Méthode diagnostique

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Méthode diagnostique en psychiatrie et

psychopathologie
Patrick Juignet

To cite this version:


Patrick Juignet. Méthode diagnostique en psychiatrie et psychopathologie. Manuel de psychopatholo-
gie générale, 2015, 978-2-701-2419-8. �hal-03232736v2�

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Méthode diagnostique en psychiatrie
psychopathologie
Comment se repérer en psychiatrie et psychopathologie ? Les classifications psychiatriques
traditionnelles ont été délaissées et supplantées par les catalogues empiriques et statistiques
que sont le DSM et la CIM. Nous proposons ici une méthode fondée sur l'étiologie (mettant en
avant la principale détermination des tableaux décrits cliniquement).

Pour citer cet article :


Juignet, Patrick. Méthode diagnostique en psychiatrie et psychopathologie.
Philosophie, science et société. 2015. https://philosciences.com/comment-se-
reperer-en-psychopathologie.

Plan de l'article :

• 1. Les dissensions doctrinaires en psychiatrie et psychopathologie


• 2. Des distinctions utiles et nécessaires en psychopathologie
• 3. Le psychisme, lieu de convergence
• 4. Un repérage possible en psychopathologie
• Conclusion : limites et intérêts de la méthode

Texte intégral :

1. Les dissensions doctrinaires en psychiatrie et


psychopathologie
Histoire d'un repérage
Le premier mode de repérage en médecine a d’abord été simplement descriptif et classificatoire
(nosologique). Déterminer l’étiologie (la cause de la maladie) est devenu une exigence scientifique
de la médecine à partir du XIXe siècle. Dès ce moment de l’histoire de la pensée, on ne s’est plus
contenté de tableaux cliniques repris dans une classification pour identifier un trouble morbide. On
a exigé de trouver des causes aux maladies et cette détermination causale est devenue partie
intégrante de leur définition appelée l'étiologie.
Au XXe siècle, la psychiatrie a tenté de décrire et d’ordonner progressivement, de manière
empirique et par petites touches, le domaine de la pathologie mentale, au premier abord opaque, en
proposant des tableaux cliniques cohérents. L’effort nosologique consistait à identifier les entités
cliniques par leurs caractéristiques stables en les distinguant les unes des autres par leurs différences
et en essayant de les relier à une étiopathogénie supposée. La classification ainsi établie a été
opérante et elle a fonctionné pendant quasiment un siècle en Europe.
Citons Bernard Brusset à ce sujet :
« La clinique médicale s'est constituée par la codification de symptômes, mais aussi par
l'induction d'un trouble sous-jacent. Cette référence explicative ne coïncide pas
nécessairement avec un diagnostic étiologique, mais en définit la place et celle-ci
permet d'introduire un ordre logique en contrepoint de l'accumulation infinie de
syndromes hétérogènes qui résulterait fatalement d'un simple repérage empirique des
groupements de signes.

Le médecin apprend en fonction d'un savoir qui comporte cette double dimension de la
sémiologie et de l'étiopathogénie. Celles-ci, dans des rapports multiples et changeants,
progressent l'une à partir de l'autre en même temps qu'elles font progresser la
connaissance de l'état normal.

Cette polarité double, qui permet de distinguer un simple répertoire d'une classification
logiquement fondée, prend en psychiatrie des modalités particulières mais elle reste tout
à fait centrale » (Brusset B., Diagnostic en psychiatrie et psychopathologie, in Traité de
psychopathologie, Paris, PUF, 1994, p. 65).

