Max Weber: ville et capitalisme moderne1
Hinnerk Bruhns
Max Weber’s essay on The City, published after his death, has often been interpreted as a contribution
to urban sociolog y or as a plea for ‘communal liberty’. The present article comes back to the reception of
the text, examines it on the background of the research on urban problems at the time of Weber and insists
on the strong relation of The City with the detailed analysis of the oriental city in The Economic Ethics
of World Religions. Analysing these different contexts and Weber’s argumentation which is focalized on
the Stadtwirtschaftspolitik as Verbandshandeln (urban economic policy as activity of a corporate group)
enables to clarify the nature and the purpose of Weber’s unfinished essay. It extends the questioning of
The Protestant Ethic and the Spirit of Capitalism, investigating into the rationalization of economic life
conducts and institutions in a certain type of medieval towns whose structural conditions had favoured
the emergence of the rational capitalism of enterprise and of the modern state.
Un an après la mort de Max Weber, en 1921, un texte de 150 pages serrées parut sous sa signature dans Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, revue que
Weber avait co-dirigée depuis 1904. Ce texte posthume n’était accompagné
d’aucune indication concernant la date ou les circonstances de sa rédaction ; il
portait pour titre : « La ville. Une enquête sociologique »2. Le texte est inache-
1
Abbréviations utilisées dans les notes :
ASSP = Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik.
GARS = Max Weber, Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul
Siebeck) 1920.
GASW = Max Weber, Gesammelte Aufsätze zur Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, édités par Marianne
Weber, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck) 1924, 2ème édition 1988.
MWG = Max Weber Gesamtausgabe. Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck) 1984 - .
WL = Max Weber, Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre, édités par J. Winckelmann, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 7ème éd. 1988.
WuG = Weber, Max. Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden Soziologie. 5. Auflage besorgt von J. Winckelmann (Studienausgabe), Tübingen: J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1972.
2
« Die Stadt. Eine soziologische Untersuchung », ASSP, vol. 47, 1921, p. 621-772. Les
références et citations utilisées ici se rapportent à la réédition critique de Die Stadt in Max
SOCIETÀMUTAMENTOPOLITICA, ISSN 2038-3150, vol. 5, n. 9, pp. 123-141, 2014
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124 SOCIETÀ MUTAMENTOPOLITICA
vé, c’est certain. Mais quelles auraient été sa suite et sa fin, et, surtout, quelle
était sa finalité? D’aucuns ont supposé que Weber l’aurait sans doute complété
par une analyse de la ville moderne et contemporaine. La sociologie urbaine a
ainsi mis Die Stadt de Max Weber sur le même plan que le manifeste fondateur
de l’Ecole de Chicago : « The closest approximations to a systematic theory
of urbanism that we have are to be found in a penetrating essay, ‘Die Stadt’,
by Max Weber, and a memorable paper by Robert E. Park, on ‘The City:
Suggestions for the Investigation of Human Behaviour in the Urban Environment’. » Placée en exergue à la traduction américaine (1958) de Die Stadt,
cette citation de Louis Wirth (1938) rattache Max Weber à la tradition de la
sociologie urbaine et lui y attribue une place d’honneur.3
En Allemagne également on peut lire, dans un bilan de la recherche en
sociologie urbaine dans les années 1970, que Weber s’était beaucoup investi
dans la question de savoir « pourquoi était née en Occident une industrialisation d’un type particulier, caractérisée par la rationalisation, et avec elle la
grande ville industrielle ».4 Pourtant, nulle part dans l’œuvre de Weber il n’est
question d’un tel lien entre le processus de rationalisation et la grande ville
industrielle. L’éditeur de la traduction américaine de Die Stadt définissait la
position théorique de Weber comme «social behaviorism». Par sa théorie d’une
« communauté urbaine comme unité totale et systémique de la vie inter-humaine », Weber aurait intégré et dépassé les différentes théories institutionnelles de la ville qui avaient cours à son époque. Une telle lecture constate,
bien entendu, la perte d’autonomie et d’autocéphalie de la commune urbaine
à l’époque moderne et débouche nécessairement sur la conclusion suivante :
Weber, Gesamtausgabe, vol. 22, Wirtschaft und Gesellschaft : die Wirtschaft und die gesellschaftlichen Ordnungen und Mächte; Nachlaß, tome 5, Die Stadt, éd. par Wilfried Nippel, Tübingen, Mohr Siebeck, 1999 (MWG I/ 22-5). Pour une analyse plus complète de La Ville, on
consultera Hinnerk Bruhns, La ville bourgeoise et l’émergence du capitalisme moderne.
Max Weber : Die Stadt (1913/1914 -1921), in: Bernard Lepetit et Christian Topalov (éds.), La
ville des sciences sociales. Paris : Belin, 2001, pp. 47-78, 315-319 et 344-350, et id., “Webers “Stadt”
und die Stadtsoziologie”, in: H. Bruhns et W. Nippel (éds.), Max Weber und die Stadt im Kulturvergleich, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen 2000, p. 39-62.
3
Don Martindale, « Prefatory Remarks: The Theory of the City », in Max Weber, The City,
New York, The Free Press, 1958, p. 9-62 ; Louis Wirth, « Urbanism as a Way of Life »,
American Journal of Sociology, vol. 44, 1938, p. 8 Wirth avait ajouté : « But even these excellent
contributions are far from constituting an ordered and coherent framework of theory upon
which research might profitably proceed. » La première traduction de Die Stadt a paru dès
1923 en Russie.
4
Hermann Korte, Stadtsoziologie. Forschungsprobleme und Forschungsergebnisse der 70erJahre, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1986. Voir Hans J.Teuteberg, « Historische Aspekte
der Urbanisierung : Forschungsstand und Probleme », in H. J. Teuteberg (éd.), Urbanisierung in
Deutschland, Köln, 1983, p. 18 sq.
MA X WEBER: VILLE ET CAPITALISME MODERNE
125
«La ville moderne est en train de perdre sa structure formelle externe. Du
point de vue interne, elle est en décadence, tandis que la nouvelle communauté qu’est la nation se développe partout à ses dépens. L’âge de la ville semble
être arrivé à son terme.»5
La traduction française, parue en 1982 dans la collection « Champ urbain », semble avoir été entreprise dans un esprit analogue à celui de la traduction américaine. En effet, ne serait-il pas surprenant qu’un des pères fondateurs de la sociologie ne se soit pas intéressé à la ville et à l’urbanisation
qui fut la conséquence, cause et expression des bouleversements sociaux, politiques, culturels et économiques de son temps? On verra pourtant que cette
hypothèse repose sur un profond malentendu : la ville industrielle, la métropole de la fin du XIXe siècle, la grande ville moderne qui occupe une place
si centrale dans la réflexion sociologique de Simmel, de Sombart, de Tönnies
et d’autres contemporains de Weber, cette ville n’entrait pas dans le projet de
Max Weber.
