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Tristan Kamin
@TristanKamin
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Pénultième #thread sur le cycle du combustible #nucléaire.
Cette fois, on va enfin expliquer pourquoi on appelle ça "cycle" alors que c'est pas circulaire quoiqueunpeumaispastoutàfait.

Bref : on va parler de #recyclage !
Le précédent est ici :



On parlait transport et surtout, retraitement du combustible usé.

Et aujourd'hui, on va ouvrir en re-faisant un bilan matière.
Au départ est l'uranium naturel, que la France importe à hauteur d'environ 8000 tML.
Conversion, centrifugation, on en tire 1075 tML de combustible et le reste c'est de l'uranium appauvri qu'on entrepose.
Dans le réacteurs, je vous ai pourtant dit (personne ne me l'a fait remarquer 😝) qu'on chargeait 1200 tML par an.
C'était intentionnel, et on va expliquer.

Naturellement, on décharge aussi 1200 tonnes par an de combustible usé.
Ça fait longtemps que je ne me suis pas plaint : j'écris en marchant et j'ai les doigts qui s'engourdissent, alerte aux coquilles !
Si je ne m'abuse, concernant le retraitement, j'ai du vous parler a nouveau de 1075 tML retraitées chaque année. Là encore, c'était intentionnel.

De cette quantité, on sépare 11 tonnes de plutonium, 45 tonnes de futurs déchets, et le reste est de l'uranium.
On appelle ce dernier uranium de retraitement, ou URT.

Mais ce sont les 11 tonnes de plutonium qui nous intéressent.
Composées à deux tiers environ de plutonium 239, et un tiers d'autres isotopes, ça peut paraître pas grand chose. 11 tonnes, quand on parle d'un flux de matière à 8000 tonnes/an...
Mais elles ont un potentiel énergétique qui déconne pas.
Je pense même que c'est une des plus fortes densités d'énergie qu'on connaisse sur Terre.
Aux côtés des autres matières dont la dissuasion nucléaire est friande.
Pour donner un ordre de grandeur : la fission d'un gramme libéré autant d'énergie que la combustion d'une tonne de pétrole.
Et est-ce que 11millions de tonnes de pétrole ça passerait pour anecdotique ? 😁
Donc on va s'en resservir, en le diluant un peu pour pouvoir s'en servir un peu comme du combustible #nucléaire normal, a l'#uranium.
Ces 11 tonnes, on va les mélanger avec 114 tonnes d'uranium piqué sur les stocks d'uranium appauvri et en refaire du combustible !
Et ça fait... 125 tonnes de combustible neuf par an ! Paf, coïncidence, juste ce qu'il fallait pour compléter les 1075 tonnes de combustible uranium et atteindre les 1200 tonnes chargées annuellement dans les réacteurs, ça alors !
Ce combustible est le célèbre MOx, pour Mixed Oxides.
Un mélange d'oxyde de plutonium et d'oxyde d'uranium, réalisé par @OranoMelox, à Marcoule, dans le Gard.

Juste à côté du @CEAMarcoule qui a vu les premiers réacteurs électrogènes et les débuts du retraitement !
Bref, la boucle est bouclée, aussi bien en termes historiques que de flux de matière.

Mais je ne vais pas m'arrêter là : d'abord, à quoi ressemble ce MOx ?
Ben... Extérieurement, à la même chose que le combustible normal (on va l'appeler UOx, à l'avenir, pour Uranium Oxide).
Si vous avez vu le thread sur la fabrication du combustible, c'est un peu la même chose.
Avec, en amont, une soigneuse phase de mélange. Pour avoir une répartition homogène en plutonium, et la bonne quantité de plutonium dans chaque crayon. De l'ordre de 10% de la masse de noyaux lourds, en gros (11 tonnes de Pu, 125 tonnes de combustible... On y est).
La suite, c'est comme pour l'UOx, a ceci près qu'on manipule des matières bien plus dangereuses : plutonium extrêmement nocif par inhalation, et éventuellement contenant des petites traces d'Américium, qui est émetteur alpha mais aussi gamma, donc pénétrant.
Donc opérations à distance autant que possible et, si au contact, dans des boîtes à gants : des enceintes fermées et ventilées pour toujours être en dépression par rapport à la pièce où elles sont, et où peut circuler le personnel.
L'air allant de la pièce vers les boîtes à gants, la contamination ne peut pas sortir des boîtes à gants tant que la dépression est maintenue.

