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2 É D I TO R I A L 3

Prendre le chemin de
l’anormalitéPA R L A Ë T I T I A M O R E AU, P R ÉS I D EN T E D E L A S C A M

SOMMAIRE

> Un statut en berne,


des auteurs à la peine
> Statistiques d’un désastre annoncé photo Matthieu Raffard

> Audiovisuel, quelles priorités photo Matthieu Raffard

législatives après la Covid ?


10 ÉTAT DES LIEUX COVID -19

Manon Ott
Erratum
Une erreur de chiffre s’est Caméra au poing
(levé)
glissée dans Astérisque 64,
page 31, dans une question à
Damien Couvreur concernant
la rémunération des auteurs 12 PORTR AIT

S
et autrices de doublage et
sous-titrage : le tarif de 6 €
antiago du Chili, décembre 2019. Dans la nuit
la minute mentionné dans
la question est hélas très loin
Utopies de radio noire, un immense slogan projeté sur la façade d’un
immeuble brave un État policier de retour, si tant est
des tarifs planchers proposés 16 TRIBUNE
par les associations profes- qu’il ait un jour disparu. « No volveremos a la norma-
sionnelles. lidad, porque la normalidad era el problema », « Nous
Cf. l’étude en ligne www.
scam.fr/detail/articleld/6517
Nulla dies sine Gallica ne reviendrons pas à la normale car la normalité était
22 WWW
le problème ». Voilà comment avec plusieurs mois
d’avance, les Chiliens, ou plutôt certains d’entre eux,
Directeur de la publication
Hervé Rony La traduction audiovisuelle dans le tumulte des violentes émeutes qui ont secoué
Secrétariat de rédaction
sans langue de bois le pays, ont tracé la voie. Ne pas reprendre le chemin
Cristina Campodonico 24 ÉTUDE de la normalité quand celle-ci est anormale. La phrase
Stéphane Joseph fait aussi sens pour nous aujourd’hui. Il serait facile,
Delphine Gancel

Pour qui travaille


en effet, de mettre sur le dos d’un petit virus tous les
Conception graphique maux économiques et sociaux, si ce n’est de la planète,

le journaliste ?
Direction artistique
Catherine Zask du moins de notre pays. Ces maux étaient là, en germe,
latents ou déjà en ébullition. Le virus a joué un rôle de
Maquettiste 26 POINT DE VUE
Anne Drezner catalyseur, de révélateur, il n’a rien provoqué d’autre
que la maladie et la mort. C’est déjà bien assez.

Le goût de l’audio
Photogravure
DiscNewmeric

Impression Frazier
tirage 9 000 exemplaires
30 ÉTAT DES LIEUX
N ous vivons au rythme d’un déconfinement aux
contours flous, assorti de la menace d’un nouveau
confinement en cas de rebond de l’épidémie. Pas de retour
Astérisque est édité Palmarès des Prix à la normale donc. Or, la normalité pour des centaines
par la Société civile des
auteurs multimedia.
34 ACTION CULTURELLE d’auteurs et d’autrices depuis une vingtaine d’années,
N° 65 – juillet 2020
tous répertoires confondus – de la radio à l’écrit, en pas-
Les Étoiles 2020
ISSN 2256-6872
Société civile à capital sant par le journalisme, la photo et le documentaire –,
variable. 36 ACTION CULTURELLE ce sont des revenus en baisse, des statuts de plus en
RCS Paris, D 323 077 479
APE 923A plus précaires et la nécessité de cumuler des activités

Scam
La Scam en chiffres pour boucler les fins de mois. L’hybridation des statuts
5 avenue Velasquez 38 R APPORT D’ACTIVITÉ a gagné du terrain : auto-entreprenariat choisi ou imposé,
75 008 Paris Agessa, salaires, revenus accessoires, etc. Le résultat est
01 56 69 58 58
[email protected] qu’ils n’entrent dans aucune case.
www.scam.fr
4 É D I TO R I A L 5

L a Scam, aux côtés des dispositifs proposés par l’État,


a très rapidement mis sur pied un fonds d’aide d’ur-
gence doté d’un million d’euros, financé en partie par
D éjà pointent des inquiétudes sur les conditions
de la reprise. Les premières pistes de réflexion
indiquent, et c’est légitime, que les protocoles sanitaires
N ous ne voulons pas revenir à la normale quand
la normalité est le problème. Il est temps que
nos répertoires soient considérés à leur juste valeur,
les irrépartissables. Nous voyons au fil des semaines envisagés vont alourdir la charge de travail et imposer nous existons trop peu pour le ministère de la Culture.
qu’il est le seul à prendre en compte la diversité et un rythme plus lent. Aurons-nous plus de temps, plus de Qu’aurait été le confinement sans télévision, sans radio,
la complexité de nos situations professionnelles. Ce jours de tournage et de montage par exemple, ou serons- sans podcast, sans livres, sans vidéo, sans tutoriels, sans
fonds restera accessible jusqu’à la fin de 2020 car les nous contraints de respecter des délais qui ne seront nos œuvres : sans nous, en somme ? En ces temps où
conséquences de cette crise vont se faire sentir jusque pas tenables ? Autre point d’inquiétude, le télétravail, la réalité dépasse la fiction, nos regards, nos analyses,
là au moins. Certes, nous nous sommes réjouis de notamment en montage. L’idée était déjà dans l’air du nos sensibilités, notre capacité à mettre le monde en
l’annonce d’une année blanche pour les intermittents, temps avant la crise, pour une meilleure rentabilisation récit, sont plus que jamais nécessaires.
mais l’intermittence n’est pas forcément la règle dans des hommes et des machines au mépris sans doute de
notre secteur. Il sera urgent, à la rentrée, de plancher
sur la question du statut de l’artiste-auteur prôné par
le rapport Racine.
la nature même de nos métiers faits de rencontres, de
contacts, d’échanges. Nous assistons depuis vingt ans
à une forme de taylorisation, en particulier dans le jour-
P lusieurs grandes voix, plusieurs regards hors du
commun de notre famille nous ont quittés, victimes
de la pandémie. Nous saluons ici leur mémoire et nous
nalisme et pour certains documentaires où la tendance adressons nos confraternelles condoléances à leur

L a solidarité entre auteurs est un impératif non négo-


ciable et nous avons mobilisé nos ressources pour
faire front. Nous nous interrogeons, dans ce numéro
limites et n’est pas tenable dans le temps sauf à péna-
liser l’action culturelle. Et ces auteurs et ces autrices
est de confier chaque étape du travail de réalisation à une
personne différente. Cette approche nuit tant à la qua-
lité des œuvres, qui se standardisent, qu’à la qualité
famille. L’écrivain chilien Luis Sepúlveda fait hélas partie
de ceux-là, il s’est éteint le 16 avril dernier à Oviedo
en Espagne. Monument de la littérature, certains mots
d’Astérisque – dont certains articles ont été écrits avant qui se tournent vers le fonds de la Scam, ne doivent-ils de l’information qui est proposée, puisque dans ces du Vieux qui lisait des romans d’amour résonnent pour
le confinement –, sur la situation de l’ensemble des compter que sur la seule solidarité de leurs confrères conditions il est difficile de défendre un point de vue. toujours comme un hommage au travail des auteurs et
membres de la Scam. Car, s’il est moins évident que et consœurs quand d’autres bénéficient de la solidarité des autrices : « Il prit la direction d’El Idilio, de sa cabane
pour la musique ou le spectacle vivant, l’impact du nationale ? La question mérite d’être posée car si la crise et de ses romans qui parlaient d’amour avec des mots
confinement sur nos activités a été très important et se prolonge, si nous ne pouvons pas reprendre nos acti- si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie
perdurera dans la mesure où notre matière première vités, il faudra bien aider ceux qui ne bénéficient pas des hommes. »
est le réel. L’autorisation donnée par le gouvernement de l’année blanche et ne peuvent solliciter aucun autre
d’utiliser une partie des sommes provenant de la Copie dispositif d’aide à part celui de la Scam. Se posera alors
Privée pour financer l’action sociale, notre fonds d’aide, la question du soutien de l’État.
faisait sens dans l’urgence, mais cette dérogation a ses

I l sera tout aussi urgent, dès septembre, d’établir


des pratiques professionnelles qui protègent mieux
les auteurs et les autrices. Là non plus, aucune envie
de revenir à la « normale ». Ne pas avoir de contrat et
ne pas pouvoir justifier d’un travail en cours, que ce
soit d’écriture, de préparation ou de tournage, nous
a rendu encore plus vulnérables. Combien sont-ils dans
l’audiovisuel, télévision et radio confondues, celles et
ceux qui ont dû batailler, et parfois même se faire aider
d’un syndicat, pour obtenir le chômage partiel faute de
contrat ? S’il fallait une preuve de ce que nous dénonçons
depuis des années, nous l’avons. L’absence de contrat
Projection sur une façade
signé au premier jour de travail nous fragilise, un virus
d’immeuble, Santiago du Chili,
l’a mis en évidence. Sur ce point, et c’est vrai dans tous hiver 2019.
nos répertoires, la contractualisation de nos relations Photo Matías Segura Soto

de travail doit être un préalable obligatoire.


6 É TAT D ES L I EU X C OV I D -19 É TAT D ES L I EU X C OV I D -19 7

Un statut en berne,
pas tomber les auteurs, qu’elles rediffusent der à aucun licenciement », précise-t-elle. liers qui rentrent mal dans les aides d’État et
leurs œuvres mais aussi qu’elles ne gèlent Mais ce n’est pas la même chanson pour correspondent mal aux critères prédéfinis. »
pas les projets déjà signés et repassent les documentaristes ou les podcasteurs et Tiens, tiens… Plume, micro, caméra : même
commande ». producteurs indépendants. « Tournages combat, évidemment. Eux aussi, à défaut

des auteurs à la peine


Or du côté des sociétés de production – annulés ou reportés sans garantie, diffusions d’un statut clair et défini, ont du mal à se
les boîtes de prod – toutes ne jouent pas déprogrammées, toute la chaîne, déjà pré- faire reconnaître comme profession.
le jeu de la solidarité, doux euphémisme. caire, est fragilisée. » Elle en appelle à un « Au-delà des festivals, beaucoup de livres
« Il existe beaucoup de boîtes, plus ou moins « fonds de création » auprès du ministère de ont été reportés », reprend Benoît Peeters.
solides – certaines en grande difficulté – et la Culture – un rapport a été rendu – afin Renvoyés à des jours meilleurs, sans date
au comportement plus ou moins vertueux. de soutenir ces auteurs qui, pour survivre, arrêtée, ni même promesse de survie.
PA R A N N E C H AO N, J O U R N A L I ST E Son autre sujet, alors que les sociétés de Certaines ont refusé le chômage partiel n’ont d’autres choix que de multiplier leurs D’autres, sortis entre le début de l’année
vente de photos d’art en ligne se déve- à leurs auteurs », explique Lise Blanchet sources de revenus. « Ce sont de véritables et la mi-mars, à la veille du confinement et
loppent, c’est le droit de tirage. Au début du qui, aux commandes de la commission couteaux suisses : ils savent tout faire, mais de la fermeture brutale des librairies, sont
Désirés, célébrés, acclamés, mais naufragés… xx siècle, la législation s’est alignée de fait
e
des journalistes, en voit passer de toutes les nombre d’entre eux sont en surmenage », « mort-nés » poursuit-il : « Sans compter les
sur celle de la sculpture. Jusqu’à aujourd’hui, couleurs – et des plus baroques. résume Karine Le Bail. « Il n’existe aucun éditeurs qui revoient leur stratégie, annulent
les auteurs doublement punis par le confinement. une « photo d’art » ne peut être tirée à plus Quand le contrat d’un documentaire est dispositif de soutien à la création radiopho- les premiers romans et ne misent plus que
de 30 exemplaires signés de l’artiste. « C’est signé, le paiement ne se déclenche qu’au nique. Certains auteurs crient famine et on sur les best-sellers… Éditeurs et libraires vont
très insuffisant : ça marchait dans les années premier jour de tournage : si celui-ci est n’a aucun moyen de les aider. » avoir besoin de trésorerie. »

