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L’égalité Filles-Garçons

dans l’enseignement en France


Stéréotypes de genre et programmes cachés d’éducation
Jacques GLEYSE

La mixité dans l’école est acquise depuis 1976 et les décrets


d’application de la loi Haby. Pour autant, cette mixité ne si-
gnifie pas nécessairement l’égalité de traitement et de consi-
dération des deux sexes.
S’il y a une quarantaine d’années, les garçons dominaient
- 71
largement l’espace et les positions scolaires aujourd’hui les
choses ont sensiblement changé puisque environ 70 000
filles de plus que de garçons obtiennent le baccalauréat et
que celles-ci, tendent à devenir meilleures que les garçons
dans la plupart des disciplines scolaires. Toutefois les en-
quêtes PISA à 15 ans montrent que les filles ont un an
d’avance sur les garçons en lecture, et que cet écart tend à
s’accroître, mais qu’à l’inverse les garçons ont 3 mois
d’avance en mathématiques et que cet écart ne se réduit que
très lentement. La mixité n’est donc pas l’égalité de réussite.
Cependant si les filles réussissent de mieux en mieux à l’école
et les garçons de moins en moins bien, les positions sociales
qui en résultent à l’âge adulte sont quasiment inversées. A la
sortie de l’école les salaires des femmes sont de 16% infé-
rieurs aux salaires des hommes à plein temps (et 31% tous
temps de travail confondu, et donc 25% en équivalent temps
plein) et surtout un « plafond de verre » existe qui empêche
les femmes d’accéder aux positions les plus prestigieuses dans
la société, par exemple dans les conseils d’administrations
des plus grandes entreprises privées ou publiques ou même
dans les instances dirigeantes des administrations publiques
(par exemple dans les universités scientifiques ou médicales)
et, bien sûr, dans la sphère politique. Il serait sans doute pos-
sible d’attribuer cela à des inclinations naturelles. Mais la
réalité des travaux de sciences humaines et sociales et de
sciences de l’éducation conduit à une toute autre conclusion.
Les facteurs culturels sont prédominants pour expliquer les
inégalités de traitement.
On peut donc imaginer que, si des éléments socioculturels
jouent un rôle dans ce processus, l’école peut probablement par-
ticiper, tout autant que l’éducation parentale, à la mise en place
d’une inégalité entre les filles et les garçons. Inégalité qui doit
certainement être une inégalité de traitement. C’est cela que
l’on dénomme hide curriculum et que l’on peut traduire par
« programme caché d’éducation », nous y reviendrons plus loin.
72 -
Le genre et le sexe
Il faut immédiatement expliquer, avant d’aborder la question
du genre à l’école, que le sexe est naturel et biologique alors
que le genre est social, culturel et historicisé. Ces deux élé-
ments ont, évidemment des conséquences en termes de com-
portement et de psychologie individuelle.
En tout état de cause, on naît mâle ou femelle. Cette dicho-
tomie est partagée par de très nombreuses espèces animales.
Autrement dit, pour les être humains nous sommes dotés
d’une vingt-troisième paire de chromosomes XX (femelle)
ou XY (mâle) qui généralement déterminent le sexe d’un in-
dividu. Les femelles sont dotées de vagin, vulve et clitoris,
les mâles de testicules et de pénis. Il existe toutefois un tout
petit nombre de personnes (environ une sur un million en
France) dont on ne peut clairement identifier le sexe à la
naissance soit en raison d’un brouillage des signes sexuels ap-
parents, soit en raison d’une non adéquation des organes
sexuels et du patrimoine génétique.
Le genre lui, correspond au féminin et au masculin. Il est
différent selon les sociétés et les époques. Il est évidemment
culturel. Il existe en psychologie sociale des échelles de mas-
culinité et de féminité qui, si elles ont été longtemps oppo-
sées ou inversement dynamiques semblent de plus en plus
considérées comme cumulatives. Autrement dit, on peut être
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très féminin ! ! ! ! !!
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types! via ! ! the adjective ! ! ! ! check ! !! list ! !!» (1975, ! ! 327-337)
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! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !! ! ! ! !! ! !! !!
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Cette même structuration stéréotypée est décrite, toujours
au travers d’adjectifs attributifs, dans un article, paru en
1999, cherchant à établir une vision plus globale du phé-
nomène puisqu’il est question, là, de pan-cultural Gender
Stereotypes. Le tableau qui, pourtant, ne touche pas un seul
pays, comme précédemment, mais 25 fait apparaître des
stéréotypes relativement similaires. Voici le document ex-
trait de l’article de John E. Williams, Robert, C. Satterw-
hite & Deborah L. Best intitulé : « Pancultural Gender
Stereotypes Revisited : The Five Factor Model » (1999, 513-
521) et publié dans la même revue Sex Roles.