Notons, concernant cette évolution, que les termes actuellement employés de « névrose » et «
psychose » ont un sens qui a varié contradictoirement avec leur étymologie. Comme leurs noms
l’indiquent, la névrose était une affection nerveuse et la psychose une maladie mentale (de la
psyché). On doit à Ernst von Feuchtersleben (1845) la paternité du terme de psychose. Il s’agit pour
cet auteur d’une « maladie de l’esprit » (Seelenkrankheit), par opposition aux névroses, maladies
nerveuses, précédemment définies comme maladies « du sentiment ou du mouvement qui sont sans
fièvre » par William Cullen, en 1776.
Ainsi, s’est créée une opposition entre psychose et névrose, mais elle s’est curieusement inversée au
XXe siècle suite à la prise en compte des travaux psychanalytiques. Surtout, elle a pris une ampleur
considérable sous la forme de l'opposition entre deux structures psychiques fondamentales. De plus,
le terme psychose désigne aussi des troubles graves et déréalisants considérés, soit comme des états
transitoires, soit comme des maladies graves à l’instar de la schizophrénie ou des troubles
bipolaires.
Un problème persiste : la perspective étiologique est certes reconnue, mais elle reste floue et
partiellement mise de côté, faute de données irréfutables. Le principal conflit a opposé les partisans
des causes biologiques à ceux évoquant des causes psychologiques et relationnelles.
À ce conflit a répondu l’arbitrage d’une pure empiricité, proposé dans les dernières moutures du
Diagnostic and Statistical Manual (versions IV et V) et la Classification Internationale des
Maladies et des problèmes de santé connexes (International Statistical Classification of Diseases
and Related Health Problems, dite encore CIM 10). Les auteurs de ces classifications ont renoncé à
s’appuyer sur la cause des troubles (l’aspect étiologique).
Pour le DSM, le critère de repérage est empirique et statistique. Le diagnostic s’établit sur la
présence simultanée des symptômes, dont la fréquence de montrée statistiquement. Il s’y ajoute la
perspective pharmacologique qui prend comme critère les effets cibles des divers médicaments. La
réponse positive d’un ensemble symptomatique à tel médicament sera considérée comme un critère
classificatoire. Il faut aussi rappeler la visée administrative et épidémiologique de cette entreprise
qui a son utilité, mais la décentre d'une recherche s'intéressant spécifiquement à la connaissance la
pathologie psychique.
Le DSM et la CIM utilisent peu les vocables de « névrose » et de « psychose » et répartissent ces
deux affections entre les troubles dissociatifs et les troubles de l’humeur. Cette ambiguïté
terminologique est un facteur de confusion majeure. Des termes aussi fondamentaux que névrose et
psychose ont un sens flou et contradictoire. Ils sont tributaires d’évolutions théoriques
contradictoires, c’est pourquoi il est nécessaire en psychopathologie de préciser le sens dans lequel
on les emploie, car il n’est pas le même pour tous.

Les évolutions contemporaines


De nos jours, trois grandes tendances s'affrontent :
- La tendance se prétendant non théorique qui met de côté le problème étiologique pour se limiter à
une description classificatoire. Les classes sont fondées sur des récurrences statistiquement
vérifiées, elles sont construites logiquement et contiennent de préférence des critères
pathognomoniques. C’est ce qui a donné le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders,
devenu une référence mondiale.
- La tendance naturaliste et biologisante pour laquelle à tout syndrome psychopathologique
correspond un dysfonctionnement neurobiologique (identifié ou qui le sera un jour). Cette tendance
est représentée par le courant des neurosciences, de la neuropsychologie, de la psychiatrie
biologique et de la psychopharmacologie.
- La tendance psychologique, psychanalytique et culturaliste qui est éparpillée entre de nombreuses
écoles concurrentes. Parmi celles-ci, le courant de psychopathologie issu de la psychanalyse
s'oppose à la réduction biologisante de l’humain et prend en compte la force des interactions
affectives relationnelles dans la psychopathologie.
Au total, il n’y a pas de repérage communément admis en psychopathologie, ce qui est l'indice
d'une connaissance incertaine et divisée. Face aux oppositions doctrinales actuellement prévalentes,
notre propos se veut pluraliste et synthétique en même temps que fermement arrimé au courant
psychopathologique au sens strict, c'est-à-dire qui exige l'établissement d'une explication
étiopathogénique.
Nous voulons dire par là qu'il y a des déterminations à l'œuvre dans la pathologie psychique et que
c'est en s'appuyant sur la mise en évidence de ces déterminations que l'on peut concevoir un
repérage efficace (et non par une simple description classificatoire). Le terme étiopathogénique
combine les deux exigences : celle de l'étiologie qui concerne les facteurs à l'origine de la
pathologie et sa genèse, c'est-à-dire le processus qui la produit.
Notre proposition de repérage est fondée sur l’idée que l’Homme est pourvu d’un psychisme au sein
duquel se cumulent et interagissent des influences à la fois biologiques, relationnelles directes
(familiales, de l'entourage) et plus généralement socioculturelles. Dans ce cadre, le rôle de la
psychopathologie est de décrire et d’expliquer les manifestations du psychisme, en particulier dans
leurs formes pathologiques, tout en les ramenant à diverses causes étiologiques : neurobiologiques,
relationnelles et socioculturelles.
Le psychisme humain évolue et se façonne au cours de l’histoire individuelle, ce qui aboutit à
former la personnalité de chacun. Nous défendons une approche pluraliste et hiérarchisée qui
associe les facteurs relationnels, neurobiologiques et socioculturels dans une visée intégrative, qui
permet de considérer la personne entière. Nous n'apportons rien de radicalement nouveau par ce
travail. Nous proposons d’harmoniser des savoirs existants qui sont disjoints pour des raisons
d'opposition doctrinaire et idéologique. Il s’agit de prendre en compte les divers types de recherches
utiles pour comprendre l'humain et la pathologie psychique qui l'affecte.
Nous allons exposer une méthode permettant de se repérer dans l'immense continent que constituent
les différentes formes de la personnalité humaine et ses nombreuses déviations pathologiques qui
ont diverses origines. Repérage indispensable pour établir un diagnostic, ce qui est absolument
nécessaire à une pratique adaptée et efficace.

