Boissel - Qand Les Enfants Se Mirent A Dessiner
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Journal Title :Cahiers du Musee national d'art moderne
Journal Vol: either 31-32 or 33-34
Journal Issue:
JournaiYear: 1990
Article Title: Boissei, Jessica 'Quand les enfants se mirent dessiner. 1880-1914, un fragment de l'histoire des ides'
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1
QUAND LES ENFANTS
SE MIRENT A DESSINER
1880-1914: UN FRAGMENT
DE L'HISTOIRE DES IDES
JESSICA BOISSEL
L'enfant de moins de douze ans devrait tre autoris
s'amuser avec des couleurs bon march ... S'il sc
comente de barbouiller le papier de taches dpour-
vues de sens, on pourra lui enlever la couleur
jusqu' ce qu'il sache mieux s'y prendre; mais, ds
qu'il se met colorier les uniformes en rouge et qu'il
garnit les bateaux de pavillons rays, il devrait
pouvoir disposer de couleurs volont ...
John Ruskin t
Le point de dpart des rflexions qui suivent
est la publication, en 1912 par Vassily Kan-
dinsky et Franz Marc, de l'almanach Der Blaue
Reiter, l'un des manifestes les plus importants
de la modernit avant la Premire Guerre
mondiale
2
Cet ouvrage, qui dfend la Ubert
de l'expression artistique selon les critres de la
ncessit intrieure 3, dveloppe, travers
le discours tenu par les images reproduites, des
confrontations aussi audacieuses que dcon-
certantes entre l'art d'avant-garde (des uvres
de Czanne, Picasso, R. Delaunay, Klee, Kan-
dinsky et Marc), l'art du pass, celui des
primitifs, l'art populaire et celui des enfants. Si
la nouveaut de tels rapprochements en ce
dbut de sicle n'eut gure d'cho alors, les
textes des commentateurs actuels ne tarissent
pas d'loge
4
Ce qui retiendra ici notre attention, c'est
seulement la prsence de dessins d'enfants
parmi les illustrations du Blaue Reiter, ainsi que
DESSIN D'ENFANT
PUB LI! D A ~ S E. VIOllfT-li-DUC,
HISTOIRE D' UN DESSINATEUR.
COMMENT ON APPREND A DESSINER, 1879
CAHIERS du Muse national d'art moderne
15
les quelques rares passages qui s'y rfrent.
Dans son article Les Masques , August
Macke pose cette question rhtorique :
Les enfams, qui crent directement partir du
mystre de leurs sentiments. ne sont-ils pas plus
crateurs que l'imitateur des formes grecques ? Les
sauvages ne sont-ils pas des artistes, eux qui ont leur
propre forme, forte comme la forme du tonnerre ?5
Cette partie du texte est scande par des
reproductions de l'art du Mexique, des les de
Pques, ainsi que par un dessin d'enfant. Le
premier manuscrit du sommaire du Blaue Reiter
comporte le nom de la dessinatrice, Lydia
Wieber, inscrit par Kandinsky ; dans la liste des
artistes, elle suit juste Van Gogh
6
D'autres
jeunes dessinateurs sont mentionns dans un
paragraphe enthousiaste de la correspondance
Kandinsky-Marc, le 19 juin 1911 : Et l,
nous allons mettre un gyptien ct d'un
petit Zeh , crit Kandinsky
7
: il s'agit de l'un
des trois fils de l'architecte munichois August
Zeh. Un nombre considrable des feuillets de
ces enfants avait t expos Munich au mois
d'avril chez Brakl, galerie d'art renomme et
conservatrice
8
.
Dans l'une de ses contributions thoriques
l'almanach, V. Kandinsky clbre l'im-
mense force inconsciente qui se manifeste
dans les dessins d'enfants et en fait des
uvres qui galent celles des adultes (quand
elles ne les dpassent pas de trs loin) , la
condition que l'observateur sache faire preuve
31 PRINTEMPS 1990
JESSICA BOfSSEL
d'un espric " impartial " (tmparteiisch) et " non
soumis am. traditions " (wJtraditiMell) et qu'il
ait conserv la facult de regarder avec des
yeux nafs. Apprendre de l'elliant, c'est ce
que devraient faire non seulement les observa-
teurs, mais aussi les maitres qui s'efforcent
d'inculquer l'enfant la connaissance du
monde pratique .
Kandinsky fait intervenir un autre type
d'an : l'art populaire. Celui-ci a des affimts
avec la cration enfants en ce qui concerne
" la forme de la composition " (komposirionelle
Form). L'auteur avance que l'artiste " ressem-
ble beaucoup l'enfant durant toute sa vie uY.
La nouveaut particulire du discours tenu
par les images reproduites dans le Blaue Reiter,
discours dont F. Thrlemann a fait. en 1986,
une analyse d'une grande pertinence et dont il
a soulign l'autonomie par rapport au texte,
rside dans l'galisation " des crations pictu-
rale!> et plastiques de toutes cultures. classes ou
poques >> et " dam la prise de conscience
d'une parent #intrieure", commune des
phnomnes esthtiques qui #extrieurement"
semblent n'avoir aucun point commun, puis-
qu'ils proviennenr de courants cullurel s fon
divers w. Ils sont des canons esthti-
ques traditionnels ,mais se soumettent pour-
tant sans exception au principe de la nces-
intrieure (innere N.,tlvendi_qkeit). pour
reprendre les tem1es de Kandinsky
11
Prin1itifs, naifs et artistes d'avant-garde font
figure d'allis. Dans le Blaue Reiter, cet aspect
FR<RF5 ZEH
COLLAGE Ot Ot:SSINS
ENCRt SLIR PAPif.R. 1,1 14.1
WEO .. I\.i) l o\l."-lf\l\.4.i OU BLAUt RIIJCR 1912.
FONDS I<A!I.IOI;o...<;KY M"""MPHOfO
16
occupe le premier plan et relegue au second la
tendance courante qui constitue en modle la
cration des primitifs et des nafs en tant qu'an
lmentaire et originel.
