Droit Et Politique en Afrique Numero 2 Janvier 2024 1

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 211

DIRECTEURS

Stéphane BOLLE
Maitre de conférences HDR en droit public, Université Paul-Valéry Montpellier 3

Siastry Dorsey D’Aquin MIANO LOE


Doctorant en droit public, Université de Douala
Président de l’Association internationale des jeunes chercheurs en Droits Africains

COMITE SCIENTIFIQUE

Droit privé

Voudwe BAKREO
Maitre de conférences en droit privé, Université de Douala
Christiane BEKADA
Maitre de conférences en Droit privé, Université de Douala
Desmonds EYANGO DJOMBI
Maitre de conférences en droit privé, Université de Douala
Étienne MBENA MBANDJI
Maitre de conférences en droit privé, Université de Douala
Séverine NADAUD
Maitre de conférences HDR en droit privé, Université de Limoges
Sara NANDJIP MONEYANG
Maitre de conférences en droit privé, Université de Douala

Droit public

Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse Capitole
Géraldine CHAVRIER
Professeur de droit public, Université Paris I Panthéon Sorbonne
Jean-Philippe DEROSIER
Professeur de droit public, Université de Lille 2
Alioune Badara FALL
Professeur de droit public, Université de Bordeaux
Lauréline FONTAINE
Professeur de droit public, Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle
Gilles J. GUGLIELMI
Professeur de droit public, Université de Paris II Panthéon-Assas
Aaron MBELEK LOGMO
Professeur de droit public, Université de Douala
Télesphore ONDO
Professeur de droit public, Université Omar Bongo de Libreville
Samuel Jacques PRISO-ESSAWE
Professeur de droit public, Université d’Avignon
Sedena AKONO OMGBA,
Maitre de conférences en droit public, Université de Yaoundé II
Begni BAGAGNA
Maitre de conférences en droit public, Université de Douala
Jean Mermoz BIKORO
Maitre de conférences en droit public, Université de Yaoundé II

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

3
Stéphane BOLLE
Maitre de conférences HDR en droit public, Université Paul-Valéry Montpellier 3
Frédéric BOUIN
Maitre de conférences en droit public, HDR, Université de Perpignan Via Domitia
Bienvenu David NKAKE EKONGOLO
Maitre de conférences en droit public, Université de Douala
Virginie SAINT-JAMES
Maitre de conférences HDR en droit public, Université de Limoges

Sciences politiques

Mamoudou GAZIBO
Professeur de science politique, Université de Montréal
Serge Paul AKONO EVANG
Maitre de conférences en sciences politiques, Université de Douala
Bertrand ATEBA
Maitre de conférences en sciences politiques, Université de Douala
Mathias Éric OWONA NGUINI
Maitre de conférences en sciences politiques, Université de Yaoundé II

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

4
COMITE DE REDACTION
Rédacteur en chef
Ulrich ELLA BITE’E
Docteur Phd en droit public, Université de Douala
Emilie CHEVALIER,
Maitre de conférences en droit public, Université de Limoges
Maginnot ABANDA AMANYA,
Docteur Phd en droit privé, Assistant de chargé de cours, Université de Yaoundé II
Abdou Khadre DIOP,
Docteur Phd en droit public, enseignant-chercheur, Université Virtuelle du Sénégal
Arsène Silvère EKO MENGUE,
Docteur Phd en droit public, Assistant de chargé de cours, Université de Yaoundé II
Julien EKOTO,
Docteur Phd en droit public, Université de Douala
Pacherel LAMARE NJITOUO
Docteur Phd en droit public, Université de Douala
Carole Valérie NOUAZI KEMKENG,
Docteure Phd en droit public, Maitresse de recherche, CNE/MINRESI-CAMEROUN
Siastry Dorsey D’Aquin MIANO LOE
Doctorant en droit public, Université de Douala

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

5
DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE
Numéro 2 – Janvier 2024

SOMMAIRE
Présentation………………………………………………………… ...................................... 8
Charte éditoriale………………………………………………….. ......................................... 9
Varia……………………………………………………………….. ...................................... 12
Pacherel Lamare NJITOUO, L’accès du citoyen à l’information financière au cameroun . 13
Marie Ange-BITSACK, Le juge constitutionnel et le pouvoir politique dans le nouveau
constitutionnalisme des Etats d’afrique noire francophone ................................................. 46
Stelphin MOUSSOUNDA MOUTOUNOU, La huitieme législature de l’Assemblée
nationale du bénin a l’épreuve du bilan ............................................................................... 76
Anselme YABRE SIEZA, La devoir citoyen de défense et de maintien de l’intégrité
territoriale en droit burkinabè ............................................................................................ 112
Joseph Pierre EFFA, Le ministre camerounais des finances et les politiques financières
publiques ............................................................................................................................. 139
Rodrigue TASSE MOTSOU, La contribution de la diaspora francophone à la résolution de
la crise dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest du cameroun : entre représentativité
et contenu des propositions lors du grand dialogue national ............................................ 189
Actualités……………………………………………………………………………………200
Ouvrages ............................................................................................................................ 201
Alioune SALL, Singularités juridiques Africaines. Ce que l’Afrique apporte au
droit...………………………………………………………………………………….. 201
Le juge et l’application de la règle de droit. Ecrits dédiés au Professeur Danièle Darlan,
Héritier Christ-Ethisse YANDIA et Junior Merlin KRANENDJI (dir.) ....................... 201
Willy JACKSON, Le panafricanisme, entre politique et droit. ..................................... 203
La démocratie illibérale en droit constitutionnel, Vanessa BARBE, Bertrand-Léo
COMBRADE, et Charles-Édouard SENAC (dir.) .......................................................... 203
El Hadji Omar DIOP, La candidature à l’élection présidentielle en Afrique ............... 204
Thèses ................................................................................................................................. 205
Ulrich BITE’E ELLA, Les services publics en réseaux et la régulation économique au
Cameroun : cas de l’électricité et des communications électroniques ........................... 205
Danièle MOUORI, L’accompagnement des processus électoraux en Afrique
subsaharienne francophone : approche comparative de la pratique de l’Union européenne
et de l’Organisation internationale de la Francophonie ……………………………… 205

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

6
Arnold Noé NDONO NDONGO, La prise en compte de la citoyenneté par le droit
international : une nécessaire adaptation du concept ? ................................................. 206
Glamba Mickael Eloge GUEY, La protection de la propriété foncière rurale en Côte
d'Ivoire : un défi pour la paix.......................................................................................... 208
Paul Gervil MBENOUN MBENOUN, Les mécanismes de contrôle de l’application de la
Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance ......................... 210

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

7
Présentation
La revue DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE, éditée par l’Association Internationale des Jeunes
Chercheurs en Droits Africains (AIJCDA), succède à la Revue Africaine de la Recherche
Juridique et Politique (RARJP). Ce changement de nom s’imposait pour mettre fin à la
confusion avec d’autres publications en ligne.

DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE est une revue électronique pluridisciplinaire et


interdisciplinaire dédiée à l’étude de la vie juridique et de la vie politique des Etats d’Afrique.
Elle publie en priorité les travaux originaux de jeunes chercheurs africains en sciences
juridiques et politiques.

La revue participe à la diffusion des réflexions académiques de juristes et de politistes de tous


horizons, de toutes spécialités (droit public, institutions politiques, droit privé, Common Law,
droit international, relations internationales, droit communautaire, droit comparé, …). Elle
accueille des articles et des notes de jurisprudence éclairant les problématiques contemporaines
du droit et de la politique en Afrique, dans toutes leurs dimensions.

Au sommaire de chaque numéro, vous trouverez :


• un Dossier d’articles sur un thème choisi pour son importance et proposé par un
« parrain » ou une « marraine »;
• et/ou des Varia sélectionnés parmi les articles et notes de jurisprudence proposés
spontanément ;
• ainsi que des Actualités de la recherche, à savoir les appels à contributions de la revue,
des recensions d’ouvrages, des résumés de thèses et de mémoires ou encore des
annonces de manifestations académiques.

DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE voit le jour après une mise en veille prolongée de la RARJP.
Nous tenons à remercier les contributeurs pour leur confiance et leur patience à toute épreuve,
ainsi que les membres du Comité scientifique et les membres du Comité de rédaction pour leur
disponibilité et leur accompagnement sans faille. Que tous reçoivent ici l’expression de notre
profonde gratitude !

Les directeurs
Stéphane BOLLE & Siastry Dorsey D’Aquin MIANO LOE

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

8
Charte éditoriale
DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE est une revue électronique pluridisciplinaire et
interdisciplinaire dédiée à l’étude de la vie juridique et de la vie politique des Etats d’Afrique.
Elle publie en priorité les travaux originaux de jeunes chercheurs africains en sciences
juridiques et politiques.

La revue participe à la diffusion des réflexions académiques de juristes et de politistes de tous


horizons, de toutes spécialités (droit public, institutions politiques, droit privé, Common Law,
droit international, relations internationales, droit communautaire, droit comparé, …). Elle
accueille des articles et des notes de jurisprudence éclairant les problématiques contemporaines
du droit et de la politique en Afrique, dans toutes leurs dimensions.

DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE observe et fait observer les bonnes pratiques éditoriales ci-
dessous, pour s’assurer de la qualité scientifique des contenus publiés en ligne.

1. ENGAGEMENTS DU CONTRIBUTEUR

DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE ambitionne de devenir une revue de référence en sciences


juridiques et politiques. C’est pourquoi tout contributeur doit respecter l’éthique de la
publication scientifique et doit s’engager
- à soumettre un texte exempt de plagiat, un texte dont il est le seul et unique auteur ;
- à ne pas soumettre un texte déjà publié ailleurs ;
- à informer la rédaction de l’acceptation de son texte par une autre rédaction ;
- à ne pas faire paraître ailleurs un texte publié dans la revue ;
- à faire preuve de courtoisie, dans son texte ou dans ses échanges avec la rédaction, et à
s’abstenir de tout propos insultant, diffamatoire ou attentatoire à la dignité des
personnes.

Tout contributeur qui soumet un texte pour publication est réputé avoir souscrit à ces
engagements éthiques. La rédaction a tout pouvoir pour en garantir le respect.

2. APPELS A CONTRIBUTIONS

DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE publie, dans sa rubrique Dossier, des articles et des notes de
jurisprudence conformes aux termes de référence des appels périodiques à contributions
thématiques lancés par les « parrains » ou « marraines » de ses numéros.

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

9
La revue publie également, dans sa rubrique Varia, des articles et des notes de jurisprudence
entrant dans l’objet scientifique de son appel permanent à contributions.

Tout contributeur potentiel est invité à consulter les appels périodiques à contributions
thématiques et l’appel permanent à contributions sur le site internet https://droit-et-politique-
en-afrique.info/ à la rubrique CONTRIBUER.

3. SOUMISSION D’UNE CONTRIBUTION

DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE reçoit toute proposition de contribution aux deux adresses
suivantes :
[email protected] et [email protected]
Le courriel doit indiquer dans son objet « Soumission d’une proposition à Droit et Politique en
Afrique ». La rédaction en accuse réception dans un délai de 15 jours.

Le contributeur doit se conformer aux indications qui suivent.


♦ Le texte soumis sera un fichier Word (doc. ou docx).
♦ Le texte devra compter entre 10 000 et 30 000 mots, s’il s’agit d’un article ou d’une
note de jurisprudence, au maximum 1500 mots, s’il s’agit d’une recension ou d’un résumé.
♦ Le texte devra être rédigé en police 12, Times New Roman, interligne 1,5, sans feuille
de style (pas de titre automatique).

♦ Les mots dans une langue autre que le français devront être en italique.

♦ Les intertitres (comme « introduction » ou « conclusion ») sont interdits ; une ligne


blanche suffit pour marquer le changement de section.

♦ Le contributeur ne devra utiliser le style de police gras que pour le titre du texte, les
intitulés des parties et des sous-parties.

♦ Les citations, notes et illustrations devront respecter les conventions suivantes :


- les citations courtes (de moins de quatre lignes) devront être intégrées dans le corps
du texte et placées entre guillemets français (« . »), en langue originale dans le corps
du texte avec traduction en note de bas de page ; au besoin, il convient d’utiliser des
guillemets à l’anglaise “…” dans un passage déjà entre guillemets ;
- les lettres et les mots ajoutés ou changés dans une citation, de même que les points
de suspension pour l’omission d’un ou de plusieurs mots, devront être mis entre
crochets [ ] ;
- les notes devront figurer en bas de page ; leur numérotation sera continue du début
à la fin du texte ; toute ressource numérique devra mentionner son auteur, son intitulé,
l’adresse URL complète (http://…), la page citée, la date et l’heure de consultation de
la page WEB (par exemple, VINCENT (Brigitte), « Les membres de droit au Conseil
Constitutionnel, une singularité française », www.umk.ro, p. 1, consulté le 7 décembre
2018 à 14h 15minutes) ;
- les figures (illustrations, cartes, graphiques, schémas…) seront insérées dans le corps
du texte avec leurs titres en format GIF ou JPEG ; elles devront être de très bonne

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

10
qualité afin de permettre une reproduction directe ; le contributeur s’engage à fournir
des images libres de tous droits et n’engage pas la responsabilité de la revue.

♦ Un bref résumé en français et en anglais, une liste de cinq mots clés maximum décrivant
l'objet du texte, et une bibliographie sommaire d’au moins deux pages seront obligatoires
pour la publication dans la revue.

4. SELECTION DES CONTRIBUTIONS

DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE examine les propositions de contributions avec la plus grande
rapidité possible. Les contributions sont sélectionnées sur leur seul contenu intellectuel ou
scientifique, sans distinction de nationalité, de race, de sexe, de foi, d’opinion ou d’affiliation
universitaire de leurs auteurs.

L’examen des propositions de contributions comporte deux étapes.

♦ Dans une première étape, la rédaction procède à un contrôle sommaire de la recevabilité


de la proposition de contribution, au regard des exigences de forme et de la ligne éditoriale
de la revue.
Toute déclaration d’irrecevabilité, communiquée par courriel, devra être motivée.

♦ Dans une seconde étape, deux experts au moins procèdent à l’évaluation de la


proposition de contribution. L’évaluation est réalisée en double aveugle : la proposition
soumise à évaluation est rendue anonyme et l’identité des évaluateurs n’est pas
communiquée au contributeur. Chaque évaluateur, après avoir jaugé la qualité scientifique
de la proposition, émet un avis favorable ou défavorable à sa publication dans la revue.

A l’issue de l’évaluation, dans un délai de 100 jours après l’accusé de réception de sa


proposition, le contributeur est avisé de l’une des décisions suivantes :
a. acceptation pure et simple pour publication ;
b. acceptation sous réserve de révisions ;
c. demande de révisions majeures avant réévaluation ;
d. refus avec possibilité ou non de resoumettre.

5. PUBLICATION D’UNE CONTRIBUTION

DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE promeut le libre débat académique. La revue n’entend donner
aucune approbation ni improbation aux opinions émises par l’auteur d’une contribution publiée.

La date de publication d’une contribution dépend de la fréquence de parution de la revue et du


nombre de contributions en attente de publication.

L’auteur d’une contribution ne perçoit aucune rétribution pour sa publication.

Les directeurs
Stéphane BOLLE & Siastry Dorsey D’Aquin MIANO LOE

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

11
Varia

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

12
L’ACCÈS DU CITOYEN À L’INFORMATION FINANCIÈRE
AU CAMEROUN

Par
Pacherel LAMARE NJITOUO
Docteur Ph/D en Droit Public

Université de Douala (Cameroun)

Résumé : L’accès du citoyen à l’information financière est un principe formel à respecter dans
le cadre de la gestion des finances publiques. Cependant, les définitions légales dans le système
juridique camerounais notamment celles relatives aux textes à caractère financier présentent
certains inconvénients liés à leur technicité ou à leur caractère général. Il n’est pas de notre
propos de savoir laquelle devrait être préférée dans un système juridique. Plutôt, il est
remarqué que le citoyen a difficilement accès à l’information financière en droit public
camerounais par l’inexistence de définitions légales précises. Il est donc dans ce cas à préciser
que l’accès du citoyen à l’information financière est un principe démocratique qui appelle
aussi au contrôle citoyen des finances publiques.

Mots clés : Citoyen, Démocratie, Finances publiques, Gestion, Information.

Abstract : Citizen access to financial information is a formal principle to be respected in the


management of public finances. However, the legal definitions in the Cameroonian legal
system, particularly those relating to texts of a financial nature have certain drawbacks related
to their technical nature or their general nature. It is not our purpose to know which should be
preferred in a legal system. Rather, it is noted that the citizen has difficulty accessing financial
information in Cameroon public law due to the lack of precise legal definitions. In this case, it
should therefore be specified that the citizen’s access to financial information is a democratic
principle which also calls for citizen control of public finances.

Keywords : Citizen, Democracy, Public finances, Management, Information.

Sous leurs aspects juridiques, les finances publiques se dévoilent au travers de trois
dimensions : le droit budgétaire et la présentation des règles d’élaboration des budgets publics ;
le droit de la comptabilité publique et la présentation des règles comptables d’exécution des
opérations de dépenses et de recettes ; enfin, les contrôles portés sur les finances publiques, tant
politiques, administratifs que juridictionnels. Mais, l’intensité de ces dimensions diffère selon
les finances publiques étudiées. En effet, les finances publiques ne peuvent plus, désormais, se
résumer aux seules finances de l’Etat1.

1
ORSONI (Gilbert), « Les finances publiques sont-elles encore les finances de l’Etat ? », in Mélanges Amselek,
2005, p. 631.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

13
Il est nécessaire de savoir que les fondements des finances publiques résultent
essentiellement de règles instituées entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle. Les grands
principes du droit fiscal, du consentement à l’impôt, de sa nécessité, de sa légalité2, et de
l’égalité devant l’impôt ont été fixés dans les articles 13 et 14 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. À cette exigence démocratique s’ajoute une exigence
qui se veut davantage réaliste pour les Etats en quête de l’émergence : ceux-ci sont appelés à
capitaliser les ressources dont ils disposent, en vue d’assurer leur développement économique,
réduire le nombre de la population sous-employée et contenir la paupérisation de la société3.
Alors, l’accès du citoyen à l’information financière garantirait un contrôle citoyen qui réduirait
des dépenses inutiles car « la chasse aux gaspillages et la recherche d’une dépense plus efficace
peut être perçue comme le moyen d’obtenir cette réduction »4. Dans ce même sens, le principe
du contrôle des finances publiques découle de l’article 15 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen qui donne la possibilité au citoyen de demander des comptes aux
gouvernants relativement à l’utilisations de l’argent public.

Il faut rappeler que trois défis se sont généralisés comme les préoccupations majeures des
finances publiques en ce début du XXIe siècle : la réduction des déficits publics, l’optimisation
de la dépense et la gestion saine reposant sur les règles de l’Accountability. Si les solutions aux
deux premiers problèmes se recoupent autour de la diminution de l’offre de monnaie de l’Etat,
la réduction de la dette publique et la gestion axée sur la performance, le troisième problème,
inhérent à la gestion patrimoniale de l’Etat, ne peut se résoudre des seules dispositions
institutionnelles mais aussi du poids des valeurs dont la sincérité, la transparence et l’obligation
de rendre compte sont devenues les plus fondamentales qui transforment les règles de gestion
budgétaire en normes de justice sociale.

Suite au processus de réforme des institutions intervenant dans la gestion publique, les
transformations qui ont cours au Cameroun, depuis le lendemain de son accession à
l’indépendance jusqu’à nos jours5, réservent aux finances publiques camerounaises un rôle de

2
Même si ce principe avait initialement été évoqué dans un « décret du 13 juin 1789 ». Voir à ce sujet, BOUVIER
(Michel), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, 12e édition, Paris : LGDJ, Systèmes, Paris,
2014, p. 52.
3
Voir à ce sujet ALAKA ALAKA (Pierre), L’impôt au Cameroun : contribution à l’étude d’un dysfonctionnement
administratif, L’Harmattan, 2009, p. 181. L’auteur propose la création d’une « Direction Générale des Impôts »
avec la particularité d’être autonome à l’image de l’administration fiscale ghanéenne par exemple.
4
BARILARI (André), Les contrôles financiers comptables, administratifs et juridictionnels des finances publiques,
Paris, LGDJ, 2003, p.12
5
L’Ordonnance n°62/OF/4 du 4 février 1962 est apparue comme la première démarche de formalisation d’un
corpus de règles destinées à assurer une gestion saine des finances publiques camerounaises. Les lois n°2018/011
du 11 juillet 2018 portant code de transparence et de bonne conduite dans la gestion des finances publiques au
Cameroun et n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime Financier de l’Etat et des autres entités
publiques participent de nos jours de la réforme des finances publiques camerounaises.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

14
catalyseur, duquel dépend la réussite des autres pans de la réforme de l’Etat6. Les mutations des
finances publiques camerounaises sont allées de l’assainissement de la gestion financière
publique au moyen d’une lutte acharnée contre les phénomènes de corruption et de
détournement des biens publics7 jusqu’à la mise en œuvre d’une nouvelle gestion financière
publique8. Les pouvoirs publics définissent depuis quelques années les stratégies nouvelles
destinées à conduire le pays à l’émergence9 en mettant sur pied des stratégies de contrôle.

La recherche d’une définition formelle des notions juridiques suppose qu’on puisse
identifier une conception dégagée par le droit et qui serve de référence à toute autorité faisant
usage de ce concept. Il convient cependant de préciser que les définitions apparaissent dans la
législation selon que le législateur sollicite une application homogène ou contextuelle des
notions juridiques. Tout dépend pourtant des systèmes juridiques, car « contrairement aux
législations de type anglo-saxon qui systématiquement, dans la loi, fixent par des définitions le
sens technique des mots qui y sont employés, le législateur français s’abstient très souvent de
le faire, se souvenant peut-être des préceptes du Digeste : omnis definitio periculosa est »10. Le
système camerounais sur ce point se rapproche de celui de la France en ce que très peu de textes
juridiques proposent des définitions des termes clés qui y sont employés. C’est la preuve que le
droit positif du Cameroun prend en compte la critique selon laquelle les définitions légales
auraient pour conséquences de figer des concepts évolutifs et de les dénaturer. Cette critique ne
manque pas de pertinence, car même si on peut prétendre que les définitions légales ont
l’avantage « d’éliminer l’équivoque et d’introduire clarté et précision dans l’application d’une
règle ou d’un corps de règles »11, il reste que le législateur ne peut infailliblement prédire
l’avenir d’une notion juridique ainsi que les usages probables dont elle peut être affectée.

En tout état de cause, les orientations légales dans chaque système juridique présentent
des avantages certains, mais aussi des inconvénients. Nous remarquons que le citoyen a
difficilement accès à l’information financière en droit public camerounais à cause de

6
BILOUNGA (Stève Thierry), La réforme du contrôle de la dépense publique, Thèse de Doctorat, Université de
Yaoundé II-Soa, 2009, 467 p.
7
TITI NWEL (Pierre) (Dir.), De la corruption au Cameroun, Yaoundé, Friedrich Ebert Stiftung-Cameroun, juin
1999, 260 p.
8
BIAKAN (Jacques), « La réforme du cadre juridique des finances publiques au Cameroun : la loi portant régime
financier de l’Etat », in ONDOA (Magloire) (Dir.), L’administration publique camerounaise à l’heure des
réformes, Yaoundé, L’Harmattan-Cameroun, 2010, pp. 9-28.
9
ONDOA (Magloire) (Dir.), L’administration publique camerounaise à l’heure des réformes, Yaoundé,
L’Harmattan-Cameroun, 2010, 318 p. ; voir dans le même sens et du même auteur, « Ajustement structurel et
réforme du fondement théorique des Droits africains postcoloniaux : l’exemple camerounais », RASJ, vol. 1, n°1,
2001, pp. 75-118.
10
BERGEL (Jean-Louis), Théorie générale du droit, op. cit., p. 200.
11
WALINE (Marcel), « Empirisme et conceptualisme dans la méthode juridique : faut-il tuer les catégories
juridiques ? », Mélanges DABIN, Paris, Sirey, 1963, p. 369.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

15
l’inexistence d’orientations légales précises. Du reste, on peut se demander si l’absence de
dispositions préliminaires ou d’un lexique de définitions équivaut à un défaut de définitions. Il
convient de constater à cet effet qu’il existe « une grande hétérogénéité des définitions légales
manifestes ou implicites, dont les énoncés vont de la détermination générale et abstraite d’une
notion à l’énumération purement matérielle des situations représentées par un mot »12. Il en
résulte que le défaut de formulation d’une définition expresse dans un texte juridique ne traduit
pas absolument l’absence de définitions. C’est dire que d’un point de vue formel, le législateur
même lorsqu’il n’a pas consacré de définition précise à une notion juridique, prévoit néanmoins
des indices à partir desquels on peut l’appréhender. Ce raisonnement s’applique mutatis
mutandis à notre étude.

Il est établi que l’accès du citoyen à l’information financière est bien esquissé lorsqu’on
regroupe les finances publiques en différentes catégories. Cela est d’autant nécessaire que « la
définition des concepts se prolonge en effet dans leur catégorisation. Il ne s’agit plus d’étudier
chaque phénomène juridique en soi, mais de le comparer aux autres pour l’en rapprocher ou
l’en dissocier »13. Le contrôle citoyen se réalisant à travers un ensemble composite
d’instruments juridiques, il convient de repérer les éléments sur lesquels l’information du
citoyen est axée. La typologie d’éléments garants de l’information du citoyen est constituée de
catégories et ces dernières sont dressées à partir de l’opération de classification. Cette dernière
peut être considérée à cet effet comme l’« action de regrouper systématiquement les éléments
homogènes ou hétérogènes d’un ensemble en un tableau rationnel comportant une division
majeure fondée sur un critère dominant et des sous-distinctions fondées sur divers critères
combinés afin de proposer à l’analyse, dans l’abstrait, une référence élaborée »14.

L’approche historique des finances publiques camerounaises est édifiante sur le fait que
la tenue des comptes a toujours été conçue comme un moyen permettant de maîtriser la gestion
du patrimoine, un procédé de contrôle et un facteur de la transparence. Ainsi le décret du 30
décembre 1912 sur le régime financier des colonies, considéré comme une adaptation du décret
français du 31 mai 1862 sur la comptabilité publique, sera abrogé au Cameroun après l’adoption
de l’Ordonnance n°59-61 du 21 novembre 1959 réglant le mode de présentation et les
conditions générales d’exécution du budget de l’Etat. Mais de provisoire qu’il était, le texte de
1959 a été abrogé au lendemain de l’indépendance par l’Ordonnance n°62/OF/4 du 07 février
1962. C’est à partir de ce texte qu’il faut situer le point de départ d’une réflexion d’ensemble

12
BERGEL (Jean-Louis), Théorie générale du droit, op. cit., p. 201.
13
Ibid., p. 202.
14
CORNU (Gérard), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, janvier 2016, p. 157.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

16
sur le contrôle de la comptabilité publique en général et de l’accès du citoyen à l’information
financière en particulier.

L’ensemble de ces considérations permet de poser le problème juridique de la présente


étude en ces termes : Comment se décline l’accès du citoyen à l’information financière au
Cameroun ? Cette problématique semble particulièrement importante dans la mesure où elle
permettra au citoyen de vérifier la traçabilité de l’argent public afin d’orienter les axes de
garantie de l’utilisation transparente, sincère et claire de cet argent afin que le principe
démocratique soit respecté.

En vue donc de répondre à cette question la méthode a été orientée vers le positivisme
formaliste et la méthode comparative. La méthode juridique d’orientation formaliste a permis,
grâce au recours à la dogmatique et à la casuistique, d’analyser les textes applicables en matière
d’information financière. La méthode comparative a permis d’effectuer une comparaison
intégratrice de façon à saisir l’essence de l’information financière.

Des méthodes additionnelles ont été adjointes à la rescousse du formalisme juridique qui
a orienté l’analyse juridique vers la pure abstraction, le positivisme factualiste ou sociologique
s’est imposé. Les méthodes objectivistes et critiques ont orienté le curseur sur l’effectivité et
l’efficacité de l’accès du citoyen à l’information financière.

La raison d’être de cette étude se justifie par la détermination de son intérêt. Du point de
vue théorique, l’intérêt d’un tel sujet est inhérent à la systématisation de l’accès du citoyen à
l’information financière. Cette systématisation est d’autant plus nécessaire car l’information
financière est parcellaire ou peu actuelle. À cet égard on est tenté de considérer les comptes
publics comme le critère d’information du citoyen du domaine des finances publiques au
Cameroun. Du point de vue pratique, l’intérêt de l’étude est perceptible sur l’adaptation des
finances publiques aux nouvelles exigences de management public en réconciliant les
impératifs de sécurisation et de performance.

Ainsi, afin de procéder à la catégorisation des comptes publics, l’analyse part du postulat
que les éléments soumis au contrôle citoyen pris en considération sont cumulativement des
sous-catégories de l’objet du contrôle. À cet égard, le but de la classification est d’établir des
indices permettant de distinguer les différentes sous-catégories afin de mieux orienter l’accès
du citoyen à l’information financière. Cet objectif peut être atteint à travers deux procédés, à
savoir la budgétisation de l’argent public (I) et la libéralisation de l’accès du citoyen à
l’information financière (II).

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

17
I- LA BUDGETISATION DE L’ARGENT PUBLIC

En droit, la classification alternative s’oppose à la classification cumulative15. Elle


consiste essentiellement en une « division bipartite entre deux catégories qui s’opposent par
l’existence et l’absence d’un élément particulier ou par deux caractères antinomiques, ces deux
catégories s’excluent réciproquement »16. Appliquée au budget public, cette classification
permettra de regrouper les comptes publics en deux groupes principaux. L’appartenance d’une
catégorie de comptes publics à un groupe donné doit être exclusive de l’autre groupe. Prenant
cette exigence en compte, il convient de remarquer que certains comptes correspondant aux
définitions formulées, servent à prévoir la gestion des biens publics, tandis que d’autres en
constatent l’exécution. Il est évident que la prévision et l’exécution des opérations relatives à
une gestion donnée ne peuvent se situer sur un même plan. En conséquence, l’accès du citoyen
à l’information financière se fera à travers les comptes publics selon qu’ils se situent à l’étape
de la prévision ou à celle de l’exécution, chacune de ces étapes étant indépendante de l’autre de
par les opérations mises en œuvre. C’est pourquoi l’accès du citoyen à l’information financière
doit être garanti suivant la catégorie des comptes publics prévisionnels (A) que celle des
comptes publics redditionnels (B).

A- LES COMPTES PUBLICS PREVISIONNELS

Les comptes publics prévisionnels doivent être considérés comme les comptes des
administrations du secteur public au moyen desquels celles-ci prévoient les opérations
concrètes pouvant affecter leur patrimoine. Il s’agit dans cette hypothèse des prévisions
suffisamment détaillées et précises dont les capacités d’exécution sont clairement déterminées.
Contrairement à la planification, la prévision doit être caractérisée par la certitude de sa mise
en œuvre, car elle tend à rendre compte d’une réalité future. On classe dans cette catégorie les
budgets publics. La notion de budget public est couramment examinée de manière univoque en
doctrine. Il importe alors de distinguer les budgets généraux (1) des budgets périphériques (2).

1- Les budgets généraux

15
On parle de catégories cumulatives lorsque « un phénomène juridique peut simultanément appartenir à plusieurs
catégories relevant de classifications différentes car ces catégories sont normalement compatibles entre elles (…)
un bien peut être à la fois un bien corporel et un bien meuble ou un bien corporel et un bien immeuble. Une
personne peut être à la fois une personne de droit privé, une personne physique, une personne capable, un
commerçant… », voir, BERGEL (Jean-Louis), Théorie générale du droit, op. cit., p. 210.
16
BERGEL (Jean-Louis), Ibid., p. 210.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

18
Le mot budget renvoie souvent à une multitude de documents dont la prise en compte a
pour conséquence générale de rendre son contenu ambigu. La doctrine fait d’abord remarquer
que « tout budget est une prévision d’activités. Les particuliers, les entreprises, les collectivités
publiques et l’Etat en premier lieu, sont tous amenés à établir des programmes financiers, sous
la forme d’états prévisionnels de leurs recettes et de leurs dépenses »17. C’est pour cette raison
qu’« on parle aussi bien du budget de l’Etat ou du budget d’une commune, que du budget d’un
ministère, d’une entreprise publique ou privée ; on parle aussi du budget économique ou du
budget social de la Nation, du budget militaire ou parfois même, du budget d’un individu »18.
Il est pourtant démontré que c’est à tort que l’on arrive à cette généralisation. Certes, « dans son
acception la plus large, le mot « budget » désigne tout document comptable traduisant un plan
d’action dans le domaine financier. Mais, au point de vue juridique, le mot a un sens beaucoup
plus précis. Seuls constituent des budgets des documents qui prévoient et autorisent, pour
l’année à venir, les dépenses et les recettes des personnes ou organismes publics »19. La
référence aux personnes et organismes publics est vague et mérite d’être précisée. Quels sont
précisément les organismes publics pouvant être titulaires d’un budget ?

Comme le souligne pertinemment le Professeur Loïc PHILIP20, pour que l’on soit
véritablement en présence d’un budget, il faut que l’organisme soit cumulativement une
personne morale et précisément une personne publique. Eclaircissant sa pensée, l’auteur affirme
d’une part que si l’organisme doit être une personne morale, c’est donc à tort qu’on parle du
budget militaire ou du budget d’un ministère, car une Administration n’a pas d’existence
juridique propre. Il arrive, que certains services publics (dont l’activité essentielle consiste à
produire des biens ou à vendre des services) soient dotés d’un budget annexe, bien que n’ayant
pas la personnalité morale. Mais, il s’agit d’une exception qui est d’ailleurs atténuée par le fait
que ce budget est rattaché au budget principal d’une personne morale. D’autre part, l’exigence
de la qualité de personne publique implique que le terme budget doive être réservé pour désigner
le document retraçant les dépenses et les recettes des seules collectivités et organismes publics.

L’existence d’un budget, pour une personne ou un organisme public autre que l’Etat, est
normalement le signe d’une certaine autonomie vis-à-vis de l’Etat. Cette autonomie peut être
plus ou moins accentuée selon que l’on est en présence d’un budget annexe, qui correspond à

17
BOUVIER (Michel), ECLASSAN (Marie-Christine), LASSALE (Jean-Pierre), Manuel de Finances publiques,
op. cit., pp. 279-280.
18
PHILIP (Loïc), Finances Publiques, Paris, Cujas, 5e édition, 1995, p. 189.
19
Idem.
20
Idem.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

19
une simple individualisation financière, ou d’un budget autonome, qui implique au contraire
une autonomie juridique.

On peut donc déduire de ce qui précède que l’expression « budgets généraux » renvoie
aux budgets des personnes morales publiques dotées d’une autonomie financière, laquelle
suppose, non seulement l’existence d’un budget, mais également des ressources propres en
quantités suffisantes et un contrôle qui ne soit pas pesant21. Ayant connaissance des organismes
publics possédant un budget, la question se pose encore de savoir quelle est la nature juridique
du budget. Est-ce un acte administratif, un acte législatif ou un document financier et
comptable?

Il convient d’observer que la notion de budget a connu historiquement deux conceptions,


l’une classique et l’autre moderne. La conception classique repose essentiellement sur la
première définition du mot budget proposée par le décret français du 31 mai 1862 sur la
comptabilité publique et reprise par l’article 62 du décret du 30 décembre 1912 portant régime
financier des Colonies : « le budget est l’acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes
et les dépenses annuelles de l’Etat et des autres services que la loi assujettit aux mêmes règles
». Comme on le voit, cette définition régit non seulement le budget de l’Etat mais aussi celui
des autres personnes morales soumises à la comptabilité publique. S’appuyant sur cette
définition, la doctrine a longtemps estimé que le budget est un acte de prévision, un acte
d’autorisation et parfois un acte périodique22. Cette approche des budgets était source
d’ambigüités : « une controverse a jailli sur la nature de l’acte budgétaire, à savoir l’assimilation
à un acte juridique l’ensemble des comptes de l’Etat. Si cette assimilation est possible, le budget
peut-il être considéré comme un acte administratif en raison de son contenu ou comme une loi
en raison de son adoption par le Parlement ? »23.

En tout état de cause, la notion de budget va évoluer pour donner naissance à sa


conception moderne. Dans un premier temps, l’accent sera mis uniquement sur le budget de
l’Etat, reléguant aux oubliettes les autres organismes publics. Toutefois, l’évolution est
marquée par la distinction que la conception moderne fait entre loi de finances et budget de
l’Etat. S’inspirant de l’ordonnance française du 19 juin 1956, l’article 1er de l’ordonnance
camerounaise n°62/OF/4 du 07 février 1962 introduit cette nouvelle conception au Cameroun
en ces termes : « le budget de l’Etat prévoit et autorise en la forme législative les charges et les

21
Idem.
22
LEKENE DONFACK (Etienne Charles), Finances publiques camerounaises, Paris, Berger-Levrault, 1987, pp.
39-40.
23
BIDIAS (Benjamin), Les finances publiques du Cameroun, GBS, 2eédition, 1982, p. 45.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

20
ressources de l’Etat dont il détermine la nature et le montant. Il fixe en termes financiers les
objectifs administratifs, économiques et sociaux de la République Fédérale du Cameroun. Il est
arrêté annuellement par l’Assemblée Nationale Fédérale dans le cadre de la loi de finances ».
Même si le législateur continue dans la suite du texte à employer le terme budget en lieu et
place de la loi de finances, M. Benjamin BIDIAS relève que « la nature profonde du budget est
désormais définie : le budget n’est plus un acte comme en 1862, mais il devient un « compte »
ou un « ensemble de comptes » (…) le budget intervient avant la gestion qu’il commande… il
fait partie d’une catégorie particulière de comptes ; les comptes prévisionnels »24.

Il convient en revanche de préciser que cette interprétation de la définition du budget


n’était transposée au Cameroun que par analogie, dans la mesure où elle est inspirée de
l’ordonnance française du 02 janvier 1959, le texte camerounais n’ayant pas fait allusion aux
comptes, ni au caractère descriptif du budget. Cette différence de formulation sera finalement
effacée par la loi du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat puis consolidée par la
loi du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques. Aux
termes de l’article 5 alinéa 1 de la loi de 2007 et de l’article 4 alinéa 1 de la loi de 2018, « le
budget décrit les ressources et les charges de l’Etat autorisées par la loi de finances, sous la
forme de recettes et de dépenses, dans le cadre d'un exercice budgétaire ». À travers cette
définition, on peut désormais noter que le budget de l’Etat « décrit » et non plus qu’il autorise.
En outre, il s’agit d’une description de dépenses et de recettes et non plus des ressources et des
charges de l’Etat comme c’était le cas dans l’ordonnance de 1962. L’autorisation des ressources
et des charges relève actuellement de la loi de finances tandis que la description sous la forme
de recettes et de dépenses relève du domaine du budget. Mais, quelle que soit l’étendue de cette
distinction, le budget et la loi de finances ne sont pas deux documents séparés ; pour reprendre
un auteur, retenons que « le budget est donc la partie comptable de la loi de finances ainsi que
l’ensemble des documents budgétaires qui décrivent de façon détaillée les ressources et les
charges de l’Etat »25. Pour l’exprimer plus précisément dans une perspective matérielle, le
budget est le contenu tandis que la loi de finances est le contenant26. Est-ce donc à dire que la
notion de budget se limite à l’Etat ?

En examinant le régime financier des collectivités territoriales décentralisées, on peut


relever que ces personnes publiques jouissent de la personnalité juridique et de l’autonomie

24
Ibid., p. 49.
25
PHILIP (Loïc), Finances Publiques, op. cit., p. 192.
26
DUVERGER (Maurice), Finances publiques, op. cit.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

21
administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux et locaux27. Plus exactement,
elles « disposent de budgets et de ressources propres pour la gestion des intérêts régionaux et
locaux »28. « Les ressources mentionnées à l’alinéa 1 ci-dessus sont librement gérées par les
Collectivités Territoriales dans les conditions fixées par la loi »29. La même conception est-elle
valable pour les établissements publics administratifs ?

La loi du 22 décembre 1999 employait le terme « budget » relativement aux


établissements publics administratifs en précisant que « les établissements publics
administratifs appartenant à l’Etat sont gérés selon les règles prévues par le régime financier de
l’Etat »30. Le caractère descriptif et comptable de ce budget est confirmé en ces termes : « le
budget des établissements publics administratifs doit être équilibré. Toutes les recettes et toutes
les dépenses des établissements publics administratifs sont inscrites dans le budget adopté par
le conseil d’administration »31. Selon la loi portant statut général des établissements publics
« les budgets sont présentés sous forme de sous-programmes cohérents, avec les objectifs de
politiques publiques nationale ou locale »32.La conception du budget des établissements publics
administratifs est donc la même que celle de l’Etat. L’analyse des dispositions de la loi permet
de noter que le mot budget est également employé pour les entreprises publiques. C’est le cas
des sociétés à capital public au sujet desquelles la loi prévoit que « le projet de budget des
sociétés à capital public est préparé par le directeur général et approuvé par le conseil
d’administration avant le début de l'exercice »33.

En définitive, on doit admettre que l’accès du citoyen à l’information financière liée aux
budgets généraux est relatif aux comptes prévisionnels. Ces comptes appartiennent uniquement
aux personnes morales disposant d’une autonomie financière et munies de la qualité
d’administrations du secteur public. Cette approche permettra de retenir comme des budgets,
les comptes prévisionnels des personnes publiques et les comptes de certaines personnes privées
telles que les entreprises publiques. Mais quelle que soit la généralité de ces budgets, ils ne
décrivent pas toutes les prévisions de dépenses et de recettes des administrations du secteur

27
Article 8 de la loi n°2019/024 du 24décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées.
28
Article 11 alinéa 1 de la loi n°2019/024 du 24décembre 2019 précitée.
29
Article 11 alinéa 2 de la loi n°2019/024 du 24décembre 2019 précitée.
30
Article 72 de la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut des établissements publics et des entreprises du
secteur public et parapublic.
31
Article 76 alinéa 1 et 2 de la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 précitée.
32
Article 48 alinéa 2 de la loi n°2017/010 du 12juillet 2017 portant statut général des établissements publics.
33
Article 52 alinéa 1 de la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 précitée.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

22
public. C’est pour cette raison qu’existe une autre catégorie de comptes publics prévisionnels
qualifiés de budgets périphériques.

2- Les budgets périphériques

La notion de budgets périphériques est employée par comparaison au budget général de


l’Etat, lequel occupe une place centrale parmi les comptes prévisionnels. À quoi renvoient donc
les budgets périphériques ?

Sur ce point, il serait intéressant de se référer à cette analyse pertinente sur la question par
le Professeur Gérard Martin PEKASSA NDAM en ces termes : « si l’on conçoit que le budget
est l’ensemble de comptes qui décrivent pour une année civile toutes les ressources et toutes les
charges de l’Etat, la dimension plurielle du budget se découvre nettement. En effet, le budget
de l’Etat est constitué du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor
; si le budget général peut être qualifié de compte central, les budgets annexes et les comptes
spéciaux du Trésor seraient les comptes périphériques »34. Dans le souci de comprendre
pourquoi l’Etat s’est évertué à créer des budgets périphériques à côté du budget général, on a
pu noter à propos des comptes spéciaux du Trésor – même si le constat vaut aussi pour les
budgets annexes – que « les comptes spéciaux du Trésor sont un indispensable procédé qui
participe de la gestion des finances publiques de tout Etat moderne. Car, qu’il soit développé
ou en voie de développement, tout Etat a besoin – dans des perspectives modernes – d’intervenir
dans tel ou tel domaine (économique, social ou autre) ou d’isoler du budget général telles ou
telles opérations afin de mieux mesurer les résultats »35. Il est donc évident que les comptes
périphériques sont fondés sur des nécessités économiques ressenties universellement par les
Etats modernes36. Il importe cependant d’examiner les comptes spéciaux du Trésor avant
d’étudier les budgets annexes.

On a pu relever qu’à l’origine, l’institution des comptes spéciaux du Trésor reposait sur
l’idée selon laquelle il convenait d’individualiser certaines opérations financières réalisées par
l’Etat en les retraçant hors du budget général. Ces opérations ont la particularité de n’être « pas

34
PEKASSA NDAM (Gérard Martin), « Les comptes spéciaux du Trésor dans les Etats d’Afrique francophone »,
p. 203. ; voir aussi, MUZELEC (Raymond), Finances publiques, Paris, Sirey, 12e édition, 2002, p. 507 ; dans le
même sens, voir, MOLINIER (Joël), Préface à KOUEVI (Amavi), Les comptes spéciaux du Trésor, Paris, LGDJ,
2000, pp. 11 et suiv.
35
KOUEVI (Amavi), Les comptes spéciaux du Trésor, op cit., p. 155, cité par PEKASSA NDAM (Gérard Martin),
« Les comptes spéciaux du Trésor dans les Etats d’Afrique francophone », op. cit., p. 203.
36
Ibid ; voir aussi, DIRK-JAN (Kraan), « Dépenses hors budgets et dépenses fiscales », Revue de l’OCDE sur la
gestion budgétaire, vol. 4, n°1, 2004, pp. 143-170.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

23
destinées à pourvoir directement aux besoins publics normaux et permanent de la puissance
publique »37. De plus, on a également pu noter que l’individualisation a une double justification
: d’une part, il existe une corrélation entre les recettes et les dépenses des services concernés et,
d’autre part, les entrées et les sorties financières en cause ne sont pas des opérations définitives.
On peut en déduire que les comptes spéciaux du Trésor présentent certaines particularités par
rapport au budget général en dérogeant à certains principes consacrés dans ce cadre.

En droit camerounais, les comptes spéciaux du Trésor ont été consacrés par l’Ordonnance
du 07 février 1962 sous l’appellation de comptes hors-budgets38. Ils sont actuellement régis par
la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques dans
la rubrique concernant les affectations de recettes39. Ce texte définit les comptes spéciaux du
Trésor comme ceux qui « comprennent les comptes d’affectation spéciale et les comptes de
commerce »40. Cette définition, du reste laconique, ne rend pas compte de toutes les
caractéristiques des comptes spéciaux du Trésor.

Il convient cependant de recourir aux définitions doctrinales afin de mieux appréhender


les comptes spéciaux du Trésor en finances publiques camerounaises. Aux termes de ces
définitions, « les comptes spéciaux du Trésor sont des comptes ouverts dans les écritures du
Trésor pour retracer des opérations de recettes et de dépenses effectuées, en dehors du budget
général, par des services de l’Etat qui ne sont dotés ni de la personnalité juridique, ni de
l’autonomie financière et dont la gestion incombe, non à des administrations particulières, mais
aux divers ministères intéressés »41. Quoi qu’il en soit, cette définition reflète la typologie

37
PEKASSA NDAM (Gérard Martin), op. cit., p. 205.
38
L’article 39 de l’Ordonnance n°62/OF/4 du 07 février 1962 dispose notamment que « les comptes hors Budget
ont pour objet de retracer des dépenses et des recettes effectuées en dehors du Budget par les services de l'Etat
qui ne sont dotés ni de la personnalité juridique ni de l'autonomie financière. Ils sont ouverts par décret et
comprennent notamment :
- les comptes d'exploitation ;
- les comptes d'affectation spéciale
- les comptes d'opérations monétaires ».
39
L’article 42 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques prévoit à ce sujet que :
(1) « Certaines recettes peuvent être directement affectées à certaines dépenses, notamment lorsqu’un lien
économique réel existe entre une recette donnée et la dépense qu’elle finance ou lorsqu’un bailleur de
fonds veut attribuer un financement à un objet précis ».
(2) « Ces affectations prennent la forme de budgets annexes, de comptes spéciaux ou de procédures
particulières au sein du budget général, d’un budget annexe ou d’un compte spécial ».
40
L’article 44 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 précitée.
41
DI MALTA (Pierre), « Le régime juridique des comptes spéciaux du Trésor », RFFP, n°32, 1990, p. 9, cité par
PEKASSA NDAM (Gérard Martin), « Les comptes spéciaux du Trésor dans les Etats d’Afrique francophone »,
op. cit., p. 207 ; voir également la définition du Professeur MUZELEC selon laquelle, ce sont des « comptes
distincts du budget général, retraçant des dépenses et des recettes de l’Etat entre lesquels on veut établir un lien,
soit que l’on veuille affecter certaines recettes à la couverture de certaines dépenses, soit que l’on veuille faire
apparaître une sorte de bilan entre des opérations qui sont en étroite corrélation », MUZELEC (Raymond),
Finances publiques, op. cit., p. 507.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

24
actuelle des comptes spéciaux du Trésor au Cameroun. Le législateur a en revanche fixé le sens
de chacun de ces comptes spéciaux dans des définitions plus ou moins précises.

Aux termes de la loi portant régime financier de l’Etat du Cameroun, les comptes
d’affectation spéciale retracent, dans les conditions prévues par une loi de finances, des
opérations budgétaires financées au moyen des recettes particulières qui sont par nature en
relation directe avec les dépenses concernées42. Les comptes de commerce retracent les
opérations à caractère industriel et commercial effectuées à titre accessoire par des services de
l’Etat non dotés de la personnalité morale43. L’ensemble des comptes spéciaux du Trésor est
soumis à des règles communes, bien que des règles spécifiques caractérisent parfois chacun de
ces comptes. Le législateur a notamment prévu que les comptes spéciaux du Trésor « ne peuvent
être ouverts que par une disposition expresse d’une loi de finances »44.

Relativement aux budgets annexes, ils constituent autant que les comptes spéciaux du
Trésor des affectations spéciales tendant à spécifier les opérations financières de certains
services publics par rapport au budget général de l’Etat. Consacrés par l’Ordonnance de 196245,
les budgets annexes sont définis par la loi de 2018 portant régime financier de l’Etat et des
autres entités publiques comme ceux qui « retracent, dans les conditions prévues par la loi de
finances, les opérations des services de l’Etat non dotés de la personnalité morale résultant de
leur activité de production de biens ou de prestation de services donnant lieu au paiement de
redevances, lorsqu’elles sont effectuées à titre principal par lesdits services »46.

La définition des budgets annexes a par ailleurs inspiré trois précisions de la doctrine : «
d’abord, les services dotés de budgets annexes jouissent d’une certaine autonomie ; soit qu’ils
constituent un ministère particulier, soit qu’à l’intérieur d’un ministère, ils bénéficient d’une
autonomie budgétaire. Ensuite, les services dont les opérations font l’objet d’un budget annexe
sont des services de l’Etat et ne sont donc pas des établissements publics, car si c’était le cas,
ils feraient l’objet de budgets autonomes et non de budgets annexes. Enfin, ayant des activités

42
Article 47 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques précitée.
43
Article 48 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques précitée.
44
Article 44 alinéa 1 de la loi n°2018/012, op.cit.
45
L’article 34 de l’Ordonnance de 1962 prévoit notamment que « les opérations financières des services de l’Etat
que la loi n’a pas dotés de la personnalité morale et dont l’activité tend essentiellement à produire un bien ou à
fournir des services donnant lieu au paiement de prix peuvent faire l’objet de Budgets annexes. Les créations ou
suppressions de Budgets annexes sont décidés par la loi ».
46
Article 43 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques précitée.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

25
payantes, ces services ressemblent aux établissements industriels et commerciaux. Mais pour
une raison historique, ils en sont différents »47.

Toutefois, ces précisions n’excluent pas que l’accès du citoyen à l’information financière
s’arrime aux relations multiformes que les budgets annexes entretiennent avec le budget général
de l’Etat. Il convient ainsi d’observer que « les budgets annexes, intégrés dans la loi de finances,
ne sont pas isolés du budget général de l’Etat. Il existe avec ce dernier une solidarité qui se
traduit par l’intermédiaire d’un solde figurant au budget général, et qui pourra être créditeur ou
débiteur, selon que le budget annexe est en déficit ou en excédent »48.

S’il n’est pas contesté que les budgets constituent des comptes publics prévisionnels, il
est en revanche nécessaire de préciser qu’ils donnent lieu après exécution à une autre catégorie
d’information du citoyen. Cette catégorie s’appuierait sur des comptes publics pouvant être
qualifiés de comptes publics redditionnels.

B- LES COMPTES PUBLICS REDDITIONNELS

L’information financière du citoyen ne saurait faire fi des opérations de dépense publique


déjà effectuées. C’est dans cette logique qu’elle s’appuiera sur les comptes publics
redditionnels. Ces derniers se caractérisent par le fait qu’ils retracent les opérations déjà
exécutées dans le cadre d’une gestion publique. Ils servent ainsi à rendre compte de l’étendue,
de la régularité et de la sincérité de ces opérations d’après l’objectif poursuivi par leurs
destinataires. Les comptes publics appartenant à cette catégorie sont aussi multiples que variés.
Ainsi, l’accès du citoyen à l’information financière tient compte de leur classification qui
impose de scinder cette information selon qu’il s’agit des comptes publics redditionnels ayant
un caractère général par rapport à toutes les opérations effectuées par une personne morale
utilisant le patrimoine public (1) ou des comptes publics redditionnels qui tendent à rendre
compte des opérations mises en œuvre par un agent public de façon spécifique (2).

1- Les comptes publics redditionnels à caractère général

Au titre de l’accès du citoyen à l’information financière relative aux comptes publics


redditionnels à caractère général, il convient de noter que toutes les administrations publiques

47
LEKENE DONFACK (Etienne Charles), Finances publiques camerounaises, op. cit., p. 83.
48
BOUVIER (Michel), ECLASSAN (Marie-Christine), LASSALE (Jean-Pierre), Manuel de Finances publiques,
op. cit., p. 301.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

26
dotées d’un budget ne les produisent pas à la fin de l’exercice budgétaire. Il en va ainsi parce
que l’Etat est un ensemble complexe de services publics, lesquels exécutent de manière
individualisée le budget qui leur est affecté au cours d’un exercice. Pour obtenir un résultat
global en fin d’exercice, l’Etat est obligé de procéder à la consolidation des comptes de tous
ces services. Les collectivités territoriales décentralisées, les établissements publics
administratifs et les entreprises publiques présentent une situation opposée, dans la mesure où
leurs budgets sont exécutés par les mêmes agents sous réserve de la répartition des compétences
en matière d’exécution des budgets publics. C’est pour cette raison que l’accès du citoyen à
l’information financière ne sera possible que sur les comptes constatant l’exécution du budget.
Ces comptes ne peuvent être que des comptes publics redditionnels à caractère spécifique.

Au sujet de l’Etat, l’accès du citoyen à l’information financière s’appuie sur le compte


général de l’Etat car ce compte revêt la caractéristique de compte redditionnel à caractère
général. Lequel constitue désormais une annexe de la loi de règlement49. Ce compte général se
justifie par le souci de produire à la fin de l’exercice les résultats budgétaires et comptables
constatés dans la loi de règlement. Le décret du 7 juillet 2020 sur le règlement général de la
comptabilité publique précise alors qu’« à la fin de chaque année, le Compte Général de l’Etat
est produit par le réseau comptable de l’Etat, sous la responsabilité du Ministre des finances»50.
En vue de mettre en œuvre cette nouvelle obligation budgétaire et comptable, le ministre des
finances doit veiller à la production du compte général de l’Etat. En quoi consiste ce compte ?

Au sens du décret portant règlement général de la comptabilité publique, le compte


général de l’Etat comprend la balance générale des comptes et les états financiers notamment
le bilan, le compte de résultat, le tableau des flux de trésorerie et l’état annexé51. Il est ainsi clair
que le compte de résultat qui était le seul document comptable produit en fin d’exercice pour
constater l’exécution du budget dans l’ordonnance de 1962, est devenu une partie de la loi de
règlement dans la loi de 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques.
Ensuite, il n’est plus qu’une partie du compte général de l’Etat annexé à la loi de règlement.
Cette évolution est caractérisée par le souci constant de fournir une information de plus en plus
détaillée sur l’exécution générale du budget de l’Etat. À la lecture du décret portant règlement
général de la comptabilité publique, on peut constater que certains documents jadis conçus
comme des annexes autonomes de la loi de règlement font désormais partie du compte général

49
Le législateur considère aux termes de l’article 20 alinéa 1 de la loi n°2018/012 précitée, que « la loi de règlement
est la loi de constatation de la dernière loi de finances exécutée ».
50
Article 108 alinéa 1 du décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant Règlement Général de la Comptabilité
Publique.
51
Ibid.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

27
de l’Etat. Ainsi, on peut s’en convaincre que l’accès du citoyen à l’information financière pourra
être garantie dans cette logique au regard de l’article 108 alinéa 5 aux termes duquel, « les
corrections sont effectuées par les services compétents et le compte général de l’Etat est renvoyé
à la juridiction des comptes qui adresse son rapport de certification au Ministre des finances…
». Par ailleurs, « la juridiction des comptes certifie que les états financiers sont réguliers, sincère
et donnent une image fidèle de la situation financière de l’Etat »52.

Les documents constitutifs du compte général peuvent être mieux identifiés à la lecture
de l’instruction générale sur les comptes de l’Etat. Aux termes de cette instruction, outre la
balance des comptes qui constitue le document de synthèse de base de la comptabilité générale
de l’Etat, il existe trois types de documents ayant pour rôle de fournir des informations
pertinentes et synthétiques sur l’exécution et le résultat d’une gestion ainsi que sur la situation
financière et patrimoniale de l’Etat. On peut distinguer à ce titre les états de synthèse sur
l’exécution du budget, les états financiers et les états statistiques.

Au sujet des états de synthèse budgétaire aussi bien en ce qui concerne les dépenses que
les recettes ou les comptes des tiers, l’instruction précise qu’à l’issue d’un exercice, des états
globaux permettant de faire des rapprochements avec la comptabilité générale sont produits.
Ces états sont élaborés par chapitre budgétaire, article ou nature économique (comptes) ou
même par croisement de ces différents critères de manière à renseigner dans le cadre des crédits
ouverts et autorisés dans le budget sur les montants réellement utilisés et les paiements effectifs.
Ils donnent une information complète sur l’exécution de l’ensemble des opérations de la chaîne
de dépense conformément au budget de l’année.

En ce qui concerne les états financiers, leur objectif est de donner une image fidèle du
patrimoine, de la situation financière et du résultat. Pour répondre à cette préoccupation
patrimoniale et afin de se conformer au Plan Comptable Général de l’Etat, les états suivants
doivent être produits en fin d’exercice : la situation de trésorerie, le compte de résultat et le
bilan. La situation de trésorerie présente, sur l’exercice, les encaissements et les décaissements
réels classés par opérations budgétaires (recettes et dépenses) et opérations de trésorerie (dépôts
des correspondants, opérations à régulariser…). Elle permet de dégager la variation de
trésorerie entre le début de l’exercice et la fin de l’exercice et le montant de la trésorerie
disponible en fin d’exercice. La situation de trésorerie présente pour un exercice les flux de
trésorerie par catégorie d’opérations : les flux de trésorerie liés aux opérations de
fonctionnement (charges et produits), les flux de trésorerie liés aux opérations d’investissement

52
Article 108 alinéa 6 du décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

28
(acquisitions ou cessions d’immobilisations), les flux de trésorerie liés aux opérations de
financement (tirages ou remboursement d’emprunts). Il permet de dégager la variation de
trésorerie et le montant de la trésorerie disponible en fin d’exercice. Le compte de résultat se
présente sous la forme d’un tableau de détermination du solde des opérations de charges et de
produits de l’exercice. Il regroupe la totalité des charges (classes 6) et des produits (classe 7)
d’un exercice comptable et dégage le solde ou résultat de gestion qui correspond à la différence
entre les charges et les produits. Ce tableau représente le résultat de gestion calculé et enregistré
automatiquement au compte de la balance des comptes. Le bilan permet d’évaluer la situation
du patrimoine de l’Etat en ressortant les créances et les dettes. Il se présente sous la forme d’un
tableau à deux colonnes : l’actif retraçant les éléments du patrimoine qui constituent les
ressources et le passif recouvrant toutes les obligations de l’Etat à l’égard des tiers notamment
les dettes. Il faut relever que le bilan de l’Etat est différent du bilan d’une entreprise dans la
mesure où pour l’Etat, il ne s’agit pas de la recherche d’un profit, mais plutôt de la connaissance
de sa situation patrimoniale et financière.

S’agissant des états statistiques, ils sont constitués aux termes de l’instruction générale
sur les comptes de l’Etat, du Tableau des Opérations Financières de l’Etat (TOFE) et de la
Position Nette du Gouvernent (PNG). Le TOFE est un document de pilotage des finances
publiques. Il est confectionné à partir des données de la balance des comptes du Trésor et des
autres informations statistiques obtenues des services d’assiette, de la Caisse Autonome
d’Amortissement (CAA) et de la Banque des Etats d’Afrique Centrale (BEAC). Il est produit
sur base ordonnancement. Mais pour des besoins de suivi d’un programme économique comme
c’est le cas au Cameroun, le TOFE peut être confectionné sur base caisse. L’écart important
entre les ordonnancements, les encaissements et les paiements milite en faveur d’une telle
option. Le TOFE est appuyé de divers tableaux détaillés et de différentes annexes. La Position
Nette du gouvernement récapitule la situation des comptes publics dans le système bancaire et
le Trésor Public (pris dans le sens large du terme y compris les administrations publiques). La
PNG est produite à partir des données tirées des statistiques monétaires. Contrairement à la
comptabilité nationale qui s’intéresse aux flux entre les agents économiques, les statistiques
monétaires sont des stocks ou encours des agents financiers résidents. Elle se détermine par une
série d’additions et de soustractions et peut être calculée vis-à-vis de la BEAC, du Fonds
Monétaire International (FMI) et du système bancaire. En définitive, la PNG permet d’apprécier
la capacité de l’Etat à mobiliser les recettes sans recours aux emprunts auprès du système
bancaire.

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

29
On peut faire un constat simple au regard des développements qui précèdent : plus une
structure est grande, plus sa gestion financière est complexe, car elle est alors contrainte de fixer
plusieurs échelons de décision financière et comptable pour accroître son efficacité et son
efficience. Il importe seulement que les organes chargés de la direction et de l’administration
centrale soient en mesure d’agréger toutes les informations retraçant les décisions prises à tous
les échelons afin de disposer d’une bonne lisibilité de sa situation financière et patrimoniale,
gage d’un meilleur pilotage de sa gestion administrative et financière. C’est dire toute l’utilité
des comptes publics redditionnels à caractère général pour favoriser l’accès du citoyen à
l’information financière en amont. Dès lors, en aval, cet accès du citoyen à l’information
financière est nécessaire grâce aux comptes publics redditionnels à caractère spécifique.

2- Les comptes publics redditionnels à caractère spécifique

L’accès du citoyen à l’information financière relativement aux comptes publics


redditionnels à caractère spécifique doit s’appuyer sur les comptes élaborés par des agents
agissant au nom des personnes morales gérant les biens publics. S’il est permis de retenir que
ces personnes morales appartiennent au secteur public conçu de façon large, cela implique par
ailleurs qu’il s’agit d’agents chargés de l’exécution du budget des personnes morales de droit
public et de droit privé selon les règles qui leur sont propres. Au sein du secteur public, on
retrouve ces deux catégories de personnes morales. S’agissant des personnes morales de droit
public, les agents chargés de l’exécution du budget sont les ordonnateurs, les contrôleurs
financiers et les comptables53. Lorsqu’on est en présence des personnes morales de droit privé,
l’exécution du budget se fait sous la responsabilité du directeur général, lequel cumule les
fonctions qui auraient respectivement appartenu à l’ordonnateur, au contrôleur financier et au
comptable au sein des personnes morales de droit public. De toute façon, l’accès du citoyen à
l’information financière est garanti par les comptes publics redditionnels appartenant aux
ordonnateurs, aux comptables publics et aux directeurs généraux. Parmi ces trois catégories
d’agents, les comptables publics et les directeurs généraux d’entreprises publiques doivent
rendre compte au juge des comptes et engager ainsi leur responsabilité sur les opérations qu’ils
ont effectuées. L’ordonnateur désigne l’autorité qui détient le pouvoir de décision en matière
financière ; c’est lui qui décide de l’utilisation des crédits mis à sa disposition et constate les
créances des personnes publiques54. En effet, « est ordonnateur, toute personne ayant qualité au
nom de l’Etat de prescrire l’exécution des recettes et des dépenses inscrites au budget de l’Etat

53
Article 64 alinéa 1 de la loi n°2018/012 précitée.
54
PHILIP (Loïc), Finances publiques, op. cit., p. 228.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

30
»55. Dans l’exercice de ses attributions, l’ordonnateur est tenu de produire un compte
administratif.

L’insistance des textes financiers publics sur les comptes administratifs est certainement
due à une difficulté fonctionnelle ressentie dans l’office du juge des comptes dès son premier
exercice de contrôle56. Le compte administratif de l’ordonnateur est en revanche devenu l’un
des instruments incontournables du contrôle de l’exécution du budget des personnes publiques.
Mais, la question reste de savoir si le défaut de production du compte administratif d’un
ordonnateur peut être réellement un obstacle à l’élaboration du compte général de l’Etat, à la
production du compte de gestion d’un comptable public ou du rapport annuel de performance.
Cela devrait pouvoir être le cas en raison de l’interconnexion de ces différents documents
comptables. C’est dire que les ordonnateurs de toutes les personnes publiques doivent
dorénavant produire les comptes administratifs au même rythme que les comptables publics
produisent les comptes de gestion.

L’accès du citoyen à l’information financière au regard des comptes de gestion est en


même temps garanti par les comptes publics redditionnels produits en fin d’exercice par les
comptables publics. La loi du 21 avril 2003 relative à la Chambre des Comptes consacre aussi
bien les comptables publics patents que les comptables de fait57. La notion de compte de gestion
n’est toutefois employée qu’à l’égard des comptables publics patents. Au sujet des comptables
de fait, il est fait usage de certaines précisions comme en témoigne l’expression « compte de la
gestion de fait »58 ou « compte d’emploi des sommes manipulées »59. Il convient d’intégrer ces
deux aspects dans cette analyse si l’on veut avoir une vision complète des comptes publics dans
le cadre de l’accès du citoyen à l’information financière.

55
Article 65 de la loi n°2018/012 précitée.
56
Consulter sur ce point le Rapport annuel pour 2006, p. 76 ; il convient encore de préciser que l’article 27 alinéa
5 (b) prévoit notamment que les observations de la Chambre des Comptes à l’issue de l’instruction du compte «
résultent de la comparaison de la nature et du volume des dépenses et des recettes, avec les autorisations qui
figurent dans les comptes administratifs et les budgets d’une part, et la vérification de la conformité des opérations
comptables aux lois et règlements en vigueur d’autre part ».
57
L’article 5 alinéa 1 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des Comptes dispose : « est comptable public patent au sens de la présence loi,
toute personne régulièrement préposée aux comptes et chargée ou maniement des deniers ou valeurs ou de la
comptabilité matières » ; par ailleurs, l’article 6 alinéa 1 prévoit : « est comptable de fait toute personne qui,
n’ayant pas la qualité de comptable ou n’agissant pas en cette qualité, s’ingère dans les opérations de recettes et
de dépenses, de maniement des valeurs, de deniers publics, ceux réglementés ou non réglementés, ainsi que ceux
des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic ».
58
Arrêt n°04/AD/CF/S3/13 du 06 février 2013, Compte de gestion de l’Université de Ngaoundéré, Exercice 2004
(déclaration définitive de la gestion de fait de Monsieur M. S., DAAF à l’Université)
59
Arrêt n°04/CSC/CDC/S1 du 24 janvier 2012, Déclaration de gestion de fait, Mis en cause BELLO Bernard,
Compte de gestion de la circonscription financière du Nord-Ouest, Exercice 2005.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

31
On a pu relever que « le comptable décrit dans sa comptabilité les mouvements de caisse,
les entrées et les sorties de fonds. L’ordonnateur, lui, y fait figurer l’emploi des crédits, c’est-
à-dire l’utilisation qu’il a faite d’autorisations juridiques »60. D’où les bases matérielles de
l’accès du citoyen à l’information financière.

Il est vrai que le compte de la gestion de fait, par contre, décrit les opérations d’exécution
du budget d’une personne publique, nonobstant le défaut de la qualité de comptable public ou
son habilitation. Cependant, l’accès du citoyen à l’information financière y trouve également
une base matérielle. Comme en matière de comptabilité patente « la présentation d’un compte
est la condition indispensable au jugement sur la responsabilité pécuniaire et personnelle du
comptable de fait. Le jugement rendu en l’absence du compte serait nul et de nul effet »61 même
si « le juge peut passer outre le refus persistant du comptable de fait de produire son compte en
l’établissant lui-même lorsqu’il dispose des éléments lui permettant de déterminer d’office les
recettes et les dépenses de la gestion irrégulière, ainsi que le reliquat qui en résulte ; dans ce cas
également, le comptable de fait a la possibilité de discuter le compte ainsi établi »62. Le compte
de la gestion de fait est ainsi un compte occasionnel, établi lorsque l’irrégularité de la gestion
de fait est consommée. Il va sans dire que ces comptes informels n’existent que pour satisfaire
aux exigences contentieuses liées à la procédure devant le juge des comptes. Ils n’obéissent
donc pas à une nomenclature préétablie par les textes financiers ; leur contenu varie en fonction
des nécessités de contrôle du juge des comptes et de l’étendue des opérations sur lesquelles le
gestionnaire de fait s’est ingéré. C’est à lui que revient, en principe, la charge de produire le
compte de la gestion de fait et quand ce compte existe, il devient un compte public.

L’accès du citoyen à l’information financière est garanti par une dernière catégorie de
comptes publics redditionnels à caractère spécifique. Il s’agit de celle des responsables
d’organismes dans lesquels ne s’applique pas le principe de la séparation des fonctions
d’ordonnateur et de comptable. De tels organismes ne disposent pas en matière d’exécution de
leur budget des agents ayant la qualité de comptable public. Ce profil correspond aux
organismes ayant certes la personnalité morale de droit privé, mais qui sont inclus dans la sphère
publique ou encore le secteur public et parapublic. Ce secteur est dominé par les entreprises
publiques quoiqu’on puisse y trouver d’autres catégories de personnes morales comme les
associations. Mais, quelle que soit l’hypothèse retenue, l’organisme fonctionne sous les ordres
d’un dirigeant, lequel ordonne et fait exécuter toute opération administrative et financière. C’est

60
PHILIP (Loïc), Finances publiques, op. cit., p. 233.
61
MAGNET (Jacques), VALLERNAUD (Louis), VUGHT (Thierry), op. cit., p. 392.
62
Ibid.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

32
en raison de cette responsabilité du dirigeant au sein de l’organisme qu’il est tenu de produire
un compte sur les décisions financières prises et exécutées au cours d’un exercice63.
Conformément à la législation OHADA, les comptes des entreprises du secteur public et
parapublic sont établis sous la forme d’états financiers annuels suivant des règles fixées dans le
système comptable OHADA. En dehors des entreprises, la dénomination pouvant être retenue
à l’égard d’autres personnes morales de droit privé est celle de « comptes », suivie de sa
désignation institutionnelle. En interprétant ces comptes à travers les critères de deniers publics
et de mission d’intérêt général, on est conduit à les qualifier de comptes publics. En tout état de
cause, ces comptes sont ouverts à l’information financière du citoyen.

Il convient en définitive d’admettre que l’accès du citoyen à l’information financière est


garanti par une diversité de comptes publics redditionnels à caractère spécifique. Cette diversité
est le reflet de la diversité d’agents intervenant dans l’exécution des budgets publics. Parce que
l’exécution des budgets publics implique d’en rendre compte au peuple, on assiste à la
confection des comptes publics propres à chaque organisme public et à chaque agent public.
On a pu constater que certains comptes publics enregistrent toutes les opérations du budget
d’une personne morale précise, alors que d’autres ne concernent que des opérations
limitativement énumérées. C’est la raison pour laquelle il est convenable de garantir la
libéralisation de l’accès du citoyen à l’information financière.

II- LA LIBERALISATION DE L’ACCES DU CITOYEN A L’INFORMATION


FINANCIERE

La libéralisation de l’accès du citoyen à l’information financière consiste à mettre les


finances publiques à la portée de tous. Elle correspond à une entreprise qui consiste à placer
l’individu au centre du droit financier. L’accès à l’information est un préalable indispensable
au contrôle citoyen. Il n’est pas en soi suffisant mais sans lui rien n’est envisageable au-delà.
Au demeurant, la libéralisation de l’accès à l’information financière ne dépouille pas totalement
l’Administration financière des secrets64 mais rend compte de l’humanisation de la matière.
C’est en fait les finances publiques pour tous, les finances ouvertes, une gestion dans l’intérêt
général. Exprimant ainsi l’idée que les finances publiques doivent être connus de tous et

63
C’est notamment le sens des dispositions de l’article 8 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les
attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême du Cameroun.
64
GUESSELE ISSEME (Lionel-Pierre), L'apport de la Cour suprême au droit administratif camerounais, thèse
de doctorat/PhD en droit public, Université de Yaoundé II, 2010, p. 323.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

33
répondre aux besoins du destinataire du service, le citoyen. Elle se matérialise ainsi par
l’accessibilité (A) et la publicité (B) de l’information financière.

A- L’ACCESSIBILITE DES DOCUMENTS FINANCIERS

L’accessibilité, c’est réduire ou supprimer le caractère vague de la loi. Pour ce faire, « Il


faut une volonté politique lente et durable pour éclairer, simplifier et humaniser le droit »65,
comme le dit si bien Philippe MALAURIE. Mais aussi de l’humilité, qui seule permet la
simplicité. L’humanisation des finances publiques se traduit par le principe d’intelligibilité (1)
et de clarté (2) des textes à caractère financier.

1- L’intelligibilité de la loi financière

L’intelligibilité66 de la loi financière est un marqueur de l’accessibilité tel que précisé par
le code de transparence Camerounais. La loi financière intelligible est un instrument de l’Etat
de droit et de la bonne gouvernance financière, or celle inintelligible les fait disparaître au
regard de l’obscurité qu’elle génère67. C’est dire que la libéralisation de la gestion des finances
publiques se décline en la dénonciation de l’opacité dans les opérations financières68 et en
l’exclusion du langage ésotérique par les textes nationaux. Ils deviennent ainsi accessibles à
tous et pour tous69. Le changement du langage financier est perceptible avec la notion de budget
citoyen70 depuis 2018 au Cameroun et 2016 dans les Etats comme le Mali, la Guinée Conakry
et le Sénégal. Le budget-citoyen est « une version simplifiée, imagée qui permet à un citoyen
de comprendre, même sans savoir lire, ce qu’est le budget »71.

65
MALAURIE (Philippe), « L'intelligibilité des lois », Pouvoirs, vol. 114, n°3, 2005, pp. 131-137.
66
GEMAR (Jean-Claude), « Analyse jurilinguistique des concepts de lisibilité et d’intelligibilité de la loi », Revue
générale de droit, vol. 48, n°2, 2018, p. 1.
67
Idem.
68
Article 2 du Décret n°2005/187 du 31 mai 2005 portant organisation de l’Agence nationale d’investigation
financière.
69
Seule la loi claire, simple, limpide, transparente (tel que précisé dans le Code de transparence), compréhensible
de tous peut être respectée, devenir efficace et assurer ce que l’on peut attendre du droit : la justice, l’ordre, la
prévisibilité, la sécurité, le bien-être, la paix et peut-être le bonheur.
70
Voir https://www.dgb.cm/news/acceder-budget, consulté le 1er août 2023 à 15h30. Le budget citoyen est
considéré comme un document simplifié de la loi de Finances qui résume les principaux chiffres y figurant et à
travers lesquels le citoyen peut découvrir la répartition des dépenses publiques et la source de recettes publiques.
Il permet aussi au citoyen de suivre les dépenses publiques, de connaitre les niveaux du déficit budgétaire et de
l'endettement public, ainsi que l'évolution des principaux indicateurs macro-économiques.
71
SOULAMA (Abdoul Rachid), « Rendre accessible le budget au citoyen lambda », sur http : www.lexpressdufaso
Cité par ISSOUFOU (Adamou), « La transparence des finances publiques : un nouveau principe dans l’Union
Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) ? », Annales africaines, nouvelle série, volume 2 décembre
2018, n°9, p. 230.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

34
En fait, l’intelligibilité est nécessaire à tout le droit72 ; le droit financier n’y échappe pas.
La dernière décennie est marquée par un changement du langage financier. Le but premier est
de laisser comprendre le texte financier. C’est ce qui explique la nécessité de définition des
concepts dans les nouveaux documents en finances publiques tel le Livre blanc73, le Code de
transparence et de bonne gouvernance74 ou le Code des marchés publics75 au Cameroun. En
effet, le droit n’a de sens que s’il est compris de tous et est ainsi populaire. Les lois, avait dit
Montesquieu, « sont faites pour des gens de médiocre entendement »76. C’est dans leur réalisme
populaire que réside la grandeur des lois, peut-être même aujourd’hui leur seule grandeur. En
d’autres termes, la loi de finances n’a de sens que si elle est assimilable, comprise. La technicité
de ce champ du droit propre aux initiés doit être revisitée parce que « La fonction du langage
est de communiquer, c'est-à-dire de transmettre une pensée d’un locuteur à un (ou des)
interlocuteur (s) »77.

L’intelligibilité du droit financier dépasse ainsi de très loin la simple analyse des procédés
techniques qui en facilitent ou en entravent l’accessibilité. L’intelligibilité doit être au cœur de
ce droit, une de ses données fondamentales, traduisant à la fois sa force et sa faiblesse. Elle met
en cause la personnalité humaine, l’histoire du droit78 des finances publiques, le langage, le
style de l’époque. « Le mystère du style », disait Chateaubriand, « mystère sensible partout,
présent nulle part »79 oriente la communication entre les hommes. La place des finances dans
les rapports humains, ne saurait écarter les réalités profondes du phénomène financier80. Ainsi,
l’accessibilité à l’information financière doit être concrète et effective81.