I. Ville moderne, ville médiévale
La sociologie n’est pas la seule science qui a du mal à assigner une place
claire à Die Stadt de Max Weber. Seul le premier chapitre « Begriff und
Kategorien der Stadt » (Concept et catégories de la ville) semble essentiel aux
yeux des sociologues, tandis que la lecture des chapitres suivants qui traitent
de la ville « idéaltypique » – la ville médiévale de l’Occident – appelle plutôt
des commentaires de nature philosophique et politique. Tel a été le cas, par
exemple, pour la préface d’Enzo Paci à la première traduction italienne en
1950. La ville idéaltypique de Weber apparaît ici comme une ville idéale,
une force qui a su imposer un rapport harmonieux et rationnel „tra il centro
artigiano-industriale e la campagna, tra l’autonomia e l’accentramento, tra la
rapprensentanza diretta dell’associazione cittadina e gli organi rappresentativi
dell’unità più complesse degli Stati e delle Nazioni.“ Création d’une « libera
associazione umana », cette ville idéale se trouve en lutte permanente contre la
tyrannie et la barbarie.6 Pourtant, on chercherait en vain une telle ville idéale
dans le texte de Weber.
Est-ce que le manuscrit retrouvé après la mort de Weber constituait un
texte homogène et unifié ? On a pu en douter et l’histoire de sa réception
5
D. Martindale, « Prefatory Remarks », op. cit., p. 62.
M. Weber, La città, 2e éd., Milano, 1979, p. xl (préface de 1950 par Enzo Paci). Voir l’introduction de Livio Sichirollo à l’édition de 1979, p. xxvi.
6
126 SOCIETÀ MUTAMENTOPOLITICA
pourrait renforcer le doute.7 En tout cas, rares ont été les tentatives d’en saisir
l’unité de pensée. Certains historiens médiévistes – en Allemagne du moins,
car ailleurs ils s’y sont peu intéressés – considèrent Die Stadt de Weber comme
le point de départ de la recherche moderne sur les villes. Dans l’introduction
aux trois volumes consacrés à la ville du Moyen Âge, Carl Haase, en 1969,
fait de Weber le point de référence fondamental de l’histoire urbaine : « Embrassant de son regard le système des villes [Städtewesen] du monde entier, Max
Weber a dit en 1921 [sic !] tout ce qu’on peut dire sur le concept de ville. Il a
alors mis en évidence toute l’ambiguïté du concept de ville; il a intégré dans
la problématique les dimensions du droit, des institutions, de l’administration, des rapports de propriété, de l’économie et de la circulation, des formes
d’agglomération, des fortifications, la taille des villes et leur population; et il
a résumé l’ensemble du système des villes par le concept de la ‘domination
non-légitime’. »8 Mais l’auteur concédait aussitôt que la mise en question par
Weber du concept même de ville avait provoqué en fait chez les historiens une
certaine réticence à entrer véritablement dans ce texte. L’affirmation étrange
que Weber aurait résumé l’ensemble du système des villes par le concept de
la domination non-légitime n’a certainement pas contribué à inciter les historiens des villes à s’intéresser vraiment à Die Stadt.
La ville médiévale constitue, certes, le thème principal du texte, mais peutêtre sans en être le véritable objet. Telle, au moins, sera l’impression des historiens, trop habitués à individualiser l’objet de leur recherche. Différentes
formes de la ville médiévale sont comparées entre elles : ville plébéienne, ville
patricienne, ville du Nord, ville du Sud, ville anglaise, Venise … Un deuxième
niveau de comparaison intervient avec la ville – ou plutôt la cité – antique.
L’introduction de cette dernière perspective pourrait s’expliquer par les travaux d’histoire ancienne menés antérieurement par Weber, qui avait soutenu,
en 1891, une thèse sur l’histoire agraire de Rome et qui, après d’autres travaux consacrés à l’Antiquité, avait publié encore en 1909 un imposant article
d’encyclopédie « Agrarverhältnisse im Altertum »9, un véritable livre de près
de 300 pages dans lequel l’analyse des structures urbaines du Proche-Orient
antique et de l’antiquité classique joue un grand rôle. Mais la ville antique,
telle qu’elle apparaît dans Die Stadt a éveillé chez les antiquisants des réticences encore plus grandes que le traitement de la ville médiévale chez les
7
Karl-Ludwig Ay, « Max Weber über die Stadt », in Fritz Mayrhofer (éd.), Stadtgeschichtsforschung.
Aspekte, Tendenzen, Perspektiven, Linz, Trauner, 1993, p. 69-80 et W. Nippel dans MWG I/22-5.
8
Carl Haase (éd.), Die Stadt des Mittelalters, vol. 1 Begriff, Entstehung und Ausbreitung. Darmstadt,
Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1969, p. 1.
9
Traduction française: Max Weber, Economie et société dans l’Antiquité. Précédé de: Les causes sociales
du déclin de la civilisation antique, introduction de Hinnerk Bruhns, Paris, 1999.
MA X WEBER: VILLE ET CAPITALISME MODERNE
127
médiévistes. On peut dire sans exagérer que dans les nombreuses recherches
sur l’urbanisation et sur les villes de l’antiquité, le texte de Weber n’a eu jusqu’à
très récemment aucune importance, à l’exception notable du débat sur la
question de savoir si la ville de l’antiquité avait été, ou non, essentiellement
une ville de consommation. L’importance accordée dans ce contexte par des
historiens et des archéologues à Max Weber, reposait, elle aussi, largement sur
des malentendus.10
Au centre des travaux de Weber dans les années 1890 se trouvaient en fait
surtout des questions agraires, ensuite des questions concernant la bourse.
Questions agraires, mais également interrogations sur les rapports entre ville
et campagne à cette époque charnière où, sur l’arrière-fonds d’une forte et
rapide urbanisation et industrialisation, l’Allemagne vivait un conflit politique
entre capitalisme agraire et capitalisme industriel. Absentes de Die Stadt, l’urbanisation et la grande ville moderne intéressent cependant Weber au plus
haut point. Au premier congrès de la Société allemande de sociologie, en 1910,
Weber intervint longuement dans la discussion qui suivait l’exposé de Werner
Sombart sur « Technique et Culture ». Il précisa que certains rapports entre
la technique moderne et certains valeurs esthétiques formelles de l’art moderne n’avaient pu être produits que par la grande ville moderne. A propos
de la musique moderne, Weber établit une distinction claire entre d’une part
la question appartenant au domaine de la musicologie, c’est-à-dire celle du
rapport entre volonté artistique et moyens musico-techniques, et d’autre part
celle qui intéresse la sociologie : la question du « rapport entre l’‘esprit’ d’une
certaine musique et les fondements techniques généraux de notre vie actuelle,
notamment dans la grande ville, qui influent sur le rythme de vie et les sentiments de vie ».11
Cette question du rapport entre culture, art et grande ville faisait partie
des grands débats de l’époque.12 On n’en trouve pas d’écho dans Die Stadt, bien
10
Voir Hinnerk Bruhns, « De Werner Sombart à Max Weber et Moses I. Finley : La typologie
de la ville antique et la question de la ville de consommation », in Ph. Leveau (éd.), L’origine des
richesses dépensées dans la ville antique, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence,
1985, et « Max Weber, l’économie et l’histoire », Annales HSS, vol. 51, n° 6, 1996, p. 1259-1287.
11
Verhandlungen des Ersten Deutschen Soziologentages vom 19. - 22. Oktober 1910 in Frankfurt a.M. Tübingen, 1911, p. 98 sq.
12
Pour une information générale sur les débats contemporains, voir Woodruff D. Smith, « The
Emergence of German Urban Sociology », Journal of the History of Sociology, n° 1/2, 1979, p.
