Article
« De "la matière" du visible et des arts »
Marie Renoue
Protée, vol. 36, n° 3, 2008, p. 99-109.
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DE «LA MATIÈRE»
DU VISIBLE ET DES ARTS
MARIE RENOUE
Rencontrer la matière, c’est manifestement ce que l’on est
dans l’univers discursif de l’art qui nous intéresse ? Quelles
amené à faire dès que l’on s’intéresse au visible. Et la matière
définitions et quels points de vue la sémiotique, en tant que
s’imposerait d’autant plus aux regards des spectateurs que l’on
discipline traitant d’univers de signification, a-t-elle proposés
serait attentif à l’art contemporain, soulignent F. de Méredieu
pour aborder la matière ? Il serait vain de rechercher un point
dans son Histoire immatérielle et matérielle de l’art moderne
de vue autonome et unique. Comme les autres disciplines,
(2004) et le matériologue F. Dagognet traitant de l’exaltation de
la sémiotique a modifié son approche, plus structuraliste et
la matière pour elle-même dans le XXe siècle de Tàpies, Dubuffet,
formaliste dans les années 1970, plus cognitive et sensible
Mathieu, Soulages ou Hantaï, tandis que les Anciens l’auraient
dans les années 1980. Si le Dictionnaire de Greimas et Courtés
tenue pour un simple support à effacer au bénéfice de la forme
évoque en effet la conception hjelmslévienne de la matière
ou de l’idée (Dagognet, 1989 : 106).
(1979 : 223, 368), les écrits plus récents de Greimas, Bastide,
Cependant, si l’on rencontre la matière sous divers aspects
Fontanille ou Parret montrent une diversité de points de vue :
et suivant différentes modalités dans l’histoire de l’art, la défini-
la matière devenue espace de potentialités signifiantes – plutôt
tion qu’on en donne implicitement ou explicitement n’est pas
que présupposé abstrait du métalangage descriptif –, horizon
sans poser quelques problèmes, même si l’on tente de limiter
visible et sensible en relation directe avec le corps du sujet
son point de vue à un domaine d’expression. F. de Méredieu
sémiotique. Le discours des sémioticiens rejoint ainsi les préoc-
évoque ainsi le renouvellement de la notion scientifique de
cupations et orientations phénoménologiques de plasticiens ou
matière, le décalage du monde des artistes où se juxtaposeraient
de chercheurs qui, comme A. Joséphine, évoquent un rapport
et se mélangeraient des savoirs venus d’époques et d’horizons
avec la matière « pouvant aller jusqu’à l’intime » et la considè-
différents, ainsi que les enjeux axiologiques de la valorisation
rent « non comme un état de fait […], mais comme un état de
de la matière dans un univers épistémologique et religieux qui
chose à faire » (1997 : 34) ou qui, comme M. Collot, traitent
ne lui était guère favorable (2004 : 35). Insistant également
de la « matière-émotion » en termes d’intensité et de rythme,
sur l’ébranlement de l’axiologie judéo-chrétienne par la mise
« d’appel du sens » (1997 : 264, 296 et suiv.).
en valeur de la matière, F. Dagognet analyse les approches
C’est de cette sémiotisation potentielle de la matière que
divergentes de Hegel, Sartre ou Bachelard, les nouveaux ma-
nous proposons de traiter. Et ce projet invite non seulement
tériaux aux qualités opposées 1, la « métasubstance moderne »
à préciser notre objet, à retenir de la vaste méthodologie sé-
convertible et morphoproductrice qui dérouterait notre savoir
miotique ce qui pourrait s’avérer rentable pour sémiotiser des
expérientiel de la matière (1989 : 180-209).
matières d’art, mais aussi à dessiner une position théorique
Compte tenu de la diversité et de la complexité de ces
héritière d’une tradition sémiotique et capable d’intégrer la
définitions, est-il possible de proposer une sémiotique de la
diversité des angles d’approches évoqués plus haut. Si, comme
matière ? Comment l’orienter, quels objets sémiotiques viser
nous l’avons souligné ailleurs (Renoue, 2001), il y a une con-
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vergence profonde entre la thèse phénoménologique et les
physiciens soulignent l’importance de l’échelle d’observation et
fondements théoriques de la sémiotique, si cette philosophie a
d’interaction des phénomènes, la relation entre faits observés et
par ailleurs influencé les discours tenus sur les objets qui nous
fait d’observation5 – parfois avec une propension à l’irrationnel
intéressent, il conviendra d’affirmer la spécificité d’une approche
d’après G. G. Granger (1990 : 227-240) –, tandis que M. Collot,
sémiotique en sémiotisant le phénoménologique. Précisons
se référant à des « philosophes de la matière sensible » 6 et à
encore que les objets choisis pour mener cette réflexion – les
Sémiotique des passions, affirme la correspondance affective du
vitraux de Pierre Soulages, les Sculptures et dessins en crin de
sujet au monde, la relation constitutive entre le sens et le sensible
Pierrette Bloch et les Light Pieces de James Turrell – ont été sé-
et retient comme objets d’analyse le rythme et l’intensité – à
lectionnés pour la diversité des angles de vue qu’ils semblent
partir desquels C. Zilberberg a élaboré une sémiotique tensive
inviter à parcourir, mais que des traits communs infléchiront
féconde pour l’analyse du visible et du sensible.
leurs modalités d’appréhension. En effet, ressortissant tous du
Au sein de cette complexité, où s’est donc situé le discours
domaine de l’art contemporain, ils présentent également une
sémiotique sur la matière ? Il semble acquis que les premiers
propension à jouer de la ténuité de la matière, de sa banalité
auteurs de référence de la sémiotique greimassienne, F. de Saus-
ou de son indétermination. Et cet intérêt pour le ténu motive
sure et L. Hjelmslev, après avoir défini la matière comme une
le type de vision que nous privilégierons, à savoir une vision
masse ou un continuum amorphe, l’ont écartée de l’analyse 7.
rapprochée, qui scrute les détails, la texture, plutôt que celle qui,
Comment la postérité sémiotique a-t-elle assumé ce rejet ? Dans
de loin, embrasserait les ensembles, les volumes et les masses.
le Dictionnaire de Greimas et Courtés, la matière apparaît peu,
L’attention présupposée ici cherche donc à voir de manière
sinon en référence à Hjelmslev comme « le matériau premier
encore plus fine et à décrire ce qui se joue dans l’apparence
grâce auquel une sémiotique, en tant que forme immanente, se
subtile et changeante de la matière.
trouve manifestée » (1979 : 223) ou, dans l’article « substance »,
comme « “support” de signification, pour servir de substance
1.Quiddesmatièresetdelasémiotique
Quid
?
sémiotique » (ibid. : 368). Présentant la forme comme seule ana-
Quelle matière sémiotiser dans le domaine artistique,
lysable, donc comme unique objet du champ de la sémiotique,
suivant le point de vue phénoménologique et perceptif que
J. Courtés écarte encore, en 1991, la matière, celle-ci « n’étant
nous avons esquissé dans notre introduction ? Oublier que
que présupposée par l’existence des formes » (1991 : 24-25).
ce terme garde les traces de conceptualisations antérieures
Cependant, A. Hénault précise que, si Hjelmslev a retenu « la
peut paraître peu rigoureux ; même la définition courante de
substance (la convocation du sens) et la forme (l’activité catégo-
la matière – « substance qui constitue les corps, qui est l’objet
risante) » comme objets d’études potentielles, « aujourd’hui il est
d’intuition dans l’espace et qui possède une masse mécanique »
difficile de faire l’économie de la perception globalisante du “me-
(Petit Robert) – laisse émerger des traces de théories passées et
ning” », sens-matière (1992 : 71-72). Deux types de sémiotique
la préférence du dictionnaire de langue pour une conception
peuvent être convoqués pour répondre à cette carence. D’une
moderne et cartésienne face à celle plus dynamique d’Aristote 2.
part, une sémiotique du continu est développée par Greimas et
Il semble, néanmoins, nécessaire de restreindre l’investigation.
