’ont donc pu être pris en compte que dans l’un ou
l’autre contexte.
Tableau 26 : Choix des stimuli.
Sources
Types de stimuli
Extraits du texte PFC
Phrases ou
syntagmes
Extraits des listes de mots
Mots isolés
Paires de mots testées
par
paires
prononciation régionale vs.
prononciation de référence
Le choix concret de paires de stimuli à utiliser dans les tests de perception a été
effectué selon les critères suivants :
– Dans le cas des différences de timbre de voyelles orales (p. ex. pâtes [pat]
~ [pɑt]), le choix s’est fait sur la base de la distance acoustique entre les
voyelles, chaque paire de mots prise en compte contenant ainsi les deux réalisations de la voyelle en question les plus éloignées l’une de l’autre selon les
formants F1 et F2. Ce choix repose sur l’hypothèse de Green/Gail/Kuhl (1997,
686–687), selon laquelle une distance acoustique plus élevée dans la production est corrélée avec une meilleure distinction dans la perception. Dans le
cas spécifique des diérèses et des synérèses, le choix des stimuli à prendre en
compte s’est fait sur la base d’une lecture qualitative de spectrogramme (cf.
3.4.2.2.2), avec comme principal critère une structure formantique instable
136
–
–
3 Méthode
et en variation constante pour les synérèses et une structure à deux voyelles
présentant une partie stable pour les diérèses.
Dans le cas des différences de durée (p. ex. année [ane] ~ [aneː]), le choix s’est
fait sur la base des mesures de longueur des voyelles, chaque paire de mots
prise en compte contenant les voyelles les plus brèves et les plus longues
mesurées dans le sous-corpus respectif (c’est-à-dire soit le sous-corpus suisse
romand, soit le sous-corpus québécois, étant donné qu’aucune opposition de
durées n’a été testée dans le sous-corpus parisien).
Dans le cas des différences de timbre de voyelles nasales (p. ex. brun /bʁœ̃/ ~
/bʁɛ̃/), le choix s’est fait sur la base d’une appréciation auditive des codeurs
de chaque sous-corpus, le choix s’étant, ici aussi, porté sur des stimuli particulièrement bien distinguables l’un de l’autre. En effet, tout comme dans
le cas de l’analyse de production des voyelles nasales (cf. 3.4.2.3), un choix
basé sur une analyse acoustique n’aurait été que peu fiable en raison des différents effets acoustiques de la nasalisation (transitions des formants, augmentation de la largeur des bandes de formants, antiformants).
Notons finalement qu’afin d’éviter toute influence due à la différence entre les
voix masculines ou féminines sur les évaluations, toutes les paires de stimuli
utilisées dans le cadre des trois tests sont attribuables à des hommes. Ce choix
repose sur le fait que les hommes sont surreprésentés dans certaines chaînes
(cf. 3.4.1.1), ce qui a permis de choisir plus facilement des stimuli adéquats, certaines paires de mots ou de syntagmes ne pouvant pas être trouvées pour les
deux sexes. Certaines voyelles ont en effet été réalisées par toutes les locutrices
avec un timbre très similaire pouvant être attribué à la même voyelle au niveau
acoustique, l’autre voyelle étant donc manquante pour la globalité de ce groupe
de locutrices. Mentionnons en guise d’exemple le mot pâte, réalisé systématiquement par toutes les locutrices parisiennes comme [pat], ce qui aurait rendu la
comparaison des prononciations [pat] et [pɑt] impossible si seules des voix féminines avaient été prises en compte.
Paris
Dans le cas de Paris, étant donnée la proximité considérable entre la prononciation de référence (prononciation décrite dans le chapitre 2.3.1) et la prononciation des locuteurs-modèles parisiens, j’ai également pris en compte
des stimuli de locuteurs « ordinaires » nés à Paris (tirés du corpus de Pustka
2007) et j’en ai comparé les résultats avec ceux obtenus avec des stimuli de
locuteurs-modèles. L’objectif de cet ajout était de découvrir si une différence
est faite entre ces deux groupes de locuteurs dans la perception des auditeurs.
3.5 Perception : évaluation des voyelles des « locuteurs-modèles »
137
Les stimuli pris en compte dans le cadre du test de perception effectué à Paris
sont listés dans le tableau 27.
Tableau 27 : Stimuli pris en compte dans le test de perception effectué à Paris.
Traits parisiens
évalués
Mots isolés
Locuteursmodèles
Locuteurs
ordinaires
Syntagmes
Locuteursmodèles
Locuteurs
ordinaires
1.
Maintien de
l’opposition
/a/ : /ɑ/
pâte : [pat] ~ [pɑt]
Et plus récemment, son usine de
pâtes italiennes : [pat] ~ [pɑt]
2.
Neutralisation
de l’opposition
/e/ : /ɛ/
épais : [epe] ~ [epɛ]
Le village de Beaulieu est en grand
émoi : [ɛ] ~ [e]
Jusqu’ici les seuls titres de gloire de
Beaulieu étaient son vin blanc sec :
[etɛ] ~ [ete]
3.
Neutralisation
de l’opposition
/ø/ : /œ/
jeûne : [ʒœn] ~ [ʒøn]
Quelques fanatiques auraient même
entamé un jeûne prolongé dans
l’église de Saint Martinville :
[ʒœn] ~ [ʒøn]
4.
Neutralisation
de l’opposition
/ɛ̃/ : /œ̃/
brun : [bʁœ̃] ~ [bʁɛ̃]
D’un autre côté : [œ̃] ~ [ɛ̃]
Par rapport à /e/ : /ɛ/, rappelons que l’opposition aura tendance à se maintenir
dans les paires minimales été ~ étai(en)t et épée ~ épais, alors que dans la forme
est, la tendance sera à la fermeture en [e] (cf. 3.4.2.1), ces évolutions pouvant également avoir des répercussions sur la perception des auditeurs.
Par ailleurs, en ce qui concerne l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/, étant donné qu’en production le [œ̃] aura tendance à mieux se maintenir dans brun que dans un (cf.
3.4.2.1), il est probable qu’une éventuelle tendance vers le [ɛ̃] soit évaluée différemment dans ces deux mots lors du test de perception.
Au total, 18 paires de stimuli – soit 36 stimuli individuels répartis sur les deux
types de locuteurs (locuteurs-modèles et locuteurs « ordinaires ») – ont donc été
prises en compte dans le cadre de ce test de perception, 8 de ces paires de stimuli
étant des mots isolés et 10 des syntagmes.
Suisse romande
Dans le cas de la Suisse romande, le problème de la grande proximité entre le
modèle traditionnel de référence et les variétés suisses romandes se pose moins
138
3 Méthode
et seuls des locuteurs-modèles ont donc été pris en compte. Notons que dans le
cas de l’opposition /e/ : /ɛ/ dans sa fonction de distinction de certains temps et
modes en syllabe finale ouverte, aucune paire de syntagmes n’a pu être trouvée
dans le texte PFC. Le trait n’a donc été testé que sur la base de mots isolés. Mentionnons par ailleurs qu’aucune diphtongaison n’a pu être relevée dans les analyses de production des mots année [aneːj] (texte lu) et pensée [pɑ̃seːj] (liste de
mots complémentaire), et que de ce fait, aucun stimulus présentant cette caractéristique n’a pu être inséré dans le test de perception (cf. tableau 28).
Tableau 28 : Stimuli pris en compte dans le test de perception effectué en Suisse.
Traits suisses romands évalués
Mots isolés
Syntagmes
1.
Opposition quantitative
en syllabe finale fermée +
différence de timbre
pâte :
[pat] ~ [pɑt]
Et plus récemment, son usine de
pâtes italiennes : [pat] ~ [pɑt]
2.
Opposition quantitative en
syllabe finale ouverte
pensée
[pɑ̃se] ~ [pɑ̃seː]
Syntagme : En fin d’année :
[ane] ~ [aneː]
3.
Opposition /e/ : /ɛ/ en syllabe
finale ouverte
(distinction de certains temps et
modes)
je pourrai
[puʁe] ~ [puʁɛ]
(aucun stimulus)
4.
Opposition /ɛ̃/ : /œ̃/
brun [bʁœ̃] ~ [bʁɛ̃]
D’un autre côté : [œ̃] ~ [ɛ̃]
5.
Préférence de la diérèse à la
synérèse
muette
[my.ɛt] ~ [mɥɛt]
Car le Premier Ministre, lassé
des circuits habituels : [abity.ɛl]
~ [abitɥɛl]
Étant donné que la recherche portant sur l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/ en Suisse romande
observe que le /œ̃/ semble être, contrairement au cas de Paris, plus résistant dans
un que dans brun (cf. 3.4.2.1), on peut ici aussi s’attendre à ce que l’évaluation de
la neutralisation de l’opposition /ɛ̃/ : /œ̃/ en faveur de /ɛ̃/ soit différente selon le
mot, mais dans le sens inverse de l’évolution en cours à Paris. Notons aussi que
la question de l’influence de la variation lexicale devra également être abordée
dans la présentation des évaluations touchant à l’opposition quantitative dans
pensée ~ année et à la diérèse/synérèse dans muette ~ habituels.
Au total, 9 paires de stimuli, soit 18 stimuli individuels, ont été prises en
compte dans le cadre du test de perception effectué en Suisse romande, 5 de ces
paires de stimuli étant des mots isolés et 4 des syntagmes.
3.5 Perception : évaluation des voyelles des « locuteurs-modèles »
139
Québec
Le cas du Québec est similaire à celui de la Suisse, un seul groupe de locuteurs
ayant été pris en compte, celui des locuteurs-modèles. Précisons que pour réduire
le plus possible la durée du test, deux traits présentés dans le chapitre 2.3.4 ont
été réunis en une double paire de voyelles. Il s’agit de l’opposition quantitative
/ɛ/ : /ɛː/ (cf. tableau 23, trait 3) et de la diphtongaison des voyelles allongées (cf.
tableau 23, trait 8), rassemblées dans la double paire de voyelles à l’intérieur du
mot fête ([fɛt] ~ [fɛːt] ~ [faɜt]) (cf. tableau 29, trait 3). Mentionnons par ailleurs qu’aucune équivalence à ces deux traits n’a pu être trouvée dans le texte PFC, raison
pour laquelle ils n’ont pu être testés que sur la base de mots isolés. De manière
similaire, dans le cas du dévoisement (ou effacement) des voyelles /i, y, u/,
aucune paire de stimuli convenables n’a pu être trouvée dans les mots isolés.
Soulignons finalement que dans le cas de la réalisation de /ɑ̃/, seules deux
variantes ont pu être prises en compte – la variante centrale [ɐ̃] et la variante
postérieure [ɑ̃] – étant donné qu’aucune variante antérieure [ã] utilisable n’a pu
être trouvée dans les contextes testés dans les productions des locuteurs-modèles
(cf. tableau 29).
Tableau 29 : Stimuli pris en compte dans le test de perception effectué au Québec.
Traits québécois évalués
Mots isolés
Syntagmes
1.
Opposition /a/ : /ɑ/
pâte :
[pat] ~ [pɑt]
Et plus récemment, son usine
de pâtes italiennes : [pat] ~
[pɑt]
2.
/a/ final dans <-oi> : [wa] ou [wɑ]
baignoire :
[bɛɲwaʁ] ~ [bɛɲwɑʁ]
trois échevins :
[tʁwa] ~ [tʁwɑ]
3.
Opposition quantitative /ɛ/
vs. /ɛː/ + diphtongaisons des
voyelles allongées
fête :
[fɛt] ~ [fɛːt] ~ [faɜt]
(aucun stimulus)
4.
Quatre voyelles nasales
brun : [bʁœ̃] ~ [bʁɛ̃]
d’un autre côté : [œ̃] ~ [ɛ̃]
5.1
Réalisation de /ɛ̃/ en [ẽ]
médecin :
[medsɛ̃] ~ [medsẽ]
dans le coin : [kwɛ̃] ~ [kwẽ]
5.2
Réalisation de /ɑ̃/ en [ɐ̃] (central)
ou [ɑ̃] postérieur
penser :
[pɐ̃se] ~ [pɑ̃se]
l’ancienne poste vendue :
[vɐ̃dy] ~ [vɑ̃dy]
6.
Ouverture et relâchement des
voyelles /i, y, u/
six : [sis] ~ [sɪs]
autour des mêmes villes :
[vil] ~ [vɪl]
7.
Dévoisement (ou effacement)
des voyelles /i, y, u/
(aucun stimulus)
des vérifications d’identité :
[veʁifikasjɔ̃] ~ [veʁifːkasjɔ̃]
Concernant l’opposition /œ̃/ : /ɛ̃/, le problème de variation des mots utilisés (brun
dans le cas des mots isolés, un dans le cas des syntagmes) se pose également pour
140
3 Méthode
le Québec. Cependant, étant donnée la stabilité de l’opposition reconnue unanimement dans la littérature (cf. 2.3.4), la différence d’évaluation des réalisations
du /œ̃/ dans les deux mots devrait s’avérer moins élevée que dans les cas de Paris
et de la Suisse romande. Il faudra également, tout comme dans les analyses de
production, porter attention à la variation lexicale pour /ɛ̃/ dans médecin ~ coin,
/ɑ̃/ dans penser ~ vendue et /i/ dans six ~ ville.
Ainsi, 13 paires de stimuli – qui correspondent à 26 stimuli individuels – et
une double paire de stimuli (fête [fɛt] ~ [fɛːt] ~ [faɜt] – correspondant à 3 stimuli
individuels – ont été prises en compte dans le cadre du test de perception effectué
au Québec, pour un total de 29 stimuli individuels. Six de ces paires, ainsi que la
double paire, sont des mots isolés, les 7 autres paires des syntagmes.
3.5.2 Questions et catégories de réponses
La tâche d’évaluation des différentes prononciations des voyelles présentes dans
ces paires de mots ou de syntagmes a été élaborée de la façon suivante : les auditeurs, qui voyaient la représentation graphique du mot à l’écran en même temps
qu’ils en entendaient l’une des deux prononciations, étaient invités à évaluer la
prononciation entendue. Notons ici que la présentation graphique peut être problématique, étant donné qu’elle peut pousser les informateurs à chercher une
différence de prononciation qu’ils n’entendraient peut-être pas dans un contexte
sans influence de la graphie. Cette variante avec présentation graphique du mot
a été cependant choisie afin d’expliciter au mieux l’item à évaluer, la simple évaluation sans support graphique pouvant, dans la perspective inverse, mener à
des confusions quant à l’objet exact de l’évaluation.
L’évaluation a été effectuée sur la base de trois types de questions, qui
avaient pour objectif de tester trois types de normes (cf. 2.1.1). Ces trois types de
normes reposent sur deux conceptions théoriques fondamentalement différentes
des attitudes : il existe, premièrement, une conception des attitudes issue de la
tradition de la technique du locuteur masqué (matched-guise, cf. Lambert et al.
1960), qui les considère comme des entités mentales stables et indépendantes du
contexte dans lequel elles apparaissent (cf. Hartley 1996 ; Preston 1996 ; Hartley
1999 ; Kuiper 1999 ; Preston 1999a). Selon une autre conception en revanche,
elles sont dépendantes des situations de communication dans lesquelles elles sont
exprimées (cf. Hyrkstedt/Kalaja 1998 ; Tophinke/Ziegler 2006 ; Soukup 2014). Ces
deux approches peuvent être reportées au domaine des normes. En effet, Pustka/
Chalier/Jansen (2017) font une différence entre les normes descriptives des productions, qui sont dépendantes des situations de communication, et la ou les
norme(s) prescriptive(s) des représentations, bien plus homogènes, les locuteurs
3.5 Perception : évaluation des voyelles des « locuteurs-modèles »
141
ayant une conscience relativement nette de ce qui peut être considéré comme un
« bon » ou un « mauvais » usage linguistique (cf. Pustka/Chalier/Jansen 2017,
102–103). Ainsi, les trois types de questions formulées dans le cadre du test de
perception testent ces deux types de norme.
Question 1 : évaluation (sans contexte explicite)
La première question (cf. figure 10) est posée délibérément sans mention explicite
de quelque contexte que ce soit, afin de tester la conception d’une norme stable et
indépendante de la situation de communication.
Figure 10 : Question 1 : Comment évalueriez-vous la prononciation du mot/groupe de mots que
vous entendez ? ; exemple du stimulus six [sɪs] (Québec)16.
Les deux questions suivantes sont, pour leur part, posées en mentionnant des
contextes précis pour cette norme afin de tester la conception d’une norme plurielle dépendante de la situation de communication. Par ailleurs, ces deux questions touchent à deux domaines dans lesquels la question d’une norme de référence est particulièrement pertinente (cf. déjà Chalier 2018).
16 La question des catégories de réponse est abordée plus bas (cf. infra).
142
3 Méthode
Question 2 : prononciation idéale des présentateurs de journaux
La première de ces questions (cf. figure 11) aborde la thématique de la prononciation idéale d’un présentateur de télévision à Paris, en Suisse romande et au
Québec.
Figure 11 : Question 2 : Selon vous, comment un présentateur de télévision suisse/québécois/
parisien devrait-il prononcer le mot/le groupe de mots suivant ? ; exemple des stimuli six [sis]
vs. six [sɪs] (Québec).
Question 3 : prononciation à enseigner dans les cours de FLE
La deuxième de ces questions à contexte (cf. figure 12) touche, pour sa part, au
modèle de prononciation à enseigner dans les cours de FLE en immersion dans
ces trois régions.
Catégories de réponses
Ces trois questions ont été combinées à différentes catégories de réponses. Dans
le cas de la première question (Question 1), les auditeurs ont été invités à évaluer
les stimuli en plaçant un curseur sur une échelle allant de 0% à 100% quant au
degré de correctness des stimuli (0% : prononciation très peu correcte ; 100% :
prononciation tout à fait correcte) (cf. figure 10). Ce faisant, contrairement aux cas
des questions 2 et 3, chaque stimulus a été évalué individuellement. Cette échelle
présente l’avantage pour les auditeurs de pouvoir transformer leurs impressions
en une quantité visuelle de façon spontanée sans avoir à choisir entre des catégo-
3.5 Perception : évaluation des voyelles des « locuteurs-modèles »
143
Figure 12 : Question 3 : Selon vous, laquelle des deux prononciations du mot/de la phrase
suivant(e) serait la plus adaptée à être enseignée à des non-francophones à Paris/en Suisse
romande/au Québec ? ; exemple des stimuli six [sis] vs. six [sɪs] (Québec).
ries trop évidentes (cf. Porst 22009, 92). Pour les questions 2 et 3, j’ai opté pour des
réponses à choix simple parmi deux possibilités de réponse (ou trois dans le cas
de la double paire de voyelles dans le mot fête : [fɛt] ~ [fɛːt] ~ [faɜt]) (cf. figures 11
et 12). Les informateurs étaient donc invités, après avoir écouté les deux (ou trois)
stimuli, à cliquer sur le stimulus qu’ils privilégient pour les présentateurs de télévision et pour le domaine de l’enseignement du FLE dans leur région. Notons
qu’il ne s’agissait pas de questions à choix forcé, étant donné que les informateurs avaient également la possibilité de choisir une catégorie « je ne sais pas ».
Le tableau 30 présente un résumé de la combinaison des trois types de questions
avec les deux types de réponses utilisés.
À propos de la structure du questionnaire, notons que la sélection des informateurs s’est faite sur la base d’un échantillonnage par quotas limité à 96 informateurs par région et que leur nombre dans chaque groupe était donc trop faible
pour pouvoir procéder à une randomisation. Ainsi, tous les informateurs ont
répondu à la totalité des questions, les questions et leurs catégories de réponse
apparaissant systématiquement dans le même ordre. Les résultats statistiques
des tests de perception sont donc à considérer avec précaution : du fait de ce
renoncement à toute randomisation, d’éventuels facteurs de confusion biaisant
les résultats ne peuvent être exclus, ce qui peut avoir un effet sur la validité des
résultats (cf. Drager 2018, 44).
144
3 Méthode
Tableau 30 : Questions et catégories de réponse du test de perception.
Type de question
Question
Réponses
Évaluations
(sans contexte
explicite)
Comment évalueriez-vous la prononciation du
groupe de mots que vous entendez ?
Échelle 0%–100%
Présentateurs de
télévision
Selon vous, comment un présentateur de
télévision suisse romand devrait-il prononcer
le mot/la phrase suivant(e) ?
Stimulus 1 vs. stimulus 2
(vs. stimulus 3)
Français langue
étrangère (FLE)
Selon vous, laquelle des deux prononciations
du mot/de la phrase suivant(e) serait la
plus adaptée à être enseignée à des nonfrancophones à Paris/en Suisse romande/au
Québec ?
Stimulus 1 vs. stimulus 2
(vs. stimulus 3)
3.5.3 Informations sociodémographiques
Contrairement au cas du questionnaire écrit (cf. 3.3), les questions sociodémographiques ont été placées avant le test de perception afin de pouvoir exploiter également les données des informateurs ayant interrompu prématurément le test, de
telles interruptions étant très courante dans le cas de questionnaires en ligne (cf.
Diekmann 62012, 434–488). Les données sociodémographiques suivantes ont été
récoltées : sexe, âge, lieu dans lequel les informateurs ont passé la plus grande
partie de leur enfance, domicile actuel et nombre d’années passées à cet endroit,
niveau d’éducation, profession, origines du père et de la mère.
3.5.4 Sélection et recrutement des informateurs
La sélection des informateurs s’est faite selon le principe de l’échantillonnage par
quotas déjà utilisé pour les questionnaires écrits (cf. 3.3.2). Ainsi, 96 informateurs
ont été recrutés dans chacune des régions. Ces informateurs ont été répartis sur
quatre points d’enquête par région (24 informateurs par point d’enquête), selon
les critères du sexe (deux catégories : femmes vs. hommes), de l’âge (trois catégories : 20–39, 40–59, 60+) et du niveau d’éducation (deux catégories : diplôme universitaire et diplôme de fin d’études secondaires vs. diplôme inférieur ou aucun
diplôme) (cf. tableau 11). Au total, les données des tests de perception de 288
informateurs ont été retenues. Le critère déterminant la prise en compte ou non
des données des informateurs était que ces derniers devaient, comme dans le cas
du questionnaire écrit, avoir vécu la majeure partie des dix dernières années dans
3.5 Perception : évaluation des voyelles des « locuteurs-modèles »
145
le quartier, la commune, la ville ou l’agglomération urbaine présentée dans le
chapitre 3.3.2 et avoir au minimum un parent (père et/ou mère) ayant vécu la plus
grande partie de son enfance dans cette localité. Les auditeurs ne présentant pas
le profil recherché ont ainsi été exclus du traitement des données, tout comme les
informateurs présentant un profil déjà rempli dans les quotas.
Pour des raisons d’économie et de praticabilité, contrairement au cas du
questionnaire écrit, le recrutement des informateurs a été effectué aussi bien
hors ligne qu’en ligne : une majorité des informateurs a tout d’abord été sélectionnée personnellement selon la méthode de recherche aléatoire et rapide dans
les universités, bibliothèques, cafés, bars et dans la rue (cf. Postlep 2010, 98–99).
Par ailleurs, cette recherche a été combinée à un recrutement aléatoire et non
personnel aussi bien en ligne (sur différents portails) qu’hors ligne par le biais
d’établissements publics ou privés d’enseignement. Une fois plusieurs quotas
remplis, la recherche s’est faite de manière ciblée afin de trouver des informateurs
correspondant aux profils manquants.
Étant donnée cette méthode hybride de recrutement, la réalisation du test de
perception a également été effectuée de deux manières : à l’aide d’une tablette
numérique et d’un casque fermé pour les informateurs recrutés hors ligne et sur
l’ordinateur personnel pour les informateurs recrutés en ligne. Mais quel que soit
le type de recrutement et le support utilisé, les tests de perception en tant que tels
ont été effectués en ligne sur la plateforme SoSci Survey (cf. SoSci Survey GmbH
2018). Les informateurs ont mis entre 15 et 25 minutes pour remplir le questionnaire dans son intégralité.
3.5.5 Protocole d’analyse
Étant donné que la récolte des données s’est faite automatiquement par le biais
de la plateforme SoSci Survey (cf. SoSci Survey GmbH 2018), ces données ont pu
être extraites directement dans un format .csv, retravaillées sous Excel et importées dans le programme statistique R. Elles ont par la suite été soumises à des
analyses statistiques afin de mesurer la signification des résultats ainsi que les
éventuels effets de facteurs externes (sexe, âge, origine et niveau d’éducation
des informateurs) ayant influencé ces résultats. Les possibilités de réponses
aux questions ont été utilisées en tant que variable dépendante et les données
sociodémographiques en tant que variables explicatives indépendantes. Différents modèles statistiques ont été appliqués aux données, en fontion du type de
variable dépendante (quantitative continue, qualitative binaire ou qualitative à
trois modalités non ordonnées) et de variables explicatives (variables qualitatives
et quantitatives) :
146
–
–
3 Méthode
Question 1 : dans le cadre de la première question, comme il s’agissait de
comparer plusieurs moyennes et de tester l’influence de quatre facteurs sur
ces résultats, une analyse de variance (ANOVA) à quatre facteurs a été appliquée aux données brutes. Les quatre facteurs, qui sont tous de nature catégorique, sont le sexe (femmes vs. hommes), l’âge (20–39 ; 40–59 ; 60+), l’origine
(quatre localités par région) et le niveau d’éducation (deux niveaux d’éducation par région) des informateurs.