74 -

On peut constater que les stéréotypes sexués sont assez


proches de ceux qui avaient été mis en évidence 24 ans plus
tôt. Autrement dit, cela signifierait que les rôles masculins
et féminins n’évoluent que très lentement dans le temps.
Toutefois lorsque l’on observe les changements des appa-
rences vestimentaires par exemple ou de coiffure on constate
des modifications importantes entre 1970 et aujourd’hui, en
Occident et en Orient. Pour l’Occident alors que la féminité
était associée aux cheveux courts et à une apparence andro-
gyne, aujourd’hui elle est davantage associée à des cheveux
longs et à des formes suggestives. Pour la masculinité il en
va de même si les cheveux longs étaient l’apanage des rock-
stars des années soixante-dix aujourd’hui au contraire les
cheveux courts dominent avec une légère barbe.
On pourrait réaliser la même analyse pour le Moyen-Orient
et l’Orient mais avec d’autres déclinaisons davantage fondées
sur des croyances religieuses ou des mutations sociopoli-
tiques. Les stéréotypes seraient donc labiles et modifiables.
Une étude a été réalisée par nos soins portant sur 850 étu-
diants de master 1 se destinant à tous les métiers d’enseigne-
ment secondaire et d’encadrement (62% de femmes et 38%
d’hommes : l’enseignement secondaire est de plus en plus
féminisé). Il a été demandé de fournir les 5 qualificatifs qui
e
correspondaient
! ! ! ! ! le mieux! ! à !une! fille ou
! !à un ! garçon ! ! de 6 ! (ce ! !
- 75
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Pour faire vite on peut dire que généralement les
! ! ! ! ! ! ! !
filles
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se si-
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tuent dans le « care », le souci de l’autre et les garçons ! !
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comme scolaires et les garçons comme non scolaires.
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sition stéréotypale du care se retrouve aujourd’hui dans le
fait que les métiers du soin (y compris les études médicales
où l’on retrouve 56,3 % de filles) et de l’éducation, voire de
l’aide juridique (avocats et droit 65% de femmes) sont gé-
néralement féminisés et les métiers technologiques et indus-
triels généralement masculinisés. En tout état de cause, il
reste à savoir si l’éducation parentale et surtout, du point de
vue qui le notre, si l’éducation scolaire diminue ou accroît
les stéréotypes de genre, si elle en est l’un des vecteurs ou
non.

L’égalité et la différence
L’égalité est un des principes fondateurs de la République
française. Liberté, Egalité, Fraternité figurent sur le fronton
des mairies qui séparaient d’ailleurs souvent, au début du
siècle, une école de garçons et de filles, dans les hameaux ou
très petits villages. Mais le concept d’égalité en soi ne veut
76 - rien dire. Il s’agit généralement de l’égalité en droits, devoirs
et dignité (« les hommes naissent et demeurent libres et
égaux en droit »). Mais pour ce qui est de l’école et d’un cer-
tain nombre d’autres structures il faudrait y ajouter l’égalité
de traitement. Traite-t-on les filles et les garçons de manière
égale dans leur éducation en général et dans l’école en par-
ticulier ?
Il convient de préciser, sur un autre plan, qu’égalité s’oppose
à inégalité et non, selon une erreur fréquemment commise
sur ce sujet, à différence. On peut être différents et égaux en
termes de traitement, de droits, de devoirs et de dignité.
À la différence s’oppose l’uniformité ou la similitude pas
l’égalité. Or la question que se pose le système scolaire depuis
quelques temps maintenant puisque les premières actions
officielles ont commencé autour des années 2000 en France,
c’est bien celle de l’inégalité de traitement des élèves dans un
contexte de mixité relativement général. Or les stéréotypes
de genre tout autant que certains programmes cachés d’édu-
cation véhiculés dans l’école pourraient être à l’origine de la
mise en place d’inégalités de traitement mais aussi par voie
de conséquence d’inégalités en droits, devoirs et dignité des
filles et des garçons. Y compris dans des domaines tels que
la punition ou l’interaction, on va y revenir plus loin, les
filles et les garçons ne sont pas traités à la même aune.

L’histoire de l’école
Il est inutile de développer longuement ce point mais l’on
doit tout de même rappeler que les filles ont – selon l’ex-
pression d’Antoine Prost – longtemps été élevées « sur les
genoux de l’église », étant en cela discriminées dans leurs ap-
prentissages. Et même si les salons bourgeois et aristocra-
tiques, autour de la Révolution française associent des
intellectuelles comme Olympe de Gouge, Anne-Catherine
Helvétius, Sophie de Grouchy à Voltaire ou Condorcet, les
collèges et plus tard les lycées sont réservés aux garçons. C’est
seulement en 1882 grâce aux lois Jules Ferry et Camille Sée
que l’école primaire devient laïque, mixte et obligatoire pour - 77
les deux sexes, mais en 1888 encore Jules Simon, ministre
de l’Instruction publique des beaux-arts et des cultes consi-
dère que « seul un esprit d’homme mûr peut étudier la chi-
mie pratique ».
En réalité des classes à plusieurs niveaux, pour l’enseigne-
ment primaire, dans des hameaux ou de tout petits villages
où n’est nommé qu’un seul instituteur ou qu’une seule ins-
titutrice, sont mixtes par obligation (on connaît l’exemple,
datant de 1938, de la classe de Rogues, décrite par Adrienne
Durand-Tullou, dans Le pays des asphodèles ou encore des
classes de Célestin Freinet à Bar-sur-Loup à partir de 1928).
Dans la même logique, les Cours Complémentaires, pour
l’enseignement primaire supérieur associant généralement
les meilleurs élèves d’une école de filles et d’une école de gar-
çons, sont mixtes.
Mais dans l’enseignement secondaire et dans les Ecoles
Primaires Supérieures et Ecoles Normales d’instituteurs,
la situation est tout autre. Il existe des lycées de jeunes
filles, généralement littéraires et des lycées de garçons, gé-
néralement scientifiques hermétiquement clos à l’autre
sexe et le baccalauréat, lui même, est différent pour les
deux sexes jusqu’en 1924. Les programmes pour les filles
et les garçons ne seront pas identiques pendant tout le
début du XXe siècle.
Sous des contraintes économiques, la gémination se fait jour
à partir de 1957 (les garçons littéraires vont dans les lycées
de filles et les filles scientifiques dans les lycées de garçons).
En 1959, la mixité devient légale dans les lycées et il en va
de même des collèges à partir de la réforme Fouchet-Capelle,
en 1963. Enfin, comme on l’a vu, ce sont les décrets d’ap-
plication de la loi Haby qui instaurent la mixité obligatoire.
Toutefois encore aujourd’hui dans les lycées professionnels
ou techniques, de nombreuses sections sont démixées du fait
des options prises par les élèves. La mixité n’existe donc vé-
ritablement que depuis une quarantaine d’année dans le sys-
tème secondaire français (une discipline comme l’Éducation
78 -
Physique y a résisté jusqu’aux années 90). Mais la mixité si-
gnifie-t-elle pour autant l’égalité de traitement des filles et
des garçons et l’égalité en droits, devoirs, dignité ?
Aujourd’hui les filles réussissent bien mieux à l’école, à peu
près dans toutes les disciplines, cependant elles obtiennent
un bac littéraire à 70% et les garçons un bac scientifique ou
technique à 60%. Dans les classes préparatoires les filles sont
présentes à 74% dans les filières littéraires et seulement à
30% dans les filières scientifiques. Quant ils se jugent très
bon en mathématiques huit garçons sur dix choisissent une
filière scientifique. Dans la même situation ce sont seule-
ment six filles sur dix qui font ce choix. Il convient donc de
s’interroger également sur les déterminants, peut-être sco-
laires, de ces choix.
Depuis 2000 deux conventions interministérielles pour
l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les
hommes dans le système éducatif, ont tenté de mettre en
œuvre une politique d’égalité commune à plusieurs minis-
tère. En 2013 seront mis en œuvre ce que l’on a appelé les
ABCD de l’égalité et qui sont simplement des fiches de sé-
quences scolaires réalisées par des enseignants ou des ensei-
gnants-chercheurs visant à rétablir davantage d’égalité de
traitement entre les filles et les garçons à l’école. Enfin le
code de l’éducation affirme : « Les écoles, les collèges, les ly-
cées (...) contribuent à favoriser la mixité et l’égalité entre
les hommes et les femmes, notamment en matière d’orien-
tation. Ils assurent une formation à la connaissance et au res-
pect des droits de la personne ainsi qu’à la compréhension
des situations concrètes qui y portent atteinte ».
Cet article 121-1 du code de l’éducation reprend l’article 5
de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de
l’École du 23 avril 2005.