Et ces salles sont elles-mêmes en dépression par rapport au reste du bâtiment.

Lui-même en dépression par rapport à l'extérieur.
On appelle ça une cascade de dépression, et ça illustre très bien le principe de défense en profondeur 😊
Mais revenons à notre MOx.
On en fait des assemblages semblables aux assemblages UOx, puis on livre ça à EDF - ou aux clients internationaux !
Côté EDF, c'est pas simple : le plutonium a des propriétés, notamment neutroniques, qui ne permettent pas de juste substituer dans les cœurs l'UOx par du MOx.

Par exemple il est moins sensible aux grappes d'absorbant.
Il faut donc changer celles-ci, ainsi que faire les changements associés - et d'autres - au niveau des automates, et donc faire évoluer les règles générales d'exploitation, le rapport de sûreté, les procédures, etc.
Bref, c'est pas simple.
Conséquence, aujourd'hui, en France, sur 58 réacteurs, 24 sont autorisés à fonctionner avec du MOx - et encore, au max 30% de leur cœur, le reste en UOx - et 22, si je ne m'abuse, le sont effectivement.
Pourquoi pas 24 ? Parce que 22 suffisent à écouler tout le Plutonium qu'on produit par le retraitement.

Et j'en profite pour mentionner quelque chose qui ressort avec les actualités (la PPE) : on ne doit pas stocker de plutonium séparé.
C'est un engagement de la France au nom du traité de non prolifération nucléaire : le plutonium "séparé" (sous forme extraite du combustible), c'est une matière potentiellement utilisable dans l'armement, et donc moins on en a, plus sûr ça apparaît.
Nuançons toutefois : le Plutonium issu des REP est trop riche en isotopes autres que le 239, il est donc peu propice à faire des bombes - peut-être même ne le permet-il pas du tout, je ne sais pas 🤔
En tout cas, le Plutonium de qualité militaire, produit par les réacteurs à graphite et eau lourde, a une teneur en Plutonium 239 bien plus haute que ce qui est permis par les REP.

Ça, c'est pour ceux qui croient encore que le parc nucléaire est à vocation militaire.
BWEF toujours est-il que l'on se refuse à accumuler plus de plutonium séparé que nécessaire pour les besoins de fluidité du cycle (environ 40 tonnes quand même).

Le rapport avec l'actualité ?
Ben ça nous oblige à être sur des flux tendus.
Et si on ferme des réacteurs moxés, on consommera moins de plutonium.
Si on ne veut pas stocker, il faut donc moins en produire. Donc moins retraiter.
Et le tonnage de combustible retraité diminuera plus vite que le tonnage de combustible usé produit.
Donc on va accumuler du combustible usé ! Quid du long terme ? Quid du remplissage des piscines ?
Bien sûr, tout ça, ça s'anticipe. Notamment en développant la possibilité de MOxer d'autres réacteurs.
Les études et travaux nécessaires prennent du temps, donc on est dans de la vision à long terme, là.
Et vous savez qui n'est pas bon en vision à long terme ?
Les politiques.
Qui décident arbitrairement des fermetures prématurées de réacteurs nucléaires.
Remettant en cause la planification réalisée, donc...

Pratique.
Enfin bon... De la politique tout ça. Revenons à la technique. Le MOx après irradiation en réacteur.
Si le retraitement est l'aval du cycle, le retraitement du MOx est en quelque sorte l'aval du deuxième cycle.
Sauf que le retraitement du MOx... On le fait pas. Parce que le mélange d'isotopes du plutonium s'est encore dégradé, et on ne peut plus s'en servir dans nos REP.

Peut-être dans d'autres réacteurs à inventer, mais ça, ce sera pour une autre fois 😉
Du coup, chaque année, on entrepose 125 tonnes supplémentaires. Avec une saturation inéluctable, tôt ou tard, des capacités d'entreposage.

D'où le projet d'EDF de construire une piscine centralisée, probablement à Belleville.
Entreposer ce MOx usé en attendant de se décider.
Maitenant, nouveau bilan matière pour revenir sur la notion de cycle.

