Goutte froide
Une goutte froide ou goutte d’air froid désigne en météorologie un volume limité d’air froid qui est représenté, sur une carte météorologique, entouré d'isothermes fermées[1]. On parle également de dôme froid ou dôme d'air froid bien que ces deux termes soient plus généraux et puissent s'appliquer à des masses froides capturées sous de l'air plus chaud (blocage d'air froid) ou de la poche d'air froid dans une dépression en occlusion[2].
Le diamètre d'une goutte froide peut varier de quelques centaines à un millier de kilomètres. L'air y est homogène et sans ligne de front le séparant des masses environnantes, tout en ayant une influence déterminante sur le temps. La goutte froide mène alors le plus souvent à une circulation atmosphérique de blocage où on assiste à la formation d'une dépression coupée d'altitude[2],[Note 1]. Les gouttes froides hautes, entre 1 000 et 10 000 m, sont des régions de faible stabilité, alors que les gouttes froides basses sont des zones d'air relativement stable[1].
Une autre sorte de goutte froide est celle naissant à méso-échelle sous un orage ou une averse lorsque le cœur de précipitations et d'air frais des niveaux moyens de l'atmosphère descend vers le sol : étant plus froid que l'environnement, ils forment un dôme d'air froid très stable qui s'étale sous le nuage.
Goutte synoptique
[modifier | modifier le code]Terminologie
[modifier | modifier le code]On ne sait pas quand l'usage du mot « goutte froide » est entré dans la météorologie. Cependant, avant cela, ce terme était très fréquemment utilisé dans la médecine, au moins du XVIe au XIXe siècles, en significant une maladie. Antonyme de « goutte chaude », il s'agissait d'une sensation de froid. Mais celui-ci signifiait aussi une goutte chronique privée de la rougeur qui accompagne la tumeur goutteuse[3]. En ligne, le mot se trouve dans un livre publié à Lyon en 1579. Il s'agit d'une traduction de Chirurgia Magna de 1363, dont l'auteur était un professeur éminent de la faculté de médecine de Montpellier, Guy de Chauliac[4].
Formation
[modifier | modifier le code]La circulation atmosphérique propice à la formation d'une goutte froide est un creux barométrique d'altitude ayant une forte composante nord-sud. L'air froid entraîné vers les régions méridionales finit par créer une dépression fermée à tous les niveaux, en marge de la circulation générale, et surmontée d'un dôme d'air froid[5].
Bien que ce schéma puisse se produire en toute saison, on le retrouve surtout au printemps et en automne lorsqu'une masse d'air polaire est amenée vers les régions plus méridionales par le courant-jet se déplaçant entre 5 et 9 km d'altitude[5]. Ce phénomène occasionnel peut se produire partout dans les latitudes moyennes, entre autres sur la Côte d'Azur, la côte méditerranéenne espagnole et les Grands Lacs d'Amérique du Nord en avril et octobre.
Si la goutte se trouve près du sol, on obtient une inversion de température et des nuages stratiformes de faible extension verticale. Lorsque cet air passe au-dessus d'air plus chaud provenant d'un anticyclone plus au sud ou d'une source de chaleur locale, comme la mer dont l'eau est plus chaude que la température de la goutte, l'air est alors particulièrement instable et donne des nuages convectifs[1].
En 1992, une étude statistique des gouttes froides synoptiques les séparent en 3 types : les gouttes froides de type arctique, de type polaire et de type subtropicale, en fonction du courant-jet au voisinage duquel eut lieu le détachement de la circulation. Les gouttes froides subtropicales sont plus petites durent le moins longtemps[6],[7].
Évolution
[modifier | modifier le code]La dépression froide d'altitude peut persister de quelques jours à plus d'une semaine[8]. Elle peut être absorbée dans la circulation générale alors qu'une autre se reforme au même endroit quelques jours plus tard. L'évolution et le déplacement d'une dépression froide, comme tout blocage météorologique, sont donc incertains parce qu'il s'agit d'une situation très stable. Pour déplacer ou absorber un tel système, il faut que le flux d'altitude qui descend vers lui soit très puissant et bien synchronisé et/ou l’activité orageuse/pluvieuse en son sein mélange la masse d'air dans la verticale[5]. Le problème est similaire à la dissipation des tourbillons dans le flot d'une rivière. La goutte d'air froid qui l'a formée peut donc persister au-dessus d'une région assez longtemps.