1-16; H. J. Teuteberg, « Historische Aspekte der Urbanisierung : Forschungsstand und Probleme », op. cit.; Andrew Lees, « Critics of Urban Society in Germany », Journal of the History of
Ideas, vol. 40, 1979, p. 61-83; Luise Schorn-Schütte, « Stadt und Staat. Zum Zusammenhang
von Gegenwartsverständnis und historischer Erkenntnis in der Stadtgeschichtsschreibung der
Jahrhundertwende », Die Alte Stadt, vol. 10, 1983, p. 228-266.
128 SOCIETÀ MUTAMENTOPOLITICA
qu’une des questions centrales que Weber s’y posera au sujet de la ville médiévale et antique n’est pas si éloignée de ce débat qu’on pourrait le croire : c’est
la question de l’influence de certaines conditions sociales, politiques, économiques ou géographiques sur le comportement des hommes. Autrement dit :
comment évoluent comportements, mentalités et conduites de vie par adaptation à des données structurelles? De ce point de vue, Weber avait réussi, dans
Die Stadt, à mettre en évidence les facteurs qui avaient orienté les énergies
des citadins médiévaux vers une forme d’activité économique caractérisée par
l’acquisition pacifique et sa rationalisation progressive. Cette transformation
structurelle avait été favorisée, selon lui, plus par la ville du Nord que par
celle du Sud de l’Europe. De la même manière que Weber s’intéressait à la
lente modification des comportements économiques dans la ville médiévale
au Nord des Alpes, il cherchait à découvrir, à l’aide d’autres instruments, les
effets du travail dans l’usine moderne sur la « sélection » des ouvriers, et de
manière analogue, il s’intéressait aux effets de la vie dans les grandes villes
contemporaines sur le développement psychique et artistique du citadin.
Quand Weber rédigeait Die Stadt, il connaissait parfaitement les travaux
de Simmel, Tönnies, Sombart et tant d’autres sur la « Großstadt » – la grande
ville, la métropole. Cependant, pratiquement rien de cette abondante littérature contemporaine ne se retrouve dans son texte, à part une brève remarque,
dès la première page, sur l’absence de rapports personnels et réciproques entre
citadins habitant ensemble.13 Weber aurait pu inclure sans grand effort dans
son étude une typologie de la ville industrielle moderne. Le capitalisme moderne
de Werner Sombart, publié en 1902, en contenait les données nécessaires et
même déjà une typologie élaborée.14 Nous savons également que Weber s’intéressait vivement aux formes urbaines de son temps. Les lettres écrites par
Max Weber lors du voyage qu’il entreprît en 1904 avec sa femme en Amérique, témoignent de l’enthousiasme avec lequel il s’imprégnait du spectacle
urbanistique et social des villes américaines : New York, Chicago, St. Louis
et Oklahoma City. Ces observations contenaient nombre d’éléments pour une
petite sociologie de la ville contemporaine.15
Dans les travaux scientifiques de Weber, la signification de la grande ville
moderne restait apparemment limitée aux domaines esthétique et psychique.
13
Voir les passages plus explicites dans WuG, pp. 215 sq. (Économie et société, vol. 2, p. 85 sq.)
Werner Sombart, Der moderne Kapitalismus, Leipzig, 1902. Sombart y traite également la reproduction de la population urbaine, les mouvements de la campagne vers la ville et la formation de la rente foncière urbaine.
15
Marianne Weber, Max Weber. Ein Lebensbild, Tübingen, 1926, cite de longs passages de lettres
adressées par Weber à sa mère (pp. 292-317). Voir Hinnerk Bruhns, « Ville et État chez Max
Weber », Annales de la recherche urbaine, n° 38, 1988, p. 3-12.
14
MA X WEBER: VILLE ET CAPITALISME MODERNE
129
Elle ne jouait aucun rôle dans ses recherches sur le capitalisme industriel. Pourquoi? Après l’ « intermède de la liberté urbaine », la ville en tant que commune
n’avait, selon Weber, plus de signification pour le développement du capitalisme – ni en tant qu’unité économique, ni en tant que base pour la formation
de nouvelles conduites ou mentalités économiques. Dans Die Stadt, Weber ne
visait pas à élaborer une typologie des formes urbaines, mais il s’interrogeait
sur la signification culturelle de la « Bürgerstadt » occidentale pour l’émergence
du capitalisme moderne. Dans cette perspective, la ville moderne et contemporaine n’y avait pas de place. Car à partir de l’époque moderne, ce n’était plus
la ville mais l’État qui offrait au capitalisme le cadre institutionnel et politique
de son évolution. La ville n’en sera pas totalement absente, mais sa fonction
aura changé, dans la mesure où, comme Weber précise, « l’intégration, dans
les pouvoirs patrimoniaux concurrents, de groupements communaux urbains
comme soutien du pouvoir financier, pouvait s’avérer nécessaire ».16 Cette vision économique de l’histoire occidentale était présente dès 1896 quand Weber
écrivait que ce fut le passage à l’économie nationale (Volkswirtschaft), après la
résurrection de la ville au Moyen Âge, grâce à la division libre du travail et au
commerce, qui avait rendu possible l’émergence de la liberté bourgeoise et la
suppression des contraintes exercées par les autorités de l’âge féodal17.
II. L’urbanisation industrielle contre le romantisme agraire
Si Weber s’intéressait aux conséquences de la grande ville sur la vie psychique
et les conditions de création artistique, et si en même temps il cherchait à
développer des instruments d’enquête qui permettraient de mesurer les conséquences du travail industriel dans la grande usine sur les ouvriers, pourquoi
ne se serait-il pas intéressé à la ville industrielle dans le contexte du capitalisme
industriel et des bouleversements démographiques et sociaux qui affectaient
l’Allemagne depuis plus d’un demi-siècle? Die Stadt a été rédigé à un moment
d’intenses débats sur la ville, et il est curieux qu’on ait si peu cherché à préciser
la position de Weber par rapport à ces discussions. N’y aurait-il aucun rapport
significatif entre Die Stadt et ce contexte général?
La grande question des débats intellectuels de l’époque est résumée ainsi par Friedrich Naumann en 1911, dans sa revue hebdomadaire Die Hilfe :
« À peu près comme le Français est confronté à sa question : qu’est-ce que la
WuG, p. 139, Economie et société, 1995, p. 319 (trad. modifiée par H.B.).
« Les causes sociales du déclin de la civilisation antique », in Economie et société dans l’Antiquité,
p. 83 (GASW, p. 311).
16
17
130 SOCIETÀ MUTAMENTOPOLITICA
Grande Révolution?, le destin de notre nation a déterminé pour longtemps
notre thème à nous : qu’est-ce que le capitalisme? »18
Pour Max Weber, la recherche des origines culturelles du capitalisme thème qu’il abordera à la suite de l’Ethique protestante dans Die Stadt et dans Die
Wirtschaftsethik der Weltreligionen – ne constituait qu’un côté de cette question.