Paul Klee adhre cette tradition romanti-
que : les dessins d'enfants ne cessrent d'avoir,
pour son an. une signification importante et
constamment renouvele
11
Dans un article
qu'il ecrivit pour la rc:v ue suisse Die A/pen en
1911, propos de la premire exposition
organise par la rdaction du Blaue Reiter en
1911 la galerie Thannhauser de Munich, on
peut lire la profession de foi suivante :
"''oublions pas que 1 an a ses ongines comme nous
pouvons le vrifier dans le:. ethnographiques
ou chez nous dans la chambre d'enfanrs (ne ris pas
lecteur) les enfants aussi peuvent en faue et la
valeur anistique\ les plu\ rcentes
n'est en rien amoindrie par ce (Onslat. Au contraire.
Cer era1 de compone um sagesse posiuvc :
plus les enfants sont plus l'an
f!U'ils produisent esr riche d'emcignemen1s; car ici
aussi tl ) a dj,i une corntprion . lorsque les enfants
se meuent as,imiler uvres d'an acLomplies
ou mme les imiterll.
Une imiration gauche " (awkward imita-
rion) dtl monde des adultes, rel est predsmcnt
le reproche qu'adresse K.O. Werckmeister
quelques-uns des dessins d'enfants choisis par
Kandinsky. Il de la srie "La Pose" (Das
Sitzen), consGrant en quatre dessins reproduits
sur une double page (p. l94 et 195 de la
traduction franaise), raliss, eux. aussi. par
P-'CE CI.CO'<TR1
rYDIAWEBEK
.,RABCS fl.!n h.Jut) lA POliE 1er1 ba$)
CMYO" (T "QU.,REllE Sl:R PAP>ER.
PUBllf L AL\.W'I.AC.H Ol.' Bt.Alif RllrTR.
kANDI!'\ S.._') M!'.;AWPHOTO MNA.M
..
dt Kt.tn txodwM.Tl FUt -dl'l' dtt 1mo.kn l!!t
iP !kn 1udt'lt\;.!lliilcr. der lB do>t'l fa>t Uilbo.hnntt:n ll-J"'J ln-
Un t.'W'akk Mt'%iko. Al7.t,lo dw wdl. n
Bl!J.o!I(DUt4,. dM iiod ((\f 1lil- dX wdl;.t",, ),.kb.-D t1i
1k-r \'011 I\.,:1>.\! Ul \\uhlrib [illt J"'hre MOtrh.t.tt. doc h!vk '\'<:11
:l!.m liU!; do,.'tll 'illioO."flol'l'l\ 'it.U..11 ftn;ah &or \1-Wca toold
rue. Uohfl41-i.ktr 1\t<.;Ait:donKil <J151:it.e fi;Jrl.:r \t>n
und 00' Gr'III..Stl!l L"!! lrar.khu.cr Oool
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&'D '-!'ll'd Wo W dahmt.T .tt:tM.-n, wu fonncn loe1
\Wtdt-n, dl15t I 'IICh
DESSINS D'ENFANTS
17
juil-
sept.
3
Ill
7.20
2.00
1929
Lydia Wieber et dment dats ( 1908). Le
commentaire de Werckmc1ster est le suivant :
La vhmence dogmatique avec laquelle
a insist sur les mrites anistiques de la cration
picturale enfantine, non corrompue par les conven-
tions. n'est gure corrobore par les spcimens de
dessins d enfants que Marc et lui om reproduits
comme illustrations dans l'almanach du Blaue R-
ter ... Ih n'manent videmment pas de petits
enfants. et ne paraissent pas s'carter beaucoup du
ralisme des adultes. lb apparaissent plutt comme
des imitations gauches de l'imagerie adulte ... H
C'est pourtant justement cette srie qu'uti-
lise nouveau Kandinsky dans ses au
Bauhaus de Dessau. Dans les notes prpara-
toires poUI la dixime leon du 12 mars 19 29.
il prvoit comme matriel iconographique sur
le meme Fonne et composition dans l'an et
la technique )> :
1 J Dessins (" Pose , . Blauer Reiter et vieille
locomotive) ;
2) An populaire (Blaui'T' Reuer et vieille locomotive)
Et il en va de mme pour la leon du t 5 marsts.
Outre ces feuillets publis dans le Blaue
Reiter. Vassily Kandinsky et Gabriele Mnter
possdaient une importante collection de des-
sim d'enfants dont une grande part avait t
runie avant la Premire Guerre mondiale.
Cette collection est conserve la Fondation
Eichner-Mnter Munich et doit tre publie
prochainement.
D'autres feuillets. dont quelques-uns sont
reproduits id. s'ajouteront l'poque du Bau-
haus. On ne peut dterminer avec sret leur
provenance. Ces dessins, une partie de la
collection personneUe de Kandinsky. ont t
legus par sa veuve - en mme temps que les
mres de l'artiste- au Muse national d'art
moderne. Ils proviennent vraisemblablement
du cours d'Helene Schmidt-Nom1; celle-ci
prit part l'enseignement de Paul Klee au
Bauhaus de Dessau, et travailla plm tard a
l'atelier de tissage sous la direction de Gunta
Stolzl. avant d'enseigner elle-mme dans plu-
sieurs colesll.
!JN T>Pf t.lfC liANT
OUVERTtJRE DE lA RlVUl MU/lAUS,
1929
COLLAGE
FU" OS KA MNAM
19
DESSINS D'ENFANTS
La collection du muse offre galement des
travaux dus au jeune Felix Klee (entre ses 14
et 16 ans). dont le pre ne fut pas seul
clbrer les dons artistiques. Lothar Schreyer
relate dans ses souvenirs - ils ont probable-
ment trait l'anne 1922 - que Paul Klee ne
prenait nullement ombrage de ce qu'un spec-
tateUI voie des analogies emre nombre de ses
travaux et des barboulages d'enfants :
Les dessins mon petit Felix valcn1 mieux
que les miens. que bien trop souvenl le cerveau a
passs au criblc
1
Ce bref aperu concernant l'attitude de
Kandinsky l'egard de l'an enfantin que nous
avons poursuivi jusqu' l'poque de son acti-
vit d'enseignant au Bauhaus doit simplement
faire ressortir que la reproduction de dessins
d'enfants dans Je Blaue Reiter - qui a jusqu'ici
raiement retenu l'attention des historiens de
l'an - reprsentait davantage que l'intrt
passager d' un collectionneur de curiosits.