D es films et des séries. Des docs aussi, Hormis peut-être pour l’écrit, photographier, cinquante, mais aujourd’hui, avec le numé- suspendu, l’auteur ne touche pas un cen- « Avec des profils aussi différents, on ne Quand un livre ou un album paraît, il faut
des visites virtuelles dans les musées et enregistrer, capter le monde, le filmer impose rique, il nous faudrait pouvoir effectuer time malgré des mois de préparation. Et rentre dans aucune case », renchérit Laëtitia une chaîne de bonnes fées pour le présenter
des lectures : classiques, poésies, premiers de mettre le nez dehors : « À part photogra- 300 tirages pour survivre. Une boîte comme quand le tournage est terminé, encore faut-il Moreau, à la tête de la commission écriture au monde, des éditeurs et des libraires
romans, BD et philo. Des podcasts en boucle phier sa chambre ou ses chaussures, pour YellowKorner vend à 5 000. » pouvoir monter le film. « Et là, elles ne sont et formes émergentes qui regroupe une vaste pour le défendre, la presse pour le mettre
et des récits radiophoniques en rêvant, nous, le confinement a immédiatement signifié Bénédicte Van der Maar dénonce un pas du tout vertueuses » et proposent du variété de talents. Elle aussi recourt à la méta- en avant. « Pour les jeunes auteurs, c’est
en rangeant, en bricolant, en cuisinant… un arrêt total de la production », remarque « manque de volonté politique » de la France, chômage partiel au réalisateur au travail : phore du « couteau suisse » : la plupart des la double peine. » Un ouvrage porté par-
On n’aura sans doute jamais consommé Bénédicte Van der Maar. En parallèle, elle quand l’Allemagne, avec Düsseldorf pour « Pour le coup, on bosse gratis ! » auteurs surnagent dans une économie de fois pendant plusieurs années, s’il n’est pas
autant de « culture » que pendant le confine- a vu la publication de ses reportages suspen- capitale européenne de la photo, mise La difficulté, commune à de nombreux survie, qui compte sur le circuit des salles défendu, sombre dans le cimetière des
ment, le principal loisir et la meilleure alliée due sine die, des expositions annulées et, déjà depuis longtemps sur la photo contem- auteurs, reprend Lise Blanchet, c’est la grande de cinéma et des festivals – tous à l’arrêt œuvres sans destin, au risque de créer de
à défaut de traîner en terrasse ou dans les dans le même souffle, des ventes de photos poraine. « Il faut défendre l’œuvre des vivants, variété de statuts : pigistes, intermittents (pour depuis la mi-mars. « En faisant le tour, j’ai graves dommages, financiers mais aussi
sous-bois. Mais quand la Scam a interrogé contemporaines, inscrites au catalogue d’une pas seulement celle des morts », bataille- l’audiovisuel), autoentrepreneurs, auteurs réalisé que cette catégorie d’auteurs, parmi psychologiques, chez leurs auteurs. « Je vois
les présidentes et présidents des différentes grande maison d’enchères, en disparaître t-elle. « J’espère que la Covid éveillera les indépendants, etc. Début mai, le gouverne- les plus fragiles, ne sont même pas en beaucoup de découragement, d’à-quoi-
commissions, tous ont relevé le paradoxe soudainement, jusqu’à la fin de l’année : consciences et nous aidera à construire un ment a prolongé les droits des intermittents mesure de prouver que leurs revenus ont bon… J’ai déjà entendu de jeunes auteurs
cruel entre ce festin de sons, d’images et Pas reportées… annulées , insiste-t-elle. marché sécurisé. Le numérique, c’est comme jusqu’à janvier 2021. Pour les autres, les baissé. » Sur le papier, poursuit-elle, plusieurs me dire, cette fois je lâche », assure Benoît
de lettres et la désolation semée dans leur le feu : c’est extraordinaire mais ça peut employeurs font preuve d’une créativité sans pourraient prétendre à un fonds de soutien, Peeters qui redoute qu’au passage de cette
secteur par ces deux mois suspendus. Ce qui lui inspire deux réflexions. tuer », conclut-elle joliment. limite pour réduire leurs charges, payant les mais « la grande diversité de leurs sources de crise se perdent des auteurs singuliers, des
« Avec ces deux mois, on a basculé plus vite Ce que vit la photo résonne aussi chez les journalistes en droits d’auteur ou honoraires : revenus fait qu’ils ne sont éligibles à aucun. voix uniques.
Présidente de la commission des images dans l’ère numérique qu’au cours des vingt acteurs de l’image animée : avec le virus qui c’est illégal et n’équivaut pas du tout à un Ils ne rentrent pas dans les dispositifs mis La réponse ? un statut d’auteur, enfin, une
fixes, Bénédicte Van der Maar évoque un dernières années », avec l’hyperconsom- isole les équipes et les assigne à domicile, salaire en termes de protection. en place… » bonne fois. Qu’on s’appuie sur le rapport
« arrêt total ». Brigitte Chevet, pour la commis- mation culturelle en ligne. « En photo, on « les tournages ont été suspendus », résume « Il y a des contrevenants partout et cette La solution, à ses yeux, est de créer enfin un Racine. « Qu’on arrête de considérer que
sion du répertoire audiovisuel, « l’incertitude et avait déjà largement vécu cette crise. Mais Brigitte Chevet dont un 52 minutes qui crise va encore accroître la précarisation : statut simplifié d’auteur-autrice qui réponde la culture relève d’une consommation gratuite
l’angoisse ». Benoît Peeters (Écrit), des « livres elle rend encore plus urgent de protéger les devait être lancé mi-mars a été renvoyé des boîtes de prod vont fermer, des médias à cette réalité, comme le préconise le rap- et interchangeable. L’incurie de nombreuses
mort-nés » et le découragement. Lise Blanchet œuvres et de modifier notre écosystème. » « à juillet-si-tout-va-bien » – un documentaire se regrouper encore davantage et, au final, port Racine, rendu en janvier au ministre de années se paie aujourd’hui au prix fort. Nous
(Journalistes), la « précarisation accentuée » du Il est devenu commun aux maisons d’édition de ce format, c’est un an de travail qui part il y aura moins de travail. Le métier de jour- la Culture. « Il faut faire de cette crise une ne sommes plus dans le temps de l’analyse,
métier et, Karine Le Bail (Répertoire sonore), « d’emprunter » une photo sans la payer pour en poussière. naliste était déjà difficile, il le sera encore occasion d’avancer, traduire ce moment mais dans celui de l’urgence », martèle-t-il.
des « stratégies de survie » mises à mal orner la couverture d’un livre – celle qui, bien « On se prépare un été angoissant… C’est plus », prédit-elle. douloureux en gains concrets. Créer une Depuis le début du déconfinement, tribunes
et des projets déprogrammés. Pas mieux souvent, le fera mieux vendre. Et à la presse le flou le plus absolu. Les auteurs déjà fragiles Karine Le Bail se heurte aussi à cette grande case pour les incasables. » et pétitions interpellent les autorités pour leur
chez Laëtitia Moreau (Écritures et formes de diffuser un cliché sans penser un instant le sont encore plus, ils n’ont plus les moyens variété de situations à la commission réper- Tous le savent et le redoutent : le temps demander de réagir au plus vite pour sauver
émergentes) qui espère juste que cette « crise à en rémunérer le photographe, expose-t-elle de refaire leur cagnotte », prévient-elle. Très toire sonore, avec des auteurs autoentrepre- perdu ne se rattrape guère, ne se rattrape l’art lyrique, les théâtres, les musées, l’édition
douloureuse » déclenchera une réaction en évoquant ces milliers de photos volées, vite, la commission audiovisuelle a fait voter neurs payés à l’œuvre, qui n’ont pas touché plus. « La plupart des festivals ont été annu- et les libraires… Le public donne raison aux
énergique sur le statut de l’artiste-auteur. jamais payées à leurs auteurs. « Aujourd’hui, un fonds d’aide d’urgence à l’image et au un centime depuis le début du confinement. lés ou reportés sine die, or pour les jeunes signataires : les lecteurs se sont jetés sur les
Au-delà de leur amer constat, tous avancent 90 % des diffuseurs suppriment les métadon- son. La Scam a fait appel à la solidarité « Et pourtant, la radio restera comme un des auteurs Jeunesse, comme en BD d’ailleurs, librairies dès le 11 mai, dopant les ventes de
mille idées pour sortir du naufrage et parer nées de nos images et on ne récupère rien. » des diffuseurs pour qu’ils reprogramment grands médias du confinement avec un ce sont les festivals et les interventions en livres : +233 % en une semaine (11-17 mai)
les prochains coups. Car la débrouille et les Inadmissible, et économiquement invivable. des documentaires afin d’aider les auteurs immense besoin d’écouter des informations milieu scolaire qui permettent de tenir, de en valeur et +178 % en volume. Bien mieux
budgets d’équilibristes sont légion dans ces « Il faut arrêter cette gratuité de la photo. » à engranger des droits. « Mais on a eu et des histoires. » se faire connaître et rémunérer », rappelle que l’an dernier à la même époque. Un
mondes où, pour survivre, on se doit souvent C’est devenu vital pour nos métiers, sinon très peu de retours », avouait-elle mi-mai. « Ceux qui ont des contrats de grille, avec Benoît Peeters, président de la commission véritable cri d’amour.
d’opérer avec plusieurs cordes à son arc tout s’arrête. Des solutions techniques existent, « La Grande Vadrouille, c’est bien, mais des émissions fixes, ont leur salaire maintenu de l’écrit qui parle de « perte sèche ». Pour
et de jouer les « couteaux suisses », comme qui permettent de tatouer chaque pixel d’un il existe aussi beaucoup de docs très appré- même quand elles ont été déprogrammées lui, l’impact est particulièrement douloureux
le soulignent certains d’entre eux. cliché afin d’en préserver son identité. « Tron- ciés du grand public. » Elle en appelle aux – notamment sur les antennes de Radio pour les auteurs Jeunesse.
qué, copié, recadré, il garde son ADN. » grandes chaînes pour qu’elles « ne laissent France, engagées de plus à ne procé- « Les auteurs de l’écrit ont des revenus irrégu-
8 É TAT D ES L I EU X C OV I D -19 9

Statistiques
d’un désastre
photo Catherine Zask

annoncé
PA R P H I L I P P E B A I L LY,
F O N DAT EU R D E N PA CO N S EI L

Des liens renforcés avec le public, mais (à titre de comparaison, les ventes de de recettes de billetterie (hors ventes de la perte totale de chiffre d’affaires pour Aux premières heures du confinement,
une situation économique profondé- supports numériques ne dépassaient confiserie, boissons et merchandising). les professionnels (recettes de billette- les sites Web des principaux quotidiens
ment dégradée. Maintes fois souligné pas 900 M€2 en 2018). Du côté de la production de films de rie, contrats de cession de spectacles, ont vu leur audience doubler ou tripler,
depuis le début de la crise sanitaire, Le constat est analogue dans l’édition, cinéma, plusieurs dizaines de tournages locations de salle, recettes annexes sans éviter, on l’a vu, le plongeon des
le paradoxe devient plus palpable après que les librairies ont dû baisser se sont interrompus le 16 mars (150 de bar, sponsoring, etc.) causée par recettes publicitaires. Reste pour la
et mesurable, au fur et à mesure que leurs volets jusqu’au 11 mai et alors que selon certaines estimations) et le pro- l’interruption forcée des activités […] presse à tabler sur la conversion en
paraissent les statistiques d’activité pour le numérique représente encore moins tocole sanitaire défini pour leur reprise du 1er mars jusqu’au 31 mai 2020 ». abonnés digitaux d’une partie signifi-
le premier trimestre. de 5 % des ventes de littérature3 : d’après pendant la phase de déconfinement Les modalités retenues pour le décon- cative de ces lecteurs.
S’agissant des grands médias, les pertes Livres Hebdo, le chiffre d’affaires a entraîne un surcoût évalué à 30 %, en finement (fermeture prolongée pour les Pour les services de musique en ligne
de recettes publicitaires ont commencé plongé de 33 % au mois de mars, et de plus des limitations que la distanciation salles de spectacle, et annulation de payants (Deezer, Spotify, etc.), l’usage,
à être quantifiées : fin mars, après deux 11 % sur l’ensemble du premier trimestre. impose sur un plan artistique. Quant à tous les festivals programmés avant à l’inverse, est allé décroissant puisqu’ils
semaines de confinement seulement, le Un quart des maisons d’édition4 estiment la production audiovisuelle, Thomas septembre) conduiront peut-être à revoir sont souvent utilisés pendant les trajets
recul était de 9,7 % pour la télévision, qu’elles perdront plus de 40 % de leur Anargyros indiquait le 27 avril qu’une sensiblement ce chiffre à la hausse. quotidiens.
par rapport à la même période de chiffre d’affaires sur l’année 2020, « centaine de tournages avaient été S’agissant de l’environnement local Les principaux bénéficiaires sont donc
2019, de 10,3 % pour la radio, de complète le SNE après une enquête arrêtés en fiction, documentaire ou (hôtels, restaurants, etc.), le Prodiss plutôt à aller chercher du côté de la SVoD.
12,5 % pour la presse écrite, et même auprès de 250 d’entre elles5. spectacle vivant », rien que pour les estimait en 2017 ces retombées à 1€, Lancé le 7 avril, Disney+, à titre d’exemple,
de 17 % pour le cinéma, soit un manque Pour les professionnels du cinéma et de sociétés membres de l’USPA dont il est pour 1€ de chiffre d’affaires dans le avait conquis au bout d’une semaine
à gagner déjà supérieur au total à la production audiovisuelle, la suspen- le président, ajoutant que « chaque mois secteur du spectacle vivant musical et près de 7 % des Français (données NPA
130 M€. Le repli s’est accentué au sion des tournages s’est ajoutée à la d’arrêt représente une perte potentielle de variétés. Conseil / Harris Interactive). Mais, faute
mois d’avril, à tel point qu’au 1er mai, mise à l’arrêt des salles. Du scénariste de 100 M€ de chiffre d’affaires6 ». Il est difficile d’être exhaustif, au-delà, d’avoir pu mener à bien la transposition
l’IREP1 prévoyait une chute de 23 % à l’exploitant en passant par les pro- Évaluer les conséquences de la fermeture dans l’évaluation des dommages colla- de la directive SMA, le chiffre d’affaires
1
Institut de recherches et d’études publicitaires

pour l’ensemble de l’année (près de ducteurs, les distributeurs et la filière des salles de concert ou de théâtre, et téraux de la Covid-19. Mais au moins généré ne se traduira pas, à ce stade au
2
Panorama des industries culturelles et
créatives 2019 ; https://www.culture.gouv.fr/
2 Mds€ perdus) « sous réserve de la technique, c’est l’ensemble de la branche de l’annulation des festivals programmés peut-on avoir en tête les creux à prévoir moins, en obligations de financement de
Media/Medias-creation-rapide/EY-France-
réouverture quasi complète de l’éco- qui a durement subi les conséquences avant le mois de septembre est plus dans les recettes de la redevance pour la création pour les leaders du secteur Creative-Panorama-des-ICC-2019.pdf
nomie en septembre », ce qui n’est pas de la crise sanitaire. complexe : celles-ci forment un ensemble copie privée (faute d’achat significatif (Netflix, Amazon et Disney+). 3
https://www.sne.fr/app/uploads/2019/
acquis à ce stade. Concernant les salles de cinéma, le de cercles concentriques, de la mise à d’électronique grand public pendant le Sur un terrain non marchand, enfin, on 06/RS19_Synthese_Web01_VDEF.pdf
Pour la presse s’y sont ajoutées la fer- ministre de la Culture a indiqué travailler l’arrêt des équipes employées par ces confinement) et dans celles du COSIP peut citer encore le lien renforcé pendant 4
https://www.cnews.fr/culture/2020-05-
meture de nombreux points de distribu- à une réouverture « début juillet ». En lieux ou manifestations, aux artistes (faute de TSA sur les billets non vendus le maintien à domicile entre les artistes 05/les-ventes-physiques-de-livres-en-chute-
tion, due à la Covid, et la crise – plus admettant même que celle-ci se fasse et techniciens qui voient leur saison pendant le confinement, et avec l’effet et leur public, via les réseaux sociaux. libre-en-ce-debut-dannee-953807
structurelle celle-là – ayant conduit à sans contrainte d’espacement réduisant sévèrement amputée, en passant par report sur 2021 du chiffre d’affaires Mais parce que la culture ne peut vivre 5
https://www.sne.fr/actu/impact-de-la-
la mise en redressement judiciaire de la jauge utile, et sans réticence des les retombées sur l’économie locale perdu par les chaînes). seulement d’amour et d’eau fraîche, crise-sur-les-editeurs-le-sne-devoile-les-resultats-
du-sondage-realise-aupres-de-ses-membres /
Presstalis. L’information est d’autant plus spectateurs à en reprendre le chemin, (1 450 communes bénéficiaient de Au final, et presque de façon tautolo- on mesure plus que jamais l’aspect
6
https://www.lesechos.fr/tech-medias/
inquiétante que les recettes d’abonne- on peut estimer à 55 millions au moins l’implantation d’une salle de spectacle gique en période de maintien obligé critique des mesures de soutien public
medias/coronavirus-les-societes-de-
ments et de vente au numéro repré- le nombre d’entrées qui manqueront à ou d’un festival de musiques actuelles au domicile, les gagnants sont, forcé- déjà annoncées (« l’année blanche » production-audiovisuelle-sont-dans-
sentent encore 5,2 Mds€, soit plus de l’appel en 2020 (sur la base des chiffres en 2012). ment, à chercher du côté des services pour les intermittents notamment) et de limpossibilite-de-reprendre-les-tournages-le-11-
la moitié du chiffre d’affaires du secteur 2019), et à plus de 400 M€ la perte Fin mars, le Prodiss évaluait à « 590 M€ dématérialisés. celles qui seront encore à prendre. mai-plaide-thomas-anargyros-1198483
10 É TAT D ES L I EU X C OV I D -19 É TAT D ES L I EU X C OV I D -19 11

Audiovisuel :
quelles priorités
législatives
après la Covid ?
PA R H E R V É R O N Y, D I R E C T E U R G É N É R A L D E L A S C A M