Questions 2 et 3 : les catégories de réponses de la deuxième et troisième question sont dans la grande majorité des cas de nature qualitative binaire, étant
donné que les informateurs avaient la possibilité de choisir une variante après
en avoir entendu deux en opposition. Ainsi, une régression logistique binaire
a été appliquée à ces données à l’aide du modèle linéaire généralisé glm avec
réponse binomiale et lien logit et en prenant en compte les quatre variables
sociodémographiques (sexe, âge, origine, niveau d’éducation). Dans le cas de
Paris, les variantes de deux groupes sociodémographiques ont été comparées
les unes avec les autres et plusieurs questions regroupent donc plus de deux
stimuli. Dans ces cas-ci, le choix du modèle s’est porté sur une régression
logistique multinomiale à l’aide de la fonction polr de l’extension MASS.
4 Représentations et attitudes
Le présent ouvrage aborde la question de la norme de prononciation dans trois
perspectives différentes (représentations et attitudes, productions, perceptions)
appliquées à trois régions (Paris, Suisse romande, Québec). La présentation des
analyses des données se structurera ainsi sur la base de cette double tripartition.
Dans le présent chapitre, je présenterai les résultats touchant aux questionnaires sur les représentations et attitudes de locuteurs « non experts » face
à différents aspects de la norme (de prononciation). Ce chapitre sera structuré
selon les trois régions (Paris : cf. 4.1 ; Suisse romande : cf. 4.2 ; Québec : cf. 4.3)
et se conclura par une discussion comparant les résultats de ces trois régions.
De cette manière, je tenterai principalement de donner une réponse au premier
objectif de la présente étude : la question de savoir quelle norme de prononciation
est explicitement privilégiée dans ces trois régions.
Le deuxième chapitre consacré aux résultats, qui porte sur les productions
(cf. 5.), conservera la même structure par régions (Paris : cf. 5.1 ; Suisse romande :
cf. 5.2 ; Québec : cf. 5.3). À l’intérieur de chacun de ces sous-chapitres, je présenterai tout d’abord les analyses acoustiques des voyelles produites par les
locuteurs-modèles. Ces analyses me permettront par la suite de proposer, dans
le cadre d’une discussion, des hypothèses quant aux traits de prononciation qui
pourraient appartenir à ces normes.
Pour finir, le troisième chapitre, qui touche aux perceptions (cf. 6.), est également divisé selon les trois régions (Paris : cf. 6.1 ; Suisse romande : cf. 6.2 ;
Québec : cf. 6.3). Il me permettra de vérifier les hypothèses faites sur la base des
analyses de production. Ce faisant, la présentation des résultats bruts de ces
tests sera suivie par une discussion de leur portée sur la définition des normes
de prononciation de ces trois régions. Finalement, les problèmes méthodologiques récurrents dans les trois tests de perception seront présentés dans le souschapitre 6.4.
4.1 Paris
4.1.1 Représentations des accents du français
La première section du questionnaire parisien concerne les hétéro-représentations
des Parisiens et a pour objectif de contibuer à déterminer quel(s) accent(s) de la
francophonie est/sont considéré(s) par ces informateurs comme étant le(s) plus
proche(s) d’une norme de prononciation. Ce faisant, la première question (Quels
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https://doi.org/10.1515/9783110707540-004
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148
4 Représentations et attitudes
accents de français connaissez-vous dans le monde ?) n’a pas été exploitée, puisqu’il
s’agissait d’une question « brise-glace » visant à favoriser l’entrée en matière des
informateurs, mais ne présentant pas de réelle valeur substantielle pour la question
des normes.
Ainsi, la première question touchant à un aspect lié aux normes est la question 2, qui aborde cette thématique sur la base d’une des caractéristiques de
prononciations considérées comme proche d’une certaine « norme » : leur prétendue « neutralité » dans les représentations. L’hypothèse quant à cet aspect de
« neutralité » était ici celle d’informateurs parisiens considérant l’accent de leur
propre « classe moyenne » – aux contraires des informateurs « périphériques »
(cf. 4.2.1 ; 4.3.1) – comme étant « neutre » (cf. Kuiper 1999, 251 ; Kuiper 2005, 44 ;
Pustka 2008, 221). Ceci correspondrait aux caractéristiques de locuteurs de la
variété dominante au prestige manifeste (cf. Clyne 1995, 22 ; 2.1.2.4.3).
Question 2 : Selon vous, où a-t-on le moins d’accent dans le monde ?
Cette première question est ouverte, c’est-à-dire sans choix de réponses fixé
au préalable. La catégorisation et la quantification des réponses présentée
ci-dessous ont donc été effectuées a posteriori. Ce faisant, quatre types de
réponses ont pu être dégagés des données et regroupés sous les désignations des
accents de la « Touraine », de « Paris » ainsi que du « Nord de la France » et de
la « France ». S’ajoutent à cela les informateurs estimant que tout locuteur présente un accent (« Nulle part »), ceux qui n’ont pas voulu répondre à la question
(« Aucune réponse ») et quelques réponses hétérogènes ne pouvant être catégorisées (« Autre ») (cf. figure 13).
Les données brutes illustrées dans la figure 13 ont été soumises à un modèle
de régression logistique multinomiale sous R.1 Le nombre d’observations de la
catégorie « autre » (3,13%, 3/96) étant trop faible, cette catégorie n’a pas été prise
en compte. Le modèle de régression distingue globalement deux regroupements
comprenant respectivement deux et quatre catégories : les catégories touchant à
l’accent de la « Touraine » (34,38%, 33/96) et à celui de « Paris » (32,29%, 31/96)
se distinguent en effet significativement des quatre autres (p<0,05),2 à savoir les
1 Notons que les justifications détaillées du choix des différents modèles statistiques utilisés
dans le chapitre 4 pourront être trouvées dans le chapitre méthodologique 3.3.3.
2 « Touraine » vs. « Paris » : p>0,05, coef. = -0,49, e.s. = 0,38, z = -1,29 ; « Touraine » vs. « Nord de
la France » : p<0,05, coef. = -1,28, e.s. = 0,51, z = -2,53 ; « Touraine » vs. « France » : p<0,01, coef. =
-2,20, e.s. = 0,75, z = -2,95 ; « Touraine » vs. « Nulle part » : p<0,01, coef. = -1,79, e.s. = 0,62, z = -2,87 ;
« Touraine » vs. « Aucune réponse » : p<0,01, coef. = -2,20, e.s. = 0,75, z = -2,95 ; « Paris » vs. « Nord
4.1 Paris
149
Figure 13 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Selon vous, où a-t-on le
moins d’accent dans le monde ? (n=96).
accents du « Nord de la France »3 (11,46%, 11/96) et de la « France » (7,29%, 7/96)
ainsi que des informateurs ne considérant aucun accent comme plus « neutre »
qu’un autre (« nulle part » : 6,25%, 6/96) et des informateurs n’ayant pas voulu
répondre à la question (« aucune réponse » : 5,21%, 5/96). Ces dernières quatre
catégories, quant à elles, ne se distinguent pas significativement les unes des
autres (p>0,05).
Comment ces résultats doivent-ils être interprétés ? Avant d’aborder les catégories une par une, on peut tout d’abord observer qu’au contraire des cas de la
Suisse romande (cf. 4.2.1) et du Québec (cf. 4.3.1), les réponses ne sont pas centrées sur une comparaison de différents « accents nationaux » (p. ex. français
« de France », « de Suisse romande », « du Québec »), mais sur une perspective
interne à la France, les accents de la francophonie « hors de France » étant omis
en grande partie par les informateurs. Cette observation pourrait être expliquée
de la France » : p<0,05, coef. = -0,79, e.s. = 0,54, z = -1,46 ; « Paris » vs. « France » : p<0,05, coef. =
-1,70, e.s. = 0,77, z = -2,22 ; « Paris » vs. « Nulle part » : p<0,05, coef. = -1,30, e.s. = 0,65, z = -1,99 ;
« Paris » vs. « Aucune réponse » : p<0,05, coef. = -1,70, e.s. = 0,77, z = -2,22.
3 Signalons que le terme « Nord de la France » est ambigu. Il peut faire référence à la France
septentrionale – c’est le sens ici –, mais également au département du Nord, à la région de Lille,
à la Picardie et à l’accent y étant rattaché (souvent désigné par les termes d’« accent du Nord »,
d’« accent chti » ou encore d’« accent picard ») (cf. p. ex. Pustka 2008, 217).
150
4 Représentations et attitudes
par la différence constatée par Kuiper (2005) entre les accents franco-français et
les accents du français hors de France dans les représentations des Parisiens :
« Parisian respondents clearly have strong feelings about the French spoken in Provence,
but do not attribute these feelings to some linguistic force external to French. Put another
way, the Parisian respondents seem to be judging other speakers of their own language
when judging Provençal speech, whereas with Belgium, Switzerland, Alsace and Lorraine,
they are judging the speech of regions where “non-French” languages are a factor »
(Kuiper 2005, 36).
Ces représentations des accents du français hors de France comme étant des
accents subissant l’influence d’une langue étrangère pourraient expliquer qu’ils
ne soient quasiment pas pris en considération lorsque les qualificatifs utilisés
sont liés au prestige manifeste.
Quant aux résultats portant sur des accents, on peut observer que deux d’entre
eux sont considérés par les Parisiens comme étant les plus « neutres » : ceux de
la Touraine4 et de Paris. Ce résultat n’est guère surprenant, étant donné que plusieurs études préalables ont déjà montré que la région linguistique de la Touraine
représenterait dans la conscience des Français la région où est parlé le français
« le plus neutre » ou « le plus pur » (cf. Malmberg 1963, 13 ; Gueunier/Genouvrier/
Khomsi 1978, 82 ; Léon 2005, 193 ; cf. également Pustka 2008, 218). Pour Paris,
le résultat était également prévisible : l’étude de Kuiper (2005, 48), qui se base
aussi sur des représentations non perceptives, a déjà pu montrer que les Parisiens
considèrent en majorité leur propre accent comme étant le plus « neutre » ou le
plus « correct ». Notons à cet égard que plusieurs informateurs précisent leurs
réponses par rapport à l’accent parisien : « intramuros » (2/31) ; « pas la banlieue » ou « pas l’accent banlieusard » (3/31) ; « accent parisien normal » (2/31),
« pas l’accent parisien bourgeois » (1/31). Conformément à Pustka (2008, 213),
il semble donc que les accents dits « du 16ème » et « banlieusard » soient d’entrée exclus de cette relative « neutralité » perçue. Les informateurs ne nomment
cependant pas explicitement l’accent qu’ils considèrent comme étant le plus
« neutre » (mis à part les qualificatifs très généraux « intramuros » et « accent
parisien normal »). Sur la base des résultats des précédentes études (cf. 2.2.1.2),
il serait donc pertinent de se demander s’il s’agit plutôt d’un accent des Parisiens
de souche du Paris-terroir ou de celui des Parisiens d’adoption du Paris-creuset
(cf. Walter 1988, 170–171 ; Walter 1998, 363). Les questions suivantes apporteront
certains éléments de réponse.
4 Les réponses du type « Tours », « (la) Touraine » et « (les) Pays de la Loire » ont été résumées
sous l’étiquette « Touraine », terme utilisé le plus fréquemment par les informateurs.
4.1 Paris
151
Même si les réponses touchant au « Nord de la France » (11,46%, 11/96) sont
très peu nombreuses, elles apportent une confirmation supplémentaire du fait
que le nivellement linguistique en France septentrionale ayant donné naissance
à un « accent urbain nivelé et non localisé » (Armstrong 2002, 14) n’est pas seulement un phénomène implicite observable dans les perceptions (cf. Armstrong/
Boughton 1998 ; 2000), mais est également explicitement présent dans les représentations des locuteurs.
Notons également qu’un nombre tout de même considérable d’informateurs
ont soit répondu qu’ils ne considèrent aucun accent comme étant plus « neutre »
qu’un autre (« nulle part » : 6,25%, 6/96), soit refusé de répondre à la question
(« aucune réponse » : 5,21%, 5/96). Ce résultat peut mener à trois interprétations
différentes : tout d’abord, parallèlement aux cas de la Suisse romande (cf. 4.2.1)
et du Québec (cf. 4.3.1), il se pourrait que cette partie des Parisiens ait une vision
globalement symétrique et égalitaire de la variation régionale (cf. Pustka et al.
2019, 27). Il est également possible qu’une observation qui ressort des entretiens
guidés de Kuiper (2005, 48) se manifeste ici, à savoir qu’il ne s’agit pas d’une
« notion of linguistic equality », mais d’une vision de cette correctness comme
étant soit une question de classe sociale, soit simplement inaccessible (comme la
norme fantasmée décrite par Moreau 1997 ; cf. 2.1.1.2.1). Finalement, il pourrait
également s’agir d’un artefact de la méthode, une invitation à procéder à une
évaluation ne permettant pas de réponse s’approchant de la désirabilité sociale
d’un certain « politiquement correct ».
Finalement, retenons dans l’optique de la présente étude que les résultats
de cette question ont permis de confirmer que les représentations des Parisiens
mises en lumière ici ont dans l’ensemble tendance à correspondre aux représentations considérées comme typiques de locuteurs de la variété dominante au
prestige manifeste (p. ex. considération de leur norme comme le modèle à suivre ;
cf. Clyne 1995, 22). Notons cependant que le pourcentage de réponses mentionnant Paris atteint seulement 32,29%, ce qui incite à considérer avec prudence des
résultats qui n’établissent qu’une légère tendance.
4.1.2 Représentations de l’accent en usage à Paris
Question 3.1 : Les Parisiens ont-ils un accent ? (□ Oui □ Non)
La question de la « neutralité » des accents a été reprise dans la deuxième section
dans une perspective non plus globalement francophone, mais interne à Paris –
elle porte donc sur les auto-représentations des Parisiens. La question avait pour
152
4 Représentations et attitudes
objectif de vérifier que les Parisiens estiment bien qu’il existe un accent « neutre »
et qu’ils localisent cet accent majoritairement à Paris, ce que les études de Kuiper
(1999 ; 2005) et Pustka (2007 ; 2008) avaient déjà suggéré auparavant. Contrairement à la question précédente, il s’agit ici d’une question fermée pour laquelle
seules deux possibilités de réponse ont été proposées aux informateurs (« oui »
ou « non ») (cf. figure 14).
Figure 14 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Les Parisiens ont-ils un
accent ? (n=96).
Étant donnés les trois types de réponses illustrés dans la figure 14, un modèle
de régression logistique multinomiale a été appliqué aux données brutes.
De manière peu surprenante, le modèle de régression montre que le nombre de
réponses « non » (54,17%, 52/96) est significativement plus élevé que celui des
« oui » (26,04%, 25/96) et des informateurs n’ayant pas voulu répondre à la
question (« aucune réponse » : 19,79%, 19/96) (p<0,05).5 Les catégories « oui » et
« aucune réponse » ne se différencient quant à elles pas significativement l’une
de l’autre (p>0,05, coef. = -0,22 ; e.s. = 0,67 ; z = -0,33). Étant donnée la clarté des
résultats, il n’est guère surprenant que les variables sociodémographiques (sexe,
âge, niveau d’éducation, origine géographique) ne montrent aucune influence
significative sur les résultats.
Ainsi, une petite majorité statistiquement significative des Parisiens semble
effectivement penser ne pas avoir d’accent ou présenter un accent « neutre ». Une
5 « Non » vs. « Oui » : p<0,05, coef. = -1,10 ; e.s. = 0,52 ; z = -2,13 ; « Non » vs. « Aucune réponse » :
p<0,05, coef. = -1,32 ; e.s. = 0,56 ; z = -2,35.
4.1 Paris
153
conclusion similaire (bien qu’encore plus claire) avait été tirée dans les travaux
antérieurs portant sur les représentations des Parisiens à propos de leur propre
accent : Kuiper (1999, 251) a montré que 80% de ses informateurs provenant
d’Île-de-France laissaient une zone blanche autour de la région de Paris sur leurs
cartes mentales (angl. mental maps) des accents de France. Pustka (2007, 241–242)
en était arrivée à des résultats certes moins évidents mais tout de même considérables, 29% (57/196) de ses informateurs originaires de Paris et d’Orléans jugeant
l’accent parisien « neutre », voire inexistant.
Une comparaison de ces résultats à ceux de la même question posée en
Suisse romande (cf. 4.2.2) et au Québec (cf. 4.3.2) montre que l’asymétrie des
auto-représentations des Parisiens par rapport aux auto-représentations de locuteurs « périphériques » semble se confirmer (cf. Pustka 2008, 221–222), les Parisiens étant les seuls à penser – du moins à une courte majorité – qu’ils n’ont
pas d’accent. Dans l’optique de la question des normes (de prononciation), cette
unilatéralité dans la croyance en un accent « neutre » de cette majorité des Parisiens correspond à nouveau à la situation prototypique des représentations des
locuteurs du « centre » par rapport à celles des locuteurs de « périphérie ». En
ce sens, cette question renforce l’interprétation de l’accent « parisien » comme
restant globalement un modèle de prononciation.
Cependant, les résultats obtenus incitent à rester prudent dans l’interprétation : 26,04% des informateurs considèrent en effet qu’ils ont un accent. Or,
la question ne précisant pas le type d’accent auquel elle fait référence (accent
régional ou social), les différents résultats pourraient également être dus à deux
interprétations différentes : les informateurs ayant répondu « non » pourraient
s’être référés à l’accent parisien qu’ils considèrent comme étant « normal » et
« intramuros » (cf. 4.1.1) et les informateurs ayant répondu « oui », aux différents
accents micro-diatopiques et sociaux (« accent du 16ème », « accent faubourien »,
« accent banlieusard », cf. Pustka 2008, 222–234). La sous-question supplémentaire (cf. question 3.2) pourra apporter certains indices de cette éventuelle distinction ainsi que de la conscience que possèdent les Parisiens des traits caractérisant leur accent.
Questions 3.2 : Si oui, à quoi peut-on les reconnaitre le plus ?
Dans le cadre de cette question, les informateurs ayant répondu à la question 3.1
par l’affirmative étaient priés (1) d’indiquer dans quel domaine linguistique ils
pensent que cet accent sera le plus perceptible sur la base de trois possibilités de
réponse (vocabulaire, prononciation ou grammaire) et (2) de formuler librement
des exemples pouvant illustrer la catégorie choisie. Par ailleurs, une catégorie
154
4 Représentations et attitudes
supplémentaire « à autre chose » a été ajoutée aux possibilités de réponse, afin de
permettre aux informateurs d’exprimer d’éventuels aspects n’étant pas couverts
par la question fermée (cf. figure 15). Notons que le nombre d’informateurs (35)
ayant répondu à la question ne correspond pas au nombre de ceux ayant répondu
à la question 3.1 par l’affirmative (25). À cela, il y a deux explications possibles :
certains informateurs ayant répondu « oui » à cette dernière sous-question n’ont
pas voulu donner de précision, et certains autres, qui ont répondu par la négative
ou indiqué « aucune réponse », ont tout de même fourni des précisions.
Figure 15 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Si oui, à quoi peut-on les
reconnaître le plus ? (n=35).
La catégorie « grammaire » ne présentant que deux valeurs (5,71%, 2/35), elle n’a
pas pu être prise en compte dans les tests statistiques. Les résultats des catégories
« prononciation » (80,00%, 28/35) et « lexique » (14,29%, 5/35) ont donc été comparés dans le cadre d’un modèle de régression binomiale. Malgré le faible nombre
de réponses, la différence entre les deux catégories s’avère significative à p<0,05
(coef. = 2,49, e.s. = 1,04, z = 2,39). Le modèle ne montre cependant aucun effet
significatif des données sociodémographiques. Globalement, on observe donc
qu’une majorité significative des informateurs pensent percevoir la plupart des
traits saillants du français parisien (ou des français parisiens ; cf. infra) au niveau
de la prononciation.
Quant aux commentaires libres, même si la consigne était de donner d’éventuels exemples concrets se rapportant à la catégorie choisie (prononciation,
vocabulaire, grammaire), les précisions données par les informateurs parisiens
ne se restreignent pas uniquement à ces exemples, et présentent également des
indications explicites à propos de la différenciation d’accents micro-diatopiques
4.1 Paris
155
et sociaux internes à Paris. Ces accents correspondent globalement à la répartition de Pustka (2008, 222–234) : « accent du 16ème », « accent faubourien »/« titi
parisien », « accent des banlieues ». Les informateurs parisiens les associent par
ailleurs à certains traits de prononciation concrets (et, dans le cas de l’« accent
faubourien », également à une particularité lexicale) :
– « Accent du 16ème » : les informateurs qualifient cet accent d’« [. . .] accent
bourgeois » (2 mentions), d’« accent bourge » ou encore d’« accent du 16e ».
Ils nomment par ailleurs deux traits de prononciation pour le caractériser :
l’allongement de la voyelle [ɑ] devant une pause (« ils ajoutent des ‹ â › à la fin
des mots ») ainsi que la postériorisation de [ɑ̃] en [ɔ̃] (« on remplace les ‹ an ›
et ‹ en › par des ‹ on › »).
– « Accent faubourien » : les informateurs recourent aux qualificatifs « accent
parigot », « [. . .] accent ‹ parigot › populaire en voie de disparition » ou encore
« titi(s) parisien(s) » (4 mentions). Certains traits prototypiques de cet accent
sont nommés par les informateurs, dont les palatalisations (« certaines
consonnes : ‹ ta djeule › ») et le [ʀ] (« certains vieux appuient les syllabes
bizarrement (les mots en ‹ ar ›), ça vient du fond de la gorge »). Par ailleurs,
l’un des informateurs l’associe – au niveau lexical – à l’utilisation de l’argot
(« pas mal d’argot »).
– « Accent banlieusard » : il est qualifié d’« accent des banlieues [. . .] » et
d’« accent banlieusard ». Un informateur fait une séparation explicite entre
Paris et les banlieues (« [. . .] accent différent selon que les gens sont de Paris
ou de banlieue »). Aucun trait caractéristique de cet accent n’est cependant
nommé.
D’autres commentaires ne peuvent être catégorisés si finement. Ils font en effet
référence à un accent parisien global sans faire de précision micro-diatopique
et/ou sociale interne à Paris. Cet « accent parisien » semble cependant identifié à l’accent des Parisiens d’adoption du Paris-creuset (cf. Walter 1988, 170–171 ;
Walter 1998, 363 ; cf. également 2.2.1.2), l’un des informateurs le qualifiant en
effet de « néo-parisien ».
Quant aux traits concrets nommés par les informateurs, conformément aux
réponses de la question quantitative, la plupart des exemples touchent à la prononciation, un seul se rattachant à une autre catégorie, celle de la pragmatique :
– Prononciation : au niveau de la prononciation, les informateurs mentionnent
l’élision de certaines consonnes finales (liquide finale : « certaines syllabes
qui vont être un peu bouffées : incroyab’ au lieu d’incroyable »), l’élision de
schwas (« il y a une tendance à avaler la quasi-totalité des ‹ e › », « il ne faut pas
prononcer les ‹ e › au milieu des mots : ‹ cheveux › est prononcé ‹ ch’veux › »)
ainsi que le ‹ euh › prépausal (« ils mettent des ‹ euh › partout »).
156
–
4 Représentations et attitudes
Pragmatique : quant à la pragmatique, l’exemple mentionné évoque la fréquence du marqueur discursif « quoi » (« [. . .] on finit beaucoup de phrases
par un ‹ quoi › [. . .] »).
Signalons également que plusieurs informateurs ayant répondu à la question 3.1
par la négative ont ajouté des commentaires consistant pour la plupart en des
précisions par rapport à la « neutralité » perçue de la prononciation parisienne :
« l’accent parisien se perd, il n’existe presque plus [. . .] », « les Parisiens n’ont
pas d’accent [. . .], « dans l’ouest, dans le centre et à Paris, il n’y a pas d’accent,
[. . .] c’est relativement neutre [. . .] ». Cette neutralité de la prononciation parisienne est d’ailleurs associée par certains informateurs à la représentation d’une
« bonne » prononciation ou d’un « bon » français : « nous sommes les seuls, avec
les gens du centre, à parler correctement, avec un accent neutre [. . .] ».
Finalement, outre le fait que les locuteurs parisiens attribuant aux Parisiens
un accent (26,04%) voient une majorité des traits saillants de cet accent au niveau
de la prononciation (80,00%), la question a également permis de confirmer que
la plupart des informateurs percevant un accent distinguent en fait plutôt trois
accents parisiens micro-diatopiques et sociaux (« accent du 16ème », « accent faubourien »/« titi parisien », « accent des banlieues » ; cf. Pustka 2008, 222–234).
Par ailleurs, les commentaires libres montrent que certains Parisiens estimant la
prononciation parisienne relativement « neutre » associent cette relative absence
d’accent à un haut degré de correctness (cf. Preston 1999, xxxiv).
4.1.3 Représentations des différences d’accent à l’intérieur de la France
La troisième section du présent questionnaire touche aux auto-représentations
des Parisiens à propos des accents internes à la France. L’objectif était ici de
découvrir quels accents du français sont considérés par les Parisiens comme
étant les plus « neutres » à l’intérieur de la France. Cette question est donc similaire à la question 2, mais elle est posée dans une perspective interne à la France
et non plus dans une perspective francophone globale.
Question 56 : Selon vous, où a-t-on le moins d’accent en France ?
6 Même si le questionnaire parisien ne contient pas la question 4 des questionnaires suisses
romands (cf. 4.2.2) et québécois (cf. 4.3.2) (Y a-t-il des Suisses romands/Québécois qui essaient de
perdre leur accent ?) le numéro 5 a été maintenu ici afin de permettre une comparaison directe
entre les versions parisienne, suisse romande et québécoise.
