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CAHIERS CAHIERS

Les
CAHIERS L’AQP
L’AQPF L’AQPF
de
Association québécoise
des professeurs de français

Volume 2 no 3
Mot de la présidente
Sommaire Le printemps étudiant
Mot de la présidente ...................................1
Nouvelles des sections................................3
« La parole est un geste, mieux une action »
À votre tour .................................................4
Loco Locass, Langage-toi

L
Twittérature et pédagogie du texte ............... 4
Les textes résistants et la pédagogie a semaine de relâche se termine cette année sur fond de confron-
différenciée .................................................. 9 tation entre les étudiants et le gouvernement. D’un côté, on
Les mots, la pensée et les débuts à l’école . 12 brandit le droit à l’éducation dans une société qui valorise le
Une journée dans la vie d’une stagiaire en développement humain et le savoir; de l’autre, un argumentaire
enseignement du français au Burkina Faso 17 économique reposant sur une philosophie de l’utilisateur-payeur, comme
Qu’est-ce qu’une méthode, si les études supérieures étaient un bien de consommation au même titre
une approche, une technique ? .................. 19 qu’une voiture ou qu’un téléphone cellulaire. Deux visions s’afrontent et
Entrevue ...................................................22 le dialogue de sourds s’éternise.
Rapport .....................................................24 Je n’ajouterai pas ici ma voix aux leadeurs des associations étudiantes qui
Opinion .....................................................25 s’opposent à cette hausse, mais je soulignerai l’engagement de ces jeunes
qui, pour ou contre la hausse, se prononcent depuis quelques semaines
Chronique orthographique ........................29 déjà dans les journaux, sur les réseaux sociaux, à la télévision ou dans la
Ateliers de littérature .................................30 rue. Je salue leur engagement, leur prise de parole et leur débat. On dit
Recension .................................................32 trop souvent de ces jeunes qu’ils sont individualistes, repliés sur eux-mê-
mes et non intéressés par le bien commun. Nous avons eu la preuve dans
les dernières semaines que c’est faux. Je me réjouis d’entendre ces jeunes
http://www.aqpf.qc.ca
en entrevue, argumenter avec aplomb et rigueur, défendre leur point de
vue avec aisance, et ce, dans une langue bien maitrisée.
Coordonnatrice :
Godelieve De Koninck, Cette mobilisation me ravit et me donne espoir en l’avenir. Je sais dé-
[email protected] sormais que la génération qui sera très bientôt sur le marché du travail
Conception graphique : sera formée de gens qui réléchissent, prennent position, argumentent,
Sylvie Côté échangent et discutent. Je sais désormais que les eforts que nous faisons

ISSN 1925-9158
Nouvelles
Nouvelles
Nouvelles
Mot de la présidente (suite)

toutes et tous, chacune et chacun


dans nos classes, du préscolaire à
des sections

l’université, portent ses fruits et Québec-Est-du-Québec comprendre


m'assurer

que la formation des jeunes qui La section Québec-et-Est-du-Québec


nous demandent tant d’énergie, investit toutes ses énergies dans la pré-
de travail et de passion contri- sentation du congrès de l’AQPF de
bue à leur fournir les outils pour novembre prochain qui se tiendra au
réfléchir jugement
interpréter
raisonner, s’exprimer, débattre. Je Loews Concorde. Nous vous réservons
planifier

sais désormais que ces jeunes ont de belles surprises en lien avec notre réagir
des principes, des convictions et thème, Une langue de mots et d’images.
des idéaux et qu’ils sont capables D’ici là, nous organisons le 16 avril un L'évaluation
de sortir dans la rue pour les dé- atelier de formation portant sur l’ensei- de la lecture: Érick Falardeau
enseigne la didacti-

fendre.
que du français à

une approche
l’Université Laval.

gnement des stratégies de lecture animé


Depuis quelques
années, il mène une

par l'enseignement
recherche-action
sur l’enseignement

Ce combat est inspirant et devrait par Érick Falardeau, professeur à l’Uni-


explicite des straté-
gies de lecture.

des stratégies Avec son équipe


et une douzaine

nous inciter à agir nous aussi, col- versité Laval. Nous vous y attendons en
d’enseignants de
français et de conseillers pédagogiques,
Nous rendrons compte d'une recherche il a élaboré des grilles d’évaluation de
menée avec des enseignants de français la lecture et des outils d’explicitation

lectivement, pour sauvegarder ce grand nombre.


du secondaire. Nous avons élaboré avec eux des stratégies pour les élèves et pour
des outils d'évaluation de la compétence à les enseignants. Ce sont ces outils de
Lire et apprécier en nous basant sur les même que les retombées de leur
implantation dans des classes du
processus et stratégies du PFEQ.

qui nous tient à cœur : la langue


1er cycle du secondaire qui seront
Les outils élaborés ont été implantés l'année

L’équipe de la section Québec-et-Est-


au cœur de cette formation.
dernière dans les classes d'enseignants que
nous avons accompagnés. Après avoir pré- Lundi 16 avril 2012
française. Les étudiantes et les du Québec
senté les outils d'enseignement et d'évalua-
tion avec lesquels ils ont travaillé, nous pré-
senterons les résultats obtenus quant aux
19h00
Hôtel Québec, salle Renoir et Gauguin

GRATUIT POUR LES MEMBRES DE L’AQPF

étudiants nous donnent une le-


performances des élèves et à leur motiva-
15$ pour les non-membres et 5$ pour les étudiants
tion après avoir utilisé nos outils pendant
Places limitées
une année. Date limite d’inscription : 11 avril 2012

çon de solidarité et de mobilisa-


Écrire à Madeleine Gauthier à l’adresse suivante :
[email protected] pour vous inscrire.
Faire votre inscription et votre paiement à l’ordre de
l’AQPF–Section Québec-et-Est-du-Québec

tion. Ne pourrions-nous pas faire


Pour connaître le plan d’accès à l’hôtel,
vous rendre à l’adresse suivante :
http://www.hotelsjaro.com/hotelquebec/situation-geographique.aspx

de même pour défendre notre


langue qui, un peu plus chaque
jour, semble perdre du terrain?... Montréal-et-Ouest-du-Québec
Depuis le congrès de l’Association en Tout d’abord, l’activité pédagogique
novembre dernier à Shawinigan, les animée par monsieur Robidoux a attiré
Suzanne Richard, présidente membres de la section Montréal-et- une vingtaine de participants. Pendant
Ouest-du-Québec ont pu assister à deux cette présentation, l’animateur a lui-
activités pédagogiques. La première, même utilisé l’humour pour accrocher
celle de monsieur Guillaume Robidoux, son public. Il a abordé plusieurs thè-
a été présentée en novembre à Mon- mes dont les discours humoristiques en
tréal. La seconde, animée par madame classe de français, les interférences co-
Suzanne-G. Chartrand, a été présentée miques dans la langue et l’exploitation
à Montréal et à Saint-Jérôme en février. des discours humoristiques. Monsieur
Pour poursuivre sur cette voie, nous Robidoux a terminé l’activité pédago-
proposons à nos membres une troisième gique en présentant diverses idées pour
activité pédagogique, en avril prochain, inspirer les enseignants de français et
à Montréal et à Longueuil. Voici un les encourager à intégrer l’humour à
compte-rendu des deux premières acti- leur enseignement.
vités pédagogiques, ainsi qu’une présen-
tation de la prochaine activité.

2 Les Cahiers de L’AQPF, volume 3, numéro 1


Nouvelles
Nouvelles
Ensuite, l’activité pédagogique de madame données, votre statut (membre, non mem-
Suzanne-G. Chartrand a été présentée à bre, étudiant ou retraité) et l’endroit où vous
Montréal. Une trentaine de participants y ont désirez assister à la présentation à l’adresse
assisté. Par la suite, madame Chartrand s’est suivante : [email protected]. Nous
déplacée à Saint-Jérôme où elle a fait sa pré- vous rappelons que les activités pédagogiques
sentation devant un auditoire constitué d’une sont gratuites pour les membres et que des
vingtaine de participants. D’ailleurs, plusieurs frais de 15 $ sont exigés pour les non-mem-
d’entre eux ont pu assister à cette activité péda- bres (5$ pour les non-membres étudiants ou
gogique en direct de Gatineau, et ce, grâce à la retraités).
visioconférence. Dans le cadre de cette activité
Nous espérons vous voir en grand nombre lors
pédagogique, madame Chartrand a permis aux
de ce prochain atelier présenté par l’équipe de
participants d’apprivoiser la Progression. Elle a
Montréal-et-Ouest-du-Québec de l’Associa-
également présenté diférents genres textuels
tion québécoise des professeurs de français.
au cœur de la classe de français, puis dégagé
certaines pistes d’exploitations concernant la Raymond Nolin
chanson engagée en quatrième secondaire et
Responsable des Cahiers de l’AQPF
l’article de vulgarisation scientiique en troi-
section Montréal-et-Ouest-du-Québec
sième secondaire. Pour les intéressés et ceux
qui ont manqué la présentation de madame
Résumé de l’activité pédagogique de
Chartrand, sachez qu’il vous est possible de
consulter le diaporama. En efet, ce dernier
madame Comtois Lauzière :
est disponible sur le portail pour l’enseigne- Quand, une ou deux fois par semaine, pendant dix minutes, on
ment du français de la Faculté des sciences de dissocie l’écriture du programme obligatoire et qu’on ne la voit
l’éducation de l’Université Laval (http://www. plus comme un moyen de maitriser le code grammatical, elle
enseignementdufrancais.fse.ulaval.ca/). devient un acte de création libre qui peut s’imposer comme un
besoin et un plaisir. L’élève garde son texte qui devient le lieu
Finalement, en avril prochain, le comité de la secret de l’expression de ses sentiments et de ses émotions. Il
section Montréal-et-Ouest-du-Québec aura devient possible de créer un recueil pour chaque niveau à la in
le plaisir de vous ofrir, comme activité péda- de l’année.
gogique, l’un des ateliers les plus appréciés du
congrès de 2010. Cette activité pédagogique
Note
sera animée par madame Pierrette Comtois
Lauzière, enseignante retraitée. Cette activité Les participants sont invités
est destinée aux enseignants du secondaire, à se procurer Les poèmes du
bien que la thématique puisse facilement être lundi, aux éditions du CHU
transposée à tous les ordres d’enseignement. Sainte-Justine. Le recueil
Ain de permettre au plus grand nombre de sera un outil important pour
personnes d’assister à cette présentation, deux comprendre et appliquer la
dates sont proposées. La première, le mardi 10 méthodologie utilisée par
avril 2012, de 18 h à 20 h, à l’Université du l’animatrice de l’atelier. Il est
Québec à Montréal au Pavillon J.-A.-DeSève possible de commander le
(DS), salle DS-R340. La seconde, le mercre- recueil dans la plupart des
di 11 avril, de 18 h à 20 h, à Longueuil, au librairies ou directement
pavillon de l’Université de Sherbrooke, salle aux éditions du CHU au
4605. Pour vous inscrire à l’une ou l’autre de 514-345-4671 ou encore par
ces activités pédagogiques, il suit de nous courriel: www.chu-sainte-
écrire un courriel avec votre nom, vos coor- justine.org/editions.

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 3


À Votre tour

À Votre tour

À Votre tour
Jean-Yves Fréchette*

Twittérature
et pédagogie du texte
Investir/envahir les médias sociaux

L
’avènement des médias sociaux a En réalité, rien n’est simple en pédagogie.
créé de nouvelles habitudes de lec- Mais rien n’est si complexe non plus au point
ture et de nouvelles pratiques d’écri- qu’il faille stagner encore une ou deux années
ture. Les internautes sont de plus avant de se faire une opinion sur l’utilisation
en plus nombreux à produire des contenus, à des médias sociaux (MS) en classe. Encore
partager de l’information et à s’y exprimer ra- une fois, suivons Boileau : « Hâtons-nous len-
pidement en temps réel. tement. »
Que ce soit à travers des lieux virtuels per- Prenons acte que les MS existent, qu’ils sont là
mettant de créer une véritable communauté pour durer et que leur inluence ne saurait que
de lecteurs ou avec des logiciels démocrati- grandir. Mais ne soyons pas passifs : envahis-
sant l’accès à des ressources informationnelles sons-les ain d’y glisser la juste dose de créa-
gratuites (Wikipédia), le Web 2.0 facilite les tivité qu’il faut pour qu’ils deviennent, parmi
rapports d’échange et de collaboration. Des d’autres, de véritables outils pédagogiques. Ne
canaux Web spécialisés existent pour entre- nous contentons pas de les observer à distance
tenir un dialogue (Skype) ou pour partager confortable, mais proposons des actions où les
des images et des photos (Flickr), de la vidéo élèves pourront socialement créer, partager,
(YouTube) et du texte (Facebook). construire et grandir.
La pédagogie devrait pouvoir y trouver son Pour que cela advienne, il faut soi-même in-
compte… Les élèves y sont déjà, alors, allons-y ! vestir, j’allais dire envahir, ces nouveaux mé-
dias. Il faut les apprivoiser. Il faut en devenir
Mais voilà, ce n’est pas si simple. Des voix
des experts.
invitent à la prudence; d’autres condamnent
littéralement l’utilisation des médias sociaux Comment en efet parler du blogue sans être
en classe : trop libres, ces derniers ne sauraient un blogueur ? Comment parler de FaceBook
imposer cette contrainte dirigée propre aux sans d’abord y rencontrer quotidiennement un
apprentissages. D’autres enin y voient une certain nombre de ses amis ? Comment parler
panacée d’autant que toutes ces façons de de Twitter dans l’apprentissage sans tweeter
découper le monde à travers soi par l’écriture soi-même ?
peuvent se combiner avec l’utilisation d’un ta-
bleau blanc interactif (TBI).

