JEAN-BAPTISTE FOUCO-Les Poetes Et La Mort - (Atramenta - Net)

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1

Les Poètes et la Mort

Jean-Baptiste Fouco

Œuvre publiée sous licence Creative Commons by-nc-nd 3.0

Image de couverture : Vanité, de Philippe De Champaigne

En lecture libre sur Atramenta.net

2
La Mort

François Villon (1431-1463)

L’épitaphe de Villon ou " Ballade des pendus

Frères humains, qui après nous vivez,


N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Se frères vous clamons, pas n'en devez


Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

3
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,


Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Ronsard (1524-1585)

Sur la mort de Marie

Je songeais, sous l'obscur de la nuit endormie,


Qu'un sépulcre entr'ouvert s'apparaissait à moi.
La Mort gisait dedans toute pâle d'effroi ;
Dessus était écrit : Le tombeau de Marie.
Épouvanté du songe, en sursaut je m'écrie :
Amour est donc sujet à notre humaine loi !
Il a perdu son règne et le meilleur de soi,
Puisque par une mort sa puissance est périe.
Je n'avais achevé, qu'au point du jour voici
Un passant à ma porte, adeulé de souci,
Qui de la triste mort m'annonça la nouvelle.
Prends courage, mon âme, il faut suivre sa fin ;
Je l'entends dans le ciel comme elle nous appelle ;

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Mes pieds avec les siens ont fait même chemin.

Jean de sponde (1557-1595)

Mais si faut-il mourir

Mais si faut-il mourir, et la vie orgueilleuse,


Qui brave de la mort, sentira ses fureurs,
Les Soleils hâleront ces journalières fleurs,
Et le temps crèvera cette ampoule venteuse.
Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,
Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs,
L’huile de ce Tableau ternira ses couleurs,
Et les flots se rompront à la rive écumeuse.
J’ai vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux,
Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,
Où d’une ou d’autre part éclatera l’orage,
J’ai vu fondre la neige et ses torrents tarir,
Ces lions rugissants je les ai vu sans rage,
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.

Agrippa d'Aubigné ( 1552-1630)

Voici la mort du ciel.

Voici la mort du ciel en l'effort douloureux


Qui lui noircit la bouche et fait saigner les yeux.
Le ciel gémit d'ahan, tous ses nerfs se retirent,
Ses poumons près à près sans relâche respirent.
Le soleil vêt de noir le bel or de ses feux,
Le bel œil de ce monde est privé de ses yeux ;
L'âme de tant de fleurs n'est plus épanouie,

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Il n'y a plus de vie au principe de vie :
Et, comme un corps humain est tout mort terrassé
Dès que du moindre coup au cœur il est blessé,
Ainsi faut que le monde et meure et se confonde
Dès la moindre blessure au soleil, cœur du monde.
La lune perd l'argent de son teint clair et blanc,
La lune tourne en haut son visage de sang ;
Toute étoile se meurt : les prophètes fidèles
Du destin vont souffrir éclipses éternelles.
Tout se cache de peur : le feu s'enfuit dans l'air,
L'air en l'eau, l'eau en terre ; au funèbre mêler
Tout beau perd sa couleur.

Jean-Baptiste Chassignet (1571-1635)

Comme petits enfants d'une larve outrageuse

Comme petits enfants d'une larve outrageuse,


D'un fantôme, ou d'un masque, ainsi nous avons peur,
Et redoutons ta mort, la concevant au cœur
Telle comme on la fait, hâve, triste, et affreuse :

Comme il plaît à la main ou loyale, ou trompeuse


Du graveur, du tailleur, ou du peintre flatteur
La nous représenter sur un tableau menteur,
Nous l'imaginons telle, agréable, ou hideuse :

Ces appréhensions torturant nos cerveaux


Nous chassent devant elle, ainsi comme bouveaux
Courent devant le loup, et n'avons pas l'espace

De la bien remarquer : ôtons le masque feint,


Lors nous la trouverons autre qu'on ne la peint,
Gracieuse à toucher, et plaisante de face.

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Gérard de Nerval (1808-1855)

Artémis

La Treizième revient… C’est encor la première;


Et c’est toujours la seule, ou c’est le seul moment;
Car es-tu reine, ô toi ! la première ou dernière ?
Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?…
Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ;
Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement :
C’est la mort, ou la morte… O délice ! ô tourment !
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.
Sainte Napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au coeur violet, fleur de sainte Gudule :
As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux ?
Roses blanches, tombez ! vous insultez nos dieux,
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle :
La sainte de l’abîme est plus sainte à mes yeux !

