Natures Sciences Sociétés 15, 316-318 (2007)
c NSS Dialogues, EDP Sciences 2007
DOI: 10.1051/nss:2007069
Natures
S ciences
S ociétés
Vie scientifique
« Integrating biodiversity science for human well-being »
Compte rendu de colloque (Oaxaca, Mexique, 9-12 novembre 2005)
Didier Bazile
Agroécologue, CIRAD-TERA, UPR 47 GREEN, Campus international de Baillarguet, TA 60/15, 34398 Montpellier cedex 5
Ce colloque international constituait la « First
DIVERSITAS Open Science Conference » (cf. http://
www.diversitas-international.org/link1.html). Il était organisé par DIVERSITAS, programme international et non
gouvernemental, établi sous les auspices de l’ICSU (International Council for Sciences), de l’IUBS (International Union of Biological Sciences), de l’IUMS (International Union of Microbiological Societies), de SCOPE
(Scientific Committee on Problems of the Environment)
et de l’Unesco (United Nations Educational, Scientific
and Cultural Organisation), et qui a comme objectif de
recherche les questions posées par les changements et la
perte de la biodiversité.
Depuis sa création en 1991, ce programme a axé son
activité sur l’identification des enjeux globaux liés aux
évolutions de la biodiversité ; pour ce faire, il s’attache à
coordonner les recherches menées de par le monde. Sa
mission est double : favoriser une science de la biodiversité reliant sciences biologiques et sciences sociales pour
produire des connaissances socialement appropriées – il
met donc en relation des chercheurs de disciplines de
sciences naturelles et sociales ; fournir les bases scientifiques pour la conservation et l’utilisation durable de la
biodiversité.
En 2001, la deuxième phase du programme a été lancée dans le but de le recentrer sur trois objectifs principaux : poursuivre l’inventaire de la biodiversité et prédire
ses changements ; évaluer l’impact des changements de
biodiversité sur le fonctionnement des écosystèmes et les
services rendus ; développer la science de la conservation
et de l’utilisation durable de la biodiversité.
À partir d’une série de réunions conduites en 2003,
DIVERSITAS a produit son Science Plan et une stratégie
d’exécution pour mener à bien ses objectifs en servant de
Auteur correspondant :
[email protected]
catalyseur à la recherche au sein de trois « Scientific Core
Projects » : bioDISCOVERY, qui analyse les changements
au sein de la biodiversité et s’interroge sur les processus écologiques fondamentaux capables de les expliquer ;
ecoSERVICES, qui examine l’impact de ces changements
sur le fonctionnement des écosystèmes et les services rendus à la société ; bioSUSTAINABILITY, qui analyse les
répercussions sur la société de la prise en compte ou non
des biens et des services fournis par la biodiversité. Sont
également étudiées les activités humaines (en particulier,
leurs aspects sociaux, légaux, économiques et politiques)
qui pourraient avoir un impact sur les déterminants des
évolutions de la biodiversité. DIVERSITAS établit aussi
des réseaux transversaux (Cross-cutting Networks), sur des
sujets ou des écosystèmes spécifiques, qui embrassent les
questions abordées dans chacun des trois « Scientific Core
Projects » : GMBA (« Global Mountain Biodiversity Assessment »), GISP (« Global Invasive Species Program »), freshwaterBIODIVERSITY et agroBIODIVERSITY. En outre,
deux autres réseaux sur « la biodiversité et la santé » et « la
biodiversité marine » sont en cours de développement.
Ce colloque a été, à l’image de DIVERSITAS, multidisciplinaire. Plus de 700 scientifiques, venus de 60 pays
et représentant aussi bien les sciences naturelles que sociales, l’ont suivi ; parmi eux, 175 venaient des pays en
voie de développement et étaient pris en charge par le
programme. La conférence a été organisée autour de
deux objectifs principaux : développer des voies nouvelles pour déterminer la valeur (aussi bien sociale et
culturelle qu’économique) de la biodiversité ; fournir les
bases scientifiques pour une prise de décision (politique
et au niveau personnel) qui puisse refléter ces valeurs
dans un effort pour conserver les ressources vitales.
Environ 450 présentations ont été proposées grâce au
déroulement en permanence de sept sessions parallèles.
Article published by EDP Sciences and available at http://www.nss-journal.org or http://dx.doi.org/10.1051/nss:2007069
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Elles étaient portées par des disciplines très diverses
s’étendant de la biologie aux sciences économiques et au
droit international, avec un accent mis sur les avantages
positifs de la conservation. De plus, environ 200 posters
ont pu être présentés au cours d’une session spécifique.
Les exposés s’appuient sur les résultats des recherches
récentes à travers pratiquement tous les écosystèmes, expliquent le développement et l’application de nouvelles
technologies et identifient les défis à relever actuellement
en ce qui concerne les activités humaines qui ont le plus
grand impact sur la biodiversité.