C’est souvent parce que la loi est complexe, passéiste, inadaptée qu’elle est difficilement
compréhensible. Ces doléances ne sont que les expressions de l’inquiétude des hommes, le
sentiment que leur société, leur droit et le temps présent sont en crise. Pour Jean
CARBONNIER : « ce brouillard qui pénètre tout nous aveugle, nous rend incapable de

72
Ibid., constitutions, traités internationaux, décisions judiciaires, actes administratifs, actes publics et privés.
73
Livre blanc. Réforme des finances publiques du Cameroun 2011.
74
Loi n°2018/011 du 11 juillet 2018 op.cit.
75
Décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés Publics du Cameroun.
76
MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, LXXIX, ch. 16.
77
GUIRAUD (Pierre) et KUENT (Pierre), La stylistique, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? n°646, 1970, p. 86.
78
CORNU (Gérard), Linguistique juridique, Paris, Montchrestien, 1991, 2e édition, pp. 257-259 ; et Linguistique
juridique, Paris, LGDJ, 2005, 3e édition, 456 p.
79
CHATEAUBRIAND, Mémoires d’outre-tombe, Paris, Garnier, Livre XV, ch. 1, 1910, p. 2.
80
Arrêt de principe, CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni, série A, n°30, § 46.
81
Ibid.,§ 47 : les normes législatives doivent être « énoncées avec suffisamment de précision pour permettre au
citoyen de régler sa conduite, en s’entourant au besoin de conseils éclairés, être à même de prévoir, à un degré
raisonnable, dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé […] ;
[elles] n’ont pas besoin d’être prévisibles avec une certitude absolue : l’expérience la révèle hors d’atteinte. En
outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; et le droit
doit pouvoir s’adapter aux changements de situation ».
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

35
concevoir les rapports entre les hommes autrement que comme rapports de droit […], le droit
diffuse une sécurité qui endort l’action, à tout le moins la ralentit […] ; c’est la fatalité de l’excès
[…] C’est une affaire sérieuse, mieux que constitutionnelle, culturelle, et dès lors bipartisane.
Il faudra bien que le pays s’en saisisse avec gravité »82, ou bien, plus laconique encore : «
l’inflation législative a pour conséquence l’ignorance des lois, leur ineffectivité et finalement
leur dévalorisation dans l’esprit public »83. La complexité du droit, sa fragmentation, sa
technicité, son ignorance du réel, des situations vécues, l’inflation des lois, leur surabondance,
la crise du droit rend le droit difficilement intelligible. Il est impératif de simplifier le langage
financier.

L’information financière est sans doute, parmi toutes les informations, la plus difficile à
entendre et à comprendre84. La communication financière aboutie et réussie suppose donc, de
la part de l’émetteur de l’information, un effort nécessaire de mise à portée du récepteur de cette
information. Mais, cela suppose aussi que ce dernier accepte de se plier à une analyse rationnelle
fondée sur la mesure des faits observés et quantifiés. Elle induit qu’il faudrait se départir de
présupposés idéologiques en considérant que l’émetteur de l’information financière adopte le
même comportement. Quant au récepteur de l’information financière, il est supposé porteur
d’un intérêt et d’une appétence suffisants pour aller la chercher ou la rechercher, ainsi que d’une
culture et d’une capacité de connaissances appropriées pour l’assimiler.

Au demeurant, l’intelligibilité de la loi doit être continue, ceci parce qu’une loi intelligible
peut cesser de l’être avec l’érosion du temps. Un immense corps de règles pourrait la rendre à
nouveau complexe et difficile à comprendre. La simplification à travers la clarté du langage
financier se doit donc d’être permanente.

2- La clarté de la loi financière

Le principe de clarté des lois en matière financière a pour but de favoriser la


compréhensibilité de la loi financière car l’obscurité des lois rend le droit imprévisible. La
volonté de clarté se traduit par « l’amélioration de la lisibilité du budget de l’Etat », c’est-à-dire
par une énumération plus simplifiée et synthétique des rubriques de la classification
économique des opérations budgétaires. Toutefois, en matière de dépenses, cette classification
revêt un caractère indicatif en raison de la fongibilité des crédits qui prévaut à l’intérieur du

82
CARBONNIER (Jean), Droit et Passion du droit sous la Vème République, Paris, LGDJ, 2008, p. 147.
83
CARBONNIER (Jean), Droit civil, Paris, PUF, coll. Quadrige Manuels, 2017, 2e édition, p. 1145.
84
HERNU (Paul), « La communication financière propre au secteur public », RFFP, n°151, 2020, p. 1.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

36
programme. Dans le même cadre, la loi différencie les recettes et les dépenses budgétaires, des
ressources et des charges de trésorerie. Ainsi, rentrent dans la catégorie des opérations de
trésorerie, les opérations liées à la gestion de la dette qui sont l’accessoire de son émission, de
son rachat ou de son remboursement ainsi que l’encaissement des produits de cession d’actifs.
Il en est de même des mouvements sur les disponibilités de l’Etat et de la gestion des fonds
déposés par les correspondants du trésor. L’incorporation des opérations dans la catégorie des
recettes et des dépenses budgétaires telle que prévue par le régime financier de 2007 avait pour
inconvénient de rendre moins lisible l’information sur les déficits budgétaires et les moyens de
son financement.

La logique de clarté est également perceptible au travers des annexes explicatives. Ces
dernières développent par programme85, le montant des crédits présentés par titre au cours de
l’année considérée ainsi qu’à titre indicatif pour les deux prochaines années, jointe à la loi de
finances. Cependant, il reste que la formulation des expressions ésotériques confine la
compréhension globale du texte. Les termes techniques influencent négativement sur ceux
pourvus de compréhension. La compréhension globale du texte devient complexe et tortueuse
compte tenu des ruptures et discontinuités engendrées par ces expressions. Ainsi, « Il ne fait
aucun doute de la mauvaise qualité rédactionnelle des lois »86, davantage, la formulation de
celle-ci n’a été faite dans l’optique d’une « artisane de la qualité du droit »87.

L’aspect sociologique semble n’avoir pas été suffisamment pris en compte dans la
rédaction des textes de finances publiques. Le niveau de compréhension et le niveau didactique
des citoyens n’ont pas suffisamment irrigué l’établissement des différentes législations
financières. Cela génère l’éloignement de la compréhension des expressions querellées du corps
social, celles-ci étant dissimulées dans les documents financiers.

Selon l’exigence de clarté, les opérations et informations financières doivent être inscrites
dans les comptes sous la rubrique adéquate, avec la bonne dénomination et sans compensation
entre elles. Les éléments d'actif et de passif doivent être évalués séparément et les éléments des
états de synthèse doivent être inscrits dans les postes adéquats sans aucune compensation entre

85
Article 15 de la loi n°2018/011 du 11 juillet 2018 op.cit.
86
AKAM AKAM (André), « Libres propos sur l’adage ‘nul n’est censé ignorer la loi’ », RASJ, vol. 4, n°1, 2007,
p. 53.
87
ABANE ENGOLO (Patrick-Edgard), « La notion de qualité du droit », RADSP, vol. 1, n°1, jan-juin 2013, p.
109.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

37
ces postes. Ce principe a ainsi un lien avec les principes de la spécialisation des exercices
budgétaires88 et celui de la sincérité comptable89 tel que prévu par la loi de 2018.

En application de ce principe, la comptabilité de l’Etat et des autres entités publiques doit


être organisée, enregistrée, préparée et présentée. Les méthodes utilisées doivent être clairement
indiquées notamment dans les cas où elles relèvent d'options autorisées par le plan comptable
ou dans ceux où elles constituent des dérogations à caractère exceptionnel. À titre exceptionnel,
des opérations de même nature réalisées en un même lieu, le même jour, peuvent être
regroupées en vue de leur enregistrement selon les modalités prévues par le plan comptable
lorsqu’il s’agit des entreprises publiques. Des postes relevant d'une même rubrique d'un état de
synthèse peuvent exceptionnellement être regroupés si leur montant respectif n'est pas
significatif au regard de l'objectif d'image fidèle.

En raison du principe de l’annualité et de la spécialité budgétaire, les charges et les


produits doivent être, rattachés à l'exercice qui les concerne effectivement et à celui-là
seulement. Ainsi, toute charge ou tout produit rattachable à l’exercice mais connu
postérieurement à la date de clôture et avant celle d’établissement des états de synthèse, doit
être comptabilisé parmi les charges et les produits de l’exercice considéré. De même, toute
charge ou tout produit connu au cours d’un exercice mais se rattachant à un exercice antérieur,
doit être inscrit parmi les charges ou les produits de l’exercice en cours. Les charges
comptabilisées au cours de l’exercice et se rattachant aux exercices ultérieurs, doivent être
soustraites des éléments constitutifs du résultat de l'exercice en cours et inscrites dans un compte
de régularisation. Ces instruments garantissent, « un meilleur taux de réalisation des
prévisions… »90.

La simplification du droit financier améliore la qualité de la norme et de ce fait ses


rapports avec le citoyen. Les lois pour lesquelles aucun texte d’application n’a été adopté
seraient examinées afin d’abroger celles pour lesquelles il apparait que ces textes ne seront
jamais pris91. La notion de simplification est ancienne même si le terme est très récent92. L’idée
de simplification a d'abord été confinée aux formalités administratives avant que d’envahi la
totalité des branches juridiques et toute l’activité normative. Cet état de chose n’a pas contribué

88
Article 4 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
89
Ibid., article 21 et 86.
90
GUGLIELMI (Gilles Jean) et MARTIN (Julien), La démocratie de proximité, Paris, Berger-Levrault, 2013, p.
174.
91
WARSMANN (Jean-Luc), Simplifions nos lois pour guérir un mal français : rapport sur la qualité et la
simplification du droit, Paris, La Documentation française, 2009, 238 p.
92
RUEDA (Frédérique) et ARDOY (Pierre-Yves), Qu'en est-il de la simplification du droit, Presses de l’Université
Toulouse 1 Capitole, 2018, 359 p.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

38
à la purger de son « ambiguïté profonde ». C’est donc à juste titre que la simplification du
langage financier soit complétée par l’exigence de publicité.

B- L’EXIGENCE DE PUBLICITE DE L’INFORMATION


FINANCIERE

Le contrôle citoyen induit que la publicité des informations financières soit érigée en
obligation légale de l’administration93. Le législateur camerounais fait une distinction entre la
publicité et la publication. Pendant que la publicité est entendue comme un moyen de
publications telles que l’affichage, l’annonce publique, la notification, l’insertion dans la presse,
la lecture à la radio94 ; la publication quant-à-elle est la finalité, le fait de rendre publique. Cette
exigence n’est cependant pas absolue. Le Conseil d’Etat français décrivait la transparence et le
secret comme les deux faces d’un même « dilemme éthique fondamental »95, étant donné que
l’un ne peut exister sans l’autre dans l’Etat. Au Cameroun, comme dans d’autres Etats tels que
le Congo Brazzaville96, le Gabon97 et le Tchad98, cette exigence tire ces fondements du droit
communautaire CEMAC99 et se traduit par la diffusion des données financières (1) malgré la
préservation des secrets d’Etat (2).

1- L’obligation de diffusion des données financières

La nouvelle génération100 des finances publiques exige l’information régulière du public


sur les grandes étapes de la procédure budgétaire, leurs enjeux économiques, sociaux et
financiers, ceci dans un souci de transparence et d’objectivité101. Cette obligation de publication
des informations, est préconisée non seulement par le code de transparence102 du Cameroun

93
Articles 47 à 50, Loi n°2018/011 du 11 juillet 2018 portant Code de transparence et de bonne gouvernance du
Cameroun et Section VII, article 2 de la Directive n°06/11-UEAC-190-CM-22 relative au code de transparence et
de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques.
94
Article 5 de l’ordonnance n°72-11 du 26 aout 1972 relative à la publication des lois, ordonnances, décrets et
actes réglementaires.
95
Conseil d’Etat, Rapport public 1995, Paris, La Documentation française, p. 18.
96
Articles 12 et 13 du Code du Congo Brazzaville.
97
Articles 3 (2ème tiret), 9 et 10 du Code du Gabon.
98
Articles 5, 8 du Code de transparence du Tchad.
99
Directive n°06/11-UEAC-190-CM-22 relative au code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion
des finances publiques.
100
Voir BA (Boubacar Demba), Finances publiques et gestion par la performance dans les pays membre de
l’UEMOA, étude du cas du Sénégal, op.cit., p. 37 et suiv; RABAULT (Hugues), La constitution financière de la
France, sources fondamentales du droit des finances publiques, Paris, L’Harmattan, 2020, 258 p.
101
Article 4 al (9) de la loi du 11juillet 2019 op.cit.
102
Voir Loi n°2018/11 du 11 juillet 2018 op.cit.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

39
mais aussi par les conventions internationales103. Plusieurs législations étatiques y ont fait
référence104. Ainsi, l’information régulière du citoyen sur l’élaboration et l’exécution des
politiques publiques inscrites dans la loi de finances est faite à travers la publication des rapports
trimestriels relatifs à l’exécution du budget105, les avis, décisions et rapports de la juridiction
des comptes106, ainsi que les décisions particulières.

En effet, l’obligation de publicité est déduite de l’exigence pour l’administration de


publier les informations financières, tant sur le passé, que le présent et l’avenir107. L’information
doit être exhaustive et doit couvrir l’ensemble des activités budgétaires et extrabudgétaires. La
publication, dans des délais appropriés, d’informations sur les finances publiques est définie
comme une obligation légale de l’administration. C’est dans ce sens que le calendrier des
opérations financières est annoncé au seuil de chaque année et suivi108. Il en est de même pour
celui de la diffusion109 des informations sur les finances publiques. Cela signifie que le public
doit être informé sur les grandes étapes de la procédure budgétaire et sur les enjeux

103
La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté en 2002 à Banjul une Déclaration de
principe sur la liberté d’expression en Afrique. Elle énonce en substance en son article 9 que « toute personne a
droit à l’information ». Le principe I de la Déclaration énonce que « la liberté d’expression et d’information […]
est un droit fondamental et inaliénable et un élément indispensable de la démocratie ». Le titre IV de la déclaration
énonce que « les organismes publics gardent l’information non pas pour eux mais en tant que gardien du bien
public et toute personne a le droit d’accédé à cette information, sous réserve de règles définies et établies par la
loi ». Plusieurs documents font mention du droit d’accès à l’information : la Charte Africaine de la démocratie des
élections et de la gouvernance (2002) ; le Nouveau partenariat pour le développement en Afrique ; la convention
de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption de 2003 ; La Charte Africaine sur les valeurs
et les principes du service public et de l’administration de 2011. Le Conseil de l’Europe a consacré en 2003 la
recommandation REC (2002) deux sur l’accès aux documents publics. Le conseil de l’Europe à adopter en 2000
la recommandation R (2000) sur la politique européenne en matière d’avis aux archives qui est la 1ère norme
intergouvernementale dans ce domaine.
104
En Afrique du Sud, on a le « promotion of Acces to information » Act (PAIA) de 2000. Le droit à l’information
fait partie du nouveau régime démocratique et pluraliste. En Amérique Latine, en 2000 après le régime sans partage
du parti révolutionnaire, il s’est doté en 2002 d’une des lois les plus avancée sur la « transparence et l’accès à
l’information publique gouvernementale (Ley Federal de transparencia Y Acceso a la Información pública
gubernamental). En Indonésie, la chute du régime souhaite en 1998 a été suivie d’une transition politique qui a
abouti au vote du Freedom of Information Act en 2008. Le printemps arabe a également favorisé la reconnaissance
de ce droit. À l’éruption de la Jordanie qui disposait d’une loi de ce type depuis 2007, aucun pays arabe n’en avait
adopté au paravent. Après la Hongrie et l’Ukraine, premier pays post communiste à se doter d’une foi sur l’accès
à l’information en 1922, les 22 pays de l’ex-bloc Soviétique vont adopter une. En Tunisie, c’est le décret- loi du
26 Mai 2011 qui a ouvert l’accès aux documents administratifs des organismes publics et au Maroc, la nouvelle
constitution adoptée en Juillet 2011.
105
Article 85 (2), Loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques. Et l’article 36 du Code de Transparence et de Bonne Gouvernance dans la gestion des finances
publiques qui dispose d’autre part que « La situation de l’exécution budgétaire fait l’objet périodiquement, en
cours d’année, de rapports publics ». Le Ministère des Finances réalise une revue trimestrielle de l’exécution
budgétaire qui constitue en fait un rapport semestriel de l’exécution du budget de l’Etat.
106
Article 43(1), Loi n°2018/011 du 11 juillet 2018 op.cit.
107
Ibid., article 47, 48, 49 et 50.
108
Section VII, article 3 de la Directive n°06/11-UEAC-190-CM-22 op.cit.
109
Article 4 (9) de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

40
économiques, sociaux et financiers. Autrement dit, la gestion financière doit être
transparente110.

Au Cameroun comme en France ou dans les Etats d’Afrique francophone, la juridiction


des comptes contribue directement à « l’information des citoyens » et devient « leur informateur
direct, sans l’intermédiaire de leurs représentants »111 par l’entremise de l’outil numérique.
C’est pourquoi, le Conseil constitutionnel français l’a qualifié de « promoteur résolu de l’accès
à l’information…par le numérique »112 en proclamant la liberté de l’accès à l’information sur
internet113 avant de relier cette liberté à la transparence.

Au terme de la loi de 2003, la Chambre des comptes du Cameroun produit annuellement


au Président de la République, au Président de l’Assemblée Nationale et au Président du Sénat,
un rapport exposant le résultat général de ses travaux et les observations qu’elle estime devoir
formuler, en vue de la réforme et de l’amélioration de la tenue des comptes et de la discipline
des comptables114. Cette situation est également observée au niveau de la notification des
décisions du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière115 du Cameroun. Notre code de
transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques est plus précis ; il
énonce en substance que la chambre des comptes publie tous les rapports qu’elle transmet au
Président, au Parlement et au Gouvernement116. Cet énoncé laisse entrevoir que le citoyen
comme les autorités administratives et politiques auront la même information. Cette loi ne
détermine pas les premiers à être informés des décisions du juge des comptes. La question du
destinataire primaire des rapports de la chambre des comptes se pose et par conséquent de la
sincérité des informations transmises dans un environnement complexe ou la politique prend
facilement le pas sur le droit et ou des relations incestueuses existent entre des gestionnaires
publics et le parti dominant. Néanmoins, il est légitime que la primauté soit accordée au
Président au regard de sa position constitutionnelle ; cela ferait ombrage si ce dernier avait un
pouvoir de modification desdits rapports. Or, le texte ne le prévoit nullement. En vertu de la

110
L’exigence de transparence avait, virtuellement, une valeur constitutionnelle depuis la grande décision de juillet
1971 ayant fait entrer notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dans l’ordre
constitutionnel. L’article 15 de cette Déclaration est, à cet égard, souvent invoqué comme étant la base
constitutionnelle de la transparence administrative en tant qu’il dispose que « la société a le droit de demander
compte à tout agent public de son administration ».
111
AUBIN (Emmanuel), « La protection constitutionnelle de la transparence administrative », Nouveaux cahiers
du Conseil constitutionnel, 2018, n°59, p. 41.
112
Ibid.
113
C.C., 2009-580 DC, 10 juin 2009, loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. Voir
MARINO Laure, « Le droit d’accès à l’internet, nouveau droit fondamental », Paris, Dalloz, Sirey, 2009, p. 2045.
114
Article 3 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la
Chambre des comptes de la Cour Suprême du Cameroun.
115
Article 14 du Décret n°2008/028 du 17 Janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil de
Discipline Budgétaire et Financière.
116
Article 43 de la loi n°2018/11 du 11 juillet 2018 portant code de transparence et de bonne gouvernance, op.cit.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

41
maxime « il n’y pas de pouvoir sans texte », la plus haute autorité administrative de l’Etat ne
peut modifier les rapports provenant de la Chambre des comptes.

La loi n°2018/11 du 11 juillet 2018 recommande également la publicité du débat


d’orientation budgétaire que le Parlement organise chaque année pour examiner les documents
de cadrage à moyen terme, la situation macro-économique et le rapport d’exécution du budget
de l’exercice en cours. La séance est certes publique mais sans vote117. Au finale la publicité
est manifestée par l’exigence de porter à la connaissance du public, de façon régulière, les
ventes des biens publics118. Dans le même sens, le calendrier budgétaire annuel de préparation
du budget de l’Etat et ses démembrements est rendu public, ainsi que la publication des rapports
sur les hypothèses économiques, ces grandes orientations et priorités budgétaires sur le moyen
terme, de même que les principaux choix fiscaux et les principaux risques budgétaires de
l’année avenir119. Relativement à l’endettement, le gouvernement doit publier les informations
détaillées sur le niveau et la composition de son endettement.

Au niveau local, l’exigence de diffusion est matérialisée par le principe de la publicité


des débats des assemblées locales sans qu’elle ne soit d’application absolue et l’exigence de
publicité ne prend pas en compte les séances tenues à huis clos. Les séances ou les sessions, les
délibérations ou le relevé des décisions des conseils sont portées à la connaissance du public
par voie d’affichage. Ainsi, tout habitant ou contribuable de la collectivité territoriale concernée
peut, à ses frais, demander communication ou obtenir copie totale ou partielle du compte
administratif approuvé par l’autorité de tutelle compétente et de ses pièces annexes dont la
teneur informative ne saurait être ignorée120.

Tout de même, ni le texte de 2004, ni celui de 2009 ou encore celui de 2018 ou de 2019,
ne précise les modalités de communication du compte administratif. Dans l’usuel, il appartient
au maire de fixer les modalités de communication à titre illustratif des horaires de consultation.
Au demeurant, le Code des Collectivités Territoriales Décentralisées est plus précis sur les
mécanismes de publication du budget approuvé. Il est publié sur le site électronique de la
collectivité par voie d’affichage ou par tout autre moyen au public121. En effet, la loi
d’orientation de la décentralisation impose aux communes de mettre « à la disposition du public
» les documents budgétaires122. Toutefois, le droit d’obtenir communication par le citoyen est

117
Article 11al (2) de la loi n°2018/011 du 11 juillet 2018, op.cit.
118
Ibid., article 5.
119
Ibid., article 14.
120
Article 40 al (2) de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant code des Collectivités territoriales
décentralisées et article 95 de l’ancienne loi de n°2009/011du 10 juillet 2009 portant régime financier des CTD.
121
Ibid., article 429.
122
Ibid.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

42
sans précision de l’appartenance locale de ce dernier. C’est un droit qui s’exerce sans qu’il y ait
besoin de prouver un lien particulier avec la commune sollicitée123.

Ces différentes ambiguïtés dénotent de la nature de la notion de publicité. Notion


fonctionnelle124 et non conceptuelle, cette dernière effrite le droit à l’information exhaustive,
complète et fiable des citoyens. L’administration se sert ainsi d’une notion à contenu
insaisissable et contingente pour se dédouaner d’une prescription définie et la diffusion des
données financières est alors hébraïsée. Emmanuel KANT fait précisément de la publicité le «
critère politique du gouvernement respectant la dignité de l'homme »125. C’est donc à juste titre
que le législateur camerounais a institué le secret-défense.

2- La nécessité de protection des secrets d’Etat

L’exception apparait ici comme une délimitation de l’exigence de publicité. Le secret est
un « ensemble des moyens juridiques et matériels ayant pour but d’assurer le maintien de la
tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques »126. Ce dernier apporte une atténuation
conséquente à la publicité des finances publiques. Il peut s’agir du secret-défense127 ou du secret
professionnel128. Ces dispositions statutaires assurent la nécessaire conciliation entre d’une part,
la sauvegarde de l’ordre public et les exigences du service public et, d’autre part, le respect de
la liberté d’expression et de communication129.

Ainsi, pour assurer la protection de l’ordre public et la paix sociale, certaines informations
sur la gestion des finances publiques peuvent ne pas être diffusées du fait de leur lien avec la
défense nationale. C’est dans ce sens que le législateur de 2018 a consacré l’obligation selon
laquelle les décisions gouvernementales relevant du secret-défense ne doivent pas être rendues

123
Cependant, « le Mali se distingue nettement des autres pays en rendant obligatoirement publiques les séances
lorsque les délibérations portent entre autres sur les discussions du budget et des comptes de la commune, du
cercle ou de la région ».
124
Voir en France Décret n°2012-118 du 30 janvier 2012 relatif à la publicité extérieure, aux enseignes et aux pré-
enseignes ; voir STREBLER (Jean-Philippe), « Réforme du droit de la publicité et des enseignes : décryptage du
décret du 30 janvier 2012 », RDI, 2012, pp. 536-592.
125
ARQUEMBOURG-MOREAU (Jocelyne), Le temps des événements médiatiques, De Boeck Supérieur, Médias-
Recherches, 2003 (spécifiquement Chapitre 8. La réalité politique : retour sur le principe de publicité, p. 99-104)
; MOHR (George), « Publicité de la raison, droit et cosmopolitisme chez Kant », in KERVEGAN (Jean-François)
(Dir.), Raison pratique et normativité chez Kant, Lyon, ENS éditions, 2010, pp. 213-244.
126
GUINCHARD (Serge), DEBARD (Thierry), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2017-2018, 21e
édition, p. 704.
127
Article 9 de la loi n°2018/011 du 11 juillet 2018, op.cit.
128
Article 41 du Décret n°94/199 du 7 octobre 1994 portant Statut Général de la Fonction Publique de l’Etat du
Cameroun.
129
AUBIN (Emmanuel), « La protection constitutionnelle de la transparence administrative », op.cit., p. 43.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

43
publiques130. Ceci parce que, « parmi tous les secrets que le droit reconnait et protège, le secret
de la défense nationale est généralement considéré comme le secret suprême, ne serait-ce que
par l’importance des peines qui en sanctionnent la violation »131. À la différence du secret
professionnel auquel ne sont tenues que certaines personnes déterminées, le secret-défense n’est
pas un secret personnel, mais bien un secret réel qui protège une catégorie déterminée
d’informations quel que soit la personne concernée132. C’est pourquoi les informations classées
« secret défense » divulguées, exposent son auteur à des sanctions pénales133. Ce type de secret,
indéterminé par essence, peut présenter l’inconvénient de dissimuler l’information vecteur
d’une mal gouvernance financière. Tout comme, il peut aussi être un moyen de restreindre les
dérives citoyennes.

Cette situation s’illustre aussi en droit de la commande publique134. Il est consacré des
exceptions à l’appel public et concurrent de la procédure de passation des contrats de partenariat
public-privé. Ainsi, les cahiers de charge ne font généralement pas l’objet de publicité135.

La dissimulation des cahiers de charge est une réalité en droit de la commande publique,
rehaussée lorsque l’opération d’utilité publique en cause porte sur une part considérable du
budget d’investissement public. Le code des marchés publics du Cameroun demeure silencieux
sur la publication des cahiers de charge136. Ce mutisme du cadre règlementaire, qui non
seulement viole l’obligation de publicité prescrite au niveau de la communauté, joue en faveur
de la puissance publique. L’occasion est alors donnée à l’autorité contractante de surfacturer le
marché et de dissimuler le coût exact de la commande publique. L’opportunité accordée peut
lui permettre d’utiliser le dilatoire pour rallonger exagérément la livraison du marché public, et
ce, au mépris de l’échéance fixée. Or, « les règles relatives à l’exécution des marchés publics
et concessions occupent aujourd’hui une place non négligeable dans les directives »137.

Il n’y a presque pas « une orthodoxie recherchée afin de mettre un terme à ces pratiques
constatées »138. Il s’agit en l’espèce d’« un processus de décision abstrait dont on pourrait saisir
le sens de l’extérieur »139. Ces explications convergent simplement vers la restriction de la

130
Article 9 de la loi n°2018/011 du 11 juillet 2018, op.cit.
131
WARUSFEL (Bertrand), « Le secret de défense entre les exigences de l’Etat et les nécessités du droit », Cahier
de la fonction publique et de l’administration, n°199, 2001, p. 1.
132
Ibid., p. 2.
133
Article 105 de la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant code pénal.
134
Article 71 du décret n° 2018/366 du 20 juin 2018 portant code des marchés publics.
135
Ibid.
136
Article 129 du Décret n°2018/366, op.cit.
137
BRACONNIER (Stéphane), Précis du droit de la commande publique, Paris, Le Moniteur, 2017, 5e édition, p.
523.
138
DAMAREY (Stéphanie), Droit public financier, op.cit., p. 432.
139
MULLER (Pierre), Les politiques publiques, Paris, PUF, coll. Que-sais-je ? 2004, 5e édition, p. 33.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

44
portée de la publicité. Il en est aussi de la dissimulation des documents financiers justifiée par
l’argument à contenu insaisissable qu’est l’ordre public. L’envers de cette dissimulation pose
le problème de la sécurité juridique. Ainsi, « le principe de séparation des pouvoirs paraît
s’opposer à une transparence excessive du fonctionnement et des travaux internes des
administrations vis-à-vis des assemblées parlementaires et de leurs commissions »140.

À l’issue de notre analyse, il importe d’observer qu’en mettant l’accent sur l’élément
formel de l’accès du citoyen à l’information financière, l’utilisation de l’argent public
connaitrait une dynamique nouvelle. La dynamique irait dans le sens de l’approfondissement
des contrôles classiques, mais surtout du développement d’autres contrôles dont la mise en
œuvre introduirait plus de visibilité sur les irrégularités entachant la gestion financière publique.
Cela passerait notamment par la libéralisation de l’accès du citoyen à l’information financière.
Cette dernière serait effective dans la mesure où l’obligation de budgétisation de l’argent public
serait respectée et mieux élaborée par les autorités publiques. La dynamique serait nouvelle
parce que les comptes publics pourraient accentuer la collaboration des organismes chargés du
contrôle des finances publiques avec les citoyens. Il est évident que sur les comptes publics où
sont enregistrés les opérations de la gestion financière peuvent se matérialiser les irrégularités
et infractions relatives aux finances publiques. Ce constat justifie la collaboration entre les
organismes de contrôle des finances publiques et les citoyens, instituée dans le but de partager
les informations financières les concernant réciproquement et relevant de leurs compétences
respectives. On est désormais forcé d’interpréter l’accès du citoyen à l’information financière
suivant une logique de gestion. Cet accès du citoyen à l’information financière fait partie en
définitive du processus de pilotage de l’action financière publique, principe démocratique
irréfragable.

140
SAUVE (Jean-Marc), « Transparence et efficacité de l’action publique », intervention du 3 juillet 2017 à
l’Assemblée générale de l’Inspection générale de l’administration, disponible sur le site internet du Conseil d’Etat
français.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

45
LE JUGE CONSTITUTIONNEL ET LE POUVOIR POLITIQUE
DANS LE NOUVEAU CONSTITUTIONNALISME
DES ETATS D’AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE

Par

Marie-Ange BITSACK
Docteur Ph/D en droit public
Assistante chargée de cours
Université de Yaoundé II (Cameroun)

Résumé : L’un des marqueurs du renouveau constitutionnel en Afrique réside en la forte


tendance vers la juridictionnalisation de la vie politique. Si pendant longtemps cette dernière
s’est déroulée en marge du droit, l’émergence du juge constitutionnel au début des années 1990
peut être considérée comme le déclic de la revanche du droit sur la vie politique. Toutefois,
l’analyse des trois dernières décennies du constitutionnalisme révèle que l’encadrement du
pouvoir politique par le juge constitutionnel est mesuré. Cet état de fait résulte autant de la
rébellion du politique qui semble avide de solutions extra-juridiques lorsqu’il en va de ses
intérêts, que d’un juge constitutionnel qui peine à faire preuve d’audace lorsqu’il faut dire le
droit.
Mots clés : Renouveau constitutionnel, juge constitutionnel, pouvoir politique,
encadrement, rébellion.
Abstract: One of the markers of constitutional renewal in Africa is the strong trend
towards the jurisdictionalization of political life. If for a long time the latter took place on the
margins of the law, the emergence of the constitutional judge in the early 1990s can be
considered as the trigger for the revenge of the law on political life. However, the analysis of
the last three decades of constitutionalism reveals that the framing of political power by the
constitutional judge is measured. This state of affairs is as much the result of the rebellion of
politicians who seem eager for extra-legal solutions when their interests are at stake, as of a
constitutional judge who struggles to be bold when it comes to stating the law.
Key words: Constitutional renewal, constitutional judge, political power, framework,
rebellion.

L’analyse des rapports entre le juge constitutionnel et le pouvoir politique ne relève pas
de l’inédit. Plusieurs « plumes autorisées »1 en ont en effet « tout dit ou presque »2, en témoigne
l’abondante littérature qui y est consacrée3. Les fluctuations constantes de la dynamique

1
DOSSO (Karim), « Les pratiques constitutionnelles dans les Etats d’Afrique noire francophone : cohérences et
incohérences », Revue française de droit constitutionnel, 2012/2 (n° 90), pages 57 à 85.
2
KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), « Droit constitutionnel et conflits politiques dans les Etats d’Afrique noire
francophone », Revue française de droit constitutionnel, 2005/3, (n°63), p. 451.
3
De façon non exhaustive, OWONA (Joseph), « L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire.
Étude de quelques “constitutions Janus” », in Mélanges en l’honneur de P.-F. Gonidec. État moderne :
horizon 2000 : aspects interne et externe, Paris, LGDJ, 1985 ; KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), Ibid., DOSSO
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

46
constitutionnelle autorisent cependant à ouvrir la brèche sur une reconsidération intarissable de
ce sujet. Les actualités en Guinée, au Tchad, au Burkina Faso, au Mali, en RCA et tout
récemment au Niger et au Gabon, permettent aisément de conforter cette démarche. En effet,
au regard des innombrables crises que connaissent dernièrement les Etats d’Afrique noire
francophone, il parait impérieux de se réintéresser à la mission de contre-pouvoir4, voire de
contrepoids, assignée au juge constitutionnel5. Suivant les textes, il est celui qui « pose une
limite à l’action du pouvoir politique, l’amène à respecter les préceptes constitutionnels et
l’empêche d’agir sans contrôle »6. Si ses faiblesses d’antan7 favorisaient des excès de pouvoir
issus de systèmes politiques autoritaires, la réforme de la justice constitutionnelle8 qui augurait
l’affermissement de la limitation du pouvoir, semble ne pas suffire à entériner l’inéluctabilité
du juge constitutionnel.

Appréhendé dans ce contexte comme synonyme de juridiction constitutionnelle9, le juge


constitutionnel est supposé jouer le rôle de pilier de la consolidation de la démocratie

(Karim), op. cit., BOLLE (Stéphane), « Des Constitutions “made in” Afrique », communication au VIe Congrès
français de droit constitutionnel, 2005 ; AÏVO (Frédéric Joël), Le juge constitutionnel et l’Etat de droit en Afrique,
L’exemple du modèle béninois, L’Harmattan, 2006, 222 p., CABANIS (André) et MARTIN (Michel Louis), Le
constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique francophone, Academia, 2012, 228 p.
4
Faisant référence à tout organe ayant pour finalité de limiter ou de neutraliser les abus d’un autre pouvoir. Sur la
notion de contre-pouvoir, lire HOURQUEBIE (Fabrice), « De la séparation des pouvoirs aux contre-pouvoirs :
l’esprit de la théorie de Montesquieu », in VRABIE (Genoveva) (dir.), L’évolution des concepts de la doctrine
classique du droit constitutionnel, Institut européen, 2008, Iasi, Roumanie, pp. 50-67. Lire également NAREY
(Oumarou) (dir), Séparation des pouvoirs et contre-pouvoirs, Actes des 1ères journées scientifiques de droit
constitutionnel - Palais des Congrès de Niamey, du 10 au 13 octobre 2017, L’Harmattan, 2019, 518 p, et ZOLLER
(Elisabeth), « La justice comme contre-pouvoir, regards croisés sur les pratiques américaine et française », Revue
Internationale de Droit Comparé, année 2001 53-3, pp. 559-574.
5
Lire dans ce sens la thèse de GASSIOT (Olivier), Du Conseil constitutionnel comme contre-pouvoir
juridictionnel sous la Vème République, soutenue en 2006 à l’Université de Toulouse 1, sous la direction de
BAUMONT (Stéphane).
6
BADHON (Mohamed A.), « Fonctions et rôles de la justice constitutionnelle. Étude du Conseil constitutionnel
djiboutien », Revue française de droit constitutionnel, 2015/1 (n° 101), pp. 1-27.
7
Les trois premières décennies du constitutionnalisme en Afrique noire francophone ont en effet été marquées par
la défaillance du juge constitutionnel qui peinait à jouer son rôle dans un contexte de précarité de son aménagement
institutionnel, qui induisait une absence d’autonomie. Lire à ce propos MODERNE (Franck), « Les juridictions
constitutionnelles en Afrique », in CONAC (Gérard) (dir.), Les Cours suprêmes en Afrique, trois volumes, Paris,
Economica, 1989, P.3-39 ; AÏVO (Frédéric Joël) , Le juge constitutionnel et l'Etat de droit en Afrique, Paris,
L’Harmattan, 2006, 88 p. Voir notamment la préface de CHAIGNEAU (Pascal).
8
WANDJI K. (Jérôme Francis), La Justice constitutionnelle au Cameroun, Editions Menaibuc, Collection Droit
d’Afrique et sciences sociales africaines, 2015, p. 17.
9
Sur la définition de la notion de juge constitutionnel, lire utilement MAKOUGOUM (Agnès), « Le juge
constitutionnel et la fin du mandat présidentiel en Afrique francophone », RADP, Vol X, N° 24, Supplément 2021,
p. 197.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

47
constitutionnelle10 et de l’Etat de droit11. Il n’est pas fait référence à lui de façon restrictive dans
cette étude comme un individu membre de la juridiction constitutionnelle12, mais à l’organe
chargé d’assurer la suprématie de la Constitution13. Il est désormais au cœur de la scène
politique, et son rôle est central14 dans l’encadrement et la régulation du pouvoir politique dont
le concept nécessite une clarification.

A cet effet, il convient de mentionner d’emblée que la notion de pouvoir est générique,
car il s’agit d’un phénomène courant. Le pouvoir peut être appréhendé de manière prosaïque
comme la capacité de produire un effet ou de mener une action sur quelqu’un ou sur quelque
chose. Du point de vue juridique, il s’agit d’une prérogative permettant à une personne d’en
gouverner une autre15. Selon le propos de Georges BURDEAU, il désigne à la fois « l’autorité
et celui qui en use »16. Appréhendé sous ce prisme, il participe de plusieurs domaines distincts
et peut de ce fait être mis en œuvre sur plusieurs sphères17. De façon non exhaustive, il peut
être fait référence au pouvoir militaire, religieux, administratif... Dans la sphère du droit
constitutionnel et saisi sous le spectre d’une compétence, le pouvoir évoque l’exercice de la
souveraineté, et étreint de ce fait une dimension politique18.

Comprendre la notion de pouvoir politique nécessite que soient évoquées ses origines
primitives. Celles-ci renvoient à des considérations philosophiques issues de vents doctrinaux

10
Le Conseil constitutionnel français dans sa décision n° 85-197 DC du 23 Août 1985, loi sur l’évolution de la
nouvelle Calédonie a consacré la démocratie constitutionnelle en affirmant que la loi votée n’exprime la volonté
générale que dans le respect de la Constitution. C’est dans un sens similaire que Luc KLEIN a pu affirmer que «
la loi […] n’est plus l’œuvre parfaite des représentants élus du peuple, mais une norme tirant sa valeur de sa
conformité aux normes qui lui sont supérieures - avec la Constitution au sommet - , lesquelles sont porteuses d’un
certain nombre de droits fondamentaux qu’il est interdit au législateur d’enfreindre et sur lesquelles veille un juge
» . Lire KLEIN (Luc), « Démocratie constitutionnelle et constitutionnalisme démocratique : Essai de classification
des théories juridiques de la démocratie », Revue française de droit constitutionnel, 2017, p. 123.
11
Une appréhension restrictive limiterait l’acception de la notion d’Etat de droit à la soumission de l’Etat en tant
que personne juridique spécifique au droit, et donc à des mécanismes de contrôle juridictionnel. Lire dans ce sens
LUISIN (Bernard), « Le mythe de l’Etat de Droit », « l’Etat de Droit, rétrospectivement… », in Civitas Europa
2016/2 (N°37), pp. 155 à 182 ; La définition qui toutefois permet une meilleure appréhension du contenu de la
notion en l’enrichissant d’une dimension qui est celle de la garantie du respect des droits, est celle qui admet qu’on
parle d’Etat de droit dans une société : « lorsque les rapports entre ses membres sont organisés selon des règles
qui définissent les droits de chacun et assurent les garanties nécessaires au respect de ces droits ». STIRN
(Bernard), Les sources constitutionnelles du Droit administratif, LGDJ, 1995, 2ème éd., p.13.
12
MAKOUGOUM (Agnès), op. cit.
13
WALINE (Marcel), « Eléments d’une théorie de la juridiction constitutionnelle en droit positif français », RDP,
1928, p.441.
14
SINDJOUN (Luc), « Les dynamiques de la justice constitutionnelle en Afrique : histoires du chêne et du roseau
», in De l’esprit du droit africain, Mélanges offerts à Paul Gérard POUGOUE, s. l., CRDDIJ, 2015, p. 683.
15
GUILLIEN (Raymond) et VINCENT (Jean), Lexique des termes juridiques, 10e édition, DALLOZ, 1995.
16
BURDEAU (Georges), « Le pouvoir », in La Politique au pays des merveilles, Coll La politique éclatée, Presses
Universitaires de France, 1979, pp. 91 à 120.
17
Lire KAMTO (Maurice), Traité de Droit constitutionnel et institutions politiques du Cameroun, Presses
Universitaires du Cameroun, Yaoundé, 2021, p. 26.
18
AVRIL (Pierre) et GICQUEL (Jean), Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, Collection Que sais-je ? 4ème
édition, 2013.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

48
antinomiques qui émergèrent plusieurs siècles avant J.-C.19, et qui ont été vivement rediscutées
jusqu’au XIXème siècle20. Différents auteurs ont en effet essayé au cours des siècles d’en saisir
la raison d’être. Pour certains, le pouvoir politique provient d’une nécessité naturelle issue d’un
rapport de force, de domination ou encore d’un droit naturel21. Pour d’autres, il résulte d’un
pacte social volontaire ayant pour but d’éradiquer l’anarchie qui sévissait dans la société22.
Qu’il provienne d’un besoin naturel ou d’un contrat social, le pouvoir politique est intimement
lié à la notion de société politique dont la forme actuelle la plus achevée est l’Etat23.

En effet, l’Etat représente en droit constitutionnel la forme institutionnalisée du pouvoir


politique24. Il est selon Georges BURDEAU, « le titulaire abstrait et permanent du pouvoir »25.
La notion d’Etat implique l’exercice d’un pouvoir de contrainte sur une population rassemblée
sur un territoire.26 L’expression pouvoir politique peut être utilisée pour désigner d’une part ce
pouvoir de contrainte, et d’autre part l’autorité suprême investie de ce pouvoir de contrainte. Il
s’agit d’un centre de commandement dont les décisions se répercutent à tous les niveaux de la
vie sociale, sans qu’elles ne puissent être contestées27. Cette absence de contestation ne serait
alors que le corollaire de la légitimité de l’auteur ou des auteurs de ces décisions, à qui ce
« pouvoir de décider » aurait été spécialement confié. Suivant la doctrine républicaine, cette
compétence particulière est attribuée à ses bénéficiaires par le peuple souverain qui peut
« l’exercer lui-même directement, ou, suivant la logique représentative dominante, par
l’intermédiaire d’un mandataire individuel (président élu) ou collectif (parlementaires
élus) »28. Sous le prisme d’une monarchie, cette compétence aurait pour fondement la volonté
divine qui ferait alors de son attributaire un « oint du Seigneur ».29 De ces considérations, deux
remarques peuvent être effectuées.

La première est relative au fait que le pouvoir politique a un caractère général. Cette
généralité découle du fait qu’il couvre un domaine d’application large, dans la mesure où il
s’impose à l’ensemble des citoyens et institutions de l’Etat. Ce critère permet de le distinguer

19
Avec notamment PLATON et ARISTOTE qui étaient partisans d’une origine naturelle du pouvoir politique,
tandis qu’EPICURE (Maximes Capitales, XXXI) était un précurseur du contrat social moderne.
20
Le contrat social moderne fut d’abord théorisé par Hugo DE GROOT avant d’être repris par Thomas HOBBES
(Le Leviathan, 1651), John LOCKE (Traité du Gouvernement civil, 1690), puis Jean Jacques ROUSSEAU (Du
contrat social, 1762).
21
C’est le cas de PLATON (livre II de La République) et d’ARISTOTE (Politique, I, 2).
22
HOBBES (Thomas), Le Leviathan, 1651, ROUSSEAU (Jean-Jacques), Du Contrat social, 1762.
23
GICQUEL (Jean) et GICQUEL (Jean-Eric), Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, coll.
Domat droit public, 2012, n° 79, p. 55.
24
FOILLARD (Philippe), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paradigme, 2010-2011, p. 3.
25
BURDEAU (Georges), L’État, Seuil, Paris, 1970, p. 15.
26
ARDANT (Philippe), Institutions politiques et Droit constitutionnel, 7e édition, LGDJ, p. 16.
27
LEROY (Paul), Les régimes politiques du monde contemporain, Tome I, PUG, 2001, p. 17.
28
KAMTO (Maurice), op. cit., p. 27.
29
Ibid.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

49
du pouvoir administratif, qui lui s’exerce au sein des services d’une administration. Par ailleurs,
le pouvoir politique peut également être différencié du pouvoir militaire qui s’entend de
l’autorité qui s’exerce au sein de l’armée, bien que le pouvoir militaire puisse embrasser une
dimension politique lorsque les militaires acquièrent par quelque moyen que ce soit le pouvoir
de commandement suprême. L’exercice du pouvoir politique par les militaires survient
cependant généralement en marge de la normativité constitutionnelle, relevant ainsi d’un ordre
concurrent. La seconde remarque quant à elle, est liée au fait que le pouvoir politique a a priori
une base légitime. Cette légitimité suppose que le statut de gouvernant soit fondé sur le principe
de légalité30. La déférence à l’égard de ce principe ne semblait point fondamentale en Afrique,
jusqu’à l’avènement du nouveau constitutionnalisme31.

L’expression « nouveau constitutionnalisme » est usitée dans ce contexte pour désigner


le vaste mouvement entamé dès le début des années 1990, qui a consisté en la promotion de la
limitation du pouvoir et la garantie des droits fondamentaux32. Ce mouvement libéral33 s’entend
de celui qui s’oppose à l’ancien constitutionnalisme ou constitutionnalisme autoritaire, qui
correspond à celui des trois premières décennies après l’accession à l’indépendance des Etats
africains. Cette période était marquée par le monolithisme triomphant34 et l’autoritarisme issus
de systèmes hyper présidentialistes, qui assuraient la prééminence du Président de la
République sur la scène politique. Les libertés et droits fondamentaux étaient bafoués, et les
textes constitutionnels révisés au gré des envies du détenteur du pouvoir, pour traduire
l’idéologie qui lui semblait appropriée à son maniement. De telles opérations étaient rendues
aisées dans un contexte où le juge constitutionnel était « relégué dans le simple décorum
institutionnel sans effectivité véritable »35. On se souvient de la manœuvre constitutionnelle
aisément opérée en 1979 par le Président Ahmadou AHIDJO au Cameroun pour choisir
manifestement son successeur36. Si elle n’était pas instrumentalisée, la Constitution était

30
Cette légalité induit l’acquisition du statut de gouvernant conformément aux lois en vigueur.
31
Au regard de la recrudescence des coups d’Etat militaires durant les trois premières décennies après les
indépendances, traduisant une instabilité constitutionnelle.
32
BARBERIS (Mauro), « Idéologies de la Constitution. Histoire du constitutionnalisme », in TROPER (Michel)
et CHAGNOLLAUD (Dominique) (dir.), Traité international de droit constitutionnel, Tome 1, Paris, Dalloz,
2012, p. 117.
33
Lire dans ce sens HOLO (Théodore), « Démocratie revitalisée ou démocratie émasculée ? Les
Constitutions du renouveau démocratique dans les États de l’espace francophone africain :
régimes juridiques et systèmes politiques », R.B.S.J.A., n° 16, 2006, pp. 17-41.
34
AÏVO (Frédéric Joël), « Les constitutionnalistes et le pouvoir politique en Afrique », Presses universitaires de
France, Revue française de droit constitutionnel, 2015/4, N°104, pp. 771 à 800.
35
AÏVO (Frédéric Joël), le juge constitutionnel et l'Etat de droit en Afrique, op. cit.
36
C’est au travers de cette révision constitutionnelle de 1979 que le Président Ahidjo a mis en œuvre des
mécanismes favorisant l’accession à la magistrature suprême du Président Paul Biya, notamment l’attribution du
statut de successeur constitutionnel du Président de la République au Premier Ministre.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

50
purement et simplement « mise en sommeil »37 par le biais des coups d’Etat militaires qui
renversaient les gouvernements civils. Le souvenir de l’accession au pouvoir du Maréchal-
Président MOBUTU en 1965 après un coup d’Etat contre Joseph KASA-VUBU en RDC, est
encore présent. A la faveur du nouveau constitutionnalisme, s’augurait la sortie des Etats
d’Afrique noire francophone du « Jurassic Park des sociétés politiques anachroniques »38.

Bien qu’il s’agisse de considérations communes à d’autres Etats d’Afrique voire


d’ailleurs39, l’intérêt porté particulièrement aux Etats d’Afrique noire francophone résulte non
seulement de la place de choix qu’ils occupent dans l’actualité récente40, mais également du
désir d’évaluer leur évolution commune plus de trois décennies après le renouveau
constitutionnel. Il est d’autant plus congru de s’en préoccuper lorsqu’on sait que ces Etats sont
marqués par des similitudes tenant aux divers processus de décolonisation, de mise en place de
systèmes politiques autonomes et d’évolution de la justice constitutionnelle.

L’exercice du pouvoir en marge du droit qui a marqué la pratique constitutionnelle de


1960 à 1990 devrait paraitre comme une lointaine réminiscence. Pourtant, la persistance
actuelle de pratiques rédhibitoires41 telle que la « neutralisation des solutions constitutionnelles
classiques »42, dénote du difficile épanouissement des règles constitutionnelles à l’épreuve du
temps43. Cet état de fait soulève des interrogations relatives au sort du constitutionnalisme
libéral. On semble assister à une collision et même une collusion entre un juge constitutionnel
qui se déploie dans un contexte pas toujours favorable à son émancipation, et un pouvoir
politique porté sur l’insoumission. Dès lors, il semble opportun de requestionner les relations
entre le juge constitutionnel et le pouvoir politique. En effet, quelle appréhension peut-on avoir
des rapports entre le juge constitutionnel et le pouvoir politique ? Une telle étude revêt une
plus-value pratique, car elle permet de mesurer l’encadrement du pouvoir politique plus de trois

37
BOURGI (Albert), « Lecture et relecture de la Constitution de la Ve République », in Le Conseil constitutionnel
a 40 ans / [Colloque], 27-28 octobre 1998, Conseil constitutionnel, Paris : LGDJ; DL 1999, p. 2.
38
SINDJOUN (Luc), « Les nouvelles Constitutions africaines et la politique internationale : contribution à une
économie internationale des biens politico-constitutionnels », Études internationales, vol. 26, n° 2, 1995, p. 334.
39
La toute-puissance du pouvoir politique est visible en Chine où XI JINPING a marqué l’histoire le 23 octobre
2022, en obtenant un troisième mandat après avoir été reconduit à la tête du Parti Communiste Chinois à l’issue
de son vingtième congrès.
40
Du bras de fer entre le Président de la République et la Présidente de la Cour constitutionnelle de RCA en 2022,
à la très récente réception du serment des putschistes par une Cour constitutionnelle déchue au Gabon, en passant
par la pléthore de coups d’Etat, il ne fait nul doute que l’Afrique noire francophone est au cœur de l’actualité
politique.
41
Lire à ce sujet MONEMBOU (Cyrille), « Du constitutionnalisme rédhibitoire au constitutionnalisme libéral.
Réflexion sur le renouveau constitutionnel en Afrique noire francophone », in ONDOA (Magloire) et ABANE
ENGOLO (Patrick Edgard) (dir.), L’exception en droit, Mélanges en l’honneur de Joseph Owona, Paris,
L’Harmattan, 2021, pp. 107-128.
42
ONDOUA (Alain), « La nécessité en droit constitutionnel. Etude à partir de quelques expériences africaines »,
Ibid., p. 74.
43
Lire la thèse de BIKORO (Jean Mermoz), Le temps en droit constitutionnel africain : le cas des Etats africains
d’expression française, Université de Yaoundé 2-Soa, 2018, p 248.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

51
décennies après le renouveau constitutionnel qui aspirait à marquer une rupture avec
les pratiques récusables antérieures. Ainsi, le recours à la théorie et aux pratiques
constitutionnelles permet d’affirmer que les rapports entre le juge constitutionnel et le pouvoir
politique sont complexes. En effet, si d’une part sur la base des textes et de succès ponctuels44
ils sont marqués par une stabilité hypothétique (I), on ne saurait d’autre part réfuter la précarité
ostensible qui les caractérise à l’aune de la réalité politique (II).

I- DES RAPPORTS HYPOTHETIQUEMENT STABLES

« Il est possible d’étudier la justice constitutionnelle africaine en la prenant au


sérieux »45. Cette affirmation du Professeur Luc SINDJOUN traduit une promesse forte du
constitutionnalisme triomphant des années 9046, qui augurait des rapports équilibrés entre le
juge constitutionnel et le pouvoir politique, fondés sur un encadrement harmonieux du second
par le précédent. Ce synchronisme envisagé par les textes et ponctué de certains triomphes,
concerne autant l’encadrement de la dévolution, la cessation et la continuité (A), que la
régulation de l’exercice du pouvoir politique (B).

A- LA RELATIVE STABILITE DE L’ENCADREMENT DE LA DEVOLUTION,


DE LA CESSATION ET DE LA CONTINUITE DU POUVOIR POLITIQUE

L’intervention projetée du juge constitutionnel en amont et en aval du pouvoir politique


découle de la nécessité d’assurer la légitimité de ce dernier, qui ne doit traduire que l’expression
de la volonté générale dans le respect de la Constitution. On a donc à faire à un contrôleur du
pouvoir, dont les actions sont prévues et perçues autant en matière de dévolution (A) que de
cessation du pouvoir (B).

1- L’encadrement de la dévolution du pouvoir politique par le juge constitutionnel

La dévolution du pouvoir fait référence à l’ensemble des processus liés au transfert du


pouvoir politique. Dans un système démocratique, elle est étroitement liée à la notion de
représentation qui induit des consultations électorales. Si le peuple souverain est à l’origine de
l’attribution du pouvoir, le juge constitutionnel est le régulateur de ce processus. Il assure par
ce fait la protection du droit fondamental des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel que prévu

44
DOSSO (Karim), op. cit.
45
SINDJOUN (Luc), op. cit.
46
DOSSO (Karim), op. cit.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

52
par la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen de 178947. C’est dans ce
sens qu’il met en œuvre les compétences qui lui sont attribuées par les textes constitutionnels
en matière de contentieux des élections politiques, de proclamation des résultats du scrutin, et
de réception du serment du Président de la République.

Le contentieux électoral présente deux variantes que sont la phase préélectorale et la


phase postélectorale, dont le juge constitutionnel est garant de la régularité et de la sincérité48.
Si dans la majorité des cas cette prérogative est partagée49 et lui incombe exclusivement en ce
qui concerne les scrutins politiques nationaux50, dans certains Etats comme le Gabon, sa
compétence s’étend au contrôle des élections locales51. Ses attributions en matière pré-
électorale reviennent à statuer sur les recours dirigés contre les actes préparatoires aux scrutins
politiques52. Cette intervention s’opère en amont des organismes nationaux de gestion des
élections, qui sont compétents en matière de réception, de validation des candidatures, de
publication des listes et de plusieurs autres aspects relatifs à l’organisation du scrutin. Le
Professeur Jean-Claude MASCLET évoquait d’ailleurs l’intervention du juge constitutionnel
en matière pré-électorale en termes de « contentieux de la liste électorale »53 et « des opérations
préparatoires »54. Les contestations préliminaires à l’élection peuvent en effet surgir au sujet
des candidatures, de la campagne électorale, ou encore de l’organisation du scrutin55. Le juge
constitutionnel est alors chargé d’assurer la transparence des actes préalables au choix des
dirigeants politiques. De ce fait, il peut réformer ou entériner les listes de candidatures validées
par les organismes nationaux de gestion des élections, ou statuer sur tout autre recours relatif
aux opérations préparatoires. C’est d’ailleurs la mise en œuvre de ces attributions qui a permis

47
Article 3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
48
Au Togo, l’article 104 de la Constitution dispose que : « La Cour constitutionnelle juge de la régularité des
consultations référendaires, des élections présidentielles, législatives et sénatoriales. Elle statue sur le contentieux
de ces consultations et élections ». Au Niger c’est l’article 127 de la loi constitutionnelle qui dispose que : « La
Cour constitutionnelle contrôle la régularité des élections présidentielles et législatives. Elle examine les
réclamations, statue sur le contentieux des élections présidentielles et législatives et proclame les résultats des
scrutins. (…) ».
49
Avec la juridiction administrative ; Art. 40 de la Constitution du Cameroun.
50
Suivant les dispositions de l’article 161 de la loi constitutionnelle de la RDC, la Cour constitutionnelle « (…)
juge du contentieux des élections présidentielles et législatives (…) ». Au Cameroun, au terme de l’article 48 (1)
de la Constitution, le Conseil constitutionnel veille à la régularité des élections présidentielles et législatives, tandis
que la juridiction administrative est compétente en matière d’élections locales (Art 40 de la Constitution).
51
Au Gabon, conformément à l’article 84 de la Constitution, le juge constitutionnel est compétent en ce qui
concerne : « La régularité des élections présidentielles, parlementaires, des collectivités locales et les opérations
de référendum dont elle proclame les résultats. » (Lire également dans ce sens Francis NKEA NDZIGUE, Le
contentieux électoral au Gabon, Editions l’Harmattan, 2014).
52
ARRIGHI DE CASANOVA (Jacques), « Le juge des actes préparatoires à l’élection », in Les nouveaux cahiers
du Conseil constitutionnel, Lextenso, 2013/4 (n°41), p. 9.
53
MASCLET (Jean-Claude), « Contentieux électoral », dans PERRINEAU (Pascal) et REYNIE (Dominique),
Dictionnaire du vote, Paris, P.U.F., 2001, p. 251.
54
Ibid.
55
Lire « Le rôle et le fonctionnement des Cours constitutionnelles en période électorale », sur le site de l’ACCPUF
(Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français), Bulletin n°5, Paris, 2003.
Https://accf-francophonie.org/publication/bulletin-n5/, consulté le 29 janvier 2023.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

53
au Conseil constitutionnel Burkinabè de ne retenir définitivement que treize candidats pour la
course à l’élection présidentielle du 22 novembre 2020, sur les quatorze présents sur la liste
provisoire validée par la CENI56. Au Benin, la Cour constitutionnelle a été saisie sur des recours
en contestation de la liste provisoire des candidats à l’élection présidentielle du 11 avril 2021.
Elle a statué sur la liste définitive, en confirmant les trois duos retenus par la CENA57. Les
exemples allant dans ce sens sont légion.

D’autre part, en matière post-électorale, la mission du juge constitutionnel consiste à


s’assurer de la régularité du résultat des consultations. Il statue ainsi sur les recours en
contestation des résultats du scrutin, ou sur les irrégularités qu’il aurait par lui-même relevées58.
Ces considérations peuvent découler sur une annulation partielle59 ou totale60, ou encore sur
une réformation des résultats61, bien que ces dernières soient soumises à la notion d’influence
déterminante dont l’appréciation incombe au juge constitutionnel62. L’annulation a pour effet
de provoquer de nouvelles élections. Sa mobilisation semble toutefois rare en ce qui concerne
les élections présidentielles, traduisant une attitude à la fois « prudente et réservée » du juge
constitutionnel63. La réformation quant à elle implique une révision ou une rectification des
résultats du scrutin64. C’est dans ce sens que le juge constitutionnel béninois dans l’un de ses
considérants a fait allusion au fait qu’ « en sa qualité de juge souverain de la validité des
élections, il opère diverses modifications matérielles et procède aux redressements nécessaires
ainsi qu’à l’annulation de suffrages au niveau des bureaux de vote »65. Le déroulement
harmonieux de tels procédés favorise une coïncidence entre la volonté de l’électorat et le
résultat des élections66 lors de leur proclamation.

56
Décision n°2020-009/CC/EPF du 22 octobre 2020.
57
Décision EP 21-017 du 22 février 2021.
58
Au Bénin l’article 117 de la loi constitutionnelle dispose que la Cour constitutionnelle : « veille à la régularité
de l’élection du président de la République ; examine les réclamations, statue sur les irrégularités qu’elle aurait
pu, par elle-même relever (…) ».
59
La Cour constitutionnelle gabonaise avait dans ce sens prononcé l’annulation des élections législatives dans
plusieurs circonscriptions électorales en 2018 après qu’il ait été prouvé que des faits de corruption entachaient la
sincérité du scrutin. Par ailleurs en février 2020, le Conseil constitutionnel camerounais a prononcé l’annulation
des résultats des élections législatives dans onze circonscriptions électorales de la partie anglophone du pays pour
sanctionner les irrégularités observées dans l’organisation du scrutin dans ces dernières.
60
La Cour constitutionnelle de transition de la RCA a annoncé le 25 janvier 2016, l’annulation totale du premier
tour des élections législatives en raison du grand nombre d’irrégularités du scrutin.
61
Décision n° 003/CC/06 du 23 juin 2006 de la Cour constitutionnelle de RCA.
62
Lire GHEVONTIAN (Richard), « La notion de sincérité du scrutin », Cahiers du Conseil constitutionnel n° 13
(Dossier : La sincérité du scrutin) - janvier 2003.
63
Lire MELEDJE (Djedjro Francisco), « Le contentieux électoral en Afrique », Pouvoirs 2009/2 (N°129), pp 139
à 155.
64
MALIGNER (Bernard), Droit électoral, Paris, Ellipses 2009, p 900.
65
Décisions EL 07-143 et EL 0-144 du 15 mai 2007.
66
MUKONDE MUSULAY (Pascal), Démocratie électorale en Afrique subsaharienne. Entre droit, pouvoir et
argent. Globethics.net African Law, 2016, pp 116-117.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

54
Cette dernière incombe par ailleurs exclusivement au juge constitutionnel dans la quasi-
totalité des Etats d’Afrique noire francophone67. C’est ce qui ressort de la lecture des textes
constitutionnels du Burkina Faso68, du Sénégal69, du Mali70, du Cameroun71 et même du
Benin72. Les résultats proclamés par le juge constitutionnel sont irrévocables et sont ceux qui
font foi. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les résultats communiqués par les organismes
de gestion des élections sont généralement qualifiés de provisoires. Ce procédé permet une
certaine authentification de l’issue du scrutin, et partant, une légitimation des élus politiques,
au regard de la nature et des attributions de l’organe en charge de leur validation73. C’est dans
ce sens que Patrice TALON a pu accéder à la magistrature suprême, après que la Cour
constitutionnelle du Benin l’ait proclamé vainqueur dans l’article 1er de l’acte de proclamation
des résultats définitifs de l’élection présidentielle du 11 avril 2021. A Djibouti, c’est par
décision n°03/2023/CC du 02 mars 2023 du Conseil constitutionnel que les résultats définitifs
des élections législatives du 24 février 2023 ont été proclamés.

Par ailleurs, la tendance dans plusieurs Etats est à la réception du serment du Président de
la République par le juge constitutionnel. C’est le cas au Niger74, en RCA75, au Congo76 et en
Côte d’Ivoire77. La prestation de serment constitue l’acte déclencheur de la fonction politique
ou l’investiture. En d’autres termes, il s’agit d’un préalable à l’exercice concret du pouvoir.
L’article 48 de la loi constitutionnelle malgache ne saurait être plus clair à ce propos en
disposant que : « Le mandat présidentiel commence à partir du jour de la prestation de
serment ». Avant la prestation de serment, l’élu politique est certes validé, mais n’est pas encore
habilité à exercer ses nouvelles fonctions78. Il faudrait préalablement que le juge constitutionnel
ait reçu son serment dans les Etats où c’est cette option qui a été choisie. L’instrumentalisation
de cette fonction pour la légitimation de l’illégitime79 tend toutefois à relativiser l’efficacité du
juge constitutionnel, qui intervient également dans l’encadrement de la cessation du pouvoir
politique.

67
En matière d’élections nationales.
68
Article 152 de la Constitution.
69
Article 92, ibid.
70
Article 100, ibid.
71
Article 48 alinéa 1, ibid.
72
Article 117, ibid.
73
Lire à ce sujet BIKORO (Jean Mermoz), La fonction consultative des juridictions constitutionnelles en Afrique
noire francophone, L’Harmattan, 2021, pp. 43 à 44.
74
Article 50 de la loi constitutionnelle.
75
Article 38 de la Constitution.
76
Article 77 de la Constitution.
77
Article 58 de la Constitution.
78
Lire BIKORO (Jean Mermoz), Op. Cit. pp. 44 à 45.
79
C’était le cas au Togo avec la réception du serment du Président Faure Gnassingbé, et plus récemment au Gabon
avec la réception du serment d’un Président putschiste.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

55
2- L’encadrement de la cessation et de la continuité du pouvoir politique
par le juge constitutionnel

La cessation du pouvoir politique correspond à la fin d’un mandat. Cette dernière peut
advenir de façon normale ou anticipée. Dans un contexte de cessation normale, le mandat échoit
à l’expiration de la durée prévue par la Constitution. Les lois fondamentales prévoient toutes
des bornes à la durée des mandats électifs, au bout desquelles doit survenir une alternance
démocratique. Ces limites concernent autant la durée proprement dite du mandat, que
l’éventualité de son renouvellement. C’est ainsi qu’au Benin80 au Niger81 et en Côte d’Ivoire82
par exemple, le Président de la République est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une
seule fois. La cessation anticipée quant à elle évoque l’interruption brutale d’un mandat avant
le terme prévu. L’importance de l’intervention du juge constitutionnel varie d’un cas à l’autre.

En cas de cessation normale du pouvoir, l’intervention du juge constitutionnel parait


mineure dans la mesure où elle est éventuelle. Cette éventualité est liée au fait que la fin
programmée d’un mandat coïncide généralement avec l’organisation d’une nouvelle
consultation électorale. Deux situations peuvent survenir. Dans la première, les prescriptions
constitutionnelles suivent leur cours normal et il y’a déclenchement du processus de transfert
du pouvoir. Ici, le juge constitutionnel jouera simplement un rôle d’observateur83 avant
d’intervenir dans l’encadrement de la dévolution du pouvoir. Dans la deuxième situation, au
terme du mandat, les procédures visant l’organisation d’un nouveau scrutin ne peuvent être
enclenchées pour une raison donnée84, ou encore le mandataire sortant est réticent à collaborer
pour la transmission du pouvoir. En tant que gardien de la Constitution et régulateur des
institutions, l’intervention du juge constitutionnelle sera alors requise. Cette intervention est
conditionnée, d’où son éventualité. Si l’intervention du juge constitutionnel est éventuelle en
cas de cessation normale du pouvoir, la réalité est toute autre en cas de cessation anticipée.

La cessation anticipée du pouvoir implique une intervention majeure du juge


constitutionnel. Il est en effet compétent en matière de constatation de la vacance au sommet
de l’Etat, et dans certains Etats, ses compétences sont plus étendues car l’intérim du Président
de la République lui incombe. L’expression vacance est utilisée en droit constitutionnel pour
évoquer une absence irrémédiable à une fonction. Il s’agit suivant le dictionnaire de droit

80
Article 42 de la loi constitutionnelle.
81
Article 47 de la loi constitutionnelle.
82
Article 35 de la loi constitutionnelle.
83
Le rôle du juge constitutionnel sera en effet marginal dans la mesure où ce n’est pas lui qui est chargé de
convoquer le corps électoral ou de déterminer la date du scrutin.
84
Il peut s’agir d’événements ou de circonstances graves tels qu’une catastrophe naturelle, une atteinte à l’intégrité
du territoire ou pandémie rendant impossible l’organisation ou le déroulement normal des élections.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

56
constitutionnel, de « l’absence définitive du titulaire d’un mandat ou d’une fonction »85. C’est
dire en d’autres termes qu’il y a vacance lorsque le titulaire d’une fonction ne pourra plus
l’exercer malgré le non achèvement de son mandat, et ce de façon irrévocable86. L’article 31 de
la Constitution sénégalaise attribue la constatation de la vacance au poste de Président de la
République au Conseil constitutionnel. Une formulation similaire est visible à l’article 6 alinéa
4 de la Constitution du Cameroun et à l’article 65 de la Constitution du Togo. Plusieurs causes
de vacance à la présidence de la République sont recensées dans les différents textes, bien que
ce ne soit pas toujours de façon exhaustive. La tendance majoritaire est à l’évocation du décès,
de la démission, et de l’empêchement définitif87. Le concept d’empêchement définitif n’étant
pas toujours bien explicité dans les lois constitutionnelles mis à part au Niger88, en RCA89 et en
Côte d’Ivoire90, l’attribution au juge constitutionnel de la compétence en matière de
constatation de la vacance s’en voit justifiée. Ce dernier mettra alors en œuvre son sens de
l’interprétation et son pouvoir d’appréciation pour la qualification des faits, induisant le cas
échéant le déclenchement des effets y afférents. Au regard des différentes formulations
énoncées dans les textes constitutionnels, la question qui peut susciter un intérêt est relative aux
modalités de saisine du juge constitutionnel pour une constatation de vacance.

Certains textes attribuent simplement la constatation de la vacance au juge


constitutionnel laissant ainsi entrevoir la possibilité d’une auto saisine91. D’autres semblent la
conditionner à sa saisine par un ou plusieurs organes politiques92. Serait-ce affirmer que si les
organes politiques concernés ne se décident pas à saisir le juge constitutionnel malgré la forte
potentialité d’une vacance au sommet de l’Etat ce dernier ne saurait se prononcer ? Cette
question est d’autant plus pertinente lorsqu’on connait les considérations partisanes qui
pourraient lier les organes politiques en question au Président de la République dans la pratique.
Par ailleurs, nul besoin n’est d’évoquer les conséquences d’une situation de vacance au sommet
de l’Etat sur le fonctionnement régulier des institutions. La Constitution congolaise est l’une
des seules à trancher clairement cette question. En effet, si dans une disposition de l’article 78
la constatation de la vacance est attribuée à la Cour constitutionnelle après saisine par le Premier
Ministre, une autre disposition du même article vient apporter des précisions. En effet, « Si dans

85
MORAND DEVILLER (Jacqueline) et LE DIVELLEC (Armel), Dictionnaire du droit constitutionnel, 10 ème
édition, Paris, Sirey, 2015, p. 367.
86
Décision n°31/CC du 09 juin 2009 constatant la vacance à la présidence de la République du Gabon suite au
décès du Président Omar BONGO ONDIMBA.
87
Article 6 alinéa 4 de la Constitution du Cameroun, article 78 de la Constitution du Congo, article 50 de la
Constitution du Benin, article 31 de la loi constitutionnelle du Sénégal.
88
Article 53 de la Constitution nigérienne.
89
Article 47 de la Constitution.
90
Article 62 de la Constitution.
91
Comme c’est le cas au Sénégal, à Madagascar, au Cameroun.
92
C’est le cas au Niger, au Togo, au Tchad et également en RDC.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

57
les vingt-quatre heures suivant la vacance, le Premier Ministre n’a pas saisi la Cour
constitutionnelle, celle-ci se saisit d’office, constate et déclare la vacance ». Cette disposition
a le mérite de clarifier les modalités d’intervention du juge constitutionnel. Il serait alors de bon
aloi que la plupart des textes constitutionnels africains suivent l’exemple congolais et
envisagent clairement des cas d’auto saisine du juge constitutionnel pour le constat d’une
vacance, afin d’écarter toute possibilité de paralysie des institutions politiques.

Par ailleurs, dans certains Etats la Constitution attribue des fonctions politiques au juge
constitutionnel. Bien que dans la majorité des cas elle prévoit que l’intérim soit assuré par un
organe politique quel qu’en soit la cause de la vacance93, au Benin le juge constitutionnel peut
suppléer le Président de la République dans l’exercice de ses fonctions en cas de mise en
accusation de ce dernier94. Cette originalité béninoise démontre à souhait la prééminence
accordée au juge constitutionnel dans l’encadrement du pouvoir. Toutefois, elle pose le
problème de l’opportunité de l’exercice de fonctions politiques par ce dernier, qui semble
concourir au renforcement de l’idée d’un gouvernement des juges. Malgré la relative brièveté
de la durée d’un tel intérim95, il parait malaisé d’associer la mission d’exercice du pouvoir à
celle de contre-pouvoir. L’évidence d’une telle incompatibilité est d’autant plus avérée que
l’intervention du juge constitutionnel dans le champ d’action de l’exécutif semble en parfaite
contradiction avec le régime des incompatibilités applicable aux membres des juridictions
constitutionnelles. Leurs fonctions ne s’accordent guère avec l’exercice de tout mandat électif
et de toute fonction de représentation nationale96. Au-delà des aspects liés à la dévolution, la
cessation et la continuité du pouvoir, l’encadrement du pouvoir politique par le juge
constitutionnel se perçoit également dans l’exercice du pouvoir.

B- LA REGULATION TIMOREE DE L’EXERCICE DU POUVOIR POLITIQUE

La régulation de l’exercice du pouvoir constitue l’essence même de la matérialisation de


la mission de contrepoids assignée au juge constitutionnel. Elle implique le contrôle et partant,
la limitation des débordements dans l’exercice du pouvoir. La Constitution attribue au juge
constitutionnel des compétences habituelles (1), et inhabituelles (2) en la matière, qui pour
certaines semblent ne revêtir qu’un aspect théorique.

93
Article 78 de la loi constitutionnelle du Congo, article 65 de la loi constitutionnelle du Togo, article 6 alinéa 4
(b) de la loi constitutionnelle du Cameroun, article 50 de la loi constitutionnelle malgache, article 81 de la loi
constitutionnelle du Tchad.
94
Article 50 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.
95
Au Benin, conformément à l’article 50 de la loi constitutionnelle « l’élection d’un nouveau Président de la
République a lieu trente jours au moins et quarante jours au plus après la déclaration du caractère définitif de la
vacance. »
96
Article 9 la loi n°2022-09 du 27 juin 2022 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle du Benin.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

58
1- La régulation habituelle

Elle est relative aux compétences qui sont fréquemment attribuées au juge constitutionnel.
Il s’agit du contrôle de constitutionnalité des lois et des opérations référendaires, du règlement
des conflits entre pouvoirs publics97 et de la fonction consultative98.
Le contentieux de la constitutionnalité ou contrôle de constitutionnalité des lois a pour
but de vérifier la conformité des normes à la loi constitutionnelle99. Nul besoin n’est de rappeler
que dans la plupart des Etats concernés, l’initiative des lois appartient concurremment à
l’exécutif et au parlement100. Ce contrôle permet au juge constitutionnel d’opérer une censure
des actes édictés par le pouvoir politique. Les normes contrôlées sont de plusieurs ordres. Il
peut s’agir de lois constitutionnelles101, de normes internationales102, de lois organiques ou
ordinaires, voire même d’actes réglementaires103. Le contrôle intervient avant ou après la
promulgation de la loi104. Il peut déboucher sur une sanction qui consisterait à écarter ou
supprimer une loi de l’ordonnancement juridique en cas de non-conformité. A titre illustratif,
la Cour constitutionnelle béninoise a décidé en 2016 que « la loi n°2016-24 portant cadre
juridique du partenariat public-privé (PPP) votée le 11 octobre 2016 par l’Assemblée nationale
et promulguée le 24 octobre 2016 ne peut être en l’état mise en application »105 car « le
Président de la République a méconnu les articles 121 et 124 de la Constitution »106. Par
ailleurs, les opérations référendaires sont également sujettes à contrôle.