4 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


À Votre tour

À Votre tour

possible et utile de le faire2, à condition d’uti-


Utiliser Twitter contre Twitter
liser le microblogue dans un esprit qui sem-
Permettre aux élèves d’utiliser Twitter dans la
ble d’abord refuser les qualités qui ont fait sa
classe de français relève d’une stratégie péda-
renommée commerciale : la vitesse et la briè-
gogique audacieuse d’autant qu’à l’origine le
veté.
créateur du logiciel1 n’y avait jamais songé.
En pédagogie, il en est souvent ainsi : il faut L’enjeu ici est d’introduire de la lenteur dans
détourner le médium de son usage premier Twitter, c’est-à-dire de la rélexion, du calcul,
ain d’en révéler tout le potentiel didactique. de la mesure, de la ruse dans l’expression et
Et c’est toujours au terme d’une démarche, à du discernement dans le choix des procédés
la in d’un parcours presque, que la stratégie stylistiques, toutes ces attitudes qui déinis-
TIC devient rentable pour l’élève parce qu’in- sent les bonnes pratiques du scripteur expert.
sérée dans un scénario d’apprentissage. Il faut demander aux élèves qui sont aux com-
mandes de Twitter de se comporter comme
Il faut en efet toujours distinguer les TIC de
des scripteurs de haut niveau en n’acceptant
l’usage qu’on en fait ; il ne faut pas confon-
d’eux que des tweets parfaits. Encore une fois,
dre les outils et leur mode d’emploi. Il ne faut
Boileau sert d’inspiration : « Cent fois sur le
pas non plus confondre les procédures avec
métier remettez votre… » tweet, pourrait-on
les inalités que l’on poursuit. L’intelligence
dire. Dans une pédagogie de l’écriture inspirée
pédagogique n’est jamais du côté du logiciel,
de Twitter, travail et plaisir deviennent syno-
(quelle bonne blague que cette expression « lo-
nymes, ce qui n’exclut ni l’efort ni le temps,
giciel intelligent ») ; l’intelligence est toujours
deux préalables essentiels aux apprentissages
du côté des scénarios, c’est-à-dire du côté des
durables.
enseignants et des élèves. C’est au professeur
qu’il appartient de créer des conditions péda- La démarche pédagogique que nous proposons
gogiques gagnantes, favorables au développe- suggère d’utiliser Twitter contre Twitter. Point
ment des compétences et à l’acquisition des de #, point d’@, point de RT, point de bit.ly,
savoirs. autant de fonctions intéressantes, essentielles
même, pour entretenir son réseau social, mais
Il peut paraître paradoxal de suggérer un lo-
qui, sur le plan de l’apprentissage, apparais-
giciel de microblogage pour améliorer la qua-
sent comme des facteurs entretenant un bruit
lité de la langue écrite chez l’élève. Mais il est
inutile en détournant l’élève de ses objectifs.
1 Twitter tire son origine d’un système rudi- Bien évidemment, il ne s’agit pas de refuser
mentaire de communication permettant aux toutes ces fonctions ; on sait qu’elles ont leur
chaufeurs de taxi de Los Angeles de signaler importance, dans des stratégies de gestion de
leur position dans la ville au moyen de mi- classe notamment, au moment de signaler un
cro messages. Puis, l’inventeur de Twitter eut travail méritant, de rapporter un bon mot ou
l’idée de s’en servir comme un outil permet- de donner une référence, mais elles viendront
tant d’acheminer de petits messages de 140 après pour consolider des exercices spéciiques
caractères ou moins à des abonnés. Ces courts ne proposant que des démarches textuelles
textes servent habituellement à transmettre
pures.
des hyperliens, à rediriger des messages reçus
ou à participer à des ils thématiques de dis- Si nous désirons créer des situations d’ap-
cussion collective. Celui qui écrit dans Twitter prentissage qui contribuent à la hausse du ni-
peut également souscrire à des abonnements, veau de qualité des textes écrits chez les élèves,
ce qui lui permet de recevoir instantanément
tout ce qui est publié par les personnes qu’il 2 Voir l’article publié par Annie CÔTÉ dans le
suit dans Twitter. numéro de septembre des Cahiers.

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 5


À Votre tour

À Votre tour

nous devons pouvoir isoler chacune des com- naire des synonymes4 deviendra un outil in-
posantes du texte ain d’attirer le regard du dispensable et devra prendre place tout près
jeune apprenant sur cet objet précis3 pour que, de l’écran de travail. L’enseignant, lui, veillera
l’objectivant, il puisse le maintenir à distance à ce que les substitutions efectuées par l’élève
pour l’observer et le manipuler concrètement. soient parfaitement conformes au sens désiré,
Hausser le niveau de l’écrit initial jusqu’au il signalera les incohérences sémantiques.
texte soutenu à coup de petites retouches, de
Tout tient alors dans la consigne d’écriture,
fragments, de nano textes, de tweet... qui ap-
cette règle du jeu qui consiste à écrire de
partiennent désormais à l’univers de la twit-
courts textes qui aient précisément 140 carac-
térature.
tères pile poil. Les élèves seront stimulés par
Ceci semble un enjeu pédagogique intéressant ce déi : vont-ils y arriver ? Au prix de quels
à l’heure où les médias sociaux ont envahi l’es- eforts ? Et voilà, le mot est lâché : il faut faire
pace citoyen. Il ne reste que l’école à conta- des eforts pour tweeter en 140 caractères tout
miner. en respectant les consignes du thème.
Les twittérateurs aiment composer avec des Il convient alors de valoriser l’attitude des
limites objectives ; celles-ci se posent comme « combattants textuels » qui doivent afronter
un déi à relever, une contrainte de création un adversaire de taille : Twitter qui veille au
(serait-ce une nouvelle forme ixe ?), une règle grain et compte le nombre de mots. Pour re-
du jeu qu’il faut respecter pour gagner. Écri- lever ce déi, les élèves découvriront qu’il leur
re un nano texte de 140 caractères constitue faut de la patience, de la persévérance, du cran
une tâche qui révélera l’habileté littéraire des et de la … rigueur !
joueurs, leur ruse et leur talent pour se « colle-
tailler » avec une forme dominée par la qualité Twittérature5 ou la stratégie de l’écart
du style et la rigueur de l’expression. Twitter est
Les élèves utilisant Twitter dans la classe de
un outil qui permet à l’élève de publier autre
français expérimenteront donc un nouveau
chose qu’une information factuelle : il crée un
genre littéraire : la twittérature, cette littéra-
espace virtuel propice au jeu linguistique où
ture minuscule6 publiée dans Twitter. Si cette
l’imaginaire et le plaisir des mots deviennent
pratique est récente (Twitter n’existe que de-
une réalité palpable.
puis 2004), la pratique littéraire de courts tex-
Cette démarche conduit l’élève à envisager tes existe, elle, depuis toujours. On peut alors
le texte comme un problème qu’il faut ré- parler de nano littérature. À certains égards,
soudre. Seul un calcul intelligent peut ré- la nouvelle littéraire pourrait entrer dans cette
soudre l’équation textuelle du tweet en 140 catégorie ; on l’a souvent déinie comme un
caractères : il faudra remplacer des mots trop « petit » roman. Mais il s’agit de plus petit
longs par d’autres mots plus courts et, inver-
sement, remplacer des mots trop brefs par des 4 On pourrait ici parfaitement utiliser des dic-
mots comportant plus de lettres. Le diction- tionnaires en lignes comme les outils du Cen-
tre National de Ressources Textuelles et Lexi-
cales (http://www.cnrtl.fr).
3 Cet objet est énoncé dans la consigne du tra-
5 Pour avoir un aperçu des enjeux de la twitté-
vail : ce peut être une igure de style ( intro-
rature, on peut consulter le site de l’Institut de
duire une métaphore ), un thème ( rédiger une
twittérature comparée : http://www.twittexte.
consigne, un horoscope, décrire un person-
org.
nage, etc.), une contrainte structurale ( utiliser
6 L’enseignant ne sera pas gêné dans le contexte
le rythme ternaire ) ou grammaticale ( votre
d’une nanoécriture d’exiger ni plus moins que
tweet doit être écrit à l’imparfait, au futur, etc. ).
la perfection.

6 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


À Votre tour

À Votre tour

encore… Bon nombre de poètes, qu’on son- Ces caractéristiques s’appliquent tout particu-
ge à Paul Éluard ou à Eugène Guillevic, ont lièrement à de petits textes qui ont toutes les
produit de petits poèmes fort élégants dont caractéristiques d’un poème miniature et qui
la trame esthétique et le potentiel d’éveil de ressemblent souvent au haïku japonais.
l’imaginaire étaient tout à fait à la hauteur
Bien évidemment, ces tweets ne forment pas
d’œuvres plus considérables.
de strophes complètes, mais apparaissent
La nanolittérature existe donc déjà. Elle a ac- plutôt comme de petits poèmes en prose (on
quis ses lettres de noblesse et elle est parfois pourrait alors parler de verset) où dominent
connue du grand public qui sait l’apprécier l’image et le jeu sonore.
dans ses formes les plus diverses. Qu’on songe
aux formules qui proposent de petits textes où Tweet à dominance prosaïque
la qualité de la tournure d’expression, la mé-
Les tweets prosaïques peuvent raconter de
ticulosité du choix des mots et la densité du
courtes histoires, rapporter une légende, imiter
sens sont exemplaires :
(pasticher) un type d’écriture où le genre bref
• proverbes, domine (l’horoscope, la déinition de mot, le
• maximes, mode d’emploi, etc.).
• devises, Lorsqu’on raconte une histoire, la limite de
• dictons, 140 caractères peut constituer un obstacle de
• pensées, taille. Mais certains twittérateurs réussissent à
• adages, écrire un court récit avec un ou deux person-
nages en proposant une situation initiale, un
• aphorismes,
événement perturbateur et une conclusion, le
• télégrammes, tout en moins de 140 caractères.
• et autres apophtegmes
On pourrait donc en twittérature observer Et pour terminer…
deux tendances : l’une se rapprochant de la Des scénarios pédagogiques illustrent déjà
poésie propose des textes denses où dominent d’autres utilisations possibles, notamment
l’image et le jeu sonore ; et une autre, plus pro- celles développées par @annierikiki et ses élè-
saïque, qui en appelle au petit récit, au conte ves depuis deux ans à la Polyvalente des Sen-
miniature, au mode d’emploi, à l’horoscope, tiers de la Commission scolaire des Premières
etc. Seigneuries. La recherche action menée cette
année par l’Institut de twittérature comparée
Tweet où domine le genre poétique a permis la mise au point d’un prototype de
Nous observons ici deux tendances : logiciel inspiré de Twitter, mais proposant des
fonctions mieux adaptées à la pédagogie de
a) les tweets où s’imposent la qualité du dis- l’écrit.
cours et des images (métaphores, compa-
raisons) ; Parmi ses caractéristiques, on retrouvera no-
b) les tweets qui révèlent une certaine musi- tamment :
calité (allitérations, assonances). • une console de gestion réservée à l’ensei-
gnant lui permettant de créer ses exerci-
 Un mot savant pour designer une maxime ces.
philosophique.

