Bousquet et dali

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mardi 19 avril 2011
Pendant trente ans, dans la chambre de Joë Bousquet, un tableau de Dali (par Alain
Paire)

Il s'agit d'une huile sur bois de 36, 5 x 45 cm et non pas d'une "toile"
comme il en est question plus loin dans une lettre de Joë Bousquet
adressée à Ginette Augier. Les spécialistes expliquent qu'on est en
présence d'une étude pour un autre tableau de Salvador Dali datée
de 1926, période pendant laquelle le peintre correspondait souvent
avec Garcia Lorca.
On aperçoit dans des dominantes bleues un horizon doucement
nuageux, parsemé écrira Bousquet, de "seins ailés" et puis dans le
registre inférieur, la grève maussade d'une plage ponctuée par les
indices d'une iconographie aisément rapprochable du vocabulaire
d'Yves Tanguy ou bien de Giorgio de Chirico. A côté des ombres
portées d'étranges machines martiennes que Dali appelait
"appareils", tout à fait à droite dans l'angle inférieur, on identifie le
cadavre d'un âne en putréfaction ainsi qu'un visage penché avec des
yeux clos.

La machine avide de dollars n'est pas exactement en route, on peut


comprendre que Joë Bousquet ait été séduit par la veine onirique de
ce tableau parfaitement conforme à la dynamique surréaliste. Cette
fin des années vingt marque le début de son amitié avec Max Ernst
et Paul Eluard qui sont venus lui rendre visite à Carcassonne. Gala
qui est encore la compagne Eluard n'a pas trop de mal pour
convaincre ses amis peintres : ces derniers dont la cote est loin
d'être établie, donnent ou bien vendent pour des prix modiques
quelques-uns des tableaux qui enchanteront l'existence du gisant de
Carcassonne. Un fragment de lettre que Bousquet adresse à Ginette
Augier relate les sympathiques circonstances de cet achat. Au tout
début de cette lettre, il est question du grand ami de Bousquet, le
philosophe Claude Estève qui fut aussi l'enseignant de Ginette, au
lycée de Carcassonne.

"Estève t'a-t-il dit que j'attendais un tableau magnifique de Salvador


Dali ? il y a six mois que je m'efforce de me le procurer. Prévenu par
Eluard et Goemans, un autre poète, qu'il allait être lancé en
novembre, j'ai négligé de lui acheter une toile avant que les snobs
riches aient établi leurs prix. Et je me suis réveillé, après
l'exposition qu'il a faite au milieu d'un succès prodigieux, devant des
toiles dont la plus petite se vendait douze mille francs. Atterré. Un
ami à moi qui vend des tableaux à Paris, diminuait ce prix de moitié
sans se mettre encore à la portée de ma possibilité d'achat... Enfin, je

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m'étais rabattu sur un petit tableau de Magritte, qui s'appelle "L'idée


fixe", et que tu verras dans ma chambre ...
Je viens de vérifier qu'il suffit d'introduire une femme dans une
affaire pour qu'elle s'arrange à merveille. Gala Eluard (la femme de
Paul), une jeune Russe délicieuse qui est venue à Carcassonne
l'année dernière et qui est la meilleure des amies, passant un mois
au bord de la mer en compagnie de Dali, s'est chargée de séduire le
peintre en ma faveur, et de me faire vendre directement, en dehors
de son contrat, une belle toile. Le dernier prix que l'on m'avait
demandé étant ainsi coupé en deux, je me suis trouvé à la hauteur de
l'achat : trois mille francs. Je n'ai jamais encore payé un tableau si
cher. Mais je n'en aurai jamais eu de si beau. (...) Gala me l'a décrit
dans une lettre : je ne l'aurai qu'au commencement du mois
prochain. Il s'appelle « Le miel est plus doux que le sang ». Imagine
un ciel et un sol, un corps de femme, un âne pourri couvert de
mouches, des seins ailés dans les nuages, une véritable merveille".