Consacré dans la quasi-totalité des Constitutions, ce procédé peut être d’initiative


populaire107 ou alors impulsé par les dirigeants politiques108. Il s’agit une procédure de

97
Articles 98 et 99 de la loi constitutionnelle du Mali, article 47 alinéa 1 de la loi constitutionnelle du Cameroun,
article 88 de la loi constitutionnelle ivoirienne, article 92 de la loi constitutionnelle du Sénégal.
98
Article 47 alinéa 4 de la Constitution du Cameroun, article 97 de la Constitution du Sénégal, article 119 de la
Constitution du Benin.
99
VERPEAUX (Michel), Contentieux constitutionnel, 1ère éd., Paris, Dalloz, 2016, p. 4.
100
Article 83 de la Constitution du Togo, article 25 de la Constitution du Cameroun, article 86 de la Constitution
de Madagascar, article 72 de la Constitution du Mali, article 53 de la Constitution du Gabon.
101
Des Etats comme la RCA (Article 95 de la Constitution) et le Gabon (Article 116 de la Constitution) ont
consacré le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles, dans l’optique de « barrer la voie aux révisions
abusives, frauduleuses et irrégulières » de la Constitution par le pouvoir politique.
102
Article 48 de la loi constitutionnelle camerounaise.
103
L’article 84 de la loi constitutionnelle gabonaise dispose en effet que la Cour constitutionnelle statue
obligatoirement sur : « (…) les actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne
humaine et aux libertés publiques ».
104
Faisant référence au contrôle de constitutionnalité a priori qui est préventif ou au contrôle de constitutionnalité
a posteriori qui répressif.
105
Décision DCC 17-039 du 23 février 2017.
106
Ibd.
107
Article 4 de la Constitution du Togo. On parle alors de référendum d’en bas suivant Francis HAMON qui le
considère comme celui qui a été initié par les citoyens eux-mêmes. Lire HAMON (Francis), Le référendum étude
comparative, 2012, 2ème éd., LGDJ, p. 17.)
108
Article 36 alinéa 1 de la Constitution du Cameroun, article 43 de la Constitution ivoirienne, article 41 de la
Constitution du Mali, article 108 de la Constitution du Benin. Ici on parle de référendum d’en haut qui est celui
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

59
démocratie directe où le peuple est consulté sur une question législative ou constitutionnelle à
laquelle il est appelé à répondre par oui ou non. L’intervention du juge constitutionnel peut être
saisie sous un double aspect à ce niveau. Tout d’abord, il contrôle la régularité de l’ensemble
des opérations préalables à la consultation, en s’assurant du respect d’« un certain nombre de
normes établies par les textes, notamment par la Constitution au niveau national »109. Ce
contrôle préliminaire peut être relatif au respect des modalités de déclenchement de la
procédure tel que le quota requis lorsqu’il est d’origine parlementaire110, à l’objet proprement
dit du référendum, et à toute autre condition de recours à la consultation. Ensuite, un contrôle
post-référendaire permettra de sanctionner les irrégularités qui auraient pu être relevées lors du
scrutin stricto sensu, avant la proclamation des résultats. Cette intervention du juge
constitutionnel a pour but de veiller à une adéquation entre la volonté générale et le résultat de
la consultation.

D’autre part, il intervient dans le « contentieux de la répartition des compétences »111.


Cette fonction d’arbitrage consiste au règlement des conflits d’attributions entre pouvoirs
publics constitutionnels. Il est alors garant de la séparation des pouvoirs, car il veille à ce qu’un
pouvoir n’intervienne pas dans le domaine d’attribution de l’autre. La Constitution gabonaise
dispose à ce propos que la Cour constitutionnelle « est l’organe régulateur du fonctionnement
des institutions et de l’activité des pouvoirs publics »112. La fonction d’arbitrage du juge
constitutionnel peut être appréhendée suivant un double échelon. D’une part elle permet de
trancher les litiges internes à chaque pouvoir, et d’autre part de régler les conflits externes c’est-
à-dire qui pourraient survenir entre les pouvoirs. L’article 95 de la Constitution de RCA dispose
ainsi que la Cour constitutionnelle est chargée de : « trancher les conflits de compétences au
sein du pouvoir exécutif, entre les pouvoirs législatif et exécutif ». A titre d’illustration, par
décision DCC 07-175 du 27 décembre 2007, la Cour constitutionnelle du Benin a mis un terme
à l’immixtion de l’exécutif dans les missions dévolues au pouvoir judiciaire. La Constitution
camerounaise quant à elle étend le règlement des conflits aux collectivités locales, en disposant
que le Conseil constitutionnel « statue souverainement sur […] les conflits d’attribution : entre
les institutions de l’Etat ; entre l’Etat et les régions ; entre les régions »113.

initié par les détenteurs du pouvoir politique (exécutif, législatif ou collectivités territoriales…), HAMON
(Francis), Op. Cit.
109
FATIN-ROUGE STEFANINI (Marthe), « Juger le référendum », in Annuaire international de justice
constitutionnelle, année 2019, 34-2018, pp. 57-68.
110
L’article 108 de la Constitution du Benin exige un vote à la majorité des trois quarts des députés pour soumettre
une question au référendum, tandis que l’article 18 de la Constitution du Gabon exige la majorité absolue de
l’Assemblée nationale ou du sénat.
111
GOHIN (Olivier), Droit constitutionnel, 1ère éd. Paris, Litec, 2010, p. 127.
112
Article 83 de la loi constitutionnelle gabonaise.
113
Article 47 alinéa 1 de la loi constitutionnelle camerounaise.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

60
Outre les fonctions contentieuses, les compétences consultatives114 du juge
constitutionnel participent à la régulation de l’exercice du pouvoir politique. C’est le cas des
avis qui peuvent être perçus comme des actes d’orientation. Ils évoquent une « fonction
permettant aux juridictions constitutionnelles de faire office d’expert et de conseiller juridique
(…) dans une pluralité de domaines »115. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la majorité des
textes constitutionnels soumettent les actes des gouvernants à l’avis préalable du juge
constitutionnel dans plusieurs domaines. C’est le cas au Niger116 et au Benin117 avant que le
Président de la République n’use de ses pouvoirs en cas de circonstances exceptionnelles. Cette
exigence a d’ailleurs permis au juge constitutionnel béninois de débouter le Président de la
République de ses prétentions, en lui faisant remarquer dans un avis que : « ne sont pas réunies,
les conditions exigées par la Constitution pour l’application de son article 68 »118. C’est
également le cas au Mali119 et au Cameroun120 avant d’initier une consultation référendaire.
Bien au-delà de ces compétences habituelles, le juge constitutionnel dispose également
d’attributions inhabituelles pour la régulation de l’exercice du pouvoir politique.

2- La régulation inhabituelle

Il est ici fait référence aux attributions rarement dévolues au juge constitutionnel, ou
généralement réservées à d’autres organes. C’est le cas de la compétence pénale121. Certaines
normes fondamentales font de lui le juge pénal des gouvernants. Elle consiste à sanctionner les
dirigeants politiques, auteurs d’infractions pénales. Cet état de fait a d’ailleurs amené la doctrine
à évoquer une implication du juge constitutionnel dans l’élaboration de la norme pénale122.
Parmi les Etats qui ont fait le choix d’une telle option, deux tendances peuvent être dégagées.

La première tendance qui est majoritaire, a consisté à inclure le juge constitutionnel dans
la composition de la Haute Cour de justice, bien que les formules adoptées soient spécifiques à
chaque Etat. C’est le cas au Tchad où la loi constitutionnelle prévoit que la Haute Cour de
justice est composée des différentes chambres de la Cour suprême. C’est d’ailleurs l’occasion

114
Sur la fonction consultative des juridictions constitutionnelles, lire utilement BIKORO (J. M.), Op. Cit.
115
MONEMBOU (Cyrille), Op. cit. p.191.
116
Art. 67 de la Constitution du Niger.
117
Article 119 de la Constitution du Benin.
118
Avis CC-001/94 du 14 septembre 1994.
119
Article 41 de la Constitution du Mali.
120
Article 36 alinéa 1 de la Constitution du Cameroun.
121
A ce propos, lire BIKORO (Jean Mermoz), « La compétence pénale des juridictions constitutionnelles dans les
Etats d’Afrique noire francophone », in Revue internationale de Droit comparé, RIDC 1-2021 pp. 201-233.
122
A ce sujet, lire CONTE (Philippe), « La matière pénale revue par le Conseil constitutionnel », Jus Politicum,
n°20-21, 2018, pp. 93-101.
Lire également BENESSIANO (William), « Le Conseil constitutionnel et l’élaboration de la norme pénale », AIJC
2009-2010, pp. 443-451.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

61
de rappeler qu’en son article 147, la loi constitutionnelle tchadienne du 4 mai 2018 a institué
un seul ordre juridique « dont la Cour suprême est l’instance la plus haute en matière judiciaire,
administrative, constitutionnelle et de contrôle des comptes ». L’article 157 dispose quant à lui
que « la Cour suprême est également compétente pour juger le Président de la République et
les membres du gouvernement ainsi que leurs complices en cas de haute trahison ». Au Benin,
tous les membres de la Cour constitutionnelle sont inclus dans la composition de la Haute Cour
de justice à l’exception de son Président123. On comprend dès lors la raison pour laquelle ce
dernier en est exclu dans la mesure où il est chargé d’assurer l’intérim du Président de la
République en cas de mise en accusation pour haute trahison124. Au Burundi, la Haute Cour de
justice est composée de toute la Cour constitutionnelle associée à la Cour suprême125. Et en
Guinée-Conakry, c’est l’article 117 de la loi constitutionnelle en vigueur qui inclue un seul
membre de la Cour constitutionnelle dans la composition de la Haute cour de justice.

La seconde tendance qui est minoritaire, a consisté à accorder au juge constitutionnel une
compétence exclusive en matière de répression des gouvernants. Dans ce cas, seule la
juridiction constitutionnelle est chargée de juger les dirigeants politiques. C’est ce qui est en
vigueur en RDC où : « La Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l’Etat et
du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution »126. Cette
formulation congolaise, conduit à s’intéresser d’une part aux organes politiques concernés, et
d’autre part aux circonstances pouvant donner lieu à leur mise en accusation.

Relativement aux organes politiques concernés, il s’agit dans la plupart des cas d’autorités
de l’exécutif en l’occurrence le Président de la République et les membres du gouvernement127.
C’est le cas en Guinée Conakry128, au Tchad129, au Benin130, et en RDC131. Au Burundi par
ailleurs, il s’agit non seulement d’organes de l’exécutif à savoir le Président de la République,
le Vice-président et le Premier ministre, mais également du législatif que sont le Président de
l’Assemblée nationale et le Président du Sénat132. D’autre part, concernant les motifs pouvant
donner lieu à leur mise en accusation, la prédominance de la haute trahison dans l’exercice des

123
L’article 135 de la loi constitutionnelle du Benin dispose que : « La Haute cour de justice est composée de la
Cour constitutionnelle, à l’exception de son Président, de six députés élus par l’Assemblée nationale, et du
Président de la Cour suprême ».
124
Op. Cit.
125
L’article 239 de la constitution dispose en effet que : « La Haute Cour de justice est composée de la Cour
suprême et de la Cour constitutionnelle réunies ».
126
Article 163 de la loi constitutionnelle de la République Démocratique du Congo.
127
Les lois constitutionnelles du Tchad et de la RDC étendent les concernés aux complices et co-auteurs.
128
Article 119 de la Constitution.
129
Article 157 de la Constitution.
130
Article 136 de la Constitution.
131
Article 164 de la Constitution.
132
Article 240 de la Constitution.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

62
fonctions ne fait aucun doute sur les autres circonstances probables. Dans tous les cas recensés
il s’agit de l’une des conditions majeures de mise en accusation du Président de la
République133, tandis que ce motif n’est pas forcément évoqué pour les autres organes politiques
dans certains Etats134. Ces considérations poussent à s’interroger sur le contenu d’une haute
trahison.

Les normes fondamentales ont chacune opéré à minima un recensement des faits pouvant
être assimilables à une haute trahison. La Constitution de Guinée Conakry est par ailleurs celle
qui s’est le plus appesantie sur la question. Elle dispose en effet en son article 119 qu’« il y a
haute trahison lorsque le président de la République a violé son serment, les arrêts de la Cour
constitutionnelle, est reconnu auteur, coauteur ou complice de violations graves et
caractérisées des droits humains, de cession d'une partie du territoire national, ou d'actes
attentatoires au maintien d'un environnement sain, durable et favorable au développement ».
Les autres textes évoquent entre autres la violation intentionnelle de la Constitution, la violation
des droits de l’Homme, les atteintes à la sûreté, à l’intégrité ou à la souveraineté de l’Etat, le
trafic de drogue... Ces actes doivent avoir été accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, car
« les juridictions de droit commun demeurent compétentes pour les infractions perpétrées en
dehors de l’exercice de leurs fonctions et dont ils sont pénalement responsables »135.

L’autre interrogation susceptible de susciter un intérêt est relative à l’initiative en matière


de déclenchement de la procédure de répression des dirigeants politiques. Les options varient
d’un Etat à un autre, mais le constat qui est exhalé à la lecture des textes est celui d’un monopole
politique et d’une exclusion de la possibilité d’une auto saisine. Au Benin il est prévu que la
mise en accusation du Président de la République et des membres du gouvernement soit votée
à la majorité des deux tiers des députés de l’Assemblée nationale136. En Guinée Conakry, la
mise en accusation du Président, du Premier ministre et des autres membres du gouvernement
« est demandée par un dixième des députés. Elle ne peut intervenir que par un vote de
l'Assemblée nationale au scrutin secret à la majorité des trois cinquièmes des membres qui la
composent »137. En RDC, la décision de poursuites ainsi que de mise en accusation du Président
et du Premier ministre sont consécutives à un vote à la majorité des deux tiers des membres du

133
Les autres conditions évoquées sont entre autres le délit d’initié, l’outrage à magistrat, l’atteinte à l’honneur ou
à la probité… (Article de la Constitution de RDC).
134
En Guinée Conakry il est spécifié dans l’article 118 alinéa 2 de la Constitution que le Premier ministre et les
autres membres du Gouvernement peuvent être jugés pour des actes constitutifs de crimes et délits accomplis dans
l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions. Au Burundi, le Vice-Président, le Premier ministre, le Président de
l’Assemblée nationale et le Président du Sénat peuvent être jugés par la Haute Cour de justice pour les crimes et
délits commis au cours de leur mandat.
135
Article 136 de la loi constitutionnelle du Benin.
136
Article 137 de la loi constitutionnelle du Benin.
137
Article 120 de la Constitution de Guinée Conakry.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

63
parlement, et à la majorité absolue pour les autres membres du gouvernement138. La difficile
concrétisation d’une mise en accusation et l’ineffectivité pratique de la compétence pénale,
laissent augurer la précarité réelle des rapports entre le juge constitutionnel et le pouvoir
politique.

II- DES RAPPORTS OSTENSIBLEMENT PRECAIRES

La persistance des pratiques constitutionnelles rédhibitoires139 a poussé la doctrine à


s’interroger sur le fait de savoir si le néo-constitutionnalisme africain ne reposait pas en réalité
en définitive sur un pied d’argile140. Elle est rendue aisée dans un contexte où la réalité politique
témoigne de rapports précaires entre le juge constitutionnel et le pouvoir politique, oscillant
entre subordination (A) et insubordination (B).

A- LA SUBORDINATION DU JUGE CONSTITUTIONNEL AU POUVOIR


POLITIQUE

Evoquer une subordination du juge constitutionnel au pouvoir politique revient à admettre


l’idée d’une soumission du premier au second. Le juge constitutionnel se met alors au service
du politique (2) et une telle incidence trouve son fait générateur dans sa faible indépendance
(1).

1- Le fait générateur : la faible indépendance du juge constitutionnel


La notion d’indépendance évoque l’absence de lien de subordination141. C’est d’ailleurs
de cette manière que l’appréhende le Professeur Jean PRADEL142. Elle est intimement liée à la
notion d’impartialité, et peut s’apprécier à l’aune des mécanismes mis en œuvre pour mettre le
juge en général, et le juge constitutionnel en particulier à l’abri de toute influence ou de
pressions externes. Elle consiste à « écarter toute ingérence – et même tout risque de toute
apparence d’ingérence – dans l’exercice des fonctions judiciaires que celle-ci résulte du
pouvoir exécutif, du pouvoir législatif, des pouvoirs de fait (groupes de pression politiques,
économiques, sociaux, culturels, etc.) ou des parties elles-mêmes »143. Transposé dans le cadre

138
Article 166 de la Constitution de RDC.
139
MONEMBOU (Cyrille), Op. Cit.
140
DOSSO (Karim), Op. Cit.
141
CORNU (Gérard), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 1987, Vème indépendance, p. 410.
142
PRADEL (Jean), « La notion européenne de tribunal impartial et indépendant selon le droit français », RSC,
1990, p. 693.
143
TULKENS (Françoise) et BOSLY (Henri-D), « La notion européenne de tribunal indépendant et impartial. La
situation en Belgique », RSC, n°4, octobre-décembre 1990, p.680.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

64
de cette étude, la faible indépendance du juge constitutionnel résulte de la possibilité offerte par
les textes au pouvoir politique d’intervenir dans son aménagement organique et fonctionnel.

L’aménagement organique des juridictions constitutionnelles est en effet soumis au


pouvoir discrétionnaire des gouvernants144. Le professeur ABANE ENGOLO affirme d’ailleurs
que « la logique de la nomination au poste de responsabilité obéit plus au pouvoir
discrétionnaire »145. Plusieurs cas de figures peuvent être recensés. Le premier est relatif aux
Etats qui ont fait le choix de l’attribution d’un pouvoir de nomination aux autorités exécutives,
législatives et judiciaires. A titre d’illustration, au Cameroun les onze membres du Conseil
constitutionnel sont nommés par le Président de la République, le Président du Sénat, le
Président de l’Assemblée nationale, et le Conseil supérieur de la magistrature146. Des
dispositions similaires sont visibles à l’article 102 de la loi constitutionnelle du Mali et à
l’article 182 de la loi constitutionnelle du Congo Brazzaville. Dans de rares cas, les organes de
désignation sont étendus aux enseignants des facultés de droit147. Il est toutefois important de
préciser que le fait que cette prérogative soit accordée au Conseil supérieur de la magistrature
ne semble pas diluer sa politisation. Dans la plupart de ces Etats, c’est le Président de la
République qui nomme les magistrats dont « il est garant de l’indépendance ». Bien plus, il
préside le Conseil supérieur de la magistrature148.

Dans le second cas de figure, la désignation des juges constitutionnels est effectuée par
les autorités exécutives et législatives. C’est le cas au Gabon, où conformément à l’article 89
de la Constitution, la désignation des membres de la Cour constitutionnelle est concédée au
Président de la République, au Président du Sénat et au Président de l’Assemblée Nationale.
C’est également le cas en Côte d’Ivoire, où l’article 89 de la loi constitutionnelle dispose que :
« Le Conseil constitutionnel se compose […] de six conseillers dont trois désignés par le
Président de la République et trois par le Président de l’Assemblée Nationale ».

Dans le troisième cas de figure, les juges constitutionnels sont nommés exclusivement
par une autorité exécutive, en l’occurrence le Président de la République. Cet état de fait laisse
planer implicitement la possibilité d’une soumission du juge constitutionnel à l’autorité de
nomination, dans l’espoir du renouvellement de son mandat. La formulation camerounaise qui

144
Bien qu’il existe une tendance minoritaire à l’élection comme c’est le cas au Togo où conformément à l’article
100 de la loi constitutionnelle, une fraction des membres de la juridiction constitutionnelle est élue.
145
ABANE ENGOLO (Patrick E.), L’application de la légalité par l’administration au Cameroun, Thèse de
Doctorat/PHD en Droit Public, Université de Yaoundé II, 2009, p.194.
146
Article 51 alinéa 2 de la loi constitutionnelle camerounaise.
147
Article 100 de la Constitution de Guinée Conakry, et 74 de la Constitution de RCA.
148
Au terme de l’article 132 de la Constitution du Burkina Faso, le Président de la République préside le Conseil
de la magistrature, assisté du Garde des sceaux ministre de la justice qui en est le premier vice-président. En Côte
d’Ivoire, l’article 104 de la loi constitutionnelle dispose que : « le Président de la République est garant de
l’indépendance de la magistrature. Il préside le Conseil supérieur de la magistrature ».
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

65
évoque un mandat « éventuellement » renouvelable149 vient conforter l’idée de la probabilité
d’une prorogation des fonctions, (et d’une continuité de jouissance des avantages y afférents)
en cas d’allégeance au titulaire de la prérogative de désignation. L’option pour le non
renouvellement du mandat des juges constitutionnels comme c’est le cas en RCA150 et au
Niger151, semble alors mieux approprié pour le renforcement des mécanismes favorisant leur
indépendance.

Bien plus, dans la majorité des cas, le Président de la juridiction constitutionnelle qui
constitue l’autorité suprême de cette dernière, est nommé par le Président de la République152.
Nul doute n’émane de la prépondérance du Président de la haute instance au sein de cette
dernière. Les dispositions des lois constitutionnelles et organiques organisant les juridictions
constitutionnelles sont en effet suffisamment exhaustives à ce propos153. La nature sinistre des
conséquences d’un asservissement du Président de ces dernières au pouvoir politique parait
également évidente. L’option pour une élection du Président de la haute instance par ses pairs
comme c’est le cas au Benin154 et au Niger155 pourrait ainsi contribuer au renforcement des
mécanismes favorisant l’indépendance de cette dernière, mais pas que. La proscription de la
possibilité de révocation des juges constitutionnels sur initiative des autorités de désignation
pourrait également être un élément de consolidation de leur indépendance. Cette éventualité est
perçue à la lecture des dispositions de la loi camerounaise, qui évoque une possible révocation
des juges à la demande de l’autorité de désignation156. Par ailleurs, les dispositions textuelles
consistant à faire des anciens Présidents de la République des juges constitutionnels de plein
droit comme c’est le cas au Cameroun ou en Côte d’Ivoire, ouvrent fortement la voie à une
politisation de la haute instance.

Outre l’intervention paroxysmique du pouvoir politique dans l’aménagement organique


des juridictions constitutionnelles, l’implication du pouvoir politique dans le fonctionnement
de ces dernières participe également à l’atrophie de leur indépendance. Cet état de fait est

149
Article 51 de la loi constitutionnelle du Cameroun.
150
Article 74 de la loi constitutionnelle de RCA.
151
Article 121 de la loi constitutionnelle du Niger.
152
Article 89 de la Constitution du Sénégal, article 51 alinéa 2 de la Constitution du Cameroun, article 183 de la
Constitution du Congo.
153
Article 9 de la loi organique relative à l’organisation et au fonctionnement du Conseil constitutionnel en Côte
d’Ivoire, article 18 de la loi organique du Congo.
154
Article 116 de la loi constitutionnelle du Benin.
155
Article 123 de la loi constitutionnelle du Niger.
156
L’article 18 de la loi n° 2004/005 du 21 avril 2004 fixant le statut des membres du Conseil constitutionnel
camerounais dispose en effet que : « Le Conseil constitutionnel statuant à la majorité des deux tiers de ses
membres, peut d’office ou à la demande de l’autorité de désignation, mettre fin, au terme d’une procédure
contradictoire, aux fonctions d’un membre qui aurait méconnu ses obligations, enfreint le régime des
incompatibilités ou perdu la jouissance de ses droits civils et politiques, conformément aux modalités fixées par
son règlement intérieur ».
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

66
perceptible en matière financière, et principalement relativement au budget des hautes
instances. L’autonomie budgétaire de ces dernières est certes avérée, car de façon principielle
elles élaborent et assurent la gestion de leur budget sans ingérence externe157. Mais, les textes
l’éprouvent soit par leurs dispositions, ou encore par leur mutisme qui laissent une porte
d’entrée à l’intervention du pouvoir politique. C’est le cas lorsque la loi autorise le Président de
la République à reconduire par douzième le budget antérieur de la juridiction constitutionnelle
lorsque que le vote de la loi de finances par le parlement ne serait pas survenu dans les délais
requis158. Si le parlement faillit à cette exigence, le juge constitutionnel en pâtira dans la mesure
où son budget précédent lui sera imposé par le Président de la République même s’il avait de
nouvelles attentes. Cette situation est aussi perceptible en situation de crise, où les pouvoirs
exorbitants au Président de la République laisse planer l’éventualité d’une dictature
financière159. Par ailleurs, le mutisme des textes laisse entrevoir une possible altération du
budget des juridictions constitutionnelles par le parlement au travers des lois de finances
rectificatives. Dans des Etats comme la France ou la Belgique, cela est explicitement proscrit.
Tous ces éléments ont pour incidence de favoriser la servilité du juge constitutionnel vis-à-vis
du pouvoir politique.

2- L’incidence : un juge au service du politique


Le lien de corrélation entre la faible indépendance du juge constitutionnel et la servilité
de ce dernier vis-à-vis du pouvoir politique ne laisse planer aucun doute, au regard des pressions
morales engendrées. Cette servilité se perçoit aisément dans l’encadrement de la dévolution et
de l’exercice du pouvoir.

Relativement à l’encadrement du transfert du pouvoir, plusieurs actes du juge


constitutionnel africain reflètent clairement une attitude à tendance partisane, voire protectrice
vis-à-vis du pouvoir politique. Fort en effet est de constater qu’il est parfois enclin à la
préservation des intérêts de ce dernier, au détriment de la démocratie et de l’Etat de droit qu’il
est censé protéger. C’est le cas notamment en matière de contentieux électoral. En pareille
circonstance, l’arbitre qu’il est doit « obligatoirement trancher, non pas en faveur d’un camp,
mais en faveur de la loi, de la justice, de l’Etat de droit et de l’équité constitutionnelle et

157
La loi constitutionnelle gabonaise a d’ailleurs fait de l’autonomie financière de la juridiction constitutionnelle
un principe constitutionnel en disposant en son article 93 que : « La Cour constitutionnelle jouit de l’autonomie
financière. Les crédits nécessaires à son fonctionnement sont inscrits dans la loi de finances (L.14/2000 du 11
octobre 2000) ». Lire notre thèse sur L’autonomie des juridictions constitutionnelles dans les Etats d’Afrique noire
francophone, Université de Yaoundé 2-Soa, 2021.
158
Article 111 de la Constitution du Benin, article 80 de la Constitution de Côte d’Ivoire.
159
Article 9 alinéa 1 de la Constitution du Cameroun, article 14 de la Constitution du Togo.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

67
politique »160. Le juge constitutionnel a cependant plusieurs fois preuve d’avilissement et de
réserve dans la gestion du contentieux électoral, ce qui lui a valu d’être traité de « juge au
service du pouvoir en place »161. Cela est d’ailleurs perceptible au regard du laxisme dont il fait
montre dans la vérification des allégations d’irrégularités, ou même dans la recherche de la
preuve, lorsqu’il est saisi d’un ou de plusieurs recours162. Il n’hésite d’ailleurs pas à user de
stratagèmes qui favorisent la survenance d’un résultat souhaité. On se souvient du juge
constitutionnel ivoirien qui en 2010, a procédé à l’invalidation des scrutins électoraux dans
certaines régions du pays, sans en programmer de nouveaux. Cette parade que la doctrine a
qualifiée de technique condamnable163, lui a permis de déclarer vainqueur le Président sortant
Laurent GBAGBO164, faisant sombrer par la suite le pays dans une crise politique. Il a fallu une
certification de l’ONU plusieurs mois plus tard pour qu’il opère un revirement et déclare
Alassane OUATTARA élu. On se souvient également du juge constitutionnel gabonais qui en
2016, n’a pas hésité à refuser une confrontation des procès-verbaux de la CENAP à ceux
détenus par le candidat Jean PING après un recomptage des voix165. Ce dernier avait initié un
recours pour réformation des résultats du scrutin, alléguant des manipulations frauduleuses. Il
sied de préciser que le recomptage des procès-verbaux de la CENAP avait été effectué en
l’absence d’experts et des parties à la demande du Président sortant Ali Ben BONGO
ODIMBA. Ce dernier sera alors reconduit à sa fonction présidentielle, sans que ne soit levé le
doute sur la sincérité du scrutin.

D’autre part, on a certaines fois à faire à un juge constitutionnel complice de situations a-


constitutionnelles. C’est le cas au Togo où en 2005, la Cour constitutionnelle a accepté de
recevoir le serment de Faure GNASSINGBE suite à la vacance ouverte aux plus hautes
fonctions de l’Etat après le décès de son père GNASSINGBE EYADEMA. Cette transition non
démocratique faisait suite à une parade parlementaire qui a consisté à opérer une révision
constitutionnelle qui évinçait le Président de l’Assemblée nationale de l’intérim, alors que la
loi constitutionnelle proscrivait les révisions en période de vacance. Le cas récent du Gabon où
le 04 septembre 2023, une Cour constitutionnelle déchue a été momentanément ressuscitée pour
recevoir le serment d’un Président auto proclamé laisse perplexe. Quelques années plus tôt, la
même Cour constitutionnelle gabonaise se substituait au législateur pour « combler des

160
GAYE (Serigne Amadou), « Le juge constitutionnel en Afrique francophone à l’épreuve des mobilisations
politiques : l’inévitable reconversion d’un régulateur politique et social », Revue africaine de sciences politique et
sociales, N° 16 janvier 2018, pp. 37-71.
161
HOURQUEBIE (Fabrice), MASTOR (Wanda), « Les Cours constitutionnelles et suprêmes étrangères et les
élections présidentielles », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2012/1 (N° 34), p. 156.
162
Lire dans ce sens MELEDJE (Djedjro Francisco), Op. Cit.
163
GATSI (Eric-Adol T.), « Heurs et malheurs du contentieux électoral en Afrique », Op. cit.
164
Décision n°CI-2010-EP-034/03-12/CC/SG du 03 décembre 2010.
165
Décision n°050/CC du 23 septembre 2016.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

68
lacunes » de la Constitution166 qui ne prévoyait pas les cas d’indisponibilité temporaire167, afin
d’éviter de constater la vacance au sommet de l’Etat en 2018 alors que le Président avait été
longuement absent suite à un AVC.

Par ailleurs, certaines attitudes du juge constitutionnel soulèvent des interrogations quant
au fait de savoir s’il est un contre-pouvoir ou alors s’il est au service du pouvoir. En effet, s’il
ne commet pas un « déni de justice constitutionnelle »168 en refusant de se servir des armes dont
il dispose169, il opère des revirements contradictoires dans le but d’être en phase avec le pouvoir
politique et de légitimer ses actes. A titre d’illustration, en novembre 2003, le juge
constitutionnel gabonais s’est déclaré incompétent pour examiner le recours initié par le
Rassemblement des Démocrates, qui visait à contrôler la constitutionnalité de la violation de
son serment par le Président de la République170. Comme autre exemple, saisi d’un recours
relatif à l’inconstitutionnalité d’un décret présidentiel de 2016 relatif à l’aménagement du
gouvernement pour motif que celui ne respectait pas les quotas liés au genre, le juge
constitutionnel nigérien s’est tout simplement déclaré incompétent en la matière171. Dans le
même ordre d’idée en 2021, la Cour constitutionnelle béninoise s’est déclarée incompétente
pour statuer sur un recours relatif à la prorogation du mandat du Président Patrice TALON,
arguant qu’elle n’a pas les prérogatives pour statuer sur cette question172. Par ailleurs au Burkina
Faso, après avoir déclaré inconstitutionnel un accord de prêt car ce dernier était soumis aux
principes de la Charia islamique en contradiction avec l’article 31 de la loi constitutionnelle173,
le juge constitutionnel a opéré un revirement en faveur du pouvoir politique dont la tendance à
l’insubordination est d’ailleurs avérée.

B- L’INSUBORDINATION DU POUVOIR POLITIQUE VIS-A-VIS DU JUGE


CONSTITUTIONNEL

L’insoumission du pouvoir politique implique des situations où l’on a à faire à un juge


constitutionnel qui tend à être laminé voire même désavoué. Elle est perceptible tant au regard

166
Décision n°219/CC du 14 novembre 2018.
167
Article 13 de la loi constitutionnelle du Gabon.
168
Sur le déni de justice, lire la thèse d’EWANE BITEG (Alain Ghislain), Le déni de justice constitutionnelle.
Réflexions sur la juridisation du droit constitutionnel dans les Etats d’Afrique noire francophone, Université de
Yaoundé 2, 2020.
169
LE POURHIET (Anne-Marie), « Les armes du juge constitutionnel dans la protection des libertés
fondamentales », ÉVEILLARD (Gweltaz) dir., La guerre des juges aura-t-elle lieu ? - Analyse comparée des
offices du juge administratif et du juge judiciaire dans la protection des libertés fondamentales, 2016. En ligne sur
www.revuegeneraledudroit.eu.
170
Décision N°109/CC du 06 novembre 2003.
171
Arrêt n°008/CC/MC du 15 novembre 2016.
172
Décision DCC-21-010 du 07 janvier 2021.
173
Avis n°2007-03/CC du 20 avril 2007.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

69
de la relativisation de l’autorité des décisions (1) que de la mise à l’écart du juge constitutionnel
(2).

1- La relativisation de l’autorité des décisions du juge constitutionnel

La relativisation évoque le fait de dénuer une chose de son caractère absolu, irrévocable.
Il y’a dès lors relativisation de l’autorité des décisions du juge constitutionnel lorsque celles-ci
sont désacralisées et perdent leur valeur absolue. Nul n’est besoin de rappeler que la quasi-
totalité des Constitutions d’Afrique noire francophone consacrent l’irrévocabilité des décisions
du juge constitutionnel, qui ne sont susceptibles d’aucun recours et qui ont en principe174, une
portée absolue. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives,
militaires, juridictionnelles et à toute personne physique ou morale175. Ces décisions peuvent
également être étendues aux avis émis par le juge constitutionnel, étant donné le fait que certains
avis présentent un caractère conforme et sont assimilables à de véritables décisions176. La
relativisation des décisions du juge constitutionnel se traduit par l’inexécution de ses décisions,
et la déconsidération de ses avis.

L’inexécution de ses décisions reflète l’amoindrissement du juge constitutionnel, et


partant l’indiscipline du pouvoir politique. Cet état de fait remet en cause l’autorité de la haute
instance. Dans un raisonnement latéral, si l’exécution d’une décision rend effectif son caractère
obligatoire et contribue à asseoir l’autorité de l’organe dont elle émane, l’inexécution quant à
elle vient la relativiser. Cela pourrait s’expliquer par la non mobilisation d’une sanction
concrète dans l’office du juge constitutionnel. C’est dans ce sens que Meïssa DIAKHATE
affirme qu’« en effet, la réalité de l’exécution des décisions met à nu l’impuissance du juge
constitutionnel à recourir à des mécanismes de sanction pour rendre effectif le caractère
obligatoire de ses décisions »177. On a alors à faire à un juge désarmé face à une autorité
politique qui est tentée de ne pas se soumettre à la décision, car se dessine clairement une

174
L’exception que l’on pourrait percevoir à travers la lecture des lois constitutionnelles est relative à la survenance
de circonstances exceptionnelles rendant improbable l’exécution des décisions. C’est le cas de la survenance de
circonstances exceptionnelles durant lesquelles le Président de la République dispose de pouvoirs de crise. Par
ailleurs au Benin, par décision DCC 01-111 du 19 décembre 2001, la Cour constitutionnelle a admis la possibilité
de l’inexécution de sa décision si des menaces graves à l’ordre public risquent de résulter de cette dernière.
175
Article 92 de la loi constitutionnelle du Sénégal, article 174 de la loi constitutionnelle du Tchad, article 98 de
la loi constitutionnelle de Côte d’Ivoire.
176
La nature des avis du juge constitutionnel a d’ailleurs été sujette à une controverse doctrinale au Sénégal, où
tandis que certains en l’occurrence le Professeur Ismaël Madior Fall les considéraient tous autant qu’ils sont
comme assimilables à des décisions, d’autres comme les Professeurs Seydou Madani et Serigne Diop arguaient
que la nature conforme ou pas d’un texte ne se présume pas, et qu’ils revêtent simplement un caractère obligatoire.
Au sujet des avis, lire utilement BIKORO (Jean Mermoz), La fonction consultative des juridictions
constitutionnelles en Afrique noire francophone, Op. Cit.
177
DIAKHATE (Meïssa), « Les ambiguïtés de la juridiction constitutionnelle dans les Etats d’Afrique noire
francophone », Revue du droit public et de la science politique en France et à l'Étranger, 01er mai 2015 n° 3, p.
785.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

70
impunité en cas de violation de l’autorité de la chose jugée annoncée178. A titre d’illustration au
Benin, la Cour constitutionnelle a annulé l’élection par l’Assemblée Nationale d’un membre du
secrétariat administratif permanent de la CENA. Elle a ensuite instruit à la chambre basse de
procéder à son remplacement dans les huit jours qui suivaient la décision et que le « membre
du SAP/CENA et de la CENA ainsi élu et nommé en remplacement de monsieur Denis SAGBO
OGOUBIYI prêtera serment devant la Cour constitutionnelle le jeudi 13 octobre 2005 »179.
Cette décision ne sera pas mise en œuvre par l’Assemblée Nationale, ce qui a amené le juge
constitutionnel béninois à juger dans une autre décision que « l’Assemblée Nationale et le
Gouvernement ont violé l’autorité de la chose jugée attachée à la décision DCC 05-121 du 04
octobre 2005 »180. En 2022, le président Faustin Archange TOUADERA a opposé un bras de
fer à la Cour constitutionnelle centrafricaine, qui a invalidé plusieurs décrets et projets de lois
initiés dans le but de modifier la loi fondamentale afin de lui permettre de briguer un troisième
mandat181. Ce dernier a usé de stratagèmes pour aller au-delà de la décision de la Cour pour
poursuivre cette initiative dont il est d’ailleurs facilement parvenu à bout.

Concernant la déconsidération des avis du juge constitutionnel, elle fait référence aux cas
où le pouvoir politique en fait fi. Deux situations sont possibles. Dans la première, l’avis du
juge constitutionnel est requis, puis ignoré par le pouvoir politique. Ce dernier désavoue alors
la haute instance en passant outre ses prescriptions ou ses recommandations. Ce qui s’est passé
au Niger en 2009 peut servir d’illustration. Dans le cas d’espèce, le Président Mamadou
TANDJA qui avait pour ambition de prolonger son mandat a envisagé d’organiser un
référendum afin de parvenir à ses fins. Ce dernier tenait pour argument l’incitation du peuple
souverain. Des députés opposés à une telle initiative ont alors saisi la Cour constitutionnelle qui
a émis un avis défavorable182 en prenant le soin de préciser que lorsqu’on évoque la
souveraineté nationale, le peuple renvoie à l’ensemble des citoyens et non pas à une fraction de
ceux-ci. Bien plus, la Cour précisa que s’il décidait de se maintenir au pouvoir au-delà du terme
de son mandat « ce ne serait pas conforme à la Constitution ». Et s’il persiste malgré tout sur
cette voie de révision constitutionnelle, « il ne saurait le faire sans violer son serment ». Tout
ceci n’a pas freiné les ardeurs du Président qui a tout de même initié un référendum le 4 août
2009, et signé le 18 août 2009 le décret portant promulgation de la nouvelle constitution qui
prorogeait son mandat de trois ans.

178
Ibd.
179
Décision DCC 05-121 du 04 octobre 2005.
180
Décision DCC 05-132 du 26 octobre 2005.
181
Décision n°009/CC/22 du 23 septembre 2022.
182
Avis n°2/CC du 25 mai 2009.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

71
Dans la deuxième situation, l’avis du juge constitutionnel n’est même pas requis. Cela est
rendu aisé dans des contextes où la saisine en matière d’avis peut être facultative, impactant
ainsi l’efficacité de la fonction consultative. Ce premier obstacle dans la mise en œuvre de cette
fonction qui « peut être facultative, secrète ou parfois inexistante »183, met le juge « face à une
barrière (…) pour dire le droit »184. Le second obstacle quant à lui est relatif à la nature des
avis dont l’absence d’obligatoriété bien qu’ils soient fondés sur des normes juridiques, pourrait
inciter les gouvernants à les ignorer185. Des solutions alternatives consisteraient à procéder à un
évitement du juge constitutionnel bien qu’il occupe une place privilégiée dans la légitimation
des actions du pouvoir politique. Cet évitement peut être perçu lorsque le juge constitutionnel
n’est pas saisi pour des matières pour lesquelles il devrait être requis. Le procédé qui a conduit
à l’accession à la magistrature suprême de Faure GNASSINGBE au Togo illustre un cas
d’évitement du juge constitutionnel par le pouvoir politique pour arriver à ses fins. En lieu et
place de la saisine de la haute instance pour constatation de la vacance au sommet de l’Etat due
au décès du Président de la République, les députés ont orchestré un scénario pour porter le fils
du défunt au sommet de l’Etat. Dans le même ordre d’idée, l’issue des récentes élections
présidentielles au Gabon permet d’illustrer une situation d’évitement du juge constitutionnel et
de ses solutions. Lorsque ses décisions ou ses avis ne sont pas dépréciés, le juge constitutionnel
est simplement mis à l’écart.

2- La mise à l’écart du juge constitutionnel

D’un point de vue téléologique, la mise à l’écart du juge constitutionnel a pour finalité
d’entraver son action. Deux hypothèses de mise à l’écart peuvent être évoquées. La première
est relative à sa révocation abusive par le pouvoir politique. La seconde quant à elle, est liée à
sa suspension en temps de crise.

La révocation abusive du juge constitutionnel relève d’un champ para-juridique et


consiste à abréger brutalement le mandat de ce dernier. Cette situation intervient alors même
que la quasi-totalité des lois constitutionnelles ou organiques portant organisation et
fonctionnement des juridictions constitutionnelles consacrent l’inamovibilité du juge
constitutionnel. C’est en tout cas ce qui ressort de la lecture des dispositions des textes

183
NDIAYE (Mouhamadou), « La stabilité constitutionnelle, nouveau défi démocratique du juge africain »,
Annuaire international de justice constitutionnelle, XXXIII-2017, p. 687.
184
Ibd.
185
Ibd.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

72
tchadien186, nigérien187, camerounais188, ou alors centrafricain189. L’option pour ce procédé
abusif a été perceptible en RCA où le Président Faustin Archange TOUADERA a mis fin aux
fonctions de la Présidente de la Cour constitutionnelle Danièle DARLAN et d’un autre
membre190. Il faudrait rappeler que cette éviction très controversée de la Présidente de la
Cour191, intervenait après que la haute instance ait invalidé des décrets permettant au Président
de briguer un nouveau mandat. De nouveaux membres ont d’ailleurs été nommés à la Cour
constitutionnelle, qui par la suite a déclaré conforme à la Constitution le projet du Président
TOUADERA le 20 janvier 2023. Une situation similaire a été visible au Niger, où en 2009 le
Président Mamadou TANDJA a eu une issue favorable dans son ambition d’assurer sa longévité
au pouvoir. Ce dernier a effet résolu de limoger les membres de la Cour constitutionnelle, qui
avaient déclaré son initiative inconstitutionnelle. Cette dissolution qui s’est opérée en marge
des dispositions de l’article 104 de la Constitution nigérienne, lui a permis de procéder au
renouvellement des membres de cette dernière et d’arriver sans grande difficulté à ses fins.

Le cas de révocation abusive d’un juge constitutionnel en 2010 en Côte d’Ivoire quant à
lui, peut aisément être assimilé à l’expression des représailles d’un Président mécontent. En
effet, suite au revirement opéré par le Conseil constitutionnel qui l’a déclaré vainqueur des
élections présidentielles après avoir préalablement proclamé élu son adversaire, le Président
Alassane OUATTARA a procédé à la révocation et au remplacement du Président de la haute
instance. Ce remplacement a été opéré alors que non seulement le mandat de ce dernier était
loin d’être arrivé à expiration192, mais également la Constitution ne prévoyait pas un tel procédé.
La situation du Mali où en 2020, le Président Ibrahim Boubakar KEÏTA a abrogé la nomination
de trois membres de la juridiction constitutionnelle en violation de la Constitution permet
également d’illustrer des cas de révocation abusive193. Lorsque le juge constitutionnel n’est pas
brutalement écarté par un Président peu enclin à la censure, il l’est à la suite de l’instauration
d’une « paralégalité »194 induite par une situation de crise.

Dans un tel contexte, on assiste à une abrogation de la loi fondamentale et de tous les
organes et institutions qu’elle aménage, en faveur d’un ordre concurrent. De telles pratiques
participent de la rétrogradation implacable d’un constitutionnalisme déjà chancelant. Sinon

186
Article 159 de la loi constitutionnelle.
187
Article 3 de loi n° 2012-35 du 19 juin 2012.
188
Article 9 de la loi n° 2004-005 du 21 avril 2004.
189
Article 4 de la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
190
Cette révocation abusive a été opérée au travers des décrets du 24 octobre 2022.
191
L’opposition l’a en effet qualifié de « Coup d’Etat constitutionnel ».
192
La loi constitutionnelle de 2000 prévoyait un mandat de six ans et il n’en avait fait que deux.
193
Cette révocation a été faite au travers du décret n°2020-0312/P-RM du 11 juillet 2020 portant abrogation de la
nomination de certains membres de la Cour Constitutionnelle.
194
ONDOUA (Alain), Op. Cit.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

73
comment expliquer le fait que les dispositions de l’article 81 de la loi constitutionnelle
tchadienne relatives à la vacance à la Présidence de la République n’aient pas été mises en
œuvre dès le décès du Président Idriss DEBY ITNO en avril 2021 ? La vacance à la présidence
de la République pour cause d’empêchement définitif est pourtant clairement envisagée par cet
article qui attribue l’intérim au Président de l’Assemblée Nationale. A la suite de cet exercice
provisoire des fonctions du Président de la République par le Président de l’Assemblée
nationale, la Constitution tchadienne prévoit de nouvelles élections présidentielles qui doivent
avoir lieu « quarante-cinq (45) jours au moins et quatre-vingt-dix (90) jours au plus, après
l’ouverture de la vacance »195. Il a fallu que son fils Mahamat Idriss DEBY mette en place une
succession héréditaire de facto, sur un fond de recours tacite à la violence. Les mécanismes
d’instauration de ce gouvernement de transition sont en effet inconnus de la norme
fondamentale en vigueur au Tchad. Peut également être évoquée la situation du Burkina Faso,
où le juge constitutionnel a été purement et simplement « déplanté » depuis janvier 2022. Cette
situation faisait suite au coup d’Etat perpétré par le lieutenant-colonel Paul-Henri SANDAOGO
DAMIBA, renversé neuf mois plus tard à son tour par le capitaine Ibrahim TRAORE qui s’est
auto proclamé Chef de l’Etat. Par ailleurs au Mali, suite au renversement du Président de la
République Ibrahim Boubakar KEÏTA, un nouvel ordre fondé sur une charte de transition a été
instauré, mettant le juge constitutionnel à l’écart. Plus récemment encore au Niger, l’ordre
constitutionnel a été annihilé et le juge constitutionnel suspendu après le renversement du
Président Mohamed BAZOUM le 26 juillet 2023 par les éléments de sa garde présidentielle.
La situation du Gabon est similaire depuis le 30 Août 2023 avec l’anéantissement de la
Constitution et de toutes les institutions qu’elle organise, au profit d’un ordre concurrent dont
le Général OLIGUI NGUEMA assure le leadership.

Les développements précédents soulèvent des interrogations liées à l’effectivité de la


« protection pénale contre les atteintes à l’Etat et à la Constitution »196. On perçoit un juge
constitutionnel très souvent malmené et instable, dont l’existence semble d’une telle fragilité
qu’il suffit d’un Président de la République peu enclin au contrôle ou d’une junte militaire aux
considérations politiques pour l’éradiquer. L’option pour des solutions extra-juridiques est
favorisée dans un contexte où le législateur a pourtant mis en place des mécanismes de
protection de la Constitution et des autorités publiques197. La criminalisation des situations
anticonstitutionnelles semble compter parmi les principes « qui se situent sur le registre du
respect dû, mais non sanctionné »198. Elle paraît en effet ne pas suffire à refréner les ardeurs

195
Article 81 de la loi constitutionnelle du Tchad.
196
KAMTO (Maurice), Op. Cit., p. 781.
197
Ibd. Voir Article 114 du Code pénal camerounais.
198
DIAKHATE (Meïssa), Op. Cit.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

74
hégémoniques et révolutionnaires. A bien y réfléchir, la force dissuasive du pouvoir militaire
semble être l’arme qui permet d’une part aux autorités politiques d’asseoir leur influence, et
d’autre part aux juntes militaires rebelles de mener leurs révolutions politiques. Cet état de fait
mène à formuler le postulat selon lequel le passage de l’Afrique d’un constitutionnalisme
vacillant à un constitutionnalisme constant, nécessite que le pouvoir militaire soit au service de
la norme fondamentale.

En définitive, les rapports entre le juge constitutionnel et le pouvoir politique sont de


nature à soulever des difficultés majeures relatives à la stabilité du premier et à l’encadrement
du second. C’est dans cette optique que la « révolution juridique »199 a apporté des solutions
qui semblaient salutaires. Toutefois, les pratiques en vigueur mettent le juge constitutionnel
dans une importunité où il peine à s’affirmer face à un pouvoir politique indocile. Ces
considérations ouvrent la voie sur la nécessité d’un raffermissement de la protection pénale
constitutionnelle, à travers la concrétisation de la répression des comportements contra
constitutionem.

199
DIALLO (Ibrahima), « À la recherche d’un modèle africain de justice constitutionnelle », AIJC,2004, p. 93.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

75
LA HUITIEME LEGISLATURE DE L’ASSEMBLEE NATIONALE
DU BENIN A L’EPREUVE DU BILAN
Par

Stelphin MOUSSOUNDA MOUTOUNOU


Docteur en droit public
Chercheur au Laboratoire de Droit et de Science Politique (LADSP)
Université Marien NGOUABI de Brazzaville (Congo)

Résumé : Les élections législatives d’avril 2019, au Bénin, débouchent sur l’installation
de la huitième législature composée, exclusivement, des députés appartenant aux partis
politiques mis sur orbite par le Président de la République en fonction et soutenant,
inconditionnellement, l’action de son Gouvernement. C’est la conséquence de l’exclusion, à
ces élections, des formations politiques notamment de l’opposition pour défaut de certificat de
conformité, une invention jurisprudentielle imaginée par la Cour constitutionnelle contrôlée,
entièrement, par la mouvance présidentielle. A l’épreuve du travail parlementaire de cette
assemblée politique monocolore, l’on note une intensification de l’activité législative qui
contraste avec une diminution des initiatives de contrôle, sur fond de désintéressement des
membres du Gouvernement à s’acquitter de leur obligation constitutionnelle de rendre compte
devant la représentation nationale. Cette étude fait le bilan de la huitième législature du
Parlement béninois sous le prisme de l’exercice de ses principales attributions que sont, le vote
des lois et le contrôle de l’action gouvernementale. Dans ce sillage, la présente réflexion entend
mettre en lumière certains facteurs politico-juridiques et extrapolitiques susceptibles
d’expliquer la baisse de rendement de la législature sortante dans sa confrontation avec les
bilans de celles qui l’ont précédée, depuis l’avènement du renouveau démocratique au Bénin à
partir de la décennie 1990.
Mots clés : Législature, Vote, Contrôle, Bilan, Députés.
Abstract: The legislative elections of April 2019, in Benin, lead to the installation of the
eighth legislature composed, exclusively, of deputies belonging to the political parties put into
orbit by the President of the Republic in office and supporting, unconditionally, the action of
his Government. This is the consequence of the exclusion of political parties, in particular the
opposition, for lack of a certificate of conformity, a jurisprudential invention imagined by the
constitutional court, which is entirely controlled by the presidential movement. Tested by the
parliamentary work of this monochromatic political assembly, we note an intensification of
legislative activity which contrasts with a reduction in control initiatives, against a background
of disinterestedness of members of the Government in fulfilling their constitutional obligation
to report to the national representation. This study assesses the eighth legislature of the
Beninese Parliament through the prism of the exercise of its main attributions, which are the
passing of laws and the control of Government action. In this wake, the reflection undertakes
to highlight certain political-legal and extra political factors likely to explain the decline in
performance of the outgoing legislature in its confrontation with the balance sheets of those
that preceded it, since the advent of democratic renewal, in Benin from 1990s.
Keywords: Legislature, Vote, Control, Balance sheet, Deputies.

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

76
Réagissant à la présentation du septième rapport d’activités de Louis G. VLAVONOU,
Président de l’Assemblée nationale de la huitième législature, et en hommage à l’autorité
parlementaire, le député béninois, Augustin AHOUANVOEBLA, déclarait, le 31 octobre
2022 : « Vous avez fait de la 8ème législature, la meilleure législature »1. Cette déclaration, faite
lors de la dernière session parlementaire de la législature qui vient de s’achever, hisse celle-ci
au sommet des législatures, vraisemblablement en termes de performance et d’efficacité que
connait, jusqu’ici, le Parlement béninois. Or, un tel point de vue ne peut être soutenu que si
d’un côté, il est procédé au bilan de la législature en cause à l’aune de l’exercice des principales
attributions dévolues aux députés et, de l’autre, à la confrontation de ce bilan avec ceux des
précédentes législatures2 installées à l’Assemblée nationale depuis l’avènement du renouveau
démocratique3 qui a soufflé sur le Bénin, à partir de la décennie 1990. La présente étude analyse
le travail exercé par les représentants de la Nation, sous la huitième législature de l’Assemblée
nationale béninoise, à l’effet de confirmer, d’infirmer ou de nuancer l’assertion introductive
précitée. Mais, avant d’y procéder, il importe de clarifier certaines expressions qui sous-tendent
notre réflexion.

Le terme législature désigne la « durée du mandat d’une assemblée politique »4.


Autrement dit, une législature renvoie à la « période pour laquelle est élue une assemblée
législative »5. Tout bien considéré, la huitième législature s’entend, chronologiquement, de la
huitième assemblée politique élue au Bénin à compter de 1991, à la suite de la restauration de
son ordre constitutionnel6 et démocratique consécutive au démantèlement du système

1
Assemblée nationale, « Plénière à l’Assemblée nationale : le 7ème rapport d’activités du Président VLAVONOU
plébiscité », disponible sur le site internet https://www.assemblée nationale.bj, consulté le 26 mai 2023 à 20h 10
minutes.
2
Les sept précédentes législatures que connait l’Assemblée nationale, à partir de 1991, se déclinent ainsi qu’il
suit : première législature : 03/04/1991-02/04/1995 ; deuxième législature : 20/04/1995-19/04/1999 ; troisième
législature : 20/04/1999-19/04/2003 ; quatrième législature : 22/04/2003-21/04/2007 ; cinquième législature :
23/04/2007-22/04/2011 ; sixième législature : 16/05/2011-15/05/2015 ; septième législature : 16/05/2015-
15/05/2019.
3
Le renouveau démocratique « suppose pour sa part la restauration du pluralisme, la garantie des droits humains,
le respect de l’opposition, la conquête et l’exercice du pouvoir en accord avec la volonté populaire librement
exprimée et effectivement reconnue », in HOLO (Th.), « Démocratie revitalisée ou démocratie émasculée ? Les
Constitutions du renouveau démocratique dans les Etats de l’espace francophone africain : régimes juridiques et
systèmes politiques », Revue Béninoise des Sciences Juridiques et Administratives, n° 16, 2006, p. 18. Sur le
renouveau démocratique, voir entre autres, Sur le renouveau démocratique en Afrique, voir entre autres, RAYNAL
(J.-J.), « Le renouveau démocratique béninois : modèle ou mirage ? », Afrique Contemporaine, n° 160, 1991, pp.
3-26 ; ; KANTÉ (B.), « Le constitutionnalisme à l’épreuve de la transition démocratique en Afrique », in
ZOETHOUT (C.M.), PIETERMAAT-KROS (M.E.), AKERMANS (P.W.) (dir.), Constitutionnalism in Africa. A
quest for autochtonous principles, op. cit., p. 25 ; ADJOVI (E.V.), Réflexion sur le fonctionnement du régime
politique béninois du renouveau démocratique, Thèse de droit, Abomey-Calavi, 2014, 509 p.
4
AVRIL (P.), GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, Paris, P.U.F, 5e édition, 2016, p. 70.
5
CORNU (G.) (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, P.U.F, 12e édition, 2018, p. 603.
6
NAREY (O.), « L’ordre constitutionnel », in Mélanges dédiés au Doyen Francis V. WODIÉ, Toulouse, Presses
de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2016, pp. 399-421.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

77
monopartisan d’alors. Installée le 16 mai 2019, la législature sous analyse a pris fin le 25 janvier
2023.

L’expression Assemblée nationale désigne, globalement au sein d’un


Parlement, l’assemblée parlementaire élue au suffrage universel direct7. Pour les Etats qui ont
opté pour le bicaméralisme8, lesquels sont majoritaires9 sur le continent africain, en général, et
dans les Etats d’Afrique noire d’expression française, en particulier, le vocable de l’Assemblée
nationale renvoie à la première chambre encore appelée chambre basse, par opposition à la
deuxième chambre ou la chambre haute qu’est le Sénat, élu au suffrage universel indirect.
S’agissant du Bénin, en raison du choix du monocamérisme opéré par le constituant de 199010,
l’Assemblée nationale incarne le Parlement élu au suffrage universel direct dont les membres
portent le titre de député.

Quant au concept de bilan, quoique non défini par les dictionnaires de droit
constitutionnel, mais familier dans ceux de plusieurs disciplines de droit, nous l’employons,
dans la présente réflexion, par extension, dans le sens d’inventaire chiffré11 et analytique du
travail parlementaire réalisé par les élus de la huitième législature de l’Assemblée nationale du
Bénin dans l’exercice de leurs missions constitutionnelles.

En faisant une rétrospective de l’histoire parlementaire béninoise récente, l’on se rappelle


du contexte douloureusement inédit dans lequel la huitième législature voit le jour. En effet, à
la suite de l’exclusion de cinq formations politiques12 à compétir aux élections législatives du
28 avril 2019, « en raison de l’absence dans les dossiers, du récépissé de déclaration

7
DE VILLIERS (M.), LE DIVELLEC (A.), Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Sirey Dalloz, 10e édition,
2015, p. 16.
8
BOUMAKANI (B.), « Le regain du bicamérisme dans les Parlements en Afrique », in L’Amphithéâtre et le
prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie. Mélanges en l’honneur du président Robert
DOSSOU, Paris, L’Harmattan, 2020, pp. 280-303 ; ONDO (T.), Le droit parlementaire gabonais, Paris,
L’Harmattan, 2008, p. 92 et suiv.
9
Lire, à titre d’illustration, les articles 14 de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996, 107 de la
Constitution congolaise du 25 octobre 2015, 85 de la Constitution ivoirienne du 08 novembre 2016, modifiée le
19 mars 2020, 95 de la Constitution malienne du 22 juillet 2023.
10
Article 79 alinéa 1er de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.
11
PICOTTE (J.), Juridictionnaire, Moncton, Faculté de droit Université de Moncton, 2018, p. 615.
12
Le 5 mars 2019, l’autorité béninoise d’organisation des élections, en l’occurrence la Commission Electorale
Nationale Autonome (CENA), rend une délibération au sujet de la liste des déclarations de candidatures retenues
pour prendre part aux élections législatives du 28 avril 2019. D’emblée, la CENA ne prend pas la peine d’examiner
les dossiers de deux formations politiques à savoir, l’Union Sociale Libérale (USL) et l’Union Démocratique pour
un Bénin nouveau (UDBN) pour dossiers incomplets. Elle rejette, après examen, les dossiers de candidatures des
partis politiques suivants : Mouvement des Elites Engagées pour l’Emancipation du Bénin (MOELLE-Bénin),
Parti pour le Renouveau Démocratique (PRD) et Force Cauri pour le Développement du Bénin (FCDB). Si les
deux premières formations politiques recalées gravitent autour de la mouvance présidentielle, la troisième se
réclame de l’opposition politique. Voir dans ce sens, DEDJILA (G.), « Législatives 2019 au Bénin: Seules les
candidatures de l’Union progressiste et du Bloc républicain validées par la CENA », 05/03/2019, disponible sur le
site internet https://lanouvelletribune.info/2019/03/legislatives-2019-au-benin-seules-les-candidatures-de-lunion-
progressiste-et-du-bloc-republicain-validees-par-la-cena/, consulté le 21 décembre 2023 à 14h 55minutes.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

78
administrative de candidature et du certificat de conformité13 exigée par (…) la Cour
constitutionnelle »14. S’agissant du certificat de conformité, « Il s’agit là, d’une nouvelle pièce
qui ne figurait ni dans la Charte des partis politiques, ni dans le Code électoral ; il n’est pas
inutile de souligner que c’est le Ministère de l’intérieur qui a, à charge, la délivrance de ladite
pièce aux formations politiques »15. Même les dossiers des partis politiques ayant obtenu le
sésame, pour participer à ces législatives, à savoir le Bloc Républicain et l’Union Progressiste,
ne sont pas exempts de critiques16. Ils sont « soupçonnés d’avoir bénéficié de traitement de
faveur de la part de la CENA »17.

Au vu de la crise post-électorale qui prévaut au Bénin, c’est sans surprise que « la 8ème
législature du Parlement béninois a été installée le 16 mai 2019, dans des conditions similaires
à celles des réunions des autorités gouvernementales somaliennes : sous très haute surveillance
militaire »18. Cette installation « signe la fin du processus électoral sur une assemblée composée
de 83 députés issus de deux partis politiques […] voulus et […] mis sur orbite »19 par le
Président de la République, Patrice TALON20. Dès lors, la liesse populaire qui s’est toujours
emparée des échéances électorales, depuis le retour à l’ordre constitutionnel et libéral au Bénin,
cède la place à la défiance populaire, traduite par un taux de participation électorale des plus
faibles21. De la liberté de choisir leurs représentants, les électeurs se voient contraindre d’opérer

13
Cf. Cour constitutionnelle, Décision EL 19-001 du 1er février 2019, SADODJOU Ismaël Gaétan et
GAHOUNGA Gérard.
14
Selon les explications, devant la presse, d’Emmanuel TIANDO, président de la CENA. Cf. DEDJILA (G.),
« Législatives 2019 au Bénin: Seules les candidatures de l’Union progressiste et du Bloc républicain validées par
la CENA », 05/03/2019, disponible sur https://lanouvelletribune.info/2019/03/legislatives-2019-au-benin-seules-
les-candidatures-de-lunion-progressiste-et-du-bloc-republicain-validees-par-la-cena/, consulté le 21 décembre
2023 à 14h 55minutes.
15
OLOGOU (E.) (dir.), Législatives 2019 au Bénin : le piège fatal ?, Cotonou, CIAAF éditions, 2019, p. 17.
16
Pour justifier la validation des candidatures des partis politiques autorisés à participer aux élections législatives
de 2019, le Président de la CENA opère une césure entre les " fautes majeures", reprochées aux formations
politiques recalées et les "fautes mineures" décelées dans les dossiers de celles retenues. Sans entrer dans les
détails, qui auraient pu s’avérer convaincants pour asseoir la décision d’exclusion des uns et de validation des
autres, le président de la CENA béninoise affirme que les deux partis de la mouvance présidentielle ont été retenus,
à l’issue de l’étude des dossiers de candidatures, parce qu’ils ont commis des « fautes mineures » qui ne pouvaient
les disqualifier. Cf. HOUNGBADJI (C.S.), « Bénin– Fautes mineures » : Le président de la Cena répond à ses
détracteurs », 26 avril 2019, disponible sur https://archives.beninwebtv.com/2019/04/benin-fautes-mineures-le-
president-de-la-cena-repond-a-ses-detracteurs/, consulté le 22 décembre 2023 à 10h 20minutes.
17
OLOGOU (E.) (dir.), Législatives 2019 au Bénin : le piège fatal ?, op. cit., p. 20.
18
OLOGOU (E.), « Le Parlement du Bénin : une affaire à suivre », Position Paper, n° 1, 04 juin 2019, URL :
https://www.ciaaf.org/storage/2019/06/Le_parlement_beninois_Ciaaf_Expe%CC%81dit_Ologou.pdf, consulté le
1er août 2023 à 10h 30minutes.
19
Ibidem.
20
Les deux partis politiques appartenant au Chef de l’Etat et siégeant à l’Assemblée nationale béninoise, sous la
huitième législature, sont l’Union Progressiste, qui deviendra en août 2022, à la suite de sa fusion avec le Parti
pour le Renouveau Démocratique, l’Union Progressiste le Renouveau, et le Bloc Républicain. Ces deux formations
politiques, que d’aucuns qualifient de "partis siamois" se sont réparties les 83 sièges du Parlement de la manière
suivante : 47 sièges pour l’Union Progressiste et 36 sièges pour le Bloc Républicain.
21
23% est le taux de participation aux élections législatives d’avril 2019 selon la Commission Electorale Nationale
Autonome (CENA). C’est pour une première fois, depuis la réouverture de l’espace politique, à partir de 1991,
que le Bénin enregistre un taux de participation aussi bas aux élections législatives.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

79
un choix entre deux listes22 restant en lice. Il s’est agi, à la vérité, d’une élection parlementaire
presque sans choix23, c’est-à-dire imposée en « l’absence de choix réel des gouvernés »24.

La présente réflexion connait une double limitation. D’une part, par manque d’éléments
factuels et statistiques sur une autre fonction parlementaire que la doctrine considère comme
fondamentale, à savoir, la fonction de représentation25, nous avons décidé d’écarter celle-ci
dans cette étude. D’ailleurs, le constat amer26 effectué par l’autorité parlementaire, elle-même,
au sujet du désintérêt des députés à s’approprier cette mission incite à ne pas l’incorporer dans
notre analyse bilantielle de la huitième législature du Parlement du Bénin. Nous comprenons,
aisément, que l’étude s’articulera autour des fonctions parlementaires consistant à voter les lois
et à contrôler l’action de l’exécutif. De l’autre, nous y excluons une autre fonction parlementaire
en pleine émergence sous d’autres cieux et perçue en doctrine comme un contrôle de
substitution27. Il s’agit de l’évaluation parlementaire des politiques publiques28. Cette fonction
connait un processus de constitutionnalisation29 assez timide en Afrique noire francophone et
de codification pas assez agressif au Bénin30.

Cette réflexion revêt un intérêt à plus d’un titre. Elle procède à une analyse bilancielle de
la huitième législature du Parlement béninois, perçu comme le Parlement de la rupture dont les

22
Les législatives de 2019 contrastent avec celles de 2015, à l’occasion desquelles 20 partis, groupements
politiques ou alliances des partis prennent part. Les résultats issus des urnes permettent l’entrée au Parlement de
11 formations politiques qui se répartissent les 83 sièges en jeu. Cf. ASCAP, « Que doit-on retenir de l’article 242
du Code électoral béninois ? », Numéro spécial, avril 2019, pp. 20-23.
23
HERMET (G.), « Les élections sans choix », Revue Française de Science Politique, n° 27-1, 1977, pp. 30-33.
24
MBODJ (E.H.), La succession du chef d’Etat en droit constitutionnel africain (Analyse juridique et impact
politique), Thèse de droit, Cheikh Anta DIOP, 1991, p. 42.
25
GOHIN (O.), Droit constitutionnel, Paris, Lexis Nexis, 5e édition, 2022, 1456 p.
26
Le Président de la huitième législature du Parlement béninois, Louis, G. VLAVONOU, n’a de cesse attiré
l’attention de ses collègues sur la négligence de leur mission de représentants de la Nation. Pour ce faire, il les a
invités à « donner de la matière et de la visibilité à ce volet de [leur] mission constitutionnelle perçue parfois
comme un talon d’Achille en raison de l’immobilisme qui semble gagner [la] législature en la matière », in
Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er avril au 30
septembre 2020), octobre 2020, p. 24.
27
TÜRK (P.), Le contrôle parlementaire en France, Paris, L.G.D.J, 2011, p. 188 et s.
28
DELCAMP (A.), BERGEL (J.-L.) et DUPAS (A.) (dir.), Contrôle parlementaire et évaluation, Paris, La
Documentation française, 1995, 244 p ; AMÉDRO (J.-F.), « L'évaluation des politiques publiques : structure et
portée constitutionnelle d'une nouvelle fonction parlementaire », Revue du Droit Public, n° 5, 2013, pp. 1137-
1168.
29
Lire les articles 68 de la Constitution malgache du 11 décembre 2010, 59 de la loi constitutionnelle n° 2016-10
du 05 avril 2016 portant révision de la Constitution du Sénégal, 112 de la Constitution tchadienne du 4 mai 2018
et 94 alinéa 2 de la Constitution malienne du 22 juillet 2023. Il importe de préciser que les actes fondamentaux, en
dépit de leur caractère provisoire et transitionnel intègrent dorénavant cette mission parlementaire à l’instar de
l’article 50 alinéa 2 de la Charte de la transition de la République gabonaise du 04 septembre 2023, révisée le 08
septembre 2023.
30
En droit positif béninois, la fonction d’évaluation parlementaire a des fondements infra-constitutionnels. Lire,
en ce sens, la décision n° 2019-70 du 24 septembre 2019 du Président de l’Assemblée nationale portant création
de l’Institut parlementaire du Bénin et l’article 136.3 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale modifié le
14 juillet 2020.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

80
membres, qualifiés d’illégitimes31 donc mal élus, étaient attendus au tournant dans l’exercice
de leurs fonctions à l’effet de taire les critiques, à tort ou à raison, que le contexte32 explosif
entourant leur élection a suscitées. La présente réflexion ambitionne de faire l’état des lieux des
fonctions éminemment politiques du Parlement béninois, prise dans leur dimension opératoire
sous la huitième législature. L’enjeu étant de décrypter le réel constitutionnel béninois à l’aune
des pratiques parlementaires afférentes aux pouvoirs législatifs et de contrôle de l’action du
Gouvernement dévolus à l’Assemblée nationale. L’objectif étant de cerner l’évolution ou non,
sous la législature sortante, dans l’exercice des principales attributions dévolues aux députés
par le constituant béninois33 et reprécisées au niveau infra-constitutionnel34.

Si les politiques sont a priori destinataires cette étude, il n’en demeure pas moins vrai que
son intérêt renferme une dimension scientifique indéniable, justifiée par la mise en lumière des
premières applications des réformes inhérentes au contrôle parlementaire, aussi bien dans la
première moitié qu’au crépuscule de la décennie 201035. D’où la problématique suivante à
laquelle nous sommes appelés à répondre dans la présente réflexion : quelle évolution l’exercice
de la fonction du Parlement béninois a-t-elle connue sous la huitième législature ?

La méthodologie convoquée, pour examiner le bilan de la huitième législature, sous le


prisme des fonctions parlementaires de vote et de contrôle des activités gouvernementales,
s’appuie d’abord sur le positivisme sociologique, cher à Léon DUGUIT, qui est « une méthode
rigoureuse consistant à fonder ses affirmations uniquement sur les faits tirés de l’expérience »36.
En ce sens que le positivisme sociologique ne se concentre pas sur la seule règle juridique,
puisqu’il considère que « c’est dans le milieu social qu’il convient, soit de découvrir les règles
de droit, soit de puiser les sources d’inspiration du législateur, soit de vérifier l’effectivité de
l’application du droit formel et par là même son adéquation aux besoins de la société »37. Dans
le cas d’espèce, la méthode du positivisme sociologique, bien que nécessaire, est complétée par
la méthode de droit comparée qui postule, d’une part, la confrontation du bilan de la huitième
législature aux bilans des législatures précédentes et, d’autre part, la comparaison de ce bilan

31
DUERKSEN (M.), « La démocratie détricotée au Bénin », disponible sur africacenter.org/fr/spotlight/la-
democratie-detricotee-au-benin/, 5 mai 2021, pp. 2-6.
32
OLOGOU (E.) (dir.), Législatives 2019 au Bénin : le piège fatal ?, op. cit., pp. 1-49.
33
Cf. Articles 79 alinéa 2 et 113 de la Constitution du 11 décembre 1990.
34
Lire les articles 105 à 120 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
35
Sont ciblés, ici, le contrôle parlementaire sur les finances publiques au moyen du débat d’orientation budgétaire,
consacré par la LOLF béninoise de 2013, consolidé par la réforme du règlement intérieur du 14 juillet 2020 ainsi
que le contrôle parlementaire a posteriori sur les conventions financières ratifiées par le Président de la
République, introduit, en droit positif béninois, à la faveur de la révision constitutionnelle de 2019.
36
PINON (S.), « Le positivisme sociologique : l'itinéraire de Léon Duguit », Revue Iinterdisciplinaire d’Etudes
Juridiques, Vol. 67, 2011/2, p. 81.
37
TRICOIT (J.-Ph.), Fiches de Culture juridique, Paris, Éditeur Ellipses, 2019, p. 171.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

81
avec ceux des Parlements africains francophones sur un point précis, lié à l’exercice soit du
contrôle parlementaire sur les politiques publiques, soit de la fonction consistant à légiférer.

Cette contribution a pour cadre spatio-temporel le Bénin en général, le Parlement en


particulier, et s’incruste dans une période globalement comprise entre 1991 et 2023, avec pour
point d’orgue le travail parlementaire effectué durant la huitième législature. Si évolution il y a,
dans l’exercice des fonctions dévolues au Parlement béninois notamment sous la huitième
législature, elle ne peut être cernée de façon complète, et pour la clarté de l’analyse, que par
l’autopsie de son bilan. Ainsi, en réponse à la problématique précédemment posée, il sied de
dire que sous la législature sortante de l’Assemblée nationale béninoise, si le bilan relatif à
l’exercice de la fonction législative parait appréciable (I), il n’en reste moins que celui lié au
contrôle de l’action gouvernementale est des plus déplorables (II).

I. UN BILAN APPRECIABLE DE LA FONCTION LEGISLATIVE

La huitième législature de l’Assemblée nationale du Bénin a été placée sous le signe des
réformes audacieuses. Le Chef de l’Etat, qui est l’inspirateur principal des lois, en raison du
caractère présidentiel du régime politique instauré par la Constitution de 1990, quoique
fortement rationalisé avec des effluves parlementaristes, avait, dès 2019, donné le ton38. Le
Président l’Assemblée nationale, Louis G. VLAVONOU39, n’a d’ailleurs ménagé aucun effort
pour dicter la cadence des plénières dédiées au travail législatif. Si la législature sortante s’est
particulièrement démarquée dans l’exercice de sa fonction de légiférer (A), cela ne doit pas
occulter le constat implacable de la rareté des lois d’origine parlementaire (B).

A. UNE CONSTANTE : LA HUITIEME LEGISLATURE, UNE USINE


D’ADOPTION DES LOIS

L’activité législative, sous la huitième législature, n’a connu aucun répit. Cette continuité
se traduit par le vote, à foison, des lois comme l’illustre, à juste titre, l’inventaire de la
production législative (1). Toutefois, l’exercice dominant du travail législatif, durant les

38
Cf. Message à la Nation du Président Patrice TALON, au lendemain des élections législatives d’avril 2019 et
des évènements malheureux consécutifs à ces élections. Dans son adresse, le Chef de l’Etat parle d’une réforme
« redoutée mais indispensable pour le développement du Bénin », cité par OLOGOU (E.), « Le Parlement du
Bénin : une affaire à suivre », Position Paper, n° 1, 04 juin 2019, URL :
https://www.ciaaf.org/storage/2019/06/Le_parlement_beninois_Ciaaf_Expe%CC%81dit_Ologou.pdf, consulté le
1er août 2023 à 10h 30minutes.
39
Dans son propos conclusif, tenu lors de la présentation de son deuxième rapport d’activités sous la huitième
législature, il « appelle des réformes courageuses et exigeantes […] douloureuses mais nécessaires si nous voulons
hisser notre Parlement au rang des institutions respectables », in Assemblée nationale, Rapport d’activités du
Président de l’Assemblée nationale (période du 1er octobre 2019 au 31 mars 2020), avril 2020, p. 51.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

82
sessions parlementaires, confirme une tendance, celle de l’exécutif qui en imprime,
incessamment, le rythme (2).

1- L’inventaire de la production législative

En rappel, la première mission fondamentale de tout Parlement est de voter les lois. Il en
est de même, aussi, pour l’Assemblée nationale béninoise. Elle tient ce pouvoir de la
Constitution du 11 décembre 1990 qui dispose, in fine, en son article 79, que « le Parlement est
constitué par une Assemblée unique dite Assemblée Nationale […] Il exerce le pouvoir
législatif ». La moisson législative de la huitième législature parait abondante. Ainsi, après son
installation, la huitième législature s’est mise à l’ouvrage. En 2019, elle adopte une série de lois
qui peuvent être classées en plusieurs catégories à savoir, une loi constitutionnelle40, sept (07)
lois ordinaires, dix-sept (17) lois de ratifications dont cinq (05) accords de prêt et douze (12)
traités, conventions ou protocoles41.

En 2020, les locataires du Palais des Gouverneurs42 exercent leur pouvoir législatif en
votant, tour à tour, une loi organique, trente (30) lois ordinaires et neuf (09) lois d’autorisation
de ratification ou d’adhésion. Au titre des lois ordinaires, on peut citer la loi n° 2020-04 portant
régime juridique, fiscal et douanier applicable au projet de pipeline d’exportation Niger-Bénin
votée, en deuxième lecture, le 30 avril 2020, à la demande du Président de la République43.
L’une des plus innovantes lois votées en cette année demeure, à n’en pas douter, la loi organique
n° 20-38 sur la Cour des comptes adoptée le 30 septembre 202044 puis promulguée le 11 février
2021. Cette loi45 est la résultante de la transformation de la chambre de Comptes de la Cour

40
Il s’agit de la fameuse loi constitutionnelle n° 2019-40 portant révision de la Constitution du 11 décembre 1990
adoptée nuitamment du 31 octobre jusqu’au petit matin du 1er novembre 2019. Pour plus de détails sur le processus
d’aboutissement de cette réforme constitutionnelle et les échecs des initiatives antérieures de révision
constitutionnelle, lire, entre autres, AÏVO (F.J.), Constitution de la République du Bénin. La Constitution de tous
les records en Afrique, Cotonou, Les éditions universitaires, 2018, p. 1 et suiv ; SALAMI (I.D.), La Constitution
du 11 décembre 1990 modifiée par la loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019, Cotonou, Editions CEDAT, 2019, p.
1 et suiv.
41
Source : Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er avril
au 30 septembre 2019), octobre 2019, pp. 13-17 ; Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de
l’Assemblée nationale (période du 1er octobre 2019 au 31 mars 2020), op. cit., pp. 14-16.
42
Dénomination du bâtiment qui abrite le siège de l’Assemblée nationale du Bénin, situé à Porto-Novo.
43
Source : Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er avril
au 30 septembre 2020), op. cit., pp. 15-18 ; Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée
nationale (période du 1er octobre 2020 au 31 mars 2021), avril 2021, pp. 12-13.
44
Source : Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er octobre
2020 au 31 mars 2021), op. cit., p. 12.
45
Elle sera remplacée, précocement, par la loi n° 2022-05 du 27 juin 2022 portant loi organique sur la Cour des
comptes qui abroge toutes les dispositions de la précédente loi. Cette situation, qui parait inextricable, en ce que
la première loi est abrogée alors qu’elle n’a jamais été mise en œuvre, fait échos aux propos de la doctrine qui
épingle la « qualité de la loi » ( SALAMI (I.D.), GANDONOU (D.O.M.), Droit constitutionnel et institutions du
Bénin, Cotonou, Editions CEDAT, 2014, p. 328), souvent empreinte de « pathologies » (AÏVO (F.J.), « Le
Parlement béninois sous le renouveau démocratique : échec et réussite », in ASSEMBLÉE NATIONALE,
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

83
suprême en plus haute juridiction de l’Etat en matière de contrôle des comptes publics, réalisée
à la faveur de la révision constitutionnelle de 2019. C’est une diligence notable à mettre à l’actif
de la huitième législature qui s’est empressée d’adopter les textes législatifs indispensables à
l’effectivité46 du nouvel ordre financier, censé concourir à la transparence dans la gestion des
finances publiques47.

