Droit Administratif L2

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DROIT ADMINISTRATIF

PR. Simon Gilbert

Licence 2 – Droit & Santé


Année 2023-2024

Samiha Iavarhoussen
Sur le sujet du partiel : sujet qui ne sera pas trop dur, moins long que le sujet du galop. Le professeur attend + que de
la récitation du cours, il faut essayer de montrer une bonne méthode, des intitulés avec du sens, être attentif autant
à la forme qu’au fond.

Sur la notation au cours du semestre :

Rendu de 2 devoirs maison qui comptent pour 25%, un galop qui compte pour 25% et l’examen terminal
qui compte pour 50%. Il peut également y avoir une note de participation, toutefois elle ne peut pas faire
perdre de points : elle ne peut qu’en rapporter dans la limite de 0,5 point. Enfin, le professeur laisse une
certaine liberté pédagogique aux chargés des travaux dirigés concernant le déroulement des séances.

• Les outils pour étudier le droit administratif :


Il est bien d’avoir un ouvrage papier, et pour ça, quelques recommandations (tous les ouvrages ne se
valent pas, pas fiables pour certains) :
• Droit administratif Benoît PLESSIX (BEST SELLER)
• Jacques PETIT et Frier PETIT : collection DOMAT Montchrestien
• Bertrand SEILLER : format que sais-je, 2 tomes
• Nicolas CHIFFLOT – droit administratif
• Grands arrêts de la jurisprudence administrative (GAJA) - succession d’arrêts présentés de
manière chronologique (explication de l’arrêt, évolution de l’arrêt). Les développements sont
écrits par des professionnels.

On peut aussi consulter des revues (en ligne) consacrées au droit administratif :
• Revue généraliste du droit public : RDP
• La revue française de droit administratif : RFDA
• Revue du droit administratif : équilibrée entre doctrines, jurisprudences et textes de loi
• Revue actualités juridiques du droit administratif : AJDA, c’est une revue hebdomadaire

Au programme :
• Introduction (cadre du droit administratif, ce que c’est, ce qu’il faut savoir de
l’administration, comment est apparu/fondé le droit administratif et l’évolution qui a
caractérisée le droit administratif aujourd’hui).
• Justice administrative : dans cette discipline (DA) il est intéressant de partir des acteurs et
parmi les principaux acteurs on a le juge administratif (ses compétences...).
• Les sources/les différentes types de normes : leur valeur, leur agencement et l’intérêt de
s’intéresser à plusieurs ordres juridiques.
• La légalité.
• Les actes que l’administration édite (actes unilatéraux, contractuels).
• Le contrôle juridictionnel des actes unilatéraux.
• Le contrat (la notion de contrat), les contentieux.
• Les missions avec le service public.
• La police administrative pour maintenir l’ordre.
• La responsabilité (car l’administration peut causer des dommages).
• Les régimes législatifs d’indemnisation (peut-être).

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INTRODUCTION :

Section I : La difficulté de définir le droit administratif.

Quand on parle d’un objet, on n’a pas forcément tous la même représentation de cet objet. Par exemple,
si on prend le mot chat : on a tous l’image d’un chat en tête, mais aucun d’entre nous n’a l’image du même
chat. Cela en va de même pour le droit administratif : tous les juristes qui ont fait des études de droit ont
étudié le droit administratif, ils ont donc tous une idée de ce que c’est.

Mais si on demande à l’ensemble des personnes ayant étudié le droit administratif de définir cette discipline,
tous ne donneront pas exactement la même définition.

Est-ce un problème ? Oui, au sens intellectuel mais pas véritablement au sens d’un obstacle : on peut très
bien étudier un objet sans forcément tous être obligés d'avoir la même représentation de cet objet, mais il
est mieux d’avoir une idée du concept qu’on utilise. Par exemple, si dans une phrase on ne connaît pas la
définition d'un mot, cela ne va pas nous empêcher de comprendre le sens général de la phrase, mais
évidemment, si on connaît le sens du mot en question c’est MIEUX. Lorsqu'on fait du droit administratif, il
est bien d’avoir une idée du concept qu’on utilise. Par exemple, si mon concept de droit administratif est du
droit public qui s’applique à l’administration, alors ce n’est pas le même concept que si je dis du droit public
et privé qui s’applique à l’administration.

Le droit administratif est-il du droit public qui s’applique à l’administration ? Ou du droit public ET privé qui
s’applique à l’administration ?

Il n’y a aucune réponse de nature juridique à cette question parce qu’il n’y a aucune norme qui définit le
droit administratif. Dans le cours, nous allons étudier de la jurisprudence de la Cour de cassation, des règles
de droit privé qui s’appliqueront à l’administration : elles ne seront pas nombreuses, mais il peut y en avoir.
Cela a du sens de ne pas exclure le droit privé du droit administratif, c’est en tout cas le sens original de
l’expression. Aujourd'hui le concept qui domine reste tout de même le droit public, mais il est plus juste
intellectuellement de ne pas exclure le droit privé du droit administratif.

Lorsqu'on relit Montesquieu, dans différents passages il aborde la question des branches du droit. À l’époque
de Montesquieu, on ne parle pas de droit administratif, mais dans L’Esprit des Lois, Montesquieu dit qu’il ne
faut pas confondre les lois politiques avec les lois civiles (il sous-entend le droit privé) et ce qu’il dit, c’est
qu’il y’a différents ordres de choses de rapport et que ce sont ces ordres de rapport qui déterminent le droit
applicable.

Traditionnellement, le droit public est présenté comme étant les relations entre l’individu et l'État et le droit
privé concerne les relations entre les individus eux-mêmes : mais au XVIIIème siècle, les juristes avaient une
représentation plus riche. Les auteurs disaient que le droit public abordait les individus pris collectivement,
et que le droit privé les abordait plus individuellement. Il ne s’agit pas uniquement de rapports de la
puissance publique et les individus, il s’agit aussi de dire comment les individus sont analysés dans leur
relation. L'idée du jeu collectif est claire : aujourd’hui, et ce depuis le milieu du XIXème siècle, existe une
rhétorique qui est constamment répétée mais qui n’est jamais véritablement analysée : c’est une rhétorique
selon laquelle “le droit administratif serait exorbitant du droit commun”, que c’est un droit spécial.

Si on se penche sur l’expression : “exorbitant” signifie quelque chose qui SORT de l’orbite, le droit commun
quant à lui, c’est le droit privé qui est visé. Cette expression sous-entend donc que le droit administratif est
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un droit qui sort du droit commun, il n’est pas commun mais il est pensé PAR RAPPORT au droit commun
(personne ne pense la lune sans la terre).

Dans notre objet, cette expression ne signifie rien si on n’est incapable de la contextualiser : tout d’abord, il
faut savoir que le droit administratif est un droit qui s’est développé bien plus tardivement que le droit
privé. Le droit privé vient en grande partie du droit romain traduit dans les institutes, ce qui n’est pas le cas
pour le droit administratif. Pour autant, on a dans le droit administratif des personnes, des biens, des actions,
des recours : le droit romain connaissait tout ça. Le droit privé qui s’est fondé à partir du droit romain et des
coutumes, connaît aussi ces objets : le droit administratif s’est construit et a été pensé par rapport à ce qu’on
connaissait. Le droit commun a servi de cadre, de modèle pour le droit administratif, mais évidemment, il a
servi de modèle dont il fallait sortir car il y’a différents ordres de choses. Lorsqu'on doit définir des règles
pour l'État, on ne peut pas se fonder sur les mêmes règles définies pour les particuliers. Ainsi, le droit
administratif sort du droit commun, mais en même temps il n’en n’est pas intellectuellement séparable.

En tant qu’individu, nous considérons qu’il est normal que l'État intervienne pour gérer différentes missions
(nous protéger, nous fournir des prestations, assurer la sécurité, nous empêcher de rendre justice entre nous
de manière violente, par exemple). Pour que l'État exerce des missions pour nous, il faut qu’en contrepartie,
l'État ait des droits (qu’on ne retrouve pas dans le droit privé) : on retrouve toujours cette idée selon laquelle
les pouvoirs exorbitants en droit administratif sont liés au besoin de l'État, ils remplissent une mission sociale
: ce ne sont pas des règles pour que l'État soit une toute puissance publique qui nous écrase et nous domine,
non. L'État doit disposer de prérogatives juridiques que les individus n’ont pas, et qu’il en soit l’unique
détenteur, c’est une organisation sociale.

Un état fort serait-il un problème ? Oui, c’est un problème car on lui donne des instruments dont elle peut
abuser, ou peut être oublier la raison de son institution. En 1789 par exemple, il y’a eu une révolution qui a
conduit à la déclaration de 1789 et il est dit dans son préambule qu’il y’a des droits naturels : c’est un rappel,
l'État est là pour les individus, pour les sujets. Donc, à chaque fois qu’on étudie des règles de droit
administratif, au-delà de l’identification du problème qu’elle pose du point de vue de la mise en œuvre, on
a l’occasion de se poser des questions fondamentales sur la liberté, sur l'État, sur les rapports entre les
individus et la puissance publique. Ainsi, de ce point de vue, le droit administratif est une matière qui
prolonge le droit constitutionnel.

Comment appréhender dans l’expression droit administratif le mot “administratif”, quelle est la place de
l’administration, quel type d’administration ? Administratif = organe ? Ou administratif = fonction
d’administrer ?

Le mot “administrer” dans la langue française, a deux sens communs, par exemple : “j’administre un
médicament” et “j’administre un établissement public ou une ville”.

Le terme “administration” a lui aussi deux significations, par exemple : “administration de la justice, d’un
service public” mais il y’a aussi l’administration au sens de l’administration publique.

Les personnes privées dans notre système juridique, peuvent se voir confier des missions administratives,
des missions de service public, par exemple : une commune décide de confier à une entreprise privée la
mission de créer et faire fonctionner la piscine municipale. Ce sera une activité d’intérêt général, sous le
contrôle d’une personne publique, ce sera un service public qui sera confié à une personne privée. Ici,
“administratif ”renvoi à la fonction d’administrer.

Si cette fonction d’administrer est confiée à une personne privée, alors le droit administratif peut s’appliquer
à la personne privée, y compris si c’est du droit public. Il ne faut donc pas penser de prime abord que s’il
y’a une personne publique on lui applique le droit public, et que s’il y’a une personne privée, on lui

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applique le droit privé. Une personne privée peut se voir appliquer le droit public comme une personne
publique.

Quant aux personnes publiques, elles peuvent aussi se voir appliquer le droit privé. En effet, il y’a des cas
de figures où les personnes publiques se comportent exactement comme si elles étaient un particulier. Par
exemple, les individus ont des propriétés (propriétés privées), les personnes publiques ont des propriétés
également (propriété publique), mais lorsqu’on parle d’une propriété publique, le mot “publique” renvoi à
la personne, il ne renvoie pas forcément au régime de cette propriété publique car sein de la propriété
publique, il y’a un domaine public et un domaine privé.

Le domaine public est soumis au droit public et le domaine privé est essentiellement soumis au droit privé.
Par exemple, si je suis une commune et je décide d’affecter un lieu à un usage collectif du public de ma
commune, je décide de construire un chemin, je mets des bancs, des sièges : toutes les conditions sont
réunies pour dire que c’est du domaine public car il y’a un usage à l’attention de tous.

Autre exemple : je suis une commune et je possède un terrain enclavé à l’usage de personnes n’ayant reçu
aucun aménagement et je décide de le louer au voisin qui est une personne privée : on a le droit, c’est une
location de bien privé, ce sera un contrat de propriété. Mon bien n’est pas soumis à l’utilisation de tous, cela
relève bien droit privé. Donc, une personne publique, en principe, est soumise au droit public, mais quand
elle se comporte comme un particulier, il y’a des cas qui ne sont d’ailleurs pas rare, où elle peut être soumise
au droit privé.

Quant aux personnes privées, le principe est qu’elles sont soumises au droit privé, mais si on leur confie une
mission de service public, alors elles peuvent être rattachées au droit public.

Le droit administratif, dans certains domaines, porte donc attention à l’identité des personnes : il y’a des
compétences et habilitations qu’on ne confie pas aux personnes privées. En matière de police administrative
pour assurer la sécurité et l’ordre public, le principe (constitutionnel) est que ce sont les personnes publiques
qui détient le principe de police administrative. Mais, on peut parfois associer des personnes privées à une
mission de police administrative (tâches matérielles d'exécution), mais quant au pouvoir de prendre la
décision : jamais ça ne sera donné à une personne privée car il s’agit d’assurer l’ordre, il y’a un “pouvoir
régalien”, c’est la personne publique qui doit avoir ce droit. Ainsi, dans certains cas, le droit administratif
regarde donc la nature des personnes. Autrement dit, il faut dépasser le critère organique lorsque l’on
parle du mot “administratif” dans l’expression “droit administratif”.

Quelles sont les composantes du droit administratif ?

Indiquer les composantes signifie d’en définir le périmètre (il n’y a pas d’exhaustivité). Pour rester dans la
généralité, il y’a dans le droit administratif un droit institutionnel et il y’a une dimension matérielle.
Globalement, quand on parle de droit institutionnel, on parle de l’organisation des autorités qui
interviennent en matière administrative, et la dimension matérielle renvoie à des objets d’application.

Section II : L’administration.
Nous avons au sein de l’administration des agents publics : ils peuvent être des fonctionnaires, ou des
contractuels. Un fonctionnaire a passé un concours, il a été lauréat d’un concours (il a réussi), une fois qu’il
est lauréat, il est nommé (acte unilatéral pris par un ministère qui va signer un arrêté de nomination à moins
que ce soit un haut fonctionnaire, qui est donc nommé par le Président de la République). Par exemple à
l’université, les Maîtres de conférences sont nommés par le ministre et les professeurs (ayant le statut de
haut fonctionnaire) nommés par le Président de la République.

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La situation du fonctionnaire est légale et règlementaire : les conditions d'exercice de la profession sont
déterminées par les lois et les règlements. Par exemple, si un règlement est adopté, et qui prévoit une baisse
du traitement des Maîtres de conférences, cela pose un problème car ils sont fonctionnaires.

Le contractuel a signé quant à lui, un contrat : ses obligations sont d’abord liées au contrat (après, le contrat
épouse un grand nombre de règles règlementaires, mais formellement c’est bien un contrat).

On a également des autorités administratives : les autorités administratives (AA) sont des personnes
publiques mais ce sont aussi parfois des personnes privées exerçant une fonction publique : par exemple
les élus locaux adoptent des actes administratifs, mais ce ne sont pas des fonctionnaires pour autant. Nos
gouvernants à l’échelle nationale, c’est la même chose : le Premier ministre est une autorité administrative.
Le Président de la République détient des compétences en matière d’administration (il a un pouvoir de
nomination, il signe des ordonnances, il adopte des décrets) mais le Président de la République peut aussi
prendre des décisions qu’on appelle des actes de gouvernement, qui sont dépourvus de caractère
administratif. Dans ce cas-là, la figure du Président s’affiche comme une figure politique et non pas
seulement administrative.

Et puis nous avons également des personnes publiques avec un concept de personnalité juridique morale
: la personnalité morale joue une fonction qui est essentielle, c’est une fonction d’imputation : lorsqu’une
personne cause un dommage, on peut imputer le dommage à la personne. Si cette personne était
dépourvue de personnalité morale, alors on ne pourrait pas lui imputer un dommage, quand bien même elle
en serait à l’origine.

Certaines administrations, certaines autorités administratives n’ont pas de personnalité juridique : on les
appelle les Autorités Administratives Indépendantes (AAI). Parmi ces AAI, on a par exemple la CADA ou
encore le HCERS, à la différence des autorités publiques indépendantes qui ont une personnalité juridique
(le CSA). Les AAI n’ont pas de personnalité, mais les autorités publiques indépendantes en ont une.

On parle d’autorité indépendante car dans certains domaines, on a considéré qu’il fallait mettre à l’abri des
individus ou acteurs économiques d’une prise en main politique de l’administration. À partir des années
70, en s’inspirant du modèle américain (qui a des agences indépendantes), nous avons développé des
administrations qui ont un pouvoir de règlementation, de contrôle, d’information, parfois un pouvoir de
sanction dans des domaines correspondants à des activités économiques, des activités de régulation
soumise à des autorités de régulation. Une partie de ces autorités est dotée d’une personnalité juridique (les
API) et une autre partie qui n’est pas dotée d’une personnalité juridique (les AAI).

Si une AAI cause un dommage, peut-on la condamner pour le dommage causé ? Non, cette personne met
en garantie l'État dont elle dépend car cette indépendance n’est en réalité pas totale : ces autorités sont
créées par l'État, sont régies par des lois et règlements de l'État, sont dotées de moyens matériels financés
par l'État, la seule chose est que dès lors qu’elles sont indépendantes, l'État ne peut pas exercer de pression
sur elles, l'État ne peut pas exécrer de pouvoir hiérarchique sur elles.

Nous avons donc beaucoup de personnes qui possèdent des droits et le fait que l’administration possède
des droits, permet de la contraindre au respect du droit, comme une autre personne. Cela n’a pas toujours
été le cas : il y’a eu une époque, au XIXème siècle, où on considérait que les administrations avaient une
personnalité morale qui était dite civile. C'est-à-dire que nous avions des personnes publiques dont la
personnalité morale était reconnue mais dite civile ; comme si dans l’activité de ces personnes, la seule partie
qui était admise au rang de la personnalité était la partie qui ressemble au comportement d’un particulier.

Il était question du comportement des administrations en tant que puissance publique, adoptant des
prérogatives de puissance publique, alors on considérait qu’elles n’avaient pas de personnalité morale à ce
titre jusqu’à ce qu’un auteur de doctrine nommé Léon Michoud (professeur grenoblois) décide de consacrer
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plusieurs articles à cet égard dans la presse pour dire qu’il est dommage que lorsque l’administration agit,
elle ne bénéficie de la personnalité morale que pour une part de son activité : lorsqu’elle se comporte comme
un particulier, on considère qu’elle a une personnalité morale dite civile, et lorsqu’elle se comporte comme
une personne publique, alors elle n’a pas de personnalité morale publique. Ce qui signifie qu’on ne peut pas
mettre en jeu sa responsabilité en jeu pour des dommages qu’elle causerait à ce titre. Michoud propose
d’inventer une personnalité morale aussi bien au civil qu’au public : dès lors, une quinzaine d’années après,
le Conseil d'État admet que les administrations publiques ont également une personnalité morale publique
pour les actes de puissance publique en matière des dommages causées par la police administrative dans
les années 1900. On voit apparaître l'empreinte de la doctrine dans l’évolution du droit administratif.

Ce sujet de la personnalité morale a l’air simple aujourd’hui, mais c’est une longue histoire complexe où la
doctrine s’est battue.

En somme, Michoud travaille sur la responsabilité, il étudie sur la responsabilité de l’administration et


il se rend compte qu’il y’a certains actes de l’administration pour lesquels on veut bien lui imputer les
actes qui causent des dommages, et il se rend compte qu’il y’a d’autres actes de la même administration
qui font des dommages mais pour lesquels le Conseil d'État n’impose pas d’imputabilité. Michoud dit
que c’est un problème car la responsabilité joue une fonction sociale qui consiste à ne pas laisser de
personnes dans l’ordre politique, victimes d’un dommage sans réparation. Le droit civil qui est bien
aboutit, permet de faire condamner tous les individus qui causent des dommages à autrui, mais en
matière de droit administratif on se rend compte qu’on est en retard puisque l’administration qui
devrait être exemplaire, si elle cause un dommage à l'occasion d'un comportement comme un individu
ça marche, mais si c’est à l’occasion d’un comportement en tant que puissance publique, ça ne marche
plus : il n’y a pas de personnalité morale publique : Michoud dit qu’il faut que le Conseil d'État admette
de reconnaître une personnalité morale sur ce point.

Section III : La fondation du droit administratif.

La question posée est simple : quand est-ce qu’apparait le droit administratif ?

C'est un droit jeune par rapport au droit privé. Le sujet chez les historiens du droit administratif donne lieu
à des opinions assez opposées : en effet, certains considèrent que le droit administratif, quand bien même
l’expression est récente, existe depuis fort longtemps. Depuis le Moyen-Âge voire depuis l’Empire Romain.
Et il existe d’ailleurs des auteurs qui ont défendu cette thèse (notamment, SERRIGNI a publié un ouvrage sur
le droit administratif romain). Serrigni met en avant le fait que les Romains avaient une organisation politique
administrative et que la plupart des éléments qu’on intègre aujourd’hui au droit administratif existaient déjà
chez les Romains.

Un des plus célèbres historiens du droit administratif est Jean-Louis Maistre : dans les années 70’, il démontre
(en étudiant le droit du Comté de Provence, en fouillant dans les archives, en reprenant les décisions de
justices, les actes administratifs des autorités administratives) que si on prend un livre de droit administratif
moderne, avec service public, police, contrat, responsabilité, organisation institutionnel, recours en justice :
il montre qu’on est capable de remplir toute une structure avec les règles de l’époque et que beaucoup de
règles de l’époque sont des règles qui existent aujourd’hui. Par exemple, Jean-Louis Maistre montre qu’au
XVIIIème siècle, lorsqu’on confie à des entrepreneurs publics la construction d’une route, on fait un
marché/un contrat. Il montre que lorsque les entrepreneurs se heurtent à des difficultés complètement
imprévisibles, au point qu’ils deviennent incapables d’exécuter le contrat, il y’a des règles à l’époque qui
permettent d’obliger les communes à leur venir en aide parce que construire la route, ce n’est pas qu’un
problème bilatéral : ça concerne les usagers de la route, le commerce la ville, la sécurité militaire d’une ville,
c’est intérêt public, et que peu importe le contrat, s’il y’a une impossibilité imprévue qui empêche au

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contractant de l’administration de faire les travaux, à ce moment le cocontractant doit pouvoir forcer la
commune à l’aider financièrement.

Ainsi, Jean-Louis Maistre montre que la plupart du contenu des règles du droit administratif qu’on applique
aujourd’hui, préexistent à a Révolution française, à une époque où on ne parle pas de droit administratif.
Puis, on a un autre courant chez les historiens, qui n’est pas plus important que le premier, qui s’est illustré
avec deux figures que sont le professeur Burdeau (décédé) et le professeur Bigot. Ces deux auteurs ont une
thèse un peu différente : ils considèrent qu’il n’y a pas de droit administratif sous l’Ancien Régime car sous
cette période, les autorités publiques ont toujours ET une fonction d’administrer et une fonction de juger :
la même autorité administre et juge. Or, pour considérer que les conditions soient réunies pour qu’il y ait un
droit administratif, il faudrait établir une différence nette entre les actes de l’administration et les actes de
justice (or à l’époque tout était mélangé).

Que penser de ce duel ?

Les deux discours présentent une limite : le premier discours présente une limite (celui du professeur
Maistre) car en réalité, alors que Maistre dit qu’il existe du droit administratif matériel bien qu’il ne soit pas
reconnu au sens formel, pour autant, il existe sous l’Ancien Régime, une terminologie propre aux normes
qui s’appliquent à l’administration. Durant la seconde partie du XVIIIème siècle apparaissent des lois
administratives pour désigner des principes inhérents au droit de l’administration, il y’avait un langage
propre à l’administration.

D'autre part, le discours du professeur Burdeau et du professeur Bigot présente aussi une limite dans son
argumentation : cette limite tient au fait que les auteurs de l’Ancien Régime, dès le XVIème siècle ont
employé un langage propre à ce qui est juridictionnel et à ce qui est “administratif”. Ils ont toujours séparé
les deux fonctions en les traitant différemment.

Dès le 16ème siècle apparaissent deux concepts qui sont importants : juridiction volontaire et juridiction
contentieuse. Sous l’Ancien Régime, la fonction la plus importante c’était la justice : on disait que le Roi est
justicier. La juridiction volontaire, c’est lorsqu’une juridiction adopte un règlement, un acte administratif qui
s’applique à tous ; la juridiction contentieuse c’est lorsque cette même autorité qui a des pouvoirs
d’administrer et de juger, est dans un litige qui est venu de la part d’un requérant : toutes ces autorités qui
détiennent le pouvoir d’administrer et de juger en réalité, adoptent des actes qui sont très clairement
distingués.

Y'a-t-il des éléments qui nous intéressent sous l’Ancien Régime qui peuvent démontrer les principes du droit
administratif esquissés plus haut ?

Il y’en a de nombreux : notamment par rapport à un point passionnant : la raison d'État. La raison d'État
c’est un concept apparu au XVIème siècle, qu’on rattache fréquemment à l’œuvre de Machiavel dans
l’ouvrage Le Prince.

La raison d'État c’est une doctrine de la décision : les auteurs qui conceptualisent cette doctrine soutiennent
le fait que lorsque se présente un intérêt supérieur de l'État alors, il ne faut pas respecter le droit commun
si celui-ci ne permet pas de défendre cet intérêt de l'État.

Cette doctrine de la raison d'État justifie de sortir du droit commun en dérogeant à celui-ci, pour l’intérêt de
l'État. Au début du XIXème siècle : le Conseil d'État va être recréé. On va créer en 1799 le Conseil d'état et
en 1800 le Conseil de la Préfecture. À l’époque, un auteur nommé Jean-Guillaume Locré de Roissy et qui est
le secrétaire général du Conseil d’État (et qui a organisé toute la procédure de la codification des lois civiles)
va expliquer qu’il a fallu créer une justice administrative pour tenir compte de la nécessité de la raison d’État.

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Les doctrines de la raison d’État ont très clairement montré que le besoin d’avoir des règles exorbitantes du
droit commun pour l’intérêt public.

On peut donc retenir que sous l’Ancien Régime, il n’y avait pas de règles qui avaient un contenu qui contenait
des rapports d’inégalité entre la puissance publique et l’individu, qu’on ne parle pas encore de droit
administratif mais les règles étaient tout de même là.

Par ailleurs, il y’a un point intéressant : au milieu du XVIIIème siècle, un grand nombre d’auteurs
commencent à identifier un nouveau problème : c’est la conciliation entre les lois de l’administration et le
droit des particuliers. Comment concilier les besoins de l’administration et les droits des particuliers ? C'est
le grand sujet et la grande problématique du droit administratif.

Sous l’Ancien Régime, on avait déjà plein de choses qui se sont mises en place pour conceptualiser un
problème singulier. En revanche, on ne parle pas encore de droit administratif quand bien même dans un
manuscrit écrit par Cambacérès qui porte le titre de “droit civil public et administratif”, c’est le tout premier
texte qui contient l’expression “administratif”. Ce texte n’est pas daté mais il a été débuté sous l’Ancien
Régime et fini sous la Convention.

Enfin, le droit civil est aujourd’hui classé dans la branche du droit privé, mais ça n’a pas toujours été le cas.
L’expression “droit civil” a une histoire : elle se développe en France au Moyen-Âge à partir du droit romain.
Les Romains avaient donné une définition très particulière du droit civil : c’était le droit des CITOYENS.
Lorsqu'on lit les ouvrages de droit romain, on comprend que les Romains classent au sein du droit civil, le
droit public ET le droit privé. Alors qu’aujourd'hui, droit civil est égal au droit privé. Ce sens romain de
l’expression “droit civil” était très répandu au XV et XVIème siècle. Le droit public est une catégorie du droit
civil car le droit civil signifie le droit positif, le droit posé et établi dans la 6T.

À la fin du XVIIème siècle, apparaît un autre concept sous l’impulsion de Jean Domat : il invente la
privatisation du concept de droit civil. Il explique que le droit civil est une partie du droit privé et du droit
criminel (pénal). On a avec Domat un nouveau concept de droit civil : le droit civil est du droit privé. Les deux
usages de l’expression “droit civil” (usage romain et celui de Domat) coexistent : on a des auteurs qui parlent
comme Domat et d’autres comme les Romains.

C’est intéressant pour le droit administratif car sous le Ier Empire est créé un cours, pour la toute première
fois, qui s’appelle “droit administratif”, il a un intitulé officiel par la loi : droit civil dans ses relations (rapports)
avec l’administration. Mais alors, “droit civil” au sens de Domat, ou au sens des Romains ? Quand on regarde
dans tous les débats, aux archives autour de la création de ce cours, c’est le sens des Romains.

Sous l’Ancien Régime, l’expression “droit administratif” n’est pas employée. Pour autant, nous avons des de
nombreux auteurs qui s’interrogent sur la conciliation de ce qu’on appelle “les lois de l’administration” avec
le droit privé. Ce questionnement démarre dans les années 1740 - 1760 et il pose une question très
intéressante :
Comment combiner des enjeux qui, de prime abord, sont tous légitimes mais peuvent se combiner ?

Le grand problème du droit administratif est donc là dès le XVIIIème siècle. Pour autant il n’y a pas encore
de droit administratif tel qu’on l’entend aujourd’hui.

Toutefois, cette question va évoluer le lendemain de la Révolution française : après cet évènement, on a fait
table rase de la plupart des institutions de l’Ancien Régime : on a supprimé les juridictions, les
circonscriptions, on a également fermé les universités (car on considérait que c’était un lieu de trafic de
diplômes). Mais par la suite, les révolutionnaires ont refondé les universités, ils ont recréé des facultés de
droit au sein desquelles, avaient lieu un cours intitulé “cours de droit civil dans ses rapports avec
l’administration”, en l’An XII.
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Ce cours lorsqu’il est créé, ne s’appelle pas “droit administratif”, mais très rapidement on l’appelle
officieusement “le cours de droit administratif”, il pouvait également s’appeler “cours d’administration”,
“cours de procédure et d’administration”. C'est un cours dont on possède des exemplaires encore
aujourd’hui puisque dans plusieurs facultés où il a été enseigné, on a retrouvé des manuscrits de ce premier
cours. Et donc, quand on regarde les extraits des auteurs qui ont enseigné ce cours de “droit administratif”,
quand on regarde les discours de l’Assemblée Nationale ou du corps législatif : tous disent que c’est un cours
de droit public ET privé dans ses rapports avec l’administration (c’est bien le sens romain).

Cette information est importante et n’est absolument pas connue : elle est importante car elle montre au
départ que le rattachement du droit administratif au droit public n’est pas considéré comme étant par
principe la règle. Au départ, c’est un droit mixte et ce qui va se produire c’est que progressivement, le droit
administratif va se publiciser, va être mis en œuvre un phénomène de publicisation du droit administratif.

Cela signifie concrètement qu’à l’occasion du déploiement de son action, l’administration est amenée à
appliquer des règles (de droit privé, de droit public) et est amenée également à heurter les droits : elle
exproprie, elle cause des dommages, elle perce un trou, elle procède à des extractions de matériaux, elle
limite la liberté, elle limite le droit des particuliers pour l’ordre public, elle envahit en quelques sortes la
sphère privée. En faisant cela, l’administration est obligée soit d’écrire des règles (à travers des règlements
qui sont des actes généraux et impersonnels, à travers des actes individuels qui sont nominatifs) soit de
soumettre à des règles qu’elle n’a pas écrites (notamment à la loi telle qu’interprétée par le juge et à la
jurisprudence du juge qui créée aussi des principes à partir de rien, ex nihilo).

Par ailleurs, Napoléon est notamment connu pour avoir organiser la codification du droit privé : le Code civil
(le Code Napoléon). L'objet de ce code renvoie à du droit public et à du droit privé : à du droit public car il
y’a toute une série de principes sur ce que c’est de rendre justice, sur la limite de l’office du juge (par
exemple, l’interdiction faite aux juges d’édicter des arrêts de règlement : il s’agit ici de séparer la fonction
du pouvoir règlementaire et la fonction du juge, c’est une règle constitutionnelle). Et l’autre partie du Code
civil c’est le droit privé : Napoléon, à la suite d’un processus long et complexe a transposé par écrit un nombre
de règles très important qui étaient de nature coutumière soit de nature écrite et qui sous l’Ancien Régime,
régissaient les relations entre particuliers. Ainsi, l’enjeu codification était l’unification, l’homogénéisation du
droit et l’organe qui est la Cour de cassation, en tant qu’il exerce un contrôle de cassation, joue une fonction
de vérification (que cette unification du droit est bien respectée sur tout le territoire).

Napoléon a affermi les droits des particuliers dans leurs relation mutuelle, donc il défend donc le droit privé
et dans le même temps, Napoléon décide de se doter d’une justice rendue en matière administrative qui va
devenir une justice administrative : quelle différence ?

Que nous ayons une justice rendue en matière d’administration c’est une chose, si en revanche, si on parle
d’une justice administrative, cela signifie que c’est LA JUSTICE QUI EST ADMINISTRATIVE : elle a des
spécificités en tant qu’elle est conçue pour régler les litiges qui concernent l’administration. Et c’est ce que
va faire Napoléon : il institut un Conseil d'État en 1799 qui dès sa formation, dès sa naissance revêt une
double fonction : il est organe de conseil de l'État (fonction originelle) mais il est aussi juge administratif. En
tant que juge administratif, il a une fonction particulière : au-delà de traiter les litiges, c’est écrire un droit
applicable à l’administration public dans ses rapports avec les individus. Là on mesure que cette question
des compétences ne peut pas du tout se limiter au traitement de litiges singuliers.

Pourquoi existe-t-il aujourd’hui des conflits de juridictions ? Pourquoi existe-t-il aujourd’hui des cas où les
juges se disputent pour revendiquer une branche juridictionnelle ?

À chacun revient un travail additionnel : il existe certes une raison des juges qui veillent à un pré-carré, mais
au-delà de ça, on a en France une tradition judiciaire, administrative en matière de justice qui ne conduit pas
du tout à définir les mêmes équilibres au sein de notre modèle politique s’agissant des rapports entre la
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puissance publique et les individus. Le juge judiciaire a toujours été indulgent quant aux droits naturels, à ce
que les droits positifs des particuliers soient respectés.

Le juge administratif quant à lui, a toujours été vigilant à ce que ce soient les intérêts de l’administrations
soient préservés. C'est une vraie différence culturelle. Et à travers les luttes de compétences entre
juridictions, il y’a (pour celui qui gagnera) le droit d’écrire le droit. Un juriste du XVIIIème siècle nommé
D’Holbach avait identifié une bonne formule, il disait : que “L’obscurité des lois font qu’elles ont besoin
d’interprètes et ces interprètes deviennent les maîtres, et de la loi, et du sort des citoyens” (1773). C'est une
idée qui est en réalité très profonde : c’est un vrai enjeu politique la compétence juridictionnelle.

Ce que souhaite Napoléon c’est qu'en faisant intervenir le juge administratif, on parvienne à réduire les
droits privés, on parvienne à renforcer les prérogatives de l’administration, on parvienne à donner à
l’administration des règles qui lui permettent de se déployer sans trop d’entraves. L'enjeu c’est de publiciser
les règles qui seront appliquées par l’administration.

Par exemple, dans le Code civil, on a un droit qui est le droit de propriété : c’est un droit dit “absolu”, chacun,
en tant que propriétaire est le maître de sa chose : il peut vendre ou ne pas vendre sa chose.
La question est : comment on publicise ce genre de règle ?

On va sortir ce droit de l’exception en disant que lorsque ce droit de propriété est en contact avec
l’administration alors il y’a une série d’exceptions : on concilie le droit privé avec des exigences de droit
public et on fait en sorte que le droit public vienne grignoter sur les principes du droit privé.

Napoléon veut homogénéiser, renforcer le droit privé. Et ça a tout son sens car dans la philosophie des
Lumières, le concept de procès, le concept de développement économique et de liberté : tout cela est au
cœur de la Révolution française est c’est connecté à la propriété.

Pourquoi abolit-on les privilèges dans la nuit du 4 août 1789 ?

Le mot privilège est un mot qui vient du Latin “privata lex” : c’est la loi privée, c’est la loi qui concerne
certaines catégories ; par exemple, sous l’Ancien Régime, si on nait paysan, si on naît aristocrate, on ne
bénéficiait pas des mêmes droits.

À l’époque, on considère que les humains ne sont pas égaux en tant que citoyen (ils n’ont pas les mêmes
droits en fonction de leur qualité civile). Lorsque on déclare que les privilèges sont terminés et que tout le
monde a les mêmes droits (article 1 de la DDHC), ce qu’on veut dire aux individus c’est que l’égalité des
droits les met dans la même situation pour déployer leur liberté : la liberté doit être la même pour tous car
tout le monde a les mêmes droits.

En même temps Napoléon veut renforcer l’administration et veut un état fort et puissant : il considère que
pour doter l'État d'une grande puissance, il faut que se développe entre les individus et la puissance publique
un fort rapport d'inégalité. Et ce fort rapport d’inégalité donne des privilèges car il y’a des droits qui
appartiennent à l'État mais pas aux individus. On va appeler ça des prérogatives de puissance publique (et
non des privilèges) qui permettent à l'État d'utiliser la force, d’imposer, de suspendre la force des lois qui
reconnaissent le droit privé, c’est-à-dire qu’une loi relative à la propriété privée : le juge administratif va
l’interpréter et va lui assortir des tempéraments, des exceptions. Et une fois qu’il aura rendu justice, on aura
un arrêt du Conseil d’État qui dira que cette loi, toute seule dans ses relations entre individus c’est ok, mais
dès qu’intervient l’administration publique, à ce moment-là, le droit privé s’efface. Dès lors, le droit qui était
absolu entre personnes privées devient relatif dès lors qu’une personne publique intervient. Et c’est en cela
que constitue la publicisation du droit administratif : le Conseil d’État définit beaucoup de règles qui vont en
quelques sortes, mâtiner, colorer les relations des particuliers avec l’État.

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Quelques mots sur ce qu’est le droit “naturel” : on a beaucoup d’auteurs qui parlent du droit naturel sous
l’Ancien Régime, et qui théorisent de manière différente le passage de l’état de nature à la société civile
(Hobbes : Léviathan).

Indépendamment des auteurs, les Hommes de l’Ancien Régime pensent que la société sous cette période
est immergée dans une représentation chrétienne du monde : en effet, ils considèrent que Dieu les a faits
Homme, qu’en tant qu’ils sont des créatures divines, ils ont des droits qui tiennent à la condition naturelle
de l’Homme et que parmi ces droits naturels, il y’a la liberté et la propriété (c’est une idée qu’on retrouve
dans quasiment tous les discours du XVIIIème siècle).

Les lois adoptées par les Hommes (droit positif) qui sont donc des normes posées et établies par les Hommes,
alors ces lois doivent être conformes au droit naturel. Il fallait donc une légalité de la loi positive à la loi
naturelle.