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 7


À Votre tour

À Votre tour

• des outils de modélisation du plan du texte classe d’écriture ain d’en extraire les qualités
(un texte n’est plus lié à la production d’un fondamentales : partage, collaboration créati-
tweet unique); vité et gratuité.
• des outils de rétroaction. Quels que soient les outils TIC dont ils se
• une gestion facile des groupes classe. servent, les pédagogues savent qu’ils ne céde-
• une traçabilité des étapes du texte produit ront jamais aux modes, car leur mission pre-
par l’élève. mière est de veiller au développement de la
• la possibilité de régler le nombre de carac- personnalité de chacun, d’accroitre la qualité
tères dans les cases de saisie (au-delà de de l’écriture, de développer chez leurs élèves
140 caractères). des stratégies d’expression et de veiller à leur
• des outils de gestion de calendrier des de- réussite scolaire.
voirs. Et tout le reste est twittérature.
Ce logiciel sera accessible dans les écoles dès * Jean-Yves Fréchette, Institut de twittérature
septembre. comparée
Ceci viendra clore la première étape d’une À suivre dans le prochain numéro.
volonté d’inclure les médias sociaux dans les

Congrès A B C E F G Appel à communications


de l’AQPFH I J

V
Québec, 30 octobre au 2 novembre 2012 ous avez expérimenté dans votre

Une langueN
classe des activités que vous aimeriez
partager avec d’autres enseignants?
Comme conseillers pédagogiques ou
de mots comme formateurs, vous aimeriez faire connai-
et dʼimages tre des pistes d’enseignement et d’apprentissage
du français que vous avez développées? Nous
vous invitons à vous rendre sur le site Internet
de l’AQPF et à y déposer une proposition
d’atelier ou de stage pour le prochain congrès de
l’AQPF qui se tiendra à Québec du 31 octobre
au 2 novembre. Le formulaire de soumission est
en ligne à l’adresse www.aqpf.qc.ca dans la case
en haut à gauche de la page d’accueil.
Merci pour votre collaboration et au plaisir de
vous lire.
Érick Falardeau
www.aqpf.qc.ca Coordonnateur du comité organisateur du
congrès 2012 de l’AQPF

8 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


À Votre tour

À Votre tour

Les textes résistants et la


pédagogie différenciée

Constance Denis *

D
evant un roman littéraire présen-
tant à la fois des problèmes de
compréhension et d’interpréta-
tion, les élèves semblent éprouver
de la diiculté à comprendre, à interpréter,
à réagir ou à apprécier les textes. Cet article
présente un dispositif de lecture1 et ses efets
sur le développement de la compétence à lire
et à apprécier des œuvres littéraires d’élèves
de la quatrième secondaire. L’expérience a été
menée auprès d’une centaine de jeunes ado-
lescentes d’une école privée de la région de
Sherbrooke dans le cadre d’une recherche- du roman utilisé ici, Les Sirènes de Bagdad2 de
action réalisée lors de la dernière année de Yasmina Khadra, le titre a une connotation
formation à l’enseignement à l’Université de polysémique.
Sherbrooke.
La démarche de dévoilement progressif
L’intérêt d’un dispositif de lecture
Les apprenantes ne devaient pas être laissées
Certaines lectures dites « résistantes » ofrent seules face aux textes, aussi l’enseignante a-
des déis de compréhension et d’interpréta- t-elle divisé l’œuvre de façon à faire prédire
tion plus élevés pour plusieurs élèves. Ceux-ci l’histoire, à la lire et à revenir fréquemment
sont appelés «résistants». Selon le Programme sur les prédictions des lecteurs. Les élèves sont
de formation de l’école québécoise, il est essen- alors soumises à un jeu de prédictions, de ré-
tiel d’outiller les élèves pour les aider à lire ce troactions et de réajustements (Ibid). Chaque
genre de textes et ainsi leur donner des tâches division du texte doit être calculée en fonction
complexes qui leur permettront de développer des évènements et de leur importance pour la
des stratégies de lecture plus eicaces et plus continuité de l’histoire.
rainées. Parmi les nombreuses stratégies
existantes, Ahr (2008) suggère, par exemple,
de « lire avec lenteur et relire ain de cerner 2 Voici un résumé du roman Les Sirènes de Bad-
et interpréter l’implicite, de faire jouer la po- gad : Le héros, habitant dans le désert, est
lysémie qu’ofre le texte » (p. 12). Dans le cas éloigné de la guerre qui éclate en ville. Un
jour, l’armée envahit le hameau et sort son
père à demi nu en public. La gravité de cette
1 Le dispositif didactique est en fait une sé- humiliation occasionne la fuite du héros en
rie d’activités d’accompagnement des élèves quête de réparation.
avant, pendant et après la lecture.

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 9


À Votre tour

À Votre tour

Les tâches proposées Lors du troisième atelier, les élèves comparent


les cultures québécoise et arabe en en identi-
La démarche de dévoilement progressif per- iant les convergences, les divergences et les
met à l’enseignante de fractionner la tâche de points communs (sous forme de diagram-
lecture et d’accompagner les élèves durant le me de Veen4). Il est essentiel, à ce moment
processus. Les tâches proposées ont été adap- de l’histoire, que les élèves comprennent les
tées aux besoins et aux forces des élèves en se diférences entre les deux cultures puisqu’un
basant sur la théorie des intelligences multi- évènement – la vue de son père nu en public
ples (IM3) utilisées comme point d’entrée de – bouleverse la vie du narrateur d’origine ara-
la diférenciation pédagogique. be. Pour un adolescent québécois, cette scène
prendrait-elle nécessairement les mêmes pro-
Interventions réalisées dans le cadre de la portions. Les élèves écrivent une rélexion
recherche-action personnelle ain de décrire la gravité de l’évè-
Dans un premier temps, les élèves reçoivent nement que le personnage principal compare
l’œuvre et étudient les indices entourant le à un viol.
livre (titre, image, quatrième de couverture, Lors du quatrième atelier, les élèves valident
etc.). S’ensuit une lecture collective des pre- ou corrigent les hypothèses émises dans le
mières pages. À la in du cours, les élèves pré- deuxième atelier. En équipe de quatre, elles
disent l’intrigue et les actions du roman, selon préparent une mise en scène pour prédire les
les indices repérés. actions du personnage alors qu’il traverse illé-
galement la frontière entre le Liban et l’Irak.
Lors du deuxième atelier, le cours débute
L’enseignante distribue les rôles : agent d’imi-
par une mise en scène dans laquelle les élè-
gration, jury d’un procès criminel, parent du
ves jouent le rôle d’espionnes. En équipe, elles
personnage, imam, etc. À la in du cours, les
tracent un portrait-robot d’un personnage à
élèves réléchissent en équipe sur un geste
l’aide des indices relevés dans le roman, elles
kamikaze, geste sous-entendu dans le roman.
dessinent une carte aérienne de la ville, puis
Puis, en se mettant dans la peau du person-
elles établissent l’arbre généalogique du per-
nage qui pourrait mourir, elles doivent écrire
sonnage principal. Dans la deuxième partie de
une lettre d’adieu à un proche en guise de tes-
l’atelier, les élèves se regroupent pour échanger
leurs rélexions, leurs opinions et leurs impres- tament.
sions quant à la mort d’un des personnages. Lors du dernier atelier, les apprenantes corri-
Elles émettent enin une courte hypothèse gent les hypothèses émises depuis le début de
sur les conséquences de sa mort sur la suite la lecture. À l’aide de questions de rélexion,
de l’histoire. elles construisent un argumentaire étayant les
raisons du terrorisme dans la culture arabe.
Elles partagent ensuite leur raisonnement
en équipe de quatre avant d’en faire part au
groupe.

3 Le lecteur intéressé peut se référer à l’ouvrage 4 Schéma sous forme de cercles ayant des zo-
d’Helen McGrath et Toni Noble Huit façons nes communes, souvent utilisé pour représen-
d’enseigner, d’apprendre et d’évaluer (200). ter des relations logico-mathématiques.

10 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


À Votre tour

À Votre tour

Résultats et interprétation Les activités, dans le cadre de la réalisation


du mémoire professionnel, sont ambitieuses.
Le dispositif de lecture ayant fait l’objet d’une
Néanmoins, cela en vaut la peine. Il est satis-
recherche-action, des données ont été cumu-
faisant de constater le contraste entre les ac-
lées à partir des résultats de 11 témoins choi-
tivités réalisées avec ce roman par rapport aux
sis sur la base de leurs faibles résultats en lec-
autres romans étudiés. La manière d’aborder
ture. Lors de l’autoévaluation, un bon nombre
en classe le roman, Les sirènes de Bagdad, dimi-
d’élèves (45 %) ont dit éprouver le sentiment
nue l’ampleur de la tâche interprétative tout
de mieux connaitre le sujet de la guerre et
en favorisant les discussions et en suscitant
du terrorisme après la lecture du roman. Les
des rélexions enrichissantes et variées. Étant
autres ont mentionné être partiellement en
donné la technique de dévoilement progressif,
accord avec la même airmation. il est possible de prévenir des problèmes de
La moitié des répondantes considère avoir compréhension, de les rectiier et, ainsi, d’as-
appris de nouvelles stratégies de lecture (pré- surer une meilleure compréhension. Compte
diction, réajustement, validation, signet de tenu des diférentes activités, l’enseignante
lecture, etc.) alors que l’autre moitié estime peut vériier plusieurs facettes liées à une tâ-
ne pas en avoir appris de nouvelles. Plus de la che de lecture, que ce soit la compréhension,
majorité des participants (55 %) dit avoir ap- l’interprétation, les réactions ou l’appréciation
précié davantage la lecture grâce aux activités du texte des élèves, et ce, à plusieurs reprises.
entourant le roman. En terminant, la démarche stratégique en
Le même pourcentage de participants croit lecture expérimentée au cours de cette re-
avoir mieux réussi aux examens reliés au ro- cherche-action constitue une manière parmi
man grâce aux ateliers. Au départ, l’accom- d’autres d’accompagner les élèves dans leur
pagnement avant, pendant et après la lecture tâche. À la lumière des résultats, le dispositif
devait permettre aux élèves de consolider leurs didactique mis en place a permis de dévelop-
compétences en lecture : compréhension, in- per certaines stratégies de lecture en lien avec
terprétation, jugement critique et fondé, réac- la compétence lire et apprécier des textes variés.
tion. Selon les réponses, plus de 80 % des té- Les élèves, selon leurs types d’intelligences et
moins jugent mieux comprendre le roman et leurs intérêts, ont bénéicié de la diférencia-
les sujets abordés grâce aux activités d’accom- tion pédagogique; la division de la tâche et
pagnement. les activités d’accompagnement semblent les
avoir aidées à mieux comprendre, interpréter,
Les diférentes activités d’accompagnement juger et réagir au texte. C’est donc une voie à
de la lecture ont contribué à valider et à ajuster privilégier lors de l’enseignement de la lecture
les interprétations des élèves, ainsi qu’à conso- d’un roman ou de tout autre texte demandant
lider leur compréhension du roman. Tous les le même genre de rélexion, d’interprétation et
résultats semblent montrer une augmentation d’appréciation
de la compréhension et de l’interprétation.
Pour ce qui est de la réaction et du jugement * Bachelière en enseignement de la langue
critique et fondé, les élèves estiment qu’elles se française au secondaire et étudiante à la
sont senties beaucoup plus interpelées grâce maitrise en sciences de l’éducation à l’Uni-
aux nombreuses discussions. versité de Sherbrooke

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 11


À Votre tour

À Votre tour
À
Les mots, la pensée et les
débuts à l’école
Julie Mélançon*
Hélène Ziarko**

Une « théorie de l’esprit » pour témoigner


de la réalité du lien entre le langage et la
pensée

L
a pensée distingue l’humain des
autres animaux et lui permet « d’en-
trer en contact avec autrui, de pré-
voir ce qui va se passer, de décider
d’une action en fonction de ce que l’on a vécu,
etc. » (Auroux, Deschamps & Kouloughli,
2004, p.205). La pensée n’est pas qu’un conte-
nu, une représentation ; elle est aussi une ac-
tivité en elle-même (je me représente quelque
chose). Par ailleurs, l’humain est aussi doté de
la capacité de langage correspondant à un dé- permet l’établissement de rapports logiques
veloppement potentiel – parce que soumis à entre eux (Vygotski, 1934/199). Lui-même
des conditions favorables notamment contex- actif chercheur en éducation, Vygotski conti-
tuelles – de la communication et de la repré- nue ainsi d’inspirer la rélexion sur le dévelop-
sentation (Auroux, et al., 2004). pement de l’enfant dans diférents horizons de
Diférentes voies de recherche ont examiné l’éducation et de la psychologie.
le rapport existant entre le développement Depuis les années 1980, certains travaux en
du langage et celui de la pensée (Doyon & psychologie développementale ont considéré
Fisher, 2010). Notamment, le modèle histo- la façon dont l’enfant comprend le monde de
rico-culturel proposé par Vygotski accorde un la pensée. Par l’étude du développement d’une
rôle particulièrement prépondérant au langage « théorie de l’esprit » (theory of mind), on a
dans la formation de la pensée. « La pensée de mis en évidence que, entre 3 et 6 ans, l’enfant
l’enfant apparait initialement comme un tout commence à développer la capacité d’attri-
vague et indiférencié (…) [mais, en] se trans- buer à lui-même et à autrui des états mentaux,
formant en langage, la pensée se réorganise comme des désirs, des pensées, des croyances,
et se modiie » (Vygotski, 1934/199, p.430- des connaissances, c’est-à-dire des représen-
431). Dans leur essence même, les signes du tations. Les expériences sociales de l’enfant
langage sont porteurs de représentations et, conjuguées à son développement cognitif le
de ce fait, constituent un outil privilégié d’ap- conduisent progressivement à se construire
propriation culturelle. Outil de signiication, ce que l’on peut appeler une théorie, certes
le langage contribue aux opérations de pensée naïve, sur le fonctionnement de la pensée : il
comme la déinition, la comparaison et la dif- comprend que les êtres humains ont des re-
férenciation de concepts, en même temps qu’il présentations, correspondant à des croyances,