2. Des distinctions utiles et nécessaires en psychopathologie


Quelques précautions
Les termes de « folie » et de « maladie mentale » sont des notions valises inappropriées qui donnent
à croire faussement qu'il y aurait une unité de la psychopathologie. Il y a, tout au contraire, une
diversité des déviations pathologiques du fonctionnement psychique humain, déviations qui ont des
origines diverses et parfois cumulatives, de types biologiques, familiales et relationnelles et enfin
culturelles et sociales.
La psychopathologie cherche à expliquer la pathologie psychique. Cette explication passe par la
recherche de causes ou au moins de conditions déterminantes. Si l’on distingue les influences
biologiques des influences psychologiques et celles proprement socioculturelles, la question des
conditions déterminantes de la psychologie humaine et de sa pathologie peut être abordée en se
demandant lequel de ces facteurs est en cause et quel est celui qui a une influence prépondérante.
Chaque individu intègre les données sociales ainsi que les normes culturelles et les traite de manière
dynamique au sein du psychisme qui est lui-même une entité mixte combinant les deux niveaux,
neurobiologique et psychologique (cognitif et représentationnel). Par psychologique, on entend
donc ici les aspects relationnels présents et passés qui sont mémorisés et traités sur le plan de leurs
représentations par des processus cognitifs (rationnels et irrationnels).
On aura donc, en considérant ces facteurs, si ce n'est une étiologie rigoureusement définie, tout au
moins une orientation étiologique intéressante et utile en pratique.
Presque toutes les conduites humaines font l’objet de plusieurs déterminations simultanées, ce qui
est une difficulté. Cependant, l'expérience montre qu'il y a, la plupart du temps, un primum movens,
une détermination plus forte que les autres. Il y a, de manière certaine, une multidétermination dans
la pathologie psychique, mais, du fait de notre incapacité à les prendre toutes en compte, il est utile
d'évaluer celle qui compte le plus.
C'est là que se réintroduit l'exigence étiopathogénique sous une forme assouplie et hiérarchisée.
Globalement, la personnalité, vue sous l'angle du psychisme, génère les manifestations
caractérielles et symptomatiques observées cliniquement. Mais, comme le psychisme est un modèle
vaste et synthétique, il est insuffisant pour organiser l'ensemble des traits cliniques. À des fins de
simplification pratique, il faut spécifier certains facteurs tels que des modifications
neurobiologiques et les facteurs socioculturels qui interviennent parfois massivement.
Selon le cas, les facteurs relationnels, ou socioculturels, ou neurobiologiques, peuvent être
considérés comme prépondérants. Cette évaluation du déterminant le plus puissant se fait par un
jugement porté en fonction des connaissances admises. C’est cette évaluation qui nous sert pour
proposer des catégories psychopathologiques, ce qui conduit à considérer :
1. Les formes d’organisation de la personnalité. Nous considérons que les événements de la vie
relationnelle et les interactions avec l’entourage sont prépondérants pour expliquer la genèse de la
personnalité et de ses dysfonctionnements pathologiques.
2. Les maladies à facteurs multiples dans lesquelles il y a une prépondérance du facteur
neurobiologique, ce qui est corroboré par une influence génétique actuellement reconnue et
démontrée.
3. Les personnes pour lesquelles les facteurs socioculturels ont joué de manière prépondérante pour
engendrer un dysfonctionnement psychique et qui le manifestent par des comportements
antisociaux.
Il est certain que tous les facteurs se cumulent constamment, mais, dans la mesure où nous ne
sommes pas omniscients, il faut évaluer ceux qui sont prépondérants pour comprendre et agir. Cela
revient à hiérarchiser les déterminations en fonction de leur importance supposée. Il y a un enjeu
pratique. Pour avoir une action efficace, il faut mettre en œuvre une technique adaptée. Si l’on traite
un facteur accessoire, on n’obtiendra aucun résultat, et on risque même de nuire au sujet. Dit
brièvement, si le trouble dépend d'un désordre neurobiologique ou d'un conflit psychologique, le
traitement ne peut pas être le même.