Depuis les annes 20, la situation ne s'est
gure modifie dans ce domaine spdfique.
Les dessins d'enfants, indpendamment de
l'admirarion qui leur est due et mme souvent
inflige, ne reuvcnt plus tre vacus de la vie
quotidienne Aussi nous est-il diffidle aujour-
d'hui de nous faire une ide de l'tranget
pour un lecteur en 1912 de la conrromation
entre art moderne, an primitif et dessins
d'enfants.
Nous oublions de nous interroger sur l'ori-
gine de cette prdilection pour les ralisations
enfantines. Nous nous contentons de constater
qu'ici encore (dans le domaine de l'art
enfantin), ce fut le Blauer Reita qui fraya le
chemin et veiUa la comprhension de ces
uvres,, .
En fa. le contexte intelleauel internatio-
nal de l'poque doit tre pris en compte. U n'a,
certes, pas de relmions immdiates avec les
auteurs de l'almanach, mais permet de sortir
du microcosme culturel du Blaue Reiter ct de le
confronter avec l'histoire des ides emre 1880
et 1914, dans les domaines de la psychologie
de l'enfant, de la pdagogie, de l'ducation
JESSICA BOISSEL
arnsttque, de la science de l'an, en prenant
panicuUrement en compte les premires
expositions de dessins libres faits par des
enfants, organises panir de 18989.
Une prhistoire claire et complte, en
effet, les ralisations des diteurs du Blaue
Reiter.
Il faudrait notamment considrer le
domaine de l'ethnologie : il est frquent que
des savants mnent des tudes comparatives
- ou tracent un signe d'galit - entre l'art
des enfants et l'art d' autres primitifs.
Par ailleurs, la branche nouvellement cre
de la psychologie, la science de l'me de
l'enfant, Hvre, elle aussi, ses constatations et sa
contribution au phnomne, si excellemment
pingl par G. Boas comme ,, culte de
l'enfance
20
Les changements profonds qu'il s'agit de
dcrire. suscits par des psychologues, des
pdagogues, des philosophes, et finalement
pris en charge par des artistes crateurs, com-
mencent - si l'on excepte quelques prcur-
seurs, dont on ne cesse de faire mention
(Rousseau, Schiller, Schopenhauer, Langbehn,
Ruskin, Nietzsche et Morris) - dans les
annes 80 du sicle dernier, et se trouvent
interrompus lorsque clate la Premire Guerre
mondiale
21
. De l notre choix de la priode
1880-1914.
C'est la notion de '' relations synthti-
ques (synthetiscJze Beziehungen) - le principal
souo des auteurs du Blaue Reiter- qu'il faut
ici donner toute son ampleur. Kandinsky y
revient encore dans une lettre de 1930 adres-
se l'diteur P. Westheim:
( ... ) La sparation funeste tablie entre rel an et tel
autre et au-del, entre!' An et l'an populaire ou
l'an enfantin. ou encore l'ethnographie, les murs
solidement dresss entre des manifestations mes
yeux si proches et le plus souvent identiques, en un
mot les relations synthtiques ne me laissaient point
de rpit2
2
Dans le second volume (jamais paru) de
l'almanach, Kandinsky envisageait l'applica-
tion de la mthode des comparaisons synthti-
ques aux domaines de l'art et de la science.
20
Pour les auteurs du Blaue Reiter l'enjeu
dbordait largement Je cadre de l'art. U s'agis-
sait de promouvoir l'avnement d'une nou-
velle re spirituelle. Le but utopique tait " la
renaissance de la socit par l'union de tous les
moyens et pouvoirs de l'an 11
21
II
Il est une ncessit: faonner l'existence selon
l'inspiration cratrice ... Nous ne nous panouirons
point si nous ne devenons pas wus artistes, chacun
dans son domaine et son mtier. Telle est la grande
mission. la mission historique universelle, que l'an
doit accomplir aaueUement ( ... ) en faveur du peu-
ple, quelque condition qu'on apparenne, du
prince au travailleur ( ... ). C'est la voie de l'an qui
nous mne l'avenirl4.
C'est ce que dclarait Albert Dresdner en 1904.
Cinq ans plus tard, dans la prface la seconde
dition de son ouvrage paru en 1909, il
s'inscrit en faux contre le fait qu'on annexe
son livre la littrature dite d'ducation par
l'art (Kunsterziehungsliteratur), dans laquelle il
fut pourtant frquemment cit.
Ce mouvement de l'ducation par l'art
(Kunsterziehungsbewegung), qui s'organisa au
dbut du sicle en Allemagne, doit tre brive-
ment voqu ici, de mme que les pays qui lui
ont servi de modles: l'Angleterre, les U.S.A.
et la France, prcurseurs dans le domaine de
l'ducation par l'art, des travaux manuels, des
a r t ~ appliqus ou de la psychologie. Il faut
galement accorder une place aux importants
dveloppements parallles qui se produisirent
dans d'autres pays, comme l' Autriche ou la
Russie.
La rforme de l' ducation par l' an eut pour
point de dpart en Allemagne la ville de
Hambourg.
On en attribue cependant l'impulsion pre-
mire - si prodigieux fut l'impact de son
uvre - un auteur tout d' abord anonyme,
originaire de Basse-Allemagne, qui s' avra par
la suite tre l'crivain Julius Langbehn. Celle
de ses uvres qui fit poque > I l ~ parut en
librairie en 1889 sous le titre Rembrandt ais
Erzieher, von einem Deutschen (Rembrandt
comme ducateur, par un Allemand). Ayant
pris soin de restituer l'ouvrage dans le contexte
de l'idologie dominante lors de sa 37< dition
en 1932 en insistant sur la souche basse-
allemande purement germanique de J. Lang-
beho, le prfacier rappelle une fois encore
l'impression inoue que suscita le livre lors de
sa premire parution. Un dferlement de litt-
rature sur l'ducation artistique de la jeunesse
devait s'ensuivre. Le message sans dtour qui
vint frapper des oreilles prtes l'entendre est
le suivant : viser par l'art la suprmatie.
Comparativement l'indniable ascension
conomique de la Prusse aprs les guerres
victorieuses de 1866 et 1870, le dveloppe-
ment spirituel et le renouvellement des murs
du peuple allemand se trouvent en retrait.