Fontanille (1992) qui, dans le cadre épistémologique ouvert par
Ainsi, même si F. de Méredieu évoque une confusion des savoirs
la phénoménologie, s’appuient sur la conception dynamique du
et la définition corpusculaire et ondulatoire de la physique
devenir et de la protensivité pour « mettre en scène » l’émergence
contemporaine, elle privilégie dans ses études une approche
de proto-sujets et de proto-objets sémiotiques et pour analyser
formaliste 3 et matiériste 4 qui motive sa distinction entre le ma-
les passions et la perception. J. Fontanille et C. Zilberberg (1998)
tériel et l’immatériel (2004 : 27). Retenons donc seulement une
poursuivront l’étude des émotions et de l’événement, en analy-
double perspective dynamique et subjective qui apparaît dans
sant les valeurs en termes de valences d’intensité et d’extensité,
nombre d’études contemporaines – et que nous retrouverons
de tempo et de rythme – de quoi façonner une lecture dynamique
en sémiotique. Ainsi F. Dagognet met-il l’accent sur les états
et énergétique de la matière. D’autre part, en invitant à considérer
mésomorphes et changeants de la matière ; J. Petitot, limitant
les choses elles-mêmes, la sémiotique de l’objet a participé au
la portée d’une opposition entre phénoménologie des formes et
retour de la matière concrète.
physique de la matière, traite d’auto-organisation ou morpho-
Cette sémiotique de l’objet 8, Greimas l’évoque en 1983 en
genèse (dans Constantini et Darrault-Harris, 1996 : 169). Les
précisant que les problèmes de l’approbation et de la construc-
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100
tion des objets semblent, à première vue, se situer à deux niveaux
les dimensions phénoménologique, formelle et sensible – aux-
distincts : celui de la perception et celui de la transformation du
quelles nous limitons pour l’heure nos études de la matière
monde (1983 : 13). Deux études parues en 1987 ressortissent de
des objets d’art. C’est seulement en tant que la matière peut
ce programme bipolaire. L’une répond à la question « comment
constituer en art un objet de valeur en soi ou encore l’instance
penser la matière ni scientifiquement, ni philosophiquement,
perceptible et sensible d’une sémiose que nous examinerons
mais telle qu’elle est là […] sous la forme du monde du sens
les œuvres retenues.
commun, devant nous », énoncée par Greimas ; il s’agit du Trai2.Approcherlamatièreduvisible
tement de la matière de F. Bastide (1987 : 5). La sémioticienne
y considère la matière comme un corps plastique structurelle-
Prenant comme point de départ et support de notre analyse
ment transformable, une matière-matériau définissable en tant
des objets visibles plutôt que des discours sur ces objets, nous
que manières d’être 9 modulables par l’action déstructurante et
postulons que les angles d’approche sont orientés par les objets
restructurante de sujets opérateurs et observateurs attentifs. Par
eux-mêmes et par ce que nous en savons 11. Nous considérons en
ailleurs, dans son étude de L’Éloge de l’ombre de Tanizaki parue
effet les objets comme « un appel de sens », suivant l’expression
dans De l’imperfection (1987), Greimas distingue une autre
de M. Collot, ou plus précisément comme un appel de sens
démarche à partir de celle évoquée auparavant en spécifiant
potentialisés et convocables par ces objets-là. Il ne s’agit donc
leurs objets sémiotiques :
pas de dire « n’importe quoi » sur un aspect des œuvres en cours
1. la matière de l’objet en soi, de l’objet du monde qui est là,
de sémiotisation ni de présenter le discours tenu sur l’objet visé
rayonnant d’énergie et qui ne touche le sujet qu’accidentellement et
comme le seul qui puisse l’être. La question préliminaire est
2. l’objet de la perception, présent pour le sujet et éventuellement
donc celle-ci : quels discours sur la matière les objets permet-
saisissable par lui. (Greimas, 1987 : 50)
tent-ils de déployer ? Quels points de vue peuvent-ils plus ou
moins favoriser ? Avec les vitraux de Pierre Soulages, ce sont les
Les matières dessinées par ces discours sur la perception
capacités factitives que nous retiendrons, de même que les états
et sur la transformation sont distinctes. Ou il s’agit, avec Grei-
variables et réactifs d’un matériau composite, doté de qualités
mas, d’une matière sensible, d’un événement esthésique en
en partie émergentes et de propriétés translucides complexes.
tant qu’effet de présence énergétique et fugace pour un sujet
Les Sculptures et dessins en crin de Pierrette Bloch nous amène-
« ému » et non modalisateur ; ou il s’agit d’une matière-matériau
ront à examiner les tensions sous-jacentes à la forme dessinée
transformable et utilisable pour la réalisation d’objets de valeur
ou sculptée par la matière-matériau. Enfin, les Light Pieces de
– d’où les références répétées à la célèbre analyse de « La soupe
James Turrell, espaces homogènes, opaques et denses de lumière
au pistou » de Greimas (1979). Entre événement esthétique et
colorée, nous permettront de considérer le caractère paradoxal
scrutation de modes d’être ou d’apparaître, entre la matière
et multimodal d’une lumière-matière sans forme affectant le
indéterminée de l’événement et une matière-matériau formel-
corps d’un sujet sensible touché et touchant.
lement variable et descriptible, on oscille apparemment entre
des conceptions différentes : l’une, plus énergétique, semble
1) Des propriétés et de l’action de la matière :
ressortir du « divers du phénomène » kantien comme sensation
les vitraux de Pierre Soulages
pure ou encore de la description de l’expérience esthésique
Les vitraux de Pierre Soulages sont composés de verres ori-
merleau-pontienne 10 ; l’autre serait plus proche d’une matière
ginaux ; ils ont été mis au point après de nombreuses recherches
substantielle moderne et physique. Cette oscillation évoque
et tentatives pour obtenir une qualité de lumière particulière.
ce que J. Petitot écrit au sujet de « L’homme à la coquille » de
C’est en tant que filtres et transmetteurs de lumière qu’ils se-
Valéry : « la pensée de l’apparaître morphologique oscille entre
ront donc abordés. La sémiotique que nous présenterons est
recherche d’un principe organisateur et évaluation esthétique »
par conséquent une mise en scène narrative et tensive où les
(dans Constantini et Darrault-Harris, 1996 : 161).
propriétés du verre seront regardées comme des modalisateurs
Où situer nos approches de la matière par rapport à ces deux
informant la lumière solaire.