La principale détermination
Désigner un type de causes principales, un primum movens, ne veut pas dire que l’on élimine les
autres causes moins prégnantes, mais que l’on désigne celle qui agit le plus massivement et, par
conséquent, celle sur laquelle il est nécessaire de faire porter préférentiellement l’action
thérapeutique. La détermination principale répond à deux exigences complémentaires, étiologique
et thérapeutique. L’affirmation d’un ensemble de causes principales doit être prudente, car elle se
fait au vu d’un faisceau d’arguments.
Le primum movens est un concept assez complexe, car, en plus des quatre cas vus au-dessus, pour
comprendre les déterminations qui jouent un rôle en psychopathologie, on doit tenir compte des
oppositions inné/acquis, interactif/autonome. Inné veut dire que la composante génétique
(héréditaire, transmise ou survenue par mutation) joue fortement, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il
s'agit de conduites uniquement acquises pendant la vie. Interactif indique une détermination venue
de l’environnement relationnel et social, alors qu’autonome signifie que la dynamique est propre à
l'individu et que l’interaction ne joue pas de rôle.
Mais, de plus, les aspects relationnels interactifs dont il faut tenir compte ont deux aspects. Il y a les
interactions relationnelles répétées et continues qui ont eu lieu au cours de l’enfance et produisent
des effets à long terme ; il y a les interactions courtes et transitoires avec l'entourage familial et
social à l'âge adulte, qui ne produisent que des réactions limitées dans le temps. Il y a aussi les
actions continues de harcèlement, tant chez l'enfant que chez l'adulte.
C’est l'appréciation de la combinaison de ces différents aspects qui va permettre de désigner le
contexte étiologique pertinent. En psychopathologie, nous sommes toujours dans des situations
d’une grande complexité dont l'explication demande à combiner plusieurs facteurs, mais aussi, de
faire un choix pour désigner ce qui est le plus efficient.

3. Le psychisme, lieu de convergence


Mettre le psychisme en avant
Le psychisme est d’abord et avant tout un modèle explicatif global : il est nécessaire à expliquer la
clinique, mais on ne se prononce pas sur son statut ontologique. Il se place en tant qu’intermédiaire
synthétisant toutes les influences qu’elles soient biologiques, cognitives, représentationnelles ou
sociales. C’est cette situation du psychisme comme synthèse individuelle qui permet d’intégrer les
différentes étiologies sans discrimination.
On peut en rester à une position instrumentaliste et considérer qu'on utilise un modèle explicatif
commode, sans plus. On peut aussi postuler qu'il a une existence réelle, mais sans se prononcer sur
sa nature. En ce sens, le terme « d’appareil » psychique, employé par Freud, est intéressant. On
comprend que c’est une entité théorique, car, évidemment, il ne s’agit pas d’un appareil concret,
mais seulement d’un appareil fictif, c'est-à-dire d'un modèle.
Si on cherche à identifier sa nature, l'hypothèse la plus probable est que les deux niveaux
d’organisation, neurobiologique et cognitif, concourent simultanément à le former et il est assez
souvent très difficile de les distinguer. Tout l'aspect pulsionnel et émotionnel vient du biologique et
il tient une place majeure dans le psychisme (voir l'article : Le psychisme humain.
Reprenons maintenant le raisonnement étiologique en tenant compte du psychisme. Si l’on
considère un individu humain dans son environnement, par rapport à cet environnement, il subit
deux types de déterminations : sociale et relationnelle. Si l’on considère le psychisme comme entité
interne à l’individu, on peut ajouter un troisième type de détermination : biologique. Le psychisme
est l’entité qui permet de combiner de manière rationnelle les trois types de déterminations que le
bon sens clinique donne à considérer. Le psychisme est une entité intermédiaire que l’on doit placer
entre les déterminations et leurs conséquences pour expliquer que leurs effets ne sont pas directs
(pas de lien direct cause-effet) et qu’elles se combinent entre elles de manière complexe (et en
partie imprévisible) pour un individu donné.
La manière de modéliser le psychisme à laquelle nous nous référons est la métapsychologie
freudienne, modifiée selon les avancées contemporaines sur le narcissisme (dues en particulier à
Heinz Kohut) et dans une acception systémique ou structurale : le modèle est considéré comme un
tout organisé dans lequel les parties interagissent.