En ce qui concerne l’activité législative du Parlement béninois en 2021, il importe de


mentionner que les sessions ordinaires et extraordinaires qui s’y tiennent permettent le vote
d’une batterie de lois, bien qu’elle soit, statistiquement, en deçà par rapport à l’activité
législative de la précédente année. En effet, contrairement à 2020, 1a production législative de
la huitième législature, en 2021, se traduit par le vote de deux (02) lois des finances notamment
la loi des finances rectificative 202148 et la loi des finances pour la gestion 2022. Dans la même
veine, dix (10) lois ordinaires encadrant plusieurs secteurs d’activités49 sont adoptées en séances
plénières. Au surplus, l’Assemblée nationale béninoise autorise quatre (04) ratifications50 de
conventions et accords de prêts ou de crédits.

CAPAN, 50 ans de vie parlementaire au Bénin, l’histoire du pouvoir législatif des indépendances à nos jours,
Actes du Colloque parlementaire du cinquantenaire, Cotonou, FIC, juin 2011, pp. 156-158). C’est un constat qui
n’est pas propre au législateur béninois. En France, à titre de comparaison, les critiques allant dans le même sens,
au regard de l’inflation législative, ont été formulées, entre autres, par Guy CARCASSONNE en ces termes : « On
légifère d’abord puis, rarement et seulement si l’on a rien de plus rentable à faire, on réfléchit ensuite (…). Or,
plus on légifère mal, plus il faut légiférer pour corriger ce qu’on a mal fait une première fois », in Petit dictionnaire
de droit constitutionnel, Paris, Seuil, 2014, pp. 25-25.
46
Par comparaison à la situation qui prévaut en République du Congo, il faut dire que depuis la coupure du cordon
ombilical entre la Cour des comptes et de discipline budgétaire et l’ordre judiciaire, intervenue depuis l’adoption
de la Constitution en vigueur, à la suite de l’opération constituante du 15 octobre 2015, l’ordre financier congolais,
dans sa plénitude, n’est pas encore opérationnel. Il a fallu attendre 2022 puis 2023 pour que le projet de loi
organique déterminant les attributions, l’organisation, la composition et le fonctionnement de la Cour des comptes
et de discipline budgétaire, ainsi que la procédure à suivre devant elle soit, tour à tour, transmis au Parlement et
adopté par ses deux chambres. Encore faut-il ajouter que la loi ordinaire fixant composition, organisation et
fonctionnement du Conseil supérieur de la Cour des comptes et de discipline budgétaire vient d’être votée à
l’occasion des dernières sessions budgétaires annuelles. Ouvertes le 15 octobre 2023, les 4ème et 1ère sessions,
respectivement de l’Assemblée nationale et du Sénat de la République du Congo, ont clos leurs travaux le 23
décembre 2023.
47
OUEDRAOGO (D.), L’autonomisation des juridictions financières dans l’espace UEMOA. Etude sur
l’évolution des cours des comptes, Thèse de droit, Bordeaux-IV, 2013, p. 1 et suiv.
48
Les motivations soutenant l’élaboration puis l’adoption de ce collectif budgétaire se rapportent, entre autres, aux
dépenses additionnelles induites par l’extension du programme national d’alimentation scolaire, l’accélération des
travaux de déserte du territoire national en eau potable, les crédits nécessaires pour faire face à la résurgence de la
crise due à la pandémie de Covid-19, les moyens nécessaires à l’accélération et l’achèvement des travaux sur
divers chantiers ouverts au titre du Programme d’Action du Gouvernement (PAG I 2016-2021).
49
A l’instar de la loi n° 2021-01 du 03 février 2021 sur la biosécurité en République du Bénin, adoptée le 04
janvier 2021, ou encore de la loi n° 2020-03 du 03 février 2021 portant organisation des activités pharmaceutiques
en République du Bénin, adoptée le 03 janvier 2020.
50
Cf. Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er avril au 30
septembre 2020), op. cit., p. 13 ; Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale
(période du 1er avril 2021 au 30 septembre 2021), octobre 2021, pp. 11-12 ; Assemblée nationale, Rapport
d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er octobre 2021 au 31 mars 2022), avril 2022, pp.
11-13.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

84
Les élus de la huitième législature votent, courant 2022, trois (03)51 lois organiques, vingt-
sept (27) lois ordinaires et cinq (05) lois portant autorisation de ratification52 des accords de
crédits ou de prêts. Le 25 janvier 2023, les députés béninois votent, à l’occasion de l’ultime
plénière de la huitième législature, deux (02) lois d’autorisation de ratification. La première
autorise la ratification d’un accord de coopération et la seconde autorise la ratification d’une
convention bilatérale53.

A la vérité, le Parlement béninois atteint le pic législatif, pendant sa huitième mandature,


paradoxalement en 2020 avec, à la clé, une quarantaine de lois votées. Décidément, la crise
sanitaire qui met à rude épreuve le fonctionnement des systèmes démocratiques, à travers le
monde, n’a visiblement pas impacté les parlementaires dans leur ferme volonté de maintenir le
cap relativement à l’exercice de leur traditionnelle et constitutionnelle mission de légiférer. Il
est a noté, dans ce dénombrement de la production législative de la huitième législature de
l’Assemblée nationale du Bénin, une progression des lois d’autorisation ou de ratification qui
se rangent, en termes numériques, derrière les lois ordinaires. C’est une tendance inaugurée au
cours des législatures antérieures. Si pour les uns, l’« augmentation des autorisations de
ratification démotr[ent] que les parlementaires aident le Gouvernement à avoir les moyens de
sa politique »54, d’autres auteurs ne s’empêchent pas de « déplorer la grande place qu’occupent
les lois de ratification »55 dans l’exercice, par les députés béninois, de leur fonction de légiférer.

Au demeurant, toute comparaison faite avec ses devancières, notamment les six premières
législatures sous le renouveau démocratique, on remarque qu’en matière d’adoption des lois,
toute catégories confondues, la huitième législature se place juste derrière la deuxième
législature qui occupe l’avant dernière place, la lanterne rouge étant cédée à la première
législature56. Avec un total de 118 lois adoptées, la huitième législature est également loin de

51
Notamment la loi n° 2022-05 portant loi organique sur la Cour des comptes, la loi n° 2022-09 portant loi
organique sur la Cour constitutionnelle et la loi n° 2022-13 portant loi organique sur la Haute autorité de
l’audiovisuel et de la communication. Cf. Assemblée nationale–8ème législature–1ère session ordinaire de l’année
2022–Compte rendu intégral-Séance du 13 juillet 2022, inédit, p. 7.
52
Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er octobre 2021
au 31 mars 2022), op. cit., pp. 11-13.
53
Il s’agit, en clair, de la loi portant autorisation de ratification de l’accord de coopération du 21 décembre 2019
entre les Gouvernements des Etats membres de l’Union monétaire ouest africaine et le Gouvernement de la
République française et de la loi portant autorisation de ratification de la convention signée à Abu Dhabi, le 04
mars 2013, entre la République du Bénin et les Emirats Arabes Unis, en vue d’éviter la double imposition et de
prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu.
54
ADELOUI (A.-J.), « Les métamorphoses du Parlement béninois », in Démocratie en questions. Mélanges en
l’honneur du professeur Théodore HOLO, Toulouse, Presses de l’Université de Toulouse 1 Capitole, 2017, p. 508.
55
SALAMI (I.D.), GANDONOU (D.O.M.), Droit constitutionnel et institutions du Bénin, op. cit., p. 328.
56
Les statistiques des lois votées, sous les cinq premières législatures, se déclinent ainsi qu’il suit : 1ère Législature
(1991 - 1995) : 88, 2ème Législature (1995 - 1999) : 117, 3ème Législature (1999 – 2003) : 127, 4ème Législature
(2003 - 2007) : 133, 5ème Législature (2007 - 2011) : 130, Cf. DAKO (S.), « La cinquième législature de l’ère du
renouveau démocratique, la législature du cinquantenaire : Bilan positif malgré les crises politiques », in
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

85
rivaliser avec la septième législature en matière législative dans la mesure où sous celle-ci,
l’Assemblée nationale adopte, entre 2015 et 2019, 198 lois57. Par conséquent, hormis les deux
premières législatures, les autres législatures installés et fonctionnant au Bénin, à partir de 1991,
se révèlent, sur le terrain législatif, plus prolifiques que la législature sortante. Toutes
considérations, faut-il le mentionner, n’altèrent en rien le bilan appréciable de la huitième
législature laquelle était tenue, via ses députés, de l’obligation de s’acquitter de la mission
fondamentale de voter les lois en vue du bon fonctionnement de l’Etat béninois et en vue de la
satisfaction des aspirations du peuple béninois.

Du reste, la dynamique effrénée de l’activité législative, devant le Parlement béninois,


reste entretenue, en tout état de cause, par l’exécutif qui demeure, indéniablement, maitre de
l’initiative législative.

2- Le rôle dominant de l’exécutif dans l’initiative législative

L’exécutif maitre de l’initiative législative, c’est tout sauf une surprise car dans toutes les
démocraties contemporaines, la quasi-totalité des lois votées dans les assemblées
parlementaires émanent des exécutifs. Ce qui amène la doctrine a considéré les Parlements
comme des chambres d’enregistrement58 des projets de lois. La huitième législature ne fait pas
entorse à cette réalité politique dans la mesure où la quasi-totalité des lois votées par ses députés,
soit plus de 90%, provient de l’exécutif. La doctrine rapporte, dans une perspective de
comparaison avec certaines législatures antérieures, que « les trois premières législatures révèlent
par exemple que 90, 78% des lois votées émanent du Gouvernement contre 9, 21% qui sont d’origine
parlementaire »59. Sur ce point, le Bénin ne constitue pas une exception. Il s’inscrit dans les
standards statistiques de la plupart des démocraties, peu importe qu’elles soient classiques,

ASSEMBLÉE NATIONALE, CAPAN, 50 ans de vie parlementaire au Bénin, l’histoire du pouvoir législatif des
indépendances à nos jours, op. cit., p. 169. Sous la 6ème législature (2011-2015), les députés votent 153 lois. Dans
ce sens, ADAMON (A.D.), Le Parlement béninois en mouvement vie et œuvre de la septième législature, Cotonou,
Edition Friedrich Ebert Stiftung, novembre 2019, p. 300.
57
La répartition annuelle des lois votées est faite de la manière suivante : 22 lois votées en 2015, 36 en 2016, 44
en 2017, 39 en 2018 et 21 lois adoptées en 2019. Cf. Assemblée nationale du Bénin, Livre bleu, septième législature
2015-2019, 2019, inédit, pp. 101-139.
58
BRETON (J.-M.), « Débat institutionnel et crise des pouvoirs : Etat de droit ou droit de l’Etat ? (l’exemple
français) », Revue Congolaise de Droit, n°s 11-12-13-14, janvier-décembre 1993, p. 23. Pour une opinion
relativement nuancée, voir RUEDA (F.), Le contrôle de l’activité du pouvoir exécutif par le juge constitutionnel.
Les exemples français, allemand et espagnol, Paris, L.G.D.J, 2000, p. 21 ; DUHAMEL (O.), TUSSEAU (G.),
Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Seuil, 5e édition, 2019, p. 1093.
59
ADELOUI (A.-J.), « Les métamorphoses du Parlement béninois », in Démocratie en questions. Mélanges en
l’honneur du professeur Théodore HOLO, op. cit., p. 508 ;
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

86
contemporaines, en construction60 ou en consolidation61 comme les nouvelles démocraties62
implantées sur le continent africain.

On le voit, les initiatives gouvernementales submergent le travail parlementaire et sont


toujours en constante progression, même s’il est admis que l’Assemblée nationale du Bénin
reste « maitresse de son ordre du jour, siège plus longtemps »63. Seulement, il s’agit d’un ordre
du jour substantiellement influencé par l’exécutif car la presque totalité des matières qui y sont
inscrites, déclinées en projets de lois, proviennent du Gouvernement. Cette réalité ne doit guère
étonner puisque l’une « des tâches essentielles d’un Gouvernement [consiste à] traduire en
normes juridiques sa volonté politique. Dans un Etat de droit, gouverner c’est avant tout
fabriquer la loi et la respecter »64. Georges BURDEAU résume, parfaitement, cette situation
dans sa célébrissime formule : « légiférer, c’est gouverner »65. Toutes ces considérations,
éminemment politiques, se trouvent résumées dans l’article 54 de la Constitution béninoise qui
attribue au Président de la République, chef de l’exécutif, la compétence de déterminer et de
conduire la politique de la Nation66.

Au Bénin, les initiatives législatives du Gouvernement ont vocation à concrétiser les


engagements présidentiels contenus dans les programmes d’actions gouvernementales (PAG I
et II) qui sont la déclinaison des projets de société sur la base desquels le Président de la
République, Patrice Talon, a été élu à la magistrature suprême en 2016 puis reconduit en 2021.
Leur exécution commande que des réformes législatives soient opérées. La huitième législature,
à l’image de celles qui l’ont précédée, s’est mue irréversiblement en grande consommatrice des
projets des lois. Ce faisant, elle consolide le reproche qui est souvent fait aux Parlements de
n’être que des instances de validations des décisions gouvernementales. Les animateurs de
l’institution parlementaire ne font pas mystère de la situation de faire valoir dans laquelle se

60
BOLLE (S.), Le nouveau régime constitutionnel du Bénin. Essai sur la construction d’une démocratie africaine
par la Constitution, Thèse de droit, Montpellier I, 1997, 807 p.
61
J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Constitution sans culture constitutionnelle n’est que ruine du
cconstitutionnalisme. Poursuite d’un dialogue sur quinze années de « transition » en Afrique et en Europe », in
Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation. Mélanges en l’honneur de Slobodan MILACIC, Bruxelles,
Bruylant, 2007, p. 334.
62
SOHOUÉNOU (M.E.), « Le statut juridique de l’opposition politique dans les nouvelles démocraties africaines
», Revue Béninoise des Sciences Juridiques et Administratives, n° 25, 2011, pp. 215-270.
63
HOLO (Th.), « Les idées constitutionnelles du professeur AHANHANZO-GLELE », in La Constitution
béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice AHANHANZO-
GLELE, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 240.
64
ONDO (T.), Le droit parlementaire gabonais, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 188.
65
Cité par RUEDA (F.), Le contrôle de l’activité du pouvoir exécutif par le juge constitutionnel. Les exemples
français, allemand et espagnol, op. cit., p. 13.
66
Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 54 nouveau de la loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019 portant révision de
la loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin : « Le présidentl de la
République est le détenteur du pouvoir exécutif. Il est le chef du Gouvernement, et à ce titre, il détermine et
conduit la politique de la Notion. Il exerce le pouvoir réglementaire ».
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

87
trouve le pouvoir législatif au Bénin sur le terrain législatif. En effet, le Président de la troisième
législature, Adrien HOUNGBEDJI, déclare le 12 avril 2021, à l’occasion de l’ouverture de la
première session ordinaire de l’année 2001, que « ce qui s’observe, c’est que de plus en plus,
le pouvoir exécutif et le pouvoir juridictionnel se renforcent au détriment du législatif. Nous
adoptons, nous modifions des textes ! Mais l’initiative nous échappe chaque jour davantage
nous sommes réduits à servir de faire valoir aux projets gouvernementaux »67.

Le quasi-monopole qu’exerce le pouvoir exécutif, dans l’initiative législative, n’épuise


pas le débat sur la qualité de la loi au Bénin en dépit de toute la technostructure, de l’expertise
dont disposent les départements ministériels pour élaborer des lois exemptes de tout reproche.
En effet, sous le renouveau démocratique béninois, il a été soutenu que la loi « est en déclin.
Elle est parfois mal conçue, mal étudiée (…). Cette malfaçon de la loi s’explique [entre autres]
par la défectuosité des mécanismes de fabrication et d’application de la loi »68. La loi organique
sur la Cour des comptes analysée supra, adoptée en septembre 2020 avant d’être abrogée puis
remplacée par une autre, en juin 2022, le tout dans un intervalle de moins de deux ans, illustre
ces malfaçons législatives et le caractère hâtif avec lequel certaines lois sont élaborées,
examinées puis adoptées au Parlement béninois, sous la huitième législature.

La croissance permanente des initiatives gouvernementales, dans le domaine législatif,


contraste avec la décroissance saisissante des initiatives parlementaires observée dans cette
même sphère. Le rôle dominant de l’initiative législative du Gouvernement, qui n’est pas près
de fléchir, et encore moins de s’estomper, en raison des défis étatiques à relever qui augmentent
exponentiellement, au jour le jour, y est certainement pour quelque chose. La conséquence en
est que l’initiative parlementaire, dans un domaine censé être de prédilection pour l’Assemblée
nationale qui incarne le pouvoir législatif au Bénin, est constamment en plein déclin.

B. UNE RECURRENCE : LA RARETE DES INITIATIVES PARLEMENTAIRES


SOUS LA HUITIEME LEGISLATURE

Elle est la conséquence de la baisse des propositions de lois (1) qui révèle les limites de
la fonction législative dévolue aux parlementaires (2).

67
Cité par ADELOUI (A.-J.), « Les métamorphoses du Parlement béninois », in Démocratie en questions.
Mélanges en l’honneur du professeur Théodore HOLO, op. cit., p. 509.
68
AÏVO (F.J.), « Le Parlement béninois sous le renouveau démocratique : échec et réussite », in ASSEMBLÉE
NATIONALE, CAPAN, 50 ans de vie parlementaire au Bénin, l’histoire du pouvoir législatif des indépendances
à nos jours, op. cit., p. 157.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

88
1- La baisse des propositions de lois

La proposition de lois désigne « tout texte d’initiative parlementaire (…) en matière


législative »69 qui peut être l’émanation d’un élu ou commun à plusieurs élus. En principe,
l’initiative parlementaire n’est subordonnée à aucune formalité particulière sauf lorsqu’elle
intervient dans un domaine assujetti à l’avis de conformité présidentielle70. Elle peut intervenir
dans les matières relevant du domaine législatif, limitativement énumérées à l’article 98 de la
Constitution béninoise.

Pour ce qui est de la baisse des lois d’origine parlementaire, il faut dire que ce phénomène
constitue, négativement, l’un des faits marquants de la huitième législature. Même les rapports
d’activités du Président de l’assemblée nationale, publiés semestriellement, ne sont pas
volubiles à ce propos.

Par ailleurs, sous la huitième législature, quelques propositions de lois ont pu franchir le
stade des commissions permanentes pour être examinées puis votées en plénières. La plus
célèbre d’entre elles, laquelle brise la malédiction71 frappant toutes les initiatives de révision
constitutionnelle au Bénin, jusqu’ici retoquées par le juge constitutionnel ou plombées par le
Parlement, qu’elles émanent soit du Président de la République soit de l’Assemblée nationale72,
demeure, incontestablement, la proposition de loi de révision constitutionnelle73 adoptée dans
la nuit du 31 octobre au petit matin du 1er novembre 2019. Cette proposition de loi
constitutionnelle donne naissance à la loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019 portant révision de
la Constitution du 11 décembre 1990. Il en ressort que les rarissimes propositions de lois
ordinaires, initiées par les représentants de la Nation sous la huitième législature, ne connaissent
pas le même sort. Certaines rencontrent un franc succès en raison de leur transformation en lois
par l’effet du vote parlementaire et de la promulgation présidentielle. Ainsi en est-il de la loi n°

69
AVRIL (P.), GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, op. cit., p. 96.
70
Cf. article 54 alinéa 4 nouveau, issu de la loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019 portant révision de la loi n° 90-
32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin.
71
SALAMI (I.), « La ligne rouge constitutionnelle », 26 avril 2017, disponible sur le site internet
https://www.cedatuac.org, p.1, consulté le 03 février 2023 à 18h 10minutes ; ADELOUI (A.-J.), « La révision de
la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : une arlésienne ? », in NAREY (O.) (dir.), La Constitution, Dakar,
L’Harmattan-Sénégal, 2018, pp. 133, 144-152.
72
SALAMI (I.D.), La Constitution béninoise commentée, Cotonou, Editions CEDAT, 2ème édition, 2020, pp. 13-
17 ; GNAMOU (D.), « Cour constitutionnelle du Bénin et mutations constitutionnelles », Annales de l’Université
Marien NGOUABI, Vol. 23, n° 1, 2022, p. 9.
73
D’aucuns notent que cette proposition de loi constitutionnelle est la conséquence de l’instrumentation du
dialogue politique convoqué du 10 au 12 octobre 2019 par le Président Patrice TALON, tout en se servant de ce
dialogue comme cheval de troie aux fins de légitimation de la troisième tentative, enfin aboutie, de la révision de
la Constitution depuis son accession à la magistrature suprême en 2016. Lire en ce sens, OLOGOU (E.B.), « La
politique publique de révision constitutionnelle au Bénin », Afrilex, janvier 2023, p. 18 ; VIDJINGNINOU (F.),
« Bénin : le dialogue politique, cheval de troie d’une réforme constitutionnelle ? », URL :
https://www.jeuneafrique.com/845971/politique/benin-le-dialogue-politique-cheval-de-troie-dune-reforme-
constitutionnelle/, consulté le 15 juin 2023 à 17h 11minutes.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

89
2022-04 du 16 février 2022 portant hygiène publique en République du Bénin, initiée par les
députés Gildas Habib B. AGONKAN et Jérémie ADOMAHOU, adoptée le 20 janvier 2022.
S’inscrit dans la même optique, la loi n° 2022-15 modifiant et complétant la loi n° 2013-09 du
3 septembre 2013 modifiée, portant détermination de la carte électorale et fixation des centres
de vote en République du Bénin, proposée par le député Amavi Joseph ANANI et certains de
ses collègues74. Elle est votée le 12 aout 2022. D’autres en revanche, sont restées en souffrance
pour n’avoir jamais été examinées en plénière à l’instar de la proposition de loi portant statut
du conseil juridique en République du Bénin75.

Toutes ces constatations nous amènent à conclure que la priorité, dans l’étude des textes
de lois, tant en commissions qu’en plénières, a toujours été accordée aux initiatives législatives
provenant du Gouvernement.

Il convient d’observer que par comparaison à sa devancière, la huitième législature


n’affiche pas un meilleur bilan en matière d’initiatives parlementaires des lois. En effet, la
septième législature, à titre d’exemple, enregistre 24 propositions de lois76 entre 2015 et 2019.
Or, les propositions de lois initiées pendant la huitième législature sont inférieures à 10. Ce qui
nous conduit à nous demander si le tarissement des propositions de lois, sous la huitième
législature, provient d’un défaut d’outillage en matière légistique des élus, demeure la
manifestation de la discipline partisane77, donc par extension parlementaire, ou alors n’est rien
d’autre que le résultat d’une posture délibérée, consistant à concentrer l’expertise ainsi que les
énergies parlementaires au service des textes transmis par le Gouvernement ? Une telle
interrogation nous conduit à passer, au crible de l’analyse, les limites attachées à la fonction
législative qui ne sont pas propres à la législature sous étude, mais communes à toutes les
législatures.

2- Les limites à la fonction législative

Une pluralité d’obstacles limite l’exercice de la fonction législative attribuée aux députés
béninois, en partant de l’initiative parlementaire à la formulation des amendements78 aussi bien
sur les projets que sur les propositions de lois. Les premières limites à l’initiative parlementaire

74
Cf. Assemblée nationale–8ème législature–1ère session ordinaire de l’année 2022–Compte rendu intégral-Séance
du 13 juillet 2022, op. cit., p. 3 et suiv.
75
Réintroduite par le député Gérard GBENONCHI, Président de la Commission des finances et des échanges,
cette proposition de loi a été affectée à la Commission des lois, de l’administration et des droits de l’homme. Cf.
Assemblée nationale–8ème législature–1ère session ordinaire de l’année 2022–Compte rendu intégral-Séance du 28
avril 2022, inédit, p. 3.
76
Assemblée nationale du Bénin, Livre bleu, septième législature 2015-2019, op. cit., p. 95.
77
REIGNIER (D.), « La fin de la discipline partisane », Pouvoirs, n° 1 6 3, 2 0 17, p. 113.
78
Sur le droit d’amendement dans les Etats d’Afrique d’expression française, voir SAWADOGO (E.F.), « Le droit
d’amendement parlementaire dans les Etats d’Afrique noire francophone », Afrilex, mai 2023, pp. 1-29.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

90
sont d’ordre constitutionnel. Le déclin de l’initiative parlementaire en matière législative,
rappelle la doctrine, « peut s’expliquer dans une certaine mesure par un souci du respect de la
délimitation du domaine législatif »79. Dans la même veine, il sied de noter que la révision
constitutionnelle opérée par le législateur constituant, en 2019, accroit le corsetage de
l’initiative parlementaire par l’introduction d’une nouvelle recevabilité prévue à l’article 54 de
la Constitution. Ainsi, aux termes de l’alinéa 4 de cette disposition constitutionnelle :
« Nonobstant les dispositions de l’article 97 de la Constitution, la proposition, les amendements
à une proposition ou à un projet de loi organique sur l’Administration ne sont soumis à la
délibération et ou vote de l'Assemblée nationale qu'après avis conforme du Président de la
République ».

Autrement dit, l’avis de rejet du Président de la République, sur toute proposition de lois
intervenant dans le domaine de l’Administration, met en échec une telle initiative. C’est un veto
présidentiel contre les initiatives législatives émanant des députés que la disposition
constitutionnelle précitée instaure en droit positif béninois. La réforme constitutionnelle de
2019, faut-il le souligner, rétrécit le champ des initiatives parlementaires. Elle resserre,
davantage, l’étau de l’initiative parlementaire laquelle était déjà fortement rationalisée sous
l’empire de la norme suprême béninoise en vigueur, dans sa version initiale. Avec un tel
étiolement de leur pouvoir d’initiative, acté dans la réforme constitutionnelle portée, de bout en
bout, par les députés béninois eux- mêmes, ceux-ci ne se sont-ils pas rendus « complices de
leur aliénation », pour paraphraser Guy CARCASSONNE 80 ?

Les limites attachées à la fonction législative trouvent également leur source dans la
jurisprudence de la Cour constitutionnelle béninoise. L’hyperactivité de cette haute juridiction
constitutionnelle, notamment dans les législatures antérieures, l’a conduit à censurer plusieurs
initiatives parlementaires81. L’excès de zèle jurisprudentiel a poussé la doctrine à s’interroger
sur le point de savoir si en procédant à l’extension de son champ de compétences, pourtant tracé
par le constituant béninois, le juge constitutionnel béninois n’en fait pas trop82. C’est une
évidence que depuis quelques années, la Cour constitutionnelle du Bénin, comme bien d’autres
juridictions constitutionnelles sur le continent, en s’appropriant le pouvoir normatif, est

79
ADELOUI (A.-J.), « Les métamorphoses du Parlement béninois », in Démocratie en questions. Mélanges en
l’honneur du professeur Théodore HOLO, op. cit., p. 508.
80
CARCASSONNE (G.), « La résistance de l'Assemblée nationale à l'abaissement de son rôle », », Revue
Française de Science Politique, 34e année, n° 4-5, 1984, p. 910.
81
KPODAR (A.), « Réflexions sur la justice constitutionnelle à travers le contrôle de constitutionnalité de la loi
dans le nouveau constitutionnalisme : les cas du Bénin, du Mali, du Sénégal et du Togo », Revue Béninoise des
Sciences Juridiques et Administratives, n° 16, 2006, pp. 104-146.
82
GNAMOU-PETAUTON (D.), « La Cour constitutionnelle du Bénin en fait-elle trop ? », Revue Béninoise des
Sciences Juridiques et Administratives, n° spécial, 2013, pp. 5-42.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

91
devenue un acteur incontournable « donc partie prenante à la fonction normative »83, plus
précisément législative, formellement dévolues aux seuls parlementaires. Les auteurs font
observer que « la loi n’est pas toujours le texte initié, adopté et voté souverainement par
l’Assemblée nationale. Elle est souvent initiée par le Gouvernement […], dictée par la Cour
constitutionnelle à l’occasion du contrôle de constitutionnalité »84. La doctrine en vient à se
demander, au regard de ce qui s’apparente à une forme de violation de la séparation des pouvoirs
« si le Parlement n’est pas émasculé »85. Tout indique que l’époque où « les chambres, admises
à la confection des lois [avaient] le droit de proposer dans ces lois, tous les changements qui
leur semblent utiles »86 est surannée en ce que, avec l’avènement du contrôle de
constitutionnalité, l’injusticiabilité de la loi devient désuète. Aussi, la loi votée au Parlement
n’exprime-t-elle la volonté générale que dans le respect de la Constitution87.

En outre, les limites à la fonction législative peuvent être personnelles, c’est-à-dire


propres aux députés. En effet, il n’est pas superfétatoire de mentionner que le Parlement du
Bénin, sous la huitième législature, a été renouvelée88 à plus de 60%89. Dès lors, nous
comprenons aisément que l’un des obstacles à l’efficacité de la fonction législative sous la
huitième législature, lequel « continue d’entraver la performance du Parlement béninois est bien
entendu la qualité problématique du député lui-même »90. Ce constat doctrinal est toujours
d’actualité. La construction de l’Etat de droit en dépend. En effet, « l’Etat de droit tient plutôt
à la qualité de la législation en vigueur car, il y va de la sécurité juridique des gouvernés »91 et
en l’absence des lois de qualité, c’est l’insécurité juridique qui s’installe au détriment des
gouvernés.

Ainsi, le gouffre séparant l’exécutif et le législatif en matière de production législative


persistera. C’est pourquoi le rôle des députés béninois sera toujours minoré dans l’initiative
législative. Sous le renouveau démocratique béninois, le Parlement a eu [et éprouvera] des

83
EMMANUEL (D.E.), « Le pouvoir normatif de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud », Revue du Droit
Public, n° 6, 2015, p. 1586.
84
SALAMI (I.D.), GANDONOU (D.O.M.), Droit constitutionnel et institutions du Bénin, op. cit., p. 328.
85
Ibidem.
86
DE CHATEAUBRIAND, De la Monarchie selon la Charte, Paris, Imprimerie de Le Normant, 1816, p. 19.
87
CC, Décision n° 85-196 DC, du 08 août 1985 (Nouvelle Calédonie), JO 8 août 1985, p. 9125.
88
Ce renouvellement remet, relativement, en cause le conservatisme et le refus d’un
renouvellement/rajeunissement des membres du Parlement au Bénin, noté dans les législatures précédentes. Voir,
ADAMON (A.D.), Le Parlement béninois en mouvement vie et œuvre de la septième législature, op. cit., p. 85.
89
Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er avril au 30
septembre 2019), octobre 2019, p. 18.
90
AÏVO (F.J.), « Le Parlement béninois sous le renouveau démocratique : échec et réussite », in ASSEMBLÉE
NATIONALE, CAPAN, 50 ans de vie parlementaire au Bénin, l’histoire du pouvoir législatif des indépendances
à nos jours, op. cit., pp. 156-158.
91
DAKO (S.), « La cinquième législature de l’ère du renouveau démocratique, la législature du cinquantenaire :
Bilan positif malgré les crises politiques », in ASSEMBLÉE NATIONALE, CAPAN, 50 ans de vie parlementaire
au Bénin, l’histoire du pouvoir législatif des indépendances à nos jours, op. cit., p. 170.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

92
difficultés à jouer son rôle législatif [en raison] des profonds déséquilibres techniques et
politiques au profit de l’exécutif »92 et à ses dépens. Toutefois, la thèse des limites personnelles
mérite d’être relativisée à partir du moment où, pour le cas particulier de la huitième législature,
le pourcentage des députés ayant survécu à la septième législature, qui est de 40%, est constitué
des parlementaires expérimentés au vu du nombre de mandats exercés au sein de l’assemblées
nationale, transformant ainsi leurs mandats en « véritables seigneuries électives »93. Leur
expérience parlementaire aurait été d’un grand secours s’ils ressentaient le besoin d’initier des
propositions de lois. A rebours, la législature sous décryptage s’est illustrée, comme c’est le cas
des législatures qui l’ont précédée, par une consommation à n’en point finir des projets de lois.

C’est fort de ce constat que l’idée de la carence voire de l’insuffisance de l’expertise


parlementaire, en matière légistique, s’est imposée à nous. Définie comme étant « la science de
la législation ayant pour objet d’exposer les connaissances et les méthodes pouvant être mises
au service de la formation de la législation »94, la légistique s’intéresse à la qualité des textes, à
leur mise en forme, aux modes de rédaction et aux conditions de formulation des énoncés
juridiques95. Aussi, faut-il rappeler qu’une telle carence n’est pas spécifique aux députés
béninois en ce que les assemblées parlementaires africaines, d’une manière générale, « se
trouvent désarmées et affaiblies. Mal outillées techniquement du fait de leur connaissance très
limitée de la pratique du droit parlementaire et ne disposant pas d’assistance juridique
nécessaire pour préparer les textes législatifs »96.

Les députés de la huitième législature auraient pu s’investiture, davantage, dans


l’appropriation de la légistique, à l’effet de répondre aux défis de produire ou de contribuer à la
production des normes législatives de qualité. Mais à l’image des élus des législatures
devancières, ceux de la huitième législature n’ont pas vu leur capacité être renforcée en
légistique97, dans le dessein de rendre la fonction de légiférer performante. Le renforcement de

92
AÏVO (F.J.), « Le Parlement béninois sous le renouveau démocratique : échec et réussite », in ASSEMBLÉE
NATIONALE, CAPAN, 50 ans de vie parlementaire au Bénin, l’histoire du pouvoir législatif des indépendances
à nos jours, op. cit., p. 155.
93
FREISSEX (P.), « Le cumul des mandats, un mal inévitable mais pas nécessaire », in Droit constitutionnel.
Mélanges Patrice GÉLARD, Paris, Montchrestien, 2000, p. 184.
94
LEROYER (A.M.), « Légistique », in ALLAND (D.) et RIALS (S.) (dir.), Dictionnaire de la culture juridique,
Paris, PUF, 2003, p. 922.
95
CHEVALLIER (J.), « L’apport et le statut de la légistique », in ALBERTINI (P.) (dir.), La qualité de la loi.
Expériences française et européenne, Paris, Mare et Martin, 2015, p. 31-
96
SOMALI (K.), Le Parlement dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique. Essai d’analyse comparée à partir
des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, Thèse de droit, Lille 2, 2008, p. 253.
97
Le seul séminaire documenté est celui relatif au renforcement des capacités des assistants de commissions sur «
leurs rôles et responsabilités dans l'élaboration de la loi », tenu du 15 au 17 juin 2020 aux Résidences Céline Hôtel
de Kétou. Cf. Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er
avril au 30 septembre 2020), op. cit. p. 33.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

93
capacités98 des parlementaires, en ce domaine, est appelé de tous ses vœux par certains auteurs.
C’est une fois de plus, une occasion performative manquée à l’heure où le Bénin, comme bon
nombre des démocraties africaines, sont saisis par la fièvre de la performance99 et en pleine
expérimentation de la gestion axée sur les résultats, encore qualifiée de budget programme100.

Une telle carence a-t-elle pu justifier le recours quasi systématique, par les élus de la
huitième législature, au procédé de l’unanimité101 à l’étape du vote de la quasi-totalité des lois ?
Il faut dire que ce procédé d’adoption des lois n’est pas une trouvaille de la huitième législature
102
.

98
AÏVO (F.J.), « Le Parlement béninois sous le renouveau démocratique : échec et réussite », in ASSEMBLÉE
NATIONALE, CAPAN, 50 ans de vie parlementaire au Bénin, l’histoire du pouvoir législatif des indépendances
à nos jours, op. cit., pp. 154-158.
99
MEDE (N.), « L’Afrique francophone saisie par la fièvre de la performance financière », Revue Française de
Finances Publiques, n° 135, 2016, pp. 349-353.
100
MEDE (N.), « La nouvelle gestion budgétaire : l’expérience des budgets de programme au Bénin », Afrilex, n°
4, décembre 2004, pp. 56-86.
101
La pratique de vote à l’unanimité des lois a été portée au pinacle en 2022. Il s’agit de l’année au cours de
laquelle les députés béninois adoptent, à l’unanimité des députés présents et représentés, une litanie des lois. Ainsi
en est-il, à titre d’échantillon, les lois ci-après : loi n° 2022-06 portant statut des magistrats de la Cour des comptes
du Bénin, votée par l’Assemblée nationale en sa séance du mardi 31 mai 2022, loi n° 2022-07 portant organisation
et réglementation des activités statistiques en République du Bénin, adoptée à la séance du 02 juin 2022, lois n°
2022-08 portant règles particulières de procédures suivies devant la Cour des comptes, n° 2022-10 portant
composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour suprême et n° 2022-11 portant statut des
magistrats de la Cour suprême, toutes adoptées le 07 juin 2022, loi n° 2022-12 portant règles particulières de
procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême, votée à la séance plénière du
14 juin 2022, loi n° 2022-14 portant orientation agricole, sécurité alimentaire et nutritionnelle en République du
Bénin, adoptée à la plénière du 21 juin 2022, lois n° 2022-16 portant création, organisation et fonctionnement de
la Cour spéciale des affaires foncières en République du Bénin, n° 2022-17 modifiant la loi n° 2020-37 du 03
février 2021 portant protection de la santé des personnes en République du Bénin, n° 2022-18 portant création,
composition et organisation du corps des inspecteurs des services judiciaires, n° 2022-19 portant modification et
complément de la loi n° 2012-15 du 18 mars 2013 portant code de procédure pénale en République du Bénin et n°
2022-20 portant modification des dispositions de l’article 585-1 de la loi n° 2008-07 du 8 février 2011 portant
code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes en République du Bénin telle que
modifiée par la loi n° 2020-08 du 23 avril 2020 portant modernisation de la justice, toutes votées au cours de la
plénière du 04 octobre 2022, loi n° 2022-21 modifiant et complétant la loi n° 2001-09 du 21 juillet 2022 portant
exercice du droit de grève en République du Bénin telle que modifiée et complétée par la loi n° 2018-34 du 5
octobre 2018 adoptée à la séance du 11 octobre 2022. Source : Assemblée nationale–8ème législature–1ère session
ordinaire de l'année 2022–Compte rendu intégral-Séance du 31 mai 2022, inédit, p. 63 ; Compte rendu intégral–
Séance du 02 juin 2022, inédit, p. 60 ; Compte rendu intégral-Séance du 07 juin 2022, inédit, pp. 33, 69 et 89 ;
Compte rendu intégral-Séance du 14 juin 2022, inédit, p. 24 ; Compte rendu intégral-Séance du 21 juin 2022,
inédit, p. 64 ; Compte rendu intégral-Séance du 04 octobre 2022, inédit, pp. 19-46 ; Compte rendu intégral-Séance
du 11 octobre 2022, inédit, p. 32.
102
Loin de faire un inventaire à la « Prévert » des projets de lois adoptés à l’unanimité sous la septième législature,
retenons que certains d’entre eux, votés sous ce procédé, illustrent tant l’antériorité de cette pratique que son
enracinement dans les mœurs parlementaires béninoises. Il s’agit, entre autres, du projet de loi portant autorisation
de ratification de l’accord de financement signé à Cotonou, le 05 octobre 2015, entre la République du Bénin et
l’Association Internationale de Développement (AID) dans le cadre de la mise en œuvre du dixième financement
à l’appui de la politique de développement pour la réduction de la pauvreté (PRSC-10), du projet de loi portant
autorisation de ratification de l’accord de prêt signé à Cotonou, le 22 juillet 2015, entre la République du Bénin et
la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), dans le cadre du financement partiel du projet de pavage
des rues et d’assainissement de douze (12) villes, du projet de loi portant autorisation de ratification de l’accord
de prêt signé avec le Fonds Koweitien pour le Développement Economique Arabe (FKDEA), dans le cadre du
financement partiel du projet de construction et d’équipement de l’hôpital de zone de Tchaourou et de six (6)
centres de santé, du projet de loi portant autorisation de ratification du Traité révisé de la Communauté des Etats
Sahélo-Sahariens (CEN-SAD) et du projet de loi portant autorisation de ratification du décret portant majoration
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

94
Cette pratique, qui est l’antithèse de la démocratie majoritaire, connait une survivance
dans certains Parlements africains103.

Dans ces conditions, il est très difficile, pour les députés de la huitième législature de
l’Assemblée nationale béninoise, d’échapper au qualificatif de « députés godillot »104 dont la
fidélité au Président de la République, le véritable chef des groupes parlementaires, ne souffre
d’aucune contestation. On le voit, le Gouvernement du Président TALON n’éprouve aucune
difficulté à faire voter ses textes devant l’Assemblée nationale. Il n’est plus tenu de batailler,
comme par le passé, sous les règnes de ses prédécesseurs, pour faire adopter, au forceps,
certaines lois notamment en matière financière105. Au Bénin, sous le renouveau démocratique
et au cours des six premières législatures, « la guérilla permanente entre les institutions a donné
naissance à un contre-pouvoir législatif fort, qui use et, parfois, abuse des ressources que lui
reconnaît la Constitution »106. Le Président de la République a procédé, à certains moments, à
l’établissement des budgets étatiques ou à l’entrée en vigueur des lois de finances au moyen des
ordonnances107 sur fond de recours à ses pouvoirs exceptionnels ou de crise108.

Dans la huitième législature, on observe l’absorption de la fonction de contre-pouvoir


parlementaire par l’exécutif. L’absence d’un contrepouvoir voire d’un contrepoids à l’exécutif,
qu’est censé incarner le Parlement109 béninois, dans le processus législatif, a laissé la place à la
collusion entre ces deux institutions sur fond d’inféodation du législatif à l’exécutif. Il en est
résulté une dilution fonctionnelle du pouvoir législatif dans le pouvoir exécutif. La

et annulation de crédit à titre d’avance sur le budget de l’Etat, gestion 2015. Les lois y relatives (n° 2015-39, n°
2015-40 et n° 2016-001) sont toutes votées à l’unanimité aux séances des 15 décembre 2015 et 12 février 2016.
Cf. Assemblée nationale, Journal des débats parlementaires, Revue trimestrielle de l’Assemblée nationale du
Bénin, n° 006, décembre 2017, pp. 53-252.
103
Les deux chambres du Parlement congolais votent, presque toutes les lois, à l’unanimité malgré la présence des
députés non-inscrits et groupes parlementaires de l’opposition. Sur la pratique de la démocratie unanimitaire en
République du Congo et au Sénat de la République Démocratique du Congo, se reporter à notre réflexion, « La
prorogation de l’état d’urgence sanitaire : lecture croisée des pratiques constitutionnelles en RDC et en République
du Congo », contribution présentée au Colloque international, COVID-19 et Constitution, organisé par
l’Association Sénégalaise de Droit Constitutionnel et l’Université Virtuelle du Sénégal, Dakar, les 15, 16 et 17
octobre 2020, inédit, pp. 1-22.
104
GICQUEL (J.-E.), « Les effets de la réforme constitutionnelle de 2008 sur le processus législatif », Jus
Politicum, n° 6, 2011, p. 14.
105
Dans la même veine, il faut préciser que les lois de finances gestion 2021 et 2023 sont adoptées à l’unanimité,
respectivement le 8 décembre 2020 et le 1er décembre 2022.
106
Stéphane BOLLE, cité par FALL (I.M.), « Le Président de la République devant la Cour constitutionnelle »,
Annuaire Béninois de Justice Constitutionnelle, Revue de Contentieux Constitutionnel, I-2013, p. 252.
107
Lire en ce sens, DAKO (S.), « La résolution juridictionnelle des conflits entre le Gouvernement et le Parlement
au Bénin », in La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur
de Maurice AHANHANZO-GLELE, op. cit., p. 351 ; OUEDRAOGO (D.), « L’annulation par la Cour
constitutionnelle du Bénin du rejet du budget 2014 par l’Assemblée nationale : essai d’analyse d’une décision
controversée. (Décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013) », Afrilex, septembre 2014, pp. 1-29.
108
MEDE (N.), Les grandes décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin, Dakar, L’Harmattan-Sénégal, 2020,
pp. 151-155 et 343-344.
109
GNAMOU (D.), « Les contrepoids au pouvoir présidentiel dans la Constitution béninoise du 11 décembre 1990
», in NAREY (O.) (dir.), Séparation des pouvoirs et contre-pouvoirs, Dakar, L’Harmattan-Sénégal, 2018, pp. 194-
195.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

95
confrontation entre l’exécutif et le législatif qui faisait, jadis, le charme du régime présidentiel
béninois pendant les précédentes législatures, n’est plus qu’un lointain souvenir.

Au demeurant, la deuxième attribution principale de l’Assemblée nationale béninoise, à


savoir celle de contrôle de l’action gouvernementale ainsi que des activités des autres entités
publiques, est restée, à l’épreuve de la pratique parlementaire, sous la huitième législature,
chancelante.

II. UN BILAN DEPLORABLE DE LA FONCTION DE CONTROLE

La huitième législature s’est illustrée par un vote massif des lois. C’est un truisme. A
contrario, le contrôle parlementaire a connu, sous la même législature, un usage mitigé (A) dû
à plusieurs facteurs (B).

A. LE REFLUX DU CONTROLE PARLEMENTAIRE

Les élus de la huitième législature exercent, sur l’action gouvernementale, un contrôle


ordinaire de type informatif qui est en chute libre (1). En sus de ce reflux, les députés font une
impasse sur le contrôle classique, tourné vers l’investigation parlementaire (2).

1- Un contrôle informatif en chute libre

Le contrôle informatif est un terme générique qui regroupe tous les mécanismes de
contrôle ordinaire consacrés par la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 laquelle y est
complétée par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Il s’agit de la question orale
avec ou sans débat, non suivie de vote, de la question écrite, de la question d’actualité110, de la
communication du Gouvernement111, de l’interpellation, de la commission parlementaire
d’enquête112. Encore faut-il préciser que pour des besoins de démonstration, nous allons
procéder, plus tard et dans une rubrique spécifique, à une analyse approfondie des moyens
d’investigation à l’instar de la commission parlementaire d’enquête.

Concernant la pratique des techniques de contrôle inventoriées ci-dessus, il convient de


faire observer que les députés de la huitième législature ont fait usage de certaines d’entre elles,
mais avec une nette préférence pour les questions orales avec débat. Ainsi, dans la période allant

110
Article 110 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
111
Article 105 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
112
Cf. Articles 71 et 113 de la Constitution béninoise.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

96
de 2019 à 2022, les locataires du Palais des Gouverneurs ont adressé, au Gouvernement, 39
questions orales avec débat113 dont 20 examinées en séances plénières114.

La préoccupation qui taraude notre esprit est celle de savoir si cette législature est la plus
féconde, statistiquement, en termes des questions orales posées à l’exécutif et examinées à
l’hémicycle, par rapport aux sept précédentes législatures installées et fonctionnant sous le
renouveau démocratique béninois. A cette préoccupation, les statistiques qui vont suivre
donnent un aperçu global de la situation permettant de confirmer ou d’infirmer la thèse selon
laquelle la huitième législature est meilleure, par comparaison à ses devancières, sur le terrain
du contrôle parlementaire. Pour rappel, sous la première législature, le Parlement béninois
enregistre 94 questions orales avec débat dont 43 examinées en plénières. Sous les deuxième et
troisième législatures, 64 et 54 questions orales avec débat sont transmises, tour à tour, aux
membres du Gouvernement qui répondent, respectivement, à 38 et 17 d’entre elles. Au cours
de la quatrième législature, il sied de dire que sur 63 questions orales avec débat posées à
l’exécutif, 19 sont débattues en séances plénières. Sur un total de 48 questions orales avec débat
adressées aux membres du Gouvernement, ceux-ci répondent à 18 sous la cinquième législature.

La sixième législature présente un bilan nettement reluisant que celui de la législature


sortante en matière de questions orales avec débat car sur 72 questions enregistrées par
l’Assemblée nationale, 35 feront l’objet de débats à l’hémicycle115. Sous la septième législature,
les députés posent 105 questions orales aux ministres dont 27 feront l’objet d’un examen116 en
plénières. L’on constate, toute proportion gardée, à la lumière de toutes ces statistiques, que la
plupart des législatures antérieures à la huitième sont plus prolifiques en termes des questions
orales posées au Gouvernement et traitées à l’hémicycle. Toutefois, le dénominateur commun,
entre toutes ces législatures, trouve son expression dans le peu d’empressement que manifestent
les membres du Gouvernement béninois à répondre aux questions qui leur sont adressées par

113
Cf. Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er avril 2021
au 30 septembre 2021), op. cit., pp. 13-15 ; Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée
nationale (période du 1er octobre 2021 au 31 mars 2022), op. cit., pp. 15-16 ; Assemblée nationale–8ème
législature–1ère session ordinaire de l'année 2022–Compte rendu intégral-Séance du 28 avril 2022, inédit, pp. 3-
67.
114
Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er octobre 2019
au 31 mars 2020), op. cit., pp. 15-18 ; Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée
nationale (période du 1er octobre 2020 au 31 mars 2021), op. cit., pp. 15-16 ; Assemblée nationale–8ème
législature–1ère session ordinaire de l'année 2022–Compte rendu intégral-Séance du 7 juillet 2022, inédit, pp. 30-
54.
115
Source : Assemblée nationale, Direction des services législatifs, Point chiffré des questions au Gouvernement,
Porto-Novo, 30 mars 2018, inédit, p. 1.
116
Ce chiffre mérite d’être relativisé en ce que 22 questions sont radiées et 2 retirées des rôles par la Conférence
des présidents. Dans ce sens, Assemblée nationale du Bénin, Livre bleu, septième législature 2015-2019, op. cit.,
pp. 140-155.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

97
les députés. Les questions parlementaires en souffrance117, enterrées pour l’éternité dans les
tiroirs ministériels, sont généralement plus nombreuses que celles traitées en plénières. Ce fait
constitue l’une des tares, mieux, l’une des plaies de la démocratie118 béninoise en construction
à partir de 1991. Dans la même veine, on dénote l’abandon, par les députés de la huitième
législature, de la procédure des questions orales sans débat dont les vertus, en matière de
contrôle de l’action gouvernementale, ne sont plus à démontrer. En effet, il a été soutenu, à ce
propos, qu’« empreinte de solennité et moins exposée à la polémique, la question orale sans
débat fait intervenir un député et un ministre. Elle permet d’éviter de diluer l’essentiel dans la
polémique, captive et retient l’intérêt du ministre, privilégie l’information et permet enfin de
réaliser des économies de temps »119.

En outre, convient-il de souligner que le Gouvernement a opté, dans un seul cas, durant
la huitième législature, de faire une communication en lieu et place d’une réponse à une
question orale avec débat devant l’Assemblée nationale120.

En ce qui concerne les questions écrites, il y a lieu de noter que c’est un outil de contrôle
très peu sollicité par les députés de la huitième législature. Leur démobilisation à y recourir est
à la hauteur des rarissimes réponses provenant des membres du Gouvernement destinataires de
ce type de questions parlementaires. Ainsi, sur 9 questions écrites, transmises au
Gouvernement, celui-ci n’y a répondu qu’à 2 questions121. Le bilan de la huitième législature,
relativement aux questions écrites, n’est pas fameux. En termes d’initiatives parlementaires
portant sur cette technique de contrôle informatif, la législature sortante, à l’exception de la
première législature, présente le pire bilan en la matière sous le renouveau démocratique
béninois122.

117
Pour une évaluation, en pourcentage, des questions orales non traitées sous les sept premières législatures de
l’Assemblée nationale béninoise, se reporter à notre étude, EMMANUEL ADOUKI (D.E.), MOUSSOUNDA
MOUTOUNOU (S.), « A quoi servent les questions orales au Gouvernement ? », Annales de l’Université Marien
NGOUABI, Vol. 19, n° 1, 2019, p. 23.
118
Pour une étude sur les plaies de la démocratie, voir SUR (S.), « Les sept plaies de la démocratie », in Penser le
droit à partir de l’individu. Mélanges en l’honneur d’Elisabeth ZOLLER, Paris, Dalloz, 2018, pp. 157-168.
119
ADELOUI (A.-J.), « Les métamorphoses du Parlement béninois », in Démocratie en questions. Mélanges en
l’honneur du professeur Théodore HOLO, op. cit., p. 511.
120
Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er octobre 2020
au 31 mars 2021), op. cit., p. 17.
121
Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er octobre 2020
au 31 mars 2021), op. cit., p. 15 ; Assemblée nationale–8ème législature–1ère session ordinaire de l'année 2022–
Compte rendu intégral-Séance du 13 juillet 2022, op. cit., p. 9.
122
Les statistiques suivantes suffisent pour s’en convaincre : 1ère législature, questions écrites posées : 03, traitées
: 01 ; 2ème législature, questions écrites posées : 55, traitées : 41 ; 3ème législature, questions écrites posées : 08,
traitées : 4 ; 4ème législature, questions écrites posées : 99, traitées : 67 ; 5ème législature, questions écrites posées :
41, examinées : 28 ; 6ème législature, questions écrites posées : 77, examinées : 61 ; 7ème législature, questions
écrites posées : 26, traitées : 6. Source : Assemblée nationale, Direction des services législatifs, Point chiffré des
questions au Gouvernement, op. cit., p. 1 ; Assemblée nationale, Livre bleu, septième législature 2015-2019, op.
cit., pp. 157-160.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

98
Quant à la dernière catégorie des questions parlementaires, connue sous le vocable de
questions d’actualité, l’amputation de la moitié d’entre elles par l’effet de leur transformation
en questions orales avec débat, vraisemblablement pour défaut de diligences gouvernementales
dans leur traitement, a contribué, statistiquement, à leur diminution pendant la huitième
législature. En somme, sur 5 questions d’actualité restantes, sur un total de 10 questions
enregistrées à l’Assemblée nationale, une seule sera examinée durant toute la législature123.
Toute proportion gardée, la huitième législature, exception faite de la première législature,
occupe la lanterne rouge en termes de questions d’actualité traitées124. Un constat qui consolide
la thèse d’un contrôle informatif, en chute libre, sous la huitième législature.

S’agissant du contrôle parlementaire sur les finances publiques125, il s’exerce,


habituellement, par le vote des lois de règlement. Les députés de la huitième législature en ont
voté quatre126. Sur ce point, c’est une dynamique interrompue par rapport à celle observée
pendant la septième législature à l’occasion de laquelle les députés adoptent le double des lois
de règlement127. Une autre variante du contrôle a posteriori, cette fois-ci sur les conventions
financières ratifiées par le Président de la République, vient de voir le jour à la suite de la
révision constitutionnelle de 2019. L’alinéa 2 de l’article 145 de la Constitution béninoise,
totalement réécrit à la faveur de cette révision constitutionnelle, accorde un délai de 90 jours au
Chef de l’Etat, à compter de la ratification de telle convention à caractère financier, pour en
rendre compte au Parlement128. A l’épreuve de la pratique parlementaire, ce contrôle s’opère

123
Cf. Assemblée nationale–8ème législature–1ère session ordinaire de l'année 2022–Compte rendu intégral-Séance
du 16 juin 2022, inédit, pp. 4-13.
124
Pour une étude comparée avec les législatures antérieures sur les questions d’actualité, voir les statistiques ci-
après : 1ère législature, questions posées : 2, examinées : 0 ; 2ème législature, questions posées : 16, examinées : 12 ;
3ème législature, questions posées : 34, examinées : 12 ; 4ème législature, questions posées : 50, examinées : 27 ;
5ème législature, questions posées : 33, examinées : 19 ; 6ème législature, questions posées : 45, examinées : 17 ;
7ème législature, questions posées : 40, examinées : 20. Source : Assemblée nationale, Direction des services
législatifs, Point chiffré des questions au Gouvernement, op. cit., p. 1 ; Assemblée nationale, Livre bleu, septième
législature 2015-2019, op. cit., pp. 161-167.
125
Le contrôle de l’exécution du budget est aussi rangé, par la doctrine, dans la catégorie des moyens de contrôle
collectif. Néanmoins, ce contrôle parlementaire reste inachevé au Bénin. Voir dans ce sens, ADELOUI (A.-J.),
« Les métamorphoses du Parlement béninois », in Démocratie en questions. Mélanges en l’honneur du professeur
Théodore HOLO, op. cit., pp. 513-515.
126
Ce sont les exercices budgétaires 2017, 2018, 2019 et 2020 qui se clôturent au cours de la huitième législature.
127
Cf. Lois n° 2015-32 du 22 octobre 2015 portant règlement définitif du budget de l’Etat, gestion 2009 ; n° 2015-
33 du 22 octobre 2015 portant règlement définitif du budget de l’Etat, gestion 2010 ; n° 2015-34 du 22 octobre
2015 portant règlement définitif du budget de l’Etat, gestion 2011 ; n° 2015-35 du 22 octobre 2015 portant
règlement définitif du budget de l’Etat, gestion 2012 ; n° 2015-36 du 22 octobre 2015 portant règlement définitif
du budget de l’Etat, gestion 2013 ; n° 2016-13 du 20 juillet 2016 portant règlement définitif du budget de l’Etat,
gestion 2014 ; n° 2018-21 du 06 aout 2018 portant règlement définitif du budget de l’Etat, gestion 2015 ; n° 2018-
22 du 06 aout 2018 portant règlement définitif du budget de l’Etat, gestion 2016.
128
Aux termes de l’article 145 alinéa 2 de la loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019 portant révision de la loi n° 90-
32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin : « Toutefois, les conventions de
financement soumises à ratification, sont ratifiées par le président de la République qui en rend compte à
l’Assemblée nationale dans un délai de quatre-vingt-dix (90) jours ».
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

99
d’abord au niveau de la commission permanente compétente à laquelle sont affectés
concomitamment le décret de ratification et l’accord de prêt ou de crédit en cause. La
commission permanente saisie au fond129 se charge, ensuite, de produire un rapport qui fera
l’objet d’un débat général en plénière, en présence du Gouvernement.

Deux observations méritent d’être faites sur ce nouveau variant du contrôle parlementaire
sur les finances publiques. Premièrement, le respect par l’Assemblée nationale du délai
constitutionnel d’examen des décrets de ratification de ces accords, à compter de leur réception
et aux fins de contrôle, n’est pas de rigueur130. Deuxièmement, le contrôle parlementaire, même
tardif des conventions de financement, ne suffit pas à épuiser toutes les interrogations des élus
en raison, parfois, de l’incomplétude des éléments d’information mis à la disposition de la
représentation nationale131. Une telle faiblesse complique le suivi parlementaire de l’exécution
des financements découlant des conventions de crédits. Les députés de la huitième législature
ont examiné, notamment en 2022, 6 décrets132 de ratification des conventions de crédits, de
financement ou de prêts, sur une trentaine de décrets transmis au Parlement. Il va sans dire que
la majorité des décrets de ratification des conventions de financement se trouve ensevelie sous
les décombres des commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale. Cette
variété du contrôle parlementaire sur les finances publiques parait, en pratique, plus formel que
substantiel. Elle pourrait gagner en efficacité si elle s’accompagne d’un contrôle supplémentaire
qui peut être, selon les hypothèses, in situ c’est-à-dire physique, ou sur pièces et sur place, c’est-
à-dire comptable et technique afin de mieux renseigner les représentants de la Nation sur
l’exécution des conventions de financement ratifiées par le Président de la République, dont
l’Etat béninois est bénéficiaire.

129
La commission des finances et des échanges est souvent saisie pour avis conforme. Lorsque c’est la commission
des finances et des échanges qui est saisie quant au fond, on remarque la saisine de la Commission du plan, de
l’équipement et de la production pour avis conforme. Cf. Assemblée nationale–8ème législature–1ère session
ordinaire de l'année 2022–Compte rendu intégral-Séance du 5 mai 2022, inédit, pp. 6-42.
130
A titre d’illustration, le décret de ratification de l’accord de prêt signé le 27 septembre 2019 à Ouagadougou,
entre la République de Bénin et la Banque ouest africaine de développement (BOAD), relatif au financement
partiel de la première tranche du projet de viabilisation du site d’Ouèdo, y compris ledit accord sont transmis à
l’Assemblée nationale, pour compte rendu, le 10 avril 2020. Seulement, le débat y relatif, tenant lieu de contrôle
parlementaire, ne se déroule que le 5 mai 2022 à l’hémicycle, soit plus de deux années après la saisine du Parlement
à cette fin. Cf. Assemblée nationale–8ème législature–1ère session ordinaire de l’année 2022–Compte rendu intégral-
Séance du 5 mai 2022, op. cit., pp. 5-16.
131
A la plénière du 5 mai 2022 dédiée, entre autres, à l’examen du décret de ratification de l’accord de prêt cité
supra, la députée Mariama BABA MOUSSA émet quelques inquiétudes en ces termes : « Le projet s’étend sur
dix-sept (17) mois : de septembre 2019 à janvier 2021 et donc douze (12) mois de travaux. Là, je me pose la
question de savoir quel est le niveau d’exécution quand on sait quand même que cette période n’est plus d’actualité.
Il y a également la viabilisation […]. Quand on parle de viabilisation, il y a les infrastructures sociocommunautaires
qu’il ne faut pas occulter. On n’en a pas entendu parler », in Assemblée nationale–8ème législature–1ère session
ordinaire de l’année 2022–Compte rendu intégral-Séance du 5 mai 2022, op. cit., pp. 10-11.
132
Assemblée nationale–8ème législature–1ère session ordinaire de l’année 2022–Compte rendu intégral-Séance du
13 juillet 2022, op. cit., pp. 7-8.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

100
Dans un autre registre, il convient de souligner qu’avec la récente réforme du règlement
intérieur du Parlement béninois, le débat d’orientation budgétaire133 fait dorénavant partie des
outils de contrôle parlementaire de droit commun sur les finances publiques134. L’état du droit
positif antérieur avait conduit la doctrine à soutenir, à juste titre, que le débat d’orientation
budgétaire n’était « pas à proprement parler un exercice de contrôle des finances publiques mais
plutôt une occasion de fixer les jalons, de contribuer à la définition de la politique et des
orientations en matière financière »135. La huitième législature a tenu, entre 2019 et 2022, quatre
plénières consacrées au débat d’orientation budgétaire136, à raison d’un débat par année.

L’on note, néanmoins, la persistance « des tergiversations procédurales »137 caractérisées,


entre autres, pour le cas béninois, par le vote des recommandations émises durant ce débat. Ce
fait insolite qui s’est produit en 2019 a attiré notre attention au point d’en consacrer quelques
lignes dans une étude, relativement récente, en ces termes : « A rebours, il y a lieu d’admettre
qu’en l’état actuel du droit positif béninois, rien n’interdit, formellement, au Parlement de
valider, au moyen du vote, les recommandations émises à l’occasion du débat d’orientation
budgétaire. Cependant, on s’interroge sur la valeur juridique, et même sur la portée politique,
d’un tel vote car il est de notoriété publique que les recommandations formulées lors des débats
d’orientation budgétaire ne lient aucunement le Gouvernement à l’étape de finalisation des
projets de lois des finances initiales »138.

A la vérité, les mécanismes de contrôle informatif sont en chute libre à l’Assemblée


nationale du Bénin. Cette spirale négative, entamée au cours des législatures antérieures, est
loin d’être inversée. L’interpellation139 qui demeure un moyen de contrôle informatif, mais à

133
Ce débat se tient, annuellement, en amont de la transmission, au Parlement, du projet de lois des finances de
l’année N+1.
134
Cf. Article 119.4 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, issu de la résolution n° 2020-01 portant
modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale adoptée le 14 juillet 2020.
135
MEDE (N.), « L’Afrique francophone saisie par la fièvre de la performance financière », Revue Française de
Finances Publiques, n° 135, 2016, p. 351.
136
Le dernier débat d’orientation budgétaire, pour le compte de la huitième législature, a eu lieu le 27 juin 2022.
Ce débat est centré autour de l’examen du document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle
(DPBEP), accompagné du document pluriannuel des dépenses. Cf. Assemblée nationale–8ème législature–1ère
session ordinaire de l’année 2022–Compte rendu intégral-Séance du 27 juin 2022, inédit, pp. 3-37.
137
MOUSSOUNDA MOUTOUNOU (S.), « Regard critique sur les processus de transposition du débat
d’orientation budgétaire et ses applications dans quelques Etats membres de l’UEMOA et de la CEMAC », Revue
Internationale de Droit et Science Politique, Vol. 3, n° 3, mars 2023, pp. 319-326.
138
Ibidem, p. 323.
139
La dernière demande d’interpellation d’un Gouvernement remonte au 05 novembre 2012. Initiée par le député
André OKOUNLOLA-BIAOU, elle porte sur le mépris et l’humiliation dont font l’objet les députés au cours des
manifestations officielles de la part du protocole d’Etat durant le deuxième mandat de Thomas Boni YAYI. Cette
interpellation est examinée à la plénière du 27 juin 2013. Cf. Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président
de l’Assemblée nationale (période allant du 1er avril au 30 septembre 2012), octobre 2012, p. 15 ; Assemblée
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

101
usage collectif, illustre la décrépitude du contrôle politique sur l’exécutif béninois. Cette
technique de contrôle est restée enfermée, pendant toute la huitième législature, dans le tiroir
des antiquités parlementaires. Pourquoi les députés béninois n’initient plus des demandes
d’interpellation, un moyen de contrôle que le Professeur Ibrahim David SALAMI qualifie de «
plus haut niveau du contrôle de l’action gouvernementale »140 ? Leur inaction les prive
assurément, à l’endroit du Gouvernement béninois, d’« un droit de remontrance constructive »,
pour reprendre l’expression du Professeur Stéphane BOLLE141.

La désuétude de l’arme constitutionnelle de l’interpellation n’est pas nouvelle, elle se


constate dès la septième législature à partir de laquelle l’Assemblée nationale n’enregistre plus
de demande d’interpellation. La désuétude, par effet domino, a fini par s’étendre aux
commissions d’enquête parlementaires.

2- Un contrôle d’investigation tombé en désuétude

Traditionnellement, les assemblées parlementaires procèdent aux investigations en


recourant aux enquêtes parlementaires. L’enquête parlementaire s’entend de « la procédure
employée par une chambre qui confie à une commission le soin de renseigner en effectuant des
vérifications ou en réunissant des éléments d’informations »142. Cette définition est
parfaitement reflétée dans l’intitulé du chapitre IV du règlement intérieur de l’Assemblée
nationale qui en constitue le siège. Ce chapitre régit la procédure des commissions
parlementaires d'information, d'enquête et de contrôle dont l’objectif est, à travers les
résolutions qui les créent, de « déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à
enquête, soit les services publics ou les entreprises publiques ou semi-publiques dont la
commission de contrôle doit examiner la gestion »143. Les commissions d’enquête
parlementaires restent « donc marquées à la fois par l’importance des "faits précis" qui les
motivent […] mais, aussi, elles dressent des constats d’ensemble, présentent des bilans,
formulent des propositions concrètes »144. La huitième législature présente un bilan nul en
matière d’enquête parlementaire. C’est une grande première, depuis l’avènement du renouveau

nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période allant du 1er avril au 30 septembre
2013), octobre 2013, p. 16.
140
SALAMI (I.D.), GANDONOU (D.O.M.), Droit constitutionnel et institutions du Bénin, op. cit., p. 336.
141
BOLLE (S.), Le nouveau régime constitutionnel du Bénin. Essai sur la construction d’une démocratie africaine
par la Constitution, Thèse de droit, Montpellier I, 1997, p. 466 et s.
142
BARTHELEMY (J.) et DUEZ (P.), Traité de droit constitutionnel, Paris, Edition Panthéon-Assas, 2004, p.
694.
143
Article 114.1 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
144
CAMBY (J.-P.), « Les commissions d’enquête parlementaires », La Documentation Française, n° 124, 2013,
pp. 1-2.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

102
démocratique au Bénin, qu’aucune résolution créatrice d’une commission d’enquête
parlementaire ne soit initiée pendant toute une législature145.

En se gardant d’initier des propositions de résolutions tendant à la création des enquêtes


parlementaires, tout indique que les députés de la législature sortante se sont abstenus,
délibérément, de contrôler, en profondeur, le Gouvernement qui est l’émanation du Chef de
l’Etat dont l’action est inconditionnellement soutenue par eux. Ce faisant, ils contribuent à la
désuétude de cette arme redoutable, approfondie et exhaustive du contrôle parlementaire dont
les seules limites de son champ d’action tiennent à la séparation des pouvoirs146. La non
constitution des commissions d’enquête est un point noir qui s’incruste dans le bilan de la
huitième législature en matière de contrôle de l’action gouvernementale.

Néanmoins, les mécanismes d’investigation nouveaux sont mis à contribution sous la


législature en étude. Deux outils retiennent, particulièrement, notre attention. Il s’agit, d’une
part, de la mise en route, par l’Assemblée nationale, de trois missions d’information. La
première porte sur l’information et la sensibilisation dans certaines communes et structures de
défense et de sécurité en République du Bénin. La deuxième mission a trait à la gestion des
cantines scolaires dans les écoles maternelles et primaires. Les rapports y relatifs sont examinés
au cours de la première session ordinaire de l’année 2022147.

Pour ce qui est de la troisième mission d’information, elle est confiée à la Commission
des Lois, de l’Administration et des Droits de l’Homme. Celle-ci, dans l’exécution de sa
mission, se rend à l’Agence nationale d’identification des personnes (ANIP), en charge de la
confection de la liste électorale informatisée à l’effet de s’enquérir aussi bien de l’organisation
de cette structure que de ses projections techniques. La mission effectue, en outre, une tournée
nationale à l’occasion de laquelle elle procède à plusieurs constats dont celui relatif au
rattachement juridique des potentiels électeurs à un centre de vote148.

145
Les dernières commissions parlementaires d’enquête sont mises sur pied le 05 juillet 2017, pendant la septième
législature, et concernaient les projets électriques de Maria-Gléta (CAI, APR et AGREKKO) et le Fonds d’Aide
à la Culture (FAC). Cf. Assemblée nationale, Livre bleu, septième législature 2015-2019, op. cit., p. 42.
146
CAMBY (J.-P.), « Les commissions d’enquête parlementaires », loc. cit., p. 2.
147
Assemblée nationale–8ème législature–1ère session ordinaire de l’année 2022–Compte rendu intégral-Séance du
13 juillet 2022, op. cit., p. 8.
148
Il importe de mentionner que cette mission d’information a débouché sur une proposition de loi initiée par
Joseph ANANI et certains de ses collègues. Dans ce sens, NAGNOHOU (T.C.), « Détermination de la carte
électorale et fixation des centres de vote : le Parlement adopte une loi modificative et complétive », disponible sur
le site internet : https://www.la nation.bj publié le 16 août 2022, consulté le 05 février 2023 19h 08minutes.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

103
D’autre part, le Président de l’Assemblée nationale, en application de la loi n° 2020-20
du 02 septembre 2020 portant création, organisation et fonctionnement des entreprises
publiques en République du Bénin149, prend deux décisions : la première150, à caractère général,
porte sur le contrôle financier des entreprises publiques et semi-publiques. La seconde décision,
à caractère spécifique, met en place la commission chargée du contrôle de la gestion comptable
et financière du Conseil national des chargeurs du Bénin (CNCB), au titre de l’exercice 2020151.
En fait, c’est la Commission permanente en charge des finances et des échanges, jouissant d’une
compétence d’attribution pour exercer le contrôle financier des entreprises publiques et semi-
publiques152, qui exécute cette mission. Le rapport de la mission parlementaire de contrôle de
la gestion comptable et financière du Conseil national des chargeurs du Bénin est examiné à la
plénière du 18 janvier 2022153. Le travail de cette commission inaugure, au Bénin, le contrôle
parlementaire des entreprises publiques, un aspect du contrôle politico-technique ignoré voire
méconnu jusqu’ici. C’est un rubicond franchi par la huitième législature.

Les missions d’informations ou celles relatives au contrôle des entreprises publiques, à la


différence des enquêtes parlementaires proprement dites, paraissent moins politisées, moins
médiatisées et ne revêtent pas une dimension événementielle propre aux enquêtes
parlementaires. Tout porte à croire que ces missions ne suscitent pas de réticence
gouvernementale et ne mobilisent des ressources humaines, financières et matérielles que dans
des proportions réduites.

La huitième législature était très attendue sur le terrain du contrôle parlementaire, de telle
sorte qu’un exercice régulier, offensif et approfondi de cette attribution aurait pu apparaitre
comme la voie royale de recouvrement de légitimité154 de ses députés qu’une partie de l’opinion
considère comme mal élus en 2019. Au demeurant, plusieurs facteurs sont susceptibles
d’expliquer la tendance générale du déclin du contrôle parlementaire accentué sous la huitième
législature.

B. LES FACTEURS EXPLICATIFS DU REFLUX DU CONTROLE


PARLEMENTAIRE

149
Article 65.
150
Décision n° 2021-141/AN/PT/Q/SGA/CSF/CSC du 31 mars 2021 relative au contrôle financier des entreprises
publiques et semi-publiques.
151
Décision n° 2021-79/AN/PT du 11 août 2021 aux fins de contrôler la gestion comptable et financière du Conseil
national des chargeurs du Bénin (CNCB), au titre de l’exercice 2020.
152
Cf. article 29 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
153
Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er octobre 2021
au 31 mars 2022), op. cit., pp. 16-17.
154
Pour une étude sur la crise de légitimité des députés de la huitième législature, lire entre autres, BIDOUZO
(T.S.), KOUKOUBOU (E.O.), AGUE (A.V.), Le Parlement de rupture, Cotonou, Les éditions du CIAAF, 2019,
p. 17 ; OLOGOU (E.B.), « La politique publique de révision constitutionnelle au Bénin », loc. cit., pp. 17-26.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

104
Les causes du reflux du contrôle parlementaire, observé au cours de la huitième
législature de l’Assemblée nationale, sont à la fois internes (1) et externes à cette législature
(2).
1- Les facteurs endogènes

Les facteurs endogènes justifiant la faible utilisation des outils de contrôle sur les activités
gouvernementales, par les élus de la huitième législature, sont multiples. Le premier d’entre
eux réside dans la configuration « monolithique »155 du Parlement. Il parait anormal, a priori,
d’évoquer l’idée d’une assemblée parlementaire monocolore au Bénin, sous la huitième
législature, dès lors qu’au moins deux partis politiques y sont présents et représentés.
Seulement, quand il est un secret de polichinelle que les deux formations politiques qui y
siègent, procèdent du Chef de l’Etat et soutiennent, indéfectiblement, l’action de son
Gouvernement, il devient difficile de ne pas soutenir la thèse d’un Parlement ou d’une
législature monocolore. La baisse du contrôle parlementaire demeure la résultante du choix
assumé par les députés de cette législature, celui de ne pas contrarier le Gouvernement au
travers d’un contrôle politique offensif mais de se montrer, en tout état de cause, bienveillant à
son égard.

Le deuxième facteur explicatif de la baisse de régime, en matière de contrôle politique


sous la législature sortante, est à rechercher dans le renouvellement, à plus de la moitié du
Parlement béninois, opéré à la faveur des élections législatives du 28 avril 2019. Le Président
de l’Assemblée nationale justifiait, dès 2019, le peu d’initiatives prises par les élus de la
huitième législature, sur le terrain du contrôle de l’exécutif, en ces termes : « Il faut remarquer
que la période de référence est une période de transition entre la septième et l’actuelle
législature. Ce qui justifie la faible utilisation des outils de contrôle de l’action gouvernementale
par les députés. Aussi, importe-t-il de souligner que le renouvellement de l’actuelle législature
à plus de 60% justifie cette situation. D’où la nécessité d'un renforcement des capacités au profit
des députés pour leur permettre d’exercer efficacement cette mission constitutionnelle »156.

La transition est toute trouvée avec la troisième thèse explicative du déclin du contrôle
parlementaire, laquelle reste liée au renforcement des capacités de députés de la huitième
législature. En effet, ces nouveaux venus sur la scène parlementaire béninoise, à savoir les
députés exerçant leur premier mandat représentatif à partir de 2019, avaient besoin non

155
OLOGOU (E.B.), « La politique publique de révision constitutionnelle au Bénin », loc. cit., pp. 17-26.
156
Assemblée nationale, Rapport d’activités du Président de l’Assemblée nationale (période du 1er avril au 30
septembre 2019), op. cit., pp. 18-19.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

105
seulement de la connaissance157, mais également du temps pour s’approprier les procédures de
contrôle politiques qu’ils découvrent. Il apparait que ce renouvellement, qui constitue certes un
coup d’arrêt à la « carriérisation » de la fonction parlementaire de plusieurs acteurs politiques,
a fini par représenter un frein à la densification du contrôle parlementaire. Un tel
renouvellement, participant globalement de la baisse du niveau des députés béninois, a pu être
décrié par l’un deux158.