D'ailleurs, le droit naturel est encore présent dans notre système juridique aujourd’hui car quand on regarde
la Déclaration de 1789, elle fait référence au droit naturel.

Ce phénomène de publicisation du droit administratif est intéressant car il montre qu’il y’a une lutte entre
le droit public et le droit privé : le droit privé est résistant face au droit public. Au début de XIXème siècle, il
y’a eu des affrontements par voie de journaux (de presse) entre l’ordre judiciaire et administratif.

Il y’a aussi des restrictions très intéressantes sur les rapports entre les lois civiles et administratives du point
de vue de leur fonction : d'Auray De Brie, juriste de 1804, pose une profonde question : est-ce que notre
société tient parce que nous avons un État et une administration qui la supervise ? Ou alors parce que
nous avons des règles qui gouvernent les relations entre les individus membres de cette société ?

Imaginons qu’on supprime le concept de la propriété individuelle : c’est un problème et ce que dit D’Auray
De Brie c’est que les lois civiles sont la base de notre ordre politique. Et en même temps, si on garde le
principe de la propriété privée mais qu’on supprime toutes les forces publiques : c’est également un
problème car la société ne tiendra toujours pas. D'Auray De Brie dit les deux éléments jouent un rôle moteur
: les lois administratives sont constitutives car l’administration structure l’ordre social mais les lois civiles
sont fondamentales car elles structurent nos relations sociales. On a donc un double jeu de relation qui est
soumis à deux ordres de loi différents.

Ce qui inquiète nombre de privatistes au début du XIXème siècle, c’est que sous prétexte de renforcer la
puissance publique, on parvienne à déstructurer les relations sociales en restreignant parfois jusqu’au bout
de leur étendue les lois privées.

La justice administrative qui a été instituée par Napoléon est particulière, elle est retenue : cela signifie que
les juges administratifs soumettent le projet de décision du Conseil d'État au chef d'État qui lui, dit oui ou
non. Le Conseil d’État n’est donc pas indépendant, il est “retenu”.

À partir des années 1804-1085, vont se développer les cours de droit administratif et vont se généraliser à
partir de la monarchie de Juillet (1830) et nous avons dans une dizaine d’universités, où sont enseignés les
cours de droit administratif par des civilistes à qui on a confié le cours. Néanmoins la matière devient très
importante, les spécialistes deviennent nombreux et il y’a de plus en plus de revues. Le droit administratif
est ainsi lancé. Les auteurs, jusque dans les années 1830, régulièrement disent que c’est du droit public ET
privé.

À l’époque, dans les années 1820/1830 on voit apparaître deux discours différents sur la question du
rapport entre les droits et la question des libertés. En effet, un premier courant s’oppose au droit
administratif et à la justice administrative avec beaucoup de force en ayant pour idée que plus le droit est
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puissant, plus les droits des particuliers sont affaiblis et que si on veut défendre la liberté, il faut restreindre
l'État et les prérogatives de l’administration. Les auteurs en question sont notamment Alexis De Tocqueville
ou encore Benjamin Constant. D'ailleurs, Alexis de Tocqueville a consacré des pages extraordinaires en
critiquant le droit administratif : il explique que le droit administratif est un droit des états modernes, qui
cherche la sécurité au détriment des libertés (il fait référence aux nombreux coups d’états qui traversent la
plupart des états qui ont vécu cela et qui cherchent un équilibre constitutionnel). Dans le modèle anglo-
saxon, l’État joue un rôle limité et sa fonction (selon Locke) est de protéger la liberté, et la propriété. C'est
une tradition libérale qui défend un libéralisme authentique : l’individu est la première unité avant l'État.

Mais on a également une “tradition libérale étatiste” : ce libéral étatiste est une doctrine qui est fortement
ancrée dans l'esprit français et l’idée est simple : c’est de soutenir que plus l’administration est puissante,
plus les individus sont libres car l’administration est faite pour les individus. Donc une administration
puissante protège les individus et les rend libres.

Lorsqu'on regarde les travaux des publicistes, des adminîstrativistes du début XIXème siècle, on se rend
compte qu’ils sont nombreux à adopter la langue “de bois” de ce libéral étatiste. La plupart des
adminîstrativistes disent que le droit administratif renforce l'État, le droit administratif est donc favorable
à la liberté des individus car il assure leur protection.

Tocqueville dans un discours prononcé en 1846 dit qu’il ne faudrait pas remplacer le principe de liberté qui
est née des aspirations démocratiques à un principe d’autorité qui est né des aspirations de l’Empire. Donc,
attention, avec le droit administratif autoritaire et la justice administrative, on revient sur les acquis de la
Révolution française.

Comment les choses vont-elles évoluer ?


Nous avons au XIXème siècle un équilibre constitutionnel compliqué, nous alternons entre régime
républicain, régime dictatorial, régime impérial, régime monarchique (avec la restauration) puis la
République, puis encore le second empire... et ce n’est qu’après le second empire qu’on aura la IIIème
République (dont la solidité n’est acquise que vers 1879).

Au XIXème siècle, le droit administratif est venu dans les directions suivantes :

La phase de description :

Sous le 1er Empire, sous la restauration, même encore un peu au début de la monarchie de Juillet, beaucoup
d’auteurs décrivent, numérotent, classent : les premiers ouvrages sont des recueils d’information et de
descriptions. Il faut connaître à la manière d’un biologiste qui découvre des nouvelles espèces sur une île :
c’est la même chose, il y’a une vraie phase de découverte des institutions publiques et administratives. Mais
cette phase n’est pas forcément liée au XIXème siècle car l'État dès le XVIIème siècle avait pris conscience
qu’il fallait développer une connaissance sur lui. On a des ouvrages entiers presque imbuvables qui sont
basés sur des descriptions sur l’administration. On avait aussi des ouvrages en forme de dictionnaire : ces
ouvrages commencent par abattoir et terminent par voirie. Pour chaque mot, on explique l’état des
connaissances en termes d’administratif. Ce sont des ouvrages d’information et non d’analyse et de réflexion
profonde.

Quand est-ce que les choses changent ?


À partir des années 1830, les auteurs investis de l’enseignement du droit administratif commencent à se
poser des questions : qu’est-ce que je veux apprendre à mes étudiants ? Leur parler de l’État et des libertés
? De l’étendue des recours qu’on peut exercer contre l’administration ?

Il faut comprendre que l’université, lorsqu’elle a été créée, elle n’a pas été créée pour former des esprits :
les tout premiers ouvrages sont très peu spéculatifs. Mais, les auteurs prennent de la hauteur, ils
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commencent à poser les questions qui vont échos au droit constitutionnel et qui concernent les libertés des
individus, se demander quelles pourraient être les limites de l’État. Mais à l’époque c’était très compliqué
car le droit constitutionnel était interdit d’enseignement, donc les professeurs de droit administratif
injectaient quelques notions de droit constitutionnel : on avait tout de même un régime très autoritaire.
Arrive la IIIème République et c’est là où les choses changent. La IIIème République c’est “l’âge d'or du droit
administratif”. Cette expression a un côté nostalgique, en revanche c’est un “âge d’or” car apparaissent les
belles et réelles doctrines, des “pépites”. Si on compare les réflexions des auteurs des années jusqu’à 1920,
ça n’a rien avoir. Y'a un changement qualitatif, d’ambition, en termes d’érudition qui est extrêmement
important. Comme si on avait changé de discipline. Pour autant, ça reste du droit administratif mais que
s’est-il passé ?

Le fait est que des auteurs émergent qui ont des capacités d’analyse hors du commun avec les générations
précédentes et d’une certaine manière, la plupart des idées avec lesquelles on a travaillé au XXème siècle
en droit administratif proviennent de ces générations. Mais il faut toutefois nuancer le propos car le XXème
siècle est une longue période mais excepté cela, la plupart des questions théoriques du droit administratif
ont été approfondies à cette époque (entre 1880 et 1920).

Est-ce lié à la nature républicaine du régime ?


Il est vrai que l'université se renouvelle beaucoup à partir de la IIIème République, avec notamment un
critère politique : celui de recruter des républicains et les républicains qui se seront à l’université vont avoir
des aspirations davantage orientées vers les libertés des individus. La nature la plus importante du
changement tient à ce que des auteurs s‘éveillent à d’autres champs que le droit pour étudier, analyser le
droit.

À l’époque de l’humanisme (au XVIIème siècle), la formation intellectuelle était constituée de nombreux
champ scientifiques (droit, physique, histoire, philosophie) et à partir du XIXème siècle on donne une
inflexion disciplinaire : les juristes ne sont QUE des juristes et en titrant le file, ce qui n’étaient que des juristes
sont devenus des publicistes ou des privatistes.

Ce qui se passe sous la IIIème République : les juristes vont s'intéresser à beaucoup de branches de savoir et
vont donner à leur objet d’étude une direction différente de ce qui existait sous les époques précédentes.
Ces juristes ne sont pas forcément nombreux mais ils vont écrire des ouvrages très qualitatifs qui vont
donner au droit administratif et constitutionnel un nouveau souffle.

Un des grands historiens du droit administratif nommé François Burdeau dans son ouvrage “Histoire du droit
administratif” le moment de la IIIème République, il l’appelle “le temps de la cathédrale”.

Maurice Hauriou : c’est un Toulousain, il était le doyen de la faculté de droit de Toulouse, il est né en 1856
et décédé en 1929. Il est formé au droit civil est au droit romain. Hauriou révolutionne les ouvrages de droit
administratif et en 1892, il sort un récit et pour la première fois c’est un ouvrage construit à partir de
problèmes : il aborde notamment les problématiques sur la question des libertés, de la puissance publique...
Et à l’intérieur de ses problématiques qu’il étudie, il explicite les régimes juridiques et il en montre les
enjeux.

L'ouvrage de Hauriou part d’un présupposé important : Hauriou disait qu’il faut que la génération actuelle
des juristes actuels ne considère pas les droits de l’État comme étant de nature transcendante. Il faut les
traiter (les droits de l’État) de la même manière que le droit des particuliers car ce sont des droits de la même
nature. Le grand défi est de soumettre l’administration à l'empire du droit.

Hauriou, dans tout l’ouvrage, essaie de traiter les personnes publiques à partir de l’exercice de droit. Pour
comprendre à quel point c’est moderne, il faut faire un retour en arrière : quelle était la manière dont on
traitait l'État dans les ouvrages avant ?
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L'État n’était pas analysé sous un angle juridique : lorsque la question de la nature de l'État était posée, on
avait une réponse de nature sociologique qui était apportée. L'état c’était la personnification de la nation,
l’état c’est celle qui incarne la société. Mais avec une telle approche, on est sur quelque chose de
transcendant car on parle d’une personnification, on parle d’une incarnation, on parle d’une représentation
métaphorique, on ne parle pas d’un être juridique.

Le concept de personnalité de l'État existe pourtant et on dit que l'État est une personne publique dotée
d’une personnalité morale mais cette personnalité morale s’arrête aux actes de gestion : jamais elle n’accède
jamais au rang de personne publique avec des prérogatives de puissance publique. Et Hauriou veut qu'on
arrête d’avoir cette représentation de l'État, au lieu de dire qu’il existe par exemple un domaine de l’État,
Hauriou dit qu’il vaudrait mieux parler de propriété publique. Et Hauriou explique pourquoi cela a du sens :
les propriétés génèrent des charges, causent des dommages, récoltent des recettes.

Il analyse les différentes facettes de l'État en voulant savoir quels sont les droits exercés : à chaque fois
qu’il est question du déploiement de l'État, toujours Hauriou ramène ça au droit positif, il veut le moins
possible qu’on regarde l'État comme un être transcendant et le plus possible qu’on le soumettre à l’empire
juridique (à l’état de droit).

La doctrine de l’état de droit est une doctrine née en Allemagne : c’est un concept allemand qui se développe
en Allemagne surtout au milieu du XIXème siècle à propos d’une interrogation de grand juriste relativement
à ce qu’est la nature de l’état et c'est notamment un juriste qui s’appelle Karl Von Gerber qui va contribuer
à cette doctrine.

La question posée est simple : qu'est-ce que l’état en droit ?

La doctrine classique est que l’état c’est la personnification. Au XVIIIème siècle, les Allemands se posent la
question suivante : l’État a-t-il des droits ?

Karl Von Gerber dit oui, c’est un être juridique comme les individus.
A-t-il tous les droits ?

Réponse de logicien : non car sinon s’il a tous les droits, alors il n’y a plus de droits pour les autres personnes.
Or, il y’a d’autres personnes qui ont des droits, donc l’État n’a pas tous les droits.

Mais si l'État n’a pas tous les droits, alors ses droits sont limités : oui. Mais qui limite les droits de l’état ?
Peut-il s’agir d'un tiers à l’état ? Si c’est le cas, alors l’État est sous le contrôle d’un tiers alors qu’il est censé
à la tête d’un système politique.

Les Allemands définissent comme doctrine que l'État est nécessairement limité par le droit mais que c’est le
principe de l’autolimitation qui définit ces droits : l'État s’auto limite. Cette idée d’autolimitation apparait
comme quelque chose de tout à fait discutable car si l’État s’autolimite, il peut aussi décider de ne quasiment
pas se limiter. Mais, cette doctrine va être enrichie et analysée par la suite.

Dans beaucoup de pays, des juristes vont se saisir de cette question et chaque pays va vouloir trouver une
doctrine d’état de droit et beaucoup vont proposer un concept d’état de droit. Hauriou par exemple, s’inscrit
dans cette philosophie : travailler sur l'état de droit.

Aussi, Hauriou s’intéresse à la question de l’acte administratif, il l’étudie pour la première fois en 1891. Et il
en parle dans un article en deux parties. En 50 ou 60 pages, il dissèque, il montre un nombre de question
que personne n’avait jamais vu sur l’acte administratif. Hauriou montre à quelles conditions l’administration
doit édicter un acte administratif. Donc, Hauriou dès 1892 se demande comment peut-on considérer que

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l’administration soit dotée de prérogatives mais échappe à tout contrôle juridique ? (Même thèse que
Michoud avant l’heure).

Hauriou a une démarche donc nouvelle. Par ailleurs, ce dernier apporte beaucoup d’éclairages à des
concepts clefs du droit administratif qui étaient mal connus et peu étudiés : il pose toute une série de
questions sur ce dont a besoin l’administration et à quelle fin.

La série de travaux d’Hauriou a au fond la même question : pourquoi la prérogative de puissance publique
est-elle nécessaire ?

En somme, la IIIème république pose la question de la mesure, de la pondération, du respect de l’individu et


de l’acceptabilité d'une règle de droit administratif.

L’administration ne travaille pas seule, elle fait souvent affaire avec des personnes privées avec qui elle
contracte pour réaliser différentes missions (travaux publics). Ce faisant, elle utilise des procédés de droit
public. Si elle contracte avec des personnes publiques pour des travaux publics, elle doit donner à son
partenaire le sentiment qu’il ne sera pas écrasé dans la relation contractuelle avec l’administration. Que
même les règles de droit administratif peuvent être soucieuses quant à la préservation, à l'équilibre de la
relation de la puissance publique et des particuliers.

Hauriou était un arrêtiste, il avait un talent particulier pour identifier dans une solution du Conseil d’État, les
incohérences, les angles morts, les innovations qui pouvaient être ajoutées au point où le Conseil d’État a
pu modifier sa jurisprudence après les commentaires d’Hauriou.

Il est connu pour avoir été un penseur du droit administratif et en même temps un peu conservateur parce
que lorsqu’il s’est agi d’essayer de définir le droit administratif, Hauriou, de manière constante, s’est toujours
arrêté sur une idée selon laquelle le droit administratif c’est D’ABORD la puissance publique. Ce qui
caractérise le droit administratif, c’est la PUISSANCE de l’administration, la force.

De ce point de vue, Hauriou a répété un discours inscrit dans le temps depuis des siècles : l'État incarne une
forme de force, une domination. Pour autant, Hauriou a enrichi son analyse d’une réflexion profonde sur ce
qu’il appelle “l’institution”. Hauriou est un penseur de l’institution, il s’intéresse au phénomène
institutionnel et c’est une question profonde car l'institution c’est ce qui survit aux contemporains. Lorsque
quelqu’un veut prolonger les actions au-delà de sa mort, il crée une fondation dotée d’un fond et décide de
lui investir une mission d’œuvre pour une cause qui lui survit.

Mais Hauriou s’interroge sur la finalité des institutions, il dit que l’administration est une institution qui agit
toujours au service d’une œuvre et que cette œuvre est à la fois la fin est la cause de l’institution. Cette idée
d’œuvre, quel que soit son contenu, est au-dessus d’une institution. Cela signifie que même si le droit
administratif est la force, la puissance, il s’agit d’une force et d’une puissance au service d’une idée d’œuvre.
Donc, dans la vision d’Hauriou, même s'il y'a une forme de conservatisme, il y'a une pensée de la limitation
endogène de la puissance publique.

Un autre grand juriste qui est un ami d’Hauriou, nommé Léon Duguit : ce dernier a des points communs avec
Hauriou, il est doyen de la faculté de droit de Bordeaux. Léon Duguit a une trajectoire bien différente : il est
une figure internationale, c’est un juriste dont l’influence a été de niveau international.

La trajectoire de Duguit est la suivante : ce dernier étudie le droit public et le droit privé. Ce n’est pas
seulement un publiciste. Il est un spécialiste de droit constitutionnel, il a écrit un traité de cinq tomes sur le
droit constitutionnel.

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Sa contribution au droit administratif est majeure, la grande idée de Duguit est simple : il veut qu’on arrête
de présenter le droit administratif comme un droit autoritaire au service de l’administration, elle-même
entendue comme force (comme c’était le cas pendant des décennies) et il veut qu’on regarde
l’administration comme ayant une finalité unique et totale, accomplissant les missions de service public. Il
explique également que l’État est un ensemble de services publics. Ce qu’il souhaite c’est que l'État soit au
service des individus, au lieu de leur imposer constamment des choses.

Avant la Révolution française, l’Abbé Sieyès a publié un petit livre en deux parties en 1788 et la première
partie était intitulée “Qu’est-ce que le tiers-états ? Rien” et la deuxième partie “Que doit-il être ? Tout” ; et
Duguit fait la même chose, il écrit en 1913 un ouvrage intitulé “Transformation du droit public” et pose la
question suivante dans la première partie : “Quel était le droit administratif jusqu’à présent ? La force
publique” et dans la deuxième partie : “Que doit-il être demain ? Le service public”. Duguit ne définit pas
des règles ici, il promeut un modèle de droit administratif qui n’existe pas encore quand bien même il peut
s’appuyer sur des éléments d’actualité. Par ailleurs, Léon Duguit va offrir un cadre d’analyse du fondement
du droit contraire à l’idée qui domine à son époque : il explique ce n’est pas l’État qui fait le droit car lui
aussi il veut soumettre l’État au droit.

Ce que Duguit écrit c’est que le droit existe avant l'État, ce dernier reprend l’analyse selon laquelle les règles
de droit existent dans la société et que l'État ne doit faire qu’adopter des règles pour rendre public et connu
des règles de droit préexistantes observées au sein de l’ordre social.

Duguit rappelle que l'État ne fait pas de droit et il est là pour les individus et la société. Cet auteur va être
considéré comme étant le fondateur de l’école du service public ; alors qu'Hauriou est présenté comme
étant le fondateur de la doctrine de la puissance publique. Toute une génération d’auteurs va essayer de
construire une doctrine du droit administratif entièrement fondée sur le service public.

L'objectif étant que le service public devienne une clef de compréhension de chacune des notions. L'enjeu
est important et intéressant car pour chaque concept de droit administratif, cela permet de recontextualiser
les enjeux : par exemple, dans un contrat administratif : un contrat est un accord de volonté qui créé des
effets de droit soit entre les parties soit au-delà des parties. En droit privé, le contrat est compris comme
concernant les contractants essentiellement, mais dans le contrat administratif il y’a un tiers qui intervient
dans le contrat et ce tiers est le public, ce sont les usagers du service public. Et ce tiers, dans le contrat
administratif va compter + que les cocontractants au contrat : on va considérer que le vrai enjeu du contrat
n’est pas le rapport du droit entre les deux contractants, il est l’effet désiré du contrat sur les tiers au contrat.
Par exemple, la région passe un contrat avec la RATP : le contrat contient des obligations de la RATP envers
la région et inversement. Mais ce qui importe c’est NOUS les usagers du service public.

Nous avons donc une rencontre entre une doctrine qui comporte une partie d’idéologie car les auteurs
promeuvent un modèle de droit qui n’existe pas encore ou pas complètement, dont ils en souhaitent la
réalisation. La doctrine est accompagnée par des études de régimes juridiques de nombreuses disciplines et
à chaque étude d’objet, les auteurs de doctrine se posent une question en lien avec le service public. Ce
travail va exercer une influence forte car cela va changer le regard sur la matière : pendant très longtemps,
le droit administratif avait une mauvaise réputation (avant Léon Duguit) : c’était la matière des “complices
du pouvoir”, c’était la ”description totalement ennuyeuse des institutions”. Et donc, avec tous ces auteurs
on change de curseur, on fait du droit administratif quelque chose de bien plus intéressant : on commence
à parler des individus, de leur liberté, de l’état de droit, on parle de la valorisation de l’état.

Une question demeure en suspens : quel est le lien entre ces représentations du droit administratif et l’état
de la jurisprudence ? L’école du service public peut-elle s’appuyer sur des éléments qui correspondent à du
réel ? Ne s’agit-il que d’un combat idéologique de juristes ou bien est-ce qu’il s’agit d’une discussion qui se
fonde aussi sur la réalité du droit ?

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Léon Duguit pour mettre en avant la place du service public dans la construction du droit administratif s’est
appuyé sur un arrêt célèbre : l’arrêt Blanco, Tribunal des conflits, 8 février 1873.

Nous sommes aujourd’hui en 2023 et le 8 février dernier s’est tenu au Conseil d’État un colloque sur le 150ème
anniversaire de l’arrêt Blanco : le colloque est paru chez les éditions DALLOZ et fait le point sur la portée de
cet arrêt à son époque et sur ce qu’il est resté de cet arrêt après 1873. Cet arrêt Blanco a une place «
démesurée ».

Qu’est-ce que l’arrêt Blanco ?

Le 3 novembre 1871, à Bordeaux, une enfant de 5 ans et demi, Agnès Blanco, avait été renversée et blessée
(elle sera amputée) par le wagonnet d’une manufacture de tabac, exploitée en régie directe (procédé de
gestion du service public) par l’État. Son père avait saisi les tribunaux judiciaires pour faire déclarer l’État
civilement responsable du dommage, sur le fondement des articles 1382 à 1384 du Code civil. Le père pense
pouvoir gagner un procès en responsabilité du fait du commettant (l’État) pour le dommage causé par le
préposé (la manufacture).

Le père pense que c’est sur le terrain du droit civil que le litige va se vider, cependant, le préfet saisi le
Tribunal des conflits (chargé de veiller à ce que le juge judiciaire n’empiète pas irrégulièrement sur la
compétence du juge administratif). D’une manière dissymétrique, cette attention du Tribunal des conflits ne
fonctionne pas en sens inverse : il n’est pas le gardien du respect de la compétence du juge judiciaire par le
juge administratif, mais uniquement de la compétence du juge administratif par le juge judiciaire.

Lorsque le Tribunal des conflits pense que le tribunal judiciaire a été incompétemment saisi, il demande à ce
dernier à travers un déclinatoire de compétence, de bien vouloir se déclarer incompétent. La balle est alors
dans le camp du juge judiciaire : soit il accepte le déclinatoire soit il le rejette. S’il le rejette, le préfet élève
le conflit : l’élévation du conflit conduit à la saisie du Tribunal des conflits.

Quelle est la mission du Tribunal des conflits ?

C’est de dire quel juge est compétent : ce Tribunal des conflits est un gardien des compétences, il joue
presque un rôle constitutionnel puisqu’il indique quel organe créé par l’État est compétent (mais il a aussi
d’autres compétences : par exemple, il peut devenir lui-même un juge du fond).

Dans notre affaire, le litige a conduit à la saisine du Tribunal des conflits et ce dernier a rendu une décision
qui est justement LA décision Blanco célébrissime. Le conflit fut élevé et, dans l'arrêt Blanco rendu le 8 février
1873, le Tribunal des conflits consacra à la fois la responsabilité de l’État à raison des dommages causés
aux particuliers par des personnes employées dans des services publics et la compétence de la juridiction
administrative.

Sur le site du Conseil d'État, on peut lire que « Cette décision consacre ainsi la responsabilité de l’État,
mettant fin à une longue tradition d’irresponsabilité, qui ne trouvait d’exceptions qu’en cas de responsabilité
contractuelle ou d’intervention législative, telle la loi du 28 pluviôse an VIII pour les dommages de travaux
publics. Il soumet toutefois cette responsabilité à un régime spécifique, en considérant que la responsabilité
qui peut incomber à l’État du fait du service public ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le
Code civil pour les rapports de particulier à particulier. La nécessité d’appliquer un régime spécial, justifié par
les besoins du service public, est ainsi affirmée. ».

Considéré comme un fondement du droit administratif français, cet arrêt a été et demeure une source
inépuisable de recherches et de réflexions pour des générations de juristes et d’universitaires. Mais, au-delà
de cette décision du Tribunal des conflits, existe un autre arrêt Blanco : c’est la décision du Conseil d’État
puisque le Tribunal des conflits a désigné la juridiction administrative compétente : c’est devant le juge
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administratif que s’est achevé le débat contentieux dans le cadre de cet affaire, qui a conduit à
l’indemnisation de la famille Blanco et la petite Agnès a jusqu’à la fin de sa vie, vécue avec une pension qui
lui a permis de supporter les conséquences de cet accident.

Qu’est-ce qui fait l’intérêt de cet arrêt Blanco ?

L’arrêt Blanco décide de fonder la compétence du juge non pas sur l’application d’un texte spécifique mais
sur un principe général : ce dernier est un principe développé par les lois révolutionnaires de 1790 et de l’An
III (calendrier républicain). Le premier texte est un texte de loi :

• La loi des 16 & 24 août 1790 (aujourd’hui lorsqu’une loi est adoptée, elle l’est en un jour. Il
n’est pas rare à l’époque d’avoir plusieurs jours mentionnés).
Cette loi pose le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Ce principe dit que le
juge judiciaire ne doit pas troubler les opérations des corps administratifs, ni connaître des actes
d’administration.

Le deuxième texte révolution est un décret du 16 fructidor An III.

Ces textes, tels qu’on les interprète a posteriori, disent que lorsqu’il y’a des actes d’administration, ce n’est
PAS LE JUGE JUDICIAIRE et qu’a fortiori, c’est le juge administratif qui est compétent. L’arrêt Blanco se réfère
à ces textes révolutionnaires instaurant la séparation des 2 autorités. Ce qui est intéressant c’est que ces
deux textes conduisent à distinguer la compétence du juge judiciaire et du juge administratif avec une
portée large du droit de la responsabilité.

L’arrêt, en se fondant sur ces textes, a donc une visée plus large que le seul principe de la responsabilité : il
a donc, d’une certaine façon, le caractère d’un arrêt de principe.

Un autre point notable, c’est l’énoncé du considérant de principe : « La responsabilité qui peut incomber à
l’État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public,
ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil pour les rapports de particuliers à
particuliers ». On voit ici que le fond du droit est distinct du droit civil dès lors qu’il est question d’un rapport
entre un particulier et une personne employée dans le service public.

La portée de l’arrêt ici n’est donc pas sur la responsabilité : « Cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue.
Elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de
l’État avec les droits privés ». C’est un passage magnifique car il contient en très peu de mots des concepts
clés du droit administratif : le droit administratif est un droit spécial.

Le Tribunal des conflits va poursuivre en considérant qu’ici l’autorité administrative (juge administratif) est
la seule compétente aux termes de la loi visée. Dès lors, la solution apportée à la question de la compétence
est la conséquence de la solution apportée à la question du fond du droit applicable. La compétence suit le
fond. C’est parce qu’il y’a un droit spécial (un droit administratif) qu’intervient le juge administratif.

Le point qui nous intéresse est la question de la présence du service public : il s’agit de rappeler que la
responsabilité concernée est celle des personnes employées dans le service public. Le mot service public
est associé au concept de la règle spéciale à la compétence du juge administratif et au moment où Léon
Duguit élabore une théorie du droit administratif qui repose sur le service public, cet arrêt donne de l’eau à
son moulin. Il peut en effet se fonder sur une jurisprudence, il peut s’appuyer sur des éléments de la réalité
jurisprudentielle. Il peut expliquer que ce n’est pas lui tout seul qui invente le fait que le service public et le
droit administratif sont liés.

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L’arrêt est un peu plus complexe en réalité, notamment parce qu’il est accompagné d’un texte remarquable,
qu’on appelle les « conclusions du commissaire du Gouvernement ». Il existe au sein de la justice
administrative, un acteur qui n’a pas son pendant dans les juridictions judiciaires, qu’on appelle le
rapporteur public. Ce dernier est un membre du tribunal, il a le statut de magistrat ou s’il est au Conseil
d’État celui de fonctionnaire. Et sa mission est d’éclairer la formation du jugement sur la solution qu’il
convient celui lui (ou elle) d’adopter. Ce rapporteur public qui est quasiment présent dans toutes les
instances, pour chaque affaire, établit un bilan de la pratique jurisprudentielle, de l’éventuel écart entre
l’affaire et la pratique. En l’absence d’écart, il s’interroge sur l’opportunité de continuer avec la même
jurisprudence ou au contraire de faire évoluer une jurisprudence et il fait des propositions à la juridiction.

C’est son opinion propre qu’il exprime en toute liberté. D’ailleurs, à l’époque on parlait de commissaire du
Gouvernement, ce n'est qu’au 21ème siècle que cette appellation change en rapporteur public.

Il joue un rôle majeur car il produit de vraies analyses sur des enjeux du droit administratif et il se trouve
que dans l’affaire c’était Edmond David, un très bon commissaire. Le commissaire David fait référence au
critère du service public certes, mais il mobilise également celui de la puissance publique : quand bien même
dans l’arrêt du Tribunal des conflits c’est le service public qui est mis en avant, au sein des conclusions, on
voit que la réflexion était bien plus large. Mais l’important est que l’arrêt Blanco a servi de référence à l’école
du service public. L’arrêt Blanco est souvent cité comme le début du récit de l’histoire du droit administratif.

Quelques arrêts intéressants qui font échos à l’école du service public :

Arrêt Terrier, CE 6 février 1903 :

Il s’agit d’une prime à la destruction de vipères instaurées par le département de Saune & Loire. Monsieur
Terrier avait détruit un grand nombre de vipères et au moment de récupérer sa prime, on la lui refuse.
Monsieur Terrier fait un procès : le procès pose la question de savoir si le juge administratif est compétent,
si cette opération d’encouragement à la destruction de vipères est une opération administrative. Le CE
considère que le juge administratif est compétent.

Le commissaire du Gouvernement dans cette affaire est l’un des plus célèbres de son époque : Jean Romieu.
Ce dernier dit que « Tout ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement des services publics généraux
ou locaux constituent une opération administrative qui est du domaine de ma juridiction administrative ».
Romieu établit le lien entre activité du service public, juge administratif et droit administratif.

Il ajoute également qu’il faut rajouter une hypothèse : en effet, en matière du service public, la compétence
est administrative sauf si l’administration a réagi dans les mêmes conditions qu’un particulier et se trouve
soumis aux mêmes règles comme aux mêmes juridictions. Il y’a donc dans cette réserve de Romieu l’idée
selon laquelle une administration peut avoir 2 visages : se comporter comme un particulier/comme une
puissance publique. Il faut donc, pour qu’il y ait un juge administratif, un droit administratif avec une gestion
publique, ce qui signifie que l’existence du service public n’est pas le point le plus déterminant (qui est
finalement la modalité de gestion du service public). Ce qui relativise l’analyse du service public.

Arrêt Thérond, Conseil d’État, 4 mars 1910 :

Il existe un contrat entre Monsieur Thérond et la ville de Montpellier : il s’agit de la capture et mise en
fourrière de chiens errants. Le CE reconnaît la compétence du juge administratif parce que le contrat a eu «
pour but d’assurer un service public ; qu'ainsi les difficultés pouvant résulter de l'inexécution ou de la
mauvaise exécution de ce service sont, à défaut d'un texte en attribuant la connaissance à une autre
juridiction, de la compétence du Conseil d'État ». Dans cette affaire, aucune réserve n’est formulée ni du CE
ni du commissaire : nous avons un arrêt qui semble corroborer la thèse du service public, le but du service

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public comme critère de la compétence, but précisé deux ans auparavant par un arrêt du Tribunal des conflits
en 1908.

Arrêt Feutry, TC (Tribunal des Conflits), 29 février 1908 :

Il s’agit dans cet arrêt d’une personne qui s’évade d’un hôpital psychiatrique public qui se rend dans une
ferme appartenant à Monsieur Feutry, qui met le feu aux meules de pailles de Monsieur Feutry. Un recours
est exercé et la personne publique est condamnée après que le juge du Tribunal des conflits a reconnu la
compétence du juge administratif. Le motif de reconnaissance de la compétence du juge administratif est le
« mauvais fonctionnement du service public ».

À ce moment tout simple indiquer qu’en matière de contrat, qu’en matière de responsabilité le critère de la
compétence du juge administratif, c’est le service public. Mais en 1912, le CE vient en effet rendre un arrêt
en sens contraire de cette première tendance.

Arrêt Société des granits porphyroïdes des Vosges, CE, 31 juillet 1912 :

Le commissaire du Gouvernement était Léon Blum.


Dans cette affaire, il était question d’un marché entre la ville de Lille et un fournisseur de pavés. Un conflit
naît en raison de retard d’exécution de travaux entraînant des pénalités de retard.

Qui est compétent ?

Pour la savoir, il faut s’intéresser à la nature du contrat : le contrat concerne la réparation d’une route, il y’a
un intérêt public, une mission de service potentielle. Si le critère du service public s’applique comme dans
les précédents arrêts, normalement le CE devrait dire que c’est un contrat administratif puisqu’il y’a un but
de service public. Cependant, le CE ne suit pas cette voie : il considère que le marché a été passé selon les
règles et conditions des contrats intervenus entre particuliers et il se déclare incompétent. Dès lors, le
contrat n’est pas administratif, ce n’est pas le but de service public qui compte ici mais les conditions de
formation du contrat et le contenu du contrat. Ce contrat ressemble aux contrats de droit privé, c’est un
acte de gestion privé, provenant d’une personne privée.

Comme le droit applicable au contrat détermine la compétence juridictionnelle, c’est le juge judiciaire qui
est investi de ce contentieux : il s’agit donc pour l’école du service public, un signale tout à fait négatif.
Le coup d’arrêt à l’école du service public, ou du moins l’obstacle le plus difficile à absorber est un arrêt du
Tribunal des conflits du 22 janvier 1921.

Arrêt Société commerciale de l’Ouest africain (Bac d’Eloka), TC, 22 janvier 1921 :
Cet arrêt inflige à l’école du service public le démenti ou la sanction la plus lourde : non seulement parce que
le critère du service public n’est pas décisif, mais aussi parce que le TC reconnaît que le service public obéit
largement à un régime de droit privé : autrement dit, l’arrêt casse le lien automatique prôné/revendiqué
par Duguit et ses collègues selon lequel droit administratif = service public. Cette affaire on l’appelle de
manière usuelle : l’affaire du Bac d’Eloka.

Il s’agit d’un accident à un navire qui assure un service de bac sur le littoral de la Côte d’Ivoire. Il existe une
colonie (personne publique française) qui assure la gestion de ce service. Et au mois de septembre 1920, le
bac coule. Il entraîne la noyade de plusieurs personnes et la perte de plusieurs voitures. Une société nommée
la société commerciale de l’Ouest africain a perdu une voiture dans cet accident ; elle demande réparation
du dommage, elle actionne la colonie devant le tribunal civil, le préfet adresse au tribunal civil le fameux
déclinatoire de compétence : le tribunal rejette le déclinatoire de compétence et le préfet élève le conflit en
saisissant le TC. Le TC statue en faveur de la compétence judiciaire : quel en est le motif ?

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Le TC considère que la colonie de Côte d’Ivoire exploite un service de transports dans les mêmes conditions
qu’un industriel ordinaire. Elle dégage donc l’idée que ce sont les conditions d’exploitation du service public
qui déterminent son régime, le juge compétent et le droit applicable. Ici, il s’agit de l’exploitation comme un
industriel ordinaire, c’est donc une gestion privée : le juge judiciaire est compétent pour appliquer le droit
privé. Ce n’est pas la nature de l’activité qui compte, mais le mode de gestion. Si le bac avait été gratuit,
entièrement financé par la colonie, nous n’aurions pas eu de gestion privée mais une gestion publique avec
un juge administratif et du droit administratif.

Cet arrêt contrarie l’école du service public : celle-ci ne peut plus dire que droit administratif = service public
car il y’a du service public qui relève du droit privé. Or, on ne peut pas dire que le droit administratif est =
au droit privé. On est dans une analyse de GESTION et non de BUT.

Un auteur de l’époque nommée Gaston Jèze à un moment a décidé de ne pas suivre le TC et a refusé de
qualifier la notion de « service public » à ce qui était industriel et commercial, mais la doctrine ne peut pas
aller jusque-là. On a parlé à l’époque de la crise du service public mais en réalité ça ne l’est pas, c’est la crise
de l’école du service public.

Section IV : Le droit administratif aujourd’hui.

Entre cette première moitié du 20ème siècle et aujourd’hui, ce que l’on peut dire c’est que progressivement,
le service public a trouvé une place plus raisonnable que ce que l’école du service public avait envisagé pour
lui, il a trouvé une place comme critère de multiples concepts et domaines (liés aux travaux, contrats) mais
qu’il n’a pas eu exactement le destin glorieux que lui destinait l’école du service public.

Le droit administratif est devenu un droit moins autoritaire qu’autrefois, les contrôles de l’administration
se sont constamment renforcés à travers notamment les recours juridictionnels qui ont été précisés, raffinés,
enrichis. Moins autoritaire aussi car le contrat est devenu un instrument de politique publique très répandu
; on a même parlé de l’ère contractuelle dans les années 1980, qui s’est développée avec la
décentralisation.

