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Les sciences cognitives et l'enseignement

2012

Les decouvertes effectuees par les sciences cognitives dans les quatre dernieres decennies fournissent de precieuses informations sur la facon dont l’etre humain traite l’information. Les travaux comparant le fonctionnement du psychisme humain a celui de l’ordinateur, ainsi que les recherches plus recentes faites aupres d’experts et de novices, ont permis d’identifier comment l’humain interprete, encode et emmagasine l’information provenant de l’environnement. Ces travaux ont egalement pu mettre en evidence le role central joue par la memoire dans le processus d’apprentissage et les implications pour l’enseignement. Ainsi, les chercheurs ont pu etablir que l’architecture cognitive se compose de trois grandes voies memorielles, soit la memoire sensorielle, la memoire a long terme et la memoire de travail, a travers desquelles transite l’information qui est traitee en situation d’apprentissage. Aborde sous l’angle cognitif, le processus d’apprentissage comporte trois phases distinctes...

View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk brought to you by CORE provided by R-libre Les sciences cognitives et l’enseignement1 par Mario Richard et Steve Bissonnette2 CONTENU RÉSUMÉ  .....................................................................................................................................................  2   INTRODUCTION  ......................................................................................................................................  3   1.  L’apport  des  sciences  cognitives  ..................................................................................................  4   2.  L’architecture  cognitive  ..................................................................................................................  8     2.1  La  mémoire  sensorielle  ........................................................................................................................  8     2.2  La  mémoire  à  long  terme  .....................................................................................................................  9     2.3  La  mémoire  de  travail  ou  mémoire  à  court  terme  ................................................................  12   3.  L’approche  cognitive  de  l’apprentissage  ...............................................................................  13     3.1  Un  modèle  du  développement  des  compétences  et  de  l’expertise  .................................  14     3.2  La  théorie  de  la  charge  cognitive  ..................................................................................................  15     3.3  La  construction  de  la  représentation  ..........................................................................................  18     3.4  La  phase  d’acquisition  .......................................................................................................................  21     3.5  La  phase  de  rétention  ........................................................................................................................  28     3.6  La  phase  de  transfert  .........................................................................................................................  32   4.  Le  développement  de  la  métacognition  .................................................................................  38   CONCLUSION  .........................................................................................................................................  43   QUESTIONS  ...........................................................................................................................................  45   BIBLIOGRAPHIE  ..................................................................................................................................  48   1 Les auteurs tiennent à remercier Madame Béatrice Pudelko, professeure-chercheure en technologie éducative à la TÉLUQ, pour les précieux conseils et l’aide apportés lors de la révision de ce chapitre. 2 Ce texte a été publié dans Gauthier, Clermont et Tardif, Maurice (2012). La pédagogie. Théories et pratiques de l’Antiquité à nos jours (3e édition). Montréal, Gaëtan Morin éditeur, chapitre 16, p. 237-255. 2 RÉSUMÉ Les découvertes effectuées par les sciences cognitives dans les quatre dernières décennies fournissent de précieuses informations sur la façon dont l’être humain traite l’information. Les travaux comparant le fonctionnement du psychisme humain à celui de l’ordinateur, ainsi que les recherches plus récentes faites auprès d’experts et de novices, ont permis d’identifier comment l’humain interprète, encode et emmagasine l’information provenant de l’environnement. Ces travaux ont également pu mettre en évidence le rôle central joué par la mémoire dans le processus d’apprentissage et les implications pour l’enseignement. Ainsi, les chercheurs ont pu établir que l’architecture cognitive se compose de trois grandes voies mémorielles, soit la mémoire sensorielle, la mémoire à long terme et la mémoire de travail, à travers desquelles transite l’information qui est traitée en situation d’apprentissage. Abordé sous l’angle cognitif, le processus d’apprentissage comporte trois phases distinctes, mais interdépendantes : l’acquisition, la rétention, le transfert, auxquelles s’ajoute le développement de la métacognition. L’identification et l’appropriation des éléments essentiels qui composent chacune des phases du processus d’apprentissage permet de mettre en lumière différentes interventions pédagogiques pouvant être mises en place par l’enseignant, afin d’aider les élèves à comprendre, retenir et transférer ce qui ils ont appris. Dans cette perspective, les chercheurs en sciences cognitives s’entendent pour recommander une démarche procédant du simple vers le complexe s’appuyant sur un enseignement explicite pour faciliter l’apprentissage et le développement des compétences chez les élèves. 3 INTRODUCTION Tout professionnel, afin d’intervenir efficacement, a besoin d’un modèle auquel il peut se référer. L’enseignement ne fait pas exception à cette règle. Ainsi, de la même façon dont le médecin s’appuie sur sa connaissance du fonctionnement du corps humain pour diagnostiquer et traiter ses patients, l’enseignant ne peut que bénéficier d’une meilleure compréhension du fonctionnement de la cognition, qui englobe le processus d’apprentissage, pour planifier et ajuster ses interventions pédagogiques. Les découvertes en sciences cognitives, appliquées et validées en salle de classe, peuvent guider l’intervention éducative, comme le fait la biologie avec la pratique médicale, par exemple. Sans prétendre réduire l’enseignement au cognitivisme, les recherches des quatre dernières décennies dans ce domaine fournissent des données inestimables sur le traitement de l’information, ainsi que sur ses incidences sur le fonctionnement de la mémoire et l’apprentissage. En nous permettant de mieux comprendre comment la pensée humaine se structure, les sciences cognitives peuvent contribuer grandement à améliorer l’acte d’enseigner et, par conséquent, l’apprentissage des élèves. Nous amorçons d’abord ce chapitre en situant l’apport des sciences cognitives et en présentant brièvement comment elles se sont développées. Nous présentons et explicitons ensuite l’architecture cognitive et la fonction des trois types de mémoire qui la compose. Puis, prenant appui sur cette architecture, nous présentons la façon dont les sciences cognitives abordent le processus d’apprentissage en insistant particulièrement sur deux théories de la cognition qui sont déterminantes pour l’enseignement, celles de John Anderson et de John Sweller. Dans la section 4 suivante, nous établissons ensuite les liens entre ces deux théories et la construction de la représentation, qui constitue la pierre angulaire du processus d’apprentissage. Puis, nous traitons des trois principales phases de l’acte d’apprendre : l’acquisition, la rétention et le transfert. Nous abordons après le thème de la métacognition, pour mettre en lumière comment ce processus peut faciliter le traitement de l’information, tant dans son volet cognitif qu’affectif. Tout au long de cette démarche, nous nous proposons également d’identifier, en fonction de chacune des phases, les différentes implications pédagogiques qui en découlent. Enfin, nous concluons ce chapitre en mettant l’accent sur la contribution importante qu’apportent les recherches en sciences cognitives au monde de l’éducation. 1. L’apport des sciences cognitives La psychologie cognitive s’intéresse au détail des activités mentales d’un individu qui lui permettent d’organiser ses pensées et ses actions. Pour ce faire, elle utilise des méthodes empiriques diversifiées qui permettent d’inférer les activités mentales à partir des comportements et des verbalisations réalisés par des sujets engagés dans des tâches diverses. Ainsi, l’étude pionnière du paradigme computationnel en psychologie de Newell et Simon (1972) comporte pas moins de 200 pages décrivant les verbalisations des sujets engagés dans la résolution de problèmes ! Les modèles des activités mentales qui sont ainsi élaborés peuvent ensuite être simulées par des modèles de traitement de l’information, implémentés sur l’ordinateur. La première période de la psychologie cognitive – le cognitivisme « classique », qui date de 1956 – a mis l’accent sur le caractère séquentiel du traitement de l’information et a démontré l’existence d’un « goulot d’étranglement » constitué par la capacité limitée de traitement de 5 l’information en raison des contraintes imposées par son système cognitif. Les recherches de Bruner, Goodnov et Austin (1956) sur l’acquisition des concepts ont été parmi les premières à démontrer que les humains élaboraient des stratégies diverses pour parvenir à leur fins malgré, ou grâce à, cette « tension cognitive », occasionnée par les limites de traitement de son système cognitif. La résolution de problèmes a constitué le terrain privilégié pour étudier les stratégies cognitives. Un problème peut être défini en termes d’écart existant entre un état initial et un état désiré, et pour lequel il n’existe pas de solution connue ni de procédure immédiatement applicable. Les travaux de Newell et Simon (1972) sur les stratégies de résolution de problèmes dans plusieurs domaines, comme les échecs, les mathématiques, le tic-tac-toe, etc. ont permis de mettre en évidence plusieurs types de stratégies largement utilisées par individus novices, dont celle dite « l’analyse moyens-fins ». Ces travaux les ont amenés à proposer de concevoir la pensée humaine comme un « système général de résolution de problèmes». De là, les cognitivistes se sont mis à étudier des problèmes et des tâches de plus en plus complexes. Même si jouer aux échecs ou résoudre des puzzles nécessite la maîtrise de certaines règles, ces tâches font uniquement appel à une quantité restreinte de connaissances, qui demeurent très spécifiques. Plus les cognitivistes raffinaient leurs méthodes, plus ils s’attaquaient à l’étude de domaines de recherche riches en contenu. Ils se sont ensuite lancés dans l’analyse des situations de résolution de problèmes rencontrées par les physiciens, les mathématiciens, ou les médecins dans l’établissement d’un diagnostic, par exemple. Ils ont commencé à étudier la lecture et l’écriture, ainsi que le rôle de ces processus dans l’acquisition des connaissances générales. Le prolongement des recherches dans ces domaines leur a alors permis de comparer les performances d’experts et de novices à l’intérieur des matières scolaires. 