L'espoir d'un possible paradigme fédérateur


Notre travail s’inscrit dans le courant de la psychopathologie né au XXe siècle qui met en avant la
personnalité. Il s’agit de situer les manifestations morbides par rapport à la personnalité et deux
possibilités s’offrent. Soit de les inscrire dans la personnalité, soit de les considérer comme
hétérogènes à la personnalité. Dans les deux cas, il y a une certaine distanciation qui met le tableau
clinique en perspective. Mais, cette distinction intéressante est trop tranchée et présente des
difficultés. D'autre part, les façons de rendre compte de la personnalité humaine sont diverses.
Comme vu ci-dessus, nous utilisons le concept de psychisme afin d’en rendre compte de la manière
la plus rigoureuse possible et ne pas en rester à la conception ordinaire d’une caractérisation globale
des individus.
Conçu comme synthèse individuelle bio-psycho-sociologique, le psychisme offre plusieurs
possibilités explicatives et une intelligibilité de la pathologie apparaît.
- Soit les aspects pathologiques concernés dérivent des aspects acquis du psychisme qui ont une
origine relationnelle et/ou sociale.
- Soit ils s’inscrivent dans les aspects biologiques du psychisme et leur genèse est à rechercher dans
des facteurs ayant un impact neurobiologique.
La personnalité vue sous l’angle du psychisme évite les habituelles oppositions entre les écoles
voulant imposer leur étiologie favorite : psychologique, biologique ou, plus rarement, sociologique,
oppositions qui ont marqué les évolutions en psychopathologie et rendu l’adoption d’un paradigme
fédérateur impossible.

4. Un repérage possible en psychopathologie


À partir de ces considérations, diverses possibilités apparaissent : nous en avons retenu seulement
quatre, jugées intéressantes par leurs conséquences pratiques :
- Les différents types de personnalité.
- Les maladies multifactorielles où domine le facteur biologique.
- Les syndromes retrouvés dans toutes les formes d'organisation psychique.
- Les pathologies qui sont principalement d'origine sociale.

Les formes prises par la personnalité


Tout être humain possède une organisation psychique qui va contribuer à sa personnalité. Un
premier repérage possible des formes de personnalité est donné par les différents types de
structurations psychiques. Les variations de l’organisation psychique dépendent de facteurs
constitutionnels, mais surtout de l’environnement relationnel et culturel et de la dynamique propre
du psychisme. La formation de la personnalité vient des relations familiales et des événements de
l’enfance, ce qui conduit à considérer que la principale détermination étiologique des troubles liés à
la personnalité est acquise par interaction relationnelle (familiale et sociale).
La mise en avant de la personnalité comme arrière-fond indispensable à la compréhension de la
pathologie répond à l'idée, relativement admise, de ne pas séparer radicalement le sain et le
pathologique. La personnalité peut aussi bien donner des manifestations saines ou pathologiques
selon sa forme et selon les circonstances.
La première des catégories utilisables pour se repérer sera celle des « formes de personnalités ».
Compte tenu des habitudes et du vocabulaire en vigueur (qui n'est pas adapté, car il est hérité de
l'histoire de la discipline), on peut parler de type de personnalité « névrotique », « psychotique » et,
entre les deux, des cas « intermédiaires » (dites aussi personnalités « limites » et « perverses »). On
peut aussi parler de « pôle » (névrotique, psychotique et intermédiaire), au sens de points idéaux qui
orientent la catégorisation, avec autour d'eux des sphères catégorielles, sans limites nettes dans
lesquelles se disposent les diverses personnalités. Les catégories proposées ne sont pas des cases
étanches, mais des zones à bords flous.
Plutôt que d'utiliser ces termes qui peuvent prêter à confusion, il vaut mieux décrire explicitement
ce qui caractérise ces formes de personnalité. On peut distinguer :
- Les personnalités évoluées qui présentent parfois, mais pas toujours, un conflit sur le plan
relationnel et libidinal qui est la source de la pathologie. Elles sont fréquemment qualifiées de
névrotiques (voir : Les personnalités névrotiques).
- Les personnalités à déficit narcissique dont le fonctionnement psychique est moins bien élaboré.
La source de la pathologie vient des effondrements narcissiques et des tentatives de compensations.
Elles sont fréquemment qualifiées de « limites ».
Lorsque l'instance qui supporte la limitation et le respect de la loi (le surmoi) ne se constitue pas, il
se produit une viciation des relations et de la socialisation. On parle alors de personnalités perverses
(voir : Les personnalités intermédiaires).
- Les personnalités avec de graves distorsions des fonctions psychiques ayant trait à la réalité et à la
relation aux autres. Cela s'accompagne toujours d'une insuffisance des diverses instances
psychiques. Elles peuvent être qualifiées de psychotiques (voir : Les personnalités psychotiques).
Il semble important d'éviter les délimitations rigides qui ne conviennent pas à la mouvance de la
personnalité humaine. Cette catégorisation se veut souple, c'est une manière de s'orienter.
Cependant, il serait fautif de ne pas se repérer et ne pas savoir à qui on a affaire, ce qui conduirait à
des conduites inadaptées, voire nocives et dangereuses. Il est important de cerner le type de
fonctionnement psychique de la personne qui vient consulter, ce que permet la catégorisation
proposée.
Il en résulte de cette méthode une grande diversité dans les types de personnalité humaine. Tout le
monde n'est pas pareil et, derrière les apparences socialisées, les différences sont importantes et que
la normalité sociale n'est pas nécessairement un bon indicateur de santé psychique.

