Approche Moderne Finale

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Séance 1 : Introduction - Des Mondes Connectés par les Ibériques (XVe-XVIe

siècles)

I) La Première Mondialisation (XVe - XVIe siècles)

Contexte et Acteurs des Échanges

Au début des grandes explorations, les circuits commerciaux globaux sont dominés par :

● Les Génois et Vénitiens, qui contrôlent le commerce méditerranéen ;


● Les marchands arabes et chinois, dont l’influence diminue au profit des
navigateurs hindous après le XVe siècle.

Marchandises échangées : Les Européens se tournent vers l’Asie pour des marchandises
de luxe (épices, soie, porcelaines, métaux précieux), tandis que les marchés chinois et
musulmans consomment également ces produits.

Tensions Géopolitiques et Expansion Ibérique

À la fin du XVe siècle, la montée de l’Empire ottoman limite les accès traditionnels des
Européens à l’Asie, et les rivalités entre puissances européennes exacerbent cette situation.
Cela pousse les Portugais et Espagnols à chercher de nouvelles routes commerciales :

● 1488 : Bartolomeu Dias franchit le Cap de Bonne-Espérance, ouvrant la voie vers


l’océan Indien ;
● 1492 : Christophe Colomb atteint l’Amérique, intégrant ce continent dans les réseaux
d’échange mondiaux.

Émergence d’un Système d’Échanges Globalisés

Les découvertes portugaises et espagnoles permettent une première mondialisation : les


continents entrent en contact et des territoires jusque-là ignorés ou isolés sont intégrés aux
réseaux commerciaux. Cela conduit à :

● Colonisation : les Espagnols investissent le continent américain (Caraïbes, puis


l’empire aztèque et inca) ;
● Comptoirs commerciaux : les Portugais, de leur côté, privilégient les côtes (Afrique,
Inde, Asie du Sud-Est).
● Contacts interculturels avec des populations jusqu’alors isolées, redéfinissant les
connaissances géographiques et les échanges de produits et de populations.

Les Espagnols débarquent d'abord à Hispaniola, à Cuba, puis atteignent l’isthme de


Panama, pour finalement s'étendre sur l’empire inca. Parallèlement, les Portugais
établissent une présence durable en Mozambique, Luanda, et en Angola, où ils resteront
jusqu'au XIXe siècle.
Circulation transocéanique : L’expansion maritime élargit l’œkoumène (espace connu et
exploré par les humains), redessinant les cartes et favorisant les contacts interculturels à
travers l’Atlantique et l’océan Indien.

II) Les Espaces et Dynamiques Impériales en Europe et au-delà

Europe : Émergence de Grandes Puissances Maritimes

L’Europe, marquée par des États en voie d’unification et un contexte de rivalité, se lance
dans l’exploration :

● Les Italiens développent des compétences en navigation, souvent sous contrat des
Ibériques ;
● Les Portugais, grâce à une expertise maritime acquise par la pêche, deviennent des
navigateurs aguerris dans l’Atlantique.

Le Monde Musulman et la Chine

● Empire ottoman : Expansif, il progresse au XVIe siècle vers l’Afrique du Nord. Le


sultanat mamelouk du Caire est absorbé par les Ottomans, qui prennent une position
stratégique dans les échanges.

● Chine : La dynastie Ming, succédant aux Mongols, ferme ses frontières aux
étrangers dès 1420 malgré des expéditions maritimes sous l’empereur Yongle. Une
diaspora chinoise continue toutefois d’animer les échanges dans le Pacifique.

Afrique et Amérique

● Afrique : Les empires sahéliens (dont le royaume du Ghana) se renforcent


économiquement, profitant de l’exploitation aurifère. La côte est africaine est
influencée par l’islam.
● Amérique : Les civilisations inca et aztèque prospèrent avant le contact avec les
Européens, qui mèneront à leur déclin.

III) Les Motivations et Facteurs Profonds des Voyages Ibériques

Contexte Européocentré et Récits de Voyage

L’expansion européenne est motivée par une fascination pour l’Orient, relayée par les récits
de Marco Polo et Jean de Mandeville, et par des termes exotiques tels que “Cathay”
(Chine) et “Zipangu” (Japon). Les Ibériques aspirent aussi à :

● Convertir au christianisme les populations rencontrées, et affaiblir les puissances


musulmanes.
● Étendre le commerce de luxe, motivé par la rareté des terres fertiles et la rentabilité
du commerce transocéanique.