12 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


À Votre tour

À Votre tour

des désirs et que ces états mentaux guident les développement de l’enfant éclaire sa compré-
comportements et les attitudes des gens. hension du monde au travers de sa prise de
conscience de la pensée, la sienne et celle des
Graduellement, cette théorie de l’esprit mise à
autres, prise de conscience nécessaire à son
l’épreuve de l’expérience le conduit à compren-
développement social et cognitif. L’exemple
dre que les croyances peuvent être diférentes
de la tâche rapporté ci-dessus illustre bien le
d’un individu à un autre, voire qu’elles peuvent
rôle essentiel du langage dans le développe-
être fausses, c’est-à-dire diférentes de la réa-
ment de la pensée et de nombreux travaux ont
lité. Diférentes tâches ont été conçues dans le
pu le démontrer.(Astington & Baird, 2005).
but de mettre l’enfant en situation de produire
une réponse illustrant comment sa théorie de
l’esprit lui permettait de comprendre le pro-
Qu’en est-il de quoi ? (du développement
blème posé. Ainsi, une tâche classique (Wim- de la pensée) au moment de l’entrée à
mer & Perner, 1983) utilisée pour évaluer le l’école?
niveau de développement d’une théorie de Nos travaux (Mélançon, 2005) nous ont ame-
l’esprit propose l’histoire suivante : nées à constater que le développement d’une
Un enfant, Maxi, a un chocolat qu’il dépose théorie de l’esprit se poursuit au-delà de la pé-
dans un contenant A. En l’absence de Maxi, riode préscolaire. Les résultats que nous avons
sa mère déplace le chocolat dans un contenant obtenus ont montré que la majorité des en-
B. Au retour de Maxi, on le questionne : «Est- fants, à la in de la maternelle, ont construit
ce que Maxi sait où est le chocolat pour vrai? une théorie de l’esprit qui leur permet assez
Où est-ce que Maxi pense que se trouve son bien d’attribuer des états mentaux comme
chocolat? Dans quel contenant Maxi va-t-il l’ignorance et la fausse croyance, et de com-
regarder pour chercher son chocolat? Pour- prendre que ce sont ces états mentaux qui dé-
quoi?» Cette tâche évalue ainsi la capacité de terminent les comportements des individus.
l’enfant à attribuer une ignorance et une fausse Toutefois, ces résultats s’observent surtout
croyance à Maxi à travers un questionnement dans les tâches les plus simples, lorsque les
qui envisage diférents états mentaux (savoir, enfants sont eux-mêmes témoins du change-
penser), ainsi que la capacité de l’enfant à infé- ment de localisation du chocolat, par exemple.
rer une action sur la base des états mentaux du Ces capacités augmentent de façon signiica-
personnage. Dans d’autres tâches, plus com- tive à la in de la 1re année du primaire, où l’on
plexes, il est proposé à l’enfant d’attribuer des observe alors une plus grande habileté des élè-
états mentaux à deux personnages X et Y dans ves à traiter les verbes d’états mentaux comme
une formulation emboitée du type « Qu’est-ce penser et savoir, et à les utiliser de façon expli-
que X pense que Y pense?». cite dans des justiications pour expliquer les
actions du protagoniste de l’histoire (« Elle va
Encore peu connu dans le monde de l’édu- aller chercher son chocolat ici parce qu’elle ne
cation (Mélançon & Ziarko, soumis), le do- sait pas que sa mère l’a changé de place »). En
maine d’études consacré au développement 1re année, les élèves démontrent aussi une ca-
de la théorie de l’esprit apparait néanmoins pacité grandissante à traiter des états mentaux
indispensable pour comprendre l’adaptation emboités du type « X pense que Y pense »
psychosociale de l’enfant; ce développement (certains enfants se révèlent même capables
se révèle aussi être un précurseur de la méta- de dire « Picot ne sait pas que Rosalie sait où
cognition (Flavell, 199) et a pu être consi- est le vendeur de crème glacée »), cette capa-
déré comme un facteur indispensable à la cité traduisant une augmentation du contrôle
réussite scolaire (Larzul, 2010). Cet aspect du que l’enfant peut exercer sur des représenta-

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 13


À Votre tour

À Votre tour

tions diférentes qu’il réussit à faire cohabiter savoir, penser, croire, se souvenir, l’enseignant
et à mobiliser simultanément au service du aide l’élève à prendre conscience de ses acti-
traitement de cette situation complexe. vités mentales et de leur adéquation avec les
comportements qu’il produit ou qu’il est en
Par ailleurs, nos résultats ont démontré que
mesure d’observer.
les élèves qui montrent un bon niveau de
développement d’une théorie de l’esprit sont Le langage au service de la médiation so-
aussi ceux qui réussissent le mieux des tâches ciale vécue au quotidien contribue ainsi à la
de mémorisation, de déinition de mots, de construction d’une théorie de l’esprit, d’une
narration, d’un vocabulaire varié et précis, et compréhension du monde, de la pensée.
aussi de tâches de conscience morphologique Les causeries, les situations de résolution de
et syntaxique (par exemple, juger et corriger conlits, comme toutes les interactions dialo-
des phrases agrammaticales). Certains liens giques sont des occasions fertiles pour mettre
ont pu aussi être observés avec des tâches de en mots la pensée de chaque enfant et permet-
littératie précoce à la maternelle, de décodage tre à celle-ci de se préciser, de se développer,
et de compréhension en 1re année. d’exister. Le souci de dire au mieux ce que l’on
pense pour l’autre et, en cela, de rendre la pen-
Il nous apparait donc que l’enfant de 6 ou 
sée « visible » pour soi, ne nécessite pas que
ans a accès à des représentations langagières
soit déployé un programme d’intervention ou
et cognitives qui évoluent et se transforment,
de stimulation. L’enseignant, de sa propre ini-
pour devenir de plus en plus précises et expli-
tiative, à tout moment, peut porter attention
cites. Ce faisant, ces représentations lui per-
aux mots qu’il utilise et avoir le souci de ren-
mettent de commencer à manipuler en pensée
dre transparents ses processus de pensée : « Je
tant l’objet langue -à travers les compétences
croyais que, mais je ne savais pas que… ». L’ex-
métalinguistiques-, que les états mentaux -
position à ce langage métacognitif et la discus-
l’objet de cette manipulation en pensée étant
sion qui pourrait s’instaurer entre croire que et
alors des représentations.
savoir que et sur l’importance de ne pas utiliser
un mot pour l’autre (Quand peut-on dire : « je
L’enseignant joue un rôle primordial dans
pense que…? » et quand peut-on dire : « je
le développement du langage de l’enfant sais que…?) permettent aux enfants de pré-
Les interactions sociales vécues au quotidien ciser leur compréhension des états mentaux.
par le biais du langage, instrument de média- Elle enrichit leur propre lexique le traduisant,
tion sociale et culturelle par excellence, per- en production comme en compréhension, dès
mettent à l’enfant d’avoir accès au monde des l’âge préscolaire (Peskin & Astington, 2004),
croyances et de l’esprit, et assurent la construc- mais aussi tout au long du primaire (Asting-
tion de sa pensée (Bruner, 1996; Nelson, 1996). ton & Olson 1990).
À l’école, dans ses interactions multiples avec
Des questionnements judicieux peuvent
l’élève, l’enseignant est un agent médiateur dé-
conduire les activités mentales à devenir objet
terminant dans l’émergence de la conscience
de rélexion : « Souviens-toi… », « Comment
du monde et de l’élaboration de la pensée de
as-tu fait…? », « Est-ce que tu sais que… ou
l’enfant. En mettant en mots des représen-
tu penses que…? », « Comment sais-tu ça? »,
tations au quotidien, en utilisant des termes
« Camille, elle, croit que… »
justes pour rendre compte de façon explicite
des expériences vécues, en utilisant des verbes De plus, l’exposition à la littérature jeunes-
précis pour traduire des états mentaux comme se, médiatisée par un adulte, est une source

14 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


À Votre tour

À Votre tour

inépuisable d’enrichissement de la théorie sions multiples d’assumer ce rôle, mais c’en


de l’esprit chez l’enfant (Symons, Peterson, est une, importante, de soutenir l’émergence
Slaughter, Roche & Doyle, 2005). Par exem- d’une pensée métacognitive si fondamentale
ple, des contes comme Le petit chaperon rouge dans l’apprentissage scolaire.
présentent des situations de fausse croyance:
* Julie Mélançon
la petite ille croit (injustement) que le per-
Professeure en développement de l’enfant
sonnage dans son lit est sa grand-mère, parce
Université du Québec à Rimouski, campus
qu’elle ne sait pas que le loup est arrivé avant
de Lévis
elle, parce qu’elle n’a pas vu le loup manger la
[email protected]
grand-mère. L’exposition à de telles situations
ictives et le questionnement, la discussion qui ** Hélène Ziarko
peuvent s’en suivre, peuvent conduire à enri- Professeure retraitée
chir la théorie de l’esprit de l’enfant puisqu’elle Département d’études sur l’enseignement
fournit un contexte riche pour reconnaitre et l’apprentissage
les états mentaux, et ainsi rendre plus expli- Université Laval
cite la relation entre les croyances, les désirs et
les comportements/actions des protagonistes Bibliographie
(Cassidy, Ball, Rourke, Werner, Feeny, Chu, Astington, J.W. & Edward, M.J. (2010). Le
Lutz & Perkins, 1998). En outre, l’utilisation développement de la théorie de l’esprit chez
de tels contes peut aussi donner lieu à des les jeunes enfants. Dans Tremblay, R.E., Marr,
jeux de rôles où, en jouant diférents person- R.G., Peters, R.deV. & Boivin, M. (Eds.).
nages, l’enfant est confronté à des situations Enclyclopédie sur le développement des jeunes
qui l’amènent à varier et donc, à discriminer, enfants [sur internet]. Montréal, Québec :
diférents états mentaux, cela favorisant leur Centre d’excellence pour le développement
prise de conscience de plus en plus explicite. des jeunes enfants, pp.1 à . Disponible sur le
site : http://www.enfant-encyclopedie.com/
Il a été montré que les élèves dont la théorie documents/Astington-EdwardFRxp.pdf.
de l’esprit est plus développée sont aussi de
Astington, J. W. & Baird, J. (Eds.) (2005). Why
meilleurs communicateurs, davantage capa- language matters for theory of mind. Oxford:
bles de résoudre des conlits et sont plus com- Oxford University Press.
pétents socialement (Astington & Edward,
2010). Astington, J. W. & Olson, D. R. (1990). Metaco-
gnitive and metalinguistic language: learning
Un des enjeux de l’école est de conduire l’en- to talk about thought. Applied Psychology: An
fant à s’intégrer à une « communauté lettrée » International Review, 39, 1, -8.
(literate world, Olson, 1994), mais aussi à une Auroux, S., Deschamps, J., & Kouloughli, D.
« communauté d’esprit » (community of mind, (2004) La philosophie du langage. Paris: QUA-
Nelson, 2005), caractéristique d’une culture DRIGE / PUF
partagée. L’enseignant doit être conscient
Bruner, J. (1996). Frames for thinking: ways of
de l’importance de la médiation langagière making meaning. In D. R. Olson & N. Tor-
qu’il exerce et de son rôle dans la construc- rance (Eds.), Modes of thought: Explorations on
tion de la pensée de l’enfant, cela dès l’entrée culture and cognition (pp. 93-105). New York:
à l’école… et à tout âge! L’utilisation juste et Cambridge University Press.
appropriée de verbes d’états mentaux comme
savoir, penser, croire n’est que l’une des occa-