C'est en cultivant l'art et l'individualit alle-
8URCHAADT
DESSI"' DENFANT
COU.fCTIO" KANDI"SKV MUHAUSl
CRAIES Of COULEUR ET CRA YO" SUR PAPIER .ll x 23.8
FO...,DS KANDI"'SKV MNAM1'HOTO M ~ A M
21
mande que cet inconvnient doit tre lev.
L'idal vers lequel il faut tendre : l'art de
Rembrandt ; en tant que barbarie la plus
raffine , il doit, pour les Allemands, << (eux)
qui , de fait, (sont) des barbares, valoir comme
modle de l'an et de la culture allemands
26
Revenons Hambourg o sont prises des
initiatives concrtes. Une association d'ensei-
gnants y vit le jour en 1896. Dans le but de
cultiver la formation artistique de la jeunesse,
elle organisa deux ans plus tard la Kunsthalle
de Hambourg une exposition de dessins
d'enfants librement excuts, sous le titre
L'Enfant, cet artiste > (Das Kind ais Kiinstler),
exposition qui aurait mrit d'tre accueillie
dans la srie des << Stations de la modernit >
(Stationen der Moderne)2
1
. On foule id des terres
vierges. C'est la premire fois qu'on montre
une Kunsthalle autre chose que de " laborieux
travaux d'coliers 1>, excuts par des enfants
JESSICA BOTSSEL
invits copier exactement d'insipides
modles dessins ou imprims, ou reproduire
un pltre
28
Les pices exposes et dcrites par C. Gorze
dans le catalogue - l'exergue tant, bien
entendu, de John Ruskin - sont des dessins
provenant de jardins d'enfants bruxellois et
japonais, des travaux d'coliers indiens, des
objets et dessins de peuples primitifs . Les
textes sont complts par une bibliographie
qui restitue de faon exhaustive les premires
tudes prparatoires s'intressant la psycho-
logie, et particulirement aux dessins
d'enfants, effectues aux U.S.A., en France, en
Angleterre et en Italie. Il n'y manque ni le
psychologue anglais J. Sully (voir p. 31), ni le
rvolutionnaire ducateur britannique
E. Cooke (voir p. 25, 27). Sont cits: le Fran-
ais B. Perez, qui publia en 1888 un ouvrage
fort remarqu intitul L'Art et la posie chez
l'enfant, ainsi que l'historien italien de l'art.
Corrado Ricci, qui fut un des premiers
considrer l'activit graphique des enfants
corrune un art ; son livre parut en 1887 sous le
titre L'arte dei bambini: il s'y livrait l'examen
comparatif de prs de 2 000 feuillets de dessin,
collectionns parmi ses amis ou dans des coles
italiennes. Gotze crivit dans le catalogue :
L'exposition offre une image du domaine peut-tre
le plus charmant sur lequel travaille la science
moderne, c'est--dire celui des recherches sur
l'enfant (et, s'il en est beaucoup qui) les premiers
essais dessins paraissent insignifiants et sans art,
ceux-ci nous permettent pourtant d'obtenir des
aperus de la phase la plus intressante de la vie
spirituelle enfantine, savoir les commencements de
1' activit artistique.
Comment celle-ci, qui est une expression
de force cratrice, peut-elle tre mue, grce
l'ducation de la jeunesse, en moyen de favori-
ser le bien-tre individuel et social >>2
9
? Tel est
le problme que Gotze soumet son public.
S'il est question de l'art enfantin (Kin-
derkunst), au sens d'une activit cratrice de
l'enfant, il est galement question de l'art pour
l'enfant. n faut mentionner ici une seconde
exposition : elle fut organise par la Scession
22
de Berlin au printemps 190 1 et fit le tour
ensuite de plusieurs villes d'Allemagne et
d'Autriche. Un texte d'accompagnement, sous
la forme d'un manuel pour les parents et les
ducateurs (Handbuch fr Eltern und Erzieher),
fut publi en 1902 sous le titre Die Kunst im
Leben des Kindes (L'Art dans la vie de l'enfant) Jo.
Cet crit dfend un complment du pro-
gramme de l'ducation de la jeunesse: la
dimension passive et hdoniste de ce que
d'aucuns appellent veranstaltete Bildung
(formation dtermine l'excs). En dnon-
ant la prjudiciable unidimensionalit qui
marque l'homme, victime la fois du rationa-
lisme et du matrialisme, ce manuel estime
que l'cole, dornavant, ne doit plus se
contenter de transmettre des connaissances,
mais doit duquer les sens, cultiver l'imagi-
nation, et que l'enfant, l'cole et la
maison
31
, doit tre encercl par la beaut. Car
le besoin d'art appartient aux pulsions origi-
nelles de l'homme ; un (( sens esthtique
inconscient habite spontanment tout enfant
comme crature de ce monde 3
2
Qu'est-on mme d'offrir pour stimuler les
sens de l'homme nouveau in statu nascendi?
Des meubles pour la chambre d'enfants, pro-
venant des ateliers d'artisanat de Dresde, des
dcorations murales choisies, des livres
d'images, des jeux et jouets. On cre pour une
nouvelle idole.
L'essentiel est-il de former des artistes cra-
teurs ou doit-on donner la priorit l'duca-
tion d'amateurs clairs? Ces questions sont
dbattues selon toutes les rgles de l'art lors
des Journes de l'ducation par l'Art (Kunster-
ziehungstage), organises en Allemagne surtout
entre 1901 et 1912 : les 28 et 29 septembre
190 l a lieu Dresde la premire session qui
traite des arts plastiques
33
. Langage et po-
sie (Sprache und Dichtung) constitue Je thme
du deuxime congrs, qui se tient en octobre
1903 Weimar. A Hambourg en 1905, les
discussions sont tendues une rforme de
l'ducation corporelle sous le titre Musique
et gymnastique .
Ce qu'apportait le nouveau mouvement
tait comme une fr aiche brise de printemps ,,
selon Ernst Weber. directeur d'une cole
Bamberg et aureur en 1907 de deux disserta-
tions philosophiques abondamment cites :
ais piidagogische Gnmdwtssenschafr
(L'Esthtique comme science pdagogique
fondamentale) et Die p.dagogischen Gedanken
des jungen Nietzsche (Les penses pdagogiques
du jeune Nietzsche)H.