courants ? Plutôt que de proposer une troisième voie, c’est une
L’angle de vue adopté est évidemment motivé par la fonc-
tentative d’englober ces points de vue que nous proposons dans
tion, généralement assignée aux vitraux, de transmettre et de
une sémiotique de la matière capable de se déployer suivant
transmuter la lumière solaire en la filtrant et en la contrôlant ; il
101
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l’est également par le projet précis de l’artiste. Reprenant une
matériau au traitement de la lumière, des corrélations peuvent
entrevue de Traverses, F. de Méredieu cite les propos de Pierre
être posées à partir des observations précédentes lues comme
Soulages :
autant d’indices des opérations en jeu : soit le « lisse » détermi-
J’ai souhaité une translucidité qui ne soit pas produite par un état de
nant la brillance et la réflexion de la lumière ; le « granuleux »
la surface du verre comme dans le dépoli, ni ayant l’aspect laiteux
permettant une luminosité douce et témoignant de la transmis-
de l’opale ou du plaqué opale, mais provenant de la masse même
sion de la lumière. Entre les deux, il y a l’épaisseur (5 à 9 mm)
du verre, celle-ci devenant alors émettrice de clarté ; [afin d’obtenir
du verre composite.
ce résultat, il opte finalement pour] un composite fait d’une masse
Pour décrire la composition du verre, nous pouvons repren-
cellulaire de verre, la translucidité provenant de la dévitrification
dre les paroles de leur créateur. Il s’agit d’opérations complexes
des grains à l’interface des cellules. (Méredieu, 2004 : 144)
allant de la fabrication d’un premier verre – dont la teneur en
métaux a été réduite pour éviter la teinte verdâtre des verres
La translucidité est l’objet de toute l’attention de l’artiste,
ordinaires –, un verre ensuite concassé et dont les morceaux sont
mais elle implique la non-transparence de la dévitrification.
répartis dans des moules pour être soumis à une température
Translucides et non transparents, les vitraux ne laissent en effet
précise qui, les rendant « gélatineux », leur permet d’adhérer les
rien voir de l’extérieur ou de l’intérieur de l’édifice, ils laissent
uns aux autres ; la température maintenue puis baissée assure
seulement passer une lumière. La non-transparence est le pre-
une dévitrification et une cristallisation à l’interface des mor-
mier indice visuel de la présence d’un corps proche ou distant
ceaux rassemblés. Si l’on veut, à la manière de F. Bastide (1987),
contre lequel bute le regard, et à ce titre elle intéresse les études
dégager les opérations élémentaires principales, on pourrait
de la matière. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle
noter entre les deux états du verre obtenus successivement : 1.
F. de Méredieu ouvre son dictionnaire par un chapitre consacré
le passage du simple au composé – un premier verre homogène
à l’opacité et à la transparence (2004 : 55-154). L’historienne
obtenu après tri des éléments colorants et un verre final composé
y distingue les niveaux suivants : 1. la transparence pure ; 2. la
de morceaux en partie dévitrifiés – ; 2. un retour au compact par
translucidité qui laisse filtrer la lumière et gomme les figures
adhésion des morceaux ramollis ; et 3. une nouvelle structuration
extérieures ; 3. l’opalescence qui « laisserait subsister que la seule
du verre stratifié en profondeur. Les deux responsables de cette
aura de la lumière, et comme son tremblement » ; 4. l’opacité
transformation sont l’outil qui casse et surtout la chaleur intense,
qui ne laisse rien voir à travers elle (1994 : 21). Si cette échelle
stable et durable qui provoque le ramollissement nécessaire à
mêle passages de la lumière et du regard 12, elle présente néan-
l’agglomération 14 des morceaux distincts et qui favorise une
moins l’avantage de marquer les relations de contrariété entre
transmutation du verre partiellement dévitrifié et, ainsi, l’hété-
les termes qui nous intéressent – par exemple, la translucidité
rogénéité du matériau verrier initialement homogène.
présuppose unilatéralement la non-transparence.
L’hétérogénéité apparente du verre aggloméré peut être
Quelles sont les qualités ou propriétés qui assurent cette
perçue comme la trace du concassage et l’actualisation par
translucidité non transparente ? Dévitrifié, le verre a perdu sa
la chaleur de modes d’être verrier différents : les changements
transparence ; non coloré, il n’influe pas sur la translucidité en
partiels d’apparence et de propriétés, sous l’effet du feu, d’un
modifiant le spectre coloré de la lumière naturelle et, corrélati-
matériau homogène et uni. Du point de vue de la transmission
habituels 13.
de la lumière, cette hétérogénéité complexifie singulièrement
Ce sont ainsi la masse du verre, sa texture et sa composition
les choses, et ce, d’autant plus que les interfaces dévitrifiées
qui seront les modalisateurs de la lumière recherchée par
des morceaux de verre agglomérés sont plus réfléchissantes.
Soulages.
La transmission sera donc modulée suivant la texture et la
vement, son intensité – comme il en va des vitraux
De la texture, il faut également noter la bivalence. Sur la
composition du verre. Ainsi, il est possible d’imaginer que la
face extérieure, le verre est lisse et brillant, semblable à une
lumière, non réfléchie à la surface extérieure du verre, pourrait
pellicule réfléchissante et pellucide qui laisserait apparaître
l’être en partie dans la masse épaisse du verre cristallin qui la
par transparence le verre composé sous la surface. À l’intérieur,
diffracterait, la détournerait lors de son passage, avant de la
nul effet de stratification de la profondeur ne s’observe : le
laisser sortir (voir figure 1).
verre apparaît légèrement granuleux et irrégulier – un peu à la
Il va sans dire que cette rétention de la lumière dans le verre
manière des pierres de calcaire mitoyennes. De la qualité du
semble à même de combler les projets de Soulages : freiner la
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2) De la densité morphodynamique des crins de Bloch
Modalisations du passage de la lumière par et dans le verre :
réflexion, absorption et transmission partielles
Si les vitraux de Soulages ont offert une occasion pour considérer divers états potentiels de la matière, des modes d’être
aux propriétés opposées (la transmission-réflexion du verre en
partie dévitrifié) et émergentes, les objets de crin de Pierrette
Bloch nous permettront de considérer plus attentivement les
relations entre forme et matière. Une citation permet de situer
Transmission de la lumière de l’extérieur vers l’intérieur
passage
{
le point de vue de l’artiste dès 1976 :
ne pas pouvoir-entrer (réflexion)
ne pas pouvoir-sortir (absorption)
pouvoir-passer (transmission)
Pas de point, pas de nœud savant. Rien de ce qui relève d’une
virtuosité artisanale, d’un savoir-faire séculaire. Tout cela est loin de
Figure 1
mon propos. Cordages, ganses, ficelles sont là pour leur fluidité, leur
poids, leur souplesse ou leur fermeté, pour toutes les possibilités
transmission pour donner l’impression que la lumière provient
formelles qu’elles contiennent en puissance. (Bloch, 1998 : 1)
de la masse même du verre, que celle-ci devient émettrice de
clarté. La technique principale aura été de répartir des lieux
La question que nous poserons est donc la suivante : quelle
d’impénétrabilité plus ou plus importante au passage de la
relation entre la forme et la matière les objets de crin de Pier-
lumière, et ainsi de la diffracter et de la désintensifier – d’où
rette Bloch invitent-ils à voir et qu’en est-il de ces « possibilités
l’obtention d’une lumière diffuse et non éclatante dans l’espace
formelles » que le matériau contiendrait en puissance ?