La dernière cause interne, ayant contribué, de notre point de vue, au reflux du contrôle
politique sur l’exécutif durant la législature sortante, tire ses racines dans la réforme du
règlement intérieur du Parlement béninois, actée par la résolution n° 2020-01 du 14 juillet 2020
portant révision du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Ainsi, aux termes des
dispositions de l’article 107.5 dudit règlement : « Les questions orales avec ou sans débat sont
programmées au plus tard dans les quarante-cinq jours suivant la date de leur dépôt ». Ce nouvel
alinéa introduit récemment dans le règlement intérieur du Parlement constitue une violation
flagrante de l’article 76159 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.

Pour mémoire, cette dernière disposition n’a subi aucune retouche lors de la révision
constitutionnelle entreprise par le constituant dérivé en 2019. Ce faisant, la nouvelle disposition
de « la loi intérieure »160 du Parlement vide de sa substance la notion d’outrage à l’Assemblée
nationale consacrée par la Constitution béninoise. Par conséquent, nous sommes tentés de
soutenir que la disposition du règlement intérieur du Parlement, citée supra, a ouvert une boite
de pandore que plusieurs membres du Gouvernement béninois ont, davantage, exploitée, durant
la huitième législature, pour se soustraire à l’obligation constitutionnelle de fournir, aux
représentants de la Nation, toutes explications à eux demandées sur leur gestion publique.

157
Voir en ce sens, Institut Néerlandais pour la Démocratie Multipartite, Rapport général du Séminaire
parlementaire, « Enjeux et défis de la 8eme Législature de l’Assemblée nationale du Bénin », Bénin Royal Hôtel,
Cotonou du 19 au 20 septembre 2019, NIMD-Bénin, septembre 2019, inédit, pp. 1-21.
158
Faisant le reproche à une collègue qui, selon lui, méconnait le règlement intérieur en son article 99.7, lequel
interdit, formellement, l’interpellation d’un collègue par un autre, le Président de la Commission des Relations
Extérieures, de la Coopération au Développement, de la Défense et de la Sécurité, Rachidi GBADAMASSI,
déclare, à la plénière du 16 janvier 2020 : « C’est donc par erreur ou par méconnaissance totale, ou par ignorance
juridique que notre jeune collègue a agi. Ces imperfections parlementaires m’amènent à penser à une formation
de nos députés parce que j’ai compris que depuis un certain moment le niveau parlementaire a considérablement
baissé. C’est le lieu de demander au Président VLAVONOU de mettre l’accent sur la formation des députés ».
Source : Les Pharaons, « Bénin/Assemblée nationale. Baisse du niveau du débat parlementaire : Rachidi
Gbadamassi appelle à la formation des nouveaux députés », disponible sur le site internet
https://www.lespharaons.com/, publié le 19 janvier 2020, consulté le 05 juillet 2023 à 18h 48minutes.
159
Aux termes duquel : « Il y a outrage à l’Assemblée Nationale lorsque, sur des questions posées par l’Assemblée
Nationale sur l’activité gouvernementale, le Président de la République ne fournit aucune réponse dans un délai
de trente jours ».
160
ESMEIN (A.), Eléments de droit constitutionnel français et comparé, Paris, L.G.D.J, Edition Panthéon-Assas,
2001, Réimpression 2008, p. 940.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

106
L’article 107.5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale aurait dû être censuré par
le juge constitutionnel161, à l’occasion du contrôle de conformité constitutionnelle de la
résolution portant révision du règlement intérieur exercé préalablement à son application. Tout
indique qu’une telle rallonge de délai, dans le traitement des questions orales, profitable à
l’exécutif mais préjudiciable au législatif, n’a pas eu pour effet de vaincre la « résistance du
Gouvernement face au contrôle qu’exerce le Parlement »162 sur son action. Tout bien considéré,
elle n’a fait qu’empirer les choses en consacrant le dilatoire en matière de contrôle
parlementaire de l’action gouvernementale. Sur ce seul point, la révision du règlement intérieur
de l’Assemblée nationale béninoise de 2020 est en soi déconsolidante.

Du reste, il importe de souligner que les questions orales en souffrance représentent le


contingent le plus dense des questions parlementaires adressées au Gouvernement. A l’instar
des autres catégories du questionnement parlementaire, elles ne connaitront jamais un
quelconque début d’examen à l’hémicycle. Ce fait n’est pas nouveau au Bénin. A dire vrai,
c’est une pathologie qui a commencé à prendre forme en 1991, c’est-à-dire à partir de la
première législature de l’Assemblée nationale installée sous le renouveau démocratique
béninois. Elle se dégrade à mesure que les législatures passent sans qu’aucun antidote163
efficace ne soit trouvé pour y remédier définitivement. D’autres causes, d’origine externe,
peuvent justifier le recul du contrôle parlementaire sous la huitième législature.

2- Les facteurs exogènes

Sous cette rubrique se trouvent condensés un fait et un évènement qui ont impacté,
négativement, la huitième législature au point d’influer, significativement, sur le contrôle
parlementaire.

Il s’agit, d’un côté, de l’activisme de l’opposition parlementaire qui a cruellement fait


défaut dans le domaine du contrôle parlementaire pendant le fonctionnement de la législature
sous étude. L’ombre de l’opposition a toujours plané sur la huitième législature car au Bénin, il
est difficile de dissocier la minorité oppositionnelle du contrôle parlementaire. Des nombreuses

161
Cf. Décision DCC 20-560 du 06 août 2020 de la Cour constitutionnelle sur la conformité à la Constitution de
la résolution n° 2020-01 du 14 juillet 2020 portant révision du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
162
ADELOUI (A.-J.), « Les métamorphoses du Parlement béninois », in Démocratie en questions. Mélanges en
l’honneur du professeur Théodore HOLO, op. cit., p. 523.
163
Même la séance réservée chaque semaine, par priorité, aux questions des membres de l’Assemblée nationale et
aux réponses du Gouvernement, conformément aux prescriptions de l’article 107.1 du règlement intérieur du
Parlement, n’est qu’une duperie en raison de sa tenue par intermittence. L’application stricte de cette disposition
règlementaire aurait pu constituer un début de réponse au délaissement du questionnement parlementaire. Une
telle séance, malgré son caractère hebdomadaire, ne suscite pas encore l’adhésion totale ni des députés, initiateurs
des questions, ni des ministres qui en sont destinataires et souffre encore du manque d’insistance, autour de sa
tenue régulière, par l’autorité parlementaire, garante de la bonne application du règlement intérieur, en l’occurrence
le Président de l’Assemblée nationale.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

107
études ont démontré la compatibilité entre l’opposition et le contrôle politique. Le Professeur
qu’
Arsène-Joël ADELOUI révèle « en faisant le point des initiatives prises par la minorité
parlementaire en matière de contrôle de l’action gouvernementale, il est à souligner que sur un
total de 286 questions écrites enregistrées entre la première et la sixième législature, 239 ont
été posées par les députés de la minorité parlementaire contre 47 pour ceux de la majorité.
S’agissant des 401 questions orales enrôlées de la première à la sixième législature, 222
émanent de l’opposition parlementaire contre 179 pour la majorité. Enfin, 122 questions
d’actualité ont été initiées par les députés de l’opposition contre 66 pour ceux de la majorité sur
un total de 188 questions enregistrées de la première à la sixième législature »164.

Eu égard à ce qui précède, il est évident que l’opposition parlementaire demeure, au


Bénin, la locomotive des initiatives prises en matière de contrôle de l’action gouvernementale.
C’est pour cela qu’elle est perçue comme « un contrôleur redouté »165. Au vu du faible
rendement du contrôle parlementaire sous la huitième législature, l’absence de l’opposition au
Parlement béninois, cet oxygène166 indispensable à la régénération et à la survie de toute
démocratie, a été dommageable à cette législature. C’est une absence que la minorité
parlementaire167 présente à l’Assemblée nationale, durant la législature sortante, n’a pu
compenser, ne serait-ce qu’en termes d’animation des débats parlementaires.

De l’autre côté, l’évènement susceptible d’expliquer le déclin des techniques de contrôle


parlementaire, sous la huitième législature, réside dans la propagation de la pandémie mondiale
à coronavirus qui a mis à rude épreuve le fonctionnement de toutes les démocraties. Le

164
ADELOUI (A.-J.), « La minorité parlementaire dans les démocraties africaines : l’exemple du Bénin », Droit
en Afrique, n° 21, 2018, pp. 20-22.
165
ADELOUI (A.-J.), « La minorité parlementaire », in NAREY (O.) (dir.), Séparation des pouvoirs et contre-
pouvoirs, Dakar, L’Harmattan-Sénégal, 2018, pp. 329-331.
166
JAN (P.), « Les oppositions », Pouvoirs, n° 108, 2004, p. 23 ; HOLO (Th.), « L’opposition : l’oxygène de la
démocratie (l’oubliée de la Conférence nationale du Bénin », in L’amphithéâtre et le prétoire au service des droits
de l’homme et de la démocratie. Mélanges en l’honneur du président Robert DOSSOU, Paris, L’Harmattan, 2020,
pp. 655-673.
167
Edwin MATUTANO opère une césure entre les groupes d’opposition et minoritaire. Il soutient que « les deux
notions de " groupe minoritaire " et de "groupe d’opposition ", renvoient à des ordres d’idées fort différents : celle
de " groupe d’opposition ", d’une part, évoque une attitude politique d’ensemble vis-à-vis du Gouvernement en
fonction ; d’autre part, celle de " groupe minoritaire " se réfère à une situation quantifiable d’ordre arithmétique.
Ce sont donc deux notions, l’une politique, l’autre mathématique », in MATUTANO (E.), « Groupes minoritaires
et d’opposition : retour sur la signification et l’interprétation de deux notions énigmatiques », Jus Politicum, n°
15, 2016, p. 3. La deuxième définition reflète parfaitement la situation du groupe minoritaire présente à l’assemblée
nationale béninoise et incarné, sous la huitième législature, par le Bloc Républicain qui dispose de 36 députés sur
un total de 83 que compte la législature. Ce groupe parlementaire ne se distingue du groupe parlementaire
majoritaire, constitué des élus de l’Union Progressiste, que par le nombre et, nullement, par la posture consistant
à critiquer les politiques gouvernementales. Une telle minorité ne peut aucunement être assimilée à une opposition
dont les critères d’identification sont mis au jour par la doctrine. Ces critères, qui sont à la fois d’ordres organique,
matériel et finaliste, se trouvent résumés par le Professeur Pascal JAN. Celui-ci définit l’opposition comme une
« position reconnue d’un groupe au sein d’un régime politique en compétition pour l’accession légale au pouvoir
et son exercice pacifique », in JAN (P.), « Les oppositions », loc. cit., p. 38.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

108
Parlement béninois, dans l’exercice de sa mission de contrôle, s’en est trouvé impacté168, entre
2020 et 2021, quoique le Président de la République du Bénin, à la différence de bon nombre
de Chefs d’Etats africains qui ont proclamé une série de régimes d’exception169 à l’effet de
riposter contre cette pandémie, n’a pas jugé utile de procéder ainsi.

Il faut dire que l’Assemblée nationale béninoise, sous la huitième législature, s’est
montrée protectrice du Gouvernement sur le terrain du contrôle parlementaire comme le ferait
n’importe quelle majorité face à l’opposition dans une assemblée parlementaire multicolore.
Enfin, une telle posture, attentatoire à la prérogative de contrôle de l’action du Gouvernement
monocéphale béninois, est la traduction la plus fidèle du culte de loyauté que vouent les députés
de la législature sortante au Président la République, Patrice TALON, à qui la majorité d’entre
eux doit son ascension parlementaire.

Le bilan de la huitième, sur fond d’analyse des deux principales attributions du Parlement
béninois que sont le vote des lois et le contrôle de l’action gouvernementale, parait mitigé en
ce qu’il est à la fois appréciable et déplorable. Sur le terrain législatif, l’intensification du travail
parlementaire a abouti à l’adoption d’un florilège de lois lesquelles, de l’avis du Président de la
législature, « favorisent le développement et (…) accompagnent les réformes pertinentes et
courageuses visant à améliorer la gouvernance »170 du Bénin. Un constat rédhibitoire mérite
d’être fait : les députés de cette législature se sont, davantage, préoccupés de voter les lois ; ce
qui parait normal puisque c’est la première fonction que leur confère le statut de parlementaire.
Toutefois, le même zèle fait cruellement défaut lorsqu’il s’est agi de contrôler l’action
gouvernementale comme l’illustre l’ignorance ou la négligence, par eux, de certains outils de
contrôle à l’instar des interpellations et des commissions d’enquête parlementaires. L’apathie
de l’Assemblée nationale, sous la huitième législature, à procéder, profondément, au contrôle

168
A l’opposé du Parlement béninois, l’exemple congolais est très édifiant à cet égard. En effet, le Parlement de
la République du Congo en général et l’Assemblée nationale, en particulier, a intensifié le contrôle parlementaire
sous le régime de l’état d’urgence sanitaire décrété à la suite de la détection des premiers cas liés à la maladie à
coronavirus, en dépit de son fonctionnement en sessions restreintes. Ainsi, entre le 31 mars 2020 et le 18 octobre
2022, période comprise entre l’entrée en vigueur et la cessation de l’état d’urgence sanitaire, la chambre basse du
Parlement congolais examine 89 questions orales avec débat, 14 questions d’actualités et procède à 22 auditions
en commissions. Pour une étude sur le contrôle parlementaire en République du Congo, sous le régime de l’état
d’urgence sanitaire, se reporter à notre étude, « Le contrôle parlementaire de l’action gouvernementale », in
EMMANUEL Née ADOUKI (D.E) (dir.), L’ordre juridique congolais à l’épreuve de la COVID-19, Annales de
l’Université Marien NGOUABI, Vol. 20, n° 1, 2020, pp. 115-125.
169
OUEDRAOGO (S.M.), OUEDRAOGO (D.), « Les élections présidentielles et législatives à l’épreuve du
COVID-19 : une mise en lumière en Afrique de l’ouest francophone », Afrilex, avril 2020, p. 2.
170
Extrait de l’adresse du Président de l’Assemblée nationale, faite le 14 avril 2022 à l’ouverture de la première
session ordinaire de l’année 2022. Cf. Assemblée nationale–8ème législature–1ère session ordinaire de l’année 2022–
Compte rendu intégral-Séance du 14 avril 2022, pp. 4-5.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

109
des activités du Gouvernement la confine au rang d’appendice de l’exécutif, au lieu d’être un
contre-pouvoir tant vanté par la doctrine en raison de sa capacité d’anéantissement de moult
initiatives gouvernementales dans les législatures précédentes171.

La configuration, foncièrement monocolore de la huitième législature, n’est pas étrangère


à cette situation. C’est en cela que la huitième législature a quelque chose d’inhabituel voire
d’exclusif, symbolisé par l’absence notable des députés de l’opposition en son sein. Cette
situation inédite apparait comme un accident de parcours démocratique dans la mesure où, en
28 ans de pratique constitutionnelle et démocratique dans cet Etat, considéré comme le
laboratoire du renouveau constitutionnel et démocratique africain172, le pluralisme partisan à
l’Assemblée nationale a toujours été garanti par des élections parlementaires ouvertes et
concurrentielles.

Du reste, certaines techniques de contrôle politique, à l’image du contrôle parlementaire


des entreprises publiques et semi-publiques inauguré sous la huitième législature, méritent
d’être capitalisées. L’accent devrait, également, être mis tant sur l’évaluation parlementaire173
des politiques publiques que sur le contrôle de l’exécution des lois de finances, domaines dans
lesquels sommeillent encore d’importants pouvoirs attribués au Parlement béninois174. C’est la
raison pour laquelle nous souscrivons à la thèse du Professeur Guy CARCASSONNE, selon
laquelle, « ce qui manque à l’Assemblée nationale, ce ne sont pas les pouvoirs, mais les députés

171
Dans ce sens, DAKO (S.), « La résolution juridictionnelle des conflits entre le Gouvernement et le Parlement
au Bénin », in La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur
de Maurice AHANHANZO-GLELE, op. cit., pp. 327-366 ; SALAMI (I.), « La ligne rouge constitutionnelle », 26
avril 2017, disponible sur le site internet https://www.cedatuac.org, pp. 1-24, consulté le 03 février 2023 à 18h
10minutes.
172
QUANTIN (P.), « Le modèle et ses doubles : les conférences nationales en Afrique noire (1990-1991) », in
MENY (Y.) (dir.), Les Politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet, Paris, L’Harmattan, 1993, p.
166 ; AÏVO (F.J.), Constitution de la République du Bénin. La Constitution de tous les records en Afrique, op. cit.,
pp. 12-13.
173
Cf. Article 1er de la loi organique n° 2013-14 du 27 septembre 2013 relative aux lois de finances. Cossoba
NANAKO pense qu’ « au nombre des causes majeures des errances dans la gestion publique, se profilent les
carences du travail parlementaire qui n’a pas assez fait, à la fonction évaluative, aussi bien en amont qu’en aval,
la place qu’elle devrait tenir dans la production normative et les politiques publiques ». Cf. NANAKO (C.), « La
fonction parlementaire d’évaluation à la lumière de l’expérience française », in SOHOUENOU (E.), KAKAÏ (H.),
OLLIVIER (M.) (dir.), Le Parlement en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2021, p. 60.
174
L’article 93 de la loi organique n° 2013-14 du 27 septembre 2013 relative aux lois de finances prévoit que « La
commission en charge des finances de l’Assemblée Nationale veille, au cours de l’exercice, à la bonne exécution
des lois de finances. A cette fin, le Gouvernement transmet trimestriellement à l’Assemblée Nationale, à titre
d’information, des rapports sur l’exécution du budget et l’application du texte de la loi de finances. Ces rapports
sont mis à la disposition du public. Les informations demandées par l’Assemblée Nationale ou les investigations
à mener sur place ne peuvent lui être refusées. L’Assemblée Nationale peut demander à la juridiction financière,
la réalisation de toutes enquêtes nécessaires à son information. L’Assemblée Nationale peut procéder à l’audition
des ministres ». L’article 112 de la Constitution du 11 décembre 1990 attribuait déjà à l’Assemblée nationale le
pouvoir de demander, à la chambre des comptes de la Cour Suprême, la charge de procéder à toutes enquêtes et
études se rapportant à l’exécution des recettes et des dépenses publiques. Cette disposition sert encore de décor
constitutionnel bien que la mission d’assistance du Parlement dans l’exercice de son pouvoir de contrôle sur les
finances publiques, avec la réécriture de l’article 112 de la Constitution, soit dorénavant dévolue à la Cour des
comptes.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

110
pour les exercer »175. Le Parlement béninois est aussi interpellé par ce constat doctrinal des plus
pertinents, en ce que ses locataires « dispose[nt,] de moyens nécessaires au contrôle de l’action
gouvernementale »176 mais n’en usent pas dans leur plénitude.

Comme les précédentes législatures, la huitième législature a joué sa partition dans la


construction de l’Etat constitutionnel béninois et dans le fonctionnement des institutions avec
ses forces et ses faiblesses. Cependant, elle n’a pu incarner ce « lieu privilégié (…) de
confrontation politique, dont l’existence est indispensable au fonctionnement des mécanismes
démocratiques »177 qu’est un Parlement moderne et véritablement représentatif.

Enfin, pour répondre à l’assertion introductive ayant servi de prétexte pour passer au
peigne fin, dans la présente étude, le bilan de la huitième législature, nous estimons que cette
législature est loin d’être la meilleure des législatures que l’Assemblée nationale du Bénin ait
connues à partir de 1991.

175
Cité par AVRIL (P.), « L’introuvable contrôle parlementaire », Jus Politicum, n° 3, 2009, p. 1.
176
HOLO (Th.), « Les idées constitutionnelles du professeur AHANHANZO-GLELE », in La Constitution
béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice AHANHANZO-
GLELE, op. cit., p. 240.
177
CHEVALLIER (J.), L’Etat post-moderne, Paris, L.G.D.J, 6e édition, 2017, p. 244.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

111
LE DEVOIR CITOYEN DE DEFENSE ET DE MAINTIEN DE
L’INTEGRITE TERRITORIALE EN DROIT BURKINABE

Par

Anselme Yabré SIÉZA


Docteur en droit public
Université Thomas SANKARA (Burkina Faso)

Résumé : Défendre et maintenir l’intégrité du territoire national lorsqu’elle est menacée, est
une nécessité pour tout État. Dans cette lutte, le citoyen a toujours son mot à dire, sa place à
occuper, son rôle à jouer. Le Burkina Faso est en proie au terrorisme depuis quelques années
et son intégrité territoriale est depuis lors remise en cause. Le citoyen burkinabè a été appelé
à cet effet, à jouer sa partition dans la défense et le maintien de l’intégrité du territoire. Il s’agit
en effet, d’un devoir fondamental qu’il doit assumer avec le plus grand dévouement. Ce devoir
est d’une grande portée juridique et son exécution exige la réunion d’un certain nombre de
conditions de la part à la fois du citoyen et de l’État burkinabè.

Mots-clés : Devoir citoyen – Défense et maintien de l’intégrité territoriale – Volontaires pour


la Défense de la Patrie (VDP) - Citoyenneté

Abstract: Defending and maintaining the integrity of the national territory when it is threatened
is a necessity for any State. In this fight, the citizen always has his say, his place to occupy, his
role to play. Burkina Faso has been plagued by terrorism for several years and its territorial
integrity has since been called into question. The citizen of Burkina Faso has been called upon
for this purpose, to play his part in the defense and maintenance of the integrity of the territory.
It is indeed a fundamental duty that he must assume with the greatest dedication. This duty is
of great legal significance and its execution requires the meeting of a certain number of
conditions on the part of both the citizen and the Burkinabe State.

Keywords: Civic duty - Defense and maintenance of territorial integrity - Volunteers for the
Defense of the Fatherland - Citizenship

« Limitation du pouvoir d’État, autonomie des acteurs sociaux et conscience de


citoyenneté, telles sont les trois conditions d’existence de la démocratie, ou plus exactement les
trois manifestations principales de l’existence d’une démocratie [...] »1. La conscience de
citoyenneté ou la claire manifestation des droits et devoirs attachés à la qualité de citoyen vis-
à-vis de la société et de ses institutions représentatives, doit s’observer autant en démocratie
qu’en non-démocratie, en temps de paix comme en temps de crise. Dans cette dernière
configuration, la société se doit de s’adapter. Le citoyen peut alors, être appelé à assumer un
ensemble d’obligations particulières outre la restriction éventuelle de ses droits et libertés. La

1
TOURAINE (A.), « Les conditions, les ennemis et les chances de la démocratie », in Union Interparlementaire,
La démocratie : principes et réalisation, Genève, 1998, p. 90.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

112
jouissance des droits de l’homme en période de crise ne saurait occultée ce qu’il sied d’appeler
les obligations ou devoirs de l’homme2. En effet, lorsque l’intégrité territoriale de l’État est
menacée, tout moyen3 pourrait être employé par l’État pour se défendre. Parmi ces moyens qui
peuvent être nationaux ou internationaux, figure ce qu’on appelle la mobilisation citoyenne ou
mobilisation populaire. Le civil peut en effet être appelé par l’autorité militaire à la rescousse
en période de crise imminente. Au Burkina Faso, l’article 10 al. 1 de la Constitution de la IVe
République adoptée le 02 juin 1991 et modifiée par la loi constitutionnelle n° 072-2015/CNT
du 05 novembre 2015 dispose que « tout citoyen Burkinabè a le devoir de concourir à la défense
et au maintien de l’intégrité territoriale »4. Concourir en période de crise, à défendre et à
maintenir l’intégrité du territoire burkinabè constitue donc un devoir fondamental pour tout
citoyen.

Par devoir, il faut entendre « tout acte ou toute conduite considérée comme s’imposant
moralement ou légalement à l’individu indépendamment de ses inclinations ou antipathies
personnelles »5. Le concept présente ainsi une double dimension morale6 et légale. En ce qui
concerne cette dernière dimension, il renvoie à une obligation qui est un devoir imposé par la
loi7. Le droit interne prescrit traditionnellement à l’individu et sanctionne pénalement, de
nombreux devoirs auxquels correspondent en fait autant de droits des autres individus. Paul

2
Tout un courant doctrinal s’est prononcé en faveur de la dialectique des droits et devoirs de l’homme.
3
La question de l’emploi des armes de destruction massive et en particulier celui des armes nucléaires restait posée
jusqu’en 2017. « Est-il permis en droit international de recourir à la menace […] d’armes nucléaires en toute
circonstance ? ». À cette question posée à la Cour Internationale de Justice (CIJ) par l’Assemblée générale des
Nations unies, la Cour répondait qu’elle « ne [pouvait] conclure de façon définitive que la menace […] d’armes
nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même
d’un État serait en cause ». L’ambiguïté de cette conclusion laissait comprendre que l’arme nucléaire pouvait être
utilisée dans une telle circonstance. Toutefois, depuis le 07 juillet 2017, la lacune de cette conclusion se trouve
désormais comblée avec l’adoption du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN).
4
À côté des constitutions des États africains qui sont nombreuses à consacrer des développements plus ou moins
importants aux devoirs de l’individu, il faut mentionner celles des pays communistes (démocraties populaires) et
des démocraties libérales. Par exemple, la Constitution de la République Populaire de Chine du 4 décembre 1982
énonce entre autres, le devoir de défense de la sécurité, de l’honneur et des intérêts de la patrie (article 55). Au
titre des démocraties libérales, on peut citer la Constitution italienne du 27 décembre 1947 qui consacre neuf
articles au titre des devoirs de l’individu parmi lesquels le devoir de défense de la patrie (article 52) ; la Constitution
portugaise du 2 avril 1976, la Constitution espagnole du 29 décembre 1978. La Constitution française du 4 octobre
1958 n’accorde pas de développements spécifiques aux devoirs individuels mais affirme, dans son préambule,
l’attachement du peuple français aux droits de l’homme tels que définis dans la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen du 26 août 1789 complétée par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Voir à ce propos,
OUGUERGOUZ (F.), La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Une approche juridique des
droits de l’homme entre tradition et modernité, Genève, Graduate Institute Publications, 1993, pp. 234-235.
5
Ibid, p. 232. Voir également CORNU (G.) (dir), Vocabulaire juridique, 8è édition, Paris, PUF, 2000, p. 288.
6
Il s’avère que c’est d’abord dans la pensée religieuse que le concept a été exalté. Il en est notamment du judaïsme
où les droits de l’homme ne sont pas considérés indépendamment de l’ensemble des obligations de l’homme,
envers Dieu, la création, autrui et la société. L’idée est également présente dans les enseignements de la Bible, de
la Shariah (Loi islamique), du confucianisme et de l’hindouisme.
7
GUINCHARD (S.) et DEBARD (T.) (sous dir.), Lexique des termes juridiques, 25è édition, Paris, Dalloz, 2017,
p. 1406.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

113
ROUBIER distingue les « devoirs généraux humains » et les « devoirs spéciaux »8. Les
premiers renvoient à un lien de droit entre deux personnes par lequel l’une, le débiteur, est tenue
d’une prestation vis-à-vis de l’autre, le créancier. Ils sont issus des principes généraux du droit
comme par exemple, celui de ne pas causer de dommage injuste à autrui ou celui de ne pas
s’enrichir sans cause juridique aux dépens d’autrui. Les seconds sont issus des lois et des usages
comme par exemple, les devoirs fiscaux ou militaires, ceux qui se rattachent à l’organisation de
la famille (cohabitation, fidélité, assistance, éducation et entretien des enfants, etc.) ou de la
propriété (utilité publique : hygiène, urbanisme, esthétique, etc.). Ces devoirs “spéciaux” ne
sont pas, la plupart du temps, rattachés à un droit de l’homme correspondant ; ils sont alors
plutôt conçus comme la contrepartie d’un droit de l’État ou de la communauté en général. Bref,
partant de la dimension légale et du caractère spécial, le devoir constitue donc une prestation
positive que l’individu est tenu d’assurer vis-à-vis de la société et pour le bien-être de la société
en vertu des règles d’organisation de cette dernière. Cette conception sera retenue dans le cadre
de la présente réflexion.

Le citoyen est l’individu jouissant, sur le territoire de l’État dont il relève, des droits
civils et politiques9. La citoyenneté est la capacité juridique de participation à la vie politique
de l’État10. La citoyenneté pleine et entière suppose la satisfaction de trois conditions : la
possession de la nationalité ; la possession de la qualité de sujet de droit ; l’exercice effectif des
droits et des devoirs11. Le devoir citoyen renvoie ainsi à l’obligation faite à tout individu de
participer à la vie politique de l’État dont il a la nationalité. En matière de défense et de maintien
de l’intégrité territoriale, il consiste pour le citoyen à participer à la lutte contre toute atteinte
de l’intégrité territoriale. Concourir à la défense de l’intégrité du territoire burkinabè ainsi qu’à
son maintien est une obligation pour tout burkinabè jouissant de ses droits civils et politiques
résidant ou pas au Burkina Faso. N’y sont donc pas soumises, les personnes de nationalité
étrangère résidant sur le territoire burkinabè. La mobilisation citoyenne ou mobilisation
populaire peut être générale ou au titre de la réserve opérationnelle. Dans le premier cas, elle
engage non seulement toute personne ayant déjà servi dans l’armée mais aussi tout civil. Dans
le second cas, seuls les anciens membres des forces de l’ordre sont concernés.

8
ROUBIER (P.), Droits subjectifs et situations juridiques, Paris, Dalloz, 1963, p. 111. Voir également dans le
même sens, KELSEN (H.), Théorie pure du droit, traduction française de la 2è édition de la “Reine Rechtslehre”,
Paris, Dalloz, 1962, pp. 172-175.
9
GUINCHARD (S.) et DEBARD (T.) (sous dir.), op. cit, p. 387. Voir également AVRIL (P.) et GICQUEL (J.),
Lexique de droit constitutionnel, 4è édition, Paris, PUF, 2013, p. 22.
10
SOMA (A.), Traité de droit constitutionnel général, Tome I, Ouagadougou, Éditions LIBES, 2022, p. 84.
11
LOADA (A.) et IBRIGA (L. M.), Précis de droit constitutionnel et institutions politiques, Ouagadougou,
Collection Précis de droit burkinabè, 2007, p. 621.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

114
Historiquement, cette obligation n’était pas prévue par la Constitution du 27 novembre
1960 instituant la Ière République. Quant à la Constitution de la IIe République du 14 juin 1970,
elle la consacrait à son article 23 tout en la sacralisant12. En ce qui concerne la Constitution de
la IIIe République adoptée le 27 novembre 1977, elle ne la consacrait que dans son préambule
notamment dans le paragraphe X13.

Cette obligation constitutionnelle est prévue au niveau régional africain par la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 198114. Aux termes de son article 29
al. 5, l’individu a le devoir « de préserver et de renforcer l’indépendance nationale et l’intégrité
territoriale de la patrie et, d’une façon générale, de contribuer à la défense de son pays, dans les
conditions fixées par la loi. ». Au niveau universel, il faut citer la Déclaration universelle des
droits de l’homme du 10 décembre 194815 et le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques du 16 décembre 196616, même s’ils n’abordent pas franchement la question des
devoirs de l’individu et celle de la défense et du maintien de l’intégrité territoriale.

La délimitation territoriale est l’une des caractéristiques essentielles de l’État moderne.


La nécessité de frontières territoriales s’est développée avec la sédentarisation progressive des
différentes tribus ethniques17. Le territoire renvoie à l’espace géographique (terrestre, marin et
aérien) dans les limites duquel l’État se construit et exerce sa souveraineté18. Il est son siège
spatial. Tout État doit avoir un territoire qui lui est propre19. Le territoire burkinabè est continu20
et fait 274 200 km2. La frontière désigne la ligne qui délimite le territoire de l’État21.

Défendre et maintenir l’intégrité du territoire22, c’est empêcher toute infraction à


l’obligation du respect de l’intégrité territoriale. Trois idées sous-tendent le principe du respect

12
L’article 23 disposait : « La défense de la Patrie et de l’intégrité du Territoire National est un devoir sacré pour
tout voltaïque. ».
13
Ledit paragraphe disposait : « Chaque citoyen a le devoir de concourir à la défense et au maintien de l’intégrité
du territoire national. ».
14
Cette Charte a été adoptée à Nairobi au Kenya lors de la 18è Conférence de l’Organisation de l’Unité Africaine
(OUA). Elle est entrée en vigueur le 21 octobre 1986 après sa ratification par 25 États.
15
L’article 29 al. 1 stipule que l’individu « a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein
développement de sa personnalité est possible ».
16
Le mot devoir n’y apparait que deux fois : dans son préambule au § 5 et dans son article 19 al. 3.
17
FLEINER-GERSTER (T.), Théorie générale de l’État, Genève, Graduate Institute Publications, 1986, p. 120.
18
SOMA (A.), Traité de droit constitutionnel général, op. cit, p. 82. Voir également BARBERIS (J.), « Les liens
juridiques entre l’Etat et son territoire : perspectives théoriques et évolution du droit international », AFDI, vol.
45, 1999, pp. 132-147.
19
C’est le principe pas d’Etat sans territoire propre. Cf. SOMA (A.), op. cit, p. 82.
20
Le territoire de l’Etat peut être continu ou discontinu. Il est continu lorsqu’il se présente en un seul bloc spatial
monolithique. Il est discontinu lorsqu’il est fragmenté en plusieurs blocs spatiaux isolés les uns des autres.
21
Sur la frontière en droit international, voir Société Française pour le Droit International, Droit des frontières
internationales, Paris, Pédone, 2016, 322 p. ; TARCHICHI (M. H.), Le droit international de la délimitation des
frontières, Paris, L’Harmattan, 2021, 504 p ; ABI-SAAB (G.), « La pérennité des frontières en droit
international », Relations internationales, n°64, hiver 1990, pp. 341-349.
22
On a assisté au XXe siècle à une inflation de textes consacrant ou réaffirmant le respect de l’intégrité territoriale.
En plus d’établir un lien entre l’intégrité territoriale et les autres principes de base du droit international, les textes
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

115
de l’intégrité territoriale : la plénitude du territoire ; l’inviolabilité du territoire ; la garantie
contre tout démembrement du territoire23. Constituent des infractions à cette obligation :
l’occupation d’un territoire étranger par des forces armées, indépendamment de l’intention de
l’occupant vis-à-vis du territoire ; les incursions militaires et les attaques armées contre des
objectifs situés dans le territoire d’un autre État ; le démembrement du territoire d’un État ou
d’un autre sujet du droit international moyennant la création artificielle d’une nouvelle entité ;
le maintien d’une situation coloniale sur le territoire d’un autre État ; l’octroi de l’indépendance
à une ancienne colonie tout en gardant une partie de son territoire sous la juridiction de la
métropole ; le soutien ou l’encouragement de forces sécessionnistes, ou l’envoi de mercenaires
sur un territoire étranger ; l’annexion partielle ou totale d’un territoire étranger ; l’exercice des
prérogatives de la puissance publique sur un territoire étranger sans le consentement de son
titulaire24. Il s’agit donc d’empêcher à la fois, toute modification ou altération indue de l’assise
géographique y compris les frontières25 de l’État, toute atteinte à la compétence territoriale26 de
l’État ou à sa souveraineté territoriale27.

En droit burkinabè, la défense est définie comme « le moyen d’assurer en tout temps,
en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du
territoire national ainsi que la protection de la vie de la population »28. Le maintien de l’intégrité
territoriale est intrinsèquement lié à sa défense. D’abord, en ce qui concerne le fondement, le
maintien s’impose en général, comme la défense, lorsqu’il y a une menace contre l’intégrité
territoriale de l’État et en particulier, lorsqu’il y a état d’urgence ou de siège. Ensuite, en ce qui
concerne leur objet, le maintien tout comme la défense, est destiné à assurer que l’État disposera
toujours en dernier ressort du sort de son territoire. Enfin, en ce qui concerne les moyens
d’action, le maintien de l’intégrité territoriale tout comme sa défense, peut s’opérer par l’emploi
de la force armée ou de manière pacifique.

utilisent parfois un vocabulaire surabondant, où l’intégrité se double de l’inviolabilité, le territoire étant protégé
aussi bien que les frontières, et l’intégrité territoriale étant garantie en même temps que la souveraineté,
l’indépendance politique, l’unité nationale ou la sécurité. Cf. KOHEN (M.-G.), Possession contestée et
souveraineté territoriale, Genève, Graduate Institute Publications, 1997, p. 332.
23
Ibid, pp. 334-335.
24
Ibid.
25
Le respect des frontières est une conséquence du respect de l’intégrité territoriale. Lorsqu’une frontière a été
violée, cela signifie qu’on a porté atteinte à l’intégrité du territoire de l’Etat qui se trouve au-delà de la frontière.
26
La compétence territoriale désigne le pouvoir juridique de l’Etat à agir dans l’espace qui constitue son territoire.
Elle se distingue de la souveraineté territoriale qui renvoie au titre de compétence que l’Etat tire de son territoire.
Cf. RUZIÉ (D.) et TEBOUL (G.), Droit international public, 22è édition, Paris, Dalloz, 2017, p. 94.
27
La clef de voûte qui permet de cerner l’idée de souveraineté territoriale est la faculté de disposition du territoire.
Seul celui qui peut disposer en dernier ressort du sort d’un territoire peut être considéré comme le titulaire de la
souveraineté sur celui-ci. Cf. KOHEN (M. G.), op. cit, pp. 79-80.
28
§ I du Préambule du décret n°2008-700/PRES/PM/DEF du 14 novembre 2008 portant règlement de discipline
générale dans les Forces armées nationales.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

116
Le maintien de l’intégrité territoriale présente toutefois des particularités. Le maintien
intervient en amont lorsqu’on l’oppose à la notion de ‘‘rétablissement’’ de l’intégrité
territoriale. Selon le dictionnaire français Larousse, maintenir, c’est en effet, conserver dans le
même état, tenir stable. Rétablir, c’est remettre à son premier état, en bon état, redressé. Le
maintien suppose donc que la menace pesant sur l’intégrité du territoire existe mais n’est pas
effective car n’ayant pas encore produit d’effet. Autrement dit, telle une mission de maintien
de la paix de l’Organisation des Nations unies (ONU)29, le maintien de l’intégrité territoriale
consiste à faire cesser toute menace de violation du principe du respect de l’intégrité territoriale.
Il se distingue dès lors de la défense qui intervient en aval c’est-à-dire après que la violation ait
dépassé le stade de simple menace pour être effective c’est-à-dire une réalité. Le maintien peut
être la finalité de la défense de l’intégrité territoriale. En effet, l’État peut s’engager dans la
défense de son intégrité territoriale dans le dessein de conserver son territoire en son état. Il en
est ainsi lorsque la force armée est engagée sur le terrain afin de prévenir toute incursion
militaire sur le territoire national, toute attaque armée contre des objectifs situés dans les limites
du territoire, etc.

L’atteinte à l’intégrité territoriale peut être le produit d’un acte d’agression. Selon la
résolution 3314 du 14 décembre 1974 de l’Assemblée Générale des Nations unies, « l’agression
est l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou
l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte
des Nations unies ». Elle peut également, être le fait d’acteurs non-étatiques notamment
d’individus armés. C’est le cas spécifique auquel le Burkina Faso est confronté. Il s’agit plus
précisément du terrorisme30. De manière générale, le droit international condamne le

29
Le maintien de la paix est devenu l’un des outils les plus essentiels pour la résolution des conflits dans la boîte
à outils de l’ONU. Le maintien de la paix onusien a évolué de petites missions non armées d’observation militaire
sur une ligne de cessez-le-feu entre deux États, à ce qui est désormais du « maintien de la paix multidimensionnel
» ainsi que des opérations de « stabilisation ». Celles-ci incluent des composantes militaire, policière et civile
importantes et reçoivent dorénavant souvent des mandats « fourre-tout » – incluant, entre autres, la protection des
civils en cas de menace imminente et la sécurisation de la livraison de l’aide humanitaire. Les mandats des missions
de maintien de la paix de l’ONU comportent également de plus en plus souvent des composantes fortes de
stabilisation et d’imposition de la paix. Cela implique un usage de la force plus robuste et plus proactif en vertu
du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, de la part de partenaires non-onusiens nationaux, régionaux ou
multinationaux opérant en soutien ou avec le soutien de la mission de l’ONU. Cf. LABBÉ (J.) et BOUTELLIS
(A.), « Les opérations de maintien de la paix par procuration : conséquences des partenariats de maintien de la
paix de l’ONU avec des forces de sécurité non-onusiennes sur l’action humanitaire », Revue internationale de la
Croix-Rouge, vol. 95, sélection française, 2013/3 et 4, p. 48.
30
Aucune définition unanime du terrorisme n’a été retenue par la communauté internationale en dépit de la
multitude de définitions que nous offre la doctrine. Alex P. SCHMID avait déjà relevé 109 définitions in Political
Terrorism—A Research Guide to Concepts, Théories, Data Bases and Literature, Amsterdam, North Holland
Publishing Co., 1984, 585 p. Néanmoins, le terrorisme international peut être défini comme étant « un fait illicite
de violence grave commis par un individu ou un groupe d’individus agissant à titre individuel ou avec
l’approbation, l’encouragement, la tolérance, ou le soutien d’un État, contre des personnes ou des biens, dans la
poursuite d’un objectif idéologique et susceptible de mettre en danger la paix et la sécurité internationales ». Cf.
SALMON (J.) (sous dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 1081 ; La
ROSA (A-M.), Dictionnaire de droit international pénal, Genève, Graduate Institute Publications, 1998, p. 82.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

117
terrorisme31. Depuis 2015, le Burkina Faso est confronté à un usage de la violence par des
groupes armés portant atteinte à la vie des personnes ou à leur intégrité physique, à leurs biens,
à leur liberté de résidence sur le territoire national, à la compétence et à la souveraineté
territoriales de l’État burkinabè. La défense et le maintien de l’intégrité du territoire burkinabè
implique actuellement une « guerre contre le terrorisme »32 même s’il est connu que le droit des
conflits armés (le droit international humanitaire) ne s’applique pas automatiquement à la lutte
contre le terrorisme33 en raison du fait qu’il ne le couvre pas34.

L’atteinte à l’intégrité territoriale d’un État peut constituer un cas de rupture de la paix
internationale35. Elle peut être permanente ou sporadique. L’État peut défendre son intégrité
territoriale en ripostant à la violence qu’il subit en usant également des armes. Le conflit armé
ainsi engendré peut être interne ou international selon l’adversaire en face. Il le peut également
par la voie pacifique à travers un règlement politique36 et le cas échéant, un règlement
juridique37. S’il s’avère assez difficile de négocier lorsqu’il s’agit du terrorisme et que des
exemples de négociation ne font pas légion, il faut admettre cette possibilité. Le Burkina Faso

31
Ce fut d’abord, l’objet de la convention de Genève du 16 novembre 1937 pour la prévention et la répression du
terrorisme élaborée à la suite de l’attentat commis à Marseille en 1934 contre le roi Alexandre Ier de Yougoslavie.
Cette convention définit largement les actes de terrorisme comme les faits criminels dirigés contre un Etat et dont
le but ou la nature est de provoquer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes ou
dans le public (article 2). Faute de ratifications nécessaires, elle n’est jamais entrée en vigueur.
32
L’emploi de l’expression « guerre contre le terrorisme » par George W. BUSH au lendemain des attaques
terroristes du 11 septembre 2001, a créé une « guerre sémantique » entre deux expressions diamétralement
opposées à savoir : « guerre contre le terrorisme » et « lutte contre le terrorisme ». En raison du contexte qui
prévalait après ces attaques, l’emploi de la première expression a semblé politiquement légitime même si cela était
juridiquement maladroit et lourd de conséquences. Voir à ce propos, ANDREANI (G.), « La guerre contre le
terrorisme. Le piège des mots », AFRI, vol. IV, 2003. p. 103 ; TIGROUDJA (H.), « Quel (s) droit (s) applicable
(s) à la « guerre au terrorisme », AFDI, vol. 48, 2002, p. 82.
33
« Le terrorisme est un phénomène. Or, tant dans la pratique que du point de vue juridique, on ne peut livrer une
guerre contre un phénomène. On peut seulement combattra une partie identifiable à un conflit. Pour toutes ces
raisons, il serait plus judicieux de parler de ‘‘lutte contre le terrorisme’’ plutôt que de ‘‘guerre contre le
terrorisme’’, la première revêtant de multiples facettes ». Cf. « Droit international humanitaire : questions et
réponses », CICR, 15 mai 2004, p. 3. http://www.icrc.org/web/fre/sitefre0.nsf/html/SYYGFR. (Consulté le 20
décembre 2022).
34
Lorsqu’il est fait usage de violence armée en dehors du contexte d’un conflit armé au sens juridique du terme,
le droit international humanitaire n’est pas applicable. Seule la présence de toutes caractéristiques déterminantes
des conflits internationaux ou non internationaux, le rend applicable. Cf. RONA (G.), « Quand une ‘‘guerre’’ n’est-
elle pas une ‘‘guerre’’ ? Le droit des conflits armés et la « guerre internationale contre le terrorisme » », CICR,
2004, p. 1. Pour des détails sur l’applicabilité à l’application du DIH, voir OKOKO (G.), La « guerre contre le
terrorisme international » et le droit international humanitaire au lendemain des attentats du 11 septembre 2001,
thèse pour l’obtention du grade de docteur en droit, Université Grenoble Alpes, 2017, pp. 67-230.
35
Sur les actions susceptibles d’être menées en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte
d’agression, voir le chapitre VII (article 39 à 51) de la Charte des Nations unies.
36
Les modes de règlement politiques (ou modes non-juridictionnels) des différends sont des procédés qui ne font
pas intervenir une juridiction et n’aboutissent pas à imposer aux parties en litige une solution, mais s’efforcent de
concilier leurs intérêts réciproques. En effet, ces modes privilégient les solutions diplomatiques et politiques jugées
plus souples et plus adaptées aux intérêts des États par rapport aux solutions juridictionnelles. Au titre de ces
procédés, on distingue la négociation diplomatique, les bons offices, la médiation, l’enquête et la conciliation. À
ce propos, voir le chapitre VI (articles 33 à 38) de la Charte des Nations unies.
37
À la différence des modes de règlement politiques, les procédés juridictionnels (ou modes juridiques) conduisent
à une solution imposée aux États en litige par des tiers. D’une manière générale, on distingue deux types de modes
de règlement juridictionnels à savoir le règlement arbitral et le règlement judiciaire.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

118
a opté, du moins officiellement, pour la réponse militaire. C’est ainsi que l’armée burkinabè fait
usage de la force des armes. En général, le droit international établit qu’il n’existe pas un droit
illimité dans le choix des moyens de combat. Dès lors, l’État burkinabè a l’obligation dans
l’étude, la mise au point, l’acquisition ou l’adoption d’une arme, de déterminer si son emploi
en serait interdit, dans certaines circonstances ou en toutes circonstances. Il ne peut, dans la
défense de son intégrité territoriale, recourir à des armes de nature à causer des maux superflus
ou des souffrances inutiles, comme de celles ayant des effets indiscriminés ou traîtres.

La société burkinabè a essayé de s’adapter à la nouvelle conjoncture sécuritaire délétère


depuis ses débuts. La détérioration continuelle du contexte sécuritaire jusqu’ici constatée, a
entrainé à son tour, une révision continuelle des mécanismes socio-politiques, militaires et
stratégiques pour une adaptation et une efficacité dans la lutte contre le phénomène du
terrorisme. C’est ainsi que l’approche militaire sera repensée faisant désormais appel au civil.
En effet, le civil burkinabè a été appelé à la lutte à travers un appel à la mobilisation. Le corps
des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) a ainsi été institué. Ce corps a d’abord fait
l’objet de la loi n° 002-2020/AN du 21 janvier 2020 portant institution de VDP. Cette dernière
sera abrogée par la loi n° 028-2022/ALT du 17 décembre 202238. Aux termes de l’article 2 de
ladite loi, le VDP est une personne physique de nationalité burkinabè, auxiliaire des forces de
défense et de sécurité, servant de façon volontaire les intérêts sécuritaires de la nation, de son
village ou de son secteur de résidence, en vertu d’un contrat signé entre le volontaire et l’Etat.
La mission du VDP est de contribuer, au besoin par la force des armes, à la défense et à la
protection des personnes et des biens du village, de la commune ou de toute autre localité sur
le territoire national39. Il faut toutefois relever, qu’au-delà du simple volontariat donnant liberté
à tout citoyen de s’engager ou pas dans la défense et le maintien de l’intégrité du territoire, il
s’agit d’un véritable devoir, une obligation fondamentale. Au regard cependant des défis à
relever et des revendications sans cesse croissantes en matière de sécurité, on peut se poser la
question suivante : qu’est-ce qui caractérise le devoir citoyen de défense et de maintien de
l’intégrité territoriale en droit burkinabè ?

Il s’agira au cours de cette réflexion, de définir la matérialité, la consistance de ce devoir.


Ceci se fera à travers une approche analytique du contenu et de la portée juridique de cette
obligation. Dans ce sens, il s’agira d’interpréter l’article 10 al. 1 de la Constitution burkinabè.
La question de l’insécurité fait le quotidien du Burkinabè depuis sept ans. Elle fait l’objet d’une

38
Le 17 décembre 2022, l’Assemblée législative de transition relisait cette loi. La loi relue prend désormais en
compte le niveau national dans la compétence territoriale des VDP, donne un nouveau cadre juridique à la Brigade
de Veille et de défense patriotique (BVDP) et procède à d’importants aménagements.
39
Article 3 de la loi n° 028-2022/ALT du 17 décembre 2022 portant institution de VDP.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

119
actualité permanente et pressante. C’est la question la plus urgente. Cette question n’occulte
cependant pas, celle de la citoyenneté ou du bon citoyen en périodes troubles. La citoyenneté
en ces périodes, fait référence à des qualités, à des attitudes et à des comportements susceptibles
de contribuer à un retour rapide de la sécurité et de la paix. La présente réflexion trouve ainsi
son intérêt dans la mesure où l’engagement déterminé du citoyen dans la lutte contre le
terrorisme est aujourd’hui considéré comme l’un des tremplins indispensables vers la victoire
car comme il est bien connu, cette lutte est d’abord, burkinabè40.

Le citoyen n’est appelé à la défense et au maintien de l’intégrité territoriale que lorsque


certaines circonstances s’y prêtent et certaines conditions réunies. Les circonstances doivent
être telles que le concours du citoyen soit indispensable. Par ailleurs, le citoyen ne pourra
concourir efficacement et atteindre les finalités de son devoir que lorsque les conditions de son
intervention seront effectivement réunies. Le devoir qui lui est fait présente en effet un contenu
formellement conditionné et matériellement précisé. Sa mise en œuvre est exceptionnelle (I) et
sa consistance est duale (II).

I- UNE MISE EN ŒUVRE EXCEPTIONNELLE

Est exceptionnel, ce qui forme exception, ce qui est peu ordinaire, inaccoutumé. La
nécessité de défendre et de maintenir l’intégrité d’un territoire s’observe dans un contexte de
crise, de tension c’est-à-dire dans une période exceptionnelle. La sécurité et la paix constituent
en principe, le contexte normal dans lequel doit s’inscrire la vie en société. Elles sont en effet,
facteurs d’épanouissement pour l’individu et de développement pour l’État. L’obligation faite
au citoyen burkinabè de défendre et de maintenir l’intégrité du territoire est donc un devoir
défini par des circonstances (A) exceptionnelles. Ce devoir a été consacré dans le dessein final
de mettre fin à une situation de crise par la contribution du citoyen. Il est défini par une double
finalité (B) dans le cas spécifique du Burkina Faso.

A- LA PARTICULARITE DES CIRCONSTANCES DE MISE EN ŒUVRE

À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Le droit burkinabè autorise


la prise de mesures exceptionnelles en cas de péril imminent pour la nation. Les états d’urgence

40
Aux termes de l’article 59 de la Constitution burkinabè, « lorsque [...] l’intégrité du territoire ou l’exécution de
ses engagements sont menacées d’une manière grave et immédiate et/ou que le fonctionnement régulier des
pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président du Faso prend, après délibération en Conseil des
ministres, après consultation officielle des présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, les
mesures exigées par ces circonstances. En aucun cas, il ne peut être fait appel à des forces armées étrangères
pour intervenir dans un conflit intérieur. ». Le terrorisme tel que vécu au Burkina Faso est rallié à un conflit
intérieur et l’intégrité du territoire en fait les frais. Sa défense et son maintien incombe en premier aux Burkinabè.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

120
et de siège sont les circonstances exceptionnelles dans lesquelles le concours du citoyen dans
la défense de l’intégrité territoriale se veut plus imminent.

L’état d’urgence est prévu par l’article 58 de la Constitution burkinabè41. Les règles
régissant l’état d’urgence sont fixées par les articles 10 à 14 de la loi n° 023-2019/AN du 14
mai 2019 portant règlementation de l’état de siège et de l’état d’urgence au Burkina Faso. Aux
termes de l’article 10 al. 1, « l’état d’urgence est une situation de crise permettant aux autorités
administratives de prendre des mesures exceptionnelles en matière de sécurité et qui sont
susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des personnes ». Il peut être déclaré sur tout
ou partie du territoire, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public,
soit en cas d’évènements présentant le caractère de calamité publique de par leur nature et leur
gravité, précise l’article 10 al. 2. Deux circonstances de fait justifient donc la déclaration de
l’état d’urgence : les atteintes graves à l’ordre public et les calamités publiques.

L’état d’urgence est un régime de prééminence administrative. Déclaré par le président


du Faso par décret pris après délibération en Conseil des ministres42, l’état d’urgence entraine
une extension des pouvoirs de police des autorités administratives selon leurs domaines de
compétence. Il s’agit du ministre en charge de la sécurité, du ministre en charge de
l’administration territoriale et du chef de circonscription administrative compétent. Ces
autorités disposent de la faculté entre autres, de requérir les personnes, la force armée, les biens
et les services ; d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules, tout enseignement,
prêche, programme ou activité incitant à la violence, à la haine ou à l’extrémisme religieux ;
d’assurer le blocage de tous moyens de communication incitant à la commission d’actes de
terrorisme ou faisant leur apologie ou divulguant des informations ou stratégies militaires de
nature à exposer les forces de défense et de sécurité et à compromettre leur mission.

Le terrorisme constitue à la fois une atteinte à l’ordre public et une calamité publique.
Après trois années de calvaire et de tergiversation, c’est le 31 décembre 2018 que l’état
d’urgence sera finalement décrété pour une durée de 12 jours dans six régions43 du Burkina
Faso connaissant ainsi application dans 14 provinces44. Il sera prolongé le 13 janvier 2019 pour

41
L’article 58 de la Constitution burkinabè dispose : « Le président du Faso décrète, après délibération en Conseil
des ministres l’état de siège et l’état d’urgence ».
42
L’article 11 de la loi 023-2019 du 14 mai 2020 portant réglementation de l’état d’urgence et de l’état de siège,
retient la même formulation que l’article 58 de la Constitution en disposant que « le président déclare
respectivement l’état d’urgence et de siège par décret pris après délibération en conseil des ministres ». Ledit
décret doit préciser la durée de l’état d’urgence qui ne peut excéder 30 jours si l’Assemblée nationale est en session
et 45 jours en période hors-session.
43
Région de l’est, du nord, du centre-nord, de l’ouest, de la boucle de Mouhoun, et du sahel.
44
Les provinces de la Kossi, du Koulpelogo, de la Gnagna, du Gourma, de la Komandjari, de la Kompienga, de la
Tapoa, du Kénédougou, du Lorum, de l’Oudalan, du Séno, du Soum et du Yagha. Plusieurs autres régions et
provinces seront par la suite concernées.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

121
une durée de six mois puis le 27 décembre 2019 et ainsi de suite. D’application partielle à
application partielle et de prolongation à prolongation, le Conseil des ministres du 13 avril 2022
annonçait la volonté du Gouvernement burkinabè de décréter l’état d’urgence sur l’ensemble
du territoire national45.

Sous la IVe République, l’état d’urgence n’a été décrété que dans le but de répondre aux
attaques terroristes. Dans cette situation de crise, le citoyen burkinabè a été appelé à jouer sa
partition notamment en renforçant sa collaboration avec les forces de défense et de sécurité. À
ce titre, la Brigade de veille et de défense patriotique (BVDP)46 a lancé le 24 octobre 2022, le
recrutement de 15 000 VDP nationaux devant être déployés après formation sur le théâtre
national de la lutte contre le terrorisme. Le lendemain, le 25 octobre 2022, la BVDP annonçait
le recrutement de 35 000 VDP communaux, soit 100 VDP par commune. Ces derniers ont pour
mission de protéger aux côtés des forces de défense et de sécurité, les populations et les biens
de leurs communes d’origine47. Le gouvernement burkinabè a ainsi demandé le concours de
toutes les personnes physiquement et psychologiquement aptes dans la lutte pour le retour de
la sécurité et de la paix. Si c’est le volontariat48 qui a été mis en avant par le Gouvernement
burkinabè, il faut relever que le citoyen se doit d’en faire une obligation car il s’agit d’un devoir
fondamental. La liberté reconnue au citoyen de s’enrôler dans le corps des VDP, ne constitue
donc pas une application rigoureuse de l’article 10 al. 1 de la Constitution ni des pouvoirs
reconnus aux autorités administratives dans ce contexte de crise. Peut-être qu’il s’agit d’une
première étape d’une stratégie nationale de mobilisation si l’on sait, que le citoyen (civil)
burkinabè n’a pas toujours été un habitué du combat sur le terrain car n’ayant pas toujours été
impliqué49. À l’instar de l’état d’urgence, le citoyen burkinabè peut être appelé à l’exécution de
son devoir dans la défense et de maintien de l’intégrité territoriale lorsqu’il y a état de siège.

45
Ce n’était toujours pas le cas à la date du 02 décembre 2023.
46
La BVDP a été créée par le décret n°2022-0369/PRES-TRANS/PM/MDAC/MATDS/MEFP en date du 22 juin
2022. Elle regroupe l’ensemble des VDP engagés dans les communes du Burkina Faso, les militaires des forces
armées nationales qui y sont détachés ainsi que toute autre personne pour nécessité de service. Elle a pour mission
de coordonner l’ensemble des opérations des groupes de VDP sur le territoire national en coordination avec les
différents états-majors des FDS.
47
Voir respectivement les Communiqués des 24 et 25 octobre 2022 de la BVDP sur www.burkina24.com (consulté
le 20 décembre 2022).
48
Le volontariat national s’entend « de toute activité non rémunérée, exercée librement, à temps plein, sur une
période déterminée et de façon désintéressée par toute personne physique au profit d’une personne morale de droit
public ou de droit privé poursuivant une mission d’intérêt général ou d’insertion professionnelle ou pour le
développement social, économique et culturel d’une communauté de base ou d’une collectivité ». Cf. Article 2 al.
2 de la loi n° 031-2007/AN portant institution d’un corps de volontaires nationaux au Burkina Faso.
49
Sous la révolution, le Conseil National de la Révolution (C.N.R) (1983-1987) avait institué des Comités de
défense de la révolution (CDR). En ce qui concerne la nature des CDR, le statut dispose qu’ils « constituent
l’organisation authentique du peuple dans l’exercice du pouvoir révolutionnaire. Ils sont l’instrument que le peuple
s’est forgé pour la maîtrise souveraine de son destin. Ils ne sont pas un parti. Ils sont un mouvement de masse
auquel adhère le peuple sur la base de la plateforme anti-impérialiste. Ces comités avaient pour mission de défendre
la Révolution Démocratique et Populaire, c’est-à-dire sauvegarder les acquis révolutionnaires, garantir la
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

122
L’état de siège est un pouvoir de crise prévu par l’article 58 de la Constitution burkinabè.
Il est régi par les articles 4 à 9 de la loi n° 023-2019/AN du 14 mai 2019 portant règlementation
de l’état de siège et de l’état d’urgence au Burkina Faso. Aux termes de l’article 4 al. 1 de ladite
loi, l’état de siège est « un régime exceptionnel de police qui a pour effet de transférer aux
autorités militaires l’exercice des pouvoirs de police ». Il peut être déclaré50 sur tout ou partie
du territoire national en cas de péril imminent pour la nation résultant d’une insurrection armée
ou d’une invasion étrangère. Ces deux circonstances de fait justifient donc la déclaration d’un
état de siège.

L’état de siège est un état de prééminence militaire. Dès déclaration de l’état de siège,
les pouvoirs dont l’autorité civile est investie pour le maintien de l’ordre public sont désormais
dévolus en tout ou partie à l’autorité militaire51. L’autorité militaire est désormais le responsable
du maintien et du rétablissement de l’ordre dans les régions relevant de sa compétence
territoriale52. Dans ce régime exceptionnel, l’autorité militaire dispose des pouvoirs dont est
investie l’autorité administrative lorsqu’il s’agit de l’état d’urgence. Toutefois, l’autorité
militaire dispose à titre particulier, du pouvoir :
- de soumettre à contrôle et à répartition les ressources destinées au ravitaillement et à
cet effet, imposer aux personnes physiques ou aux personnes morales en leurs biens, les
sujétions indispensables ;
- faire appel à l’emploi de défense, à titre individuel ou collectif.

Lorsque l’état de siège est décrété, la compétence des tribunaux militaires est étendue à
certaines infractions qui ne relevaient pas de son champ de compétence et à celles commises
par les civils. En effet, elles seront chargées de juger les crimes et délits contre la sureté de
l’état, à la Constitution et aux libertés publiques quelle que soit la qualité (militaire ou civile)
des auteurs et des complices53.

Dans l’histoire politique du Burkina Faso, l’état de siège n’a connu une application
qu’une seule fois. Le fait déclencheur de cette application fut l’insurrection populaire des 30 et
31 octobre 2014 ayant entrainé la renonciation au pouvoir par l’ex président du Faso, Blaise

continuité, œuvrer à atteindre tous les objectifs fixés. À ce titre, ils doivent participer activement à la construction
socio-économique du pays, au maintien de sa sécurité et de sa défense militaire, à la formation politique et
idéologique, à l’éradication de toutes les entraves au développement. Cf. LOADA (A.) et IBRIGA (L. M.), Précis
de droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit, p. 352.
50
Comme l’état d’urgence, « le président du Faso déclare l’état de siège par décret pris après délibération en
Conseil des ministres ». Cf. article 6 de la loi 023-2019 du 14 mai 2020 portant réglementation de l’état d’urgence
et de l’état de siège.
51
Article 5 al. 1 de la loi 023-2019 du 14 mai 2020. L’autorité civile continue cependant d’exercer les pouvoirs
dont elle n’est pas dessaisie.
52
Article 8 al. 1 de la loi 023-2019 du 14 mai 2020.
53
Article 8 al. 2 de la loi 023-2019 du 14 mai 2020.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

123
Compaoré. La déclaration de l’état de siège par le président Compaoré fut très éphémère car,
déclaré le 30 octobre 2014, il a été levé le même jour. Ceci s’est expliqué entre autres, par la
crainte de voir la mise en œuvre de ce pouvoir de crise causer plus de difficultés qu’il n’en
aurait résolues54.

Si le terrorisme - tel que vécu au Burkina Faso - n’est pas assimilable à une insurrection
armée, il se rapproche de l’invasion armée même si les informations officielles ne rattachent
pas les auteurs des actes terroristes y perpétrés à l’armée d’un État. Par invasion d’un territoire,
on entend l’irruption violente de forces militaires d’un État dans le territoire d’un autre État, à
des fins politico-militaires, c’est-à-dire stratégiques, ou seulement tactiques55. La situation qui
en découle pour le territoire envahi est transitoire. La durée d’une invasion est en fait brève,
puisque soit les forces d’invasion sont rapidement repoussées au-delà de la frontière violée, soit
elles se retirent parce que l’opération consistait en une incursion visant à évaluer la résistance
adverse, à recueillir des informations, à capturer des prisonniers, à effectuer des destructions,
etc. Si l’intention de l’envahisseur est de rester en possession du territoire envahi et qu’elle se
réalise, ce dernier se transforme alors en territoire occupé56. Aujourd’hui, la majorité du
territoire burkinabè n’est pas sous contrôle des autorités burkinabè57. Certes, le Burkina Faso
n’est pas un territoire occupé mais il est envahi par des groupes armés « non identifiés »58 selon
l’appellation officielle.

Face au péril imminent que vit le Burkina Faso du fait des attaques terroristes, l’état de
siège peut être déclaré. Il ne l’est pas encore en dépit des multiples appels peut-être parce que
les autorités burkinabè jugent la situation gérable et sont confiantes quant à leurs stratégies de
lutte. S’il l’était, le citoyen burkinabè aurait été sûrement dans l’obligation de prendre les armes
aux côtés des forces républicaines, pour défendre et maintenir l’intégrité du territoire à l’image
d’une levée en masse59. La réalisation effective de ce devoir nécessite une implication spéciale
de l’État.

54
Le décret proclamant l’état de siège n’avait pas été signé d’où un vice de forme entachant son opposabilité.
Aussi, face à la vacance de la présidence du Faso due à la démission du président et la fuite du président de
l’Assemblée nationale à qui revenaient les fonctions de président, l’armée républicaine prenait le pouvoir.
55
VERRI (P.), Dictionnaire du droit international des conflits armés, Genève, CICR, 1988, p. 119.
56
Ibid, pp. 119-120.
57
À la date du 1er décembre 2022, aucun pourcentage de l’occupation n’avait été officiellement communiqué.
58
Même si l’on sait que ces groupes ont un minimum d’organisation, de structure et une chaîne de commandement.
59
La levée en masse désigne « la population d’un territoire non occupé qui, à l’approche de l’ennemi, prend
spontanément les armes pour combattre les troupes d’invasion, sans avoir eu le temps de se constituer en forces
armées régulières. Ses membres sont considérés comme des combattants pour autant qu’ils portent les armes ou-
vertement et respectent les lois et coutumes du droit des conflits armés. S’ils sont capturés, ils ont droit au statut
de prisonniers de guerre. La levée en masse ne doit pas être confondue avec les mouvements de résistance ». Cf.
VERRI (P.), op. cit, p. 71.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

124
B- L’IMPLICATION SPECIALE DE L’ÉTAT

La mobilisation du citoyen ne peut être efficace que lorsqu’une stratégie efficace de


combat et de mobilisation susceptible d’assurer une victoire éventuelle, est mise en œuvre. À
cet effet, l’État burkinabè peut user des pouvoirs nécessaires pour une mobilisation optimale.
Qu’il s’agisse d’une situation d’état d’urgence ou de siège, l’État burkinabè dispose du droit de
requérir les personnes, la force armée, les biens et les services60, du droit d’appel à l’emploi de
défense à titre individuel ou collectif.

La réquisition est un procédé qui permet à un État de contraindre tout citoyen à répondre
favorablement à l’appel à la mobilisation qu’il a lancé. L’État a, le plus souvent, recours à ce
procédé, lorsque les forces armées républicaines, au regard de leur puissance de frappe et
surtout de leur nombre, ne peuvent à elles seules relever efficacement le défi de la défense de
l’État et dans le cas particulier, de la défense et du maintien de l’intégrité du territoire étatique.
À la différence du volontariat, la réquisition n’exige pas un accord de volonté entre l’État et le
citoyen réquisitionné. Au Burkina Faso, elle est consacrée par le décret n° 2023-475/PRES-
TRANS/PM/MDAC/MATDS/MJDHRI du 19 avril 2023 portant mobilisation générale et mise
en garde61.

La réquisition porte atteinte au droit fondamental du citoyen à la libre circulation. Ce


droit recouvre plusieurs libertés : le droit d’entrée62, le droit de résidence63 et le droit
d’établissement64. Il faut ajouter à ceux-ci, le droit de sortie c’est-à-dire de quitter un territoire.
C’est ce dernier droit qui est véritablement mis en valeur en périodes de crise profonde. En
effet, en ces périodes (conflit armé, attaques terroristes, épidémie, etc.), tout citoyen pourrait
nourrir naturellement l’idée de se réfugier dans un autre État afin d’échapper aux souffrances,
aux persécutions ou menaces de persécutions. Ceci est d’ailleurs un droit pour lui65. S’il est

60
Article 9 et 13 de la loi n° 023-2019/AN portant règlementation de l’état de siège et de l’état d’urgence.
61
Ce décret a été pris en application de l’article 3 de la loi n° 26/94/ADP du 24 mai 1994 portant organisation
générale de la défense nationale et son modificatif n° 007-2005/AN du 7 avril 2005. Cette mobilisation a été
décrétée pour une durée de 12 mois.
62
Ce droit désigne l’accès au territoire national d’un Etat donné par un étranger. Ce droit est le pas initial dans la
mise en œuvre de la libre circulation et l’effectivité des droits de résidence et d’établissement.
63
Il s’agit du droit de séjourner dans un Etat autre que celui dont on a la nationalité.
64
Il s’agit du droit d’élire résidence et de s’installer dans un Etat autre que celui dont on a la nationalité.
65
En droit international public, le terme ‘‘réfugié’’ a donné lieu à des définitions très précises : il s’applique à
toute personne qui a fui le pays dont il a la nationalité en raison des persécutions ou des menaces de persécutions
dont il a fait l’objet. La Convention de l’Organisation de l’Unité Africaine, ainsi que certaines Résolutions de
l’Assemblée générale des Nations unies ont, par la suite, étendu le statut de réfugié à toute personne fuyant son
pays en raison d’un conflit armé ou de troubles intérieurs. Les personnes qui remplissent les conditions prévues
par les instruments juridiques internationaux acquièrent le statut de réfugiés. Elles sont liées par un régime de
droits et d’obligations spécifiques. Le DIH ne contient pas, quant à lui, de définition du concept de réfugié. Au
sens de ce droit, le réfugié est avant tout une personne civile, le critère déterminant étant ici celui de l’absence de
protection par un gouvernement. Cf. VERRI (P.), op. cit, p. 105.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

125
réquisitionné, le citoyen perd son droit de quitter le territoire national. Il doit y rester contre son
gré dans le dessein de contribuer à la lutte.

La réquisition porte également atteinte à la liberté de choix du citoyen. Même s’il s’agit
d’un devoir fondamental pour lui de concourir à la défense et au maintien de l’intégrité du
territoire, le citoyen peut estimer ne pas être en mesure d’y concourir soit parce qu’il estime ne
pas être apte physiquement et/ou psychologiquement soit parce que des charges familiales et
autres ne le lui permettraient pas. Dès qu’il y a réquisition du citoyen, ce dernier n’a plus de
marge de manœuvre en dehors de celle de rejoindre les forces armées républicaines pour la
bonne cause. À cet effet, il est appelé à abandonner famille et enfants, parents, amis, emploi,
etc.

Pour son efficacité, la note de réquisition doit respecter certaines conditions de forme et
de fond. Sur la forme, elle doit être formulée par écrit et signée66. En tant que note officielle,
elle doit respecter les éléments de forme des actes administratifs officiels notamment des actes
règlementaires. En outre, elle doit émaner des autorités habilitées. À cet effet, une commission
de réquisitions est mise en place auprès du ministre chargé de la Défense et des gouverneurs de
régions67. En ce qui concerne les conditions de fond, la note de réquisition doit être précise en
tout point indiquant entre autres quel citoyen ou quelle ‘‘catégorie’’ de citoyens est
réquisitionnée c’est-à-dire les critères à remplir notamment les conditions physique, d’âge, de
sexe, etc. Dans le cas spécifique du Burkina Faso, c’est à la suite d’un décret de l’ex président
de la transition, le Lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo DAMIBA68, que le ministre d’État,
ministre de la défense et des anciens combattants, par communiqué en date du 18 mars 2022,
informait les anciens militaires des forces armées nationales du Burkina Faso, des armées de
terre, de l’air et de la gendarmerie nationale, non officiers, de leur mobilisation au titre de la
réserve opérationnelle qui se déroulera du 24 mars au 04 avril 202269 et dans le cadre de la
défense et du maintien de l’intégrité territoriale remise en cause par le terrorisme70. L’article 5
du décret n° 2023-475 portant mobilisation générale et mise en garde cite les catégories de
personnes susceptibles d’être réquisitionnées. Il s’agit :

66
Article 3 du décret n° 2023-475 portant mobilisation générale et mise en garde.
67
Idem.
68
Le 24 janvier 2022, le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la renaissance (MPSR) avec à sa tête le
lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo DAMIBA, prenait le pouvoir. Ce coup de force perpétré contre le
président Roch Marc Christian KABORÉ prendra fin le 30 septembre 2022 soit huit mois après. En effet, le 30
septembre, le Capitaine Ibrahim TRAORÉ membre du même mouvement (MPSR) renversait le lieutenant-colonel
DAMIBA. Il sera investi président du Faso.
69
Ce communiqué présentait tous les détails essentiels : les corps et rangs des militaires concernés, les postes de
commandement des formations militaires pour les formalités de recensement, les conditions d’ensemble de leurs
déploiement sur le terrain ainsi que la fin de ce déploiement.
70
À la date du 02 décembre 2023, la mobilisation générale n’avait toujours pas été décrétée au Burkina Faso.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

126
- des membres des forces de défense et de sécurité ;
- des membres des forces de défense et de sécurité en position de non activité ;
- des jeunes gens de 18 ans ou plus, non membres des forces armées nationales,
physiquement aptes, appelés à s’enrôler selon les besoins exprimés par les autorités
compétentes. De nombreuses personnes ont été à cet effet réquisitionnés.
Dans le cadre de la défense et du maintien de l’intégrité territoriale, le civil réquisitionné ou qui
s’est volontairement engagé, est appelé à se voir militarisé.

La militarisation du civil consiste à lui faire acquérir la carrure d’un militaire c’est-à-
dire d’un membre des forces armées. Ceci est une nécessité car seule la militarisation offrira
aux citoyens étrangers ou non aux armes, les moyens d’affronter le terrain et d’y faire face
efficacement. La militarisation passe d’abord et en principe, par une formation militaire. Dans
son communiqué du 24 octobre 2022 portant recrutement de VDP nationaux au Burkina Faso,
la BVDP précisait que les volontaires recrutés suivront une formation militaire et civique.
L’urgence commande une formation initiale de base pointue et accélérée71. Le civil devra être
efficacement formé sur les plans physique et psychologique dans la mesure où seuls des civils
physiquement et psychologiquement aptes, sont en mesure de supporter la terreur des armes et
de riposter efficacement au cours d’un affront. Il s’agit donc d’exigences élémentaires
indispensables. Sur le plan psychologique, le citoyen doit avoir connaissance de long en large
de la portée de sa réquisition ou de son engagement, de la déontologie du militaire et en être
convaincu. Le droit burkinabè joint une formation civique à celle militaire car elle se révèle
essentielle. La formation civique a pour but de forger chez le burkinabè servant sous le drapeau
le sentiment de patriotisme, de lui inculquer le sens de la solidarité ainsi que la notion des droits
et devoirs qui lui incombent en tant que citoyens vis-à-vis de la communauté nationale72. Cette
formation doit permettre aux citoyens engagés de prendre davantage conscience de leurs
obligations, de la nécessité et l’acceptation des sacrifices qui leurs seront demandés.

La militarisation implique également une formation du citoyen dans le maniement des


armes sur le terrain, dans l’utilisation des moyens de communication et dans la conduite de
certains engins militaires. Ceci consistera à lui apprendre ou à renforcer son aptitude à tenir une
arme, à viser, à tirer et à atteindre son objectif sans se mettre en danger. Le citoyen peut
également être entrainé à l’utilisation de certaines armes modernes ou certains vecteurs tels les

71
« Le Volontaire pour la défense de la Patrie bénéficie d’une formation initiale au cours de laquelle il reçoit un
équipement spécifique » dispose l’article 9 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP sans préciser sa durée.
La durée de cette formation est fonction de l’urgence et des buts à atteindre. Avant que l’on ne tourne vers une
formation initiale, les VDP recevaient une formation civique et militaire de 14 jours avant d’être armés.
72
Article 34 du décret portant règlement de discipline générale dans les Forces armées nationales.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

127
drones de combat73 et lanceurs de missiles. Il doit être capable de conduire certains engins
routiers notamment ceux qui sont les plus commodes à savoir les véhicules automobiles
(notamment les véhicules blindés de combat) et les engins à deux roues. Il doit être en mesure
de communiquer sur le terrain et donc, savoir utiliser son émetteur-récepteur communément
appelé « talkie-walkie », son téléphone portable ou tout autre instrument de communication.