Ces congrs n'taient nullement rservs
aux St!U ls pdagogues. Artistes. professeurs de
la nouvelle science de l'an et conservateurs de
mme y prirent galement la parole. Alfred
Lichtwark. conservateur de la Kunstballe de
Hambourg. qui depuis les annes 80 avait
publi d'innombrables crits sur les fonde-
ments de la formation artistique, cc rests en
leur temps lettre morte >>, et qui avait inaugur
dans son muse avec les enfants des coles ce
qu' aujourd'hui l'on appelle visites guides des
collections, tint la confrence de dmre au
congrs de Dresde. en 190 l, sous le titre
cc L'Allemand de l'avenir (Der Deutsche der
Zukunft).
Lichtwark, tout comme Konrad Lange et
Georg Hirth. deux autres pionniers de l'duca-
tion par l'art des annes 1890, tentrent de
justifier par des arguments conomiques la
ncessit d'largir la pratique de l'art l'cole :
l'an doit dynamiser la vie conomique alle-
mande. Il n'est pas seulement ncessaire d'u-
vrer la formation des artistes
35
mais il faut
galement uvrer l'ducation de dilettantes
cultivs. d'une lite qui tire jouissance de l'an
et prenne plaisir en acqurir.
La formation du got des masses doit
galement tre prise en considration. Il faut
c qu'elles soient dtournes de la camelote l
6
Si l'avenir de l'industrie allemande et sa capa-
cit de s'affirmer dans la comptition <c pacifi-
que )) des peuples dpend de l'existence de
consormnateurs forms au point de vue esth-
tique, il est galement vrai que la qualit des
objets produits par les arts appliqus ne sera
garantie que si le sens artistique du peuple
23
DESSINS D'ENFANTS
:>'lve
17
Dans le domaine des arts appliqus, il
faudraJt encore, selon G. Hirth, oprer un
Lravail pralable par le biais d' un nouveau type
c bien compris" d'enseignement du dessin,
c' est--dire c< vacuer la sparation tellement
prisee emre l'arr au sens noble et les mtiers
d'an)>. Cette dplorable sparation n'existe ni
cc sur les grands marchs hautement civiliss
de l'Est asiatique (Chine, Japon) )>, ni chez
les sauvages et demi-sauvages, qui vivent
sous le charme de traditions archaques. L'art a
l-bas. aujourd'hui encore, un caractre popu-
laire englobant toutes les productions de la
main de l'homme ))3
8
Qui doit alors recevoir un enseignement.
quand, o, avec quel contenu et par qui 7 Il
s'agissait de trouver des solutions.
En dpit d'innombrables critiques :
(pourquoi) faire de la nation entire une nation de
connatsseurs. pourquoi dvelopper le fin critique en
chaque journalier, chaque domestique, et faire
acqurir au peuple. par l'ducation. une facult de
jouissance au plus haut sens du terme, qu'il ne
pourra pourtant jamais satisfaire, vu la nature de la
chose?'"
le congrs de Dresde privilgie une pdagogie
populaire. L'ducation artistique doit dbuter
aussitt que possible, et donc dans la chambre
d'enfant et l'cole communale. Cependant,
quel contenu convient-il de lui dmmer? Faut-
il prvoir pour les enfants des animations
rgulires devant les uvres dans les salles des
muses (Besnard
40
) ? Faut-il plutt discourir
loin des uvres ? Faut-il perfectionner les sens
et la facult d'illusion, renforcer la mmoire
des formes (K. Lange) ? Faut-il laisser de ct
les arts plastiques pour viser une ambition
suprieure : une culture esthtique. c'est--
dire la reconqute de l'il pour la saisie du
monde (J. Strzygowski er H. Read
41
) 7 Faut-il
augmenter la pratique des activits manuelles
pom les enfants en ge d'aller au cours prpa-
ratoire, comme le souhaitent les partisans de
Frobel
42
?
Les experts sont partags. Ils dclarent
pourtant d'une mme voix que cc parmi tous
JESSICA BOJSSEL
les moyens de l'ducation artiStique, l'ensei-
gnement du dessin est le plus important >>
43
et
que c'est dans ce domaine que les rformes
sont le plus ncessaires. Car, selon l'expression
concise et concluante qu'en donne
G. Kerschensteiner, " il est bien plus pervertis-
sant de recevoir un mauvais enseignement que
de n'en recevoir aucun >>
44
De la mme faon,
il met en garde contre la rage de la rorganisa-
tion, contre les u esprits confus et incomp-
tents qui prodiguent les conseils les plus imp-
rieux >>
45
Kerschensteiner, inspecteur auprs
des coles communales de Munich, qui
s'tait adonn ds son enlance aux arts
graphiques
46
, avait t choisi pour prononcer
le discours d'ouverture de la seconde Journe
de l'ducation par l'art, qui se tint Weimar en
1903. Suivant entirement la tendance du
sicle commenant. il ralisa les tudes proba-
blement les plus systmatiques propos du
" dveloppement des dons graphiques durant
la priode de l'enfance (Entwicklung der zeich-
nerischen Begabung im Kindesalter). Plus de
300 000 dessins d'enfants des coles commu-
nales de Munich furent analyss pour tester la
facult d'expression graphique chez l'enfant
vierge de toute influence, du schma primitif
jusqu' la reprsentation acheve de l'espace.
Il est remarquable qu'en dpit de son
immense travail de classification Kerschenstei-
ner parle reprises de plaisir esthti-
que ; ainsi en 1905 :
Aujourd'hui encore. je demeure saisi d'tonnement
et d'admiration devant cenaines mes enfantines
qui. dans la reprsentation de ce qui est observ,
djsposent d'une capacit de conception et d'une
force d'expression que nous sommes habitus
considrer comme la rsultante d'un long et soi-
gneux apprentissage, et que nous voyons ici se
dployer panir des profondeurs du talent inn,
sans la moindre espce de secours, comme un arbre
magique
Il ne se trompait gure lorsqu'il avanait dans
l'introduction de son ouvrage majeur paru en
1905 :
C'est pourquoi les principaux rsultats de ce travail
n'intresseront pas seulement le praticien de l'du-
24
cation et le fonctionnaire de l'inspection scolaire,
mais aussi le psychologue, l'historien de l'an,
l'ethnographe et avant tout l'aniste4$.