Les programmes cachés d’éducation


En 1973, dans l’environnement féministe qui suit les évè-
nements de 1968, l’ouvrage de Gianina Elena Bellotti qui, - 79
d’une certaine manière, prolonge le travail de Simone de
Beauvoir Le deuxième sexe, mais en le limitant à l’éducation
familiale, fait l’effet d’une bombe dans un monde où la na-
turalisation du genre est une évidence massivement partagée.
L’ethnologue des familles italiennes démontre là qu’en
quelque sorte dès la sortie du ventre maternel une fille n’est
pas traitée de la même manière qu’un garçon et que ces com-
portements répétés fabriquent en quelque sorte une « faible
femme » et un garçon fort. L’ensemble des actes, des gestes,
des paroles prononcées et des techniques utilisées montre
que la culture familiale opère un traitement très différencié
des petites filles et des petits garçons. Cela suggère que ce
traitement différencié n’est pas du tout issu de fondements
naturels mais bien culturels dans une société patriarcale. Ces
traitements pourraient aujourd’hui être considérés comme
des programmes cachés d’éducation, dans la mesure où il ne
sont jamais explicités et explicites. Cet ouvrage permet, en
tout état de cause, de commencer à réfléchir sur l’idée de
genre et de dissocier la question du genre de celle du sexe
dans le processus éducatif mais si les mots ne sont pas aussi
explicites alors.
Dès les années soixante-dix les Feminist studies (revue crée
en 1970) ont bien pointé l’inégalité de représentation qui
existe dans les manuels scolaires de lecture et même de
science ou d’histoire géographie. En règle générale les
hommes sont toujours présentés de manière dominante et
les femmes de manière dominées. Souvent les femmes sont
assignées aux tâches domestiques et les hommes aux travaux
dits « nobles ». Des patterns de comportement sont aussi dé-
crits qui montrent les garçons actifs et les filles souvent pas-
sives mais aussi cantonnées à l’usage de poupées, au ménage,
au repassage, etc. (Gleyse & ali. 2004, Gleyse & Soares,
2009). D’autres travaux, dans cette lignée (Bourdieu, 1999),
montreront que les attentes des parents sont très différentes
pour une fille que pour un garçon et certains montrent en-
80 -
core récemment que des parents qui attendent un premier
enfant prioritairement et majoritairement souhaitent avoir
un garçon.
Mais il y a plus puisque lorsque l’on étudie les manuels d’his-
toire on constate que seuls les hommes y ont une place centrale
et que les femmes ont disparu, en grande partie de la geste his-
torienne, à quelques exceptions notables comme Jehanne
d’Arc, Aliénor d’Aquitaine, Catherine de Médicis et Louise
Michel, voire, plus récemment Marie Curie. Souvent on dé-
couvre le rôle des femmes lorsqu’elles « remplacent » les
hommes dans les usines (les femmes travaillent dans l’industrie
textile depuis longtemps déjà et même dans les mines) au cours
de la guerre de 14-18, par exemple.
On voit ci-dessous l’exemple de deux manuels scolaires de lec-
ture des années cinquante qui permettent d’identifier claire-
ment ce programme caché d’éducation.
- 81
Images de manuels de lecture de 1952