4.1 Paris
157
Il s’agit d’une question ouverte sans choix de réponse préétabli. La quantification des réponses a donc été effectuée a posteriori. Soulignons qu’au contraire
du cas des Suisses romands (cf. 4.2.3) et des Québécois (cf. 4.3.3), les résultats
se rapprochent ici fortement de ceux de la question 2, pour laquelle, malgré les
différences entre les consignes des deux questions, les informateurs parisiens faisaient déjà en majorité référence à la France. Les données brutes obtenues dans le
cadre de la présente question sont reproduites dans la figure 16.
Figure 16 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Selon vous, où a-t-on le
moins d’accent en France ? (n=96).
Les données brutes illustrées ci-dessus ont été soumises à une analyse de régression multinomiale sous R. De manière similaire aux résultats de la question 2, le
modèle montre deux groupes aux résultats statistiquement similaires : le premier
groupe est constitué de « Paris » (39,58%, 38/96) et de la « Touraine » (36,46%,
35/96), le deuxième regroupant le « Nord de la France » (6,25%, 6/96), les informateurs estimant qu’il n’existe pas d’accent « neutre » (« nulle part » : 7,29%,
7/96), ceux ayant donné une réponse hors catégorie (« autre » : 4,17%, 4/96) ainsi
que ceux n’ayant pas répondu à la question (« aucune réponse » : 6,25%, 6/96).
Les différences entre les catégories de ces deux groupes sont toutes significatives,
alors que les différences internes aux catégories ne le sont pas (cf. tableau 31).
Notons qu’ici, le modèle de régression ne relève aucun effet significatif des
données sociodémographiques (p>0,05).
Globalement, l’interprétation de ces résultats est très similaire à celle déjà
proposée dans le cadre de la question 2 (cf. 4.1.1), raison pour laquelle les deux
principales conclusions ne seront mentionnées que brièvement ci-dessous :
158
4 Représentations et attitudes
Tableau 31 : Taux de signification entre les six catégories prises en compte dans le modèle de
régression multinomiale appliqué à la question 5.
Paris
Touraine
Nord de
la France
Nulle
part
Autre
Sans
réponse
Paris
Touraine
p>0,057
Nord de la France
p<0,058
p<0,059
Nulle part
p<0,0510
p<0,0511
p>0,0512
Autre
p<0,05
p<0,05
p>0,0515
p>0,0516
Sans réponse
p<0,05
p<0,05
p>0,05
p>0,0520
–
–
13
17
14
18
19
p>0,0521
Les régions considérées par les informateurs parisiens comme présentant le
moins d’accent (aussi bien à l’intérieur de la France que dans la francophonie
globale) sont bien celles de Paris et de la Touraine, aucune hiérarchie significative ne pouvant être observée entre ces deux catégories.
Le fait que les Parisiens nomment spontanément une catégorie englobant le
« Nord de la France » (6,25%, 6/96) comme accent « le plus neutre » plaide en
faveur d’une conscience explicite du nivellement actuel de la prononciation
dans les centres urbains de France septentrionale (cf. Armstrong/Boughton
1998 ; 2000).
Ainsi, de manière peu surprenante, ces résultats confirment qu’à tout le moins
une petite majorité des Parisiens (39,58%) présentent bien les représentations
typiques de locuteurs de la variété dominante au prestige manifeste (cf. Clyne
7 Coef. = 0,38, e.s. = 0,36, z = 1,05.
8 Coef. = 1,18, e.s. = 0,57, z = 2,06.
9 Coef. = 1,56, e.s. = 0,55, z = 2,83.
10 Coef. = 1,47, e.s. = 0,64, z = 2,29.
11 Coef. = 1,85, e.s. = 0,62, z = 2,97.
12 Coef. = -0,29, e.s. = 0,76, z = -0,38.
13 Coef. = 1,47, e.s. = 0,64, z = 2,29.
14 Coef. = 1,85, e.s. = 0,62, z = 2,97.
15 Coef. = -0,29, e.s. = 0,76, z = -0,38.
16 Coef. = 0,00, e.s. = 0,82, z = 0,00.
17 Coef. = 1,87, e.s. = 0,76, z = 2,46.
18 Coef. = 2,25, e.s. = 0,74, z = 3,03.
19 Coef. = -0,69, e.s. = 0,87, z = -0,80.
20 Coef. = -0,04, e.s. = 0,91, z = -0,04.
21 Coef. = -0,04, e.s. = 0,91, z = -0,04.
4.1 Paris
159
1995, 22). L’accent parisien reste cependant en concurrence avec l’accent tourangeau, considéré traditionnellement comme étant « neutre » et nommé par
un pourcentage notable de 36,46% des informateurs. Par ailleurs, le critère géographique de la norme de prononciation semble se porter clairement sur Paris
(centre actuel de la norme) et la Touraine (centre traditionnel de la norme, lié à
l’ancienne monarchie).
4.1.4 Représentations de la prononciation des présentateurs
de télévision parisiens
La question du critère géographique de la norme de prononciation étant relativement claire, il resterait à clarifier celle du groupe des locuteurs de référence.
Depuis Léon (1968), la norme de prononciation est de plus en plus souvent située
dans les médias audiovisuels (cf. également Encrevé 1988, 271 ; Morin 2000,
97–98 ; Laks 2002, 7 ; cf. également 2.2.1.3). Ce faisant, une certaine corrélation
entre la « prononciation parisienne » et celle des médias audiovisuels a déjà été
supposée très tôt (cf. déjà Bellenger 1979, 53 ; cf. également Borrel/Billières 1989 ;
Paternostro 2012), la plupart des médias français suprarégionaux ayant leur siège
à Paris. Notons cependant que cette supposition est délicate, en ce sens que la
localisation des médias à Paris ne signifie pas automatiquement que les présentateurs soient également Parisiens – la plupart d’entre eux sont en effet plutôt des
Parisiens d’adoption (cf. 2.2.1). Il resterait ainsi à préciser dans quelle mesure cette
prononciation des médias audiovisuels peut être observée dans les représentations des informateurs. La première question de cette quatrième section, divisée
en deux sous-questions quantitative (cf. question 6.1) et qualitative (cf. question
6.2) tente d’y donner une réponse.
Question 6.1 : Les présentateurs des journaux télévisés français ont-ils un accent propre à Paris ?
(□ Oui □ Non)
Cette première sous-question quantitative est fermée et présente deux possibilités de réponses (« oui » et « non ») (cf. figure 17).
Étant données les trois catégories relevées, l’évaluation de ces données brutes
a été effectuée sur la base d’une analyse de régression multinomiale. Le modèle
montre une différence significative entre le « oui » (56,25%, 54/96) et le « non »
(38,00%, 38/96) à p<0,05 (coef. = -0,730, e.s. = 0,34, z = -2,17), les résultats de
ces deux catégories étant également significativement plus élevés que le nombre
160
4 Représentations et attitudes
Figure 17 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Les présentateurs des
journaux télévisés français ont-ils un accent propre à Paris ? (n=96).
d’informateurs n’ayant pas répondu à la question (« aucune réponse » : 6,25%,
6/96) (p<0,05).22 Ainsi, dans leurs auto-représentations, une majorité significative
des Parisiens semble bien associer la prononciation observable dans les médias
audiovisuels français à une prononciation parisienne, ce qui confirme globalement les intuitions de Bellenger (1979), Borrel/Billières (1989) et Paternostro
(2012). Soulignons cependant tout de même le taux relativement important de
« non » (38,00%), un résultat qui plaiderait en faveur d’une interprétation de
cette prononciation des médias comme étant associée au Paris-creuset et à ses
Parisiens d’adoption. Des précisions quant à ces hypothèses peuvent être trouvées dans les commentaires qualitatifs relevés dans le cadre de la deuxième
sous-question (cf. 6.2).
Question 6.2 : Qu’est-ce qui caractérise l’accent des présentateurs de journaux télévisés
français ?
Tout d’abord, indépendamment de la réponse donnée à la question 6.1, mentionnons que de nombreux informateurs associent l’accent des présentateurs de télévision à une « bonne » prononciation ou à une prononciation « pure » : p. ex.
« très bon » (2 mentions), « soigné », « [. . .] excellent », « il doit être [. . .] impeccable », « accent en général irréprochable ». Il semble donc effectivement associé
22 « Oui » vs. « Aucune réponse » : p<0,001, coef. = -1,91, e.s. = 0,54, z = -3,56 ; « Non » vs. « Aucune réponse » : p<0,05, coef. = -1,18, e.s. = 0,57, z = -2,06.
4.1 Paris
161
à un modèle de référence, un informateur évoquant même explicitement cette
association (« le français ‹ standard › »).
Par ailleurs, une série d’arguments soutenant les réponses à la sous-question
6.1 peut être relevée dans les commentaires des informateurs : premièrement, ceux
qui considèrent la prononciation des présentateurs de télévision comme une prononciation « parisienne » (p. ex. « l’accent des médias est clairement parisien », « ce
qu’on entend à la télévision sur les chaînes nationales, c’est le ‹ français standard ›
et c’est certainement un accent parisien ») évoquent deux types d’arguments :
– D’une part, il s’agit d’arguments touchant à leur perception d’une similarité
entre la prononciation de la télévision et leur propre prononciation « parisienne »
ou la prononciation qu’ils estiment « normale » ou « quotidienne » à Paris : p. ex.
« les journalistes parlent comme moi et je suis de Paris », « il est pareil à ce qu’on
entend tous les jours à Paris », « c’est l’accent ‹ normal › de Paris ».
– D’autre part, certains informateurs évoquent le rôle de Paris en tant que siège
des médias audiovisuels français : p. ex. « on a la centrale de la plupart des
chaînes de télévision (TF1, M6, France 2, etc.) ».
Mentionnons en outre que deux précisions sont données quant au groupe social
auquel les informateurs font référence lorsqu’ils associent la prononciation des
médias audiovisuels à un accent « parisien » :
– D’une part, ils associent cet accent à une certaine élite sociale : p. ex. « c’est
l’accent de nos élites politiques et culturelles ».
– D’autre part, ils distinguent explicitement cette prononciation de celle des
« Parigots » et des banlieusards : p. ex. « pas [l’accent] des banlieues », « [. . .]
rien à voir avec les banlieues », « j’entends clairement une différence entre
l’accent des journalistes (qui est neutre) et l’accent parigot (qui se rapproche
de plus en plus de l’accent banlieue) ».
Les informateurs n’associant pas cette prononciation à Paris évoquent au
contraire majoritairement la « neutralité » de la prononciation (p. ex. « prononciation totalement neutre », « accent neutre »), l’absence d’accent (p. ex. « pas
d’accent »), le standard (« français ‹ standard › lissé »), ou encore les origines non
seulement parisiennes mais très diverses des présentateurs (p. ex. « ce ne sont
pas seulement des Parisiens », « il y a des présentateurs d’un peu partout », « ils
proviennent d’un peu tous les horizons de France »). Notons que ces derniers
commentaires incitent clairement à associer cette prononciation à celle des Parisiens d’adoption du Paris-creuset.
Finalement, en plus de réaffirmer le rôle de modèle de prononciation des présentateurs de télévision supposé jusqu’ici, les commentaires de la sous-question
6.2 montrent de manière intéressante que dans le cas de la France, ce modèle cor-
162
4 Représentations et attitudes
respond implicitement à un compromis des modèles discernés traditionnellement
dans la littérature : la norme d’un français de référence « neutre », c’est-à-dire
sans trace d’origine géographique et donc associable au Paris-creuset (cf. 2.2.1.2),
celle d’un groupe social dominant (cf. 2.2.1.1) ainsi que celle des professionnels
de la parole (cf. 2.2.1.3). En effet, en résumant schématiquement, les présentateurs des journaux télévisés, originaires en règle générale de diverses régions de
France septentrionale mais ayant adopté du fait de leur profession et leur établissement à Paris cette prononciation des Parisiens d’adoption du Paris-creuset,
diffusent cette même prononciation par le biais des médias audiovisuels.
Question 7 : Selon vous, quel est le français le plus représentatif de l’ensemble de la France ?
Possibilités de réponse : □ le français parlé dans le journal télévisé, □ le français utilisé dans
une discussion entre des étudiants, □ le français parlé dans la vie quotidienne à la campagne,
□ autre
La question suivante visait finalement à vérifier explicitement le rôle des présentateurs de télévision comme modèle de prononciation dans le cadre d’une
comparaison de cette situation du journal télévisé à deux autres situations de communication. La question est fermée, elle comporte trois possibilités de réponse
ainsi qu’une catégorie « autre » permettant aux informateurs de formuler une
réponse non couverte par ces trois possibilités (cf. figure 18).
Figure 18 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Selon vous, quel est le
français le plus représentatif de l’ensemble de la France ? (n=96).
4.1 Paris
163
Les données brutes illustrées dans la figure 18 ont été analysées sur la base
d’une régression logistique multinomiale. Le modèle montre que le nombre d’informateurs ayant choisi le français du « journal télévisé » (59,38%, 57/96) est
significativement plus élevé que celui des informateurs ayant choisi une autre
catégorie (« discussion entre étudiants » : 19,79%, 19/96 ; « campagne » : 5,21%,
5/96 ; « autre » : 8,33%, 8/96 ; « aucune réponse » : 7,29%, 7/96), et ce, respectivement à p<0,01.23 Toutes les autres différences de résultats s’avèrent non significatives (p>0,05). Notons que le résultat de cette question s’avère beaucoup plus clair
que celui touchant aux régions (cf. 4.1.3).
Les résultats apportent donc une réponse explicite à la question du groupe
professionnel et de la situation de communication associés par les Parisiens à
la norme de prononciation : comme présumé, pour une très grande majorité des
informateurs, il s’agit des présentateurs de télévision lors des journaux télévisés.
Ces critères social et situationnel s’ajoutent donc au critère géographique, les questions 2 (cf. 4.1.1) et 5 (cf. 4.1.3) ayant déjà pu montrer qu’une majorité de ces informateurs situent l’accent le plus « neutre » à Paris chez les Parisiens d’adoption.
4.1.5 Attitudes face à la prononciation parisienne dans une comparaison
avec les prononciations d’autres régions francophones
La dernière section du questionnaire porte sur les différences de prestige (manifeste ou latent) perçues par les Parisiens entre l’accent parisien et d’autres accents
francophones. L’accent parisien étant traditionnellement considéré comme celui
de la variété dominante, cette section – contrairement aux questionnaires suisse
romand (cf. 4.2.5) et québécois (cf. 4.3.5) – n’a pas pour objectif de révéler les
qualificatifs liés à l’insécurité linguistique, mais porte sur la perspective inverse :
il s’agit ici de mettre explicitement en lumière si les locuteurs de la variété parisienne présentent bien les attitudes typiques de locuteurs de la variété dominante selon le modèle pluricentrique de Clyne (1995, 22), des attitudes qui sont
également liées à une certaine sécurité linguistique (cf. 2.1.2.4.3).
Question 8 : Quand, à la télévision, vous regardez une publicité utilisant un accent régional, vous
vous sentez : □ charmé □ amusé □ agacé □ indifférent
23 « Journal télévisé » vs. « Discussion entre étudiants » : coef. = -1,14, e.s. = 0,41, z = -2,81 ;
« Journal télévisé » vs. « Campagne » : coef. = -3,22, e.s. = 1,02, z = -3,16 ; « Journal télévisé » vs.
« Autre » : coef. = -1,83, e.s. = 0,54, z = -3,40 ; « Journal télévisé » vs. « Aucune réponse » : coef. =
-1,43, e.s. = 0,45, z = -3,14.
164
4 Représentations et attitudes
Ainsi, la première question tente de mettre en lumière cette présumée sécurité
linguistique parisienne et de découvrir quels sont les qualificatifs les plus utilisés par les Parisiens pour décrire leurs représentations d’autres variétés dans
des contextes d’exposition publique, à l’exemple de la télévision. La question
comprend quatre possibilités de réponse illustrant deux situations. D’une part,
les qualificatifs « charmé », « amusé » et « agacé » correspondent aux attitudes
typiques de locuteurs de la variété dominante dans une situation d’asymétrie
unidirectionnelle selon le modèle de Clyne (2004, 297–298) : « The D nations
generally consider their national variety to be the standard and the varieties of
the O nations as deviant, non-standard, exotic, cute, and somewhat archaic »
(Clyne 2004, 297). D’autre part, la « neutralité » supposée par le qualificatif
« indifférent » plaiderait au contraire en faveur d’un degré plus élevé de symétrie (cf. Clyne 1993, 3). Les résultats des données brutes sont illustrés dans la
figure 19.
Figure 19 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Quand, à la télévision,
vous regardez une publicité utilisant un accent régional, vous vous sentez. . . □ charmé,
□ amusé, □ agacé, □ indifférent (n=96).
Après avoir supprimé les catégories « aucune réponse » (2,08%, 2/96) et « agacé »
(2,08%, 2/96) des données brutes en raison du nombre trop faible d’observations,
les résultats illustrés dans la figure 19 ont été analysés dans le cadre d’une régression multinomiale. Le modèle indique que chacune des trois catégories prises en
4.1 Paris
165
compte (« amusé » : 54,17%, 52/96 ; « charmé » : 33,33%, 32/96 ; « indifférent » :
8,33%, 8/96) se différencie significativement des deux autres (p<0,05).24
Ainsi, selon cette hiérarchie et de manière peu surprenante étant donnés
les résultats similaires des travaux précédents (cf. 2.1.2.4.3), les deux qualificatifs représentant les attitudes typiques de locuteurs d’une variété dominante
(« amusé », « charmé ») sont significativement plus souvent choisis que celui
dénotant une attitude « neutre » des Parisiens envers les accents régionaux
(« indifférent »). Ces résultats confirment donc l’hypothèse d’une asymétrie unidirectionnelle (selon le modèle de Clyne 2004, 297–298) dans les représentations
des Parisiens.
Question 9.1 : Face à un Suisse ayant la même profession, comment un Parisien se sent-il par
rapport à sa façon de parler ? □ en situation d’égalité, □ en situation d’infériorité, □ en situation
de supériorité
Cette asymétrie unidirectionnelle ainsi que la présumée sécurité linguistique des
Parisiens sont également abordées dans la présente question. En ce sens, cette
dernière concerne à nouveau la perspective inverse (sécurité linguistique, variété
dominante) des questions posées en Suisse romande et au Québec (insécurité linguistique, variétés non dominantes), mais cette fois-ci dans le cadre d’une situation
concrète d’interaction entre un locuteur parisien et un locuteur « périphérique ».
Étant données les deux « périphéries » étudiées dans le cadre de cet ouvrage
et les différences éventuelles dans les représentations que se font les Parisiens
de ces deux accents, la question a été dédoublée : la présente question (9.1)
touche à la comparaison Parisien-Suisse romand alors que la suivante (9.2) porte
sur une comparaison Parisien-Québécois. Notons en outre que les informateurs
étaient invités à préciser non pas leurs propres attitudes, mais celles que pourrait
éprouver un Parisien dans une telle situation : la question n’interpelle donc pas
directement les informateurs, mais elle autorise la projection de leurs attitudes
(cf. Singy 1996, 178). Afin de garantir que ces derniers se réfèrent uniquement aux
différences de prestige liées à l’origine géographique des locuteurs, la question a
été formulée en précisant ayant la même profession. Mentionnons finalement que
j’ai opté pour une question à choix simple parmi trois possibilités de réponses
couvrant les trois scénarios possibles quant à la différence de prestige entre les
24 « amusé » vs. « charmé » : p<0,01, coef. = -0,93, e.s. = 0,36, z = -2,63 ; « amusé » vs. « indifférent » : p<0,001, coef. = -1,95, e.s. = 0,53, z = -3,64 ; « charmé » vs. « indifférent » : p<0,05, coef. =
-1,01, e.s. = 0,58, z = -1,73.
166
4 Représentations et attitudes
prononciations « parisienne » et « suisse romande » (situation d’égalité, d’infériorité ou de supériorité). Les données brutes de cette question sont illustrées dans
la figure 20.
Figure 20 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Face à un Suisse ayant la
même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport à sa façon de parler ? (n=96).
Avant l’analyse statistique des données brutes illustrées dans la figure 20, les
réponses venant des informateurs estimant les locuteurs parisiens « en situation
d’infériorité » face aux locuteurs suisses romands (2,08%, 2/96) ont été supprimées étant donné leur trop faible nombre. L’analyse des trois autres catégories
(« en situation de supériorité » : 60,42%, 58/96 ; « en situation d’égalité » : 27,08%,
26/96 ; « aucune réponse » : 10,42%, 10/96) a par la suite été faite sur la base
d’une régression multinomiale. Le modèle indique des différences significatives
entre chacune des trois catégories prises en compte : tout d’abord, les résultats
des informateurs estimant les Parisiens « en situation de supériorité » se différencient à p<0,0525 de ceux des informateurs les voyant « en situation d’égalité » et
à p<0,00126 de ceux n’ayant pas répondu à la question (« aucune réponse »). Par
ailleurs, les résultats de ces deux dernières catégories se différencient à p<0,0527
l’une de l’autre.
25 Coef. = -0,73, e.s. = 0,34, z = -2,17.
26 Coef. = -2,20, e.s. = 0,61, z = -3,61.
27 Coef. = -1,47, e.s. = 0,64, z = -2,29.
4.1 Paris
167
Ainsi, alors que jusqu’ici les études sociolinguistiques faisaient principalement part de l’insécurité linguistique des locuteurs périphériques, liée à un
sentiment d’infériorité linguistique (cf. 2.1.2.1), les résultats de la présente question projective mettent également en lumière la perspective inverse : celle d’un
sentiment de supériorité linguistique bien présent chez plus de 60% de Parisiens,
du moins par rapport aux locuteurs suisses romands. Une telle convergence des
deux perspectives (sentiment d’insécurité linguistique des locuteurs périphériques, sentiment de supériorité linguistiques des locuteurs parisiens) confirme
donc explicitement les deux hypothèses proposées au début de ce sous-chapitre :
l’asymétrie unidirectionnelle – pour le moins entre le « centre » parisien et la
« périphérie » suisse romande – et la sécurité linguistique des Parisiens. Notons
en outre que cette majorité est d’autant plus révélatrice que les réponses « en
situation d’égalité » pourraient – du moins en partie – être dues à un effet de la
désirabilité sociale : il est en effet vraisemblable que certains informateurs n’aient
pas voulu ouvertement faire part d’évaluation négatives envers une périphérie
francophone. Le nombre relativement élevé (19/96) de locuteurs n’ayant pas
voulu répondre à la question (« aucune réponse ») plaide également en faveur
d’une telle interprétation.
Il resterait maintenant à découvrir dans quelle mesure ce sentiment de
supériorité linguistique des Parisiens est similaire envers d’autres périphéries
francophones hors de France, ou s’il présente certaines différences notables. La
sous-question 9.2 tentera d’apporter une réponse.
Question 9.2 : Face à un Québécois ayant la même profession, comment un Parisien se sent-il par
rapport à sa façon de parler ? □ en situation d’égalité, □ en situation d’infériorité, □ en situation
de supériorité
Cette deuxième sous-question aborde ainsi le thème de la supériorité linguistique
ressentie des Parisiens par rapport à des locuteurs d’une deuxième périphérie :
le Québec. Notons que la formulation et les possibilités de réponse utilisées sont
identiques à celles de la sous-question précédente (cf. question 9.1). Les données
brutes sont illustrées dans la figure 21.
Avant d’analyser statistiquement les données brutes, la catégorie « en situation d’infériorité » (1,04%, 1/96) a dû être supprimée car elle ne présente qu’une
observation isolée. Les résultats montrent une prépondérance statistique des
locuteurs estimant les Parisiens « en situation de supériorité » (78,13%, 75/96)
considérablement plus grande que dans le cas de la Suisse. Les différences entre
les résultats de cette catégorie et ceux des deux autres (« en situation d’égalité » :
12,50%, 12/96, « aucune réponse » : 8,33%, 8/96) sont d’ailleurs hautement signi-
168
4 Représentations et attitudes
Figure 21 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Face à un Québécois ayant
la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport à sa façon de parler ? (n=96).
ficatives, à p<0,001.28 En revanche, la différence entre ces deux dernières catégories ne l’est pas (p<0,05).29
Globalement, la même conclusion peut être tirée ici, celle d’une tendance à
l’asymétrie unidirectionnelle et à la sécurité linguistique des Parisiens. Plus intéressant cependant : ces résultats fournissent une réponse relativement claire à la
question posée initialement de savoir si les attitudes des Parisiens pourraient être
différentes dans une situation d’interaction avec des locuteurs provenant de différentes « périphéries » francophones : il semble que ce soit effectivement le cas,
les locuteurs du français québécois bénéficiant d’un prestige encore moindre que
les locuteurs suisses romands, puisque que les Parisiens s’estiment en situation
de supériorité face à des Québécois avec une majorité bien plus conséquente. Ces
résultats vont donc dans le sens de ceux de Moreau et al. (2007) : ces derniers
ont en effet pu – entre autres – montrer que chez les auditeurs français (comme
chez les auditeurs suisses et belges), l’évaluation du degré de correctness30 des
différents accents est systématiquement moins bonne lorsqu’il s’agit de locuteurs
28 « en situation de supériorité » vs. « en situation d’égalité » : coef. = -,42, e.s. = 0,39, z =
-3,60 ; « en situation de supériorité » vs. « aucune réponse » : coef. = -2,40, e.s. = 0,60, z = -3,98.