Lorsque l’administration contracte, elle a besoin que le co-contractant adhère même au contrat avec
l’administration, qu’il croit que le contrat n’est pas un instrument de pure domination à ses dépens. En
parallèle s’est beaucoup développée « la transparence administrative » : le fait de permettre l’accès aux
documents, l’accès aux informations.

S'est développée aussi depuis les années 90’s le concept de la participation du public a des décisions
administratives (en matière d’urbanisme, les enquêtes publiques). On fait en sorte que la décision
administration soit prise après que plusieurs acteurs ont été informés, consultés.

On peut noter aussi que depuis une trentaine d’années s’est développé une thématique qui est celle de la
régulation : c’est l’idée que l’administration, au lieu d’imposer un carcan de règles, vise plutôt à orienter le
comportement des acteurs dans un système avec des balises. Cette régulation est donc moins autoritaire.

Autre révolution du droit administratif : ce droit est de moins en public et de plus en plus mixte. Nous
revenons ici à la question : est-ce que le droit administratif est un droit public applicable aux administrations
publiques dans leur relations entre elles ou avec des particuliers ou est-ce que le droit administratif est LE
droit qui s’applique aux administrations ainsi qu’aux administrations dans leur relation avec des particuliers.
De plus en plus, c’est la deuxième branche de l’alternative qui est prise en compte, de plus en plus mêle le
droit public et le droit privé (droit de l’urbanisme, droit de l’expropriation, droit de des propriétés publiques).
Le droit de la concurrence qui pendant longtemps ne concernait que les personnes privées est un droit qui
s’impose également aux personnes publiques depuis les années 80.
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L'économie de marché est ouverte aux personnes publiques et c’est un changement très important : une
commune passe dans notre rue pour ramasser des déchets, mais cette même commune si elle le souhaite a
le droit de candidater à un marché public lancé par la commune voisine pour prendre en charge l’activité de
ramassage des ordures de la commune voisine payée par celle-ci ; de la même façon qu’une entreprise privée
peut candidater à son marché. Cela signifie que les personnes publiques peuvent exercer sur le marché des
activités économiques comme le font les entreprises privées y compris dans la perspective de gagner de
l’argent. Il y’a toutefois un encadrement juridique : la personne publique peut exercer cette activité
économique sur un marché au titre de complément de ses propres activités dès lors que cela ne la fragilise
pas pour exercer ses propres missions. Néanmoins, le changement est colossal dans la philosophie ;
pendant des décennies on ne pensait pas qu’une personne publique pouvait se comporter comme des
opérateurs économiques sur le marché, aujourd’hui c’est le cas, c’est reconnu par le droit.

Par ailleurs, ce droit a connu des évolutions du point de vue de ses sources : le droit administratif est
aujourd’hui moins jurisprudentiel qu’autrefois, encore faut-il comprendre de quelle manière.
Le DA est certes lié à la jurisprudence du CE ou du TC, mais depuis les années 90’s, d’est développée un
mouvement de codification du droit public : pour le droit privé le mouvement était déjà ancien (début du
XIXème siècle). Cette codification reprend par thèmes l’ensemble des normes (législatives, règlementaires).
Cependant ces lois & règlements sont appliqués par le Conseil d’État et ce dernier est libre, il s’estime libre
de procéder à des interprétations parfois constructives de ces normes. Plus de codification, mais pas
forcément moins de de droit jurisprudentiel pour autant.

Un droit de + en + constitutionnalisé (QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) par exemple) ; un


droit soumis au droit européen (le droit de l’Union Européenne avec la CJUE (Cour de Justice de l'Union
Européenne) et le droit du Conseil de l’Europe avec la CEDH (Cour Européenne des Droits de l'Homme)). Par
rapport à avant, la position du CE est bien distincte : il est désormais concurrencé par les juges européens
qui peuvent sanctionner la France alors même que le CE avait rendu un arrêt.

Le droit administratif global, européen : depuis une 20 aine d’années, ça monte en puissance et est apparu
un nouvel objet de recherche, c’est le droit administratif à une échelle supra nationale : il s’agit de réfléchir
à des éléments qui seraient partagés dans différents états du monde, qui auraient des points communs et
qui formeraient un droit administratif supra, au niveau du monde. Ce sujet est apparu dès les années 1920
et ce notamment dans le droit constitutionnel (pour donner suite aux travaux sur le droit constitutionnel
international).

Partie I : La justice administrative.


Chapitre I : Aperçu historique de l’évolution de la juridiction administrative.

La justice administrative, ce n’est pas la même chose que la justice RENDUE en matière d’administration.
La question est : quand-est-ce qu’est apparue cette justice administrative ? Certains disent que c’est apparu
sous l’Ancien Régime.

Section I : La question de l’Ancien Régime.

Sous l’Ancien Régime, il n’y a pas de dualité de juridictions, nous avons des juges « ordinaires » et des juges
« extra ordinaires », c’est la typologie de l’époque. Les juges ordinaires ont une compétence générale et les
juges extra ordinaires ont une compétence d’attribution (les baillis, les sénéchaussées, les cours de
parlement). Parmi les juridictions extra ordinaires, on a les intendants ou encore la cour des aides.

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Il y’a une dizaine de juridiction sous l’Ancien Régime : quand on un contentieux dans un domaine particulier,
il y’a un juge de ce domaine particulier, on fonctionnait par superposition à cette époque. Et à la fin de
l’Ancien Régime, on avait une dizaine de juges différents au point que c’est devenu très compliqué de savoir
qui est compétent (compétence générale et d’attribution, mais parfois les frontières pouvaient être floues).

Au sommet, on avait le Conseil du Roi, appelé parfois le Conseil d’état du Roi qui est un juge de cassation
et qui peut également juger au fond lorsqu’à lieu une évocation : c'est une procédure par laquelle le Roi
décide prendre à une juridiction un litige dont elle est saisie et demande au Conseil du Roi de le juger
directement. Ce conseil connait de tout : droit privé et public ; il n’y a pas de dualisme juridictionnel.

Cependant, au milieu du 17ème siècle, certains juges propriétaires de leur office, de leur charge de juge, ont
commencé à vouloir jouer un rôle politique pour encadrer l’absolutisme royal. Ces juges, ce sont les cours
de parlement (très nombreux). Ces cours de Parlement avaient des fonctions en matière d’administration,
des fonctions de justice, et puis elles avaient une troisième fonction de vérification et d’enregistrement des
lois du Roi : en effet quand le Roi adoptait une loi, à l’époque, on parle de loi mais le support textuel dans
lequel vient la loi s’appelle une ordonnance, un édit, une déclaration, une lettre patente… Ces actes royaux,
parce qu’ils contiennent une loi, doivent avant de s’appliquer dans le ressort d’une cour de parlement, être
vérifiées par elles, puis enregistré : c’est uniquement lorsque les actes sont enregistrés qu’ils s’appliquent.
D’ailleurs, entre la vérification et l’enregistrement, les cours de parlement peuvent dialoguer avec le Roi via
des remontrances.

Les parlements montrent une attitude de rébellion, de désobéissance et en 1648 il y’a eu la fronde des
parlements qui est menée par le parlement de Paris.

Les parlements considéraient toujours qu’ils faisaient partie du Roi à travers le corps mystique du Roi. Le
Roi va se défendre, comprenant qu’il est contesté et une grande partie des compétences de juge qu’avaient
les parlements ont été retiré et attribués aux intendants (ce sont des commissaires, ils sont révocables ad
newton) ; dans beaucoup de domaines où sont en jeu des questions administratives et des enjeux de l’État,
on va voir la compétence des intendants se renforcer de manière importante : sans dualisme juridictionnel,
on a beaucoup d’affaires confiées aux intendants : les contentieux plutôt privés sont laissés aux juges
ordinaires et les contentieux où sont en jeux les intérêts publics, sont prioritairement laissés aux intendants.
L'idée se développe selon laquelle dans les matières d'État et d’administration, ça a du sens que certains
juges sous contrôle de l’État, interviennent.

Y'a-t-il une justice administrative sous l’Ancien Régime ?

Non, il n’y a pas de justice spécialement aménagée pour connaitre du contentieux de l’administration. En
revanche, il y’a bien une justice en matière administrative et s’il y’a certaines juridictions à qui on confie
beaucoup de contentieux de l’administration, pour autant, on ne leur confie pas tout le contentieux de
l’administration, il en reste encore pour les juges ordinaires (notamment en ce qui concerne la police).

Section II : La Révolution.

En 1789, on fait table rase des institutions de l’Ancien régime et se pose la question de la refonte des
institutions juridictionnelles. Plusieurs députés vont faire des propositions : l’un d’entre eux s’appelle
Thouret. Il propose de créer des tribunaux d’administration : il dit qu’il faut établir dans chaque
département un tribunal d’administration qui jugera les affaires contentieuses relatives à l’administration et
à l’occasion de l’impôt : il parle d’un tribunal d’administration.

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Un autre député nommé Chabroud : il propose de confier tout le contentieux au juge judiciaire : il dit qu’il
ne faut pas créer inutilement d’autres tribunaux que les tribunaux judiciaires, qu’il ne faut rien excepter de
leur compétence. Chabroud propose en réalité le monisme juridictionnel et non le dualisme juridictionnel
comme Thouret.

Et puis, on a un autre député nommé Pezous Du Tarne : il fait une proposition alternative. Il propose que les
affaires qui dérivent de l’administration soient terminées par les corps administratifs eux-mêmes : sa
proposition revient à instituer le principe de l’administrateur-juge. Ce principe de l’administrateur-juge
s’inspire d’une pratique de l’Ancien régime. Pezous dit que ce sera le plus simple, économique, plus rapide.
Mais sa proposition est étonnante car il selon Montesquieu, il ne fait pas que ce soit celui qui administre qui
juge en même temps.

Le principe de l’administrateur-juge est entériné par une loi des 6,7 & 11 septembre 1790 : l’administration
se jugera elle-même, ainsi en a décidé le législateur : mais c’est problématique : si le juge a à juger la légalité
des actes qu’il a pris en tant qu’autorité administrative au préalable, s’il décide de déclarer illégal l’acte qu’il
a adopté au préalable, cela signifie qu’il se déjuge mais nos juges ne voudront très RAREMENT se déjuger.

Les recherches historiques menées sur le sujet n’ont jamais permis de comprendre pourquoi la théorie de
Pezous l’a emporté.

Section III : Le Consulat et l’Empire.


En 1799, le Conseil d'État est créé : c’est Bonaparte qui le créé (et non Napoléon). Et en 1800, on crée les
conseils de préfecture : ancêtre des tribunaux administratifs. C’est un moment très important car nous
avons un juge, le juge administratif n’est pas un administrateur qui exerce une fonction de juge, c’est un
JUGE.
Par ailleurs, le Conseil d’État a deux têtes : il exerce à la fois une fonction de conseil et de juge.

Ce Conseil d’État n’administre pas : il ne fait que juger quand il juge et il s’agit d’une justice retenue. On
parle de la justice administrative retenue : cela signifie que le Conseil d’État prépare des projets de décision
de justice et que le chef de l’État peut donner son véto : le chef de l’État a le droit de dire au vice-président
du Conseil d’État que ce projet c’est non. Le pouvoir exécutif retient la justice rendue en matière
administrative. C'est une grande différence avec la justice judiciaire dont les membres jouissent d’une
indépendance.

Les critiques adressées à la justice administrative de ce fait, sont extrêmement nombreuses et fortes. Ce
que l’on dit de cette justice est que son nom est suspect. Et par ailleurs, on dit que ce n’est pas une justice
libre et que c’est le pouvoir exécutif qui contrôle cette justice.
Napoléon, lorsqu’il a décidé de refonder le Conseil d'État, a exprimé a posteriori un point de vue intéressant
en expliquant qu’il avait besoin d’une justice en matière administrative qui puisse prendre en compte cette
portion d’arbitraire dont l'État a besoin. Évidemment Napoléon a admis que la justice est un modèle de
pouvoir et que rendre la justice en matière administrative impliquait que l’État contrôle cette justice (pour
préserver l’État).

En 1848, arrive la 2nd République : pour la première fois, la justice administrative est déléguée (comme
aujourd’hui). Cependant, dès le retour de l’Empire en 1852, elle redevient retenue. C'est pendant cet
intermède de justice déléguée que naît le Tribunal des conflits (né en 1848, supprimé en 1852).

Puis, avec le régime de l’Empire, la justice est de nouveau retenue et il faut attendre la République avec une
loi du 24 mai 1872 pour revenir à la justice administrative déléguée. C'est un moment absolument décisif
24
dans l’histoire de la justice administrative : on vit encore une justice déléguée, le juge administratif devient
libre de ses décisions de justice.

Est-il pour autant un contrôleur plus efficace que l'État ?

Oui, il a le pouvoir de censurer l'État, mais en a-t-il l’ambition ? Le Conseil d'État a toujours considéré que
son rôle était de défendre l'État et à travers l’État, l’intérêt général. Le CE ne considère jamais que lorsqu'un
requérant s’attaque à l’administration que la solution peut justifier qu’on fasse abstraction de l’impact
qu’aura la décision sur l’intérêt public. Le CE se pose constamment cette question : si je donne tort à
l’administration, cela causera-t-il un impact négatif sur l’intérêt général ? Si oui, il hésitera à annuler l’acte ;
son mode de raisonnement n’est pas déconnecté des acteurs : il se demande bien sûr si une norme respecte
une autre mais il se demande aussi ce que va entraîner l’annulation d’un acte d’une puissance publique. Il
considère que l’analyse de la légalité doit être menée en considération des effets des mesures qu’il doit
prendre.

À la même époque un peu plus tard, le CE rend un arrêt qui est assez célèbre de 1889 : l’arrêt CADOT. Dans
cet arrêt, le CE met fin aux résidus de justices qui existaient en matière administrative à travers la théorie du
ministre juge (il y’avait des cas où des ministres avaient des fonctions de juge).

Section IV : Le statut constitutionnel de la juridiction administrative.


Il convient de se demander : quel est le statut de la justice administrative ? La justice administrative existe
dans la Constitution, elle est prévue dans le cadre de la QPC (à l’article 61-1), on la retrouve aussi dans
d’autres articles. Et il existe par ailleurs une jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui reconnaît son
indépendance. On a donc à la fois une existence constitutionnalisée : l’existence du CE est mentionnée dans
la Constitution et on a aussi une indépendance constitutionnalisée : cette indépendance a été reconnue
dans un PFRLR. Ce dernier a été créé par une décision du Conseil constitutionnel en 1980 “loi de validation”.

Qu’est-ce qu’une loi de validation ?

Il arrive qu’un acte administratif soit adopté de manière illégale et que l’annulation à laquelle il est exposé
présente un risque pour l’intérêt général. Dans ce cas, le législateur peut valider l’acte administratif en
question et cette validation est encadrée par le droit (notamment le droit européen), elle doit être en
rapport avec un motif impérieux, elle ne peut pas avoir pour unique objectif d'entraver une décision de
justice et les effets de cette validation c’est de conférer à l’article de l’acte administratif ou à l’acte
administratif en entier, une valeur législative.

Cela confère donc le statut de loi à l’acte, la conséquence de cette validation est que l’acte administratif
devient insusceptible d’annulation par le juge administratif (il est protégé).

Dans cette décision de 1980, le Conseil Constitutionnel reconnaît l’indépendance des juridictions
administratives : ni le législateur, ni le Gouvernement peuvent empiéter sur les fonctions de la juridiction
administrative, ils ne peuvent pas adresser d’injonction à la juridiction, ils ne peuvent pas se substituer à la
juridiction dans le cadre d’un litige : en cela, les juridictions administratives sont indépendantes selon ce
principe constitutionnel.

Attention, il ne faut pas confondre l’indépendance de la juridiction avec l’indépendance des membres de la
juridiction. Les deux questions sont différentes : au sein du Conseil d'État, il n’y a pas de magistrats, l’article
64 de la Constitution sur l’indépendance de la magistrature ne s’appliquent pas à eux (au membres), ils ne

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sont pas inamovibles. Ils ont donc une indépendance moindre que les magistrats : ce sont des fonctionnaires
qui exercent des fonctions de juge.

Au sein des juridictions administratives du fond (la première instance & appel) on a des magistrats, ce ne
sont pas des fonctionnaires. Ils jugent comme le font les fonctionnaires du Conseil d’État. On peut très bien
avoir un magistrat qui ne juge pas, on peut avoir également des fonctionnaires qui jugent.

Section V : Le rattachement de la juridiction administrative à l'État.


La justice est rendue de manière indivisible au nom de l’état par toutes les juridictions nationales, quelle
que soit la personne morale à laquelle elle peut être rattachée (CE, Madame Popin, 2004). Ce principe nous
rappelle que lorsque des institutions (comme une université) contiennent en leur sein, une formation
disciplinaire (pour juger des enseignants-chercheurs) si cette formation disciplinaire a le caractère d’une
juridiction administrative, alors même si la formation disciplinaire est interne à l’établissement, parce qu’il
s’agit d’une juridiction, la justice est rendue au nom de l'État.

Il ne faut pas non plus oublier que les juridictions nationales sont en quelque sorte “souveraines” : cela
signifie il n’y a pas de degré de juridiction plus élevé que la Conseil d’État dans l'ordre juridictionnel
administratif ou la Cour de cassation dans l’ordre juridictionnel judiciaire. Ce sont nos plus hautes
juridictions. Quand bien même la France serait condamnée par la Cour Européenne des Droits l’Homme à
cause d’une décision du CE ou de la CC, quand bien même la Cour Européenne reconnaîtrait que le CE a violé
le droit européen et que la France a commis une faute, le droit européen ne peut pas invalider une décision
de justice nationale, il ne peut que la condamner. La portée de la décision de la Cour Européenne sera de
déclarer une violation. Mais le bienfondé juridique, la chose jugée demeurera retenue. Le CE ou la CC n’a
pas de degré de juridiction au-dessus de lui.

C’est un élément important parce que cela rappelle que dans l’État, la justice est rendue au plus haut niveau
par des organes DE l’État, or la CJUE ou la CEDH ne sont pas des juridictions de l’État, ce sont des juridictions
d’organisation internationale.

Chapitre II : L’organisation de la juridiction administrative.

Il existe une grande diversité de juridictions administratives : nous avons des juridictions administratives
de droit commun, elles sont les plus connues (tribunaux administratifs, cours administratives d’appel, le CE)
et des juridictions administratives spécialisées (La Cour des comptes). Mais au sein de ces JAS, un grand
nombre ne sont pas officiellement instituées comme étant des juridictions, et pour autant elles le sont.

Il apparaît donc nécessaire de se poser la question suivante : qu’est-ce qu’une juridiction ?

C'est un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre et on a parmi les meilleurs auteurs du droit administratif
français qui ont dédié des travaux, articles à cette question sans forcément déboucher sur une réponse
simple, satisfaisante.

Lorsque l’administration administre, elle édicte des actes, elle effectue des opérations matérielles.
Lorsqu’elle adopte des actes, elle DIT le droit. Le juge, lorsqu’il juge, il dit également le droit : c’est un travail
de diction du droit.

L’acte administratif est obligatoire, la décision de justice également. L’acte administratif naît parfois de
l’initiative de l’administrateur, mais aussi de la contestation d’un administré. Le juge rend une décision à la
suite d’une contestation en justice : il y’a beaucoup de points communs entre administré et juge.

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Comment identifie-t-on une juridiction ?

Il arrive qu’un texte qui a créé une autorité, indique que l’autorité est une juridiction. Mais la qualification
peut être aussi indirecte : le texte peut prévoir qu’un organisme a été créé, et qu’il rend des jugements (ce
qui signifie qu’indirectement, il est qualifié de tribunal). Il est possible qu’il ne soit pas précisé que
l’organisme rend des jugements, mais qu’il soit mentionné que les décisions qu’il prend ont l’autorité de la
chose jugée : si c’est le cas, c’est un indice qu’on a un tribunal.

Enfin, si nous ne savons pas tout cela mais que le texte qui a institué l’organisme indique que pour contester
cette décision on peut faire un recours en cassation, alors cela signifie que c’est une juridiction.

Toute juridiction doit être créée par le DROIT. Toute juridiction doit échapper au pouvoir hiérarchique, toute
juridiction rend des décisions qui ont l’autorité de la chose jugée (force de la décision une fois rendue).
Lorsque le délai de recours contre la décision a expiré, on dit qu’elle est « passée en force de chose jugée ».
Lorsque nous avons des juridictions, elles doivent être collégiales, si c’est une autorité qui n’a pas été
officiellement qualifiée de juridiction et que cette autorité peut avoir un double visage (être tantôt une
administration, tantôt une juridiction : c’est possible, par exemple le CSM (Conseil Supérieur de la
Magistrature)), alors elle a une fonction de répression disciplinaire (qui est le critère matériel exigé pour
identifier la juridiction administrative : CE, assemblée, 1953 De Bayo).

Section I : La diversité des juridictions administratives.

Au sein des juridictions administratives de droit commun, nous avons en quelques sortes les grands
classiques : des cours administratives d’appel, le Conseil d'État ou encore les tribunaux administratifs.

Pour commencer, le tribunal administratif est la juridiction administrative de “proximité”. C’est le premier
échelon. Elle a une compétence territoriale définie par le texte qui l’institut et la règle première qui est
prévue par le Code de justice administrative : la règle est qu’est compétent le TA dans le ressort duquel à
son siège l’autorité qui a pris la décision attaquée. Mais il existe des exceptions à cette règle en matière de
police notamment : lorsqu’une décision de police administrative est contestée, ce n’est pas le ressort
territorial de l’autorité auteur de l’acte qui compte, c’est le lieu de résidence de la personne destinataire
de la mesure de police.

La question est donc : où résidez-vous et quel est le tribunal administratif compétent dans le ressort
géographique de votre lieu de résidence.

Exception à l’égard des décisions des fonctionnaires non-territoriaux (la fonction publique de l’État, la
fonction publique territoriale, la fonction hospitalière) : s’agissant des fonctionnaires non-territoriaux, les
litiges d’ordre individuel relèvent du tribunal correspondant au lieu d’affectation du fonctionnaire.

Il y’a aussi une exception en matière de contrats : le critère est que le tribunal compétent dans le ressort
du lieu d’exécution du contrat (toutes les exceptions figurent à l’article R312-10, 11, 12 et autres du CJA).

Nous avons également des règles particulières quant au TA de Nantes qui a une compétence pour tout ce
qui concerne les demandes de visa pour entrer sur le territoire. Ici, quel que soit le lieu de résidence d’une
personne, dès lors qu’il est question d’une demande de visa pour entrer sur le territoire et qu’un litige naît,
c’est le TA de Nantes.

27
Autre règle spécifique au TA de Paris : cette règle c’est que le TA de Paris est compétent lorsqu’un litige ne
semble relever d’aucun TA (litige dans une ambassade à l’étranger par exemple).

Les tribunaux administratifs sont organisés de telle manière à ce qu’ils jugent de manière collégiale : la
collégialité est la règle, elle apporte des garanties (la justice est bien rendue), on commet moins d’erreurs.
Mais la collégialité est un coût et l'État qui est soumis à des attentes contradictoires (justice rapide et
efficace) est contraint de trouver une solution : notamment le recours au juge unique. Les cas concernés
sont définis par l’article R222-13 du CJA avec une liste de domaines dont le pouvoir règlementaire a
considéré qu’il s’agissait de cas où le risque du juge unique était moins gênant que dans d’autres cas
(contentieux de masse, de répétition, le juge a tendance à juger les mêmes questions) :

• Les aides et l’action social


• Logement
• Notation et évaluation des agents publics
• Des pensions
• Certains impôts locaux
• Le concours de la force public pour exercer une décision de justice
• Le permis de conduire
• Etc.

Le juge administratif est le premier juge : c’est le juge du fond, cela signifie que le tribunal juge un LITIGE
(juge en fait et en droit, avec pouvoir d’instruction entier), ce qui n’est pas le cas du Conseil d’État qui juge
en cassation. Mais il y’a des cas où la Cour administrative d’appel est saisie en premier, de même pour le
Conseil d’État.
Mais, la plupart du temps c’est le TA qui est saisi en premier. Il est parfois saisi le premier et on appelle ça
une “saisie en premier ressort”.

Y'a-t-il toujours une possibilité de faire appel ? Par toujours : on dit alors que le TA juge en premier et dernier
ressort et s’il y’a appel, il est juge qu’en premier ressort.

Dans certains domaines, le TA est juge en 1er et dernier ressort : il ici faut consulter l’article R811-1 du CJA.
Les Cours administratives d’appel peuvent être saisies en premier ressort : ce dispositif existe depuis 2017,
notamment en ce qui concerne la Cour administrative d’appel de Paris dans des litiges qui concernent la
délivrance par le ministre de la Culture de visa d’exploitation cinématographique, etc.
S’agissant de la Cour administrative d’appel de Nantes, elle a également une compétence en premier et
dernier (article R811-4 du CJA).

Le Conseil d'État est également susceptible d’être juge en premier ressort : quand c’est le cas il l’est en
premier ET dernier ressort ; les domaines concernés sont précisés à l’article R311-1 du CJA.

Article R311-1 du Code de Justice Administrative : le Conseil d'État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort

1° Des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets ;
2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre
leurs circulaires et instructions de portée générale ;
3° Des litiges concernant le recrutement et la discipline des agents publics nommés par décret du Président de la République
en vertu des dispositions de l'article 13 (troisième alinéa) de la Constitution et des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 58-1136
du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'État ;
4° Des recours dirigés contre les décisions prises par les organes des autorités suivantes, au titre de leur mission de contrôle ou
de régulation : l'Agence française de lutte contre le dopage ; l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ; l'Autorité de la
concurrence ; l'Autorité des marchés financiers ; l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, sous
réserve des dispositions de l'article R. 311-2 ; l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ;
l'Autorité nationale des jeux ; l'Autorité de régulation des transports ; l'Autorité de sûreté nucléaire ; la Commission de
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régulation de l'énergie ; la Commission nationale de l'informatique et des libertés ; la Haute Autorité pour la transparence de
la vie publique ; la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
5° Des actions en responsabilité dirigées contre l'État pour la durée excessive de la procédure devant la juridiction
administrative ;
6° Des recours en interprétation et des recours en appréciation de légalité des actes dont le contentieux relève en premier et
dernier ressort du Conseil d'État ;
7° Des recours dirigés contre les décisions ministérielles prises en matière de contrôle des concentrations économiques ;
8° Des recours de plein contentieux dirigés contre les décisions d'occultation ou de levée d'occultation prises en application des
dispositions de l'article R. 741-15 ou du troisième alinéa de l'article R. 751-7.

La juridiction d’appel, indépendamment de ce premier ressort, que fait-elle ?

C’est une juridiction d’APPEL. L’appel n’est pas suspensif : il ne suspend pas l’effet rendu par la décision de
première instance qui s’applique et qui est exécutoire. L’appel n’est pas suspensif sauf textes spéciaux et
sauf si le juge d’appel prononce ce qu’on appelle un sursis à exécution de la première instance : il peut
prononcer le sursis s’il estime que l’exécution de la première décision peut entraîner des conséquences
difficilement réparables + moyens difficiles du requérant.

Et puis, on a une deuxième règle qui est l’effet dévolutif de l’appel : le juge d’appel à titre liminaire, juge
deux choses : il juge le jugement et il rejuge le litige. Pour qu’un jugement passe le filtre de l’appel, il faudra
d’abord voir si la justice a été rendue dans de bonnes conditions : par exemple, s’il devait y avoir collégialité
et qu’au final il y’a un juge unique, alors ça ne va pas. Ce genre de questions sont indépendantes du contenu
même de l’affaire.

Et il y’a des règles pour rendre la justice indépendamment de ce qu’on va écrire dans la décision de justice.
Une fois que les règles de forme ont été examinées, alors on va regarder le CONTENU (le fond) de la décision
de justice. Et là, le juge d’appel va rejuger en ayant la possibilité de procéder à une nouvelle instruction en
entier s’il le souhaite. C'est ça qu’on appelle l’effet dévolutif de l’appel : le juge d’appel assure le règlement
complet de l’affaire en tranchant les questions de fait, de droit avec un pouvoir d’instruction.

Quelles sont les juridictions d’appel (c’est-à-dire les juridictions qui possèdent une compétence en matière
d’appel) ?
• Les cours administratives d’appel ;
• Des juridictions administratives spécialisées d’appel qui ne connaissent QUE du contentieux
;
• Le Conseil d'État : c’est également une juridiction d’appel dans certains cas, notamment en
matière de contentieux d’élection municipale et cantonale, en matière d’ordonnance de référé-
liberté (c’est une voie de recours juridictionnelle en extrême urgence) ;
• La cassation : c’est une fonction juridictionnelle exercée uniquement par le Conseil d’État :
elle concerne les arrêts de la Cour administrative d’appel, des juridictions administratives
spécialisées d’appel & les jugements des tribunaux administratifs rendus en premier et dernier
ressort.

En quoi consiste la cassation ?

La cassation c’est l’examen par le Conseil d'État de la régularité externe de la décision de justice qu’il
contrôle et le respect de la règle de droit. Le Conseil d’État et d’ailleurs la Cour de cassation fait la même
chose : dit ce qu’est la règle de droit, il rappelle ce que c’est.

Grâce au Conseil d’État, toutes les juridictions du fond savent que pour garantir l’égalité des lois, il faut
appliquer la loi de la même manière sur tout le territoire : par exemple, la jurisprudence de Paris doit être la
même que celle de Marseille ou de Bordeaux, car il y’a un principe d’unité dans l’application de la norme

29
dans tout le territoire français. Sous l’Ancien Régime, lorsque la loi était adoptée (acte royal qui passait par
des lettres patentes) et bien ces lettres patentes, avant qu’elles ne s’appliquent, faisaient l’objet d’un
contrôle (la vérification) par les cours souveraines, puis elles devaient être enregistrées mais la plupart du
temps, elle était enregistrée que dans certains endroits. La fonction de la cassation est donc d’uniformiser
la règle sur tout le territoire.

Lorsque le Conseil d'État a cassé, quels sont les effets de la cassation ?

Le principe est que le Conseil d’État renvoi devant le juge du fond compétent pour qu’il se prononce à
nouveau. Une autre formation une autre juridiction. Il peut cependant, dans l’intérêt d’une bonne
administration de la justice, juger lui-même : on appelle ce procédé « l’évocation ». C'est un vieux mot qui
existait depuis l’Ancien Régime et c’était mis en place par le Conseil du Roi : lorsqu’il considérait que l’affaire
était très importante pour l’État, dépossédait une juridiction de sa compétence et jugeait lui-même
(aujourd’hui, c’est possible : mais c’est encadré).

Quels sont les cas concernés ?

Lorsque le Conseil d’État casse pour la deuxième fois, il ne renvoie pas la troisième fois et il juge au fond.
Indépendamment de cette hypothèse, lorsqu’il considère qu’est en jeu un point important de
l’administration de la justice (délai raisonnable par exemple), il peut juger au fond.

Les juridictions administratives spécialisées :

Les juridictions spécialisées sont appelées comme ça quel car ce ne sont ni les TA ni les CA : ces juridictions
sont parfois QUE des juridictions et parfois elles sont la figure juridictionnelle d’un organisme. En effet, un
organisme peut être systématiquement un JAS (la Cour des comptes) mais aussi un organe administratif ou
juridictionnel.

Quand on est en présence d’un organisme et qu’on veut savoir s’il est ou non une juridiction : quelles
questions on se pose ?

o Y'a-t-il une qualification explicite ? L’organisme a-t-il bien été créé par la loi ? (Si non,
ce n’est pas une juridiction, article 34 de la Constitution).
o Si on n’a pas de qualification explicite, il peut y avoir une qualification implicite (portée
des décisions : jugement, décision avec autorité de la chose jugée).
o Il faut une indépendance : cela signifie une non-soumission à un pouvoir hiérarchique.
o Il faut également la collégialité.
o Il faut également le respect du contradictoire.
o Il faut un critère matériel : on renvoi au contenu d’une exigence. En l’espèce, ce critère
matériel s’appelle l’existence d’une mission de répression disciplinaire (selon l’arrêt De
Bayo, 1953 CE Assemblée).
o Il faut que ce soit une personne publique.

Une MRD (mission de répression disciplinaire) c’est l’action infliger une sanction de nature disciplinaire à
quelqu’un. Si ce critère fait défaut à l’égard d’un organisme qui n’est pas explicitement qualifié de juridiction,
alors on ne peut pas considérer que c’est une JAS.

Parfois, la jurisprudence nous informe sur la nature d’un organisme : un arrêt du CE peut préciser si tel
organisme est une JAS (CE Assemblée, 1969 : jurisprudence l’étang) : dans cet arrêt le CE considère que le
CSM, lorsqu’il prononce une sanction à l’égard du magistrat du siège (et non du parquet), il se comporte en
tant que JAS. Le CSM rend alors une décision de justice administrative. Ce n’est pas un acte
d’administration.
30
En conclusion, il faut d’abord voir si l’organisme est créé par la loi ; ensuite si la loi définit explicitement la
juridiction ; si ce n’est pas le cas si la loi donne des éléments implicites ; à défaut, y’a-t-il une jurisprudence
qui permet d’identifier la juridiction administrative spécialisée ; à défaut on a alors le faisceau d’indice : si
c’est bien collégial, respectueux du contradictoire de la défense…

Section II : Le caractère unitaire de la justice administrative.


L'enjeu de ce point est de montrer qu’au sein de l’organisation de la justice administrative, existe des
dispositifs différents qui contribuent à ce que le droit soit uniformément appliqué et à ce que la justice
administrative elle-même, soit régulée de manière que l’uniformité soit renforcée. Cette uniformité c’est un
devoir car les individus, lorsqu’ils sont justiciables ont aussi le droit à ce que les lois s’appliquent de manière
uniforme pour tous au-delà des normes qui posent ces règles.

Il ne faut pas, au nom de la République, qu’il y ait dans une juridiction, une politique jurisprudentielle qui
diffère d’une autre. Mais en réalité, c’est bien plus compliqué parce que réel est toujours plus complexe que
ce que le législateur a imaginé et anticipé, survient toujours un cas ou un problème nouveau et le juge du
fond (qui a été saisi) peut être en difficulté : il réfléchit à la façon à appliquer la règle générale à son nouveau
cas mais il peut commettre une erreur.

Le Conseil d’État va alors, à travers différents dispositifs, garantir l’unité de la justice administrative.

Le principe est que la justice est rendue de manière indivisible au nom de l’État par toutes les juridictions
nationales : jurisprudence Popin, CE, 27 février 2004 ; c’est un arrêt très important qui a une dimension
constitutionnelle.

Comment favoriser l’unité de la justice administrative ?

Il y’a bien sûr le pourvoi en cassation : le CE considère qu’il en est investi “en vertu des pouvoirs généraux
de régulation de l’ordre juridictionnel administratif” (jurisprudence du CE de 1999, Société Coopérative
Agricole de Brinon). C’est un pouvoir de régulation (comme l’horloger qui remet les pendules à l’heure).
Au-delà de la cassation, il y’a les avis contentieux : le principe des avis contentieux est lié à une loi du 31
décembre 1987 qui prévoit la possibilité que des juridictions du fond saisissent le CE pour obtenir un avis
contentieux (ce dispositif est encadré dans le CJA, dans les articles L131 et R113).

On donc l’idée générale selon laquelle le CE a une double fonction : il est juge et conseil du Gouvernement
et du Parlement. Lorsque le CE rend des conseils, il émet des avis qui ne sont pas contentieux car ils sont
rendus dans le cadre de l’activité de conseil du CE et non pas dans le cadre de la fonction juridictionnel.
Le principe des avis contentieux est donc autre chose que les avis du CE comme conseil.

Le CE va être consulté par le juge du fond sur une question de droit : est-ce que le juge du fond peut
demander au juge du CE de juger à sa place ? Non car il deviendrait un CE incompétent puisqu’il y’a des
textes qui déterminent la compétence des juridictions administratives.

Il y’a des conditions quant à la demande d’avis contentieux :

• Il faut que la requête dont est saisi le juge du fond pose une question de droit nouvelle ;
• Qui présente une difficulté sérieuse ;
• Qui se pose dans de nombreux litiges ;
• La question est une question générale : elle n’est pas connectée à des faits particuliers.

Le CE a 3 mois pour rendre un avis, cet avis contentieux n’est pas contestable en justice, il n’a pas l’autorité
de la chose jugée mais son avis fait une autorité morale.
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En pratique, le cas est le suivant : le juge du fond ne sait pas quoi faire, et plutôt que de prendre le risque de
se rendre dans une voie périlleuse et que par la suite, le CE le désavoue à travers la cassation, le juge du fond
préfère poser une question au CE avant de lui-même trancher le litige, il ne peut donc pas exposer les faits,
il ne peut pas donner les possibilités au CE de mesurer l’impact de sa décision. Le juge du fond sursoit à
statuer dans l’attente de la réponse à venir et lorsque la réponse vient, il en prend connaissance et s’en
inspire.

Au sein de la justice administrative, il y’a des principes de fonctionnement identiques, notamment la règle
de l’impartialité qui est fondamentale. L'impartialité c’est le fait de ne pas prendre parti, c’est une règle du
procès équitable de l’article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, c’est un principe
général de droit (dans la jurisprudence KARSENTY du CE, 2005). Le principe implique que le juge ne doit pas
avoir de préjugés pour ou contre une partie au litige.

Il existe deux types d’impartialité que l’on distingue habituellement : l’impartialité subjective et
l’impartialité objective.

L’impartialité subjective : elle concerne la personne même du juge, ses opinions, son attitude. Celles-ci ne
doivent pas permettre de soupçonner une volonté de favoriser une partie.

L'impartialité objective : se rapporte non pas à l’attitude, mais à la nature des fonctions exercées
successivement par le juge ou à l’organisation de la juridiction. Ces éléments ne doivent pas conduire à
considérer qu’il a existé un préjugement qui rend le jugement partial. C'est l’exemple du juge qui examine
deux fois la même affaire. C'est encore le cas si un juge se prononce en prenant position sur une question
qui fera ensuite l’objet d’une autre instance. Par exemple, dans les recours juridictionnels, il en existe qui
sont rapides (urgents) et il y’a notamment le recours en référé-suspension (défini à l’article L521-1 du CJA).
Ce recours se fait en deux étapes, tout d’abord c’est un recours accessoire : c’est-à-dire que ce recours en
référé-suspension ne peut pas s’exercer seul. Il s’exerce à côté d’un autre recours sui est le recours principal
et non accessoire.