Alfred de Musset (1810-1857)

Sur une morte

Elle était belle, si la Nuit


Qui dort dans la sombre chapelle
Où Michel-Ange a fait son lit,
Immobile peut être belle.
Elle était bonne, s’il suffit
Qu’en passant la main s’ouvre et donne,
Sans que Dieu n’ait rien vu, rien dit,
Si l’or sans pitié fait l’aumône.

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Elle pensait, si le vain bruit
D’une voix douce et cadencée,
Comme le ruisseau qui gémit
Peut faire croire à la pensée.
Elle priait, si deux beaux yeux,
Tantôt s’attachant à la terre,
Tantôt se levant vers les cieux,
Peuvent s’appeler la Prière.
Elle aurait souri, si la fleur
Qui ne s’est point épanouie
Pouvait s’ouvrir à la fraîcheur
Du vent qui passe et qui l’oublie.
Elle aurait pleuré si sa main,
Sur son cœur froidement posée,
Eût jamais, dans l’argile humain,
Senti la céleste rosée.
Elle aurait aimé, si l’orgueil
Pareil à la lampe inutile
Qu’on allume près d’un cercueil,
N’eût veillé sur son cœur stérile.
Elle est morte, et n’a point vécu.
Elle faisait semblant de vivre.
De ses mains est tombé le livre,
Dans lequel elle n’a rien lu.

Charles Baudelaire (1821-1867)

Don Juan aux Enfers

Quand Don Juan descendit vers l’onde souterraine


Et lorsqu’il eut donné son obole à Charon,
Un sombre mendiant, l’œil fier comme Antisthène,
D’un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.
Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,

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Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long mugissement.
Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant
Montrait à tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.
Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre
Elvire, Près de l’époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.
Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir ;
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.

La mort des amants

Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,


Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.
Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux ;
Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,

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Les miroirs ternis et les flammes mortes.
Le Mort joyeux

Dans une terre grasse et pleine d'escargots


Je veux creuser moi-même une fosse profonde,
Où je puisse à loisir étaler mes vieux os
Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde.

Je hais les testaments et je hais les tombeaux ;


Plutôt que d'implorer une larme du monde,
Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeaux
A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.

- O vers! noirs compagnons sans oreille et sans yeux,


Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ;
Philosophes viveurs, fils de la pourriture,

A travers ma ruine allez donc sans remords,


Et dites-moi s'il est encor quelque torture
Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts ?

Une Charogne

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,


Ce beau matin d'été si doux:
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint;

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Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague
Ou s'élançait en pétillant
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un œil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.
- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion!
Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés!

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Victor Hugo (1802-1885)

Demain, dés l’aube

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,


Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Mors

Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.


Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,
Noir squelette laissant passer le crépuscule.
Dans l’ombre où l’on dirait que tout tremble et recule,
L’homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.
Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux
Tombaient; elle changeait en désert Babylone,
Le trône en l’échafaud et l’échafaud en trône,
Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,
L’or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux.
Et les femmes criaient : — Rends-nous ce petit être.
Pour le faire mourir, pourquoi l’avoir fait naître? –
Ce n’était qu’un sanglot sur terre, en haut, en bas;

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Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats;
Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre;
Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre
Un troupeau frissonnant qui dans l’ombre s’enfuit;
Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit.
Derrière elle, le front baigné de douces flammes,
Un ange souriant portait la gerbe d’âmes.

Jules Laforgue (1860-1887)

La cigarette

Oui, ce monde est bien plat ; quant à l’autre, sornettes.


Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,
Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes.
Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes.
Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord
Me plonge en une extase infinie et m’endort
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.
Et j’entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Ou l’on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des chœurs de moustiques.
Et puis, quand je m’éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le cœur plein d’une douce joie,
Mon cher pouce rôti comme une cuisse d’oie.