6 La recherche en sciences cognitives est ensuite passée de protocoles établissant de simples comparaisons entre novices et experts à l’analyse du processus par lequel les novices deviennent des experts. Ces études visaient à comprendre comment, avec le temps et la pratique, se développe l’expertise dans un domaine donné. Elles ont donné lieu à la constitution de modèles permettant d’établir les étapes de progression de la novicité vers l’expertise. Si on considère l’acte d’apprendre comme la voie par laquelle les novices deviennent des experts, ces modèles venaient ainsi tracer la route du processus d’apprentissage dans différents domaines. En identifiant, au départ, les processus qu’un individu utilise en situation de résolution de problèmes dans un domaine donné, et en les comparant avec les processus que ce même individu arrivera à construire en s’exerçant à résoudre de nouveaux problèmes, il devient dès lors possible de mesurer et de décrire l’apprentissage qui a été réalisé. De même, l’apprentissage peut ainsi être étudié en retraçant les changements effectués dans les processus mentaux des élèves au fur et à mesure qu’ils progressent dans le développement de leurs compétences. Grâce à une connaissance détaillée de ces processus, on peut parvenir à mieux saisir comment l’acte d’apprendre s’effectue. Vers le milieu des années 70, les cognitivistes étudiaient le développement des compétences dans les tâches scolaires à travers les différents niveaux, du préscolaire à l’université. Au début des années 80, la révolution cognitive amorcée en 1956 avait généré une nouvelle théorie de l’apprentissage. Les sciences cognitives postulent que l’homme et l’ordinateur peuvent être considérés comme des systèmes ouverts qui ont la possibilité de communiquer avec l’environnement. L’un et l’autre traitent l’information venant de l’extérieur et se régulent en fonction d’elle. Tous deux manipulent des symboles en leur appliquant des algorithmes de calcul. 7 Or, traiter de l’information, c’est manipuler des symboles. Le cerveau et l’ordinateur sont composés de modules qui assurent l’encodage (soit la transformation des inputs en symboles) et le stockage de l’information, avant de produire une réponse. Pour le cognitivisme, tout système intelligent (humain ou artificiel) possède des représentations symboliques de l’état du monde, qui constituent les significations sur la base desquelles s’opère le traitement, c’est-à-dire la pensée. S’inspirant du fonctionnement de l’ordinateur, les recherches en psychologie cognitive étudient comment l’être humain recueille, encode, interprète, modifie et emmagasine l’information provenant de l’environnement, et de quelle façon il en tient compte pour prendre des décisions. Il existe plusieurs théories cognitives relatives à l’apprentissage. Elles partagent le postulat fondamental selon lequel la pensée est un système de traitement de l’information et accordent un statut central aux informations que les humains se représentent, aux processus qu’ils utilisent pour traiter ces informations et aux limites du système cognitif qui contraignent la quantité d’information qu’ils peuvent représenter et traiter en réalisant une tâche donnée. Elles définissent l’apprentissage comme un ensemble des processus permettant d’acquérir de nouvelles connaissances ou de transformer les connaissances existantes. Ces théories partagent également une vision commune, des caractéristiques structurales du système de traitement de l’information, c’est-à-dire de ce qu’on nomme « architecture cognitive ». Dans la section portant sur l’approche cognitive de l’apprentissage, compte tenu de leur importance pour l’enseignement, nous nous attarderons particulièrement à deux de ces théories : le modèle du développement des compétences et de l’expertise de John Anderson et la théorie de la charge cognitive de John Sweller. 8 Cependant, avant d’aller plus loin, il est nécessaire d’introduire la conception de l’architecture du système cognitif humain élaborée en psychologie cognitive, dans laquelle la mémoire joue un rôle clé. Dans la perspective cognitive, l’apprentissage est intrinsèquement lié à la fonction mémorielle au sens large, responsable de la construction, de l’organisation, de l’encodage et de la récupération des connaissances. 2. L’architecture cognitive L’existence de trois types de systèmes ou « registres » mémoriels est aujourd’hui largement admise. Il s’agit de la mémoire sensorielle, de la mémoire à court terme, appelée maintenant mémoire de travail et de la mémoire à long terme. Ces registres mémoriels permettent de préserver l’information pour une réutilisation ultérieure et ils interviennent dans l’apprentissage de manière différenciée. 2.1 La mémoire sensorielle L’être humain possède la capacité particulière de retenir brièvement une part relativement importante des informations qu’il perçoit. Les résultats de l’expérience réalisée par Sperling en 1960, largement confirmés depuis, ont démontré que les informations présentées de façon visuelle sont enregistrées pendant une vingtième de seconde sous forme d’une copie littérale du stimulus original, mais que cette « icône » s’estompe en un tiers de seconde, puis disparaît après une seconde. Outre la mémoire sensorielle iconique, traitant les informations visuelles, d’autres mémoires sensorielles ont été distinguées selon le type de l’information sensorielle. La mémoire échoïque, par exemple, enregistre et maintient les stimuli auditifs pendant une durée de 2 à 4 9 secondes. Les mémoires sensorielles prolongent en quelque sorte le stimulus initial afin de rendre possible son traitement ultérieur dans la mémoire de travail. 2.2 La mémoire à long terme La mémoire à long terme est un réservoir illimité de savoirs se divisant en deux structures distinctes, mais complémentaires : la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. La mémoire épisodique contient des connaissances spécifiques à chaque individu : des souvenirs ; c’est une mémoire autobiographique. Parce qu’elle renferme des informations reliées aux situations, aux évènements et aux épisodes de vie de l’individu, elle est fortement contextualisée. C’est une voie mémorielle qui retient l'endroit où s'effectue un apprentissage, le moment où il se déroule et les personnes ou les circonstances l’entourant. Notre mémoire épisodique possède une capacité de rétention illimitée, est mise à jour régulièrement et ne demande aucun entraînement, car elle est directement reliée à notre vécu. Pour sa part, la mémoire sémantique est une mémoire conceptuelle. Elle comprend des connaissances d’ordre général comme des concepts, des principes et des règles, ainsi que des images mentales et des plans d’actions, qui ont tous une portée générale. La mémoire sémantique gère l'information présentée sous forme de mots. Elle constitue notre mémoire linguistique et effectue la rétention de tous les concepts, les faits et les connaissances générales que nous possédons. La majorité des apprentissages scolaires sollicite cette mémoire. La mémoire sémantique possède une capacité de rétention illimitée, mais l’intégration des connaissances déclaratives s'effectue difficilement car, comme elle se nourrit de mots, cette voie mémorielle est tributaire des associations, des comparaisons et des similitudes qui doivent être établies avec les 10 acquis antérieurs. Cette mémoire contient des connaissances qui sont de type déclaratif ou procédural-conditionnel. Les connaissances déclaratives se rapportent aux choses, aux faits, aux concepts, aux images mentales et nous servent pour décrire le monde qui nous entoure. Elles sont considérées comme des connaissances inertes parce qu’elles doivent être associées aux connaissances procédurales pour être utilisées lorsque nous agissons. De leur côté, les connaissances procéduralesconditionnelles sont liées à l’action ou aux séquences d’actions. Ces connaissances concernent les comment, quand, où et pourquoi faire. Lorsqu'un apprentissage nécessite une série d'actions ou de gestes consécutifs à poser, une séquence de procédures se crée. Les connaissances procédurales se traduisent concrètement en actions et en comportements. Les différents types de connaissances sont emmagasinés ou stockés dans la mémoire à long terme selon deux modes d’organisation : le réseau sémantique ou le schéma (Noiseux, 1997). Le réseau sémantique représente les liens, associations et relations qui peuvent exister entre les significations des mots ou des concepts. Ainsi, la simple évocation du mot bateau peut faire surgir de la mémoire à long terme une série de concepts qui lui sont associés comme : bâbord, tribord, proue, poupe, bateau à voile, à moteur, etc. Ces différents concepts sont interreliés les uns aux autres à la manière des mailles d’un filet de pêche. Dans la mémoire à long terme, tout nouveau savoir vient se lier par maillage en association avec les connaissances antérieures. Le schéma constitue le second mode d’organisation d’une multitude de données dans la mémoire à long terme. Il s’agit de représentations génériques de personnes, d’objets, d’évènements, de situations et de comportements. Le rappel du mot MacDonald’s, par exemple, signifie 11 restauration rapide, aucun service aux tables, payer immédiatement à la caisse, sièges peu confortables, etc. Le schéma peut être considéré comme une structure opératoire qui regroupe des connaissances particulières pour percevoir, comprendre, mémoriser, effectuer certaines activités intellectuelles et entreprendre des actions. Le schéma est donc une structure générale et abstraite qui regroupe des sous-schémas qui nous aident à organiser nos connaissances par rapport à une situation donnée, à des phénomènes, des évènements, des objets et même des personnes. Fait important, les schémas constituent des blocs de connaissances récupérés en mémoire comme des totalités autonomes par rapport aux autres connaissances. Les différentes connaissances sont ainsi organisées dans la mémoire à long terme par processus associatifs et le rappel d’un élément quelconque active les autres éléments qui lui sont rattachés. Pour cette raison, un fait remémoré peut réactiver une foule d’autres éléments et des pans complets de la mémoire peuvent alors resurgir dans le champ de la conscience. L’apprentissage de connaissances nouvelles entraîne l’interconnexion avec les connaissances antérieures, afin qu’elles soient emmagasinées pour éventuellement faire l’objet d’un rappel de la mémoire à long terme. En terminant, on peut donc dire que les voies mémorielles sémantiques et épisodiques, de concert avec la mémoire de travail, sont directement impliquées dans l’obtention de la qualité de la compréhension, qui constitue un ingrédient clé pour qu’un apprentissage soit intégré dans la mémoire à long terme. Les mémoires sémantique et épisodique nécessitent un travail obligatoire avec la mémoire à court terme, aussi appelée mémoire de travail, pour le rappel d'un apprentissage qu’elles ont stocké. 