A vant la crise sanitaire, un consensus


avait fini par se faire jour pour
la présentation au Parlement d’une
Dans ces conditions, le projet de loi
devait d’une part transposer trois
directives européennes, toutes favorables
– La directive SMA (sur les services de
médias audiovisuels) fixe l’obligation pour
les plateformes de vidéo à la demande
ces programmes et les propose à ses
abonnés sont tous deux redevables des
droits d’auteur. Juridiquement, chacun
la Scam l’a dit et répété, une structure
de regroupement n’est rien si le service
public n’a pas les moyens adaptés
contre les contenus illicites est positif.
C’est une bonne manière de faire
« entrer » le droit d’auteur au sein de
« grande loi audiovisuelle » embrassant aux intérêts des créateurs, d’autre part de proposer au moins 30 % d’œuvres est responsable d’une « communication à sa mission. Or la sanctuarisation des l’instance de régulation de l’audiovisuel.
l’ensemble des problématiques du fixer un cadre réglementaire adapté aux européennes ; ce taux est inférieur à celui au public », laquelle ouvre droit à financements en faveur de la création ne Le président actuel du CSA y est au
moment : gouvernance du service public, réalités du nouveau contexte dans lequel imposé aux télévisions linéaires qui, lui, rémunération. Et ce sans que la chaîne suffira pas pour affronter la concurrence demeurant sensible.
droits d’auteur, assouplissement de évoluent les médias. se situe à 50 %. Parler de victoire, comme de télévision puisse s’exonérer du des plateformes. Ce n’est pas en
certaines obligations des chaînes de
télévision, mise en place de quotas
pour les plateformes de vidéo A ujourd’hui faut-il maintenir une
« grande loi », ou y renoncer et ne
on l’a dit, est sans doute excessif mais
à l’origine le texte fixait ce taux à 20 %.
Là encore les députés ont bataillé contre
paiement des droits pour la « part » qui
relèverait de la distribution de ses
programmes aux abonnés du distributeur.
baissant d’1 euro le montant de la CAP
(ex-redevance) que le gouvernement
pourra convaincre de ses ambitions.
E nfin, mentionnons le volet des
allègements de contraintes des
télévisions privées : troisième coupure
à la demande, etc. conserver de la réforme que les de nombreux États membres. Quand Ces directives vont toutes dans le sens Et ne doit-on pas être très inquiet quand publicitaire, levée des jours interdits pour
dispositions essentielles les plus urgentes ? l’Europe joue contre son camp ! Ces d’un soutien aux créateurs. Leur le nouveau rapporteur général du les films cinématographiques. Ce ne sont
Il s’agissait de moderniser la loi fondatrice Dans la situation actuelle, l’urgence est services devront aussi financer la produc- transposition ne peut être retardée. budget, le député LREM Laurent Saint- pas des assouplissements
de 1986 à l’heure du numérique et de de transposer les directives qui constituent tion audiovisuelle : la loi permettra donc Martin, et le ministre du Budget jugent révolutionnaires ; tant mieux car la Scam
la présence d’acteurs tentaculaires
– de Google à Facebook en passant par
Netflix, Disney, Amazon et consorts –
de réelles avancées :
– La directive sur les droits d’auteur,
adoptée après une bataille homérique,
d’établir enfin une concurrence loyale
entre chaînes historiques et plateformes.
– La directive câble-satellite. Ce texte
E n revanche, de multiples dispositions
du projet de loi ouvertes à débat
sont plus délicates à trancher et l’on peut
le système de financement du service
public « injuste » ? Plutôt qu’une critique
qui ne pourra que délégitimer le système,
qui défend les œuvres patrimoniales n’a
aucun intérêt à voir le groupe TF1 ou M6,
qui sont désireux de baisser les droits,
opposant aux médias traditionnels leur contre Google notamment, marque un régit les diffusions de programmes s’interroger sur la possibilité qu’aura ont attendait d’eux un nouveau dispositif avoir des obligations de production
puissance financière phénoménale, tournant. Les milieux de la culture et des transfrontalières dans l’Union depuis le Parlement d’en débattre compte tenu qui garantisse à la fois des moyens moins exigeantes.
leur dextérité à répondre aux attentes du médias, très unis, et grâce au soutien 1993. Modifié en 2019, il précise du bouleversement du calendrier législatif. ambitieux et l’indépendance de
public et leur capacité à faire fi des
contraintes auxquelles les acteurs
européens, français en particulier, sont
d’une poignée de députés inflexibles, ont
emporté une belle victoire : l’obligation
pour les « fournisseurs de partage de
désormais, à la suite d’un arrêt de
la Cour de justice de l’Union européenne
(affaire SBS) et des interprétations
L’organisation du service public fait
partie des sujets les plus sensibles.
La création d’une holding, France
l’audiovisuel public. On attend toujours.

Autre sujet, la fusion du Conseil supérieur


L a crise sanitaire et son corollaire,
la crise économique, vont peser
dramatiquement sur les créateurs.
soumis. Même si le confinement a montré contenus » sur le Net, des plateformes divergentes susceptibles d’avoir un grave Médias, pour chapeauter Radio France, de l’audiovisuel (CSA) et d’Hadopi Dans ce contexte, si les dispositions du
une bonne tenue des chaînes historiques, type YouTube ou des réseaux sociaux impact sur la rémunération des auteurs, France Télévision, l’INA et France Médias pour former une instance unique, l’Arcom. projet de loi audiovisuelle conservent
voire une attractivité renouvelée, ne nous type Facebook de conclure des accords que le diffuseur qui transmet directement Monde signe, aux yeux du ministre de Avoir une seule institution de régulation tout leur sens, c’est aussi et surtout un plan
mentons pas : l’heure est à l’implosion pour rémunérer les auteurs et de lutter ses programmes à ses téléspectateurs et, la Culture, l’ambition affirmée de l’État capable d’embrasser médias de relance de la filière culture et médias
du paysage audiovisuel. contre la présence d’œuvres illicite. le cas échéant, le distributeur qui reprend pour un audiovisuel public fort. Certes, traditionnels, médias en ligne et lutte qui s’impose.
12 PORTR AIT PORTR AIT 13

Manon Ott
Caméra au poing
(levé)
PA R A N N E C H AO N, J O U R N A L I ST E

Pendant un an, Manon Ott


a filmé Les Mureaux et ses
habitants en oblique, laissant
venir à elle les plus réticents,
les plus défiants.

photo Raffard-Roussel
14 M ANON OT T PORTR AIT M ANON OT T PORTR AIT 15

U ne cité, juste avant le jour. Aux façades, les fenêtres


s’éveillent une à une. En bas, de rares passants glissent,
pressés, à pied ou à vélo. La rumeur de la rue parvient,
un vocable dissout dans le chômage et la précarisation. « Je
me sens depuis toujours une âme de militante. »
livre (De cendres et de braises. Voix et histoire d’une banlieue
populaire, Anamosa, 2019) accessible au plus grand nombre
et richement illustré en plus du long métrage sorti en salles
L es discussions s’enchaînent, les souvenirs d’enfance,
des pères qui embauchaient en trois-huit chez Renault,
à Flins, à la précarité extrême des petits jobs d’aujourd’hui :
lointaine et confuse. Fille d’artisans, élevée dans un minuscule village de Franche- et salué dans les festivals. les nouveaux prolétaires sont livreurs, vigiles ou autre,
Comté puis à Besançon, elle se souvient de son excitation sans la force du groupe pour les défendre. « Avant, on voyait
Une dune, la nuit. Une main tisonne la braise et dérange les
brandons qui sursautent autour du foyer. « Les délinquants,
les criminels, pour moi ce sont des résistants économiques. »
lors des mouvements lycéens : « l’idée qu’on pouvait bloquer,
arrêter le cours des choses. Voir qu’on peut peser ». À la fac,
à Paris, où elle est venue étudier les sciences sociales, elle
R ien d’acquis, au démarrage : dans le livre, elle cite le socio-
logue Christian Bachmann, un spécialiste de la politique
de la ville, qui disait des quartiers populaires qu’ils sont « des
des escargots, y avait même des zhérissons. Aujourd’hui, y
a même plus de buissons », lâche un colosse avec tristesse.
Dans ce constat, la disparition des escargots, des buissons et
La nuit encore. Du toit de sa tour, un jeune homme contemple rejoint les mouvements altermondialistes. Puis, à l’EHESS – la champs d’investigation minés ». Le passage des caméras de des « zhérissons » résume à elle seule la lente dégringolade
les contours de sa ville, qu’il imagine cernée d’une haute prestigieuse École des hautes études en sciences sociales –, télévision et des reporters pressés, la distorsion ressentie face du quartier, construit dans les années soixante pour héber-
muraille qu’il faudrait parvenir à franchir pour s’échapper. elle se jette dans la mêlée qui fait échec au CPE du gouverne- aux images qu’ils en retirent et qu’ils renvoient pour justifier ger en urgence la main-d’œuvre massivement importée du
S’élever et s’évader, comme les lanternes lâchées par les ment Villepin. Depuis janvier, elle « saute d’AG en AG » pour les préjugés qu’ils sont parfois venus chercher, ont fini par Maghreb et d’Afrique pour l’usine voisine de Renault-Flins
petits, en bas. défendre les budgets et les statuts de la recherche publique asseoir une défiance et une méfiance solides. « La plupart du – jusqu’à 23 000 ouvriers dans les années 1970.
ou débattre de la réforme des retraites, de l’intermittence. temps, les seules personnes étrangères au quartier que les
Pendant un an, Manon Ott a filmé Les Mureaux et ses habi- « Avec la lutte, on se sent vivant », lâche-t-elle. habitants rencontrent sont des policiers ou des journalistes », Comment ne pas trahir cette parole donnée ? Comment
tants en oblique, laissant venir à elle les plus réticents, les justifie Manon Ott. Quand elle arrive en 2011, M6 vient de convaincre Momo, un ancien braqueur en colère qui se
plus défiants. Sociologue et cinéaste, elle a convoqué ses D’où lui vient cette fibre ? de Besançon, peut-être : la capitale commettre un reportage que les jeunes ont jugé caricatural proclame « résistant politique », de se confier autour d’un
deux casquettes pour faire aboutir De cendres et de braises horlogère de France est un bastion historique de la lutte et sensationnaliste. Décourageant. « Il fallait s’en défaire pour feu, dans les dunes de la baie de Somme. Ou Yannick,
(écrit avec le soutien de la bourse de la Scam « Brouillon ouvrière, pétrie par le combat des Lip et celui des ouvriers pouvoir construire quelque chose ensemble. » le rappeur à tresses qui lit Aimé Césaire et Rimbaud, la nuit,
d’un Rêve ») : un film réalisé « avec », et non « sur », la popu- de l’usine textile Rhodiacéta. En 1967, Besançon a accueilli La chercheuse-cinéaste va donc s’employer à déminer dans le parking d’un immeuble vide – celui de son enfance,
lation du quartier. Elle y tient et y insiste car chez elle, seul le premier des groupes Medvedkine – un second, à Peugeot- le terrain et à détoxifier les relations. Trois ans durant, elle promis à la démolition – qu’il garde contre les ombres des
le « nous » fait foi. Sochaux, voit le jour un an plus tard –, rare expérience de multiplie les allers-retours entre la gare Saint-Lazare et les SDF en quête d’un abri.
cinéma militant réalisé en association avec les ouvriers. Chris Mureaux – 40 km de voies ferrées, une frontière invisible mais
Elle dit « nous », elle dit « on », rarement « je ». Manon Ott Marker, Juliet Berto, Jean-Luc Godard ou Joris Ivens, une un autre monde. Dans cette exploration, elle est accompagnée Momo pose LA question : « Je vous raconte ma vie, c’est bien
croit au groupe, au collectif qui donne corps, renforce et quarantaine de cinéastes contribuent à produire une imagerie de son compagnon et compère Gregory Cohen, également pour vous. Mais moi, ça me rapporte quoi ? »
enrichit. Le lieu de notre rencontre en témoigne : Etna, militante en 16 et en 8 mm. Le nom qu’ils ont choisi est un cinéaste et chercheur en sciences sociales : ensemble, comme
un atelier partagé à Montreuil avec une cinquantaine de hommage au cinéaste soviétique Alexandre Medvedkine, toujours depuis leur rencontre en 2002, en plus de partager « Il n’y avait rien de gagné entre la jeune chercheuse-cinéaste
cinéastes où, du matériel – argentique et vidéo – au pot de inventeur du « ciné-train » qui traversait les campagnes le quotidien ils coopèrent, s’épaulent, s’entraident. Chacun et lui », écrit Manon Ott dans le livre, induisant que Momo,
Nescafé, tout est mis en commun. Tout, c’est surtout les idées, en filmant paysans et ouvriers, pour projeter ses images se met au service de l’autre et soutient son projet. Gregory comme les autres, espérait, exigeait même, « un autre regard
le travail, l’entraide, le soutien. On sursaute : tout, vraiment ? à l’étape suivante. Une histoire découverte après coup, au Cohen a été à ses côtés tout au long de ses recherches, de sur la banlieue ».
Dans le monde volontiers égotiste du cinéma, qui valorise cours de ses études, par Manon Ott mais qui tisse comme son approche patiente. Et elle l’a soutenu dans l’écriture de
la dimension individuelle de la création, l’affirmation du
nous surprend.
« C’est moins vrai dans le cinéma documentaire et expéri-
un fil entre sa ville et sa vie d’avant et sa double casquette
de sociologue et de cinéaste.
son premier long métrage de fiction, La Cour des murmures.
« Il m’a accompagnée sur mon projet et moi j’ai fait de même »,
de l’écriture du scénario, au tournage et au montage. « Ça
M anon Ott filme en noir et blanc, un parti pris esthétique
et poétique, surtout la nuit. Mais aussi une manière
supplémentaire de « déplacer le regard », pour s’éloigner des
mental où, pour survivre, on a besoin de créer des alliances et
des synergies », nuance-t-elle. « On n’est pas dans un cinéma
commercial, ce qui impose de trouver d’autres moyens de
À l’université d’Évry, en région parisienne, le professeur
Ott dispense aux étudiants en sociologie un cours intitulé
« Cinéma et société » qui les éveille à l’histoire du cinéma
donne de la force. »

« Quand on s’est rencontré on faisait tous les deux de la photo et


images d’actualité sur les cités et ouvrir d’autres imaginaires,
explique-t-elle. Le film, sans commentaire, procède par frag-
ments, restituant des rencontres : « il laisse respirer et donne
produire – d’où la mise en commun du matériel. Mais aussi documentaire, politique et militant, les amène à réfléchir au on avait tous les deux le projet d’un reportage en Inde. » Après à entendre des paroles, intimes ou politiques, de personnes
pour ce qu’on apprend du groupe. Sinon, c’est un métier sens de la « parole filmée », convoque Jean Rouch et Edgar de nombreux voyages, ensemble ils coréalisent Narmada, leur qu’on entend peu par ailleurs ». Une vision « sensible » de
solitaire. » Avec Etna, poursuit-elle, « on organise des par- Morin – parmi d’autres : « Très tôt, les sciences sociales, les premier long métrage : une lente descente de la Narmada, la cité, insiste-t-elle. Ce qu’elle appelle « un pas de côté ».
tages d’écriture, on se montre ce qu’on fait. Et on accepte anthropologues et les ethnologues en particulier, ont su se l’un des sept fleuves sacrés de l’Inde, entravé par un réseau La caméra, dès lors, devient « un médiateur, un outil pour
simplement le regard des autres, par définition bienveillant, saisir du cinéma pour leurs recherches », rappelle-t-elle. Elle de trente barrages qui noient les temples et les villages. se raconter » et non un obstacle aux confidences.
qui nous aide à affirmer ce qu’on veut dire ». donne aussi des cours pratiques sur la photo documentaire Manon Ott et Gregory Cohen s’intéressent aux mouvements
et sur l’écriture cinématographique et la réalisation. Outre sociaux qui s’organisent sur les rives parmi les paysans et les « Edgard Morin disait que la caméra – ou le micro – contient
« J’ai toujours fait partie de collectifs, ça aide à avancer », Évry, elle est régulièrement invitée à donner des master pêcheurs lésés, auxquels on a vendu le progrès et l’avenir déjà le public, qu’elle permet une adresse bien plus large :
résume-t-elle. En 2003, elle a fondé avec d’autres cinéastes classes ou à animer des ateliers dans d’autres universités. mais qui ne mesurent que les pertes au présent. Momo comprenait qu’en me parlant, il parlait au-delà de moi. »
– photographes, dessinateurs, créateurs – le collectif « Les Parce qu’elle vit de la recherche et produit un cinéma exigeant, Déjà, le couple travaille en immersion, s’installant plusieurs À chaque étape, la réalisatrice tient compte des remarques,
Yeux dans le monde » pour réfléchir à la place que l’art peut Manon Ott relève qu’elle subit la double précarisation des mois par an dans les villages de la vallée pour y « partager organise des projections au cours du montage. À la fin,
prendre pour accompagner les luttes sociales. Avec lui, elle enseignants-chercheurs et du cinéaste intermittent. « L’étau un quotidien, comprendre et ressentir les lieux ». la confiance accordée ne sera jamais retirée. Les prota-
organise un festival autour de l’exil et des migrations et des se resserre », glisse-t-elle. gonistes du film, dont beaucoup ont accompagné la sortie
ateliers dans les quartiers populaires. Bien avant de planter sa Après trois ans d’allers-retours, de participation aux associa- en participant aux débats organisés dans les salles, se sont
tente et sa caméra aux Mureaux. L’idée, déjà, qu’on apprend Mais c’est aussi sur cette double compétence qu’elle assied son tions, il décide de s’implanter aux Mureaux pour s’impliquer reconnus et se sont approprié ces images.
toujours des autres, de l’échange et de la rencontre. Même travail cinématographique. « Les sciences sociales apportent davantage et s’établit à demeure pendant un an dans un
au sein d’Etna, elle appartient à un sous-groupe, un collectif une dimension critique et analytique », explique-t-elle, réfu- appartement du quartier de la Vigne-Blanche. Là, le tournage « Un soir, [le philosophe] Jacques Rancière est venu partici-
féminin – elle dit « non mixte » – de douze femmes cinéastes, tant toute dichotomie entre la recherche et la création : « Les peut commencer. « Parce qu’on avait travaillé la préparation, per à un débat : ce qui le touchait, leur disait-il, c’est qu’ils
« La Poudrière ». Femmes et cinéma ? oui, il y a bien un sujet deux se rencontrent : dans la recherche aussi, il y a une part il s’est passé quelque chose aux Mureaux. Le film est devenu sont devenus les artistes de leur propre vie. » Une remarque
– plus besoin de faire un dessin. d’intuition, d’imagination. Et dans le cinéma, un travail de un processus de création partagée, un espace d’expression dont qui la trouble parce qu’elle traduit au plus près le passage
recherche, une enquête qui s’écrit. » chacun pouvait se saisir. » Au fur et à mesure, la réalisatrice de la recherche au cinéma : « Réaliser un film, c’est aussi