Louise Ackermann (1813-1890)

L’amour et la mort

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Regardez-les passer, ces couples éphémères !
Dans les bras l’un de l’autre enlacés un moment,
Tous, avant de mêler à jamais leurs poussières,
Font le même serment :
Toujours ! Un mot hardi que les cieux qui vieillissent
Avec étonnement entendent prononcer,
Et qu’osent répéter des lèvres qui pâlissent
Et qui vont se glacer.
Vous qui vivez si peu, pourquoi cette promesse
Qu’un élan d’espérance arrache à votre cœur,
Vain défi qu’au néant vous jetez, dans l’ivresse
D’un instant de bonheur ?
Amants, autour de vous une voix inflexible
Crie à tout ce qui naît : “Aime et meurs ici-bas ! ”
La mort est implacable et le ciel insensible ;
Vous n’échapperez pas.
Eh bien ! puisqu’il le faut, sans trouble et sans murmure,
Forts de ce même amour dont vous vous enivrez
Et perdus dans le sein de l’immense Nature,
Aimez donc, et mourez !

Stéphane Mallarmé (1842-1898)

Tombeau

Le noir roc courroucé que la bise le roule


Ne s’arrêtera ni sous de pieuses mains
Tâtant sa ressemblance avec les maux humains
Comme pour en bénir quelque funeste moule.
Ici presque toujours si le ramier roucoule
Cet immatériel deuil opprime de maints
Nubiles plis l’astre mûri des lendemains
Dont un scintillement argentera la foule.
Qui cherche, parcourant le solitaire bond

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Tantôt extérieur de notre vagabond -
Verlaine ? Il est caché parmi l’herbe, Verlaine
À ne surprendre que naïvement d’accord
La lèvre sans y boire ou tarir son haleine
Un peu profond ruisseau calomnié la mort.

Anatole France (1844-1924)

La mort.

Si la vierge vers toi jette sous les ramures


Le rire par sa mère à ses lèvres appris ;
Si, tiède dans son corps dont elle sait le prix,
Le désir a gonflé ses formes demi-mûres ;

Le soir, dans la forêt pleine de frais murmures,


Si, méditant d'unir vos chairs et vos esprits,
Vous mêlez, de sang jeune et de baisers fleuris,
Vos lèvres, en jouant, teintes du suc des mûres ;

Si le besoin d'aimer vous caresse et vous mord,


Amants, c'est que déjà plane sur vous la Mort :
Son aiguillon fait seul d'un couple un dieu qui crée.

Le sein d'un immortel ne saurait s'embraser.


Louez, vierges, amants, louez la Mort sacrée,
Puisque vous lui devez l'ivresse du baiser.

Nérée de Beauchemin (1850-1931)

Grand deuil.

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Dans le clair-obscur de la pièce close,
Où brûle une cire au reflet tremblant,
Rigide, et grandi par la mort, repose
Le corps d'un enfant habillé de blanc.

Sous la mousseline, on voit les mains jointes,


La mate blancheur des doigts ivoirins,
Les cheveux pleins d'ombre et les tempes ointes
Qu'auréole un flot de rayons sereins.

Jamais des flancs purs du neigeux carrare,


L'art n'a fait surgir un ange plus beau
Que cet Ariel, à la forme rare,
Qui gît, radieux et calme, au tombeau.

Sous l'eau sainte et sous l'huile du saint chrême


Le front du martyr s'est rasséréné,
La figure dit l'extase suprême,
La douleur, la paix du prédestiné.

La chambre de deuil est toute drapée


De gaze. Nul bruit. Plus rien. Par moment,
Une faible voix tendre, entrecoupée
De soupirs, gémit désespérément.

Ils sont là, tous deux, le père et la mère,


Abattus, défaits, tristes à mourir :
Nul mal n'est égal à leur peine amère.
Rien ne les fit tant pleurer, tant souffrir.

Après tant de coups, on croyait, quel rêve !


Bien s'être acquittés de souffrir. Il faut
Pleurer et souffrir et pleurer sans trêve :
C'est la volonté du Dieu de là-haut.

Dix ans ! C'est le fils, l'aîné, l'espérance,

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La joie et l'amour de deux malheureux.
Cher bonheur qu'il faut payer en souffrance !
Oh ! Que le chemin du ciel est affreux !

Ils sont là, tous deux, esseulés, funèbres,


Sans parler, cherchant, presque fous, à voir
Dans ces yeux déjà voilés de ténèbres,
La faible lueur d'un suprême espoir.

Lourdes de sommeil, fixes, les paupières


S'ouvrent à demi : dans les yeux hagards
Flotte, encor mouillé des larmes dernières,
L'adieu triste et doux des derniers regards.