Les météorologues ont développé la règle d'Henry, avant le développement des modèles de prévision numérique du temps, qui donnait une méthode pour évaluer la possibilité de formation et de dissipation des dépressions coupées[9]. Le développement des modèles numériques a fourni une méthode plus objective de prévision, mais ils ont eu longtemps tendance à ouvrir et absorber ces systèmes dans la circulation générale trop rapidement. L'amélioration des équations et de la résolution des modèles a considérablement amélioré la prévision de leur comportement, des erreurs se produisant encore souvent. La position de la goutte froide peut donc être mal estimée et les régions de convection atmosphérique qui l'accompagnent également.
Selon l'étude (2014) de Nikolett Gaál (université Loránd-Eötvös) et d'István Ihász (Service météorologique hongrois), la formation de la goutte froide typique se constitue normalement en quatre phases [2][8] :
- Anomalie au niveau supérieur de la troposphère — ce qui provoque l'oscillation du courant-jet[Note 2] ;
- Détachement d'une partie du courant-jet qui crée une circulation d'air avec le sens inverse des aiguilles d'une montre (hémisphère nord) ;
- Coupure complète de cette circulation du courant-jet — évolution de goutte froide[Note 1] ;
- Phase finale — commencement de convection atmosphérique qui remplace l'air froid en altitude par de l'air chaud — affaiblie, la goutte froide est normalement réattachée au courant-jet.
Le développement de la goutte froide dure, dans la plupart des cas, de 3 à 10 jours.
Conséquences météorologiques
[modifier | modifier le code]Les conséquences météorologiques varient selon la taille de la goutte, son altitude et sa durée de vie. Dans le cas d'une « goutte de basse altitude », la dépression créée est généralement faible et se comble spontanément. On a donc des nuages minces de bas niveau, sans ou avec peu de précipitations, et en dissipation[5].
Si la goutte s'étend en altitude, le phénomène de goutte pourra persister plusieurs jours ou même plus d'une semaine, comme la dépression au-dessus de laquelle se retrouve la goutte froide se déplace lentement et que l'air y est instable, des bandes intenses de précipitations affecteront certains corridors. La pluie/neige peut donc durer des jours et localement donner de très grandes accumulations causant des inondations, ainsi que des dommages aux maisons et aux cultures[5]. La saturation des sols en eau peut aussi induire des phénomènes de solifluxion et de glissements de terrain. Selon la profondeur de la dépression de surface et la force des orages imbriqués, les vents peuvent être forts à violents[5]. Dans ce cas, le phénomène peut toucher un vaste territoire.
À titre d'exemple, une goutte froide est responsable des inondations de juillet 2021 en Europe qui furent catastrophiques. La dépression coupée a produit par un cumul inhabituel de pluie sur l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la France et la Suisse, se soldant par plus de 100 morts en quelques jours. Il est tombé 154 millimètres de pluie le mercredi à Cologne, dont 145 millimètres de 8 h à 20 h. C’est-à-dire qu’il est tombé en douze heures ce qui tombe habituellement en juillet et août réunis, sachant qu’il ne s’agit pas d’une région particulièrement sèche[10]. Localement, les cumuls ont pu atteindre 200 millimètres.
Catastrophes naturelles attribuées à la goutte froide synoptique
[modifier | modifier le code]- Inondations de mars 1930 dans le bassin du Tarn[11],[12],[13] ;
- Aiguat de 1940[14] ;
- Grande inondation de Valence de 1957[15],[16] ;
- Inondation du 3 octobre 1988 de Nîmes[17] ;
- Inondation de Vaison-la-Romaine en septembre 1992[18] ;
- Inondations des années 2010 dans le Var[19] ;
- Inondations d'octobre 2015 dans les Alpes-Maritimes[20] ;
- Inondations de juillet 2021 en Europe ;
- Inondations de juillet 2021 en Belgique ;
- Crues de l'Anglin de 2021 ;
- Inondations de 2024 en Europe centrale ;
- Inondations de 2024 en Espagne.
Voir aussi : Liste d'événements de goutte froide en Espagne depuis 1356 (en).
Goutte méso
[modifier | modifier le code]Formation
[modifier | modifier le code]La masse d'air qui génère un orage ou une averse est caractérisée par de l'air chaud et humide à bas niveau, alors que celui d'altitude est plus sec et frais. Ce contraste instable amène l'air inférieur à s'élever en un courant ascendant ; l'humidité se condense à partir de l'altitude où la température de l'air atteint celle du point de rosée, donnant la saturation, pour former le nuage et engendrer plus tard des précipitations.