12 2.3 La mémoire de travail ou mémoire à court terme L’étiquette «court terme» fait référence à la durée pendant laquelle nous pouvons retenir des informations dans notre tête, habituellement de 5 à 20 secondes, avant de les oublier ou de les transférer dans notre mémoire à long terme. Pour sa part, le terme mémoire de travail se rapporte au nombre d’unités d’information avec lequel nous pouvons travailler simultanément, qui est de sept pour l’adulte moyen, avec un écart variant de plus ou moins deux. On peut établir une analogie avec la fonction «sauvegarder» en informatique qui permet de transférer les données apparaissant sur l’écran d’un ordinateur de la mémoire vive (la mémoire de travail) à la mémoire morte (la mémoire à long terme), située sur le disque dur, en vue de la conserver à long terme. À défaut pour l’utilisateur de donner cette commande, l’information apparaissant à l’écran disparaîtra au même titre que, lorsque dans une réunion mondaine, on n’arrive pas à se rappeler le nom d’une nouvelle personne à qui nous venons juste d’être présenté, faute d’avoir eu le temps de placer cette information dans notre mémoire à long terme. La mémoire à court terme ou mémoire de travail comporte ainsi deux limites importantes : d’une part, la durée de disponibilité de l’information et, d’autre part, le nombre d’unités d’information qu’elle peut contenir. Cependant, une unité d’information peut représenter une syllabe, un mot, un paragraphe, un concept ou encore un réseau de concepts. Cela dépend de la structuration des connaissances, c’est-à-dire de la façon dont elles sont organisées en mémoire, ce que les cognitivistes appellent des «chunks». Ainsi, nous pouvons retenir un numéro de téléphone de 7 chiffres : 835 0386 ; mais nous pouvons également mémoriser 7 nombres : 24-32-46-58-60-7284, donc 14 chiffres. L’information ainsi organisée représente 7 unités ou «chunks» d’information. On peut dès lors constater l’utilité de disposer d’une bonne organisation des connaissances. 13 La mémoire de travail constitue l’interface avec laquelle nous pouvons donner du sens aux stimuli nous provenant de l’environnement, à partir du bagage de connaissances accumulées dans notre mémoire à long terme. Ceci a amené les chercheurs en psychologie cognitive à affirmer que l’on apprend en faisant des liens avec ce que nous connaissons déjà. 3. L’approche cognitive de l’apprentissage Dans la perspective cognitive contemporaine, le système cognitif humain est conçu comme un système adaptatif : c’est un système spécialisé qui a évolué afin de permettre à l’espèce humaine une meilleure adaptation à son environnement, et qui, en même temps, a contribué à transformer cet environnement naturel en environnement culturel. Cette faculté d’adaptation passe en très grande partie par la capacité d’apprendre de nouvelles connaissances, dès la naissance (ou même avant) jusqu’à la vieillesse. Deux aptitudes semblent spécifiques à l’homme, le distinguant de ses cousins primates : la première est la propension à enseigner et la seconde est la capacité à apprendre à partir de ces enseignements (Tomasello et al., 2005). En effet, dans toutes les cultures, les adultes enseignent aux jeunes les traditions et les découvertes qu’eux et leurs ancêtres ont faites dans le passé. Cet enseignement permet à la nouvelle génération de ne pas avoir à « tout recommencer » et assure le caractère cumulatif des apprentissages réalisés par les générations successives. Cette capacité d’apprentissage social très sophistiquée est également cruciale pour permettre à l’être humain de faire face à des changements culturels parfois rapides, puisque une transmission rapide des connaissances peut être faite au sein d’un groupe donné. En éducation, deux théories sont aujourd’hui particulièrement influentes car elles permettent de proposer un cadre explicatif et prédictif en ce qui concerne l’apprentissage et le développement 14 des compétences. Il s’agit de la théorie de l’expertise et de la théorie de la charge cognitive, que nous allons présenter brièvement dans les deux sections suivantes. 3.1 Un modèle du développement des compétences et de l’expertise Les recherches qui ont permis de développer les théories sur l’expertise se sont concentrées à décrire principalement les caractéristiques de l’état final d’un processus d’apprentissage particulièrement long. En effet, le développement de l'expertise est continu et cumulatif, et, en ce sens, il dépend fortement de la pratique dans un domaine. Les résultats de nombreuses études convergent pour indiquer qu’il faut en moyenne dix ans de pratique pour devenir expert dans un domaine (Ericsson et al., 1993). Fruit d’une accumulation d’expériences, l’expertise constitue donc une caractéristique de l'âge adulte, même si on peut également rencontrer des enfants experts dans les domaines circonscrits, comme le jeu d’échecs. Ces enfants démontrent les mêmes caractéristiques des compétences expertes que celles décrites chez les adultes. Les travaux réalisés en psychologie cognitive, plus précisément ceux de John Anderson (1983, 1993, 1995, 1997), ont décrit et simulé les principes sous-tendant l'apprentissage afin de montrer comment un novice dans un domaine devient un jour un expert dans ce même domaine. Ces travaux ont montré qu’une compétence se développe à travers trois phases distinctes : la phase cognitive, la phase associative et la phase autonome. Au départ, une compétence se développe par l’acquisition, la compréhension et la maîtrise d’un ensemble de connaissances reliées à un domaine précis. C’est la phase cognitive. Ensuite, au cours de la phase associative, ces connaissances sont utilisées et pratiquées dans un ou plusieurs contextes d’action. Finalement, la phase autonome est atteinte lorsqu’il y a une automatisation des savoirs de base reliés au dit 15 domaine. L’automatisation des savoirs de base permet à l’individu de libérer sa mémoire de travail, afin qu’il puisse se consacrer aux aspects plus complexes de la tâche. Par conséquent, apprendre revient à intégrer des connaissances nouvelles en mémoire, plus précisément dans la mémoire à long terme, connaissances qui serviront à la résolution de nouveaux problèmes. Ainsi, l’apprentissage s’effectue lorsqu’il y a un changement de comportement persistant chez l’individu, c’est-à-dire quand ce qui a été appris s’est intégré aux schèmes mémoriels de ce dernier. Les structures mémorielles à court terme et à long terme sont donc fortement sollicitées dans la phase d’acquisition ou phase cognitive de l’apprentissage. Cette phase constitue une quête de sens ou une recherche de compréhension. Elle implique la construction d’une représentation adéquate de la tâche à accomplir, suivie d’une série de traitements effectués sur cette représentation en vue de réaliser ladite tâche. Puisque cette phase représente le point de départ de tout le processus d’apprentissage, dans la section suivante, nous présenterons la théorie de la charge cognitive de John Sweller, ce qui nous permettra de mettre en évidence les implications pédagogiques des limites de la mémoire de travail sur la construction de la représentation. 3.2 La théorie de la charge cognitive La théorie de la charge cognitive (TCC) constitue un des développements théoriques récents les plus marquants dans le domaine des théories de l’apprentissage (Chanquoy, Tricot et Sweller, 2007; Kirschner, Kester et Corbalan, 2011). Le point de départ de cette théorie a été la recherche de Sweller (1988) qui montrait que certaines formes de résolution de problèmes peuvent interférer avec le processus de construction des schémas, au point d’empêcher l’apprentissage. Les travaux de Sweller ont montré que les activités habituelles de résolution de problèmes 16 peuvent conduire à la solution du problème, mais pas à l’acquisition des schémas. C’est donc dire que bien que l’apprenant ait résolu le problème qui lui a été soumis, il n’a pas retenu la solution qui lui a permis d’y arriver. Considérant les capacités limitées de la mémoire de travail, Sweller et al. proposent d’interpréter ce résultat en termes du dépassement des ressources disponibles, autrement dit, en termes de surcharge cognitive. En effet, la complexité des traitements qui est nécessaire pour analyser et réaliser une tâche dans un domaine nouveau fait en sorte qu’il ne reste plus d’espace disponible en mémoire pour retenir les connaissances qui ont été utilisées dans ce domaine. Les recherches de Sweller entraînent deux implications pédagogiques immédiates. Premièrement, proposer à une personne d’apprendre de nouvelles connaissances au moyen de la résolution d’un problème pour lequel elle ne dispose d’aucune connaissance préalable pertinente constitue une méthode d’enseignement inefficace. Deuxièmement, si la résolution de problèmes ne constitue pas une situation permettant d’acquérir des connaissances sous forme de schémas, alors quel type de situation le permet-il ? La question est importante, puisqu’elle remet en cause la conception dominante selon laquelle « les schémas s’acquièrent par l’action : plus le débutant va rencontrer et tenter de résoudre un grand nombre de problèmes, plus il va apprendre et plus il pourra élaborer des schémas en mémoire » (Chanquoy et al. 2000, p. 132). La théorie de la charge cognitive a