Ce recours accessoire, son objet est d’obtenir la suspension d’un acte (jusqu’à ce que le juge du fond dise
que l’acte est légal ou illégal).

Est-ce que le fait que notre juge soit à la fois un juge et un conseil pose un problème ?

La question a déjà été posée : en effet, quand le Conseil d’État dit au Premier Ministre que le projet de décret
est légal et après qu’il y’a un recours devant le Conseil d’État contre le décret adopté par le Premier Ministre
: ne peut-on pas pensé que le CE a préjugé puis jugé ?

Ce qui est en jeu ici, c’est le dualisme fonctionnel du CE. Cette question a été posée au contentieux devant
la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 1995 dans l’arrêt PROCOLA C/ Luxembourg : dans cette
affaire, un membre de la formation de jugement s’était prononcé exprimé en amont par un avis sur la légalité
d’un texte qui a ensuite été jugé par le CE luxembourgeois (visage conseiller/juge).

La Cour Européenne des Droits de l’Homme sanctionne le Luxembourg expliquant qu’il y’a un problème
d’impartialité objective : le Luxembourg tire une conséquence radicale de cette condamnation et coupe la
tête juridictionnelle du CE et confie le contentieux administratif à une formation spécialisée dans l’ordre
judiciaire. Le CE luxembourgeois ne garde que la tête du conseiller du Gouvernement.

En France, lorsque cet arrêt est rendu, c’est évidemment un grand motif d’interrogation car nous avons aussi
un CE à deux têtes, nous sommes même le pays ayant opéré ce choix. Également, le CE dans le système
français est l’organe qui tient l'État, c’est l’organe le plus puissant et important de l'État.

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Quelques années après, un décret du 6 mars 2008 intervient en France : il prévoit que lorsqu’un recours est
exercé par le CE, contre un acte pris après avis du CE, le Président de la section administrative qui a délibéré
sur l’avis, ne peut pas siéger dans la formation juridictionnelle et que les membres du CE d’une manière
générale qui se sont exprimés sur l’avis, ne peuvent pas siéger dans la formation qui tranche le litige.

En 2002, un livre intitulé La fabrique du droit : une ethnographie du CE, est publié par Bruno Latour. Ce que
l’on apprend c’est que Bruno Latour a fait un stage au CE en tant qu’observateur chercheur, il a pu assister
à des délibérés. Et qu’il a compilé beaucoup d’analyses. Dans le livre, il montre que la pratique est très
répandue au sein des formations de jugement de discuter de ce que les collègues du CE on fait.

Quand bien même le décret nous explique que nous avons deux sphères différentes, il n’en demeure pas
moins que c’est une institution unique. Tous les collègues qui se connaissent se partagent des réflexions et
des analyses.

Un autre décret du 23 décembre 2011 : précise que lorsque des membres du CE jugent une affaire, un texte
ayant donné lieu à un avis, ils ne peuvent pas prendre connaissance de ces avis s’ils n’ont pas été rendus
publics.

Il faut savoir également que les règles du procès ont été adaptées en tenant compte du droit européen.
Le rapporteur public (anciennement commissaire du gouvernement) est un membre de la juridiction
administrative ; il n’est pas là pour représenter le Gouvernement mais il expose en public son opinion sur la
question à juger (c’est une définition issue de l’arrêt Gervaise de 1957, rendu par le CE).

Mais ce rapporteur public peut-il participer aux délibérés ?

Quant à la réponse de cette question, un décret est intervenu le 1er août 2006 et a modifié l’organisation
du Conseil : ce que prévoit le décret c’est que le rapporteur public (le commissaire du gouvernement) ne
peut pas être présent aux délibérés devant le juge du fond (Tribunal administratif et Cour d’appel) mais qu’il
peut assister aux délibérés devant le CE à condition d’être MUET + si une partie s’oppose, il dégage et
n’assiste pas au délibéré.

Est-ce que cela a un intérêt que le rapporteur public assiste aux délibérés ?

Oui, le rapporteur public est en quelques sorte “la femme ou l’homme de doctrine au sein du CE”. Il réfléchit
au long terme, avec une vue qui est censée être large, il regarde les enjeux de cohérence, d’opportunité en
analysant le système du droit administratif.

Certains rapporteurs publics ont écrit des conclusions de haut niveau qui permettent d’avoir une vraie vision
des enjeux du droit administratif. Et donc, le fait qu’ils assistent aux délibérés n’est pas inutile car cela permet
de savoir quelles ont été les hésitations, leur conviction et le raisonnement (des juges).

Cette impartialité a été consacrée par le droit européen à travers l’article 6§1 de la Convention Européenne
des Droits de l’Homme et par le pan législatif par l’article L131-2 du CJA.

En pratique, le Conseil d’État n’applique pas à la lettre ces principes. En réalité, il y’a une faille.
L'indépendance caractérise aussi les membres d’une juridiction : la juridiction dans tous les cas est
indépendante. Mais, s’agissant des membres mêmes, on a des fonctionnaires au CE et des magistrats devant
les juridictions du fond. L'inamovibilité ne s’applique pas aux fonctionnaires.

Dans toutes les juridictions administratives, le contradictoire c’est un principe général du droit (d’après la
jurisprudence du Conseil d’État, 1961, Société La Huta) : c’est un principe fondamental du droit au procès
équitable (selon une jurisprudence de la CEDH en 2001, arrêt Kress).

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En quoi consiste ce droit ?

Ce droit consiste à informer le défendeur de l’existence du procès ; informer les partis de l’état du dossier ;
permettre aux parties de répondre aux observations de la partie adverse dans un délai raisonnable.
Mais sur la note de rapporteur : de quoi et de qui s’agit-il ?
Plus haut, nous avons parlé du rapporteur public, mais il existe au sein de la juridiction administrative un
autre rapporteur.

Lorsqu’une requête est déposée devant une juridiction, il faut vérifier si la requête est bien déposée devant
la bonne juridiction, si les pièces sont jointes au dossier, si les délais sont bien respectés, si en amont
l’exigence d’un recours gracieux a bien été sollicité : ce dernier (le rapporteur) dresse l’état des lieux, des
choses qui ont été respectées ou non (demande de l’ajout des pièces, de compléter le dossier...).
Mais à qui est confiée cette note ? Au rapporteur public.

Aux parties ? Non.


Est-ce un problème que les parties n’en dispose pas par rapport aux normes européennes ?

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a été saisie en 2013, elle a rendu une décision nommée : Marc
Antoine contre France. La CEDH dit que le requérant n’est pas placé dans une situation contraire aux
exigences de l’article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme s’il ne reçoit pas la note du
rapporteur alors que le rapporteur public lui, l’a reçoit.

Un autre point sur inhérent à l’organisation du procès a été pointé : il concerne la communication par le
rapporteur public du sens de ses conclusions. Le rapporteur public participe aux procès, il propose à la
juridiction une solution aux litiges, mais les parties doivent-elle avoir connaissance de cette proposition
faite par le rapporteur public ? La réponse est oui. Et ce, avant l’audience. Cela est précisé par un article
règlementaire (R711-3 du CJA) depuis 2009.

Le Conseil d’État ajoute des précisions : dans un arrêt de 2013 (Communauté d’Agglomération du Pays de
Martigues) : le CE dit que l’objet de cette information est de permettre au requérant d’apprécier
l’opportunité d’assister à l’audience. Comme nous le savons, devant la juridiction administrative on a des
conclusions et on peut apporter des précisions lors de l’audience. Si on connaît à l’avance le sens des
conclusions, on peut considérer qu’on a un intérêt à être présent à l’audience pour répondre après que le
rapporteur public a présenté ses observations.

Cette information permet aux parties de présenter des informations orales et même de présenter une note
en délibéré. La note en délibéré est une note que la partie formule et qu’elle confie au juge avant qu’il ne
délibère.

Quelle est la portée du sens des conclusions ? Le sens des conclusions, ce sont les éléments des dispositifs :
ce sont les raisons qui conduisent à rejeter la requête.

Est-ce que c’est une raison de fond ? Est-ce un motif de recevabilité ? Quelle est la différence entre
recevabilité et fond ?

Lorsqu’une juridiction est saisie, elle se pose 3 séries de questions dans un ordre précis :

• Est-ce que la question (du litige) existe encore ? Si non, alors il y’a un NON-LIEU à statuer.
• S’il n’y a pas de non-lieu à statuer, est-ce que la juridiction est compétente ? c’est-à-dire
compétente au sein de l’ordre juridictionnelle et compétente ensuite au regard d’autres
juridictions de nature différente. Et un juge qui pense avoir incompétemment saisi doit décliner
sa compétence.
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• Est-ce que la requête est recevable ? C’est la recevabilité du recours qui est en jeu ici. En
réalité, il y’a plusieurs choses qui font qu’une requête peut être irrecevable notamment :
l’écoulement du temps (2 mois), oubli de joindre au recours l’acte qu’on veut faire annuler, le
ministère de l’avocat : lorsqu’il est obligatoire, s’il n’est pas là, alors la requête n’est pas
recevable, l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) : s’il est exigé, pour
faire un recours, qu’il faut en amont un RAPO et qu’on ne le fait pas, alors la requête est
irrecevable.

Une fois qu’il n’y a pas de non-lieu à statuer, une fois qu’il n’y a pas de problème de compétence, une fois
qu’il n’y a pas de problème de recevabilité, alors le juge regarde le fond de la requête c’est-à-dire le caractère
bien fondé des arguments que le requérant a utilisé. Si les moyens sont convaincants, le juge pourra annuler
un acte.

Chapitre III : La compétence du juge administratif.

Il y’a plusieurs sujets dans ce sujet, un des sujets pourrait être de déterminer quel est le juge administratif
compétent au sein des juges administratifs compétents. L'autre sujet c’est le juge administratif au regard
de son homologue judiciaire : la question ici est celle de la dualité des juridictions.

Section I : La distinction de la compétence des deux ordres de juridiction.


Quand est-ce qu’un juge est compétent ? C’est une question qui n’est pas simple : la compétence des juges
est-ce que l’on appelle une question d’ordre public, cela signifie que la compétence s’impose aux
juridictions, ils n’en disposent pas et qu'ils sont également tenus de reconnaître leur incompétence
lorsqu’elle existe.

§1 : La compétence du juge administratif.

Avant de rentrer dans la technique, il faut savoir que depuis que la justice administrative existe, elle est
contestée en raison des liens qui unissent l’administration et la justice, mais aussi contestée à travers le
droit législatif : il y’a régulièrement des propositions de lois visant à ce qu’on change la juridiction
administrative (voire qu’elle soit supprimée).

Qu'en est-il du statut de cette justice administrative ? Existe-il des domaines de compétence de ce juge
qui seraient protégés au point de vue de la constitution ?

C'est le cas : il existe une réserve de compétence du juge administratif qui est constitutionnalisée. Dans une
décision du 1987 (Conseil de la concurrence), le Conseil Constitutionnel a rendu une décision tout à fait
importante. En effet, il a reconnu qu’en vertu d’un PFRLR, il existe un domaine de compétence
constitutionnellement réservé au juge administratif.

Il est vrai que cette décision ne décrit pas l’étendue du périmètre des compétences du juge administratif,
mais elle pose en tant que tel un verrou à toute tentative législative de mettre fin à sa compétence, ce que
le Conseil Constitutionnel dit c’est que vous pouvez limiter la compétence du juge administratif mais si vous
allez dans cette direction, il existe une limite constitutionnelle et cette limite c’est la suivante : « Il relève
du monopole du juge administratif, en dernier ressort, l’annulation ou la réformation des décisions prises
dans l’exercice des prérogatives de puissance publique par les autorités exerçant les pouvoirs exécutifs leurs
agents, les collectivités territoriales, ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ».

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Le juge administratif doit donc rester seul compétent, d’après la Constitution, dans tous les cas d’annulation
(faire disparaître un acte de manière rétroactive) ou dans le cas de la réformation d’une décision (le fait de
modifier quelque chose).

Que signifie le mot décision ? La décision c’est une catégorie d’acte administratif, il en existe
fondamentalement deux : les décisions (qui sont des actes unilatéraux) et les contrats qui sont des actes bi
ou multilatéraux.

Dans l’exercice de prérogative de puissance publique : que signifie cette expression ? Nous sommes face à
une difficulté qui est la suivante : une définition renvoi à un terme qui lui-même doit être défini pour que la
suite soit compréhensible. Mais, il n’existe pas de définition juridique dans les textes de ce qu’est une
prérogative de puissance publique. Ce qui est certain c’est que la prérogative de puissance publique renvoie
à des habilitations publiques et qu’elle est propre à la figure de la puissance publique.

Il y’a ensuite 2 exceptions :

• Ne relève pas du monopole constitutionnalisé du juge administratif les matières réservées


PAR NATURE à l’autorité judiciaire (notamment la liberté & propriété).
• Au nom de la bonne administration de la justice, le législateur peut très bien unifier les règles
de compétences y compris en empiétant, en neutralisant le fameux considérant du principe de
la décision de 1987.

Au tout début de la décision du Conseil Constitutionnel, est mentionné quelque chose qui a été jugé comme
quelque chose d’important : il est indiqué que les articles 10 & 13 de la loi des 16 & 24 août 1790 et du
décret du 16 fructidor III, qui ont posé dans sa généralité le principe de la séparation des autorités
administratives et judiciaires, n’ont pas en eux même une valeur constitutionnelle : pour comprendre cela,
il faut faire un retour en arrière. Sous l’Ancien Régime, les cours de parlement avaient pris la résolution de
contester l’absolutisme royal et notamment ses manifestations administratives. Cela se traduisait par des
remontrances au Roi de France lors de la vérification des lois (les cours de parlement expliquaient au Roi que
les lois étaient mal adaptées), cela se traduisait dans l’activité juridictionnelle des cours de parlement, qui
acceptaient d’être compétentes dans des domaines pourtant confiés par des édits royaux aux intendants.
Ce qui était reproché aux parlements, c’était de s’immiscer dans l’activité administrative à travers le
contrôle des lois.

À l’époque révolutionnaire, les deux textes mentionnés posent le principe de la séparation des autorités
administratives et juridictionnelles.

Quelle est la signification de ce principe ?

La signification de ce principe doit être analysé de deux points de vue :

1 : celui de l’histoire contemporaine de ces textes, c’est-à-dire la signification de ces textes tels quel.
2 : la signification de ces textes tels qu’ils ont été interprétés a posteriori.

Lorsque ces textes sont adoptés, leur portée est la suivante : le juge ne doit pas à travers ses fonctions de
juge, essayer d’administrer. Le juge n’est pas administrateur. Pourtant, la réciproque existe puisque
l’administrateur est juge en 1790 ; mais au moment où est adoptée le décret du 16 Fructidor de l’An III et la
loi des 16 & 24 août 1790, le principe est dans l’autre sens.

Par la suite, la signification de ces deux textes va connaître des évolutions qui produisent toujours des effets
aujourd’hui. La nouvelle interprétation donnée à ces textes est la suivante : en présence d’un acte

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administratif, le juge judiciaire ne peut pas juger, dès lors il revient au juge administratif d’être
compétent.

On peut observer qu’intervient dans cette interprétation a posteriori le juge administratif, tout simplement
car il apparaît bien après. On fait dire à ces textes quelque chose que ses auteurs n’avaient pas prévus car
initialement, ces textes avaient été adoptés dans le cadre de la séparation de fonction de juger et
d’administrer.

Ce que nous dit le Conseil Constitutionnel dans la décision de 1987, c’est que ces textes n’ont pas de valeur
constitutionnelle. Le Conseil Constitutionnel ajoute également la chose suivante : « conformément à la
conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République » : ainsi, le monopole de la compétence du juge administratif relève d’un PFRLR
mais ne relève pas des lois révolutionnaires.

Aujourd’hui, elle s’inscrit dans le cadre de la réserve de compétence du juge administratif tel que
constitutionnalisé. Mais ces deux lois révolutionnaires produisent toujours des effets, elles sont dans l’ordre
juridique quand bien même elles ne sont pas constitutionnalisées (elles produisent des effets de droit). La
compétence du juge administratif est donc aussi bien déterminée par la constitution, que par la loi.

Le législateur dans de nombreux cas désigne le juge compétent : notamment dans le cas des lois sur le régime
de la responsabilité de l’État par exemple, des ordonnances de valeur législative sur les marchés publics…

Quel intérêt de bénéficier des informations quant à la compétence d’un juge en vertu de la loi ?

Le législateur en réalité, limite les conflits de juridictions : une fois que la compétence est déterminée par
la loi, nous avons une NORME à laquelle il faut se tenir.

La compétence, après la constitution & la loi est aussi déterminée par la jurisprudence, notamment la
jurisprudentielle constitutionnelle, administrative, judiciaire…

Mais, le juge administratif fixe sa propre compétence. En déterminant sa propre compétence, il exclut celle
qui est relative à l’ordre judiciaire.

Et derrière cette détermination de compétence, il y’a de vrais enjeux politiques pour déterminer le droit
applicable, définir un cadre protecteur de l’administration publique, définir les rapports et un certain ordre
entre les individus et la puissance publique. Lorsque se présente un enjeu de compétence, on ne peut pas le
ramener à une simple question technique.

§2 : La compétence du juge judiciaire.

Le juge judiciaire est un juge dont le contentieux principal est le contentieux des personnes privées dont le
droit appliqué ou applicable est le droit privé.

Mais alors pourquoi connaîtrait-il de litiges administratifs ?

Tout simplement car l’administration est au contact des particuliers, du droit privé.

Suffit-il que l’administration soit présente dans un litige pour que ce dernier soit « administratif »au sens de
juridiction administrative ?

Si c’était le cas, cela signifierait que la compétence de la juridiction est tellement attractive que le juge
administratif serait toujours compétent. En réalité, les deux ordres de juridictions ont établi avec le temps,

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à la suite de décennies de conflits, une sorte de répartition des choses. Au 19ème siècle, les conflits sont
presque permanents mais dans l’intérêt du service public, ces conflits ne doivent pas avoir lieu.

Et donc, ces compromis ont été établis par voie de communication interposée. On a pu observer que les
deux ordres de juridiction ont commencé à se reconnaître un périmètre propre.

En effet, le juge judiciaire a témoigné vis-à-vis de son homologue d’une volonté de maintenir un champ de
compétence dans deux domaines qui sont en quelques sortes des domaines historique : la liberté et la
propriété. Ce sont les deux droits naturels les plus importants qui sont encore dans notre Constitution (dans
la DDHC).

Nous avons aujourd’hui plusieurs sources qui font référence au rôle du juge judiciaire quant à la liberté et la
propriété privée. Par exemple, l’article 66 de la Constitution dispose que « Le juge judiciaire est gardien de
la liberté individuelle ». Cette liberté individuelle est entendue au sens de la sûreté et non pas de l’entièreté
du développement. On a donc une compétence judiciaire constitutionnalisée qui est une partie uniquement
de la liberté individuelle car celle-ci ne se limite pas à la sûreté personnelle.

1ère théorie jurisprudentielle : celle de l’emprise irrégulière. L’emprise irrégulière est une théorie
jurisprudentielle née à la fin du 19ème siècle. Elle repose sur l’idée selon laquelle lorsque l’administration porte
une atteinte irrégulière à la propriété privée, si le juge compétent normalement, est le juge administratif,
parce qu’il s’agit de la propriété privée : on prive une administration de son privilège de juridiction et on
confie le contentieux au juge judiciaire lequel peut indemniser la victime (https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-
la-une/article/emprise-irreguliere-et-voie-de-fait-les-apports-recents-du-tribunal-des-
conflits/h/88d21547befc35f908e9f51807a28cdf.html).

L’idée est que les deux juges ne sont pas à égalité : le juge administratif est davantage protecteur de
l’administration que des propriétaires, que le juge judiciaire est le seul vrai juge indépendant de
l’administration et si cette dernière a outrepassé son droit, il faut que le juge judiciaire intervienne : on
retrouve ici une jurisprudence d’inspiration libérale (= liberté, lorsqu’on dit libéral, il s’agit de dire favorable
à la liberté).

Cette jurisprudence a été défendue pendant très longtemps parce que la tradition au sein de l’administration
était de d’abord penser à la nécessité administrative plutôt qu’aux sujets des droits particuliers. Cependant,
les choses ont évolué avec le temps : le juge administratif est devenu plus exigeant envers lui-même et
envers l’administration publique. Et le législateur a également témoigné d’une volonté de renforcer la
juridiction administrative dans l’espoir qu’elle contrôle davantage l’administration publique. Ainsi, par la loi
du 8 février 1995, le législateur dote le juge administratif d’un pouvoir d’injonction : le droit d’enjoindre à
l’administration (donner des ordres par exemple).

Dans une loi du 30 juin 2000, le législateur investi le juge administratif de pouvoirs en matière d’urgence
dans l’espoir de mieux protéger les particuliers. Ces évènements ont participé à remettre en question la
théorie de l’emprise irrégulière, ils ont été interprétés comme la volonté de faire du juge administratif un
vrai juge à son tour comme l’était le juge judiciaire depuis très longtemps.

Dans les années 2000, l’emprise irrégulière a fait l’objet d‘une modification significative à travers un arrêt
rendu le 9 décembre 2013 par le TC : époux Panizzon. Cet arrêt du TC établi une double notion d’emprise
irrégulière rompant sur ce point, avec la jurisprudence antérieure. Aux termes de l’arrêt, soit l’emprise est
extinctive du droit des propriétés, soit elle n’est pas extinctive du droit des propriété. Le TC, d’une manière
regrettable, ne définit pas l’expression qu’il emploi pour forger le double concept d’emprise : il créé donc un
concept en renvoyant à un autre concept qu’il n’explicite pas. Ce concept d’atteinte extinctive du droit de
propriété a été explicité par la jurisprudence antérieure, il renvoi à l’existence d’une dépossession
définitive.
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Quelle est la compétence juridictionnelle ?

Tout d’abord à titre liminaire, en cas d’emprise régulière, il ne faut pas confondre atteinte et irrégularité :
l’administration peut restreindre notre droit, l’atteindre de manière régulière. En cas de doute sur la
compétence, si jamais les textes ne disent rien, dans ce cas-là la jurisprudence du CE prévoit que c’est le juge
administratif (CE, 1961, arrêt Werquin). Si l’emprise est irrégulière, quel juge est compétent ? Tout dépend
de l’existence d’une extinction du droit de propriété ou non. Si l’emprise irrégulière est extinctive du droit
de propriété, c’est le juge judiciaire qui peut indemniser l’emprise mais pas la faire cesser. Il n'y a pas
d’injonction.

Si l’emprise irrégulière n’est pas extinctive, alors c’est le juge administratif qui constate et qui peut enjoindre
de la faire cesser et qui peut indemniser le dommage qui en résulte. Dans tous les cas, pour que le juge
judiciaire soit compétent, il faut à titre préalable, que le juge administratif ait reconnu l’existence d’une
emprise irrégulière. Le juge judiciaire ne peut donc pas reconnaître sa propre compétence.

Quel est l’enjeu de cette décision ?

C’est de casser la logique selon laquelle emprise = juge judiciaire. Ce qui était un bloc, se retrouve fissuré :
l’objectif est de casser cette idée selon laquelle un juge est plus protecteur que l’autre.

Seconde théorie jurisprudentielle : la voie de fait. Elle a beaucoup de point commun avec l’emprise
irrégulière : il s’agit encore une fois de la compétence du juge judiciaire dans la matière administrative. C’est
une compétence historique très ancienne, elle remonte à la restauration (1815) et elle repose sur la même
idée que la théorie précédente.

Elle repose sur l’idée qu’elle constitue une exception juridictionnelle et qu’elle est associée à la perte d’un
privilège de juridiction pour l’administration. La voie de fait, aujourd’hui, a été redéfinie dans le cadre d’une
jurisprudence du 17 juin 2013 (arrêt BERGOEND, TC). Cet arrêt du TC prévoit que deux conditions
cumulatives doivent être satisfaites pour qu’il y ait voie de fait.

La première est l’existence d’une dénaturation.


La seconde est une atteinte dans le périmètre matériel de la voie de fait.

La dénaturation : le concept de la dénaturation traduit l’idée que l’administration a été amenée à perdre
son administrativité tellement elle s’est comportée irrégulièrement : c’est une fiction juridique, c’est un
récit. On raconte une histoire, et cette histoire consiste à dire que l’administration se comporte comme un
particulier tellement elle a commis d’irrégularités, elle a perdu son administrativité.

Cette dénaturation, comment se concrétise-t-elle ?

Il y’a deux types de dénaturation : la première est ce que l’on appelle le manque de droit, la seconde est le
manque de procédure.

Le manque de droit : le manque de droit peut renvoyer à deux cas de figures différents dont l’analyse a
opposé les juridictions pendant longtemps :

o L’hypothèse où une administration fait quelque chose sans qu’aucun texte ne le lui
permette.
o Une administration fait quelque chose, un texte le lui permet mais elle n’a pas
respectée les conditions que prévoit le texte.

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Pendant des années et des années, la Cour de cassation a considéré que pour les deux cas il y’avait
dénaturation et le Conseil d’État considérait que dans le premier cas il y’avait une dénaturation, mais pas
dans le second cas.

Le TC était d’accord avec le Conseil d’État : ce point posait un problème car il y’a deux jurisprudences
différentes sur la dénaturation.

C’est ainsi que l’arrêt BERGOEND clarifie ce point : il n’y a dénaturation que dans le premier cas, dans le
second il n’y a pas dénaturation car l’argument est de dire que même si les règles prévues par le texte ont
prévu une atteinte ou n’ont pas été respectées, on peut rattacher l’atteinte à un droit.

Le deuxième cas de la dénaturation, le manque de procédure : ici, la situation est distincte. Nous avons une
décision de porter atteinte, cette décision peut être légale. Pour autant, les conditions de sa mise en œuvre
sont illégales car il y’a eu une exécution forcée. Le cadre de ce sujet est déterminé par une jurisprudence
célèbre : c’est un arrêt du TC de 1902 société immobilière de Saint Just. Cet arrêt éclairé par les conclusions
du commissaire, pose le cadre des hypothèses alternatives de régularité de l’exécution forcée.

Il y’a 3 cas où l’exécution forcée est légale :

o Une loi autorise l’administration à utiliser la force.


o Lorsque l’urgence contraint l’administration à utiliser la force.
o L’hypothèse où l’administré résiste à l’acte qui le concerne alors qu’il n’existe aucune
voie de droit qui permet de sanctionner l’inexécution de l’acte. Dans ce cas, on peut
utiliser la force.

Quant au champ matériel : dans la décision BERGOEND, le champ se limite à deux aspects : l’atteinte à la
liberté individuelle et l’atteinte extinctive du droit de la propriété : s’il y’a une atteinte dans ce champ +
dénaturation, alors il y’a une voie de fait. S’il y’a une dénaturation sans atteinte dans ces deux domaines, il
n’y a pas voie de fait. Quid de la liberté individuelle, il s’agit d’une atteinte à la liberté individuelle conçue
comme relevant du concept de la sûreté personnelle.

Quelles sont les conséquences de la voie de fait ?

À titre liminaire, les deux ordres de juridictions peuvent constater la voie de fait : TC 1966, arrêt GUIGONT.
La jurisprudence BERGOEND prévoit ensuite que le juge judiciaire peut faire cesser (enjoindre) et
indemniser. Le juge judiciaire a-t-il le monopole en la matière ? Une ordonnance du CE a pu en faire douter
: ordonnance 23 janvier 2013 : commune de Chirongui.

Dans cette ordonnance (O), le CE intervenait en tant que juge d’urgence au titre du référé-liberté (article
L521-2 du CJA). Dans cette O, il était soutenu qu’il y avait une atteinte grave à la propriété, que cette atteinte
entrait dans le champ du référé-liberté, dès lors qu’au sens du référé-liberté, le droit de propriété constitue
une liberté FONDAMENTALE.

Le juge, en l’espèce, dès lors qu’il y’a une atteinte à la liberté fondamentale, peut faire cesser l’atteinte avec
l’injonction puisqu’il peut utiliser tout moyen. Mais dans cette affaire, le CE a aussi considéré qu’il y avait
une voie de fait constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale. On a donc pensé en lisant l’O, que pour
la 1ère fois, le CE acceptait que le juge administratif fasse cesser une voie de fait alors que jusqu’à présent
cela avait toujours été le monopole judiciaire.

Il faut dire que cette O contient une part de contradiction. Cette part de contradiction tient à ce que lorsqu’il
y a référé-liberté, l’administration est censée ne pas être sortie de ses pouvoirs. Précisément pour distinguer

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le référé-liberté de la voie de fait : lorsque le référé-liberté a été institué par le législateur, c’est par une loi
du 30 juin 2000.

Il y’a eu un débat au Sénat sur l’écriture de l’article L521-2 du CJA et au Sénat la distinction entre référé-
liberté et voie de fait a été vu comme un enjeu à ne pas manquer. Ce n’est pas par hasard si la rédaction
ultime de l’article L521-2, celle qui a été votée, précise que l’administration pour la mise en œuvre de cet
article est réputée ne pas être sortie de ses pouvoirs. Or dans cette affaire commune de Chirongui, le CE dit
qu’il y’a une atteinte par l’administration qui n’est pas sortie de ses pouvoirs au droit de propriété et il y’a
une atteinte faisant l’objet d’une dénaturation au droit de propriété. C’est une décision contradictoire.
Par la suite, cette O n’a pas été confirmée, il faut donc retenir qu’aujourd’hui seul le juge judiciaire fait
cesser une voie de fait (et indemnise).

Autre domaine dans lequel on retrouve la compétence du juge judiciaire : la responsabilité extra
contractuelle : c’est la responsabilité qui n’est pas liée à un contrat.

Il faut noter deux lois ici : la loi de 1937 relative aux accidents dans les établissements scolaires et loi de
1957 relative aux dommages du fait des véhicules dont les personnes publiques ont la propriété ou la garde.

Quid de la loi du 1937 : elle confie les contentieux des accidents des établissements scolaires au juge
judiciaires. Cela signifie que le juge judiciaire va apprécier l’administration de l’établissement public et
appliquer le droit civil de la responsabilité. Cette responsabilité est celle de l’État pour les dommages causés
aux élèves ou par les élèves en raison d’une participation active ou d’un simple défaut de surveillance des
maîtres d’enseignement public ou privé sous contrat avec l’État. Les fautes des enseignants sont entendues
selon un périmètre large (ensemble du personnel administratif dans les activités scolaires et péri scolaires).
Si le dommage, si l’accident, provient de l’organisation du service et non du comportement des enseignants,
alors ça sera le juge administratif qui sera compétent et ça sera le droit administratif qui sera appliqué.

La loi de 1957 : sont concernés les dommages causés par les véhicules dont les personnes publiques ont la
propriété ou la garde lorsque le comportement de l’agent à l’origine du dommage ; cela s’inscrit dans
l’exercice de ses fonctions ou n’est pas dépourvu de tout lien avec celle-ci. On applique le droit civil.

o Interprétation et appréciation de la légalité des actes administratifs :

Ce point est très important car on le retrouve tout le temps. Le sujet est simple : que peut faire le juge
judiciaire en présence d’un acte administratif s’agissant de son interprétation et de son appréciation de la
légalité ?

Les deux ordres de juridiction ont souvent l’occasion, lorsqu’ils tranchent un litige dont ils ont été saisis au
principal, de connaître l’interprétation ou l’appréciation d’un acte dont la connaissance relève de l’autre
ordre de juridiction.

En 2015, est intervenu un décret du 27 février (2015) relatif au TC ainsi qu’aux questions préjudicielles. Ce
décret a entraîné une modification de deux codes que sont le CJA et le Code de Procédure Civile (CPC). La
réforme quant au CJA a mis l’accent sur 2 éléments : la question préjudicielle se pose en cas de difficulté
sérieuse et le traitement de la question se fait en urgence. L’article R771-2 du CJA prévoit que lorsque la
solution d’un litige dépend d’une question soulevant une question sérieuse et relevant d’un juge J, le juge A
initialement saisi, la transmet à la juridiction judiciaire compétente. Elle sursoit à statuer jusqu’à la décision
sur la question préjudicielle.

L’article R771-2-1 du CJA est aussi concerné par la réforme : lorsque la juridiction A est saisie d’une question
préjudicielle soulevée par une juridiction J, l’affaire est instruite et jugée comme une affaire urgente (pas de
délai mais il faut aller VITE pour limiter les inconvénients liés à la dualité des juridictions).
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Du côté du CPC, le décret apporte également une modification : à l’article 49 est ajouté un alinéa à cet article
et en gros, c’est la même chose que l’article R771-2 mais dans l’autre sens. C’est exactement la règle
symétrique.

La réformes e des questions préjudicielles n’est pas très claire avec une expression qui mérite d’être éclairée
parce qu’elle n’est pas facile à analyser : que veut dire une difficulté sérieuse ? si on parle de difficulté
sérieuse, il peut y avoir une difficulté mais pas sérieuse… ce droit des questions préjudicielles quand bien
même balisé par les décrets, doit être davantage expliqué en revenant à ce qui existait avant.

Qu’est-ce-qui existait avant ?

Nous avons tout d’abord un premier point qui concerne le juge administratif : ce dernier peut interpréter
des actes de droit privé s’ils sont clairs. Cela signifie que quand l’acte ne contient pas d’éléments difficiles à
interpréter, le juge A peut interpréter. De ce point de vue, la réforme de 2015 est à comprendre à la lettre :
soit c’est clair (pas de difficulté sérieuse) soit ça ne l’est pas (difficulté sérieuse).

Le juge administratif peut parfois apprécier la légalité des actes de droit privé : au départ, le principe est
l’impossibilité. Puis, apparaît un assouplissement. Cet assouplissement provient d’un arrêt rendu le 23 mars
2012 par le CE : fédération sud santé sociaux (FSSS).

Cette jurisprudence prévoit que s’il ressort manifestement d’une jurisprudence établie de l’ordre judiciaire,
que la question de légalité que se pose le juge A peut être transposée au litige dont il est saisi au principal,
le juge A peut se prononcer sur l’acte de légalité de droit privé. Pour bien comprendre les choses il faut noter
que cela ne relève pas d’une activité intellectuelle du juge A mais d’une observation du juge A de l’état de
la jurisprudence judiciaire. S’il s’aperçoit que la solution est toujours la même, alors considérant que la
question est posée est la même, il peut transposer l’analyse de légalité du juge judiciaire dans l’affaire qui
est la sienne : il enregistre la solution du juge judiciaire. Il n’opère pas lui-même une analyse singulière de
l’acte de légalité de droit privé.

Lorsque le décret relatif aux questions préjudicielles modifie le code de justice administrative (article R771-
2) et qu’il est dit que le juge judiciaire pose la question préjudicielle au juge administratif lorsqu’elle est
sérieuse, comment cette expression se concilie-t-elle avec la jurisprudence FSSS ?

Normalement, le décret aurait dû nous être plus utile mais il a été rédigé de manière hâtive, tellement hâtive
qu’il a fallu que soit éditée une circulaire de présentation du décret (31 mars 2015). Elle nous dit que l’article
en question doit être entendu comme influant la jurisprudence FSSS. Cela signifie que : si le juge administratif
est confronté à une question de légalité de droit privé, soit la solut° apparaît dans la jurisprudence de matière
manifeste, auquel cas il n’y a pas de difficulté sérieuse au sens de du décret de 2015 ou alors qu’il n y’a pas
de jurisprudence de la Cour de cassation sur cette question et se présente alors une difficulté sérieuse : le
juge administratif doit donc poser la question préjudicielle au juge judiciaire.

Le juge A peut aussi poser une question préjudicielle à la Cour de Justice à propos d’un acte de droit privé et
ne pas la poser au juge judiciaire (d’après l’arrêt FSSS).

Si en effet, se présente devant le juge administratif une question de conformité d’une convention au droit
de l’Union, normalement si la convention est de droit privé, alors il devrait poser la question au juge
judiciaire, mais l’arrêt FSSS dit que le juge A peut directement saisir la cour de justice OU APPLIQUER le droit
de l’UE directement sans saisir le juge J à titre prêt. Le décret élimine des saisines à caractère superflu.

Quant au juge judiciaire : que peut faire ce dernier ?

42
Le juge J civil (différent du juge pénal) peut interpréter tous les actes administratifs qui sont clairs et qui ne
posent pas de difficulté sérieuse. Une vieille jurisprudence de 1923 du TC a posé une règle selon laquelle
lorsque le juge judiciaire civil est confronté pour interpréter un acte, rencontre une difficulté sérieuse, il peut
interpréter l’acte directement si l’acte est règlementaire (mais pas s’il est individuel). Cette jurisprudence,
c’est l’arrêt Septfonds.

Une question se pose, cet arrêt est-il remis en cause par le décret de 2015 ?

Le décret de 2015 est rédigé de telle manière que la question se POSE : c’est une remise en cause de l’arrêt
Septfonds mais il faut bien comprendre l’esprit du décret de 2015 : c’est de diminuer le recours aux
questions jurisprudentielles. L’expression de difficulté sérieuse telle qu’elle résulte du décret s’interprète
en intégrant la jurisprudence Septfonds.

Le juge J s’il est confronté à un acte règlementaire, peu l’interpréter quoiqu’il arrive parce qu’il n’y a jamais
de difficulté sérieuse, en revanche, s‘il est confronté à un acte individuel avec une difficulté sérieuse, il y’a
une difficulté sérieuse au sens du décret et il saisit donc son homologue administratif.

Qu’en est-il maintenant du juge civil et de l’appréciation de la légalité des actes administratifs ?

En 1923, la jurisprudence Septfonds ne permettait au juge judiciaire civil que d’interpréter des actes
administratifs avec des difficultés sérieuses : cette jurisprudence a été la balise de l’ordre judiciaire en la
matière jusqu’à ce qu’intervienne un arrêt de 2011 du Tribunal des conflits : SCEA du Cheneau.