La signification culturelle du capitalisme, sa signification pour la civilisation,
en était l’autre face. Ce qu’il entendait par là, Weber l’a formulé à deux reprises dans le premier numéro de la revue Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik (ASSP), en 1904, dont il venait de prendre la direction avec Werner
Sombart et Edgar Jaffé. D’abord dans le « Geleitwort », l’avertissement des
éditeurs dans le premier numéro de la nouvelle série : « Notre revue devra
considérer aujourd’hui la connaissance historique et théorique de la signification globale de l’évolution du capitalisme pour la civilisation comme le problème scientifique au service duquel elle se trouve. »19 Weber et ses collègues précisaient
ensuite que le point de vue spécifique de la revue sera celui « de la façon dont
l’économie influence les phénomènes de civilisation [ökonomische Bedingtheit
der Kulturerscheinungen] [...] ». Dans ce même premier numéro de la revue,
Max Weber publia son grand essai sur « L’objectivité de la connaissance dans
les sciences et la politique sociales ».20 Il y précisa, au nom également de ses
coéditeurs, que le véritable domaine de travail de la revue serait « d’explorer
scientifiquement la signification culturelle générale de la structure économico-sociale de la
vie collective humaine et de ses formes historiques d’organisation ».21
Voilà une formulation qui contenait in nuce tout un programme de recherche en sciences sociales sur la ville. Sous la co-responsabilité de Weber, la
revue accordera au cours des années suivantes un espace considérable à des
enquêtes et articles sur les problèmes du logement urbain, sur la spéculation
foncière et la rente foncière urbaine. Une comparaison avec le livre contemporain de Maurice Halbwachs Les expropriations et le prix des terrains à Paris (18601900) montre pourtant une différence fondamentale par rapport aux études
urbaines publiées dans ASSP. Utilisant des données tout à fait comparables à
celles exploitées dans la revue de Weber, Halbwachs avait fait de la ville l’objet d’une analyse sociologique propre, différente des traditionnelles approches
18
Friedrich Naumann, « Das Suchen nach dem Wesen des Kapitalismus », in Die Hilfe, vol.
178, n° 37, 14 septembre 1911, p. 578-579.
19
« Geleitwort », ASSP, vol. 19, 1904, p. v.
20
M. Weber, « Die ‘Objektivität’ sozialwissenschaftlicher und sozialpolitischer Erkenntnis »,
ASSP, vol. 19, 1904. Republié dans WL. Trad. française : « L’objectivité de la connaissance
dans les sciences et la politique sociales », in M. Weber, Essais sur la théorie de la science, Paris,
1992, p. 117-201.
21
WL, p. 165; M. Weber, Essais sur la théorie de la science, op. cit., p. 141.
MA X WEBER: VILLE ET CAPITALISME MODERNE
131
économique, historique ou politique.22 Dans ASSP, par contre, la ville n’apparaissait qu’à travers des problématiques de politique sociale et de politique
économique, de sorte que cette revue n’aura finalement eu qu’une importance
secondaire pour les grands débats sur les questions urbaines.
En Allemagne, comme ailleurs, l’attitude face à la grande ville était ambiguë. D’un côté, un romantisme agraire qui s’élevait contre la décadence de la
vie dans les métropoles, de l’autre côté une vision positive de la grande ville,
car celle-ci procurerait à l’homme un nouvel espace de liberté et favoriserait
son développement individuel. Comme nous l’avons vu, Weber avait repris et
prolongé cette dernière idée lors du congrès de sociologie en 1910, sans s’engager véritablement dans une telle direction de recherche. Dans sa sociologie
de la musique, il ne reprendra d’ailleurs pas cette réflexion sur le rapport
entre grande ville et art moderne. Weber ne suivra non plus ni Tönnies, ni
Simmel, ni Durkheim dans leur tendance à traduire l’opposition entre modernité urbaine et société traditionnelle par une opposition entre Gesellschaft et
Gemeinschaft, société et communauté.23
Romantisme agraire et rejet de l’urbanisation connaissaient dans l’Allemagne de Guillaume II une variante en politique économique, qui se manifestait par l’exigence de tarifs douaniers protecteurs, par la volonté de réduire
les exportations industrielles, par une idéologie d’autarcie économique. Weber
s’opposait résolument à cette tendance. De ses enquêtes agraires il avait tiré
la conclusion politique qu’ « une population rurale forte et vouloir nourrir
l’Allemagne uniquement avec ses propres céréales [...] étaient des oppositions
24
inconciliables ». Urbanisation et industrialisation étaient ainsi pour Weber
les conditions économiques et politiques indispensables pour que l’Allemagne,
menacée selon lui par la tentation d’un capitalisme rentier, puisse s’élever au
rang des nations rivales, Grande Bretagne et France en particulier.
Les conséquences sociales de l’urbanisation étaient un des grands thèmes du
Verein für Sozialpolitik (VfSP) auquel Weber avait adhéré dans les années 1890.
Cette association pour la politique sociale était aussi le principal lieu d’en22
Voir Michel Amiot, Contre l’Etat, les sociologues. Eléments pour une histoire de la sociologie urbaine en
France (1900-1980), Paris, Editions de l’EHESS, 1986, ch. 1. Voir également Christian Topalov,
« Maurice Halbwachs et les villes. Les expropriations et le prix des terrains à Paris (1909) », in Bernard
Lepetit et Christian Topalov (éds.), La ville des sciences sociales. Paris : Belin, 2001, et « Maurice
Halbwachs et les villes (1908-1912). Une enquête d’histoire des sciences sociales », Annales HSS,
vol. 52, n° 5, 1997, p. 1057-1083.
23
Otto Gerhard Oexle, « Kulturwissenschaftliche Reflexionen über soziale Gruppen in der
mittelalterlichen Gesellschaft : Tönnies, Simmel, Durkheim und Max Weber », in Ch. Meier
(éd.), Die okzidentale Stadt nach Max Weber..., op. cit., p. 115-159 et « Les groupes sociaux du Moyen
Âge et les débuts de la sociologie contemporaine », Annales ESC, vol. 47, n° 3, 1992, p. 751-765.
24
Verhandlungen des Achten Evangelisch-sozialen Kongresses [Leipzig 1897], Göttingen, 1897, p. 112.
132 SOCIETÀ MUTAMENTOPOLITICA
quêtes et de débats sur le rôle et l’organisation administrative et économique
des villes. Weber ne participait pas directement aux travaux que le Verein organisait entre 1901 et 1912 sur « la question du logement », « la Constitution et
l’organisation administrative des villes », « les finances des communes », « les
entreprises économiques des communes », ou « la fiscalité communale ».25
Les comptes rendus des débats au sein du Verein für Sozialpolitik montrent que
Weber y intervint principalement quand il était question des conséquences
que pourraient entraîner des succès électoraux des sociaux-démocrates dans
les municipalités, notamment en matière de politique économique des villes.
Il forgeait le terme « Gemeindemerkantilismus » (mercantilisme communal)26 et
se plaisait à l’illustrer par l’exemple des boulangeries à Catane, « la seule ville
moderne de l’île [la Sicile], dans laquelle le capitalisme bourgeois a atteint
un niveau respectable. Des avantages de toutes sortes, même des primes accordées par l’administration de cette commune pour l’établissement d’usines
y contribuèrent. Ce qui est tout à fait compréhensible : toute classe ouvrière
[Arbeiterschaft] qui exerce le pouvoir dans une commune et prend soin de ses
intérêts économiques, réalisera une politique mercantiliste. »27 De telles observations auraient pu trouver leur place dans l’étude sur Die Stadt si son auteur avait voulu prolonger l’analyse économique de la ville jusqu’à l’époque
contemporaine ; mais ce n’était pas le cas. Le peu d’intérêt de Weber pour
une appréhension sociologique de la ville de son temps ressort également
du concept de ville purement pragmatique qu’il recommandait à la même
époque aux collaborateurs de son enquête sur la sélection et l’adaptation des
ouvriers de la grande industrie : par ‘ville’ on comprendra des « localités aussi
petites qu’elles soient mais qui montrent la vie commerciale [geschäftliche] des
villes avec toutes ses conséquences ».28
Les protagonistes des débats contemporains sur le rôle des villes et sur la
réforme communale recouraient constamment à des arguments historiques.