En ce qui concerne la rforme de l'ensei-
gnement du dessin, ou observe une tendance
gnrale, qui se manifeste au plan internatio-
nal. Sa caractristique essentieUe est qu'on se
dtourne d'une facture purement imitative et
qu'on met l'accent sur l'activit formelle ame-
nome. Ce sont l'Angleterre et les U.S.A. qui
jourent ici Je rle de leader. Cette tendance
apparatra plus clairement au travers d'une
rtrospective du dveloppement dans ce
domaine, durant la deuxime moiti du
XIX< sicle.
Avant 1870. l'enseignement du dessin,
dans les acadmies comme dans les coles
- pour autant qu'il y tait introduit - restait
cantonn dans le copiage de modles imprims
ou de sujets en pltre. Ce n'tait pas, en soi, un
enseignement du dessin, de l'avis de
OfSSto,; 0 [!'l.ifl\."il
r8At..tHAUS1
CIVIlES DECOULEUR SUR PAPIFR l9 < 22.5
FO'JDS KANDINSKY, MN AM/PHOTO MNAM
Kerschensteiner. 1 mais un enseignement
visant ce qu'on acquire l'habitude de tracer
des lignes propres
09
Suivant les tendances
gnrales de l'volution de l'art offidel. s'inspi-
rant aussi des ides rvolutionnaires avances
en Angleterre par Ruskin. Morris et E. Cooke,
on se met dans tous les pays dessiner d'aprs
nature. 11 On dessine du vivant ou du natura-
lis ~ ~
5 0
La << victoire > ~ de la mthode du dessin
d'aprs nature est clbre en Autriche. en
1902, par une exposition de dessins d'enfants.
Longtemps encore, on fera l'loge des des-
sins d'enfants ds lors que l'imitation de la
nature est russie, ds lors que ce qui est
reprsent est reconnaissable
51
Une ultime exigence qu'A. Lichtwark put
soutenir avec insistance partir de 1900 pour
l'institution scolaire allemande, savoir de
< partir de la nature de l'enfant, revient
une reconnaissance des travaux prparatoires
mens par les psychologues de l'enfance, et
constitue un aboutissement conscutif au
dveloppement qu'a connu l'Angleterre en ce
dornaine
52
DfSSIN D'ENFANT lJO.ftol
COLLECTION KANOIN5KY !BAUHAUS!
CRAIESOfCOLitEURETCRAYONSURPAPIER ll.S xl:U
FONDS I<ANOlNSICY. M"'AM'PHOTO MNI\M
25
DESSINS D'ENFANTS
On se laisse guider par l'enfant: c'est de lui
qu'on apprend. Vu qu'il ne dessine pas ce qu'il
voit, ou contrecur seulement on le laisse
dessiner ce qu'il sait de l'objet. Les expriences
runies en Angleterre par Ebenezer Cooke
sont celles d' un pdagogue inspir : dix annes
durant (1855-1865) il frquenta les cours du
Working Men's College, fond Londres en
1854, o John Ruskin et Dante Gabriel Ros-
setti tentaient non pas d'duquer les travail-
leurs pour en faire des artistes, mais d'en faire
des hommes meilleurs. Les maximes de Rus-
kin : <( Va donc la nature, ne ngligeant rien,
ne ddaignant rien (Go to nature. negleding
nothing, scorning nothing) ou 11 Apprends
voir : dessine pour apprendre voir et aimer la
nature ) ~ y devinrent la seconde nature de
Cooke.
C'est en 1876 qu'il commena son ensei-
gnement pour les enfants, leur apprenant
dessiner des objets naturels, " avec des rsul-
tats inattendUS ll Sl, COmme iJ)e dit lui-mme. fl
constata que les enfants n'taient pas disposs
- et il accepta ce refus - copier un modle,
JESSICA UOISSEI.
26
quand bien mme il dune feuille ck
rhubarbe. Us voulaient exprimer leurs pro-
pres ides. et non pas imiter des objets qui
existaient dans la ralit
5
'
1
Ils voulaient
manipuler des couleurs. Grce capacit de
se mettre leur diapason, Cooke parvint la
conclusion ironique que l'appel magique du
" retour la nature ,, tait contre nature pow
les enfants. Le concept de namre devait
donc tre saisi plus largement.
En 1881. l'Institut de South-Kensington,
autorit officielle au plan national en matire
d'enseignement. accepta le projet ducatif pro-
pos par E. Cooke. Outre le dessin
na tu re, ce projet requrait la pratique du
dessin de memoire aussi bien que du dessin
main leve et du dessin au pinceau%.
Au cours de la seconde moiti du XIX si-
cle, c'est, de la mme faon, l'Angleterre qui
donna le ton dans le domaine des arts appli-
qus. On fonda des coles des ans er mtiers
o l'on fit passer dans les faits le modle libral
dt la formation qui, ct du dveloppement
d'un travail cratif, avait pour but l'accroisse-
ment de la production. Dans ces tablissements
d'ducation. l'on continuait favoriser le des-
sin. et on lui dormait des applications prati-
ques. Cene volution doit beaucoup John
Ruskin, peintre. illustrateur. critique d'art, et
l'un des crivains les plus significatifs de
l'Angleterre victorienne. Il croyait au rle
de l'art. qu'il " comprenait comme tout
travail de l'tre humain qui contribue conf-
rer noblesse aux sens et l'esprit et
donner une forme plus belle au monde dans
lequel nous vivons ,s
7
La propagation dans les autres pays d'Eu-
rope de ce5 ides novatrices, mises en praque
en Angleterre dans le domaine de la produc-
tion industrielle, rsulte de plusieurs facteurs.
ll faut se rappeler d'abord que (< la rencontre et
l'interpntration mutuelle >>
5
s des diffrents
peuples fut une des preoccupations majeures
de l'poque (comme en temoignenr tout pani-
culirement les programmes des expositions
universelles et, vers la fin du sicle, les exposi-
TROIS DESSINS DEOICACIS AUX KANDINSKY
COLLECTION KANDINSl<Y IMUNICHI
CRAYONS OE COUlEUR n CRAYON SUR PAPIER
10j( 9-10 x 14-13 n.s
fOND" KA"-'Oisc; ....) MNA.M'PHOTO MNAM
27
DESSr"'S D'ENFANTS
tions organises par les diffrentes scessions
artistiques, ainsi que la volont stylistique du
Jugendstil).