S ilhouette menue et juvénile, le chignon d’or vénitien


relevé sur la nuque, les mains resserrées autour de son
thé chaud, Manon Ott affirme d’une voix douce des convictions
Aux Mureaux, elle a procédé avec les habitants comme
l’aurait fait Jean Rouch avec les Dogons : en immersion.
montre les rushes aux protagonistes, quitte à retourner les
scènes parfois. « Avec les CROMs [une association de jeunes
gens], on s’est rendu compte que face caméra, quand ils par-
essayer de regarder et de saisir le monde dans sa dimension
sensible. »

profondes, ciselées par un vocabulaire précis. Le groupe, De cendres et de braises était d’ailleurs, à l’origine, son tra- laient, ça ne fonctionnait pas et qu’il valait mieux reprendre
donc, et l’engagement – elle dit « la lutte », utilisant à dessein vail de thèse en sociologie, même s’il est aussi devenu un la scène, en les installant en demi-cercle. »
16 TRIBUNE TRIBUNE 17

Utopies de radio
Alors que le débat démocratique se sait dégradé, les audiovi-
PA R DAV I D C H R I S TO F F E L , P O È T E, P R O D U C T EU R R A D I O, M U S I CO LO G U E E T CO M P O S I T EU R D ’O P ÉR A S PA R L ÉS
suels publics ne seront en mesure de rompre le cercle vicieux
qu’en osant faire confiance à la création pour permettre
l’expression de l’utopie, et la formulation de ce à quoi pourrait
Le cercle vicieux est clair : ressembler un monde meilleur.

là où les canons à dépêches Il ne s’agira pas ici de dire que les médias sont les seuls
responsables de tous les maux de la société. Les audiovi-
saturent, les médias suels publics sont le résultat de choix politiques, dont tous

traditionnels se sentent pris au les citoyens sont théoriquement complices. Nous sommes
collectivement coupables de laisser leurs succès d’audience pourquoi, au lieu de se concevoir comme une institution fermée

piège d’une hyper-simplification s’imposer comme le motif de fierté principale des chaînes
de radio publiques, de ne pas nous faire les comptables
ou comme un rempart aux décryptages condescendants (ou
infantilisants), il est urgent que la pédagogie s’inverse et que
de leurs stratégies. de la diversité des voix, des tons, des formats, des genres
musicaux et radiophoniques que nos antennes diffusent.
les médias publics ouvrent leurs antennes aux voix citoyennes.

À l’échelle qualitative, la demande des auditeurs cherche Qui parle ?


à être saisie par ce qu’ils entendent avant d’être soucieux Si nous parlons ici des audiovisuels publics, c’est pour
de l’ampleur de l’adhésion de l’auditoire. souligner qu’au-delà de la Maison de la radio, il y a les
Au contraire, en intériorisant des critères de réussite imposés radios libres, mais aussi des webradios scolaires et tous les
par le marché de l’attention, les médias subventionnés finissent tiers lieux où résonnent des sons créatifs. C’est-à-dire qu’il
par incorporer des idéologies de production de moins en n’y a pas un service public de la radio, mais des milliers
moins distinctes de celles des médias marchands. C’est d’initiatives citoyennes qui cherchent à servir l’intérêt général
par la radio. En fétichisant l’expression, on défend l’écriture
de tel ou tel auteur comme un petit jardin stylistique qui
fonctionne en vase clos.
Les modes de répartition des droits d’auteur soulèvent des
questions décisives. S’il est incitatif et vertueux qu’un barème
permette de donner plus de droits à la minute pour un
documentaire que pour une rubrique, il semble vicieux qu’un

dessin Catherine Zask


18 TRIBUNE TRIBUNE 19

documentaire sur une chaîne nationale bénéficie d’une valeur solstice, mais aussi à chaque équinoxe, les programmes pourraient Devant de telles propositions, il y a toujours des gens hautement
minutaire bien supérieure à celle d’un documentaire diffusé sur penser l’auditeur dans son rapport à la nature, plus que dans ses responsables pour dire qu’il y a là « à boire et à manger ». Ce
une radio locale, au point que la répartition des droits d’auteur problèmes de consommation. qui est vrai. Et c’est pourquoi la radio se démocratisera à partir
amplifie la hiérarchie des auteurs en respectant les inégalités de du moment où l’on prendra un peu plus de temps pour chercher,
poids économique des diffuseurs. Les évolutions technologiques ne sont pas seulement des opportu- entre nous, ce qu’il y a vraiment à « boire » et ce qu’il faut vraiment
nités marchandes, elles sont aussi des outils de « re-paramétrages « manger ».
Juridiquement, la chose est entendue : le diffuseur rémunère les expressifs », et donc autant de moyens d’imaginer de nouvelles
auteurs dont les œuvres sont diffusées sur son antenne, la somme temporalités de vie, des variations énonciatives spécifiques aux Comme il ne saurait venir en renfort de l’existant, un Fonds de
qu’il verse à la société est fonction de son chiffre d’affaires qui, fait jours de la semaine, par exemple. L’épanouissement de la dis- soutien à la création et à l’invention sonore ne sera vertueux
du marché, est lui-même lié à sa quantité d’audience. Si l’on hérite cordance des temps suppose un désenclavement intégral des que s’il ouvre la perspective d’hétérotopies radiophoniques et,
de Beaumarchais l’idée d’un droit d’auteur qui associe l’auteur au conflits d’intérêts sur la transparence ont fait de la vérité un chèque voix du passé, à commencer par un accès universel aux archives pour ce faire, d’économies sonores parallèles, en permettant
succès de son œuvre, ouvrir la réussite des œuvres à des critères de cavalerie. Puisqu’il faut des falsificateurs pour faire vivre les sonores, élargies à tous les acteurs qui œuvrent sans but lucratif. une décentralisation intégrale des territoires de création, par une
moins quantitatifs, c’est-à-dire plus résistants aux logiques concurren- professionnels du fact checking, il n’est plus d’actualité de demander intelligence territoriale aux formats adaptés et adaptables. Pour-
tielles, devrait donc passer par une vision plus mutualisée du droit aux audiovisuels publics de déconstruire une à une les fausses Si on peut toujours regretter que la radio publique ait drastiquement quoi ne pas imaginer, par exemple, des résidences à itinérance
d’auteur et, pourquoi pas, plus assurantielle. Et s’il fallait chercher nouvelles produites pour auto-alimenter les canons à correction diminué les heures dédiées à la création depuis quelques années, variable d’éducation aux médias et à l’invention sonore, sous des
le bien commun dans un calcul des probabilités, de même que les des dépêches, mais de développer des écosystèmes éditoriaux on doit d’abord se rappeler que les créneaux choisis étaient des modalités re-discutables par les bénéficiaires au cours de la mise
mutualistes d’une société d’assurance se prémunissent collectivement suffisamment alternatifs pour couper court aux logiques perverses créneaux marginaux. Soutenir et défendre les audiovisuels publics en œuvre des projets soutenus. Penser l’auteur en mouvement et
contre les risques de catastrophe naturelle, on pourrait imaginer dans lesquelles nous a enfermés le jeu méritocratique d’économie consiste donc à exiger d’eux une variation des formats de radio la notion d’œuvre en devenir, suivant des cadres de production
un système de valorisation des risques pris par les auteurs. Sitôt, mixte du « ils nous bluffent, mais on vous les décrypte ». d’art et d’essai à tous les maillons de la chaîne et, par consé- non pré-établis. Ainsi, pourront se multiplier les ponts entre radios
la curiosité de tous serait piquée : à quoi pourra bien ressembler quent, la lecture journalistique de l’exercice radio. L’information associatives, webradios scolaires, artisans de podcasts, chaînes
une création audiovisuelle rémunérée au risque ? La logique manichéenne qui oppose naïvement bon grain et n’est ni l’ADN des radios de service public ni leur unique mission. nationales par des échanges de programmes aux archives mises
mauvaises graines se diffuse à tous les niveaux du casting dans La pluralité inconditionnelle des genres radiophoniques, suppose en commun et à la disposition de tous. Car, s’il doit abonder
Dans un monde idéal, un invité de Radio Campus Tours devrait le défilé des « bons clients » sur les plateaux (radio ou télé). Tout en une telle ouverture des critères de radiogénie que les questions dans le sens d’une nouvelle écologie des voix, ce Fonds pourra
recevoir autant de droits d’auteur que s’il était invité dans une nourrissant le réductionnisme des noms prestigieux, un bon client d’éducation aux médias sont inséparables de l’éducation par devenir un levier pour faire advenir le plus important : une égalité
émission de France Inter. Dans un monde pré-idéal, tous les invi- n’est jamais qu’un invité qui consent (et, en plus, met de l’ardeur) l’art, de l’éducation populaire, c’est-à-dire de la production : en du temps de parole entre journalistes et poètes.
tés devraient savoir qu’ils sont potentiellement juridiquement des à obéir au format, à concourir à la méritocratie des discours remédiant à toute infantilisation dans les ateliers radio, il s’agira
auteurs. Si bien que, dans le monde réel, nous courons à notre qui réduit trop souvent le débat à un concours de grandes (ou d’horizontaliser toute forme de radiophonie à venir. « Dé-mâcher » Car cet exercice d’utopie ne serait pas complet sans une profonde
perte chaque fois que nous omettons de le leur dire et de les belles) gueules. le propos et, contre l’injonction à la lisibilité maximale (qui est évolution des modes de gouvernance… Il pourrait s’agir de donner
inciter à faire valoir leurs droits d’auteur. En plus d’une question de le corollaire de la trivialité grandissante des enjeux), faire confiance à un auteur la possibilité de réécrire la grille de France Inter une
répartition des richesses collectives, ce partage des consciences Amateur ou professionnel, l’auteur d’une parole creuse révèle que à la complexité jusqu’à ouvrir l’imaginaire d’invention du futur journée par mois ou d’organiser une préemption citoyenne des
peut changer le ton de la démocratie : en tant que co-auteur, c’est tout le contexte qui est en perte de consistance. Pour remettre seraient alors la priorité du média training énonciativement éco- ondes en confiant la direction des chaînes à des jurys citoyens.
l’invité peut être associé au contrat de communication engagé de la responsabilité collective dans la pertinence générale des responsable. Nos médias publics devraient être exemplaires au
avec l’intervieweur et l’auditoire. Entendu dans ces termes, être débats, faut-il imaginer des dispositifs inédits ? Maintenant que point que leurs formats devraient sidérer de pertinence les manières
auteur est la conséquence d’une sensibilité citoyenne à l’expression des journalistes de service public jouent leur propre rôle dans d’engager le débat public et par suite, naturellement, de s’imposer
plus qu’une compétence, un métier ou la privatisation de pratiques une fiction produite par Canal+ (Baron noir), que se passerait-il aux délibérations démocratiques.
expressives. Quand la responsabilité des dires redeviendra col- si la matinale de France Info était, tout un hiver, présentée par un
lective, la réponse aux infox ne consistera plus dans une traque auteur de fiction ? Est-ce que chacun ne serait pas autrement citoyen Partout
aux mauvais émetteurs, mais dans la prolifération d’espaces de si, un jour dans sa vie, il était tiré au sort pour animer un débat ? L’heure est certainement trop grave pour écarter les scénarios
recherche collective de la vérité. vraiment nouveaux ou idéaux. Concrètement, qu’est-ce qui pourrait
Les audiovisuels publics réellement souhaitables devraient être au Jusqu’où créer ? concourir à « dé-privatiser » les fonctions éditoriales ? Les exemples
moins assez collaboratifs pour ne pas enfermer la vérité dans des Par définition, l’invention s’arrête où commence le calcul de peuvent être plus ou moins fantaisistes : confier, chaque semaine,
logiques de frontières qui, en surlignant la coupure entre les dires rentabilité. Quand l’auditeur est pris pour une part de marché, la réécriture du conducteur à une compositrice ou à un composi-
rigoureux et les fausses nouvelles, bloquent la liberté d’expression les manières de s’adresser à lui sont littéralement comptées. En teur ; faire des trêves régulières d’identification des chaînes pour
dans un esprit de sérieux qui ne garantit même plus la vitalité de s’émancipant des recettes du privé, en sortant des logiques purger tous les tics de posture liés à leurs particularismes et, sur
la pensée, en tournant au cercle vicieux : les décrypteurs tirant de mercato, le service public doit commencer par inventer ses toutes les antennes publiques, lancer un détimbrage aléatoire des
maintenant un profit médiatique de la circulation des infox, les propres critères de succès et, pour ce faire, investir son propre voix comme antidote au culte de la personnalité généralisé par
rythme. S’il n’y a que vingt-quatre heures dans une journée et si l’hyper-peopolisation des programmes. Bref, il s’agit de multiplier
le manque de temps est l’excuse systématique pour justifier le peu les moyens pour assurer une présence régulière et fréquemment
de création sur les antennes, pourquoi la radio continue-t-elle de impromptue de voix différentes et multiplier l’intervention surprise
faire comme s’il n’y avait qu’une saison par an ? En repensant de nouveaux genres radiophoniques sous-usités : confrontations
ses propres saisonnalités avec des grilles renouvelées à chaque d’archives, gameplays, reconstitutions historiques.
Elias, Magritte et Pingusson
« Quelques jours avant le confinement,
au Mémorial des martyrs de
la déportation à Paris, construit
par Georges-Henri Pingusson.
Elias remontait les marches et j’ai cru
voir Magritte sans son chapeau. »

Julien Donada, photographe et cinéaste


22 WWW WWW 23

Nulla dies sine Gallica


la mieux armée) et de nouvelles pra-
tiques (pour lesquelles la concurrence est
rude). Conquérir de nouveaux publics,
notamment plus jeunes, sans se couper
PA R J E A N C L A U D E B O L O G N E , H I S TO R I E N , ES S AY I S T E, R O M A N C I E R du monde des chercheurs, préserver
l’intégrité, dont on reste le garant, tout
en s’ouvrant aux démarches participa-
tives et à l’appropriation artistique. En
Présenter Gallica, fait, combiner le sérieux de l’outil et

pour un écrivain, l’attrait du jeu. Si certaines tentatives


peuvent laisser perplexe, c’est qu’elles

c’est parler de son s’adressent à d’autres publics qui entre-


tiennent d’autres rapports à la culture.
outil de travail. Mais l’essentiel est de se sentir membre