Déjà, c'est un cycle "twice through" : la matière fait un passage en réacteur sous la forme d'UOx, une 2è fois sous la forme de MOx, et stop. Ce n'est pas un cycle répétable à l'infini, ou "multi-recyclage".
Un jour je ferai un exposé sur les avantages, chiffrés, de ce cycle "twice-through" par rapport au cycle "once-through", ou "cycle ouvert" (quel nom idiot) mais c'est pas l'objet 😁
Quel est le taux de recyclage, en pratique ?

Ça dépend comment on compte.

1 - La méthode des antinucléaires

Eux veulent vous faire comprendre que le recyclage n'existe pas, que c'est du gâchis sans intérêt de temps et d'argent et une prise de risque inutile, itou itou
Écoutez les interventions de Yannick Rousselet de @greenpeacefr dans la presse, c'est vraiment ça.

Eux comptent la quantité de matière recyclée :
11 tonnes de Plutonium, sur 1200 tonnes de combustible : même pas 1%. Arrrrgh.
2 - L'approche des industriels

Eux veulent vous faire croire tout l'inverse, montrer qu'on se casse pas les bonbons pour rien.
Ils comptent le potentiel énergétique recyclé - et j'adhère à cette façon de faire, puisque je comparaison plus tôt au pétrole.
Alors on compte 125 tonnes de combustible recyclé, le MOx, sur 1200 tonnes de combustible consommé chaque année : plus de 10% de taux de recyclage. Ça devient intéressant, non ?
Ça veut aussi dire qu'on réduit de 10% la consommation d'uranium naturel.

Donc -10% d'activité minière.

De la part de ceux qui affirment que les mines détruisent l'environnement et tuent les populations locales façon colonies, c'est considéré comme inutile.

La cohérence...
Bon, et est-ce qu'on peut faire mieux en recyclage, avec notre parc de réacteurs nucléaires ?

La réponse est OUI.

Sinon j'en parlerai pas 😁

Vous vous souvenez de l'uranium de retraitement ? L'uranium séparé du combustible usé lors du traitement ?
Bah il se pourrait qu'il contienne autant, voire davantage, d'uranium 235 que l'uranium naturel.
Il se pourrait aussi qu'il contienne des traces de polluants - produits de fission, notamment, et, je crois aussi, de l'uranium 236 non fissile mais très absorbant.
Et on en produit 1000 tonnes par an, qu'on pourrait bien réutiliser, moyennant réenrichissement. Le stock actuel, c'est quand même un peu moins de 30 000 tonnes, ça en fait de l'énergie qui dort !
Et il se trouve qu'EDF a expérimenté son réenrichissement et son utilisation en réacteur, de 1994 à 2013.
C'étaient des enrichisseurs russe et néerlandais qui enrichissaient, car, jusqu'en 2011, on n'avait à disposition que l'enrichissement par diffusion gazeuse...
...et ce dernier ne permet pas d'enrichir l'URT. Contrairement à la centrifugation.

Bilan : 4350 tonnes ont été enrichies pour former 540 tonnes de combustible, consommé dans 2 puis dans les 4 réacteurs de @EDFCruasMeysse.
EDF a ensuite arrêté, mais prévoit de reprendre cette pratique à partir de 2023 - toujours en faisant enrichir à l'étranger, cependant.

Avec les 4 réacteurs de Cruas branchés sur de l'URT enrichi (URE), le taux de recyclage monte à 16%.
Et à partir de 2027, ce sont trois réacteurs de 1300 MW qui pourraient y passer : le taux de recyclage monterait à 25% !

10% par le MOx, 15% par l'uranium de retraitement enrichi.

Croyez moi, ils continueront à être contre le recyclage. Les écolos. Oui oui.
Et c'est là-dessus qu'on achève notre tournée sur le cycle du combustible en France.
Le prochain thread sera sur ses perspectives d'évolution à long terme, mais l'exposé de l'état présent et du court terme est terminé.
J'espère avoir su être clair et vous avoir intéressé. Évidemment, je suis toujours ouvert aux questions que vous aurez, en MP ou en réaction aux tweets du thread, comme vous le souhaitez.
Et j'espère avoir un peu démystifié l'industrie nucléaire, avec explications de concepts, chiffres, illustrations... Qui cassent je pense l'image d'opacité qu'on peut en avoir.

Bref...
Je vous souhaite une bonne soirée !
Bye !
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