Le cœur de précipitations dans le nuage, qui se trouve à une grande altitude, finit par être trop pesant pour que le courant ascendant puisse le soutenir. Il commence alors à descendre et lorsqu'il quitte le nuage, les gouttelettes commencent à s'évaporer car l'air n'y est pas saturé. Cette évaporation partielle ou totale retire de l'énergie de l'air entourant les précipitations qui sera donc plus froid que l'environnement. Cet air, malgré le réchauffement adiabatique, sera toujours plus frais que l'environnement une fois le sol atteint et forme une goutte froide sous le nuage[21].
D'autre part, de l'air frais et sec des niveaux moyens peut être absorbé dans le nuage. Ce dernier est à une température supérieure car il a subi une transformation adiabatique humide. L'air injecté est donc plus dense et doit descendre. Il reste toujours plus froid que l'environnement durant cette descente et ajoute au dôme d'air froid créé par les précipitations[21].
Effets
[modifier | modifier le code]La goutte froide de méso-échelle s'étale sous le nuage et forme un front de rafales plus ou moins intense. En moyenne, les gouttes se propagent à 10 m/s et durent de 2 à 3 heures[22]. Dans les simulations numériques, elles atteignent 10 km de rayon, alors qu'en réalité elles peuvent s'étendre sur 50 à 100 km[23].
Dans les cas extrêmes, on peut obtenir des rafales descendantes causant de sérieux dommages. La rencontre de la bordure de la goutte avec un flux d'air chaud et humide de surface peut mener à la formation de nouveaux nuages convectifs par soulèvement de cet air et d'une ligne nuageuse appelée arcus sous un cumulonimbus[21]. La collision entre plusieurs gouttes peuvent aussi déclencher la formation de nouveaux orages et ainsi entrainer la formation de nouvelles gouttes de formes complexes[24].
Finalement, dans la goutte elle-même, l'air est très stable car on y trouve de l'air plus froid au sol qu'en altitude et cela mène à une zone dégagée[21].
Notes
[modifier | modifier le code]- Jean Chaline et Jacques Lang définissent donc la « goutte froide » comme vortex qui s'isole du courant-jet (Jean Chaline et Jacques Lang, Histoire climatique de la Terre : Et si tout venait du soleil ?, p. 42, 2024 [lire en ligne] (consulté le 25 novembre 2024).
- De sorte que le phénomène goutte froide soit créé, l'anormalité du courant-jet est essentiel et indispensable. Plus précisément, lorsque ce courant-jet est affaibli, tout comme le cours de l'eau, cet affaiblissement favorise son oscillation. Cette dernière donne naissance à deux phénomènes importants. D'une part, avec la force de Coriolis, une partie du vent commence à circuler en sens inverse des aiguilles d'une montre (dans l'hémisphère nord). Puis ce vortex devient dépression. D'autre part, en profitant de cette oscillation, l'air froid commence à se déplacer vers la direction de l'équateur tandis que l'air chaud vers la direction du pôle (voir ces images [1]). Auparavant bloqués et séparés par le courant-jet, ces airs ayant de différentes températures se rencontrent au sein du vortex - devenu dépression - qui provoquent les activités naturelles violentes sous l'effet d'instabilité.
- Contrairement à ceux que des journalistes écrivent, l'effet du rechauffement climatique sur ce phénomène n'est pas établi. Certes, l'augmentation de la vapeur issue de l'océan plus chaud, surtout de la Méditerranée, peut provoquer beaucoup plus de quantité de pluie. Car un air plus chaud est capable d'y garder plus de vapeur. Toutefois, la plus grande intensité de précipitations historiques était constaté, déjà, dans la première moitié du XXe siècle.
Les scientifiques restent cependant attentifs à l'évolution de température dans les régions des deux pôles. En effet, sur l'Arctique, l'augmentation de température est trois fois plus que sur les autres régions (Jennifer Ann Francis (PhD), de The Arctic Council, Shifting Winds : How A Wavier Polar Jet Stream Causes Extreme Weather Events, le 28 octobre 2024 (en)[lire en ligne] (consulté le 28 novembre 2024)). Comme le courant-jet est un phénomène créé par un fort contraste de températures entre l'air froid et l'air chaud et la force de Coriolis (Météo France, Le courant-jet, le 14 mars 2024 [lire en ligne] (consulté le 28 novembre 2024)), une fois la différence diminuée, ce courant-jet peut affaiblir plus et favoriser l'oscillation. Les études sont en cours.
