Kant Théorie Et Pratique Textes

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Kant, Théorie et Pratique, II – Textes

« Parmi tous les contrats par lesquels une multitude d’hommes se lient
mutuellement pour faire société, le contrat qui établit une constitution civile entre
eux est d’une espèce si particulière […] dans le principe de son institution. On
rencontre la liaison mutuelle de nombreux individus en vue d’une fin quelconque
(que tous ont en commun) dans tous les contrats associatifs ; mais une liaison
mutuelle de ces mêmes individus qui soit en elle-même une fin (qu’un chacun doit
avoir) et qui soit donc un devoir immédiat et premier dans chacune des relations
extérieures de tous ceux parmi les hommes qui ne peuvent éviter de se trouver entre
eux dans un rapport d’influence mutuelle : on ne rencontre cela que dans une
société dans la mesure où elle se trouve dans un état civil, c’est-à-dire constituant
un être commun. Dans une telle configuration extérieure, la fin qui est en soi-même
un devoir et même la condition formelle suprême de tout autre devoir extérieur,
c’est le droit des hommes, sous des lois de contrainte publiques, par lesquelles on
peut déterminer pour chacun ce qui lui revient et le garantir contre toute mainmise
d’autrui. »

« Mais le concept d’un droit extérieur en général est tout entier issu du concept de
liberté dans le rapport externe des hommes entre eux ; et il n’a rien à voir avec la
fin que tous les hommes ont de manière naturelle (la visée du bonheur) ou avec la
prescription des moyens pour y parvenir […] Le droit est la limitation de la liberté
d’un chacun à la condition de son accord avec la liberté de chacun dans la mesure
où celle-ci est possible selon une universelle. […] Or comme toute limitation de la
liberté par l’arbitre d’autrui se nomme contrainte, il en résulte que la constitution
civile est un rapport d’hommes libres qui […] se tiennent pourtant sous des lois de
contrainte : parce que c’est la raison elle-même qui le veut ainsi, et même la raison
pure légiférant a priori , qui ne prend en considération aucune fin empirique (elles
sont toutes regroupées sous le nom général de bonheur), d’autant qu’en ce qui
regarde cette fin et l’objet que chacun veut lui assigner, les hommes ont des avis
très différents de sorte qu’il serait impossible d’amener leur volonté sous un
principe commun, ni donc sous une loi extérieure s’accordant avec la liberté de
chacun. »

« La condition civile, considérée purement comme condition juridique, est donc


fondée sur les principes suivants : 1. La liberté de chaque membre de la société, en
tant qu’homme. 2. L’égalité de celui-ci avec tout autre, en tant que sujet. 3.
L’indépendance de chaque membre d’un corps commun, en tant que citoyen »
« La liberté en tant qu'homme dont on peut formuler le principe pour la constitution
d'une communauté de la manière suivante : personne ne peut me contraindre à être
heureux à sa manière (c'est-à-dire à la manière dont il conçoit le bien-être des
autres hommes) ; par contre, chacun peut chercher son bonheur de la manière qui
lui paraît bonne, à condition de ne pas porter préjudice à la liberté qu'a autrui de
poursuivre une fin semblable (c'est-à-dire de ne pas porter préjudice au droit
d'autrui), liberté qui peut coexister avec la liberté de chacun grâce à une possible loi
universelle. Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance
envers le peuple, comme celui d'un père envers ses enfants, c'est-à-dire un
gouvernement paternaliste (imperium paternale), où les sujets sont forcés de se
conduire d'une manière simplement passive, à la manière d'enfants mineurs,
incapables de distinguer ce qui leur est vraiment utile ou nuisible et qui doivent
attendre simplement du jugement du chef d'État la manière dont ils doivent être
heureux et simplement de sa bonté qu'également il le veuille, est le plus grand
despotisme qu'on puisse concevoir (c'est-à-dire une Constitution qui supprime toute
liberté pour les sujets qui ainsi ne possèdent aucun droit). Un gouvernement non
pas paternel, mais patriotique est celui qui peut être pensé uniquement pour des
hommes qui sont capables d’avoir des droits, et en même temps en lien avec la
bienveillance du souverain. Est patriotique, en effet, un mode de pensée dans lequel
chacun dans l’Etat (sans exception de son chef) considère le corps commun comme
le sein maternel »