29 « en situation de égalité » vs. « aucune réponse » : coef. = -0,98, e.s. = 0,68, z = -1,45.
30 Le terme correctness (cf. Preston 1999, xxxiv) est traduit dans cette étude par ‘correction’
(cf. Moreau et al. 2007, 32). Cette traduction ne sera cependant pas adoptée dans le présent
ouvrage étant donnée son ambiguïté sémantique.
4.1 Paris
169
ayant une prononciation québécoise que pour des locuteurs présentant des prononciations « européennes » (françaises, belges ou suisses).31 Notons cependant
que la comparaison de la présente étude avec celle de Moreau et al. (2007) doit
tout de même être interprétée avec précaution, étant donnée la nature très différente des deux analyses (perceptions chez Moreau et al. 2007, représentations
non perceptives dans le présent ouvrage).
Alors que le sentiment de supériorité linguistique mis en lumière dans cette
question touche à la comparaison de locuteurs parisiens avec des locuteurs de
périphéries hors de France, il resterait maintenant à découvrir si une comparaison de ces mêmes locuteurs parisiens avec des locuteurs présentant d’autres
accents internes à la France engendrerait des résultats similaires. Cette thématique est traitée dans les sous-questions 10.1 (accent tourangeau en tant qu’accent
prestigieux concurrent de l’« accent parisien ») et 10.2 (accent toulousain).
Question 10.1 : Face à un Tourangeau ayant la même profession, comment un Parisien se sentil par rapport à sa façon de parler ? □ en situation d’égalité, □ en situation d’infériorité, □ en
situation de supériorité
La première de ces sous-questions touche tout d’abord aux attitudes des Parisiens
face à l’autre variété considérée comme étant prestigieuse en France : la variété de
Tours (cf. 2.1.2.3.2). Notons qu’ici également, la formulation de la question et les
possibilités de réponse sont identiques aux sous-questions 9.1 et 9.2. La figure 22
brosse un tableau global des résultats.
Dans le cas présent, les données brutes ont été soumises à une analyse de
régression logistique ordinale étant données les trois valeurs ordonnées hiérarchiquement de la variable dépendante. Au préalable, la catégorie des informateurs n’ayant pas répondu à la question a été supprimée, à cause du nombre
trop faible d’observations (« aucune réponse » : 2,08%, 2/96). Le modèle indique
que le nombre d’informateurs estimant les Parisiens « en situation d’égalité »
(63,54%, 61/96) est significativement plus élevé que ceux qui les considèrent « en
situation de supériorité » (19,79%, 19/96) (p<0,01)32 ou « en situation d’infériorité
31 Trois questions de l’étude de Moreau et al. (2007) portent sur les attitudes : deux demandent
si la prononciation entendue est considérée comme « correcte » (questions 2 et 5) et une cherche
à savoir si une personne présentant cette prononciation serait apte à être enseignante de français
dans la région considérée (cf. Moreau et al. 2007, 19–20).
32 Coef. = -1,00, e.s. = 0,35, z = -2,85.
170
4 Représentations et attitudes
Figure 22 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Face à un Tourangeau ayant
la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport à sa façon de parler ? (n=96).
(14,58%, 14/96) (p<0,001),33 ces deux dernières catégories ne se différenciant pas
l’une de l’autre (p>0,05).34
Comme on pouvait s’y attendre, ces résultats confirment donc ceux des questions 2 (cf. 4.1.1) et 5 (cf. 4.1.3) en montrant que l’accent de la Touraine présente un
prestige similaire à celui de Paris. Le « centre » de l’asymétrie unidirectionnelle par
rapport aux « périphéries » francophones ne semble donc pas comprendre uniquement Paris, mais également la région de la Touraine, ce qui rejoint les conclusions similaires de Gueunier/Genouvrier/Khomsi (1978, 82) et Pustka (2008, 222).
Mais qu’en est-il des « périphéries » internes à la France ? Présentent-elles
un prestige similaire aux « périphéries » hors de France ? La sous-question 10.2
tentera d’apporter une réponse à cette interrogation.
Question 10.2 : Face à un Toulousain ayant la même profession, comment un Parisien se sent-il
par rapport à sa façon de parler ? □ en situation d’égalité, □ en situation d’infériorité, □ en
situation de supériorité
Dans cette deuxième sous-question, il s’agira donc de découvrir dans quelle
mesure les attitudes des Parisiens face à des locuteurs d’une variété « périphérique » interne à la France sont différentes de celles qui ont été mises en évidence
par rapport aux locuteurs des deux périphéries hors de France étudiées dans
33 Coef. = -2,30, e.s. = 0,61, z = -3,80.
34 Coef. = 1,00, e.s. = 0,35, z = 2,85.
4.1 Paris
171
cet ouvrage (la Suisse romande et le Québec). Notons que le choix s’est porté sur
l’accent toulousain parce qu’il est clairement associé à la partie méridionale de
la France sans pour autant représenter un stéréotype comme l’accent marseillais (ou encore l’accent dit « chti » dans le Nord) (cf. entre autres Pustka et al.
2019, 44–47). Une fois encore, la formulation de la question et les possibilités de
réponse utilisées restent identiques aux trois sous-questions précédentes (9.1, 9.2,
10.1). Les résultats sont illustrés dans la figure 23.
Figure 23 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Face à un Toulousain ayant
la même profession, comment un Parisien se sent-il par rapport à sa façon de parler ? (n=96).
Ici aussi, le nombre d’occurrences de la catégorie des informateurs estimant les
Parisiens « en situation d’infériorité » (3,13%, 3/96) étant trop faible, la catégorie
n’a pas été prise en compte dans l’analyse statistique. Les catégories restantes
ont été soumises à une analyse de régression logistique multinomiale sous R. De
manière quelque peu surprenante, ce dernier indique que les catégories des informateurs estimant les Parisiens « en situation de supériorité » (53,13%, 51/96) et
« en situation d’égalité » (37,50%, 36/96) ne se différencient pas significativement
l’une de l’autre (p>0,05, coef. = -0,41, e.s. = 0,32, z = -1,26). Notons par ailleurs que
ces deux catégories se différencient en revanche de la catégorie des informateurs
n’ayant pas répondu à la question (« aucune réponse » : 6,25%, 6/96) (p<0,05).35
Globalement, une différence fondamentale peut être observée ici en comparaison aux résultats obtenus pour les périphéries hors de France (Suisse romande
35 « en situation de supériorité » vs. « aucune réponse » : p<0,001, coef. = -2,48, e.s. = 0,74, z =
-3,38 ; « en situation d’égalité » vs. « aucune réponse » : p<0,01, coef. = -2,08, e.s. = 0,75, z = -2,77.
172
4 Représentations et attitudes
et Québec) : le nombre de réponses estimant les Parisiens « en situation d’égalité » est ici plus élevé et celui les estimant « en situation de supériorité » moins
élevé, sans pourtant que cette différence s’avère significative. Au contraire, le
nombre d’informateurs estimant les Parisiens « en situation d’infériorité » reste
similaire à celui obtenu pour les périphéries hors de France. Ces observations
plaident en faveur de l’interprétation suivante : les Parisiens semblent, certes,
considérer la variété toulousaine comme une « périphérie » par rapport à Paris
(presque aucun Parisien ne se voit en situation d’infériorité par rapport aux locuteurs toulousains), mais celle-ci jouit tout de même d’un prestige plus élevé que
les variétés « périphériques » se situant hors de France (un nombre significativement plus élevé de locuteurs parisiens se voit en situation d’égalité face à des
locuteurs toulousains).
Ainsi, une comparaison des résultats des sous-questions 9.1, 9.2, 10.1 et 10.2
combinée au modèle Centre/Périphérie (cf. Reynaud 1981) permet de dégager une
hiérarchie du prestige des accents étudiés ici dans les attitudes des informateurs
parisiens : cette hiérarchie place au sommet (1) les accents parisien et tourangeau, considérés comme le « centre » de la francophonie, puis (2) l’accent toulousain en tant qu’accent « périphérique » interne à la France et (3) l’accent suisse
romand, accent « périphérique » hors de France mais européen, et à sa base
se trouve (4) l’accent québécois en tant qu’accent « périphérique » hors de France
et non européen. Par ailleurs, un changement semble être en cours dans cette
même catégorie du prestige des accents : l’accent tourangeau, traditionnellement prestigieux (dans la tradition de la monarchie, cf. Morin 2000, 92–95),
cède progressivement sa place à l’accent du Paris-creuset, détenteur du plus haut
prestige manifeste. Ces résultats vont à nouveau dans le sens de l’observation de
Kuiper (2005, 36) montrant que les Français ont tendance à évaluer des accents
de leur propre langue lorsqu’ils évaluent des accents internes à la France (p. ex.
l’accent toulousain), alors qu’ils tendent à considérer les accents du français hors
de France (p. ex. les accents suisse romand et québécois) comme des catégories à
part étant – entre autres – sous influence d’une langue de contact (p. ex. l’alémanique dans le cas de la Suisse romande et l’anglais dans le cas du Québec).
Au vu de mes résultats, il serait finalement pertinent d’ajouter aux observations de Kuiper (2005) une dimension de la distance géographique perçue : en
effet, dès lors que les périphéries suisse romande et québécoise présentent des
résultats quelque peu différents – l’accent suisse romand possédant plus de prestige que l’accent québécois aux yeux des Parisiens – il est probable que la distance géographique perçue ait une influence sur le prestige des accents, à tout le
moins dans le cas des accents extérieurs à la France. En d’autres termes, plus un
accent hors de France est éloigné de Paris, plus il semble différent aux yeux des
Parisiens, et moins il aura de prestige dans leurs représentations.
4.1 Paris
173
Question 14 :36 Selon vous, quel accent de français devrait-on apprendre dans les cours de
français langue étrangère (FLE) donnés en France ?
Possibilités de réponse (Paris) : □ l’accent parlé dans les médias français, □ l’accent parisien,
□ l’accent de Tours, □ aucun accent/accent neutre, □ peu importe, □ autre
La question de la norme de référence étant particulièrement importante dans le
domaine de l’apprentissage du FLE en immersion, elle a été ajoutée au présent
questionnaire. Elle permettra de découvrir quels critères d’une norme de référence parmi ceux mis au jour dans les questions précédentes sont considérés par
les Parisiens comme primordiaux : (1) la « neutralité » de la prononciation, (2) son
ancrage géographique dans le « centre linguistique » traditionnel de la France
(Paris, Tours) et/ou (3) son groupe de locuteurs de référence (présentateurs de
télévision). Ces trois critères ont été utilisés pour formuler les quatre principales
possibilités de réponse de cette question à choix simple. S’y ajoutent les catégories « peu importe » et « autre ». La figure 24 résume les données brutes obtenues.
Figure 24 : Réponses des informateurs parisiens (en %) à la question Selon vous, quel accent
de français devrait-on apprendre dans les cours de français langue étrangère (FLE) donnés en
France ? (n=96).
36 Notons que les questions 11, 12 et 13 des questionnaires suisse romand et québécois n’ont pas
été posées dans le questionnaire parisien, étant donné qu’elles ne s’appliquent qu’aux variétés
« périphériques » (pour les raisons détaillées, cf. 3.3.1.5). Afin de permettre une comparaison
directe des questionnaires parisiens, suisses romands et québécois, j’ai cependant maintenu ici
aussi le même numéro de question (15) que pour les deux autres questionnaires.
174
4 Représentations et attitudes
Ces données ont été soumises à une analyse de régression multinomiale, et
ce, après avoir supprimé la catégorie « autre » (3,13%, 3/96) en raison de son trop
faible nombre d’occurrences. Le modèle indique qu’une catégorie se démarque
particulièrement des autres : celle de « l’accent parlé dans les médias français »
(35,42%, 34/96). Elle se détache en effet significativement de presque toutes les
autres catégories (« accent parisien » : 17,71%, 17/96 ; « accent de Tours » : 11,46%,
11/96 ; « peu importe » : 11,46%, 11/96) (p<0,05),37 mise à part celle de « l’accent
neutre » (20,83%, 20/96) (p>0,05).38 Toutes les autres différences ainsi que les
effets potentiels des données sociodémographiques s’avèrent en revanche non
significatifs (p>0,05).
À l’exception de cette prononciation en usage dans les médias audiovisuels
français, qui semble se rapprocher le plus du modèle de prononciation tel que se
le représentent les informateurs, les résultats sont donc très ambigus et difficiles
à interpréter. Si l’on garde cependant en mémoire que les catégories relatives à la
« neutralité » de la prononciation (« accent neutre ») et aux deux régions considérées comme celles où les locuteurs ont la prononciation la plus neutre (« accent
parisien », « accent de Tours ») ressortent en particulier des questions 2 et 5
comme étant d’importants critères dans la définition d’un modèle de référence, il
n’est pas surprenant qu’elles obtiennent des pourcentages relativement proches
dans cette question évoquant explicitement ce modèle. En outre, de manière
similaire à ce qui a pu être observé dans la question 6.2 (cf. 4.1.4), la prédominance statistique du modèle des présentateurs de télévision n’est pas surprenante ici non plus, étant donné que la prononciation de ces locuteurs représente
précisément un compromis entre ces catégories : elle est considérée comme étant
relativement « neutre » car les présentateurs de télévision sont pour la plupart
des Parisiens d’adoption du Paris-creuset, originaires de France septentrionale
et présentant une prononciation assez homogénéisée du fait de leur profession.
Finalement, ces présentateurs jouent également – probablement à travers leur
présence médiatique et leur grande visibilité – le rôle du groupe professionnel
de référence.
37 « accent parlé dans les médias français » vs. « accent parisien » : p<0,05, coef. = -0,94, e.s. =
0,45, z = -2,12 ; « accent parlé dans les médias français » vs. « accent de Tours » : p<0,05, coef. =
-1,28, e.s. = 0,51, z = -2,53 ; « accent parlé dans les médias français » vs. « peu importe » : p<0,01,
coef. = -1,50, e.s. = 0,55, z = -2,72.
38 « accent parlé dans les médias français » vs. « accent neutre » : p>0,05, coef. = -0,69, e.s. =
0,41, z = -1,70.
4.1 Paris
175
Question 17 :39 Lequel des accents suivants est selon vous. . .
Possibilités de réponse : □ le plus beau, □ le plus laid, □ le plus sympathique, □ le moins
sympathique, □ le plus sérieux, □ le plus ridicule, □ le plus raffiné, □ le moins raffiné, □ le
plus correct, □ le moins correct
Accents pris en compte : parisien, méridional, tourangeau, suisse, belge, africain, québécois
Finalement, la dernière question du questionnaire teste explicitement plusieurs
accents de français par rapport à différentes paires d’antonymes traditionnellement liés aux axes de la pleasantness et de la correctness (cf. Preston 1999, xxxiv) :
« le plus beau » vs. « le plus laid », « le plus sympathique » vs. « le moins sympathique », « le plus sérieux » vs. « le plus ridicule », « le plus raffiné » vs. « le moins
raffiné » et « le plus correct » vs. « le moins correct ». Ce faisant, sept accents ont
été pris en compte : les deux traditionnellement considérés comme « modèles »
de prononciation (parisien et tourangeau), l’un des accents périphériques de
France les plus connus (l’accent méridional ; cf. Kuiper 1999, 259 ; Pustka 2010,
123) ainsi que quatre accents périphériques hors de France (suisse, belge, africain
et québécois). Notons que les accents choisis sont des catégories non pas linguistiques mais populaires, issues d’une étude-pilote, et qu’ils sont donc censés être
tous connus en France. Les données brutes sont résumées dans le tableau 32.
Précisons que parmi les résultats illustrés dans le tableau 32, toutes les catégories ne regroupant que trois observations ou moins ont été supprimées des
données brutes avant l’application d’un modèle de régression multinomiale pour
chacun des qualificatifs. Ces cinq paires de qualificatifs étant liées, d’une part, à
l’axe de la correctness (« le plus sérieux » vs. « le plus ridicule », « le plus raffiné »
vs. « le moins raffiné », « le plus correct » vs. « le moins correct ») ainsi que,
d’autre part, à l’axe de la pleasantness (« le plus beau » vs. « le plus laid », « le
plus sympathique » vs. « le moins sympathique »), les résultats seront présentés
selon cette bipartition.
Axe de la correctness
Les résultats des qualificatifs liés à l’axe de la correctness indiquent que les Parisiens considèrent en premier lieu leur propre accent comme porteur du plus
grand prestige manifeste, suivi de l’accent tourangeau, qui présente un prestige
manifeste légèrement plus faible que celui de l’accent parisien. Par ailleurs, la
39 Les questions 15 et 16 des questionnaires suisse romand et québécois ne faisaient pas non
plus partie du questionnaire parisien, étant donné qu’elles portent sur le sentiment d’infériorité
linguistique de locuteurs « périphériques » par rapport aux Parisiens. Cependant, ici aussi, la
numérotation reste identique dans les trois questionnaires, afin de faciliter la comparaison.
0,00%
0,00%
6,45%
africain
québécois
sans réponse
95
28,42%
10,53%
18,95%
15,79%
13,68%
2,11%
7,37%
3,16%
le plus
ridicule
91
8,79%
0,00%
0,00%
0,00%
1,10%
35,16%
2,20%
52,75%
le plus
raffiné
94
20,21%
13,83%
21,28%
19,15%
14,89%
0,00%
9,57%
1,06%
le moins
raffiné
93
5,38%
0,00%
0,00%
0,00%
0,00%
27,96%
1,08%
65,59%
le plus
correct
93
11,83%
22,58%
24,73%
16,13%
12,90%
0,00%
10,75%
1,08%
le moins
correct
92
6,52%
2,17%
3,26%
1,09%
2,17%
16,30%
39,13%
29,35%
le plus
beau
93
18,28%
12,90%
16,13%
20,43%
15,05%
3,23%
7,53%
6,45%
le plus
laid
94
5,32%
8,51%
3,19%
0,00%
2,13%
14,89%
41,49%
24,47%
le plus
sympathique
90
16,67%
10,00%
11,11%
27,78%
17,78%
7,78%
3,33%
5,56%
le moins
sympathique
40 Signalons que le nombre d’informateurs ayant répondu aux questions fluctue entre 90 et 94 : dans certains cas, des informateurs
ont coché plusieurs réponses, malgré la consigne les invitant à n’en cocher qu’une seule. Les informateurs ayant coché plusieurs
réponses n’ont donc pas été pris en compte.
93
0,00%
n40
1,08%
belge
31,18%
tourangeau
suisse
3,23%
58,06%
parisien
méridional
le plus
sérieux
Accent
Tableau 32 : Attitudes des Parisiens envers sept accents de français ; les cases gris foncé correspondent aux réponses se
différenciant significativement de toutes les autres réponses (p<0,05), les cases gris clair aux réponses ne se différenciant
significativement qu’en partie des autres réponses.
176
4 Représentations et attitudes
4.1 Paris
177
hiérarchie mise en lumière dans le cadre de la question 10.2 (cf. supra) semble
se confirmer ici : derrière ceux-ci, c’est l’autre accent interne à la France, l’accent
méridional, qui est le mieux évalué, suivi de ceux du français hors de France
(accents suisse, belge, québécois et africain).
Ainsi, le premier qualificatif touchant à la correctness, celui de la « sériosité »
des accents, révèle que la plupart des informateurs estiment que « le plus sérieux »
est soit l’accent parisien (58,06%, 54/93), soit l’accent tourangeau (31,18%, 29/93),
avec une préférence notable pour le premier, même si la différence relevée ne
s’avère pas significative (p>0,05, coef. = -0,41, e.s. = 0,32, z = -1,26). Aucun autre
accent n’a pu être pris en compte dans le modèle, étant donné le nombre trop
restreint d’occurrences. Quant à l’antonyme, les résultats montrent une certaine
tendance des informateurs à considérer les accents hors de France comme « les
plus laids » (accent africain : 18,95%, 18/95 ; accent belge : 15,79%, 15/95 ; accent
suisse : 13,68%, 13/95 ; québécois : 10,53%, 10/95), même si le modèle ne révèle
pas de résultats significatifs entre ces quatre accents (p>0,05). Notons également qu’une partie tout de même considérable des informateurs n’a pas désiré
répondre à la question (28,42%, 27/95), ce qui pourrait être interprété soit comme
une forme de désirabilité sociale soit comme une acceptation grandissante des
différences de prononciation dans la francophonie. Les résultats de la question
10.2 (cf. supra) plaideraient plutôt en faveur de la première interprétation.
Le deuxième qualificatif touchant à cet axe de la correctness indique des
résultats comparables : les Parisiens considèrent en majorité leur propre accent
(52,75%, 48/91) ainsi que l’accent tourangeau (35,16%, 32/91) comme étant également les accents « les plus raffinés », avec une légère préférence pour l’accent
parisien, sans pour autant que la différence notable entre ces résultats soit significative (p>0,05, coef. = 0,06, e.s. = 0,34, z = 0,17). L’antonyme montre pour sa part
une tendance des Parisiens à considérer les accents du français hors de France
comme « les moins raffinés » (accent québécois : 13,83%, 13/94 ; accent suisse :
14,89%, 14/94 ; accent belge : 19,15%, 18/94 ; accent africain : 21,28%, 20/94) et
confirme ainsi les résultats du qualificatif « le plus ridicule », qui présentent une
tendance similaire. Notons cependant que cette constatation doit être interprétée
avec précaution, le modèle ne révélant aucun résultat significatif pour ce qualificatif des accents « les moins raffinés » (p>0,05). Notons finalement le nombre relativement élevé de non-réponses (20,21%, 19/94), indice, ici aussi, d’un problème
de désirabilité sociale ou d’une ouverture croissante aux différences d’accents.
La dernière paire de qualificatifs montre des résultats encore plus clairs en
faveur de l’accent parisien, considéré comme modèle de prononciation par excellence : comme pour les autres qualificatifs, une forte majorité des informateurs
estiment que cet accent est « le plus correct » (65,59%, 61/93), mais ici, cette majorité est significative par rapport à tous les autres accents, y compris l’accent tou-
178
4 Représentations et attitudes
rangeau (27,96%, 26/93) (p<0,05, coef. = -0,80, e.s. = 0,40, z = -1,99). L’on notera
ainsi qu’ici, le résultat de ce qualificatif est clairement en faveur de l’accent parisien, alors que dans les cas précédents (« le plus sérieux », « le plus raffiné »), les
accents parisien et tourangeau se trouvaient à un niveau similaire. Cela pourrait
s’expliquer par la différence faite par les informateurs dans les qualités associées
à ces trois qualificatifs : le qualificatif « correct » pourrait en effet plutôt refléter
la norme actuelle alors que les termes « sérieux » et « raffiné » reflèteraient les
normes anciennes. Cette interprétation semble probable, étant donné que l’observation peut être également faite dans les cas de la Suisse romande (cf. 4.2.5) et
du Québec (cf. 4.3.5). Par ailleurs, il est également possible que les qualificatifs
« sérieux » et « raffiné » puissent s’appliquer parallèlement à plusieurs accents
(accents parisien et tourangeau), alors que le qualificatif « correct », qui est le seul
à faire explicitement référence à la norme, aurait plutôt tendance à être associé
à l’accent au plus grand prestige manifeste actuel (l’accent parisien). Ces deux
interprétations devraient cependant être vérifiées dans de futures recherches.
Notons par ailleurs que les accents du français hors de France ne comptent
pas une seule occurrence (accents suisse, belge, africain, québécois : 0,00%,
0/93). Soulignons finalement un effet intéressant des points d’enquête : une comparaison de la répartition des réponses sur les quatre points d’enquête montre
une différence significative (p<0,05) entre les résultats de la Courneuve et ceux
des trois autres points d’enquête (16ème arrondissement, Neuilly-sur-Seine, 19ème
arrondissement) :41 les informateurs de la Courneuve ont en effet plus nettement
tendance à juger que l’accent parisien est « le plus correct » (21/24) que les locuteurs du 16ème arrondissement (14/23), de Neuilly-sur-Seine (12/22) et du 19ème
arrondissement (15/24), plus enclins pour leur part à voir également dans l’accent
tourangeau un accent « correct » (16ème arrondissement : 9/23 ; Neuilly-sur-Seine :
8/22 ; 19ème arrondissement : 7/24). Cette différence pourrait éventuellement être
l’indice d’un changement en cours : les informateurs de la Courneuve étant des
« néo-Parisiens », il est possible qu’ils connaissent moins le prestige de l’ancienne
région des châteaux des rois de France. Ce résultat, qui mériterait d’être vérifié
dans de futures enquêtes, renforcerait, d’une part, le statut de la prononciation
du Paris-creuset comme norme actuelle (à l’opposé de l’« ancienne » norme tourangelle) et d’autre part également les différentes conceptions associées par les
informateurs aux qualificatifs « sérieux », « raffiné » (ancienne norme tourangelle) et « correct » (norme actuelle du Paris-creuset).
41 Courneuve vs. 16ème arrondissement : p<0,05, coef. = 1,86, e.s. = 0,86, z = 2,17 ; Courneuve vs.
19ème arrondissement : p<0,05, coef. = 1,54, e.s. = 0,87, z = 1,77 ; Courneuve vs. Neuilly-sur-Seine :
p<0,05, coef. = 1,90, e.s. = 0,87, z = 2,18.