été élaborée afin d’apporter des réponses à cette question dont l’importance pour l’enseignement est fondamentale. Comme nous venons de le mentionner, la TCC s’appuie largement sur les résultats des recherches sur le développement de l’expertise, puisqu’elle postule que l’organisation des connaissances en mémoire à long terme sous forme de schémas constitue une caractéristique fondamentale distinguant les experts des novices. Mais, de 17 façon quelque peu différente de la théorie de l’expertise, elle s’intéresse principalement au rôle de la mémoire de travail dans l’acquisition et l’utilisation des schémas. Par exemple, elle propose de répondre à la question « à quoi servent les schémas ? ». L’hypothèse principale de la TCC est que les schémas servent, d’une part, à organiser la très grande quantité des connaissances en mémoire à long terme et, d’autre part, à rendre possible la réalisation de tâches complexes, et ce, malgré les limitations de la mémoire de travail. On se souvient que le but des traitements de l’information en mémoire de travail est de guider l’action dans un environnement complexe. La TCC propose que plus grandes sont la quantité et la complexité des informations organisées qui peuvent être transférées de la mémoire à long terme à la mémoire de travail, plus importante est la complexité des situations qu’il est possible de traiter. Ainsi, sans avoir la possibilité d’activer des schémas pertinents en mémoire de travail pour répondre aux exigences de la tâche, un expert n’est plus un expert, et doit recourir aux stratégies générales de résolution de problèmes, de la même façon qu’un novice (Clark, Nguyen et Sweller, 2006.) Le rôle principal des schémas est donc de permettre à un individu de dépasser les limites de sa mémoire de travail. L’efficacité des schémas à remplir ce rôle va dépendre de leur degré d’automatisation, puisque, comme nous l’avons vu précédemment avec le modèle du développement des compétences de John Anderson, chaque schéma automatisé permet de libérer des ressources cognitives pour l’acquisition de nouveau schémas. Ainsi, la théorie de la charge cognitive postule qu’il existe deux processus qui ont pour fonction principale de permettre à la mémoire de travail aux capacités limitées de traiter de grands ensembles d’informations et de favoriser l’apprentissage (Chanquoy et al., 2007). Il s’agit, premièrement, de l’acquisition des schémas et, deuxièmement, de l’automatisation de ces 18 schémas. En effet, de façon similaire au modèle du développement des compétences de John Anderson, la TCC souligne l’importance de l’automatisation, qui permet progressivement à l’individu de réaliser des tâches de plus en complexes sans dépasser la capacité de sa mémoire de travail, puisque les schémas qu’il acquiert permettent de traiter un très grand nombre d’informations comme s’il s’agissait d’une seule unité signifiante, soit un chunk. (Paas, Renkl et Sweller, 2003 ; Clark, Nguyen et Sweller, 2006). Étant donné que les novices n’ont pas encore développé les schémas qui permettent aux experts de résoudre des problèmes complexes, ils ont besoin de l’enseignant pour structurer les apprentissages de la simplicité vers la complexité, de façon à leur fournir un substitut aux schémas qui leur manquent (Clark, Nguyen et Sweller, 2006). Comme le présente le modèle d’Anderson, ceci permet alors de libérer de l’espace dans leur mémoire de travail pour rendre l’apprentissage possible. À défaut de le faire, les novices se construiront une représentation inadéquate des apprentissages à réaliser, ce qui les conduira à intégrer des connaissances erronées dans leur mémoire à long terme. Compte tenu de son importance déterminante dans le processus d’apprentissage, dans la section suivante, nous nous attarderons particulièrement à la construction de la représentation qui s’opère dans la mémoire à court terme, pour terminer en montrant comment un enseignement explicite peut favoriser le développement optimal des compétences, de la phase cognitive jusqu’à la phase autonome. 3.3 La construction de la représentation La majeure partie de ce que l’humain sait a nécessairement été appris. Tout résultat de quelque apprentissage que ce soit est consigné dans la mémoire à long terme, selon des degrés divers de disponibilité et d’accessibilité. C’est ce que les cognitivistes nomment les acquis antérieurs ou le 19 bagage de connaissances. C’est en fonction de nos acquis antérieurs, consignés en mémoire long terme, que nous appréhendons les données fournies par l’environnement, que nous en fabriquons le sens. Les stimuli provenant de l’environnement ne pouvant être placés directement dans notre tête, nous devons nous les approprier symboliquement en les interprétant à partir de nos acquis pour les comprendre. Cette construction symbolique générée dans la mémoire de travail se nomme représentation. Les représentations peuvent être conceptuelles, par exemple le sens des mots ou les relations entre les concepts ; elles peuvent aussi être imagées et correspondre à un objet ou à une scène, ou être liées à l’action : exécution de procédures, d’activités motrices, de règles de jeux. Nos représentations constituent l’interface entre l’environnement et nos acquis antérieurs. Nous appréhendons ainsi la vie, chaque événement, chaque situation, chaque tâche à réaliser par l’entremise de nos acquis antérieurs, en fonction du sens que nous leur attribuons. Ces acquis consignés en mémoire constituent la structure à partir de laquelle nous nous engageons dans toute activité d’apprentissage. Par conséquent, ceci nous permet d’affirmer que l’apprenant ne travaille jamais sur les tâches qu’on lui soumet en salle de classe, mais plutôt sur le sens qu’il leur donne, sur ce qu’il en comprend, à partir de quoi il a élaboré sa représentation. 20 La figure 13, nous permet d’illustrer le processus de construction de la représentation. Lorsqu’on présente à l’élève une tâche à réaliser par le biais de consignes pédagogiques (stimulus), les informations transmises à ce dernier sont captées par ses canaux sensoriels (les sens) qui ont pour mission d’acheminer les différents stimuli au cerveau afin d’y être perçus, identifiés et reconnus. Au moment où ces informations parviennent au cerveau, celui-ci va puiser dans sa mémoire où sont stockés des savoirs, savoir-faire et savoir-être, à partir desquels il pourra effectuer le décodage afin de leur donner un sens. Une fois le sens attribué aux informations reçues, l’élève se construit une représentation de la tâche à effectuer. Dès lors, il ne travaille plus sur ce qui lui a été 3 Cette figure est tirée du cours du professeur Mario Richard EDU 6510 L’enseignement efficace : fondements et pratiques offert par la TÉLUQ. 21 demandé, mais uniquement sur la représentation de la tâche qu’il s’est construit en fonction de ses acquis antérieurs. 3.4 La phase d’acquisition La phase d’acquisition représente essentiellement le parcours qu’emprunte toute information depuis sa perception par la mémoire sensorielle jusqu’à sa compréhension, ou sa représentation en mémoire à court terme. Une série de traitements sera effectuée sur cette représentation en vue de produire une réponse, ou de réaliser la tâche. Le travail de l’enseignant consiste à planifier, structurer et animer une séquence d’enseignement qui permettra à l’apprenant de percevoir l’information à saisir, de l’analyser en fonction de ses acquis antérieurs, en lui attribuant la signification nécessaire à sa compréhension et à son traitement. Ceci autorisera par la suite le passage de cet apprentissage vers la mémoire à long terme. Ainsi, comprendre la représentation de l’élève nous permet de saisir l’origine de plusieurs problèmes d’apprentissage vécus en salle de classe. En effet, il faut garder en tête que les élèves nous arrivent de la maison avec des connaissances constituées en majeure partie sous un mode d’imprégnation fondé sur la sollicitation sensorielle, l’émotion, la sensibilité et le caractère fluide des informations présentées par les médias. Or, l’école avec son mode d’apprentissage s’appuyant sur l’approfondissement, la mise en ordre et la rigueur, viendra confronter l’élève et le mettre en déséquilibre en créant une rupture avec ses acquis antérieurs. Ce qui peut l’amener, pour se rééquilibrer, à se construire une représentation inadéquate menant à l’élaboration de connaissances erronées qui vont nuire aux apprentissages ultérieurs. 22 De fait, les recherches en psychologie cognitive nous révèlent que les représentations ont un tel pouvoir explicatif spontané qu’elles deviennent durables et résistent très fortement au changement. Elles peuvent même constituer des obstacles majeurs à la compréhension d’une situation d’apprentissage. Il faut donc aborder la représentation comme un système explicatif à comprendre, soit pour détecter l’erreur à éliminer ou l’obstacle à franchir, ou pour prendre appui sur cette base afin de favoriser la compréhension et l’apprentissage chez les élèves. Apprendre, c’est modifier ses représentations jusqu’à ce que l’on comprenne et retienne l’objet d’apprentissage. Pour favoriser la compréhension des apprentissages proposés aux élèves, l’enseignement explicite et correctif, ayant démontré un impact supérieur sur l'apprentissage à celui d’un enseignement non explicite, devient alors l'outil à privilégier (Bissonnette et Richard, 2001 ; Bissonnette, Richard et Gauthier, 2005 ; Bissonnette, Richard, Gauthier & Bouchard, 2010). Les recherches effectuées en sciences cognitives nous permettent maintenant de mieux comprendre pourquoi l’enseignement explicite est supérieur à l’enseignement traditionnel. Puisque apprendre implique de faire des liens entre les connaissances nouvelles et les connaissances antérieures emmagasinées en mémoire à long terme de l’élève, l’enseignant devra, au départ, vérifier si les élèves possèdent les dites connaissances antérieures et, si nécessaire, procéder à leur enseignement préalablement à l’apprentissage de connaissances nouvelles. Comme l’enseignement vise à amener graduellement les élèves à faire face à des situations problèmes de plus en plus complexes, l‘enseignant devra ensuite s'efforcer de rendre explicites tout concept, lien, raisonnement, toute stratégie, procédure ou démarche nécessaires à l'accomplissement de la tâche. On a longtemps cru que, parce qu’il fait appel à l’abstraction, le 23 processus de réflexion ne pouvait être démontré explicitement. L'enseignant qui met un hautparleur sur sa pensée en expliquant oralement aux élèves les liens qu’il effectue pour comprendre, les questions qu’il se pose face à une tâche et les stratégies qu’il sollicite pour la réaliser utilise une démarche que l'on peut qualifier d'explicite. En enseignement explicite, l’enseignant modèlera au départ, devant les élèves, ce qu'il faut faire, pour ensuite les accompagner en pratique dirigée afin qu'ils s‘exercent à leur tour, de façon à ce qu'ils soient capables, en bout de course, d‘accomplir la tâche seuls en pratique autonome. Le questionnement, ainsi que la rétroaction ou l‘échange de feedbacks devront être constants tout au long de la démarche, pour s'assurer que les actions effectuées par les élèves seront adéquates. 