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Mon chemin de paix-interieur2_Mise en page 1 28/06/2016 11:41 Page11

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INTRODUCTION

Un ecclésiastique britannique, célèbre pour ses


idéaux colonialistes, se retrouva un jour face au Mahatma
Gandhi. Dans l’espoir d’effacer leurs différences, on dit
qu’il tint ces propos : « On dirait bien que nous sommes
tous deux hommes de Dieu, M. Gandhi, n’est-ce pas ? »
Ce à quoi le Mahatma répondit : « Vous n’êtes en fait
qu’un politicien déguisé sous le masque d’un homme de
Dieu. » Si cette histoire est vraie, et elle est crédible quand
on connaissait le personnage, alors ce livre a pour but de
nous aider à voir au-delà du masque que portait Gandhi.
Bien que l’extraordinaire contribution de Gandhi à la
libération politique de son pays soit mondialement
célébrée, on ne parle pas assez de l’indéniable rôle qu’il a
joué dans la vie spirituelle de l’ensemble de l’humanité,
et qui pourrait se révéler bien plus déterminant. Le
monde a besoin d’un remaniement politique profond,
mais il semble de plus en plus évident qu’à moins que
celui-ci ne soit basé sur une renaissance spirituelle, il sera
d’office voué à l’échec, créant de fait les mêmes vieux
dilemmes.

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Cette sélection d’écrits de Gandhi a été assemblée par


M. S. Deshpande, et publiée pour la première fois en 1971
en Inde. Ce dernier était tout à fait conscient du double
sens du discours de Gandhi, et du fait que l’inventeur du
Satyagraha n’était en fait qu’un personnage, un masque,
pour l’explorateur qui s’était enfin trouvé face à son Dieu
après des années de lutte, dont ce livre nous donne
quelques aperçus fugaces.
Gandhi ne partit pas vraiment de rien, puisqu’il
bénéficiait déjà des avantages qu’il tirait de son éveil
spirituel bien qu’il ait grandi dans une Inde dominée par
le monde occidental. Il déclara même, en 1939 : « J’ai
appris à consciemment compter sur Dieu alors que j’avais
à peine quinze ans. » Gandhi ne parle pas ici de pratique
religieuse à proprement parler, étant donné que sa famille
n’était que peu pratiquante, mais plutôt des spiritualités
indigènes très présentes à l’époque, dans les villages tout
comme dans les grandes villes indiennes. Il fait plus
particulièrement référence à la piété de sa mère ainsi qu’au
cadeau très spécial que lui avait fait sa nourrice en lui
apprenant le mantra « Rama », le nom de Dieu, qu’elle
lui avait dit de répéter chaque fois qu’il avait peur.
L’enfant Mohandas était très souvent effrayé, mais
Dieu sait retourner les faiblesses en avantages. Ses
nombreuses peurs se transformèrent en multitude de
petits marteaux, tapant sur les piquets de sa tente de
dévotion pour l’ancrer plus solidement dans le terreau de
sa conscience. À travers Ramanama, la répétition du nom
de Dieu, il érigea un édifice si solide et protecteur, qu’il

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dit dans son livre : « La bombe atomique n’est rien par


rapport à cela. Ce pouvoir est capable d’anéantir toute
douleur. »
La plupart des savants contemporains jugent que la
période allant de 1902, quand il rentra de son deuxième
séjour en Afrique du Sud, jusqu’au succès de son
Satyagraha douze années plus tard, était celle de sa
discipline spirituelle la plus stricte. En 1906, il apprit à
écouter ce qu’il appelait « la voix intérieure ». À partir de
ce moment-là, comme il le dit lui-même, il ne vécut plus
de « nouvelle expérience » et n’en ressentit plus le besoin.
Il est assez intéressant de comparer ces réflexions à la
révélation que Martin Luther King Junior eut dans sa
cuisine à Montgomery en Alabama, en 1956, lors de la
première année des boycotts de bus. Il fut réveillé au beau
milieu de la nuit par un appel téléphonique malveillant et
fut victime d’une crise de doute extrême. Il raconte qu’il
s’assit alors à la table de sa cuisine et délaissa sa tasse de
café pour se mettre à prier. « Mon Dieu, je me suis dressé
ici pour ce que je crois être juste… Mais mon Dieu, je suis
au bout de mes forces. Il ne me reste rien. J’en suis venu au
point où seul, je ne puis plus faire face. » Il entendit alors
une voix, lui assurant qu’il devait continuer à aller de
l’avant « Tu ne seras jamais seul, Dieu sera toujours à tes
côtés. » Cette phrase l’accompagnera jusqu’à la fin de sa
vie. Malheureusement, sa mort survint à peine douze ans
plus tard ; Gandhi, lui, vécut encore quarante-deux ans de
tourmente et de danger extrême, avec cette voix intérieure
qui jamais ne le quitta.