4.1 Paris
179
L’antonyme (« le moins correct ») présente finalement des résultats montrant
à nouveau une tendance à considérer en particulier les accents du français hors
de France (accent suisse : 12,90%, 12/93 ; accent belge : 16,13%, 15/93 ; accent québécois : 22,58%, 21/93 ; accent africain : 24,73%, 23/93) comme les moins corrects,
même si, selon le modèle de régression, aucune des différences notées n’est significative (p>0,05). Soulignons ce faisant que les accents non européens (accents
québécois et africain) présentent un taux plus élevé de réponses les considérant
comme « moins corrects », ce qui renforce à nouveau la hiérarchie de prestige
des accents dégagée de la question 10.2 (cf. supra). Il est en outre intéressant de
noter que le nombre d’informateurs n’ayant pas répondu à cette question est deux
fois moins élevé (11,83%, 11/93) que pour les deux autres qualificatifs négatifs
(cf. supra).
Ainsi, les résultats touchant à l’axe de la correctness ont permis de confirmer globalement la hiérarchie de prestige manifeste des accents du français dans
les attitudes des Parisiens (cf. supra, question 10.2), tout en l’affinant quelque
peu : l’accent parisien présente en effet le plus de prestige manifeste, et ce, devant
l’accent tourangeau. Ce dernier bénéficie bien d’un grand prestige manifeste,
mais il obtient des scores inférieurs à l’accent parisien en particulier lorsque les
informateurs sont priés d’évaluer les accents sur la base d’un qualificatif explicitement lié à la correctness et donc à la norme. Les accents méridionaux (dont l’accent toulousain ; cf. supra, question 10.2) en tant qu’accents internes à la France
arrivent en troisième position, devant les accents hors de France (accents suisse,
belge, québécois et africain), dont les scores sont difficilement distinguables les
uns des autres, même si une très légère hiérarchie plaçant les accents européens
(accent suisse romand) devant les non européens (accents québécois et africain)
se dégage des données. Par ailleurs, une différence semble s’esquisser dans ces
attitudes selon la couche sociale prise en compte : les résultats de l’évaluation
de l’accent jugé « le plus correct » montrent que les informateurs provenant de
couches sociales plus défavorisées ont davantage tendance à considérer l’accent
parisien comme la norme de prononciation par excellence que ceux issus des
couches sociales plus favorisées, qui hésitent davantage entre l’accent parisien
et l’accent tourangeau.
Axe de la pleasantness
Quant aux résultats relatifs à l’axe de la pleasantness, la préférence des Parisiens
pour l’accent méridional déjà observée dans les études de Kuiper (2005, 42) et
Pustka (2010, 136–137) se confirme ici, aussi bien par rapport à sa « beauté » que
par rapport à son degré de « sympathie ». Parallèlement, il est également notable
que les Parisiens révèlent globalement une loyauté élevée principalement envers
180
4 Représentations et attitudes
leur propre accent, mais également envers les locuteurs des accents internes à
la France, un résultat là encore prévisible d’après les observations similaires de
Kuiper (2005, 36).
Ainsi, les résultats de la « beauté » attribuée aux accents montrent tout
d’abord que les trois accents internes à la France sont en grande majorité considérés comme étant « les plus beaux », avec une légère hiérarchisation allant de
l’accent méridional (39,13%, 36/92), puis l’accent parisien (29,35%, 27/92), jusqu’à
l’accent tourangeau (16,30%, 15/92). Au niveau statistique, cette hiérarchie n’est
cependant significative que dans le cas de la comparaison entre l’accent méridional et l’accent tourangeau (p<0,05, coef. = -1,22, e.s. = 0,51, z = -2,41), contrairement à toutes les autres différences (p>0,05). L’antonyme « le plus laid » produit
des résultats plaidant en faveur d’une interprétation similaire : les accents hors
de France (belge : 20,43%, 19/93 ; africain : 16,13%, 15/93 ; suisse : 15,05%, 14/93 ;
québécois : 12,90%, 12/93) sont considérés de manière relativement homogène
comme étant « les plus laids », leurs résultats ne se différenciant pas significativement les uns des autres (p>0,05). Pour leur part, les accents internes à la France
(méridional : 7,53%, 7/93 ; parisien : 6,45%, 6/93 ; tourangeau : 3,23%, 3/93) ne
sont que très rarement associés à ce qualificatif négatif. Notons finalement que
selon le modèle de régression, un accent hors de France sort particulièrement
du lot : l’accent belge. Ses résultats se différencient en effet significativement de
ceux des accents internes à la France pris en compte dans le modèle (accent belge
vs. accent parisien : p<0,05, coef. = -1,47, e.s. = 0,64, z = -2,29 ; accent belge vs.
accent méridional : p<0,05, coef. = -1,18, e.s. = 0,57, z = -2,06), ce qui n’est pas
le cas des autres accents hors de France (accents suisse, africain et québécois)
(p>0,05).
Le qualificatif touchant à la « sympathie » de ces accents engendre des
résultats encore plus clairement en faveur de l’accent méridional (41,49%,
39/94), considéré par une majorité significative comme « le plus sympathique » (p<0,05),42 alors que les différences entre les autres accents pris en
compte dans le modèle (parisien : 24,4/%, 23/94 ; tourangeau : 14,89%, 14/94 ;
québécois : 8,51%, 8/94) s’avèrent non significatives (p>0,05). Même s’il ne
s’agit donc pas d’un résultat significatif, on notera que si les informateurs
évaluaient négativement l’accent québécois en ce qui concerne sa « beauté »
(2,17%, 2/92), le nombre de ceux qui le considèrent comme « sympathique »
42 Accent méridional vs. accent parisien : p<0,05, coef. = -0,85, e.s. = 0,40, z = -2,13 ; accent méridional vs. accent tourangeau : p<0,01, coef. = -1,25, e.s. = 0,46, z = -2,71 ; accent méridional vs.
accent québécois : p<0,01, coef. = -1,44, e.s. = 0,50, z = -2,88.
4.1 Paris
181
s’avère être notablement plus élevé (8,51%, 8/94). Pour cet accent, les résultats obtenus par les deux qualificatifs ne semblent donc pas être totalement en
corrélation : certains Parisiens le trouvent « sympathique », même s’ils ne le
trouvent pas « beau ».
Quant au qualificatif opposé, il confirme globalement ces résultats et y ajoute
une précision : les accents considérés par les Parisiens comme étant « les moins
sympathiques » sont l’accent belge (27,78%, 25/90) et, dans une moindre mesure,
l’accent suisse (17,78%, 16/90). En effet, l’accent belge a été choisi significativement plus souvent que tous les autres accents pris en compte dans le modèle de
régression (p<0,05),43 exception faite de l’accent suisse (p>0,05).44 Le résultat de
ce dernier accent ne se différencie cependant pas significativement des autres
accents (p>0,05).
Ainsi, en plus de confirmer le haut degré de pleasantness bien connu de l’accent méridional (cf. Kuiper 2005, 42 ; Pustka 2010, 136–137 ; Pustka et al. 2019,
44–47), les résultats touchant à cet axe montrent également que l’accent parisien ne présente pas uniquement le prestige manifeste typique d’une variété
dominante. Considéré en effet par une part considérable des Parisiens comme
le deuxième accent le « beau » et le plus « sympathique », il semble également
présenter dans une certaine mesure les qualificatifs typiques d’une variété au
prestige latent. Mais cette observation doit être relativisée : il est en effet probable
que le prestige latent reconnu par certaines communautés à leur(s) variété(s)
non dominante(s) soit ici attribué non pas à l’accent du Paris-creuset considéré
comme norme de prononciation (cf. 4.1.4), mais aux différents accents parisiens
sociaux et micro-diatopiques (p. ex. accent « banlieusard », accent du 16ème) mentionnés plus haut (cf. 4.1.2). Les données sociodémographiques n’ayant cependant pas révélé d’effets significatifs des différents points d’enquête, et la question
posée ne mentionnant qu’un « accent parisien » en général, la présente étude
n’est pas en mesure de confirmer cette hypothèse. Cette dernière devra donc être
l’objet de futures études différenciant plus finement les différents accents parisiens et prenant en compte un plus grand nombre d’informateurs par point d’enquête, afin d’obtenir des résultats présentant des variables sociodémographiques
davantage exploitables.
Notons finalement une particularité méthodologique de cette dernière question qui a pu influencer quelque peu les résultats : il est en effet observable que
43 Accent belge vs. accent parisien : p<0,05, coef. = -1,95, e.s. = 0,76, z = -2,57 ; accent belge vs.
accent tourangeau : p<0,05, coef. = -1,03, e.s. = 0,52, z = -1,98 ; accent belge vs. accent africain :
p<0,05, coef. = -1,54, e.s. = 0,64, z = -2,42 ; accent belge vs. accent québécois : p<0,05, coef. = -1,25,
e.s. = 0,57, z = -2,21.
44 Accent belge vs. accent suisse : p>0,05, coef. = -0,44, e.s. = 0,43, z = -1,03.
182
4 Représentations et attitudes
le nombre d’informateurs n’ayant pas fourni de réponse est systématiquement
plus élevé dans le cas des qualificatifs connotés négativement (« le plus laid »,
« le moins sympathique », « le plus ridicule », « le moins raffiné » et « le moins
correct ») que dans le cas des antonymes positifs respectifs (« le plus beau », « le
plus sympathique », « le plus sérieux », « le plus raffiné » et « le plus correct »).
Il se peut ainsi que les informateurs aient eu tendance à donner dans ces cas-ci
des réponses socialement désirables. Cette possible distorsion des résultats reste
cependant modérée, étant donné que pour le questionnaire parisien (contrairement à ceux de la Suisse romande et du Québec ; cf. 4.2.5 et 4.3.5), les différences
entre ces catégories des non-réponses et les autres catégories n’est nulle part
significative (p>0,05).
4.2 Suisse romande
4.2.1 Représentations des accents du français
Pour ce qui est du questionnaire concernant la Suisse romande, il convient tout
d’abord de mentionner que, de manière parallèle au cas parisien, la première
question du questionnaire (Quels accents de français connaissez-vous dans le
monde ?), simple question « brise-glace », n’a pas été exploitée. L’analyse commence donc à la question 2, qui touche à l’un des aspects des principaux aspects
de toute norme de prononciation : son caractère supposé « neutre » dans les
représentations des locuteurs. Rappelons ici que si la question est la même que
pour le questionnaire parisien, la perspective est inverse : dans le cas de Paris,
il s’agissait de mettre en lumière l’hypothèse d’une variété dominante et de locuteurs présentant une sécurité linguistique. Ici, il s’agit de découvrir une potentielle norme endogène chez des locuteurs considérés comme « périphériques »,
auxquels l’on attribue traditionnellement une certaine insécurité linguistique.
Question 2 : Selon vous, où a-t-on le moins d’accent dans le monde ?
De manière parallèle au questionnaire parisien, il s’agit d’une question ouverte,
pour laquelle la quantification des réponses a été faite a posteriori. Les données
brutes récoltées sont illustrées dans la figure 25.
Ces données brutes ont été soumises à une régression logistique multinomiale sous R. Notons ce faisant que les observations des catégories « Europe »
(3,12%, 3/96) et « Autre » (2,08%, 2/96) sont trop peu nombreuses pour être prises
en compte dans le modèle. Le modèle de régression ne montre aucune diffé-
4.2 Suisse romande
183
Figure 25 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Selon vous, où
a-t-on le moins d’accent dans le monde ? (n=96).
rence significative (p>0,05)45 entre les catégories « nulle part » (25,00%, 24/96),
France (31,25%, 30/96) et Suisse (25,00%, 24/96). Aucune influence des variables
sociodémographiques n’a pu non plus être constatée (p>0,05).
Deux tendances parallèles peuvent donc être observées dans ces données :
premièrement, au niveau des représentations, une majorité des Suisses romands
semble continuer à identifier la norme (de prononciation) au français « de
France ». Fait intéressant mais non pris en compte dans le modèle statistique
étant donné le nombre trop faible de réponses, 23,33% (7/30) des réponses touchant à la France présentent une mention explicite de Paris ou du Nord de la
France. Au contraire de ce qui peut être observé chez les informateurs québécois (cf. infra, chapitre 4.3.1), la localisation géographique de la norme semble
donc pas se faire au niveau de la France dans sa globalité, mais plus précisément,
directement autour de Paris.
Deuxièmement, il semble parallèlement se constituer une vision symétrique
et égalitaire de la variation régionale, 25,00% des informateurs mentionnant qu’il
n’existe pas de région sans accent ou que l’accent perçu comme « neutre » est
celui que l’on parle soi-même (cf. réponse « Nulle part », 25,00%, 24/96). Cette
constatation va de pair avec le jugement porté par 25,00% des informateurs, qui
45 « Nulle part » vs. « France » : coef. = -0,22, e.s. = 0,39, z = -0,58 ; « Nulle part » vs. « Suisse » :
coef. = -0,41, e.s. = 0,41, z = -0,99 ; « France » vs. « Suisse » : coef. = -0,18, e.s. = 0,43, z = -0,43.
184
4 Représentations et attitudes
considèrent les variétés du français parlé en Suisse romande comme étant les
plus « neutres » à l’intérieur de la Suisse. Signalons que, même si ces résultats
ne sont pas significatifs, une différence interne à la Suisse romande semble se
dessiner : alors que 6 réponses classées dans la catégorie « Suisse » (6/24) sont
celles d’informateurs genevois mentionnant explicitement l’accent genevois,
chez les informateurs originaires du canton de Neuchâtel, les données ne fournissent qu’une seule réponse mentionnant explicitement l’accent neuchâtelois
(1/24). Ceci est d’autant plus frappant que les réponses touchant globalement à
la catégorie « Suisse » sont réparties de manière relativement symétrique entre
les informateurs genevois et neuchâtelois (informateurs genevois : 11/24 ; informateurs neuchâtelois : 13/24). Dans les représentations, l’identification régionale
semble donc être plus forte chez les informateurs genevois que chez les informateurs neuchâtelois, qui s’identifient apparemment davantage aux locuteurs
suisses romands en général. Ceci confirme les résultats de Racine/Schwab/Detey
(2013), même si ceux-ci portaient non pas sur des représentations, mais sur des
perceptions (cf. 2.1.2.3.3).
Globalement, ces résultats correspondent donc à ceux de Bayard/Jolivet
(1984), De Pietro/Matthey (1993), De Pietro (1995) et Singy (1996). Ces derniers ont
en effet pu constater une ambiguïté entre dépréciation et valorisation des variétés
du français parlé en Suisse face au français parisien (cf. 2.1.2.3.3). Si ambiguïté
il y a, une courte majorité des Suisses romands continuent – contrairement aux
Québécois (cf. infra 4.3.1) – à considérer l’accent qu’ils nomment « français » ou
« parisien » comme étant le plus « neutre ». Cela ne plaide a priori pas en faveur
de l’apparition d’une norme endogène.
4.2.2 Représentations de l’accent en usage en Suisse romande
Question 3.1 : Les Suisses romands ont-ils un accent ? (□ Oui □ Non)
De manière parallèle au questionnaire parisien, l’absence/la présence d’accent
abordée dans la question précédente a été reprise dans la deuxième section
dans une perspective envisageant uniquement la Suisse romande, et non plus
la francophonie dans son ensemble. Cette question ne touche donc plus aux
hétéro-représentations des locuteurs romands, mais à leurs auto-représentations
de l’accent en Suisse romande. Il s’agit d’une question fermée à choix forcé entre
deux possibilités de réponse (« oui » ou « non ») visant à mettre en évidence dans
quelle mesure les Suisses romands sont conscients que leur accent est marqué
dans la perception de locuteurs d’autres accents (cf. figure 26).
4.2 Suisse romande
185
Figure 26 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Les Suisses
romands ont-ils un accent ? (n=96).
Les données brutes ont été soumises à une régression logistique binominale
sous R, la catégorie « aucune réponse » ayant été supprimée au préalable étant
donné que seuls trois informateurs (3,13%, 3/96) n’ont pas répondu à la question.
Sans surprise, la différence entre les catégories du « oui » (89,58%, 86/96) et du
« non » (7,29%, 7/96) est hautement significative, à p<0,001 (coef. = 3,14, e.s. =
0,72, z = 4,34). Notons ce faisant que les variables sociodémographiques n’ont
pas d’influence sur les résultats (p>005). Contrairement aux Parisiens, les Suisses
romands semblent donc être presque unanimement conscients que leur accent
est marqué dans la perception d’autres francophones.
Dans une sous-question supplémentaire (cf. question 3.2), les informateurs
étaient par ailleurs priés d’indiquer le domaine linguistique (vocabulaire, prononciation ou grammaire) le plus saillant, selon eux, dans le français parlé en
Suisse romande.
Questions 3.2 : Si oui, à quoi peut-on les reconnaitre le plus ?
Il s’agit ici d’une question fermée à choix simple parmi trois possibilités de réponse
(« à leur vocabulaire », « à leur prononciation », « à leur grammaire »), les informateurs ayant également eu la possibilité de formuler librement des exemples
illustrant la catégorie choisie. Par ailleurs, une catégorie « à autre chose » permettant aux informateurs d’ajouter des précisions ne pouvant être classées dans
ces trois catégories a également été ajoutée aux réponses possibles (cf. figure 27).
Précisons qu’ici non plus, le nombre d’informateurs ayant répondu à cette ques-
186
4 Représentations et attitudes
tion (89) ne correspond pas tout à fait au nombre de ceux ayant répondu à la
question 3.1 par l’affirmative (86), certains n’ayant pas suivi la consigne de ne
répondre à la question 3.2 que dans le cas d’une réponse positive à la question 3.1.
Figure 27 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Si oui, à quoi
peut-on les reconnaître le plus ? (n=89).
Les données brutes ont été soumises à une analyse de régression multinomiale.
Le modèle montre que les différences sont significatives à p<0,0546 entre les
catégories « prononciation » (47,19%, 42/89) et « vocabulaire » (29,21%, 26/89)
ainsi qu’entre cette même catégorie « vocabulaire » et la catégorie « grammaire »
(12,36%, 11/89). La différence entre les résultats des catégories « prononciation »
et « grammaire » est, pour sa part, hautement significative à p<0,001.47 Comme
pour les questions précédentes, les données sociodémographiques n’ont, pour
leur part, aucune influence significative sur les résultats. Une hiérarchie de saillance des trois niveaux linguistiques semble donc exister dans les représentations des Suisses romands, les informateurs indiquant percevoir le plus de traits
saillants au niveau de la prononciation, devant le vocabulaire et la grammaire.
Les précisions formulées librement présentent pour leur part un tableau
moins clair : les précisions concernant la prononciation (54) et le vocabulaire (51)
sont, certes, beaucoup plus nombreuses que celles qui touchent à la grammaire
(18). La plupart de ces précisions sont cependant de nature trop générale pour
46 « Prononciation » vs. « Vocabulaire » : p<0,05, coef. = -0,50, e.s. = 0,24, z = -2,07 ; « Vocabulaire » vs. « Grammaire » : p<0,05, coef. = -0,85, e.s. = 0,35, z = -2,46.
47 « Prononciation » vs. « Grammaire » : p<0,001, coef. = -1,34, e.s. = 0,32, z = -4,15.
4.2 Suisse romande
187
donner de réelles indications quant à la saillance des domaines linguistiques.
C’est la raison pour laquelle ces précisions générales (cf. colonne de droite du
tableau 33) ont été catégorisées séparément des exemples concrets de traits
caractéristiques du français parlé en Suisse romande (cf. colonne de gauche du
tableau 33).
Tableau 33 : Précisions des informateurs suisses romands par rapport aux traits et mots les
plus saillants dans leurs auto-représentations du français suisse romand.
Prononciation (54 mentions)
Mentions de traits concrets (7)
Précisions générales (47)
« langue plus chantée », « l’accent, tonalité
plus exagérée », « on saute des syllabes
(G’nève) », « on a un accent plus ou moins
prononcé (prolongement sur la fin des
mots) », « une intonation, un rythme », etc.
« 1 accent par canton », « accent différent »,
« accent marqué », « assez bien », « de forts
accents selon les cantons », « l’accent me
parait assez neutre », « mauvaise », etc.
Vocabulaire (51 mentions)
Mentions de mots concrets (8)
Précisions générales (43)
« le natel, la panosse, s’encoubler », « les
chiffres (septante, nonante, . . .) », « on a du
vocabulaire différent, ex.: panosse, natel,
sachet, k-way », etc.
« certains mots ou expressions », « différent
(un peu) selon les cantons », « plusieurs
mots tirés du vocabulaire paysan »,
« quelques mots différents », « riche », etc.
Grammaire (18 mentions)
Mentions de traits concrets (0)
Précisions générales (18)
Ø
« homogène », « idem que la France »,
« mauvais », « pareil », « pauvre », etc.
Le tableau 33 montre que 7 traits concrets sont mentionnés dans le domaine de la
prononciation, contre 8 traits pour le vocabulaire, alors qu’aucun trait grammatical concret n’a été nommé par les informateurs. Parmi les traits de prononciation
saillants mentionnés, on notera la montée mélodique sur la syllabe pénultième
(p. ex. « langue plus chantée », « tonalité plus exagérée »), les oppositions quantitatives en syllabe finale (p. ex. « prolongement sur la fin des mots ») et la tendance
plus prononcée qu’en français de référence à l’élision du schwa en syllabe initiale
de polysyllabes (p. ex. « G’nève ») (cf. Andreassen/Lyche 2003 ; Andreassen/
Maître/Racine 2010). Le cas du vocabulaire est similaire, avec plusieurs lexèmes
prototypiques mentionnés explicitement par les informateurs, comme l’innovation par emprunt « natel » ou encore les archaïsmes-dialectalismes « septante »,
« nonante » et « panosse » (cf. Andreassen/Maître/Racine 2010 ; Thibault 2017).
Ces résultats qualitatifs et plus implicites, car recueillis sans question directe,
188
4 Représentations et attitudes
ne confirment donc pas totalement les résultats quantitatifs : les commentaires
libres semblent mettre en lumière une saillance relativement similaire de la prononciation et du vocabulaire alors que les résultats quantitatifs ont mis à jour
une hiérarchie significative prononciation > vocabulaire > grammaire. Le niveau
de saillance de la grammaire semble, quant à lui, être faible, ce qui confirme les
résultats quantitatifs.
Notons finalement que, sans que la question ne porte explicitement sur cette
thématique, plusieurs précisions données par les informateurs (p. ex. « mauvaise », « plusieurs mots tirés du vocabulaire paysan », « un peu pauvre par rapport
à la France », « mauvais », « pauvre », cf. tableau 33) mettent en outre indirectement au jour l’un des principaux symptômes d’insécurité linguistique spécifiés
par Lafontaine (1991, 34) et Francard (1993, 13) : l’auto-dépréciation des pratiques
linguistiques de la sous-communauté à laquelle appartiennent les locuteurs (en
l’occurrence la Suisse romande), également appelée dépréciation régiolectale
par Singy (2004, 92) (cf. 2.1.2.1). Cette thématique d’insécurité linguistique a été
abordée plus explicitement dans la deuxième question de cette section.
Question 4.1 : Y a-t-il des Suisses romands qui essaient de perdre leur accent ?
(□ Oui □ Non)
Cette question (inspirée de la question 23 du questionnaire de Singy (1996, 268)
sur le canton de Vaud : Y a-t-il des Vaudois qui essaient de perdre leur accent ?),
qui n’a été posée que dans les questionnaires suisse et québécois, aborde le
potentiel sentiment d’infériorité linguistique nourri par les Suisses romands,
pouvant mener chez ces locuteurs au désir d’adapter leur accent en direction de
leur conception d’une prononciation « de France », « du Nord de la France » et
« de Paris ». La question repose sur le principe selon lequel un locuteur, conscient
de présenter des traits de prononciation marqués, n’aura tendance à renier son
accent que s’il éprouve un sentiment d’infériorité face à la prononciation dite
« légitime » (cf. Singy 1996, 190). Elle est donc intimement liée à la question du
prestige de la prononciation suisse romande face à celle de la norme dite « de
France », « du Nord de la France » et/ou « de Paris ».
Étant donné que cette question peut engendrer des réponses relativement
gênantes, car peu valorisantes, elle a été formulée de manière à éviter l’implication personnelle des informateurs : ceux-ci ont ainsi été interrogés, comme l’avait
déjà fait Singy (1996, 152, 268), non pas sur leur propre comportement, mais sur
celui que pourraient adopter d’autres Suisses romands. Concernant les possibilités de réponse, notons finalement que la question a de nouveau été structurée sur
la base d’un choix simple entre le « oui » et le « non » (cf. figure 28).
4.2 Suisse romande
189
Figure 28 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Y a-t-il des
Suisses romands qui essaient de perdre leur accent ? (n=96) ; réponses présentées dans leur
globalité ainsi que selon le sexe et le niveau d’éducation des informateurs.
Les données ont été soumises à une analyse de régression logistique binomiale. Sans surprise, la différence globale entre le « oui » (69,79%, 67/96) et le
« non » (26,04%, 25/96) est hautement significative, à p<0,001 (coef. = 1,72 ;
e.s. = 0,41 ; z = 4,19). Les tentatives d’effacement de l’accent régional, considérées comme l’une des stratégies de compensation de l’insécurité linguistique
(à côté de l’hypercorrection et de l’auto-stigmatisation ; cf. p. ex. Singy 1996,
75 ; Gasquet-Cyrus 2013, 14–15) semblent donc encore bien présentes en Suisse
romande. Ceci confirme les résultats de Singy (1996, 152), qui avait obtenu un
taux de 79,3% d’informateurs répondant à la question par l’affirmative.