24 Alors que l’enseignement magistral est axé sur la transmission du contenu, l’enseignement explicite porte principalement sur la compréhension de la matière et son maintien en mémoire. L’enseignement explicite, qui se situe dans le temps 2 de l’apprentissage, après la mise en situation ou la préparation à l’apprentissage (temps 1), se divise en trois étapes subséquentes : le modeling ou modelage, la pratique guidée ou dirigée et la pratique autonome ou indépendante (voir figure 2). C’est dans la deuxième étape de sa démarche, soit la pratique guidée, que l’enseignement explicite se distingue fondamentalement de l’enseignement traditionnel. Tandis que, souvent, la pédagogie traditionnelle ne permettra aux élèves de vérifier s’ils ont compris la matière qu’au moment de la correction, à la fin de l’exercisation, l’enseignement explicite, dès sa deuxième étape, soit au cours de la pratique guidée, permet à l’enseignant de vérifier et de valider le degré de compréhension des élèves. C’est d’ailleurs uniquement par une telle démarche de validation que l’enseignant peut s’assurer que les élèves ne mettront pas en application des apprentissages mal compris pouvant les conduire à développer des connaissances erronées. Au secondaire, les enseignants considérés comme les plus efficaces (ceux qui permettent l'apprentissage) accordent en moyenne 23 minutes sur 50 au modelage et à la pratique guidée avant de proposer aux élèves l’étape de la pratique autonome, tandis que les moins efficaces y consacrent seulement 11 minutes (Gauthier et al., 1999). Ainsi, dès la première étape, soit celle du modelage, l'enseignant s'efforce de mettre en place les moyens nécessaires à l’obtention d’un haut niveau d'attention de la part des élèves. Il se préoccupera ensuite de rendre visible, au moyen du langage, tous les liens à faire entre les nouvelles connaissances et celles apprises antérieurement, tout raisonnement, toute stratégie ou procédure susceptibles de favoriser la compréhension du plus grand nombre. Lors du modelage, 25 l’information est présentée en petites unités dans une séquence allant généralement du simple vers le complexe, afin de respecter les limites de la mémoire de travail. La présentation d’une trop grande quantité d’informations complexifie la compréhension en surchargeant la mémoire de travail de l’élève, ce qui nuit à la construction d’une représentation adéquate des apprentissages à réaliser. C’est au moment de la deuxième étape, soit celle de la pratique guidée, que l'enseignant vérifie la qualité de la compréhension des élèves en leur proposant des tâches semblables à celle qui a été effectuée à l’étape du modelage, et à travers lesquelles il les questionnera de façon à installer une rétroaction régulière. Cette étape est favorisée par le travail d’équipe à l’intérieur duquel les élèves peuvent valider leur compréhension en échangeant des idées entre eux. La pratique guidée permet aux élèves de valider, ajuster, consolider et approfondir leur compréhension de l’apprentissage en cours, afin de faire l’arrimage de ces nouvelles connaissances avec celles qu’ils possèdent déjà en mémoire à long terme. Finalement, l’enseignant ne délaissera la pratique guidée pour la pratique autonome, soit la troisième étape, que lorsqu’il se sera assuré que les élèves auront maîtrisé la matière à 80 p. 100 (Gauthier et al., 1999). La pratique indépendante constitue l'étape finale qui permet à l'élève de parfaire (généralement seul) sa compréhension dans l'action jusqu'à l'obtention d'un niveau de maîtrise de l'apprentissage le plus élevé possible. L’atteinte d’un niveau élevé de maîtrise des connaissances (Mastery Learning) obtenu grâce aux multiples occasions de pratique permet d’améliorer leur organisation en mémoire à long terme en vue d’amener leur automatisation (surapprentissage), facilitant ainsi leur rétention et leur rappel éventuel. 26 Comme le soulignent Gauthier et al. : « la pratique indépendante offre des occasions supplémentaires d'amener les élèves à acquérir une certaine aisance lorsqu'ils mettent en pratique des habiletés. De plus, les élèves doivent obtenir suffisamment de succès dans leur pratique pour en arriver à un sur-apprentissage puis à une automatisation. Rappelons-nous que tout ce que les élèves apprennent est susceptible d'être oublié s'ils n'ont pas l'occasion de pratiquer jusqu'au point de sur-apprentissage. Il s'avère particulièrement important d'atteindre ce point dans le cas de matériel hiérarchisé comme les mathématiques et la lecture à l'élémentaire. Sans surapprentissage jusqu'au point d'automatisation, il y a peu de chance que le matériel soit retenu (Gauthier et al,. 1999, p. 32). » L'enseignement explicite procure donc à l'élève, par le modelage, toute l'aide nécessaire à sa compréhension ; la pratique guidée, pour sa part, lui permet ensuite de construire et de valider sa compréhension dans l’action en lui garantissant l’obtention d’un niveau de succès assez élevé pour pouvoir réussir à travailler seul et adéquatement ; enfin, la pratique indépendante fournit à l’élève suffisamment d'occasions de s’exercer de façon à consolider sa réussite, dans un contexte de sur-apprentissage, favorisant ainsi la rétention en mémoire et le développement de compétences. De plus, puisque apprendre peut être considéré comme la capacité pour l’élève de transformer son système de représentations, pour l’aider à effectuer les apprentissages prévus, il apparaît essentiel pour l’enseignant d’être conscient de ces représentations. Quoiqu’un enseignement explicite favorise la compréhension des connaissances, la seule façon de savoir ce que l’élève a compris de l’objet d’apprentissage, et d’avoir accès à la représentation qu’il s’en est construit, est de passer à travers un processus de questionnement. L’objectif devient alors de vérifier ce que 27 l’élève a compris, afin d’identifier et de déconstruire les connaissances qui sont source d’incompréhension et qui peuvent générer de l’incompétence, de façon à les remplacer par de nouvelles connaissances qui favoriseront le développement de compétences. Ce questionnement incite l’apprenant à aller voir dans sa tête les processus qu’il a utilisés pour élaborer sa représentation. L’élève est alors engagé dans une démarche métacognitive d’intériorisation et d’objectivation de sa représentation. À cette fin, le questionnement s’impose comme l’intervention pédagogique à privilégier pour identifier ce que les élèves ont compris de l’apprentissage réalisé. En posant la question : « Dismoi ce que tu comprends? » plutôt que « As-tu compris? » (l’élève répond habituellement toujours par l’affirmative même si ce n’est pas le cas !) ou « Dis-moi ce que tu ne comprends pas ? » (comment peut-on identifier ce que l’on n’a pas compris ?!), l’enseignant peut s’assurer du niveau de compréhension atteint par l’élève et effectuer les correctifs nécessaires au moment opportun. De fait, pour aider quelqu’un, il faut d'abord comprendre ce qu'il comprend. Comme nous l'avions mentionné précédemment, en situation d’apprentissage, l'élève ne travaille jamais sur la tâche qu’on lui soumet, mais seulement sur la représentation qu'il s'en construit à partir de ses acquis antérieurs. Il importe de se rappeler que tous les stimuli que l’élève reçoit, y compris les consignes pédagogiques de l’enseignant, vont prendre le sens qu’il va leur attribuer à partir de ses acquis personnels consignés en mémoire. Alors que certains attribueront un sens adéquat à ce qu'ils décoderont, d'autres n’y arriveront pas faute de posséder les acquis nécessaires dans leur mémoire. Pire encore, à partir d’une incompréhension de l’objet d’apprentissage, ils risquent de se construire des connaissances erronées. 28 En résumé, l’enseignement explicite se préoccupe, d’une part, d’activer ou de présenter toute information permettant aux élèves de se construire une représentation adéquate de l’apprentissage, c’est-à-dire de faire preuve de compréhension. D’autre part, ce type d’enseignement fournit également les stratégies, procédures ou démarches facilitant les traitements à effectuer sur la représentation, en vue de produire une réponse de qualité. Le questionnement et la rétroaction sont essentiels tout au long de cette démarche d’enseignement, afin de procurer à l’élève le feed-back et l’enseignement correctif dont il peut avoir besoin pour réaliser adéquatement les apprentissages visés. Fait à noter, l’enseignement explicite se veut également un enseignement correctif car il fournit à l’élève une rétroaction régulière, ce qui prévient le développement de connaissances erronées pouvant mener directement à l’échec. 3.5 La phase de rétention Alors que la phase d’acquisition a pour but la compréhension de l’objet d’apprentissage à travers la construction d’une représentation dans la mémoire de travail, la phase de rétention vise la création d’une trace mnésique de cet apprentissage en mémoire à long terme. Ainsi, les savoirs, savoir-être et savoir-faire devant être retenus seront identifiés formellement et mis en liens avec les connaissances antérieures emmagasinées en mémoire à long terme, sous forme de réseaux sémantiques et de schémas. L’identification formelle de connaissances essentielles à retenir permet à la mémoire à long terme de procéder à l’encodage et au stockage de cette information, qui pourra éventuellement être objet de rappel. Trois procédés pédagogiques utilisés par l’enseignant facilitent la création et le maintien d’une trace mnésique prégnante chez l’élève : l’objectivation, la consolidation et le réinvestissement. 