S a principale force réside dans


la richesse des métadonnées. Face
à des millions de références qu’il devait
et n’a guère évolué, mais l’intégration
de la requête sur les livres dans le moteur
de recherche général est appréciable.
E n effet, forger soi-même son outil,
dans le monde du 2.0, cela
s’apprécie aussi à la façon dont on
L e 2.0 n’est pas et ne peut être dans
l’ADN d’une bibliothèque patrimo-
niale. Cela n’empêche pas qu’il fasse
d’une communauté, celle des Gallica-
nautes, qui partagent le même amour
de la culture considérée comme un enri-
créer et restituer en un temps record, L’accent est alors mis sur la facilité de peut contribuer à son enrichissement. d’intéressantes incursions dans Gallica. chissement collectif et non comme un
Google-Livres (puisqu’il faut l’appeler par consultation : rapidité de réponse (la com- C’est le second défi qu’a dû relever Le tout nouveau projet Gallicarte en produit de consommation.
son nom) a adopté la stratégie du lièvre : plexité de Gallica se paie par la lour- Gallica, surtout pour une bibliothèque constitue un ingénieux jalon. À partir

L
partir vite et glaner les informations en deur du chargement), recon-naissance issue d’un service public et d’une histoire d’un document (image ou carte) de a présence d’une équipe se perçoit
cours de route. La stratégie de la tortue de caractère systématique (Gallica n’a multiséculaire de culture descendante. Gallica, un « outil participatif » permet constamment dans Gallica et contri-
a donné à Gallica la victoire du long pas océrisé tous ses livres anciens), Instrument de référence, elle doit garantir aux internautes de le géolocaliser ou bue à créer une communauté d’intérêt ou
terme — si tant est que la compétition soit dimensionnement des serveurs (la forte l’unicité des sources (dans leur forme de corriger les données suggérées par de complicité. Une équipe restée inven-
achevée. Rareté des doublons, références fréquentation de Gallica, durant le confi- stricte d’origine) et la stabilité du format les algorithmes. Si le côté ludique est tive durant la période de confinement,
plus fiables (sur les dates, mais aussi nement, a souvent bloqué les requêtes). (pour les consultations futures) afin que privilégié dans sa présentation (« de quoi imaginant chaque jour des jeux pour les
les noms des auteurs, ou sur la distinction Si l’on s’en tient aux strictes nécessités les informations soient vérifiables à tout se lancer quelques défis amusants »), enfants, rendant hommage aux soignants,

J ’ai l’enthousiasme facile et une pro-


pension naturelle à m’approprier tout
ce qu’on met à ma disposition. J’ai jadis
entre titres d’œuvre et de collection)
et plus nombreuses : l’interrogation théma-
tique et la requête par type de document
de la documentation, les deux outils,
fondés sur des stratégies distinctes, restent
indispensables.
moment, conditions indispensables à une
utilisation scientifique. Or, cela ne peut
se faire que dans un système d’autorité
l’appel aux « corrections collaboratives »
permettra un réel enrichissement des col-
lections. Les résultats seront avalisés par
rebondissant sur l’actualité avec un déca-
lage chronologique (ah, le pangolin
au x vii e siècle, la quarantaine au xix e).
feuilleté compulsivement les fiches dans permettent de limiter plus rapidement qui limite et valide d’éventuelles modi- un modérateur de la BnF. Parmi les « défis Et l’on se sent vraiment en famille
les tiroirs de Richelieu ; frétillé devant les
premiers catalogues numériques ; dès
sa mise en ligne en 1997, Gallica m’a
le champ de recherche.
Dans les bibliothèques virtuelles, en
effet, le principal problème du chercheur
M ais cette différence de stratégie
ne se résume pas à ses consé-
quences pratiques. Pour un auteur,
fications. C’est un des enjeux de toute
la culture Internet, qui doit trouver un juste
équilibre entre l’enrichissement participatif
Gallica » qui bénéficient d’un hashtag sur
son compte Twitter, la géolocalisation
dépasse de loin les invitations à « jouer »
lorsqu’on nous signale, à deux heures
du matin, une fréquentation excessive
du site en nous assurant que l’équipe
excité les neurones. Vingt ans n’ont pas n’est plus de trouver les sources, mais le recours à Gallica est aussi un choix et la fiabilité du contenu. avec la culture. travaille activement à résoudre le pro-
guéri l’addiction. Nulla dies sine Gallica, de ne pas se laisser submerger par idéologique. Si elle est née bien avant blème ! Tout va bien : nous ne restons
dirais-je en paraphrasant Apelle : je me
surprends encore à vérifier à trois heures
du matin une référence qui m’empêchait
leur prolifération, d’éliminer les réfé-
rences non pertinentes, d’identifier les
éditions fiables, d’éviter les doublons…
son concurrent américain, la base fran-
çaise a connu une impulsion décisive en
2005, lorsqu’une tribune de Jean-Noël
L ’appropriation, sur Gallica, reste
pour cela limitée aux démarches fon-
damentales : paramétrer les préférences,
La mise en place d’une résidence
artistique visant à faire dialoguer
le corpus patrimonial de la BnF avec
jamais seuls.

de dormir. Six millions de documents en De ce point de vue, Gallica apporte une Jeanneney, à l’époque président de sauvegarder les requêtes, télécharger un celui d’autres cultures (en l’occurrence
pyjama : de quoi bénir l’insomnie. Et le solution performante. Le tri et l’affinage la BnF, relève le « défi » lancé par ce document ou un rapport de recherche, du Bénin en 2019) offre également à des
confinement, vécu ces derniers temps, progressif des résultats, quoique encore qui s’appelait encore Google Print. C’est se tenir informé des apports congruents artistes des possibilités expérimentales
n’a fait qu’aggraver l’addiction ! approximatifs, épargnent les feuilletages alors le choix du droit d’auteur contre par un flux RSS, mettre en ligne ses qui inscrivent le fonds historique dans
fastidieux. Et la fonction de recherche une conception du fair use proche du découvertes sur les réseaux sociaux… la création contemporaine. L’opportunité
Le bon artisan est celui qui forge lui- par proximité est étonnante d’efficacité ! piratage organisé. À la fois lieu déma- Pour le reste, il faut se laisser porter par de tester les nouvelles fonctionnalités
même ses outils : les outils informatiques Quelques progrès sont encore à réaliser, térialisé (un site accessible à tous) et les suggestions de la page d’accueil qui, ou celle de proposer un projet visant
ont besoin d’être configurés pour être notamment sur l’affichage et le classe- espace d’accueil physique (certains dois-je l’avouer, m’ont toujours paru plus à améliorer le site, sont tout aussi impor-
efficaces. On juge de leur qualité ment des occurrences d’un terme dans documents ne sont communiqués qu’en ludiques qu’opérationnelles. Du moins tantes pour l’ouvrir à ses utilisateurs sans
à la diversité et à la finesse des critères les résultats, mais l’outil est en perpétuel salle de lecture), la BnF s’adapte mieux permettent-elles de faire rebondir de dénaturer sa vocation première.
de recherche, mais aussi aux possibilités développement. aux différents stades de protection des façon aléatoire la recherche. Internet,
qu’ils offrent de s’adapter à nos requêtes,
de les personnaliser en fonction de
nos besoins, de les mémoriser et de
L es différences d’approche se sont
accentuées entre les deux biblio-
thèques numériques. La recherche géné-
documents. L’option patrimoniale s’y
oppose nettement à l’exploitation com-
merciale. Si les principes juridiques ont
qui permet de savoureux vagabondages
au fil de sa toile d’araignée, a redé-
couvert la sérendipité, face cachée
T el est le défi posé à Gallica. À une
époque où le nombre de grands
lecteurs diminue, où la sacralisation de
les enrichir en permanence. Même s’il rale présente encore des faiblesses dans depuis évolué, la différence est encore de la recherche qu’il est enfin permis la culture n’a plus de raison d’être, il faut Catherine Zask
reste une marge de progression, c’est un Gallica, plus efficace dans la recherche flagrante sur plusieurs points, notamment d’assumer ! trouver un équilibre entre une vocation
atout de Gallica parmi les bibliothèques avancée. Sur Google, en revanche, sur les possibilités d’appropriation et de patrimoniale (pour laquelle la BnF est
numériques existantes. cette dernière est désormais bien cachée partage d’un outil.
24 ÉTUDE ÉTUDE 25

La traduction
Les jeunes sont particulièrement touchés par
la faiblesse des rémunérations : « Je ne connais
personne qui pratique le tarif syndical », ironise « Il y a une quinzaine
Madeleine Lombard, jeune traductrice-adaptatrice
de 29 ans. Mais l’ancienneté ne préserve pas
d’années on vivait
audiovisuelle sans
davantage de l’érosion des revenus : débutants

correctement de notre
ou chevronnés, les traductrices et traducteurs
subissent uniformément la tendance imposée par
les laboratoires. Professionnelle expérimentée

langue de bois activité. Aujourd’hui


– elle est dans le métier depuis 1999 –, Hélène
Inayetian confirme qu’il faut dans ce contexte
« travailler plus » et « dans des délais de plus en

c’est plus difficile. »


plus courts » pour conserver le même niveau de
ressources. Son confrère Frédéric Dussoubs, vingt-
cinq ans de traduction-adaptation au compteur,
PA R C H A R L E S K N A P P E K , J O U R N A L I ST E
abonde : « Il y a une quinzaine d’années on vivait
correctement de notre activité. Aujourd’hui c’est Frédéric Dussoubs

Une étude diligentée par plus difficile. Ce qui fait l’attrait du métier, en
particulier une très grande liberté, est contre-
balancé par une insécurité croissante vis-à-vis viennent alourdir le travail, sans toujours faire
la Scam met en lumière des laboratoires. » La conséquence est que les l’objet d’une rémunération spécifique. Quand
traductrices et traducteurs de l’audiovisuel ont elles sont à la charge de la traductrice ou du
la dégradation des tendance à accepter plus de commandes, et donc traducteur, les opérations de conformation ne
à augmenter leur temps de travail. Ils sont 79 % font ainsi « toujours » l’objet d’une rémunération
conditions de travail et à déclarer travailler le week-end et seulement complémentaire que dans 7 % des cas. À l’opposé,
52 % à s’accorder plus de trois semaines de 40 % répondent « jamais ».
de rémunération des vacances par an. 18 % se contentent même de

traductrices et traducteurs
deux semaines de congés annuels.
D ans ce contexte financier précaire, le ver-
sement de droits alloués par les sociétés

de l’audiovisuel. M algré ces efforts, dont l’impact sur la vie


personnelle des personnes concernées n’a
pas été quantifié, le niveau moyen de revenus
de perception et de répartition – la Scam pour
les traductions-adaptations de documentaires
et la Sacem pour les sous-titrages et doublages
reste modeste pour l’ensemble de la profes- de fictions – constitue une part non négligeable

O n pressentait les difficultés rencontrées par


les traductrices et traducteurs de l’audiovi-
suel. L’étude réalisée à l’automne 2019 par la Scam
presque jamais de contrats et jouissent d’une
reconnaissance à géométrie variable – il n’est
pas rare par exemple que leur nom soit omis
sion. Si la majorité des répondants déclare
être rémunérée en droits d’auteur et adhère
des revenus globaux. Les droits versés par
la Scam représentent par exemple entre un
à ce titre massivement aux sociétés de gestion quart et la moitié de la rémunération de 12 %
en collaboration avec l’Ataa et le Snac, auprès de des génériques. collective (Scam pour le documentaire, Sacem des répondants. Il faut néanmoins noter que
1 162 membres de la profession les a confirmées pour la fiction), une part significative exerce 28 % n’ont pas répondu à la question, ce qui
à tous les niveaux : bien que diplômée et expé- Dès lors comment s’étonner de la baisse de leur sous le statut de micro-entrepreneur. C’est dans fausse grandement le résultat. Les entretiens
rimentée, cette population très majoritairement niveau de rémunération ? Celle-ci trouve sa le sous-titrage que cette proportion est la plus individuels réalisés avec plusieurs traductrices
féminine (trois professionnelles sur quatre), cause principale dans le rapport de force inégal élevée (28 %). En cumulant d’éventuels reve- et traducteurs laissent penser que ces droits
urbaine, souffre de la dégradation régulière de entretenu par les laboratoires face à une main- nus salariés issus d’activités complémentaires, de diffusion pèsent en réalité bien plus lourd :
ses conditions de travail et de rémunération. Les d’œuvre dont le nombre ne cesse d’augmenter. 69 % des traductrices et traducteurs déclarent la plupart des personnes interrogées ont confié
résultats de l’enquête rendue publique en juin Les quelques dizaines de jeunes diplômés qui gagner moins de 40 000 euros nets par an. Ils qu’ils représentent chaque année les deux tiers
2020 mettent ainsi en lumière la vulnérabilité sortent chaque année des écoles de traduc- sont même 30 % à se situer sous la barre des du total de leurs ressources.
des traductrices et traducteurs en bout de chaîne tion-adaptation n’ont souvent pas d’autre choix 20 000 euros annuels. La situation est encore Leur disparition placerait donc la profession
de la production audiovisuelle. Les modalités que d’accepter des tarifs très bas en début de moins bonne au regard des seuls droits d’auteur dans une situation qui deviendrait vite intenable.
mêmes de leur métier favorisent cette fragilité : en carrière. Dans ce contexte, le non-respect du puisque 50 % des répondants en perçoivent pour Aujourd’hui les principaux commanditaires finaux
tant qu’indépendants exerçant presque toujours tarif syndical apparaît comme la norme pour moins de 20 000 euros annuels. Les mieux lotis restent les chaînes de télévision publique (80 %)
exclusivement à leur domicile, ils rencontrent une écrasante majorité de traductrices et de sont les spécialistes du doublage, qui affichent et privées (77 %), pour le compte desquelles
rarement leurs commanditaires, ne signent traducteurs. En doublage télévisuel, seuls 9 % des revenus un peu plus élevés que les autres la Scam et la Sacem reversent d’importants
déclarent être payés au tarif syndical recom- branches de la profession : 16 % gagnent entre droits à la diffusion. Mais ce n’est pas le cas des

« Je ne connais
mandé de 30 euros la minute, contre 44 % en 40 000 et 60 000 euros nets par an. services de VOD/SVOD, typiquement Netflix, ou
deçà de 25 euros la minute. Pour le sous-titrage des plateformes de partage, également grands
en exploitation télévisuelle, seulement 5 % Mais au global, le revenu moyen reste corrélé pourvoyeurs de travail pour les traductrices et

personne qui pratique déclarent bénéficier du tarif syndical de 3,10


euros le sous-titre. À l’opposé, 31 % gagnent
moins d’1 euro au sous-titre et 54 % entre 1 et
à la faible capacité de la profession à négocier
ses tarifs et ses modalités de travail : seules 10 %
des personnes interrogées affirment ainsi « tou-
traducteurs : 57 % déclarent que leur travail est
diffusé sur des services VOD/SVOD et 49 % sur
des plateformes de partage.

le tarif syndical. » 2 euros. La situation est équivalente s’agissant


de la rémunération au feuillet en voice-over :
à peine 3 % déclarent être payés au tarif syndi-
jours » négocier leurs tarifs et 11 % voient leurs
délais de paiement « toujours » respectés. Il est
également très difficile d’imposer une séparation
Madeleine Lombard cal recommandé de 39,5 euros le feuillet tandis stricte entre les missions traditionnelles de la tra- L’étude est consultable en ligne :
que 40 % gagnent moins de 20 euros le feuillet. duction-adaptation et les missions annexes qui www.scam.fr/detail/articleld/6517
26 POINT DE VUE POINT DE VUE 27

Pour qui travaille


le journaliste ?
#1 Un peu d’histoire
à la rescousse
PA R H E RV É B R U S I N I, J O U R N A L I ST E,
ARTICLE ÉCRIT EN FÉVRIER 2020

La Scam interroge, par cette


question fondamentale, des
femmes et hommes journalistes
pour une série d’articles.