Par ailleurs, deux variables sociodémographiques se sont révélées significatives : la variable du sexe, à p<0,05 (coef. = -1,28, e.s. = 0,51, z = 2,50), et celle
du niveau d’éducation, à p<0,01 (coef. = -1,40, e.s. = 0,51, z = 2,74). Les données
montrent à ce propos que les femmes (81,25%, 39/48) et les locutrices et locuteurs ayant un niveau d’éducation plus élevé (85,42%, 41/48) tendent davantage
à penser que les Suisses romands cherchent à masquer leur accent. Ces résultats confirment donc ici aussi ceux de Singy (1996, 152), qui constatait une tendance légèrement plus élevée chez les femmes, et largement plus élevée chez les
locutrices et locuteurs de ce qu’il nomme la « couche sociale dite supérieure »,
à répondre à cette question par l’affirmative. Notons que cette tendance à l’insécurité linguistique chez les femmes et les personnes ayant un niveau d’édu-
190
4 Représentations et attitudes
cation élevé est bien connue en sociolinguistique et n’a donc rien de surprenant
(cf. p. ex. Trudgill 1972 ; Owens/Baker 1984 ; Labov 1990 ; 1998 concernant le
facteur du sexe ; cf. p. ex. Francard 1989 ; Ledegen 1998 ; L’Eplattenier-Saugy 2002
concernant celui du niveau d’éducation).
Retenons ainsi que l’insécurité linguistique, se manifestant dans cette question par des tentatives d’effacement de l’accent régional, semble être une réalité
encore bien présente en Suisse romande, principalement chez les femmes et les
personnes ayant un niveau d’éducation relativement élevé.
À présent, les explications formulées librement et recueillies dans le cadre
de la question 4.2 pourront apporter certaines précisions quant aux aspects poussant les informateurs à la dépréciation de leur accent et/ou à sa valorisation.
Question 4.2 : Pourquoi (pas) ?
Selon les réponses à la question 4.1 (« oui » ou « non ») données par les informateurs suisses romands, leurs précisions vont soit dans le sens de la dépréciation
soit dans celui de la valorisation de leur accent suisse romand, les deux dimensions antagonistes déjà observées par de nombreuses études citées précédemment
(cf. en particulier Singy 1996, 75 ; cf. également 2.1.2.3.4). Pour ce qui est de la dépréciation, les commentaires peuvent être catégorisés selon les deux axes suivants :
(1) Sentiment de mauvaise qualité de l’accent : p. ex. « notre accent n’est pas
le plus beau [. . .] », « pour améliorer leur prononciation », « on aimerait
parler mieux » « parce que certains de nos accents font vraiment campagnard
[. . .] », « [. . .] ils sont conscients de parler trop lentement [. . .] ».
(2) Sentiment de stigmatisation de l’accent : p. ex. « on en a honte », « on n’assume pas notre accent », « sinon on se ferait ridiculiser », « ils veulent éviter
de se faire juger », « pour éviter d’être pris pour des provinciaux », « complexe
d’infériorité ».
Étant donné que la question a été formulée dans la perspective d’un observateur externe (Y a-t-il des Suisses romands qui essaient de perdre leur accent ?),
plusieurs informateurs font également référence au cas particulier des Suisses
romands expatriés désirant neutraliser leur accent lorsqu’il se retrouvent au sein
d’une autre communauté francophone : p. ex. « ceux qui vont travailler en France
(particulièrement à Paris) » « pour passer inaperçu dans un nouvel environnement », « les frontaliers », « les expatriés qui s’installent en France ». Il ne s’agit
ici cependant pas d’une manifestation d’insécurité linguistique en soi, mais simplement de la situation particulière de certains locuteurs, les expatriés, favorisant une insécurité linguistique pouvant à son tour se manifester selon les axes
4.2 Suisse romande
191
(1) et/ou (2). Cette catégorie n’a donc pas été prise en compte dans les manifestations d’insécurité linguistique évoquées plus haut.
Soulignons par ailleurs que les deux catégories mentionnées ci-dessus correspondent dans leur contenu aux principaux indicateurs révélant une insécurité
linguistique proposés par Singy (1996, 75) : le jugement dépréciatif porté sur sa
propre variété de français et la conviction de parler un français « de moins bonne
qualité » que celui des Français (des indicateurs correspondant à la catégorie (1)
définie ci-dessus) ainsi que la tendance « à imputer aux Français un jugement
dépréciatif sur la pratique linguistique des Romands » (Singy 1996, 75) (un indicateur correspondant à la catégorie (2) définie ci-dessus).
Quant à la valorisation de l’accent suisse romand, les catégories suivantes ont
pu être dégagées des données brutes :
(1) Volonté de loyauté envers la communauté linguistique : p. ex. « notre
accent préserve nos racines », « [. . .] identité suisse », « l’accent romand est
une partie de notre identité », « [. . .] on ne veut pas perdre nos sources ».
(2) Volonté de préservation de l’intégrité personnelle : p. ex. « pour préserver leur authenticité », « [. . .] rester soi-même », « pourquoi perdre un accent
qu’on a toujours parlé ? ».
(3) Sentiment de neutralité de l’accent à l’intérieur de la communauté :
p. ex. « pour nous, l’accent d’ici n’en est pas un », « [. . .] accent normal ici »,
« [. . .] notre accent est naturel ».
Il est remarquable que les deux premiers types de valorisation de l’accent suisse
romand relevés ici (loyauté et intégrité) correspondent bien à la définition du
prestige latent (cf. 2.1.2.2). Même si les principales études portant sur les représentations de la norme (de prononciation) en Suisse romande (cf. Bayard/Jolivet
1984 ; De Pietro/Matthey 1993 ; De Pietro 1995 ; Singy 1996) n’ont jusqu’ici pas
utilisé les termes de prestige manifeste et latent, les résultats du présent travail
semblent leur correspondre : ces études montraient en effet une valorisation de
l’accent suisse chez certains informateurs à travers une mise en valeur sa légitimité sociale et de sa fonction identitaire (cf. en particulier Singy 1996, 36, 75).
La troisième catégorie, qui touche à la neutralité de l’accent à l’intérieur de
la Suisse romande, est pour sa part d’un autre type : elle porte en effet non plus
sur le prestige latent, mais sur le prestige manifeste. L’existence d’un accent perçu
comme « neutre », c’est-à-dire comme non identifiable à l’intérieur d’une communauté, fait en effet partie des caractéristiques d’une prononciation au prestige
manifeste (cf. Tremblay 1990, 209 ; Bigot 2008, 138). Cependant, rappelons que
l’état de l’art avait pu déceler différents types de prestige à l’intérieur même de la
Suisse romande, avec des variétés locales au prestige latent et une variété genevoise à laquelle la plupart des Romands (mis à part les Genevois) attribueraient
192
4 Représentations et attitudes
un prestige manifeste similaire à celui du français parisien (cf. 2.1.2.3.3). Il resterait donc à découvrir dans quelle mesure les catégories de valorisation décelées
ici correspondent à différents accents internes à la Suisse ou pas. La question
5 (cf. 4.2.3) présentée ci-dessous pourra apporter certains éléments de réponse.
Finalement, les résultats des questions 4.1 et 4.2 révèlent donc une certaine
ambiguïté entre une insécurité linguistique encore bien authentifiable en Suisse
romande, particulièrement chez les femmes et les informatrices/informateurs au
niveau d’éducation élevé, et des indices plaidant en faveur de l’apparition d’un prestige latent, voire d’un prestige manifeste. Notons cependant que ces résultats préliminaires sur la question du prestige doivent être interprétés avec précaution : la
question a en effet été volontairement formulée dans le but de révéler l’insécurité linguistique. Par ailleurs, les différents qualificatifs liés traditionnellement au prestige
latent (beau, sympathique) et manifeste (correct, sérieux, raffiné), qui correspondent
aux catégories de la correctness et de la pleasantness de Preston (1999, xxxiv), n’ont
pas été testés explicitement dans cette question, mais dans la question 17 (cf. 4.2.5).
4.2.3 Représentations des différences d’accent à l’intérieur de la Suisse romande
Parallèlement au questionnaire parisien, la troisième section du questionnaire
suisse romand aborde maintenant la question de la « neutralité » des accents,
mais dans une perspective interne à la Suisse.
Question 5 : Selon vous, où a-t-on le moins d’accent en Suisse romande ?
Il s’agit ici d’une question ouverte sans choix de réponse établis au préalable. La
quantification des réponses a donc été effectuée a posteriori. Les catégories illustrées dans la figure 29 ont ainsi pu être dégagées des données brutes.
Après avoir supprimé la catégorie « Lausanne » (3,13%, 3/96) en raison de son
trop faible nombre d’observations, les données ont été analysées dans le cadre
d’une régression multinomiale. Les résultats du modèle montrent, d’une part,
que les réponses mentionnant « Genève » (53,13%, 51/96) sont significativement
plus nombreuses que les catégories « Neuchâtel » (19,79%, 19/96), « Bassin lémanique » (7,29%, 7/96) et « nulle part » (6,25%, 6/96), respectivement à p<0,01.48
48 « Genève » vs. « Neuchâtel » : coef. = -1,49, e.s. = 0,42, z = -3,56 ; « Genève » vs. « Bassin lémanique » : coef. = -2,74, e.s. = 0,73, z = -3,76 ; « Genève » vs. « nulle part » : coef. = -2,34, e.s. =
0,60, z = -3,86.
4.2 Suisse romande
193
Figure 29 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Selon vous, où
a-t-on le moins d’accent en Suisse romande ? (n=96).
D’autre part, les catégories « Neuchâtel », « Bassin lémanique » et « Lausanne »
ne se différencient pas significativement les unes des autres (p>0,05).49 Quant aux
influences des données sociodémographiques, le modèle révèle une différence
de comportement des informateurs du canton de Genève (Genève et Veyrier)
par rapport à ceux du canton de Neuchâtel (Neuchâtel et Boudry) à p<0,05,50 les
informateurs de ce dernier canton étant en grande majorité responsables du taux
de réponses global relativement élevé (19,79%, 19/96) porté sur « Neuchâtel »
(Neuchâtelois : 8,33%, 8/96 ; Boudrysans : 9,38%, 9/96). Aucun autre effet ne s’est
révélé significatif, même s’il est également remarquable que toutes les réponses
mentionnant le « Bassin lémanique » aient été données par des informateurs du
canton de Genève (Genevois : 3,13%, 3/96 ; Veyrites : 4,17%, 4/96) (cf. figure 30).
Globalement, dans leurs représentations, les Suisses romands semblent donc
clairement associer l’accent le plus « neutre » de la Suisse romande au centre de
l’agglomération genevoise. Cette observation est particulièrement pertinente pour
les informateurs provenant eux-mêmes du canton de Genève (60,42%, 29/48),
mais également pour une courte majorité relative des informateurs provenant du
49 « Neuchâtel » vs. « Bassin lémanique » : coef. = -1,25, e.s. = 0,80, z = -1,56 ; « Neuchâtel » vs.
« nulle part » : coef. = -0,85, e.s. = 0,69, z = -1,23 ; « Bassin lémanique » vs. « nulle part » : coef. =
-0,85, e.s. = 0,69, z = -1,23.
50 Effet de l’origine pour les informateurs provenant de la ville de Neuchâtel sur les résultats de
la catégorie « Neuchâtel » : p<0,05 ; coef. = -2,22, e.s. = 1,13, z = -1,97 ; effet pour les informateurs
originaires de Boudry sur cette même catégorie : p<0,05 ; coef. = 2,71, e.s. = 1,14, z = 2,39.
194
4 Représentations et attitudes
Figure 30 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Selon vous, où
a-t-on le moins d’accent en Suisse romande ? (n=96) ; réponses séparées selon l’origine des
informateurs : Genevois et Veyrites du canton de Genève, Neuchâtelois et Boudrysans du
canton de Neuchâtel.
canton de Neuchâtel (45,83%, 22/48). Néanmoins, une partie considérable de ce
dernier groupe (35,42%, 17/48) considère l’accent neuchâtelois comme étant le
plus « neutre ». Ainsi, alors que dans le canton de Genève, le jugement considérant l’accent genevois comme le plus « neutre » est relativement clair, la situation
est plus ambiguë à Neuchâtel, avec une tendance relativement équilibrée allant
aussi bien en direction de l’accent genevois que de l’accent neuchâtelois. Ceci
confirme donc quantitativement l’observation faite à la question 2 : l’identification régionale semble être plus forte dans le canton de Genève que dans le canton
de Neuchâtel, les Neuchâtelois ayant plus fortement tendance à s’identifier aux
locuteurs suisses romands en général (cf. 4.2.1). Par ailleurs, ces résultats confirment également ceux de Racine/Schwab/Detey (2013), qui ont montré que l’accent
genevois semble être considéré par les Suisses romands comme le plus proche
d’une norme interne à la Suisse romande. Notons cependant que dans cette dernière étude, les Genevois eux-mêmes étaient le seul groupe suisse romand à ne
pas considérer leur propre accent comme « norme internationale » parallèlement
à la norme du « français parisien ». Les résultats des deux études ne sont pourtant pas contradictoires, en ce sens que la question posée ici se limite à la Suisse
romande, alors que Racine/Schwab/Detey (2013) proposait explicitement une
catégorie incluant Paris. Par ailleurs, leur travail portait sur les perceptions alors
que le mien touche à la catégorie des représentations. Il restera donc à confirmer
ces résultats dans la sous-étude sur les perceptions des Suisses romands (cf. 6.2).
4.2 Suisse romande
195
4.2.4 Représentations de la prononciation des présentateurs de télévision
suisses romands
À côté du critère géographique abordé dans la section précédente, la question du
groupe de locuteurs de référence se pose également dans le cadre d’une définition
de la norme de prononciation. Contrairement au cas du Québec, à ma connaissance, aucune étude ne s’est encore penchée sur le rôle des présentateurs de télévision de Suisse romande dans les représentations des Romands en matière de
norme de prononciation. C’est pourquoi j’ai abordé la légitimité de ce modèle au
sein de la communauté suisse romande dans le cadre de deux questions complémentaires (cf. question 6.1 et 6.2, et également question 7).
Question 6.1 : Les présentateurs des journaux télévisés suisses romands ont-ils un accent propre
à la Suisse romande ? (□ Oui □ Non)
Dans la première question, il s’agissait de découvrir dans quelle mesure les informateurs romands estiment que la prononciation des présentateurs de télévision de leur région peut être considérée comme assez éloignée de celle d’autres
régions francophones (en particulier la France) pour être représentative de la
Suisse romande. Il s’agit d’une question fermée à choix simple entre deux possibilités de réponse (« oui » et « non ») (cf. figure 31).
Figure 31 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Les présentateurs
des journaux télévisés suisses romands ont-ils un accent propre à la Suisse romande ? (n=96).
196
4 Représentations et attitudes
Après avoir supprimé les données des informateurs n’ayant pas répondu à la
question (« aucune réponse » : 3,13%, 3/96), les données brutes de cette question
ont été soumises à une analyse de régression binomiale sur la base des seules
réponses « oui » et « non ». Comme on pouvait s’y attendre, le modèle montre une
différence hautement significative, à p<0,001 (coef. = 3,14, e.s. = 0,72, z = 4,34)
entre le « oui » et le « non », aucune des variables sociodémographiques n’ayant
d’effet significatif sur ce résultat (p>0,05). Ainsi, de manière parallèle à ce qu’ont
pu montrer Cajolet-Laganière/Martel (1995, 13), Bouchard/Maurais (2001, 112) et
Maurais (2008, 55) dans le cas du Québec, les locuteurs suisses romands semblent
également attribuer une certaine légitimité aux présentateurs de télévision dans
la mesure où leur prononciation semble être globalement perçue comme représentative de la prononciation en usage en Suisse romande.
En complément à cette question à choix forcé, les informateurs ont été par
ailleurs invités à préciser ce qui caractérise la prononciation de ces présentateurs de télévision suisses romands, et ce, sous la forme d’une question ouverte
(cf. question 6.2).
Question 6.2 : Qu’est-ce qui caractérise l’accent des présentateurs de journaux télévisés suisses
romands ?
Mises à part plusieurs réponses très générales touchant au vocabulaire et à la prononciation, mais ne présentant pas de valeur substantielle pour le présent ouvrage,
les commentaires proposés par les informateurs montrent une certaine ambivalence
entre deux types de représentations récurrentes : la « pureté » perçue de l’usage des
présentateurs ainsi que sa « neutralité » perçue à l’intérieur de la Suisse romande :
– « Pureté » : « [. . .] ils ont un excellent français », « Ils ont un accent soigné
et esthétique », « [. . .] ils sont obligé [sic] d’avoir une prononciation irréprochable », « Prononciation plus noble, moins campagnarde que dans la
plupart des cantons », « [. . .] très bon français, qui se rapproche un peu de ce
qu’on trouve dans les chaines françaises ».
– « Neutralité » : « Prononciation lissée (en tout cas à la TSR) », « Ils ont un
français très neutre, mais on entend quand même qu’ils sont suisses », « La
plupart des présentateurs n’ont pas vraiment l’accent d’un canton, mais une
sorte d’accent des médias romands uniformisé », « [. . .] ils essaient d’être le
plus intelligible possible et n’ont pas un accent prononcé », « C’est un accent
formaté, un peu passe partout chez nous [. . .] ».
Ainsi, d’une part, une partie des réponses suggère que dans les représentations
des informateurs, les présentateurs de télévision suisses romands auraient une
4.2 Suisse romande
197
prononciation qualifiée de « pure », d’« excellente » ou d’« irréprochable » et
souvent associée à une prononciation « française » (le qualificatif « parisien »
n’apparaissant cependant pas). D’autre part, une autre partie des réponses touche
à la « neutralité » perçue de la prononciation des présentateurs à l’intérieur de la
Suisse : les informateurs semblent percevoir l’accent de ces présentateurs comme
une prononciation suisse non pas locale ou cantonale, mais suprarégionale.
En conclusion, deux aspects, similaires à la situation du Québec (cf. 4.3.4) mais
jusqu’ici encore jamais abordés explicitement pour la Suisse romande, peuvent
être dégagés de ces résultats : dans les représentations des locuteurs, la prononciation des présentateurs de télévision romands semble non seulement relativement « neutre », en restant « suisse » pour une majorité des Suisses romands,
mais elle se rapprocherait également assez de la prononciation « française » pour
être acceptée comme un modèle à suivre.
Question 7 : Selon vous, quel est le français suisse romand le plus représentatif de l’ensemble
de la Suisse romande ?
Possibilités de réponse : □ le français parlé dans le journal télévisé, □ le français utilisé dans
une discussion entre des étudiants, □ le français parlé dans la vie quotidienne à la campagne,
□ autre
Comme pour Paris, le rôle de modèle de prononciation des présentateurs de télévision a par la suite été vérifié dans le cadre d’une question quantitative comparant explicitement la situation du journal télévisé en Suisse romande à deux
autres situations de communication. Contrairement au cas du Québec (cf. 4.3.4),
aucune étude n’avait étudié jusqu’ici explicitement ce rôle des présentateurs
dans la définition de la norme. Notons finalement qu’il s’agit d’une question à
choix simple parmi trois possibilités de réponse comprenant également une catégorie « autre » permettant aux informateurs de formuler au besoin un autre type
de réponse. Les données brutes sont résumées dans la figure 32.
Les données brutes ont été soumises à une analyse de régression multinomiale, sans cependant prendre en compte la catégorie « autre » (6,25%, 6/96),
trop hétérogène pour être quantifiée. Le modèle indique que les réponses touchant au « français parlé dans le journal télévisé » (55,21%, 53/96) se différencient
significativement aussi bien des réponses portant sur le « français utilisé dans
une discussion entre des étudiants » (26,04%, 25/96) (p<0,05)51 que de celles mentionnant le « français parlé dans la vie quotidienne à la campagne » (7,29%, 7/96)
51 Coef. = -0,96, e.s. = 0,37, z = -3,54.
198
4 Représentations et attitudes
Figure 32 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Selon vous,
quel est le français suisse romand le plus représentatif de l’ensemble de la Suisse romande ?
(n=96).
(p<0,001).52 La différence entre ces deux dernières catégories n’est cependant pas
significative (p>0,05),53 pas plus que l’effet des catégories sociodémographiques
(p>0,05).
Les résultats semblent donc révéler un critère supplémentaire quant à une
potentielle norme de prononciation endogène telle que se la représentent les
informateurs suisses romands. En effet, alors qu’au niveau géographique, la question 5 a pu montrer qu’une majorité des Suisses romands situent l’accent le plus
« neutre » à Genève, les questions de la présente section y ajoutent un critère
touchant aux locuteurs de référence : dans une certaine mesure, la prononciation
des présentateurs de télévision semble, à l’image du Québec (cf. 4.3.4), jouer un
rôle conséquent dans les représentations d’une norme de prononciation potentielle chez les Suisses romands. Il s’agit là, à ma connaissance, d’une observation
inédite pour la Suisse romande.
4.2.5 Attitudes face à la prononciation suisse romande dans une comparaison
avec les prononciations d’autres régions francophones
Cette dernière section du questionnaire suisse romand porte sur les questions de
prestige de la prononciation en usage en Suisse romande lorsqu’on la compare
à d’autres accents de la francophonie. La question de l’insécurité linguistique,
52 Coef. = -2,16, e.s. = 0,61, z = -2,57.
53 Coef. = -1,20, e.s. = 0,66, z = -1,83.
4.2 Suisse romande
199
intrinsèquement liée à celle du prestige, y est par ailleurs également abordée de
manière systématique.
Question 8 : Quand, à la télévision, vous regardez une publicité suisse utilisant l’accent suisse
romand, vous vous sentez : □ fier □ amusé □ gêné □ agacé □ indifférent
La première question de la section aborde l’insécurité linguistique des Suisses
romands et le niveau de prestige de la prononciation romande par le biais de
son utilisation dans des contextes d’exposition publique (la télévision). Notons
qu’elle est inspirée d’une question posée par Singy (1996, 267 ; question 5) dans
son enquête sur le français parlé dans le canton de Vaud. Il s’agit d’une question
à choix simple parmi cinq possibilités de réponse illustrant 3 situations différentes : premièrement, les qualificatifs « agacé » et « gêné » plaideraient pour une
forte tendance des Suisses romands à l’insécurité linguistique et à une absence
de prestige latent (et manifeste) de leur prononciation. Deuxièmement, « fier » et
« amusé » révéleraient une tendance à une insécurité un peu moins élevée et à un
certain prestige latent de cette prononciation. Finalement, le qualificatif « indifférent » dénoterait une insécurité linguistique peu élevée (voire inexistante) et un
prestige manifeste en raison du caractère « neutre » de ce qualificatif. Les résultats des données brutes sont illustrés dans la figure 33.
Figure 33 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Quand, à la
télévision, vous regardez une publicité suisse utilisant l’accent suisse romand, vous vous
sentez. . . □ fier, □ amusé, □ gêné, □ agacé, □ indifférent (n=96).
200
4 Représentations et attitudes
Ces données brutes ont été soumises à un modèle de régression multinomiale. Parmi les trois qualificatifs attribués le plus souvent par les informateurs
(« amusé » : 34,38%, 33/96 ; « fier » : 29,17%, 28/96 ; « indifférent » : 16,67%,
16/96), le modèle montre une hiérarchie de différences significatives échelonnées par groupes de deux qualificatifs : alors que la différence observable entre
« amusé » et « indifférent » est significative (p<0,05),54 elle ne l’est pas entre « fier »
et « amusé » ni entre « fier » et « indifférent » (p>0,05).55 Les qualificatifs « gêné »
(8,33%, 8/96) et « agacé » (6,25%, 6/96) se différencient, pour leur part, significativement de tous les autres (p<0,05), mais pas l’un de l’autre (p>0,05).56 Notons
que les effets des données sociodémographiques s’avèrent être, ici aussi, non
significatifs (p>0,05).
Ces résultats correspondent globalement à ceux de Singy (1996, 197–198),
dont l’étude avait montré un pourcentage similaire d’informateurs choisissant les
qualificatifs « indifférent » (Singy 1996 : 13,30% ; ici : 16,67%), « amusé » (Singy
1996 : 41,00% ; ici : 34,38%) et « gênés » (Singy 1996 : 5,60% ; ici : 8,33%). Les
seules différences touchent aux qualificatifs « agacé », choisi par 36,40% des
informateurs de Singy (1996) contre seulement 6,25% des informateurs de la présente étude, et « fier », terme absent chez Singy (1996), mais choisi ici par 29,17%
des informateurs. Ces deux différences pourraient être expliquées par le fait que
la question de Singy (1996) portait explicitement sur une publicité française
recourant à un « accent suisse », alors que la présente étude porte – en raison
de l’accent mis sur la question de la norme endogène – sur la perspective interne
d’une publicité suisse utilisant cet « accent suisse ».
Étant donné le choix significativement majoritaire en faveur des qualificatifs « amusé » et « fier », ces résultats confirment finalement l’ambiguïté révélée
à la question 4.2 entre une insécurité linguistique encore bien présente chez les
informateurs suisses romands et l’apparition d’un certain prestige latent. Au vu
des résultats de cette question, il semble cependant qu’il soit encore trop tôt pour
évoquer un réel prestige manifeste, le seul qualificatif pouvant suggérer un tel
développement étant « indifférent », choisi par 16,67% seulement des informateurs (contre 41,67% chez les Québécois ; cf. 4.3.5), un chiffre significativement
plus faible que celui observé pour les deux qualificatifs liés au prestige latent
(« amusé » et « fier »).
54 « amusé » vs. « indifférent » : coef. = -0,97, e.s. = 0,42, z = -2,32.
55 « fier » vs. « amusé » : coef. = 0,41, e.s. = 0,35, z = 1,18 ; « fier » vs. « indifférent » : coef. = -0,56,
e.s. = 0,44, z = -1,26.