Facteurs Sociaux et Économiques en Profondeur

Le Portugal, densément peuplé, subit des difficultés agricoles amplifiées par la peste noire
du XIVe siècle. À la recherche de ressources, les Portugais développent des compétences
en navigation hauturière, et découvrent des courants et vents océaniques qui facilitent la
traversée de nouveaux territoires.

Nouvelle Justification du Commerce d’Esclaves

Les Portugais adaptent le modèle juridique des croisades aux populations africaines : selon
les bulles papales, les non-chrétiens peuvent être réduits en esclavage sous prétexte de les
civiliser ou de les évangéliser. La bulle Dum Diversas de 1452 accorde aux Portugais un
droit perpétuel d’envahir et de réduire en esclavage les populations païennes, fondant ainsi
un système esclavagiste durable.

IV) Rivalités Ibériques et Légitimations Pontificales

Concurrence entre Espagne et Portugal

L’expansion sur le continent américain se fait d’abord par les Caraïbes, puis par les empires
aztèque et inca, tandis que les Portugais établissent des comptoirs en Afrique et en Asie.

Les Bulles Pontificales et la Légitimation de l’Expansion

Le pape octroie plusieurs bulles aux Portugais au XVe siècle, leur garantissant une
légitimité religieuse pour leurs explorations. Initialement destinées à la reprise de
Jérusalem, ces bulles se transforment en autorisations de conquête et d’asservissement de
populations non chrétiennes :

● 1452 - Dum Diversas : autorise les Portugais à envahir et asservir les populations
non chrétiennes en Afrique. Cette bulle marque le début d’un commerce esclavagiste
qui se poursuivra trois siècles.

● 1455 - Romanus Pontifex : Cette bulle accorde aux Portugais un monopole sur les
terres au sud du Cap Bojador, renforçant leur domination en Afrique.

● 1493 - Bulle d’Alexandre VI : Cette bulle accorde aux Espagnols les droits sur les
territoires à l’ouest d’une ligne imaginée (traité de Tordesillas), tandis que l’Est
revient aux Portugais.

Ces bulles pontificales marquent un cadre de guerres d’expansion justifiées


religieusement, et interdisent aux autres puissances chrétiennes de s’installer dans ces
territoires.
La papauté, alors considérée comme l’autorité spirituelle suprême, joue un rôle central dans
l’extension européenne, servant d'instrument de légitimité. Initialement, les bulles étaient
censées justifier les croisades pour Jérusalem, mais elles sont étendues à d’autres
territoires. Ces textes permettent aux Portugais et Espagnols d’user de la force contre les «
infidèles », y compris les populations d'Afrique non musulmanes, qualifiées de "païennes".

Traités et Partage des Terres

Les rivalités entre Espagne et Portugal aboutissent à un partage du monde :

● 1479/80 - Traité d’Alcaçovas : confirme la domination portugaise en Afrique au sud


des Canaries, tandis que les Espagnols se concentrent sur l’Atlantique.
● 1493 - Bulle Inter Caetera : divise le monde en attribuant l’Est aux Portugais et
l’Ouest aux Espagnols.
● 1494 - Traité de Tordesillas : les Portugais obtiennent le déplacement de cette ligne
vers l’Ouest, leur accordant ainsi le Brésil.

La papauté est perçue comme l’autorité universelle, ayant le pouvoir de distribuer les
territoires pour le bénéfice de la chrétienté. Ce pouvoir est bientôt remis en question au
XVIe siècle, mais reste au cœur des objectifs d’évangélisation des couronnes ibériques, qui
se voient confier le rôle de "Rois Catholiques" dès 1496.

Un Empire Basé sur la Conquête et l’Exclusivité Océanique

Les Portugais se concentrent sur la maîtrise des routes maritimes, établissant des comptoirs
en Afrique et en Asie sans occuper l’intérieur des terres. L’Espagne, en revanche, cherche à
contrôler le continent américain, établissant des colonies et intégrant les populations locales
dans un système de domination directe.

Fin de l’emprise coloniale espagnole en Amérique latine : Elle prendra fin avec les
guerres d’indépendance entre 1815 et 1820, amorçant la fin de trois siècles de colonisation
ibérique.