L’égalité : « chaque membre du corps commun a envers chaque autre des droits de
contrainte dont seul le chef suprême est excepté ; ce dernier a donc seul la
permission de contraindre sans être lui-même soumis à un droit de contrainte. Pour
le reste, tout ce qui se tient sous des lois est sujet dans un Etat et donc soumis au
droit de contrainte, à égalité avec tous les autres membres du corps commun. […]
Cette égalité complète des hommes au sein d’un Etat, en tant que sujets de ce
dernier, est au demeurant parfaitement compatible avec la plus grande inégalité de
la quantité et des degrés de leurs possessions […] Mais au regard du droit (qui, en
tant qu’expression de la volonté générale, ne peut être qu’unique, et qui concerne la
forme du droit, non pas la matière ou l’objet sur lesquels j’ai un droit), ils sont, en
tant que sujets, égaux les uns aux autres ; parce qu’aucun ne peut contraindre qui
que ce soit d’autre autrement que par la loi publique […] De cette idée de l’égalité
des hommes en tant que sujets dans le corps commun découle en outre la formule
suivante : tout membre de ce dernier doit être autorisé à accéder à tout degré d’une
condition sociale »

« L’indépendance d’un membre du corps commun comme citoyen, c’est-à-dire


comme co-législateur. Sur le point de l’activité législative elle-même, tous ceux qui
sont libres et égaux sous des lois publiques déjà existantes, ne doivent toutefois pas
être considérés d’emblée comme égaux au regard du droit de donner ces lois. Ceux
qui ne sont pas aptes à ce droit sont pour autant, comme membres du corps
commun, soumis à l’obéissance à ces lois et bénéficient de la protection qu’elles
assurent ; pas en tant que citoyens toutefois, mais en tant que co-protégés […]
Celui qui, à présent, a le droit de vote dans cette activité législative se nomme un
citoyen (et non pas un bourgeois). Une seule qualité est requise pour ce statut, en
dehors de sa qualité naturelle (qu’il ne soit ni un enfant ni une femme) : qu’il soit
son propre maître (sui juris), qu’il possède donc quelque bien »

[Corollaire, 297] « C’est plutôt une pure Idée de la raison qui a toutefois sa réalité
(pratique) indubitable puisqu’elle oblige chaque législateur à donner ses lois de
telle sorte qu’elles puissent avoir eu leur source dans la volonté unifiée d’un peuple
tout entier, et à considérer chaque sujet, pour autant qu’il veuille être citoyen,
comme s’il avait apporté sa voix à cette volonté commune. Car c’est ici la pierre de
touche de la conformité au droit de chaque loi publique. Si en effet cette dernière
est composée de telle sorte qu’un peuple tout entier ne pourrait en aucun cas
donner son assentiment (en stipulant par exemple qu’une certaine classe de sujets
devrait avoir de façon héréditaire le privilège du rang seigneurial), elle ne peut être
juste. Mais s’il est seulement possible qu’un peuple émette un vote favorable
unanime, alors c’est un devoir que de tenir la loi pour juste […] Si donc un peuple
devait juger hautement probable qu’une législation sur le point d’entrer en vigueur
le prive de son bonheur : qu’y a-t-il à faire ? Ne doit-il [298] pas se rebeller ? Il n’y
a qu’une réponse possible : il n’y a rien d’autre à faire, pour ce peuple, que d’obéir.
Car ce dont il est question ici n’est pas le bonheur que le sujet est en droit
d’attendre d’une institution ou de l’administration du corps commun ; ce dont il est
question c’est simplement et avant tout le droit, qui doit être ainsi garanti pour
chacun : il est le principe suprême où s’enracinent toutes les maximes concernant
un corps commun et n’est restreint par aucun autre principe. Quant à la visée du
premier (du bonheur), on ne peut donner aucun principe de pertinence assez
générale pour produire des lois. Qu’il s’agisse en effet des circonstances
temporelles ou des fantasmes tumultueux et versatiles dans lesquels chaque
individu place son bonheur (mais nul ne peut lui prescrire ce dans quoi il devrait le
placer), ces facteurs rendent tout principe solide impossible, et le bonheur en lui-
même inapte comme principe législatif. La formule Salus publica
supremacivitatislex est (« Le bien public est la loi suprême de la cité ») garde toute
sa valeur et son prestige ; mais le premier salut public qu’il faut prendre en
considération, c’est précisément cette constitution légale qui garantit à chacun sa
liberté par des lois ; il garde intacte sa capacité à chercher bonheur dans toute
direction qui lui semble la meilleure, pourvu qu’il ne porte pas atteinte à cette
liberté générale définie par la loi et donc aux droits des autres co-sujets. Si le
pouvoir suprême édicte des lois visant directement le bonheur, cela ne correspond
pas à la finalité de l’édification d’une constitution civile mais à un simple moyen
pour garantir le cadre juridique contre des ennemis extérieurs du peuple. »

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