de l’abbatiale. Nous retrouvons là la sémiotique polémique de
Produits depuis 1982 15, les objets dont il s’agit sont présen-
la résistance, de la confrontation entre sujets aux dynamiques
tés sur les étiquettes des expositions comme des « Sculptures
opposées, à laquelle l’analyse des textes nous a habitués depuis
de crin » ou des « Dessins de crin ». Ce qui peut étonner dès
longtemps.
l’abord, c’est le « jeu » entre les dénominations génériques et
Si le mode d’apparaître de la lumière résulte des opérations
les œuvres – ce dont témoignent le terme pièces et les points
en jeu, il témoigne non seulement de l’incapacité de celle-ci à
d’interrogation attenants aux mots « sculptures » et « dessins »
résister aux obstacles matériels, mais aussi de la ténacité de sa
dans le synopsis d’un film sur Pierrette Bloch 16. Fines, faites
dynamique et de sa capacité à se frayer un chemin en se dé-
de crins noués et enroulés autour d’un fil de pêche fixé contre
composant – une diffraction qui provoque sa désintensification,
le mur entre deux pitons, les « Sculptures de crin » sont ténues.
et donc son amenuisement.
La tridimensionnalité de l’objet sculptural est donc réduite au
Il convient pour finir de noter la transformation du verre lui-
minimum, et la présentation des sculptures fixées à 7 cm du mur
même : non seulement de sa luminosité afférente à l’absorption
accentue cette impression. Autre objet d’étonnement : à interval-
de lumière, mais aussi – et la chose est plus surprenante – de sa
les irréguliers, le crin échappé des boucles et des nœuds tombe,
coloration. En effet, si le verre présente à l’extérieur les reflets
souple et mobile, au moindre courant d’air. Enfin, la banalité du
incertains du paysage environnant, il prend à l’intérieur des tein-
matériau sans grande valeur marchande rattache ces objets à la
tes variées qui rappellent l’extérieur – les vitraux bleus donnent
production contemporaine refusant les matériaux nobles. Dans
sur le ciel, les roses sur un mur de grès. Ces teintes et ces reflets
les « Dessins de crin », les fils de crin bouclés et tombant, fixes
évoluent avec le temps, apparaissant et s’intensifiant quand la
et mobiles, ont changé de valeurs ; non plus banals et ténus, ils
lumière extérieure est importante et indirecte, s’estompant sous
sont originaux, puisqu’ils remplacent, sur des tableaux de bois
l’effet d’une lumière trop intense ou insuffisante. Tout se passe
blanc, les traits immobiles d’encre, de crayon ou de craie.
comme si, transformateur de lumière, le verre était à son tour
Comment décrire plus précisément ces objets ? Le critère
transformé par celle qu’il transforme. L’être coloré des vitraux de
quantitatif est apparu d’emblée évident. Même si les lignes des
Soulages apparaît ainsi comme une qualité émergente modalisée
sculptures peuvent s’étendre sur plusieurs mètres, les formes
par ses propriétés complexes de transmission-réflexion et par
sont minces. Il y a peu de matière à voir et cette ténuité force
l’intensité de la lumière elle-même – en termes sémiotiques,
à la concentration. Les premières sculptures visibles jouent,
l’action du verre engendre, sous certaines conditions d’être de
de ce point de vue, le rôle de calibreur perceptif et posent
l’objet qu’il transforme, son être coloré.
une norme moyenne au-delà de laquelle excès et insuffisance
103
PROTÉE • volume
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ont leur place. Dans cette échelle perceptive, le nombre de
Tensionducrin
fils participe à la variation formelle des sculptures dont les fils
tonique
tension du crin enroulé
(cohésion et forme)
uniques s’enroulent en vrilles, alors que les fils multiples font un
enchevêtrement confus ou forment des boucles. Relativement
dé-tension du crin tombant
(dispersion et matériau)
homogène, en fait, chaque objet présente un rythme régulier
+ atone
et subtil parfois ébranlé par un changement imprévisible. Si les
courbe
concentré
œuvres de crin peuvent donner lieu à une lecture du rythme
né de la transformation syntagmatique des formes et de leur
ondulation
dispersé
Formeducrin
Figure 2
mobilité, c’est surtout la torsion du matériau qui retiendra notre
attention. Ni pliés ni brisés, les crins forment des courbes plus
pour toutes les possibilités formelles qu’elles contiennent en
ou moins concentrées et tendues autour du fil de pêche ou sur
puissance ». Cette propriété « intentionnelle » du crin, nous
la surface des tableaux, et ces tensions diverses témoignent de
l’avons exprimée en termes de densité. Qu’en est-il au juste
la densité du crin. Plus précisément, il appert que cette densité
de cette densité ?
Cité avec des acceptions différentes en sémiotique 17 ou dans
du matériau est manifestée par la forme donnée, parce que cette
les dictionnaires de langue, le terme densité semble à la fois
forme est rendue possible par la densité du matériau.
Souligner d’emblée que le crin n’est pas brisé n’indique pas
ressortir, dans les expressions usuelles, de l’intensité (optique
seulement un éventuel « respect » du matériau dont on pourrait
dans « la densité des noirs »), de l’extension (l’épaisseur ou le
percevoir différentes manifestations de la densité ; cela souligne
volume d’un « feuillage dense »), du nombre (« la densité d’une
aussi que l’effet produit est de l’ordre non pas du discontinu
population ») et de la compacité (« la densité des métaux »). On
mais bien d’une continuité favorable à l’expression des tensions.
l’évoque aussi pour signifier le poids et la force. Dans notre
Le contraste entre la courbe et l’ondulation des fils qui tombent
description des œuvres de crin, ce sont assurément les valeurs
peut, de ce point de vue, être perçu comme une modulation
de compacité et de force qui prévalent, ou plus exactement celle
de la tension. Intensément tendu dans les vrilles et les boucles
d’une compacité du matériau selon qu’elle puisse imposer une
fines, plus détendu dans les boucles larges, le crin se détend
dynamique ou une résistance.
lors de son échappée ondulante sous l’effet de sa propre densité,
Le Petit Robert ouvre sa définition du dense par l’acception
de sa chute et de son poids. Ce que ces œuvres donneraient à
suivante : « 1. Qui est compact, épais. Brouillard dense → impé-
voir, ce serait donc une réaction tensive entre forme et maté-
nétrable » (2004 : 687). Si le synonyme impénétrable n’apparaît
riau : comment la forme courbée augmente la tension du crin,
pas pertinent pour les crins de Pierrette Bloch – compte tenu
comment le matériau en chute prend un aspect ondulé en raison
du point de vue adopté –, il prend une valeur évidente pour
de son caractère non pas souple et mou, mais flexible et dense
les volumes de lumière colorée que sont les Light Pieces de
– caractéristiques nécessaires à la courbure des boucles. Ce sont
James Turrell.
ces corrélations entre formes et tensions apparentes que nous
3) Compacité de la lumière-matière sensible chez James Turrell
avons représentées dans la figure 2.