Conclusion

Les explorations ibériques du XVe-XVIe siècles ont marqué le début de la mondialisation, en reliant
les continents et en transformant profondément les dynamiques économiques et culturelles. Sous la
bénédiction du pape, les Portugais et Espagnols ont étendu leur influence au-delà de l’Europe, tout
en redéfinissant les relations entre l’Église et l’État dans un monde qui devient progressivement
global.
II. La Cartographie Révolutionnée : Globes et Cartes Marines

1. Globe de Martin Behaim (1492) :


○ Premier globe terrestre connu, inspiré des cartes portulans (cartes marines
détaillant les ports). Basé sur la géographie de Ptolémée, il représente
l’Afrique de façon précise et imagine l’Asie à proximité de l’Europe, mais
ignore l’Amérique.
○ Utilisé à des fins de prestige, ce globe témoigne de l’influence des avancées
de la navigation et des découvertes portugaises.
○ Connaissance de la rotondité de la Terre : l'idée que la Terre est ronde est
désormais largement acquise parmi les scientifiques.

2. Atlas catalan (probablement par Abraham Cresques) :


○ Ouvrage détaillant les ports de la Méditerranée et de l’Atlantique avec des
roses des vents, donnant aux navigateurs des indications de direction.
○ Offert à Charles V par le roi d'Aragon, il incarne le progrès des cartes
utilitaires pour la navigation.
3. Mappemonde de Juan de la Cosa :
○ Carte marine typique, avec des roses des vents et des lignes appelées
"rhumbs" pour la navigation. Utilisée par des explorateurs tels qu'Amerigo
Vespucci, elle intègre des détails issus de leurs voyages.
4. Planisphère de Martin Waldseemüller (1507) :
○ Première carte à mentionner le nom "America" en hommage à Vespucci.
Inspirée de sa lettre de 1502, elle marque la prise de conscience d’un
continent distinct.
○ Le globe vert attribué à Waldseemüller (1506) représente le Japon et
l’Amérique, illustrant l’évolution rapide de la cartographie.
5. Planisphère de Diogo Ribeiro (1529) :
○ Ce cosmographe de Charles Quint, d’origine portugaise, élabore une carte
intégrant les découvertes espagnoles. Elle montre une Amérique du Nord et
est utilisée comme un instrument diplomatique pour régler les tensions entre
l’Espagne et le Portugal.
III. Traités et Cartographie : La Géopolitique du Monde

● Traité de Tordesillas (1494) : division du Nouveau Monde entre l’Espagne et le


Portugal. Ce traité, influençant fortement la cartographie, fixe des limites
d’exploration entre les deux puissances maritimes.
● Traité de Saragosse (1529) : signé après des tensions sur la possession des îles
Moluques, le traité attribue la zone aux Espagnols et déplace la ligne de partage,
illustrant l’importance politique de la cartographie.
● La Casa de Contratación (Séville) : institution espagnole qui centralise les
informations et taxes sur les échanges commerciaux avec le Nouveau Monde. Elle
collecte les savoirs géographiques pour mieux contrôler les flux de marchandises et
de connaissances.

IV. L'Ère des Atlas et de la Diffusion des Connaissances

1. Naissance des Atlas :


○ L’atlas moderne prend forme avec la publication du "Theatrum Orbis
Terrarum" d'Abraham Ortelius (1570), le premier atlas imprimé. Il compile
diverses cartes, organisées par continents, pour un public lettré.
○ Les atlas permettent aux élites européennes de "voyager" depuis leur salon
et de découvrir de nouvelles contrées grâce à l’imprimerie.
2. Lettre de Giacomo Rho à sa famille :
○ En mission en Chine, Rho décrit sa position géographique, permettant à ses
parents de le suivre sur un atlas. Ses lettres témoignent du prestige lié à la
connaissance de territoires lointains, diffusée au sein des familles nobles.