29 L’objectivation est une intervention qui permet à l’enseignant d’extraire de la situation d’apprentissage les concepts, les stratégies ou les attitudes qui sont essentiels à retenir. Elle constitue un temps pédagogique favorisant l'intégration des apprentissages en mémoire. L’objectivation s’effectue sur la base d’un questionnement de l'enseignant à l’aide d’une question telle que : «Quel est l’essentiel à retenir ?». Ceci incite les élèves à nommer les éléments essentiels à placer en mémoire à partir de l'activité d'apprentissage qui a été réalisée ; ces éléments essentiels pourront être organisés et consignés sous forme de tableaux, schémas, réseaux conceptuels, etc. Ce questionnement permet aux élèves de mettre en marche une activité métacognitive visant la prise de conscience de ce qui est important à mémoriser. C’est ce processus qui permet à l'élève d'activer particulièrement la mémoire sémantique, ainsi que la mémoire de travail, pour enclencher consciemment et explicitement le processus de rétention d'un apprentissage. À défaut de mettre en branle explicitement, par le biais du langage, une opération métacognitive qui permet l’obtention d’un niveau de compréhension adéquat, la mémoire épisodique de l'élève, qui est branchée sur le contexte d'apprentissage, retiendra en priorité des composantes secondaires telles la coloration affective, ou les séquences d'action réalisées. Or, ceci s’effectuera sans que l'élève ne puisse prendre conscience des éléments conceptuels essentiels à retenir, rendant par conséquent le processus de rappel de la mémoire sémantique (celle qui gère les concepts) quasi inopérant. En effet, comme la prégnance en mémoire des émotions ressenties et des actions posées est beaucoup plus élevée que celle des éléments conceptuels à apprendre, sans objectivation, ces aspects plus «concrets» de l’apprentissage viendront interférer avec les notions à retenir, rendant hasardeux leur stockage en mémoire. 30 Lorsque l'élève sera questionné sur ce qu'il a appris à l'école, il lui sera extrêmement difficile de nommer explicitement le fruit des ses apprentissages, s’il ne les pas conscientisés. Dans une telle situation, il aura tendance à décrire uniquement ce qu'il a fait et aimé, ou pas apprécié. L'élève à qui on ne donne pas la possibilité de prendre conscience de ce qu'il apprend conserve l'impression de n’avoir rien appris. C'est ce qui explique que plusieurs élèves finissent par dire qu’ils n'apprennent rien à l'école. Or, seule l’objectivation leur permet de savoir ce qu'ils ont réellement appris. Fait à noter, comme le souligne Crahay : « rien ne prouve, comme l’affirme les tenants de l’Éducation nouvelle [approches constructivistes], que toute connaissance d’ordre conceptuel doit être enracinée dans le vécu des élèves [mémoire épisodique]….Car les informations stockées dans cette mémoire sont attachées à des circonstances très particulières. Elles n’obtiendront une portée générale qu’au prix d’un travail d’abstraction débouchant sur la construction d’un concept, celui-ci devant ensuite être transféré dans la mémoire sémantique (Crahay, 1999, p. 257) ». L’objectivation s’avère donc l’intervention pédagogique qui permet aux élèves de créer consciemment une trace mnésique des connaissances essentielles à retenir. Cependant, pour maintenir la vitalité des connaissances emmagasinées en mémoire à long terme, une utilisation fréquente ou, à défaut, une réactivation régulière, doit être prévue. Les connaissances qui sont facilement accessibles en mémoire, donc pouvant être mobilisées ou utilisables, sont celles dont on se sert le plus souvent. Bien que certaines connaissances puissent être bien comprises lors de la phase d’acquisition, si elles ne sont pas minimalement sollicitées, leur compréhension s'effrite pour ainsi devenir des souvenirs vagues, flous, imprécis, donc inutilisables sans une réactivation préalable. 31 L’accessibilité des connaissances en mémoire à long terme est largement tributaire des activités de consolidation et de réinvestissement qui doivent être prévues par les enseignants. Les chercheurs en psychologie cognitive nous indiquent que la consolidation des connaissances devrait s’effectuer par l’entremise de révisions périodiques, ainsi que par une planification des apprentissages selon une séquence successive et cumulative, pour assurer leur réinvestissement. Des recherches ont démontré qu’à nombre d’heures équivalent, une répartition des périodes d’étude sur une plus longue période avec une fréquence plus élevée permet d’obtenir une rétention supérieure des apprentissages, comparativement à des périodes d’étude plus longues, mais moins fréquentes (Dempster 1991). Quoique le recours à une démarche d’enseignement explicite, dans la phase d’acquisition, favorise la compréhension des apprentissages, on peut améliorer grandement la phase de rétention en offrant aux élèves des occasions supplémentaires de mettre en pratique ce qu’ils ont appris. Une planification adéquate des apprentissages ne vise pas à ce qu’ils soient réalisés par tous les élèves en même temps. L’acquisition d’une connaissance nouvelle devrait être répartie sur quelques leçons afin de permettre à tous les élèves de réaliser, avec suffisamment de succès, l’étape de la pratique autonome. La pratique autonome devrait se compléter par un réinvestissement des connaissances apprises à l’intérieur des devoirs et des leçons. De plus, une révision des nouvelles connaissances devrait être prévue en classe à une fréquence d’une à deux fois par mois, à l’intérieur d’activités de consolidation et d’évaluation. Ces différents moyens ne constituent pas simplement une répétition mécanique des apprentissages effectués antérieurement, mais ils représentent des occasions supplémentaires et variées d’appliquer les connaissances nouvelles, afin d’augmenter leur niveau de rétention et d’accessibilité en mémoire à long terme. 32 Finalement, s’inspirant des découvertes de la psychologie cognitive, une planification rigoureuse de l’enseignement prévoit un réinvestissement régulier des apprentissages effectués en classe. Ainsi, on devrait viser à ce que les apprentissages réalisés par les élèves s’enchâssent les uns aux autres de façon successive et cumulative, à la manière dont on construit une pyramide, par exemple (Engelmann, 1988 & 2001). Cette organisation de l’enseignement favorise la rétention en mémoire à long terme, car elle fournit aux élèves de multiples occasions de réinvestir les connaissances acquises antérieurement, puisque celles-ci sont nécessaires et doivent être mobilisées pour effectuer les apprentissages ultérieurs. 3.6 La phase de transfert La notion de transfert se situe au cœur de l’acte d’enseignement-apprentissage. En effet, le but ultime de l’enseignement est d’amener les élèves à effectuer le transfert des apprentissages d’une tâche à une autre, d’une année scolaire à l’autre, de l’école à la maison et du milieu scolaire à celui du travail. Il devient alors essentiel de bien comprendre le type d’expériences d’apprentissage qui conduisent au transfert, qu’on pourrait définir simplement comme la capacité à utiliser ce qui a été appris d’un contexte simple à un contexte plus complexe (transfert vertical), ou à généraliser ce qui a été appris dans un contexte initial à de nouveaux contextes (transfert horizontal). Lorsqu’on consulte les plus récentes recherches publiées sur la problématique du transfert, on constate que les résultats présentent le transfert comme un processus complexe qui, pour s’effectuer, nécessite certaines conditions particulières (Péladeau, Forget et Gagné, 2005). Que font ressortir les recherches récentes sur le transfert des apprentissages ? Premièrement, elles 33 indiquent que le niveau de maîtrise de l’apprentissage à transférer constitue le premier facteur qui permet de réussir un transfert. Sans une compréhension adéquate de l’objet d’apprentissage initial, on ne peut obtenir le transfert attendu de la part des élèves. Ceci nous ramène donc à la phase d’acquisition, dont nous avons traité précédemment, et au concept de représentation qui en constitue l’élément central. La compréhension, s’appuyant sur la construction d’une représentation adéquate de l’apprentissage réalisé, se révèle être la base du processus de transfert. Deuxièmement, le transfert est également dépendant du contexte entourant l’apprentissage initial. La dépendance de l’apprentissage au contexte initial relève de la façon dont le savoir a été appris. Les recherches nous indiquent que le transfert entre les contextes devient particulièrement difficile quand un sujet est enseigné dans un contexte unique, plutôt qu’à l’intérieur de contextes différents. Toutefois, quand le même sujet est enseigné dans de multiples contextes et prévoit le recours à des exemples qui démontrent de larges possibilités de transposition, les élèves sont plus en mesure d’abstraire les caractéristiques essentielles des concepts à l’étude et de s’en construire une représentation plus flexible. D’une part, le transfert est relié à la reconnaissance de ce qui est nécessaire pour passer d’un contexte à un autre ; d'autre part, cette reconnaissance, qui ne se produit pas spontanément, est facilitée si on amène délibérément l'attention de l’élève sur celle-ci en l’exerçant par la réalisation de plusieurs expériences d'apprentissages semblables. Les recherches viennent donc infirmer la conception du transfert selon laquelle l’élève est en mesure de décontextualiser les apprentissages réalisés dans les tâches sources pour les transférer dans des tâches cibles et ce, sans aucun soutien de l’enseignant. 34 Pour obtenir le transfert attendu, il faut donc préparer les élèves à le faire. Cette responsabilité revient d’abord à l’enseignant, qui ne peut plus se contenter de dire aux élèves quoi faire en s’attendant à ce qu’ils sachent, de façon autonome, comment, quand, où et pourquoi le faire dans des contextes différents. Puisque la reconnaissance joue un rôle central dans le processus de recontextualisation d’un apprentissage d’une tâche source (situation d’apprentissage) à une tâche cible (situation de transfert), le rôle de l'enseignant devient donc capital pour permettre aux élèves d’effectuer le transfert. Ce rôle consiste à provoquer délibérément une réflexion métacognitive à l'aide de l'objectivation, afin de favoriser la reconnaissance de ce qui est semblable d'une situation à une autre, et en préparant les apprenants en leur permettant de réaliser plusieurs tâches similaires. Du fait qu’elle met l’accent sur les processus à utiliser pour effectuer les tâches d’apprentissage, la démarche d’enseignement explicite vient grandement favoriser le processus de transfert. « En effet, le modèle explicite rend compte à voix haute des questions qu’il se pose pendant l’accomplissement de la tâche. Les élèves ont alors accès non seulement aux questions, mais également au rationnel à la base de la prise de décisions.