Séance de lutte
La séance de lutte (chinois simplifié : 批斗大会 ; chinois traditionnel : 批鬥大會 ; pinyin : ; litt. « assemblée de critique par la lutte ») ou encore : jiǎntǎo[Quoi ?] (tibétain འཐབ་འཛིང་, Wylie : ‘thab-‘dzing, THL : thamzing, dialecte de Lhassa API : tʰʌ́msiŋ).
La séance de lutte est une séance d'autocritique et de critique publique imposée par les maoïstes chinois à certains de leurs prisonniers sous le régime de Mao Zedong, principalement pendant la révolution culturelle, jusqu'à sa fin, en 1978. L'objectif était de réformer la pensée ou d'humilier. Le terme séance de lutte ou de dénonciation est aussi utilisé[1],[2],[3],[4],[5],[6],[7],[8],[9],[10].
La victime devait y avouer ses fautes (prétendues ou avérées) devant d'autres prisonniers qui l'accusaient, l'insultaient et la frappaient. La famille, parents et enfants, les amis pouvaient être obligés d'y participer en critiquant la victime. Cette torture pouvait durer des semaines et conduire au suicide[11],[12].
Histoire
[modifier | modifier le code]L'origine vient de la volonté d'autocritique, lors de la révolution russe, dans les années 1920, et de la lutte des classes, afin d'éliminer toute trace de contre-révolution[13].
L'écrivain chinois Youqin Wang indique que la majorité des victimes pendant la Révolution culturelle trouvèrent la mort sur leur lieu de vie et non dans des camps. Il s'agissait de séances de lutte et ces assassinats permettaient d'« obtenir la soumission de la population par la terreur »[14].
Après la fuite de Tenzin Gyatso, le 14e dalaï-lama, en , le thamzing est introduit à Lhassa, capitale du Tibet[15].
Sources et déroulement
[modifier | modifier le code]Palden Gyatso né en 1933 est un moine tibétain qui fait, dans un livre Le Feu sous la neige, la description de séances de thamzing qu'il rapporte avoir subies pendant ses 33 années de détention.
Le Tibétain Shiwo Lobsang Dhargye indique que les prisonniers sont battus et forcés à rester debout et inclinés en avant pendant des heures. Au cours de ces séances, beaucoup sont morts[16].
Jacques Andrieu, chargé de recherches au CNRS, indique trois cas où à l'issue de séances de lutte[N 1], des actes de cannibalisme furent pratiqués par des Gardes rouges dans la province du Guangxi[17].
Personnalités victimes des séances de lutte
[modifier | modifier le code]Les représentants de l'ancien clergé et de l'ancienne bourgeoisie étaient les premiers visés.
- Choekyi Gyaltsen (1938-1989), le 10e panchen-lama du Tibet, subit en 1964 une séance de thamzing pendant 50 jours, à la suite de ses critiques émises dans la pétition en 70 000 caractères, comme l'indique la tibétologue Françoise Pommaret[18]. Du au , il fut violemment critiqué pour ses prises de position lors d'un procès au 7e congrès du « Comité préparatoire à l'établissement de la Région autonome du Tibet ». Ce procès se transforma en séances de thamzing qui durèrent 50 jours[19]. Il fut démis de ses fonctions de président par intérim du Comité, et emprisonné[20]. Selon Tibet Information Network : « Il resta quatorze ans en détention, dont neuf ans et huit mois en prison à Pékin, et le reste sous une forme de résidence surveillée. De temps en temps, il était sorti de prison pour des séances de thamzing massives dans des stades de Pékin où il était humilié devant des milliers de gens. Le plus infâme fut quand en 1966, on persuada sa belle-sœur de l'accuser de l'avoir violée, et son jeune frère le battit pour cette offense probablement inventée[21] ». Les conditions de détention du panchen-lama le conduisirent à une tentative de suicide[22].
- Robert W. Ford, un opérateur radio britannique qui travailla au Tibet dans les années 1950, fut arrêté par l'armée chinoise et soumis à des interrogatoires et une réforme de la pensée pendant cinq ans dans les prisons chinoises. Il décrit son expérience au Tibet dans un livre où il analyse la méthode chinoise de réforme de la pensée[23].
- Liu Shaoqi, ancien dirigeant du parti communiste chinois : selon Louis-Jean Duclos, Liu Shaoqi fut soumis à une première autocritique le puis subit des séances de lutte au sein de Zhongnanhai, à proximité du pavillon de Mao Zedong. Il fut ultérieurement transféré dans une prison de Kaîfeng, où il décéda le des suites de mauvais traitements[24].