La militarisation exige par ailleurs, l’armement du civil. Il s’agit de l’équiper avec tout
ce qui est nécessaire pour un combat sur le terrain. L’État est appelé à déterminer quelle tenue
(uniforme)74 le citoyen peut porter ; quels types d’armes75, combien d’armes, combien de
chargeurs (munitions), quel instrument de communication, etc., il peut disposer dans le cadre
de la lutte. Ceci se fera en fonction entre autres, du contexte du combat, de la force de frappe
de l’ennemi, de la stratégie de combat et de l’évolution technologique dans le domaine des
armes. Cependant, comme précédemment vu, sont exclus les ADM. Seules les armes classiques
légères76 ou lourdes77 sont autorisées à l’exclusion de celles qui peuvent être considérées
comme produisant des effets traumatisants excessifs ou comme frappant sans discrimination78.
Le droit burkinabè notamment celui sur les VDP ne précise pas expressément quelles catégories
et quels types d’armes classiques, le citoyen peut être amené à utiliser. Il est simplement précisé
qu’il peut concourir à la défense au besoin, par « la force des armes »79. Il faut se référer à une
autre loi pour déterminer la composante de cette force. En effet, aux termes de l’article 44 al. 1
de la loi n° 030-2021/AN du 18 mai 2021 portant régime général des armes, de leurs pièces,
éléments, munitions et autres matériels connexes au Burkina Faso, « le port et la détention,
l’usage, des armes de guerre, de leurs pièces, éléments, munitions et autres matériels connexes
sont interdits aux civils sauf dans les cas de la défense de la patrie, d’une reconstitution
historique ou d’une mise en scène avec l’autorisation de l’autorité militaire ». L’article 3 de
ladite loi définit l’arme de guerre, comme « toute arme à feu à canon rayé ou lisse, ses pièces,

73
Les drones sont des aéronefs sans équipage à pilotage automatique ou télécommandé, à usage civil ou militaire.
74
Le port de l’uniforme militaire symbolise de façon générale, l’appartenance à l’armée. Elle caractérise en premier
lieu, l’engagement du militaire au service de la Nation. Elle traduit en second lieu, la reconnaissance du civil par
la Nation. Elle traduit en troisième lieu, la cohésion au sein des différents corps et est, enfin, symbole de prestige.
Au combat, le port de l’uniforme permet de se prévaloir des garanties prévues par les conventions internationales.
Hélas, la loi burkinabè ne prévoit pas une tenue spécifique pour le VDP. Ils ne sont donc pas dotés en uniformes.
75
On distingue les armes de guerre et les armes civiles. Ces dernières sont destinées à la chasse, au tir sportif ou à
la collection.
76
Elles désignent les armes susceptibles d’être transportées et utilisées par un seul individu, sans que l’utilisation
d’un support, tel un trépied, soit indispensable. Sont de cette catégorie, les armes individuelles comme les pistolets,
les pistolets-mitrailleurs, les fusils (fusils à pompe, d’assaut, de précision, etc.), et les mitrailleuses légères.
77
Il s’agit des armes à grande capacité destructrice anti-matériel, y compris anti-char et anti-aérien et anti-
personnel, non transportable par un combattant à pied. Comme exemple, on a les chars, les canons, les lance-
roquettes multiples, les mortiers, les missiles, les mitrailleuses lourdes.
78
Voir à ce propos, la Convention sur l’interdiction ou la limitation de certaines armes classiques qui peuvent être
considérées comme produisant des effets traumatisants excessifs ou comme frappant sans discrimination adoptée
à Genève, le 10 octobre 1980.
79
Article 3 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

128
éléments, munitions et autres matériels connexes conçues pour ou destinées, à la guerre
terrestre, navale ou aérienne ». Le VDP peut donc porter des armes de guerre classiques de
toutes catégories80 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

La militarisation passe enfin par un déploiement du civil sur le terrain des opérations
auprès des forces armées républicaines. Avant cela, il sied que le citoyen ait une idée sur ce qui
se passe sur le terrain et sur les éventuelles tactiques de communication, de déploiement et de
déplacement. Ceci exige par conséquent, une formation sur ces aspects et des exercices de
simulation en dépit de l’urgence. Cela est nécessaire pour une lutte réussie et pour un don de
soi optimal de la part du citoyen. En gros, la militarisation exige que tout soit mis en œuvre par
l’État afin de permettre aux citoyens engagés d’être opérationnels et efficaces dans l’action.
Dans l’observance de son devoir citoyen de défense et de maintien de l’intégrité du territoire
burkinabè, le citoyen est tenu par un ensemble d’obligations complémentaires.

II- UNE CONSISTANCE DUALE

L’observance par le citoyen de son obligation de participer à la défense et au maintien


de l’intégrité du territoire ne peut être effective que si l’État burkinabè joue sa partition. Outre
la réunion des conditions de cette exécution, l’État doit s’assurer que les interventions sur le
terrain se feront sans grandes incohérences tactiques ou stratégiques. Faisant désormais corps
avec les forces armées républicaines, le citoyen engagé est appelé à assumer pleinement ses
obligations. Toutefois, cet engagement ne peut être optimal que si le citoyen est pleinement
convaincu de la mission que la nation lui a assignée. Il doit être en effet psychologiquement
apte comme exige la loi. C’est ainsi qu’il saura réellement faire preuve de patriotisme (A) et de
sacrifice (B) dans la réalisation de cette mission.

80
Aux termes du droit burkinabè, relèvent des catégories d’armes classiques :
- les chars de combat ;
- les véhicules blindés de combat ;
- les systèmes d’artilleries de gros calibres ;
- les avions de combat ;
- les hélicoptères de combat ;
- les drones armés ;
- les navires de guerre ;
- les missiles et lanceurs de missiles ;
- les armes légères et armes de petit calibre. ».
Cf. article 3 de la loi n° 030-2021/AN portant régime général des armes, de leurs pièces, éléments, munitions et
autres matériels connexes au Burkina Faso.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

129
A- LE DEVOIR DE PATRIOTISME

Selon le dictionnaire français Le Petit Robert, le patriotisme désigne « l’amour de la


patrie ; le désir, la volonté de se dévouer, de se sacrifier pour la défendre, en particulier contre
les attaques armées »81. Est patriote, la personne qui aime sa patrie et la sert avec dévouement.
Dans l’exécution de son devoir dans la défense et le maintien de l’intégrité du territoire national,
le citoyen doit être animé d’un élan patriotique. C’est donc sous des sentiments patriotiques
qu’il doit assumer son engagement. À cet effet, il est appelé à donner le meilleur de lui-même.
Cela signifie, avant toute chose, qu’il doit être animé d’un amour inconditionnel pour sa patrie.
Dans un contexte particulier où l’intégrité territoriale est violée, il est autorisé à être un citoyen
patriotard c’est-à-dire animé d’un amour exagéré, démesuré pour la patrie.

Le patriotisme exige que le citoyen soit dévoué. Le dévouement passe avant toute chose
par la discipline, l’obéissance. Comme tout militaire82, le citoyen volontairement engagé et a
fortiori celui qui a été réquisitionné doit, dans sa fonction, faire preuve de discipline nécessaire
à l’accomplissement de la mission. Il doit obéissance à l’autorité militaire83. Il doit donc respect
et considération à l’ensemble de la hiérarchie militaire quel que soit le corps ou l’Unité avec
laquelle il doit composer. En retour, les membres de la hiérarchie militaire, à quel que degré
que ce soit, doivent traiter leurs subordonnés avec équité, être pour eux des exemples, leur
porter tout l’intérêt et leur témoigner tous les égards dus à des compagnons d’armes qui
assument avec eux la mission de sauvegarde de l’intégrité du territoire et de l’honneur de la
Patrie84. Outre le respect des personnes, l’obligation d’obéissance exige le respect des textes.
En droit burkinabè, le citoyen engagé se doit de respecter les lois, les règlements, les us et
coutumes de la guerre ainsi que les conventions internationales auxquelles le Burkina Faso est
partie85. Le Burkina Faso a adhéré aux différents instruments officiels internationaux prévus
par le droit de la guerre et applicables dans les conflits armés internationaux et non
internationaux. Il est également partie aux différents instruments internationaux en matière de
protection des droits de l’homme86. En effet, même s’il s’agit du terrorisme, sont et demeurent
prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes (terroristes) qui ne participent

81
REY-DEBOVE (J.) et REY (A.) (sous dir.), Le Petit Robert, 2017, p. 1832.
82
« Tout militaire doit, dans sa fonction, faire preuve de conscience professionnelle et de discipline nécessaire à
l’accomplissement de la mission. ». Cf. § 2 du Préambule du décret n°2008-700/PRES/PM/DEF du 14 novembre
2008 portant règlement de discipline générale dans les Forces armées nationales.
83
Article 14 al. 1 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP.
84
Cf. § 2 du Préambule du décret n°2008-700/PRES/PM/DEF portant règlement de discipline générale dans les
Forces Armées Nationales.
85
Article 14 al. 2 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP.
86
Selon leur apparition, quatre générations de droits de l’homme existeraient selon la doctrine : les droits civils et
politiques, les droits économiques, sociaux et culturels, les droits de l’homme dits de solidarité et les droits de
l’homme bioéthiques. V. à ce propos BENAR (G.), « Vers des droits de l’homme de la quatrième dimension », in
VASAK (K.), Les droits de l’Homme à l’aube du XXIe siècle, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 75-114.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

130
pas directement aux hostilités, et celles qui ont été mises hors de combat pour maladie, blessure,
détention, ou pour toute autre cause :
- les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes
ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;
- les atteintes à la dignité humaine notamment les traitements humiliants et dégradants ;
- les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement
préalable87. Par ailleurs, les blessés et malades doivent être recueillis et soignés.

Les dispositions du droit international relatif aux droits de l’homme complètent certains aspects
du droit humanitaire et protègent également les personnes qui sont vulnérables en pareilles
situations. En outre, le droit interne burkinabè apporte certaines protections supplémentaires,
pose des limites au comportement, et constitue un cadre de garanties à respecter dans la lutte
contre le terrorisme. Le citoyen engagé est dès lors, également tenu par ces différents
instruments dans la défense et le maintien de l’intégrité de son territoire. Il lui est par
conséquent, interdit d’accomplir tout acte contraire à l’une ou l’autre de la règlementation
applicable.

L’obligation de dévouement exige par ailleurs, la disponibilité du citoyen engagé. Il peut


en effet, comme c’est le cas en droit burkinabè, être appelé à servir en tout temps88. Il doit
répondre présent, sauf cas de force majeure, à tout appel de la hiérarchie militaire et se rendre
disponible par exemple pour toute intervention sur le terrain ou pour tout exercice de
perfectionnement physique, psychologique ou technique. Lorsque l’exercice d’activités
accessoires est de nature à compromettre l’exécution de sa mission principale, il se doit
d’acquérir une autorisation de sa hiérarchie.

L’obligation de dévouement exige en sus, l’exécution par le citoyen engagé des missions
à lui confiées. Il est en effet responsable de cette exécution et doit à cet effet, exécuter avec
probité et ardeur les différentes tâches qui lui reviennent dans le cadre de la défense et du
maintien de l’intégrité territoriale89. Son action doit s’inscrire dans le professionnalisme afin de
contribuer efficacement à atteindre les résultats de la lutte engagée. Dans l’exécution de ses
différentes tâches, il est astreint à collaborer avec les autres forces de défense et de sécurité.

87
Cf. Article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le Protocole II additionnel aux quatre Conventions
de Genève, adopté le 8 juin 1977.
88
« Le Volontaire pour la défense de la Patrie est appelé à servir en tout temps [...] ». Cf. Article 13 al. 1 de la loi
n° 028-2022/ALT.
89
En général, lesdites tâches sont circonscrites. En droit burkinabè, « il est interdit au Volontaire pour la défense
de la Patrie de poser des actes de police judiciaire ou d’effectuer des missions de maintien de l’ordre ». Cf. Article
17 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

131
Le patriotisme exige à la fois, une loyauté et une intégrité de la part du citoyen engagé.
Par sa loyauté, il sera tenu de tenir parole, de faire honneur à ses engagements. L’intégrité
appelle le citoyen engagé à être d’une probité incorruptible. Il doit être honnête, vertueux, probe
de sorte à ne jamais être en mesure de marchander son engagement auprès de quiconque a
fortiori auprès de l’ennemi, d’espionnage90, de trahison91. Dans le cas spécifique de
l’engagement volontaire, le VDP est soumis à l’obligation de réserve et de protection du secret
même après cessation de ses fonctions. Il s’abstient de tout acte ou propos de nature à porter
atteinte à l’ordre public92.

La loyauté et l’intégrité impliquent par conséquent, que le citoyen engagé coopère de


bonne foi. Il lui est interdit de priver son engagement à participer à la lutte, de son objet et de
sa finalité. Il doit être animé par une volonté réelle de vaincre l’ennemi. Cette obligation
s’impose avant même sa réquisition ou la signature au titre du volontariat de son engagement
car elle est la motivation, l’élément catalyseur de la tenue et de la poursuite de sa mission. Est
contraire à la bonne foi, le mépris des règles et procédures arrêtées dans le cadre de la lutte, que
ce soit par des moyens directs ou détournés ainsi que la rupture manifestement injustifiée de
son engagement à servir auprès des forces armées nationales93.

Le citoyen qui ne fera pas preuve de patriotisme dans la défense et le maintien de


l’intégrité territoriale, peut se voir appliqué des sanctions pénales, disciplinaires ou statutaires.
En droit pénal burkinabè, la trahison par exemple, est punie de l’emprisonnement à vie. Est
puni d’une peine d’emprisonnement de 30 ans ou d’une peine d’emprisonnement à vie, tout
étranger ou apatride coupable d’espionnage94. Est puni, en temps de guerre, d’une peine
d’emprisonnement de cinq ans à dix ans et d’une amende de un million (1 000 000) à huit

90
Est coupable d’espionnage et puni d’une peine d’emprisonnement de 30 ans, tout étranger ou apatride qui
commet l’un des actes prévus aux articles 311-1 et 311-3 du Code pénal burkinabè. VOIR infra, note 90.
91
En droit burkinabè, est coupable de trahison tout Burkinabè qui, entre autres :
˗ porte les armes contre l’État ;
˗ entretient des intelligences avec une puissance étrangère en vue de l’amener à entreprendre des hostilités contre
le Burkina Faso ou lui en fournit les moyens, soit en facilitant la pénétration de forces étrangères sur le territoire
burkinabè, soit en ébranlant la fidélité des armées, soit de toute autre manière ;
˗ livre à une puissance étrangère ou à ses agents, soit des troupes, soit des territoires, villes, ouvrages, postes,
magasins, arsenaux, bâtiments, matériels, munitions, navires, appareils de navigation aérienne ou de locomotion
ferroviaire appartenant au Burkina Faso ou affectés à sa défense ;
˗ en vue de nuire à la défense nationale, détruit ou détériore un navire, un appareil de navigation aérienne ou de
locomotion ferroviaire, un matériel, une fourniture, une construction ou une installation quelconque, ou qui, dans
le même but, y apporte, soit avant, soit après leur achèvement, des malfaçons de nature à les endommager, à les
empêcher de fonctionner normalement ou à provoquer un accident.
Cf. article 311-1 de la loi n° 025-2018/AN du 31 mai 2018 portant Code pénal burkinabè. Pour plus de détails,
voir les articles 311-2 et 311-3.
92
Article 16 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP.
93
En effet, les conditions de démobilisation et de désengagement sont précisées par voie règlementaire. Cf. article
10 al. 2 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP.
94
Article 311-4 du Code pénal burkinabè.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

132
millions (8 000 000) de francs CFA quiconque, ayant une connaissance complète de projet ou
date de trahison ou d’espionnage, sur la nature desquels il ne pouvait se méprendre, n’en fait
pas la déclaration aux autorités administratives, militaires ou judiciaires, dès le moment où il
les a connus95. Sur le plan disciplinaire ou statutaire, il peut s’agir de l’avertissement96, de la
consigne97, du blâme98, etc. En plus de l’engagement patriotique, le citoyen engagé dans le
cadre de la défense et du maintien de l’intégrité territoriale, est tenu par un devoir de sacrifice.

B- LE DEVOIR DE SACRIFICE

La notion de sacrifice renvoie de façon générale à celles de la privation, du renoncement,


du don. Se sacrifier, c’est se dévouer à quelque chose ou à quelqu’un sans réserve99. Dans le
cadre spécifique de la défense et du maintien de l’intégrité territoriale, un tel dévouement est
exigé de la part du citoyen comme il l’est de la part de chaque militaire. En effet, « l’état
militaire exige en toute circonstance, [...] esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice
suprême »100. Ainsi, la qualité de citoyen engagé exige également en toute circonstance, un
esprit de sacrifice pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême101 c’est-à-dire la mort. Ceci signifie
que le citoyen doit être prêt à se sacrifier, à donner sa vie pour son pays. Autrement dit, la
crainte de la mort ne doit pas constituer un obstacle à son engagement auprès des forces armées
républicaines. Cela ne signifie pas que cet engagement doit se conclure fatalement. Le citoyen
doit toutefois l’envisager et l’accepter car comme le disait l’ex président burkinabè Thomas
SANKARA, « la patrie ou la mort, nous vaincrons »102.

Aux termes de l’article 12 al. 1 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP, « le VDP
bénéficie de la protection de l’État dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission ».
Il en découle une obligation au compte de l’État notamment celle de protéger le citoyen c’est-

95
Article 311-6 de la loi portant Code pénal. Voir également l’article 311-7 dudit Code.
96
L’avertissement sanctionne une faute sans gravité.
97
La consigne sanctionne une faute peu grave ou des fautes légères répétées. Elle prive le concerné, pendant sa
durée, des sorties et autorisations d’absence auxquelles il pouvait prétendre.
98
Le blâme sanctionne une faute militaire ou professionnelle grave ou très grave. Pour plus de détails sur les
sanctions, voir les articles 79 et suivants du décret n° 2008-700/PRES/PM/DEF du 14 novembre 2008 portant
règlement de discipline générale dans les Forces armées nationales.
99
Dictionnaire Larousse, 2008, p. 381.
100
Cf. article 5 de la loi n° 038-2016/AN du 24 novembre 2016 portant Statut général des personnels des forces
armées nationales. Voir également article 34 al. 2 du décret n° 2008-700/PRES/PM/DEF du 14 novembre 2008
portant règlement de discipline générale dans les Forces armées nationales.
101
Au Burkina Faso, « la qualité de VDP exige en toute circonstance, [...] esprit de sacrifice pouvant aller jusqu’au
sacrifice suprême ». Cf. article 3 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP.
102
Il s’agissait d’un slogan majeur du président SANKARA. On le retrouvait en conclusion de presque tous ses
discours et entretiens publics. Voir par exemple, l’un de ses derniers discours prononcé le 29 juillet 1987 devant
l’Organisation de l’Unité Africaine (aujourd’hui Union Africaine) sur www.thomassankara.net. (Consulté le 20
décembre 2022).
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

133
à-dire de prendre sa défense103, de lui prêter secours et appui, de le mettre à l’abri face aux
dangers sur le champ de bataille. En conséquence, toutes les dispositions doivent être mises en
œuvre par l’État afin que le citoyen qui s’est engagé ne perçoive pas, en dépit de la formation
initiale reçue et de l’ampleur des combats, le champ de bataille comme un abattoir et la mort,
comme une destinée inévitable. Le dispositif militaire en place ainsi que l’organisation et les
modalités d’exercice de sa mission104 doivent plutôt le rassurer, l’aguerrir, le mettre en
confiance de sorte à ce qu’il soit délibérément prêt et déterminé à donner le meilleur de lui-
même dans la défense et dans la protection des personnes et des biens des villages, des
communes ou de toute autre localité sur le territoire national.

En droit burkinabè, le citoyen engagé pour la cause de la nation, bénéficie d’un appui
financier dont la nature et les modalités d’octroi sont précisées par voie règlementaire. D’autres
avantages peuvent également lui être octroyés105. Il bénéficie en outre, d’une couverture
sanitaire en cas de blessure dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission. En cas
d’invalidité temporaire ou permanente, il bénéficie d’une allocation financière. Les conditions
et les modalités pour bénéficier de la couverture sanitaire ainsi que la nature, les conditions et
les modalités d’octroi de l’allocation financière sont précisées par voie règlementaire106. Par
ailleurs, en cas de décès du VDP, les frais d’inhumation sont à la charge de l’Etat. Les ayants
droit du VDP décédé dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission bénéficient
d’une assistance financière107. Les montants des frais d’inhumation et de l’assistance financière
sont fixés par voie règlementaire. Cet ensemble de dispositifs socio-financiers constituent,
d’une manière certaine, des éléments minima de motivation pour le citoyen même s’ils ne
supplantent pas l’amour pour la patrie et ne constituent pas des garanties contre la mort.

Le devoir de sacrifice présente en effet une spécificité. Comme la fonction militaire108,


il a pour fondement, l’acceptation par le citoyen d’exposer sciemment sa vie dans des actions
de combat pour la défense des intérêts majeurs de la mère patrie. Le sacrifice ultime est ici

103
Toutefois, il demeure responsable devant les juridictions compétentes des actes répréhensibles commis dans
l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission. En effet, il lui est interdit d’accomplir tout acte contraire
aux lois, aux règlements, aux us et coutumes de la guerre ainsi qu’aux conventions internationales auxquelles le
Burkina Faso est partie. Il lui est également interdit de poser des actes de police judiciaire ou d’effectuer des
missions de maintien de l’ordre. Il est responsable de l’exécution des missions à lui confiées. Cf. les articles 14 et
17 de la loi n° 028-2022/ALT.
104
L’organisation et les modalités d’exercice de la mission des VDP sont fixées par voie règlementaire. Dans les
zones où se déroulent les opérations militaires, le commandement militaire est responsable de l’ordre public au
côté des autorités civiles responsables et exercent avec elles, la coordination des mesures de défense civile avec
les opérations militaires. Cf. article 9 du décret n° n° 2023-475 du 19 avril 2023 portant mobilisation générale et
mise en garde.
105
Article 7 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP.
106
Ibid, article 8.
107
Ibid, article 11.
108
À ce propos, voir PETON (E-M.), « Droit et spécificité militaire », Inflexions, n° 18, 2011/3, pp. 203-211.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

134
spécifique en ce qu’il est lié à un combat au service de la nation. On comprend aisément que la
fonction du citoyen engagé dans la défense et le maintien de l’intégrité du territoire national est
associée au maintien de l’état de droit. Il s’agit de se donner sans réserve dans le dessein de
mettre fin à la violation du droit pour chaque État de disposer librement de son territoire, de
ramener la paix et l’ordre au sein d’une société troublée.

À l’instar du devoir de patriotisme, le devoir de sacrifice implique une obligation de


résilience. La résilience renvoie à la capacité de faire face aux adversités du front. Autrement
dit, les citoyens engagés doivent être capables de supporter les aléas du front, de se réorganiser
si nécessaire et de continuer le combat dans la mesure du possible quels que soit les revers ou
les échecs essuyés. Si la formation initiale contribue amplement à la formation de cette
résistance psychique, c’est l’amour de la patrie et surtout l’engagement jusqu’au sacrifice
suprême qui en constituent le nœud, les fondements réels. Par la résilience, le citoyen engagé
auprès des forces armées nationales, est prêt à redoubler d’ardeur même lorsque la ‘‘guerre’’
bat son plein et non, à jeter l’éponge, à résilier son contrat109, à démissionner110.

Par la résilience, le citoyen engagé transforme la douleur et donc, le sacrifice suprême,


en force motrice afin de se surpasser et sortir fortifié de ces adversités. Le but ultime du
sacrifice, c’est le relèvement de la patrie. L’intérêt de la nation est donc, ce qui fonde ce
dévouement qui doit bénéficier à d’autres personnes (concitoyens) et par ricochet, à toute la
société dans son ensemble. Le fait de laisser sa famille, ses parents et ses amis au nom de la
patrie, est un sentiment très fort et très noble qui doit être placé au-dessus de tout. Dès lors,
l’engagement que la qualité de citoyen engagé auprès des forces armées républicaines comporte
et le sens élevé de responsabilité qu’il implique, mérite le respect des citoyens et la
reconnaissance de la nation111.

Ce respect doit se traduire par des sentiments de considération et d’égard envers le


citoyen qui s’est engagé. Il doit également se manifesté par une attitude déférente envers celui-
ci. Le concitoyen, au niveau local (dans les villages et communes) comme au niveau national,

109
En effet, en ce qui concerne le VDP, la durée de son engagement est de douze mois renouvelable. Le
rengagement du VDP se fait par la conclusion d’un nouveau contrat. Cf. article 6 de la loi n° 028-2022/ALT.
En ce qui concerne les citoyens réquisitionnés, il n’y a pas une durée de réquisition prédéfinie. Elle relève donc de
la discrétion de l’autorité.
110
Par exemple en ce qui concerne les VDP, l’article 19 de la loi n° 028-2022/ALT, dispose que la qualité de VDP
se perd dans les cas suivants :
- la démission ;
- la résiliation du contrat ;
- l’absence irrégulière de plus de trente jours consécutifs ;
- le non renouvellement du contrat ;
- le décès.
111
Article 3 al. 3 de la loi n° 028-2022/ALT instituant les VDP.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

135
doit être attentionné, admiratif, indulgent envers le citoyen engagé dans la défense et le maintien
de l’intégrité du territoire. Cette admiration et cette indulgence peuvent se manifester à travers
un accueil chaleureux des engagés dans les zones d’opération, une collaboration étroite et
sincère, des actions de solidarité et de contributions (matérielles ou immatérielles), c’est-à-dire
toute action susceptible de les moraliser davantage et de faciliter la réalisation des missions qui
leurs sont assignées. La procédure de recrutement consacrée pour le recrutement des VDP
facilite dans une grande mesure cette interaction avec ces derniers. En effet, les recrutements
de VDP pour servir au niveau du village et au niveau de la commune se font sur approbation
des populations locales112. Ce sont donc les concitoyens eux-mêmes, qui sont à la base de leurs
recrutements. On comprend aisément que les citoyens recrutés au niveau décentralisé ne sont
pas des étrangers mais plutôt des fils et filles d’une même famille.

En ce qui concerne la reconnaissance de la nation, elle consiste pour cette dernière, à


traduire au citoyen engagé, sa gratitude. À ce titre, il doit recevoir les honneurs de la nation
autant de son vivant qu’en cas de décès.

De son vivant, le citoyen doit recevoir les hommages de la nation. Sa témérité doit être
saluée et son héroïsme magnifié lorsqu’il a fait preuve d’une bravoure ou d’une détermination
particulière (extraordinaire ou non) face à une situation complexe. Par situation complexe, on
peut entendre par exemple, une attaque (de grande envergure ou pas) de l’ennemi, une
embuscade de l’ennemi, une riposte ou une offensive face à l’ennemi, un ratissage, etc. La
nation peut exprimer sa reconnaissance aux citoyens combattants à travers des visites
opérationnelles du Chef de l’État burkinabè ou des plus hautes autorités militaires ou politiques.
Ces visites sont des occasions pour la nation d’exprimer ses encouragements et ses félicitations
à ses fils et filles au regard de la détermination manifestée. Ces visites peuvent avoir lieu sur
les champs d’opérations ou dans les camps réservés aux citoyens engagés, par exemple dans
les camps des VDP pour ce qui les concerne. La reconnaissance de la mère patrie, peut être
également traduite au cours d’une cérémonie (solennelle ou non) d’hommage. Cette cérémonie
peut être suivie de décorations113. Elle peut se traduire également par des décorations sans
cérémoniales particulières. Au titre des récompenses militaires, il faut citer entre autres, la Croix
du combattant, le Grand Officier de l’Ordre de l’Étalon. À titre illustratif, le 11 décembre
2022114, le Gouvernement burkinabè traduisait sa reconnaissance à des VDP pour les sacrifices

112
Ibid, article 5. Le recrutement des VDP pour servir au niveau national est soumis à l’approbation des autorités
compétentes. Il s’agit ici des autorités administratives au niveau centrale.
113
Il s’agit des nominations dans des ordres honorifiques et des insignes marquant ces nominations.
114
La date du 11 décembre est la date de commémoration de l’accès du Burkina Faso à l’indépendance qui a été
proclamée le 5 août 1960.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

136
consentis dans la lutte contre le terrorisme dans la ville de Fada N’Gourma. Ils ont été, à
l’occasion, décorés115.

En cas de décès, la nation se doit de saluer la mémoire des citoyens tombés au front.
Ceci passe d’abord et avant tout, par une inhumation digne du citoyen tombé et dont le corps
ou les restes ont été retrouvés. Cette inhumation peut être suivie ou pas de cérémoniales. La
mémoire des citoyens tombés et dont les corps ou restes n’ont pas été retrouvés, doit également
être saluée et ce, au même titre. Une cérémonie de reconnaissance doit leur être dédiée. La
reconnaissance de la nation peut également se manifester par des décorations à titre posthume.
Les décorations peuvent être précédées de cérémoniales ordinaires ou particulières, tout dépend
de l’objectif recherché par l’autorité militaire ou politique.

En impliquant le citoyen dans la défense et le maintien de l’intégrité territoriale, le droit


burkinabè montre l’intérêt qu’il lui accorde mais et surtout, à quel point il estime son concours
indispensable en période de paix comme en période de crise. Il s’avère cependant, que « de
toutes les urgences légitimes auxquelles [le Burkina Faso] fait face ces derniers temps, la
problématique de l’appropriation de la citoyenneté dans son approche la plus complète tient
une place de choix. »116. On comprend bien que l’engagement citoyen dans la lutte contre le
terrorisme est fondamental et indispensable. Les forces armées républicaines à elles seules, ne
sauraient vraisemblablement y venir à bout. Dès lors, au regard de la situation sécuritaire de
plus en plus difficile au Burkina Faso, il est plus imminent que le citoyen prenne davantage
conscience de sa place et de son rôle dans la défense de l’intégrité territoriale durement
éprouvée par les incessantes attaques terroristes. Le citoyen est appelé à répondre avec ardeur
et engagement à l’appel de la patrie sans attendre à y être forcé, à se donner sans réserve au
nom de l’intérêt supérieur de ladite patrie. On peut déjà se réjouir du niveau d’engagement du
peuple burkinabè car en seulement trois semaines, plus de 90 000 VDP inscrits ont été

115
Voir BurkinaInfo-11- Décembre 2022 : Des VDP décorés pour leur sacrifice à Fada N’Gourma :
https://www.facebook.com/100030755932081/posts/pfbid0d8Eznx8ABKyUdGBMuJqcjcynjvHt3eshBrFrzXpV
YwAu9CwAvaP3FXwjokyypf7Sl/?app=fbl. (Consulté le 02 décembre 2023).
116
Extrait du discours de l’ex président du Faso Roch KABORÉ à la cérémonie de lancement des activités de la
Semaine Nationale de la Citoyenneté (SENAC), édition 2016, Ouagadougou, le 29 novembre 2016. Pour le texte
complet du discours, voir Présidence du Faso, Recueil de discours du président du Faso S.E.M. Roch Marc
Christian KABORÉ, Ouagadougou, 2016, pp. 88-90.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

137
enregistrés sur des besoins estimés à 50 000117. Toutefois, seule une organisation opérationnelle
de ces supplétifs de l’armée tant au niveau communal que national suivie d’une logistique
conséquente permettra de cheminer vers la victoire tant attendue.

117
Cf. Communiqué de la BVDP du 24 novembre 2022 disponible sur www.burkina24.com (consulté le 24
novembre 2022). Lancée le 24 octobre, la campagne de recrutement des VDP s’est achevée le 18 novembre 2022.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

138
LE MINISTRE CAMEROUNAIS DES FINANCES
ET LES POLITIQUES FINANCIERES PUBLIQUES

Par
Joseph Pierre EFFA,
Docteur en Droit public,
Université de Yaoundé II (Cameroun)

Résumé : L’image publique du ministre camerounais des Finances, projetée par les médias,
partagée par les citoyens et confirmée par une certaine doctrine, est celle d’une autorité
pouvant tout et faisant tout en matière de finances publiques. Une étude approfondie fait
cependant apparaître de toute part des facteurs d’affaiblissement de plus en plus déterminants,
qui remettent en question cette prétendue toute-puissance. Si le ministre camerounais des
Finances a longtemps bénéficié d’une position privilégiée tenue pour être dominante, elle a
perdu de sa superbe. Amoindri, il conserve cependant un rôle important. Le présent article le
démontre en deux temps. Dans un premier temps, le ministre apparaît comme une autorité à la
prééminence contrecarrée dans la conception des politiques financières publiques. Dans un
deuxième temps, il est établi que sa prééminence est fragilisée dans leur mise en œuvre.
Mots-clés : Ministre, membre du Gouvernement, Finances publiques, politique financière
publique, Cameroun.
Abstracts: The public image of the Cameroonian Minister of Finance, projected by the media,
shared by citizens and confirmed by a certain doctrine, is that of an authority that can do
everything in matters of public finances. However, an in-depth study reveals increasingly
decisive weakening factors on all sides, which call this supposed omnipotence into question. If
the Cameroonian Minister of Finance has long benefited from a privileged position intended to
be dominant, it has lost its luster. Reduced, it nevertheless retains an important role. This article
demonstrates it in two stages. Initially, the minister appears as an authority with thwarted
preeminence in the design of public financial policies. Secondly, it is established that its
preeminence is weakened in their implementation.
Keywords: Minister, Member of government, Public finances, Financial public policy,
Cameroon.

Incarnant un ministre des Finances dans La Folie des grandeurs, Louis de Funès1 dit la
célèbre réplique suivante : « Mais qu’est-ce que je vais devenir ? Je suis ministre, je ne sais rien
faire ! »2. À l’opposé de cet aveu d’impuissance, l’image publique du ministre camerounais des
Finances3, projetée par les médias et largement partagée par les citoyens, est celle d’une autorité

1
Louis DE FUNES (1914-1983) est l'un des acteurs comiques les plus célèbres du cinéma français de la seconde
moitié du XXe siècle.
2
DON SALLUSTE, joué par L. DE FUNES dans La Folie des grandeurs (1971) de M.-G. HOURY TANNENBAUM, cité
par J. DEFLINE, Le ministre des Finances sous la Ve République. Contribution à l’étude du désenchantement d’une
toute-puissance, Paris, LGDJ, p. 1.
3
Les appellations varient selon les textes. Certains, comme la loi n° 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime
financier de l’État et des autres entités publiques, utilisent le vocable « Ministre chargé des finances », tandis que
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

139
toute-puissante, hégémonique, pouvant tout et faisant tout en matière financière publique. Cette
représentation collective est confirmée du reste par une certaine doctrine affirmant que ce
ministre est « une autorité financière pleinement valorisée »4, bénéficiant d’une compétence qui
« frise le monopole »5.

Si le ministre camerounais des Finances renvoie une image de pouvoir et de puissance,


s’il est soupçonné, voire accusé, comme le disait Alain Lambert de son collègue français, de
faire montre « d’une excessive prééminence, d’un autoritarisme sans appel […], d’une toute-
puissance »6, il reste cependant un « ministre », terme qui vient du mot latin minister (dérivé de
minus), signifiant paradoxalement celui qui est moins qu'un autre, le serviteur d'un autre, et est
le contraire du magister (celui qui est plus, le maître). Il est en tant que ministre le serviteur de
l’État aujourd’hui, mais autrefois, en France, le serviteur du prince7. Comme tout ministre, il
est un agent supérieur du Pouvoir exécutif, membre du Gouvernement, placé à la tête d’un
ensemble de services publics administratifs8, d’un ministère, et, dans son cas particulier, chargé
des finances9.

Il s’agit en l’occurrence des finances publiques10, entendues comme l’ensemble des


ressources fiscales et non fiscales, les charges, la trésorerie, la comptabilité publique, les
procédures budgétaires et comptables, la politique budgétaire et, plus largement, financière. Les
principaux protagonistes en sont notamment l’État et les collectivités territoriales
décentralisées.

Le présent article étudie le ministre camerounais des Finances dans la globalité de cette
définition, à l’exclusion des collectivités locales. L’élargissement de son champ matériel est
conforté par l’article 1er alinéa 2 du décret n° 2013/066 du 28 février 2013 portant organisation
du ministère des Finances, qui définissant la compétence de ce ministre, le rend responsable
des matières budgétaire, fiscale, monétaire et financière. De plus, la nécessité et l’intérêt d’une
approche d’ensemble, pour prendre en compte l’hétérogénéité et la complexité11 inhérentes aux

d’autres, les plus nombreux, le dénomment « Ministre des Finances ». Nous retiendrons cette dernière appellation,
la plus courante et la plus simple.
4
R. D. ETALLA FOHOGANG, « Le ministre des finances en droit constitutionnel camerounais », Revue RRC, n° 030,
février 2023, p. 353.
5
Ibid., p. 354.
6
A. LAMBERT, « Les ministres de Bercy, pilotes ou otages de la structure ? », Pouvoirs, n° 168, 2019/1, p. 29.
7
J. DEFLINE, Le ministre des Finances sous la Ve République, op. cit., p. 3.
8
B. CHENOT, « Le ministre, chef d'une administration », Pouvoirs, n° 36, 1985, p. 79.
9
B. MOSNY, « Ministre des Finances », in G. ORSONI (dir.), Finances publiques. Dictionnaire encyclopédique,
2e éd., Aix-en-Provence, PUAM, Economica, 2017, p. 603.
10
Notamment : J.-L. ALBERT, Finances publiques, 10e éd., Paris, Dalloz, 2017, p. 1-6 ; É. OLIVIA, « Essai de
définition normative du domaine des finances publiques », in L. FAVOREU, R. HERTZOG et A. ROUX (dir.),
Constitutions et finances publiques, Études en l'honneur de Loïc PHILIP, Paris, Economica, 2005, p. 493 et s.
11
La science des finances publiques est qualifiée de « science du complexe par tradition » (M. BOUVIER, M.-C.
ESCLASAN et J.-P. LASSALE, Finances publiques, 12e éd., Paris, LGDJ, 2013, p. 17).
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

140
finances publiques, sont depuis longtemps soulignées par les plus grands spécialistes de la
discipline12.

L’étude s’étend ainsi au-delà des questions budgétaires, même si elle y repose en très
grande partie et que le Budget constitue une part importante du travail du ministre camerounais
des Finances. Par contre et malgré le décret précité portant organisation du ministère des
Finances, la matière monétaire n’est pas explorée - pas à titre principal en tout cas -, car elle a
fait l’objet d’un transfert de compétence des États vers la Communauté Économique et
Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC)13. La matière économique également est traitée à la
marge, bien qu’elle relève de la compétence nationale et qu’il soit difficile de la séparer de la
matière budgétaire14 et financière, au regard des liens qui unissent les deux activités15.

Cependant, le fait que la matière économique soit énumérée parmi les attributions du
ministère de l'Économie, de la Planification et de l'Aménagement du territoire16, et non au rang
de celles du ministère des Finances17, autorise à ne lui donner, tout comme à la matière
monétaire, qu’une place accessoire. Au surplus, comme toute étude de droit, le présent travail
consacre une approche essentiellement juridique, qui serait dénaturée si les deux matières
étaient prises en compte à titre principal.

Globale, l’analyse déborde le droit public financier (droit budgétaire, droit fiscal public,
droit de la comptabilité publique) et s’étend dans une certaine mesure au droit constitutionnel,
au droit administratif, à la science administrative et à la science politique notamment. Elle
s’élargit même au-delà du droit interne, en évoquant les aspects du droit public financier
international et sous-régional. Les professeurs Jean-Marie Gaudemet et Joël Molinier ont fort
justement qualifié les finances publiques de « science-carrefour »18. Enfin, bien que l’intitulé
du présent article n’annonce en rien une étude de droit comparé, des éléments sont néanmoins
tirés du droit français essentiellement, au titre d’un éclairage comparatif, et non pas d’une étude
de droit comparé au sens strict.

12
Notamment : G. JEZE, Cours de finances publiques, Paris, Giard, 1925-1931 ; A. PAYSANT, Finances publiques,
Masson, 1979 ; R. MUZELLEC, Finances publiques, Sirey, 1982 ; L. PHILIP, Finances publiques, Cujas, 1983.
13
S. A. ONDONGO, « La communautarisation de la politique budgétaire en zone CEMAC », Revue CADI, n° 016,
octobre 2021, p. 41, note 5.
14
« Le droit budgétaire est […] naturellement économique », (R. HERTZOG, « La loi organique relative aux lois
de finances (LOLF) dans l'histoire des grands textes budgétaires : continuité et innovation »), RFAP, n° 117,
2006/1, p. 16.
15
P. LALUMIERE, Les finances publiques, 5e éd., Paris, Armand Colin, 1978, p. 7.
16
Décret n° 2008/220 du 04 juillet 2008 portant organisation du Ministère de l’Économie, de la Planification et de
l’Aménagement du territoire.
17
Décret n° 2013/066 du 28 février 2013 portant organisation du Ministère des Finances.
18
P.-M. GAUDEMET et J. MOLINIER, Finances publiques, tome 1, 7e éd., Paris, Montchrestien, 1996, p. 20.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

141
Le ministre camerounais des Finances est, comme tout ministre, un « agent double »19,
un véritable Janus à double visage20, en étant à la fois une autorité administrative et une autorité
politique. Cependant, sa fonction administrative n’est pas traitée ici. Car, hormis des spécificités
liées à la matière financière, ses compétences et ses pouvoirs administratifs sont identiques à
ceux des autres membres du Gouvernement, et ne présentent pas de particularité le plaçant dans
une situation d’hégémonie ou d’infériorité par rapport à ceux-ci21. Nommé et révoqué comme
eux par le Président de la République, il ne dispose pas d’un statut administratif spécial, ni
d’une quelconque autorité hiérarchique à leur égard, les départements ministériels étant du reste
« classés par ordre alphabétique »22.

Par contre, l’étude porte sur la fonction politique du ministre des Finances, car c’est
principalement de l’exercice politique de ses compétences par ce membre de Gouvernement
que proviennent la croyance et les critiques de puissance et de domination sur les autres
autorités politiques. Cette raison explique aussi son objet, c’est-à-dire la politique financière
publique, entendue comme l’ensemble des options politiques décidées collectivement ou
individuellement par les autorités politiques en matière financière publique.

Toutefois, la politique financière publique est ici en grande partie restreinte à la politique
budgétaire23 dans la mesure où, d’une part, le Budget est « l’arme politique par excellence »24,
il « constitue la traduction de la politique du gouvernement »25, et « le droit budgétaire est
fondamentalement politique »26 ; d’autre part, c’est lors de l’application de la politique
budgétaire que la prépondérance du ministre des Finances paraît la plus perceptible. Certes, la
politique financière publique ne se réduit pas à la politique budgétaire, mais celle-ci en couvre
une grande partie27.

La croyance et les critiques de puissance et de domination du ministre des Finances sur


les autres autorités politiques proviendraient de ce que, comme l’explique Jean Arthuis, ancien
ministre français des Finances, rares sont les sujets qui échappent à la contrainte financière28.
Ce ministre interviendrait ainsi dans toutes les politiques menées par les autres ministres :

19
B. CHENOT, « Le ministre, chef d'une administration », op. cit., p. 79.
20
J. WALINE, Droit administratif, 27e éd., Paris, Dalloz, 2018, p. 75.
21
J. DEFLINE, Le ministre des Finances sous la Ve République, op. cit., p. 63 et s.
22
Décret 2011/408 du 9 décembre 2011 portant organisation du Gouvernement, article 4 alinéa 1er.
23
Sur cette notion, voir M. CARON, Budget et politiques budgétaires, Rosny, Bréal, 2007, 127 p.
24
P. DEVOLVE et H. LESGUILLONS, Le contrôle parlementaire sur la politique économique et budgétaire, Paris,
PUF, 1964, p. 141.
25
F. CHOUVEL, Finances publiques, Paris, Gualino, 2020, p. 61.
26
R. HERTZOG, « La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) dans l'histoire des grands textes
budgétaires : continuité et innovation », op. cit., p. 16.
27
J. DEFLINE, Le ministre des Finances sous la Ve République, op. cit., p. 205.
28
Voir J. ARTHUIS, Dans les coulisses de Bercy. Le cinquième pouvoir, Paris, Albin Michel, 1998, p. 63.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

142
« encore et toujours, tout ou presque passe par (lui) »29. On affirme effectivement qu’« il n’est
pas de choix politique, intérieur ou extérieur, qui ne se traduise en réalité par une décision du
ministre des Finances »30. Aussi a-t-on pu voir en celui-ci un « ministre universel »31. De cette
façon, saisi chaque année des demandes de crédits de ses collègues, il peut les satisfaire ou non
et, selon le cas, permet ou empêche ceux-ci de réaliser leurs politiques. Il détiendrait ainsi un
pouvoir à l’égard de ses collègues, qui révèlerait « l’affirmation d’une puissance »32 leur
imposant ses contraintes et son influence financières.

À ce propos, on peut noter au Cameroun également, l’opposition observée en France entre


le « budgétaire » (le ministre des Finances) et le « dépensier » (les autres ministres), au sujet de
laquelle on a évoqué une « vie conjugale tumultueuse »33. La Direction du Budget en France se
posait en partenaire des ministères « dépensiers », qu’elle accompagnerait dans la mise en
œuvre des politiques publiques34. La pratique ici et au Cameroun se révèle cependant
conflictuelle.

En effet, en principe les ministres « dépensiers » souhaitent obtenir le maximum possible


de crédits qui, selon eux, sont indispensables pour faire fonctionner leurs services et mener à
bien leurs missions. Par contre, « ministre de l’équilibre budgétaire »35, soucieux d’éviter tant
que faire se peut les déficits excessifs, de veiller à ce que les crédits qui sont alloués soient
utilisés de la manière la plus efficiente possible, c’est-à-dire que le moins d’argent possible soit
dépensé pour obtenir le plus de résultats utiles36, ainsi que de composer avec le politique,
l’économique et le juridique, par nature ministre « du refus »37, le ministre des Finances n’est
pas naturellement disposé à accorder aux ministres « dépensiers » l’augmentation des crédits
pour les dépenses nouvelles. L’affrontement devient inévitable. Julien Defline note ainsi, avec
une pointe de malice, que les premiers "adversaires" du ministre des Finances sont
étonnamment les autres membres de son propre Gouvernement38.

29
Ibid., p. 64.
30
F.-L. CLOSON et J. FILIPPI, L’économie et les finances : Le Ministre et les Ministères - L’administration centrale
- Les services, Paris, PUF, 1968, p. 17.
31
J. GICQUEL, « Le ministre des finances dans le cadre de la réforme des finances publiques », in M. BOUVIER,
Réforme des finances publiques, démocratie et bonne gouvernance, Paris, LGDJ, 2004, p. 51.
32
F. BLOCH-LAINE, « L’affirmation d’une puissance », Pouvoirs, n° 53, 1990, p. 5.
33
J. CHOUSSAT, « Le budgétaire et le dépensier. Défense et illustration de la direction du Budget », Pouvoirs,
n° 53, 1990, p. 55.
34
Voir in Rapport d’activité 2015, p. 4.
35
G. JEZE, Cours élémentaire de science des finances et de législation financière française, réimpression de
l’édition de 1931, présentation G. ORSONI, Paris, Édition La Mémoire du Droit, 2013, p. 56.
36
Ibid., p. 57.
37
J. CHOUSSAT, « Le budgétaire et le dépensier. Défense et illustration de la direction du Budget », op. cit., p. 57.
38
J. DEFLINE, Le ministre des Finances sous la Ve République, op. cit., p. 222. « Pour chaque Gouvernement,
Bercy doit presque faire figure d’opposant systématique » (J. ARTHUIS, Dans les coulisses de Bercy. Le cinquième
pouvoir, op. cit., p. 64).
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

143
Cette relation dans laquelle les ministres dits « dépensiers » sont nécessairement des
demandeurs, obligés de justifier les crédits demandés auprès du ministre des Finances,
consacrerait une rupture d’égalité entre les ministres et la domination de celui-ci sur ses
collègues39. Elle confirmerait au sein du Gouvernement la place particulière de ce ministre qui,
de la sorte, serait dans une position de Primus inter pares40 ou d’un « vice Premier ministres »41,
voire d’un « deuxième premier ministre »42 ou un « deuxième chef de Gouvernement »43.

La prééminence du ministre des Finances proviendrait aussi de ce que l’administration


dont il est le chef, notamment la Direction Générale du Budget et la Direction Générale des
Impôts, exercerait une excessive domination sur les citoyens et les autres administrations du
fait de ses pouvoirs, ses privilèges44, ses hauts fonctionnaires et leurs capacités techniques et
d’influence45. Enfin, face au ministre des Finances, le Parlement semble en position de
faiblesse.

Sans doute, la thèse de la suprématie du ministre camerounais des Finances trouvait-elle


très largement un écho dans l’ordonnance n° 62/0F/4 du 7 février 1962 portant régime financier
de la République Fédérale du Cameroun46, modifiée par la loi n° 2002/001 du 19 avril 2002.
Notamment, sous l’autorité du Président de la République, il était chargé de préparer les projets
de loi de finances47. Il avait plus de pouvoirs encore dans l’exécution du Budget Fédéral, des
Budgets annexes et des Comptes hors Budget, dont il était l’ordonnateur et disposait « seul et
sous sa responsabilité des crédits ouverts par la loi de Finances et les lois de finances
rectificatives »48. En tant qu'ordonnateur, il exécutait ces différents Budgets « sous son autorité
propre et sous sa responsabilité »49.

Cependant, la situation avait commencé à évoluer avec la loi n° 2007/006 du 26


décembre 2007 portant régime financier de l’État50. Elle l’est de manière significative depuis les
lois du 11 juillet 201851, sur lesquelles au demeurant la présente étude porte principalement,

39
G. ORSONI, Science et législation financière, Paris, Economica, 2005, p. 438.
40
S. DAMAREY, « Bercy, un vrai Premier ministère ? L’arme du Budget », Pouvoirs, n° 168, 2019/1, p. 59.
41
Expression utilisée en 1966 à propos de Michel Debré, in Le Monde, 8 janvier 1966.
42
F.-P. BENOIT, Le droit administratif, Paris, Dalloz, 1968, p. 103.
43
A. MATHIOT, Institutions politiques comparées. Le pouvoir exécutif dans les démocraties d’occident, Paris, Les
cours de droit, Université de Paris - IEP, 1967-1968, p. 432.
44
Le ministère des Finances a le monopole ou presque de la collecte de l’argent public. Dans ce but, il dispose de
pouvoirs spécifiques de prélèvement et de contrainte.
45
Dans ce sens, pour l’exemple similaire de la France, toute proportion gardée, voir notamment M. L’HOUR et
F. SAYS, Dans l’enfer de Bercy. Enquête sur les secrets du ministère des Finances, Paris, JC Lattès, 2017, 402 p.
46
Ci-après, ordonnance du 7 février 1962 portant régime financier.
47
Ordonnance du 7 janvier 1962 portant régime financier, article 48.
48
Ibid., article 58, alinéa 3. Aussi l’article 124.
49
Ibid., article 58, alinéa 2.
50
Ci-après la loi du 26 décembre 2007 portant régime financier.
51
Il s’agit de deux lois : la loi n° 2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime Financier de l’État et des autres
Entités Publiques (ci-après loi du 11 juillet 2018 portant régime financier) ; la loi n° 2018/011 portant Code de
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

144
cela expliquant ceci. En redistribuant les rôles financiers au sein de l’État et des autres entités
publiques, elles placent le ministre des Finances entre grandeur et servitude, avec le constat
apparent d’une diminution du périmètre d’influence de celui-ci. D’une manière générale, des
facteurs d’affaiblissement de toutes parts et de plus en plus déterminants viennent modifier
l’image d’un ministre superpuissant en matière financière. Une rétrogradation pourrait se
dessiner en négatif de sa prétendue suprématie, plusieurs pouvoirs dont il disposait se trouvant
aujourd’hui remis en cause par des forces aussi bien internes qu’externes.

Ces éléments donnent à penser que l’on ne peut pas affirmer, comme Gilles Zalma en
1985 à propos du ministre français des Finances, que l’homologue camerounais de celui-ci jouit
d’une position dominante relève « de la simple tautologie »52. Mais passant d’une extrémité à
l’autre, on peut se demander si à défaut d’être hégémonique le ministre camerounais des
Finances n’est pas simplement un assujetti, tel que pourrait le suggérer une certaine lecture des
contraintes que nous évoquons. Peut-être qu’écartant cette autre hypothèse extrême, on peut
considérer que bien qu’amoindri, il a conservé un pouvoir important. Face à cette incertitude,
le présent article pose la question de la place réelle de ce ministre en matière des politiques
financières publiques.

La réponse est donnée en distinguant les notions de compétence et de pouvoir.


D’éminents juristes assimilent les deux concepts, à l’exemple du Doyen Duguit53. Il n’en va pas
ainsi dans le présent article, le pouvoir étant entendu ici comme la capacité concrète d’exercer
une compétence, et la compétence comme l’aptitude formelle à agir dans un domaine attribué.
Une autorité peut posséder formellement une compétence, mais être contrariée dans sa mise en
œuvre, y compris au point de perdre le pouvoir réel de l’exercer.

La méthode utilisée consiste donc à analyser les compétences formelles du ministre


camerounais des Finances, au regard de ses capacités concrètes à les appliquer. L’examen
s’ordonne autour des « quatre temps alternés » énoncés par le Baron Louis en 1814, à savoir :
la préparation, l’adoption, l’exécution et le contrôle du Budget. Ils peuvent être regroupés en
deux principales phases, les deux premières constituant la conception des politiques financières
publiques, et les deux dernières leur mise en œuvre.

Transparence et de Bonne Gouvernance dans la Gestion des Finances Publiques au Cameroun (ci-après loi du 11
juillet 2018 portant Code de transparence et de bonne gouvernance). Par simplification, nous les appelons les lois
du 11 juillet 2018.
52
G. ZALMA, « L’hégémonie du ministre des finances dans le droit budgétaire de l’État », RDP, 1985, p. 1655.
53
Selon le Doyen, il convient de « voir dans la compétence seulement le pouvoir de faire légalement certains
actes » (L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, Tome III, 3e éd., Paris, de Boccard, 1930, p. 151).
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

145
Considérée ainsi, contrairement aux affirmations extrêmes, s’agissant des politiques
financières publiques, la situation du ministre camerounais des Finances paraît beaucoup plus
nuancée et complexe qu’il n’y paraît. Il semble qu’il n’est ni prééminent, c’est-à-dire
bénéficiant d’une supériorité absolue, ni assujetti, c’est-à-dire réduit au statut d’humble
serviteur. S’il a longtemps bénéficié d’une position privilégiée tenue pour être dominante, cette
hégémonie semble avoir perdu de sa superbe : un subtil équilibre s’est établi sur la base du
renouveau des rapports du ministre avec son environnement juridique, politique et
institutionnel, le privant d’une partie de sa primauté. Amoindri, il conserve cependant un
pouvoir important.

En conséquence, si l’on peut admettre encore l’idée de puissance du ministre camerounais


des Finances, il apparaît essentiel de lui accoler celle d’un affaiblissement, qui en l’occurrence
lui semble substantiellement liée. Car la prééminence de ce ministre paraît contrecarrée dans la
conception des politiques financières publiques (l), et elle est fragilisée dans leur mise en
œuvre (II).

I. LE MINISTRE CAMEROUNAIS DES FINANCES, UNE AUTORITÉ À LA


PRÉÉMINENCE CONTRECARRÉE DANS LA CONCEPTION DES POLITIQUES
FINANCIÈRES PUBLIQUES

Deux phases partagées entre le l’Exécutif et le Législatif structurent la conception des


politiques financières publiques54 : dans la première qui est assurée par l’Exécutif et consiste
dans la préparation de celles-ci, la supériorité du ministre des Finances semble contrariée (A) ;
dans la seconde qui est législative et s’incarne dans leur adoption, la supériorité du ministre des
Finances paraît rééquilibrée (B).

A. UNE SUPERIORITE CONTRARIEE DANS LA PREPARATION DES


POLITIQUES FINANCIERES PUBLIQUES

Dans la phase de la préparation des politiques financières publiques, le ministre


camerounais des Finances bénéficie d’une compétence privilégiée le plaçant dans une position
de supériorité (1). Cette dernière est cependant empêchée d’être prééminente, c’est-à-dire
absolue, du fait que le ministre est entravé dans ses pouvoirs pour exercer ses attributions (2).

1. Une compétence privilégiée

54
La conception des politiques financières publiques comprend leur préparation par l’Exécutif et leur adoption par
le Parlement. Celui-ci y participe en examinant et amendant le projet de l’Exécutif, qui ne devient loi de finances
qu’avec le vote final consacrant juridiquement les choix politiques financiers retenus au terme de ce processus
partagé. La conception des politiques financières publiques ne peut donc se réduire à la préparation des textes.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

146
La préparation des politiques financières publiques, principalement celles qui sont
contenues dans les lois de finances, est au Cameroun une compétence traditionnelle du ministre
des Finances, qui suivant les époques l’exerce selon des méthodes différentes et dispose des
pouvoirs plus ou moins importants. Dans tous les cas, il est la pièce maîtresse du processus. Il
en allait déjà ainsi sous l’ordonnance du 7 février 1962 portant régime financier, qui disposait
que le ministre des Finances « prépare les projets de Lois de Finances »55 sous l’autorité du
Président de la République. Le ministre détenait alors, sous réserve du Président de la
République, une chasse gardée dans cette phase de la conception des politiques financières
publiques56, dont il était « un poids lourd »57 pour reprendre la formule utilisée en France dans
des circonstances semblables, et y disposait d’une puissance sans limites majeures.

La réforme est intervenue avec la loi du 26 décembre 2007 portant régime financier,
confirmée par les lois du 11 juillet 2018. Depuis lors, la préparation des politiques financières
publiques n’est plus une compétence directe, propre ni exclusive du ministre des Finances, mais
il y occupe une place centrale en étant le moteur, le directeur et le garant de ce processus devenu
collégial. Dans ce sens, l’article 55 alinéa 1er de la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier
énonce qu’il la « conduit », et l’article 12 alinéa 4 indique qu’elle est « assurée » par lui. Dans
ces conditions, si l’article 2 du décret du 31 mai 2019 fixant le calendrier budgétaire de l’État
semble encore attribuer une compétence directe en indiquant que le ministre des Finances
« élabore » le projet de loi de finances, c’est-à-dire « préparer mûrement [ce dernier], par un
long travail de l’esprit »58, c’est en réalité pour confirmer la place première et privilégiée de ce
ministre dans le travail de groupe de conception des politiques financières publiques.

Le ministre des Finances apparaît comme la pièce maîtresse tout le long de la procédure
de préparation des politiques financières publiques, qui est un long processus continu, débutant
le 1er janvier de chaque année, impliquant juridiquement plusieurs acteurs et comprenant quatre
étapes : l’étape préparatoire, l’étape des cadrages macroéconomique et budgétaire à moyen
terme et des projections triennales initiales des dépenses, l’étape de préparation détaillée du
Budget et l’étape de finalisation et d’approbation59. Les quatre étapes peuvent être réunies en
deux groupes. Les deux premières, qui se concluent avec la publication de la Circulaire

55
Ordonnance du 7 février 1962 portant régime financier, article 48.
56
M. BOUVIER (dir.), La gestion de la dépense publique dans les pays de l’Afrique francophone subsaharienne,
Maxéville, Ministère des Affaires étrangères, 2005, p. 146-147.
57
PH. BEZES, F. DESCAMPS et S. VIALLEY-THEVENEN, « Bercy : empire ou constellation de principautés ? »,
Pouvoirs, n° 168, 2019/1, p. 10.
58
Le Robert. Dico en ligne, https://dictionnaire.lerobert.com/definition/elaborer, consulté le 03/11/2022.
59
Décret fixant le calendrier budgétaire de l’État, article 5 alinéa 1er.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

147
présidentielle60, correspondent à la période d’établissement des prévisions et de définition des
grandes lignes des politiques financières publiques. Les deux dernières, qui s’achèvent avec la
transmission au Parlement, pour le début de la seconde phase de la conception des politiques
financières publiques, sont les moments de la consolidation du projet de l’Exécutif.

L’étape préparatoire vise à faire un état des lieux sur les réalisations antérieures et les
projections en vue de l’élaboration du projet de loi de finances. Elle consiste en la revue des
activités, la revue des projets d’investissement public et la revue de la performance. Si la revue
des activités relève des responsables des programmes61, appuyés par les contrôleurs de gestion
dans chaque département ministériel, chaque organe constitutionnel et toute autre entité
publique, le ministre des Finances et le ministre de l'Économie, de la Planification et de
l'Aménagement du territoire en sont cependant les principaux destinataires, un rapport leur étant
adressé par chacun de ces organismes à la fin des travaux.

Il en va de même de la revue de la performance, effectuée par les mêmes autorités qui à


la fin de leur mission transmettent le Rapport Annuel de Performance (RAP) aux deux
ministres. Pour la même raison, un rapport sanctionnant la revue des projets d’investissement
public, conduite au sein des ministères et des institutions initiatrices des projets, est adressé au
ministre des Finances et au ministre des Investissements.

En conclusion, le ministre des Finances étant le membre du Gouvernement auquel sont


adressés tous les rapports des revues des départements ministériels, des organes constitutionnels
et des autres entités publiques, occupe une place centrale dans l’étape préparatoire de
l’élaboration des politiques financières publiques. Cependant, le constat de sa prééminence se
fondant sur cette fonction semble devoir être réservé, car dans celle-ci il ne joue que le rôle
passif de recueillir et regrouper les différents rapports. Par contre, sa supériorité paraît tenir au
fait que, par ailleurs, il ou son représentant préside le Comité Interministériel d’Examen des
Programmes (CIEP) chargé de valider les programmes en amont62, une position qui est
susceptible de lui donner une influence sur les autres ministres dont il peut ainsi accepter,
modifier ou rejeter les plans d’action.

60
La loi du 11 juillet 2018 portant régime financier en son article 56 alinéa 1er parle de la « Circulaire
présidentielle », tandis que le décret fixant le calendrier budgétaire de l’État utilise le vocable « Circulaire
Présidentielle sur la Préparation du Budget de l’État ». Nous utiliserons la première expression.
61
Un programme regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions
relevant d’un même ministère et auquel sont associés des objectifs précis, définis en fonction de finalités d’intérêt
général, ainsi que des résultats attendus. Les objectifs de chaque programme sont assortis d’indicateurs de résultats.
62
Décret n° 2011/2414/PM du 17 août 2011 portant création, organisation et fonctionnement du Comité
Interministériel d’Examen des Programmes, article 3 alinéa 1er.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

148
Outre l’état des lieux sur les réalisations antérieures et les projections, les évaluations des
recettes et des dépenses à venir sont aussi nécessaires en amont de l’élaboration du projet de loi
de finances. D’où l’étape des cadrages macro-économique et budgétaire à moyen terme et des
projections triennales initiales des dépenses. Les programmations des dépenses visent à prévoir
au début de l’année l’évolution sur trois ans des dépenses des organes constitutionnels, des
départements ministériels et des autres entités publiques, qui pour ce faire élaborent les Cadres
de Dépenses à Moyen Terme (CDMT). Si cette opération est ainsi réalisée par les organismes
concernés eux-mêmes, le ministre des Finances et le ministre de l'Économie, de la Planification
et de l'Aménagement du territoire jouent cependant un rôle important, les projections triennales
initiales des dépenses établies leur étant transmises aux fins d’examen, de vérification et de
validation technique, en vue de la production du Cadre Budgétaire à Moyen Terme (CBMT)
des trois années à venir.

Le cadrage macro-économique à moyen terme consiste à actualiser les prévisions de


clôture des agrégats macroéconomiques de l’année et produire les prévisions sur les trois années
à venir de ces mêmes agrégats, ainsi qu’à déterminer les ressources et les emplois dont peut
disposer le Gouvernement pendant cette période. Quant à lui, le Cadre Budgétaire à Moyen
Terme est préparé annuellement et décompose sur une période de trois ans les prévisions des
recettes et des dépenses par grandes masses de la classification économique, par fonction et
pour chaque organe constitutionnel et chaque département ministériel dans la limite des
ressources et des emplois du cadrage macroéconomique. L’élaboration, l’actualisation et la
finalisation du projet de cadrage macroéconomique et du projet de Cadre Budgétaire à Moyen
Terme relèvent du Comité Interministériel de Cadrage Macroéconomique et Budgétaire
(CPCMB), placé sous l’autorité du ministre des Finances et du ministre de l’Économie63.

Cependant, la prééminence que cette position peut conférer au ministre des Finances dans
la préparation des politiques financières publiques doit être relativisée s’agissant de l’évaluation
des recettes. Car cette dernière étant une fonction technique, le ministre des Finances ne dispose
pas d’une réelle marge d’appréciation lui permettant d’influencer les politiques des autres
ministres. Il en va différemment de l’évaluation des dépenses, où au regard de l’équilibre
budgétaire qu’il doit assurer il a une grande liberté pour arrêter celles qui seront effectuées.

Examinés et éventuellement ajustés puis validés lors d’une session du Conseil de Cabinet
présidé par le Premier ministre, les documents de cadrage macroéconomique et de cadrage
budgétaire sont transmis au Parlement pour l’organisation du Débat d’Orientation Budgétaire

63
Décret n° 2021/0080/PM du 27 janvier 2021 portant création, organisation et fonctionnement du Comité
Interministériel de Cadrage Macroéconomique et Budgétaire, article 2 alinéa 1er.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

149
(DOB). Ce débat entre le Parlement et le Gouvernement porte sur les grands choix de politique
budgétaire effectués par ce dernier. Il est sans vote certes, mais ce n’est pas pour autant qu’il
est sans intérêt. Outre le fait qu’il est ouvert au public, il associe les chambres parlementaires
au processus64 et leur offre de la sorte la possibilité de donner leur avis sur les choix financiers
gouvernementaux65. D’ailleurs, les lois de finances annuelles doivent être conformes à la
première année du cadrage à moyen terme du Budget de l’État, qui est arrêté définitivement à
la suite de ce débat qualifié ainsi fort à propos « d’Orientation » budgétaire66.

Après le DOB, la Circulaire présidentielle fixe les orientations générales de la politique


budgétaire, ainsi que les dispositions pratiques pour l’élaboration du Budget. Si ce document
est important comme la doctrine a pu le montrer à propos de son prédécesseur67, il semble
cependant que la qualité de « concepteur » des politiques financières publiques, qu’il peut
fonder en faveur du Président de la République, soit plus formelle que réelle. Car leur
élaboration est une œuvre collective, et au moment où le Président de la République prend la
Circulaire, c’est-à-dire au plus tard le 25 juin68, la procédure a commencé au moins depuis six
mois, par les étapes d’établissement des perspectives budgétaires notamment.

En conséquence, concrètement, la Circulaire présidentielle ne résulte pas d’un travail de


conception exclusif du chef de l’État, mais découle très largement au moins, de l’activité menée
en amont par des acteurs nombreux, à travers un long processus, sous la conduite du ministre
des Finances et la coordination du Premier ministre. Il est du reste précisé qu’elle est prise « sur
la base des orientations, cadrages et plafonds approuvés à l’issu du Conseil de Cabinet »69.

C’est dire que si elle est importante, la Circulaire présidentielle n’est pas cependant de
nature à remettre en cause la compétence privilégiée du ministre des Finances dans la
préparation des politiques financières publiques. Celui-ci apparaît d’autant plus comme le
directeur de leur élaboration qu’il est précisé qu’elle est prise sur sa « proposition »70.

Ainsi, après avoir mené une véritable réflexion sur la base du cadrage économique et
financier avec son administration, en particulier la Direction Générale du Budget (DGB) dont

64
J. GICQUEL, « Le ministre des Finances dans le cadre de la réforme des finances publiques », op. cit., p. 49.
65
G. ORSONI et C. VIESSANT, Éléments de finances publiques, Paris, Economica, 2005, p. 53.
66
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 11 alinéa 3.
67
Avant le décret du 31 mai 2019 fixant le calendrier budgétaire de l’État, le Président de la République édictait
chaque année, à l’attention des hauts responsables du pouvoir exécutif, une circulaire relative à la préparation du
budget de l’État. Sur cette circulaire, voir G. M. PEKASSA NDAM, « Les pouvoirs budgétaires du Président de la
République au Cameroun », in A. KPODAR et D. KOKOROKO (dir.), Mélanges en l’honneur du professeur Koffi
AHADZI-NOUNOU, Poitiers, Université de Poitiers, 2021, p. 230-233.
68
Décret fixant le calendrier budgétaire de l’État, article 28 alinéa 2.
69
Ibid., article 28 alinéa 1er.
70
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 56 alinéa 1er.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

150
l’une des missions est la préparation des projets de lois de finances de l’État71, le ministre des
Finances pourrait avec ses services choisir le type de politique financière et définir ses grandes
lignes, de même que les disposition pratiques. Il présenterait ensuite ces différentes mesures au
Conseil de Cabinet présidé par le chef du Gouvernement pour correction et approbation
éventuelles, et subséquemment au chef de l’État pour l’édiction de la Circulaire présidentielle.

Si donc la circulaire est prise par le Président de la République, en réalité elle serait
essentiellement, sous réserve de celui-ci, l’œuvre de la DGB sous l’autorité du ministre des
Finances, qui fournit tous les éléments au chef de l’État. Significatif aussi du rôle de directeur
de l’élaboration des politiques financières publiques de ce ministre, le fait que de tous les
acteurs gouvernementaux - y compris le Premier ministre -, dont d’aucuns paraissent à certains
moments de la procédure en amont sur un pied d'égalité avec lui, c’est lui qui est habilité à faire
la proposition au chef de l’État et en assume donc la responsabilité politique devant ce dernier.

La publication de la Circulaire présidentielle clôture la période d’établissement des


perspectives budgétaires et de définition des grandes lignes des politiques financières
publiques. Commence le temps de l’actualisation et de la finalisation du projet gouvernemental,
marqué lui aussi par l’omniprésence du ministre des Finances. C’est sur la proposition de ce
dernier que le Premier ministre communique aux chefs des organes constitutionnels, aux chefs
des départements ministériels et aux responsables des entités publiques, les enveloppes
triennales de dépenses, pour la mise à jour de leurs projections triennales initiales des dépenses.
Il dispose ainsi de la capacité de décider, sous réserve du calendrier budgétaire, du début de ces
opérations dans ces organismes publics. C’est aussi à lui et au ministre de l'Économie, de la
Planification et de l'Aménagement du territoire qu’ils transmettent en retour leurs CDMT
respectifs pour les trois prochaines années. Par ailleurs, c’est sous sa tutelle et celle de ce même
que les Conférences Élargies de Programmation Budgétaire et de Performance Associée
(CEPB-PA) se tiennent ensuite.

Une fois les cadrages macroéconomique et budgétaire actualisés, le Premier ministre


procède à la notification des plafonds de crédit pour l’année à venir. À partir de ce moment, les
organes constitutionnels, les départements ministériels et les entités publiques procèdent à la
préparation de leurs projets de budget et de leurs projets de performance annuelle (PPA), qu’ils
transmettent pour examen dans le cadre des conférences budgétaires, accompagnés des projets
des Rapports Annuels de Performance (RAP). La formalité de transmission inaugure les étapes,
d’une part, de la préparation détaillée du budget et des documents budgétaires et, d’autre part,
de la finalisation et de l’approbation du projet de loi de finances. Dans l’une et l’autre étapes,

71
Décret 2013/066 du 28 février 2013 portant organisation du ministère des Finances, article 34 alinéa 1er.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

151
le ministre des Finances joue un rôle déterminant soit directement soit indirectement, preuve de
sa position privilégiée dans la préparation des politiques financières publiques.

Tel est le cas lors des conférences budgétaires, qui menées par la DGB sous sa
responsabilité, sont organisées pour examiner et décider des demandes en emplois et en crédits
de chaque organe constitutionnel, de chaque département ministériel et de toute autre entité
publique. Ce sont des cadres de négociations entre le ministre des Finances et les autres
ministres. Le rapport de force qui se met en place lors de ces instances est en sa faveur, car
disposant en principe du « pouvoir de dire non »72, il a toute liberté pour accepter, rejeter,
modifier ou fixer, y compris de façon autoritaire73, les demandes de crédits des autres ministres.
Selon le cas, il donne les moyens d’action à ceux-ci, la limite ou l’empêche. Son privilège tient
en outre à la capacité d’imposer une discipline budgétaire à l’ensemble du secteur administratif
et public74. Enfin, les autres ministres peuvent se trouver dominés lors de ces discussions par
les qualités professionnelles dont son administration dispose en principe75.

À l’issue des conférences budgétaires, les dépenses et les recettes qui n’ont pu faire l’objet
d’un compromis entre le ministre des finances et les autres ministres sont envoyés à l’arbitrage
du Premier ministre, lequel a compétence pour trancher ces différends. Comme on le verra ci-
après, cette étape marque la subordination du ministre des Finances au Premier ministre, qui
par son arbitrage a le pouvoir de défaire ce qu’il a décidé. Cependant, elle ne fait pas vraiment
perdre au ministre des Finances sa place privilégiée, puisqu’arrivent à l’Immeuble Étoile, non
pas tous les dossiers des dépenses et recettes budgétaires - c’est le ministre des Finances qui les
détient -, mais seulement ceux faisant l’objet de litiges qu’il n’a pas su ou voulu résoudre à son
niveau. De ce point de vue, on peut prétendre qu’à ce stade le Premier ministre a le pouvoir
financier que le ministre des Finances lui laisse.

72
T. BRONNEC et L. FARGUES, Bercy au cœur du pouvoir. Enquêtes sur le ministère des finances, Paris, Éditions
Denoël, 2011, p. 112.
73
En Grande-Bretagne, chaque ministère chiffre ses besoins des dépenses et les transmet au Chancelier de
l’Échiquier qui pourra leur renvoyer en demandant des modifications. En cas de refus, il peut modifier lui-même
les dépenses de chaque ministère (voir M. DUVERGER, Finances publiques, 11e éd., Paris, PUF, 1988, p. 304). En
France, Jean CHOUSSAT, ancien Directeur du Budget, rapporte qu’il lui était arrivé d’arrêter sans leur concours, le
budget des ministères qui se refusaient à la discussion (voir J. CHOUSSAT, « Le budgétaire et le dépensier. Défense
et illustration de la direction du Budget », op. cit., p. 57).
74
M. BAZEX, « Les prérogatives juridiques du ministère de l’Économie et des Finances : pouvoirs ou
privilèges ? », Pouvoirs, n° 53, 1990, p. 89-99.
75
« Le budgétaire [ministère des Finances] est un vrai professionnel : professionnel des techniques et procédures
budgétaires […] professionnel aussi des principaux domaines d'intervention de l'État, professionnel de la
négociation, professionnel également des relations souvent complexes entre l'administratif et la politique [...] sa
principale force vient de sa parfaite connaissance des dossiers. Il n'est pas rare qu'il les maîtrise mieux que le
dépensier [les autres ministères]. Dans la bataille qui l'oppose au dépensier, le budgétaire impose […] ses critères,
ses délais, ses procédures, et jusqu'à la présentation matérielle des dossiers. Dans ces conditions, la bataille est à
moitié gagnée avant que d'avoir commencé » (J. CHOUSSAT, « Le budgétaire et le dépensier. Défense et illustration
de la direction du Budget », op. cit., p. 62).
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

152
On peut d’ailleurs continuer à s’interroger sur la réalité de ce pouvoir dès lors que le
Premier ministre règle les désaccords « sur le rapport du ministre chargé des Finances »76. Ce
dernier étant par ce moyen susceptible d’avoir une influence dans les arbitrages du chef du
Gouvernement, pourrait ainsi exercer un « vice-arbitrage clandestin »77, faisant de lui en
matière financière un « Premier ministre en second »78, et conduisant in fine à relativiser
l’autorité du chef du Gouvernement dans ce domaine. Une telle influence n’est pas improbable.
Elle a même été observée en France, où pourtant l’exigence d’un rapport du ministre des
Finances n’existe pas79.

Si le ministre des Finances bénéficie ainsi d’une compétence privilégiée dans la


préparation des politiques financières publiques, il semble cependant empêché d’être en
position de supériorité absolue à ce stade de leur conception, ses pouvoirs pour ce faire étant
entravés.

2. Des pouvoirs entravés

Bien qu’il jouisse d’une compétence avantagée dans la préparation des politiques
financières publiques, le ministre des Finances ne semble pas en mesure d’être prééminent dans
cette étape de leur conception, du fait que dans l’exercice de ses attributions ses pouvoirs pour
parvenir à un tel résultat sont entravés par des facteurs internes et sous-régionaux, aussi bien
qu’internationaux.

Au plan interne, l’ordonnance du 7 février 1962 portant régime financier reconnaissait le


ministre des Finances comme l’autorité compétente pour préparer les projets de loi de finances,
sauf la soumission de ce ministre au Président de la République, l’article 48 précisant que c’est
« sous l’autorité » de ce dernier qu’il accomplissait sa responsabilité. Du point de vue du droit,
l’intervention d’aucune autre autorité n’était prévue, qui aurait pu influencer le ministre des
Finances ou lui imposer une décision, si bien qu’il était prépondérant dans la préparation des
politiques financières publiques, laquelle lui revenait à titre quasi-exclusif.

Il en va tout autrement depuis la loi du 26 décembre 2007 portant régime financier,


confirmée et intensifiée sur ce point par celles du 11 juillet 2018, du fait d’un double phénomène
dont elles sont à l’origine en grande partie. Le premier est qu’à la différence du régime
précédent, la préparation des politiques financières publiques est désormais gouvernée par des

76
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 56 alinéa 2.
77
A. BONDUELLE, Le pouvoir d’arbitrage du Premier ministre sous la Ve République, Paris, LGDJ, 1999, p. 134.
78
Expression utilisée en France à propos de Michel Debré, in La croix, 9 janvier 1966.
79
Voir par exemple : A. BONDUELLE, Le pouvoir d’arbitrage du Premier ministre sous la Ve République, op. cit.,
p. 132 ; É. BALLADUR, Passion et longueur de temps, Paris, Fayard, 1989, p. 148.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

153
principes dont l’une des conséquences est de circonscrire les pouvoirs du ministre des Finances
et d’empêcher son hégémonie. Ils diluent l’autorité de ce dernier dans un processus qui se veut
collectif et, par-là, limitatif.

Dans ce sens, la loi du 11 juillet 2018 portant Code de transparence et de bonne


gouvernance érige en impératif, la collégialité des débats budgétaires au sein des instances
gouvernementales80. À ce principe s’ajoutent ceux de la « concertation »81 et de la
« collaboration »82 avec les chefs des organes constitutionnels, les chefs des départements
ministériels et les responsables des autres entités publiques, ainsi que de la participation de tous
les acteurs de la société civile83. Ces principes se manifestent tout au long de la procédure de
préparation des politiques financières publiques. En mettant en avant l’idée de travail d’équipe,
ils excluent celle de monopole du ministre des Finances et jouent chacun la fonction
d’empêchement de la supériorité absolue de celui-ci.