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 15


À Votre tour

À Votre tour

Cassidy, K.W, Ball, L.V., Rourke, M.T., Werner, Peskin, J. & Astington, J.W. (2004). he efects of
R.S., Feeny, N., Chu, J.Y., Lutz, D.J., Perkins, adding metacognitive language to story texts.
A. (1998). heory of mind concepts in chil- Cognitive development, 19, 253-23.
dren’s literature. Applied psycholinguistics, 19,
Symons, D.K., Peterson, C.C., Slaughter, V., Ro-
463-40.
che, J., Doyle, E. (2005). heory of mind and
Doyon, D. & Fisher, C. (2010). Langage et pensée à mental state discourse during book reading
la maternelle, Québec, Éditions PUQ. and story-telling tasks. British journal of de-
velopmental psychology, 23, 81-102.
Flavell, J. H. (199). Recent convergences between
metacognitive and theory-of-mind research in Vygotski, L. S. (1934/199). Pensée et langage. Pa-
children. Communication présentée au sym- ris: La Dispute/ SNÉDIT
posium Constructing metacognitive knowledge
Wimmer, H. & Perner, J. (1983). Beliefs about
au biennial meetings of the Society for Research in
beliefs: Representation and constraining func-
Child Development. Washington DC, 6 avril.
tion of wrong beliefs in young children’s un-
Larzul, S.F. (2011). Le rôle du développement des derstanding of deception. Cognition, 13, 103-
théories de l’esprit dans l’adaptation sociale et la 128.
réussite à l’école des enfants de 4 à 6 ans. hèse
de doctorat inédite, Université de Rennes 2, Lectures suggérées
France.
Astington, J.W. & Edward, M.J. (2010). Le dé-
Mélançon, J. & Ziarko, H. (soumis). Les relations veloppement de la théorie de l’esprit chez les
entre théorie de l’esprit, maitrise langagière jeunes enfants. Dans Tremblay, R.E., Marr,
et habiletés métalinguistiques au moment de R.G., Peters, R.deV. & Boivin, M. (Eds.).
l’entrée à l’école, Revue des sciences de l’éduca- Enclyclopédie sur le développement des jeu-
tion. nes enfants [sur internet]. Montréal, Québec :
Mélançon, J. (2005). héorie de l’esprit, habiletés Centre d’excellence pour le développement
langagières et acquisition de la littératie, de la des jeunes enfants, pp.1 à . Disponible sur le
maternelle à la 1re année du primaire. hèse de site : http://www.enfant-encyclopedie.com/
doctorat inédite, Université Laval, Québec, documents/Astington-EdwardFRxp.pdf.
Québec. Doyon, D. & Fisher, C. (2010). Langage et pensée à
Nelson, K. (2005). Language pathways into the la maternelle, Québec, Éditions PUQ.
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Baird (Eds.), Why language matters for theory of
mind. Oxford: Oxford University Press.
Nelson, K. (1996). Language in cognitive develo-
pment: Emergence of the mediated mind. New
York: Cambridge University Press.
Olson, D.R. (1994). he world on paper: he concep-
tual and cognitive implications of writing and
reading. Cambridge: Cambridge University
Press.

16 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


À Votre tour

À Votre tour

Une journée dans la


vie d’une stagiaire en
enseignement du français
au Burkina Faso J’ai dix-sept élèves, dix garçons et sept illes,
qui ont entre cinq et sept ans. Ils sont de ni-
Alexie Miquelon* veau CP1, selon le modèle français. Dans cet

J
équivalent de la première année d’ici, ils ap-
’ ai efectué un cinquième stage prennent l’alphabet, les bases de la lecture, de
optionnel au Burkina Faso dans le cadre l’écriture et du calcul. Mes élèves utilisent une
de mon baccalauréat en enseignement langue burkinabée comme langue maternelle,
du français au secondaire à l’UQAM. et pas tous la même. Le CP1 est d’ailleurs un
L’école où j’ai enseigné le français durant lieu de francisation. Le français étant la lan-
neuf semaines est une école de brousse pri- gue oicielle du Burkina Faso, la scolarisation
maire privée, dont les enfants sont parrainés est une clé importante de l’inclusion sociale et
par un organisme canadien. de l’implication citoyenne.

Il est 5h30. J’ai programmé une alarme sur Il est 9h. Chaque journée commence par une
mon téléphone cellulaire burkinabé pour me période de français de quelques heures. Nous
réveiller, mais j’aurais pu compter sur les bruits suivons le programme Lire au Burkina, dont
du quartier qui s’anime et les cris des ânes du les activités s’appuient sur l’approche syllabi-
voisin. Je rejoins mes deux collègues dans le que. Après quelques activités de reconnais-
salon. Nous sommes reçues pour neuf semai- sance d’une lettre donnée, les enfants lisent à
nes dans l’une des deux chambres de la mai- tour de rôle à haute voix un texte dans lequel
son d’une famille de cinq. Nous mangeons du cette lettre est à l’honneur : « La jolie jupe de
pain et buvons du thé noir avant d’enfourcher Julie », « Le képi kaki de Khalifa ». Les en-
nos vélos achetés au marché le jour de notre fants apprennent ensuite l’écriture cursive; ils
arrivée. L’école où nous travaillons bénévole- s’exercent sur leur ardoise individuelle. Ils sont
ment est une école de brousse primaire privée, attentifs, calmes et polis, bien que certains
dont les enfants sont parrainés par un orga- aient de la diiculté à se concentrer à cause de
nisme canadien. Elle se trouve à une vingtaine la faim ou de symptômes de paludisme.
de minutes de vélo de chez nous. Il est 12h. La chaleur devient trop écrasante
Comme tous les matins, à notre arrivée sur et l’école ferme pour trois heures. Les enfants
le terrain de l’école, la centaine d’enfants qui demeurent à l’école où on leur sert chaque
fréquente l’établissement court à notre ren- midi du riz avec des fèves et de l’huile. Je ren-
contre et nous fait la haie jusque sous l’arbre à tre dans la famille qui m’accueille pour diner :
karité où nous laissons nos vélos pour la jour- généralement du riz à la pâte de tomate et une
née. Il est h. Le directeur de l’école annonce mangue à partager avec mes collègues. Après
le début des classes d’un coup de silet. Les une douche au sceau d’eau et une sieste d’une
enfants rejoignent en courant l’une des quatre heure, nous repartons à l’école pour l’après-
classes de l’école. midi.

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 17


À Votre tour

À Votre tour

Il est 15h. J’assiste au cours de mathématiques Un stage dans un autre pays, et à plus forte
de mes petits, donné par leur enseignant habi- raison un pays non-occidental est, selon moi,
tuel. Vers 16h, je reprends la charge du groupe un apport considérable dans une formation à
et proite de la dernière heure de la journée l’enseignement. Le contact avec mes collègues
pour sortir avec eux devant notre classe, où burkinabés, nos discussions sur les pratiques
nous lisons des livres d’histoires. enseignantes et surtout le temps passé en
classe avec mes petits élèves m’ont fait rélé-
Il est 1h. Le soleil commence à descendre
chir sur l’importance de l’égalité des chances.
et l’école n’a pas l’électricité. Les enfants re-
Mes deux mois au Burkina Faso ont conirmé
prennent le chemin de la maison en rigolant,
ma passion pour l’éducation, dont je connais
à pied ou à deux ou trois sur un vélo. Tout re-
mieux que jamais l’importance.
commence demain.
* Étudiante à la maitrise en didactique des
langues (français langue d’enseignement) à
l’UQAM.

18 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


À Votre tour

À Votre tour

Qu’est-ce qu’une méthode,


une approche,
une technique ?

Quelques résultats sur leur compréhension


et son importance

Geneviève Messier *

E
n décembre 2010, dans le cadre
des recherches de notre thèse,
nous avons invité les membres de
l’AQPF à répondre à un question- formule, méthode, modèle, procédé, procédure, stra-
naire en ligne à propos des perceptions qu’ont tégie, technique. Le MELS, lors d’une consul-
les praticiens de la nature des méthodes en tation en 200 à propos du renouvèlement
éducation et de leur importance. L’idée de de la pratique enseignante (MELS, 200),
créer ce questionnaire est venue du fait que, et certains auteurs en éducation entre autres
outre notre problématique de recherche qui par Develay, 1998; Goupil et Lusignan, 1993;
nous indiquait que les termes que l’on emploie Guay, 1996; Meirieu, 2005; Sauvé, 1992; Vial,
pour parler des méthodes en éducation sont 1982), ont démontré que la compréhension
confus, nous nous interrogeons sur ce qu’en- des praticiens à propos de ces concepts était
tendent les praticiens en éducation à propos loue.
des termes approche, démarche, formule, métho-
de, modèle, procédé, pratique, procédure, stratégie, L’analyse des résultats de ces questions nous
technique, mais nous nous attardons également a conduits à airmer que pour plusieurs des
sur l’importance que les enseignants accordent répondants, il est diicile de distinguer le sens
à la compréhension de ces concepts pour le de ces concepts ou de conirmer les liens sé-
développement de leur pratique pédagogique. mantiques qui les unissent. En efet, autant
Vous avez été près de deux-cent-cinquante à les résultats quantitatifs que les commentaires
répondre à notre invitation. Nous souhaitons qualitatifs nous révèlent une méconnaissance
donc vous faire part de quelques résultats que ou une incompréhension des termes suggé-
nous avons eus à la suite de l’analyse des don- rés, termes qui sont généralement employés
nées de notre enquête. pour qualiier les méthodes en éducation. Par
exemple, pour plus de 60 % des répondants,
À propos de la compréhension l’attribution d’un terme pour catégoriser une
des praticiens sur les termes relatifs pratique particulière (par exemple, la pédago-
gie de projet est-elle une méthode, une appro-
aux méthodes
che, une technique, etc.) ne va pas de soi. Aussi,
Nous avons posé trois questions ain de saisir lorsque nous avons demandé de proposer,
la compréhension que possèdent les praticiens pour un concept donné, un synonyme (par
en éducation à propos des termes évoqués exemple, est-ce que méthode est synonyme de
précédemment, c’est-à-dire approche, démarche, technique?), la grande majorité des répondants

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 19


À Votre tour

À Votre tour

se sont abstenus de répondre, abstentions que totalement d’accord et 24 % d’accord, alors


nous avons interprétées comme une mécon- que seulement 19 % des répondants n’y voient
naissance du sens des concepts, une hésitation aucune nécessité.
entre plusieurs réponses ou une inquiétude
Plusieurs raisons sont évoquées par les ré-
quant à la bonne réponse à donner. Les com-
pondants pour justiier ce besoin de clariier
mentaires recueillis à ces questions illustrent
ces concepts. Quelques réponses illustrent les
bien ces résultats :
principales raisons qui ressortent de l’analyse
« À la lumière de cet exercice de clariica- qualitative des réponses, soit le besoin, comme
tion des expressions utilisées en éducation, je professionnel en éducation, d’être reconnu, et
constate qu’il y a un lou qui perdure lorsque que l’éducation soit légitime comme discipline
vient le moment de les nommer. C’est inquié- (pour près de 40 % des répondants).
tant puisque nous sommes supposés connaitre
« La communication au sein d’un groupe
le vocabulaire de notre domaine de spécia-
d’individus experts fait la force de ce groupe.
lisation. Ce constat suppose qu’il est crucial
Lorsqu’on ne se comprend pas et qu’il faut
de clariier ces concepts pour une meilleure
sans cesse redéinir les termes, on évite tout
compréhension de la pratique enseignante.
simplement le discours et on n’a aucun lan-
J’en retire une dernière interrogation. S’agit-il
gage commun. » (63)
uniquement d’un lou conceptuel ou d’un lou
interprétatif de la part des acteurs en ensei- « J’estime qu’il est important de pouvoir ex-
gnement...» (65) pliquer clairement les actions que l’enseignant
pose. Le fait d’être au clair avec la termino-
« Je ne connais pas la diférence entre tous
logie amène une certaine rigueur profession-
ces termes techniques - approche, méthode,
nelle dans le choix des actions, dans la com-
technique... Plusieurs sont pour moi des sy-
munication des actions. » (153)
nonymes. Certains servent à l’enseignement;
d’autres, à l’apprentissage. » (14) « Il n’est pas impossible d’enseigner sans dif-
férencier ces notions. Toutefois, nous nous
Concernant l’importance à accorder à une battons ain d’être reconnus comme des pro-
meilleure compréhension de ces termes fessionnels, il est étrange que nous ne connais-
dans notre discipline sions pas les bases de l’éducation. » (10)

Avec les dernières questions de l’enquête, nous Pour conclure


avons cherché à savoir s’il était important
pour les praticiens de disposer d’une meilleure À la lumière de ces résultats, il nous appa-
compréhension de ces termes en éducation. Il rait pertinent de proposer une clariication
était important pour nous d’entendre la voix conceptuelle menant à l’élaboration et à la
des acteurs du terrain à ce propos. validation d’un réseau conceptuel des termes
génériques propres aux méthodes en éduca-
Les résultats à une des questions de l’en- tion. Nous poursuivons donc notre recherche
quête, question qui portait précisément sur la doctorale en ce sens.
pertinence de se préoccuper de la confusion
sémantique des concepts énoncés précédem- Nous tenons d’ailleurs à remercier sincère-
ment, illustrent cette importance. Dans une ment tous les membres de l’AQPF et le
forte proportion, les répondants de l’enquête conseil d’administration de l’Association qui
ont répondu en grande majorité par l’airma- ont contribué à la mise en œuvre de cette en-
tive, c’est-à-dire que 56 % des répondants sont quête.