S imple et cruciale question. Apparemment, la réponse


qui dirait « pour le public » ne semble plus évidente.
La tentation serait d’en débattre dans les fracas de
l’actualité, sur le champ de bataille de l’info : là, main-
tenant. Qu’il soit ici permis de résister à l’injonction du
temps réel. Essentielle, l’interrogation mérite davantage.
Elle pousse à l’introspection. Seule l’histoire permet de
sortir de l’habituelle invocation – fût-elle sincère – de
toutes les qualités de rigueur professionnelle ou d’hon-
nêteté morale chères aux journalistes. Ceci n’est donc
que la tentative de réponse de quelqu’un qui n’est pas
historien, mais journaliste.

Alors, vous me suivez ? Tendez l’oreille cela vient de loin.


De l’époque où des fondamentaux se mettaient en place,
afin de nous aider – sans le savoir –, à penser la réponse.

« Les journaux sont enlevés et disputés à mesure qu’ils « Marchande de journaux »,


paraissent ; on les lit à haute voix dans la rue, dans les carte postale publiée
par Kunsli Frères éditeurs,
voitures publiques, dans les ateliers, dans les magasins, avant 1904. Musée de
dans les familles […] » C’est monsieur Gassigneul qui la Carte Postale, Antibes.

s’émerveille ainsi à la une du Petit Journal. Il n’est ni


le rédacteur en chef ni le fondateur du titre né en 1863,
mais son imprimeur. L’homme se réjouit de voir ses
rotatives tourner à plein régime. Et de clamer ainsi le
24 septembre 1869 la sanction chiffrée du succès :
« nous dirons le chiffre exact du tirage du Petit Journal
d’hier. Il a été vendu 373 000 exemplaires de ce numéro.
Les demandes s’élèvent à 400 000 aujourd’hui ». Un
28 POINT DE VUE POINT DE VUE 29

imprimeur qui s’exprime en première page, cela n’est cer- opérerait à la façon d’un agent contagieux. Et le socialisme vérité. En 1897, même si l’on parle de mensonge ou de fausse du « terrain », le lieu même de l’enquête et de son ambition
tainement pas un hasard. On ne saurait mieux manifester cher à M. Marx ne ferait qu’aggraver la situation, aux dires de nouvelle, la quête de la vérité n’est pas l’argument premier politique. Bly était en mesure de dénoncer d’insupportables
pour qui travaillaient nos chers confrères du quotidien en Fouillée. Car la misère avancée par les tenants du socialisme avancé par les journalistes. Il figure par exemple à quatre conditions sociales parce qu’elle les avait vécues. Elle était
vogue. Tout simplement, pour le tirage. Tel est peut-être pour expliquer, voire excuser, cette terrible situation n’est reprises dans l’article suivant signé, cette fois, Jean Jaurès. devenue elle-même, clandestinement, tantôt ouvrière en
ici, le premier nom donné au « public », cette foule anonyme pas la cause originelle. Non. Le journalisme est bel et bien L’auteur qui vise d’autres objectifs, se présente comme usine ou à la mine, tantôt malade en asile, etc. Elle inventait
impossible à connaître jadis, si ce n’est par les chiffres de le véritable instigateur de « l’atmosphère morale troublée, « député et publiciste ». De fait l’élu socialiste de 38 ans, ne l’investigation en immersion, avec à la clé le scandale et l’inter-
vente. Un feuilleton sanglant était à l’origine de ce « record orageuse, fiévreuse […] de cet état électrique perpétuel [de fondera L’Humanité que sept ans plus tard. « Il ne me paraît pellation politique. Bref, elle était ce « témoin-­ambassadeur »
d’audience ». L’affaire Troppmann, ou la chasse au serial killer. la démocratie] », accuse Fouillée dans la Revue des deux pas possible de régler et de “moraliser” la presse, réplique dont parle la politologue Géraldine Muhlman. Celle qui convie
Huit personnes d’une famille alsacienne, les Kinck, assassi- mondes, en 1897. Là encore la charge n’est pas sans rappeler Jaurès aux souhaits de Bérenger. Elle est un reflet de l’état lecteurs et lectrices à découvrir si ce n’est l’inaccessible,
nées par un ouvrier mécanicien, Jean-Baptiste Troppmann. des réquisitoires plus contemporains. social ; et c’est celui-ci qu’il faudrait transformer […] » Et en tout cas « le caché ». On a appelé cela, le journalisme
Cinq mois de gros titres. De la découverte des cadavres d’ajouter : « Sans l’intervention de la presse qui par sa diversité, coup de force (stunt journalism), dirigé contre l’état de fait.
à Pantin, à l’exécution du coupable, aucun détail sanglant Et Bérenger d’annoncer une vaste enquête dans toute désagrège et désorganise toutes les opinions, les préjugés Préfiguration du journalisme muckraker, ou fouille-merde,
ne fut épargné au lecteur. Ce que M. Gassigneul confirme la presse de l’époque. haineux resteraient à l’état de bloc. » Si la presse agissait dans ainsi que l’avait baptisé le président Théodore Roosevelt face
à sa manière, dans les premières lignes de son triomphant le même sens, elle supprimerait toute vérité. Le pluralisme, à une autre femme journaliste Ida Tarbell. Cette dernière
édito : « jamais crime n’a excité à ce point, émotion et curio-
sité ». Une formule – comme on le sait désormais – promise
au succès. Mais à trop chercher la vente en surmultiplié,
P remières questions : « Estimez-vous que la presse française
ne remplit pas son office légitime ? Et quels remèdes ver-
riez-vous à ces maladies du journalisme ? » Bérenger précise :
comme on dirait maintenant, garantirait ainsi grâce à des
journalistes médiateurs, la possibilité démocratique. Voilà qui
(là encore) n’est pas sans écho. Avec ce but ultime, conclut
s’en était prise à la Standard Oil de John D. Rockefeller. On
lui doit les lois antitrust américaines. À l’instar de Bly, Tarbell
fut remarquée en France, en particulier pour son « travail
on a pris le risque d’exaspérer. Le « petit reporter » inventait « Vous apparaissent-elles comme incurables et constitutives, le député journaliste engagé, de parvenir à la « dissolution minutieux, conduit sans haine, mais aussi sans égards ni
parfois l’horreur « encore plus » sordide, le scandale « encore ou croyez-vous que tout en conservant à la presse son entière du régime capitaliste ». Un journalisme de combat donc qui ménagements ». Implicitement, le journalisme à la française
plus » croustillant. La fausse nouvelle pouvait fréquenter liberté, on lui rendrait sa vraie fonction d’éducatrice sociale travaille pour une cause. reconnaissait ainsi ses différences. Plus adepte du style,
le crapoteux. Une aubaine pour « ceux d’avant », les tenants par une organisation plus logique et des mœurs plus sévères ? » parfois moins soucieux des faits, mais toujours dans cette
d’une presse d’opinion politique et littéraire. Ces derniers
qui se voyaient maintenant dépassés, ringardisés par ces
journaux qui n’évoquaient plus les batailles parlementaires
Bérenger souhaitait l’instauration d’un « Conseil de l’Ordre
du journalisme ». Un tel discours évoquait le journalisme
d’opinion qui depuis longtemps déjà s’était forgé tout un
E t en 1897, l’époque n’en manque pas. Les révoltes ouvrières,
l’explosion au grand jour de l’affairisme, le choc des
idéologies et plus globalement le bouleversement mondial
vision du travail du reporter : « qui n’est pas de faire plaisir,
non plus du tort, il est de porter la plume dans la plaie »,
comme le disait Albert Londres. Dénoncer. Pas d’hésitation
ou théâtrales, y allaient de leur mépris, voire de leur haine système de représentation, une hiérarchie. Avec d’un côté, des techniques, de l’économie, etc. À maints égards les pas- entre « le voile ou un peu de lumière. À d’autres le voile ! »
à longueur de colonnes. Car la presse n’œuvrait plus pour « un grand journalisme que distinguerait sa dignité, et de serelles existent avec les jours que nous traversons. En tout clamait le grand reporter.
l’élite, l’entre-soi de l’époque. La loi de 1882 avait introduit l’autre, un petit journalisme méprisable », comme le résume cas, la plupart des journalistes signataires, comme Georges
l’instruction obligatoire, le peuple savait désormais lire et
écrire. La presse d’information de masse était née – sous
l’égide de la loi de 1881 –, et par définition, l’ambition du plus
l’historien Christian Delporte. Or, « le méprisable » était alors
sur le point de balayer « le digne ». « En 1888, pour la première
fois, les ventes d’un quotidien dépassèrent le million d’exem-
Clemenceau, Max Nordau, Maurice Talmeyr ou Émile Zola,
ont célébré la liberté. L’auteur du « J’accuse » en a même fait
une condition sine qua non : « la vérité ne peut être que par
B ien, nous revoici aujourd’hui. Vous les voyez sur la table
ces figures – trop – rapidement évoquées ? Il y a là quelques
fondamentaux du métier comme de sa critique. Le reportage.
grand nombre chevillée dans les lignes de plomb. Avec elle, plaires », constate l’historien Gérard Noiriel. L’interpellation la liberté », assène-t-il. Seule voix dissonante, celle de Raymond L’engagement. La rigueur. La puissance de l’argent. La séduc-
dans le même temps, en contrepoint presque indissociable, de la Revue bleue a fait mouche. Toute la planète éditoriale Poincaré. Le futur président de la République écrit ces mots : tion du plus grand nombre… Qu’est-il advenu de tout cela ?
la critique, la polémique, la colère. L’acte de naissance de s’est sentie mise en demeure d’avoir à répondre. À la une de « La confiance instinctive et superstitieuse en l’information Vous êtes songeurs. À quoi bon ce rappel historique. Il est vrai
cette défiance consignée noir sur blanc, existe bien. C’est nombreux quotidiens du moment, le questionnaire est évoqué typographiée s’en va peu à peu mais sûrement […] L’ouvrier, que désormais, les images, les informations nous parviennent
une revue, habituée à débattre des idées, qui vint interroger, tantôt sur un ton moqueur, tantôt avec le plus grand sérieux. le paysan commencent à se dire qu’un article de journal n’a en un clin d’œil, que la statistique a puissamment redéfini
le but et les méthodes de cette presse nouvelle. Le 4 décembre Comme un matériau historique de premier plan, des signa- pas plus d’importance qu’une conversation tenue dans un l’information, que nombre de citoyens ne se reconnaissent
1897 dans la Revue bleue, Henry Bérenger, un intellectuel, tures restées historiques à maints égards vont définir enfin, café. » Eh oui, déjà ! Un signal faible, dirait-on de nos jours. plus dans les images de l’information, qu’au pays de Bly et
rédigeait une apostrophe intitulée « Les responsabilités de par écrit, ce qu’est ce journalisme que certains décrient, et Et les femmes journalistes, existaient-elles ? Pour qui tra- Tarbell, on parle de faits alternatifs… Le désarroi, au moins
la presse contemporaine ». « Il y a, écrit-il, une crise de l’école, qui est pourtant massivement lu. Alors pour qui travaillaient vaillaient-elles ? 1897, la même année que le question- le malaise, sont bien là. Mais pour qui travaille le journaliste ?
il y a une crise du Parlement, il y a une crise de la presse. les journalistes ? Place cette fois, aux coupables eux-mêmes, naire Bérenger, voit la naissance du journal La Fronde. Même si les sondages successifs de La Croix pointent une
Tout le monde le sait, et tout le monde en discute […] Nous les journalistes, qui vont surtout évoquer le « pourquoi » ils Remarquable acuité, modernité de ce journalisme de lutte perte de crédibilité, d’autres, comme ceux des Assises du
voudrions que la crise de la presse contraignît tous les intel- sont à la tâche. face aux injustices subies par les femmes. Sous la houlette journalisme de Tours, affirment que les journalistes demeurent
lectuels à réfléchir sur les conditions faites au journalisme de Marguerite Durand, « elles ont l’impertinence de faire utiles. Mieux, lors d’une série de rencontres entre citoyens
contemporain et sur les moyens de l’améliorer. » Les accents
de modernité de ces quelques lignes surprennent. C’est qu’est
ici posé, il y a plus de cent vingt ans, un acte d’accusation
L a troupe de ces gens de plume est éclectique. Ils sont
sinistres ou glorieux. Un antisémite notoire sera le premier
à être publié. Le patron de la Libre parole, Édouard Drumont,
œuvre de leur cerveau », affirmait l’éditorial du 9 décembre.
Bataille déjà conduite pour le droit à l’avortement avec Melle
Séverine, revendication d’une condition qui ne soit plus
et journalistes, une douzaine de médias a posé le principe
d’une co-construction de l’information. Il ne s’agirait alors
plus de travailler « pour » mais « avec ». Comme si à l’ère
demeuré presque intact à travers le temps. Ce qui est aussi lâche dans un sarcasme : « Maintenant que les députés n’osent celle de ménagère ou de courtisane avec Marie Anne de numérique, il avait fallu plus de cent vingt ans au journaliste
rassurant que navrant. Bérenger interroge : « Qu’est-ce qu’un plus parler de rien à la Chambre, ce n’est que par le journal Bovet, au moins ces journalistes-là ne s’interrogeaient guère pour descendre de son piédestal, et plus de cent vingt ans
journaliste dans un journal ? » et l’on entend : « Pour qui tra- que les Français apprennent ce qui se passe, ont les moyens sur la finalité de leur emploi. Cette « nouvelle femme, une au citoyen, pour acquérir les savoir-faire du journaliste.
vaille-t-il ? À quoi sert-il ? » En pleine affaire Dreyfus, « les de se faire une opinion, peuvent avoir l’illusion de vivre journaliste », comme le dit le critique des médias W. Joseph
scandales de Panama, poursuit Bérenger, l’affaire Vacher, sous un gouvernement libre […] La presse, quelle que soit Campbell, c’est principalement aux États-Unis qu’on l’a
celle du docteur Laporte, semblent prouver que la presse, la cause qu’elle serve, […] est la seule qui puisse donner vue investir peu à peu les colonnes des grands quotidiens.
par ses informations hâtives et retentissantes, égare l’opinion aux hommes la joie profonde d’entendre parler librement Autant d’exploits, de défis lancés par la jeune Nellie Bly dont
publique, l’affole au moment même où elle la renseigne et des choses qui les intéressent. » Voilà pour l’anti-dreyfusard les journaux français ont salué en 1889 un tour du monde
l’informe ». Un sociologue ombrageux était passé par là. Dans Drumont. Beaucoup d’autres parleront de l’actualité et de resté fameux car réalisé en soixante-douze jours. Moins que
sa mise en cause en effet, Bérenger s’appuyait sur les travaux l’opinion. Depuis les années 1880, rapporte Gérard Noiriel, Phileas Fogg, le héros inventé par Jules Vernes. L’écrivain
d’Alfred Fouillée. Agrégé de philosophie, ce dernier croyait le mot actualité s’était en effet « répandu dans le discours français que Bly avait rencontré, félicita « l’intrépide ». Ce
aux « idées-forces ». Selon lui, comme la presse d’information public. Chaque jour, les quotidiens de masse imposaient succès international montre assez le lien indissociable entre
parlait des crimes, de la corruption, et qu’elle n’hésitait pas désormais les sujets dont tout le monde devait débattre et le « comment » et le « pour qui » travaillaient les journalistes.
à sombrer dans la pornographie, c’est elle qui propageait ces les personnages que tout le monde devait connaître ». En Certes, il s’agissait de faire de Bly l’héroïne de ses propres
« idées » devenues alors forces destructrices. La presse, disait- produisant de « l’information » pour le plus grand nombre, les papiers. Mais le reportage supposait bel et bien une impli-
il, « glorifie les actes illégaux », « les images coloriées [déjà] journalistes affirmaient travailler à l’édification, de la démo- cation physique. Il fallait « aller y voir ». Un enjeu quasi vital
des assassinats engendrent un vertige homicide ». La presse cratie. Dans un tel office, un mot prend toute son importance : pour Bly. C’était aussi et surtout une garantie de vérité. Celle
30 É TAT D E S L I E UX É TAT D E S L I E UX 31