- Ribur Rinpoché fut soumis, durant la révolution culturelle, à 35 « séances de lutte » devant 30 à 400 personnes attroupées. En général le soir, entre 20 h et 23 h après le travail, il devait porter un long chapeau pointu et sa robe de moine, pour signifier sa mauvaise classe. On lui collait toutes sortes de badges et d'objets religieux pour le ridiculiser, et il était promené dans le marché de Lhassa, au son des trompettes, des gongs, et des quolibets des gardes rouges. Son accusateur, un Chinois du nom de Guo Xianzhi, chef du district de Lhassa, l'accusait de contacts secrets avec le dalaï-lama, des « réactionnaires étrangers », et de vouloir créer un mouvement pour l'indépendance du Tibet. Il devait apparaître au public, les mains posées au sol, tête baissée, et était alors battu et critiqué. Il reçut un jour un coup de crosse de fusil sur l'oreille droite, et n'entend plus très bien depuis[25].
- Xu Shiyou, général et cadre dirigeant du parti communiste chinois[26].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- L'analyse de Jacques Andrieu s'effectue à partir de l'ouvrage Stèles rouges : du totalitarisme au cannibalisme de l'historien chinois Zheng Yi
Références
[modifier | modifier le code]- Palden Gyatso, Le Feu sous la neige, Actes Sud, 1997, (ISBN 2742713581)
- Pierre-Antoine Donnet, Tibet mort ou vif, Édition Gallimard; 1990: Nouv. éd. augm 1993, (ISBN 2070328023), p. 130
- Pierre Zhou Bangjiu, L'aube se lève à l'Est: Récit d'un moine bénédictin chinois emprisonné, Récit d'un moine bénédictin chinois emprisonné pendant 26 ans dans les camps de la Chine communiste au nom de la foi p 125 « Voyant s'évanouir leur espoir de me briser par la torture et par les « séances de lutte », les autorités de la prison décidèrent de dissoudre le petit groupe spécial et mirent un terme au harcèlement des réunions qui duraient tous les jours du matin au soir depuis près de trente jours. »
- Bulletin critique du livre français: Numéros 604 à 606, Association pour la diffusion de la pensée française, France, Direction générale des relations culturelles, 1999, p 163 « et les sinistres tham - zing, ces « séances de lutte » ou de « dénonciation » durant lesquelles les prisonniers doivent avouer leurs « fautes » et « crimes » ».
- Gavroche: Numéros 109 à 126, 2000, « Des « séances de lutte » vont s'ensuivre aboutissant automatiquement à des condamnations à mort, suivies d'une exécution immédiate débouchant sur le dépeçage, sur place, des corps. »
- Louis-Jean Duclos, La violence politique des enfants, p 148, « Liu Shaoqi a dû présenter une première « auto-critique » le 23 octobre 1966. Il a fait ensuite l'objet de séances de « lutte » à l'intérieur de Zhongnanhai, à deux pas du pavillon occupé par Mao. Transféré à une date indéterminée dans une prison de Kaîfeng, il devait y mourir, le 12 novembre 1969 des suites des mauvais traitements qu'il avait subis. »
- Guyonne Leduc, Christine Bard, Travestissement féminin et liberté(s), 2006, p 413 : « À partir d'août 1966, les gardes rouges se sont lancés à travers les rues, à la chasse aux vêtements féminins non conformes, agressant les passantes, les battant, les soumettant à des séances de lutte autocritique, les violentant probablement parfois »
- Wolfgang Asholt, Georges-Arthur Goldschmidt Dans le dehors du monde: Exils d'écrivains et d'artistes au XXe siècle, p 287 : « Le lecteur découvre au chapitre 23 comment il s'installe à la tribune rouge des séances de lutte de son unité de travail à la place de l'ancien chef Wu Tao »
- Marie Holzman, Lin Xiling l'indomptable, 1998, p 134 : « Parfois obligés de subir de pénibles « séances de lutte », ils se sont vu confier des tâches humiliantes. »
- Najîb Mansûr Zakka, Jean-Marie Delmaire, Olinda Kleiman, Littératures et cultures d'exil: terre perdue, langue sauvée, Presses universitaires de Lille, 1993, p 249 : « Les intellectuels chinois ont subi un lavage de cerveau : ils ont été interdits de livres, livres étrangers et chinois, ils devaient se contenter des œuvres du Président Mao. À la déculturation s'ajouta le déclassement et l'humiliation. Les séances de lutte-critique et d'autocritique auxquelles ils furent soumis ont incrusté en eux la stérilisante culpabilisation, laquelle leur laissait le choix entre le silence et le désir sincère de se faire pardonner une faute »
- Charlie Buffet, Päldèn Gyatso, 66 ans, a survécu à trente-deux ans de goulag chinois. Libre, ce moine tibétain témoigne de l'oppression infligée à son pays. Prométhée enchiné, Libération, 21-11-1997. « Le thamzing est une séance d'autocritique où la victime est tenue d'avouer ses fautes au centre d'un cercle de prisonniers qui doivent à leur tour l'accuser, l'insulter, puis le tabasser. Un thamzing peut durer des semaines. Il peut conduire la victime à la mort, au suicide, ou bien s'achever comme il a commencé, sans raison. »
- Gilles Van Grasdorff, La nouvelle histoire du Tibet, Édition Perrin, 2004, (ISBN 2262021392).