On pourrait encore préciser que la dé-tension du crin libéré
Dans la partie de son ouvrage consacrée à l’opacité et à la
de la forme est graduelle et que, près de la boucle, il a une forme
transparence, F. de Méredieu ouvre un chapitre sur la lumière
raide, encore concentrée et tendue qu’il gardera s’il est court. On
par une citation de James Turrell :
pourrait également noter la connivence formelle entre ondula-
D’où la lumière vient-elle dans les rêves ? Elle est magique, elle a de
tion et boucle, comme si, pour reprendre la célèbre proposition
la substance, elle a une présence physique […]. J’aime donner de
de Focillon, il y avait ici visibilité d’une « vocation formelle » de
la substance et de la réalité aux choses que nous avons décrétées
la matière qui « imposerait sa propre forme à la forme » (1964 :
insubstantielles et transitoires. (Méredieu, 2004 : 82)
51). La définition aristotélicienne de la substance composée de
matière-potentialité et de forme-actualisation montrerait ainsi la
Le projet et l’objet sont définis : l’artiste américain se propose
pérennité de sa valeur sémiotique. Pierrette Bloch l’avait énoncé
de jouer du paradoxe en invalidant nos croyances sur la nature
dans la citation reproduite plus haut : les matières sont choisies
insubstantielle de la lumière 18. Il s’agit de substantialiser la
« pour leur fluidité, leur poids, leur souplesse ou leur fermeté,
lumière, certes, mais aussi de désubstantialiser l’espace archi-
volume 36 numéro 3 • PROTÉE
104
tectural et les parois – ainsi que nous pouvons le voir grâce
Si l’on essaie d’analyser, comme le phénoménologue G.
à un article de V. Laganier (2000) illustré par un plan et par
Didi-Huberman, les relations du visiteur-spectateur avec cette
des photographies qui montrent la différence entre la « réalité
atmosphère dans laquelle il peut circuler, nous pouvons relever
matérielle » du dispositif des Light Pieces et l’apparence de
plusieurs comportements ou sensations. Tout d’abord, notons
l’installation réalisée à Avignon en 2000. La question que nous
que le visiteur doit se départir de ses automatismes, de ce que
nous poserons concerne donc, d’une part, cette conversion
M. Merleau-Ponty appelle les « habitus du corps », le « sens de
des valeurs matiéristes et, d’autre part, l’expérience sensible à
la situation » qui est une « marge d’existence impersonnelle »
laquelle le visiteur des Light Pieces est confronté.
(1945 : 94-99). Sans repère dans le champ perceptif, l’orientation
F. de Méredieu le souligne : James Turrell fait partie de ces
et la mobilité sont forcément perturbées. Dans la citation relevée
artistes contemporains qui utilisent l’installation pour plonger
plus tôt, G. Didi-Huberman évoque également la dimension
le spectateur dans l’image (2004 : 597). Il s’agit non pas seule-
tactile de ces espaces. Non seulement les spectateurs tentent-ils
ment de rester à distance, de contempler l’œuvre de loin, mais
de toucher la lumière qui les englobe 20 mais, d’après le phé-
aussi de rentrer dedans, d’« habiter » la lumière. Du point de
noménologue : « C’est à nous toucher que viseraient les œuvres
vue du spectateur, que se passe-t-il ? Orienté par le dispositif,
de J. Turrell » (2001 : 57 note). La correspondance sensible du
son parcours le confronte par étapes à des espaces aux valeurs
visiteur à la lumière diffuse devient également analogique,
contradictoires. Ainsi, en entrant dans une première salle, il
puisque « l’homme qui marche dans la couleur [...] s’éprouverait
voit face à lui une surface frontale et monochrome, comme un
lui-même comme devenant flou » (2001 : 29).
tableau accroché au mur. Tout près, la surface devient poreuse,
L’expérience donnée à vivre par cette installation est à plus
puis volume illimité de lumière colorée lorsqu’il y pénètre – un
d’un titre originale. Il ne suffit pas de noter la déconnexion des
volume décrit par G. Didi-Huberman comme « un champ où la
automatismes déficients de la lecture perceptive du monde et de
lumière est tellement lourde, homogène, intense et sans source,
la mobilité corporelle. Il ne suffit pas non plus de déclarer pu-
qu’elle deviendra la substance même – compacte et tactile – du
rement et simplement fausse l’interprétation picturale première,
lieu tout entier » (2001: 46).
puisque de loin le champ lumineux est toujours vu comme
Les termes d’une contradiction perceptive sont posés : on
un tableau monochrome – quand bien même on viendrait de
passe de ce qu’on interprète, par habitude picturale, comme
constater que ce tableau est illusoire. La différence demeure
une surface dure et pleine, à l’expérience vécue d’une dilution
entre la perception distanciée et l’être-dedans du sujet immergé
décompacifiante de la surface qui, pénétrable, devient un champ
dans une lumière colorée, étrange et profonde 21. Et, dans ce
lumineux et compact. Le parcours perceptif est ainsi passages du
contexte d’oppositions, le paradoxe est valorisé : l’expérience
loin au dedans, de l’interprétation visuelle à l’expérience sensi-
de l’omniprésence atmosphérique de la lumière et de la couleur
ble, de la matière à la dématérialisation de la paroi, de la lumière
remet en question nos habitudes perceptives et l’ontologie du
éclairante et neutre de la première salle à un champ homogène,
« sens commun » établie par Aristote voyant dans la couleur un
compact et illimité de lumière colorée et diffuse. Qu’en est-il
accident ou un attribut de la substance. Substantialiser la lumière
plus précisément de cette atmosphère lumineuse « compacte »
et la couleur en donnant à les voir comme des phénomènes
et de la disparition des parois du dispositif final 19 ?
indépendants de toute surface et indiquer par un dispositif
En fait, c’est de la transparence de la lumière qu’il convient
d’oppositions qu’il s’agit de retourner un paradoxe, c’est ce que
de parler. La lumière n’est pas ici transparente et invisible
nous avons retenu des projets de James Turrell.
comme l’éclairage habituel, elle est colorée et, pour ainsi dire,
Traiter de l’illusion, du vrai et des valeurs axiologiques en
« opaque » – dans le sens où l’on ne voit pas à travers elle ou
jeu, la sémiotique s’y est attelée depuis longtemps. Traiter du sen-
grâce à elle, mais où on la voit elle seule. La perception est alors
sible et du corps, c’est une tâche à laquelle des sémioticiens ont
ambivalente : cette luminosité opaque noie en quelque sorte
répondu plus récemment en profitant des écrits philosophiques
les parois, le sol et le plafond et empêche de voir des limites.
sur le sensible. C’est la raison pour laquelle les analyses de G.