Tel est le cas dès l’étape préparatoire, où destinataire de tous les rapports de revue
élaborés par les organismes publics concernés, le ministre des Finances les partage cependant,
selon le cas, soit avec le ministre de l'Économie, de la Planification et de l'Aménagement du
territoire ; soit avec le ministre des Investissements84. Cette disposition prise en prévision de la
collaboration et de la concertation futures des protagonistes exclut l’exclusivité du ministre des
Finances, donc sa prééminence, dans la possession et l’exploitation des données sectorielles
contenues dans les rapports des revues.

Il en va de même pour les projections triennales initiales des dépenses, élaborées chaque
année par les mêmes organismes publics pour les trois années à venir, du fait qu’elles sont
transmises, non pas seulement aux ministres des Finances, mais aussi au ministre de
l'Économie, de la Planification et de l'Aménagement du territoire. Toujours à l’étape
préparatoire, les principes de collaboration et de concertation justifient la composition mixte du
CIEP et la présence du ministre de l’Économie comme vice-président, représentant en théorie
une force d’entrave potentielle au pouvoir dont le ministre des Finances pourrait disposer en
qualité de président de cet organisme chargé d’évaluer les programmes en amont.

80
Précisément, en son article 15 alinéa 2, elle énonce que « les grandes options des politiques budgétaires sont
débattues collégialement par le Gouvernement. Une fois les décisions prises, sous l’autorité du Chef de l’Exécutif,
elles s’imposent à tous les ministres ».
81
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 12 alinéa 4.
82
Décret fixant le calendrier budgétaire de l’État, article 2.
83
Loi portant du 11 juillet 2018 portant Code de transparence et de bonne gouvernance, article 48 alinéa 2.
84
Du reste, selon l’article 1er alinéa 2 du décret n° 2013/066 du 28 février 2013 portant organisation du Ministère
des Finances, en matière budgétaire, le ministre des Finances intervient « en liaison », selon le cas, soit avec le
ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire ; soit avec le ministre des Domaines,
du Cadastre et des Affaires Foncières.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

154
Le ministre des Finances n’a pas non plus les coudées franches pour être hégémonique
dans l’établissement des cadrages macroéconomique et budgétaire à moyen terme85, en ce que
celui-ci est le fait du CPCMB, organe gouvernemental fonctionnant donc selon le principe de
la collégialité. Si l’on veut néanmoins lui reconnaître un pouvoir au regard de ce que cet organe
est placé sous son autorité et que le Secrétaire Général du ministère des Finances en assure la
présidence, on est conduit à relativiser sa puissance en voyant une force de limitation éventuelle
dans le fait que le ministre de l’Économie jouit de la même position vis-à-vis de cette instance
et que le Secrétaire Général du ministère de l’Économie en assure la vice-présidence.

Ce raisonnement est aussi valable à propos des Conférences Élargies de Programmation


Budgétaire et de Performance Associée, en ce qu’elles sont coprésidées par le ministre des
Finances et le ministre de l’Économie, qu’assistent leurs homologues. Le ministre des Finances
ne peut non plus prétendre à une quelconque prééminence au sein du Conseil de Cabinet chargé
de valider les documents de cadrage macroéconomique et budgétaire à moyen terme, non pas
d’ailleurs parce que celui-ci est présidé par le Premier ministre, mais surtout du fait du principe
de la collégialité qui régit son fonctionnement dans ces circonstances.

Dans cette logique d’entraves aux pouvoirs hégémoniques du ministre des Finances, qui
pourraient résulter de la compétence privilégiée dont il bénéficie dans la préparation des
politiques financières publiques, il faut citer aussi le fait qu’en vertu des principes de
collaboration, de concertation et de collégialité, des consultations publiques sont organisées au
plus tard le 15 juillet chaque année, afin de recueillir l’avis des parties prenantes, notamment
des acteurs économiques, sur les mesures fiscales et non fiscales nouvelles à introduire dans le
projet de loi de finances86. Par ailleurs, la presse, les partenaires sociaux et d’une manière
générale les acteurs de la société civile sont encouragés à participer au débat public sur la
gouvernance et la gestion des finances publiques87. Ouvertes et connues de tous, ces occasions
comportent ainsi une forte dose de pression notamment médiatique, susceptible d’avoir une
influence considérable sur le ministre des Finances, qui dès lors ne saurait conduire la
préparation des politiques financières publiques en méconnaissance totale des avis émis sans
s’exposer à de vives critiques.

Enfin, si le pouvoir du ministre des Finances lors des conférences budgétaires est
important, sa prééminence est cependant empêchée par le deuxième phénomène auquel la loi

85
À la différence de son homologue français et ses services, qui détiennent un total monopole dans la détermination
des prévisions macroéconomiques et des prévisions de recettes et de dépenses sectorielles (voir J. DEFLINE, Le
ministre des Finances sous la Ve République, op. cit., p. 215).
86
Décret fixant le calendrier budgétaire de l’État, article 32.
87
Loi portant du 11 juillet 2018 portant Code de transparence et de bonne gouvernance, article 48 alinéa 2.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

155
du 26 décembre 2007 et celle du 11 juillet 2018 portant également régime financier sont à
l’origine en partie, à savoir la subordination de ce ministre à la fois au Premier ministre et au
chef de l’État dans la préparation des politiques financières publiques.

En effet, alors que sous l’ordonnance du 7 février 1962 le ministre des Finances exerçait
cette compétence exclusivement sous l’autorité du Président de la République, la loi
du 26 décembre 2007 vient pour la première fois, en son article 33, le subordonner au Premier
ministre en énonçant que ce dernier « coordonne » la préparation des projets de lois de finances
assurée par lui. En confirmant cette disposition88, la loi du 11 juillet 2018 portant également
régime financier ajoute un second mécanisme de subordination, consistant dans la fonction
d’arbitrage budgétaire du Premier ministre89.

S’agissant d’abord de la subordination au Premier ministre, la question est de savoir si en


tant qu’il « coordonne » ou exerce la « coordination »90 de la préparation des politiques
financières publiques « conduit(e) » ou « assurée » par le ministre des Finances, il accomplit
une fonction passive ou au contraire active, qui dans cette deuxième hypothèse est donc
susceptible d’influencer ce ministre dans l’exercice de sa compétence.

Or, d’après le Dictionnaire de l’Académie française (9e édition), le verbe « coordonner »


dérive d’ordonner signifiant « mettre en ordre » mais aussi « donner des ordres », si nous
excluons le sens religieux qui est « conférer les ordres sacrés ». On peut ainsi poser que dans la
préparation des politiques financières publiques, le Premier ministre est chargé d'assurer avec
autorité leur mise en ordre et leur cohérence. Il organise, règle, décide, prescrit et dispose ce
faisant d’un pouvoir susceptible d’arrêter celui du ministre des Finances, avec lequel il peut
alors entrer en conflit91.

Ensuite, la subordination du ministre des Finances résulte de ce que le Premier ministre


est l’arbitre des conflits sur les dépenses et les recettes qui n’ont pu faire l’objet d’un accord
entre lui et les autres ministres lors des conférences budgétaires. Selon Alexandre Bonduelle,
l’arbitrage est « toute décision du Premier ministre prise dans le cadre de sa fonction de
direction gouvernementale afin de trancher un litige mettant aux prises des membres du collège
gouvernemental l’ayant saisi à cet effet »92. C’est ainsi que lors de la préparation des politiques

88
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État, article 12 alinéa 4 ; article 55 alinéa 1er.
89
Ibid., article 56 alinéa 2.
90
Décret fixant le calendrier budgétaire de l’État, article 2.
91
L’exemple de Michel DEBRE alors ministre des Finances, in COMITE POUR L’HISTOIRE ECONOMIQUE ET
FINANCIERE DE LA FRANCE (dir.), Michel Debré, un réformateur aux finances : 1966-1968, Paris, Institut de la
gestion publique et du développement économique, Comité pour l’histoire économique et financière de la
France, 2005, 194 p., http://books.openedition.org/igpde/4647 (consulté le 20/11/2022).
92
A. BONDUELLE, Le pouvoir d’arbitrage du Premier ministre sous la Ve République, op. cit., p. 85.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

156
financières publiques, les demandes des ministres « dépensiers », pour lesquelles un
arrangement n’a pu être trouvé avec le ministre des Finances, sont soumises au Premier ministre
chargé de trancher ces différends.

L’arbitrage du Premier ministre est donc dans le cas présent un procédé de règlement
directif des conflits budgétaires au sein du Gouvernement. Il confère ce faisant une puissance
au chef du Gouvernement, qui par lui peut défaire ce que le ministre des Finances a décidé93.
Celui-ci n’étant pas non plus lié par le rapport que lui transmet ce ministre à cet effet, on est
conduit en théorie à relativiser l’idée apparue ci-dessus, d’un « vice-arbitrage ». À vrai dire,
c’est un subtil équilibre qui s’établit entre les deux membres du Gouvernement, dans lequel le
Premier ministre a la capacité de contrecarrer les pouvoirs du ministre des Finances dans la
préparation des politiques financières publiques.

Cependant, ce pouvoir d’empêcher du chef du Gouvernement a une étendue limitée,


puisque celui-ci ne peut l’exercer qu’à l’égard des dossiers qui lui sont soumis et que le ministre
des Finances n’a pas su ou voulu résoudre à son niveau. De plus, le ministre des Finances
disposant par le rapport qu’il lui transmet un moyen non négligeable d’influence, il n'est pas
improbable qu’il ne soit jamais absent des arbitrages. Du reste, les deux membres du
Gouvernement peuvent s’accorder sur un cadre à respecter, le Premier ministre devant alors
rendre ses arbitrages en fonction de celui-ci. Car il a à la fois le devoir de soutenir le ministre
des Finances qui tente de maintenir l’équilibre budgétaire, et de veiller à ce que chaque ministre
dispose des fonds nécessaires pour mettre en œuvre la politique du Gouvernement94. Le ministre
des Finances peut aussi bénéficier du soutien du Président de la République, auquel il est
également subordonné.

Sa subordination au chef de l’État dans la préparation des lois de finances remonte à


l’article 48 de l’ordonnance du 7 février 1962 portant régime financier. Depuis lors, il est
constant que c’est « sous l'autorité du Président de la République » que celle-ci s’effectue.
L’autorité est, au sens fonctionnel, le pouvoir légitime d’exiger, sans recours à la contrainte
physique, un certain comportement de la part de celui qui lui est soumis95. Ainsi définie,
l’autorité du chef de l’État dans la préparation des politiques financières publiques se manifeste
chaque année par l’édiction de la Circulaire présidentielle, par référence à laquelle il est fait

93
En France par exemple, voir T. BRONNEC et L. FARGUES, Bercy au cœur du pouvoir, op. cit., p. 72 et s.
94
Dans ce sens, voir G. JEZE, Cours élémentaire de science des finances et de législation financière française,
Réimpression de l’édition de 1931, op. cit., p. 57.
95
A.-J. ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., Paris, LGDJ, 1993,
p. 51 ; cité G. M. PEKASSA NDAM, « Les pouvoirs budgétaires du Président de la République au Cameroun », op.
cit., p. 231.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

157
obligation d’élaborer le projet de loi de finances96. On retrouve les marqueurs de cette autorité
dans cette Circulaire, qui se manifestent notamment par l’utilisation de l’indicatif (présent et
futur), à propos duquel il est admis qu’il a valeur impérative en droit. Cette interprétation qui
se rattache à la conception classique de ce qu’est une règle de droit, à savoir un commandement,
est soutenue par le Conseil constitutionnel français97 et une partie de la science du droit98.

Si comme il est apparu ci-dessus la Circulaire présidentielle n’est pas de nature à remettre
en cause totalement la compétence privilégiée du ministre des Finances dans la préparation des
politiques financières publiques, il reste que par et en dehors d’elle le chef de l’État dispose
d’une réelle autorité et une puissance de contrainte lui permettant d’imposer ses choix
politiques. D’abord parce que c’est au Président de la République que la Constitution
du 18 janvier 1996, en son article 5 alinéa 2, charge de définir la politique de la Nation, dont
fait partie la politique financière publique. Ensuite, en vertu de l’article 10 alinéa 1er de cette
même Constitution, il nomme les membres du Gouvernement (dont le ministre des Finances),
fixe leurs attributions et met fin à leurs fonctions. Enfin, il détient un pouvoir de nomination au
sein du ministère des Finances, notamment au poste central de Directeur Général du Budget.

À ces prérogatives, il faut ajouter l’omniprésence et l’omnipotence que confèrent au chef


de l’État la nature présidentialiste du régime politique, ainsi que la personnalité des chefs d’État
africains99, dont il résulte que « c’est lui, et lui seul, qui décide »100, conformément au refrain
entonné dès les indépendances par le Président sénégalais, Léopold Sédar Senghor : « Il n’y a
pas deux caïmans dans un même marigot »101. De là, il a le pouvoir discrétionnaire de faire
entrer les finances dans « le domaine réservé » du Président de la République, de devenir « un
grand ministre des Finances »102, le « grand argentier », ne laissant que peu de place
décisionnelle au ministre des Finances.

96
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 56 alinéa 1er.
97
« Considérant […] que, l’emploi […] de l’indicatif ayant valeur impérative… » (Cons. const., 17 janvier 2008,
déc. n° 2007-561 DC, considérant n° 17).
98
D. DE BECHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ? Paris, Odile Jacob, 1997, p. 59 et s.
99
G. CONAC, « Portrait du chef de l’État », Pouvoirs, n° 25, 1983, p. 121.
100
A. BOURGUI, « L'évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l'effectivité », RFDC, n° 52,
2002/4, p. 723.
101
L. SEDAR SENGHOR, cité A. BOURGUI, idem.
102
Expression prêtée à l’ancien Président français, Valéry Giscard D’ESTAING, qui se voyait comme un « grand
ministre des Finances » (cité in M. L’HOUR et F. SAYS, Dans l’enfer de Bercy. Enquête sur les secrets du ministère
des finances, Paris, JC Lattès, 2017, p. 170).
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

158
Le pouvoir pour ce dernier d’exercer sa compétence dans la préparation des politiques
financières publiques n’est pas seulement entravé par des forces nationales ; il l’est également
par des forces sous-régionales, régionales et internationales103.

Tel est le cas du fait de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale


(CEMAC), qui rend nécessaire le maintien d’une discipline budgétaire devant être respectée
par les États membres, afin de maîtriser leurs déficits et leurs dettes publics excessifs. Celle-ci
est alors contraignante pour le ministre des Finances dans l’exercice de sa compétence de
directeur de la préparation des politiques financières publiques. Il a l’obligation de définir une
politique budgétaire à moyen terme, conforme aux critères fixés par les conventions sous-
régionales régissant la CEMAC104. Il s’agit des « critères de convergence », c’est-à-dire que le
ministre des Finances doit respecter dans l’élaboration des politiques financières publiques,
pour la mise en œuvre de la discipline budgétaire105. Dans ce cadre, il est soumis aux obligations
de la surveillance multilatérale, qui est une procédure spécifique de contrôle de la discipline
budgétaire106.

Les pouvoirs du ministre des Finances dans l’exercice de sa compétence sont aussi
entravés par l’encadrement fixé par le droit CEMAC en matière fiscale, facteur extérieur
limitant les autorités publiques dans l’élaboration de la politique fiscale interne. Il ne détient
pas ainsi une totale liberté, d’abord parce qu’il doit respecter les interdictions
communautaires107. Ensuite, parce qu’il doit respecter les règles d’harmonisation des
législations fiscales qui régissent les activités économiques et financières des États membres108.
Si elle paraît difficile, l’harmonisation fiscale est dès lors qu’elle est mise en place un cadre
contraignant pour le ministre des Finances, qui ne peut plus élaborer une politique fiscale
nationale dans les domaines harmonisés109.

Enfin, le ministre des Finances est entravé par l’obligation de respecter les libertés
fondamentales du droit communautaire, à savoir la libre circulation des marchandises, la liberté

103
Sur cette question où du fait des influences sous-régionales, régionales et internationales, les politiques
budgétaires échappent de plus en plus à la souveraineté des États, voir : M. BOUVIER, « Rapport d’ouverture », in
M. BOUVIER (dir.), Finances publiques et souveraineté des États, LGDJ, 2018, p. 21 ; M. BOUVIER, « Repenser et
reconstruire les finances publiques de demain », in M. BOUVIER (dir.), Réforme des finances publiques, démocratie
et bonne gouvernance, Paris, LGDJ, 2004, p. 5.
104
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 9 alinéa 3.
105
D. AVOM, « La coordination des politiques budgétaires dans une union monétaire : l'expérience récente des
pays de la CEMAC », Revue Tiers Monde, n° 192, 2007/4, spéc. p. 876-880.
106
D. AVOM et D. GBETNKOM, « La surveillance multilatérale des politiques budgétaires dans la zone Cemac :
bilan et perspectives », Mondes en développement, n° 123, 2003/3, p. 107-125
107
Convention régissant l’Union Économique de l’Afrique Centrale, articles 13a et 23c.
108
R. A. MEYONG ABATH, L'harmonisation fiscale et douanière en zone CEMAC, Berlin, Éditions universitaires
européennes, 2011, 557 p.
109
Par exemple, Directive n° 11/22-CEMAC-UEAC-010A-CM-38 du 28 octobre 2022 portant harmonisation des
législations des États membres en matière de TVA.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

159
de circulation des travailleurs ou de la main d’œuvre, la liberté d’établissement, la liberté de
prestation des services et la liberté d'investissement et de mouvements des capitaux110. Il doit
également respecter les principes généraux communautaires, notamment les principes des droits
de la défense, de la non-rétroactivité, des droits acquis, de l’égalité des administrés devant la
réglementation, de neutralité de la TVA, etc.

Outre la CEMAC, les finances publiques sont enserrées dans un cadre international, qui
lui aussi entrave les pouvoirs du ministre des Finances dans l’exercice de sa compétence de
préparation des politiques financières publiques111. Car, principales actrices de l’influence
financière et fiscale internationale, les organisations internationales, qui sont très
majoritairement publiques ou parapubliques (FMI, Banque mondiale, OCDE), même si certains
acteurs privés interviennent également, exercent diverses missions influençant les choix
politiques de ce ministre.

Ainsi en va-t-il de la mission de surveillance et de contrôle, qui si elle est accomplie par
la CEMAC, l’est aussi par les grandes organisations mondiales. Elles exigent des États qui en
sont membres de leur fournir les informations nécessaires (statistiques, prévisions, perspectives
budgétaires, lois financières, programmes, etc.), afin d’évaluer leurs politiques financières et
leurs comptes publics. Le FMI émet par exemple des consultations et des conclusions sur les
choix financiers et budgétaires des États, qui peuvent alors influencer les choix politiques du
ministre des Finances.

Avec la même conséquence, les acteurs internationaux exercent également une mission
d’élaboration des normes financières et fiscales internationales. Il peut s’agir d’un simple
« code de bonne conduite » pour promouvoir la sincérité et la transparence en matière
financière, comme le « code de conduite en matière de transparence des finances publiques »
publiée par le FMI, ou les « lignes directives pour la transparence budgétaire » publiées par
l’OCDE. Il peut s’agir aussi de modèles de conventions internationales qui conduisent les États
à souscrire à l’un de ces modèles (ONU ou OCDE). Une fois signées, ces différentes
dispositions sont contraignantes pour le ministre des Finances, qui ne saurait y déroger sauf à
rompre ses engagements contractuels.

Les organisations internationales interfèrent également dans l’élaboration des politiques


financières publiques par leur mission de coopération dans la lutte contre la fraude et l’invasion
fiscale, contre les territoires non coopératifs et contre la concurrence fiscale dommageable. Ce

110
Convention régissant l’Union Économique de l’Afrique Centrale, notamment l’article 13d.
111
Voir dans sens : A.-J. ARNAUD, « De la régulation par le droit à l’heure de la globalisation », Revue droit et
société, n° 35, 1997, p. 11-35 ; A. TUNG, « Standards juridiques et unification du droit », RIDC, vol. 22, 1970,
n° 2, p. 247 et s.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

160
combat, qui va de pair avec la mission précédente de d’élaboration normative dont du reste il
est la cause, innerve tout le droit financier et fiscal international.

Enfin, par la mission de bonne gouvernance, les organisations internationales participent


à l’émergence de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques des différents États,
en fournissent à ces derniers des recommandations afin d’éviter prioritairement la corruption.
Trois principes se sont ainsi grâce à elles infusés dans l’exercice du pouvoir par les ministres
des Finances : le principe de transparence, le principe de sincérité et le principe de bonne gestion
financière.

Toutefois, si ces différents éléments, souvent qualifiés de « standard »112, participent tous
de l’influence des entités internationales sur les choix politiques des pouvoirs exécutifs, il
convient de relativiser cet encadrement bien moins contraignant que celui de la CEMAC. Les
États suivent les préconisations mentionnées, mais dans les faits rien ne les y oblige, car ils
conservent tous leur souveraineté et peuvent ainsi s’écarter de ces prescriptions. Il en va
autrement s’il s’agit d’engagements contractuels tels que les conventions fiscales
internationales113.

En conclusion, si le ministre camerounais des Finances bénéficie d’une compétence


privilégiée dans la préparation des politiques financières publiques, ses pouvoirs pour l’exercer
sont cependant entravés. Sa prééminence dans leur conception s’en trouve ainsi contrecarrée.
D’autant plus d’ailleurs que dans la phase de leur adoption, la supériorité dont il jouit dans un
premier temps est ensuite rééquilibrée.

B. UNE SUPERIORITE REEQUILIBREE DANS L’ADOPTION DES


POLITIQUES FINANCIERES PUBLIQUES

De façon surprenante, le ministre camerounais des Finances détient des compétences


importantes dans l’adoption des politiques financières publiques, une phase qui normalement
relève du Parlement (1). On ne saurait cependant conclure à sa supériorité absolue dans cette
étape, du fait que les pouvoirs que lui confèrent ses attributions sont rééquilibrés par le contre-
pouvoir juridictionnel principalement (2).

112
Voir A. LAGELLE, Les standards en droit international économique. Contribution à l’étude de la normativité
internationale, Paris, L’Harmattan, 2014, 513 p. Le terme « standard » est souvent utilisé par les organisations
internationales pour désigner une règle qui n’a pas la force d’une véritable norme juridique, mais qui n’est pas
pour autant dépourvu de tout caractère obligatoire.
113
TH. DUBUT, « Modélisation des normes et normativité des modèles : le caractère normatif ambivalent du
modèle de convention fiscale de l’OCDE en droit internationale public », RBDI, 2009, n° 1, p. 212-239.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

161
1. Des compétences étonnamment importantes

« La loi est votée par le Parlement »114, telle est la formule qu’utilise la Constitution du
Cameroun, qui précise par ailleurs que le budget relève du domaine de la loi115, et que
l’Assemblée Nationale vote le budget au cours de l’une de ses sessions116. Considérées
isolément, ces dispositions laissent penser que le Parlement au Cameroun détient un monopole
dans l’adoption des politiques financières publiques, ce qui paradoxalement n’est pas le cas. En
effet, alors que cette phase de la conception de celles-ci revient en principe au Parlement, le
ministre des Finances y détient cependant des compétences substantielles, qui soit lui sont
propres, soit reviennent à l’Exécutif, mais qu’en matière financière il exerce en pratique.

Il en est ainsi dès le dépôt du projet de loi de finances à la fois sur le Bureau de
l’Assemblée Nationale et sur celui du Sénat117. Certes, il est effectué par le Président de la
République via le ministre délégué à la Présidence de la République chargé des Relations avec
les Assemblées, mais en tant qu’il est chargé de conduire l’élaboration des politiques financières
publiques, en principe, le ministre des Finances ne se trouve pas à l’écart de cette procédure.

À la réception du projet de loi de finances, les Présidents de l’Assemblée Nationale et du


Sénat le communiquent à leur Conférence des Présidents respective. Déclaré recevable par cette
dernière dont c’est l’une des missions, il est transmis pour examen à la Commission des
Finances et du Budget, laquelle ne peut le modifier, conformément à une règle implicite. En
effet, la Constitution118 et les règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale et du Sénat119
exigent que le texte examiné en séance plénière soit celui déposé au Bureau de la Chambre par
le Président de la République ou celui transmis par le Président de l’autre Chambre, faisant fi
ainsi de l’intervention, entre temps, des commissions parlementaires.

Cette règle limite la portée du travail de la Commission des Finances et du Budget, dont
la seule possibilité dès lors réside dans les compétences de son Rapporteur général, qui peut
dans son rapport notamment, après avoir recueilli les amendements jusqu’au début de la

114
Constitution du Cameroun du 18 janvier 1996, article 26.
115
Idem.
116
Ibid., article 16 alinéa 2b.
117
Toutefois, la discussion en séance publique commence à l’Assemblée Nationale qui implicitement a la priorité,
à la différence de la France, où l’article 39 alinéa 2 de la Constitution de 1958 indique expressément que les projets
de lois de finances et de financement de la sécurité sociale en particulier, « sont soumis en premier lieu à
l'Assemblée nationale ».
118
Constitution du 18 janvier 1996, article 29 alinéa 2.
119
Loi n° 2014/016 du 09 septembre 2014 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, article 60
alinéa 1er ; loi n° 2013/006 du 10 juin 2013 portant règlement intérieur du Sénat, article 62 alinéa 1er.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

162
discussion par articles120, proposer ces modifications à l’assemblée plénière, au nom de la
Commission. Une sorte d’immunité du travail du ministre des Finances se trouve de la sorte
consacrée au niveau de cette dernière.

L’examen du texte en commission terminé, l’ordre du jour est fixé pour la discussion en
séance publique. Sa définition est un élément important, qui traduit la hiérarchie des
préoccupations du Parlement et de l’exécutif121, ainsi que la place de chacun de ces pouvoirs
dans la procédure législative. Il est fixé par la Conférence des Présidents, aux travaux de
laquelle participe un membre du Gouvernement122. Le ministre des Finances détient un privilège
à cet égard, car par ce membre du Gouvernement il peut faire soumettre à l’examen
parlementaire le projet de lois de finances avant tout autre texte, sur le fondement des
dispositions de la Constitution selon lesquelles l’ordre du jour comporte en priorité et dans
l’ordre que le Gouvernement a fixé, la discussion des projets de loi ou des propositions de loi
qu’il a acceptées123. Par ailleurs, il peut demander l’urgence qui alors est de droit124, et les débats
pour lesquels il la déclare ont priorité sur l’ordre du jour arrêté par la Conférence des
Présidents125.

Lorsque le jour de la discussion en séance plénière est venu, c’est encore au ministre des
Finances qu’il revient de défendre tout au long des débats le projet de loi de finances devant les
deux Chambres126. Les autres membres du Gouvernement participent aux séances auxquelles
est inscrite la discussion de leurs Budgets respectifs, et peuvent se faire assister des proches
collaborateurs pour défendre leurs enveloppes budgétaires, ou en cas d’empêchement, se faire
suppléer par un autre membre du Gouvernement127. Il apparaît ainsi que le ministre des Finances
est l'acteur principal, qui soutient devant la représentation nationale l’ensemble du travail
effectué sous sa conduite par l’Exécutif, et en assume donc la responsabilité politique devant
elle. L’importance de son rôle est d’autant plus surprenante dans cette phase qui relève
normalement du Parlement qu’il peut faire adopter le projet de loi de finances à la convenance

120
Loi n° 2014/016 du 09 septembre 2014 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, article 25
alinéa 6 ; loi n° 2013/006 du 10 juin 2013 portant règlement intérieur du Sénat, article 29 alinéa 6.
121
L. FAVOREU et autres, Droit constitutionnel, 12e éd., Paris, Dalloz, 2009, p. 743.
122
Loi n° 2014/016 du 09 septembre 2014 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, article 39
alinéa 2 ; loi n° 2013/006 du 10 juin 2013 portant règlement intérieur du Sénat, article 39 alinéa 3.
123
Constitution du 18 janvier 1996 : article 18 alinéa 4 en ce qui concerne l’Assemblée Nationale ; article 23
alinéa 4 pour ce qui est du Sénat.
124
Ibid., article 18 alinéa 5 à l’Assemblée Nationale ; article 23 alinéa 5 au Sénat.
125
Loi n° 2014/016 du 09 septembre 2014 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, article 56
alinéa 3 ; loi n° 2013/006 du 10 juin 2013 portant règlement intérieur du Sénat, article 59 alinéa 2.
126
Décret fixant le calendrier budgétaire de l’État, article 57 alinéa 2.
127
Loi n° 2014/016 du 09 septembre 2014 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, article 44
alinéas 3 et 4 ; loi n° 2013/006 du 10 juin 2013 portant règlement intérieur du Sénat, article 46 alinéas 1 et 2.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

163
de l’Exécutif. Ses ressources consistent dans les outils de rationalisation du parlementarisme,
ainsi que dans le fait majoritaire.

En effet, le ministre des Finances contrôle la phase d’adoption des politiques financières
publiques par les différents mécanismes mis en place pour réduire l'emprise du Parlement sur
l'action gouvernementale, éviter les dérives parlementaristes connues sous les IIIe et IVe
Républiques françaises par exemple, et aboutir à un fonctionnement plus efficace du
Gouvernement128. Bien que ces outils soient attribués à ce dernier et ne soient pas spécifiques à
la matière financière, il les utilise en pratique dans ce domaine, ce qui dans l’adoption des
politiques financières publiques, a pour effet de déséquilibrer à son avantage les rapports avec
le Parlement129.

Tel est le cas de certaines dispositions qui tendent à ce que le Gouvernement garde le
contrôle sur le projet de loi de finances pour protéger ce dernier d’une action du Parlement
l’éloignant de la politique financière souhaitée par l’Exécutif. C’est ainsi qu’elles subordonnent
à l’acceptation de la Commission des Finances et du Budget ou à celle du Gouvernement, et
donc du ministre des Finances en pratique, la discussion en séance publique de certains
amendements parlementaires130. Dans le souci également de permettre à ce ministre de garder
le contrôle sur le projet de loi de finances, la recevabilité des contreprojets, c’est-à-dire les
amendements à l’ensemble du texte en discussion, est soumise à la décision de la Conférence
des Présidents, aux travaux de laquelle participe un membre du Gouvernement, comme il a ci-
dessus été indiqué.

D’une manière générale, l’organisation du droit d’amendement et de la discussion en


séance plénière semble être dictée par la double préoccupation, d’une part, de faire du projet de
lois de finances la base et le cadre du débat parlementaire ; d’autre part, de préserver les
équilibres de la politique financière publique décidés par l’Exécutif, sous la conduite du
ministre des Finances. C’est ainsi que l’article 29, alinéa 2, de la Constitution demande que le
texte examiné en séance plénière soit celui déposé par le Président de la République131. De leur

128
Voir F. BASTIEN, « Un parlementarisme « rationalisé » », in Le régime politique de la Ve République, Paris, La
Découverte, 2011, p. 29-62.
129
Voir dans ce sens : G. ZALMA, « L’hégémonie du ministre des Finances dans le droit budgétaire de l’État », op.
cit., p. 1662 ; A. BAUDU, Contribution à l’étude des pouvoirs budgétaires des Parlements en France. Éclairage
historique et perspectives d’évolution, Paris, Dalloz, 2010, p. 366 et s.
130
Loi n° 2014/016 du 09 septembre 2014 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, article 61
alinéas 5a et 5d ; loi n° 2013/006 du 10 juin 2013 portant règlement intérieur du Sénat, article 64 alinéas 5a et 5d.
131
À cette hypothèse, les règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale (article 60, alinéa 1er) et du Sénat
(article 62, alinéa 1er) ajoutent celle du texte transmis par le Président de l’autre Chambre, ce qui reste dans la
double préoccupation énoncée ci-dessus.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

164
côté, les règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale et du Sénat disposent132 que les
amendements parlementaires ne sont recevables que, d’une part, sils s’appliquent effectivement
au texte en discussion ou, s’agissant de contreprojets et d’articles additionnels, ils sont proposés
dans le cadre de ce texte ; d’autre part, s’ils ont été soumis à la Commission des Finances et du
Budget, qui ne peut pas modifier le projet de loi de finances, comme il a été ci-dessus relevé.

C’est sans doute aussi pour préserver les équilibres de la politique financière publique
décidés par l’Exécutif sous la conduite du ministre des Finances, que sont irrecevables les
amendements déposés par les parlementaires, qui auraient pour effet, s’ils sont adoptés, soit une
diminution des ressources publiques, soit l’aggravation des charges publiques sans réduction à
due concurrence, d’autres dépenses ou création de recettes nouvelles d’égale importance133. À
l’évidence, cette irrecevabilité est un couperet qui, à la limite, est susceptible de supprimer
purement et simplement l’initiative parlementaire.

Les modifications que le Parlement peut apporter au projet de loi de finances étant ainsi
strictement encadrées et soumises au contrôle permanent du ministre des Finances, et ses
Commissions des Finances et du Budget ne pouvant modifier le texte, il apparaît qu’il est
sollicité pour voter ce dernier, pas pour le réécrire. D’autant que par les prérogatives reconnues
au Gouvernement et dont il peut user indirectement en pratique, le ministre des Finances a la
maîtrise de la procédure de discussion en séance publique et de vote, à tel point qu’il peut établir
sans changement une politique financière publique qu’il souhaite.

Ainsi, il peut écourter les discussions au Parlement et précipiter le vote de la loi, en


demandant l’urgence qui alors est de droit134 et oblige le Sénat, dans un délai de cinq jours, au
lieu de 10 jours normalement, à adopter le texte, à apporter des amendements au texte ou à
rejeter tout ou partie du texte135. Il peut aussi demander le vote sans débat136. Ce pouvoir est
cependant limité, puisque tout député ou tout sénateur peut faire opposition à un vote sans débat
inscrit à l’ordre du jour, s’il désire présenter des observations ou un amendement137.

Le ministre des Finances peut même, en faisant poser la question de confiance à


l’Assemblée Nationale138, exercer une pression sur les députés et les amener à voter sans
changement une politique financière publique qu’ils auraient modifiée ou même rejetée. L’effet

132
Loi n° 2014/016 du 09 septembre 2014 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, article 61,
alinéa 3 ; loi n° 2013/006 du 10 juin 2013 portant règlement intérieur du Sénat, article 64, alinéa 3.
133
Constitution du 18 janvier 1996, article 18 alinéa 3 a, et article 23 alinéa 3 a.
134
Ibid., article 18, alinéa 5, à l’Assemblée Nationale ; article 23, alinéa 5 au Sénat.
135
Ibid., article 30, alinéa 3.
136
Loi n° 2014/016 du 09 septembre 2014 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, article 40
alinéa 1er ; loi n° 2013/006 du 10 juin 2013 portant règlement intérieur du Sénat, article 40 alinéa 1er.
137
Ibid., article 41 aliéna 3 à l’Assemblée Nationale ; article 41 alinéa 3 au Sénat.
138
Constitution du 18 janvier 1996, article 34 alinéa 1er.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

165
contraignant pour les députés pourrait résulter du fait qu’un vote de défiance entraînerait la
démission du Gouvernement et, éventuellement, la dissolution de l’Assemblée Nationale par le
Président de la République. L’hypothèse de retourner devant le corps électoral, sans garantie
d’être réélu, pourrait les obliger à voter les politiques financières publiques souhaitées par
l’Exécutif.

Enfin, au cas où le budget ne peut être adopté avant la fin de l’année budgétaire en cours,
le ministre des Finances dispose indirectement du pouvoir reconnu au Président de la
République par l’article 16 alinéa 2-b de la Constitution139, de reconduire par douzième le
Budget de l’exercice précédent, jusqu’à l’adoption du nouveau budget. Comparée à
l’article 51 alinéa 2 de l’ordonnance du 7 février 1962 portant régime financier140, cette
disposition va plus loin dans l’atteinte portée au droit du Parlement de voter les politiques
financières publiques. Car elle ne requiert pas l’habilitation de ce dernier, d’une part, et le
Président de la République intervient sans limitation de durée, jusqu’à l’adoption du nouveau
budget, d’autre part. Elle confère donc indirectement au ministre des Finances un pouvoir
important dans l’adoption des politiques financières publiques, un domaine qui pourtant relève
en principe du Parlement.

Outre ces outils de rationalisation du régime parlementaire, le second élément permettant


au ministre des Finances d’obtenir le vote des politiques financières publiques à sa convenance
est la présence au Parlement d’une majorité politique homogène et forte, rangée derrière le
Gouvernement auquel ce ministre appartient. Du reste, l’existence d’une majorité politique de
cette nature rend purement théorique l’hypothèse qui vient d’être envisagée, du recours à la
contrainte de la question de confiance pour faire adopter les politiques financières publiques.
Car dans ces conditions, la confiance est naturellement acquise au Gouvernement et au ministre
des Finances, et la majorité parlementaire ne peut qu’accepter avec asservissement de voter le
projet de loi de finances qu’ils lui soumettent. Le fait majoritaire réduit ainsi le Parlement à une
chambre d’enregistrement des politiques financières publiques souhaitées par le
Gouvernement, sous la conduite du ministre des Finances141.

139
« Au cas où le budget n’aurait pas été adopté avant la fin de l’année budgétaire en cours, le Président de la
République est habilité à reconduire, par douzième, le budget de l’exercice précédent jusqu’à l’adoption du
nouveau budget ».
140
« Si le projet de loi des finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposé en temps
utile pour être promulgué avant le début de cet exercice, le Gouvernement demande d'urgence au Parlement
l'autorisation de continuer à percevoir les impôts, et d'ouvrir par décret, pour une période déterminée,
éventuellement renouvelable dans les mêmes conditions, les crédits nécessaires aux paiements de la dette et au
fonctionnement des pouvoirs et des services publics jusqu'au vote de la loi des Finances ; ces crédits seront calculés
sur la base des dotations du Budget précédent ».
141
Un député de l’opposition, Joshua OSIH (SDF), déclarait ainsi : « On n’arrive pas à comprendre quand le
Parlement pourra impulser quelque chose de positif dans la loi de finances. Parce qu’à chaque fois qu’elle est
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

166
Pour autant, un rééquilibrage des pouvoirs que les compétences, directes ou indirectes, de
ce ministre lui confèrent dans l’adoption des politiques financières publiques doit être constaté.

2. Des pouvoirs contrebalancés

Le Parlement camerounais dispose en théorie du pouvoir financier, étant seule autorisée


à créer ou modifier les impôts et taxes, ainsi qu’à déterminer leur assiette, leur taux et leurs
modalités de recouvrement. Toutes les dispositions financières doivent figurer dans les lois et
donc être votées par le pouvoir législatif. Le Parlement est aussi compétent pour adopter les lois
de finances. Il s’est vu en outre confier une fonction de contrôle de l’action du Gouvernement
et d’évaluation des politiques financières publiques.

C’est en particulier lors de l’adoption des politiques financières publiques que le


Parlement apparaît comme un contre-pouvoir au ministre des Finances. En effet, lors des
discussions budgétaires et par le droit d’amendement, les parlementaires ont la faculté de
modifier et de voter le projet de loi de finances préparé par le Gouvernement sous la conduite
de ce ministre. Cependant, s’ils détiennent de larges pouvoirs pour amender et adopter le texte,
ceux-ci sont très encadrés pour éviter tout excès du pouvoir législatif qui fragiliserait son
équilibre financier. Cet encadrement en faveur de l’Exécutif renforce le ministre des finances
et, à l’inverse, réduit jusqu’à néant en règle générale, l’influence des parlementaires sur le
travail de ce ministre. C’est une litote de dire ici, comme Monsieur Njocksit au sujet de la
France, que « les pouvoirs du Parlement sur l’exécutif sont relativement faibles »142.

On l’observe dès l’examen du projet de loi de finances par les Commissions des Finances
et du Budget de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Dans le principe, la commission
parlementaire des finances a pour vocation de servir de lien entre le Parlement et le
Gouvernement, de représenter les assemblées parlementaires et de contribuer à conduire
l’Exécutif dans la conception de la loi de finances143. Le professeur Jèze voyait en elle la
véritable adversaire du ministre des Finances, d’avantage encore que le Parlement lui-même,
un « censeur du Gouvernement », qui « substitue ses vues à celles du ministre » et « bouleverse

présentée, il n’y a pas une virgule qui change à la sortie [...] Si nous ne servons à rien, je ne vois pas pourquoi nous
venons pour cet exercice » (cité in : https://www.cameroon-tribune.cm/article.html/53373/fr.html/projet-de-loi-
de-finances-pourquoi-les-amendements-sont, site consulté le 20/12/2022).
142
N. JOCSIK, « Un parlement "collaborateur", sous la tutelle du Conseil constitutionnel », in C. EUZET (dir.),
Comment la France d’aujourd’hui est-elle gouvernée ? : entre rapports institutionnels complexes, société en
mutation et situation de crise durable, Perpignan, PUP, 2016, p. 110.
143
I. BOUHADANA, « Vers un nouveau rôle des commissions des finances des assemblées parlementaires », in M.
BOUVIER (dir.), Réformes des finances publiques, démocratie et bonne gouvernance, Paris, LGDJ, 2004, p. 39.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

167
le projet de Budget »144. Il n’en va pas cependant ainsi au Cameroun, où comme il a été ci-
dessus relevé, le rôle des Commissions des Finances et du Budget a été singulièrement limité,
de même que le droit des parlementaires de modifier le projet de lois de finances lors des
discussions en séance plénière.

Le débat budgétaire, justement, est aussi en théorie un temps fort de la vie parlementaire.
Mais au Cameroun, il ne l’est pas réellement non plus, le Parlement ne disposant pas en séance
publique de pouvoirs qui lui permettent de concourir efficacement à la prise des décisions de
politique financière publique. Outre les faits relevés ci-dessus, que le droit des irrecevabilités
et des amendements est de nature à supprimer toute initiative parlementaire et que le
Gouvernement dispose de moyens pour obtenir le vote qui lui convient, les délais d’examen du
projet de loi de finances sont également réglementés pour des raisons d’efficacité et ne
permettent pas aux Assemblées de se livrer à un examen approfondi du projet de loi de finances.
Une situation qui est à l’avantage du ministre des Finances, dont le travail ne risque pas de cette
façon d’être remis en cause.

La brièveté des délais est effectivement une autre raison pour laquelle le Parlement qui
ne dispose pas ainsi de temps suffisant pour prendre une bonne connaissance des documents
nombreux et hautement complexes de la loi de finances, ainsi que d’examiner ceux-ci de façon
approfondie, ne peut pas modifier les politiques financières publiques défendues devant lui par
le ministre des Finances. Dans une session parlementaire d’une durée de quarante-cinq jours au
maximum et pouvant comporter plusieurs sujets à l’ordre du jour, le temps est forcément
contraint. Celui qui est réservé à la discussion budgétaire doit être réparti entre les deux
Chambres et les délais nécessaires à la recherche d’un compromis en cas de désaccord entre
elles.

En illustration de la brièveté des délais résultant nécessairement d’une organisation aussi


serrée, l’article 30 alinéa 3 de la Constitution donne dix jours au Sénat pour adopter le texte
transmis par l’Assemblée Nationale à partir de la réception de ce dernier, y apporter des
amendements ou le rejeter en totalité ou en partie. Ce délai peut être réduit à cinq jours en cas
d’urgence déclarée par le Gouvernement.

Dans ces conditions de délais courts, si on parvient à faire voter la loi de finances à temps,
c’est au prix d’un « marathon budgétaire », d’une course contre-la-montre, où les auditions des
ministres dits « dépensiers » se succèdent au Parlement à un rythme effréné, sans réel débat sur
les enveloppes budgétaires et les politiques financières publiques décidées par le Gouvernement

144
G. JEZE, Cours élémentaire de science des finances et de législation financière française, Réimpression de
l’édition de 1931, op. cit., p. 66.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

168
sous la conduite du ministre des Finances. Il ne serait pas surfait de qualifier cette procédure,
comme d’autres l’on fait en France dans des circonstances semblables, de « rite annuel »145, qui
« tient plus du sacrifice à une mystique [...] que d’une institution ayant une réelle portée
pratique »146.

Ainsi, le rééquilibrage des pouvoirs tenté par la loi du 11 juillet 2018 portant régime
financier paraît relatif au regard de ceux que conserve le ministre des Finances face aux deux
chambres parlementaires. Fort heureusement, il a été renforcé par le contrôle que le Conseil
constitutionnel peut, en vertu de la Constitution, exercer sur les lois financières publiques avant
leur promulgation par le Président de la République. Ce contrôle est susceptible de contrarier
et contrebalancer les pouvoirs directs et indirects du ministre des Finances, qui ne peut plus
alors jouir d’une totale liberté d’action du fait que le projet de loi de finances ne saurait être
contraire aux normes constitutionnelles, sous peine d’être censuré par le juge constitutionnel
chargé de protéger celles-ci contre les violations.

S’il est vrai que le Conseil constitutionnel est habilité à contrôler le texte adopté par le
Parlement et non pas le travail Gouvernemental, il peut cependant influencer ce dernier. Car en
contrôlant le projet adopté par le Parlement, il juge indirectement celui du Gouvernement qui
l’a préparé sous la conduite du ministre des Finances, surtout que tel qu’il est apparu ci-dessus,
les projets de loi de finances sont votés sans modification par les Assemblées parlementaires.

En conséquence, comme l’ont montré plusieurs travaux à propos du Conseil


constitutionnel français, les décisions du juge constitutionnel peuvent peser dans le processus
d’élaboration des lois financières publiques147. Plus encore, elles peuvent contraindre le ministre
des Finances pour l’avenir, si le juge constitutionnel les accompagne de réserves dites
« directives », qui comportent un contenu prescriptif. Des exemples tirés du droit français
montrent la manière dont le juge constitutionnel peut s’immiscer dans le travail financier du
ministre des Finances et contrarier ses pouvoirs148.

D’abord en imposant le respect des règles financières à valeur constitutionnelle. Le


Conseil constitutionnel français s’est ainsi opposé au projet du ministre des Finances de taxation

145
J.-P. FOURCADE, « La loi organique de 1959, un monument perfectible », RFFP, n° 26, 1989, p. 46.
146
J.-C. MARTINEZ et P. Di MALTA, Droit budgétaire, Litec, 1982, p. 254.
147
Le sénateur Jean-Jacques HYEST expliquait que si le Conseil constitutionnel n’écrit pas la loi, ceux qui
l’élaborent et l’adoptent ont toujours sa jurisprudence en tête (in COMMISSION DES LOIS DU SENAT ET AFDC,
L’écriture de la loi, Actes de colloque n° 3, 31 juillet 2014, p. 22, disponible sur le site :
https://www.senat.fr/rap/ecriture_loi/ecriture_loi1.pdf, consulté le 20/12/2022). Voir notamment L. FAVOREU,
« L’influence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les diverses branches du droit », in G. CONAC et
autres (dir.), Études en l’honneur de Léon Hamon, Paris, Economica, 1982, p. 235-244.
148
Voir É. DOUAT et X. BADIN, Finances publiques, 3e éd., Paris, PUF, 2006, p. 267-268.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

169
d’office en lui opposant le respect du principe d’égalité149, car le texte de loi établissait une
inégalité entre les petits et les plus importants contribuables. Sur la base du même principe, il
s’est également opposé au projet du ministre des Finances d’indemniser d’avantage les
actionnaires des sociétés nationalisées150. Il a pu aussi sanctionner les atteintes au principe de
non-affectation lorsque le ministre des Finances a tenté d’affecter certaines ressources
publiques151. Enfin, toute la jurisprudence sur les cavaliers budgétaires152 insérés dans le projet
par le ministre des Finances ou par des parlementaires illustre de la même manière la façon dont
le juge constitutionnel vient contrôler le travail du ministre des Finances.

En ses qualités d’organe régulateur du fonctionnement des institutions153 et de juge des


conflits d’attribution entre les institutions de l’État154, le juge constitutionnel camerounais peut
aussi contrarier les pouvoirs du ministre des Finances en sanctionnant les atteintes à la
séparation des pouvoirs entre le Gouvernement et le Parlement. S’agissant de la matière
financière, la disposition constitutionnelle la plus significative qu’il protège alors se trouve dans
l’article 26 de la Constitution définissant le domaine de la loi. Elle concerne le régime
d’émission de la monnaie, le Budget, la création des impôts et taxes et la détermination de
l’assiette, du taux et des modalités de recouvrement de ceux-ci. Ce qui ne revient pas au pouvoir
législatif échoit au domaine réglementaire.

Par exemple, se fondant sur l’article 38 de la Constitution de 1958, équivalent français de


l’article 26 précité de la Constitution camerounaise, le Conseil constitutionnel français a
sanctionné nombre de dispositions financières devant figurer dans un règlement, qui cependant
ont été prises par la voie législative155. Inversement, il a également sanctionné des dispositions
figurant dans un acte réglementaire, mais qui auraient dû être prises par le Parlement156. Le
choix du ministre des Finances de prendre une disposition par la voie réglementaire ou
législative peut ainsi être contrarié par une décision du juge constitutionnel.

Ainsi, le juge constitutionnel peut se poser en contre-pouvoir du ministre des Finances et


faire peser un contrôle rigoureux sur ce dernier, l’obligeant à respecter une discipline

149
Cons. const., décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973, Loi de finances pour 1974.
150
Cons. const., décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation.
151
Cons. const., décision n° 93-328 DC du 16 décembre 1993, Loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et
à la formation professionnelle.
152
Les cavaliers budgétaires sont des dispositions figurant dans des textes financiers adoptés par le pouvoir
législatif, mais n’ayant pas leur place dans une loi de finances. Ils doivent alors être déclarés non conformes et
supprimés du texte avant sa promulgation.
153
Constitution du 18 janvier 1996, article 46.
154
Ibid., article 47 alinéa 1er.
155
Cons. const., décision n° 2011-645 DC du 28 décembre 2011, Loi de finances rectificatives pour 2011.
156
Par exemple : Cons. const., décision n° 2014-706 DC du 28 décembre 2014, Loi de financement de la sécurité
sociale pour 2015.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

170
constitutionnelle et budgétaire157. Par sa jurisprudence, il peut participer à la conception des
politiques financières publiques et contribuer à réduire la marge de manœuvre de ce ministre.
À défaut d’être politique, le contre-pouvoir est juridictionnel.

Dans ces conditions, il ne saurait être reconnu au ministre des Finances une toute-
puissance puisqu’il doit, tout comme les parlementaires, respecter l’État de droit158 et la
hiérarchie des normes dans la conception des politiques financières publiques. Le ministre des
Finances doit respecter un cadre juridique au risque de voir le texte être sanctionné par le
Conseil constitutionnel. Il doit également prendre en compte dans l’élaboration des politiques
financières publiques, les directives émises par ce dernier en complément de ses décisions.

Du reste, au-delà de la conception des politiques financières publiques, où il apparaît que


le ministre camerounais des Finances ne fait pas tout et ne peut pas tout faire, la thèse de
l’absence d’hégémonie se trouve confortée lors de leur mise en œuvre, où la prééminence dont
il pourrait disposer est fragilisée dans leur exécution et leur contrôle.

II. LE MINISTRE CAMEROUNAIS DES FINANCES, UNE AUTORITÉ À LA


PRÉÉMINENCE FRAGILISÉE DANS LA MISE EN ŒUVRE DES POLITIQUES
FINANCIÈRES PUBLIQUES

Dès lors que les politiques financières publiques ont été adoptées au Parlement et
promulguées sous forme de loi de finances par le Président de la République, vient le temps de
leur mise en œuvre qui se subdivise en deux phases, au cours desquelles le ministre des Finances
intervient également. La phase de l’exécution d’abord, dans laquelle ce ministre semble détenir
une prééminence, mais qui en réalité est fragmentée, ce qui l’empêche d’être tout-puissant (A).
La phase du contrôle ensuite, dans laquelle il intervient comme le contrôleur de ses collègues,
mais la supériorité qu’il peut tirer de cette compétence est diminuée par le fait qu’il est lui-
même contrôlé (B).

A. UNE SUPERIORITE FRAGMENTEE DANS L’EXECUTION DES


POLITIQUES FINANCIERES PUBLIQUES

157
Toutefois, il est juste d’indiquer aussi que des décisions du juge constitutionnel peuvent tourner à l’avantage
du ministre des Finances et lui permettre, en les invoquant, de résister aux demandes des groupes de pression et
des ministères dépensiers. L’argument d’une sanction éventuelle du juge constitutionnel peut se révéler l’un des
plus convaincants pour que les ministres « dépensiers » acceptent le refus du ministre des Finances. Dans ce sens,
voir G. ZALMA, « L’hégémonie du ministre des Finances dans le droit budgétaire de l’État », op. cit., p. 1667.
158
Sur le Conseil constitutionnel, garant de l’État de droit, voir : J.-L. QUERMONE et D. CHAGNOLLAUD, Le
Gouvernement de la France sous la Ve République, 4e éd., Paris, Dalloz, 1991, p. 385 et s.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

171
L’exécution des politiques financières publiques se conçoit comme l’action de réaliser ce
qui dans cette matière a été voté dans la loi des finances. Elle revient, comme son nom l’indique,
au pouvoir exécutif. Dans ce cadre, le ministre des Finances disposant des compétences
attribuées à un ordonnateur principal a la mission d’exécuter la politique financière publique de
son ministère, comme tout ministre. Cependant, à la différence des autres ministres et d’un
ordonnateur principal, parce qu’il est l’acteur principal et en raison de ses attributions et du
domaine de son département ministériel, il s’immisce dans l’exécution des politiques
financières publiques des autres ministères. Il bénéficie ainsi d’une compétence avantagée (1),
qui lui confère des pouvoirs pouvant conduire à le qualifier de « super-ministre ». En réalité
cependant, sa prééminence qui peut en résulter est fragilisée par le fait que ses pouvoirs sont
éparpillés (2), certains étant partagés tandis que d’autres sont exercés par des autorités
relativement indépendantes.

1. Une compétence avantagée

L’ordonnance du 7 février 1962 portant régime financier chargeait le ministre des


Finances de l’exécution du Budget de l’État, des Budgets annexes et des comptes hors Budget.
Ordonnateur de ces Budgets, ce ministre les exécutait « sous son autorité propre et sous sa
responsabilité »159 et disposait « seul et sous sa responsabilité »160 des crédits ouverts par la loi.
Parallèlement, il assurait la mise en recouvrement des droits et des produits ainsi que la
liquidation et l'ordonnancement des dépenses. S’il pouvait déléguer ses pouvoirs par arrêté à un
fonctionnaire de son choix, s’il était habileté à constituer par arrêté des ordonnateurs
secondaires pour l'ordonnancement des dépenses, de même qu’il avait le droit d’instituer des
sous-ordonnateurs quand les circonstances l'exigeaient, ces autorités agissaient cependant
« sous son contrôle et sa responsabilité »161. Ainsi, le ministre des Finances détenait une
supériorité sur ses collègues du Gouvernement dans l’exécution des politiques financières
publiques.
La situation évolue avec la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, qui introduit
des assouplissements à l’extrême rigidité faisant du ministre des Finances le responsable
exclusif de l’exécution des politiques financières publiques. C’est ainsi que
l’article 63 alinéa 1er de cette loi associe les ministres sectoriels à ce ministre dans la charge
d’assurer la bonne exécution de la loi des finances et du respect des soldes budgétaires. En

159
Ordonnance du 7 février 1962 portant régime financier, article 58 alinéa 2.
160
Ibid., article 58 alinéa 3 et article 214.
161
Ibid., article 60 alinéa 1er.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

172
matière de dépenses, la loi susvisée enlève des pouvoirs au ministre des Finances en instituant
de droit à ses côtés trois catégories d’ordonnateurs et qui peuvent être indépendants de lui162 :
les ordonnateurs principaux163, les ordonnateurs secondaires164 et les ordonnateurs délégués165.
En matière de recettes, s’il est ordonnateur principal unique du budget général et des comptes
spéciaux du Trésor, il peut néanmoins déléguer ce pouvoir aux autres chefs de départements
ministériels ou assimilés et aux Agents de l’administration fiscale.

Cependant, l’intervention des autres chefs des départements ministériels ou assimilés et


des Hautes Autorités des institutions constitutionnelles dans l’exécution des politiques
financières publiques est limitée à leur département ministériel et aux institutions
constitutionnelles dont ils ont respectivement la charge. En revanche, si comme eux le ministre
des Finances intervient dans l’exécution des politiques financières publiques de son propre
département ministériel, contrairement à eux il intervient en plus dans l’exécution des politiques
financières publiques des autres ministères. Il détient de la sorte une compétence privilégiée,
consistant tant dans son intervention sur les crédits des autres ministères en cours d’exercice,
que dans ses liens particuliers avec les agents de la comptabilité publique que sont les
ordonnateurs et les comptables publics.

Sur le premier point, le principe est que les crédits mis à la disposition des ministres ne
peuvent être modifiés que par une loi de finances, afin de préserver l’autorisation parlementaire.
Cependant, pour des raisons tenant notamment aux excès d’une application trop rigide de cette
règle166, les textes admettent de façon exceptionnelle, limitative et encadrée, que le
Gouvernement puisse par acte réglementaire modifier les autorisations budgétaires en cours
d’exercice. Il en est ainsi de la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, qui circonscrit
les procédures réglementaires y relatives aux virements de crédits, aux transferts de crédits, aux
décrets d’avance, aux annulations de crédits, aux reports de crédits, aux répartitions de crédits,
aux fonds de concours ou aux rétablissements des crédits. À ces occasions, le ministre des
Finances se mêle de nouveau à l’exécution des politiques financières publiques des autres
ministres.

162
« Est ordonnateur, toute personne ayant qualité au nom de l’État de prescrire l’exécution des recettes et des
dépenses inscrites au budget de l’État » (loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 65).
163
Les ordonnateurs principaux du Budget de l’État sont les chefs des départements ministériels ou assimilés et
les Hautes Autorités des institutions constitutionnelles.
164
Ce sont les responsables des services de l’État qui reçoivent les autorisations des dépenses des ordonnateurs
principaux.
165
Ce sont les responsables désignés par les ordonnateurs principaux ou secondaires pour les matières
expressément définies. Cette délégation prend la forme d’un acte administratif de l’ordonnateur principal ou
secondaire.
166
M. BOUVIER, M.-C. ESCLASAN et J.-P. LASSALE, Finances publiques, op. cit., p. 355.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

173
Les virements de crédits consistent en des modifications réglementaires de la répartition
des crédits en cours d’exercice, entre les programmes ou entre les dotations d’un même
ministère167. Ils ne peuvent excéder 2% des crédits ouverts par la loi de finances pour chacun
des programmes ou dotations concernés. Les virements de crédits de paiement au profit des
dépenses d’investissement ne peuvent conduire à majoration d’autorisations d’engagement. Ces
modifications réglementaires des autorisations budgétaires en cours d’exécution nécessitent
l’action du ministre des Finances, qui vient ainsi s’immiscer dans l’exécution des politiques
financières publiques des autres ministres. En effet, elles doivent être effectuées par arrêté de
ce ministre, après avis des ministres concernés.

La procédure du transfert de crédits quant à elle permet au Gouvernement de modifier en


cours d’exercice la répartition des crédits entre programmes ou entre dotations des ministères
distincts, dans la mesure où l’emploi des crédits ainsi transférés, pour un objet déterminé,
correspond à des actions du programme ou de la dotation d’origine168. En d’autres termes, il ne
doit pas y avoir de changement de la destination de la dépense169. En autorisant les mouvements
de crédits entre programmes ou entre dotations de ministères différents lorsque ces programmes
ou ces dotations poursuivent des objectifs similaires, la procédure du transfert de crédits tend à
prendre en compte la dimension interministérielle de certaines politiques financières publiques.
Mais pour cela, elle nécessite l’action du ministre des Finances. Une fois de plus, il se mêle à
l’exécution des politiques financières publiques des autres ministres, car le transfert de crédit
est effectué par décret du Premier ministre pris sur son rapport.

Les modifications réglementaires en cours d’exercice des crédits ouverts en loi de


finances sur la dotation pour dépenses accidentelles portent également sur la répartition des
crédits. Prévus à l’article 37 de la loi du 11 juillet 2018 fixant le régime financier, ils sont
destinés à permettre au Gouvernement de faire face à des calamités ou à des dépenses
imprévues. L’intervention du ministre des Finances est là aussi nécessaire. Car les crédits
ouverts en loi de finances sur la dotation pour dépenses accidentelles sont répartis entre les
autres programmes, par décret pris sur le rapport de ce ministre. Du reste, il n’intervient pas au
sein des autres ministères uniquement pour répartir des crédits, mais y entre également en action
en cours d’exécution des politiques financières publiques pour en modifier le montant.

En effet, depuis longtemps, le caractère limitatif du montant des crédits autorisés en loi
de finances a fait l’objet d’aménagements et de dérogations, par des mécanismes permettant en

167
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 38 alinéas 1er, 2 et 4.
168
Ibid., article 38 alinéas 1er, 3 et 4.
169
M. BOUVIER, M.-C. ESCLASAN et J.-P. LASSALE, Finances publiques, op. cit., p. 356.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

174
cours d’exécution de les abonder par la voie réglementaire. Présents dans l’ordonnance
du 7 février 1962, on retrouve ces instruments dans la loi du 11 juillet 2018 portant régime
financier. Il s’agit, d’une part, des décrets d’avance ; d’autre part, des mécanismes
d’abondement des crédits par affectation directe de ressources, que sont les fonds de concours
et les rétablissements de crédits.

Par une dérogation absolue au principe de l'autorisation parlementaire de la dépense


s’imposant aux autorités chargées de l’exécution des politiques financières publiques, le
Gouvernement peut, en cours d’exercice, ouvrir par acte réglementaire, sans autorisation
parlementaire, de nouveaux crédits par recours aux décrets d’avance. Si dans son principe cette
procédure n'est pas contestable en ce qu’elle donne au Gouvernement la capacité de réaction
nécessaire pour faire face à des situations exceptionnelles, Didier Migaud y voyait avec raison
« l'atteinte la plus importante au pouvoir financier du Parlement »170. Selon la loi
du 11 juillet 2018 portant régime financier, elle peut être réalisée dans des conditions qui
varient selon qu’il y a « urgence »171 ou « urgence et nécessité impérieuse d’intérêt
national »172.

En cas d’« urgence », des décrets d’avance peuvent en cours d’exercice ouvrir des crédits
supplémentaires sans toutefois dégrader l’équilibre budgétaire arrêté par la dernière loi de
finances. Pour ce faire, ils doivent procéder à l’annulation de crédits ou constater de nouvelles
recettes. Le montant cumulé des crédits ainsi ouverts ne peut excéder 1% des crédits initiaux
de la loi de finances de l’année, et le Parlement devra ratifier ces modifications effectuées par
acte réglementaire dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l’année concernée.
La procédure des décrets d’avance est une autre occasion pour le ministre des Finances de
s’immiscer dans l’exécution des politiques financières publiques de ses collègues du
Gouvernement, puisqu’en cas d’urgence ils sont pris par le Premier ministre sur le rapport de
ce ministre, après avis du ou des ministres concernés.

En cas d’« urgence et de nécessité impérieuse d’intérêt national », des crédits


supplémentaires ayant pour effet, cette fois, de dégrader l’équilibre budgétaire défini par la loi
de finances peuvent être ouverts par décret d’avance également. Un projet de loi de finances
rectificative y relative est déposé au Parlement à la session qui suit la signature du décret.
L’article 39 alinéa 4 de la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, qui régit ce cas

170
D. Migaud, « Rapport au nom de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi organique
(n° 2540) relative aux lois de finances », in JORF, Doc. parl., AN, n° 2908, 24 janvier 2001, p. 128.
171
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 39 alinéa 1er.
172
Idem., article 39 alinéa 4.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

175
d’abondement des crédits par acte réglementaire, ne précise pas que ces décrets doivent être
pris sur le rapport du ministre des Finances.

Or, d’une manière générale, les modifications de crédits en cours d’exécution budgétaire
sont effectuées par décret du Premier ministre sur le rapport de ce ministre. Le ministre des
Finances doit donc intervenir malgré le silence du texte précité, non seulement d’ailleurs en
raison de cette pratique, de l’expertise de ce ministre et celle de ses services, mais plus
fondamentalement parce que conformément à l’article 63 alinéa 1er de la loi du 11 juillet 2018
portant régime financier, il est responsable, en liaison avec les ministres sectoriels, de la bonne
exécution de la loi de finances et du respect des soldes budgétaires, et dispose à ce titre d’un
pouvoir de régulation budgétaire. Ce faisant, il s’immisce encore dans l’exécution des politiques
financières publiques des autres ministres.

Le ministre des Finances dispose alors à l’endroit de ses collègues du Gouvernement


d’une compétence d’autant plus importante que le recours aux décrets d’avance dépend de la
compréhension qu’il a de la notion d'« urgence et de nécessité impérieuse d’intérêt national ».
Son interprétation de ce concept peut en effet être subjective, orientée, instrumentalisée et
ouvrir la voie à des abus. En France par exemple, le Conseil d’État a de la notion d’urgence une
conception servant objectivement les intérêts de l’Exécutif173. Dans le sens également d’une
utilisation instrumentalisée dans ce pays des décrets d’avance, il a été démontré que le recours
aux deux décrets d’avance de juillet 2017 par le Gouvernement d’Édouard Philippe s’expliquait
par l’alternance survenue cette année : « fort de sa légitimité électorale, le nouveau pouvoir
entendait réviser le cadre budgétaire selon ses propres priorités »174.

Par dérogation à la règle de l’universalité budgétaire, qui interdit en principe toute


affectation préalable des recettes à des dépenses, un autre mécanisme d’abondement des crédits
par la voie réglementaire en cours d’exercice consiste dans l’affectation directe de ressources.
Les trois procédures particulières prévues à cet effet par la loi du 11 juillet 2018 portant régime
financier sont les fonds de concours, l’attribution de produits et le rétablissement des crédits.

C’est avec la technique des fonds de concours que la règle de l’universalité et celle de la
limitation des crédits trouvent une atténuation sensible. Leur utilité est notamment de répondre
assez bien à un contexte contemporain marqué par le développement de pratiques partenariales
de cofinancement et de « financements croisés ». Selon l’article 49 de la loi

173
Voir CE, 16 décembre 2016, M. de Courson et autre, req. n° 4009101 ; CE, juge des référés, 26 août 2016,
M. de Courson et autre, req. n° 401472 ; A. FOURMONT, « Un retour en grâce des décrets d’avance ? », Gestion &
Finances Publiques, n° 2, 2019/2, p. 15 ; C. PIERUCCI, « Les parlementaires face aux décrets d’avance devant le
juge administratif », RFFP, n° 140, 2017, p. 249.
174
A. FOURMONT, « Un retour en grâce des décrets d’avance ? », Gestion & Finances Publiques, 2019/2, p. 17.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

176
du 11 juillet 2018 portant régime financier, ils sont constitués, d’une part, des fonds à caractère
non fiscales versés par des personnes physiques ou morales, notamment les bailleurs de fonds
internationaux, pour concourir à des dépenses d’intérêt public et, d’autre part, des produits de
legs et donations attribués à l’État. Leurs recettes sont prévues, évaluées et autorisées par la loi
de finances, et elles sont directement portées au budget général, au budget annexe et au compte
spécial considéré. Cependant, l’intervention du ministre des Finances est nécessaire pour que
le ministre bénéficiaire puisse les utiliser.

En effet, le ministre des Finances doit en premier lieu ouvrir par arrêté dans le budget du
ministère un crédit supplémentaire de même montant sur le programme ou la dotation
concernée. Ensuite, c’est sur son rapport qu’est pris le décret définissant les règles d’utilisation
des crédits ouverts par voie de fonds de concours, pour répondre à l’exigence posée à
l’article 49 alinéa 3 de la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, selon laquelle l’emploi
des fonds doit être conforme à l’intention de la partie versante. De la sorte, une fois de plus, le
ministre des finances vient s’immiscer dans l’exécution des politiques financières publiques des
autres ministres.

Tel est aussi le cas avec les recettes tirées de la rémunération de prestations régulièrement
fournies par un service de l’État. Selon l’article 46 alinéa 4 de la loi du 11 juillet 2018 portant
régime financier, les crédits ouverts à leur sujet dans la loi de finances sont affectés en cours
d’exercice directement au service concerné. Seulement, pour qu’il en soit ainsi et donc pour
que ce service puisse les utiliser, cet article prévoit qu’ils doivent au préalable faire l’objet d’une
procédure d’attribution des produits par décret pris sur le rapport du ministre des Finances.
Autrement dit, l’attribution de produits, procédure dérogatoire à la règle de l’universalité
notamment, d’abondement des crédits en cours d’exercice par affectation réglementaire directe
de ressources, donne à ce ministre le pouvoir de s’ingérer dans l’exécution des politiques
financières publiques de ses collègues du Gouvernement.

Parce qu’il intervient par arrêté du ministre des Finances, le rétablissement de crédits
conduit au même résultat. Prévue à l’article 49 alinéa 5 de la loi du 11 juillet 2018 fixant le
régime financier, cette procédure consiste à affecter directement à un budget déterminé certains
crédits spécifiques provenant soit de la restitution à l’État de sommes payées indûment ou à
titre provisoire sur crédits budgétaires, soit du produit de cessions entre services de l’État ayant
donné lieu à paiement sur crédits budgétaires.

Enfin, les modifications réglementaires des crédits en cours d’exercice, donnant au


ministre des Finances le pouvoir d’interférer dans l’exécution des politiques financières
publiques des autres ministres, portent sur la durée de ceux-ci dans le temps. Les trois
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

177
mécanismes prévus, que sont la suspension temporaire, les reports et les annulations de crédits,
conduisent à cette conséquence.

En effet, en vertu de l’article 63 de la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier et


dans le but de prévenir la détérioration des soldes budgétaires, le ministre des Finances dispose
d’un pouvoir de régulation budgétaire qui lui permet de programmer le rythme de
consommation des crédits en fonction de la situation de la trésorerie de l’État. De la sorte, si la
situation ou les perspectives de trésorerie l’exigent, il peut en cours d’exercice suspendre
temporairement l’utilisation de certains crédits, par instruction donnée au contrôleur financier,
dont copie est adressée à l’ordonnateur. Le pouvoir que lui confère cette compétence d’agir sur
l’exécution des politiques financières publiques des autres ministres peut aller jusqu’à
l’annulation de certains crédits par arrêté dont copie est immédiatement adressée au Parlement.

Par ailleurs, en vertu de l’article 40 de la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier,
un crédit doit être annulé lorsqu’il est devenu sans objet. Le montant cumulé des crédits annulés
à ce titre ne peut dépasser 1,5% des crédits ouverts par la loi de finances afférente à l’année en
cours. L’annulation est décidée par décret du Premier ministre sur le rapport du ministre des
Finances, ce qui ici aussi permet à ce dernier d’intervenir dans l’exécution des politiques
financières publiques des autres ministres.

La procédure de report des crédits de paiement prévu à l’article 41 de la loi


du 11 juillet 2018 portant régime financier lui offre également cette possibilité. En effet,
contrairement aux autorisations d’engagement non utilisées à la fin de l’année qui ne peuvent
pas être reportées, les crédits de paiement disponibles sur un programme à la fin de l’année
peuvent être reportés sur le même programme ou la même dotation, dans la limite des
autorisations d’engagement effectivement utilisées, mais n’ayant pas encore donné lieu à
paiement. Ces reports s’effectuent par décret du Premier ministre sur le rapport du ministre des
Finances qui évalue et justifie les recettes permettant de couvrir le financement des reports, sans
dégradation du solde du budget autorisé de l’année en cours.

Ainsi, qu’il s’agisse des exceptions au caractère limitatif des crédits ou des modifications
de ceux-ci par la voie réglementaire en cours d’exercice, le ministre des Finances intervient de
différentes manières dans l’exécution des politiques financières des autres ministères. Il peut
s’interposer directement en édictant des arrêtés, mais aussi indirectement dans les cas des
décrets pris sur son rapport. Il lui arrive même de s’immiscer dans certaines procédures alors
que son intervention n’est pas prévue par les textes, comme avec les décrets d’avance en cas
d’« urgence et de nécessité impérieuse d’intérêt national ». Cette compétence lui confère une

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

178
place privilégiée au stade de l’exécution des politiques financières publiques. Avantage
conforté par les liens qui unissent ce ministre aux ordonnateurs et aux comptables publics.

Avec les ordonnateurs d’abord, le ministre des Finances a des liens que les autres
ministres ne connaissent pas. C’est ainsi qu’il est le contrôleur administratif de tous les
ordonnateurs de l’État175 dont il fait lui-même partie. Il exerce ce contrôle sur les autres
ministres, ordonnateurs principaux, par un dispositif de son ministère comportant : les
inspecteurs généraux ; les contrôleurs financiers ; les comptables publics ; la Division du
contrôle budgétaire, de l’audit de la qualité de la dépense ; les inspections nationales des
services des douanes, des impôts et du Trésor ; etc.176. Il les contrôle alors qu’il se situe avec
eux à un même niveau hiérarchique.

D’autres liens avec les autres ministres font bénéficier au ministre des Finances d’une
position privilégiée au stade de l’exécution des politiques financières publiques. D’un côté, il
dispose des compétences à l’égard de ceux-ci. C’est ainsi qu’il est responsable de la
centralisation de leurs opérations budgétaires en vue de la reddition des comptes relatifs à
l’exécution des lois de finances177, et les contrôleurs financiers assurent pour son compte la
centralisation des opérations budgétaires des ministres auprès desquels ils sont placés178. D’un
autre côté, à l’inverse, les autres ministres ont des obligations vis-à-vis du ministre des
Finances. Ainsi en va-t-il lorsqu’un ministre désigne un responsable de programme dans son
département ministériel, il doit transmettre cet acte pour information au ministre des
Finances179. De même, il a l’obligation d’informer ce dernier après avoir pris l’avis du
contrôleur financier, lorsque le responsable de programme modifie la répartition des crédits au
sein de son programme180.

Avec les comptables publics181 ensuite, le ministre des Finances détient également des
liens qui lui conférent une certaine supériorité sur les autres ministres. Ces liens consistent
essentiellement dans le fait que notamment les comptables publics qui sont placés auprès des
différents départements ministériels sont nommés par le ministre des Finances et restent sous
son autorité technique et hiérarchique182. Si les comptables publics sont nommés par le ministre
des Finances, c’est parce qu’ils sont - même s’ils appartiennent aux différents services de l’État

175
Dans ce sens, en France, l’article 61 du décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique
du 7 novembre 2012 dit expressément que le ministre des Finances « exerce un contrôle sur la gestion des
ordonnateurs de l’État ».
176
Voir le décret n° 2013/066 du 28 février 2013 portant organisation du ministère des Finances.
177
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 68.
178
Ibid., article 70 alinéa 4.
179
Ibid., article 69 alinéa 1er.
180
Ibid., article 69 alinéa 3.
181
Voir F. ARKOUNE, Le statut du comptable public en droit public financier, Paris, LGDJ, 2008, 457 p.
182
Décret 2020/375 du 07 juillet 2020 portant règlement général de la comptabilité publique, article 5.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

179
ou des collectivités locales - tous des agents de l’administration des finances publiques. Par
ailleurs, tout comme le ministre des Finances contrôle la gestion des ordonnateurs de l’État
placés dans les différents ministères par les instances de son ministère, il contrôle également la
gestion administrative des comptables publics.

Il apparaît ainsi que lors de l’exécution des politiques financières publiques, peu de choses
peuvent être réalisées dans les différents ministères sans le ministre des Finances, ou sans qu’il
en soit informé. On pourrait ainsi conclure à la prédominance de ce ministre. Pourtant, à y
regarder de près, nombre de compétences relevant du ministre des Finances dans l’exécution
des politiques financières publiques sont partagées, tandis que d’autres sont exercées par des
autorités relativement indépendantes. Ce qui entraîne un éparpillement de ses pouvoirs
s’analysant comme un facteur de fragilisation de sa prééminence.

2. Des pouvoirs éparpillés

En vertu de l’article 25 de l’ordonnance du 7 février 1962, la compétence d’annulation


des crédits en cours d’exécution budgétaire revenait exclusivement au ministre des Finances,
qui pouvait annuler par arrêté tout crédit devenu sans objet en cours d'année. Ce ministre
disposait alors d’un pouvoir étendu, qui d’ailleurs était plus grand que celui dont jouissait son
collègue français, lequel conformément à l’article 13 de l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959
relative aux lois de finances, ne pouvait annuler les crédits devenus sans objet qu’après accord
du ministre intéressé183.

Aujourd’hui, selon l’article 40 de la loi camerounaise du 11 juillet 2018 portant régime


financier, l’annulation d’un crédit est « décidée » par un décret du Premier ministre pris sur un
rapport du ministre des Finances. Ainsi, la compétence qui autrefois revenait entièrement au
ministre des Finances est désormais transférée au Premier ministre. Plus précisément, elle est
dorénavant partagée entre lui et le Premier ministre, puisqu’il n’est pas exclu de la procédure
et qu’aucune annulation de crédits ne peut avoir lieu sans lui. Ce partage qui signe l’arrivée
d’une autorité autre que le ministre des Finances dans l’annulation d’un crédit prive forcément
ce dernier d’une partie de son pouvoir. Il implique un éparpillement de ce pouvoir et est un
marqueur de l’affaiblissement de ce ministre, surtout qu’il profite à une autorité indépendante.

Toujours sous l’ordonnance du 7 février 1962 portant régime financier, certaines


modifications des crédits en cours d’exécution budgétaire relevaient de la compétence quasi-
exclusive du ministre des Finances. Il en allait ainsi de la portion de fonds de concours qui

183
Voir G. ORSONI, « L’exécution et le contrôle des budgets publics », in M. BOUVIER (dir.), La nouvelle
administration financière et fiscale, Paris, LGDJ, 2011, p. 110.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

180
n'avait pas été employée pendant le cours de l'exercice. Elle devait être reportée avec la même
affectation aux exercices subséquents par arrêté de ce ministre. Toutefois, celui-ci avait
l’obligation de recueillir l’avis de la Cour Fédérale des comptes, qui était facultatif et donc
dépourvu de force contraignante184.