L’origine et le caractère de la ville médiévale allemande se trouvaient ainsi au
centre des conflits. Etait-elle née de l’échange et du marché ou, au contraire,
Voir Irmela Gorges, Sozialforschung in Deutschland 1872-1914, Frankfurt a. M., 2e éd. 1986, p.
339 sq., 425 sq. et 443 sq.
26
Voir l’intervention de Weber dans la discussion sur les entreprises économiques des communes lors de l’assemblée générale de l’association à Vienne en 1909, publiée dans Schriften des
Vereins für Sozialpolitik, vol 132, Leipzig, 1910, p. 282 sq.
27
Verein für Sozialpolitik, Schriften Vol. 125, 1908 (= Verhandlungen1907), pp. 294-301; citation p.
299 (GASS, p. 411). Voir également les lettres dans MWG II/5, p. 177 et p. 407.
28
Dans l’enquête sur « Auslese und Anpassung (Berufswahl und Berufsschicksal) der Arbeiterschaft der geschlossenen Großindustrie » (Sélection et adaptation (choix et destins professionnels) des ouvriers de la grande industrie) où Weber s’intéresse aux différences induites par
l’origine urbaine ou rurale (MWG I/11, p. 115).
25
MA X WEBER: VILLE ET CAPITALISME MODERNE
133
d’un acte fondateur par un seigneur (Stadtherr)? Est-ce qu’il y avait continuité
ou rupture entre la ville médiévale et la ville moderne? La ville était-elle antérieure à l’État et représentait-elle le caractère mutualiste (genossenschaftlich) de la
société allemande? Ou, au contraire, l’histoire allemande ne commençait-elle
véritablement qu’avec l’État qui s’était imposé au-dessus du désordre et des
rivalités des villes? Quel principe ou quelle vérité éternelle de l’Allemagne
pouvait-on par conséquent invoquer pour défendre ou combattre un transfert
de responsabilités et de compétences aux villes, dans une situation où les communes étaient confrontées à de graves problèmes sociaux et financiers et où
une réforme s’imposait d’urgence? De toute évidence, Weber ne s’intéressait
pas à ce débat politique sur l’essence de la ville médiévale. Il ne s’engageait pas
non plus dans le conflit épique des historiens et de certains économistes sur la
« Markttheorie » ou la « Hofrechtstheorie »29, sauf pour épingler d’un point de vue
méthodologique cette « lutte des théories des villes »30 où l’on ne distinguait
pas suffisamment, comme il écrivait dans Die Stadt, les dimensions juridiques
(formelles) et sociologiques ou politiques.
Cet évident désintérêt pour la question d’une autonomie renforcée des
villes de son temps a naturellement échappé à tous ceux qui, sur la base d’une
lecture rapide de Die Stadt, voient en Weber un chantre de la liberté communale. Dans la pensée politique de Weber et dans sa perception des urgences et
des priorités pour l’État national allemand, il n’y avait pas de place pour une
autonomie renforcée des villes. Ainsi chercherait-on en vain, dans les propositions que Weber élaborera à la fin de la guerre pour la réforme constitutionnelle, l’idée d’une démocratie communale ou urbaine, ne serait-ce qu’en vue
d’une administration plus efficace.
III. Politique économique urbaine et «Verbandshandeln»
Des débats contemporains sur la ville, seul le thème de la politique économique
urbaine (Stadtwirtschaftspolitik) est véritablement repris par Weber. Historiens
et économistes recouraient largement au schéma tripartite proposé par Karl
Bücher : économie d’oikos (Hauswirtschaft), économie urbaine (Stadtwirtschaft),
économie nationale (Volkswirtschaft). Le rôle des corporations dans les villes médiévales, du commerce et de l’artisanat, de l’origine ou de l’accumulation du
capital dans les villes comptaient parmi les thèmes les plus débattus. L’École
29
Pour une synthèse des débats contemporains, voir L. Schorn-Schütte, « Stadt und Staat »,
op. cit.
30
MWG I/22-5, p. 124; voir La ville, p. 67.
134 SOCIETÀ MUTAMENTOPOLITICA
historique de l’économie nationale produisait de plus en plus des histoires économiques de villes individuelles, parmi elles des chefs-d’œuvres comme les
études de Bücher sur Francfort et de Schmoller sur Strasbourg.31 Mais, dans
l’ensemble, elle prêtait le flanc aux critiques qui lui reprochaient d’accumuler
ainsi sans cesse des faits économiques au détriment de la théorie. Un des objectifs de l’étude de Weber sur la ville était de reformuler et rendre opérationnel le
concept trop usé de « Stadtwirtschaftspolitik ».32 La critique détaillée de ce concept
dans le chapitre introductif de Die Stadt montre l’importance qu’il lui accorde
par rapport à l’énumération des nombreux types de villes (ville de producteurs,
ville de consommateurs, etc.). Il critiquait surtout la confusion habituelle entre
l’analyse d’une politique économique urbaine et le concept de « économie urbaine » (Stadtwirtschaft) en tant que stade d’évolution économique.
Max Weber, comme Werner Sombart, représentait ceux de la « jeune génération » de l’École historique qui, dans le conflit entre l’École allemande et
l’École marginaliste autrichienne, se distanciaient de Gustav Schmoller, chef
incontesté de l’École historique et du Verein für Sozialpolitik, sans pour autant
se ranger simplement du côté de Carl Menger et de ses successeurs. Weber et
Sombart cherchaient à concilier histoire et théorie économique et à dépasser
l’opposition, finalement stérile, entre ces termes dans la fameuse « querelle des
méthodes ». Pour eux, théorie économique voulait dire « construction rationnelle de concepts, de types et de systèmes » (rationale Begriffs-, Typen- und Systembildung) et c’est à partir de cette position qu’ils analysaient le matériau historique.33
Le concept de « Stadtwirtschaftspolitik » devint un enjeu central dans ces efforts,
et ce n’est certainement pas un hasard que Weber le choisit comme première
31
Karl Bücher, Die Bevölkerung von Frankfurt am Main im 14. und 15. Jahrhundert, Tübingen, 1886;
Gustav Schmoller, Die Straßburger Tucher- und Weberzunft. Urkunden und Darstellungen nebst Regesten
und Glossar. Ein Beitrag zur Geschichte der deutschen Weberei und des deutschen Gewerberechts vom 13. bis
17. Jh., Straßburg, 1879.
32
Pour un bilan contemporain de la recherche, voir H. Sieveking, « Die mittelalterliche Stadt »,
Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, vol. 2, 1904, pp. 177-218 et Paul Sander, « Die
geschichtliche Erforschung der stadtwirtschaftlichen Handwerksverfassung in Deutschland »,
in Die Entwicklung der deutschen Volkswirtschaftslehre im 19. Jahrhundert (Festschrift Gustav Schmoller),
Leipzig, 1908, vol. 2, pp. 1-20.