Cependant, cette propagation doit sre-
ment beaucoup l'architecte Gottfried Sem-
per, l'un des thoriciens de l'art les plus
influents du XJXe sicle. Adoptant la thse de
l'adion rciproque de l'an et de la socit, il
travailla et enseigna successivcmem Dresde,
Paris, Londres (o il prit part la fondation du
muse de South-Kensington), Zurich et
Vienne A son avis, un haut niveau artistique
des produits industriels ne saurait tre assur
que par une formation artistique du peuple, en
tant qu'acheteur et producteur le plus impor-
tant pour atteindre ce but , il cherche
rformer la formation aux arts et
Entre 1900 et 1912, les exposi tions de
dessins d'enfants librement excuts devien-
nent plus frquentes en Europe et en Russie :
1900 Paris, l'occasion de l'Exposition Uni-
verselle, o l'ducation par l'art joua un grand
rle; 1901-1902 Paris; 1904 Saint-Pters-
bourg; 1905 Dresde et Breslau; 1905 et
1906 Berlin ; 1905 et 1908 Vienne : 1908
Saint-Ptersbourg; 1911 Munich, l'une des
premires expositions se tenir dans une
galerie d'an. On va mme jusqu' la confron-
tation de l'art contemporain et des dessins
d'enfants dans les deux Salons Jzdebsky, orga-
niss avec le concours de Kandinsky Odessa
en 1909 et 1910. Les deux catalogues (la
jaquette du dernier est orne J'une gravure
sur bois de Kandinsky) mentionnent la pr-
sence de dessins d'enfants dans l'exposition
60
Des collections trs importantes de travaux
d'enfants se constuent : Lamprecht Leipzig,
W. Stern Breslau, Nagy Budapest. Des
tudes une chelle de masse sont menes :
G. Kerschensteiner, Claparede en Suisse,
W. Stern Breslau, Lamprecht et S. Levinstein
Leipzig. D'autres savants entreprennent
1 observation d'enfants qu'ils suivent pendant
des annes pour analyser leurs progrs :
G.H. Luquet en France, O. Wulff en Alle-
magne, J.M. Baldwin et L. Hogan aux tats-
DOLORES MIRO
DESSIN D'ENFN'<I
COllECTION
CRAYON SlJR PAPIER l0.5 x 2b b
fONDS PHOTO MNAM
JESSICA BOISSEL
Unis. La rfrence est id Ch. Darwin, qui fut
lui-mme un observateur enthousiaste de ses
propres enfants6
1
Le sommet de ces activits frntiques fut
incontestablement le Congrs international
pour l'avancement de l'enseignement du des-
sin, qui se tint en aot 1908 au Victoria and
Albert Museum de Londres
62
Vingt-deux
nations participrent cette exposition
monstre>>. L'Allemagne elle seule y dpcha
98 dlgus et y exposa des travaux d'coles
communales de Hambourg et de Dresde ; avec
l'Amrique et l'Angleterre (E. Cooke exposa
des dessins d'enfants de ses classes), elle comp-
tait, selon C. Kik, parmi les rares pays propo-
ser des tentatives originales.
Le mme missaire blme, par exemple :
( .. . )l'arriration d'une France indigne du haut
niveau de son art, indigne aussi de son pdagogue
Rousseau qui, voil dj cent cinquante ans, avait
adress l'enseignement du dessin des exigences
que nous sommes aujourd'hui sur le point de
remplir6
3
Un coup d'il rtrospectif sur les travaux
significatifs qui ont t publis en France sur ce
thme
64
montre qu'aprs les contributions
imponantes, et internationalement reconnues,
des psychologues (Perez en 1888, Compayr et
Queyrat en 1893 ), seules se font encore enten-
dre des voix qui mettent en vidence er
dplorent le rapport de dpendance de la
France l'gard des U.S.A. ou de l'Angleterre
dans le domaine de l'ducation par l'art ; ainsi
Compayr dclare Monroe (U.S.A.) en
1899:
Je n'ai que peu de nouvelles vous donner des
tudes sur l'enfant qui som menes en France, vu
que nous sommes loin derrire vous ~ ;
ou bien M. Braunschvig en 1907 :
Le grand mouvement vers J'Art l'cole et la
maison qui commence enfin se dessiner dans notre
pays. une fois de plus en rerard sur l'tranger ...
06
Alfred Binet, qui avait promu au dbut du
sicle la cration de sa " Sodt libre pour
l'tude psychologique de l'enfant >> (o il fit
28
mener durant les prerrueres annes nombre
d'tudes sur les dessins d'enfams
67
) indique
comme motif de cette fondation :
Il ne voulait plus demeurer tranger un mouve-
ment dom il savait le dveloppement dans plusieurs
autres p a y ~ , notamment aux U.S.A.M
Deux autres contributions, celles des U.S.A.
et de l'Autriche, mritent d'tre mentionnes.
La dlgation des tats-Unis, dont le travail
pionnier dans le domaine de l'art en matire
d'ducation er de l'ducation par l'art - tant
en thorie qu'en pratique - faisait depuis
longtemps l'admiration de tous les autres parti-
cipants, proposa un dossier complet, entire-
ment mis jour, offrant les contributions des
savants les plus renomms ; dans cet ouvrage,
pourtant, il est fait encore une fois rfrence au
prototype qu'tait dans ce domaine South
Kensington
6
9.
La salle d'exposition consacre aux travaux
raliss par des enfants et des adolescents (de 7
14 ans) dans l'cole viennoise de peinture et
de dessin que dirigeait Franz Cizek fit l'objet
d'une reconnaissance, pour ne pas dire d'une
admiration. unanime.