Cette domination du ministre des Finances est remise en cause aujourd’hui d’une manière
générale. En effet, comme il est apparu ci-dessus, dans la presque totalité des cas de
modifications des crédits en cours d’exécution, la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier
a mis en place l’exigence d’un décret du Premier ministre sur le rapport du ministre des
Finances. Allant toujours dans le sens du partage de compétence et, par voie de conséquence,
d’affaiblissement du ministre des Finances, les ministres « dépensiers » sont associés à la
procédure de certains mouvements de crédits. C’est ainsi que les transferts sont effectués par
décret du Premier ministre sur le rapport du ministre des Finances, après avis des ministres
concernés. De leur côté, les virements de crédits sont faits par arrêté du ministre des Finances
sur proposition du ministre concerné.

Ainsi, d’une manière générale, la compétence lors des modifications des crédits en cours
d’exécution des politiques financières publiques est désormais partagée entre le ministre des
Finances et d’autres autorités publiques. Il en résulte un éparpillement des pouvoirs, qui sans
doute est un facteur d’affaiblissement de ce ministre. Leur dispersion, donc son affaiblissement,
se renforce du fait de ses rapports particuliers avec les agents d’exécution que sont les
ordonnateurs principaux de l’État, les ministres, et les comptables publics.

En effet, statutairement, les ordonnateurs principaux de l’État, en l’occurrence les


ministres, connaissent une totale indépendance vis-à-vis du ministre des Finances, car il n’existe
au sein du Gouvernement aucune hiérarchie réelle et aucun lien de subordination entre les
ministres de ministères différents. Le droit considère tous les ministres comme statutairement
égaux entre eux. Il existe une autonomie des gestionnaires185. En raison de cette absence de
subordination entre les ministres, celui qui est en charge des finances publiques ne peut
s’ingérer dans la politique suivie par les autres au sein de leurs ministères, sauf à trouver une
justification financière à cette intervention. Cette indépendance et cette absence totale de
subordination des autres membres du Gouvernement au ministre des Finances, alors même
qu’en leur qualité d’ordonnateurs de l’État ils exercent en réalité une bonne partie des
compétences d’exécution budgétaire, impliquent l’éparpillement des pouvoirs et

184
Ordonnance du 7 février 1962 portant régime financier, article 19 alinéa 5.
185
D. MIGAUD, « La LOLF : une clarification des objectifs de l’action publique et une nouvelle relation entre
pouvoir exécutif et pouvoir législatif », in M. BOUVIER (dir.), Réformes des finances publiques, démocratie et
bonne gouvernance, op. cit., p. 378.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

181
l’affaiblissement de ce ministre. Elles tempèrent les pouvoirs de ce dernier au stade de
l’exécution des politiques financières publiques.

Si les ordonnateurs principaux restent indépendants entre eux, ils sont également
indépendants des comptables publics, ce qui constitue un autre facteur de la dispersion des
pouvoirs du ministre des Finances en matière d’exécution des politiques financières publiques.
Conformément à un principe classique du droit des finances publiques, il ne peut y avoir de lien
de subordination entre les ordonnateurs et les comptables publics. Les ministres ordonnateurs
principaux ne sont alors pas les supérieurs hiérarchiques des comptables publics dans leur
ministère. De fait, ces derniers sont libres de refuser d’encaisser ou de décaisser s’il existe une
erreur ou une irrégularité. De même, bien que les comptables publics soient nommés dans les
différents départements ministériels par le ministre des Finances, ils sont indépendants de lui
dans l’exécution budgétaire. Si bien que les pouvoirs revenant à ce ministre lui sont dépossédés
par ses agents dans les différents ministères.

En somme, si le ministre des Finances s’immisce par divers moyens dans l’exécution des
politiques financières publiques, il n’est pas le réel acteur de cette phase, les vraies compétences
d’exécution apparaissent en réalité déplacées auprès des agents de la comptabilité publique, les
ordonnateurs principaux et les comptables publics, qui sont libres dans l’exécution financière.
En sorte que si lors de cette phase le ministre des Finances détient certaines compétences
essentielles lui conférant une position privilégiée, son rôle n’est pas pour autant exclusif, et non
plus le plus décisif. Il ne fait donc pas tout et ne peut tout faire lors de la mise en œuvre des
politiques financières publiques. Sa prééminence est incertaine y compris dans le contrôle de
leur exécution, où s’il intervient comme le contrôleur de ses collègues, la prépondérance qu’il
peut tirer de cette fonction est diminuée par le fait qu’il est lui-même contrôlé.

B. UNE SUPERIORITE DIMINUEE DANS LE CONTROLE DES POLITIQUES


FINANCIERES PUBLIQUES

Si le ministre des finances détient traditionnellement une compétence de contrôleur


administratif des politiques financières publiques (1), il n’en demeure pas moins que les
pouvoirs qu’il tire de ces attributions à l’égard de ses collègues sont affaiblis du fait que son
travail et celui de ses services sont eux-mêmes contrôlés (2).

1. Une compétence de contrôleur administratif

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

182
Le ministre des Finances en tant que gardien des finances publiques doit s’assurer que
l’exécution des politiques financières publiques soit conforme à ce qui est prévu par la loi des
finances. Pour cela, il dispose de moyens lui permettant de contrôler a priori, en cours
d’exécution, et a postériori, après l’exécution, les finances publiques. Divers contrôles
administratifs sont alors exercés par des entités dépendantes lui, c’est-à-dire par le supérieur
hiérarchique et par différents services et corps administratifs. Il en est ainsi du contrôle
hiérarchique, du contrôle exercé par les institutions et organes de contrôle et du contrôle
financier et comptable.

Le contrôle hiérarchique est celui qui, au sein du ministère des Finances, comme dans
toutes les administrations, est exercé par l’autorité supérieure sur ses subordonnées. L’autorité
supérieure du ministère des Finances étant le ministre des Finances lui-même, celui-ci exerce
alors un contrôle hiérarchique sur tous ses subordonnées que sont les agents de son ministère.
L’exercice de ce contrôle paraît différent selon qu’il s’agit des comptables publics ou des
ordonnateurs.

Le contrôle hiérarchique sur les comptables publics est facilité par le fait qu’ils sont
répartis en un grand nombre de grades présentant une structure très hiérarchisée. Tout
comptable détient alors un supérieur hiérarchique proche qui pourra le contrôler, avec au
sommet le ministre des Finances qui pourra contrôler le travail de tous ses agents. Le ministre
des Finances détient dans ce contrôle une particularité très avantageuse, puisqu’elle lui permet
de contrôler des comptables publics qu’il nomme dans les autres ministères, mais demeurant
ses subordonnés, privilège que n’ont pas les autres membres de l’Exécutif.

En revanche, le contrôle des ordonnateurs ne peut avoir lieu à tous les échelons comme
c’est le cas au sein des comptables publics. En particulier, le sommet de la hiérarchie des
ordonnateurs, constitué des ordonnateurs principaux de l’État, donc des ministres, ne peut faire
l’objet d’un contrôle hiérarchique. Car tous les ministres détiennent une autonomie et une
indépendance, ils n’ont pas alors de supérieur hiérarchique et ne peuvent être contrôlés, dans
ce cadre du moins. Le contrôle hiérarchique ne peut dès lors être exercé que par les ordonnateurs
principaux à l’égard des ordonnateurs secondaires ou délégués. Ainsi, le ministre des Finances,
ordonnateur principal, détient seulement la capacité de contrôler les ordonnateurs secondaires
et délégués rattachés à son ministère, et non ceux des autres ministères notamment.

Le contrôle administratif des politiques financières publiques s’effectue aussi par des
organes et institutions internes, l’Inspection Générale en particulier, qui comprend un
Inspecteur Général des Services des Régies Financières et un Inspecteur Général des Services
Administratifs et Budgétaires. L’organisation et les attributions de l’Inspection Générale sont
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

183
fixées par les articles 5 et 6 du décret n° 2013/066 du 28 février 2013 portant organisation du
Ministère des Finances.

Enfin, le contrôle financier et comptable est prévu par la loi du 11 juillet 2018 portant
régime financier, qui l’a réorganisé afin de tenir compte des exigences liées au pilotage de la
performance dans la mise en œuvre des programmes et à la nécessaire responsabilisation des
ordonnateurs. Dans cette optique, de nouvelles modalités de contrôle sont instituées,
notamment le contrôle interne, le contrôle de gestion et les audits dont l’objectif est d’assurer
une meilleure maîtrise des risques et un pilotage efficient des programmes. Le corollaire de la
mise en place de ce dispositif institutionnel est la modulation des contrôles a priori effectués
par les contrôleurs Financiers et les comptables publics sur les dépenses à faible risque dans les
conditions fixées, pour chaque ministère, par le ministre des Finances186. Le contrôle financier
et comptable fait intervenir trois types d’acteurs principaux : le contrôleur financier, le
comptable public et l’ordonnateur.

En effet, un contrôleur financier est nommé auprès des ordonnateurs principaux, ainsi
qu’auprès des ordonnateurs secondaires placés à la tête des services déconcentrés. Il est chargé
des contrôles a priori par l'apposition d'un visa préalable des opérations budgétaires et les
propositions d'actes de dépense qui lui sont transmises par le ministre ou ses ordonnateurs
délégués. II ne peut être passé outre au refus de visa que sur autorisation écrite du ministre des
Finances. Dans ce cas, la responsabilité du ministre des Finances se substitue à celle du
contrôleur financier. Le contrôleur financier assure pour le compte du ministre des Finances, la
centralisation des opérations budgétaires des ordonnateurs auprès desquels il est placé. Il donne
son avis sur le caractère sincère et soutenable des plans d’engagement des dépenses.

Quant à lui, le comptable public est un agent public ayant la charge exclusive du
recouvrement, de la garde et du maniement des fonds et valeurs, de la tenue des comptes de
l'État et des autres entités publiques. Le paiement des dépenses de l'État relève de sa
responsabilité exclusive ou de celle d'un agent nommément désigné par lui, agissant sous son
contrôle et sous sa responsabilité directe. Le contrôle effectué par les comptables publics est lié
à l’activité des ordonnateurs en matière de recettes et de dépenses et concerne sa régularité187.

En matière de recettes, les comptables publics contrôlent la régularité des autorisations


de perception des recettes prévues mais non ordonnancées par l’ordonnateur, ainsi que la
régularité de la mise en recouvrement de la liquidation des créances. En matière de dépenses, il
contrôle la qualité de l’ordonnateur, l’assignation de la dépense, la validité des créances, etc.

186
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 72, alinéa 1er.
187
P. FOILLARD, Finances publiques, 13e éd., Bruxelles, Larcier, 2012, p. 121.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

184
En somme, le comptable public apparaît comme le juge de la régularité formelle, c’est-à-dire
qu’il procède à la vérification des pièces, signatures et visas requis. Sa responsabilité peut être
engagée personnellement et pécuniairement.

Outre le contrôle de régularité, les acteurs d’exécution des politiques financières


publiques exercent aussi un contrôle de performance et d’audit.

Le contrôle de performance vise à s’assurer de l’exécution optimale des prévisions des


recettes et des dépenses, à l’aide d’indicateurs prédéfinis. Il permet ainsi de mesurer et
d’analyser, sur la base des indicateurs, les résultats atteints par rapport aux objectifs fixés, et de
proposer les mesures correctives éventuelles. Il permet aussi de s’assurer que les ressources
sont obtenues et utilisées avec efficacité et efficience pour réaliser les objectifs fixés. Enfin, il
conduit à examiner et à évaluer les pièces et documents comptables. L’évaluation de la
performance donne lieu à la production d’un rapport de performance.

Quant à lui, l’audit consiste en un examen approfondi et systématique de la performance


d’une administration, d’un programme, d’une action ou d’une activité aux plans financiers et
opérationnel, orienté vers l’identification des opportunités permettant de réaliser plus
d’économie, d’efficacité et d’efficience. Il a pour objectif de fournir aux responsables
stratégiques des informations pertinentes sur l’emploi des fonds et la gestion des structures et
programmes, et d’améliorer la qualité de la gestion. Il aboutit à l’évaluation de la performance
des administrations.

Ces différents contrôles sur l’ensemble des actes de dépense font apparaître que le
ministre des Finances contrôle par ses agents-contrôleurs qu’il place au sein des différentes
administrations, la mise en œuvre des politiques financières publiques. Ce contrôle
administratif n’apparaît pas cependant comme le seul contrôle des finances publiques. Il est
doublé de contrôles juridictionnel et parlementaire s’exerçant sur le travail du ministre des
Finances lui-même et de ses agents. Ils viennent ainsi limiter les pouvoirs de ce ministre, que
lui confèrent ses compétences étendues.

2. Des pouvoirs contrôlés

Le ministre des Finances n’est pas le seul contrôleur des finances publiques. D’autres
autorités détiennent des attributions importantes à cet égard, et limitent par leur contrôle les
pouvoirs que le ministre des Finances tient de ses compétences privilégiées en matière de
politiques financières publiques. Deux types de contrôles existent de ce point de vue : le
contrôle parlementaire et le contrôle juridictionnel.

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

185
La Constitution prévoit que le Parlement qui comprend deux Chambres, l’Assemblée
Nationale et le Sénat, contrôle l’action gouvernementale. Une partie de ce contrôle s’exerce à
l’occasion de l’examen du projet des politiques financières publiques étudié plus haut. Il
s’exerce aussi en amont, et c’est une innovation majeure, à l’occasion du Débat d’Orientation
Budgétaire. Outre ces procédures, le Parlement dispose d’autres moyens de contrôle des
politiques financières publiques, qui se sont renforcés avec la loi du 11 juillet 2018 portant
régime financier. Il s’agit notamment du contrôle sur les mouvements des crédits en gestion.
En effet, les arrêtés de virements, les décrets de transferts et les décrets de reports doivent
immédiatement être communiqués au Parlement, pour son information. De même, le
Gouvernement transmet au Parlement, à titre d’information et aux fins de contrôle, des rapports
trimestriels sur l’exécution du budget, en recettes comme en dépense et sur l’application de la
loi de finances.

À ces leviers, il faut ajouter le contrôle exercé par les Commissions des Finances et du
Budget de l’Assemblée et du Sénat. Chaque année, elles désignent chacune, à l'ouverture de la
première session ordinaire de l'année législative, un rapporteur général pour les recettes et des
rapporteurs spéciaux chargés des dépenses publiques et du contrôle de l'usage des fonds publics,
y compris des fonds des bailleurs. Les rapporteurs spéciaux disposent du pouvoir de contrôle
sur pièces et sur place. Aucun document ne peut leur être refusé, réserve faite des sujets à
caractère secret touchant à la défense nationale, au secret de l'instruction et au secret médical.

Par ailleurs, le Parlement peut désigner des commissions d'enquête sur un sujet intéressant
les finances publiques, pour une durée n'excédant pas six mois. Cette durée est renouvelable en
tant que de besoin. Ces commissions disposent des pouvoirs reconnus aux rapporteurs spéciaux
des Commissions des Finances et du Budget. Elles peuvent se faire assister des personnes de
leur choix et procéder à des auditions. À l’exception du Président de la République, les
personnes dont l'audition est requise ne peuvent refuser d'y déférer. Toute entrave mise au
fonctionnement d'une commission est considérée comme un obstacle à l'exécution d’une
mission de service public. Les commissions sont tenues de transmettre aux autorités judiciaires,
tout fait susceptible d’entraîner une sanction pénale dont elles auraient connaissance. Elles
peuvent saisir l’organe chargé de la discipline budgétaire. Elles dressent un rapport à l’issue de
leurs travaux. Ce rapport peut donner lieu à débat au Parlement.

Le Parlement peut s’appuyer sur la juridiction des comptes pour l’exercice du contrôle
parlementaire. À cet effet, les commissions parlementaires chargées des finances peuvent
demander à la juridiction des comptes la réalisation de toute enquête sur la gestion des services
ou organismes qu’elles contrôlent. Le Parlement contrôle aussi les politiques financières

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

186
publiques par les lois de rectification et la loi de règlement. En dehors de ces procédés, il peut
les contrôler dans le contrôle global de l’action gouvernementale, par les questions au
Gouvernement188.

En effet, en application de l’article 35 de la Constitution, les parlementaires peuvent poser


au ministre des Finances notamment, des questions orales ou écrites relatives aux affaires
relevant de ses attributions. Il est alors tenu de répondre dans un délai de quinze jours. Ce délai
est ramené à trois jours en période de session. Si les recherches documentaires auxquelles donne
lieu la question sont trop longues, le ministre des Finances en avise l’auteur de la question par
la voie du Président de la Chambre. Dans ce cas, il dispose d’un délai supplémentaire de trois
jours, qui est ramené à deux jours en période de session.

Le contrôle des politiques financières publiques est aussi assuré par une Juridiction des
comptes189, dont les membres ont le statut de magistrat. Elle est indépendante par rapport au
Gouvernement et au Parlement, et elle est autonome dans l’exercice de ses fonctions.
Notamment, ses missions sont190 : d’assister le Parlement dans le contrôle de l’exécution des
lois de finances ; de certifier la régularité, la sincérité et la fidélité du compte général de l’État ;
de juger les comptes des comptables publics, les fautes de gestion des ordonnateurs et de tout
autre agent public tels que le contrôleur financier, tout fonctionnaire ou agent d’une entité
publique, tout représentant, administrateur ou agent d’une entité publique soumis à un titre
quelconque au contrôle de ladite juridiction ; de contrôler la légalité financière et la conformité
budgétaire de toutes les opérations de dépenses et de recettes de l’État.

La Juridiction des comptes peut en outre, à la demande du Gouvernement ou du


Parlement, procéder à des enquêtes et analyses sur toute question budgétaire, comptable et
financière. Dans l’exercice de ses missions, elle peut au besoin solliciter l’assistance de la Cour
de Comptes de la CEMAC, conformément aux traités et conventions communautaires.

Le juge administratif est aussi au Cameroun un juge financier, comme en France191. Dans
ce sens, l’article 9 de la loi n° 2006/016 du 27 décembre 2006 fixant l’organisation et le
fonctionnement de la Cour Suprême prévoit au sein de la Chambre administrative une section
du contentieux fiscal et financier, à laquelle il attribue la compétence de connaître des appels et
des pourvois en cassation relatifs aux matières qui relèvent de sa compétence.

188
Voir L.-M. IMBEAU et R. STAPENHURST, Le contrôle parlementaire des finances publiques dans les pays de la
francophone, Laval, PUL, 2019, p. 5.
189
Y. G. DJEYA KAMDOM, « La réforme du contentieux financier public au Cameroun par la loi du 11 juillet 2018 :
portée et insuffisances d’un texte », Gestion & Finances Publiques, 2020/6 (N° 6), p. 123-128.
190
Loi du 11 juillet 2018 portant régime financier, article 86, 87, 88.
191
S. DAMAREY, Le juge administratif, un juge financier, Paris, Dalloz, 2001, 548 p.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

187

L’image publique du ministre camerounais des Finances, projetée par les médias,
partagée par les citoyens et confirmée par une certaine doctrine, est celle d’une autorité toute-
puissante, pouvant tout et faisant tout en matière financière publique. Une étude approfondie
fait cependant apparaître de toutes parts des facteurs d’affaiblissement de plus en plus
déterminants, qui remettent en cause cette prétendue toute-puissance. Contrairement aux
affirmations extrêmes, la situation du ministre camerounais des Finances paraît beaucoup plus
nuancée et complexe qu’il n’y paraît. Il n’est ni prééminent, c’est-à-dire bénéficiant d’une
supériorité absolue, ni assujetti, c’est-à-dire réduit au statut d’humble serviteur. S’il a longtemps
bénéficié d’une position privilégiée tenue pour être dominante, elle a perdu de sa superbe : un
subtil équilibre s’est établi sur la base du renouveau des rapports du ministre avec son
environnement juridique, politique et institutionnel, le privant d’une très grande partie de sa
puissance.

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

188
LA CONTRIBUTION DE LA DIASPORA FRANCOPHONE A LA
RESOLUTION DE LA CRISE DANS LES REGIONS DU NORD-OUEST
ET DU SUD-OUEST DU CAMEROUN : ENTRE REPRESENTATIVITE
ET CONTENU DES PROPOSITIONS LORS DU GRAND DIALOGUE
NATIONAL

Par
Rodrigue TASSE MOTSOU
Docteur/PhD en Science Politique et Relations internationales
Chargé de Cours au département de Diplomatie et des Enseignements Professionnels à l’IRIC
Directeur Adjoint du Séminaire de Géopolitique et enjeux de l’Humanitaire à l’Ecole Supérieure
Internationale de Guerre de Yaoundé (ESIG)
Coordonnateur du Groupe de Recherche et d’Etudes en Relations Internationales et stratégiques
(GRERIS)

Université de Yaoundé II- IRIC (Cameroun)

Résumé : Quelles ont été les propositions faites jusqu’ici par la diaspora camerounaise
francophone à la tenue du grand dialogue national (GDN) pour résoudre la crise anglophone ?
Pour tenter d’y répondre, nous formulons l’hypothèse que la diaspora camerounaise
francophone a participé de manière significative au grand dialogue national pour le retour à
la normalité dans les zones de conflit. Leurs propositions reposent entre autres sur la réforme
du code de la nationalité et le renforcement de la confiance avec l’Etat. Cette étude a pour
objectif de dévoiler les propositions concrètes de la diaspora camerounaise au grand dialogue
national et au rétablissement de la paix dans les zones en conflit. Le transnationalisme est au
cœur de cette étude. Ce choix nous a permis d’appréhender les dynamiques d’un acteur
transnational que constitue la diaspora pour apprécier son rôle dans la consolidation de la
paix au Cameroun. Le matériau est constitué à partir de l’exploitation documentaire qui nous
a permis de dépouiller les différents textes de lois, articles de revue, rapports, ouvrages, thèses
de doctorat et journaux sur la question à traiter. Les résultats de cette recherche sont
perceptibles dans sa capacité à démontrer que la diaspora camerounaise francophone est une
réalité complexe et très diversifiée. C’est donc cet ensemble hétéroclite qui a pris part au grand
dialogue national dans le but de faire des propositions constructives pour un retour à la
normalité dans les zones en crise et par là au développement du Cameroun.

Mots clés : Diaspora, Crise, Dialogue national, Normalité, Hétéroclite.

Abstract: What have been the proposals made so far by the French-speaking Cameroonian
diaspora for the holding of the Great National Dialogue (GDN) to resolve the Anglophone
crisis? To try to answer this, we formulate the hypothesis that the French-speaking
Cameroonian diaspora participated significantly in the great national dialogue for the return
to normality in conflict zones. Their proposals are based, among other things, on reforming the
nationality code and strengthening trust with the State. This study aims to reveal the concrete
proposals of the Cameroonian diaspora for the great national dialogue and the restoration of
peace in conflict zones. Transnationalism is at the heart of this study. This choice allowed us
to understand the dynamics of a transnational actor that constitutes the diaspora to appreciate
its role in the consolidation of peace in Cameroon. The material is constituted from
documentary exploitation which allowed us to examine the various texts of laws, review
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

189
articles, reports, works, doctoral theses and newspapers on the issue to be addressed. The
results of this research are perceptible in its ability to demonstrate that the French-speaking
Cameroonian diaspora is a complex and very diverse reality. It is therefore this heterogeneous
group which took part in the great national dialogue with the aim of making constructive
proposals for a return to normality in crisis areas and thereby to the development of Cameroon.

Keywords : Diaspora, Crisis, National dialogue, Normality, Heterogeneous.

Depuis la première réunion du Forum Mondial sur la Migration et le Développement


(FMMD) en 2007, les Etats participants et les Organisations de la société civile se sont
intéressés à la manière dont la diaspora contribue au développement de leur pays d’origine1.
Les multiples rôles joués par la diaspora sont désormais tangibles à travers les expéditions de
fonds, les investissements innovateurs mais aussi et surtout la recherche et la consolidation de
la paix dans le pays d’origine. La puissance et le potentiel de la diaspora sont désormais
évidents. C’est dans cette optique que le 10 septembre 2019 restera à jamais une date
mémorable dans la relation entre le Président de la république du Cameroun, Paul Biya et les
Camerounais établis à l’étranger. Dans son discours radiotélévisé de ce jour, le Président a mis
la diaspora camerounaise face à ses responsabilités. A cet effet, il prononcera dans le même
discours près de Cinq (5) fois le mot diaspora en termes d’invite à jouer un rôle actif, décisif et
significatif dans la recherche et la consolidation de la paix au Cameroun.

Le terme diaspora est d’un usage récent dans les sciences sociales. Avant 1980, peu
d’études se sont intéressées à cette notion. L’association entre la diaspora et le peuple juif
paraissait évidente pour que les chercheurs l’appliquent à d’autres groupes sociaux. Ce n’est
qu’après 1980 que la diaspora retiendra de plus en plus l’intérêt des chercheurs2. D’ailleurs, des
auteurs relèvent que son usage est si fréquent qu’il en perd toute validité scientifique dès lors
qu’il désigne de nombreux phénomènes migratoires caractérisés par la dispersion des
populations originaires d’un espace national dans plusieurs pays récepteurs. La primauté de la
théorisation de ce concept, revient à la recherche anglo-saxonne. Gabriel Scheffer pense qu’il
serait inexact de lier exclusivement le terme diaspora à la dispersion des juifs ; alors que
d’autres diasporas existent, voire l’ont précédée3. Cependant, le terme « diaspora » est un mot
d'origine grecque construit à partir du verbe diaspeirô, et dont l'usage est attesté au Ve siècle
avant Jésus-Christ. Dans le cadre de cette étude, c’est la définition adoptée par Steven Vertovec

1
ACP, Aperçu régional sur les migrations sud-sud et le développement en Afrique centrale, Tendances et besoins
en recherche, ACPOBS, 2011, PUB05.
2
GERARD (Chouassi), L’argent de la diaspora et le financement des infrastructures sociales urbaines et
périurbaines, Paris, l’Harmattan, 2010, p. 211.
3
SCHEFFER (Gabriel)., Diasporas in international politics, Paris, Hatier, 1986
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

190
qui semble se rapprocher de notre objet d’étude. Selon lui, le terme « diaspora » est aujourd’hui
de plus en plus usité pour décrire ou qualifier toute population « déterritorialisée ou
transnationale4 » qui tire ses origines ailleurs que son lieu d’habitation et dont les échanges
sociaux, économiques et politiques dépassent les frontières des Etats et par conséquent,
couvrent le globe terrestre. En tant que forme sociale, la diaspora peut être appréhendée comme
une population dispersée à travers plusieurs territoires. Steven Vertovec en rajoute qu’il s’agit
d’une population restant en relation avec le pays d’origine malgré la dispersion. La diaspora
camerounaise francophone plus particulièrement celle établie en France n’est pas en reste en
tant qu’acteur d’une vie politique nationale globalisée et complexe. Elle agit comme toutes les
autres organisations de la société civile transnationalisée à travers les sphères d’actions
économiques, politiques, culturelles voire sociales5. Elle constitue à la fois des lieux de la
contestation ou de l’organisation politique, des lieux de l’expression des besoins ou des
problèmes individuels liés à la vie quotidienne des immigrés camerounais, voire aussi des lieux
d’oppositions ou d’organisations collectives transnationalisés6.

C’est dans ce sens que l’implication de la diaspora camerounaise francophone dans la


crise qui sévit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun, nous a laissé
observer en substance, une diaspora dite « modérée » qui participe de manière significative et
objective aux efforts de paix consentis par le gouvernement établi dans le pays d’origine. En
fournissant un soutien (matériel, financier voire politique) pouvant faire pression sur les parties
afin qu’elles acceptent la voie de la négociation en vue de parvenir à une solution politique et
pacifique. C’est d’ailleurs de cette diaspora qu’il sera fait état dans cette étude. D’autre part,
une diaspora dite « dure » de par ses communications pas toujours tendres à travers les réseaux
sociaux sur le pays d’origine, diminuant ainsi les incitations des parties à s’inscrire dans la
dynamique du dialogue et de la négociation.

Dès lors, la contribution de la diaspora camerounaise francophone pour le « grand


dialogue national » dévoile une scène de controverse entre d’une part des acteurs qui plaident
pour la mise en place d’un cadre d’analyse plus large prenant en compte la structuration de
l’expérience collective à l’étranger à partir du lien entretenu avec le pays d’origine7, et d’autres

4
VERTOVEC (Steven), Three meanings of diaspora. Exemplified among South Asian religious, Oxford,
University of Oxford Press, 1999, p.1-2
5
MANGA EDIMO (Mireille), La citoyenneté virtuelle des immigrés camerounais de France : Tic et Participation
politique, Thèse de doctorat en science politique, Université de Yaoundé 2, 2011, p.444
6
Idem
7
C’est le cas des auteurs comme DUFOIX (Stéphane), Les diasporas, Paris, Puf, 2003
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

191
acteurs qui voient en ces immigrés camerounais, une diaspora de contestation8 qui constitue
une menace pour le pays d’origine9. La société civile camerounaise transnationalisée se pose
alors comme un champ d’affrontements de valeurs et d’opinions globalisées10. Dans le cadre
de cette étude et contrairement aux travaux existants sur la question qui aborde exclusivement
le poids économique de la diaspora au développement du pays d’origine, nous allons partir du
grand dialogue national pour nous intéresser à la contribution de la diaspora francophone à la
résolution de la crise anglophone au Cameroun. A ces populations porteuses d’une multiplicité
d’expériences sociales et politiques et qui agissent de façon considérable sur la politique du
pays d’origine11, comme c’est le cas des immigrés camerounais francophone établis en France.

Le transnationalisme tel que développé par Robert Keohane et Joseph Nye est la
perspective théorique d’analyse dans cette étude. L’idée étant de démontrer que les évolutions
récentes dans le système international tendent à saquer les fondements même de ce système
basé sur la souveraineté des Etats et leur exclusivité en tant qu’acteurs principaux des relations
internationales. La montée en puissance des flux transnationaux remettant en question le
monopole de l’Etat sur la scène internationale appelle à l’élaboration de nouveaux outils
d’analyse pour capter ces évolutions et en saisir l’intangibilité. En clair, de nouvelles forces
apparaissent sur la scène internationale aux côtés des Etats. Ces nouvelles forces jouent un rôle
qui traverse et transgresse les frontières nationales pour en faire de véritables acteurs des
relations internationales. La mobilisation de la perspective transnationaliste, nous permettra
dans le cadre de cette étude, d’appréhender les dynamiques d’un acteur transnational que
constitue la diaspora pour apprécier son rôle dans la consolidation de la paix au Cameroun.

L’étude a pour objectif de dévoiler les propositions concrètes de la diaspora


camerounaise au grand dialogue national et au rétablissement de la paix dans les zones en
conflit. Elle se déroule devant une diaspora camerounaise qui était jusque-là habituée à la vivre
« à distance12 ». Pour y parvenir, le matériau a été constitué à partir de l’exploitation
documentaire qui nous a permis de dépouiller les différents textes, rapports, articles de revue
scientifique, ouvrages, thèses de doctorat et journaux sur la question à traiter. Quelques

8
On peut voir à ce sujet, le Collectif des Organisations Démocratiques et Patriotiques de la Diaspora Camerounaise
(CODE), qui est l’organisation politisée la plus représentative de la société civile camerounaise transnationale,
dans le cadre de ses mouvements de protestation qu’elle organise dès l’année 2000 dans les villes européennes
mobilise régulièrement moins de dix manifestants. C’est davantage le registre spectaculaire d’interpellation du
Président Paul Biya qui contribue à sa mise en visibilité. Cf. Vidéos postées des opérations du CODE sur
www.lecode.afrikablog.com consulté le 14 décembre 2019
9
C’est le cas des auteurs comme BORDES-BENAYOUN (Chantal) et SCHNAPPER (Dominique), Diasporas et
Nations, Paris, Odile Jacob, 2006
10
MANGA EDIMO (Mireille), op.cit, p.444
11
Ibid., p.49
12
BOLTANSKI (Luc), La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris, Gallimard, 2007
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

192
entretiens ont également été effectués pour disposer des propositions qu’ont les camerounais
établis hors de leur pays d’origine pour apporter une réponse à la sortie de crise en zone
anglophone. Au regard de ce qui précède, la question fondamentale de cette étude est de savoir
quelles ont été les propositions faites jusqu’ici par la diaspora camerounaise francophone à la
tenue du grand dialogue national pour résoudre la crise anglophone ? Répondre à cette
interrogation nous amènera dans une première partie à faire état de la représentativité de la
diaspora camerounaise francophone (I) et dans une seconde partie de mettre en perspective le
contenu des propositions faites par la diaspora au grand dialogue national (II) pour le
rétablissement de la paix dans les régions du Sud-ouest et Nord-ouest du Cameroun.

I- REPRESENTATIVITE DE LA DIASPORA CAMEROUNAISE


FRANCOPHONE : UNE COMPOSITION ELITISTE ET HETEROGENE

Les migrations sont considérées à l’aune de la mondialisation comme l’une des grandes
questions déterminantes de ce siècle. Plusieurs facteurs explicatifs sont à l’origine de ce
phénomène migratoire notamment les facteurs économiques, politiques et socioculturels. Il
n’existe pas de cause unique à ce phénomène, malgré le fait que certaines variables influencent
d’autres, orientant ainsi le type d’immigration envisagé par exemple celle temporaire ou
permanente13. Parfois, les partenaires au développement peuvent être à l’origine et influencer
certaines variables.14Le phénomène d’immigration des camerounais à l’étranger est très ancien.
Nombreux d’entre eux se sont installés depuis plusieurs générations à l’extérieur. Les facteurs
explicatifs de ces migrations sont multiples. Les trajets des migrants camerounais suivaient
d’abord les routes de l’éducation, puis celle de la prospérité économique et de la sécurité
politique. Les immigrés camerounais admis comme des acteurs d’une société civile
camerounaise déterritorialisée et complexe sont définis comme des citoyens qui participent
pleinement au déroulement et au développement de la vie politique camerounaise
transnationalisée15. Les sphères d’actions de ceux établis en France sont aussi nombreuses et
complexes que les principes qui régissent les modes d’organisation sociale16. D’une part, les

13
Agence Française de Développement, Cadre d’intervention transnationale, Migration interne et international,
2013-2014, AFD
14
Banque Africaine de Développement, le rôle de la diaspora dans la construction de la nation : Leçon à tirer
par les Etats fragiles et les Etats sortant de conflits en Afrique, l’Unité des Etats fragiles (OSFU) –vice-présidence
II – sectorielles.
15
MANGA EDIMO (Mireille), La citoyenneté virtuelle des immigrés camerounais de France : Tic et
Participation politique, Thèse de doctorat en science politique, Université de Yaoundé 2, 2011, p.448
16
Comme l’affirme Max Weber lorsqu’il analyse la société comme un ordre régi par des principes économiques,
culturels et politiques. Lire à ce sujet : WEBER (Max), Economie et Société. Les catégories de la sociologie,
Tome1, Paris, Plon, 1995.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

193
acteurs engagés dans des revendications socio-politiques et économiques(A) et d’autre part les
acteurs engagés dans des revendications politiques transnationalisées (B).

A- LES ACTEURS ENGAGES DANS DES REVENDICATIONS SOCIO-


POLITIQUES ET ECONOMIQUES NATIONALES

Il s’agit des acteurs engagés au sein des mouvements associatifs qui leur permettent de
négocier de nouveaux droits sociaux dans le pays d’origine et par là une meilleure intégration
socio-politique et économique. Ces acteurs ne sont pas en concurrence, mais cherchent plutôt à
sensibiliser l’opinion publique nationale à travers, soit des stratégies globales, soit des stratégies
socio-politiques transnationalisées17. Comme c’est le cas du Réseau des compétences de la
diaspora camerounaise 18(CASA-NET) à l’occasion du grand dialogue national. Au sein de ce
réseau, les modes d’actions sont surtout solidaires et les migrants camerounais y sont
représentés à travers des associations au sein desquelles ils agissent dans le pays d’accueil. Ce
réseau est constitué de plusieurs associations et collectifs de migrants camerounais résidant
dans plusieurs autres pays que la France à savoir : la Belgique, le Maroc, la Suisse, les Pays-
Bas, le Chypre, l’Allemagne, l’Italie, les Etats-Unis, la Grande –Bretagne ou le Canada. Au
sein de ce réseau, les immigrés camerounais en général et ceux de France en tant qu’acteurs
socio-économiques sont « porteurs » de nombreux projets de développement et d’intégration
socio-économique axés autour des secteurs aussi divers que l’agro-industrie, les TIC, la santé,
l’éducation, l’énergie, l’entreprenariat, ou encore le commerce. Ces projets les conduisent par
ailleurs à se réapproprier voire anticiper sur certaines fonctions dévolues à l’Etat.

B- LES ACTEURS EN COMPETITION POLITIQUE ET LES ACTEURS


ENGAGES DANS DES REVENDICATIONS POLITIQUES
TRANSNATIONALISEES

Dans le cas des acteurs en compétition politique, il s’agit des acteurs politiques
traditionnels ayant d’une manière ou une autre pris part déjà à une compétition politique. On
peut citer entre autres le Rassemblement démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), parti
au pouvoir depuis l’accession à la magistrature suprême du président Paul Biya le 6 novembre
1982 ; le SDF du chairman Ni John Fru Ndi, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun
(MRC) du professeur Maurice Kamto ou encore de l’Union démocratique du Cameroun (UDC)

17
MANGA EDIMO (Mireille), op.cit, p.466
18
Il s’agit là, d’une fédération mondialisée des différentes associations qui structurent les diasporas camerounaises
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

194
de Adamou Ndam Njoya. A tout ceci, on peut observer que nombreux de ces acteurs politiques
qui adhèrent au CODE et créent la collusion entre les campagnes politiques et l’activisme
international. C’est le cas du Conseil des Camerounais de la Diaspora dont on peut voir le
dynamisme de certains adhérents dans des campagnes politiques à l’étranger. Ces acteurs
différenciés par leurs parcours migratoires ou encore leurs expériences sociopolitiques animent
non seulement le jeu politique mais surtout reviennent remettre en question le quasi-monopole
du parti au pouvoir RDPC et les autres partis de l’opposition.

S’agissant des acteurs engagés dans des revendications politiques transnationalisées, il


s’agit des acteurs dont les actions sont plus tournées vers des sphères d’actions globales dans la
perspective d’influencer la politique dans le pays d’origine. C’est le cas du Collectif des
Organisations Démocratiques et Patriotiques de la Diaspora Camerounaise (CODE) dont la
plupart des acteurs ont été ou sont encore des réfugiés politiques. Les adhérents à cette
organisation sont dispersés à travers le monde. Ils se sont réappropriés plusieurs idées du
mouvement nationaliste des années 1950 à 1970, leurs actions sont tournées vers des sphères
d’actions plus globales dans la perspective d’influencer la politique du pays d’origine19.
Cependant, la spécificité des acteurs proches de ce mouvement réside dans le fait que leurs
actions ne visent pas uniquement la politique du pays d’origine, mais sont également orientées
vers d’autres gouvernements et leurs politiques étrangères. Depuis la fin de la présidentielle
du 7 octobre 2018 au Cameroun, un autre mouvement au sein des immigrés camerounais s’est
constitué. Il s’agit d’un mouvement plus connu sous l’appellation de Brigade Anti-Sardinards
(BAS) dont la principale revendication est de boycotter hors du Cameroun tous les artistes qui
ont soutenu le candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais Paul Biya
pendant la campagne présidentielle de 2018. Leurs cibles privilégiées, sont toutes celles et ceux
qui ont participé au grand concert de soutien gratuit qui s’est tenu au palais polyvalent des sports
de Yaoundé le 06 octobre à la veille du scrutin20. Tous ces acteurs s’engagent alors dans des
campagnes politiques internationales de dénonciation de la politique étrangère du pays
d’origine.

Il en ressort que la diaspora camerounaise francophone est une réalité complexe et très
diversifiée. Elle est constituée par un ensemble hétéroclite d’organisations, de mouvements, de
mobilisations d’enjeux et de thématiques politiques, économiques, sociales et culturelles. C’est
donc cet ensemble hétéroclite d’organisations qui a pris part de façon active au grand dialogue

19
Idem
20
Accessible sur https//www.Camer.be/75614/30 : 27/Cameroun-brigade-anti-sardinards-qui-sont-ils-
cameroon.html consulté le 14 novembre 2019.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

195
national pour apporter une réponse durable à la résolution de la crise anglophone et par là au
développement du Cameroun.

II- LE CONTENU DES PROPOSITIONS DE LA DIASPORA AU GRAND


DIALOGUE NATIONAL POUR UNE SOLUTION DURABLE A LA CRISE
ANGLOPHONE

L’existence d’une Commission dédiée à la diaspora dans le cadre du grand dialogue


national est assez significative de la volonté de l’initiateur et des organisateurs d’associer tous
les fils et filles à cette rencontre historique. C’est dans cette optique que le gouvernement
camerounais a dépêché des personnalités de la société civile de renom pour rencontrer ces
camerounais établis à l’étranger afin d’associer ceux-ci au rétablissement de la paix et de la
sécurité dans la partie anglophone du pays pour une solution durable à la crise. Dans le même
sens, les missions diplomatiques du Cameroun ont également organisé des réunions d’échanges
en vue de recueillir des contributions susceptibles d’enrichir les travaux du grand dialogue
national. Le contenu des propositions a porté sur la réforme du code la nationalité (A) et le
renforcement de la confiance avec l’Etat (B).

A- LA REFORME DU CODE DE LA NATIONALITE

Plusieurs Etats africains reconnaissent ou tolèrent dans leur majorité la double nationalité
même si certains à l’instar de la Guinée Equatoriale ou encore du Cameroun sont plus méfiants
pourtant il n’est plus possible de nos jours avec le phénomène de la mondialisation qui entraine
l’ouverture des économies nationales sur le marché mondial entrainant une interdépendance
croissante entre les Etats avec des échanges importants et une circulation significative des biens
et des personnes de rester en marge de cette réforme. C’est ainsi qu’on peut observer un peu
partout à travers le monde des flux migratoires importants. Le Cameroun comme plusieurs
autres Etats africains disposent d’une importante diaspora qui souhaite véritablement contribuer
au développement du pays d’origine. La question de la double nationalité n’est pas nouvelle
dans les grands débats au Cameroun.

En 2017 déjà lors du forum de la diaspora (FODIAS) au palais des congrès de Yaoundé,
on pouvait déjà lire cette volonté des pouvoirs publics de mettre cette question au centre des
discussions. Dans le même sens, l’existence d’une commission dédiée à la diaspora lors du
Grand Dialogue Nationale (GDN) tenu du 30 septembre 2019 au 4 octobre 2019 à Yaoundé est
assez évocateur sur cette volonté de prendre davantage cette question qui tient en haleine
plusieurs camerounais se trouvant en situation de double nationalité. Pourtant à l’observation
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

196
des faits, on se rend compte que plusieurs camerounais de la diaspora pour de diverses raisons
acquièrent des nationalités étrangères tout en conservant un attachement indéfectible au pays
d’origine. Une réforme du code de la nationalité n’est pas à exclure au regard des différentes
initiatives engagées par les pouvoirs publics en faveur de la diaspora comme la participation à
la vie politique comme on a pu voir lors du scrutin présidentiel de 2018 ou encore lors du Grand
Dialogue National de 2019. Les lois étant dynamiques, il n’est pas à exclure qu’avec le temps,
elles peuvent faire l’objet d’amendements pour les adapter aux exigences du contexte ambiant.

Au Cameroun, c’est la loi no 1968/LF/3 du 11 Juin 1968 portant code de la nationalité


camerounaise qui précise dans quelles conditions l’on acquiert la nationalité camerounaise et
met également en exergue les conditions dans lesquelles on peut la perdre ou la perdre
automatiquement. Il s’agit de l’exclusivité de la nationalité camerounaise basée sur le Code de
la nationalité camerounaise. Celui-ci ne tolère aucune autre nationalité, ni même celle des
ressortissants bi-nationaux. Leur droit à une certaine ingérence dans la vie politique au
Cameroun est remis ou peut être remis en cause par les autorités camerounaises. Sauf dans
certains cas spécifiques comme celui des joueurs de l’équipe nationale de football. Dans cette
optique, ne sont plus considérés comme étant nationaux, tous les camerounais majeurs ayant
acquis et conservant volontairement une nationalité étrangère. Pourtant, de nombreux citoyens
diasporiques d’origine camerounaise pour diverses raisons acquièrent des nationalités
étrangères tout en conservant un attachement indéfectible à la citoyenneté camerounaise. Cette
posture qui les place en situation d’illégalité voire d’illégitimité a pu créer des restrictions et
des frustrations au moment de la jouissance de certains droits. Si l’on part du principe du jus
solis et jus sanguinis d’offre de la nationalité, l’on peut se rendre compte que nombreux d’entre
eux comme Yannick Noah, ancien champion de tennis né d’un père camerounais et d’une mère
française a le droit de se sentir camerounais. A chaque fois qu’il doit se rendre au Cameroun,
ce dernier doit au préalable se munir d’un visa avant de pénétrer le territoire national.

En observant les réformes réalisées par certains pays, notamment africains pour mieux
impliquer leur diaspora, une réforme du code de la nationalité est plus qu’important. Une
première évolution a été consacrée pour la participation des camerounais établis à l’étranger au
scrutin présidentiel. Aujourd’hui, les citoyens diasporiques originaires des régions du Nord-
Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun notamment ressentent cette restriction comme une forme
de marginalisation officielle et se sentent comme des « intrus » mal fondés à prendre position
dans les affaires internes du Cameroun21. Une réforme du Code de la nationalité pour l’adoption

21
POUT (Christian), « Une réforme du code de la nationalité peut être appréciée », Journal Cameroon Tribune,
no 11948, du 14 Octobre 2019, p.9
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

197
de la double nationalité ou des nationalités multiples peut davantage être appréciée par ces
derniers comme une volonté manifeste du politique de les impliquer plus étroitement22, d’une
part dans la gestion de la cité et d’autre part dans toutes les initiatives pour un retour à la normale
dans ces régions.

B- LE RENFORCEMENT DE LA CONFIANCE ENTRE L’ETAT ET LA MISE


EN ŒUVRE D’UNE POLITIQUE EFFICACE D’INCITATION EN FAVEUR
DE LA DIASPORA

Le renforcement de la confiance entre le gouvernement et la diaspora camerounaise


passe nécessairement par le renforcement du dialogue politique et institutionnel déjà engagé
avec la diaspora tout en tenant compte des cas particuliers comme celui des membres radicalisés
de la diaspora et leurs potentialités, sans toutefois négliger l’implication de la diaspora dans la
planification du développement et dans la mise en œuvre des politiques nationales. Le rôle de
la diaspora dans les efforts du développement national reste et demeure incontestable à l’heure
où le développement de toute la nation dépend de la participation de tous les acteurs. Dans ce
contexte de participation unanime des camerounais de l’étranger au développement de leur pays
d’origine, il faut adopter le principe de la représentation de la diaspora aux niveaux
parlementaire et gouvernemental, créer un Haut conseil de la diaspora dans les pays d’accueil
avec des dirigeants élus, créer une agence transnationale d’investissement et de développement
pour la diaspora.

Le gouvernement camerounais a entrepris sur le plan politique et institutionnel un


rapprochement avec les associations camerounaises de la diaspora. Cette démarche inclusive
s’est concrétisée par l’initiation de plusieurs rencontres avec les camerounais de l’étranger dans
leur pays d’accueil dans le but de les sensibiliser à contribuer au développement de leur pays
d’origine. A l’heure de la marche vers son émergence, le Cameroun a plus que jamais besoin
de la synergie de toutes ses forces vives en vue du renforcement du processus de paix, de
sécurité, de cohésion nationale et de développement. Ainsi, la diaspora camerounaise, au regard
de son poids, doit pouvoir jouer un rôle capital dans ce processus d’unité nationale, à travers la
consolidation de la paix et de la réussite des objectifs de développement.

La participation de la diaspora à la résolution de la crise anglophone au Cameroun passe


également par la création des conditions favorables à la capitalisation des apports des migrants
camerounais dans le pays d’origine et de promouvoir une excellente consolidation de ces

22
POUT (Christian), « Une réforme du code de la nationalité peut être appréciée », Journal Cameroon Tribune,
no 11948, du 14 Octobre 2019, p.9
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

198
interactions entre l’Etat et la diaspora en passant nécessairement par la mise en place d’une
logique de partenariat efficace avec les missions diplomatiques installées dans ces pays. Les
pays qui ont su accorder une valeur positive à leur diaspora témoignent de l’expérience
magistrale des effets de leurs interventions dans le succès rapide de leurs politiques de
développement. Il demeure cependant capital de souligner que le gouvernement doit pouvoir
prendre la chose au sérieux pour que la migration des personnes qualifiées soit préjudiciable23
et par là de faciliter les différentes incitations de retour au pays. La mise en place d’une véritable
stratégie de transfèrement de fonds serait salutaire.

A cet effet, pour soutenir la valeur des fonds transférés par les migrants dans leur pays
d’origine, l’un des points essentiels est de réduire les coûts de ces opérations. On a pu se rendre
compte dans le cadre de notre collecte des données que, les frais de transfert d’espèces sont
généralement élevés, mais amoindris avec une proportion élevée pour l’envoi de petites
sommes d’argent. L’entreprise de transfert de fonds Western Union taxe à environ 15% un
transfert de 100 dollars, alors qu’un envoi de 500 dollars, ne coûte qu’environ 4% ce qui
pénalise les petits opérateurs.24

En définitive, il était question dans la première partie de cette étude de faire état de la
représentativité de la diaspora camerounaise francophone (I) et dans une seconde partie de
mettre en perspective le contenu des propositions de la diaspora au grand dialogue national (II)
pour résoudre la crise anglophone. L’analyse menée a permis de constater que la diaspora
camerounaise francophone est une réalité complexe et très diversifiée. Elle est constituée par
un ensemble d’organisations et de mouvements. C’est donc cet ensemble hétéroclite
d’organisations qui a pris part de façon active au grand dialogue national dans le but d’apporter
une réponse durable à la résolution de la crise anglophone et par là au développement du
Cameroun.

23
EVINA (Roger), op. cit, p 52.
24
RATHA (D.) : Economic Implication of Remittance and Migration, Exposé à la Banque mondiale, DFID,
deuxième conférence internationale sur les transferts de fonds des migrants, Londres 9-10 oct. 2003.
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

199
Actualités

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

200
Ouvrages
Alioune SALL, Singularités juridiques Africaines. Ce que l’Afrique apporte au droit,
Paris, L’Harmattan, 2023, 324 pages.

L'inventivité juridique des sociétés africaines actuelles n'a pas retenu toute l'attention
qu'elle mérite. Un préjugé répandu consiste trop souvent à y présenter les règles de droit comme
une sorte d'artifice condamné à osciller entre mimétisme et ineffectivité, entre extraversion et
désincarnation. Contre cette idée reçue plus ou moins vulgarisée, l'auteur donne dix exemples,
évoque dix thématiques touchant des problématiques juridiques majeures, sur lesquelles
l'Afrique a créé, patiné, enrichi ou sublimé des principes ou des institutions. Dix exemples à
travers lesquels, en restant fermement dans le champ de la modernité, le continent africain peut
certainement prétendre à une manière d'antériorité et, peut-être, d'exemplarité. L'ouvrage repose
ainsi sur la conviction que le développement du droit s'accomplit sur le mode horizontal de
l'osmose, de l'hybridation et du polycentrisme. Il est une exhortation à regarder ce qui se fait
ailleurs, une invitation à l'écoute et au dépaysement.

DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE recommande vivement aux chercheurs en droit(s)


africain(s) de tirer toutes les leçons de cet ouvrage d’excellente facture pour se défaire d’a
priori commodes, d’une certaine paresse intellectuelle à l’œuvre depuis des décennies.

Le juge et l’application de la règle de droit. Ecrits dédiés au Professeur Danièle


Darlan, Héritier Christ-Ethisse YANDIA et Junior Merlin KRANENDJI (dir.),
Etudes universitaires européennes, 2023, 342 pages.

Dans sa diversité d'identité, le juge, gardien impartial de la justice, est un pilier de la


démocratie et de l'État de droit. Tel un flambeau dans les abîmes ténébreux, un phare singleton
dans la tempête, il établit la vérité judiciaire et s'assure de la sécurité et de la protection de cette
vérité. Par sa connaissance approfondie des lois, il évalue les faits et rend des décisions
éclairées. Au cœur de son rôle, cette « bouche du droit » incarne l'intégrité et la neutralité. Il
veille à ce que chaque individu soit traité avec équité, sans distinction de race, de genre ou de
statut social. Sa mission est de garantir que la règle de droit soit appliquée de manière juste et
égale pour tous afin d’éviter de tomber dans le déni, sous toutes ses manifestations. On
comprend dès lors qu’il s’agit là d’une obligation qui ne fait évidemment pas écran à son
pouvoir de combler les possibles lacunes du législateur, même si l’on peut se réserver le droit
de se demander si les lacunes en droit sont une réalité ou une virtualité. C’est dire ainsi que

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

201
dans son office d’application, il est appelé à faire évoluer le droit. En ce sens, on peut
valablement parler d’une interprétation créatrice. Le juge est également un protecteur des droits
fondamentaux. Il veille à ce que les libertés individuelles soient respectées et que la dignité
humaine soit préservée. Il contrôle les mesures de police administrative afin de rabougrir les
exigences de l’administration en les remisant dans la légalité (J. Renandji). Sa voix est celle de
la justice, ce d’autant plus qu’il n’y a pas d’alternative pour ce dernier entre dire le droit et
rendre la justice.

Au regard de ces considérations, le juge centrafricain incarne de ce fait l'espoir d'une


société juste. Par sa sagesse et son impartialité, il contribue ou il est censé contribuer à
l'établissement de normes éthiques et à la préservation de l'ordre social, lequel ordre passe
également par la contribution fiscale de chaque citoyen (J. F. Boudenot). À cet effet, lorsqu’il
est appelé à dire le droit, il doit s’y livrer a travers sa conscience, penser et repenser sa décision
pour qu’elle soit, comme une pluie qui vient arroser un jardin au risque de faire mouiller le
bandeau de Thémis de substances lacrymales. Que ce soit en matière commerciale, civile,
fiscale, constitutionnelle, ou autres, le juge joue un rôle central pour garantir le respect de la
règle de droit et la protection des droits fondamentaux. Son engagement envers la justice et son
impartialité font de lui un acteur clé dans la consolidation de l'État de droit.

Le présent ouvrage collectif aborde donc différents aspects de l’office du juge. Il en est
ainsi lorsqu’il est sollicité en matière de réparation, conformément aux textes juridiques en
vigueur ou particulièrement à l’Acte Uniforme OHADA relatif au contrat de transport routier
de marchandises (M. Baye) ou pour se prononcer sur la constitutionnalité d’une norme infra
constitutionnelle (J. M. Kranendji). Même en matière purement civile, le juge est attendu sur
un certain nombre de prétentions même s’il faut relever que l’accès a ce juge civil demeure
paradoxal (C.-E. H. Yandia). Il n’est pas non plus dans une posture invisible lorsque des
contractuels privés se rabrouent grossièrement au sujet de l’exécution du contrat qu’ils ont
pourtant librement consenti (A. D. Yamale Nzalet).

En tout état de cause, cet ouvrage est une compilation des contributions scientifiques de
divers bords (Droit Public – Droit Privé – Théorie et Pluralisme Juridiques) toutes orientées
sur la figure et le travail du juge, même s’il ne s’agit pas toujours du juge étatique à proprement
parler mais aussi de l’arbitre qui est appelé à dire le droit (J. C. T. M. Apang). De l'avis des
contributeurs, Danièle Darlan, Professeur de droit public, incarne incontestablement cette
image. Ce livre est donc un hommage, mais avant tout un remerciement, à un ancien juge de
proximité (Paris, 2ème arrondissement), une avocate, un ancien assesseur (Paris), ancien juge

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

202
constitutionnel de la République Centrafricaine, ancienne Vice-Présidente de la Cour
constitutionnelle de Transition et ancienne Présidente de la Cour Constitutionnelle,… bref à
une universitaire et une praticienne du droit pour ses loyaux combats et services dans
l’enseignement, l’application et le développement du droit ainsi que dans la consolidation de
l’Etat de droit centrafricain. Il est la concrétisation d’un projet qui puise ses origines – depuis
20201 – dans un nombre indéterminé de conversations dans les mini-cités de Soa2, lorsque ces
contributeurs ont convenu de rendre un vibrant hommage à leur enseignante, une dame de fer,
une source intarissable d’inspiration, un modèle.
1 Loin des polémiques et d’un quelconque opportunisme, on comprend alors que l’intention des contributeurs est exempte de
toute considération politicienne. En témoigne le contenu strictement scientifique de chaque contribution.
2 Ville universitaire du Cameroun, la Commune de Soa qui abrite l’Université de Yaounde II est située dans la Région du
Centre, Département de la Mefou et Afamba à 14 Km au Nord-Est de Yaoundé à 3°59 latitude Nord et 11°36 longitude Est.
Elle est limitée au Sud par la Commune de Nkolafamba et la Commune d’Arrondissement de Yaounde V, à l’Ouest par la
Commune d’Obala, à l’Est par les Communes d’Esse et d’Awae et au Nord par les Communes d’Obala et d’Edzendouan.

Willy JACKSON, Le panafricanisme, entre politique et droit, Paris, L’Harmattan,


2023, 356 pages.

Ce livre confronte le panafricanisme avec le système de normes juridiques qui l’encadre.


Notion indéterminée dans la théorie juridique et la doctrine politique, dans ses trajectoires
historiques, et par l’indéfinition de ce qu’est l’Afrique en soi, le panafricanisme entretient des
rapports contrastés avec le droit international. Les conquêtes du mouvement panafricain ont été
obtenues par affranchissement de ce droit de la domination forgé en Occident. L’horizon d’une
émancipation panafricaine collective reste cependant obstrué par les contradictions propres au
panafricanisme. Le concept de souveraineté est, à cet égard, un obstacle à la réalisation d’une
communauté politique supranationale. Partant de ce constat, Willy Jackson explique que la
refondation du panafricanisme passe nécessairement par une meilleure articulation du droit et
du politique.

La démocratie illibérale en droit constitutionnel, Vanessa Barbé, Bertrand-Léo


Combrade, et Charles-Édouard Sénac (dir.), Bruxelles, Bruylant, 2023, 496 pages.

Il est d’usage d’attribuer la paternité de l’expression « démocratie illibérale » à Fareed


Zakaria, politologue américain, qui l’employa à la fin des années 1990 pour désigner l’essor de
régimes politiques combinant un système d’élections libres et l’absence d’une culture et
d’institutions ressortissant du libéralisme constitutionnel. Aujourd’hui entrée dans le langage
courant, elle est assez largement étudiée en sciences politiques et se trouve même revendiquée
par certains dirigeants.

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

203
Mais la démocratie illibérale est encore peu étudiée par les constitutionnalistes, alors
que les caractéristiques prêtées à ce type de régime politique s’inscrivent au cœur des enjeux
du droit constitutionnel, tant classiques que contemporains (séparation des pouvoirs, État de
droit, droits fondamentaux).

Le présent ouvrage entend contribuer à l’examen de la démocratie illibérale en étudiant


les aspects juridiques de l’illibéralisme comme évolution ou composante de certains régimes
réputés démocratiques. Il réunit une trentaine de contributions d’universitaires spécialisés en
droit constitutionnel et s’intéressant aux institutions politiques africaines, américaines,
asiatiques et européennes.

DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE recommande particulièrement la lecture de deux


contributions : celle de Hilaire AKEREKORO, « Les figures de la démocratie illibérale en
Afrique. Réflexions théoriques et critiques à partir de quelques exemples récentes » (p. 239 et
s.) ; et celle de Jean Mermoz BIKORO, « La juridicisation de la vie politique en Afrique noire
francophone : entre effet d’annonce et droit vivant » (p. 317 et s.).

El Hadji Omar DIOP, La candidature à l’élection présidentielle en Afrique,


OVIPA/CREDILA, Dakar, 2022, 441 pages.

Aujourd’hui, la candidature à l’élection présidentielle est l’une des questions les plus
débattues dans le continent soit à cause d’une troisième candidature controversée du chef de
l’Etat en exercice soit pour l’exclusion de candidatures sérieuses de l’opposition. Dès lors,
l’étude des fondements juridiques de la candidature renseigne sur les sources internationales et
nationales de la candidature à l’élection présidentielle. En premier lieu, l’encadrement juridique
de la candidature met en évidence les conditions conflictogènes comme la nationalité et le
parrainage. De là découle le contrôle national et le contrôle international des candidatures. En
second lieu, la crise des élections politiques montre qu’au-delà de la question de la candidature,
l’élection présidentielle est source de dysfonctionnements des systèmes constitutionnels
africains. Ainsi le juge électoral et les commissions électorales voient leur rôle contester. L’une
des causes majeures de ces dysfonctionnements réside dans la mandature présidentielle. Ce qui
impacte négativement les relations entre la paix et les élections.

Pour saisir la profondeur des questions abordées, DROIT ET POLITIQUE EN AFRIQUE


recommande de prendre connaissance des propos tenus par l’auteur, le 6 janvier 2024, en
marge de la présentation au public de son ouvrage (vidéo de dakaractu.com).

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

204
Thèses
Ulrich BITE’E ELLA, Les services publics en réseaux et la régulation économique
au Cameroun : cas de l’électricité et des communications électroniques, Thèse de
droit public, Université de Douala, 2023, 560 pages.

Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, et au Cameroun en particulier,


l’accession à la souveraineté internationale a créé une grosse responsabilité à l’égard des
gouvernements, de construire les nouveaux Etats et d’y favoriser le développement
économique. C’est ainsi que pendant une longue période, l’Etat se distingua par son
intervention accrue dans tous les secteurs de la vie publique, notamment en matière économique
où il réglementait non seulement le marché mais créait aussi des entreprises publiques au vu de
leur quasi inexistence, et en général de l’insuffisance à cette époque de l’initiative privée. Cette
initiative bien que louable se révéla finalement inefficace au vu de l’improductivité flagrante
des entreprises ainsi créées. L’Etat se trouva ainsi obligé de revoir son rythme d’intervention
dans l’économie, sous l’influence des bailleurs de fonds internationaux. Ceux-ci lui imposèrent
une posture plus extérieure au marché qui devait se manifester par la fonction de régulation.
Cette dernière intervient presque de manière automatique, voire logique dans deux secteurs
sensibles de l’économie, à savoir celui de l’électricité et celui des communications
électroniques. On s’est ainsi demander comment définir la régulation dans ces deux secteurs. Il
ressort qu’elle y est à la fois similaire et perfectible. La similarité vient du fait que ce sont deux
secteurs qui se ressemblent par leur nature, leur structure et leur encadrement. Et cette similarité
est à la fois aux plans organique et matériel. Par contre, la régulation est perfectible dans ces
deux secteurs, d’une part, parce qu’on y décèle des limites à sa mise en œuvre et, d’autre part,
parce que son rendement y est limité.

Danièle MOUORI, L’accompagnement des processus électoraux en Afrique


subsaharienne francophone : approche comparative de la pratique de l’Union
européenne et de l’Organisation internationale de la Francophonie, Thèse de droit
public, Université Panthéon-Assas, 2023, 558 pages.

L’accompagnement des processus électoraux constitue une politique publique destinée


à assister et à soutenir les Etats qui en expriment le besoin dans la mise en œuvre de leurs
obligations internationales en matière d’élection. Il est pratiqué à grande échelle par des
organisations intergouvernementales à travers des activités telles que l’observation et
l’assistance électorales. Parmi elles, l’Union européenne (UE) et l’Organisation internationale

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

205
de la Francophonie (OIF) demeurent des acteurs fortement impliqués dans le soutien aux Etats
africains en phase de transition et/ou de consolidation démocratique. Face à leur espace de
compétences et leurs missions respectives, le point commun de leurs actions réside dans la
promotion du droit à des élections libres au sein de ces Etats. Cependant, leurs approches se
distinguent et leur expérience met en évidence un mode de fonctionnement propre à chaque
acteur. La présente étude vise à le comprendre par l’analyse des fondements juridiques qui
encadrent leurs activités et leurs relations avec les pays africains. Ces fondements montrent
principalement que les procédures de l’UE et de l’OIF dans le soutien électoral sont façonnées
par leur politique singulière de promotion de la démocratie, ainsi que par les moyens mobilisés
pour la mettre en œuvre. Mais au-delà de l’approche normative, l’analyse de leurs mécanismes
institutionnels révèle également comment les choix et les décisions liés à ces procédures
dépendent des enjeux stratégiques qu’elles visent dans d’autres domaines de coopération -la
coopération au développement pour l’UE et la promotion de la langue française, ainsi que de la
diversité culturelle pour l’OIF- et davantage dans l’affirmation d’un leadership et la défense
d’un positionnement sur la scène internationale. Le bilan du croisement de leur démarche
nourrit le débat sur l’efficacité des actions multilatérales de promotion de la démocratie
électorale en Afrique subsaharienne. Il identifie dans les différentes formes d’intervention de
ces deux acteurs la plus-value et les limites de leur démarche, en particulier dans un contexte
régional où les pratiques démocratiques sont de plus en plus controversées au sein des Etats de
l’espace francophone, et où la mise en œuvre des politiques d’aide à la démocratie appelle à des
réformes essentielles.

Arnold Noé NDONO NDONGO, La prise en compte de la citoyenneté par le droit


international : une nécessaire adaptation du concept ?, Thèse de droit public,
Université de Lorraine, 2023, 506 pages.

« La prise en compte de la citoyenneté par le droit international : une nécessaire


adaptation du concept ? » Voilà un sujet qui pourrait tenir toutes ces promesses au regard des
problématiques qu’il soulève. Il me plaît de relever le fait selon lequel la particularité de la
citoyenneté est sa constance mutation, engluée dans les doctrines multidisciplinaires. Son sens
est profondément, élargi et spécifié. Ce qui incontestablement fait du concept de citoyenneté
une notion complexe. Le sujet traité globalement est circonscrit au droit public interne, le droit
international, la science politique, l’histoire et bien d’autres disciplines de sciences sociales.
Ces différentes disciplines qui rassemblent plusieurs points de vue sur ce qu’est devenu la

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

206
citoyenneté, mais aussi sur ce qu’elle pourrait devenir contribue à une évolution de sens dans
le fond et la forme.

Tenant compte de cette dynamicité, la première ligne de force gravite autour de


l’internationalisation de la citoyenneté au niveau interne aux cités-États, aux États. Cette
première tendance de l’internationalisation offre un regard intéressant de la trajectoire socio
historique de la notion de citoyenneté depuis l’époque antique à la formation des États-nations.
Il s’agissait alors d’un mouvement interne qui concourait à définir l’identité civique et politique
de l’individu sur la base d’un juridisme existant dans la communauté politique. L’avènement
des États-nations ne va que venir confirmer cette dynamique. Le phénomène
d’internationalisation va donc dans ce sens par son effet d’intensification contribuer au
développement du concept de citoyenneté. Ce processus d’internationalisation de la citoyenneté
va par un écartèlement traduire aussi une ouverture, un dédoublement qui entraîne une atrophie
du droit domestique des États et conséquemment un pouvoir accru du droit international en la
matière. Par ce mécanisme, l’internationalisation du concept de citoyenneté en droit
international va apporter une structuration globale sur la question. D’abord sur le critère
d’orientation, de fonctionnalité, l’on va assister à une remise en cause des frontières juridiques
sur la question des droits politiques des individus. Cette phénoménologie juridique sera à
l’origine d’un synchronisme relatif entre les ordres juridiques, créant une sorte de
communicabilité en la matière. Une succession d’idées qui ont été développées dans la première
partie.

Toutefois, si l’on veut admettre, que la citoyenneté a eu une évolution sur le plan interne
aux États et sous le contrôle du droit interne jusqu’à son appropriation par le droit international.
Il a été aussi pertinent de constater que cette internationalisation a produit une conséquence
directe, sur le fond et la forme parlant de la citoyenneté. Sur le fond, il a été mis en évidence
une ligne de démarcation entre la citoyenneté et la nationalité. Ce qui sur le plan doctrinal vient
rebattre les cartes de la relation classique entre les deux concepts. Dans ce schéma classique
fonctionnel, il a été question de dépasser cette interdépendance en invoquant le principe
d’obligation des États à respecter les droits fondamentaux des individus et de non-
discrimination des individus indépendamment de leurs origines nationales. Tenant compte de
cette évolution, les phénomènes socio culturels comme l’immigration concourent aussi à un
changement de signification. Aussi avec la mondialisation des droits de l’homme, l’on assiste
à la justification des droits politiques inclusifs, ce qui contribue à parler sur la forme d’une
citoyenneté mondiale. Ces idées ont été développées dans la deuxième partie de la thèse.

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

207
Glamba Mickael Eloge GUEY, La protection de la propriété foncière rurale en Côte
d'Ivoire, un défi pour la paix, Thèse de droit public, Université Lumière Lyon 2,
2023, 370 pages.

La présente étude intitulée « la protection de la propriété foncière rurale en Côte


d’Ivoire, un défi pour la paix » est un voyage réflexif au cœur du système juridique ivoirien de
protection de la propriété foncière rurale. Elle explore le cadre juridique global de protection
de la propriété foncière rurale en mettant le curseur sur la loi n°98-750 du 23 décembre 1998
sur le domaine foncier rural et ses textes corrélés dans une double finalité. D’une part pour voir
s’ils assurent et garantissent une protection effective et inclusive des droits fonciers ruraux et
d’autre part pour identifier les axes d’amélioration du cadre juridique en vue d’en faire un
instrument de pacification de la société ivoirienne.

Dans cette dynamique, un état des lieux du système de protection de la propriété foncière
rurale a été effectué. Il a permis de dresser le constat d’une cohabitation entre propriété fondée
sur le droit moderne et propriété fondée sur les droits coutumiers. Mais, cette coexistence est
censée être temporaire car devant déboucher sur une sorte de « fusion-absorption » au détriment
droits fondés sur la coutume et au profit du droit moderne. La loi sur le domaine foncier rural
et ses décrets d’application fixent la démarche de cette substitution progressive de la propriété
privée – et de la propriété publique- à la propriété coutumière. Cette démarche, dénommée
procédure de sécurisation des droits fonciers ruraux, s’articule autour de la formalisation des
droits détenus sur les terres, à travers la délivrance par l’administration de titres juridiques à la
suite d’une procédure d’immatriculation ou de constatation des droits fonciers coutumiers.
Cette stratégie qui s’inspire du régime juridique exceptionnel qui était applicable aux terres
durant la période coloniale présente quelques originalités, notamment sur la question de la
nationalité avec l’exclusion des non ivoiriens du droit à la propriété foncière rurale. Il s’agit là
de spécificités qui tirent leurs sources du contexte socio-politique qui prévalait au moment de
l’élaboration de la législation foncière rurale.

La procédure de sécurisation foncière rurale relève essentiellement du droit processuel,


or pour que la protection soit effective, il faut une réunion de droit substantiel et de droit
processuel. Le défaut de convergence entre les droits substantiels et les droits processuels dans
le cadre juridique qui régit la propriété foncière rurale affecte la protection de celle-ci. Ces
fragilités normatives combinées aux fragilités institutionnelles, particulièrement les difficultés

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

208
des institutions administratives et judiciaires à jouer efficacement leurs rôles, affaiblit
davantage la protection de la propriété foncière rurale.

Par la suite, il s’est agi, de justifier qu’une protection renforcée et inclusive de la


propriété foncière rurale, respectueuse des droits humains, peut être un vecteur de pacification.
Pour ce faire, il a été dans un premier temps démontré que l’insécurité de la propriété foncière
rurale et le défaut d’une approche de sécurisation fondée sur les droits humains est un des
principaux éléments explicatifs des tensions socio-politiques en Côte d’Ivoire. A cette fin, les
principales sources de tension et de conflictualité dans le domaine foncier rural ont été passée
en revue, à savoir les migrations, le changement climatique, l’accaparement des terres,
l’exploitation des ressources minières, les utilisations concurrentes et exclusives des terres et
les différentes situations attentatoires à la sécurité juridique. Il a aussi été mis évidence
l’absence, dans l’arsenal juridique de sécurisation foncière, de mécanismes de prévention et de
résolution des conflits fonciers, alors que le foncier rural est parcouru par de nombreux types
de conflits. Ces conflits, dont les plus récurrents mettent en opposition autochtones et migrants,
agriculteurs et éleveurs, agriculteurs et exploitants miniers, acquéreurs de terres à grande
échelle et petits paysans sans terre, mettent à mal la cohésion sociale dans les hameaux, et ont
des répercussions sur la sécurité alimentaire, sur la sureté des personnes et des biens et sur la
paix nationale.

Afin que la sécurisation de la propriété foncière rurale concoure à l’objectif de maintien,


de consolidation et de renforcement de la paix, l’étude a débouché sur des recommandations et
propositions. Certaines visent d’une part à favoriser l’adhésion des populations. Elles
ambitionnent de réduire les contradictions entre normes locales et normes étatiques, à travers
la prise en compte des pratiques emportant l’adhésion massive des populations et le rejet ou
l’aménagement des mesures impopulaires et surtout de rétablir les communautés rurales en tant
que premier niveau de la décentralisation territoriale et leur donner les compétences en matière
de gestion des terres rurales communautaires. Certaines visent, d’autre part, à intégrer au cadre
juridique de protection de la propriété foncière rurale des garanties de protection des droits
humains qui participerait à faire de celui-ci un instrument de déconflictualisation des relations
sociales dans le monde rural.

Bien entendu, la perspective de la levée des verrous de protection offertes par les droits
coutumiers contre l’exposition à un libéralisme impitoyable menace les droits de propriété de
la grande majorité des paysans. Mais si d’un côté, il est indéniable que le système coutumier
présente l’avantage de mettre en valeur la notion communautaire du foncier rural qui fait sortir
Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

209
la terre des logiques spéculatives et financières ou que les mécanismes traditionnels de
résolution des litiges permettent de trouver des solutions de compromis qui aident à désamorcer
les conflits. D’un autre côté, force est de constater que ce système coutumier porte en lui-même
des tares très importantes au regard des standards des droits fondamentaux puisqu’il est
parfaitement discriminatoire à l’égard des femmes, des jeunes et autres groupes vulnérables
marginalisés et que les instances traditionnelles de résolution des litiges peuvent constituer des
instruments de légitimation de ces discriminations.

Ainsi aucun des deux principaux systèmes de gouvernance de la propriété foncière


rurale reconnu en droit ivoirien (système de droit moderne et système de droit coutumier) n’est
capable de garantir à lui seul la justice foncière et la paix sociale. Dans le but de garantir un
droit à la propriété foncière rurale effectif et équitable, l’État de Côte d’Ivoire doit s’assurer que
les mesures législatives et/ou règlementaires prises pour réguler le domaine foncier rural,
n’iront pas à l’encontre du droit à un égal accès à la terre reconnu aux acteurs ruraux. Le respect
de ce droit mais aussi des autres droits humains, du fait de leur indivisibilité et de leur
interdépendance, permet de tendre vers plus de justice foncière, gage de paix.

Paul Gervil MBENOUN MBENOUN, Les mécanismes de contrôle de l’application


de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, Thèse de
doctorat en Droit public, Université de Yaoundé II, 2023, 745 pages.

Le 15 février 2012, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la


gouvernance (CADEG) est entrée en vigueur cinq années après son adoption. Cet instrument
qui se veut le reflet d’un moment et l’annonce d’un autre, donne un écho retentissant aux
profondes aspirations des sociétés africaines : la mise hors la loi des changements
anticonstitutionnels de gouvernement, la lutte irréductible contre les actes de corruption et de
financement du terrorisme, l’éradication de la criminalité financière et la construction des états
de droit au moyen de la gouvernance démocratique institutionnalisée, promue et protégée. Si
l’esprit de la CADEG incarné dans les principes exprimés par le préambule est bien connu, il
reste que le rôle des mécanismes de contrôle de l’application exprimé par le dispositif reste peu
exploré. Cette situation a retenu l’attention et a provoqué la présente réflexion qui, en deux
axes, livre ses résultats.

Dans le premier, l’analyse pénétrante va montrer que les mécanismes éponymes sont
articulés suivant une classification binaire qui tient compte du support conventionnel comme
critère dichotomique. Un bilan lucide de l’activité opérationnelle cachée en creux dans

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

210
l’articulation desdits mécanismes va montrer que l’Union Africaine, les Communautés
Économiques Régionales (UMA, CEN-SAD, COMESA, EAC, CEEAC, CEDEAO, IGAD,
SADC) et le Groupe d’action financière (GAFI) en liaison avec les organismes régionaux de
type GAFI (GAFIMOAN, GABAOA, GIABA, GABAC) surveillent et vérifient le
comportement de l’État partie à la lumière du respect des obligations consenties de se
démocratiser, de bien gouverner, de rapporter les renseignements, de rendre compte de la
gestion des affaires publiques, de tenir régulièrement des élections transparentes et justes.

Dans le second axe, l’analyse toujours pénétrante mais nettement plus critique va montrer
que l’activité opérationnelle des mécanismes sous rubrique, avec la conscience des défaillances
des Organisations internationales africaines et des résistances de l’État partie, contribue de
manière pusillanime à la construction des états de droit en Afrique. Aussi, l’étude montre qu’il
faut surmonter les limites discernables par le renforcement de la gouvernance politique,
démocratique, économique et financière. Au total, la volonté de l’Etat partie reste indispensable
pour l’exercice net du pouvoir de contrôle des Organisations internationales.

Droit et Politique en Afrique N°2 – Janvier 2024

211

Vous aimerez peut-être aussi