- (en) David Priestland, The Red Flag : A History of Communism, New York, Grove Press, , 675 p. (ISBN 978-0-8021-1924-7), p. 246
- Youqin Wang (écrivain chinois), Trouver une place pour les victimes. La difficile écriture de l’histoire de la Révolution culturelle Perspectives chinoises, 2007 « Un très grand nombre de personnes sont mortes des persécutions perpétrées pendant la Révolution culturelle. La plupart des victimes trouvèrent la mort dans leur unité de travail, plutôt que dans des camps éloignés. Elles ont été attaquées lors de « sessions de lutte des masses », et les meurtres ont été commis au nom de la prétendue « dictature des masses » préconisée par Mao Zedong. Loin d’être tenus secrets, les meurtres servaient plutôt à obtenir la soumission de la population par la terreur. À vrai dire, la connaissance qu’avait la plupart des gens de cette oppression impitoyable est l’une des raisons principales pour lesquelles si peu de personnes s’opposèrent ouvertement à la Révolution culturelle. »
- Mikel Dunham, Les Guerriers de Bouddha : Une histoire de l'invasion du Tibet par la Chine, de la résistance du peuple tibétain et du rôle joué par la CIA, avant propos du Dalaï-Lama, traduction Laurent Bury, 2007, Actes Sud, p. 340
- Shiwo Lobsang Dhargye in Tibet Histoire d'une tragédie, Kim Yeshi, Éditions La Martinière, 2009, p. 174-198.
- Jacques Andrieu, Les gardes rouges : des rebelles sous influence« En outre, dans les trois cas d'anthropophagie que nous avons longuement cités, la consommation de chair humaine apparaît directement liée à la violence qui se donnait libre cours pendant une « séance de lutte ». Cette violence était légitimée, car c'est au nom de la « Révolution » que les enfants-bourreaux battaient et tuaient les victimes qu'ils s'étaient désignés, après les avoir dûment diabolisées. »
- Françoise Pommaret, Le Tibet, une civilisation blessée, Pages 112 et 113, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard / Histoire » (no 427), Paris, 2002.
- (en) Tibet Information Network, A poisoned arrow: the secret report of the 10th Panchen Lama, 1997, Page xx, « Tibet Autonomous Region began its seventh Enlarged Meeting in Lhasa. That meeting became the struggle session which, after fifty days of interrogation, abuse and humiliation, awarded the Panchen Lama the three labels or 'hats' »
- (en) Elmar Gruber, From the Heart of Tibet: The Biography of Drikung Chetsang Rinpoche, the Holder of the Drikung Kagyu Lineage, Éditeur Shambhala, 2010, (ISBN 1590307658) :« Shortly thereafter, in September 1964, the Seventh Enlarged Meeting of the PCART brought him to trial, accusing him of secretly preparing a counter-revolution. […] The Panchen Lama was abused in the vicious struggle, but he refused to confess to having committed any crimes. He was put in prison and not released until 1977. »
- (en) Tibet Information Network, A poisoned arrow: the secret report of the 10th Panchen Lama, 1997, Page xxi : « The Panchen Lama spent nine years and eight months of the next 14 years in prison in Beijing, and the remainder under some form of house detention. From time to time he was taken out for massive struggle sessions in sports stadia in Beijing, where he would be publicly humiliated in front of thousands of people. On one infamous occasion in 1966, said to have wounded him more than any other, his sister in law was persuaded to accuse him from the podium of having raped her, and his younger brother beat him on the stage for the offence, which was probably fictious »
- Excerpts from Qincheng: A Twentieth Century Bastille published in Exploration, March 1979
- Robert W. Ford, « Tibet Rouge, Capturé par l’armée chinoise au Kham » Olizane, 1999 (ISBN 2-88086-241-8).
- Louis-Jean Duclos, La violence politique des enfants, p. 148 : « Liu Shaoqi a dû présenter une première « auto-critique » le 23 octobre 1966. Il a fait ensuite l'objet de séances de « lutte » à l'intérieur de Zhongnanhai, à deux pas du pavillon occupé par Mao. Transféré à une date indéterminée dans une prison de Kaîfeng, il devait y mourir, le 12 novembre 1969 des suites des mauvais traitements qu'il avait subis. »
- Pierre-Antoine Donnet, Tibet mort ou vif, Gallimard, 1990, (ISBN 978-2-07-071918-1), p. 129-130
- GEN. XU SHIYOU OF CHINA DIES; LONG A KEY MILITARY LEADER New York Times, 24 octobre 1985