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Il semble essentiel de poser ici quelques bases expli-


quant les catégories hindoues afin de comprendre
pourquoi Gandhi, qui n’était pour la plupart des Occi-
dentaux qu’un simple politicien, fut très rapidement
considéré par la plupart des Indiens comme un Mahatma,
ou une grande âme. D’après le Bhagavad Gita, il existe
trois principaux moyens de libérer l’esprit et de le
concentrer sur la gloire de l’âme ; les trois voies de
réalisation spirituelle. La première est Jñana qui est la voie
de la connaissance, elle consiste à une discrimination
intuitive entre le réel et les illusions éphémères du monde
phénoménal (perçu). La deuxième est bhakti, la voie de
la dévotion, qui est une pratique cherchant à entrer en
contact avec l’être suprême ou une divinité. La troisième
est karma, la voie de l’action juste et désintéressée, où la
pratique est dénuée de tout intérêt personnel et est basée
sur le détachement total des fruits de ses actions.
Il se trouve qu’au cours du siècle dernier, chacune de
ces trois voies a été incarnée par un géant spirituel indien.
Pour jñana, il s’agit de Sri Ramana Maharshi, un « con-
naisseur », qui fut une grande source d’inspiration de la
réalité pure et qui s’éteignit en 1950 dans son ashram du
Sud de l’Inde. Pour bhakti, on y associe le très grand Sri
Ramakrishna (1836-1886) dont l’amour extatique pour
la Mère Divine et tout autre déité, allant de Jésus à
Mahomet, était si sensible qu’il pouvait facilement entrer
en transe mystique à la simple évocation de leur nom. La
dernière voie, karma, fut incarnée par un avocat raté du
nom de Mohandas Karamchand Gandhi qui testa

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plusieurs disciplines différentes tout en luttant pour les


droits de la communauté indienne en Afrique du Sud. Il
atteint des sommets d’altruisme puisqu’il travailla quinze
heures par jour, sept jours par semaine pendant cinquante
ans, en n’étant jamais plus riche qu’un simple paysan.
En d’autres termes, bien que les véritables hommes de
Dieu soient très rares, les Indiens s’accordent tous pour
reconnaître que Gandhi en était un. Il était un karma-yogi,
c’est-à-dire un représentant suprême de ce qu’est un
homme guidé par Dieu dans un vingtième siècle qui
délaissait alors toute forme de déité. C’est une époque
tournée vers l’action. Les mauvais actes nous tuent, et les
actes bons sont la garantie de notre salut. Les bonnes
actions sont dénuées d’intérêt personnel, tournées vers
l’autre ; elles résident dans le fait de choisir une cause juste
et d’y travailler sans relâche sans s’impliquer personnelle-
ment dans les résultats.
Bien entendu, il ne s’agit pas là d’affirmer que ces trois
catégories sont totalement dissociées. Il existe d’ailleurs
un quatrième yoga, une autre voie, raja, ou yoga royal,
dont la pratique consiste à combiner les trois autres au
moyen de la méditation. Si l’on reste dans cette période,
Sri Aurobindo, qui décéda en 1950, en est le meilleur
exemple. Gandhi était un véritable homme d’action, mais
sa sagesse et sa dévotion transpirent à travers les pages de
ce livre.