C’est sur cette base que l’on commencera à comprendre,


en France, que la mixité n’est pas l’égalité. Le Journal of
Gender Studies créé en 1991 initiera la mise en évidence
d’éléments plus ténus et plus discrets, dans les processus
éducatifs qui conduisent à un traitement inégalitaire des
filles et des garçons.
Il y a quelques années une étude minutieuse des logiciels
éducatifs présents au centre de documentation de l’ex Insti-
tut Universitaire de Formation des Maîtres montraient que
ceux-ci étaient traversés par d’innombrables stéréotypes de
genre. Sur 13 logiciels éducatifs 11 avaient pour héros un
garçon, 1 un robot et 1 une fille. Mais de multiples autres
traitements inégalitaires des garçons et des filles ont été re-
pérés dans l’école et dans l’enseignement au cours du temps.
C’est ainsi que Nicole Mosconi publiera, à la fin des années
quatre-vingt, un ouvrage intitulé La Mixité dans l’enseigne-
ment secondaire : un faux-semblant (1989). Elle y montre que
l’enseignement secondaire repose sur les bases d’un « mas-
culin-neutre ». Autrement dit même si la mixité donne l’ap-
parence de l’égalité ou a minima de la neutralité, les garçons
ou les hommes dominent l’espace scolaires sous différentes
formes. Les élèves garçons interagissent plus avec les ensei-
gnant(e)s, ils sont plus souvent sollicités par eux. Ils occu-
pent au plan sonore et au plan spatial l’espace scolaire et le
dominent. Ils prennent plus fréquemment la parole sans
avoir été sollicités. A tel point que cette auteure pourra dé-
crire une « loi des 2/3, 1/3 ». Celle-ci montre que dans une
classe paritaire que ce soit une femme ou un homme qui en-
seigne, les garçons ont 2/3 d’interaction avec lui et les filles
seulement 1/3. Mais lorsque l’on entrera plus tard dans le
détail des interactions on va pouvoir constater à la suite de
ces travaux princeps que d’autres programmes cachés d’édu-
cation sont mis en œuvre par les enseignants à leur insu ou
de manière relativement inconsciente.
82 -
Les travaux ultérieurs de Nicole Mosconi (2009) mais aussi
d’autres chercheuses comme Marie Duru-Bellat (2004,
2005), Thierry Terret, Geneviève Cogerino & Isabelle Ro-
gowski (2006, sur l’EPS), Isabelle Plante (2010) au Canada,
sur les stéréotypes concernant les mathématiques et le fran-
çais, Stéphanie Rubi (2009), Corinne De Boissieu (2009),
Cendrine Marro, Isabelle Collet (2009), le rapport du Com-
missariat Général à la stratégie et à la prospective, publié en
Janvier 2014, où écrivent Marie-Cécile Naves, Vanessa Wis-
nia-Weill, Marine Boisson-Cohen, Frédéric Lainé, Sylvie
Octobre, Mathilde Reynaudi, Sarah Sauneron, Mona Zegaï,
les études récents de Karine Isabelle (2010), Gaïd Le Maner
Idrissi, Laëtitia Renault (2006), Annette Jarlegan (2009),
Paul Fontayne (2002), Eveline Daréoux (2007), Amélie Sei-
dah (2004), etc. montrent de manière fine et surtout objec-
tivée comment de multiples programmes cachés d’éducation
sont mis en œuvre dès la petite section de maternelle, qui
conditionnent des comportement différenciés des élèves gar-
çons et des élèves filles. Evelyne Daréoux parle d’ailleurs de
la fabrication d’élèves filles et d’élèves garçons tout autant
que Corinne de Boissieux.
À titre d’exemple, parmi de nombreux autres programmes
cachés d’éducation et pour ne pas lasser le lecteur, on peut
constater que dans un cours de mathématiques l’enseignant
pose des questions plus complexes aux garçons qu’aux filles.
Il fait appel à la mémoire des filles et à la compréhension des
garçons. Il laisse, statistiquement, plus de temps aux garçons
pour répondre qu’aux filles.
D’une manière plus générale, les enseignant(e)s font plus de
remarques d’ordre disciplinaire (bien sûr) mais aussi cogni-
tives aux garçons qu’aux filles.
En Education Physique, les enseignants qui constituent des
groupes de niveau en volley-ball, font en général un groupe
fort constitué essentiellement de garçons et un groupe faible
composé essentiellement de filles mais il est surtout intéres-
sant d’étudier le groupe moyen qui, lui, est le plus souvent
- 83
paritaire. Dans cette situation les enseignants et enseignantes
font plus de remarques concernant le service, la réception et
la passe aux filles et davantage de remarques concernant l’at-
taque et le contre aux garçons.
Dans l’ensemble des disciplines scolaires, lorsque l’on de-
mande aux enseignants d’établir des relations égales avec les
garçons et les filles, on se rend compte qu’ils ont tout de
même plus d’interactions avec les garçons qu’avec les filles.
Et dans cette situation si l’on demande leur ressenti aux
élèves, les garçons se plaignent d’être délaissés.
On peut encore décrire le fait que les maîtres entre 5 et 8
ans croient à la supériorité des garçons en mathématiques et
à celle des filles en littérature (ce qui est vrai pour ces der-
nières), alors qu’en réalité à cet âge les études ne montrent
aucune différence de performance en mathématique des
filles et des garçons. Cette différence se constate seulement
plus tard. On pense donc que cette croyance des enseignants
agit comme une prophétie auto-réalisatrice. (voir à ce sujet :
Pygmalion at school, Rosenthal & Jacobson, 1966).
En fait, les exemples pourraient être multipliés à l’infini en
passant de l’usage des coins jeux à la maternelle (souvent très
stéréotypés), jusqu’aux actions des enseignants à tous les ni-
veaux de classe visant à valoriser les garçons et à dévaloriser
les filles ou du moins à induire certains types de comporte-
ments pour les garçons et d’autres types pour les filles.
Même pour ce qui concerne les punitions Sylvie Ayral
(2011) a très bien montré ainsi que Sophie Duteil (2014)
que les filles et les garçons ne sont pas punis de la même ma-
nière ni pour les mêmes types de fautes. Une fille est souvent
plus sévèrement punie qu’un garçon dans les mêmes condi-
tions. Les enseignants d’ailleurs ne sont pas du tout égali-
taires dans leurs punitions. Selon l’étude réalisée par Sophie
Duteil si des enseignants déclarent être égalitaires dans leurs
punitions, lorsqu’on leur demande de vérifier objectivement
s’ils le sont ils constatent sur une durée de deux semaines
qu’ils ne le sont pas du tout. Les archives d’un établissement
scolaires montrent la surreprésentation des garçons dans les
84 -
élèves punis.
Bref, de multiples programmes cachés d’éducation sont mis
en œuvre qui visent à fabriquer un élève fille et un élève gar-
çon et non à mettre en place un traitement égalitaire des
filles et des garçons à l’école. Cela évidemment a ensuite des
conséquences importantes en terme de professionnalisation
et à l’âge adulte.