33
Werner Sombart et Max Weber, « Erklärung », ASSP, vol. 44, 1917, p. 348 (en réponse à
Edgar Jaffé, « Das theoretische System der kapitalistischen Wirtschaftsordnung », ibid., pp. 1-18).
Traduction française: Werner Sombart, Max Weber, « Déclaration », Revue française de sociologie,
46-4, 2005, 921 (traduit par Jean-Pierre Grossein). Voir Hinnerk Bruhns, « Lectures économiques de Max Weber », in La Pensée, n° 314, 1998, p. 39-55. Cf. également Hinnerk Bruhns,
“Max Webers ‘Grundbegriffe’ im Kontext seiner wirtschaftsgeschichtlichen Forschungen”, in
Klaus Lichtblau (sous la direction de), Max Webers “Grundbegriffe”: Kategorien der kultur- und sozialwissenschaftlichen Forschung.Wiesbaden: VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2006, p. 151-183.
MA X WEBER: VILLE ET CAPITALISME MODERNE
135
illustration de sa méthode idéaltypique.34 Il s’était intéressé depuis longtemps à
la fonction économique des villes, qu’il avait déjà abordée dans sa thèse (1889)
sur les sociétés commerciales dans les villes médiévales italiennes et ensuite dans
les cours de «Allgemeine (‘theoretische’) Nationalökonomie» (Economie nationale générale (« théorique »)) qu’il avait donnés comme professeur d’économie
aux Universités de Fribourg-en-Brisgau et de Heidelberg entre 1894 et 1898.
Le plan détaillé de son cours de 1898 a été republié récemment.35 Le § 11 s’intitule « Die Stadtwirtschaft und der Ursprung der modernen Unternehmensformen » (L’économie urbaine et l’origine des formes d’entreprises modernes) et
préfigure certaines idées développées dans Die Stadt. Dans le premier chapitre
de Die Stadt, Weber reprend longuement le concept de « Stadtwirtschaftspolitik »
qui lui importe beaucoup plus, comme nous l’avons vu, que la casuistique des
catégories ou types (ville de producteurs, de consommateurs, ville commerciale,
ville de forteresse, etc.). Il était confronté au défi méthodologique de transformer
ce concept banalisé en un concept idéaltypique, instrumental, tout en évitant
de tomber dans le piège qui consistait à en faire un stade universel du développement économique, reproche qui fut généralement adressé à Bücher. Weber
avait demandé à celui-ci de traiter la « Stadtwirtschaft » pour le Grundriß der Sozialökonomik dans une contribution sur les « Volkswirtschaftliche Entwicklungsstufen » (Stades d’évolution de l’économie nationale). Le texte qu’il reçut en 1913
le déçut fortement, parce qu’il ne traitait pas du tout la question sous l’aspect des
« relations entre l’économie et les formes et institutions sociales », ce qui l’incita,
comme il l’écrivait à son éditeur, à faire de sa propre contribution une « sociologie » pour offrir au moins un « Ersatz » partiel.36
Dans la partie centrale de Die Stadt, l’analyse de la politique économique
urbaine est insérée dans celle, plus large, des conditions d’émergence de la
bourgeoisie. Ce n’est certes pas le seul fil rouge de ce texte, mais c’en est un
assurément, et peut-être le principal. Car les analyses historiques et institutionnelles des villes italiennes, de Venise, du modèle si différent des villes anglaises, de la cité antique, comme celles des villes orientales, répondent toutes
à la question des conditions qui favorisèrent ou retardèrent l’émergence des
formes modernes de l’activité et de l’organisation économique. L’évolution
particulière qu’a connue l’Angleterre avait pour conséquence « que les acteurs
[Interessenten] économiques et politiques ne prenaient pas la commune urbaine
individuelle et fermée comme point d’orientation de leur activité mais plutôt
l’administration centrale, de laquelle on attendait des chances de gain écono34
WL, pp. 191 sq. et 196 sq. ; trad.. fr. (cf. supra note n19), pp. 172 sq. et 179 sq.
M. Weber, Grundriss zu den Vorlesungen über Allgemeine (‘theoretische’) Nationalökonomie (1898), Tübingen, 1990.
36
Lettre du 3 novembre 1913 à Paul Siebeck (MWG II/8).
35
136 SOCIETÀ MUTAMENTOPOLITICA
miques, des avantages sociaux, des garanties de monopole et des remèdes aux
violations de leurs propres privilèges.37
Weber s’intéressait à la dépendance réciproque entre politique économique
urbaine et formes et institutions sociales urbaines, et à la nature des groupements politiques et des institutions urbaines.38 Il consacre de longs développements à la constitution et l’administration de Venise, « un cas particulièrement
pur et extrême de l’évolution de la ville gentilice » qui se caractérise par la monopolisation de tout le pouvoir sur le territoire, également sur le continent, au
bénéfice de la commune et, à l’intérieur de celle-ci, au bénéfice du patriciat.39
Cette analyse vise également la question de l’activité économique du groupement (ökonomisches Verbandshandeln) – ici le patriciat (Geschlechter) et non la
commune urbaine (Stadtgemeinde) – et de sa base économique, constituée par la
propriété foncière et non par l’activité industrielle et commerciale (Gewerbe).40
Die Stadt a souvent été lu comme une vision politique de la commune médiévale, avec ses traits caractéristiques que Weber résume ainsi : 1. Indépendance
politique, 2. Autonomie juridique de la ville en tant que telle et, à l’intérieur
d’elle, des guildes et corporations, 3. Autocéphalie, 4. Pouvoir de taxation sur
les citoyens, liberté de redevance et d’impôt de ceux-ci envers l’extérieur, 5.
Droit de marché, police commerciale et industrielle autonome et pouvoirs de
ban monopolistiques, 6. Son attitude envers les les couches de non-citadins/
citoyens, et d’abord : « l’opposition, au niveau de l’organisation économique,
contre les formes structurelles spécifiquement extra-urbaines de nature politique, relatives aux corps sociaux (ständisch) et à la seigneurie foncière : marché
contre oikos ».41 Le texte inachevé Die Stadt constitue donc une des multiples
pièces de l’interrogation de Weber sur l’origine et la signification culturelle
du capitalisme moderne. Ici comme dans ses autres travaux, le débat avec
Werner Sombart est présent en filigrane. La commune bourgeoise, le Stadtbürgertum de Die Stadt répond probablement aussi au livre Der Bourgeois (Le bourgeois) que Sombart publia en 1913, comme les multiples définitions de la ville
dans le premier chapitre faisaient écho à un article de Sombart dans leur
revue commune en 1907.42
37
MWG 1/22-5, p. 169 (trad. H.B.); voir La ville, p. 102.
L’idée que la ville médiévale en tant qu’institution urbaine a contribué à former l’homme
économique moderne se trouve déjà chez Adam Smith. Voir Alfred Bürgin, Zur Soziogenese der
politischen Ökonomie. Wirtschaftsgeschichtliche und dogmenhistorische Betrachtungen, 2e éd. Marburg, Metropolis, 2e éd. 1996, p. 380.
39
MWG, I/22-5, p. 156.