Cet exprimentateur inspir, qui ne voulait
tre compt parmi le commun des ducateurs,
psychologues, sociologues et pdagogues. tait
rest jusqu'alors peu prs inconnu de la
communaut internationale (seul C. Gtze, de
l'association des enseignants de Hambourg, lui
avait une fois rendu visite). Il s'tait pris
d'intrt depuis 1885, alors qu'il tudiait la
peinture l'Acadmie des beaux-arts de
Vienne, pour l'envie des petits enfants de
peindre et de dessiner. Le succs fut considra-
ble ; ses mthodes taient tellement neuves ou
droutantes qu'en 1904 encore, sept ans aprs
la reconnaissance par l'tat de son cole prive
de peinture, il se trouvait quelques-uns de ses
collgues progressistes pour faire tat. dans un
mmorandum, d'" expriences dangereuses,
de confuses mthodes exotiques et d'une cor-
ruption de la jeunesse >
70
C'taient les travaux
de cette cole - rattache depuis 1906
l'cole des arts appliqus et uvrant la
88
Infants' l!fovmunts.
A c:urious pheoomenon, wbich bas been notied ibo by
Pusy l in the dr.lwingo of mucb oldu cbildren1 ...s evident
in }t '1 attemptJ to enend ber dnowings to Olher objects.
Thit is the tendency to neglet the new object or copy and
a.Cofy.
(aD \a U..M&fla wtidt Dqwu. .......,..
Foc:. VI.-FUIT .,_.,L TU<Ur 1 .. 0111:.1, rftt (LosrWUX
o,...,- MOiffll).
tubstilute for it in wbole or part some drawing wbich she
bad alt-eady leamed to make. For example, baving ana-
lyud man after mc into head, body, legs, and a;m.s. t:b
.....
promotion des facults spontanes d'expres-
sion graphique - qui soulevaient Londres
un enthousiasme fervent. Cizek lui-mme
mentionne la visite du souverain britannique
l'exposition, tout comme le fait que l'archev-
que de Cantorbery << ne tarissait pas d'loges,
du haut de sa chaire, sur les cratiOns jaillies de
l' me de ces enfants viennois n71.
Il n'est gure probable qu'on ait pu quitter cette salle
de l'exposition sans y avoir recueilli de rel ou tel
autre ct une stimulaonn.
Kik condense ainsi ses impressions de
voyage et parle d'<< activit gratifiante
(beglckendes Schaffen), gratifiante tant pour
ceux qui en sont les auteurs que pour ceux qui
DESSINS cYENFANTS
DANS ).M. BAlDWIN. MFNTI\L
DEVELOPMENT IN rHE CHilOIIND rHE RACE:
METHODSI<NDPIIOCESSES. 1895
29
DESSINS D' ENFANTS
became ber ac:heme for dnowing ali other creatures. Wben
t<>ld to dnow a. bird ailer a copy act bdore ber, shc gave it
ali these fcatures, on(orming them ln a mcasum to the
general shape of a bird, but puttiog two atrola at the
.. - ......... .,..
Fl.G. VIL-Ill: lliC. 1). .a,. (u..r ll4Y o -rn< WOifTII).
sidcs for DfmS, 1 sh.all aa.y more about ths fact in tlle
next section in discussing the origin of handwriting; it il
atso suggutive in connection with tbe rite of the genual
notion.
1
1
Sec below, Chap. XL, f .
en contemplent les fruits. Communaut des
crateurs er des amateurs d'an (Gemeinschaft
von Schaffenden und Geniessenden) : telle tait
d'ailleurs la devise sous le signe de laquelle
G. Klimt avait plac la Wiener Kunstschau de
1908 : elle refltait sa conception d'une crati-
vit artistique tendue tous les domaines de
la vie. A ct de l'an pour l'enfant (dcoration
murale, meubles et jouets, fabriqus par l' cole
d'art d'Alfred Bohm), une salle y tait. l
encore, consacre aux travaux de l' cole
Cizek
73
Avec la rforme de l'cole des ans appli-
qus mene bien en 1910 par Alfred Raller,
l'cole exprimentale de Cizek fut transforme
JESSICA BOISSEL
en coun spcial d 'enseignement artistique
pour la jeunesse. Son objectif principal tait
d'assurer par le travail artistique la formation
de consommateurs avertis ou, mieux. d'aller
au-devant de l'imprieux besoin de formation
artistique du peuple.
Au cours d'une confrence prononce
Dresde en 19l2 lors du fVe Congrs internatio-
nal de l'ducation par l'art, Cizek semble
souscrire cette tendance la fusion de
l'enseignement de l'art, du dessin et des arts
appliqus pour des raisons de politique cono-
mique. Aujourd'hui, ce congrs peut tre
considr comme la fin d'une pdagogie rele-
vant de l'utopir.
Ci7ek partageait, lui aussi, les ides de
Ruskin et de William Morris, que d'autres
rejetaient comme un '' envahissement complet
par l'art " (Verkunstung). tait '' art pour lui
toute activit cratrice de l'homme, ce cra-
teur-n. Et l'art devait pntrer la vie de tous
les tres humaim. li comptait comme faisant
partie de ce concept largi de l'an - au sein
duquel il distinguait pourtant des degrs
d'art (Kunstgrade) - les travaux de libre
expression formelle des enfants, l'art des pri-
mitifs et l'art populaire
74
Il considrait tome-
fois la production autonome de l'enfant
comme un domaine de l'art dos sur lui-mme,
qui ne saurait tre considr conune une tape
prealable l'accession au grand art.
A l' oppos de Ruskin, et en accord avec
E. Cooke, Cizek n'exige pas des enfants qu'ils
copient la nature : encourags d'emble se
saisir du pinceau pour donner libre cours
l'activit anistique spontane, les enfants des-
sinent ce qui leur passe par la tte. Il n'y a pas
de modles. Aux murs nus de la salle de classe,
il arrive qu'un accroche leurs travaux et qu'en-
semble on en discute.
Cizek, matre sans pdagogie, a souvent
parl des '' rvlations ,, (Offenbarungen) reues
au cours de son travail a\ec les enfants, rvla-
tions qui parachevaient sa propre thorie de
l'art. 11 tait convaincu que la rnovation de
l'art qu'il appelait <.le ses vux " n'tait ralisa-
30
ble qu' condition dl proceder partir des
commencements de la cration enfantine et
de tourner les mthodes d'ducation doctri-
naires