Elle provoque un espace à la fois ouvert et illimité, mais aussi
Didi-Huberman apparaissent dans des textes comme ceux d’H.
compact et potentiellement fermé parce que la lumière diffuse
Parret traitant de présence et d’événement (2001). L’importance
et colorée empêche également de voir à distance et qu’elle peut
que ce sémioticien accorde au toucher, à la réversibilité du tou-
« cacher » – comme il en va du brouillard et de l’obscurité.
chant-touché pour décrire la relation du sujet au monde mérite
105
PROTÉE • volume
36 numéro 3
évidemment d’être évoquée pour notre objet, de même que la
entre forces potentiellement opposées. L’intérêt de cette dernière
référence au regard qui « enveloppe, palpe, épouse les choses
étude réside néanmoins dans la démonstration de la valeur de
visibles » du Merleau-Ponty du Visible et de l’Invisible (1964) 22,
cette lecture énergétique convoquée pour rendre compte non
et la référence à l’œil dépaysé par l’événement de J.-F. Lyotard
plus d’une sémiotisation d’un processus physique observable
– un « Il y a » qui « dérangerait l’ordre d’intimité du corps avec
mais de la sémiotisation d’une expérience sensible où la pres-
lui-même et avec le monde », commente H. Parret (2001 : 24,
sion, le toucher et le devenir flou sont l’expression d’un sentir
53). Les ingrédients relevés dans l’expérience existentielle des
dépourvu de corrélat tangible évident.
Light Pieces sont là : l’événement qui dérange notre perception
3.Conclusion :quellesémiotiquedelamatière ?
et désactive notre mode habituel d’être au monde, le rôle du
corps dans notre compréhension du monde, la confusion synes-
Nous l’avons évoqué auparavant, notre projet est non pas
thésique du voir et du toucher, la réversibilité du toucher et de
de nous démarquer de notre école sémiotique, mais plutôt de
l’être touché comme mode relationnel, mais aussi l’isomorphie
proposer une démarche englobant les approches subjectales,
figurative comme principe de compréhension de « l’homme qui
phénoménologiques et objectales inaugurées par Greimas et
s’éprouverait lui-même comme devenant flou » au sein de cette
Bastide. Les nombreuses références à C. Zilberberg, J. Fonta-
atmosphère lumineuse.
nille ou H. Parret indiquent également ce que nous devons à
En 1999, J. Fontanille a abordé en termes plus sémiotiques la
la sémiotique tensive et à une sémiotique du corporel et de
question de la mise en discours du sensible et du rôle du corps
l’esthésie. Mais ces références théoriques et méthodologiques
dans l’émergence de la fonction symbolique. De cette étude
sont accompagnées d’une affirmation toute phénoménologique
des modes du sensible et du corps sémiotique, on peut retenir
de la présence matérielle et concrète des choses et des corps,
certains éléments qui permettront d’envisager les distinctions
d’un « il y a » résistant qui est « appel de sens », proposition et
sémiotiques malmenées par l’expérience décrite. Ainsi, citant
invitation à une sémiose centrée sur la matière – en tant qu’elle
H. Parret, J. Fontanille envisage le toucher comme une sensation
est perceptible, sensible et dynamique. Assumant l’assomption
proprioceptive instaurant « l’opposition entre l’identité et l’alté-
phénoménologique, nous avons ainsi tenté de la sémiotiser pour
rité, [entre] le propre et le non-propre ». Ce qui serait en jeu avec
rendre compte de notre relation et de notre lecture sensible de
le toucher, ce serait « un principe de contact fondamental, qui
la matière.
définirait un champ transitif élémentaire (“la présence pure” et
Ainsi que nos études l’ont montré, la sémiotique que nous
la distinction entre le propre et le non-propre) »… Par ailleurs,
avons tenté d’élaborer peut se déployer dans trois dimensions :
la sensori-motricité instaurerait un « champ réflexif », instigateur
celle des états de la matière – en l’occurrence, des états ou
de la distinction entre le moi et le soi, entre la chair palpitante et
qualités changeants et plus ou moins auto-émergeants –, celle
l’enveloppe du corps propre (Fontanille, 1999 : 30-32). Quant à
des formes de la matière – et de ses facteurs organisateurs
la vision, débrayée et distanciée, elle « procurerait aux acteurs
internes ou externes – et celle d’une relation sensible corps-
spécifique » 23
matière – en l’occurrence d’une relation de contact qui peut
identifiés une forme, c’est-à-dire une enveloppe
(ibid. : 44).
s’inscrire dans une mémoire corporelle parfois mise en déroute.
Ce que remettraient en cause les Light Pieces, ce seraient
Si ce triple déploiement permet de réorienter des réflexions
donc des modes fondamentaux de constitution des autres, du
des « matériologues » ou « philosophes de la matière » dans le
soi et du non-propre. Dans les termes figuratifs du sémioticien,
champ de la sémiotique, s’il présente un intérêt pratique pour
ce serait l’enveloppe du corps du sujet sémiotique (ibid. : 52) qui
décrire et interpréter des objets d’art et, enfin, s’il permet de
perdrait de son pouvoir de résistance aux pressions figuratives
retrouver les angles d’accroche de la matière des sémioticiens,
de l’extérieur – c’est-à-dire, après la réversibilité des sensations,
il a aussi fait émerger à nouveau des questions plus spécifiques :
l’expression d’une confusion figurative entre l’atmosphère
celle, par exemple, de la co-définition des modalités factitives
diffuse et un corps subjectal devenu poreux. Cette formulation
et existentielles – les propriétés dynamiques des vitraux de
sémiotique, en termes d’enveloppe, de résistance et de pression,
Soulages où faire et être s’autodéterminent – ; celle de la mise
évoque évidemment ce que nous avons dit du verre des vitraux
en forme comme manifestation de tensions d’origines, de sens
de Pierre Soulages, de sa pénétrabilité et de la pénétration de la
et d’intensités différents et plus ou moins quantifiables – la
lumière, d’une sémiotique de la résistance ou de la rencontre
matière des crins de P. Bloch comme potentialité de la forme
volume 36 numéro 3 • PROTÉE
106
et la forme comme expression de la matière, de son pouvoir de
riau, mais note que le concept de matière serait plus large que celui de
matériau ; elle cite Manzini : « comment la matière devient matériau,
c’est-à-dire intégrable dans un projet et composante d’un produit »
(2004 : 28).
5. Dans l’Encylopedia Universalis, J. Guillerme et H. Vérin écrivent :
« [...] de nos jours, les formalismes mathématiques qui expriment les
vicissitudes de la matière l’identifient à des événements singuliers de
lignes d’univers, où nous sommes pris nous-mêmes, sans que nous en
ayons conscience ». En ligne : http://www.teilhard.org/panier/1_fichiers/
Trav.La.Matiere_Gr.Ariane.pdf (page consultée le 18 novembre 2008).
6. M. Collot évoque Valéry, Sartre, la « psychanalyse de l’imagination
matérielle » de Bachelard, les philosophes des Lumières pour lesquels la
sensibilité – affective et sensorielle – serait « conçue comme “ propriété
générale de la matière ” » et les phénoménologues M. Merleau-Ponty
et M. Dufrenne traitant d’un mode d’être du sujet correspondant à un
mode d’être de l’objet (1997 : 16-17, 57-59).