Certains tableaux sont marqués par d'étranges destins. Jusqu'au 30


septembre 1950, date du décès de Bousquet ce « Miel plus doux que
le sang » figurait avec plus d'une centaine de moyens et petits
formats dans la chambre de la rue de Verdun qu'on peut aujourd'hui
visiter, grâce au dispositif imaginé par le Centre Joë Bousquet et son
temps. Avant d'être déposé pendant quelques années au musée de
Carcassonne dont René Nelli fut le conservateur, ce bois peint avait
effectué une première sortie à Toulouse, 5 rue des Trois journées,
lors d'une exposition qui fut imaginée du 8 au 24 mars 1946.
L'exposition s'intitulait "Les maîtres du surréalisme", on y
découvrait une trentaine de superbes échantillons de la collection de
Joë Bousquet (des travaux d'Arp, Bellmer, Ernst, Magritte, Miro ou
Tanguy) à quoi s'ajoutaient une toile de Masson et un dessin de
Picasso prêtés par René Nelli.
Dans leur livre composé à propos de La Chambre de Joë Bousquet en
2005 (avec en sous-titre "Enquête et écrits sur une collection") Pierre
Cabanne et André Dimanche racontent ce que devinrent les tableaux
autrefois entreposés dans la chambre du 53 rue de Verdun. Bousquet
n'avait pas rédigé un testament suffisamment précis, il avait
seulement émis le vœu que sa collection soit intégralement
conservée dans le musée de sa ville natale. Pendant plusieurs
semestres, ses tableaux furent accrochés dans une salle du musée :
en matière de surréalisme il s'agissait alors de la plus fabuleuse et la
plus émouvante collection que l'on pouvait trouver dans un musée
de l'hexagone, quelques cartes postales et des photographies en
gardent mémoire. Ce privilège ne dura pas, les héritiers de Bousquet
préférèrent récupérer les tableaux, un brocanteur de Montpellier et
deux galeries parisiennes se chargèrent de les disséminer. Voici ce
qu'écrit Pierre Cabanne dans les pages 66-67 de son livre : "La
majorité des œuvres de la chambre furent mises en vente. Nelli
baissa les bras, j'alertai Jean Cassou en vain ... Après le départ des
principales œuvres déposées au musée, un nouveau conservateur
ouvrit une "salle Joë Bousquet" inaugurée avec une satisfaction
naïve par les autorités municipales : elle regroupait des épaves,

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prêtées par la famille ou les amis, d'une vie et d'une œuvre.

Pour le tableau de Salvador Dali, il existe un récent épilogue. Il


réapparait tout d'abord en 1956 dans la galerie Rive-Gauche de Paris.
Un collectionneur par ailleurs détenteur de pièces d'art premier,
Jacques Ullmann en fait l'emplette à la fin des années cinquante. Ce
tableau vient d'être mis en vente publique chez Christie's London, le
9 février 2011. Son enchère atteint un peu plus de cinq millions
d'euros. Son nouveau détenteur est à Figueras la Fondation Gala-
Salvador Dali qui l'expose dans ses locaux depuis le mardi 12 avril
2011.

[Alain Paire.]

Vient de paraître aux éditions du Garae / Hésiode un livre de


Philippe Gardy "René Nelli, la recherche du poème parfait" (445
pages).

A signaler un colloque programmé jeudi 21 avril et vendredi 22


avril :
"René Nelli et la poésie des carrefours".
Colloque organisé par l'Ethnopole-Garae à la Maison des Mémoires,
53 rue de Verdun, Carcassonne. Entrée libre, places limitées.

Jeudi 21 avril.
Matinée, Daniel Fabre, modérateur
9 h : Philippe Gardy : L’endroit et l’envers du monde sont aussi ceux
du poème : René Nelli : l’espace d’une écriture poétique.
10 h : Jean Pierre Piniès : Lente lumière noire.
11 h : Xavier Ravier : René Nelli et la poésie allemande.
Après-midi, Jean Pierre Piniès, modérateur
14 h : Jean Frédéric Brun : René Nelli et la revue Oc, un itinéraire de
toute une vie.
15 h : Alain Paire : Marseille / Carcassonne, les Cahiers du Sud, une
liaison permanente : René Nelli, Joë Bousquet et Jean Ballard.
16 h 15 : François Pic : Les passeurs de la poésie de René Nelli : revues
et éditeurs, matériaux et repères.
Vendredi 22 avril
Matinée, Jean Guilaine, modérateur
10 h : Christiane Amiel : Du folklore à l’anthropologie. Chemins de
connaissance.
11 h : Daniel Fabre : une anthropologie de l’amour.
Après-midi. Philippe Gardy, modérateur
14 h : Pilar Jimenez : La fascination dualiste de René Nelli.
15 h : Jean Guilaine : René Nelli et l’archéologie.
15 h 30 : Dominique Sacchi : René Nelli à l’écoute de Max Raphaël et
son interprétation de l’art paléolithique.
16 h 15 : Bernadette Chartier : René Nelli cabaliste.

Rédigé par Florence Trocmé le mardi 19 avril 2011 à 18h59 dans Cartes Blanches | Lien permanent

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