Conclusion
Accroître les degrés de liberté des élèves filles et garçons dans
l’institution scolaire en outillant le regard des acteurs, en les
formant, tel est le but des travaux sur l’égalité filles-garçons
en éducation et spécifiquement sur les programmes cachés
d’éducation et sur les stéréotypes de genre à l’école. Il s’agit
d’ouvrir davantage le champ des possibles pour chaque élève
en lui permettant ne pas se satisfaire d’une position assignée
par l’histoire, la mémoire, les traditions, la société et la cul-
ture en général.
Les recherches mises en œuvre aujourd’hui de manière rela-
tivement systématisées sur ces questions permettent d’entre-
voir, chaque jour davantage, des pratiques presque invisibles,
discrètes ou du moins difficilement perceptibles pour un
non initié, mises en œuvre, entre autres, par les enseignants
et les personnels d’encadrement, qui font que l’ont traite de
manière non égalitaire les élèves filles et garçons.
Des recherches montrent que c’est dans la famille que s’initie
ce processus mais que dès la moyenne section de maternelle
et donc dès le développement de l’identité sexuée des élèves,
l’école ne forme plus un individu élève ou une personne
élève, mais bien un élève fille et un élève garçon ou plus clai-
rement un élève-mâle porteur de stéréotypes masculins et
une élève-femelle porteuse de stéréotypes féminins. Ces sté-
réotypes sont généralement hérité d’un passé patriarcal et
conduisent à des inégalités en droits, devoir, dignité des filles
et des garçons à l’école. Ce processus inégalitaire crée ensuite
des situations de discrimination et surtout des difficultés
- 85
d’accès à un certain nombre de domaines pour les femmes
et à l’inverse une difficulté d’acceptation de certaines pro-
fessions par les hommes. Le champ des possibles est limité
et restreint par les conditionnements infantiles scolaires, pe-
sants. Probablement sont-ils pour partie à l’origine d’un cer-
tain nombre de comportements et de traitements dégradants
pour les femmes et l’inverse de certaines positions machistes
pour les hommes.
La prise de conscience dans le domaine de l’enseignement
et de l’école de ces stéréotypes et de ces programmes cachés
d’éducation, conduit à mettre en œuvre des programmes de
recherche dont sont issus souvent de nouvelles formations
qui porteront probablement leurs fruits à moyen termes.
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– DISCUSSION –