20 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


À Votre tour

À Votre tour

* Doctorante en éducation à l’UQAM Meirieu, P. (2005). Méthodes pédagogiques. Dans


Chargée de cours et superviseure P. Champy et C. Étévé (Dir.), Dictionnaire en-
(UQAM) cyclopédique de l’éducation et de la formation (3e
éd.) (p.630-635). Paris : Retz.
Références Québec. (200). Pour le renouvellement de la pra-
tique enseignante. Avis à la ministre de l’Édu-
Develay, M. (1998). Boire et déboires des mé-
cation, du Loisir et du Sport sur le Programme
thodes en pédagogie ou Comment penser
de formation de l’école québécoise, éducation prés-
l’impossible et nécessaire méthode? Dans M.
colaire, enseignement primaire et enseignement
Soëtard & C. Jamet (Éd.), Le pédagogue et la
secondaire. [Québec : Comité-conseil sur les
modernité à l’occasion du 250e anniversaire de la
programmes d’études].
naissance de Johann Heinrich Pestalozzi (1746-
1827) : Actes du Colloque d’Angers, 9-11 Juillet Sauvé, L. (1992). Éléments d’une théorie du design
1996. (pp. 121-135). Berne : P. Lang. pédagogique en éducation relative à l’environne-
ment : élaboration d’un supramodèle pédagogi-
Goupil, G. et Lusignan, G. (1993). Apprentissage
que. hèse de doctorat inédite, Université du
et enseignement en milieu scolaire. Boucherville :
Québec à Montréal.
Gaëtan Morin.
Vial, J. (1982). Histoire et actualité des méthodes pé-
Guay, M.-H. (1996). L’approche interdisciplinaire
dagogiques. Paris : Les Éditions ESF.
de l’enseignement du français langue maternelle
dans les classes du primaire au Québec : état de la
question, appréciation critique et voies de recher-
che. Mémoire de maîtrise inédit, Université du
Québec à Montréal.

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 21


Entrevue
Entrevue Entrevu
Entrevue avec
Marie-France Beaulac *

Lors du dernier congrès de l’AQPF, madame


Marie-France Beaulac a présenté un atelier
qui a suscité beaucoup d’intérêt. C’est une
confirmation qu’il y a encore des enseignants
passionnés d’ouvrir de nouvelles voies péda-
gogiques permettant même aux plus jeunes de
vivre des expériences scolaires stimulantes et
propres à développer certaines compétences
spécifiques qui leur serviront tout au long de
leur cheminement scolaire et social. Nous lui
avons posé quelques questions.
Pourriez-vous nous décrire brièvement votre contexte
scolaire ?
J’enseigne depuis 20 ans au cours desquels
j’ai surtout travaillé avec des élèves de 5e et 6e
années ; depuis cinq ans, j’interviens aussi en • utiliser l’équipement nécessaire pour la sai-
2e année. Je travaille à l’école St-Jacques de la sie d’images (appareil photo numérique et
Commission scolaire de l’Énergie, une école le transfert des ichiers) et de sons (enre-
«point de service», composée d’élèves éprouvant gistreuse numérique ou un logiciel gratuit
de grandes diicultés d’apprentissage et de Audacity, ce qui est assez facile d’utilisa-
comportement, et provenant d’un milieu où tion et ofre plusieurs possibilités, http://
l’indice de défavorisation est élevé. audacity.sourceforge.net/about/?lang=fr ).

Au congrès de l’AQPF, en novembre dernier, vous avez Bref, la clé de la réussite est d’avoir l’équipe-
intitulé votre atelier : Livre électronique au primaire, ment, de savoir organiser les tâches et d’ensei-
c’est facile ! Est-ce vraiment si facile? Expliquez-nous. gner les préalables nécessaires à la réalisation
du projet.
Bien sûr, mais pour mettre en œuvre ce projet
dynamique, des activités sont planiiées pour Ensuite, comme l’objet d’enseignement/ap-
développer les compétences suivantes : prentissage porte sur le récit, il est primordial
d’expliquer la structure narrative aux élèves.
• amener les élèves à apprivoiser l’ordina- Cet objet étant en lien direct avec le déve-
teur comme outil de travail avec Word et loppement des compétences en lecture et en
Powerpoint et ainsi connaitre les fonctions écriture tel que proposé dans la Progression des
principales (copier-coller, sauvegarder sur apprentissages au primaire. Après des lectures
l’ordinateur ou sur une clé USB, chercher aux enfants, le lien entre la lecture et l’écriture
une image sur Internet, etc.) ; s’est fait par l’utilisation du schéma que Brigitte
Dugas propose dans son ouvrage paru aux

22 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


Entrevue
Entrevue
ue Entrevue
éditions Chenelière Éducation : Le récit en 3D. Paint. Lors de l’apprentissage de la lecture et
De il en aiguille, les apprentissages évoluant, de l’écriture, l’élève peut écouter des histoires
les élèves ont choisi le thème, ont écrit leur à partir de ichiers audio. Comme l’enfant
récit et ont créé des décors avec le matériel en évolue dans l’exploration des technologies, il
classe ou apporté de la maison, et c’est ainsi a participé, lors d’un projet en sciences, à une
que sont érigés des châteaux, un zoo et qu’est visioconférence; il a procédé à des recherches
né un pirate. dans Internet sur divers sujets et il rédige la
Tous les éléments étaient en place pour créer, version déinitive de ses productions écrites
à partir d’un modèle de base sur Powerpoint, sur Word ain de les difuser. Il ne reste plus,
un livre où les pages écrites par les élèves se- pour enrichir cet éventail technologique, qu’à
raient illustrées de photos de ces décors mi- se procurer un tableau numérique interactif
nutieusement conçus. http://recit.csenergie. (TBI).
qc.ca/recit/spip.php?article248&lang=fr Comment les élèves réagissent-ils à l’utilisation de l’or-
Qu’est-ce qui vous a amené à vous lancer dans l’aven- dinateur en classe ? La majorité réussit-elle à bien s’en
ture numérique avec des petits ? servir ?
D’abord, ma formation en informatique sou- Pour plusieurs, l’ordinateur est un outil de
tient grandement cet intérêt pour ce média. travail diférent du traditionnel crayon, ce qui
augmente la motivation pour la rédaction de
Tout en partageant cette passion technologi- textes. Aussi, les autres élèves de l’école ali-
que, une triple mission me guidait : mentent cette motivation en demandant aux
• Permettre à mes élèves d’avoir accès à l’or- élèves de la maternelle de leur expliquer com-
dinateur et de réaliser que c’est un outil de ment ils ont conçu leur livre numérique, sans
travail pour eux aussi, car, pour plusieurs, oublier qu’ils les trouvent chanceux de se pro-
il est, soit réservé aux adultes ou utilisé mener avec une clé USB, de réaliser de beaux
pour des jeux. projets et d’utiliser mon appareil photo.
• Mettre les élèves en action, et surtout ac- Quelles sont les réactions des parents ?
croitre leur motivation pour l’écriture, et Y a-t-il de l’opposition de la part de certains?
ce, en ayant en tête de mobiliser les gar-
L’émerveillement va au-delà de l’école, il est
çons. D’ailleurs, cet outil technologique
aussi perceptible dans les familles impression-
se veut un puissant support à l’apprentis-
nées par le travail produit par les enfants.
sage.
• Développer l’estime de l’enfant par l’ac- Avez-vous d’autres projets informatiques que vous
complissement d’un travail difusé auprès aimeriez mettre en œuvre ? Lesquels?
des autres élèves (à la maternelle, entre Des idées fourmillent tout le temps dans ma
autres) et de leur famille. tête ! Il y a mille et un projets qui se bouscu-
Pourriez-vous nous donner quelques exemples d’utili- lent comme un cercle de lecture virtuel et la
création d’un ilm d’animation comme ce que
sation de l’ordinateur en classe avec vos élèves ?
l’on retrouve au festival international de Ri-
À la maternelle, le contact pour les élèves avec mouski. Doucement, les projets progresseront
l’ordinateur s’est fait avec Ovoo, un logiciel de et prendront forme, car les technologies sont
communication qui a permis d’éviter des dé- accessibles de plus en plus pour les plus petits
placements entre les locaux de classe. Puis, les au primaire.
arts permettent d’exploiter les dessins numé-
Merci!
riques sur des logiciels tels que Paint et Sumo

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 23


Rapport
Rapport
S’approprier la en 3e et la chanson engagée en 4e; et par un
contenu grammatical : la phrase subordonnée
Progression, relative (de la 1re à la 5e secondaire)2.

progressivement Le leitmotiv : la nécessité d’enseigner selon


une progression spiralaire et pour ce faire de se
concerter davantage par niveau, par cycle et par
école, étant plus solidaires les uns des autres. Le
Compte rendu de souhait : que les enseignants abordent moins
rencontres initiées par de contenus supericiellement chaque année
l’AQPF et travaillent certains contenus plus en pro-
fondeur que d’autres sachant qu’ils permettent
Suzanne-G. Chartrand * d’en fédérer plusieurs autres pour assurer des

C
apprentissages solides.
onstatant que le MELS n’avait pas
l’intention de mettre en place un De façon générale, on peut dire que les partici-
plan de formation pour les ensei- pants sont conscients de la nécessité d’une pro-
gnants ain de les aider à s’appro- gression pour l’enseignement du français, qu’ils
prier la Progression des apprentissages1, qui est avalisent les orientations du document, bien
pourtant un document « complément » au pro- que certains déplorent le trop grand nombre de
gramme, puisqu’il considère que cela incombe contenus prescrits. Tous, par contre, jugent la
à ses «partenaires » (les commissions scolaires facture du document rebutante, diicile d’accès
et les écoles), avec le soutien de l’AQPF, j’ai fait autant sur le web que sur le papier.
une petite tournée d’information-formation: Chose certaine, la plupart des enseignants
Québec en novembre 2011, Trois-Rivières en attendent des moments collectifs d’exploration
janvier, St-Jérôme, Montréal et Sherbrooke et d’appropriation du document dans le cadre
en février 2012. Environ 15 personnes ont de leur travail, mais craignent qu’ils n’arrivent
participé à ces rencontres : enseignants du se- pas ou que ces moments soient bien courts
condaire, étudiants en formation des maitres, et tardifs.
professeurs et chargés de cours des universités,
conseillers pédagogiques de français. Bonne nouvelle, toutefois, les membres du
comité d’élaboration de la Progression ren-
Les thèmes variés ont permis d’aborder la contreront des responsables du MELS pour
Progression de diférentes façons : les prin- apporter des correctifs mineurs et un nouveau
cipes sous-jacents à l’établissement de cette document devrait être disponible à la in de
Progression; l’illustration de la Progression par l’année scolaire, en espérant qu’il soit plus
un mode de discours, la description; par trois convivial. À suivre, donc.
genres : l’appréciation d’œuvres littéraires en 2e
secondaire, l’article de vulgarisation scientiique * Didacticienne du français, membre du
comité d’élaboration de la Progression des
1 Cette expression utilisée pour la progression apprentissages (MELS, 2011)
dans toutes les disciplines est inadaptée, car
on ne peut établir et encore moins prescrire
une progression des apprentissages qui de- 2 Tous les diaporamas de ces rencontres ainsi
meurent sous la responsabilité des apprenants. qu’un ilm sont disponibles sur le Portail pour
Par contre, on peut répartir des contenus d’en- l’enseignement du français (www.enseignemen-
seignement; l’expression Progression des conte- tdufrancais.fse.ulaval.ca) à l’onglet Progres-
nus à enseigner aurait été plus juste. sion et sur le site de l’AQPF.

24 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


Opinion
Opinion Opinion
Opinion Godelieve De Koninck*
Isabelle Péladeau**

Des ajustements au
programme de lecture ?
Pour qui ? Pourquoi ?
Ou…Il était une fois une forêt,
des arbres, des branches, des
feuilles, etc.