Ma propre découverte de Gandhi s’est faite grâce à Sri


Eknath Easwaran, mon guide spirituel, que j’ai rencontré

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au cours de l’automne 1967, bien avant qu’il n’ait écrit


Gandhi the man. L’un des premiers livres que je lus à son
sujet, et qu’il me recommanda en constatant l’avancée de
mon apprentissage, fut un recueil de citations de Gandhi
intitulé All men are brothers. Je me rappelle encore
l’endroit précis où j’étais assis il y a trente ans déjà lors de
ma lecture. Je suis d’ailleurs aujourd’hui à cent mètres à
peine de l’endroit où je me trouvais lorsque sa sagesse me
toucha, un aphorisme après l’autre. Il abordait tous les
sujets de la vie, des relations sexuelles aux actes désintéres-
sés. Selon moi, Mon chemin de paix est comparable à cette
lecture passée, dans le sens où il explore parfaitement le
cœur du Mahatma, sa spiritualité, tout en donnant un
aperçu de l’influence positive que son pouvoir spirituel a
eue sur le monde.
Prenons par exemple la phrase : « La foi véritable est
l’appropriation de l’expérience raisonnée des êtres qui
ont, selon nous, vécu une vie purifiée par la prière et la
pénitence. » Ces mots sont typiques de Gandhi, ils
abordent délicatement les frontières de la compréhension
humaine normale, alliant à merveille les profondeurs de
sa propre expérience, ignorant un paradoxe qui arrêterait
la plupart d’entre nous, ici la « contradiction » entre la
foi et la raison. Je pense bien souvent que nul n’appréciait
user de son intelligence autant que Gandhi, mais qu’il
était aussi très doué pour voir au-delà et en faire
abstraction.
L’hindouisme, ou plutôt la philosophie plus ancienne
où il prend sa source, ainsi que la plupart des autres

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croyances indiennes, a mené à de nombreuses réussites.


La plupart sont contenues dans la courte définition de la
foi énoncée ci-dessus. La première des réussites de ce
mode de pensée éprouvé, souvent appelé Vedanta, est le
fait qu’il n’existe pas de frontière établie entre science et
religion. Aucun Galilée indien n’a été contraint de
désavouer ses hérésies. La vérité est la vérité. On peut la
trouver dans le monde extérieur, qu’on appelle science en
Occident, tout comme dans le monde intérieur qu’est la
religion, si tant est qu’il coexiste deux mondes différents.
Il y a plusieurs manières d’envisager la vérité mais il n’y a
pas plusieurs vérités. La vérité est seule et unique.
Gandhi suggère aussi qu’il y a au-delà de ce que per-
çoivent nos sens, un monde régi par des lois que nous
discernons vaguement, mais que nous pouvons expéri-
menter, voire sur lesquelles nous pouvons compter. Et
pour cela, nous avons besoin de toute l’aide que nous
pouvons trouver. Il nous faut également une hypothèse
raisonnable et « qui tienne la route » comme il le dit lui-
même dans son livre. Nous devons faire appel à notre
honnêteté afin de rejeter ces mêmes hypothèses lorsque
l’expérience les contredit, et nous avons également besoin
de l’aide de ceux qui ont pris ce chemin avant nous.
Il nous faut à présent prendre en considération deux
autres fondements du Vedanta. Le premier est que la
spiritualité se vit plus qu’elle ne s’enseigne. Cela ne signifie
pas pour autant qu’elle tombe du ciel, tout comme le fait
d’y accéder ne dépend pas de notre fragile intellect. La
spiritualité est en quelque sorte communicative, car elle se

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transmet d’une personne à l’autre. Le deuxième fonde-