[…] En présence d’un modèle explicite, les élèves bénéficient donc de l’expertise d’une personne qui rend transparente les bases de la réutilisation de ses connaissances et des ses compétences (Tardif et Presseau, 1998, p. 41). » Cependant, sur quoi au juste s'appuie la reconnaissance que les apprenants doivent effectuer pour réutiliser leurs apprentissages antérieurs ? La reconnaissance s'effectue sur la base de la représentation que l’élève se construit à partir de ses acquis antérieurs stockés en mémoire à long terme. Or, comme nous l’avons vu précédemment, pour se rappeler, l’élève doit avoir compris l’apprentissage à effectuer et, pour le maintenir en mémoire, l’avoir utilisé minimalement. 35 L’élève pourra réaliser le transfert attendu en comparant la tâche cible à réaliser avec des tâches sources semblables qu’il a déjà effectuées, à l'unique condition de se les rappeler. Puisque le transfert s’effectue en s’appuyant d’abord sur la reconnaissance, l'élève ne pourra reconnaître une tâche qu’il ne se rappelle pas, à moins d’en avoir réalisé de semblables. Les recherches en sciences cognitives, par le biais des découvertes sur le fonctionnement de la mémoire, nous permettent d’établir des balises indispensables à la compréhension de la dynamique du transfert. La figure suivante (no 3)4 permet de saisir comment s'effectue le transfert d'un apprentissage. 4 Cette figure est tirée du cours du professeur Mario Richard EDU 6510 L’enseignement efficace : fondements et pratiques offert par la TÉLUQ. 36 Pour effectuer le transfert d’un apprentissage d’un contexte à un autre, il faut d’abord être en mesure de reconnaître l’apprentissage à transférer, c’est-à-dire les connaissances et les stratégies nécessaires. Pour reconnaître ce qui est nécessaire, il faut effectuer le rappel d'un apprentissage semblable en mémoire. Le rappel se fera à partir de ce qui est stocké et accessible en mémoire. Ce qui est placé en mémoire dépend de ce que les apprenants ont compris au départ de ce qui a été vu, entendu ou fait lors des activités d’apprentissage. Cette compréhension sera maintenue et accessible en mémoire seulement si les apprenants en font une utilisation minimale à travers des apprentissages analogues. Donc, si les élèves n’effectuent pas le transfert attendu, il faut se poser les trois questions suivantes : 1- Qu’est-ce que les apprenants ont compris de ce qui a été vu, entendu ou fait ? 2- Les apprenants ont-ils retenu l’essentiel ? 3- Les apprenants ont-ils utilisé ce qu’ils ont appris de façon minimale dans plusieurs tâches semblables afin de le maintenir en mémoire ? En tant que médiateur ou «facilitateur» du transfert, l’enseignant doit aussi se questionner sur ses interventions pédagogiques, tel que présenté au centre de la figure 4. Nous avons vu qu’une des voies mémorielles les plus prégnantes est la mémoire épisodique, qui tend à se rappeler en priorité ce qui a été fait et qui se charge de retenir le contexte dans lequel l’apprentissage a été effectué. Étant donne que la reconnaissance d’une tâche à réaliser se fait toujours à partir de ce que les élèves se rappellent, et que ceux-ci retiennent prioritairement ce 37 qu’ils ont fait lors des tâches précédentes, deux conclusions s’imposent alors sur le plan des interventions pédagogiques. D’une part, la possibilité que les élèves puissent effectuer un transfert dans une tâche cible sans s’être préalablement exercé à faire quelque chose de semblable dans une multitude de tâches sources semble très mince, puisque la reconnaissance s’enclenche d’abord à partir de ce qui a été fait. D’autre part, compte tenu que la plus grande partie des apprentissages scolaires est d’ordre conceptuel, ce qui sollicite la mémoire sémantique, beaucoup moins prégnante que la mémoire procédurale, les élèves ne pourront reconnaître la nécessité d’utiliser des concepts dans une tâche cible si on ne leur a pas permis d’en prendre conscience explicitement et de les nommer par le biais du langage. Sans objectivation leur permettant de se construire une représentation adéquate de l’apprentissage et d’y donner un sens de façon à l’intégrer dans les réseaux sémantiques de leur mémoire, les élèves ne se rappelleront et ne reconnaîtront pas ce qu’ils ont fait. Il est donc du ressort de l’enseignant d’effectuer l’objectivation pour permettre à l’élève d’identifier l’essentiel parmi ce qui a été vu, entendu et fait lors des tâches sources, afin de faire le pont avec les tâches cibles dans lesquels le transfert est attendu. Bref, nous pouvons donc dire que plusieurs caractéristiques déterminantes de l’apprentissage influencent la capacité des élèves à transférer ce qu’ils ont appris. La quantité, la qualité et le type de tâches sources réalisées lors de l’apprentissage initial représentent des ingrédients clés dans le processus de transfert des savoirs. Le contexte entourant l’apprentissage est également crucial dans le processus du transfert. Les savoirs enseignés uniquement dans un contexte sont moins 38 susceptibles de faire l’objet d’un transfert que ceux appliqués dans des multiples contextes. L’apprentissage dans des contextes variés, combiné à une objectivation des éléments essentiels à retenir par l’enseignant, permet aux élèves d’identifier les caractéristiques fondamentales des concepts à apprendre, et ainsi de se construire une représentation plus fluide des savoirs à transférer. Tout nouvel apprentissage implique du transfert. Les connaissances antérieures des élèves sur un sujet donné peuvent autant favoriser que limiter les apprentissages ultérieurs. Lorsqu’il identifie des connaissances initiales erronées, l’enseignant peut aider les élèves à les corriger, en réfléchissant à haute voix afin de rendre visible les liens nécessaires à la construction d’une compréhension adéquate. De cette façon, on peut permettre aux élèves de se libérer d’une représentation inadéquate face à un problème spécifique, pour arriver à concevoir la tâche autrement. En terminant, il apparaît essentiel d’éviter de limiter les apprentissages des élèves à un contexte unique. Enseigner explicitement aux élèves à choisir, adapter et générer des stratégies de résolution de problèmes dans des contextes variés représente une des meilleures façons de faciliter le transfert des apprentissages. 4. Le développement de la métacognition En comparant la performance des novices et des experts lors de différentes situations de résolution de problèmes, les études en psychologie cognitive ont mis en lumière la capacité particulière de ces derniers à exercer un contrôle efficace sur leur processus de réalisation des tâches, ce que l’on nomme la métacognition (Bruer 1993). La métacognition représente l’habileté à réfléchir sur sa propre pensée, à conscientiser, contrôler et superviser les différents processus mentaux utilisés dans le traitement de l’information, afin d’en assurer un fonctionnement optimal. 39 Une telle démarche permet à l’individu de prendre conscience de ce qu’il fait, de la façon dont il le fait, et des raisons pour lesquelles il fait ce qu’il fait. Le développement d’une conscience métacognitive résulte d’un entraînement à l’auto-observation de son propre fonctionnement cognitif et affectif face à des problèmes divers ; il devient alors possible d’adopter une conduite réflexive favorisant la régulation des différents processus impliqués dans le traitement de l’information. Ainsi, la métacognition est au processus d’apprentissage ce qu’un maestro est à un orchestre symphonique. La métacognition se veut le poste de pilotage de tout le processus du traitement de l’information. De la phase d’acquisition, qui vise la compréhension de l’objet d’apprentissage, à la phase de rétention qui assure l’encodage, le stockage et le rappel de l’information en mémoire à long terme, jusqu’à la phase du transfert, qui poursuit l’objectif ultime de réutiliser ultérieurement ce qui a été appris originalement, la conscience métacognitive agit comme le gestionnaire du traitement de l’information. De fait, on peut aider les élèves à gérer efficacement leur processus d’apprentissage en favorisant le développement de leur métacognition. Il s’agit d’une démarche qui consiste à amener l’apprenant à superviser consciemment ce qu’il est en train de faire, en comparant les différents procédés accessibles avec ceux qu’il utilise, et les attitudes qu’il adopte avec celles qui peuvent être déployées. Un tel regard réflexif sur les savoir-faire et les savoir-être utilisés en situation d’apprentissage permet d’évaluer les actions effectuées, d’identifier la pertinence de poser certains gestes et conduites afin de tirer profit de l’apprentissage réalisé. C’est par l’entremise de la mémoire à court terme qu’un individu peut, dans toute situation problème, avoir accès au langage interne qu’il se tient pour arriver à la solution. C’est à travers la 40 conscientisation intentionnelle de son processus de réflexion, s’exprimant à travers le langage, qu’un apprenant peut développer sa métacognition. L’enseignement des stratégies métacognitives fait l’objet de recherches depuis le début des années 80. Ces études ont démontré qu’il est possible d’améliorer le processus du traitement de l’information des élèves en situation d’apprentissage dans différentes disciplines : résolution de problème mathématiques, compréhension de texte en lecture, processus de rédaction en situation d’écriture, etc. En présentant aux élèves des démarches et en les guidant dans leur mise en application, ils peuvent développer leur conscience métacognitive, ce qui leur permet de mieux gérer leur propre processus d’apprentissage. Pour ce faire, les élèves auront besoin d’un enseignement explicite des stratégies cognitives efficaces et des attitudes à adopter sur le plan affectif pour profiter pleinement de toute situation d’apprentissage proposée. Par exemple, les travaux de Pressley (1995) sur la compréhension en lecture ont permis de mettre en évidence la nécessité d’enseigner aux élèves une stratégie visant à résumer ce qu’ils viennent de lire. En leur apprenant à se poser la question suivante à la fin d’un texte : «De qui ou de quoi parle-t-on ?», ce chercheur a été en mesure de démontrer les effets positifs d’un enseignement des stratégies à la base de la métacognition. Le recours à la stratégie cognitive qui consiste à résumer ce qui est lu améliore la compréhension des élèves en lecture, car cette stratégie augmente leur niveau d’attention sur le texte et leur permet de réguler leur acte de lire. L’enseignement de stratégies cognitives et métacognitives permet à l’élève de contrôler son processus d’apprentissage puisque celui-ci développe d’une part, l’habitude de vérifier la compréhension qu’il se construit de l’objet d’apprentissage et d’autre part, de superviser les 41 différents traitements qu’il effectue sur sa compréhension en vue de produire une réponse adaptée à l’environnement. L’élève réfléchit alors sur sa pensée et développe sa métacognition, car il exerce un