Q
uand vous allez vous promener en forêt, consiste à des ajustements au programme de
sur quoi s’attarde en tout premier lieu français du préscolaire et du primaire. Or,
votre regard? N’est-ce pas sur les arbres, à la lecture des documents produits par les
leurs branches aux formes diverses syndicats1, l’enseignement de la lecture devrait
puis, sur leurs feuilles de couleur, de texture et d’abord porter sur le décodage avant de porter
de grandeur diverses? C’est ensuite que vous sur la compréhension, il s’articulerait de façon
allez observer de plus près un des aspects qui mécanique de la lettre, au son, à la syllabe, au
vous fascinent et dont vous voulez découvrir mot, ensuite aux phrases et inalement au texte,
les secrets. tout ceci échelonné du préscolaire à la in du 1er
Quand vous lisez, qu’est-ce qui attire votre cycle. Cette façon de voir est en contradiction
attention? N’est-pas le texte, cet ensemble de avec une approche équilibrée qui préconise un
phrases formées de mots, de syllabes et de let- apprentissage de la lecture qui se fasse d’abord
tres dont le son est plus ou moins doux, aigu, en contexte, à partir de textes signiiants qui
sec, joyeux, admiratif, etc. La lecture du texte servent de base aux apprentissages des élèves
prendra alors tout son sens et vous pourrez y tant sur le plan de la compréhension que sur
réagir, l’apprécier et l’intégrer dans vos connais- celui du décodage. Nous mettons en doute la
sances ou vos rêves. pertinence des ajustements proposés par le
MELS et du discours syndical au regard de
Cet automne, la Ministre de l’Éducation, du l’enseignement et de l’apprentissage de la lec-
Loisir et du Sport annonçait quatre mesures ture. C’est pourquoi nous apportons ici notre
visant l’amélioration de l’apprentissage de point de vue.
la lecture au préscolaire et au primaire. Ces
mesures sont le fruit d’une collaboration entre
la CSQ et le Ministère. Une de ces mesures 1 FSE- La dépêche, novembre 2011; Nouvelles
CSQ, été 2011

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 25


Opinion
Opinion
Opinion
L’enseignement langue d’enseignement. Anecdote intéressante :
et l’apprentissage de la lecture lors de nos lectures, nous avons découvert que
la méthode appelée traditionnelle proposée en
L’enseignement et l’apprentissage de la lecture « ajustements » par le Ministère en 2012 a été
font l’objet de façon régulière de recherches utilisée jusqu’au XVIIe siècle (Charmeux)5.
plus ou moins approfondies, de critiques quant Selon l’auteure, «On prévoyait alors quatre
à leur mise en œuvre et par rapport aux résultats années d’apprentissage : une pour les lettres, une
obtenus par les élèves. Ces résultats sont sou- pour les syllabes, une pour les mots et une, enin
vent interprétés selon l’objectif visé : faire l’éloge pour les phrases! Cet apprentissage aride était
d’un modèle d’enseignement de la lecture ou le considéré comme une bonne école du caractère…
démolir. En lecture, actuellement au Québec, Il y avait certainement d’autres raisons, comme
deux modèles s’opposent, le modèle d’ensei- par exemple de décourager ceux que l’on voulait
gnement par transmission de connaissances 2et voir abandonner… Savoir lire donne un pouvoir
le modèle simple de lecture tel que déini par inestimable qu’il ne faut pas mettre entre les mains
Jocelyne Giasson dans son dernier ouvrage3. Le de n’importe qui! »
modèle de l’enseignement par transmission des
connaissances conçoit la connaissance comme De plus, les résultats des élèves sont souvent
une entité statique, située en dehors de l’élève décriés dans les médias parce que dans notre
qui doit acquérir des connaissances qui lui société, il est normal de parler de ce qui est
sont transmises et enseignées par l’enseignant fautif ou déicient. Les médias sont avides de
selon un ordre précis, une étape après l’autre, nouvelles qui pourraient entrainer des tollés.
la tâche étant découpée en petites unités, l’ap- Les sempiternels reproches fusent : nos élèves
prentissage se réalise donc par associations et ne savent pas lire, les professeurs enseignent
répétitions. C’est le modèle préconisé par la mal, etc. Les gouvernements sont très sensi-
CSQ. Le modèle simple en lecture « considère bles aux critiques émises dans les médias et
que la compréhension en lecture est le fait de com- réagissent souvent de façon intempestive, sans
prendre à l’écrit ce que l’on comprend à l’oral »4. prendre le temps d’analyser le problème dans
Ceci nous amène à penser que deux éléments son ensemble, et adoptent souvent des mesu-
sont essentiels à la lecture : la compréhension res inappropriées. Les mesures annoncées cet
à l’oral et l’identiication de mots, un élément automne en sont un exemple. Elles font suite
propre à la langue écrite. La combinaison de à la publication d’un rapport du Conseil des
ces deux éléments est essentielle à la lecture ministres de l’Éducation du Canada (CMEC)
dont l’apprentissage ne peut se réduire, même dans lequel on observe une diminution de la
à ses débuts, à l’acquisition d’unités morcelées. performance des élèves québécois en lecture.
C’est ce modèle qui a inspiré en grande partie Suit alors l’annonce de ces mesures pour le
les concepteurs du programme de français, moins surprenantes pour ne pas dire incon-
grues puisqu’il n’est pas possible de les relier
2 Giasson Jocelyne, La lecture de la théorie à la à un modèle explicatif du processus de lecture
pratique, Gaëtan Morin éditeur, 1995, p. 21- qui relète les données de recherches récentes.
22 Plutôt, on propose un apprentissage mécanique
3 Giasson Jocelyne, La lecture / Apprentissage et partant de l’unité la plus petite. On oublie que
diicultés, Gaëtan Morin éditeur, Chenelière l’apprentissage de la langue est essentielle-
éducation, 2011, p. 5 à 
ment la maitrise d’un ensemble d’éléments sur
4 Giasson Jocelyne, La lecture / Apprentissage et
diicultés, Gaëtan Morin éditeur, Chenelière lesquels il faut travailler simultanément. Les
éducation, 2011, p. 5 5 Charmeux, Eveline, Apprendre à lire : Échec à
l’échec, Éditions Milan, 1998, p.14

26 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


Opinion
OpinionOpinion
ajustements proposés enlèvent à l’apprentissage Elle est donc insigniiante, travaillée isolément
de la lecture son caractère signiiant et rendent et demande à être rapidement intégrée dans
l’acte de lire immensément réducteur. un mot, puis dans une phrase et un texte. Pour
apprendre à lire, l’élève doit développer les ha-
Qu’est-ce qu’apprendre à lire? biletés à identiier les mots et les habiletés de
compréhension. Ces deux dimensions doivent
Pour avoir beaucoup travaillé sur l’apprentis-
être travaillées simultanément. Au fur et à
sage de la lecture dans les premières années du
mesure que le lecteur évolue, lorsqu’il a acquis
primaire, nous pouvons assurer qu’apprendre à
une bonne luidité en lecture, les habiletés
lire, c’est en premier lieu donner du sens à un
d’identiication de mots atteignent un certain
texte lu ou écouté, qui est composé de phra-
plafond, alors que les habiletés de compréhen-
ses, elles-mêmes formées de mots construits
sion continuent d’évoluer (Giasson, 2011).
de syllabes et de lettres. Il est certain que la
conscience phonologique, dont la capacité Lire est un phénomène merveilleux dans sa
d’associer les divers sons avec les lettres, les complexité et c’est sur cette complexité qu’il
syllabes et leurs diverses orthographes, joue faut travailler. Dit autrement, celui ou celle qui
un rôle dans la compréhension en lecture, mais apprend à lire doit considérer ce qui est devant
elle n’est pas unique et se fait parallèlement à lui ou elle comme un ensemble à découvrir.
la découverte des lettres, suivies des syllabes en
Une première étape consistera à saisir l’ensem-
intégrant celles-ci continuellement dans des
ble du texte (à l’aide d’images ou du contexte).
mots et des phrases.
Bien sûr, cet ensemble est composé d’entités
Giasson6, dans son dernier ouvrage, rappelle plus restreintes mais interdépendantes et il
que de nombreuses études montrent que la faut voir à ce que chacune d’entre elles soit
connaissance du nom des lettres a une grande bien maitrisée. Ainsi, dans la phrase : Simon,
valeur de prédiction en ce qui concerne la Marie et Isabelle sont des amis, quel mot l’enfant
réussite en lecture. Dans la connaissance des saisira-t-il en premier? Ce sera probablement
lettres, l’auteure souligne qu’il est important de «amis». Pourquoi? Parce qu’il est simple, facile
distinguer le nom du son de la lettre, en fait « le à décoder et signiiant. Rien n’est plus impor-
nom de la lettre sert à désigner la lettre dans toutes tant que les amis. Ensuite, il sera possible de
sortes de communications alors que le son sert à décomposer ce mot en syllabes, de reconnaitre
décoder les syllabes ». Par ailleurs, l’apprentissage les lettres et de comprendre les autres mots pour
du nom de la lettre aide les enfants à en appren- reconstituer l’ensemble du texte et réaliser que
dre le son, car « la très grande majorité des lettres lire, c’est comprendre un ensemble de mots,
contiennent le son de la lettre, soit au début, soit à de phrases.
la in du nom. ». La grande majorité des classes
Prétendre qu’il faut commencer la lecture par
maternelles commencent par l’enseignement du
un apprentissage systématique des lettres et
nom des lettres dans leurs activités quotidien-
de leurs sons pendant de longues semaines
nes. Cet enseignement se fait parallèlement
ne peut qu’engendrer ennui et désintérêt pour
à des activités de conscience phonologique à
des enfants qui, nous le savons, sont avides de
travers lesquelles est abordé le son de la lettre.
découvrir le texte dans son entité. Il est certain
En lecture, la lettre est toujours liée à d’autres
que certains d’entre eux éprouvant de graves
lettres pour construire une syllabe ou un mot.
diicultés d’apprentissage devront être soumis
à des exercices plus systématiques et fréquents,
6 Giasson, Jocelyne, La lecture- Apprentissage
et diicultés, Gaëtan Morin, 2011, 416 pages, mais ces derniers ne devraient jamais être
p. 2 - 3)

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 27


Opinion
Opinion
Opinion
privés de la lecture de textes complets en lien
avec le monde qui les entoure et les situations
Vouloir intervenir auprès des élèves en diiculté
d’apprentissage est louable, mais cela ne voudra
quotidiennes auxquelles ils sont confrontés. jamais dire de limiter leur accès quotidien à
des textes qui leur parlent, les font réagir et
Ce qui se fait actuellement surtout, attisent leur curiosité et leur désir de
maitriser la lecture.
Les mesures préconisées par le MÉLS font
aussi i de ce qui se fait, en grande partie, Il ne faut pas oublier que certains enfants ar-
présentement dans les écoles, publiques ou rivent à la maternelle en sachant déjà lire alors
privées, comme si les enseignants ne savaient que d’autres sont près d’y arriver. Que va-t-on
pas comment enseigner la lecture et ignoraient faire d’eux? Leur demander d’être patients?
les principes didactiques et pédagogiques sous- Plusieurs élèves arrivent à l’école maitrisant déjà
jacents à l’enseignement de l’acte de lire. plusieurs aspects de l’ordinateur, du Ipod ou du
Ipad, etc. Ils envoient déjà des courts messages
Tous les manuels scolaires approuvés par le
mots par texto. Or, ces mots sont porteurs de
ministère de l’Éducation proposent un che-
sens. Ils transmettent un message ! Ces courts
minement équilibré où les élèves ont de façon
messages peuvent devenir des instruments
systématique des lectures à faire, des exercices
pour faire saisir l’importance d’employer les
liés à ces lectures, travaillant l’un ou l’autre des
bons agencements de lettres, de syllabes, de
éléments selon leur pertinence. Ces manuels
mots. Les enfants sont très tôt mis en contact
prévoient des activités d’écriture (rapprochée
avec l’écrit. Il faut partir de leurs acquis et se
à la maternelle, plus encadrée en 1re année du
servir de leur environnement pour les initier à
premier cycle) qui souvent viennent soutenir
la lecture qu’il ne faut surtout pas réduire à un
les activités de lecture. Une progression, dans
apprentissage mécanique et décontextualisé.
la complexité des activités, est prévue, ajustée
et évaluée selon le rythme d’apprentissage des Lire, c’est s’approprier l’univers. Ne pas savoir
élèves. Qu’il y ait des ajustements à faire est lire, c’est ouvrir la porte à l’exploitation, à l’ennui,
monnaie courante, mais cela ne veut en aucune aux limites intellectuelles, sociales, familiales,
façon dire que tout doit être rejeté pour recom- etc. C’est pourquoi il est primordial que l’ensei-
mencer à neuf! gnement de l’acte de lire soit fait dans le plus
grand respect de ce qui ouvre la voie du succès à
Trop de recherches récentes confirment le
cette entreprise. Or, les mesures proposées vont
bien-fondé d’un enseignement qui sait prendre
à l’encontre du raisonnable, du réléchi et des
en considération l’avancement ou le piétine-
principes psychologiques et pédagogiques les
ment de l’un ou de l’autre élève, le contexte
plus élémentaires. Le retour à un balbutiement
particulier de la classe, l’environnement social
de lettres et de sons durant une période plus
(Giasson, 2011, Snow, 2002, Richard Allington
ou moins prolongée sans permettre aux tout-
et Patricia Cunningham, 200, 2011) et d’un
petits de gouter à des textes savoureux, adaptés,
enseignement qui s’appuie sur les recherches
créatifs est une aberration.
en développement du langage et des habiletés
intellectuelles lors de l’apprentissage de la lec- Nous espérons que très rapidement les pen-
ture (Giasson, 2011, Carole Fischer et Denise dules seront remis à l’heure et que le bon sens
Doyon, 2011). reprendra sa place.
* Orthopédagogue, didacticienne du fran-
Conclusion çais et auteure de matériel didactique
* * Directrice générale de l’AQPF, orthopé-
dagogue et auteure de matériel didactique

28 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


Ortographe
Orthographe
Bonne nouvelle!
Godelieve De Koninck
Coordonnatrice pour les Cahiers

L
’introduction de la nouvelle orthographe a créé bien des remous dans le milieu péda-
gogique comme dans le milieu en général. Peur du changement, désir de rester à une
orthographe cimentée dans le temps, bien des critiques ont fusé. Madame Contant est
l’artisane par excellence de cette implantation progressive et harmonieuse dans les écoles
et par voie de conséquence dans les familles et la société en général. Linguiste reconnue, elle a
participé à l’élaboration de dictionnaires et à celle du dictionnaire Antidote. Elle donne des for-
mations un peu partout dans la province. Elle nous fait le grand honneur de participer aux Cahiers
ayant accepté d’écrire une chronique pour chaque parution. Nous la remercions vivement.