Que prévoit cet arrêt SCEA du Cheneau ? Cet arrêt c’est exactement la même chose que FSSS mais dans
l’autre sens : c’est-à-dire le juge judiciaire vis-à-vis de la légalité des actes administratifs (FSSS c’était le juge
administratif à l’égard des actes de droit privé, ici c’est le contraire). Le juge judiciaire est saisi au principal
pour un litige relatif au droit privé, mais imaginons qu’il y ait un litige sur un terrain de propriété et intervient
un acte administratif qui délimite les terrains. Se pose donc la question de la légalité de cet acte administratif
: est-ce que l’arrêt Septfonds permet au juge judiciaire d’apprécier la légalité ? NON. La seule chose que
prévoit l’arrêt Septfonds c’est l’interprétation des actes règlementaires présentant une difficulté sérieuse
(+ tous les actes clairs, mais rien sur la légalité).

Cet arrêt SCEA du Cheneau permet que le juge judiciaire apprécie la légalité des actes administratifs mais
c’est le même raisonnement explicité plus haut : il faut qu’il y ait une jurisprudence établie dans la
jurisprudence du CE que le juge judiciaire va importer à son litige, ce qui dispense de poser une question
préjudicielle.

Est-ce que c’est le juge judiciaire qui effectue le travail intellectuel d’analyse de la légalité ? NON puisqu’il
va importer une solution qui provient de la juridiction administrative qui est bien établie. En revanche, le
travail d’analyse que lui fait, c’est dans la vérification que la question qui lui est posée dans le litige qui lui
est soumis au principal, est bien la même que des questions et des solutions qui existent dans la
jurisprudence administrative. Si c’est le cas, il est alors habilité à apprécier la légalité.

Même chose par rapport à la CJUE : si le juge judiciaire se pose une question de la conformité d’un acte
administratif au droit de l’Union, il peut directement saisir le juge de l’union d’une question préjudicielle.
Quid du juge pénal : selon l’article 111-5 du Code pénal, le juge pénal peut interpréter et apprécier la légalité
de tous les actes administratifs à la différence du juge civil.

• Le fonctionnement de la justice judiciaire.

La justice est un service public administratif, elle n’est pas un service public industriel et commercial car elle
ne fonctionne pas selon les principes d’une industrie ou d’un commerce privé. Dès lors, si c’est un service
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public administratif, en principe, c’est le juge administratif devrait être comptent lorsqu’un litige relatif au
service public de la justice survient : que ce soit la justice administrative ou judiciaire, car dans tous les cas
c’est un service public administratif.

Une question se pose : est-il possible que la justice judiciaire relève de la juridiction administrative ? N'y a-t-
il pas un risque que l’activité de la justice judiciaire soit confiée au juge administratif ?

Pour éviter ce risque, le Tribunal des conflits a inventé en 1952, dans un arrêt « Préfet de la Guyane », une
distinction utile entre l’organisation et le fonctionnement du service public de la justice judiciaire.

Selon cette distinction, ce qui relève du fonctionnement de la justice judiciaire sera jugée par le juge
judiciaire en cas de litige et ce qui relève de l’organisation de la justice judiciaire sera jugé par le juge
administratif.

Dans le domaine de l’organisation, on va retrouver par exemple, la création, la suppression ou encore la


modification d’une juridiction judiciaire. Dans le fonctionnement, on va trouver des décisions de saisine du
tribunal, l’exécution d’un jugement, la délibération conditionnelle, les décisions sur le fonctionnement
interne de la juridiction (la composition d’une juridiction par exemple).

Cette distinction a fonctionné pendant longtemps, jusqu’à ce que le Tribunal des conflits décide en 2015
d’en modifier la teneur : dans cet arrêt Hoareau (qui est la seule à retenir car elle a mis fin à la jurisprudence
préfet de Guyane) l’opposition de l’organisation et fonctionnement elle est désormais organisation
rattachement à la fonction juridictionnelle.

Autrement dit, la question désormais à poser est de savoir si c’est l’organisation du service public de la
justice judiciaire ou si c’est un acte qui se rattache à la fonction juridictionnelle. Si c’est un acte qui se
rattache à la fonction juridictionnelle, alors le dualisme juridictionnel ne permet pas que le juge administratif
juge à la place du juge judiciaire.

Dès lors qu’un acte produit dans le cadre d’un service public de la justice judiciaire qui n’est pas un acte
juridictionnel en soi mais qui est un acte qui se rattache à la fonction juridictionnelle, alors cet acte relève
du juge judiciaire.

Section II : Le Tribunal des conflits.


Le Tribunal des conflits est une institution ancienne. En effet, il a été créé sous la Seconde République en
1848 lorsque nous avons pour la première fois, connu un intermède de justice administrative déléguée. Il a
été supprimé en 1852 puis il a été restauré sans discontinuité dans une loi du 24 mai 1872 : cette loi consacre
le passage à la justice déléguée.

Le TC est saisi de manière régulière pour trancher les conflits de compétence, il est même amené à juger
au fond : il peut être juge en matière de responsabilité de l'État et une réforme est intervenue en 2015.

Contexte de la réforme de 2015 : l’institution a longtemps été critiquée car c’est le garde des sceaux qui
présidait le Tribunal des conflits. Et en cas de difficulté de partage, c’est lui qui tranchait. Or, le garde des
sceaux est le ministre de la Justice. Et donc, il y’avait une forme de présomption, de partialité du garde des
sceaux en faveur du juge administratif car c’est l’histoire du Conseil d'État d’être protecteur de
l’administration plus que les individus. Le législateur et le Gouvernement ont décidé de réformer le Tribunal
des conflits dans ce contexte et d’aller même au-delà de la question de la présidence du Tribunal des conflits.

S'agissant du fonctionnement, le TC comporte un nombre égal aux membres du CE et de la CC (4-4 avec un


suppléant de chaque côté). Ces membres sont élus avec un mandat de 3 ans et rééligible 2 fois. Ils choisissent

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un président pendant 3 ans parmi eux issu alternativement du Conseil d’État et de la Cour de cassation (vote
scrutin majoritaire). Si ce président n’est pas disponible et fait l’objet d’un empêchement, alors c’est le plus
âgée qui préside.

Devant le Tribunal des conflits, les éléments de procédure sont prévus par un décret du 27 février 2015 :

• La procédure est écrite


• Les parties au procès sont représentés par un avocat au conseil
• Il existe un rapporteur public comme devant la juridiction administrative
• L'instruction est contradictoire
• Il y’a une audience publique
• En cas de partage égal des voies, le président réuni le TC dans la même formation pour
délibérer de nouveau à la prochaine séance
• Si le partage est également égal et que les membres n’ont donc pas pu se départager, l’affaire
est jugée en « formation élargie » avec 2 conseillers d'État en plus et 2 membres de la Cour de
cassation
• Les décisions du tribunal sont rendues au nom du peuple français, motivées, mentionnent les
membres qui ont délibéré
• Le délibéré est secret et les décisions s’imposent à toutes les juridictions judiciaires et
administratives.

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000030296346

Quelles sont les missions du TC ?

Il existe ce que l’on appelle un conflit un positif : le juge judiciaire est saisi, le préfet pense qu’il n’est pas
compétent et lui adresse un déclinatoire de compétence. Le juge judiciaire doit répondre à ce déclinatoire :
soit il l’accueille, soit il le rejette (il revendique sa compétence dans ce cas). S'il revendique sa compétence,
alors le préfet élève le conflit et il l’élève en saisissant le TC. Le TC va trancher en désignant le juge
compétent.

La procédure ne vaut que dans un SENS. Cette asymétrie révèle la défiance envers le juge judiciaire et une
confiance excessive envers le juge administratif. On parle de défiance car on se méfie de l’ordre judiciaire
pour protéger l’administration et confiance excessive en la juridiction administrative car on ne doute pas
qu’elle pourrait revendiquer une compétence de manière indue alors que c’est possible, et si c’est le cas, il
n’y a aucune procédure permettant d’affirmer qu’elle a revendiqué sa compétence au détriment du juge
judiciaire.

On a aussi conflit négatif : le conflit négatif est l’hypothèse où personne ne veut connaître d’une affaire : la
réforme reconnaît la possibilité que cela advienne en pratique, qu’aucun ordre de juridiction s’estime
compétent. En principe, cela ne devrait pas arriver et il existe des règles pour que cela n’arrive pas. Mais si
ces règles ne sont pas appliquées, une telle situation peut arriver.

Le décret du 27 février 2015 prévoit que lorsque les deux ordres de juridictions se sont irrévocablement
déclarés compétents sur la même question, le litige est renvoyé au TC, et les parties intéressées peuvent le
saisir aux fins de désignation de la juridiction compétente (article 37 du décret du 27 février 2015).

« Lorsque les juridictions de chacun des deux ordres se sont irrévocablement déclarées incompétentes sur la
même question, sans que la dernière qui a statué n'ait renvoyé le litige au Tribunal des conflits, les parties
intéressées peuvent le saisir d'une requête aux fins de désignation de la juridiction compétente.
La requête expose les données de fait et de droit ainsi que l'objet du litige et est accompagnée de la copie des
décisions intervenues ».
45
Le Tribunal des conflits doit être saisi dans les 2 mois à compter du jour où la dernière en date des décisions
d'incompétence est devenue irrévocable.

Mais, le conflit négatif pose un risque qui est celui du déni de justice puisque si aucun juge ne revendique
sa compétence, alors le risque est que la justice ne soit pas rendue. Mais, ce risque avec l’article 37 ne sera
pas concrétisé. En amont, il existe des éléments pour empêcher du risque : il s’agit de la prévention des
conflits. Le principe est le suivant : une juridiction saisie d’un litige dès lors qu’elle est informée que l’autre
juridiction a décliné sa compétence, doit elle-même, si elle estime être incompétente, et que la juridiction
initialement saisie est compétente, par une décision motivée, saisir le TC.

Le Tribunal des conflits peut être saisi pour une question de compétence juridictionnelle : ceci est classique.
Mais depuis le décret de février 2015, le Tribunal des conflits peut être saisi aussi quand une question
préjudicielle a été mal posée devant le juge judiciaire (dispositif asymétrique). Si le juge administratif pose
une question préjudicielle qui ne devrait pas être posé au juge judiciaire, le préfet peut demander au juge
judiciaire de décliner sa compétence et s’il ne le fait pas, il peut élever le conflit.

Cela signifie que le Tribunal des conflits devient l’arbitre du droit des question préjudicielles mal posées.
Le Tribunal des conflits est également un juge du fond : il arrive que des décisions soient rendues de manière
définitive par les deux ordres de juridiction sur les litiges qui portent sur le même objet et posent à une
contrariété entre elles, formant un déni de justice.

Par exemple, un terrain est partiellement exproprié pour effectuer des travaux dessus. Le propriétaire estime
subir un préjudice en raison des travaux (la route l’oblige à faire un très long détour par exemple) il va devant
le juge administratif en demandant à être indemnisé en raison des travaux publics : le juge administratif
décline et dit qu’il faut aller devant le juge judiciaire pour être indemnisé au titre de l’expropriation. Il va
donc devant le juge judiciaire, ce dernier dit non : il s’estime ne pas être compétent car le préjudicie est la
conséquence des travaux publics.

Si on a un renvoi mutuel dans les deux ordres de juridictions, conduisant dans les deux cas à une non-
reconnaissance de responsabilité ou du moins à une volonté de l’indemniser, on a ici une contrariété dans
les deux décisions de justice définitive. Aucun ordre de juridiction ne reconnait être compétent : le justiciable
se retrouve sans juge compétent, c’est un déni de justice. Pour que celui-ci n’ait pas lieu, il existe une
possibilité de saisir le TC qui va juger au fond et dire quel est le juge compétent : le TC ici, non seulement
indique quel est le juge compétent mais par ailleurs, il tranche le litige comme s’il était le juge qui devait
être saisi initialement. Cette possibilité a été mise en place en 1932 et est prévue dans la loi du 16 février
2015.

Le TC est également juge en matière de responsabilité de l'État en raison du caractère déraisonnable du


délai des procédures juridictionnelles afférentes à un même litige : cela signifie que quand la justice a duré
trop longtemps dans le cadre d’un litige où on est allé devant les 2 juridictions, on peut engager la
responsabilité de l’État et le TC va sanctionner la responsabilité de l’État.

C'est une nouveauté qui apparaît dans la réforme du 2015 elle découle de la durée totale excessive des
procédures. À la condition que le litige ait été porté devant les deux ordres de juridiction car en cas de durée
excessive devant la seule juridiction administrative, c’est le CE qui est compétent (article R371-1 du CJA).
Le concept de durée excessive au sein de la juridiction administrative correspond à un standard : lorsque
que nous raisonnons, nous utilisons des concepts. Ces concepts comportent une part de détermination ils
comportent également une part d’indétermination car les concepts s’adaptent. En droit, on a beaucoup de
concept qui sont des standards. Tout dépend en réalité de la complexité de l’affaire, ce qui peut justifier ou
non la durée du litige.

46
Partie II : Les sources du droit administratif.

La question des sources du droit se pose dans toutes les disciplines, pas qu’en droit administratif. C’est une
question fondamentale car elle permet de comprendre comment s’agence les normes, quelles sont les
principes de la hiérarchie des normes, quel est le rôle des acteurs (soit qu’ils produisent les normes, soit
qu’ils en garantissent l’application ou qu’ils les contrôlent (les juges)).

Première observation : on a l’habitude, en droit administratif, de parler d’un principe de la légalité. Ce mot
« légalité » reflète toute la tradition issue de la Révolution française de soumission de l’État au respect de la
loi et d’une certaine façon, une significative partie du droit administratif tient au renforcement du contrôle
juridictionnel de la légalité. Cependant, ce terme de légalité, quand bien même il dure, n’est pas le plus
approprié : on devrait parler de principe de juridicité, de conformité au droit parce que la loi n’est pas la
seule norme qu’il faut respecter. Lorsqu’on parle du contrôle de légalité, on introduit d’autres normes que
la loi, selon un usage langagier.

Seconde observation : il n’y a pas une légalité, mais deux légalités. Il y’a la légalité ordinaire et la légalité
extraordinaire. Les cas visés par l’article 16 de la Constitution (l’état d’urgence, les circonstances
exceptionnelles, l’état de siège) correspondent à des situations où on met de côté la légalité ordinaire pour
passer à la légalité extraordinaire. Dans ce contexte, le cadre change, les contrôles changent, les
habilitations des producteurs de normes changent. On ne peut pas confondre les deux légalités. La fonction
de la légalité extraordinaire, c’est de permettre de retrouver une condition pour que s’applique la condition
ordinaire. Ce sont des éléments de contexte nécessairement transitoires.

Chapitre I : Les normes de valeur constitutionnelle.

Section I : Des normes diverses mais de valeur identique.


§1 : Les textes.

Lorsqu’on parle de normes de valeur constitutionnelle, on aborde non pas seulement la Constitution, mais
le bloc de constitutionnalité. Il y’a dans ce bloc de constitutionnalité, une forte hétérogénéité des normes
(on a des articles, principes, certaines écrites par le constituant, d’autre par le juge). Elles ont un point
commun qui est l’identité de leur valeur juridique, elles sont toutes de valeur constitutionnelle. Aucune
norme ne l’emporte par principe sur une autre. Peut-il y avoir un conflit entre ces normes ? Oui, comme avec
toutes les normes. Il y’a des conflits de normes car elles correspondent toutes à des idées, qui peuvent
conduire à des contradictions, elles sont empreintes à une forme d’idéologie qui ne sont pas forcément
compatibles entre elles.

La plupart des normes constitutionnelles sont écrites (on appelle ça du droit dispositionnel), certaines sont
jurisprudentielles (décisions du juge constitutionnel, mais pas que).

Au titre des textes, on a la Constitution de 1958 avec des règles de compétences qui intéressent le droit
administratif : le pouvoir du Président de la République, du Premier Ministre, du Parlement, des règles sur
le contreseing ministériel, des règles de fond sur la ratification des traités, la primauté des traités, la libre
administration des collectivités territoriales.

Nous avons également le préambule de la Constitution. Historiquement, les principes politiques,


économiques, sociaux du préambule de la Constitution de 1946 ont été reconnu par le Conseil d’État comme
ayant une valeur juridique (arrêt du CE, Assemblée 1950, Dehaene). Il s’agissait du droit de grève défendu
par le préambule de la Constitution de 1946.
47
Dans un arrêt du 7 juin 1957 (arrêt Condamine) le CE reconnaît également la valeur juridique de la
déclaration de 1789.

Dans un arrêt Société EKY en 1960, le CE admet de nouveau la valeur juridique constitutionnelle du
préambule de la Constitution de 1958 et des textes auxquels il renvoi : notamment la DDHC de 1789, et le
préambule de 1946.

Puis, vient la fameuse décision du 16 juillet 1971 du Conseil Constitutionnel : cette décision de 1971 pose
un problème de principe : le Conseil Constitutionnel en créant le bloc de constitutionnalité, change le
système juridique. C’est-à-dire qu’il donne une valeur constitutionnelle à des normes qui n’en avaient pas.
Il le fait au nom de la protection des droits et des libertés.

Au-delà, on a aussi la Charte de l’Environnement qui date de 2004 mais qui a été intégrée dans le bloc de
constitutionnalité en 2005 : cette charte contient des articles qui forment une déclaration des droits et des
devoirs environnementaux (notamment l’article premier qui dispose que Chacun a le droit de vivre dans un
environnement équilibré et respectueux de la santé).

Le CE va ensuite confirmer l’analyse du Conseil Constitutionnel dans un arrêt du 3 octobre 2008 la Commune
d’Annecy : l’ensemble des droits et des devoirs définis dans la charte de l’environnement ont une valeur
constitutionnelle.

§2 : La jurisprudence.

La jurisprudence est une source du droit constitutionnel, notamment à travers des PFRLR. C’est inscrit dans
le préambule de la Constitution de 1946 que les composantes de cette catégorie ont été déterminées par la
jurisprudence, composantes définies par le Conseil Constitutionnel mais aussi le Conseil d’État. Ces principes
sont des principes à valeur constitutionnelle, non écrits, reconnus lorsque plusieurs conditions sont
satisfaites : ces conditions ont été précisées par le Conseil Constitutionnel dans une décision de 1988 : loi
d’amnistie.

Le principe doit être fondamental : il doit énoncer une règle suffisamment importante avec un degré
suffisant de généralité qui intéresse des domaines essentiels pour la vie de la nation.

Il faut un encrage textuel dans une ou plusieurs lois, intervenue(s) sous un régime républicain antérieure à
l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ou avant 1958. Cela exclut donc les lois des régimes
monarchiques, impériaux. Cette exigence d’une loi ou de plusieurs lois nuance le fait que ce principe est
uniquement jurisprudentiel car il se rattache à un fondement législatif républicain.

Il faut enfin qu’aucune loi antérieure ou postérieure à la Constitution de 1946 ait remis en question les
principes : on ne pourrait pas se prévaloir d’un principe inhérent à une loi si depuis ce principe a été dérogé.
Au sein des différentes juridictions, c’est le Conseil d’État qui a ouvert le bal : en 1956, avec la liberté
d’association comme PFRLF dans une décision d’assemblée : « amical des annamites de Paris ».

Le Conseil Constitutionnel consacre aussi d’autres PFRLR : le droit de la défense en 1976, la liberté
individuelle en 1977, la liberté de conscience en 1977, la liberté de l’enseignement en 1977, l’indépendance
de la juridiction administrative en 1980, l’indépendance des professeurs des universités en 1984, la
compétence de l’autorité judiciaire en matière de la protection de la propriété privée en matière immobilière
le 25 juillet 1989.

Un autre PFRLR a été reconnu par le CE dans un arrêt d’assemblée en 1997 : arrêt Koné : c’est le refus de
l’extradition demandé dans un but politique. L’État ne peut pas extrader quelqu’un si le pays qui demande
l’extradition le fait dans un but politique.

48
Au-delà des PFRLR, on a aussi des principes constitutionnels (la continuité de l’État, la protection de la dignité
de la personne humaine, la liberté contractuelle, la liberté d’entreprendre, le respect de la vie privée, etc.)
et des OVC : objectifs de valeurs constitutionnel. L’OVC est un objectif qui s’impose au législateur, cet
objectif vise à empêcher que l’atteinte à une norme de valeur constitutionnelle, prévue dans une loi, puisse
conduire à invalider cette loi ou à la faire abroger. Par exemple, pour protéger la vie de certaines personnes
en précarité, on peut imaginer que l’État recourt à des réquisitions (du logement) mais elles vont se faire au
détriment des propriétaires et ces derniers ont un droit constitutionnel : la propriété privée. Si le législateur,
pour atteindre un certain objectif politique, social, économique prépare une loi qu’il soumet au Parlement,
que cette loi pour atteindre sa cible doit restreindre des droits ou des libertés, il y’a des risques que la loi
soit invalidée.

Le Conseil Constitutionnel utilise donc un procédé rhétorique : il crée un OVC, cet OVC vient justifier la
restriction à des droits ou des libertés au rang constitutionnel et opère une sorte de contre poids dans la
balance de telle manière que lorsque le juge constitutionnel est amené à dire si la loi est valide, il a un
argument pour dire que la loi n’est pas invalide. L’OVC justifie ainsi des atteintes ou des dérogations à des
principes constitutionnels à conditions que ces atteintes ne soient pas manifestement excessives et que les
limitations apportées n’aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée du droit constitutionnel
en soit dénaturé : il y’a donc une logique d’équilibre.

Section II : La portée juridique des normes constitutionnelles.


Le sujet est le suivant : quelle est la portée des normes constitutionnelles à l’égard des traités ?

Le principe est l’écran conventionnel : le juge administratif n’est pas compétent pour connaître de la
constitutionnalité matérielle des traités. Le Conseil Constitutionnel juge l’absence de contrariété
substantielle entre une règle constitutionnelle et les engagements internationaux (selon l’article 54 de la
Constitution). Une fois le traité ratifié, sa constitutionnalité matérielle ne peut pas être contestée devant
le juge administratif. Par conséquent, si un acte administratif applique fidèlement un traité, on ne peut pas
contester la constitutionnalité de cet acte si l’acte reproduit fidèlement un traité parce que cela reviendrait
à contester devant le juge administratif la constitutionnalité du traité.

Il y’a toutefois un aménagement au principe : c’est l’effort d’interprétation du traité conformément aux
normes constitutionnelles. Le principe de cette technique est prévu par l’arrêt Koné rendu par le Conseil
d’État en 1996. Au lieu de confronter le traité à la norme constitutionnelle qu’il vient de créer, il va
interpréter le traité conformément à la norme constitutionnelle qu’il vient de créer.

Le traité a donc deux significations : le traité tel qu’adopté et la seconde : le traité tel qu’interprété à la
lumière de la norme constitutionnelle.

En interprétant le traité à la lumière de la norme constitutionnelle, le Conseil d’État ajoute donc du sens au
traité, il fait dire au traité quelque chose qu’il ne disait pas avant d’être interprété à la lumière du PFRLR. Le
traité acquiert donc une nouvelle signification.

À l’égard des lois : il existe un principe qui est celui de l’écran législatif ; de manière ancienne, le juge
administration comme le juge judiciaire, ont toujours appliquer la loi et se ils sont refusés de contrôler sa
constitutionnalité. Le juge judiciaire en atteste dans une décision de 1833 : Paulin (Cour de cassation,
chambre criminelle) et le Conseil d’État dans un arrêt de 1936 : arrêt Arrighi.

En 1936, il n’existe pas de contrôle de constitutionnel de la loi et le Conseil d’État refuse de procéder à un
contrôle de constitutionnalité de la loi (et des actes par le même biais). La solution Arrighi n’a pas été remise
en cause en dépit du fait que le contrôle de constitutionnalité de la loi a été institué car c’est le Conseil
Constitutionnel qui contrôle la constitutionnalité de la loi, ce n’est pas le juge ordinaire. Dans une décision
49
de 2005 rendue par Conseil d’État (Baillard et Deprez) : le Conseil d’État affirme que Conseil Constitutionnel
a le monopole du contrôle de constitutionnalité d’une loi.

Mais il arrive que cet écran soit considéré comme transparent : l’écran législatif est parfois transparent et
lorsqu’il l’est, alors il ne produit plus d’effet. Quel est l’hypothèse de l’écran transparent ? Le principe est
déterminé par un arrêt rendu par le Conseil d’État : arrêt de 1991 : Quintin. La différence entre Arrighi et
Quintin, est que dans Quintin l’acte se fonde sur la loi, mais ne reproduit pas les dispositions de la loi. Donc,
l’acte a bien une base légale, mais l’acte ne reproduit pas la loi. Dans ces conditions, contrôler la
constitutionnalité de l’acte, ne correspond pas à contrôler la constitutionnalité de la loi.

Par exemple : on imagine un maire qui adopte un arrêté municipal où il indique que toutes les personnes
âgées de 30 ans, ne peuvent pas sortir le soir après 20 heures dans la commune pour des raisons de sécurité
publique : un d’entre nous fait un recours en expliquant que cette discrimination fondée sur l’âge méconnaît
la Constitution et que le maire répond qu’il a fait du droit administratif et qu’à partir du moment où la loi
municipale de 1884 lui donne des pouvoirs de police lui permettant de garantir le respect de l’ordre public
dans sa commune, il est fondé à faire reposer cet arrêté municipal sur la loi. Dès lors qu’il y’a une loi entre
l’acte qu’on conteste et la Constitution dont se prévaut, alors la loi fait écran : l’écran est transparent car la
loi ne prévoit pas qu’un maire peut interdire la circulation à des personnes de moins de 30 ans dans sa
commune. S’il était écrit dans la loi qu’une personne de moins de 30 ans n’a pas le droit de sortir après 20
heures dans telle commune, alors là oui, il y’aura une loi écran. Mais là ce n’est pas écrit, il est juste écrit
dans la loi que le maire a des pouvoirs de police administrative. Si dans l’acte qu’on attaque, il y’a l’énoncé
de la loi, alors il y’a loi écran (Arrighi) mais s’il n’y a pas l’énoncé de la loi, quand bien même l’acte se fonde
sur une loi, ça en fait un écran transparent (Quintin).

Cette loi écran connait un vrai déclin qui se traduit par le recours à diverses techniques de neutralisation
du principe de l’écran législatif :

1 : La technique de l’interprétation de la loi conforme à la Constitution (d’après l’arrêt rendu en 2007,


Lesourd). Dans l’arrêt Koné, on a l’interprétation du traité conforme à la Constitution : le Conseil d’État utilise
la même technique à l’égard de la loi : il accepte que lorsqu’une loi fait écran, pour surmonter le principe de
la loi écran, d’interpréter la loi au sens de la Constitution : il va donc lui ajouter une signification qu’elle n’a
pas et lorsqu’il contrôle l’acte attaqué à la loi, ça ne sera plus la loi telle qu’énoncée par le législateur, ce sera
à la loi énoncée par le législateur telle qu’interprétée à la Constitution en plus. Le fait d’avoir ajouté cette
signification à la loi, va créer une contradiction potentielle entre l’acte attaqué et la loi. Alors que l’acte
respectait la loi stricto sensu, l’acte se révèle non conforme à la loi telle qu’interprétée à la lumière de la
Constitution.

2 : La réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel : le principe est que le juge administratif applique
la loi avec la réserve d’interprétation du Conseil, et si la réserve d’interprétation du Conseil permet qu’entre
l’acte qui reproduit la loi et la loi telle qu’interprétée avec la réserve survienne une divergence, alors il peut
annuler l’acte pour violation de la loi.

3 : Le constat de l’abrogation implicite d’une loi par une disposition constitutionnelle postérieure : si on
reprend notre schéma : un acte qui reproduit une loi avec au sommet la Constitution. Une des modalités de
faire décliner le principe de l’écran législatif, est de constater que la loi a été abrogée de manière implicite.
Il suffit d’observer une disposition constitutionnelle postérieure à la loi, qu’elle a été adoptée, qu’elle est
contraire à la loi est que cette disposition a abrogé notre loi : notre écran disparait. Ce faisant, le juge
administratif n’est pas un juge de la constitutionnalité de la loi, il vérifie seulement si elle est encore en
vigueur (1949, CE, Assemblée, Sieur Bourgoin). Cette technique pose question par rapport à la QPC : à partir
du moment où nous avons un dispositif spécialement conçu pour abroger des lois, l’idée de se fonder sur
des abrogations implicites apparaît comme discutable. Cependant, le périmètre n’est pas le même car dans
50
la théorie de l’abrogation implicite de la loi, il n’y a pas de mention inhérente à des conditions matérielles
spécifiques.

4 : avec la QPC, lorsque les conditions sont réunies, le Conseil Constitutionnel peut prononcer l’abrogation
d’une loi ou d’un article de loi : le cas échéant en modulant les effets de l’abrogation dans le temps. Lorsque
le Conseil Constitutionnel dit qu’il abroge la loi, c’est une abrogation dans le futur : mais il y’a un cas où ça a
posé un problème. Un jour un justiciable a été condamné pour harcèlement sexuel. Il a contesté sa
condamnation argument que la disposition de loi contenait trop d’imprécisions et qu’elle méconnaissait les
droits et libertés de rang constitutionnel. Le Conseil Constitutionnel lui a donné raison et le jour même, il a
abrogé l’article du Code pénal qui sanctionnait le harcèlement sexuel. Le Conseil Constitutionnel n’a pas
hésité à que nous abrogeons, mais l’abrogation commence dans 30 ou 60 jours : cela laisse le temps au
pouvoir législatif pour préparer un nouveau texte, qui va effacer le précédent.

§3 : L’autorité des normes constitutionnelles au regard des actes administratifs unilatéraux.

Le juge administratif est compétent pour contrôler la constitutionnalité des décisions administratives (actes
administratives) en l’absence de loi ou de traité faisant écran (CF jurisprudence Dehaene).

Chapitre II : Les normes conventionnelles.


Sur le périmètre des normes conventionnelles : les principes généraux du droit international et la coutume
internationale ne font pas partie des normes conventionnelles. Ils sont certes susceptibles de s’appliquer
dans l’ordre juridique interne (le préambule de la Constitution de 1946 dispose, dans l’alinéa 14 que la
République se conforme aux règles du droit public international).

Cependant, dans l’ordre juridique interne français, ces normes ont une valeur infra législative : pour la
coutume : CE, assemblée, 1997 Aquarone et pour les principes généraux du droit international (PGDI) : CE,
2000, arrêt Paulin.

Les normes conventionnelles relèvent de deux catégories : d’une manière générale : les traités, les accords,
les engagements réguliers, et d’autre part du droit de l’Union Européenne : ce droit de l’Union Européenne
est accompagné de règles spécifiques. On doit donc l’inclure, mais l’étudier de part entière.

Section I : Les traités.


Se pose la question de leur invocabilité, puis de leur portée.

§1 : L’invocabilité.

Il y’a des conditions de forme à respecter pour que le traité soit invocable : une ratification régulière et une
publication. Le juge administratif contrôle l’existence de la ratification (d’après un arrêt rendu par le CE,
1951, arrêt élections de Nolay). En l’espèce il s’agissait de la déclaration universelle des droits de l’Homme
qui était signée mais pas ratifiée, donc dépourvue de valeur juridique, non invocable.

Le juge administratif contrôle également la régularité de la procédure de ratification (CE, Assemblée, 1998,
SARL du Parc d’activités de Blotzheim).

S’agissant de la publication, le juge contrôle son existence matérielle et la régularité de la publication (CE,
Assemblée, 1965, Société Navigator).

Sur l’application réciproque par l’autre partie : cette condition ne vaut pas pour les traités multilatéraux
de déclaration de droit (pour la CEDH par exemple). Initialement, le juge administratif refuse de contrôler
51
cette condition de réciprocité : il pose la question au ministre des Affaires étrangères et se lie à son avis.
(CE, Assemblée, 1999, arrêt Chevrol).

Mais la Cour Européenne des Droits de l’Homme condamne la France en 2003 dans un arrêt Chevrol pour
ce principe car elle considère qu’il y’a une violation au droit au procès équitable parce qu’il n’y a pas de
débat contradictoire si le juge se lie selon l’avis du ministre des Affaires étrangères. En 2010, le Conseil d’État
abandonne sa pratique : c’est un arrêt rendu en 2010 par le CE : Madame Cheriet-Benseghir. Il examine
maintenant lui-même la réciprocité après avoir recueilli les observations du ministre des Affaires étrangères
quand même, mais c’est lui qui apprécie cette condition de réciprocité.

Mais il y’a des conditions de fond (conditions matérielles) qui portent sur l’effet direct. Le juge administratif
considère que pour que des particuliers puissent se prévaloir des stipulations d’un traité, il faut que celui-ci
(le traité) produise à leur égard un effet direct. Et cet effet direct suppose plusieurs conditions, notamment :
1 : Que le traité entende reconnaître des droits aux particuliers et pas uniquement régir les rapports entre
états.

2 : Que les stipulations invoquées soient suffisamment précises et inconditionnelles pour fonder les
prétentions des particuliers. À ce sujet, il est procédé habituellement à une analyse stipulations par
stipulations. Sauf, exception : par exemple, la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans son ensemble
(CE 1978 : Jurisprudence Debout). Le Conseil d’État a synthétisé ses exigences dans un arrêt d’assemblée
du 11 avril 2012 : La régistie. Dans cet arrêt il précise notamment que la circonstance selon laquelle le traité
désigne les états partis comme sujet de l’obligation du traité, ne permet pas de déduire qu’il ne produit pas
d’effet sur les particuliers.
Quelle est la portée juridique des traités ?

§2 : La portée juridique.
Le principe est que le juge administratif interprète lui-même les engagements internationaux. Ceci résulte
d’un arrêt d’assemblée rendu par le CE en 1990 : arrêt Gisti. Cet arrêt Gisti abandonne une ancienne
jurisprudence du CE de 1989 (arrêt Beaumartin) qui confiait cette compétence au ministre des Affaires
étrangères.

S’agissant de l’autorité des traités, on peut rappeler que depuis la Constitution de 1946, nous pratiquons le
monisme juridique. Cela signifie que les normes conventionnelles tirées des traités s’imposent à
l’administration, sans qu’on ait besoin d’actes nationaux de transposition. En effet, lorsqu’un traité est signé,
il est parfois prévu qu’il soit ratifié par le législateur (la Constitution en détermine la liste). Lorsque n’est pas
soumis à la ratification, sa seule signature suffit pour qu’il puisse produire des effets juridiques.
Un acte administratif peut bien entendu être contesté par rapport à une convention internationale qu’il
méconnaitrait (CE, 1952 Dame Kirkwood, arrêt d’assemblée).
Quel est le rapport du traité à la loi ?

Depuis le passage au monisme juridique et d’après la Constitution de 1946, la règle qui a prévalu pendant
longtemps a été pour le juge ordinaire (administratif, judiciaire) de faire primer le traité sur la loi antérieure.
Mais pas sur la loi postérieure car cela aurait pu, à partir de 1958, consister en un contrôle de la violation
de la Constitution par le législateur (c’est-à-dire consister à un contrôle de constitutionnalité de la loi, ce que
le juge administratif s’est refusé à faire). L’arrêt dans lequel le CE tient cette position : arrêt 1968 arrêt
Semoules de France.
Quelle est l’idée ? Notre Constitution dans son article 55 dispose que les traités priment sur les lois.
52
Si une loi est adoptée postérieurement à un traité, et qu’elle est contraire au traité, le législateur a-t-il
respecté la Constitution ? La réponse est non.
Si le juge se voit demander d’examiner la conventionnalité de la loi postérieure et contraire au traité, dans
ces conditions, cette question ne le conduit-elle pas à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi ? Le juge
considère qu’il n’est pas juge de la constitutionnalité de la loi, donc il ne peut pas se prononcer sur
l’inconventionnalité, il fait donc primer la loi postérieure au traité quel que soit son contenu, ce qui lui évite
d’avoir à examiner si la loi postérieure au traité est conforme (il peut examiner une loi antérieure mais pas
une loi postérieure).

En résumé : on est d’accord que le traité prime la loi (article 55 de la Constitution) et qu’une loi postérieure
et contraire à un traité viole le traité puisque si l’article 55 dit que le traité prime la loi, cela signifie qu’il
est au-dessus de la loi. À partir du moment où une loi est postérieure ET contraire, elle viole le traité
puisque normalement elle doit être conforme au traité (article 55 de la C). Si on demande au juge
administratif de contrôler la conventionnalité de la loi postérieure au traité, cela signifie qu’on lui demande
si la loi se conforme au traité : or on sait que si elle est postérieure et contraire, elle ne se conforme pas.
Le juge administratif pourrait le dire, mais s’il le dit, il sera obligé de reconnaître que la loi a violé l’article
55 de la Constitution, cela signifie qu’analyser la conformité de la loi à la convention revient à analyser la
constitutionnalité de la loi or il n’est pas le juge de la constitutionnalité de la loi. Donc, plutôt que d’aller
sur une pente périlleuse, il préfère dire qu’il ne contrôlera jamais ça pour ne pas avoir à devenir un juge
qui contrôle la constitutionnalité de la loi, donc il va dire que la loi antérieure au traité doit toujours être
écartée si elle n’est pas contraire au traité mais quand la loi est postérieure au traité, si en plus d’être
postérieure elle est contraire, il ne dira jamais qu’elle est non conforme au traité. Il dira que la loi
postérieure prime le traité tout le temps, ce qui l’évite de devenir un juge de la constitutionnalité de la loi
puisque l’examen de la conventionnalité d’une loi peut l’entraîner à devenir un juge de constitutionnalité
de la loi.