Les séances plénières ont été consacrées à une réflexion sur les enjeux majeurs des recherches sur la biodiversité. Le Millenium Ecosystem Assesment, dont les résultats ont été publiés en mai 2005, donne une analyse
des tendances passées et futures de l’évolution de l’état
des écosystèmes. Mais, surtout, il soulève la question de
l’information nécessaire pour la prise de décision politique en termes de conservation de la biodiversité. La
tenue de cette conférence tombait donc fort à propos.
Des chercheurs de renom ont été invités en plénière pour
évoquer les forces et les faiblesses des recherches sur la
biodiversité. Leurs propos convergent pour démontrer
la nécessité, dans la perspective d’une utilisation durable
de la biodiversité, de favoriser un large accès de tous aux
connaissances scientifiques. Jane Lubchenco (International Council for Science, ICSU) appelle à un partage des
savoirs, y compris sur « les us et les usages ». Natarajan
Ishwaran (Ecological and Earth Sciences, Unesco) plaide
pour de vrais partenariats scientifiques avec une coopération orientée sur les Millennium Ecosystem Assessment
Goals. Peter Raven (Missouri Botanical Garden) s’interroge sur la croissance démographique mondiale avec des
scénarios à 9 milliards de personnes à l’horizon 2050. Il
dénonce les gaspillages des sociétés du Nord, en particulier aux États-Unis, avec des consommations énormes
d’eau et d’énergie par habitant. Il parle alors du « gap »
entre les connaissances scientifiques et la réalité des pratiques « minières » aux États-Unis.
La présentation de Michel Loreau (Scientific Comittee
DIVERSITAS) traduit bien ce glissement actuel des scientifiques, d’une recherche sur la biodiversité essentiellement centrée sur les ressources biologiques à une position désormais tournée vers les services rendus par
l’écosystème. Même s’il rappelle qu’à l’heure actuelle
seulement 30 % des espèces sont connues, ce n’est plus
le recensement des espèces qui est le challenge scientifique, mais la compréhension du système. À la question : « Can technology substitute for ecosystem services? »
la réponse est évidemment négative ; le fonctionnement
des écosystèmes est trop complexe et la technologie ne
peut répondre que de façon partielle. Les nouvelles questions de recherche portent sur les processus et la dynamique de la biodiversité : « How and why Biodiversity is
changing? ». M. Loreau soutient pour cela des approches
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intégrées : « integrated analysis and models ». Dans sa présentation, intitulée « challenges of biodiversity science », il
nous met face à ce qu’il appelle la sixième crise d’extinction, avec des taux de disparition des espèces sans
commune mesure avec ceux du passé. Son point de vue
est que la biodiversité a permis l’arrivée des civilisations
modernes, mais que la domestication de plantes et d’animaux a impliqué une réduction de la biodiversité par les
choix de sélection artificielle dus à l’homme. L’industrialisation et la technologie moderne n’assurent qu’en partie la maîtrise de la nature et l’indépendance des sociétés
vis-à-vis d’elle, car n’importe quel procédé de production
est en rapport avec elle, la transforme, et dépend d’elle.
Pour mettre en place les bases d’une utilisation durable
de la biodiversité, il est indispensable de faire prendre
conscience de cette dépendance de l’humanité vis-à-vis
d’elle et, pour ce faire, il faut combler le fossé qui existe
entre science et société en ce qui concerne les perceptions et les utilisations des ressources biologiques. À ce
titre, l’exposé de Charles Perrings (Arizona State University, USA) a bien donné le ton général de la conférence,
avec un accent très net mis sur la valeur que l’on doit
accorder aux écosystèmes et aux espèces en fonction des
biens et des services rendus à la société. La conférence a
donc eu un fort accent « conservationniste », perspective
dans laquelle la valeur de la conservation est comparée
à d’autres valeurs (production de biens et de services)
et où il devient alors possible de définir des modes de
régulation et de compensation qui s’intègrent dans les
décisions de conservation pour inventer de nouveaux
modes de gouvernance.
L’organisation de la conférence a été structurée autour de 22 symposiums. Ceux-ci recoupaient les trois
« Scientific Core Projects » de DIVERSITAS. Les thèmes
abordés étaient : biodiversité des océans, informatique
au service de la biodiversité, télédétection et biodiversité, changements globaux en lien avec la biodiversité,
avancées théoriques en biologie de la conservation pour
le premier (bioDISCOVERY) ; flux géochimiques, pollinisation, séquestration du carbone, etc., pour le second
(ecoSERVICES) ; gestion de conflits, partenariats et gestion par les communautés locales, accords multilatéraux,
etc., pour le troisième (bioSUSTAINABILITY)), et biodiversité dans les paysages agricoles, santé, biodiversité
en zone de montagne, espèces invasives, etc., pour les
Cross-cutting Networks.
L’ouverture des sciences biologiques aux autres disciplines a surtout été marquée par l’entrée en force de
l’économie, et plus précisément de l’économie de l’environnement, qui, depuis quelques années est en mesure
de proposer des modèles d’intégration de données économiques et écologiques. La place laissée à C. Perrings
tout au long de la conférence reflète bien cette orientation.