ment est que la sagesse que les Grands Maîtres nous
transmettent est le fruit d’un long et éprouvant chemin ;
ils sont « purifiés par la prière et la pénitence ». Nul ne
devient maître ou guru grâce à son simple charisme ou par
autoproclamation (un des dangers possibles du New Age).
Ceux-ci se sont bien souvent pliés à une discipline
éreintante. Gandhi, par exemple, répétait inlassablement
son mantra jeûnait fréquemment et avait adopté un mode
de vie des plus austères. Dans la même veine, on pourrait
citer une définition occidentale de la foi, tout aussi
brillante, énoncée par Simone Weil : « La foi est la
soumission de la partie de notre esprit qui n’a pas vu Dieu
à celle qui l’a vu. » Gandhi aurait aimé cette définition,
bien qu’en même temps, son éducation traditionnelle le
forçait à montrer une profonde révérence envers les
Maîtres qui croisent notre chemin pour nous nourrir et
nous guider en dépit de nos épreuves les plus intimes.
Une autre grande réussite du Vedanta apparaît dans ce
livre, puisque nous verrons à plusieurs reprises comment
Gandhi manifeste sa foi personnelle dans un univers de
possibilités. « Il existe d’innombrables définitions de
Dieu… mais je vénère Dieu en tant que vérité unique. »
« Bien que je considère depuis longtemps par mon cœur
et ma raison que Dieu est la vérité, je reconnais la vérité
par le nom de Rama. » Ce n’est pas « le chemin unique »
mais « c’est mon chemin, bien que je respecte le tien. »
Nous avons tellement besoin de ces paroles de sagesse de
nos jours !

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Mais il est fort probable que ce que Gandhi voulait


pour lui-même, et ce que bon nombre de ses disciples
actuels recherchent, n’est pas tant ces joyaux de sagesse
que des conseils plus pratiques tirés de ses nombreuses
expériences dans tous les domaines de la vie, allant de la
santé aux révolutions, et plus particulièrement des pistes
sur l’art de vivre spirituellement dans ce monde. La
troisième partie de ce livre, « Pratique spirituelle », est
celle qui permet de mettre en pratique la sélection d’écrits
présentés dans les parties précédentes. Le chapitre dix,
plus particulièrement, souligne l’intérêt des pratiques
complémentaires telles que la méditation et le Ramanama.
Gandhi insistait beaucoup sur ce dernier. À vrai dire,
il était très rare qu’il mentionne la méditation dans ses
écrits. Ceci est probablement dû au fait que prononcer
silencieusement le nom béni de Dieu ou une prière
quelconque est à la portée de tous. Bien qu’il faille
reconnaître que la pratique régulière de la méditation
durant une période donnée, luttant contre les distractions
auxquelles est soumis le cerveau, n’est accessible au plus
grand nombre qu’en théorie. En réalité, le monde qui
nous entoure rend cette pratique tellement difficile et peu
encouragée, que peu d’individus s’y tiennent, même en
Inde. Pour quelqu’un qui serait dévoué comme Gandhi
l’a été, la simple répétition d’un mantra prend une tout
autre dimension s’il la pratique tel qu’il le décrit dans les
pages de cet ouvrage. Pour d’autres, la pratique du
Ramanama, que ce soit en chantant intérieurement pour
soi ou lors de chants choraux, qu’on retrouve dans les

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grandes religions, s’avère encore particulièrement utile.


Ce n’est qu’en réalisant à quel point la répétition inces-
sante de ce mantra par Gandhi lui a permis de combattre
la peur qu’on comprend que même le plus gros empire
colonial que le monde ait connu ne réussit pas à l’ébranler.
Gandhi mourut en prononçant ce même mantra que lui
avait appris sa nourrice Rambha alors que celle-ci n’est
mentionnée dans aucun livre d’histoire. Sa participation
à la naissance de ce grand personnage est pourtant
aujourd’hui indéniable.
Si le Ramanama reste la suggestion spirituelle la plus
excitante de Gandhi, nous ne pouvons pas non plus
oublier la moins attrayante qu’est le célibat, le terrifiant
brahmacharya. Deshpande intitule carrément cette partie
« La victoire sur la luxure ». Il met probablement ici le
doigt sur un problème bien de notre siècle : qui veut
vraiment vaincre la luxure ?

En fait, brahmacharya (littéralement « la recherche de


la réalité suprême ») signifie une expérience plus globale
que la simple abstinence sexuelle puisqu’elle implique de
contrôler toutes les expériences sensorielles vécues par le
corps humain. Gandhi est tout à fait clair sur le sujet.
S’abstenir de toute relation sexuelle alors qu’on cède aux
autres tentations est aussi inutile que de construire
seulement la moitié d’un pont au-dessus d’un fleuve. Le
brahmacharya est aussi plus qu’une simple abstinence
sexuelle puisque sa pratique ne se limite pas à notre
comportement mais également aux racines de celui-ci,

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