La Mort pâle a ceint de ses violettes


Ce pur et beau front d'albâtre rosé ;
Et la bouche fine, aux lèvres muettes,
Sourit d'un divin sourire apaisé.

Ils sont là, cloués au sol, sous l'empire


De ce captivant sourire trompeur ;
La mère, à genoux, sans prier, soupire,
Le père, debout, est blanc de stupeur.

La femme nerveuse et frêle se pâme,


En larmes de sang son cœur coule à flots ;
L'homme, fait aux deuils, aux douleurs de l'âme,
Suffoque, étouffant soupirs et sanglots.

Parfois, doucement, une main qui tremble


De crainte et d'amour, soulève à demi
Le suaire : on voit s'incliner ensemble
Deux fronts au-dessus de l'ange endormi.

Qu'il est beau ! la nuit d'outre-tombe voile


À peine l'éclat de l'esprit éteint ;

17
L'âme transparaît : telle une humble étoile
Nous luit à travers l'ombre, au ciel lointain.

Mystère cruel ! s'il dormait ? Quel doute !


La pensée, éther vif, rayon subtil,
Au ciel, brusquement, s'en va-t-elle toute ?
Un reste des sens en nous survit-il ?

Vagues questions, sans suite, sans nombre,


Que se fait tout bas le cœur criminel,
Dédale infini de plus en plus sombre,
Où vague et se perd l'amour maternel.

Minuit sonne. Au pied du blême cadavre,


Dans le vide noir du logis qui dort,
Veillent seuls, en proie au deuil qui les navre,
Les derniers amis du cher petit mort.

Et l'horloge au lourd balancier lent, tinte,


Lugubre, le glas de l'heure qui fuit,
Et le grave son, que rythme la plainte
Du vent, assombrit l'horreur de la nuit.

Ô douleur ! ô nuit ! Quand verrons-nous poindre


Ces jours éternels, longtemps attendus ?
Oh ! Quand pourrons-nous à jamais rejoindre
Tous ces morts aimés qu'on croyait perdus ?

Anna de Noailles (1876-1933)

La mort fervente.

Mourir dans la buée ardente de l'été,


Quand parfumé, penchant et lourd comme une grappe,

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Le cœur, que la rumeur de l'air balance et frappe,
S'égrène en douloureuse et douce volupté.

Mourir, baignant ses mains aux fraîcheurs du feuillage,


Joignant ses yeux aux yeux fleurissants des bois verts,
Se mêlant à l'antique et naissant univers,
Ayant en même temps sa jeunesse et son âge,

S'en aller calmement avec la fin du jour ;


Mourir des flèches d'or du tendre crépuscule,
Sentir que l'âme douce et paisible recule
Vers la terre profonde et l'immortel amour.

S'en aller pour goûter en elle ce mystère


D'être l'herbe, le grain, la chaleur et les eaux,
S'endormir dans la plaine aux verdoyants réseaux,
Mourir pour être encor plus proche de la terre...

Antonin Artaud (1896-1948)

Invocation à la Momie

Ces narines d’os et de peau


par où commencent les ténèbres
de l’absolu, et la peinture de ces lèvres
que tu fermes comme un rideau
Et cet or que te glisse en rêve
la vie qui te dépouille d’os,
et les fleurs de ce regard faux
par où tu rejoins la lumière
Momie, et ces mains de fuseaux
pour te retourner les entrailles,
ces mains où l’ombre épouvantable
prend la figure d’un oiseau

19
Tout cela dont s’orne la mort
comme d’un rite aléatoire,
ce papotage d’ombres, et l’or
où nagent tes entrailles noires
C’est par là que je te rejoins,
par la route calcinée des veines,
et ton or est comme ma peine
le pire et le plus sûr témoin.

Paul Eluard (1895-1952)

Notre vie.

Notre vie tu l'as faite elle est ensevelie


Aurore d'une ville un beau matin de mai
Sur laquelle la terre a refermé son poing
Aurore en moi dix-sept années toujours plus claires
Et la mort entre en moi comme dans un moulin
Notre vie disais-tu si contente de vivre
Et de donner la vie à ce que nous aimions
Mais la mort a rompu l'équilibre du temps
La mort qui vient la mort qui va la mort vécue
La mort visible boit et mange à mes dépens
Morte visible Nush invisible et plus dure
Que la soif et la faim à mon corps épuisé
Masque de neige sur la terre et sous la terre
Sources des larmes dans la nuit masque d'aveugle
Mon passé se dissout je fais place au silence.