56 « gêné » vs. « agacé » : coef. = 0,69, e.s. = 1,22, z = 0,57.
4.2 Suisse romande
201
Question 9 : Face à un Français ayant la même profession, comment un Suisse romand se sent-il
par rapport à sa façon de prononcer ? □ en situation d’égalité, □ en situation d’infériorité, □ en
situation de supériorité
La question suivante a été formulée parallèlement à celles posées à Paris (cf. 4.1.5,
questions 9.1 et 9.2), mais porte dans son objectif sur la perspective inverse : celle
de l’insécurité linguistique des Suisses romands et du niveau de prestige de la
prononciation suisse romande présumé plus faible que celui de Paris. Rappelons
(1) qu’il s’agit, de manière parallèle aux questions posées à Paris, d’une question
détournée n’interpellant pas directement les informateurs, mais autorisant la
projection de leurs attitudes, et (2) que le complément ayant la même profession
assure que l’évaluation porte sur des critères géographiques et non sociaux. La
figure 34 illustre les résultats obtenus.
Figure 34 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Face à un Français ayant
la même profession, comment un Suisse romand se sent-il par rapport à sa façon de parler ? (n=96).
Étant donné le très faible nombre de réponses obtenues dans les catégories « en
situation de supériorité » (3,13%, 3/96) et « aucune réponse » (4,17%, 4/96), ces
deux catégories ont été supprimées des données brutes avant l’application d’un
modèle de régression binomiale sur les réponses ayant opté pour les deux principales (« en situation d’égalité » : 58,38%, 57/96 ; « en situation d’infériorité » :
33,33%, 32/96). De manière peu surprenante, le modèle montre une différence
significative entre ces deux catégories, à p<0,05 (coef. = -0,73, e.s. = 0,31, z = -2.3).
Notons en revanche qu’aucun effet significatif des variables sociodémographiques n’a pu être relevé (p>0,05).
202
4 Représentations et attitudes
Ces résultats correspondent en grande partie à ceux de Singy (1996, 179–180),
qui avait obtenu pour la même question un taux légèrement plus élevé de 65,00%
d’informateurs considérant que dans une telle situation, le Suisse romand se
sentirait « en situation d’égalité », contre 30,50% « en situation d’infériorité » et
3,30% en « situation de supériorité ». Notons cependant que Singy (1996) avait
également observé des effets significatifs du sexe, de l’âge et du statut socioprofessionnel sur les résultats, les femmes, les informateurs les plus jeunes et ceux
appartenant à la couche sociale dite supérieure tendant davantage à placer les
Suisses romands « en situation d’infériorité » (cf. Singy 1996, 180–181). Le manque
de différenciation sociodémographique de la présente enquête par rapport à celle
de Singy (1996) est probablement dû à la taille plus restreinte de l’échantillon
(96 ici, 606 chez Singy), qui n’engendre des résultats significatifs que lorsque les
différences observées sont importantes.
Finalement, le tableau dressé par les résultats de cette question confirme
ainsi l’insécurité linguistique observée dans le cadre des questions 4.2 et 8, mais
cette fois-ci pour la situation spécifique d’une interaction entre Suisse romand et
Français. Même s’il est important d’interpréter avec prudence un tel indicateur
à caractère projectif, les réponses suggèrent qu’aujourd’hui encore (tout comme
dans l’étude de Singy 1996) à peu près un tiers des Suisses romands continuent
à manifester un sentiment d’infériorité linguistique face aux locuteurs français.
Les 58,38% d’informateurs estimant le Suisse romand « en situation d’égalité »
semblent cependant plaider en faveur d’un certain prestige de la prononciation
romande en Suisse. Faute de qualificatif adéquat dans cette question, il est difficile de déterminer le type de prestige observé ici (manifeste ou latent). Les résultats de la question 8 (cf. supra) suggèrent toutefois que le prestige de la prononciation romande en Suisse est sans doute plutôt de type latent.
Question 10 : Face à un Québécois ayant la même profession, comment un Suisse se sent-il par
rapport à sa façon de parler ? □ en situation d’égalité, □ en situation d’infériorité, □ en situation
de supériorité
Afin de vérifier l’orientation de ce sentiment d’infériorité linguistique, la même
question a été posée une deuxième fois, en rapport cette fois à une interaction
entre un locuteur romand et un Québécois, et non plus entre un Suisse romand
et un Français, le Québec étant, contrairement à la France (ou à Paris), une autre
région francophone « périphérique » qui n’est pas associée traditionnellement à
la norme (cf. figure 35).
Ici, seule la catégorie « aucune réponse » (3,13%, 3/96) a été supprimée au
préalable des données brutes. Étant donnée la variable dépendante à trois moda-
4.2 Suisse romande
203
Figure 35 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Face à un Québécois
ayant la même profession, comment un Suisse se sent-il par rapport à sa façon de parler ? (n=96).
lités ordonnées hiérarchiquement, le choix du modèle statistique s’est porté
dans ce cas-ci sur une analyse de régression logistique ordinale. Les résultats de
l’analyse montrent sans surprise des différences hautement significatives entre
le nombre d’informateurs estimant dans cette situation les Suisses romands
« en situation d’égalité » (80,21%, 77/96), d’une part, et ceux les estimant « en
situation d’infériorité » (5,21%, 5/96) ou « en situation de supériorité » (12,50%,
12/96), d’autre part (p<0,001).57 Les différences entre les réponses touchant à ces
deux dernières catégories ne sont pas significatives (p>0,05).58 Par ailleurs, aucun
effet significatif des données sociodémographiques n’a pu être relevé ici. Globalement, les réponses correspondent ici aussi aux résultats enregistrés par Singy
(1996, 182–183), qui avait obtenu des taux similaires pour les trois catégories
(« égalité » : 76,50% ; « infériorité » : 2,80% ; « supériorité » : 17,60%).
Ainsi, le sentiment d’infériorité linguistique observé chez un tiers des informateurs dans le cadre de la question précédente (cf. question 9) semble effectivement être orienté et non généralisé. En effet, alors qu’il s’observe chez 33,33%
des informateurs dans la question touchant à une interaction entre un locuteur
suisse romand et un locuteur français, ce taux ne s’élève qu’à 5,21% pour l’interaction entre un Romand et un Québécois. Par ailleurs, alors que le nombre de
réponses dénotant un sentiment de supériorité linguistique n’atteint que 3,13%
57 « en situation d’égalité » vs. « en situation d’infériorité » : coef. = -3,00, e.s. = 0,72, z = -4,13 ;
« en situation d’égalité » vs. « en situation de supériorité » : coef. = -1,90, e.s. = 0,44, z = -4,33.
58 « en situation de supériorité » vs. « en situation d’infériorité » : coef. = -1,10, e.s. = 0,82,
z = -1,35.
204
4 Représentations et attitudes
dans le cadre de la première interaction, il est tout de même de 12,50% pour la
rencontre entre un locuteur suisse romand et un locuteur québécois.
Il semble par ailleurs important de souligner que le sentiment d’infériorité linguistique orientée dont il est question ici est à mettre en regard avec la grande majorité d’informateurs estimant les locuteurs suisses romands en situation d’égalité
quel que soit leur interlocuteur. Globalement, ces résultats renforcent donc l’ambiguïté observée précédemment entre le prestige (latent ou manifeste) de la prononciation suisse romande et le sentiment d’insécurité linguistique de ses locuteurs.
Question 11 : À votre avis, le jugement des Québécois sur l’accent des Suisses romands est. . .
□. . .le même □ . . .plus critique que celui des Français □ . . .moins critique que celui des Français
Après deux questions portant sur la nature du sentiment que peuvent éprouver
les locuteurs suisses romands dans des situations interactives les confrontant à
des locuteurs français ou d’autres régions francophones, la présente question
porte sur un indicateur supplémentaire du sentiment d’infériorité que pourraient
manifester certains locuteurs romands : la nature du jugement que ceux-ci pourraient ressentir chez ces locuteurs francophones d’autres régions et le caractère
orienté ou non de ce jugement. Cette question à choix simple parmi trois possibilités de réponses est inspirée de Singy (1996, 268) (cf. figure 36).
Figure 36 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question À votre avis, le
jugement des Québécois sur l’accent des Suisses romands est. . . □ moins critique que celui
des Français, □ le même que celui des Français, □ plus critique que celui des Français (n=96).
4.2 Suisse romande
205
Au niveau statistique, la catégorie supposant un jugement « plus critique que
celui des Français » (1,04%, 1/96) et celle des informateurs n’ayant pas répondu
à la question (« aucune réponse » : 3,13%, 3/96) ont été supprimées des données
brutes étant donné le nombre insuffisant d’observations. Par la suite, les deux
principales catégories ont été, ici aussi, analysées dans le cadre d’un modèle de
régression logistique ordinale. Les résultats du modèle indiquent sans surprise
une différence significative entre ces deux catégories (« moins critique que celui
des Français » : 69,79%, 67/96 ; « le même que celui des Français » : 26,04%,
25/96), à p<0,05 (coef. = -0,76, e.s. = 0,31, z = -2,42). Les données sociodémographiques ne montrent, ici non plus, aucun effet significatif notable. Notons finalement que les résultats présentés ici correspondent globalement à ceux de Singy
(1996, 187–189) : même si ce dernier avait trouvé un taux un peu moins élevé pour
la catégorie du jugement « moins critique que celui des Français » (56,70%) et
plus élevé pour la catégorie « le même que celui des Français » (38,70%), la tendance reste cependant la même.
Ainsi, la conclusion de la question précédente se confirme ici : l’insécurité linguistique des Suisses romands semble effectivement orientée et non généralisée :
une grande majorité des informateurs tend en effet à estimer le jugement des Québécois moins sévère que celui des Français, ce qui différencie considérablement le
cas de la Suisse romande de celui du Québec (présenté dans le sous-chapitre 4.3.5).
Question 12 : Face à un Genevois ayant la même profession, comment un Neuchâtelois se sentil par rapport à sa façon de parler ? □ en situation d’égalité, □ en situation d’infériorité, □ en
situation de supériorité
Les deux questions suivantes portent sur l’insécurité linguistique, mais contrairement aux deux précédentes, dans une perspective interne à la Suisse romande
pouvant donner des indices par rapport à une éventuelle norme (de prononciation)
romande endogène. L’hypothèse était ici que s’il devait exister une norme endogène
en Suisse romande, la variété présentant ce prestige plus élevé pourrait engendrer
une insécurité linguistique chez les locuteurs romands ne la parlant pas, de manière
similaire au cas de l’insécurité linguistique présentée par les Suisses romands par
rapport aux Français (cf. supra : questions 9–11). Me basant sur les résultats de
Racine/Schwab/Detey (2013) (cf. 2.1.2.3.3), qui montrent que dans les perceptions,
la variété genevoise semble présenter un statut de norme pour les Suisses romands
(mis à part les Genevois eux-mêmes), j’ai ainsi proposé une question similaire aux
questions 9 et 10 (cf. supra), mais confrontant cette fois-ci un locuteur genevois à un
locuteur romand « périphérique » par rapport à Genève (à l’exemple de Neuchâtel),
les possibilités de réponses restant les mêmes (cf. figure 37).
206
4 Représentations et attitudes
Figure 37 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Face à un
Genevois ayant la même profession, comment un Neuchâtelois se sent-il par rapport à sa façon
de parler ? (n=96).
Dans le cas présent, malgré un type de question similaire aux questions 9 et
10, les données ont été soumises à une analyse de régression multinomiale « classique », étant donné que le nombre d’informateurs estimant les Neuchâtelois « en
situation de supériorité » (3,13%, 3/96) était trop faible pour être pris en compte.
Le modèle indique ce faisant une différence significative à p<0,05 (coef. = -0,95,
e.s. = 0,34, z = -2,79) entre le nombre d’informateurs jugeant les Neuchâtelois
« en situation d’égalité » (65,63%, 63/96) et ceux les jugeant « en situation d’infériorité » (27,08%, 26/96) dans une telle situation interactive face à un Genevois.
Notons qu’ici, le modèle indique un effet de l’origine des informateurs sur les
résultats. En effet, alors que les informateurs de Genève, Veyrier et Neuchâtel
tendent à répondre de manière similaire (p>0,05), ceux de Boudry se différencient
significativement des trois autres groupes (p<0,05)59 en étant les seuls à juger de
manière quasiment unanime que les locuteurs neuchâtelois sont « en situation
d’égalité » (87,50%, 21/24) (cf. figure 38).
Ce résultat peut être expliqué par deux effets : tout d’abord, comme Singy
avait déjà pu le constater, les enquêtés de zones urbaines, comme Genève et Neuchâtel, sont davantage portés à estimer les locuteurs « périphériques » en situation d’infériorité (cf. Singy 1996, 253). Par ailleurs, le fait que les informateurs
de Veyrier ne se différencient pas significativement des zones plus urbaines est
59 Boudrysans vs. Genevois : coef. = 2,60, e.s. = 1,11, z = 2,35 ; Boudrysans vs. Veyrites : coef. =
2,35, e.s. = 1,12, z = 2,09 ; Boudrysans vs. Neuchâtelois : coef. = 2,42, e.s. = 1,11, z = 2,17.
4.2 Suisse romande
207
Figure 38 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Face à un
Genevois ayant la même profession, comment un Neuchâtelois se sent-il par rapport à sa façon
de parler ? (n=96) ; réponses séparées selon l’origine des informateurs : Genevois et Veyrites
du canton de Genève, Neuchâtelois et Boudrysans du canton de Neuchâtel.
probablement dû à la forte concentration démographique sur le territoire relativement restreint du canton de Genève (cf. 3.3.2, figure 5), qui rend beaucoup plus
difficile une séparation du canton en zones urbaines et zones rurales.
Globalement, malgré le caractère projectif de cette question, qui ne garantit
pas que les réponses données par les informateurs puissent être rapportées directement à leur propre insécurité linguistique, on observe que le comportement des
informateurs dans leur manière de répondre est similaire à celui constaté pour les
questions mettant en rapport Français et Suisse romands, un taux relativement
élevé d’informateurs estimant les Neuchâtelois (27,08%) en situation d’infériorité
linguistique. Cette observation suggère donc une opposition interne à la Suisse
romande entre un centre genevois et des périphéries (cf. Reynaud 1981), parallèlement à l’opposition observée à plus grande échelle entre le centre « français » et
les « périphéries » francophones, dont fait partie la Suisse romande.
Question 13 : Face à un Lausannois ayant la même profession, comment un Neuchâtelois se
sent-il par rapport à sa façon de parler ? □ en situation d’égalité, □ en situation d’infériorité, □
en situation de supériorité
Une question identique à la question 12 a ensuite été posée pour comparer les
résultats de la ville de Genève, source potentielle d’une norme endogène, à ceux
enregistrés par un autre centre d’agglomération de Suisse romande, la ville de
Lausanne. Le choix de cette ville est certes discutable, mais il s’est fait principa-
208
4 Représentations et attitudes
lement sur la base de critères démographiques – il s’agit de la deuxième ville de
Suisse romande (cf. 3.3.1.5) –, en raison de sa fonction de siège de la radio RTS et
de son appartenance au bassin lémanique. Or, cette région est citée par plusieurs
informateurs (cf. 4.2.3, question 5) comme celle où l’on trouverait la prononciation la plus « neutre » de Suisse romande.
Figure 39 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Face à un
Lausannois ayant la même profession, comment un Neuchâtelois se sent-il par rapport à sa
façon de parler ? (n=96).
Dans ce cas-ci, la condition de la variable dépendante à trois modalités et ordonnée hiérarchiquement étant remplie, les données brutes ont été soumises à une
analyse de régression logistique ordinale, et ce, après avoir supprimé les valeurs
isolées des informateurs n’ayant pas répondu à la réponse (« aucune réponse » :
2,08%, 2/96). Les résultats sont plus évidents que ceux de la question précédente : une forte majorité significative des informateurs estiment en effet les locuteurs neuchâtelois « en situation d’égalité » (84,38%, 81/96) face aux locuteurs
lausannois (p<0,001),60 la différence entre les réponses de ceux qui les jugent « en
situation d’infériorité » (6,25%, 6/96) ou « en situation de supériorité » (7,29%,
7/96) n’étant pas significative (p>0,05).61 Étant donnés ces résultats sans grande
60 « en situation d’égalité » vs. « en situation d’infériorité » : coef. = -2,97, e.s. = 0,73, z = -4,10 ;
« en situation d’égalité » vs. « en situation de supériorité » : coef. = -2,05, e.s. = 0,48, z = -4,32.
61 « en situation d’infériorité » vs. « en situation de supériorité » : coef. = 0,92, e.s. = 0,84, z = 1,10.
4.2 Suisse romande
209
ambiguïté, il n’est pas surprenant que les données sociodémographiques ne présentent aucun effet significatif.
Certes, en raison du caractère projectif de la question, ces résultats doivent
également être interprétés avec précaution, mais une comparaison des questions
12 et 13 apporte un indice non négligeable dans la recherche d’une norme (de
prononciation) endogène dans les représentations des informateurs : alors que
27,08% de ces derniers tendent à estimer les Neuchâtelois en situation d’infériorité linguistique face aux Genevois, ce taux est extrêmement faible pour ce qui est
de la situation opposant un Lausannois à un Neuchâtelois (6,25%). Or, comme
mentionné plus haut, un tel sentiment d’infériorité linguistique est souvent
présent lorsque des locuteurs « périphériques » (ici les Neuchâtelois) pensent ne
pas maîtriser une norme qu’ils qualifient de légitime et qui est en général parlée
par des locuteurs « du centre » (ici les Genevois). Les indices en faveur de l’existence d’une norme genevoise dans les représentations des informateurs semblent
donc se densifier un peu plus avec ces résultats.
Question 14 : Selon vous, quel accent de français devrait-on apprendre dans les cours de français
langue étrangère (FLE) donnés en Suisse romande ? □ l’accent genevois, □ l’accent lausannois,
□ l’accent suisse romand parlé dans les médias, □ l’accent parisien, □ aucun accent/accent
neutre, □ peu importe, □ autre
La question 14 aborde explicitement la réflexion sur le modèle de prononciation à
adopter en Suisse romande, et ce, dans la perspective de l’enseignement du FLE à
des non-francophones. C’est en effet notamment dans ce domaine que la question
de la norme de prononciation est particulièrement pertinente (cf. 3.3.1.5). Il s’agit,
ici aussi, d’une question à choix simple parmi plusieurs possibilités de réponse.
Ces dernières ont été choisies sur la base d’hypothèses quant aux différents aspects
pouvant jouer un rôle dans la définition d’une norme de prononciation nationale
(centres d’agglomération : Genève et Lausanne ; journalistes-présentateurs en
tant que potentiels locuteurs-modèles ; modèle de prononciation traditionnel
parisien ; « neutralité » de la prononciation-modèle) (cf. figure 40).
Le nombre d’observations ne permettant pas de prendre en compte les
réponses des informateurs touchant à l’« accent parisien » (3,13%, 3/96) ni celles
divergeant des catégories préétablies (« autre » : 4,17%, 4/96), ces deux catégories
ont été supprimées des données brutes avant de procéder à l’analyse, réalisée sur
la base d’une régression multinomiale. Les résultats du modèle indiquent que les
réponses se portant sur l’« accent suisse romand parlé dans les médias » (33,33%,
32/96) et à l’« accent neutre » (21,88%, 21/96), ainsi que celles des informateurs
n’attribuant pas d’importance à la question d’une norme de prononciation pour
210
4 Représentations et attitudes
Figure 40 : Réponses des informateurs suisses romands (en %) à la question Selon vous, quel
accent de français devrait-on apprendre dans les cours de français langue étrangère (FLE)
donnés en Suisse romande ? (n=96).
les cours de FLE (« peu importe » : 30,21%, 29/96) présentent des proportions
statistiquement similaires (p>0,05).62 En revanche, ces trois catégories se différencient significativement des réponses des informateurs attribuant une plus
grande importance à la définition d’un modèle autour de la prononciation genevoise (« accent genevois » : 7,29%, 7/96) (p<0,05).63
Cette question semble tout d’abord confirmer sans surprise les conclusions
établies jusqu’ici en ce sens qu’elle met à jour des représentations d’un modèle de
prononciation se devant d’être le plus « neutre » possible à l’intérieur de la Suisse
romande, les informateurs estimant que cette « neutralité » peut être trouvée
de préférence dans l’usage des médias romands. Par ailleurs, au niveau géographique, les Suisses romands confirment ici encore l’attribution d’un certain rôle
de référence à la prononciation genevoise (7,29%), qui se retrouve devant les prononciations parisienne (3,13%) et lausannoise (0,00%).
62 « l’accent suisse romand parlé dans les médias » vs. « peu importe » : coef. = -0,12, e.s. = 0,34,
z = -0,34 ; « l’accent suisse romand parlé dans les médias » vs. « accent neutre/aucun accent » : coef. = -0,49, e.s. = 0,38, z = -1,29 ; « peu importe » vs. « aucun accent/accent neutre » :
coef. = -0,37, e.s. = 0,39, z = -0,96.
63 « accent genevois » vs. « l’accent suisse romand parlé dans les médias » : p<0,01, coef. = 2,20,
e.s. = 0,75, z = 2,95 ; « accent genevois » vs. « peu importe » : p<0,01, coef. = 2,08, e.s. = 0,75,
z = 2,77 ; « accent genevois » vs. « aucun accent/accent neutre » : p<0,05, coef. = 1,70, e.s. = 0,77,
z = 2,22.
4.2 Suisse romande
211
De manière quelque peu surprenante cependant, une partie considérable des
informateurs (30,21%) considère la question du modèle de prononciation comme
étant de moindre pertinence. Cette observation est d’ailleurs confirmée par certains
des entretiens guidés effectués en Suisse romande (cf. 3.4.1) : à la question de savoir
s’il serait nécessaire d’introduire une norme de prononciation régionale dans l’enseignement du FLE en Suisse romande, le locuteur sgTeb1 répond par exemple :
« [. . .] je pense que c’est mieux pour les étrangers d’apprendre un français peut-être plus [. . .]
hexagonal, parce que euh, ils auront moins l’air [. . .] de zombies en débarquant en France
(rires), quoi < E : D’accord. >. Je pense qu’ils seront plus crédibles, mais je sais pas si c’est
très important [. . .] » (locuteur sgTeb1, corpus Chalier 2015 ; mise en italiques Marc Chalier).
De même que 30,21% des informateurs du questionnaire, le locuteur sgTeb1 ne
semble donc pas juger nécessaire d’agir dans la définition d’une norme endogène
à appliquer dans les cours de FLE en Suisse romande. Soulignons que cet aspect
différencie fortement le cas de la Suisse romande de celui du Québec (ce dernier
sera présenté au chapitre 4.3.5).
Question 15 : Comment les Parisiens perçoivent-ils la façon de prononcer des Suisses romands ?
La présente question libre a été ajoutée au questionnaire dans le but de découvrir
et de préciser les sous-catégories de qualificatifs liés au sentiment d’infériorité
linguistique qu’éprouvent les Suisses romands par rapport aux Parisiens quant
à leur prononciation. J’ai évité les réponses préétablies afin de ne pas influencer
les informateurs dans leur réponse. La catégorisation des données a posteriori a
permis de révéler les quatre catégories suivantes :
(1) Dépréciation de la qualité de la prononciation : p. ex. « ils ne l’aiment
pas » (2 mentions), « ils pensent que l’accent romand est celui parlé par les
suisses allemands parlant le français », « moche [. . .] » (2 mentions), « lente »
(27 mentions), « [. . .] non correcte ».
(2) Stigmatisation de la prononciation : p. ex. « c’est un peu ridicule [. . .] »,
« c’est ridicule », « ils se moquent de notre accent » (9 mentions), « ils pensent
[. . .] qu’on a une grande gueule », « ils rigolent » (3 mentions), « ils trouvent
notre accent drôle », « c’est rigolo [. . .] », « ça les fait rire », « ça les amuse »,
« comique [. . .] ».
(3) Qualification de prononciation « rurale » : p. ex. « rural, ‹ pittoresque › »,
« [. . .] campagnard », « paysan », « provincial ».
Les deux premières catégories relevées dans les réponses des Suisses romands
correspondent à celles qui ont été mises en évidence dans le cadre de la ques-
212
4 Représentations et attitudes
tion 4.2 (cf. 4.2.2), la prononciation suisse romande étant considérée comme
« de qualité moindre » et « stigmatisée ». Une catégorie portant sur le caractère
« rural » de la prononciation suisse romande s’y ajoute, ce qualificatif faisant
partie de ceux utilisés traditionnellement par les locuteurs d’une variété dominante pour désigner une variété non dominante de la même langue (cf. Clyne
1995, 22 ; cf. 2.1.2.4.3). Notons que les résultats correspondent globalement à
ceux de Singy (1996, 185), ce dernier ayant montré dans le cadre d’une question
similaire qu’une grande majorité de ses informateurs romands considère que les
Français portent un jugement globalement défavorable sur l’usage des Suisses
romands. Singy (1996) ne donne cependant aucune précision sur la nature des
qualificatifs utilisés. Soulignons que ces résultats doivent, ici aussi, être interprétés avec précaution étant donné le caractère projectif de la question.
Question 16 : Comment les Parisiens perçoivent-ils leur propre façon de prononcer ?