7. Dans le Cours de linguistique générale, F. de Saussure définit la
substance phonique comme « matière plastique, plan indéfini et indéterminé, [et] masse amorphe » – comme la pensée (1986 : 155). J. Fehr
précise que, pour Saussure délimitant la sphère du linguistique, « la
matérialité – acoustique ou physiologique – [des] “ objets extérieurs ”,
telle qu’elle est perceptible par les sens », est exclue ; ce qui importe,
c’est « le fait qu’ils servent de signes » (2000 : 114). Également écartée
de la linguistique formelle de Hjelmslev, la matière ou « mening » est
différenciée de la forme et de la substance. Le « mening » danois est
traduit tantôt par « matière », tantôt par « sens », en raison, précise S.
Badir, « de l’absence de terme pour désigner l’in-forme, le non-encoreanalysé, avant la bipartition entre le sensible (de la matière) et l’intelligible
(du sens) » (2000 : 211). Zone indistincte délimitée de l’extérieur, le
« mening » est présenté, par le fondateur de la glossématique, comme
un « continuum amorphe et non analysé » (Hjelmslev 1970 : 71) ; il
n’aurait d’autre « existence possible que d’être substance d’une forme
quelconque » (ibid. : 70). Informe, mais susceptible d’une formation,
« le mening » serait de fait inaccessible à toute connaissance puisque
non analysable (ibid. : 98).
8. D’après S. E. Larsen proposant une analyse parallèle de la notion
d’objet chez Brøndal, Peirce et Greimas, ce dernier se serait tôt opposé
à un formalisme relationnel réduisant les objets à des points d’intersections relationnels. Rejetant une conception faisant de la structure
sémiotique une pure forme et affirmant l’irréductibilité et la spécificité
de la notion d’objet, il aurait rendu possibles une sémiotique de l’objet
et une esthétique objectale (1991).
9. F. Bastide dégage des catégories structurelles dans son analyse de la
matière. Il s’agit des catégories amorphe versus structuré, discret versus
compact, expansé versus concentré, composé versus simple (1987 :
11-18).
10. Greimas évoque un « niveau de la sensation pure, des parcelles
resplendissant de toutes les couleurs et allant s’introduire dans les yeux »
(1987 : 51) qui fait écho au texte de M. Merleau-Ponty sur la couleur
perçue : « Selon que je fixe un objet ou que je laisse mes yeux diverger
ou enfin que je m’abandonne tout entier à l’événement, la même couleur
m’apparaît comme couleur superficielle – elle est en un lieu défini de
l’espace, elle s’étend sur l’objet – ou bien elle devient couleur atmosphérique et diffuse tout autour de l’objet ; ou bien je la sens dans mon
œil comme une vibration de mon regard ; ou enfin elle communique à
tout mon corps une même manière d’être, elle me remplit et ne mérite
plus le nom de couleur » (1945 : 262).
11. La philosophe A. Cauquelin (1992) parle ainsi de textes-objets, c’està-dire d’objets dont la perception est déjà de l’ordre du discursif ou de
résistance et de réaction – ; celle, enfin, de la relation du sujet
au monde et de la définition du soi, du même et de l’autre – une
question posée à la porosité des enveloppes et aux habitudes
d’être des corps.
Précisons encore que l’étude de ces dimensions semble
pouvoir convoquer un vaste bagage méthodologique et plusieurs
outils conceptuels : la narrativité et les modalités, comme la
tensivité et l’aspectualité. Mais une sémiotique de la matière,
attentive à la consistance du monde et de ses objets, semble
devoir s’attacher plus particulièrement à rendre compte de la
densité des choses et des milieux, de la configuration aspectuelle
(ouverte-fermée ; durable-éphémère) des surfaces et formes et
des rapports de forces et de tensions qui travaillent la matière.
Autant dire l’ampleur de notre dette à la sémiotique tensive.
NOTES
1. Dagognet écrit : « la science et l’industrie modifient le concept de
matière, dans la mesure où elles parviennent à décider de celle-ci et à
la réaliser de telle façon qu’elle puisse inclure des qualités résolument
opposées comme le très mince et l’incassable, ou encore le léger et le
résistant, etc. » (1989 : 187). Les couples évoqués présentent cependant
l’inconvénient de relever de catégories sémantiques différentes ; ce sont
les corrélations entre catégories qui sont révisées, par exemple celle du
mince et de l’épais et du cassable et de l’incassable.
2. La distinction aristotélicienne de la matière d’avec la substance
composée de matière et de forme ou, en d’autres termes, de potentialité
et d’acte, est oubliée du Petit Robert qui définit la matière comme un
objet d’intuition, une donnée qui évoque à la fois les sensations affectant
le sujet kantien – par opposition à la forme du phénomène qui fait que
le divers du phénomène est coordonné dans l’intuition selon certains
rapports – et la substance abstraite moderne dont seraient faits les corps,
la res extensa divisible, mathématisable et quantifiable qui soutiendra
une physique mécanique de corps impénétrables et inertes.
3. L’historienne de l’art ouvre son dictionnaire en ces termes : « L’art est
toujours apparu comme la résultante ou la rencontre de deux facteurs
opposés, et par voie de conséquence complémentaires, la matière et la
forme » (Méredieu, 2004 : 27). Par la suite, elle déclinera cette relation
en référence aux œuvres produites et aux commentaires des artistes.
Ainsi seront évoquées : 1) les relations d’opposition de la forme contre
la matière – dans l’art abstrait en quête de sublimation du matériau –,
de la matière contre la forme – avec les œuvres matiéristes au principe
d’ordre trop complexe pour pouvoir être saisi – ; 2) les relations de
correspondance de la matière comme forme – la couleur ou les discontinuités faisant forme – et de la forme comme matière – dans le cas
de la répétition défigurante d’une forme.
4. L’historienne présente la matière comme quasi synonyme de maté-
107
PROTÉE • volume
36 numéro 3
l’interdiscursif – une réactualisation d’autres discours qui, déjà tenus
sur les œuvres ou sur l’art en général, en préparent l’appréhension.
12. On peut proposer, pour rendre compte de ces relations, un exercice de modélisation sémiotique (dit 4-groupe de Klein) où les termes
seraient considérés comme des complexes définis par les composés :
passage du regard permis ou non et passage de la lumière permis ou
non. Auquel cas, « passages de la lumière et du regard permis : AB »
serait la définition de la transparence ; « passage de la lumière seul
permis : A et non-B », celle de la translucidité ; « passages du regard et
de la lumière impossibles : non-A et non-B », celle de l’opacité ; quant
au « passage du regard seul permis : non-A et B », il est difficile d’en
concevoir la possibilité, la lumière étant la condition sine qua non de la
visibilité. Tout en montrant la relation de présupposition entre ces deux
termes, cet exercice isole « opalescent » dans la gradation du passage
de la lumière entre translucidité et opacité.
13. Les couleurs des verres, tout en produisant une coloration des
rayons lumineux par tri et absorption d’une partie du spectre coloré
de la lumière – ainsi que les physiciens nous l’ont appris –, réduisent
l’intensité de la lumière transmise. E. Viollet le Duc (1980 : 146), puis
L. Grodecki (1954 : 187-191, 202) ont ainsi étudié et relevé le pouvoir
de transmission différent de certaines couleurs translucides des vitraux
anciens. Ainsi, le verre violet se présenterait comme extrêmement
rayonnant, certains bleus et le blanc très lumineux seraient utilisés pour
éclairer l’espace, alors que le verre rouge constituerait un écran optique
qui deviendrait noir lorsque le soleil ne le frapperait pas directement.