Boris Vian (1920-1959)

Je voudrais pas crever

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Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer

21
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir

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Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le gout qui me tourmente
Le gout qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir gouté
La saveur de la mort.

Jules Supervielle (1884-1960)

Le survivant
A Alfonso Reyes

Lorsque le noyé se réveille au fond des mers et que son cœur


Se met à battre comme le feuillage du tremble
Il voit approcher de lui un cavalier qui marche l'amble
Et qui respire à l'aise et qui lui fait signe de ne pas avoir peur.
Il lui frôle le visage d'une touffe de fleurs jaunes
Et se coupe devant lui une main sans qu'il y ait une goutte de
rouge.
La main est tombée dans le sable où elle se fond sans un soupir
Une autre main toute pareille a pris sa place et les doigts bougent.

Et le noyé s'étonne de pouvoir monter à cheval,


De tourner la tête à droite et à gauche comme s'il était au pays
natal,
Comme s'il y avait alentour une grande plaine, la liberté,
Et la permission d'allonger la main pour cueillir un fruit de l'été.

23
Est-ce donc la mort, cette rôdeuse douceur
Qui s'en retourne vers nous par une obscure faveur ?

Et serais-je ce noyé chevauchant parmi les algues


Qui voit comme se reforme le ciel tourmenté de fables.

Je tâte mon corps mouillé comme un témoignage faible


Et ma monture hennit pour m'assurer que c'est elle.

Un berceau bouge, l'on voit un pied d'enfant réveillé.


Je m'en vais sous un soleil qui semble frais inventé.

Alentour, il est des gens qui me regardent à peine,


Visages comme sur terre, mais l'eau a lavé leurs peines.

Et voici venir à moi des paisibles environs


Les bêtes de mon enfance et de la Création

Et le tigre me voit tigre, le serpent me voit serpent,


Chacun reconnaît en moi son frère, son revenant.

Et l'abeille me fait signe de m'envoler avec elle


Et le lièvre qu'il connaît un gîte au creux de la terre

Où l'on ne peut pas mourir.

Jean Cocteau (1189-1963)

Je n'aime pas dormir quand ta figure habite...

Je n'aime pas dormir quand ta figure habite,


La nuit, contre mon cou ;
Car je pense à la mort laquelle vient si vite

24
Nous endormir beaucoup.
Je mourrai, tu vivras et c'est ce qui m'éveille !
Est-il une autre peur ?
Un jour ne plus entendre auprès de mon oreille
Ton haleine et ton cœur.
Quoi, ce timide oiseau replié par le songe
Déserterait son nid,
Son nid d'où notre corps à deux têtes s'allonge
Par quatre pieds fini.
Puisse durer toujours une si grande joie
Qui cesse le matin,
Et dont l'ange chargé de construire ma voie
Allège mon destin.
Léger, je suis léger sous cette tête lourde
Qui semble de mon bloc,
Et reste en mon abri, muette, aveugle, sourde,
Malgré le chant du coq.
Cette tête coupée, allée en d'autres mondes,
Où règne une autre loi,
Plongeant dans le sommeil des racines profondes
Loin de moi, près de moi.
Ah ! je voudrais, gardant ton profil sur ma gorge,
Par ta bouche qui dort
Entendre de tes seins la délicate forge
Souffler jusqu'à ma mort.

Jacques Audiberti (1899-1965)

Si je meurs

Si je meurs, qu'aille ma veuve


à Javel près de Citron.
Dans un bistrot elle y trouve,
à l'enseigne du Beau Brun,

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Trois musicos de fortune
qui lui joueront -- mi,ré,mi --
l'air de la petite Tane
qui m'aurait peut-être aimé

Puisqu’elle n'offrait qu'une ombre


sur le rail des violons.
Mon épouse, ô ma novembre,
sous terre les jours sont lents.

Jean-Roger Caussimon (1918-1985)

Ne chantez pas la Mort (Poème mis en musique et chanté par


Ferré)

Ne chantez pas la Mort, c'est un sujet morbide


Le mot seul jette un froid, aussitôt qu'il est dit
Les gens du "show-business" vous prédiront le "bide"
C'est un sujet tabou... Pour poète maudit
La Mort!
La Mort!
Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Il semble que la Mort est la sœur de l'amour
La Mort qui nous attend, l'amour que l'on appelle
Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours
La Mort
La Mort...