Les pathologies à facteur neurobiologique dominant


Le parti pris de privilégier l’étiologie dans la classification des troubles psychopathologiques
conduit à individualiser les pathologies à facteur neurobiologique dominant.
Pour certaines d'entre elles, on peut des maladies multifactorielles, car plusieurs facteurs
interviennent. Le concept est utilisé pour caractériser les maladies ont des causes à la fois
génétiques et environnementales. Ces facteurs peuvent interagir de manière complexe pour causer
la maladie. Il s’agit de maladies au sens classique du terme, avec un début, une évolution, une
chronicisation ou une fin, et pour lesquelles on peut déterminer étiologie principale, qui est un
dysfonctionnement neurobiologique.
Au vu des connaissances contemporaines, il est admis que les modifications neurophysiologiques
en cause sont en partie d’origine génétique (de nombreux gènes sont mis en cause) et dans certains
cas qu'elles peuvent être dues à des influences du milieu (ayant eu lieu pendant la vie intra-utérine
ou pendant la vie adulte). Le tableau clinique apparaît à un âge donné et évolue de manière
stéréotypée.
Ces maladies sont « multifactorielles » dans la mesure où les causes endogènes sont
multifactorielles et ou l'environnement agit aussi de plusieurs manières. La détermination est
biologique (causes toxiques, infectieuses), mais aussi psychologique (causes relationnelles). La
catégorie « maladie multifactorielle » concerne les cas où les distorsions neurobiologiques sont
prédominantes dans les modifications psychiques constatées.
Compte tenu des connaissances actuelles, on peut les répartir en six groupes les pathologies pour
lesquelles le dysfonctionnement neurobiologique est premier.
Les démences représentent le cas le plus net. Les démences aboutissent à une diminution du nombre
de neurones actifs et les tableaux cliniques sont en rapport direct avec la détérioration neuronale. La
plus connue est la maladie d'Alzheimer. Elle est due à l'agrégat d'un peptide nommé bêta-amyloïde
dont l'accumulation finit par détruire les neurones. On individualise aussi la maladie de Pick et les
démences d'origine vasculaire.
Les schizophrénies se manifestent par des tableaux cliniques divers, mais tous montrent une
dissociation dans la sphère affective, intellectuelle et psychomotrice. Dans certaines formes s'ajoute
une expérience hallucinatoire et délirante et dans d'autres le retrait autistique domine. Sur le plan
biologique, on a constaté une diminution d'activité du cortex préfrontal. Le facteur génétique
incriminé est très complexe et demande l'intervention de facteurs environnementaux mal connus.
Dans la maladie maniaco-dépressive ou trouble bipolaire, le tableau clinique d’alternance de phases
d’excitation et de dépression est caractéristique et stéréotypé, mais l’intensité et la fréquence sont
variables. Les facteurs génétiques sont certains, mais les données et les connaissances
neurobiologiques sont floues. Il existe diverses formes et une imbrication possible avec la
schizophrénie et avec les troubles schizoaffectifs.
Nous plaçons ici les troubles hallucinatoires chroniques ici par analogie. En effet, ils ont la même
allure clinique, mais il n'y a pas de données génétiques ni neurobiologiques suffisamment connues à
l'heure actuelle pour avoir une certitude.
Les pathologies du développement neurologique dit aussi « troubles neurodéveloppementaux »,
pour lesquels le facteur étiologique principal serait une anomalie dans la maturation du système
nerveux central. On y place les autismes dont les formes sont diverses. Les facteurs génétiques sont
certains, mais complexes et leur analyse statistique suggère l'intervention de facteurs
environnementaux.