À la suite de cette décision, intervient dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel un arrêt : IVG 1 du 15
janvier 1975. Le Conseil Constitutionnel dans cette décision, dit qu’il n’est pas compétent pour contrôler la
conventionnalité des lois à l’occasion de leur contrôle de constitutionnalité.
Lorsque le Conseil Constitutionnel contrôle une loi, il vérifie si la loi est conforme à la Constitution. Si jamais
la loi méconnaît un traité, elle méconnaît donc l’article 55 de la Constitution.
Est-ce que le Conseil Constitutionnel lorsqu’il contrôle la constitutionnalité de la loi, peut dire qu’elle est
inconstitutionnelle au motif qu’elle est inconventionnelle ? La question peut se poser car
l’inconventionnalité de la loi est aussi une inconstitutionnalité (article 55 de la Constitution).
Dans cette décision de IVG 1, le Conseil Constitutionnel dit qu’il contrôle la constitutionnalité de la loi mais
il ne contrôle pas à l’intérieur de ce contrôle de constitutionnalité, leur conventionnalité. Dans cette
décision, il dit au juge du fond de ne pas hésiter à contrôler la conventionnalité de la loi car je ne le fais pas,
mais je garde le contrôle de constitutionnalité pour moi. Je fais le contrôle de constitutionnalité de la loi mais
pas du point de vue de la violation de l’article 55 de la Constitution. Le juge constitutionnel dit aux juges
ordinaires : faites un contrôle entier de la conventionnalité de la loi car je ne ferai pas de contrôle de
conventionnalité de la loi par le prisme du contrôle de constitutionnalité de la loi.
Le juge judiciaire entend parfaitement le message, et dans l’arrêt Jacques Vabres du 24 mai 1975 rendu par
la chambre mixte de la Cour de cassation, le juge judiciaire accepte de contrôler la loi postérieure et contraire
aux traités et à reconnaitre que la loi est inconventionnelle : désormais, le juge judiciaire considère que le
traité prime la loi, que ce soit une loi antérieure ou postérieure.

53
Le juge administratif va se résoudre à suivre le juge judiciaire uniquement en 1989 : il va donc être d’une
excessive patience. Désormais, à partir de cet arrêt du Conseil d’État de 1989 (arrêt Nicolo), les conventions
internationales priment toujours la loi y compris si elle est antérieure ou postérieure au traité.

Pourquoi autant d’années avant de passer à l’acte ? Le CE pendant longtemps a adopté une position de
résistance au développement du droit communautaire (droit de l’Union Européenne) et il a bien senti que si
on va jusqu’au bout de cette logique, alors on pouvait reconnaître que le législateur interne permet une
partie de sa liberté parce qu’il est soumis au traité quel que soit le caractère postérieur et contraire de la loi
au traité (pendant longtemps, le vice-président du CE était extrêmement centré sur le droit national, il y’en
a même eu un qui tenait des propos agressifs sur les institutions européennes).
Le rapport traité – traité : comment faire lorsqu’on a un traité dont la conciliation avec un autre traité pose
question ?

Le juge administratif considère qu’il est incompétent pour contrôler la conformité d’un traité à l’égard d’un
autre traité (JP du CE, 2002 Commue de Porta). La raison est que ce sont des normes identiques et que
puisqu’elles ont la même valeur, il n’y en a pas une qui domine l’autre.
Mais on reste quand même sur notre problème : le CE est toujours ingénieux pour trouver des solutions. Il a
reconnu par l’arrêt Zaidi en 2000, que le juge dispose d’un pouvoir d’interprétation des traités pour les
rendre compatible avec d’autres normes conventionnelles. On comprend donc que l’interprétation a pour
but de rendre compatible des traités dont la première lecture a montré qu’ils étaient inconventionnelles.
Les juges vont essayer de gommer les motifs d’incompatibilité. Le CE a aussi apporté des précisions par un
arrêt d’assemblée du 23 décembre 2011 : Kandyrine De Brito Paiva. Dans cet arrêt, le CE explique comment
l’interprétation des traités va permettre de les combiner.
L’exemple à l’origine du litige est assez simple : nous avons un Traité A (TA) et un Traité B (TB). Pour respecter
le traité A, l’État doit l’appliquer. Et donc l’État va appliquer un acte d’application du traité A qu’on appelle
A1. Il se trouve que A1 est nécessaire pour respecter A mais que par ailleurs, A1 viole B. nous avons donc
une sorte de cas cornélien : si l’État n’adopte pas A1 il viole A1 puisque le traité doit être appliqué par A1
mais en même temps, en appliquant A1 l’État viole B. Si on enlève A1 on ne viole plus B, mais si on n’édicte
pas A1 on viole A. Dans les deux cas on se fait violer.
Comment le CE nous sort de l’ornière ?

Le CE rappelle dans l’arrêt Kandyrine que le juge ne va pas se prononcer sur la validité du traité au regard
d’un autre traité lorsqu’il est saisi d’un recours contre un acte qui porte publication du premier traité.
Ensuite, il dit que peut être utilement invoqué, à l’appui de conclusions contre une décision qui fait
application d’un traité, un moyen tiré de l’incompatibilité des stipulations dont il est fait application par la
décision en cause avec celle d’un autre traité. Il ajoute également sous réserve qu’il ne s’agit pas de l’Union
Européenne (car on a un traitement spécifique en ce qui concerne le droit de l’Union Européenne).
À l’occasion d’un recours contre A1, on peut se prévaloir de l’incompatibilité des stipulations de TA à l’égard
de TB dès lors que l’acte A1 attaqué reproduit les stipulations de TA = lorsqu’on attaque un acte qui applique
un traité, on peut, pour attaquer cet acte d’application, invoquer le fait que des stipulations du traité appliqué
reprises dans l’acte attaqué sont incompatibles avec un autre traité.
Dans ce cas, le juge administratif doit vérifier que les stipulations de l’autre traité sont bien dans l’ordre
juridique interne, qu’elles sont invocables devant lui, qu’une fois ceci vérifié, il doit conformément au principe
du droit coutumier relatif à la combinaison entre elles, des conventions internationales, définir les modalités
54
d’application respectives des normes internationales en débat de manière à les concilier en les interprétant,
le cas échéant au regard de règles et principes à valeur constitutionnelle et des principes d’ordres publics.
Dit en français normal, cela signifie qu’une fois que le juge a vérifié que TB est bien dans l’ordre juridique et
que les stipulations sont bien invocables, le juge va interpréter TA et TB de manière à essayer de gommer
leur contradiction en assurant leur conciliation. On va donc faire dire au texte le maximum de ce que l’on
peut leur faire dire mais de manière à ne pas les trahir et à essayer gommer leur incompatibilité.
Dernier point de l’arrêt Kandyrine : le CE à la fin de l’arrêt nous dit la chose suivante : s’il apparaît impossible
d’assurer cette conciliation, ni de dire quelles stipulations doivent être écartées, alors le juge administratif
applique la norme internationale dans le champ de laquelle, la décision contestée a entendu se placer et
pour l’application de laquelle, cette décision a été prise. Il (le juge) écarte en conséquence le moyen tiré de
l’incompatibilité avec l’autre norme internationale invoquée, sans préjudice des conséquences en matière
d’engagement de responsabilité de l’État dans l’ordre interne ou dans l’ordre international.
Cela signifie que dans le deux cas y’a un problème : si on n’annule pas A1, on laisse TB violer, si on annule A1
alors on laisse TA inappliqué donc violé. C’est insoluble.
Ainsi, soit on arrive à faire en sorte que TB et TA se concilient grâce à un effort d’interprétation et alors ce
qui apparaît comme une incompatibilité cesse de l’être ; ou alors on n’a pas réussi : dans ce cas-là on applique
le traité dans le champ duquel a entendu se placer l’acte attaqué.
Le Ce reconnaît qu’en vrai, on ne peut pas sortir de l’ornière car il y’aura de toute façon il y’aura un traité qui
sera violé, mais on sait qu’un traité est resté violé donc si un préjudice est né de la violation de ce traité, alors
il y’a un motif d’engagement de la responsabilité de l’État qui est possible, aux victimes d’en faire le recours
(la responsabilité de l’État dans l’ordre interne et international peut être invoquée par le justiciable).
Le rapport traité – constitution.
Le juge administratif, comme nous le savons, ne contrôle pas la constitutionnalité des traités mais la
réciproque est VRAIE : le juge administratif ne contrôle pas non plus la conventionnalité de la constitution.
Pour une raison simple : c’est que dans l’ordre juridique interne, la suprématie des traités sur les lois ne
s’étend pas à la Constitution : autrement dit, les dispositions des traités ne sont pas supérieures à la
Constitution (arrêt d’assemblée du CE 1998, arrêt Sarran). La Cour de cassation soutient la même analyse
dans un arrêt d’Assemblée arrêt Fraisse de 2000.

Le CE en 2001, poursuit en considérant que le principe de primauté posé par le droit communautaire ne
saurait remettre en cause la supériorité de la Constitution dans l’ordre interne (JP Syndicat National de
l’Industrie Pharmaceutique, 2001).
Une question se pose : il est arrivé que l’on modifie la Constitution pour pouvoir ratifier un Traité (Maastricht
par exemple). Dans ces conditions, si on modifie la Constitution pour ratifier le traité, est-ce que cela ne
signifie pas que le traité a une valeur supérieure à la Constitution ?
Ce qu’il faut comprendre c’est que si on modifie la Constitution pour pouvoir adopter le traité, cela signifie
que si on ne modifiait pas la Constitution le traité serait inconstitutionnel. On a donc changé le cadre de
référence pour que la norme inférieure lui soit conforme. Politiquement dans ce cas, on a préféré le traité à
la Constitution telle qu’elle était énoncée. Mais juridiquement si on a modifié la Constitution avant de ratifier
le traité c’était parce que le traité devait lui être conforme. Il y’a deux points de vue ici.
Pourquoi la question se pose et pourquoi le Conseil d’État fait usage de l’expression « supériorité de la
Constitution dans l’ordre interne » ? Ce qu’il faut comprendre c’est que du point de vue des institutions de
l’Union Européenne, la logique est une logique de suprématie de l’Union Européenne sur l’État : s’il suffisait
55
qu’un état déclare qu’il peut s’exonérer de respecter le traité au nom de sa Constitution alors chaque état
pourrait décider à la carte qu’il cesse de jouer le jeu de la construction européenne. Mais la position de la
CJUE a toujours été de lutter contre cette tendance et dans un arrêt de 1964 : Costa C/ENEL, la CJUE a bien
pris soin de rappeler que les états ne peuvent pas invoquer la Constitution pour ne pas appliquer le traité.
C’est donc jouer un bras de fer entre la position étatique et la position communautaire.
Le compromis qui a été trouvé est un compromis d’ordre rhétorique car lorsque le Conseil d’État dit que la
Constitution est supérieure au traité dans l’ordre interne, il sous-entend que peut être que dans un ordre
externe c’est différent et qu’il ne veut pas contredire la position de la CJUE. En tout cas, dans l’ordre interne,
c’est la Constitution qui est au sommet.
Si on prolonge l’analyse on aurait deux rapports opposés : il y’aurait la Constitution supérieure au traité dans
l’ordre interne et la Constitution inférieure dans l’ordre externe (on aurait donc en quelques sortes deux
pyramides de Kelsen ou une pyramide avec deux pointes).

Section II : Les spécificités du droit de l’Union Européenne.


Le droit de l’Union Européenne a, dans son ensemble, une valeur conventionnelle. Mais il existe en son sein
une hiérarchie des normes avec deux niveaux : au niveau le plus élevé figure le droit primaire (droit
originaire) ainsi que les principes généraux du droit de l’Union Européenne (PGD). À l’étage inférieur figure
le droit dérivé de l’Union Européenne. On compte en son sein (au sein du droit dérivé) les directives, les
règlements et les décisions individuelles.

Il existe une différence entre les directives et les règlements : la directive est un acte à deux étages, il y’a une
obligation en termes d’objectif à atteindre et il y’a ensuite la traduction de ces objectifs à travers une
transposition interne. L’État transpose la directive de l’Union soit par une loi soit par un règlement, il choisit
lui-même les moyens pour atteindre les fins fixées par la directive. La directive a donc besoin d’être
transposée. Le règlement quant à lui n’est pas transposé, il produit ses effets lui-même immédiatement.
§1 : L’interprétation du droit de l’Union Européenne.
Il faut bien rappeler ce qu’est l’interprétation : c’est le fait pour un juge de préciser quel est le sens qu’il
convient de donner à des énoncés. D’ailleurs, l’appréciation de validité c’est quelque chose d’un peu
différent. Il s’agit de reconnaître si un acte est valide c’est-à-dire s’il peut rester dans l’ordre juridique ou non.
À titre liminaire : quelques éléments sur la validité.
S’agissant de la validité il faut rappeler que l’article 267 du TFUE prévoit que l’appréciation de la validité des
actes de droit dérivé (des directives, règlements, décisions…) relèvent de la CJUE.
Le juge national qu’il soit ordinaire ou suprême, en l’absence de difficultés sérieuses, peut très bien constater
la validité d’une norme européenne dérivée. Mais il ne peut pas prononcer son invalidité parce que seule
la CJUE le peut. Le débat existe au sein de l’Union, plus précisément au sein des états, pour savoir si des
juridictions internes pourraient se prononcer sur la validité des actes de droit dérivé. Par exemple, la
juridiction suprême allemande l’a admis dans une décision du 5 mai 2020 en considérant qu’elle pouvait être
compétente pour se prononcer sur la conformité d’un acte de droit dérivé et donc, admettre une sorte
d’excès de pouvoir des institutions européennes.
On emploi à l’égard de cet objet une expression qui est le contrôle de l’ultra-vires (cette locution signifie
qu’une institution est allé au-delà des pouvoirs qui lui sont conférés).

56
Ce que le juge national peut ici faire, c’est écarter l’acte dérivé comme inapplicable. Le Conseil d’État français
a été sollicité par le Gouvernement Français pour aller dans cette voie. Il s’y est refusé dans une décision
d’Assemblée du 21 avril 2021 : French DATA NETWORKS. Le CE, dans cette décision, juge qu’il n’appartient
pas au juge administratif de s’assurer du respect par le droit dérivé de l’UE ou par la CJUE elle-même de la
répartition des compétences entre l’UE et les états membres. L’expression « ou par la CJUE elle-même »
signifie que dans le cadre d’un control éventuel de l’ultra-vires on peut intégrer la conformité des
jurisprudences des juges européens.

Ce refus de la France, du moins du CE de s’engager dans ce contrôle de l’ultra-vires est une décision qui a
manifestement un enjeu politique : si chacun des états pouvait exercer ce contrôle alors cela
compromettrait gravement la construction de l’Union Européenne puisque le juge de l’Union serait contesté
et concurrencé.

S’agissant de l’interprétation : le TFUE dans son article 234 impose aux juridictions de renvoyer à la CJUE
toute question d’interprétation des actes de l’UE. La jurisprudence a toutefois précisé cet objet.
Le CE, a posé le principe en 1964 selon lequel, cette obligation est respectée uniquement en cas de difficulté
sérieuse. L’arrêt est un arrêt d’assemblée du Conseil d’État : Société des pétroles Schell-Verre. Autrement
dit, si l’acte de l’union est clair, pas de question préjudicielle, si l’acte n’est pas clair alors question
préjudicielle. La CJUE admis cette jurisprudence dans l’arrêt Cilfit de 1982.
Le juge administratif accepte l’autorité de l’interprétation de la CJUE même si elle dépasse le cadre de la
question posée. En effet, si une question préjudicielle est posée à la CJUE sur un périmètre A et que la CJUE
répond plus largement, cette réponse s’impose en entier (JP CE, ASS, Société de Groot En Slot, 2006).

La CJUE a rendu un arrêt le 6 octobre 2021 : Consorzio Italian Management (CIM). Cette décision de 2021
vient compléter la jurisprudence Cilfit de 1982, celle-ci avait en 1982, posé plusieurs exceptions à l’obligation
de renvoi préjudicielle (au-delà de la question du caractère clair).
1ère exception : la question n’est pas pertinente pour la solution du litige.

2ème exception : la disposition du droit de l’UE a déjà fait l’objet d’une interprétation par la CJUE.
3ème exception : l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse
place à aucun doute.
La décision de 2021 (CIM) précise que lorsqu’une juridiction nationale ne saisit pas la CJUE pour une question
préjudicielle, elle doit indiquer celui des 3 motifs lui permettant de s’affranchir de cette obligation. On
comprend que si aucune de ces exceptions n’est satisfaite, la juridiction nationale est tenue de saisir la
CJUE.
Parenthèse : le droit de la CEDH n’a pas le même objet que le droit de l’UE. Depuis 2018, est entré en vigueur
un protocole N°16 (additionnel à la convention EDH) et est désormais ouvert aux juridictions suprêmes
internes une possibilité de demander à la Cour EDH un avis sur des questions de principe qui portent sur
l’interprétation, l’application des droits et libertés, définies dans le texte de la convention EDH et les
protocoles additionnels. La France a fait une première application de ce texte dans un arrêt du 15 avril 2021 :
Fédération Forestiers Privés de France (FRANSYLVA).

Par rapport à ces principes d’interprétation de question préjudicielle, apparait un cas exceptionnel : le droit
des mesures d’urgence.
Notre juge administratif doit parfois juger en urgence en matière de référé-suspension, en matière de référé-
liberté : lorsqu’il se prononce en cette qualité, le juge administratif peut interpréter les actes de l’UE car il
57
doit juger en urgence ; il va donc interpréter lui-même le sens et la portée du droit de l’UE même si c’est de
manière provisoire PARCE QUE c’est urgent (ordonnance du CE, 2006, Madame Milana).
§2 : La portée du droit de l’Union dérivé.

Ce droit dérivé comme toute norme conventionnelle a une valeur supérieure aux lois nationales. Que cela
concerne les directives ou les règlements (même les décisions).
Deux questions spécifiques vont retenir notre intention : l’invocabilité des directives (son régime) et le
contrôle du juge sur ce droit de l’Union Européenne dérivé.

Les directives ce se sont les actes qui lient les états s’agissant des résultats à atteindre mais qu’ils laissent les
états libres des moyens de transposition (le moyen d’atteindre). Les règlements au contraire n’ont pas besoin
d’être transposés et contiennent des objectifs qui s’imposent eux-mêmes. Le règlement dès qu’il est publié
au JOUE, il s’applique.

Ces directives n’ont pas d’effet direct car il y’a un délai de transposition mais plusieurs questions se posent :
Que se passe-t-il pendant le délai de transposition ?
Que se passe-t-il quand le délai de transposition a expiré et que la directive n’a pas été transposée ?
Dans quelle mesure sont-elles invocables ?
La CJUE a apporté une réponse à une partie de ces questions dans un arrêt de 1974 : Van Duyn. Ce qu’elle
dit la CJUE c’est que pour éviter un risque de vide juridique inhérent à l’absence de transposition, dans
certaines hypothèses, selon leur nature et les termes de la disposition en cause, les directives produisent
des effets directs dans les relations entre états et particuliers. Mais, le délai de transposition doit être expiré
et les dispositions de la directive doivent être suffisamment précises et inconditionnelles.

Le juge Français a fait l’objet d’une démarche de frein à l’égard de cette jurisprudence de la CJUE en refusant
de reconnaître l’effet direct des directives contre les décisions administratives individuelles (JP CE, ASS,
1978 arrêt Cohn-Bendit) : le CE refuse que lorsqu’est expirée une directive même si dispositions sont claires
et inconditionnelles, que la directive soit invocable et bénéficie d’un effet direct à l’égard d’une décision
administrative individuelle.
À l’époque, la seule possibilité de se prévaloir de l’effet directe d’une directive est de s’en prévaloir à
l’encontre d’un règlement (acte règlementaire national) et par le mécanisme de l’exception, de faire
annuler un acte individuel fondé sur le règlement. Mais on ne peut pas invoquer la directive directement à
l’encontre d’un acte individuel.
Pour illustrer le mécanisme de l’exception : imaginons qu’on mesure 1M60 et qu’on veut attraper une pomme
d’un pommier mais que même en rehaussant les pieds on n’y arrive pas. Si on n’a pas de chaise, on scie
l’arbre et ce dernier tombe, donc la pomme tombe aussi. C’est la même chose pour l’acte individuel : si on a
un acte individuel qui a été pris sur la base d’un acte règlementaire, qu’on parvient à faire reconnaître le
caractère illégal de l’acte règlementaire, alors on peut obtenir l’annulation de l’acte individuel qui procède
à une application parfaitement conforme à l’acte règlementaire.
On a deux recours possibles :
1 : Le recours par voie d’action : il s’agit de démontrer que l’acte attaqué viole la norme supérieure (attaque
frontale).

58
2 : Le recours par voie d’exception : j’invoque l’illégalité de l’acte qui fonde celui que j’attaque, pour que si
cette illégalité est reconnue, alors l’acte que j’attaque perde son fondement et soit annulé (on fait tomber le
support).

Ce que dit l’arrêt Cohn-Bendit c’est qu’on ne peut pas invoquer la directive à l’encontre d’un acte individuel,
on peut l’invoquer à l’encontre d’un acte réglementaire. Donc si j’ai un acte règlementaire sur la base duquel
se fonde l’acte individuel que j’attaque, je peux invoquer la directive, et si le juge dit que l’acte règlementaire
a violé la directive, alors l’acte règlementaire est illégal et puisque l’acte individuel est fondé dessus, il se
fonde sur un acte illégal qui doit être annulé.
Selon quelle modalité s’impose le respect des directives par les règles nationales ?
Pendant le délai de transposition, l’administration ne peut pas édicter de règlements qui compromettrait
sérieusement le résultat prescrit par la directive, cela veut dire que le juge peut annuler un acte
règlementaire qui est édicté et qui est contraire à la directive (CE, 1999, Association Ornithologique et
Mammalogique de Saune et Loire). Après l’expiration des délais, les autorités ne peuvent ni édicter, ni
laisser subsister des dispositions réglementaires incompatibles avec les objectifs d’une directive (arrêt, CE
1989 Compagnie Alitalia).
Il y’a même une obligation d’abroger de tels textes et le devoir de ne pas prendre des mesures d’exécution
d’une loi contraire aux objectifs de la directive (CE 1999, Association de patients de la médecine
d’orientation anthroposophiques). On peut ajouter qu’un refus de transposition est attaquable en excès de
pouvoir (CE, ASS, 17 décembre 2021 arrêt MQ).
L’exception d’inconventionnalité est possible contre la loi contraire aux objectifs de la directive (CE, ASS 1992,
Société Anonyme SA Rothmans International France).
L’exception d’inconventionnalité de la loi : cela signifie qu’on a un acte qui applique bien une loi ; cet acte on
ne peut pas l’attaquer car il applique parfaitement la loi, en revanche la loi méconnaît les dispositions d’une
directive. Je peux donc, pour faire annuler mon acte, me prévaloir du mécanisme de l’exception : ce n’est pas
parce que l’acte viole la loi que je demande son annulation, c’est parce qu’il applique bien une loi
inconventionnelle. Si je démontre que la loi est contraire aux objectifs de la directive, alors je peux exciper
du caractère inconventionnel de la loi pour faire annuler l’acte administratif qui procède à son application.
La loi ne sera pas annulée par le juge, elle sera écartée car elle est contraire aux objectifs de la directive.

On peut ajouter que le maintien ou l’édiction, après les délais impartis d’actes nationaux incompatibles avec
les objectifs de la directive, peut engager la responsabilité de l’État. Cette solution s’applique aux règlements
des actes administratifs (CE, 1992 Société Arizona Tobacco products). Cette solution vaut également pour la
loi : la responsabilité de l’État peut être engagé du fait d’une loi contraire aux objectifs de la directive après
expiration du délai (CE, ASS, 2007, arrêt Gardedieu).

Quelques mots s’agissant des directives et décisions individuelles : l’État qui n’a pas transposé une directive
ne peut pas s’en prévaloir à l’égard de l’administré, il ne peut pas invoquer la directive (CE, 1995, société Lily
France).
Quant à la jurisprudence Cohn-Bendit, elle a été abandonnée par un arrêt d’Assemblée de 2009 : madame
Perreux. On peut donc, à l’issue du délai de transposition, si les dispositions sont claires et inconditionnelles,
invoquer l’effet direct de la directive à l’égard d’un acte administratif individuel, on n’est plus obligés de passer
par le mécanisme de l’exception.
Le contrôle du droit de l’UE dérivé :

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Un mot pour commencer sur le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel lors du contrôle des lois de
transposition : le Conseil Constitutionnel a précisé la nature de son contrôle de manière progressive à partir
d’une décision du 10 juin 2004 : loi pour la confiance dans l’économie numérique.

Dans cette décision de 2004, le Conseil Constitutionnel considère que la Constitution dans son article 88-1
érige la transposition des directives en une obligation constitutionnelle. Il considère donc que son contrôle
de constitutionnalité des lois de transposition ou des directives, doit être restreint à ce motif. Si on censure
les lois de transposition cela signifie qu’on empêche la transposition : donc l’article 88 de la Constitution n’est
plus appliqué. Donc il faut restreindre le contrôle de la constitutionnalité des lois de transposition des
directives.
Comment va-t-il restreindre son contrôle ? Le Conseil Constitutionnel aménage le principe qu’il avait posé
dans sa décision IVG 1 en 1975. Le Conseil Constitutionnel avait dit je ne contrôle pas la conventionnalité de
la loi dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de la loi.
À propos des lois de transposition des directives, le Conseil Constitutionnel décide qu’il s’autorise à
sanctionne l’erreur manifeste du législateur dans la transposition des dispositions de la directive : cela
signifie que la loi de transposition de la directive peut être déclarée inconstitutionnelle si le législateur a
commis une erreur manifeste en mal transposant la directive.

Deuxième principe : le Conseil Constitutionnel considère qu’il doit déroger à sa pleine compétence pour
contrôler la constitutionnalité des lois déférées sur le fondement de l’article 61 de la Constitution ; il
considère que l’article 88-1 de la Constitution lui interdit de faire échec à la transposition fidèle d’une
directive à l’exception du cas exceptionnel où les dispositions de la directive heurtent une disposition
expresse de la Constitution. Le Conseil dit que la Constitution oblige à transposer, donc je ne peux pas
empêcher la transposition, mais si au nom de l’article 88-1 je laisse passer toute loi transposant fidèlement
une directive sans me demander quel est le contenu de cette directive, alors je prends aussi le risque qu’une
directive ayant un contenu contraire à la Constitution, fidèlement transposée par une loi conduise à ce que
la loi viole la Constitution et d’une certaine façon, le Conseil se retrouve dans un dilemme : à la fois il faut
respecter la Constitution et ne pas empêcher la transposition et en même temps il faut veiller à ce que les
lois qui transcrivent la directive fidèlement ne contiennent pas de dispositions contraires à la Constitution.
Ce que se limitera de contrôler le juge, ce seront les atteintes à la disposition expresse.

Cette jurisprudence du Conseil va être critiquée car sa formulation est ambiguë, mal rédigée, et le Conseil en
2006, décide de changer de formulation dans une décision du 27 juillet 2006 : loi relative au droit d’auteur
et aux droits voisins dans la société de l’information.
Ce que dit le Conseil dans cette décision, c’est qu’il abandonne la référence aux dispositions qui vont à
l’encontre des dispositions expresses de la Constitution. Désormais il ne censurera que les dispositions de
loi transposant fidèlement une directive qui vont à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à
l’identité constitutionnelle de la France. Il ne concentre son attention que sur les dispositions de loi qui
contiennent des éléments allant à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité
constitutionnelle de la France.

Qu’est-ce que l’identité constitutionnelle de la France ? La doctrine, lorsque cette décision a été rendue, n’a
pas manqué de souligner qu’on est passé d’une ambiguïté à une autre. Pendant des années, on n’a pas eu
d’informations : certains considéraient que ce qui était propre à l’identité constitutionnelle de la France
renvoyait à ce qui était distinctif de ce qui était fondamental. Il a fallu attendre une décision constitutionnelle
de 2021 pour avoir un élément de réponse. Le Conseil constitutionnel donne une réponse dans une décision
QPC N°2021-940 du 15 octobre 2021 (société Air France) : dans cette décision le Conseil reconnaît que
60
l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale,
inhérente à l’exercice de la force publique correspond à une règle relative à l’identité constitutionnelle de la
France. Cette exigence est un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. Il s’agit d’une
affirmation du Conseil constitutionnel. Et dans la même décision, il dit que le droit à la sureté, l’égalité devant
les charges publiques et le principe de la responsabilité personnelle ne sont pas des règles et principes
inhérents à l’identité constitutionnelle de la France.
On peut noter que le Conseil constitutionnel a étendu par la suite sa jurisprudence relative aux lois de
transposition des directives à celles qui ont pour objet d’adapter le droit interne au règlement de l’Union
Européenne dans une décision du 12 juin 2018.
Quel contrôle exerce le juge administratif à l’égard des règlements administratifs transposant des
dispositions inconditionnelles et précises de directives communautaires ?

C’est par un arrêt célèbre rendu par le CE en formation d’assemblée en 2007 : l’arrêt ARCELOR qui est venu
répondre à cette question.
En l’espèce, ce qui est contesté par le requérant c’est le fait que le décret de transposition est
inconstitutionnel (c’est un décret qui transpose parce que l’objet de la directive relève du pouvoir du Premier
ministre). Le requérant conteste donc la constitutionnalité du décret de transposition : il dit qu’il y’a des
industries sidérurgiques soumises à certaines règles et d’autres non, atteinte à la propriété, atteinte au
principe d’égalité et il considère donc que le décret est inconstitutionnel, il demande au juge administratif
d’annuler le décret pour inconstitutionnalité : mais le décret reproduit fidèlement la directive. Donc juger de
la constitutionnalité du décret revient à juger de la constitutionnalité de la directive et le juge administratif
ne veut pas être juge de la constitutionnalité de la directive. Il s’apprête donc, si on suit ses habitudes, à dire
qu’il ne peut rien faire.
Le juge administratif a alors eu une idée ; au lieu de se poser la question de la constitutionnalité du décret,
posons-nous la question de la conformité, au droit de l’Union, de la directive qui est transposée de manière
très fidèle et précise par le décret. Regardons si la directive est conforme (au point de vue matériel) au droit
de l’Union : regardons s’il peut y avoir par rapport aux articles du bloc de constitutionnalité qui ont été
invoquées par le requérant un mécanisme d’équivalence au sein du droit de l’Union Européenne (principe
d’équivalence).

S’il y’a un principe d’équivalence, regardons si la directive respecte bien le droit de propriété, le principe
d’égalité qui sont au sein du droit primaire et des PGD. Si la directive respecte le droit primaire et les PGD, le
juge administratif peut le reconnaître, le juge va dire que la directive respecte le droit primaire et les PGD, or
comme le décret l’applique fidèlement alors on rejette le recours en annulation contre le décret. Si il apparaît
que la directive n’a pas l’air de respecter le droit primaire de l’UE et les PGD, le juge administratif ne peut pas
le dire lui-même : il peut dire que c’est valide, mais il ne peut pas dire que c’est invalide même si c’est évident :
dans ce cas-là, il pose une question préjudicielle à la Cour de Justice pour demander si les dispositions du
droit primaire et des PGD ont été violées : si c’est le cas alors la directive est invalidée et comme le décret la
reproduit fidèlement alors le décret perd sa base légale et la requête en annulation est accueillie
favorablement.
S’il n’y a pas d’équivalences, les principes qui étaient dans la Constitution invoquées par le requérant pour
faire annuler le décret n’ont pas d’équivalant au sein du droit primaire et des PGD, que fait-on ? Le traité
écran (la directive) saute et le juge peut contrôler directement la constitutionnalité du décret. Ce qui est
intéressant dans cette jurisprudence c’est que la théorie de l’équivalence permet de ne pas renoncer au
contrôle de constitutionnalité et ceci pour une double raison : parce qu’on trouve une possible équivalence
61
au contrôle de constitutionnalité à travers le contrôle de conventionnalité du droit dérivé parce qu’on va
vérifier si le droit dérivé respecte le droit primaire et les PGD et on fait comme si la norme suprême dans
l’ordre interne était équivalente au droit primaire dans l’ordre externe (1). Si cette équivalence n’existe pas,
on ne renonce pas au contrôle de constitutionnalité, mais cette fois-ci ce n’est plus un contrôle de
constitutionnalité de la directive, c’est un contrôle de constitutionnalité directe de l’acte attaqué (2).
Le CE a étendu la jurisprudence Arcelor aux actes règlementaires qui se bornent à tirer les conséquences
nécessaires de règlements de l’Union Européenne. En effet, l’arrêt Arcelor ne concerne que les règlements
concernant les directives mais, quid des règlements ne transposant pas les directives mais tirant
conséquence des règles européennes ? Le CE étend la jurisprudence Arcelor dans un arrêt d’assemblée du
21 avril 2021, French Data Networks. Dans le cadre du contrôle de la légalité, et de la constitutionnalité des
actes règlementaires, assurant directement la transposition d’une directive européenne, ou l’adaptation du
droit interne à un règlement, et dont le contenu découle nécessairement des obligations prévues par la
directive ou le règlement, il appartient au juge saisi d’un moyen tiré de la méconnaissance d’une disposition
ou d’un principe de valeur constitutionnelle de rechercher s’il existe une règle ou un PGD de l’Union qui, eu
égard à sa nature et à sa portée telle qu’interprété en l’état actuel de la jurisprudence, garantit par son
application, l’effectivité du principe constitutionnel invoqué.

Là on retrouve le schéma d’Arcelor : soit il y’a une affirmative : auquel cas on vérifie si le règlement ou la
directive est conforme au droit primaire, si c’est valide c’est bon, si doute on saisit la cour, et si pas
d’équivalence alors le juge contrôle directement la constitutionnalité des dispositions règlementaires
contestées. On est sur le même principe que sur le schéma de l’arrêt Arcelor.

L’inconventionnalité et la privation des garanties effectives d’une exigence constitutionnelle : la règle de


l’arrêt French Data Networks envisage plusieurs choses et notamment le cas où il est saisi d’un recours contre
un acte administratif qui entre dans le champ d’application du droit de l’union et doit le respecter.
Depuis l’arrêt Nicolo le juge est compétent pour vérifier si cet acte n’est pas contraire au droit de l’Union
notamment grâce au mécanisme de l’exception d’inconventionnalité de la loi. Un problème peut survenir
qui tiendrait à ce que le juge puisse être amené à priver de garantie effective une exigence constitutionnelle,
dans l’hypothèse où en censurant une inconventionnalité, cela se ferait au prix d’une inconstitutionnalité.
Le Conseil d’État décide qu’il n’appartient pas au juge administratif de vérifier d’office qu’en écartant une
règle de droit national car contraire au droit de l’Union ; il priverait de garantie effective une exigence
constitutionnelle. Il faut, pour ce faire, que le défendeur soulève un moyen en ce sens.
Si le défendeur soulève un moyen en ce sens, le raisonnement du juge s’inspire du principe de la
jurisprudence Arcelor avec la technique de la protection équivalente : le juge va rechercher si l’exigence
constitutionnelle invoquée, a, en droit de l’Union, une protection équivalente à celle du droit français : si
c’est le cas, s’il y’a équivalence, le moyen tiré de ce qu’en écartant une règle de droit national, le juge priverait
de protection une norme constitutionnelle, sera rejetée. En l’absence d’équivalence, le juge pourra écarter
la règle nationale qu’après avoir vérifié si en statuant ainsi, il ne prive pas de garantie une exigence
constitutionnelle. Le raisonnement du juge consiste ainsi à veiller à ce que pour respecter le droit de l’Union,
on ne porte pas une atteinte excessive à la Constitution : on utilise le mécanisme de l’équivalence qui permet
de concilier le respect des deux ordres juridiques pour ne pas reconnaître la supériorité de l’un sur l’autre.

Ouverture sur le paragraphe §2 sur la question de la conventionnalité du droit de l’UE dérivé : nous avons
une jurisprudence du CE de 2008 (Conseil national des barreaux) dans le cadre de laquelle le CE va se
prononcer pour statuer sur la conventionnalité d’une loi transposant une directive, sur la conventionnalité

62
de la directive par rapport aux droits fondamentaux protégés par la Cour Européenne des Droits de
l’Homme.
Cet élément peut surprendre car lorsque des normes possèdent une valeur conventionnelle, il n’y a pas de
contrôle de conformité d’une norme conventionnelle par rapport à une autre car elles sont au même rang.
C’est pour cette raison que lorsque survient une contradiction entre des normes conventionnelles : on fait
appel à la logique de l’analyse de compatibilité (arrêt Kandyrine). Mais dans l’arrêt de 2008, le CE accepte
quand même de contrôler la conformité d’une directive aux droits fondamentaux de la CEDH.

Pourquoi ?
C’est pour une raison très spécifique au droit de l’UE et qui tient à ce que les droits protégés par la CEDH
font partie des principes généraux du droit de l’UE, ce qui veut dire qu’en droit de l’Union, les droits de la
CEDH existent au sein du droit primaire de l’UE.

Et puisque la directive fait partie du droit dérivé, alors la directive doit respecter le droit primaire. Pour
cette raison, le CE considère qu’il est possible de parler d’un contrôle de conformité de la directive aux droits
protégées par la CEDH.
En revanche, le CE considère classiquement, tel qu’il l’avait rappelé dans la jurisprudence Arcelor, qu’il ne
peut pas lui-même annuler un acte de droit dérivé : donc il peut se prononcer pour dire que la directive est
bien conforme à la CEDH et rejeter le recours mais s’il éprouve un doute sérieux sur la conformité de la
directive par rapport à la CEDH, alors il ne peut que saisir la Cour de Justice qui elle, se prononcera de façon
classique.

Chapitre III : Les normes de rang législatif ou infra-législatif et supra-décrétale.

Nous avons des sources textuelles différentes qui ont un rang législatif. Et nous avons aussi des PGD a valeur
infra-législative et supra-décrétale.

Section I : Les sources textuelles de rang législatif.


Une loi, c’est un acte voté par le Parlement. C’est la définition organique et celle-ci ne nous donne pas
beaucoup d’éléments de compréhension sur le contenu de la loi. Si on consulte l’article 34 de la Constitution,
on lit que la loi détermine des principes dans le cadre d’une série d’objets mentionnés. Nous avons sous la
Vème République une définition matérielle de la loi car elle a un champ de compétence matérielle. Et ce
qui n’est pas dans le champ de compétence matérielle de la loi, est dans le champ du pouvoir règlementaire.
Sous l’Ancien Régime, on avait aussi la catégorie loi qui existait, nous avions aussi des règlements :
aujourd’hui les règlements sont notamment l’œuvre de l’exécutif notamment. En revanche, le Parlement
n’adopte pas de règlements (séparation des pouvoirs).
Pourquoi « sources textuelles de rang législatif » ? Parce qu’il existe des normes qui ont la valeur de loi. Parmi
celles-ci, on compte les ordonnances royales de l’AR : il existe un certain nombre d’ordonnances rendues
sous l’AR qui ne sont pas sorties de l’ordre juridique et qui produisent toujours des effets. Des lois ont aussi
été adoptées sous le Régime de Vichy, et la question était de savoir si elles avaient une valeur législative : le
CE considère que oui. De même pour les ordonnances du Comité Français de Libération Nationale et du
Gouvernement provisoire de la République Française lors de la Libération : ce sont des lois, quand bien même
ce s’appelles ordonnances (CE 1946 Botton).