14. L’agglomération est définie comme un tout dont les parties sont
liées, dans l’esquisse d’une ontologie matérielle de J.-F. Bordron qui,
adoptant le point de vue de l’intentionnalité eidétique et de la méréologie, analyse les différents types relationnels (1991 : 59).
15. Lors d’un entretien, P. Encrevé et Pierrette Bloch évoquent la variété
de son œuvre : ses collages, ses peintures et dessins, et le travail du crin
de cheval – ses mailles de crin succédant à ses mailles de chanvre, de
lin ou de filin goudronné en 1979, l’utilisation des fils de crin à partir de
1982 pour les sculptures et les dessins. Le matériau y est mis en valeur
pour sa ténuité, sa longueur et l’ombre projetée (Bloch, 1998 : 5-22).
16. Voir la présentation du film de Thierry Spitzer (1997).
17. Le terme densité apparaît dans plusieurs textes de sémiotique. Citonsen deux. Dans « Catégories, icônes et types phénoménologiques », J.-F.
Bordron traite de la mise en forme d’un continuum plus ou moins amorphe
qu’il présente comme l’a priori matériel de la perception tendu entre
extensité et atomicité. Il distingue ainsi trois catégories principales qu’il
analyse successivement : 1) la matière (ou quantité) exfoliée en densité,
disposition (texture, souplesse, …) et force ; 2) la qualité analysée en
dominante, saturation et intensité ; et 3) la forme (ou relation) analysée
en extension, limite et direction. Et l’auteur de conclure : « On aimerait
dire que ce déploiement catégorial, au sens où nous avons interprété
cette notion, assure une communauté des sensations puisqu’il établit
une phénoménalité en laquelle toute sensation peut se reconnaître »
(2000 : 16-17). J. Fontanille et C. Zilberberg évoquent une densité plus
générale : « la densité existentielle ou de présence » qui mesurerait des
degrés entre modalités de présence et d’absence (1998 : 98-99).
18. F. Bastide évoque des objets immatériels, « objets faits de pure
lumière » ou bien objets cognitifs (1987 : 23).
19. Rappelons, à la suite de C. Adcock, qu’un phénomène optique de
« champ total » ou Ganzfeld a été décrit par W. Metzger en 1930. Celui-ci
aurait noté que des observateurs, incapables de voir la structure fine d’une
surface courbe lorsque l’éclairage est réduit, perçoivent un brouillard
de lumière. Reprenant les expériences dans les années 1950-1960, J. J.
Gibson décrit : « What my observers and I saw under these conditions
volume 36 numéro 3 • PROTÉE
could better be described as “ nothing ” in the sense of “ no thing ”. It
was like looking at the sky. There was no surface and no object at any
distance. Depth was not present in the experience but missing in it. What
the observer saw, as I would now put it, was an empty medium »(Gibson
cité par Adcock, 1990). (Notre traduction :« Ce que mes observateurs et
moi avons vu dans ces conditions pourrait mieux être décrit comme :
“rien” dans le sens de “aucune chose”. C’était comme regarder le ciel.
Il n’y avait ni surface ni objet à aucune distance. La profondeur n’était
pas présente dans l’expérience, mais elle manquait en elle. Ce que
l’observateur voyait, ainsi que je pourrais maintenant le formuler, était
un médium vide »).
Plusieurs ouvrages traitent des effets visuels de dématérialisation par
la lumière. C. Zilberberg analyse ainsi les relations entre rayonnement
et matérialité dans le baroque et le classique d’H. Wölfflin (1992 : 46).
L’architecte H. Ciriani décrit une lumière picturale essayant de dégager
l’espace de la gravité, de tirer la matière vers l’abstraction (1991 : 82-83.)
Sur la lumière diffuse, cf. Renoue 2001.
20. Notre lecture peut être enrichie par deux citations relevées en
2001 sur des sites Internet aujourd’hui appauvris. James Turrell aurait
déclaré à J. Brown lors d’une entrevue : « I’m interested in the weights,
pressures and felling of the light inhabiting space itself and in seeing
this atmosphere […] atmosphere is volume, but it is within volume […]
there are densities and structuring within a space, and the light has a
quality of tangible presence, […] it has a quality seemingly intangible,
yet it is physically felt. Often people reach out to try to touch it » (Interview with James Turrell : http://www.rodencrater.org/seeing/intrview/01.
htm). (Notre traduction : «Je m’intéresse aux poids, aux pressions et à
la sensation de la lumière occupant l’espace lui-même et à la saisie de
cette atmosphère [...] l’atmosphère est volume, mais elle est dans les
limites d’un volume [...] il y a des densités et des éléments structurants
à l’intérieur de ce volume, et la lumière a une qualité de présence
tangible, [...] elle a une qualité apparemment intangible, pourtant elle
est physiquement ressentie. Souvent les gens ont tendance à essayer de
la toucher »).
21. Cette profondeur peut évoquer celle, non géométrique, décrite par
M. Merleau-Ponty : « une profondeur primordiale qui, [sous la profondeur
objectivée, serait] l’épaisseur d’un médium sans chose [et non la relation]
entre des choses ou même entre des plans, détachée de l’expérience
et transformée en largeur. […] La profondeur ainsi comprise est plutôt
l’expérience de la réversibilité des dimensions, d’une “ localité ” globale
où tout est à la fois, dont hauteur, largeur et distance sont abstraites,
d’une voluminosité qu’on exprime d’un mot en disant qu’une chose
est là » (1999 : 65).
22. Après avoir analysé l’exploration de la main et les mouvements du
regard, M. Merleau-Ponty écrit : « […] le spectacle visible appartient au
toucher ni plus ni moins que les “ qualités tactiles ”. Il faut nous habituer
à penser que tout visible est taillé dans le tangible, tout être tacite promis
en quelque sorte à la visibilité, et qu’il y a empiétement, enjambement,
non seulement entre le touché et le touchant, mais aussi entre le tangible
et le visible qui est incrusté en lui, comme, inversement, lui-même n’est
pas un néant de visibilité, n’est pas sans existence visuelle » (1999 : 175).
Pour un aperçu historique des études comparatives en psychologie et
philosophie des modalités sensorielles d’ordre visuel et tactile, voir J.
Lupien (2000).
23. « Pour identifier la forme de l’autre corps, la vue apprécierait la
zone de contact entre la lumière (l’actant source de la vision) et les
obstacles matériels qui occupent le champ (les actants de contrôle de
la vision) », précise J. Fontanille (1999 : 43). Les modes de manifestation
de cette zone de contact – ou de conflit puisque la lumière traverse ou
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ne traverse pas l’obstacle – ont été étudiés dans Sémiotique du visible
(1995). À côté des lumières informant éclat, éclairage et chromatisme,
retenons la description sémiotique d’une lumière-matière et d’effets de
sens-matière décrits comme la manifestation d’un actant « rayonnement »
et d’une forme d’occupation de l’espace inaugurant le mode tactile
d’appréhension du monde (Fontanille, 1995 : 34-37).
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PROTÉE • volume
36 numéro 3