Augustin Ménard : « Merci à Jacques Gleyses pour son exposé qui


est effectivement au cœur des discussions actuelles, avec tous les
articles sur ce thème qui peuvent paraître dans la presse.
Alors je suis entièrement d’accord avec vous sur le fait que c’est
un faux problème d’opposer l’égalité et les différences. Bien en-
tendu, reconnaître les différences ne veut pas dire que l’un vaille
plus que l’autre. Ca c’est un point sur lequel je pense que tout le
monde est d’accord. Alors, si on simplifie les choses, il y a un in-
variant qui est anatomique… Il y a une différence anatomique
qui est de l’ordre du naturel. Et puis il y a une différence qui, elle,
est d’ordre culturel, c’est le genre. Opposition entre le sexe et le
genre. Le genre nous est déterminé effectivement, c’est une spé-
cificité de l’Etre Humain, parce qu’il est parlant. Il nous est dé-
cerné par le langage.
Et au fond, c’est là toute la difficulté de l’Etre Humain, c’est
qu’il a à faire à une détermination biologique et à une détermi-
nation culturelle qui ne coïncident pas toujours. Et au fond,
c’est le transsexuel qui illustre au mieux le drame de la discor-
dance entre les deux. Et lorsqu’on a à entendre ces sujets, chacun
d’une manière différente tente de résoudre son problème, mais
évidemment la difficulté est là. Alors, lorsque vous avez rap-
porté, effectivement, les stéréotypes dont on parle beaucoup à
l’heure actuelle et que vous nous avez fort bien décrits, les sté-
réotypes sont d’ordre culturels.
Mais au fond est-ce que d’une certaine manière ce n’est pas
88 - l’écume de la question. C’est-à-dire que, en définitive, les stéréo-
types varient selon les époques et selon les cultures et selon la géo-
graphie, c’est évident, mais, finalement, c’est prendre les choses
sur le plan du comportement et, éliminer la question du sujet.
Dans le fond, ce qu’apporte la psychanalyse, c’est une autre di-
mension qu’introduit le langage, c’est celle de cette faille réducti-
ble justement chez l’Être Humain du fait du langage et qui fait
qu’il nous est nécessaire de faire toute sa place au désir. Au désir
des parents et à l’accueil de ce désir qu’en fait l’enfant, c’est le
choix du sujet quant au sexe dont nous parlions ce matin. Or,
combien de parents désirant une fille ont un garçon ?
Dans le futur on pourra sûrement programmer ceci. Ce qui n’em-
pêchera pas les difficultés liées à ce désir-là, parce que le désir n’est
jamais aussi simple que ce que l’on croit, et des parents qui dési-
rent un enfant peuvent très bien dire « je désire un enfant » et au
fond d’eux-mêmes, alors qu’ils disent désirer une fille, désirer un
garçon et inversement. Et lorsqu’on entend des sujets, qu’ils soient
hommes ou qu’ils soient femmes, pour combien ils nous rappor-
tent que leur mère voulait qu’il soit un garçon quand ils sont une
fille et qu’ils soient une fille quand ils étaient un garçon ? Et donc,
l’Être parlant à se débrouiller avec le désir qui a précédé sa nais-
sance. Et, c’est-là qu’il peut consentir au sexe anatomique qu’il a,
ça lui facilite peut-être un peu l’existence quand-même, consentir
au genre qui a été souhaité pour lui par son père ou par sa mère
ou par les deux, par ses géniteurs, disons, puisqu’actuellement le
père et la mère ne sont pas obligatoirement des conjoints, mais
c’est une affaire de désir. Est-ce qu’il y consent ? Est-ce qu’au
contraire il s’y oppose et revendique le droit à assumer un sexe
différent de celui qui a été désiré par ses parents. Voilà ce que m’a
suggéré votre exposé.
Jacques Gleyses : En réaction je n’ai pas grand-chose à dire si ce
n’est que les propositions et les travaux qu’on fait c’est justement,
il me semble, pour subjectiver cette question. C’est-à-dire, pour
faire en sorte que toutes les portes restent ouvertes, qu’il n’y ait
pas des moments où les portes soient closes et empêchent les pos-
sibilités d’options différentes. Je crois que, enfin en tous les cas le
fond éthique c’est ça. Je ne suis pas convaincu que, enfin pour
moi en tous les cas c’est ça le fond éthique, c’est-à-dire c’est de
montrer que de nombreuses possibilités existent et ne pas clore
- 89
sur un seul possible qui du coup pourrait entrer dans une question
de clivage, quoi.
A. M. : Oui parce que ce débat repris par certains journalistes dur-
cit les choses d’une manière sectaire disons ; d’un côté il y a les
naturalistes qui disent : vous vous posez des questions : il y a des
hommes, il y a des femmes, c’est naturel, n’allons pas chercher
plus loin, et là vous cherchez à couper le cheveu en quatre, et puis
d’autres qui insistent, mais avec une certitude qui là est dange-
reuse, en disant, au fond on devient homme ou on devient femme
uniquement en fonction des stéréotypes que l’on vous impose.
C’est annuler la liberté du sujet.
M. Luc-Olivier d’Algange : C’est précisément parce qu’il y a la li-
berté du sujet, parce qu’il peut y avoir une ambiguïté du sujet,
vous allez avoir du féminin chez les hommes et du masculin chez
les femmes, c’est précisément pour ça qu’existe, malgré tout, ça
corrobore l’existence du masculin et du féminin et que…
A. M. : Parce qu’il y a un choix.
A. Mirabile : Ce que je voulais dire c’est qu’effectivement ça cor-
robore que l’existence du masculin et du féminin ça sera toujours,
et précisément de l’énigme qui en découle, ces travaux, aussi in-
téressants soient-ils quant à l’étude sociologique, tentent de mas-
quer, me semble-t-il, cette énigme-là, de vouloir lever la question
comme si on pouvait y répondre. Alors oui c’est vrai que, autre-
fois, on pouvait privilégier les garçons par rapport aux filles ; oui,
c’est vrai que l’on donnait un certain nombre d’attributions aux
uns et aux autres mais ce qui l’en est de l’être de chacun, nul ne
peut à aucun moment lui attribuer qu’il est ça ou ça. Donc moi
ce qui me soucie là, enfin me soucie… Ma question c’est : quand
j’entends parfois que, alors même qu’à l’échographie, par exemple,
d’une femme enceinte chacun se précipite pour savoir si c’est une
fille ou un garçon, il faudrait qu’ensuite à l’école on efface, on
gomme ça et on dise enfant. Soudainement quelque chose là ne