Cette évolution, encore en cours, est le fruit « Une des raisons pour lesquelles le livre

Le goût de l’audio de l’investissement des éditeurs, de l’impli-


cation des auteurs, et la conséquence directe
des évolutions technologiques.
audio était mal perçu en France jusqu’à il y
a quelques années, est que nous n’aimons
pas les éditions abrégées. Or, avant, nous
étions contraints de faire court par la durée
L’enregistrement d’œuvres littéraires ou des disques, soixante-quatorze minutes »,
documentaires n’est pas récent, il est intime- poursuit Valérie Lévy-Soussan. Les publics
PA R I S A B E L L E SZC Z E PA N S K I, J O U R N A L I ST E ment lié à la pratique ancestrale de la lecture américain ou allemand n’ont pas eu cette
publique, mais sa transformation en secteur antipathie pour les œuvres abrégées en
de l’édition à part entière a été largement format papier. Le livre audio « abrégé » s’y est
Parti de loin en termes de catalogue facilitée par les évolutions technologiques donc naturellement développé plus tôt qu’en
récentes. C’est pourquoi l’émergence de ce France – à la fois en termes d’audience et de
disponible et d’appétence des publics, qu’il est convenu d’appeler le « livre audio » catalogue. Autre barrière, celle de l’éduca-
est souvent étudiée avec la montée du livre tion. Comme le souligne justement Valérie
le livre audio est désormais entré dans numérique, qui est considéré comme son Lévy-Soussan, en France, « jusqu’à huit
frère. En 2019, le livre audio a d’ailleurs fait ans on trouve cela normal qu’un enfant
la vie des Français, et particulièrement son entrée – très remarquée – dans le baro-
mètre Sofia / SNE / SGDL sur les usages du
écoute des livres, puis dès qu’il sait lire, ça
s’arrête ». Il y a d’ailleurs, depuis longtemps,
des jeunes. livre numérique. L’on y a notamment appris
que 7,7 millions de Français ont déjà écouté
une offre française tout à fait qualitative de
livres audio destinés aux jeunes enfants qui
un livre audio, et que 78 % d’entre eux font ne savent pas encore lire, qui forment un
partie des 22 % de Français qui ont déjà lu un marché séparé.
livre numérique, ce qui confirme la parenté
des deux modes de lecture. Particularité Retard, et opportunité
de ces deux formats : la jeunesse de leurs Les différences culturelles de pays à pays
utilisateurs. Ce sont en effet les 15 / 24 ans sont confirmées par les chiffres. D’après
qui écoutent le plus de livres audio (21 % le baromètre Sofia, un peu moins de 12 % du
contre 9 % des 65 ans et plus) et lisent le plus public français de plus de 14 ans a déjà écouté
de livres numériques (34 % contre 12 %). un livre audio, contre 50 % des Américains
de plus de 12 ans, selon les chiffres de
Éditions abrégées l’association des éditeurs de livres audio aux
Nous sommes loin du temps où le livre États-Unis (APA). Les acteurs français du
audio était réservé aux personnes qui, pour secteur perçoivent clairement ce retard relatif
des raisons de santé, n’avaient pas ou plus comme une opportunité : pour preuve, les
accès au livre écrit. « Au départ, le public investissements réalisés depuis une dizaine
du livre enregistré était un public mal- d’années, avec une croissance phénomé-
dessin Catherine Zask voyant. Le livre enregistré sur phonographe nale du catalogue d’œuvres francophones
s’est développé au Royaume-Uni pour des disponibles. Le constat général est qu’il y
soldats rentrés de la guerre 1914-1918, et a un alignement d’éléments permettant
qui avaient perdu la vue », nous explique le développement du marché français du livre
Valérie Lévy-Soussan, présidente directrice audio : la technologie le permet, les Français
générale d’Audiolib, filiale d’Hachette Livre sont équipés via leur téléphone, leur tablette
qui publie des livres audio depuis 2008. Les ou leur ordinateur, et les jeunes marquent
supports disponibles d’alors ne permettaient leur appétence pour ce format. Il faut encore,
bien souvent pas d’enregistrer les œuvres pour que ce secteur continuede croître, que
dans leur intégralité, les disques ne pouvant
dépasser un peu plus d’une heure. Cette
limite technologique pourrait expliquer
le développement, avant même l’avènement
du Compact-Disc et du MP3, de l’appétence
de publics voyants pour le livre enregistré
dans certains pays et pas dans d’autres.
32 É TAT D E S L I E UX É TAT D E S L I E UX 33

Patrick Frémeaux, même s’il se spécialise, de Le confinement imposé a été bénéfique


son propre aveu, « dans les auteurs morts », pour le livre audio, avec une augmentation
« tout dépend si l’auteur est un bon diseur ou moyenne de 45 % sur la période par
pas, mais s’il a un minimum de technique rapport à début mars pour Audiolib,
de diction, il a toute légitimité à incarner
notamment. Il est cependant difficile
le texte » ; et de raconter que « quand Camus
d’affirmer si cette augmentation est due
lit Caligula, il fait rire la salle : il veut que
à l’arrivée de nouveaux clients, ou à
ce soit humoristique. Je ne l’aurais pas su
sans l’avoir entendu ! » davantage d’actes d’achat de la part de
clients déjà existants. À noter, le succès
« Je me suis réconciliée d’œuvres au format audio dont le thème
l’offre satisfasse le public, qui est également accès à la culture par oral. « On n’a peut-être
était lié à la pandémie, telles que La Peste
sollicité par les podcasts, les jeux en ligne, pas encore commencé à penser la voix », avec mon texte »
ou encore les plateformes de streaming disait alors, prophétique, Antoinette Fouque, L’autrice Léonor de Récondo a une expé- d’Albert Camus, éditée par ­G allimard,
de musique. « Il y a une question d’offre : pilier des Éditions des Femmes, à l’origine rience particulièrement intéressante en et dont plus de 4 000 exemplaires ont été
plus le catalogue varie, plus on atteint une du lancement des livres enregistrés pour la matière, puisque ce n’est pas son éditeur téléchargés en mars.
clientèle étendue. Il faut produire des livres cette maison. – Sabine Wespieser – qui a édité ses livres
audio qui correspondent à ce que le public Frémeaux, le label de production musicale audio. « Pour ma maison d’édition, cela
achète au quotidien en librairie », résume de Patrick Frémeaux, s’est lancé dans le livre a représenté un gain financier », explique-t-
Valérie Lévy-Soussan. Roman, livre pratique, audio par passion de l’histoire. « J’ai appris elle, puisqu’il y a eu transfert de droits. Les
ouvrages de vulgarisation scientifique ou que les discours du général de Gaulle étaient frais d’enregistrement, de mise en avant et
historique, science-fiction : rien n’échappe édités aux Éditions de la Serpe, la maison de communication ont été pris en charge par de Paon, est la référence en la matière. Sur
désormais au livre audio. d’édition reliée au Front National. Au vu ses éditeurs audio. Les maisons d’éditions une semaine, l’association fait le tour du livre
de l’importance historique de ces discours moins équipées peuvent ainsi rentabiliser audio, avec des lectures à voix haute, des
Au total, l’on compte à ce jour en France pour la France, nous avons décidé de pro- leur catalogue sans faire les investisse- présentations par des auteurs, des castings
une soixantaine d’éditeurs de livres audio, duire un coffret de CDs en reprenant tous ments, forcément importants, requis par de voix. « C’est un festival, et pas un salon »,
dont certains sont spécialisés dans ce les enregistrements », nous confie Patrick le livre audio. Le premier livre de Léonord nous confie Cécile Palusinski, présidente
format, et d’autres non. Après Hachette Frémeaux. C’était en 2000. « Grâce à vous, de Récondo à avoir été enregistré était Pietra de l’association, en ajoutant que « les édi-
(Audiolib), Gallimard s’est également lancé, c’est tout un patrimoine sonore que nous Viva. L’éditeur, Sixtrid, avait demandé au teurs sont néanmoins présents au travers
avec Madrigall. Parmi les autres acteurs, retrouvons avec émotion », lui avait alors comédien Lazare Herson-Macarel d’en faire d’ateliers. Nous avons aussi des rencontres
l’on peut par exemple citer Sixtrid, basé écrit Jacques Chirac. Depuis, Frémeaux la lecture. Léonor de Récondo est venue au professionnelles ». Ainsi, pour l’édition 2019,
à Orléans ou encore Editis, qui a inau- poursuit sa quête d’enregistrements rares livre audio avec son quatrième ouvrage, La Plume de Paon avait organisé, entre autres,
guré en 2018 sa marque de livres audio, et précieux. Il a ainsi retrouvé, avec l’aide Amours : « mon premier enregistrement d’un une conférence sur l’état des lieux du livre
Lizzie. Le développement d’outils comme des héritiers et plus particulièrement de de mes livres est arrivé très naturellement, audio en France, et une autre sur le marché
« Livres », l’application de lecture d’Apple, son petit-fils Nicolas, des enregistrements grâce au directeur de Sixtrid : Pietra Viva américain, présentée par l’association des
pour accommoder le livre audio est salu- de livres de Marcel Pagnol par lui-même. était déjà sorti chez eux. Un jour, il m’a éditeurs de livres audio aux États-Unis
taire : les éditeurs français de livres audio Frémeaux a également beaucoup travaillé demandé si ça m’intéresserait d’enregis- (APA). Cécile Palusinski souligne que le livre
rencontrent régulièrement les représentants avec l’Ina. Quand aucun enregistrement trer Amours, j’ai dit oui ! » Elle en garde un audio francophone a énormément de succès
de la « marque à la pomme » pour définir la privé ni archive de l’Ina n’est disponible, souvenir qu’elle juge fondateur : « Amours à l’étranger : « le rayonnement de la langue
meilleure manière de mettre en avant les « nous enregistrons des grands textes lus était sorti en format papier en janvier 2015. française peut aussi passer par là : nous avons
nouvelles œuvres. L’arrivée en 2017 de la par de grands artistes », explique Patrick Nous avons enregistré le livre audio en des auteurs qui circulent ainsi à travers
plateforme dédiée au livre audio Audible, Frémeaux. On songe notamment aux Essais juin 2015. Avant l’enregistrement, j’avais le monde. Le livre audio peut être un outil
filiale d’Amazon, a créé l’événement. « Nous de Montaigne lus par Michel Piccoli. une relation difficile avec le livre : j’avais d’apprentissage du français à l’étranger.
avons une relation double avec Audible : l’impression qu’à force d’en parler pour Si tout va bien, en mai, nous organiserons
client et concurrent » explique Valérie Lévy- Né dans le « physique », l’avènement du le promouvoir, j’avais essoré, vidé le texte. les premières rencontres francophones du
Soussan. « Il est indéniable qu’il y a eu un « numérique » a représenté un tournant pour Nous l’avons finalement enregistré en une livre audio ».
effet d’entraînement quand ils ont accéléré Frémeaux : « nous sommes devenus leaders seule journée, au lieu des deux jours prévus, En une petite dizaine d’années, le livre audio
leur développement à partir de 2017. Ils ont du livre audio sur les catégories sciences et quand je l’ai parcouru à nouveau pendant francophone a parcouru un chemin remar-
compris qu’il n’y avait pas suffisamment humaines et philosophie. Notre chiffre l’enregistrement, dans sa linéarité et dans quable, et permet désormais à des publics
de livres audio en français et se sont mis d’affaires sur le livre audio se départage son intégrité, j’ai eu l’impression qu’il s’était rajeunis de lire encore davantage, en voiture,
à acheter des droits et à devenir éditeurs. » aujourd’hui entre 55 % sur le numérique “re-gorgé” de vie. Je me suis réconciliée avec en jardinant, en dessinant, en marchant dans
et 45 % sur le physique ». Contrairement mon texte. » Quatre ans plus tard, Léonor de la rue, dans les transports publics. Le travail
Les pionniers à d’autres maisons, Frémeaux a en effet Récondo a enregistré avec Audiolib Manifesto, de tous les professionnels du secteur, par
Le livre audio francophone, s’il partait de maintenu la distribution physique. Même son troisième roman, une auto-fiction très l’enrichissement du catalogue, permet aux
loin avant 2008, ne partait pas de nulle part, si « 95 % de son catalogue est disponible en intime retraçant les derniers instants de son Français d’écouter-lire ce qu’ils souhaitent :
bien au contraire. Aucune description du numérique », elle conserve des relations père : « s’il y avait un texte que je voulais romans classiques ou contemporains, œuvres
paysage français du livre audio francophone privilégiées avec un réseau de 2 200 libraires lire, c’était bien celui là ! » documentaires, ouvrages de vulgarisation
ne serait complète sans la présentation qui vendent ses livres audio. scientifique, de développement personnel,
de ses pionniers, et particulièrement Les Festivals ! d’histoire : le livre audio n’a plus de limites.
Éditions des Femmes et Frémeaux. Les Le livre audio est devenu un terrain fertile Grâce au renouvellement et à la qualité de Ce faisant, les œuvres et leurs auteurs ont
Éditions des Femmes ont ainsi réalisé un pour les auteurs contemporains, auxquels l’offre, des évènements sont désormais dédiés une nouvelle voix. Comme le dit Léonor de
travail remarquable, dès 1980, pour que les maisons d’édition font souvent appel pour au livre audio. Le festival organisé chaque Récondo : « plus la littérature s’empare de
des femmes qui ne savaient pas lire aient lire leurs propres œuvres. Comme l’explique année à Strasbourg par l’association La Plume formes nouvelles, plus l’œuvre existe ».
34 AC T I O N C U LT U R E L L E AC T I O N C U LT U R E L L E 35