Les psychosociopathies
L’homme est un être social. Le milieu social joue un rôle majeur dans l’organisation et le contrôle
des pulsions (libidinales et agressives), ainsi que dans l'intégration de la loi commune et des
normes, tout comme dans l'accès à des modes relationnels plus ou moins sophistiqués.
L’organisation psychique subit fortement l’influence sociale, si bien qu’il existe des pathologies
dont le primum movens est social.
Le psychisme intègre toujours les influences sociales, mais, dans certains cas, ces facteurs sociaux
sont pathogènes. On parle alors de pathologie socialement ou culturellement favorisée. L’aspect
pathologique vient de la perte ou à l'absence de repères culturels, d'une éducation insuffisante ou
déstructurante. Un environnement social violent provoque des réactions défensives primaires qui
viennent s’inscrire dans l’organisation psychique à plus ou moins long terme. Les effets sociaux
seront plus puissants si la structure psychique est plus archaïque (perverse, psychotique), donnant
des réactions plus immédiates sans possibilité de sublimation.
On peut désigner certains des tableaux cliniques rencontrés (mauvaise insertion, conflit, souffrance
par isolement) par le terme de sociopathie. Les formes cliniques sont variables selon le milieu et
selon le problème social (marginalité, ethnicisation, violence). L'immigration a rendu cette
pathologie fréquente du fait de la dissonance entre la culture d'origine et celle du pays actuel, des
problèmes d'identité que cela engendre et des difficultés d'intégration dans la nouvelle communauté.
Lorsque s'y associent une agressivité et des manifestations antisociales (destruction, transgression,
agressions sexuelles, meurtre), on parle de psychopathie. Les effets sociaux sont plus violents si la
structure psychique de base est plus archaïque (psychotique, perverse ou limite grave), donnant
donc des réactions plus immédiates, sans possibilité de sublimation.

Les syndromes psychiques ubiquitaires


Ces syndromes résultent d'un dysfonctionnement psychique parfois chronique, mais le plus souvent
transitoire. Ils sont en lien avec des modifications neurobiologiques encore mal connues, mais
certaines. Un syndrome n’est ni une personnalité ni une maladie, juste un ensemble de symptômes
associés. Cette catégorie n’est donc pas du même type que les précédentes.
Dans les formes dites réactionnelles, le déclenchement du syndrome provient de situations
relationnelles ou sociales (danger réel ou supposé, traumatisme, deuil, insatisfactions, incertitudes
vitales, harcèlement). Ces syndromes sont évolutifs, mais peuvent se fixer et devenir chroniques.
Ces grands syndromes, très communément rencontrés, sont présents dans toutes les formes
d'organisation psychique. Selon la personnalité sous-jacente, ils prendront une tournure plus ou
moins intense et auront des évolutions très différentes. Certaines formes ne sont pas réactionnelles
et proviennent d'un dysfonctionnement neurobiologique ayant une détermination propre (manie,
mélancolie). Ils entrent alors dans le cadre des maladies multifactorielles.
Parmi les plus courants, on trouve :
- Le syndrome anxieux associe une sensation de peur à des manifestations somatiques diverses.
Certains récepteurs neuronaux génèrent l'angoisse et d'autres l'empêchent. La structure cérébrale la
plus concernée est l'amygdale et ses connexions à l'hippocampe. Sont en jeu les récepteurs à l'acide
gamma-amino-butyrique (GABA). Ce sont les récepteurs du genre A, de sous-type oméga 1, qui ont
un effet anxiolytique.
- La dépression se manifeste par la tristesse jusqu'à la douleur morale, l'abattement et un cortège de
manifestions somatiques. On l'associe au déficit des voies sérotoninergiques centrales (dont la
stimulation chimique permet une rémission) et à une diminution de la plasticité cérébrale.

- L'excitation associe la jovialité, l'hyperactivité, la bonne humeur. Elle peut aboutir, en


s'accentuant, à l'agitation grave et l'insomnie. On incrimine une possible hyperactivité
sérotoninergique.

- Les troubles psychosomatiques consistent en des manifestations somatiques ayant pour origine un
dysfonctionnement psychique. Ils sont innombrables et d'une extrême fréquence.
- La bouffée délirante aiguë se manifeste par un délire onirique riche et constitué d'emblée. Il est
flou et polymorphe, variable dans ses thèmes et ses mécanismes. La bouffée délirante guérit
spontanément en quelques jours ou quelques semaines.