serait plus valable alors qu’il y a déjà une nomination, si ce n’est
une nomination en tous cas une identification quant à l’identité
biologique. Et moi je trouve que c’est une sorte de désarroi, moi
je l’interprète peut-être comme ça, face à cette énigme enfin…
90 - Ce matin on en a beaucoup parlé de l’opacité et que quelques at-
tributions que l’on donne à l’autre, la question de son ex-istence
et de son être, il n’y aura que lui qui pourra éventuellement cher-
cher à en dessiner le chemin. Et la différence sexuelle, qu’elle soit
anatomique ou qu’elle soit fantasmatique, qu’elle soit du côté du
fantasme, elle ne peut pas effacer cette différence. C’est ça que
dans les travaux que vous avez évoqués, on voit qu’à aucun mo-
ment… enfin il y a une différence, oui, mais et après ? J’allais dire
heureusement qu’il y en a une ! Alors faut-il qu’on inverse, ce qui
est fille devenant garçon et ce qui est garçon devenant fille ? Je ne
vois pas l’intérêt.
A. M. : Il y a chez certains le souhait de gommer cette différence.
A. Mirabile : Voilà, absolument.
A. M. : Et c’est là où c’est grave. Ce qui est grave c’est dans la ten-
tative de gommer la différence, car là c’est une méconnaissance
absolue, non seulement de la différence anatomique, avec laquelle
le sujet est bien obligé de se dépatouiller, mais surtout du fait qu’il
y a du sujet et non pas uniquement du comportement.
J. G. : Je peux répondre ? Enfin non ce n’est pas pour répondre,
c’est juste que moi je le perçois complètement à l’envers. C’est-
à-dire que en fait, justement, c‘est-à-dire que quand on reste
dans le stéréotype et que tout est immobile, en fait là on ne laisse
pas la place à la différence. C’est-à-dire qu’on est rentré dans un
système de conditionnement qui empêche l’expression de la dif-
férence. Et il me semble que justement les travaux qu’on fait
c’est, enfin qui sont produits, peut-être pas par tous mais du
moins ceux que j’essaie de faire, c’est pour que les gens se re-
trouvent avec des espaces de liberté supplémentaires, dans la
possibilité de se différencier. C’est pour donner en fait, pour
laisser l’espace non pas justement stéréotypé et figé, mais pour
que l’espace soit mobile et que par exemple une fille qui va faire
certains choix, à un moment donné, puisse avoir presque tous
les choix possibles ouverts devant elle. Même si elle est femelle,
que ça n’empêche pas de faire des choix qui peuvent être consi-
dérés stéréotypicalement comme masculins. Moi je le vois
comme ça, c’est-à-dire je le vois non pas comme une clôture,
mais au contraire comme une ouverture.
- 91
A. M. : Oui, oui, mais là je suis tout à fait d’accord avec vous, ça
part de très bonnes intentions. La seule chose c’est que la liberté
du sujet est dans un autre registre que celui auquel s’appliquent
les stéréotypes. C’est-à-dire que, en définitive, le stéréotype éga-
litaire peut être aussi aliénant pour un sujet qu’un stéréotype qui
impose une identification mâle ou femelle. C’est très nuancé, c’est
très difficile à dire. Ce que je pense surtout c’est qu’il faut garder
une très grande réserve en sachant que nul ne possède la vérité en
ce domaine et il faut être plutôt attentif au désir singulier du sujet
de s’inscrire sur un versant ou sur l’autre, plutôt que de chercher
à, de l’extérieur, lui imposer quelque chose. Au fond lui imposer
l’égalité me paraît par quelquefois une contrainte aussi forte que
de lui imposer d’être masculin ou féminin. L’essentiel est de savoir
que nul ne possède en ce domaine la vérité car il y a une énigme
irréductible à laquelle nous sommes confrontés.
J. G. : Sur ce point-là je ne peux être que d’accord.
Marc Lévy : Ce qui me paraissait intéressant c’était d’interroger le
mouvement qui est en amont et qui préside à ce genre de préoc-
cupations, il faut dire nouvelle puisqu’on en parle depuis peu, re-
lativement peu. Il me semble que ça émerge d’une problématique
absolument essentielle qui fait qu’il y a chez l’Humain une into-
lérance à ce qu’il ne maîtrise pas, qu’il y a chez l’Humain un in-
supportable du côté de ce qui s’évoquait ce matin, l’insondable
décision de l’Être, et que, par le maquillage égalitaire, le rêve serait
d’éradiquer la différence. Or, la différence elle y est, elle a été, elle
sera, elle est imputable au seul fait de venir au monde. On ne peut
pas la supprimer. Mais tenter de la supprimer, outre que, sur le
versant sociologique ou politique c’est tout de même l’index
pointé vers une idéologie un peu totalitaire, tenter de la suppri-
mer, va aboutir à la faire hurler. Plus on voudra la museler, plus
sous le versant égalitaire on viendra camoufler l’idéologie qui la
sous-tend, et plus cette différence sera criante… Je ne sais pas
pourquoi, en écoutant tout ça me revenait ce fameux « n’ayez pas
peur » lancé un jour par le pape Jean-Paul II. « N’ayez pas peur ».
Parce qu’au fond, le genre est culturel, et qu’on donne des ballons
aux filles et des poupées aux garçons, fondamentalement ça ne
me dérange pas. Pourquoi ? Parce que c’est de l’ordre du dressage
92 - comportemental, et que ça ne changera rien à l’insondable déci-
sion de chacun.
J. G. : Entièrement d’accord.
A. M. : Oui. Il y a une autre dimension également, c’est celle du
biopouvoir, selon Foucault. A savoir que, au fond, l’Etat s’arroge
un pouvoir sur des sujets dans un domaine qui jusqu’à présent
était réservé à la famille. Pourquoi pas, mais c’est une autre ques-
tion.
J. G. : Que les choses soient claires, enfin, moi ce que je fais c’est
des recherches, avec des étudiants, sur ces questions. Justement,
j’ai bien essayé d’expliquer au début que pour moi il n’y a pas de
bon genre et de mauvais genre. Justement, j’aurais une théorie du
genre si je disais ça. Et il me semble avoir été assez clair pour bien
expliquer que les travaux ne définissaient jamais ce qu’était un
bon genre ou un mauvais genre, juste, simplement, mettaient à
l’évidence des stéréotypes de genre, c’est tout, et ne disaient pas
« c’est bien ou c’est mal ». Ce n’est pas manichéen, quoi.
A. M. : C’est très clair, c’est très clair dans votre exposé, absolu-