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Les décisions du Président de la République en application de l’article 62 de la Constitution sur les pleins
pouvoirs : lorsque ces décisions relèvent du domaine de la loi, alors elles ont un rang législatif (CE, Assemblée
Rubin de Servens, 1962).

Le régime de la loi : nous avons une différence entre l’article 34 et l’article 37 de la Constitution. En effet,
l’article 34 énumère des matières relevant du législateur et on peut rajouter l’article 53 également concernant
certains traités devant être ratifier par le Parlement + article 4 de la Constitution : nous avons donc plusieurs
articles qui mentionnent le périmètre de ce qui relève du périmètre de la loi. Et ce qui ne relève pas de la loi,
appartient au Premier Ministre.
Est-ce qu’il y’a parfois des débordements, des immixtions ? Oui, le législateur peut empiéter sur le domaine
règlementaire. Le Conseil constitutionnel dans une décision de 1982 (blocage des prix et des revenus) ne
censure pas la loi qui outrepasse l’article 34 de la Constitution. La jurisprudence du Conseil évolue cependant
et dans une décision de 2005 (loi de programmation pour l’avenir de l’école) le Conseil pratique ce que l’on
appelle le « déclassement préventif de mesure législative ayant empiété sur l’article 37 ».
Cela signifie que le Conseil reconnaît que certaines dispositions présentées comme étant législative revêtent
en droit, à la suite du déclassement, un caractère règlementaire (elles sont sorties du rang législatif et ont
un rang règlementaire).

Pour éviter ce genre de chose, le Gouvernement avant le vote de la loi, peut s’opposer à une proposition de
loi ou à un amendement qui empièterait sur le domaine du règlement à travers l’article 41 de la
Constitution.
Lorsque le pouvoir règlementaire se trouve dans une autre configuration et qu’il souhaite intervenir dans son
domaine mais qu’il se heurte à une loi intervenue dans le domaine règlementaire, apparaît alors un
problème de compétence.
Comment, en effet, le pouvoir règlementaire pourrait modifier une loi ?
C’est impossible puisqu’il existe la règle de parallélisme de compétence (le décret modifie le décret, la loi
modifie la loi mais le décret ne modifie pas la loi). À moins qu’on suive une procédure spécifique à cet effet
prévu par l’article 37-2 de la Constitution. En effet, la Constitution prévoit que le pouvoir règlementaire peut
intervenir dans un domaine qui relève de sa compétence y compris s’il faut modifier une loi à la
condition suivante :

o Si la loi est antérieure à 1958 : que le Premier ministre prenne un décret en Conseil d’État.
o Si la loi est postérieure à 1958 (à la Constitut° de 1958) que le Premier ministre prenne un décret en
Conseil d’État après délégalisation des articles de loi concernées par le Conseil constitutionnel.
Au-delà de cette distinction, se pose la question des ordonnances de l’article 38. Les ordonnances sont une
habilitation faite au Gouvernement pour intervenir dans le domaine de la loi, c’est une technique qui est
fortement appréciée de nos dirigeants car elle permet de gagner du temps pour mettre en œuvre des
politiques publiques.
Le Parlement de manière très régulière vote des « habilitations » au Gouvernement à intervenir dans le
domaine de la loi pour un objet singulier avec une date limite.

Quelle est la valeur juridique de ces ordonnances ?


Classiquement, c’est la ratification expresse par le Parlement qui confère une valeur législative à
l’ordonnance ayant une valeur d’acte administration jusqu’à sa validation expresse. En 2020, la jurisprudence

64
a évolué sur le sujet des ordonnances avec plusieurs jurisprudences du Conseil constitutionnel et une
jurisprudence du CE.
Une décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020, un autre du 3 juillet 2020 : ce sont décisions dans
le cadre desquels le Conseil constitutionnel décide que les dispositions d’une ordonnance qui relève du
domaine législatif entrent dès l’expiration du délai d’habilitation, dans les prévisions de l’article 61-1 de la
Constitut° et que leur conformité aux droits et libertés que la Constitut° garantie ne peut être contestée que
par une QPC. Cela signifie que lorsque le délai d’habilitation a expiré, les dispositions de l’ordonnance qui
relèvent du domaine de la loi ne sont contestables que par la QPC.
Le Conseil Constitutionnel ajoute que la circonstance qu’une QPC puisse, dans une telle hypothèse, être
soulevée, ne saurait faire obstacle à ce que le juge annule l’ordonnance dont il est saisi par voie d’action ou
écarte son application au litige dont il est saisi, si elle est illégale pour d’autres motifs. Y compris du fait de sa
contrariété avec d’autres règles de valeur constitutionnelle que les droits et libertés que la Constitution
garantie.
Cela signifie que le requérant a donc la liberté de choix de moyens qu’il souhaite soulever lorsque des
principes voisins peuvent trouver leur source dans la Constitut°, dans des engagements internationaux.
Cela signifie que le Conseil d’État peut, alors que le délai de l’habilitation donné par le Parlement a expiré, et
qu’une QPC a été soulevée, il peut encore annuler cette ordonnance, sans se prononcer sur son renvoi au
Conseil constitutionnel, si un autre motif que les droits et libertés garantis par la Constitut° a été soulevée.
On introduit ici une forme de complexité puisque l’acte est traité à la fois comme un acte administratif et
comme une loi : une loi par rapport à la perspective de l’article 61-1 de la Constitution sur la QPC et un acte
administratif car le CE peut encore pour d’autres fondements juridiques, pour d’autres moyens annuler l’acte
comme s’il était un acte administratif.
Le CE a prolongé la réflexion à travers un arrêt d’assemblée rendu le 16 décembre 2020 : Fédération CFDT
des finances. Dans cet arrêt le CE précise que les ordonnances prises en vertu de l’article 38 de la Constitution
conservent le caractère d’acte administratif aussi longtemps qu’elles n’ont pas été ratifiées. Que la
ratification ne puisse être qu’expresse : il fut un temps où il existait des ratifications implicites, cela a existé
pendant longtemps.
À ce titre, précise le CE, les ordonnances doivent respecter les règles de compétence, forme, procédure, les
règles et principes de valeur constitutionnelle, les engagements internationaux de la France : il rappelle que
leur légalité peut être contestée par voie d’action ou par voie d’exception et il ajoute une idée importante
selon laquelle les dispositions qui relèvent du domaine de la loi ne peuvent plus après l’expiration du délai
d’habilitation être modifié ou abrogé que par le législateur ou sur le fondement d’une nouvelle habilitation
donnée au Gouvernement.

Nous avons donc ici une jurisprudence dont il faut reconnaître qu’elle est insatisfaisante en raison de la
double nature administrative et législative de l’acte : l’acte administratif tant qu’il n’y a pas eu ratification
et il est soumis aux règles de la modification législative à l’expiration du délai d’habilitation. Nous avons
également une double possibilité de soulever des moyens selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel,
traiter l’acte comme une loi aux termes de l’article 61 ou le traiter comme un acte administratif pour d’autres
motifs. Cette situation est exagérément complexe est peut-être une source de malentendu sur la nature de
l’acte, sur les recours existants etc.

Section II : Les principes généraux du droit.

65
Les principes généraux du droit sont des règles non-écrites dont on considère qu’elles ont une valeur
inférieure à la loi et supérieure aux décrets. Dès lors que leur valeur est supérieure aux décrets, ces principes
s’imposent à l’autorité administrative, au pouvoir règlementaire. Tant qu’une loi n’est pas intervenue qui
prévoit le contraire d’un PGD : si le PGD est infra-législatif, alors il s’incline devant la loi.
On souligne dans les manuels que cette jurisprudence sur les PGD qui s’est développée à la libération de la
France a été aspirée par des considérations supérieures en équité.
Mais deux réserves :

1 : Les principes généraux du droit n’apparaissent pas au lendemain de la 2nd GM, il y’avait déjà des traces
sous la IIIème République.
2 : Par ailleurs, il est vrai que les PGD sont animés par des principes d’équité et qu’ils sont destinés à renforcer
le droit des individus, mais il ne faut pas oublier le contexte de leur mission. C’est celui d’une juridiction
administrative suprême qui, durant le régime de Vichy, a joué un rôle institutionnel : le CE a travaillé avec le
Maréchal Pétain et a apporté son expertise quant à la législation et évidemment que le CE a fait l’objet du
jugements sévères. Quasiment tous les membres du CE sont changés et ce n’est pas une méthode nouvelle :
au XIXe siècle on avait une recherche de stabilisation du régime politique de la France.
Lorsque a eu lieu la libération en 1944, on met René Cassin à la tête du Conseil d’État. C’est une grande figure
des droits de l’Homme, et sa personnalité va conduire le CE à se lancer dans une politique bien plus attentive
à la protection des individus après l’épisode de Vichy.
Sous la présidence de Cassin, apparaissent donc des PGD qui sont perçus comme une manière de renforcer
le contrôle de l’administration et protéger les agents. Par exemple : le principe du droit de la défense est
reconnu comme un PGD dans un arrêt rendu en 1944 : Dame Veuve Trompier Gravier.
Il y’a une particularité sur cet arrêt : il est considéré par tout le monde comme consacrant un PGD, mais
quand on lit l’arrêt, il n’y a aucune mention à l’expression PGD. Contrairement à d’autres arrêts qui eux,
mentionnent le terme PDG.

On a également en 1948 un arrêt rendu en ASS du CE (Société du Journal l’Aurore) : le principe de la non-
rétroactivité des actes administratifs qui est considéré comme un PGD. L’idée est la suivante : un acte
administratif dispose pour l’avenir mais pas le passé.
Autre exemple de PGD : arrêt 1950, CE, ASS Dame Lamotte : cet arrêt prévoit qu’il existe un droit à exercer
un recours en excès de pouvoir (REP) contre toute décision administrative même sans textes. Cet arrêt est
intéressant pour un autre élément : dans l’arrêt, c’est un texte législatif qui prévoyait que contre ce type de
décision, il n’y avait pas de recours possibles. Donc, on a un arrêt qui est contra legem puisque la loi ne dit
pas de REP contre cette décision, et le CE dit que si, un REP est possible même sans textes.
Pendant très longtemps, était répété une expression à propos du juge administratif et du CE (cette expression
a d’ailleurs été mobilisée pour justifier le statut de PGD) : le juge administratif était le serviteur de la loi et
le censeur de l’administration.
Cette expression positionne bien le juge à cette époque. La loi c’est la norme dont il faut assurer le respect
et l’administration on peut la censurer lorsqu’elle viole les lois. Aujourd’hui, cette expression ne tient plus du
tout. On n’est plus dans l’idée du juge serviteur de la loi, au contraire, le juge administratif contrôle la loi.
Mais à l’époque lorsqu’on décide du statut des PGD, cette expression est mobilisée notamment pour situer
leur valeur dans la hiérarchie des normes.

66
Autres PGD : principe d’égalité pour accéder au service public (CE 1951, Société des concerts du
conservatoire).
Ou encore : interdiction de licenciement pour une personne en état de grossesse (CE, ASS 1973, Dame
Peynet).
Aussi, le principe au droit à une vie familiale pour les nationaux et les étrangers (CE, ASS, 1978, Gisti).
Et le principe de sécurité juridique (CE, ASS, 2006 : Société KPMG).
Ce sont des arrêts jugés importants, ce sont des normes qui s’imposent à l’administration. C’est un exemple
de la puissance de la jurisprudence car ici, c’est le juge qui dégage un principe et en fait un principe général.
Ce n’est pas un arrêt de règlement puisque l’arrêt ne contient pas une règle permanente mais l’arrêt
reconnaît des principes. Ces PGD s’appliquent à l’ensemble des actes de l’administration, ils s’imposent
également aux règlements autonomes (CE 1959, Syndicat général des ingénieurs français). En revanche, ils
cèdent en cas de loi, convention ou constitut° contraire.

Chapitre IV : Les normes de valeur administrative.

Section I : Les autorités administratives titulaires du pouvoir règlementaire.


Le terme « administration » renvoie à des multitudes d’autorité : autorités centrales, déconcentrées,
indépendantes, autorités décentralisées.
Pour un vaccin de rappel : imaginons que le centre est l’affaire de l’État, que l’État décide de renoncer à
l’exercice de sa pleine compétence et décide de les transférer à une autre personne juridique que lui-même
(par exemple : il confie des missions à la région). Alors, il confie une compétence à une autorité décentralisée,
une collectivité territoriale : il y’a ici un processus de décentralisation. L’avantage est que sur le territoire,
des personnes juridiques publiques prennent des décisions qui sont censées être meilleures que si elles
étaient prises au niveau du centre. Mais l’idée est aussi que ces compétences sont abandonnées aux
collectivités territoriales par l’État.
Dans un tout autre ordre des choses, l’État a aussi vocation à prendre des mesures en étant sur le territoire
sans pour autant abandonner ses compétences : l’État assure l’ordre public, il a besoin que dans chaque
département, un préfet au nom de l’État assure la sécurité publique par exemple. L’État a une compétence
en matière d’enseignement également : il a besoin que dans la circonscription des rectorats, des recteurs
assurent la mission de l’État sur le territoire. L’État peut donc décider que certains de ces agents représentent
l’État sur le territoire : c’est ce qu’on appelle la déconcentration. Si on prend la circonscription d’un
département : le département en tant que territoire, est le ressort territorial du conseil départemental (une
autorité décentralisée) et ce même département est le ressort territorial du préfet du département (qui est
une autorité déconcentrée). On peut donc avoir une superposition d’autorités avec des statuts différents.
§1 : L’autorité administrative centrale.
Le Président de la République : c’est une autorité politique et aussi administrative. Il édicte des actes
juridiques de portée générale et impersonnelle sur tout le territoire ou sur une partie du territoire.
Il signe des décrets délibérés en Conseil des Ministres, il signe également les ordonnances. Il a un pouvoir
règlementaire d’attribution, donc son pouvoir est limitativement défini (= son pouvoir n’est pas général).
L’expression pouvoir réglementaire désigne les personnes qui sont titulaires du pouvoir règlementaire mais
elles ne présupposent pas que ces personnes n’édictent que des actes règlementaires. Le titulaire du pouvoir
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réglementaire peut édicter des règlements mais peut aussi adopter des actes qui ne sont pas des règlements
(comme les actes individuels). Si on prend l’exemple du Président de la République : celui-ci va adopter des
actes réglementaires à travers des décrets, mais il peut aussi à travers les mêmes décrets nommer les gens
(donc nomination = acte individuel).
Le Conseil des Ministres : c’est la principale formation gouvernementale, il réunit tous les ministres + le
Président de la République. Il examine tous les projets de loi, d’ordonnance, tous les décrets de nomination
des plus hauts fonctionnaires et certains décrets réglementaires. Lorsque le Conseil des Ministres délibère,
pas d’effet juridique en elle-même, elle ne produit pas elle-même de décisions. Ce qui produit des effets
juridiques, ce sont les actes issus du délibéré du Conseil des Ministres.
Quels sont les décrets délibérés en Conseil des Ministres ?
Aucun texte ne donne de liste exhaustive, et la jurisprudence du CE a évolué sur ce sujet.

Dans un 1er temps, le CE a jugé que seul importe le passage en Conseil des Ministres, sous-entendu que le
Président de la République fait ce qu’il veut, il adopte les décrets qu’il veut en Conseil des Ministres (arrêt
CE, ASS 1976, Syndicat National du Personnel de l’Energie Atomique CFDT).
2e temps : le CE fait évoluer sa jurisprudence par un arrêt rendu en 1987 : Syndicat Autonome des
Enseignants de Médecine : dans cet arrêt, le CE décide que le PDR peut faire passer en CM les seuls décrets
dont un texte prévoit qu’ils sont délibérés en CM. Là, le CE est plus restrictif : il empêche le PDR d’avoir une
lecture extensive des textes.
3e temps : Arrêt de 1992, ASS, CE, Meyet : le CE revient à la solution de 1976.
En effet, une fois que le décret est passé en Conseil des Ministres (qu’il a été délibéré), y compris sans texte
le prévoyant, le Premier ministre ne peut plus intervenir pour modifier ou abroger le décret du Président
de la République en raison du « parallélisme des compétences ».
Si l’édiction d’un acte relève d’une fonction A, elle ne peut pas être modifiée ou abrogée par la fonction B.
Pour que la compétence du Premier ministre puisse être rétablie, il faut que le décret en Conseil des ministres
lui attribue le pouvoir de modification (CE 1996, ministre de la Défense c/Collas). Dans ce schéma, le
Président décide donc, en Conseil des Ministres qu’un décret simple suffit pour modifier ou abroger le texte :
le Président autorise le PM a adopté un décret simple.
Autre cas : hypothèse dans lequel le PDR a signé un décret alors qu’il n’y a pas eu de délibération en CDM.
Dans ce cas, on devrait annuler le décret pour incompétence de l’auteur. Mais le CE dans sa jurisprudence
SCICARD (1962) admet cependant que dès lors que le PM a apposé sa signature, le décret peut être sauvé
et considéré comme un décret du PM. En effet, lorsque le décret est adopté, les ministres compétents
doivent le signer. Il y’a non seulement le contreseing du Premier ministre mais aussi celui des ministres
responsables (ce sont les ministres qui doivent préparer et appliquer les mesures concernées pour la mise
en œuvre du décret).
Le Président de la République a un pouvoir de nomination : c’est-à-dire qu’il peut désigner des personnes
sur des postes de manière nominative. Le PDR nomme beaucoup d’agents, des hauts-fonctionnaires. Et les
autres nominations de haut niveau sont assurées par le Premier ministre.

Sur le Gouvernement : à l’intérieur du Gouvernement on a le Premier ministre et d’autres ministres.


Le premier ministre c’est article 21 de la Constitution : il dirige l’act° du Gouvernement, il dispose d’un
pouvoir de nomination générale et du pouvoir règlementaire général. Il est accompagné par des cabinets
dont il nomme et révoque le personnel discrétionnairement. Le pouvoir réglementaire du Premier ministre
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s’exerce par voie de décret, de façon plus rare par voie d’arrêté. Il y’a 3 types de pouvoirs règlementaires du
Premier ministre :
- L’exécution des lois (article 21 de la C)

C’est une compétence qui est absolument considérable : en effet, le Premier ministre signe les décrets
d’exécution des lois avec le contreseing des ministres chargés de l’exécution dudit décret. Ce pouvoir
règlementaire est une obligation d’agir du Premier ministre : il n’a pas le choix, il est obligé d’agir et il doit le
faire dans un délai dit raisonnable. Le juge administratif peut ordonner au Premier ministre d’adopter un
décret d’exécution de la loi. Il ne peut pas lui ordonner le contenu de l’acte mais il peut lui ordonner d’édicter
l’acte.
- Le pouvoir règlementaire dit autonome (article 37 de la C)
On appelle ce pouvoir règlementaire « autonome » car il intervient dans un domaine qui n’est pas celui de
la loi.
- Le pouvoir règlementaire de police administrative général (PPAG, source mobilisée sur ce
pouvoir : arrêt CE IIIème République, Labonne, 1919).
C’est également une obligat° du PM dès lors qu’il existe une menace de trouble à l’ordre public. L’ordre
public est un concept qui contient plusieurs éléments : la tranquillité, la sécurité, la salubrité publique (au
titre de l’ordre public matérielle) et les bonnes mœurs (la moralité publique) ainsi que la dignité de la
personne humaine (au titre de l’ordre public immatériel).
Lorsqu’il existe une menace d’atteinte à l’ordre public, le PM a obligation d’édicter un décret assurant la
protection de l’ordre public, ce n’est pas un choix mais une obligation. Il peut cependant confier à un ministre
le soin d’assurer cette mission, c’est-à-dire de prendre un arrêté ministériel protégeant l’ordre public au
niveau national (délégation du PM).
Le Premier ministre peut-il déléguer à un ministre le soin de prendre un décret simple dans le cadre d’un
pouvoir règlementaire dit autonome ?

Oui. Il est possible de procéder à des délégations de compétences : CE 28 juillet 2000, Association France
Nature Environnement. D’une façon générale, le PM requiert fréquemment de cette délégation des
compétences au profit des ministères de l’intérieur.
Les ministres : eux sont nommés par un décret du Président de la République. Et le Premier ministre n’a pas
de supériorité (pouvoir hiérarchique) sur les ministres (CE 1965 : Compagnie marchande de Tunisie). C’est
clairement un arrêt qui présidentialise le régime.
Les ministres sont les chefs des départements ministériels. Ils détiennent cependant un très faible pouvoir
règlementaire.
Quelles sont les habilitations juridiques classiques des ministres ?

Les habilitations juridiques classiques des ministres : pouvoir hiérarchique sur les agents de leurs services
(centraux ou déconcentrés). Ce pouvoir hiérarchique existe même sans textes (CE, 1950, JP Quéralt). Ce
pouvoir hiérarchique prend plusieurs formes :
- Prendre des décisions qui portent sur la carrière des agents du service.
- Donner des instructions aux subordonnés par des ordres collectifs ou individuels. Ces ordres
doivent être obéis (susceptible de sanction disciplinaire en cas de non-respect). Il existe un

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cas où il est autorisé à désobéir : lorsque l’ordre est manifestement illégal et nuit à un intérêt
public (susceptible de refus).
- La possibilité de se substituer aux subordonnés pour décider à leur place dans le cas de
l’inaction d’une autorité subordonnée en situation de compétence liée ; ou encore dans le cas
où un texte l’autorise expressément.
- La réformation des décisions prises par l’autorité subordonnée : soit retirer la décision, soit
suspendre soit modifier, soit spontanément, soit sur la demande d’un administré.

Quid du faible pouvoir règlementaire du ministre ?


Le principe est que le ministre n’a pas de pouvoir règlementaire (CE, 1969, Société distillerie Braibant). En
contresignant les décrets du Premier ministre (décrets simples) ou celui du Président de la République
(décrets en Conseil des ministres), le ministre participe à l’exercice du pouvoir règlementaire.

Exception aussi : le ministre peut se voir confier un pouvoir règlementaire par un texte. En matière sanitaire
par exemple, le ministre de la Santé. Cela peut être aussi en vertu d’un décret du PDR ou du PM ou d’une
délégation du PM. Donc, il y’a tout de même une participation à l’exercice du pouvoir règlementaire.
En dehors de cela, les ministres qui n’ont pas de pouvoir règlementaire général (mais ils peuvent participer
quand même) ont un pouvoir règlementaire spécialisé. C’est un pouvoir qu’ils détiennent comme tout chef
de service, même en l’absence de textes, d’édicter les règlements nécessaires au bon fonctionnement de
l’administration placée sous leur direction (CE,1936, arrêt Jamart).
La légalité de ces règlements est conditionnée à se borner à : ce qu’exige les nécessités du service (1), à ne
pas empiéter les compétences attribuées à d’autres autorités par des textes (2), par le respect de la légalité
dite supérieure (3).
§2 : Les autorités déconcentrées.
Les autorités déconcentrées prennent des actes au nom de l’État, qu’on compte en leur sein les régions, les
départements, les sous-préfets, le recteur académique, le maire (a une double casquette : il est à la fois le
chef de l’autorité décentralisée + autorité déconcentrée en tant que représentant de l’État).
Le préfet c’est la principale figure des personnes déconcentrées : il assure sous l’autorité des ministres, la
direction des services déconcentrées, les administrations civiles de l’État. Il est amené à exercer un contrôle
des collectivités (contrôle budgétaire, administratif…). Il est également une autorité de police administrative
générale & spéciale.
Le maire a une double casquette : il est à la fois agent de la commune et agent de l’État. Au nom de l’État, il
va sous l’autorité hiérarchique du préfet, publier des lois et des règlements (procéder à leur exécution,
rappeler le respect), il va se charger d’organiser les élections. Sous l’autorité du juge judiciaire : de l’état civil.
sous l’autorité du procureur de la République, le maire est officier de police judiciaire (il peut constater des
infractions, procéder à des enquêtes). Et à travers le maire, c’est bien l’État qui intervient ; ce n’est pas la
commune car le maire est un représentant de l’État (autorité déconcentrée). Et en tant qu’autorité
décentralisée, il prépare les délibérations soumises à son conseil, il les exécute, il est le chef de
l’administration décentralisée et il assure le maintien de l’ordre public dans la commune. Cela signifie que
lorsqu’un maire assure le respect de la sécurité publique de sa commune, c’est la COMMUNE qui agit.
Le maire bien entendu, prend des actes règlementaires sur le territoire de sa commune pour encadrer la
circulation, pour organiser le service de son administration, par exemple.
§3 : Autorité publique indépendante (API) et autorité administrative indépendante (AAI).
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Ce modèle est apparu dans les années 70 en France, cela s’inspire du modèle anglo-saxon : dans certains
domaines, où il y’a des enjeux forts de liberté notamment, ou des enjeux d’activité économique, il convient
que les autorités administratives en charge de ces questions soient indépendantes de l’État (aucun pouvoir
hiérarchique).
Cependant, il y’a ici une sorte de fiction : comment une administration peut-elle être indépendante si c’est
l’État qui décide de ses ressources financières, matérielles, humaines pour travailler ?
Donc indépendance oui, indépendance totale : probablement que non.

En 2017 est intervenue une loi du 20 janvier qui a mis au clair un certain nombre de règles sur ces autorités
indépendantes : la loi a fixé une liste de 8 autorités publiques indépendantes qu’elle a distingué d’une petite
20 aines d’autres autorités administratives indépendantes ; la distinction entre l’API et l’AAI c’est que l’API a
une personnalité et l’AAI n’en n’a pas. La loi a encadré le régime de la durée des mandats, du régime de ces
mandats par rapport à la possibilité de les révoquer ou non, par rapport à leur caractère renouvelable, elle a
déterminé un certain nombre d’incompatibilités etc.
Ces autorités ont une fonction commune néanmoins : c’est une fonction de régulation. Ce que l’on appelle
la régulation, c’est une manière de penser l’administration. On oppose classiquement régulation et
règlementation. En réalité, cette opposition a des limites : ce qu’il soutenu le concept de régulation c’est que
l’administration plutôt que d’être dirigiste en définissant une règlementation stricte, va essayer d’adopter
une logique d’incitation, inciter à faire plutôt que commander/ordonner. Cependant, même s’il y’a une
incitation à faire, l’incitation est accompagnée de règles, donc il y’a de la règlementation dans les autorités
de régulation.

Ces AAI et API informent, rédigent des rapports, des avis, établissent des recommandations, elles encadrent,
elles vont fixer un cadre au secteur. Et à ce titre, elles vont disposer d’un pouvoir règlementaire. Le sujet est
intéressant : dans notre constitution, en effet, il y’a la loi et le règlement : le Parlement fait la loi et
l’administration fait de la réglementation et ce sont les autorités administratives qui ont un pouvoir
réglementaire (PDR, PM, ministres).
Mais ici, quelle norme confie un pouvoir réglementaire à des autorités disposant d’un pouvoir réglementaire
non-mentionné dans la constitution ?
C’est la loi qui donne du pouvoir règlementaire à d’autres autorités que celles qui le détiennent par la
Constitution. Le Conseil constitutionnel a été saisi de cela et dans une décision CSA de 1989, il a accepté que
la loi confère un pouvoir règlementaire à d’autres autorités que celles qui aux termes de la Constitution, en
sont investies. À deux conditions toutefois : que l’habilitation ne concerne que les mesures de portée limitée
dans leur champ d’application (= l’API et l’AAI ont un pouvoir règlementaire mais uniquement dans le
périmètre de son champ et en cas de conflit entre un acte règlementaire de l’AAI/API et un décret du PM, la
norme qui prime c’est le décret du PM) et que les mesures prises au titre de cette habilitation aient une
portée limitée dans leur contenu. Aussi, ces autorités ont un pouvoir de sanction.
Quant aux autres autorités décentralisées, elles jouissent également d’un pouvoir réglementaire.
§4 : Les autorités décentralisées.

Nous avons le maire, le conseil régional/départemental où chacun est chef de service dans administration et
sur son territoire dispose aussi d’une compétence règlementaire plus ou moins étendue.

Section II : Le rang des normes de valeur règlementaire.

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Les normes de valeur règlementaire sont édictées par des autorités qui en disposent sans quoi ces normes
ne sont pas légales. Chacune de ces autorités, pour édicter un acte règlementaire juridiquement conforme,
doit respecter un ensemble de règles.

Mais, quid des rapports entre les normes règlementaires elles-mêmes, la légalité interne de l’acte ?
La question est de savoir si par exemple un acte règlementaire A ne viole pas l’acte règlementaire B.
Tout d’abord en principe, les actes règlementaires ont un périmètre qui limite leur télescopage : si on prend
l’exemple des auteurs d’acte règlementaire, ils ont un périmètre propre qui limite le télescopage. De même,
l’AAI n’intervient que dans son domaine, pas dans le domaine d’une autre autorité indépendante. Pareil, un
maire A prend un arrêté pour sa commune mais pas pour une autre : donc normalement, si chacun s’occupe
de SON domaine, on n’a pas de problèmes.
Mais qu’en est-il des actes supérieurs ?

Une autorité administrative, lorsqu’elle adopte un acte, peut être confrontée à un acte ayant un périmètre
supérieur auquel cas, elle doit respecter l’acte règlementaire de l’autorité supérieure : si le préfet de
département adopte un arrêté préfectoral, restreignant la liberté au nom de l’ordre public sur tout le
territoire du département, alors un maire à l’intérieur de sa commune, lorsqu’il prend un acte règlementaire
de police par exemple, doit respecter l’acte règlementaire du préfet.

Il y’a à ce titre, des règles concernant les concours de polices. L’autorité inférieure peut prendre des mesures
plus strictes que l’autorité supérieure mais pas des mesures moins strictes (avec des exceptions : exemple
du Code de la route). De même, par rapport au préfet par rapport aux ministres : la norme règlementaire
d’une autorité administrative doit respecter la norme règlementaire de l’autorité administrative
supérieure.

Chapitre V : La légalité extraordinaire.

Le terme légalité est utilisé de manière métaphorique ici, en réalité il est question de la juridicité. Mais, selon
un usage/une convention, on continue d’employer le mot « légalité » au lieu de juridicité.

Le droit règle, règlemente des comportements au sein de l’ordre social et politique. Ces règles ont un sens
dans un contexte donné : si le contexte change, alors elles peuvent perdre leur sens.
Par exemple : pour renforcer la démocratie il faut plus de temps pour la discussion parlementaire et en
même temps si on est en état de guerre, on n’a pas forcément de temps à consacrer car il faut prendre des
décisions rapidement (il faut alors changer le cadre pour s’adapter aux besoins de la population, des besoins
de l’État).
Le cadre extraordinaire auquel on se réfère, on sait qu’il n’est pas le meilleur cadre dans une situation
normale pour autant on y recourt quand même car ce cadre est jugé comme étant le seul qui permet de
revenir aux conditions du cadre initial.
Si on fait appel à la légalité extraordinaire, c’est précisément pour retrouver le plus vite possible les conditions
de l’application ordinaire. C’est-à-dire que l’extraordinaire n’est pas une fin en soi et son objectif c’est
permettre le retour à la légalité ordinaire. Si ce n’était pas le cas, on aurait un régime autoritaire.
Cependant, lorsqu’on fait appel à la légalité ordinaire, on prend des risques parce que on ne sait pas comment
celui à qui on va confier le pouvoir extraordinaire va se comporter : cette personne v-a-t-elle être fidèle à

72
l’esprit du texte ? Ne peut-t-elle pas s’ériger en dictateur ? (On a de nombreux exemples dans la vie politique).
Ce risque est véritable, il est vrai.
Le droit peut prévoir que les évènements imprévus se passent : le phénomène des choses imprévues peut
être appréhendé par le droit. Mais on ne peut pas prévoir comment la personne à qui on confie le pouvoir
va se comporter (exemple du Général De Gaulle sous la IVème République). Le droit peut tout de même
prévoir des limites : mais il ne faut pas que ces limites fassent barrage à l’exercice de la légalité extraordinaire.

Section I : L’article 16 de la Constitution.


La mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution suppose plusieurs conditions de fonds : il faut une menace
grave et immédiate qui pèse alternativement sur les institutions de la République, l’indépendance de la
nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution des engagements internationaux.
Et second point : l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels (condition
cumulative). Le Président de la République s’il pense que ces conditions sont réunies, il peut procéder à une
consultation du Premier ministre, des présidents de chambres (Sénat et Assemblée nationale) et du Conseil
constitutionnel (il émet un avis motivé, publié au JO).
Les 4 autorités émettent un avis, et le Président de la République décide. Une fois que le PDR décide, les
actes qu’il adopte sont dispensés de contreseing et après avoir informé la nation par message, il peut exercer
à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Jusqu’en 2008, la durée de ce régime relevait de la discrétion du PDR : pas de délai mentionné dans la
Constitution, pas de mécanismes particuliers. Par ailleurs, il n’y avait pas de recours possible contre la
décision de mettre en œuvre l’article 16 (1962, CE ASS, Rubin de Servens). C’est un acte de Gouvernement
car ce n’est pas un acte administratif : c’est un acte politique et le juge A revendique être le juge de
l’administration mais ce n’est pas le juge de la politique, il fait la part entre un acte politique et un acte
administratif.
Depuis 2008, la révision constitutionnelle a changé la règle : l’article 16 prévoit que le Conseil constitutionnel
peut déterminer par un avis public si les conditions qui justifient les pouvoirs exceptionnels demeurent
réunies. Les effets de ces pouvoirs consistent à confondre le pouvoir exécutif et législatif au profit du
Président de la République.
Les actes qu’adoptent le Président de la République se nomment décision, elles conservent leur valeur selon
le domaine pris, mais elles s’appelles décision (que ce soit loi ou règlement). On a souvent utilisé l’expression
plein pouvoir : c’est une expression assez parlante, le PDR a beaucoup de pouvoir. Et comme il exerce et le
pouvoir législatif et le pouvoir extraordinaire : on peut penser qu’il a tous les pouvoirs. Mais il faut rester
prudent car cette expression est une illustration, elle doit être analysée juridiquement : les pleins pouvoirs
ne sont pas pleins, le PDR a des pouvoirs importants mais ils ne sont pas pleins. Par exemple, l’Assemblée
nationale ne peut pas être dissoute pendant la mise en œuvre de l’article 16.
Par ailleurs, la Constitution envisage deux voies juridiques en cas d’usage de l’article 16 : depuis la révision
Constitutionnelle de 2008, l’article 68 de la Constitution permet au Parlement constitué en Haute cours, de
prononcer la destitution du chef de l’État à la majorité des 2/3 si celui-ci fait preuve d’un manquement à
ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. Par ailleurs, l’article 7 de la
Constitution permet au Gouvernement de saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il déclare l’empêchement
du PDR.

Section II : L’état d’urgence.


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Selon l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées
aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. C’est donc au législateur que revient la compétence
d’opérer une conciliation entre la sauvegarde de l’ordre public et le respect des libertés. Le législateur a
donc une compétence pour organiser des régimes exceptionnels autres que ceux qui sont prévus par la
Constitution.
Par ailleurs, notre Constitution n’a pas abrogé implicitement la loi de 1955 sur l’état d’urgence, ce qu’a
confirmé en 1985 le Conseil constitutionnel (état d’urgence en Nouvelle Calédonie). L’état d’urgence a été
inventée par une loi du 3 avril 1955 : cette loi a été modifiée par diverses lois en 2015/2016 à la suite des
attentats. Son point d’origine tient à la guerre d’Algérie. Elle a été mise en œuvre en Nouvelle-Calédonie en
1985 lors des violences entre les indépendantistes et ceux qui voulaient maintenir la République.
Elle a été mise en œuvre aussi en 2015 à la suite des attentats : le PDR Hollande avait annoncé la
constitutionnalisation, finalement il y a renoncé, ce qui n’a pas empêché le législateur à modifier à plusieurs
reprises la législation. En raison de la difficulté de maintenir cette législation en vigueur dans le temps, une
des solutions a été de placer les dispositifs de l’état d’urgence dans la légalité ordinaire pour ne pas être
empêché par l’absence de pérennité de l’état d’urgence.
La loi de 1955 prévoit deux hypothèses : un péril imminent qui résulte d’une atteinte grave à l’ordre public /
la survenance d’évènements qui présentent par leur nature leur gravité, le caractère de calamité publique.
Le PDR déclare l’état d’urgence par un décret en Conseil des ministres. C’est une décision administrative qui
peut être attaquée.
Au-delà de 12 jours, la loi proroge l’état d’urgence et en fixe la durée ; l’état d’urgence étant les pouvoirs des
autorités de police. Il permet les assignations de résidence, des interdictions de circulation/de séjour, etc.
Il permet de dissoudre des associations/groupements menaçant l’ordre public, il peut interdire des cortèges,
fermer des salles de spectacles, ordonner la remise d’armes, perquisitionner saisir et exploiter des données
informatiques sous contrôle du juge administratif des référés. Le juge administratif contrôle les mesures en
question.
Son contrôle s’est d’ailleurs renforcé avec le temps (CE, 1955, Dame Bourokba). En 1985, il contrôle l’erreur
manifeste dans l’application de l’adéquation des mesures (CE, 1985, Mme D’Agostini). Puis en 2006, il
contrôle la proportionnalité des mesures individuelles (CE, ASS, Rolin Boisvert, 2006).

Le contrôle de l’erreur manifeste est un contrôle restreint alors que celui de proportionnalité est un contrôle
entier, plein (pour savoir si la mesure prise est la bonne).
Lorsqu’on modifie la loi de 1955 en 2015, on ajoute que l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans
délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Que l’Assemblée nationale et le
Sénat peuvent recourir à des informations complémentaires pour évaluer ces mesures.