contrôle sur l’exécution de ses différents processus mentaux. L’exécution des différents processus mentaux est également influencée par la perception que l’élève adopte de toute tâche qu’il doit réaliser. La façon dont l’élève perçoit ce qui est à faire, ses capacités à le faire et les raisons de le faire constituent le volet expectatif du processus du traitement de l’information. Les expectatives de l’élève déterminent les attitudes et les comportements que ce dernier déploie face à la situation d’apprentissage. Les travaux de Carol Dweck (2000) ont démontré les avantages indéniables à travailler sur la perception que démontrent élèves de leur capacité à réaliser les activités d’apprentissage, car celles-ci influenceront directement leur niveau de motivation, c’est-à-dire l’engagement et la persévérance qu’ils manifesteront lors de l’exécution de la tâche. Dans le cadre de ses recherches, Dweck a constaté qu’en situation d’apprentissage, les élèves font preuve de deux grandes façons de concevoir leur intelligence : l’une statique et l’autre dynamique. D’un côté, les élèves qui tendent à attribuer leurs succès ou échecs scolaires à leur potentiel, ou leur talent naturel, développent une conception statique de leur intelligence. Par conséquent, en attribuant les résultats qu’ils obtiennent à des facteurs extérieurs hors de leur contrôle, ils considèrent n’avoir que peu ou pas de pouvoir sur leurs apprentissages. De l’autre côté, les élèves qui croient que leurs résultats scolaires sont tributaires des efforts qu’ils déploient et des stratégies qu’ils emploient font preuve d’une conception dynamique de leur intelligence, puisqu’ils attribuent leurs réussites ou leurs difficultés à des facteurs qu’ils peuvent eux-mêmes contrôler. 42 De fait, la conception que l’élève possède de son intelligence influence directement son niveau d’implication et d’application à la tâche. En effet, si l’élève pense qu’il ne dispose pas du talent nécessaire pour réaliser ce qui est demandé en classe et qu’il anticipe un échec, les probabilités que ce dernier réussisse la tâche sont très faibles. Le résultat obtenu vient alors confirmer la perception qu’il a de lui-même. L’élève s’enferme alors dans un cercle vicieux à l’intérieur duquel où, moins il considère avoir de talent, plus il échoue et plus il échoue, moins il croit en son potentiel. Par contre, une conception dynamique de l’intelligence, qui permet à l’élève de réaliser que toute activité scolaire réussie ou non est tributaire des efforts déployés et des stratégies utilisées, augmente considérablement les probabilités que celui-ci réalise la tâche, puisqu’elle vient confirmer à celui-ci qu’il a du pouvoir sur ce qu’il entreprend. Les expériences menées par Dweck ont également démontré qu’il est possible pour l’enseignant d’influencer considérablement la façon dont l’élève conçoit son intelligence, par l’entremise de la rétroaction fournie dans la réalisation des tâches. L’enseignant qui indique à l’élève performant en mathématiques qu’il réussit grâce à son talent, par exemple, renforce, chez ce dernier, une conception statique de son intelligence. Cependant, l’enseignant qui souligne à l’élève que sa réussite en mathématiques relève des efforts qu’il investit et des stratégies qu’il utilise vient supporter une conception dynamique de son intelligence. Favoriser chez les élèves le développement d’une telle conception de leurs capacités intellectuelles agit directement sur les expectatives qui les guident en situation d’apprentissage. Ce type d’intervention pédagogique contribue grandement au développement de la métacognition. 43 Comment enseigner les processus métacognitifs ? Le développement de la conscience métacognitive vise à transférer la prise en charge du processus d’apprentissage de l’enseignant à l’apprenant. Or, ce transfert doit s’effectuer par étapes. Initialement, lorsque l’enseignant rend explicite, par le biais du modelage, son propre langage interne pour réaliser une tâche, il amorce avec ses élèves le développement de leur métacognition. Graduellement, les élèves commencent à conscientiser leur propre langage métacognitif en prenant en charge la démarche proposée, avec l’aide de l’enseignant qui agit comme un entraîneur ; c’est la pratique guidée. Au fur et à mesure que les élèves conscientisent et articulent leur propre langage interne, l’enseignant leur cède le contrôle de la démarche ; c’est la pratique autonome. Les recherches décrivent cette transition du contrôle externe de la démarche métacognitive de l’enseignant à l’intériorisation par l’élève comme un processus d’étayage et de désétayage (scaffolding). On aura reconnu la démarche d’enseignement explicite que nous avons présentée dans la phase d’acquisition. Ce type d’enseignement, en créant un support à l’apprentissage qui est éliminé graduellement, alors que les élèves l’intériorisent, favorise le développement des processus métacognitifs. CONCLUSION En terminant, nombreuses sont les réformes actuelles en éducation qui proposent aux enseignants le recours à certaines pratiques pédagogiques s’inspirant indistinctement du cognitivisme et du constructivisme. Cette situation peut engendrer une confusion entre ces deux courants psychologiques qui, somme toute, ont bien peu de choses en commun. Bien que les tenants du cognitivisme et du constructivisme s’entendent sur le fait que l’élève transforme l’information qui lui provient en l’interprétant et en se construisant une représentation symbolique de celle-ci, leurs positions respectives sur les implications pédagogiques de cette étape fondamentale du processus d’apprentissage divergent totalement. Ainsi, comme le démontrent leurs travaux, les 44 plus grands spécialistes en sciences cognitives (Anderson, Reder & Simon, 1996, 1997, 1998, 1999 & 2000) s’opposent directement aux pratiques pédagogiques d’inspiration constructiviste suivantes : v de jouer, avec les élèves, uniquement un rôle de facilitateur dans la découverte de leurs apprentissages; v de recourir massivement à la mise en place de situations d’apprentissage complexes par l’entremise de la pédagogie par projets réalisés en équipe; v de vérifier les apprentissages des élèves seulement à l’aide d’évaluations formatives, à l’intérieur de tâches dites authentiques. Le cognitivisme s’appuie sur une longue tradition de recherches empiriques, ce que le constructivisme n’est pas en mesure de revendiquer. Or, compte tenu de l’apport du cognitivisme en éducation dans les quarante dernières années, il apparaît souhaitable que se poursuive la validation des études en sciences cognitives en salle de classe, dans la perspective du développement d’un savoir professionnel en enseignement. 45 TABLEAU RÉCAPITULATIF INTERVENTIONS PÉDAGOGIQUES CORRESPONDANT À CHACUNE DES 3 PHASES DU PROCESSUS D’APPRENTISSAGE Phase 1 ACQUISITION v Enseignement explicite + supervision + rétroaction v Maîtrise de l’apprentissage (Mastery Learning) v Surapprentissage : pratique répétée et variée visant l’automatisation Phase 2 RÉTENTION v Objectivation v Consolidation : révision périodique et répartie dans le temps v Réinvestissement régulier Phase 3 TRANSFERT v Planification des apprentissages : structurés, ordonnés, successifs et cumulatifs (transfert vertical) v Enrichissement : occasions supplémentaires de réinvestir les apprentissages réalisés dans des situations variées (transfert horizontal) Au cours des 3 phases DÉVELOPPEMENT DE LA MÉTACOGNITION v Enseignement de stratégies cognitives v Interventions pédagogiques supportant une conception dynamique de l’intelligence À chacune des trois phases du processus d’apprentissage correspondent différentes interventions pédagogiques pouvant être mis en place par l’enseignant, afin d’aider les élèves à comprendre, 46 retenir et transférer ce qui ils apprennent. La phase d’acquisition (phase 1), soit la compréhension de l’apprentissage, est favorisée par un enseignement explicite accompagné d’une supervision et d’un questionnement réguliers, appuyés par une rétroaction constante. La pratique répétée et variée visant l’atteinte d’un niveau de maîtrise élevé de l’apprentissage et, éventuellement, son automatisation, contribue à l’obtention d’un haut degré de compréhension. La phase de rétention en mémoire à long terme (phase 2) s’appuie d’abord sur l’objectivation des apprentissages réalisés. Lorsque l’enseignant prévoit des activités de consolidation et de réinvestissement à réaliser régulièrement en classe, la rétention est accentuée par la fréquence du rappel des apprentissages. Dans la phase 3, l’enseignant vient favoriser le transfert vertical en établissant une structure où les apprentissages sont planifiés de façon ordonnée, successive et cumulative. En créant des occasions supplémentaires d’enrichissement visant à réinvestir les apprentissages réalisés dans des situations variées, l’enseignant permet aux élèves d’effectuer des transferts horizontaux. Tout au long des trois phases du processus d’apprentissage, l’enseignement de stratégies cognitives et la mise en place d’interventions pédagogiques supportant une conception dynamique de l’intelligence permettent aux élèves de développer leurs processus métacognitifs (métacognition). 47 OBJECTIFS Après la lecture de ce chapitre, vous serez en mesure de : 1. Comprendre l’apport des sciences cognitives dans le processus d’apprentissage; 2. Décrire les trois phases du processus d’apprentissage et les interventions pédagogiques qui y correspondent. 3. Identifier les implications pédagogiques du fonctionnement de la mémoire sur l’acte d’enseigner. QUESTIONS 1. Quel est le postulat de base sur lequel reposent les sciences cognitives ? 2. Définissez les mémoires sémantique et épisodique. 3. Quels sont les points communs entre le modèle du développement des compétences de John Anderson et la théorie de la charge cognitive de John Sweller? 4. Quelles sont les implications pédagogiques de la théorie de la charge cognitive de John Sweller? 5. Expliquez le concept de représentation et son rôle dans le processus d’apprentissage. 6. Pourquoi l’enseignement explicite favorise-t-il la phase d’acquisition du processus d’apprentissage ? 7. Décrivez les trois étapes de l’enseignement explicite. 8. De quelle façon l’enseignant peut-il faciliter le processus de transfert des apprentissages chez les élèves? 9. En quoi la conception de l’intelligence que possède un élève vient-elle influencer son niveau de motivation face aux tâches scolaires ? 10. Comment la démarche d’enseignement explicite peut-elle favoriser le développement de la métacognition chez les élèves ? 48 BIBLIOGRAPHIE Anderson, J. R. (1983). 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