La question 16 complète la précédente en ce sens qu’elle cherche à mettre en
lumière les qualificatifs utilisés pour décrire, dans une perspective inverse de la
question 15, la façon dont les Suisses romands se représentent la prononciation
de la variété dominante, le français « parisien ». La structure de la question est
similaire à la question 15, aucune possibilité de réponse n’ayant été préétablie et
la catégorisation des réponses ayant a été faite a posteriori. Les deux catégories
suivantes ont pu être mises en évidence :
(1) Valorisation de la qualité de la prononciation : p. ex. « prononciation correcte » (5 mentions), « la plus pure » (2 mentions), « prononciation épurée »,
« prononciation distinguée », « la bonne façon de prononcer le français », « le
modèle à suivre », « la meilleure prononciation » (6 mentions), « excellente
prononciation » (2 mentions), « la mieux acceptée », « la référence » (3 mentions), « une sorte de référence ».
(2) Attribution d’une neutralité à la prononciation : p. ex. « aucun accent »
(3 mentions), « prononciation neutre » (2 mentions), « leur prononciation est
assez neutre », « si on le leur demande, ils pensent qu’ils n’ont pas d’accent »,
« accent passant plutôt inaperçu ».
Ces catégories correspondent à la perspective inverse des deux premières catégories
de la question 15 : les Suisses romands estiment que les Parisiens auront tendance
à valoriser leur prononciation (1) et à la considérer comme étant la plus « neutre »
(2). Ils semblent donc situer cette prononciation en haut de l’axe de la correctness.
S’ajoutent à cela d’autres réponses des informateurs ne correspondant pas
directement à la question, mais donnant des indices de la situation de l’accent
4.2 Suisse romande
213
parisien sur l’axe de la pleasantness : p. ex. « pas mal de snobisme », « il se
sentent mieux », « un peu dédaignant », « avec un sentiment de supériorité »,
« avec une certaine arrogance », « comme des nombrilistes », « prononciation
limite hautaine », « prétentieux » (2 mentions). Les informateurs attribuent aux
Parisiens un certain sentiment de supériorité face aux locuteurs suisses romands,
situant ainsi la prononciation parisienne en bas de l’axe de la pleasantness
(cf. Preston 1999, xxxiv). La prononciation parisienne continue donc à présenter les caractéristiques typiques d’un modèle de référence au prestige manifeste
dans les représentations des Suisses romands. Soulignons également que l’opposition systématique observable entre la dépréciation de la prononciation suisse
romande et la valorisation de la prononciation parisienne plaide clairement en
faveur de la persistance d’une forte insécurité linguistique en Suisse romande.
Notons finalement qu’il s’agit ici aussi d’une question à caractère projectif dont
les résultats doivent être interprétés avec précaution.
Question 17 : Lequel des accents suivants est selon vous. . .
Possibilités de réponse : □ le plus beau, □ le plus laid, □ le plus sympathique, □ le moins
sympathique, □ le plus sérieux, □ le plus ridicule, □ le plus raffiné, □ le moins raffiné, □ le
plus correct, □ le moins correct
Accents pris en compte : parisien, méridional, québécois, belge, africain, genevois, lausannois
Enfin, parallèlement au questionnaire parisien, le questionnaire suisse romand
se termine par une question dans le cadre de laquelle les informateurs ont été
priés d’évaluer sept accents de français à l’aide de cinq paires de qualificatifs :
« le plus beau » vs. « le plus laid », « le plus sympathique » vs. « le moins sympathique » (axe de la pleasantness), « le plus sérieux » vs. « le plus ridicule », « le
plus raffiné » vs. « le moins raffiné » et « le plus correct » vs. « le moins correct »
(axe de la correctness). Parmi les sept accents pris en compte, qui sont en partie
différents de ceux proposés aux Parisiens et également issus d’une étude-pilote,
trois sont particulièrement pertinents pour la question d’une norme endogène :
l’accent « parisien » en tant que modèle de référence traditionnel et les potentiels
modèles de prononciation internes à la Suisse romande (Genève et Lausanne).64
Le tableau 34 résume les données brutes de la question.
64 Comme pour la question 13 (cf. 4.2.5), le choix de ces deux villes, certes discutable, est basé sur les
critères suivants : Genève a été choisie principalement en raison des études précédentes, qui attribuent
à cette ville le plus grand potentiel en tant que norme endogène (cf. en particulier Racine/Schwab/
Detey 2013). Le choix de Lausanne s’explique en particulier par des critères sociodémographiques :
deuxième ville de Suisse romande, siège de la radio RTS, appartenance au bassin lémanique.
4,26%
1,06%
15,96%
8,51%
25,53%
belge
africain
genevois
lausannois
sans réponse
93
33,33%
7,53%
5,38%
16,13%
11,83%
9,68%
3,23%
12,90%
le plus
ridicule
94
28,72%
5,32%
11,70%
1,06%
9,57%
2,13%
5,32%
36,17%
le plus
raffiné
90
34,44%
7,78%
5,56%
20,00%
16,67%
12,22%
2,22%
1,11%
le moins
raffiné
93
18,28%
4,30%
31,18%
1,08%
3,23%
2,15%
2,15%
37,63%
le plus
correct
94
29,79%
7,45%
4,26%
20,21%
9,57%
13,83%
11,70%
3,19%
le moins
correct
94
15,96%
6,38%
23,40%
2,13%
3,19%
9,57%
30,85%
8,51%
le plus
beau
92
27,17%
10,87%
4,35%
19,57%
16,30%
14,13%
0,00%
7,61%
le plus
laid
92
13,04%
4,35%
19,57%
6,52%
3,26%
13,04%
34,78%
5,43%
le plus
sympa-thique
93
18,28%
13,98%
9,68%
7,53%
8,60%
4,30%
1,08%
36,56%
le moins
sympa-thique
65 De manière similaire au cas de Paris (cf. tableau 32), la fluctuation du total des réponses entre 90 et 94 s’explique par le fait que
quelques informateurs ont parfois coché plusieurs réponses bien qu’ils aient été priés de n’en donner qu’une par catégorie. Les réponses
de ces informateurs n’ont pas été retenues dans le décompte final.
94
4,26%
québécois
n65
2,13%
38,30%
parisien
méridional
le plus
sérieux
Accent
Tableau 34 : Attitudes des Suisses romands envers différents accents du français ; les cases gris foncé correspondent aux réponses
se différenciant significativement de toutes les autres réponses (p<0,05), les cases gris clair aux réponses ne se différenciant
significativement que partiellement des autres réponses.
214
4 Représentations et attitudes
4.2 Suisse romande
215
Comme pour le questionnaire parisien, seules les catégories regroupant plus
de trois observations ont été prises en compte dans l’exploitation des données.
Cette dernière s’est faite sur la base d’une analyse de régression multinomiale
pour chaque qualificatif. La présentation des résultats a été structurée selon les
deux mêmes catégories que dans le cas du questionnaire parisien : celle de l’axe
de la correctness (« le plus sérieux » vs. « le plus ridicule », « le plus raffiné » vs.
« le moins raffiné », « le plus correct » vs. « le moins correct ») ainsi que celle
de l’axe de la pleasantness (« le plus beau » vs. « le plus laid », « le plus sympathique » vs. « le moins sympathique »).
Axe de la correctness
Les résultats touchant aux qualificatifs liés à l’axe de la correctness indiquent
globalement que l’accent parisien semble toujours être le seul à bénéficier d’un
prestige manifeste bien établi. Cependant, suivant le qualificatif utilisé, l’un des
accents endogènes pris en compte dans la question – l’accent genevois – présente
des taux significativement comparables à ceux de l’accent parisien.
Une majorité des informateurs considère tout d’abord l’accent parisien comme
« le plus sérieux » (38,30%, 36/94), ce taux étant significatif à p<0,05 par rapport à
l’accent genevois (15,96%, 15/94) et à p<0,01 par rapport aux accents belge (4,26%,
4/94), lausannois (8,51%, 8/94) et québécois (4,26%, 4/94).66 Les accents africain
(1,06%, 1/94) et méridional (2,13%, 2/94) n’ont pas été intégrés au modèle étant
donné le trop petit nombre d’observations. Selon ce premier qualificatif, seul l’accent parisien semble donc présenter clairement un prestige manifeste, même si
l’accent genevois obtient tout de même un pourcentage notablement – mais pas
significativement – plus élevé que les autres variétés « périphériques ». En ce qui
concerne l’antonyme « le plus ridicule », le modèle ne montre aucune différence
significative (p>0,05) entre les différents accents (accent africain : 16,13%, 15/93 ;
accent parisien : 12,90%, 12/93 ; accent belge : 11,83%, 11/93 ; accent québécois :
9,68%, 9/93 ; accent lausannois : 7,53%, 7/93 ; accent genevois : 5,38%, 5/93). Seul
le nombre d’informateurs n’ayant pas répondu à la question (« sans réponse » :
33,33%, 31/93) est en effet significativement plus élevé que toutes les autres catégories (p<0,05). Ce résultat pourrait être dû à la désirabilité sociale qu’engendre
le qualificatif « ridicule », connoté négativement. Il pourrait également être l’indice d’une acceptation croissante des différences de prononciation au sein de la
66 « parisien » vs. « genevois » : p<0,05, coef. = -1,10, e.s. = 0,44, z = -2,52 ; « parisien » vs.
« belge » : p<0,01, coef. = -2,35, e.s. = 0,74, z = -3,18 ; « parisien » vs. « lausannois » : p<0,01, coef. =
-2,35, e.s. = 0,74, z = -3,18 ; p<0,01, « parisien » vs. « québécois » : coef. = -3,04, e.s. = 1,02, z = -2,97.
216
4 Représentations et attitudes
population suisse romande. Quoiqu’il en soit, ce deuxième qualificatif n’apporte
cependant pas d’indication supplémentaire quant à l’émergence éventuelle d’un
prestige manifeste des accents endogènes.
La deuxième paire de qualificatifs touchant à l’axe de la correctness montre
des résultats très similaires : une majorité des informateurs considère l’accent
parisien (36,17%, 34/94) comme « le plus raffiné », ce résultat se différenciant
significativement de celui des accents genevois (11,70%, 11/94) et belge (9,57%,
9/94) à p<0,05, et des accents lausannois (5,32%, 5/94) et méridional (5,32%,
5/94) à p<0,01.67 Les différences entre les accents genevois, belge, lausannois et
méridional ne sont pour leur part pas significatives (p>0,05). Notons par ailleurs
qu’étant donné le nombre trop faible d’observations, les résultats des accents africain (1,06%, 1/94) et québécois (2,13%, 2/94) n’ont pas pu être pris en compte
dans le modèle. Globalement, ce qualificatif conforte donc l’hypothèse que seul
l’accent parisien est considéré comme porteur de prestige manifeste. Quant à
l’antonyme « le moins raffiné », le constat est similaire à celui fait pour « le plus
ridicule » : une majorité significative des informateurs (34,44%, 31/90) n’a pas
donné de réponse à la question (p<0,05) ; là encore, deux raisons sont possibles :
soit la connotation négative de « moins raffiné » provoque des réponses visant à
la désirabilité sociale, soit il s’agit de la volonté d’exprimer l’acceptation des différences de prononciation et d’un refus de soumettre les accents à des jugements
péjoratifs. Pour ce qui est des différences entre les accents, seul l’accent africain
(20,00%, 18/90) montre un résultat significativement plus élevé que celui de deux
autres, l’accent de Genève (5,56%, 5/90) et celui de Lausanne (7,78%, 7/90), respectivement à p<0,05.68 L’accent africain semble donc être globalement considéré
par les informateurs suisses romands comme « le moins raffiné », même si ses
résultats ne se différencient pas significativement de ceux de tous les autres.
La dernière paire de qualificatifs relative à l’axe de la correctness obtient
globalement des résultats similaires aux deux précédentes, à la différence que
les résultats de l’accent genevois sont statistiquement égaux à ceux de l’accent
parisien. Ainsi, le nombre d’informateurs considérant l’accent genevois comme
« le plus correct » (31,18%, 29/93) ne se différencie pas significativement de celui
des informateurs qui optent ici pour l’accent parisien (37,67%, 35/93) (p>0,05).69
En revanche, ces taux sont significativement plus élevés que les taux de l’autre
67 « parisien » vs. « genevois » : p<0,05, coef. = -1,16, e.s. = 0,51, z = -2,27 ; « parisien » vs.
« belge » : p<0,05, coef. = -9,81, e.s. = 0,48, z = -2,05 ; « parisien » vs. « lausannois » : p<0,01, coef. =
-1,67, e.s. = 0,63, z = -2,66 ; p<0,01, « parisien » vs. « méridional » : coef. = -2,08, e.s. = 0,75, z = -2,77.
68 « africain » vs. « genevois » : coef. = -1,79, e.s. = 0,76, z = -2,35 ; « africain » vs. « lausannois » :
coef. = -1,39, e.s. = 0,65, z = -2,15.
69 « parisien » vs. « genevois » : coef. = -0,38, e.s. = 0,36, z = -1,06.
4.2 Suisse romande
217
accent pris en compte dans le modèle, l’accent lausannois (4,30%, 4/93)
(p<0,05).70 Notons que les chiffres relevés pour les accents méridional (2,15%,
2/93), québécois (2,15%, 2/93), belge (3,23%, 3/93) et africain (1,08%, 1/93) sont
trop faibles pour être pris en compte dans le modèle de régression. Rappelons
en outre que, comme dans le questionnaire distribué à Paris (cf. 4.1.5), les qualificatifs « sérieux » et « raffiné », d’une part, et « correct », d’autre part, semblent
associés à différentes représentations de la norme : les deux premiers reflètent
apparemment une norme ancienne ou traditionnelle (norme parisienne pour la
Suisse romande, norme tourangelle pour Paris), alors que le qualificatif « correct »
pourrait être associé à une norme actuelle (norme du Paris-creuset dans le cas de
Paris) ou une norme en émergence (norme genevoise en Suisse romande). Mais
ici aussi, ces hypothèses mériteraient d’être testées systématiquement dans de
futures études. Quant à l’antonyme « le moins correct », les résultats ressemblent
fortement à ceux observés pour les qualificatifs « le plus ridicule » et « le moins
raffiné » : les seuls résultats significatifs concernent la majorité d’informateurs
n’ayant pas répondu à la question (29,79%, 28/94) (p<0,05), les différences entre
les résultats des différents accents n’étant pour leur part pas significatives
(p>0,05). Si les accents parisien et genevois semblent donc être considérés au
même titre comme « les plus corrects », il est difficile d’interpréter les résultats
des accents jugés « les moins corrects », la plupart des informateurs ne désirant
pas se prononcer sur cette caractérisation.
Ainsi, les trois paires de qualificatifs liés à l’axe de la correctness suggèrent
fortement que l’accent parisien est le seul qui bénéficie clairement d’un prestige
manifeste établi. Cependant, l’ambiguïté du dernier qualificatif montrant que
l’accent genevois est considéré comme presque aussi « correct » que l’accent parisien révèle également un changement actuel notable, allant en direction d’un
certain prestige manifeste de l’accent genevois, ce qui confirme les résultats des
questions 4.2 (cf. 4.2.2) et 8 (cf. 4.2.5, supra). Ce changement ne semble cependant en être qu’à un stade relativement précoce et n’est pas comparable au cas
du français québécois (cf. 4.3.5). Par ailleurs, dans une perspective interne à la
Suisse romande, seul l’accent genevois semble présenter cette évolution vers un
prestige manifeste. Cela confirme également les résultats de la question 5 et de
l’étude de Racine/Schwab/Detey (2013), qui ont montré que l’accent genevois est
considéré par les Suisses romands comme le plus proche d’une norme interne à
la Suisse romande.
70 « lausannois » vs. « parisien » : p<0,01, coef. = 2,95, e.s. = 1,03, z = 2,87 ; « lausannois » vs.
« genevois » : p<0,05, coef. = 2,57, e.s. = 1,04, z = 2,47.
218
4 Représentations et attitudes
Axe de la pleasantness
Sur l’axe de la pleasantness, les qualificatifs montrent une préférence des Suisses
romands pour l’accent méridional en ce qui concerne aussi bien sa « beauté » que
son degré de « sympathie », mais également – dans une certaine mesure – pour
l’accent genevois.
Tout d’abord, l’accent méridional est en effet considéré par une majorité des
informateurs comme « le plus beau » (38,85%, 29/94), résultat significativement
plus élevé que celui de tous les autres (p<0,05),71 mis à part l’accent genevois
(23,40%, 22/94) (p>0,05).72 Quant à l’antonyme, le constat est le même que pour
tous les qualificatifs connotés négativement utilisés dans le questionnaire : la
seule majorité observable concerne les informateurs n’ayant pas voulu répondre
à la question (« sans réponse » : 27,17%, 25/92) (p<0,05, excepté par rapport aux
accents africain et belge).73 Les résultats des accents, pour leur part, ne se différencient pas significativement les uns des autres (p>0,05). Ici aussi, l’explication
tient probablement à la désirabilité sociale engendrée par ce qualificatif, menant
à un refus des informateurs de juger négativement les accents.
Les résultats constatés pour l’autre paire de qualificatifs liés à l’axe de la
pleasantness – la « sympathie » des accents – sont similaires pour le qualificatif utilisé sous sa forme « positive » (« le plus sympathique »), mais différents
lorsqu’il est utilisé sous sa forme « négative » (« le moins sympathique ») : tout
d’abord, c’est en effet l’accent méridional (34,78%, 32/92) qui est considéré
par une majorité des Suisses romands comme l’accent le plus sympathique
(p<0,05),74 seul l’accent genevois (19,57%, 18/92) présentant des résultats statistiquement similaires (p>0,05).75 L’antonyme (« le moins sympathique ») révèle
pour sa part un rejet significativement majoritaire de l’accent parisien (36,56%,
71 « méridional » vs. « lausannois » : p<0,01, coef. = -2,01, e.s. = 0,75, z = -2,68 ; « méridional » vs.
« parisien » : p<0,01, coef. = -2,01, e.s. = 0,75, z = -2,68 ; « méridional » vs. « québécois » : p<0,05,
coef. = -1,10, e.s. = 0,52, z = -2,13.
72 « méridional » vs. « genevois » : p>0,05, coef. = -0,14, e.s. = 0,38, z = -0,38.
73 « aucune réponse » vs. « africain » : p>0,05, coef. = -0,69, e.s. = 0,43, z = -1,60 ; « aucune
réponse » vs. « belge » : p>0,05, coef. = -0,83, e.s. = 0,45, z = -1,83 ; « aucune réponse » vs. « genevois » : p<0,01, coef. = -2,08, e.s. = 0,75, z = -2,77 ; « aucune réponse » vs. « lausannois » : p<0,05,
coef. = -1,16, e.s. = 0,51, z = -2,27 ; « aucune réponse » vs. « parisien » : p<0,01, coef. = -1,67, e.s. =
0,63, z = -2,66 ; « aucune réponse » vs. « québécois » : p<0,05, coef. = -0,98, e.s. = 0,48, z = -2,05.
74 « méridional » vs. « africain » : p<0,05, coef. = -1,16, e.s. = 0,51, z = -2,27 ; « méridional » vs.
« lausannois » : p<0,01, coef. = -2,10, e.s. = 0,75, z = -2,77 ; « méridional » vs. « parisien » : p<0,01,
coef. = -2,10, e.s. = 0,75, z = -2,77 ; « méridional » vs. « québécois » : p<0,05, coef. = -1,16, e.s. =
0,51, z = -2,27.
75 « méridional » vs. « genevois » : p>0,05, coef. = -0,47, e.s. = 0,40, z = -1,17.
4.2 Suisse romande
219
34/93) (p<0,05),76 les seules différences non significatives (p>0,05) étant celles
entre ce résultat et ceux de l’accent lausannois (13,98%, 13/93) et des personnes
refusant de porter un jugement négatif sur d’autres accents (« sans réponse » :
18,28%, 17/93).77
Finalement, dans l’optique du présent ouvrage, deux conclusions fondamentales peuvent être tirées des résultats relatifs à ces différents qualificatifs. Premièrement, l’accent parisien continue à être le seul à présenter les caractéristiques
prototypiques de l’accent dominant au prestige manifeste en Suisse romande : il
obtient les valeurs les plus élevées sur l’axe de la correctness (accent considéré
comme « le plus sérieux », « le plus raffiné » et « le plus correct »), parallèlement
à des valeurs très basses sur l’axe de la pleasantness (« le moins sympathique »).
Deuxièmement, l’accent genevois présente à nouveau une forte ambiguïté entre
ces deux axes, avec des valeurs élevées sur l’axe de la pleasantness (parallèlement
à l’accent méridional, il est considéré comme « le plus beau » et « le plus sympathique »), mais également un résultat comparable à celui de l’accent parisien pour
l’un des qualificatifs liés au prestige manifeste : il est en effet considéré par les
Suisses romands comme étant (quasiment) aussi « correct » que l’accent parisien.
L’ambiguïté entre le prestige latent et manifeste de l’accent genevois est ainsi
récurrente dans le questionnaire et il est encore difficile d’en tirer des conclusions
univoques. Si cet accent paraît présenter le plus grand potentiel dans l’optique
d’une norme interne à la Suisse romande, il semble encore posséder trop de caractéristiques des accents au simple prestige latent pour pouvoir véritablement en
conclure à l’apparition d’une norme endogène. Ceci est d’autant plus remarquable
que l’accent parisien obtient des valeurs systématiquement plus élevées pour tous
les qualificatifs liés à l’axe de la correctness. Et c’est précisément à ce niveau que
le cas de la Suisse romande se différencie de celui du Québec, certaines variétés
du français québécois manifestant actuellement un changement considérable en
direction non plus d’un prestige latent, mais d’un prestige manifeste (cf. 4.3.5).
Mentionnons finalement une particularité méthodologique du questionnaire
déjà évoquée dans le cas parisien (cf. 4.1.5) et ayant probablement exercé une
influence sur les résultats : il est en effet flagrant que le nombre d’informateurs
n’ayant pas répondu aux questions utilisant des qualificatifs connotés négativement (« le plus laid », « le moins sympathique », « le plus ridicule », le « moins
raffiné » et « le moins correct ») est relativement élevé et qu’à plusieurs reprises,
76 « parisien » vs. « africain » : p<0,05, coef. = -1,25, e.s. = 0,57, z = -2,21 ; « parisien » vs. « belge » :
p<0,05, coef. = -1,25, e.s. = 0,57, z = -2,21 ; « parisien » vs. « genevois » : p<0,05, coef. = -1,03, e.s. =
0,52, z = -1,98 ; « parisien » vs. « québécois » : p<0,05, coef. = -1,95, e.s. = 0,76, z = -2,57.
77 « parisien » vs. « lausannois » : p>0,05, coef. = -0,85, e.s. = 0,49, z = -1,74 ; « parisien » vs.
« sans réponse » : p>0,05, coef. = -0,34, e.s. = 0,41, z = -0,81.
220
4 Représentations et attitudes
ce taux est significativement plus élevé que celui de toutes les autres catégories.
Contrairement au questionnaire parisien, pour lequel les taux se sont avérés non
significatifs, il semble donc exister ici soit une forme de gêne par rapport à ces
qualificatifs, soit un refus de soumettre les locuteurs de ces accents à des jugements péjoratifs. Cette observation va cependant dans le sens des résultats présentés, étant donné que ce rejet des qualificatifs péjoratifs pourrait être lié à une
acceptation croissante des différences de prononciation.
4.3 Québec
4.3.1 Représentations des accents du français
Tout comme pour les questionnaires parisiens et suisses romands, la première
question posée aux informateurs québécois (Quels accents de français connaissezvous dans le monde ?) n’a pas été exploitée. La présente analyse débute ainsi par
la question sur la « neutralité » des accents du français dans les représentations
des Québécois. Comme dans le questionnaire suisse romand, il s’agissait donc ici
de découvrir – en cherchant à mettre en lumière des indices de l’apparition d’une
norme endogène – si les Québécois considèrent leur propre accent ou l’accent
« français »/« parisien » comme étant « le plus neutre ».
Question 2 : Selon vous, où a-t-on le moins d’accent dans le monde ?
S’agissant d’une question ouverte sans choix de réponse fixé au préalable, j’ai
procédé à la catégorisation des réponses ainsi qu’à leur quantification a posteriori.
Les réponses ainsi catégorisées sont résumées dans la figure 41.
Un modèle de régression logistique multinomiale a été appliqué aux données
brutes sous R. Ce faisant, les valeurs isolées (« Belgique » : 2/96 ; « Europe » :
1/96) n’ont pas été prises en compte. Le modèle de régression montre qu’alors
que la différence entre les deux catégories de réponse les plus fréquentes (« nulle
part » : 33,33%, 32/96 ; « Québec » : 28,13%, 17/96) n’est pas significative (p>0,05 ;
coef. = –1,16 ; e.s. = 0,87 ; z = –1,34), le nombre de mentions de la « France »
(12,50%, 12/96) comme région présentant le moins d’accent est significativement plus faible que celui des deux premières catégories (p<0,05 ; « nulle part »
vs. « France » : coef. = –0,36, e.s. = 1,19, z = –0,30 ; « Québec » vs. « France » :
coef. = –3,63, e.s. = 1,22, z = –2,98).
Les résultats révèlent donc deux tendances parallèles : d’une part, la tendance à
la vision symétrique et égalitaire de la variation régionale observée dans les données
4.3 Québec
221
Figure 41 : Réponses des informateurs québécois (en %) à la question Selon vous, où a-t-on le
moins d’accent dans le monde ? (n=96).
suisses romandes se confirme ici, cette vision étant même majoritaire au Québec
(cf. réponse « nulle part » : 33,33%, 32/96). D’autre part, contrairement aux Suisses
romands, les Québécois semblent, dans une même mesure, percevoir l’accent
perceptivement « neut