Références
[modifier | modifier le code]- « Glossaire des termes météorologique, lettre G » [archive du ], Service météorologique du Canada (consulté le ).
- « Dépression coupée » [archive du ], Glossaire météorologique, Euromet (consulté le ).
- Dictionaire des sciences médicales, par une société de médecins et de chirurgiens , tome XIX GOM - GYP, p. 139, 1817 [lire en ligne] (consulté le 20 novembre 2024)
- La grande chirurgie de M. Gui de Chauliac, médecin très fameux de l'Université de Montpellier, composée l'an de grâce M.CCC.LXIII, tome VIII, p. 22 [lire en ligne] (consulté le 20 novembre 2024)
- Damien Altendorf, « Météorologie : qu’est-ce qu’une “goutte froide” ? », sur sciencepost.fr, (consulté le ).
- (en) J. D. Price et G. Vaughan, « Statistical studies of cutoff low systems », Ann. Geophys., vol. 10, , p. 96–102.
- Barray, « Statistiques des gouttes froides », sur univ-reunion.fr (version du sur Internet Archive).
- Nikolett Gaál et István Ihász, Predictability of cold drops based on ECMWF's forecasts over Europe, ECMWF Newsletter, n° 140, été 2014 (en)[lire en ligne] (consulté le 18 novembre 2024)
- (en) Walter K. Henry, « The Southwest Low and "Henry's Rule" », National Weather Digest, vol. 3, no 1, , p. 6-12 (lire en ligne [PDF], consulté le )Règle de Henry en conclusion..
- « Inondations meurtrières : l’Europe sous le choc du changement climatique », sur Reporterre (consulté le ).
- Monique Dacharry, Hydrologie de la Loire en amont de Gien, tome II, p. 141, 1974 [lire en ligne] ; voir aussi p. 154 - 155 (mai 1959) (consulté le 7 novembre 2024)
- Maurice Padré, « La crue catastrophique de mars 1930 dans le Sud-Ouest de la France », Revue de Géographie Alpine, vol. 18-2, , p. 343 - 393 (lire en ligne, consulté le )
- Guillaume Séchet et Alexandre Slowik, « Retour sur les inondations dramatiques de mars 1930 dans le sud-ouest », Météo-Paris, (lire en ligne, consulté le )
- Helga-Jane Scarwell et Richard Laganier, Risque d'inondation et aménagement durable des territoires, p. 29, Presses Universitaires du Septentrion 2004 [lire en ligne] (consulté le 10 novembre 2024)
- (en) Atika Schubert, « Too little, too late : How Valencia's residents were trapped with no warning in Spain's deadly floods », CNN, (lire en ligne, consulté le )
- (es)Instituto Tecnológico GeoMineo de Espaṅa, IV Simposio sobre el agua en Andalucía, tome III, p. 130, décembre 1996 [lire en ligne] (consulté le 11 novembre 2024)
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- Pierre Carrega, « Les inondations azuréennes du 3 octobre 2015 : un lourd bilan lié à un risque composite », Pollution atmosphérique, (lire en ligne, consulté le )
- (en) Steven F. Corfidi, « Cold Pools and MCS Propagation: Forecasting the Motion of Downwind-Developing MCSs », Weather and Forecasting, vol. 18, no 6, , p. 997-1017 (ISSN 0882-8156, DOI 10.1175/1520-0434(2003)018<0997:CPAMPF>2.0.CO;2, lire en ligne [PDF], consulté le ).
- (en) Adrian M. Tompkins, « Organization of Tropical Convection in Low Vertical Wind Shears : The Role of Cold Pools », Journal of the Atmospheric Sciences, AMS, vol. 58, no 6, , p. 529-545 (DOI 10.1175/1520-0469(2001)058<0529:OOTCIL>2.0.CO;2, lire en ligne [PDF], consulté le ).
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Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
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- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- [vidéo] Météo-France, « Qu'est-ce qu'une goutte froide ? », sur YouTube, (consulté le ).
- [vidéo] Radio-Canada Info, « Qu'est ce que la goutte froide, qui a provoqué des inondations dévastatrices en Espagne ? », sur YouTube, (consulté le )