40
MWG, I/22-5, p. 155 et p. 148.
41
MWG, I/22-5, p. 233 sq., citation p. 245; voir La ville, p. 155 sq.
42
Werner Sombart, « Der Begriff der Stadt und das Wesen der Städtebildung », ASSP, vol.
38
MA X WEBER: VILLE ET CAPITALISME MODERNE
137
IV. Ville orientale – ville occidentale
Les interprètes de Die Stadt se sont apparemment peu intéressés à la sociologie
des religions de Weber. Pourtant, l’analyse de la ville chinoise, et dans une
moindre mesure celle de l’Inde, apparaît comme un argument central dans la
Wirtschaftsethik der Weltreligionen (Éthique économique des religions mondiales).
Le lien entre ces essais de sociologie des religions et Die Stadt, rédigé à la même
époque que la première version de « Der Konfuzianismus », est évident :
la comparaison entre la ville orientale et la ville occidentale occupe une place
importante dans les deux premiers chapitre de Die Stadt. Dans la Wirtschaftsethik der Weltreligionen, la ville occidentale développée dans Die Stadt sert de
contraste et d’opposition à la ville chinoise et à la ville orientale en général.
Avec cette différence essentielle : les deux villes idéaltypiques du Moyen Âge
et de l’Antiquité, diamétralement opposées dans Die Stadt, forment ici un seul
type, la « ville occidentale », et sont opposées ensemble à la ville orientale.
Du point de vue méthodologique, la démarche de Weber est éclairante.
La réunion de deux constructions idéaltypiques opposées en une seule s’opère
par le renoncement à des critères qui avaient servi auparavant à différencier
ville antique et ville médiévale ; dans le cas présent il s’agit du critère de la
nature des chances de gain et de celui de la nature de la politique économique des deux types de villes. Cette démarche se justifie par une modification de la problématique,43 qui est maintenant conçue dans la perspective
de la ville chinoise, partant de l’hypothèse que sa principale différence par
rapport à la ville médiévale et à la ville antique est constituée par son caractère politique particulier. La ville chinoise est définie surtout négativement, par l’absence du statut politique autonome et particulier de ville. Elle
n’était pas une commune (Gemeinde) et elle ne connaissait pas de bourgeoisie (Bürgertum) qui en tant que bourgeoisie urbaine aurait été porteuse d’une
activité de groupement (Träger eines Verbandshandelns), d’une activité régulatrice de politique économique urbaine (Stadtwirtschaftspolitik).44 L’analyse de
la ville chinoise ne s’épuise évidemment pas dans ces éléments, mais ils en
constituent le point central. C’est cette même perspective que Weber adopte,
25, 1907, p. 1-9 et Der Bourgeois. Zur Geistesgeschichte des modernen Wirtschaftsmenschen, München
1913 (trad. française : Le Bourgeois. Contribution à l’histoire morale et intellectuelle de l’homme économique
moderne, Paris, Payot, 1926). Voir aussi W. Sombart, « Der kapitalistische Unternehmer », ASSP,
vol. 29, 1909, p. 689-758.
43
Sur la démarche de Weber, voir Michael Mann, « Max Webers Konzept der indischen
Stadt », in H. Bruhns et W. Nippel (éd.), Max Weber und die Stadt..., op. cit., p. 166 sq.
44
Die Wirtschaftsethik der Weltreligionen. Konfuzianismus und Taoismus, MWG I/19, p. 149 et 158
(Confucianisme et taoïsme, op. cit., pp. 27 et 35).
138 SOCIETÀ MUTAMENTOPOLITICA
dans les pages de Die Stadt consacrées au caractère économique des villes,
quand il dit de la ville arabe qu’elle n’a jamais connu ni de gouvernement
par les corporations (Zunftregiment), ni de groupement qui aurait fait de la
ville une unité corporative.45 Situation tout à fait typique, selon lui, pour
les villes commerciales maritimes en Occident « avant la naissance de la
commune [Gemeindeverband] ». La situation « normale » étant « que seuls
les clans [Geschlechtersippen] et à côté d’eux éventuellement les groupements
professionnels, mais non les communautés de citadins [Stadtbürgerschaften] en
tant que telles étaient les porteurs d’une activité de groupement ».46 Ignorer le lien entre L’éthique économique des religions mondiales et Die Stadt signifie
simplement se priver d’une clé de lecture indispensable. Dans Die Stadt, l’esquisse des villes chinoise et indienne avait été intégrée dans une perspective
géographique plus large. Dans les études de sociologie des religions, la ville
orientale est analysée de façon beaucoup plus détaillée. Ainsi, Weber établit un lien plus qu’indirect avec sa première étude de sociologie religieuse :
Die protestantische Ethik und der ‘Geist’ des Kapitalismus (1904-1905). Au reproche
d’y avoir négligé la dimension matérielle du développement de l’économie
moderne, Weber répond par une démarche toute différente dans ses études
sur le confucianisme et l’hindouisme. L’analyse des phénomènes religieux y
est précédée d’une longue analyse des « fondements sociologiques » (Chine) et
du « système social » (Inde). Serait-ce dû à un hasard et sans rapport aucun
avec Die Stadt que dans le cas et de la Chine et de l’Inde le premier regard de
Weber se dirige sur le système urbain?
Dans son « Avant-Propos » (« Vorbemerkung ») de 1920 au Gesammelte
Aufsätze zur Religionssoziologie (Recueil d’études de sociologie des religions), Weber précisera clairement le contexte de ses recherches sur la ville :
[...] pour une histoire universelle de la culture, le problème central – d’un point
de vue purement économique – n’est pas pour nous, en dernière analyse, le déploiement de l’activité capitaliste en tant que telle, dont seule la forme changerait
: capitalisme aventurier ou commercial, ou bien capitalisme lié à la guerre, à la
politique et à l’administration. Le problème concerne, au contraire, l’apparition
du capitalisme d’entreprise bourgeois, avec son organisation du travail libre. Ou, exprimé dans l’optique de l’histoire de la culture, le problème central est celui de
l’apparition de la bourgeoisie occidentale dans sa spécificité, laquelle est, à n’en
pas douter, liée à l’apparition de l’organisation capitaliste du travail, sans pour
autant s’identifier simplement à cette dernière. En effet, l’existence de ‘bourgeois’
45
46
MWG I/22-5, p. 95-98; voir La ville, p. 44-46.
MWG I/22-5, p. 98.
MA X WEBER: VILLE ET CAPITALISME MODERNE
139
[‘Bürger’], définis comme un corps social [Stand] a précédé le développement du
capitalisme spécifiquement occidental. Et cela ne s’est produit qu’en Occident.47
Si dans son analyse du système social, politique et économique chinois,
Weber accorda une telle importance à la ville, c’est qu’elle était un des seuls
facteurs par lesquels il croyait pouvoir expliquer l’absence d’un capitalisme
moderne en Chine. Car, contrairement à ce qu’on lit souvent, Weber pensait
que le capitalisme moderne aurait pu trouver en Chine un ensemble de facteurs et de conditions économiques, politiques, démographiques et également
éthiques plus favorables à son développement que ceux que lui offrait la situation en Europe, où les structures féodales, les particularismes, etc., lui étaient
en principe moins favorables. Partant de l’hypothèse d’un rôle particulier de
la ville médiévale pour la modernisation des conduites et des institutions économiques dans ce contexte, Weber s’intéressa tout particulièrement à la ville
chinoise dans la mesure où elle n’était pas un « groupement de citoyens/citadins doté d’une activité économique en tant que groupement » (Verband von
Stadtbürgern mit Verbandshandeln) et dans la mesure où il pensa qu’elle n’avait
pas favorisé l’émergence de nouvelles formes d’organisation politiques et économiques, de formes d’entreprise et de constitution en société économique
(ökonomische Vergesellschaftung).