Chronique orthographique l’Académie française. Les dictionnaires com-


merciaux et les grammaires scolaires suivent le
L’orthographe évolue mouvement : ils intègrent les nouvelles règles
et les graphies rectiiées.

VRAI OU FAUX :
1- La plus récente édition du Dictionnaire de
l’Académie française (9e édition) signale la
Chantal Contant* nouvelle orthographe.

L
2- Le Petit Larousse illustré 2012 donne, sous
es mots ont diverses origines, et chaque mot touché, la graphie rectiiée re-
leur orthographe évolue au il des commandée.
siècles : c’est un phénomène normal.
3- Le Bescherelle L’art de conjuguer inclut les
Ainsi, les gendarmes s’écrivait jadis
rectiications de l’orthographe dans ses
les gens d’armes ; le mot vinaigre vient de vin
tableaux de conjugaison et son index al-
aigre ; le nom coutume a connu une ancienne
phabétique.
forme coustume avec s ; le verbe coûter s’écri-
vait lui aussi avec s (couster) pendant plusieurs 4- Le correcteur du logiciel Word, de Mi-
siècles, et on peut l’écrire aujourd’hui couter, crosoft, accepte par défaut l’orthographe
sans accent, comme coutume. rectiiée et l’orthographe traditionnelle
depuis 200.
Les changements orthographiques sont pro- 5- Les élèves ont le droit de mélanger les
gressifs et sont généralement encadrés par deux orthographes dans un même texte
des instances francophones. Les rectiications sans être pénalisés.
orthographiques de 1990, appelés couramment
« la nouvelle orthographe », ont été recom- Tous ces énoncés sont vrais. L’orthographe
mandées par le Conseil supérieur de la langue moderne recommandée fait maintenant partie
française. Ce sont les seules modiications du quotidien et des ouvrages de référence.
oicielles reconnues depuis 1932, année de la * Linguiste, chargée de cours, UQAM
publication de la 8e édition du Dictionnaire de [[email protected]]
Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 29
Ateliers
Ateliers AteliersA
Ateliers de littérature 2012

Isabelle Péladeau*

Littérature et poésie

P
rendre le temps, lors d’une fin de Jacques Lecavalier, chercheur en éducation
semaine de printemps, pour parler de et enseignant de français au Collège de Val-
littérature dans un cadre enchanteur, leyield, est le gagnant du Prix innovation en
en pleine nature, voilà l’invitation que poésie. Il animera le stage Nelligan en plein cœur
vous lance l’AQPF. Cette année, les Ateliers de / Une approche afective de la poésie. M. Lecava-
littérature se dérouleront le samedi et le diman- lier partagera avec les participants la démarche
che 26 et 2 mai, dans les Laurentides, à l’Hôtel qu’il a entreprise avec ses étudiants pour leur
du Lac à Mont-Tremblant. La montagne, le lac, faire découvrir et aimer ce grand poète.
le ciel bleu de mai, c’est dans cet espace inspirant
Élise Turcotte a écrit de nombreux recueils
que les participants auront le plaisir d’échanger
de poèmes et plusieurs romans, récits et livres
autour du thème Littérature et poésie.
pour la jeunesse dont le journal poétique, Rose
Depuis cinq ans, l’AQPF organise cet évène- derrière le rideau de la folie, qui a remporté le
ment en collaboration avec l’Union des écrivains Prix littéraire du Gouverneur général en 2011.
du Québec (UNEQ). Les Ateliers de littérature Cette auteure entretiendra les participants des
comprennent deux volets : l’animation de stages raisons qui l’amènent à choisir d’écrire un récit
sur l’enseignement de la littérature d’une durée plutôt qu’un poème, des présupposés à l’écriture
de deux heures et demie chacun et la rencontre pour des adolescents et des adultes et de la
avec deux écrivains d’une durée d’une heure et vision du monde, particulière à la poésie.
demie chacune.
Patrick Lafontaine est professeur de littérature
Judith Émery-Bruneau, didacticienne du au Collège de Maisonneuve et adjoint édito-
français spécialisée dans l’enseignement et rial aux Éditions du Noroît. Ce poète a gagné
l’apprentissage de la littérature et professeure plusieurs prix dont le Prix Émile-Nelligan
au département des sciences de l’éducation de 199, pour son recueil L’Ambition du vide et le
l’Université du Québec en Outaouais présen- Prix Estuaire-Bistro Leméac 2011 pour son
tera le stage : Le slam : poésie hypermoderne ? au recueil Grève du zèle. Il donne comme titre à
cours duquel les participants se questionneront la rencontre qu’il vivra avec les participants La
sur le slam, sur la pertinence et l’intérêt de son mesure de la liberté. Il souhaite partager avec eux
enseignement pour travailler l’écriture créa- son expérience comme poète et enseignant.
tive, la lecture littéraire et l’expression orale. M. Lafontaine les entretiendra sur l’écriture
Ces derniers verront comment le slam permet poétique qui permet de découvrir des lieux de
d’amener les élèves à vivre une expérience de liberté de la langue. Il présentera comment,
création unique.

30 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


Atelier
Atelier Atelier
comme enseignant, dans un contexte d’initia-
tion à la poésie, on peut exploiter cet aspect
de la pratique en intéressant d’abord l’élève de
façon ludique à la poésie, mais aussi, et sur-
tout, en lui permettant de jouer avec les règles
linguistiques ain que celui-ci se réapproprie
une certaine liberté relativement aux mots.
Jacques Lecavalier
L’animateur proposera diverses idées d’ateliers
et quelques avenues à l’évaluation des textes
produits par les élèves.
Les Ateliers de littérature sont également
un moment de rencontres festives. Les par-
ticipants partagent les repas du samedi et du Judith Émery-Bruneau
dimanche midi. Ils prennent l’apéro ensemble
au moment du lancement du Prix des ensei-
gnants AQPF-ANEL 2012 et pourraient
devenir membres d’un des comités de lecture
au sein desquels sont sélectionnées les œuvres Patrick Lafontaine
primées. Le samedi en soirée, un banquet les
attend, l’atmosphère est à la fête, on laisse toute
la place à la poésie. Les participants peuvent
inviter les personnes qui les accompagnent
(famille, conjoint ou conjointe, ami ou amie)
à vivre la fête avec tous.
L’AQPF espère vous recevoir nombreux au Élise Turcotte
cours de cet évènement consacré à la poésie et
à son enseignement. Inscrivez-vous en ligne
sur le site de l’AQPF : www.aqpf.qc.ca
* Directrice générale de l’AQPF

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 31


Recension
Recension
Recension Julie-Christine Gagné*

Falardeau, É., & Simard, D.


(2011). La culture en classe
de français. Témoignages
d’enseignants. Québec :
Presses de L’Université Laval.

C
et ouvrage rédigé, par deux profes-
seurs-chercheurs de l’Université
Laval, Érick Falardeau et Denis
Simard, porte sur la formation
culturelle des élèves en classe de français. Il
s’adresse d’abord aux enseignants de français
du secondaire et aux enseignants en formation
initiale qui souhaitent se donner des outils
pratiques et théoriques pour mieux comprendre
et mettre en œuvre une approche culturelle de
l’enseignement en classe de français. Il devrait
également intéresser les formateurs et les cher-
cheurs en quête de données rigoureusement
analysées pour documenter et comprendre la
complexité des questions liées à une approche
culturelle de l’enseignement.
Dans le premier chapitre du livre, les auteurs
présentent de manière simple et synthétique le nous ofrent des témoignages authentiques
cadre théorique et la méthodologie sur lesquels et riches pour appréhender la complexité du
repose la recherche qu’ils ont menée auprès métier d’enseignant et de la tâche de « passeurs
d’enseignants de français au secondaire. Ils culturels ». Loin d’y voir autant de petits ma-
déinissent ainsi les notions de « culture » et de nuels de ce que devrait être un « bon prof », ces
« rapport à » et décrivent les trois dimensions témoignages permettent de mettre en lumière,
du rapport à la culture (subjective, épistémique de façon dynamique, différentes pratiques
et sociale) qui ont guidé l’analyse des discours d’enseignants qui tentent de placer au cœur
des enseignants. de leur enseignement la formation culturelle
de leurs élèves. L’écriture de style narratif de
Le second chapitre, consacré aux portraits
même que la grande place accordée aux paroles
de huit enseignants de français qui vivent la
des enseignants rendent vivante la lecture de
culture quotidiennement au sein de leur classe,
ces portraits. On y décrit les diférents parcours
représente, selon nous, le cœur de l’ouvrage
culturels des enseignants, leur vie familiale, leur
et en illustre toute l’originalité. Les auteurs
formation et leur entrée dans la profession, les

32 Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3


Recension
Recension
rencontres et les lectures qui les ont marqués et permis de comprendre qu’ils considèrent tous
touchés, bref un ensemble d’éléments qui ont de manières diférentes ces deux forces en jeu
façonné leur rapport à la culture et qui détermi- lorsqu’ils abordent la question de la formation
nent la manière dont ils la véhiculent en classe. culturelle de leurs élèves.
Si pour certains les pratiques d’enseignement
Enin, dans une quatrième partie conclusive,
découlent directement d’un rapport afectif
les auteurs dégagent plusieurs caractéristi-
à la langue et à la littérature; pour d’autres,
ques qui leur semblent constituer des repères
elles s’appuient davantage sur des préoccupa-
intéressants pour permettre aux enseignants
tions sociales, voire même politiques. Prenons
et aux étudiants en formation des maitres de
l’exemple de Chantale, une enseignante dont le
comprendre et de mettre en œuvre une ap-
rapport à la culture se vit continuellement sur
proche culturelle de l’enseignement dans leurs
le mode du combat puisqu’elle doit chaque jour
classes. Pour amenuiser la tension décrite plus
revendiquer la place du français par rapport à
haut, les auteurs proposent, par exemple, de
celle de l’anglais qui semble être, pour plusieurs
donner du sens aux savoirs en les articulant à
collègues de l’établissement où elle enseigne, la
des pratiques culturelles signiicatives aux yeux
voie royale pour la réussite des élèves dans leur
des élèves. Cette articulation doit être explicitée
vie professionnelle. Cette lutte pour la valori-
par l’enseignant pour renforcer la valeur qu’ac-
sation du français se transporte dans la classe
corde l’élève aux apprentissages qu’il efectue en
de Chantale qui souhaite rendre ses élèves
classe de français.
conscients des tensions linguistiques qui exis-
tent à l’intérieur de l’école et, plus largement, au En somme, l’ouvrage de Falardeau et Simard
sein de la société québécoise contemporaine. constitue un outil précieux et original pour
réléchir à une approche culturelle de l’ensei-
Le troisième chapitre de l’ouvrage présente,
gnement, notamment en classe de français.
quant à lui, une synthèse plus critique des
Leur approche dynamique et vivante facilite
pratiques recensées sous la forme de tensions
grandement l’accès à l’analyse de leurs données
illustrant de manière éloquente les enjeux de
de recherche qui ne sont pas pour autant moins
l’approche culturelle en classe de français. Les
rigoureuses.
auteurs y font dialoguer leur cadre théorique
avec les pratiques déclarées des enseignants en
les insérant dans un cadre didactique plus large, * Professionnelle de recherche,
et ce, dans le but de faire ressortir celles qui leur CRIFPE-Laval
semblent davantage susceptibles de contribuer
au développement du rapport à la culture des
élèves. Ils décrivent, pour ne nommer qu’un
exemple, la tension forte qui existe entre deux
pôles importants de l’approche culturelle :
d’une part, la centration des enseignants sur la
capacité rélexive des élèves (comprise comme
une mise à distance de la culture), notamment
par la médiation des connaissances qui per-
mettent de nommer le monde et, d’autre part,
la primauté accordée aux pratiques culturelles
de l’élève avec toute l’afectivité qu’elles impli-
quent. L’analyse des discours des enseignants a

Les Cahiers de L’AQPF, volume 2, numéro 3 33

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