La mienne n'aura pas, comme dans le Larousse


Un squelette, un linceul, dans la main une faux
Mais, fille de vingt ans à chevelure rousse
En voile de mariée, elle aura ce qu'il faut
La Mort

26
La Mort...
De grands yeux d'océan, une voix d'ingénue
Un sourire d'enfant sur des lèvres carmin
Douce, elle apaisera sur sa poitrine nue
Mes paupières brûlées, ma gueule en parchemin
La Mort
La Mort...

"Requiem" de Mozart et non "Danse Macabre"


(Pauvre valse musette au musée de Saint-Saëns!)
La Mort c'est la beauté, c'est l'éclair vif du sabre
C'est le doux penthotal de l'esprit et des sens
La Mort
La Mort...
Et n'allez pas confondre et l'effet et la cause
La Mort est délivrance, elle sait que le Temps
Quotidiennement nous vole quelque chose
La poignée de cheveux et l'ivoire des dents
La Mort
La Mort...

Elle est Euthanasie, la suprême infirmière


Elle survient, à temps, pour arrêter ce jeu
Près du soldat blessé dans la boue des rizières
Chez le vieillard glacé dans la chambre sans feu
La Mort
La Mort...
Le Temps, c'est le tic-tac monstrueux de la montre
La Mort, c'est l'infini dans son éternité
Mais qu'advient-il de ceux qui vont à sa rencontre?
Comme on gagne sa vie, nous faut-il mériter
La Mort
La Mort...

La Mort?...

27
Oscar Vladislas de Lubicz Milosz (1911-2004)

Tous les morts sont ivres

Tous les morts sont ivres de pluie vieille et sale


Au cimetière étrange de Lofoten.
L’horloge du dégel tictaque lointaine
Au cœur des cercueils pauvres de Lofoten.

Et grâce aux trous creusés par le noir printemps


Les corbeaux sont gras de froide chair humaine ;
Et grâce au maigre vent à la voix d’enfant
Le sommeil est doux aux morts de Lofoten.

Je ne verrai très probablement jamais


Ni la mer ni les tombes de Lofoten
Et pourtant c’est en moi comme si j’aimais
Ce lointain coin de terre et toute sa peine.

Vous disparus, vous suicidés, vous lointaines


Au cimetière étranger de Lofoten
— Le nom sonne à mon oreille étrange et doux,
Vraiment, dites-moi, dormez-vous, dormez-vous ?

— Tu pourrais me conter des choses plus drôles


Beau claret dont ma coupe d’argent est pleine,
Des histoires plus charmantes ou moins folles ;
Laisse-moi tranquille avec ton Lofoten.

Il fait bon. Dans le foyer doucement traîne


La voix du plus mélancolique des mois.
— Ah ! Les morts, y compris ceux de Lofoten —
Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi...

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Thierry Demercastel (Aujourd’hui)

Laissez venir ma mort

Laissez venir l’heure de ma mort, mon trépas,


Ce long souffle ameutant d’immenses remords,
Ce regard pénétrant qui dans mes yeux, va,
Cette aube inconnue dérivant sans effort.

Laissez s’appesantir sur mon tombeau, l’oubli,


Il y fera si beau, Ô mon soleil noir,
J’y verrai les archers jouer aux cordes de pluie,
Un piano écorcher le silence dans le soir.

Je ne serai las de ne plus être moi-même,


Quand le givre aura pris les dernières fleurs,
Qu’au jardin, flânant en une aube suprême,
J’irai à la fontaine où se mirent les cœurs.

Les pauvres morts ont de grandes habitudes,


Celles de toujours marcher en d’étroits corridors
Le front plein de rêve et d’incertitude,
Leur regard est un ailleurs, en de secrets ports.

Ô, mon automne plus encore aura vieillie,


Et sur les roux feuillages que le vent blesse
J’irai poser les lèvres de mes longues nuits
Et le murmure d’oublieuses jeunesses.

Je me contenterai de ces feuilles qui tombent


Dans les allées de novembre, au ciel absent,
Des oiseaux gazouillant, là, sur ma tombe,
D’un rouge-gorge picorant les miettes du temps.

29
20/12/12

30
FIN

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