Le bourgeois (Bürger) du passage de l’« Avant-Propos » cité plus haut, avait
été le produit d’une phase déterminée de l’histoire européenne, de l’ « Intermezzo » de l’autonomie urbaine, comme dit Weber. Dans les chapitres de Die
Stadt consacrés au Moyen Âge, Weber ne s’intéresse qu’à cette seule période,
notamment sous l’aspect de son importance pour le développement du capitalisme moderne. C’est exclusivement par rapport à cette problématique qu’il
construit l’idéaltype « ville occidentale »; c’est à travers une démarche analogue qu’il en arrive à construire les idéauxtypes « ville antique » et « ville
orientale ». La ville occidentale idéaltypique n’est donc en aucune façon un
concept synthétique englobant la totalité des formes de villes de l’histoire européenne. Weber annonce de façon très claire, sa problématique scientifique
et les principes méthodologiques qui gouvernent sa démarche. Dans Die Stadt,
il explique ainsi la raison et la méthode de son approche comparative :
Dans la période intermédiaire,48 [les villes] étaient à un certain degré partout
des ‘communes’ avec des droits politiques propres et une politique économique
47
Max Weber, Sociologie des religions, Textes réunis, traduits et présentés par Jean-Pierre Grossein. Introduction de Jean-Claude Passeron. Paris : Gallimard, 1996, p. 500 sq.
48
C’est-à-dire entre l’époque carolingienne et l’État moderne patrimonial où les villes n’étaient
pratiquement plus que des circonscriptions administratives.
140 SOCIETÀ MUTAMENTOPOLITICA
autonome. De façon comparable se déroula aussi l’évolution dans l’Antiquité.
Et pourtant, ni le capitalisme moderne ni l’État moderne n’ont poussé sur le
sol des villes antiques, alors que le développement urbain médiéval, bien que
n’ayant pas été la seule phase préliminaire décisive ni surtout le porteur du
capitalisme et de l’État modernes, n’en a pas moins été un facteur absolument
déterminant de leur naissance. En dépit de toutes les similitudes externes de
l’évolution, on doit ensuite constater aussi des différences profondes. C’est vers
elles que nous nous tournerons maintenant. C’est en opposant les deux types
de villes l’un à l’autre dans leurs formes caractéristiques que nous aurons la
meilleure chance d’apercevoir ces différences.49
Et plus loin il précisera :
L’intermède historique de l’autonomie des villes au cours du développement
urbain au Moyen Âge fut donc déterminée par de tout autres circonstances que
dans l’Antiquité. La ville spécifiquement antique, ses couches dominantes,
son capitalisme, et les intérêts de sa démocratie montrent tous une orientation
d’abord politique et militaire, et ceci d’autant plus que leur caractère spécifiquement antique se fait jour.50
À la même époque où Weber rédige l’« Avant-Propos » aux études de sociologie des religions, il donne un cours d’histoire économique à l’Université de Munich (1919-1920). Ce cours a été édité en 1923, d’après des notes
prises par des auditeurs, sous le titre Wirtschaftsgeschichte. Abriß der universalen
Wirtschafts- und Universalgeschichte (Histoire économique. Esquisse d’une histoire universelle de l’économie et de la société). La vingtaine de pages du paragraphe 7 (« La
bourgeoisie ») du quatrième chapitre (« L’épanouissement du capitalisme moderne ») se lisent comme un résumé de Die Stadt, et nous y retrouvons l’essentiel des idées développées dans ce texte. Le fait que Weber ait repris à cet
endroit l’argument central de Die Stadt montre de nouveau que l’étude sur la
ville s’inscrit clairement dans la problématique majeure de Weber, depuis le
début du siècle : celles des conditions d’émergence du capitalisme d’entreprise.
Il parait tout à fait logique que ce paragraphe du cours d’histoire économique
s’intitule « La bourgeoisie » et non « La ville », car ce qui intéressait Weber
dans ce contexte, et il en était de même dans Die Stadt, c’était le type de ville
qui avait contribué de la façon la plus efficace à la formation de la bourgeoisie
urbaine de l’époque moderne.
49
50
MWG I/22-5, p. 233 (trad. H.B.).
MWG I/22-5, p. 272 ; voir La ville, p. 190 (trad. modifiée par H.B.).
MA X WEBER: VILLE ET CAPITALISME MODERNE
141
***
Au début de Economie et société, c’est-à-dire dans la partie rédigée vers la fin de
sa vie, Weber résumera l’évolution du capitalisme moderne en ces termes :
« Le capitalisme spécifiquement moderne s’est préparé dans les groupements
urbains spécifiquement occidentaux, administrés d’une manière relativement
rationnelle [...]. Il s’est développé, du XVIe au XVIIe siècle, principalement
à l’intérieur des groupements politiques hollandais et anglais, à caractère
d’ordre, groupements où s’affirmait la prédominance du pouvoir de la bourgeoisie et des intérêts d’acquisition. Leurs contrefaçons secondaires, déterminées dans un sens fiscal et utilitaire dans les États strictement patrimoniaux
ou influencés par la féodalité et les ordres, sur le continent, aussi bien que les
industries monopolistiques des Stuart ne se sont pas trouvées dans une continuité réelle avec développement capitaliste autonome ultérieur [...]. »51
Est-ce que Die Stadt appartient finalement à Économie et société ou à L’éthique
économique des religions mondiales ? Le passage cité ci-dessus pourrait faire pencher pour la première hypothèse. Contentons-nous du fait que Weber n’a ni
publié ce texte ni indiqué où il devait être publié. Dans une lettre du 11 septembre 1919, adressée à son éditeur, Weber parle d’un essai « qu’il faut encore rédiger (prêt dans la tête) sur les fondements généraux du développement
particulier de l’Occident » et qui devait être inclus dans la Wirtschaftsethik der
Weltreligionen.52 Dans le prospectus, rédigé par Weber lui-même, qui annoncera six semaines plus tard les Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie, l’indication est plus précise : L’éthique protestante et L’éthique économique des grandes
religions devaient être complétées « par une brève présentation des éthiques religieuses de l’Égypte, de la Mésopotamie et du zoroastrisme, mais surtout par
une esquisse de l’évolution de la bourgeoisie européenne dans l’Antiquité et
au Moyen Âge ».53 « Prêt dans la tête » pouvait dire aussi que beaucoup était
déjà rédigé : dans l’étude, abandonnée au début de la guerre, que Max Weber
avait consacrée à la ville et, pourrait-on peut-être ajouter, à la question de la
politique économique urbaine et de l’émergence du capitalisme moderne.
51
52
53
WuG, p. 139 ; voir Économie et Société, vol. I, p. 321 (trad. modifiée par H.B.).
Voir MWG I/20, p. 37.
Voir MWG I/19, p. 28.