Conclusion : limites et intérêts de la méthode


Des limites théoriques
La méthode proposée met en avant les diverses influences que subissent les individus humains :
relationnelles, biologiques et sociales. Toutes se cumulent tout le temps. La distinction entre les
diverses formes de personnalité, les maladies à déterminisme biologique et la pathologie sociale
n'est pas complètement justifiée. Le psychisme humain cumule et synthétise tous ces facteurs
(biologiques, relationnels, sociaux) en une personnalité totale. Toutefois, cette approche, juste de
manière générale, laisse dans la perplexité et l'impuissance d'un point de vue pratique. On ne peut
tout expliquer, ni agir sur tout en même temps. La psychopathologie reste une discipline appliquée
et approximative.
Ce repérage est insatisfaisant, cependant, il a une vertu. Dans la pratique quotidienne, faute de
pouvoir tout expliquer et tout synthétiser, il faut saisir ce qui est le plus important afin de choisir la
conduite la mieux adaptée vis-à-vis du patient. L'individualisation d'un facteur plus déterminant que
les autres permet de faire des distinctions et de proposer des réponses thérapeutiques adaptées. Il est
d'ailleurs évident que l'un des aspects n'exclut pas les autres, si bien que l'on peut les associer et les
hiérarchiser dans chaque cas individuel.

Une mise en pratique efficace


Les quatre catégories, type de personnalité, psychosociopathies, maladies multifactorielles,
syndromes ubiquitaires, n'étant pas du même type, elles peuvent se superposer. Elles se veulent
d'abord pratiques, construites en vue de permettre un diagnostic fiable permettant de diligenter
l'action thérapeutique la plus appropriée.
Donnons un exemple. Une personne a toujours un psychisme, supporté et influencé par le socle
biologique, structuré par son histoire relationnelle, la culture et la société, ce qui lui donne à titre
individuel sa personnalité. Elle réagit nécessairement à son environnement immédiat (familial,
professionnel, sociétal) et peut présenter des états anxieux ou dépressifs si les circonstances s'y
prêtent. De plus, il peut survenir chez cette personne un développement schizophrénique ou une
démence, si des facteurs génétiques ou acquis l'y prédisposent. Ces divers doivent nécessairement
être distingués.
Les distinctions proposées délimitent de grandes catégories superposables, ce qui est une manière
de lutter contre l'envahissement du champ disciplinaire (de la psychopathologie et de la psychiatrie)
par les catalogues normalisés extrêmement détaillés (le DSM et la CIM) dont l'influence ne cesse de
croître. Le repérage consistant à lier les entités cliniques à ce qui les détermine principalement est
une manière de contribuer à une psychopathologie explicative. La personnalité vue sous l’angle du
psychisme évite les habituelles oppositions entre les approches purement psychologiques,
biologiques ou sociologiques.

♦♦♦
Tableau d'ensemble

Les grands types d'organisations psychiques


Personnalité équilibrée
Type névrotique Personnalité anxio-phobique
Personnalité obsessionnelle
Personnalité hystérique

Personnalité limite
Type intermédiaire
Personnalité perverse

Personnalité distanciée
Type psychotique Personnalité histrionique
Personnalités psychotiques graves

Les maladies multifactorielles


Les démences
Les schizophrénies
Les troubles hallucinatoires chroniques

Les pathologies du développement


Les autismes
Autres pathologies (Syndrome de Rett et autres)

Les grands syndromes ubiquitaires


L’angoisse
La dépression
L'excitation
Les troubles psychosomatiques

Les psychosociopathies
Les syndromes sociopathiques
La personnalité psychopathique
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Bibliographie :
Bergeret J., La Personnalité normale et pathologique, Paris, Dunod, 1985.
Bergeret J. et Col., Psychologie pathologique, Paris, Masson, 1986.
Braconnier A., Psychologie dynamique et psychanalyse, Paris, Masson, 1998.
Brusset B., « Diagnostic en psychiatrie et psychopathologie », in Traité de psychopathologie, Paris,
PUF, 1994, pp 65-81.
Ellenberger H., (1970) À la découverte de l'inconscient Histoire de la psychiatrie dynamique,
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Espasa F. P., Dufour R., Diagnostic structurel chez l’enfant, Paris, Masson, 1995.
Ey H., Bernard P., Brisset Ch., Manuel de psychiatrie, Paris, Masson, 1978.
Guiraud P., Psychiatrie Clinique, Paris, Le François, 1956.
Juignet P., Manuel de psychopathologie générale, Grenoble, PUG, 2015.
- Manuel de psychothérapie et psychopathologie clinique, Grenoble, PUG, 2016.
Lenteri-Laura G., del Pistoia L., "Regards historiques sur la psychopathologie", in Traité de
psychopathologie, Paris, PUF, 1994, pp 18-63.
Postel J, Quétel C. (dir.), Nouvelle histoire de la psychiatrie, Paris, Privat, 1983.

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