V. Textes et Récits de Voyages : Transmission et Controverse

1. Recueils et récits publiés :


○ Dès le début du XVIe siècle, les récits de voyage, comme le "Mundus Novus"
de Vespucci, sont imprimés, d'abord en Italie. Vers 1530, des recueils plus
complets se diffusent en Europe, notamment grâce aux imprimeurs français
et italiens.
○ Auteurs de recueils notables : Grynaeus (1532) et Gian Ramusio publient
des récits actualisés des explorateurs. En France, André Thévet, avec
l'accord de la censure, publie en 1557 des récits en français imprimés par
Christophe Plantin.
2. La controverse de Valladolid et Bartolomé de Las Casas :
○ Las Casas défend les Indigènes en prônant leur conversion sans violence.
Dans sa "Brève relation de la destruction des Indes" (1552), il critique le
système colonial espagnol et ses abus.
○Son texte, largement diffusé en Europe, contribue à la "légende noire" de
l’Espagne, critiquant son rôle dans les colonies. Philippe II, en réponse, limite
la circulation de ces récits en Espagne.
3. Émergence de la censure et des compilations vernaculaires :
○ Sous les rois espagnols et portugais, les récits jugés subversifs sont interdits.
Malgré cela, les écrits se diffusent et influencent la perception de l'Empire
espagnol à l’étranger.
○ Auteurs et explorateurs anglais : Dans la lignée des Espagnols, les
Anglais, comme Richard Hakluyt et Samuel Purchas, publient à la fin du XVIe
siècle des récits d'exploration, reliant voyages contemporains et récits
antiques.
4. José de Acosta et une approche scientifique des découvertes :
○ Dans "Historia natural y moral" (1588), Acosta émet des hypothèses sur
l’arrivée des Amérindiens en Amérique via le détroit de Béring. Il prône
l’observation directe pour interpréter les découvertes, plutôt que de projeter
des mythes anciens.

Conclusion

La fin du XVe siècle marque un tournant où la géographie s’ouvre au Nouveau Monde,


révolutionnant les savoirs et les outils de connaissance. La cartographie devient un
instrument scientifique, politique et diplomatique, tandis que l’imprimerie facilite la diffusion
des récits et des atlas. Les nouvelles connaissances bousculent les perspectives
européennes, et la confrontation avec des cultures étrangères soulève des questions
morales et épistémologiques profondes, annonçant les prémices de la modernité.

Un besoin impérial et une circulation mondialisée des


métaux précieux
Contexte économique et impérial

Au cours de la Renaissance, l’Europe connaît une pénurie de métaux précieux, ce qui


entraîne une recherche accrue de richesse et de ressources. Cette situation conduit à
l'importation de produits orientaux et à une forte circulation de l'argent, surtout vers l'Orient.
Les mines découvertes en Amérique deviennent cruciales pour la monarchie espagnole,
notamment pour financer les guerres, telles que la guerre des Flandres, qui coûtent environ
200 tonnes d'argent par an à l'Espagne. Entre 1552 et 1556, la couronne espagnole
emprunte massivement, en moyenne 1600 pesos par an, aux banquiers allemands et
génois, attirés par l'accès royal aux mines américaines.

Les mines d'argent en Amérique

Les principales mines d'argent, telles que celles de Porco (1538) et de Potosí (1545) au
Pérou, ainsi que Tasco (1534) et Zultepec (1536), fournissent une ressource essentielle pour
l'empire. À partir des années 1540, la production d'argent dépasse celle de l'or, transformant
ainsi l'économie de la couronne espagnole. L'Espagne exploite aussi des ressources en
Colombie et au Brésil, mais les mines américaines sont déterminantes pour le financement
royal et les activités commerciales.

Monopole et organisation commerciale

L'Espagne établit un monopole commercial strict, régulant le commerce transatlantique par


la Carrera de Indias, qui permet uniquement aux navires autorisés de commercer. La Casa
de la Contratación à Séville contrôle l'ensemble des échanges et assure que tous les
navires partent vers des ports spécifiques. Cette organisation est cruciale pour la collecte
des impôts, notamment le quinto, un impôt royal de 20 % sur les exportations d'argent vers
l'Espagne.

Circulation de la monnaie

Au début, la monnaie en circulation est constituée de morceaux de métal non frappés ou de


produits locaux (comme les fèves de cacao ou les feuilles de coca). À partir du XVIIe siècle,
environ 50 % de la monnaie en circulation est frappée, ce qui permet de normaliser la valeur
et d'améliorer le contrôle économique. Les reales de a ocho, une monnaie bien connue,
portent des marques indiquant leur provenance et leur valeur. La Ceca désigne les lieux de
frappe et de contrôle de la monnaie, garantissant ainsi l'intégrité monétaire.

Implications de la circulation mondialisée

La circulation de l'argent ne se limite pas à l'Espagne. Les mines américaines produisent


une quantité d'argent bien supérieure à celle qui arrive en Espagne, avec une partie
importante de cette production perdue dans le commerce illégal et la contrebande. Les
routes commerciales s'étendent vers l'Asie, où le Japon, par exemple, commence
également à produire de l'argent. Cela illustre le passage d'une économie centrée sur
l'Europe vers une circulation mondialisée, où l'Espagne retient de moins en moins l'argent
produit sur son territoire.

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