Son influence a été omniprésente. Cet élargissement du
champ d’investigation de l’économie se base toujours sur
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sa théorie initiale du « price of ecosystem services » à partir
de la valeur marginale qu’il définit ainsi : « It is a measure
of what society would gain or lose if a little more or less of
that service were available. » La question récurrente pendant toute la conférence restera celle du lien qui existe,
ou qu’il est nécessaire d’établir, entre marchés et protection des écosystèmes. En s’appuyant sur la théorie de
Ricardo, C. Perrings la pose en ces termes : « Should we
be able to make better use of markets both to reveal the value
of ecosystem services and to persuade people to take these values into account? » La domination de cette approche peut
inquiéter. Dépendons-nous vraiment des marchés pour
protéger la valeur des écosystèmes et des services qu’ils
procurent ? Non, et heureusement.
Malgré la place de choix donnée au plus récent des
Cross-cutting Networks de DIVERSITAS (agroBIODIVERSITY), avec la sortie de son Science Plan, Louise Jackson
n’a pas vraiment réussi a impulser une dynamique nouvelle de recherches sur l’agrobiodiversité, même si son
allocution mettait en exergue des points importants pour
une compréhension renouvelée, insistant sur trois d’entre
eux : « on-farm research, all stakeholders, interdisciplinary ».
Pour elle, les « associations nouvelles en science » sont
des approches interdisciplinaires et participatives entre
chercheurs, paysans et décideurs, visant à intégrer les
recherches écologiques et socioéconomiques en vue de
mieux identifier les services rendus par les écosystèmes
et de mieux apprécier les effets de différents scénarios de
gestion des paysages agricoles.
L’organisation du symposium 9 : Biodiversity in
agricultural landscapes : how to save our capital and not
lose interest, a permis de réunir une dizaine de communications, très variées et très inégales, portant sur les
savoirs traditionnels (Stephen Brush et Hugo Perales
Rivera), les espèces sauvages apparentées, l’agriculture
de conservation ou encore l’approche « pest management »
de Miguel Altieri, qui sonnait comme du déjà vu. Unai
Pascual (University of Cambridge, UK) a pu prolonger
sur ce thème les propos de C. Perrings, avec une
excellente présentation sur « The economics of biodiversity
in agricultural landscapes ». Stuart R. Harrop (University
of Kent, UK) a, de son côté, fait une analyse critique
des outils et instruments multilatéraux pour prendre en
compte les pratiques agricoles traditionnelles favorables
au maintien de l’agrobiodiversité. Au total, treize contributions orales au symposium 9 sur l’agrobiodiversité
ont été présentées, mais l’essentiel des approches était
plus centré sur le biologique que sur la société. C’est
pourquoi l’agriculture de conservation a fortement été
mise en valeur au détriment d’une vision de l’agriculture créatrice de diversité, plus proche des courants de
pensée de l’écologie humaine et de l’anthropologie soutenus par S. Brush (University of Davis, California). Le
fait biologique reste encore très mis en avant par rapport
aux dynamiques sociales dans les recherches sur la biodiversité. C’est pourquoi la place et le rôle des différents
acteurs dans la perception de la biodiversité et la gestion
des ressources biologiques qui en découle ne sont pas
apparus comme un axe majeur pour la réconciliation de
la science et de la société lors de cette conférence.
La déclaration des scientifiques d’Oaxaca sur la biodiversité stipule que les participants soutiennent les
conclusions du Millenium Ecosystem Assesment et la déclaration de Paris en janvier 2005, lors de la conférence
« Biodiversité, science et gouvernance ». Ainsi, ils invitent les gouvernements, les décideurs et les citoyens à
prendre en considération la biodiversité dans leurs actes
et leurs prises de décisions. Mais, surtout, ils appellent
les gouvernements nationaux et les Nations unies à établir un panel scientifique international de personnes ressources capables de fournir de façon régulière l’information scientifique validée et indépendante concernant
la biodiversité aux gouvernements, pour l’établissement
des conventions internationales, aux organisations non
gouvernementales, aux décideurs et à un public large.
Mais, dans cette assemblée d’experts de tous les champs
disciplinaires visant au partage des connaissances scientifiques, manquaient de façon cruciale les décideurs.
Ce colloque a franchi un petit pas dans l’ouverture
aux disciplines autres que biologiques avec la percée de
l’économie et la prise en compte des politiques : le recours
aux instruments de la gestion concertée des ressources
permet de sortir du classique « biological and ecological
area » (Peter Johan Schei). Soulignons aussi le souhait récurrent d’une « capacity building for developping countries ».
En effet, malgré le financement par DIVERSITAS de la
participation de 175 chercheurs des pays du Sud, Peter
Raven a pu regretter que seuls le Brésil et l’Inde aient
été vraiment représentés. Notons enfin l’appel lancé aux
jeunes scientifiques à faire corps pour faire partager la
prise de conscience qu’exige la protection de la biodiversité (Paul Ehrlich).