ment clair dans votre exposé, mais effectivement la dérive c’est
toujours aussi bien pour les naturalistes que pour les culturalistes,
la dérive est d’en faire une idéologie. L’idéologie c’est d’absolu-
ment gommer la question fondamentale de l’énigme de la sexua-
lité.
X. : Juste une petite remarque, justement pour ne pas être mani-
chéen ou manichéenne. Peut-être qu’il serait intéressant de ne pas
opposer la subjectivité avec le social, et il me semble que l’intérêt
de tous ces travaux, « gender studies » etc., c’est de faire apparaître
et de reconnaître le caractère social de la subjectivité. Et quand
on parle des rapports sociaux de sexe etc., il s’agit de regarder plu-
tôt ça sur un versant collectif, sur un versant… et donc ce n’est
pas le déni de la subjectivité, évidemment ça…
X. : Et donc moi, je voulais aussi intervenir sur deux ou trois
points. En fait il y a un problème entre, il y a un peu le problème
de passage, de créer des différences à créer des inégalités. C’est-à-
dire soit on crée en fait des différences, soit on crée quelque part
de la neutralité. J’ai entendu le mot « stéréotype égalitaire », mais
en fait si on revient un peu aux distinctions que vous faisiez au - 93
début, ce serait plutôt une question de stéréotype de neutralité.
Donc, est-ce qu’on peut, finalement on a le choix entre créer des
différences et créer de la neutralité, et est-ce que l’un ou l’autre
est réellement lié à créer des inégalités ? Ensuite en ce qui concerne
les différences entre les hommes et les femmes, il a été parlé de
différence anatomique et de différence culturelle. Mais je pense
qu’il y a quelque chose qui est très très important, ce sont les
conséquences psychologiques des différences anatomiques. Ca
aussi c’est quelque chose qui est fondamental. Et une dernière
chose aussi… C’est une suggestion d’étude dans ces stéréotypes,
mais cette fois très anciens, ce serait d’étudier les chiffres. Les chif-
fres qui ne sont pas… on dit ici les « chiffres arabes », mais en
Arabie ils disent que les chiffres viennent d’Inde, et notamment
le Zéro et le Un, qui seraient très intéressants à étudier dans une
dynamique du genre.
J. G. : Merci du conseil, je pense qu’on essaiera de mettre ça à
l’œuvre.
A. M. : Oui, d’autres questions ? Oui Guy Briole ?
Guy Briole : Vous aviez commencé par les logos par rapport aux
toilettes. On est tous sur cette petite blague de ces gens qui voya-
gent et qui arrivent en gare de Pézenas, ils disent « on est arrivés »
et la dame dit : « Non on n’y est pas, on est à Dames. » Et le mon-
sieur regarde et dit : « Non, on n’est pas à “Dames” on est à
“Hommes”. » Et donc au fond, homme/dame, Lacan le souligne
bien, la différence anatomique fait que nous sommes soumis à la
ségrégation des sexes. Il appelle ségrégation urinaire des sexes. Il
appelle ça comme ça. Et, au fond, ça en effet, je crois que ça a été
bien souligné, ça ne détermine pas comment on s’identifie, du
côté homme ou du côté fille. Simplement que quand on veut aller
aux toilettes, faut savoir de quel côté on va. Et que quelque soit
la question de l’égalité, si on trouve un petit garçon égaré dans
les toilettes des filles, il va se faire rabrouer par les filles et réci-
proquement. Au fond, quand-même, cette ségrégation urinaire
elle se met-là en place toute seule.
Alors ensuite, au-delà de ça, ça me fait penser à « Guillaume et
les garçons à table ». Au fond quelle belle démonstration ! N’est-
ce pas ? Voilà, des stéréotypes… Et je voulais vous demander si
94 - dans vos études… parce qu’on parle souvent dans ces stéréotypes,
du genre, des questions, surtout pour les petites filles, de ne pas
les identifier à la petite fille. Et on voit beaucoup de protestations,
au fond, des mères qui disent que « non il faut leur laisser toute
la liberté aux petites filles, il faut qu’elles aient les mêmes choses
que les petits garçons, les mêmes possibilités, le même choix ».
Mais, au fond, on insiste beaucoup moins sur les protestations
des mères qui ne veulent pas que leurs petits garçons, on leur fasse
faire les activités des filles. Est-ce que vous avez fait des études sur
ces différentes positions ?
J. G. : Moi non, mais bien sûr qu’il y en a. De toute façon… Tous
les travaux qui ont été faits sur les attentes des parents, ils fonc-
tionnent très clairement… Ca marche dans un sens comme dans
l’autre, il n’y a pas de… Les stéréotypes fonctionnent aussi bien
pour les filles que pour les garçons, pour les parents que pour les
enfants en fait. Le stéréotype c’est partagé donc… Moi je n’ai pas
fait de travaux, mais il y en a beaucoup qui ont été publiés dans
de nombreuses revues, oui bien sûr. De toute façon, il y a des sté-
réotypes attribués et attribuables. Et dès qu’on essaie de les faire
bouger d’une manière ou d’une autre, en fait dès qu’on donne des
degrés de liberté qui vont à l’encontre de la doxa, automatique-
ment ça va créer un débat et une discussion du côté des parents…
Je suis d’accord.
G. B. : C’est-à-dire que tout de même sur cette question, ile me
semble que c’est bien plus souvent les mères qui s’expriment, que
les pères.
J. G. : Non, je n’ai pas vu de travaux spécifiques là-dessus. Donc
je ne peux pas vous répondre.
A. M. : C’est aussi une réaction des familles contre le biopouvoir.
Il faut s’en arrêter là… Ce sera la dernière question, impératif de
l’heure.
Robert Bitoun : Oui c’est une question un peu basale. Je me posais
la question en vous écoutant de savoir, enfin d’imaginer ce jour
où l’enquête sera terminée. Où on aura posé, où on aura enquêté
suffisamment pour savoir un petit peu tout ce qu’il y a « à déter-
miner ». Ca ne s’arrêtera jamais puisque ça bouge… Mais, l’idée
c’est que, si ça bouge, pourquoi s’inquiéter d’une inertie passa- - 95
gère ?
J. G. : Ah mais moi je ne m’inquiète pas…
R. B. : Il y a quand-même beaucoup de gens qui travaillent sur
ces études…
A. M. : Oui, il n’y a pas de raison de s’en inquiéter…
J. G. : On ne s’en inquiète pas, je ne pense pas… Seulement on
fait des recherches dans ce domaine…
A. M. : Ça fait poser des questions, mais ça n’a rien d’inquiétant.

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