Prix Scam 2020


Prix d’honneur Audiovisuel Images fixes Écritures et formes émergentes

Prix Jean-Marie Drot Prix Charles Brabant Prix Anna Politkovskaïa Prix Roger Pic Prix de l’Œuvre expérimentale Prix Émergences
Claude Guisard pour l’ensemble de l’œuvre Madeleine Leroyer Sandra Reinflet Randa Maroufi Marin Martinie
Françoise Romand Numéro 387 VoiE.X, artistes sous contraintes Bab Sebta Template Message
Little Big Story, Arte, 2019 2019 Barney Production, Mont Fleuri EnsAD, 2018, animation
Prix décerné en mars 2020 à Créteil, Production, 2019 Prix remis le 7 décembre 2019
dans le cadre du Festival international au Centquatre-Paris, dans le cadre
Prix de l’Œuvre audiovisuelle de films de femmes de la 4e édition de L’Open Factory
Stéphane Manchematin Mention spéciale Prix Roger Pic
et Serge Steyer Nicolas Boyer Prix de la vulgarisation
L’Esprit des lieux Cent-huit vues sans Mont Fuji Val so Classic
Les Films de la pluie, Ana Films, 2018 Mention spéciale Hans Lucas, 2019 Interlude Mention Prix Émergences
Prix Anna Politkovskaïa Prix remis le 21 septembre 2019 Corentin Laplanche-Tsutsui
Alexandra Pianelli à Avignon, dans le cadre du Frames Râ226
Le Kiosque Web Vidéo Festival EnsAD, 2018
Prix Découverte audiovisuelle Les Films de l’œil sauvage, 2020 Prix Pierre et Alexandra Boulat
Christophe Yanuwana Pierre Axelle de Russé
Unti�, les origines Dehors
Sonore Ardèche Images, Hans Lucas, 2018 Prix Vidéastes Prix Nouvelles écritures
Bérénice Media Corp, 2018 Prix de l’Œuvre institutionnelle Prix remis le 5 septembre 2019 Charlie Danger Camille Ducellier
Prix pour l’ensemble de l’œuvre Anne-Sophie Emard à Perpignan, dans le cadre du festival Les Revues du Monde Chef·fe
Hélène Hazera F comme fleuve Visa pour l’image Prix remis le 8 octobre 2019 à Paris, UPIAN, 2019, websérie
Dersu & Uzala, Centre Hospitalier dans le cadre du Festival Médias Prix remis le 24 janvier 2020 à Biarritz,
Grand Prix du documentaire Sainte-Marie, 2019 en Seine dans le cadre du Smart Fipadoc
national
Prix de l’Œuvre sonore Valérie Müller Prix Mentor
Amandine Casadamont Danser sa peine Lionel Jusseret
Chasseurs Chrysalide Productions, 2019 Mention spéciale Home
France Culture, 2019 Prix remis le 25 janvier 2020 à Biarritz, Prix de l’Œuvre institutionnelle 2019
dans le cadre du Fipadoc Anne Kunvari Prix remis le 21 novembre 2019 Journalisme
Mon enfance au CADA à la Scam
Candela, Association Philia, 2019 Prix Christophe de Ponfilly
Prix Découverte sonore pour l’ensemble de l’œuvre
Fanny Lacrosse Claude Guibal
Prix international de la Scam
Naufrage en pleine terre
Elvis Sabin Ngaïbino
INSAS, ACSR, RTBF, 2019
Makongo
Makongo Films, 2020
Prix décerné en mars 2020 à Paris, Prix Scam de l’investigation
dans le cadre du Cinéma du réel Éric Quintin
Prix du podcast documentaire Images fixes et écrit et Marie-Pierre Raimbault
Maëlle Sigonneau Religieuses abusées, Écrit
et Myriam El Kotni Prix du Récit dessiné l’autre scandale de l’Église
Im/patiente (« Je dois m’inquiéter ? ») Frédéric Pajak Dream Way Productions, Prix François Billetdoux
Nouvelles Écoutes, 2019 Manifeste incertain, volume 8. Arte France, 2018 Hélène Gaudy
Prix remis le 20 octobre 2019, Cartographie du souvenir Prix remis le 14 mars 2020 au Touquet, Un monde sans rivage
dans le cadre du Paris Podcast Festival Les Éditions Noir sur Blanc, 2019 dans le cadre du Figra Actes Sud, 2019
36 AC T I O N C U LT U R E L L E AC T I O N C U LT U R E L L E 37

Les Étoiles de la Scam


Au temps où Nofinofy*
les Arabes dansaient de Michaël Andrianaly
de Jawad Rhalib Diffusion TVR Tébéo Samouni Road*
Diffusion Arte Belgique Le Grand bal* Production : Les Films de Stefano Savona
Production : RTBF, Wip, R&R de Laetitia Carton de la pluie, Imasoa Film écrit par : Stefano Savona,
Productions et Zonderling Diffusion OCS Novo et Tébéo Tébésud TVR Léa Mysius et Penelope
Sanosi Productions Bortoluzzi
Belinda* Overseas Diffusion OCS City
PA R C A R M E N C A S T I L LO, P R ÉS I D EN T E D U J U RY de Marie Dumora L’Homme a mangé de Sung-A Yoon Production : Picofilms,
Diffusion Universciné la terre Diffusion BeTV Dugong, Alter Ego
Production : Gloria Films, de Jean-Robert Viallet Production : Iota Production, Production, Arte France
Les Films d’Ici, Quark Diffusion Arte Les Films de l’Œil Sauvage,
Productions et Digital District Production : Arte France, Clin d’oeil Films et CBA Selfie
Cinephage productions, d’Agostino Ferrente
Coming out Les Films du Tambour Le Pacte Hitler-Staline Diffusion Arte
de Denis Parrot de Soie, RTBF, Stenola de Cédric Tourbe Production : Magneto Presse,
Le Jury humanité dont l’existence est niée – et que, parfois, seul le
Diffusion Canal+ productions Diffusion Arte Arte France et CVD Casa
Il n’était d’autre choix en ce début du mois d’avril : le jury cinéma documentaire parvient à éclairer. Production : Dryades Films Production : Agat Films delle Visioni
devait se retrouver sur un écran morcelé. Pourrions-nous C’est tout ce large éventail de films que nous avons eu l’hon- et Upside Télévision Le Liseré vert & Cie et Arte France
réussir à travailler ? Comment pourrais-je saisir par ordinateurs neur d’avoir sous nos yeux et la responsabilité d’apprécier. de Gilles Weinzaepflen La Tête et le cœur
interposés les nuances de nos paroles échangées ? Pour certains, exceptionnels par leur parti pris de réalisation, Delphine et Carole, Diffusion Alsace 20 Le Procès contre de Gaël Breton
insoumuses Production : Sancho et Mandela et les autres* et Édouard Cuel
Comme chaque année, notre mission était de choisir 30 étoiles un cri de joie unanime ; pour d’autres, nous avons partagé
de Callisto Mc Nulty Compagnie et ViàMirabelle de Nicolas Champeaux écrit avec la participation
sur 60 films présélectionnés par la Commission du répertoire en confiance, nos impressions, nos chocs, nos questions ou
écrit par : Callisto Mc et Gilles Porte de Hans Bourbon
audiovisuel. Puisque nos tournages et autres chantiers étaient nos doutes. Chaque film était unique, il était là, devant nous, M
Nulty, Alexandra Animation graphique : Diffusion Demain TV
à l’arrêt, nous étions plus disponibles – même si le temps face à nos solitudes, mais il tissait des liens. Chaque film Roussopoulos et de Yolande Zauberman Oerd Van Cuijlenborg Production : L’Arbre
filait à grande vitesse – et avons décidé de nous offrir trois avait une histoire particulière de production et de diffusion, Géronimo Roussopoulos Diffusion Ciné + Club Diffusion Arte Productions, Demain TV
longues séances avant la plénière. D’un rendez-vous à certains réalisés à petits budgets, d’autres mieux dotés, certains Diffusion RTS Production : CG Cinéma Production : UFO et CMM
l’autre, nous avons traversé l’écran et avons créé un espace avaient déjà été reconnus, d’autres avaient été diffusés trop Production : Les Films et Phobics Films Productions, Rouge
commun : une équipe. discrètement. Mais ils avaient presque tous cet air de famille : de la Butte, Alva Film, International et INA Une nouvelle ère*
Le Centre audiovisuel Madame Saïdi de Boris Svartzman
Et parce que je n’étais qu’une personne de plus à côté de une audace dans la forme, un courage dans le contenu, une
Simone de Beauvoir et INA de Bijan Anquetil Religieuses abusées, écrit par Boris Svartzman
Jennifer ­Deschamps, Joël Farges, Samuel Lajus et François originalité dans la manière de raconter une histoire, bref le et Paul Costes l’autre scandale et Laurine Estrade
Reinhardt, la tension qui m’habitait au départ de cette regard d’un créateur. Torture propre : Diffusion Tënk de l’église Diffusion ViàVosges
expérience a disparu ; je me suis oubliée. Toutes et tous de une invention américaine Production : L’Atelier de Marie-Pierre Raimbault Production : Macalube Films,
générations et de parcours différents, nous avons regardé Le documentaire et la pandémie d’Auberi Edler documentaire et Le Fresnoy et Éric Quintin Prima Luce, ViàVosges
les films non comme des réalisateurs, mais comme des Le documentaire est fait de ce paradoxe, c’est à la fois la vision Diffusion RTBF en collaboration avec et Boris Svartzman
personnelle de l’auteur et une disponibilité forte, une écoute Production : Program 33 Manuel de libération Elizabeth Drevillon et
sujets ouverts et attentifs à chaque film. Nos sensibilités,
et Arte France d’Alexander Kuznetsov Gwénaël Giard Barberin Vacancy
nos subjectivités, ont été mises à l’écoute des autres, sans attentive de l’autre, des autres, c’est une subjectivité en acte et
Diffusion Edition Nour Films Diffusion Arte d’Alexandra Kandy
calcul, sans crainte, sans ego. Bel apprentissage. Par-delà une ouverture sur le monde, portée par le désir d’un inconnu
La Face cachée Petit à Petit Production Production : Dream Way Longuet
nos expériences et nos goûts, nos affinités électives devant à découvrir et à révéler. Il exige une liberté totale de l’esprit Diffusion RTBF – La Trois
de l’art américain Productions et Arte France
la scène du cinéma documentaire d’aujourd’hui ont bâti un et c’est cette liberté qui rend les films puissants et attirants. de François Lévy-Kuentz Miss Mermaid Production : Eklektik
socle où il était possible et si enrichissant de réfléchir. C’est Le formatage est une fermeture ; par les figures imposées, Diffusion France 3 de Pauline Brunner Rencontrer mon père Productions, RTBF, CBA
qu’on ne pense jamais seul. Entre nous, des paroles libres, par la répétition du même, par le manque de personnalité, Production : Cinétévé et Marion Verlé d’Alassane Diago et Shelter Prod
il génère l’ennui. Le formatage n’incite qu’à des réponses Diffusion France 3 Bretagne Diffusion Ciné+ Club
du respect, de la lenteur, et une énergie salvatrice dans cet
Falconetti Production : Wendigo Films Production : Les Films d’ici, Village de femmes*
étrange « entre-temps ». Il nous fallait choisir et même si nous calibrées, prévisibles. Le documentaire ouvre les questions.
de Paul Filippi et France Télévisions Les Films Hatari, Studio de Tamara Stepanyan
avons tous, inévitablement, quelques regrets, nous sommes Diffusion France 3 Corse Orlando, Manuel Cam Diffusion TV78
sereins : nous avons travaillé avec rigueur et engagement. Ce que nous avons expérimenté dans ce temps de pandémie, Mon nom est clitoris Production : La Huit, Hayk
ViaStella et Karoninka
où l’irréel régnait au risque de nous rendre prisonniers de nos Production : France 3 Corse de Daphné Leblond Film Documentary Studio
La sélection peurs pour toujours, c’est la puissance du documentaire. Je le ViaStella et Lisa Billuart-Monet Retour à Kigali, et TV78
À l’évidence, nos regards ont été empreints du moment que savais, mais je l’ai vécu cette fois dans mon corps. Dans ce Diffusion Be TV une affaire française
le monde traversait, et de l’inévitable question qui se posait huis-clos nous avons pu respirer l’air du monde, souffrir avec Goodbye Jerusalem* Production : Iota Production, de Jean-Christophe Klotz
de Mariette Auvray Pivonka et CBA Diffusion France 3 *Ces films ont été soutenus
avec une acuité nouvelle : le documentaire, le cinéma sont-ils une humanité unifiée et nous réjouir avec elle. La rencontre
et Gabriel Laurent Production : Les Films à l’écriture par la bourse
autre chose que des grains de sable lancés à la face du rou- d’un regard d’auteur, de personnes et d’histoires de l’ailleurs,
Diffusion ViàVosges Le Monde selon Amazon du Poisson Brouillon d’un rêve de la Scam.
leau compresseur mondial ? Permettent-ils de s’opposer à une a redonné en cette période critique de l’épaisseur à notre d’Adrien Pinon
Production : Les Films
seule inégalité, de réparer une seule injustice ? Tout cinéaste quotidien, une ligne de perspective, un horizon. du Tambour de Soie, Lyon et Thomas Lafarge
a envie de répondre oui, et nombre de films y contribuent De cela, encore plus qu’avant, nous pouvons remercier ces Capitale TV et ViàVosges Diffusion RTBF
par le simple fait de révéler l’invisible au grand jour, que ce films et ces réalisateurs, et espérer que les étoiles les aident Production : Little Big Story
soit sous la forme d’une investigation implacable, en revisitant à continuer leur singulier chemin. et Les Films du Rapide-Blanc
l’histoire, ou en évoquant des douleurs et des joies de cette
38 R A P P O R T D ’AC T I V I T É

La Scam en chiffres
Extraits du rapport d’activité
et de transparence 2019
disponible sur www.scam.fr

Les auteurs et autrices • 35 829 ayants droit ont bénéficié les ressources en ligne (Ina
de la Scam d’une répartition en 2019, soit 78 % Mediapro, Tënk…), la salle de
• Au 31 décembre 2019, la Scam des membres. visionnage sont appréciés des
compte 46 110 membres dont auteurs et autrices, comme les
628 canadiens et 3 281 belges. Les œuvres déclarées permanences juridiques, fiscales,
• La proportion de femmes est • 235 573 œuvres audiovisuelles sociales et Brouillon d’un rêve ;
de 37 % et celle des moins ont été déclarées au répertoire de ou encore la vingtaine d’ateliers
de 50 ans est de 40 %. la Scam en 2019 soit une hausse professionnels.
• En 2019, 1 853 auteurs et autrices de 66,4 % due aux œuvres des • 137 événements ont été organisés
ont rejoint la Scam. vidéastes du web. par les auteurs et les autrices en
• Le répertoire de la Scam salle de projection Charles Brabant.
Les perceptions de droits est désormais constitué de
• En 2019, la Scam a collecté 1 136 918 œuvres audiovisuelles. L’action sociale
110 millions d’euros de droits • 14 332 déclarations d’œuvres En 2019, la Scam a attribué
d’auteur (+ 4,2 % après la baisse radiophoniques ont été enregistrées 2 625 534 € au titre de l’action
en 2018). en 2019 (+16,7 %). sociale à 2 567 auteurs et autrices :
• Les perceptions 2019 se • 12 121 auteurs et autrices de • 2 547 734 € au titre
composent à 69 % d’encaissements l’écrit ont bénéficié d’une répartition de la contribution senior à
au titre des exploitations de l’année au titre de la copie privée, de 2 524 bénéficiaires ;
en cours. Elles seront majoritairement la reprographie et du droit de prêt. • 77 800 € au titre du fonds
versées aux auteurs et autrices en de solidarité à 43 bénéficiaires.
2020. Les actions culturelles • 91 dossiers de retraite ont été
• Les chaînes de télévision • En 2019, la Scam a consacré régularisés.
(historiques, TNT, thématiques 2 597 305 € aux actions
et locales) constituent toujours culturelles (+1,9 %). Ce budget est Le conseil juridique
la première source de perception principalement alimenté par une En 2019, la direction juridique
avec 51 % des droits collectés. partie des sommes perçues au titre a traité 1 926 demandes de
de la copie privée sur les ventes conseils par courriel, approfondies
Les répartitions de droits de supports vierges. par 821 rendez-vous.
• Avec un montant de 103,10 millions • Les bourses Brouillon d’un rêve
d’euros, les sommes réparties représentent 29 % des dépenses
aux ayants droit sont stables. culturelles. 1 685 candidatures ont
• Plus de 57 % des sommes versées été déposées au sein des différents
en 2019 correspondent à des répertoires et 149 bourses ont été
exploitations de l’année 2018. attribuées.
• 81,9 % des droits répartis • Le Festival des Étoiles
concernent l’audiovisuel, 7,3 % du documentaire au Forum
la radio, 4 % les exploitations Web des images a franchi le cap
(+ 47,1 %), 3,8 % l’écrit, 2,8 % des 5 000 spectateurs.
les journalistes, et 0,2 % les images • La Maison Agnès Varda de
fixes. la Scam a accueilli 2 613 visites
en 2019. L’espace de travail,
Covid Selfie par Julien Donada

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