Dans le contexte des attentats, la tentation est apparue de faire durer longtemps l’application sur la loi
d’urgence.
L’état a adopté une loi en 2017 une loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Elle
(cette loi) introduit dans le droit commun (la légalité ordinaire) des dispositifs qui relèvent normalement de
l’état d’urgence, ce qui permet d’échapper de la critique de la prolongation de l’état d’urgence. Mais là où
c’est discutable c’est que les principes de l’état d’urgence sont très restrictifs du droit de liberté : or si on
prévoit ces dispositifs dans la légalité ordinaire, cela signifie qu’on efface un peu la distinction matérielle
entre le contenu d’une loi organique et le contenu d’une loi sur l’état d’urgence. Mais, au-delà de cette
discussion, cette loi permet de prendre des mesures de contrôle, elle est importante.
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Section III : L’état de siège.
C’est également une loi relevant de la légalité extraordinaire. Elle renvoie cependant au terme de « siège »
qui a une signification militaire. Et, le principe de l’état de siège est que l’on confie le maintien d’ordre à une
autorité militaire revêtue du pouvoir de police renforcé (à l’exception des pouvoirs que l’armée ne juge pas
nécessaire d’exercer). Les éléments de la mise en œuvre sont prévus à l’article 36 de la Constitution et les
effets juridiques sont prévus dans une loi du 8 août 1849 (qui a été modifiée ensuite). L’état de siège peut
etre déclaré en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée.
Les conséquences : possibilité de mise en place de tribunaux militaires, extension des pouvoirs de police des
autorités militaires avec interdiction de publication, de réunion, perquisition…

Partie III : L’acte administratif unilatéral et les voies de recours (contre l’AU).

- Propos liminaires sur le développement historique sur l’étude de l’acte AU :


L’acte AU a une telle importance dans la construction du droit administratif qu’on est obligé de l’apprendre
pour la bonne compréhension. Lorsqu’on parle d’un acte administratif unilatéral, on l’oppose aujourd’hui aux
contrats administratifs. Ce sont les deux branches de l’acte administratif.

L’acte administratif est distingué de l’acte juridictionnel par exemple : dans l’article 34 et 37 de la Constitution,
on a le périmètre de la loi et le périmètre du pouvoir règlementaire autonome : dans un cas y’a la loi dans
l’autre y’a un décret.
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Aujourd’hui, nous avons une réponse qui est de nature organique et matérielle. Organique car on peut définir
la loi comme étant votée par le Parlement (définition organique) et on peut dire que le règlement peut être
voté par le PDR ou le PM : c’est aussi une définition organique. On a une définition matérielle aussi car on a
pour certains éléments un champ de la loi (article 34) et un champ du Premier ministre pour certains
éléments de son pouvoir règlementaire.
Mais, il faut avoir à l’idée qu’historiquement, c’était différent. La distinction entre la loi et le règlement
apparaît dès l’AR (lois et règlements royaux).

Origine de la distinction entre la loi et le règlement : sous l’AR, on avait des lettres patentes. C’étaient des
lettres ouvertes, et ces dernières contenaient des ordonnances (grandes lois), des édits (objets plus
particuliers), des déclarations (lois dans lesquelles le roi explicite le sens qu’il faut donner aux ordonnances
ou édits qui auraient posé des nouvelles questions) : ils ont rang législatif. On a aussi des règlements royaux :
ces derniers sont conçus pour aménager le fonctionnement d’institutions qui ont déjà été créées : soit des
institutions types ou alors des institutions singulières. Ces règlements royaux avaient un objet plus limité
avec une durée provisoire : ils ne contiennent pas une règle censée être éternelle.
Au lendemain de la Révolution française, les choses vont se préciser et la distinction entre la loi et l’acte
administratif va être clarifiée. Mais un autre point de vue tient à ce que les actes administratifs vont
essentiellement être considérés comme des actes d’application de la loi.
À partir de la restauration et de la monarchie de Juillet, apparaissent des études sur l'acte administratif
unilatéral avec les premières jurisprudences sur la voie de fait sous la restauration et la jurisprudence sur
les actes de gouvernements qui apparaît dans les années 1830. Ces jurisprudences posent la question de la
distinction entre l’acte administratif et l’acte politique. L’acte de Gouvernement quant à lui n’est pas un
acte administratif et quant à la question de la voie de fait, le sujet est avant tout un acte de droit privé, s’il
y’a voie de fait, ce n'est plus un acte administratif : il y a dénaturation.
Pourquoi ?

S'il y a une dénaturation, l'administration a alors, de manière fictive, perdu son administrativité : en effet,
elle s’est comportée comme si elle était une personne privée, et alors ne s'applique plus l'interdiction faite
au juge de donner des ordres à l’administration. Cela signifie que le juge peut ordonner à l’administration
de cesser une voie de fait. D’une autre manière, les textes révolutionnaires mentionnés tout à l’heure
interdisent au juge de donner des ordres à l’administration, si on considère quand il y’a voie de fait que
l’administration s’est comportée comme une personne privée, alors ce verrou saute grâce à l’injonction.
C'est cela qui a conduit à utiliser la rhétorique de la dénaturation.

À partir de la IIIe République, a eu lieu un événement majeur, c’est l'émergence d’études doctrinales
approfondies de l’acte administratif unilatéral. Maurice Hauriou, c’est le premier qui s'intéresse à l’acte
d’administration, au point de consacrer une étude substantielle dans la revue générale de l'administration
en 1891. Ce que Hauriou réalise, n’avait jamais été fait auparavant : il va montrer toutes les facettes, tous
les éléments du processus, tous les problèmes juridiques qui se posent : c’est comme les géographes qui
nous montrent un nouveau continent qui était sous nos yeux : Hauriou fit la même chose : personne n’avait
rapproché la lumière sur cet objet comme il l’avait fait, on peut donc travailler avec ses nouvelles
connaissances et questions. En faisant cela, il va mettre en lumière toutes les pratiques de l’administration,
il va mettre l'administration à nue. Maintenant : on va savoir ce qu’elle fait, on va avoir des éléments de
comparaison entre ce qu’il faudrait qu’elle fasse faire et ce qu’elle fait. Cependant, en montrant l'écart,
Hauriou offre une vraie arme contre l’administration publique : les requérants vont alors se saisir de cela.
La doctrine va s’en servir et la connaissance sur l’acte administratif unilatéral va devenir colossale. Les
juridictions administratives vont avoir beaucoup plus de contentieux de l’acte unilatéral et vont devoir se
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mettre à la page des exigences de la doctrine. Le Conseil d'État va alors renforcer le contrôle juridictionnel
et rendre des dizaines d’arrêts. La construction est donc très pragmatique en expliquant que les requérants
vont avoir tous les ans, un peu plus de considération. Donc la place de l’acte unilatéral est fondamentale
dans la construction du droit administratif, dans le dualisme juridictionnel, dans les rapports entre le juge et
l’administration, elle est fondamentale pour comprendre les relations entre les administrés et les
gouvernants.

Chapitre I : L’existence d’actes non-administratifs de personnes publiques et d’actes


administratifs de personnes privées.

Section I : Les actes unilatéraux non administratifs des personnes publiques.

§1 : Les actes de Gouvernement.

Les actes de Gouvernement : ce sont d’autorités publiques qu’on qualifie de non-justiciables, ce ne sont pas
des actes administratifs mais ce sont des actes politiques, ils ont été dictés pour remplir une fonction
politique et non pour remplir une fonction administrative.

Pendant une grande partie du XIXe siècle, on les qualifie d’acte justifié par un hobby politique : le CE
abandonne ce motif de justification et les qualifie d'acte fondés sur un mobile politique. Mais, le CE a cessé
de recourir à cette justification depuis un arrêt en 1875 « Prince Napoléon ». À partir de cette date, on va
les justifier (ces actes de Gouvernement) en les rattachant à une fonction gouvernementale ; globalement
leur nature ne change pas mais on va être plus précis pour justifier qu'ils se rattachent à une nature
politique. On va dire ici que c'est un acte politique car il a de tels types de caractéristiques et à ce moment-
là au sein de la catégorie des actes de Gouvernement, on va faire apparaître une typologie au sein des actes
de gouvernement.

Cette typologie, quelle est-elle ?

• Les actes non-détachables des relations internationales de la France.


• Les actes concernant les rapports entre les organes constitutionnels de la France.
• Les actes non-détachables des fonctions constitutionnelles du Parlement et du Conseil
constitutionnel.

Par rapport au premier motif (les actes non-détachables des relations internationales de la France) : l’enjeu
est de montrer qu’on ne peut pas séparer une question de la politique internationale de la France. Qu’à
partir de ce moment-là, la question du litige est une question indissociable de la politique, rattachée à
cette-ci. Elle fait donc partie de la catégorie des actes politiques.

Par exemple : la décision du Président de la République de reprendre provisoirement les essais nucléaires :
(CE ASS 1995 Green vs France) : le CE dit que c’est un acte de gouvernement. Pourquoi ? Car la question des
essais nucléaires c’est la politique militaire de la France sur le plan international on ne peut pas la ramener
à l'administration, c'est fondamentalement la politique militaire de la France.

Autre exemple : la décision du Président d’engager des forces armées françaises en Serbie dans le cadre
d'opérations internationales : l’arrêt rendu par le CE en 2001 (Mégret) dit que c’est un acte de
gouvernement. Aussi, le sens du vote du ministre français au Conseil des Communautés Européennes (CE
ass 1984 association les verts) : selon le CE dans cette jurisprudence, le vote du ministre au Conseil des
Communautés Européennes est un acte de gouvernement.

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Cependant, certains actes sont détachables : par exemple, la réponse à la demande d’extradition d’un État
étranger (CE 1993, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord). Cela signifie que lorsqu’un état
demande à la France une extradition, que le Président de la République prend un décret qui l’autorise, on
peut alors attaquer le décret : il est en effet détachable des relations internationales de la France. Il
considère que l’acte est détachable pour qu’il puisse contrôler la décision.

On a aussi un autre arrêt du CE qui prévoit que lorsqu’un traité a fait l'objet de réserves visant pour l’État
qui exprime son consentement, à être lié par un engagement, à exclure ou à modifier les faits juridiques de
certaines clauses du traité dans leur application à son endroit ; alors le CE considère qu’il incombe au juge,
après s'être assuré qu'elles (réserves) ont fait l’objet des mêmes mesures de publicité que ces traités, de
faire application du texte international en tenant compte de ces réserves.

Il (le CE) ajoute que ces réserves ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales. Et
que le juge ne peut pas en apprécier la validité (CE ass, 12 octobre 2018 SARL Super coiffeur). Donc si elles
ne sont pas détachables, c’est que ce sont des actes de gouvernement.

Élément à préciser : lorsque l’acte est de gouvernement, le juge se reconnaît incompétent. On ne peut pas
écrire dans une copie que s’il y a un recours contre un acte de gouvernement que le juge rejette le recours,
car s’il le fait c'est qu’il a préalablement admis sa compétence et que sur le fond, il rejette le recours. Or, là
on n’est pas au niveau du fond mais de l’entrée. Le juge est incompétent donc il ne va même pas se
prononcer sur le recours, il va juste dire qu’il n’est pas compétent

2 questions que se pose le juge quand il analyse :


• Suis-je compétent ?
• La requête est-elle recevable ?

Si oui pour les deux, alors sur le fond, le requérant a raison et soit le juge accueille soit il rejette. Mais pour
un acte de gouvernement, il est en amont donc, il ne se prononce même pas.

Deuxième élément sur les actes de Gouvernement : ce sont les actes sur les rapports entre les organes
constitutionnels, nous avons des actes de l’exécutif dans ses rapports avec le Parlement ou le peuple. Par
exemple, pour le Parlement : le dépôt ou le refus d’un dépôt du projet de loi, c’est un acte de gouvernement
(CE 1968 Tallagrand, et arrêt Rubin de Servens aussi). La dissolution de l’Assemblée nationale par le
Président (CE 1989 Allain) est aussi un acte de gouvernement.

Vis à vis du peuple : la décision de soumettre un projet de loi à un référendum (CE, ASS Brocas 1962), c’est
un acte de Gouvernement.

Vis à vis du Conseil constitutionnel également : la nomination d’un membre du conseil constitutionnel, c’est
un acte de Gouvernement (CE, ASS 1999, Mme BA).

Acte de l'exécutif dans ses rapports constitutionnels interne entre le Président et le Gouvernement : on peut
mentionner les décrets du PDR relatifs à la composition du Gouvernement, c’est un acte de Gouvernement
(CE 1999 Lemaire).
La nomination du Premier ministre par le Président : c’est un acte de Gouvernement (CE 2005 Hoffer),
lorsque le Président nomme son Premier ministre, on est dans la politique, on n’est plus dans le domaine
administratif.

Nous avons enfin la 3ème catégorie : acte du Parlement et du Conseil constitutionnel non-détachables de
leur exercice de leur fonction constitutionnelle.

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Par rapport au Parlement, le régime des pensions des parlementaires : c’est un acte de Gouvernement (CE
2003, Papon), ce n’est pas un acte administratif.

Des actes du Conseil constitutionnel non-détachables de sa fonction juridictionnelle, par exemple, la décision
d’un membre de conseil de suspendre temporairement ses fonctions (CE 2005, Hoffer).

Nous avons après les actes de gouvernement : les actes unilatéraux des personnes publiques relevant du
juge judiciaire.

§2 : Les actes unilatéraux des personnes publiques relevant du juge judiciaire.

Plusieurs actes des personnes publiques relèvent du juge judiciaire comme :

• Les actes constitutifs d’une voie de fait : ce sont des actes de droit privé.
• Les actes unilatéraux individuels non-détachables de la gestion du domaine privé de personnes
publiques.
En effet, les personnes publiques sont propriétaires de leurs biens : on appelle cela la propriété publique.
Et dans cette propriété publique il existe deux catégories de biens :

- Ceux soumis à la domanialité privée :

Elle relève d’un régime essentiellement de droit privé. La personne publique peut céder, louer son bien
comme une personne privée (il peut aussi être expropriée).

- Ceux soumis à la domanialité publique :

Les biens en question sont protégés par la domanialité publique qui protège l’usage collectif de ces biens.
On ne peut pas les exproprier ni servir de loisir, ils ont un statut protégé.

S’agissant du domaine privé, il y’a de multiples actes qui sont non-détachables de la gestion de ce domaine
et qui relèvent du juge judiciaire (CE 1980 Gaillard) : toutefois dans cet arrêt, l’acceptation ou le refus
d’aliéner une parcelle du domaine privée est une décision qui relève du juge administratif (si c’est
détachable de la gestion c’est le juge A et si c’est non-détachable c’est le JJ mais dans l’arrêt c’est détachable
donc JA).

Actes unilatéraux des personnes publiques relatifs à la gestion d’un service public industriel & commercial :
il y a ici des actes qui relèvent du juge judiciaire (CE 1961 Dame Veuve Amnésie).

On peut ajouter des actes de gestion, des agents du smic à l'exception des actes individuels relatifs au statut
du personnel, du directeur et du comptable public.

On peut mentionner également les actes non-détachables de l’exercice de la fonction juridictionnelle


judiciaire : (sujet déjà abordé) : lorsqu’un litige concerne le service de la justice judiciaire, si on confie ce
litige au juge administratif, il y’a alors un risque que le juge administratif ne juge la justice judiciaire,
pourtant il s’agit bien d’actes de personnes publiques : on a donc établit une distinction entre
organisation et fonctionnement du service judiciaire avec une décision de 1952 du TC, Préfet de la Guyane
: ce qui relève de l’organisation va au juge administratif et ce qui relève du fonctionnement va au juge
judiciaire. On a ensuite utilisé une nouvelle distinction dans un arrêt Tribunal des conflits, 2015 arrêt
Hoareau : le critère dans cet arrêt est désormais le rattachement à la fonction juridictionnelle de sorte que

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maintenant, en application de cette jurisprudence : si c’est un problème d’organisation c’est le juge
administratif et si c’est un problème de fonctionnement c’est la juridiction judiciaire.

Section II : Les actes administratifs unilatéraux des personnes privées.

Les personnes privées peuvent édicter des actes administratifs lorsqu’elles sont chargées des missions de
service public. L’étendu des actes administratifs qu’elles édictent varient selon qu’elles soient chargées de
la gestion d’un service public administratif ou d’un service public industriel & commercial. Lorsqu’elles gèrent
un service public administratif, sont administratives (et donc à ce titre relèvent du juge administratif) toutes
leurs décisions réglementaires et individuelles relatives à l’organisation du SPA ou à son exécution même,
dès lors qu’elles sont prises dans l’exercice de prérogatives de puissance publique (CE ASS 1943 Bouguen,
CE ASS 1961 Magnier).

En revanche, leurs décisions qui ne concernent pas le SPA lui-même, ou qui ne manifeste pas l’usage de PPP
(prérogatives de puissance publique) sont de droit privé.

S’agissant des personnes privées qui gèrent un SMIC : toutes leurs décisions sont de droit privé, sauf les
décisions réglementaires relatives à l’organisation du service (TC 1968 Époux Barbier). C’est-à-dire qu’un
acte réglementaire qui n’a pas trait à l’organisation du service, est un acte de droit privé donc un règlement
de droit privé (TC Rolland 1961).

Chapitre II : Le concept et le régime des actes administratifs unilatéraux.

Pendant longtemps, le débat autour de la nature des actes a consisté à déterminer si un acte était un acte
décisoire ou un acte non décisoire. L’acte décisoire est attaquable, il fait grief, or que l’autre n’est pas
attaquable et ne fait pas grief. Ce débat a été représentatif des questions juridiques analysées durant des
décennies.

Depuis quelques années, le débat a changé : au milieu de la dernière décennie, des interrogations se sont
renforcées sur l’utilité ou la légitimité plutôt, de pouvoir contester en justice des actes non décisoires car
correspondant à ce qu’on appelle du droit souple, ou du droit mou. Ce que le CE a accepté, c’est que des
actes de droit mou pouvaient être contestés (JP de 2016).

En 2020, le CE a rendu un autre arrêt Gisti qui concerne ce que l’on appelle les documents de portée
générale. Le CE dans ses décisions, augmente le nombre d'actes administratifs qui sont attaquables en
utilisant le concept de document de portée générale et étend encore le champ des actes attaquables en
intégrant des actes qui ne sont pas décisoires. Cela signifie que le débat consistant à distinguer actes
décisoires et non décisoires, n’a pas complètement perdu son intérêt car quand un acte est décisoire on
n’est certain de pouvoir l'attaquer. Mais ce débat a quand même été modifié dans sa nature, dans son enjeu,
puisqu'aujourd'hui, beaucoup d’actes non décisoires peuvent être appliqués. Il faut, bien entendu,
comprendre quel est le périmètre des actes pouvant être attaqués pour savoir le statut des différents actes
administratifs qui existent.

S’agissant de l’acte administratif, on rappellera que certains d’entre eux contiennent des normes et que
lorsqu'on dit qu’un acte est décisoire c’est dire qu’il est normateur car il contient, pose, exprime, signifie
une norme ou une règle de conduite dont le respect est obligatoire. On retrouve donc le concept de
l'obligation et de l’impérativité. En effet, l’acte interdit, oblige, permet : donc il donne des habilitations
juridiques.

80
En revanche, il y a des actes qui prodiguent des conseils, qui recommandent, qui invitent, qui ont un
caractère incitatif et qui ne sont donc pas décisoires. Le principe classique est qu'on peut attaquer un acte
décisoire qu’on ne peut pas attaquer un acte non-décisoire.

Comment sait-on si c’est acte décisoire ou non ?

Il y a des catégories d’actes avec des noms d’actes qui correspondent à leur fonction. On va par exemple
dire qu'il y a un acte préparatoire, une ligne directrice, une circulaire. Par exemple, l’acte préparatoire
prépare une décision mais ne contient pas lui-même une décision. De même, la circulaire éclaire un texte en
donnant explicitement l’interprétation qu’il faut lui donner. La ligne directrice de gestion quant à elle, a pour
rôle de faire en sorte d'encadrer le pouvoir d’exercice discrétionnaire en donnant « des balises » qui vont
s’imposer à l'autorité en question pour éviter l’arbitraire et non pas la discrétionnarité.

Quelle est la différence entre l'arbitraire et la discrétionnarité ?

Arbitraire : on fait totalement ce qu’on veut


Discrétionnarité : s’il est encadré, il y’a de la liberté mais faut quand même respecter des limites

Qu'arrive-t-il si un acte est mal nommé ? Une circulaire peut-elle être nommée ligne directrice ?

Le juge n’est pas tenu par le nom officiel des actes, il regarde le contenu. Il n'hésitera pas à requalifier en
fonction de la nature profonde de l’acte, donc celle qui découle de son contenu et pas de son nom.
Autrement dit, le juge ne s’arrête pas à la présentation d’un acte.
CE Société Fairvesta International 21 mars 2016 : c’est un arrêt qui concerne le droit souple qui est
accompagné d’un autre arrêt CE 21 mars 2016, société NC Numéricâble on les verra très souvent car ils sont
associés ensembles.

Dans cet arrêt le CE accepte qu’on puisse fasse un recours contre des actes non décisoires, donc il ouvre une
brèche dans l’injusticiabilité des actes non-dérisoires, il considère que certains peuvent devenir justiciables.
Le CE considère que ne sont concernés que les actes de droit souple d’autorité indépendante, des autorités
de régulations. Ce qu'il dit, c’est que deux cas de figure justifient l’attaque de ces actes :

• S’il s’agit d’avis de recommandations, de mise en garde de prise de position qui pourraient ensuite
justifier des sanctions de la part des autorités de régulations.

L’idée du juge est de dire que ces autorités donnent des avis, si les administrés n’ont pas suivi et qu’ensuite
ils sont sanctionnés parce qu’ils n’ont pas suivi cet avis, alors on considère qu’on va pouvoir attaquer ces avis
parce qu’en réalité si on ne les applique pas on s’expose à des sanctions.

Ce premier critère n’est pas nouveau : il y’avait déjà une jurisprudence antérieure qui l’avait préfiguré mais
il fait partir du mode d’emploi de l’arrêt des deux cas où on peut attaquer un acte de droit souple d’une
autorité indépendante.

Le deuxième cas est celui qui lui est novateur :

• C’est le cas où l’acte produit des effets notables, notamment de nature économique ou lorsqu’il a
pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles il
s’adresse.
Notons qu’il est exigé qu’il soit de nature à produire, que lorsqu’il est écrit qu’il soit « notamment de nature
économique » cela signifie donc que la liste est ouverte et que l’acte en question a un impact significatif sur

81
le comportement des personnes. Cette jurisprudence va être complétée par d’autres arrêts notamment CE
ass 19 juillet 2019 Mme Le Pen. Cet arrêt étend les auteurs des actes de droit souple susceptibles d'être
attaqué puisqu'ils nuisent les autorités administratives et non pas seulement les autorités de régulation.

Donc là, on a quand même un changement majeur puisque des actes de droit souple deviennent
attaquables, ce qui avant n‘était pas le cas. Puis on a enfin l'arrêt Gisti.

La décision Gisti rendu le 12 juin 2020 par le CE augmente le nombre des actes administratifs pouvant être
annulés en élargissant les actes de droit souple qui font grief. Dans cette décision, le CE juge que les
documents de portée générale, qu’il s’agisse de circulaires, de présentations ou autres, sont susceptibles de
faire l’objet d’une annulation. Dans cette décision, le CE définie une nouvelle catégorie d’acte administratifs
qui peuvent être annulés par le juge : c’est l’expression de document de portée générale. Le recours en
annulation est donc concevable contre un nombre accrue d’actes.

Ces documents de portée générale émanent d’autorités publiques, sont matérialisées ou non, ils
concernent les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentation, interprétation du droit
positif, qui peuvent être désormais déféré au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir
des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant,
de les mettre en œuvre. Le CE ajoute « ont notamment de tel effets, ceux de ces documents qui ont un
caractère impératif ou présentent le caractère de ligne directrice ».

Si on analyse dans le détail : l’expression « document de portée générale » exclue un document qui
concernerait qu’une seule personne ou un seul groupe de personne. Ces documents doivent « émaner
d’autorités publiques » : cela exclut les documents qui ne sont pas détenues par des autorités publiques,
cela exclut également les documents qui émanent des personnes privées même si elles gèrent un service
public. Le support de ces documents peut être très divers, la liste notée plus haut n’est pas exhaustive elle
va même jusqu’à inclure les interprétations du droit positif. En l’espèce, c’est l’interprétation du droit positif
par l’administration (les FAQ), les lettres d’information : par exemple, si on va sur le site de multiples
administrations publiques (la CAF par ex) et qu’on a une FAQ qui nous renseigne sur nos droits, alors ces
documents sont attaquables. Il faut noter que le critère est que le document soit susceptible d’avoir des
effets, il n’est pas exigé qu’ils aient effectivement eu des effets : la potentialité suffit.

Quel est le contrôle de légalité de ces documents ? Selon l’arrêt Gisti, le juge tient compte de la nature et
des caractéristiques du document, du pouvoir d’interprétation dont dispose l’autorité dont il émane, et que
le recours formé contre le document doit être accueilli/admis ; si le document fixe une règle nouvelle
entachée d’incompétence, si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée
(le sens et la portée du document) ou si le document est pris pour mettre en œuvre une règle contraire à
une norme supérieure. Ce que l’on peut dire c’est que cette jurisprudence protège les administrés, elle
renforce le contrôle du juge, elle oblige l’administration à être exigeante et vigilante puisqu’on peut lui
opposer un contrôle, y compris vis-à-vis des actes qui correspondent à du droit souple.

Le fond de cette jurisprudence c’est que l’administration peut orienter des comportements sans pour
autant produire des actes décisoires, c’est-à-dire des actes qui modifient l’ordonnancement juridique. Et
qu’à partir du moment où des actes administratifs non-décisoires exercent une influence sur les
comportements, il faut que ces actes puissent être contrôlés.

Section I : Les actes administratifs non-décisoires.


Les actes administratifs sont soit décisoires soit non-décisoires. Le principe est que l’acte décisoire contient
une décision, elle-même contenant une norme juridique. Cette norme peut prescrire, proscrire, habiliter. À

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partir du moment où l’acte modifie l’ordonnancement juridique, qu’il fait grief. L’expression « faire grief »
vient du contentieux et ce qui fait grief est attaquable en justice. Et puis, on a de l’autre côté les actes non-
décisoires : ce sont les actes qui ne contiennent pas de décisions, pas de normes juridiques, qui pendant très
longtemps, ont été considéré comme ne faisant pas grief.
Cependant depuis l’arrêt Fairvesta puis la jurisprudence Gisti : certains actes, bien que non-décisoires, font
grief. On a changé de « paradigme ».
Quels sont ces actes non-décisoires classiques ?

Nous avons tout d’abord l’acte préparatoire.


§1 : L’acte préparatoire, confirmatif, déclaratif ou recognitif.
L’acte préparatoire s’intègre dans une procédure complexe : il s’agit par exemple un avis qui précède une
décision, la décision ne sera prise qu’après l’expression de l’avis : il y’a donc une chaîne d’acte qui se termine
par la décision. L’avis, est un acte préparatoire. Lui-même en tant qu’acte préparatoire n’est pas attaquable
directement car il ne contient pas de normes, il reflète seulement l’opinion. En revanche, lorsqu’en bout de
chaîne la décision est prise, on peut pour attaquer cette décision, se prévaloir de l’illégalité de l’avis. On va
pouvoir exciper l’illégalité de l’avis pour faire annuler la décision.
Un acte confirmatif quant à lui est un acte qui confirme et parce qu’il confirme, il n’a pas d’effets de droit :
par exemple, on a un acte et deux mois pour le contester en justice. Au-delà de 2 mois, on ne peut plus
contester. Mais l’idée de génie est de redemander la même chose, on aura la même réponse et un nouveau
délai : si ça marchait comme ça, cela serait trop simple. Donc le CE a inventé l’acte confirmatif qui est un acte
dont le contenu peut tout à fait être normateur, mais parce qu’il confirme, ne rouvre pas de délai. Et on
considère qu’il ne fait pas grief alors même qu’il contient une norme.
En pratique, ce n’est pas si simple que ça puisque reste à savoir ce qu’est un acte confirmatif : il faut que le
demandeur soit le même, que la demande soit la même, l’acte aussi et qu’il n’y ait pas eu de changements
de circonstances de fait ou de droit substantiel (CE, 28 mars 1952, Martin, Piteau et Luillier).

L’acte recognitif/déclaratif : il s’agit d’un acte qui ne fait que constater une situation de fait ou de droit sans
aucun effets juridiques.
§2 : Les actes qui ne lient pas.
Ces actes qui ne lient pas ce sont des recommandations, des lignes directrices, des conseils…

Les circulaires : une circulaire c’est un texte qui explicite le sens qu’il convient de donner à des normes, le
plus souvent législatives/règlementaires. Le régime de la circulaire a évolué. Dans un premier temps, on a
fait une distinction entre la circulaire interprétative et règlementaire : la circulaire interprétative se contente
d’un traité, et la CR se contente des règlements.
Pourquoi l’une interprète et l’autre règlemente ? Celle qui règlemente, elle ne se contente pas d‘interpréter,
elle ajoute du sens. Or la CI interprète seulement (CE, ASS 1954, Notre Dame du Kreisker). Cette
jurisprudence va avoir une longue vie mais elle est impossible à mettre en œuvre parce que c’est trop
compliqué de faire une bonne différence entre la CR et la CI. Le CE décide dans cette arrêt que la CR est
attaquable et la CI est inattaquable.

Puis, un arrêt du CE de 2002 (Duvignères) : cet arrêt change complètement le mode d’analyse de la
contestabilité des circulaires : on ne parle pas d’interprétative/règlementaire, on parle de circulaires non-
impératives et de circulaires-impératives. Autrement dit, on part du caractère normateur de la circulaire :
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la circulaire qui ne fait qu’exprimer des vœux/conseils/recommandations, qui ne contient pas de normes est
donc non-impérative, elle est inattaquable. En revanche, la circulaire impérative qui prescrit un
comportement, qui dicte une conduite, même si elle n’ajoute rien au texte interprété, elle est opposable,
attaquable, invocable, elle fait grief. Il suffit que la circulaire interprète un texte normatif décisoire, sans
même y ajouter quoique soit pour qu’elle devienne impérative.
Nous avons deux types de circulaires impératives :
Celle qui interprète fidèlement le texte : elle apporte des précisions, elle réitère la norme. Cette circulaire est
légale si la norme qu’elle réitère respecte les normes supérieures, sinon elle est illégale.
Celle qui créé une règle nouvelle en plus d’interpréter un texte : pour que cette circulaire soit légale, il y’a
plusieurs conditions : l’auteur doit être compétent (1), il faut que la circulaire ne viole pas le texte qu’elle
interprète (2), il faut que la circulaire ne viole aucune norme supérieure (3). Puis vient la jurisprudence Gisti
(CE, 2020) : parmi les documents de portée générale, il y’a les circulaires. On sait bien que l’arrêt Gisti prévoit
que les circulaires sont attaquables, mais elles le sont si elles sont susceptibles d’avoir des effets notables
sur le droit ou la situation d’autres personnes que les agents. Puis, l’arrêt ajoute qu’ont notamment de tel
effets les documents qui ont un caractère impératif : cela signifie que la circulaire impérative est attaquable
et la circulaire non-impérative qui serait susceptible d’avoir des effets notables peut aussi faire grief.

Sur le régime de l’invocabilité : elles font l’objet d’une publication, elles peuvent être abrogées si elles ne sont
pas publiées etc.
Les lignes directrices : lorsqu’une autorité administrative décide, elle peut être dans deux situations.
1 : pouvoir discrétionnaire : l’administration peut prendre plusieurs décisions différentes, toutes légales.

2 : compétence liée : l’administration ne peut prendre qu’une seule décision légale (on a réussi nos examens,
donc personne ne peut hésiter quant à la remise de diplôme, pas de discussion).
Quel est le risque avec le pouvoir discrétionnaire ?
C’est l’arbitraire, que la discrétionnarité ne se transforme en pur arbitraire. Pour empêcher cet arbitraire, on
édicte des lignes directrices (de gestion) : ces dernières vont venir encadrer par des bornes l’exercice du
pouvoir discrétionnaire pour qu’il ne verse pas dans l’arbitraire : la ligne directrice encadre l‘exercice du
pouvoir discrétionnaire.
Cette ligne directrice doit préserver le pouvoir d’appréciation de l’administration. Car s’il n’y a plus de pouvoir
d’appréciation, cela signifie qu’on est passé à la compétence liée. Il doit maintenir le principe d’un examen
particulier. Elles n’ont pas de caractère réglementaire en ce sens : elles ne fixent pas une règle générale et
impersonnelle qui dispense de tout examen particulier (CE 1969, Société Distillerie Barbant) : c’est donc une
ligne de conduite défectible : on peut y déroger dans certains cas pour un motif d’intérêt général notamment.
Si elles sont publiées, ces lignes directrices sont opposables à l’administration : elles sont contestables par
voie d’exception, mais pas par voie d’action (1973, CE, société GEA).
Pourquoi une irrecevabilité du recours contre la ligne directrice ?
Parce qu’elle ne modifie pas elle-même la situation des administrés, c’est la décision prise telle qu’encadrée
par ces lignes directrices qui modifiera la situation des administrés.

En 2017, le CE décide de faire évoluer les choses en prévoyant que des lignes directrices prises par des
autorités de régulation peuvent être directement attaquées (CE, 2017, Société Bouygues Télécom). Puis,

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vient l’arrêt Gisti, et cet arrêt prévoit qu’au titre de documents de portée générale émanant d’autorités
publiques, un tel document peut être attaqué (selon les conditions stipulées dans l’arrêt).
§3 : Les MOI (mesures d’ordres intérieures).

La MOI, traduit l’idée selon laquelle un acte décisoire relatif à la vie interne de l’administration n’a pas
vocation à être attaquable et donc, ne fait pas grief même s’il est normateur, autrement dit dans ce cas, un
acte décisoire est considéré comme ne faisant pas grief, parce qu’il a des effets minimes.
Et on cite souvent un adage latin « de minimis non curat praetor » : de ce qui est minime, le juge n’a cure ;
sous-entendu : petite décision dans l’administration, elle est inattaquable mais ce que l’on appelle petite
décision correspond parfois à des décisions qui ont des vrais effets juridiques sur les individus. Et le
mouvement jurisprudentiel relatif au MOI a progressivement fait reculer le périmètre des MOI sans pour
autant les faire disparaître : on a dans le domaine de l’armée, de l’école, des prisons, de l’administration de
manière générale, des mesures qui étaient initialement des MOI, ceci est en nette déclin dans l’intérêt des
administrés.
Par ailleurs, cet adage reflète une conception ancienne de la relation entre les administrés et
l’administration : il y’a eu beaucoup de travail sur toute une série du comportement de l’administration vis-
à-vis des individus. La jurisprudence du CE est perméable à ce savoir : le juge qui est aussi perméable aux
travaux des sciences sociales et regarde les choses différemment.
Quand bien même le concept des MOI a presque disparu, le périmètre des MOI a reculé, cela signifie
qu’aujourd’hui il y’a moins de MOI.
Les MOI sont-ils utiles ?

Oui, il y’a au sein de l’administration de multiples actes qui sont liés à l’organisation du service, à la fonction
publique et on a besoin que l’administration dispose d’une certaine liberté pour s’organiser : si tout acte de
l’administration était contestable, cela deviendrait un enfer administratif.
L’administration bénéficie donc d’un cadre qui le protège, tout chef de service peut édicter des MOI (1936,
CE Jamart) le CE encadre seulement la possibilité de prendre des MOI en expliquant où est la limite de la
MOI. Un arrêt de principe de 2015 Madame Bour Jolly : dans cet arrêt, le CE dit que les mesures à l’égard
d’agent public qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardés comme leur faisant grief,
constituent des MOI, donc insusceptibles de recours. Ensuite, le CE illustre en creux : cela signifie qu’il donne
une définition négative, mais si on retourne l’image, on sait ce qu’on faire et pas faire. Qu’il en va ainsi des
mesures qui tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu’ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte
aux droits et prérogatives qu’ils tiennent de leur statut ou à l’exercice de leur droits & libertés fondamentaux
ni n’emporte perte de responsabilité ou de rémunération ; que le recours contre de telles mesures, à moins
qu’elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable.

Si on regarde en creux ce que ne sont pas les MOI : des décisions qui modifient l’affectation/tâches des
agents publics et qui portent atteinte à leur droits et prérogatives qu’ils tiennent de leur statut ou à l’exercice
de leur droits & libertés fondamentaux.
Et si jamais la décision litigieuse ne contient pas ces éléments elle apparaît donc comme une MOI, elle peut
encore perdre son statut de MOI si elle révèle une discrimination. Sont donc des actes attaquables les
décisions qui portent atteinte aux prérogatives et aux droits (définition en creux).
Le recul des MOI, s’est manifesté dans plusieurs domaines, notamment à l’école : on peut citer à ce titre la
jurisprudence du CE de 1992 Kherouaa qui prévoit que le règlement intérieur et les sanctions qui découlent
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de ce règlement intérieur sont une décision administrative attaquable. De plus, une autre jurisprudence
relative à l’affectation dans un groupe de TD : cette affectation est sans influence sur l’orientation générale
de l’étudiant et cela constitue une MOI (CE 1967, Bricq).

MOI et armée : la punition de mise aux arrêts à l’encontre d’un militaire est une décision attaquable car elle
limite la liberté d’aller et venir et l’avancement dans la carrière (1995, CE, ASS, Hardouin).
De même, dans les prisons : les mises à l’isolement sont désormais attaquables (1995, CE, ASS, Marie). Le
CE a adopté toute une jurisprudence en matière pénitentiaire qui permet de déterminer ce qui relève d’une
MOI, ce qui n’en relève pas, notamment par rapport au changement d’établissement : on a deux types de
prisons : la maison d’arrêt et l’établissement pour peines. La maison d’arrêt c’est la maison où les gens sont
placés en attente de leur procès ou pour effectuer des peines courtes ; l’établissement pour peines à accueillir
des détenus qui purgent des peines plus longues et au sein des deux catégories l’une est considérée comme
meilleure que l’autre (établissement pour peines). Lorsqu’un détenu passe d’un établissement à un autre, si
sa condition s’améliore, il ne peut pas contester, si elle stagne non plus. Si sa condition se détériore, il peut
contester (CE, ASS, 2007, Boussouar).
Le même jour est rendu l’arrêt Payet : cet arrêt porte sur les rotations de sécurité, même si cela devient de
plus en plus difficile, des détenus arrivent à s’évader (SCOFIELD version française). Monsieur Payet avait quasiment plus
d’une vingtaine d’évasion à son actif, au point que l’administration pénitentiaire a considéré qu’on ne pouvait
pas le laisser dans une prison sans le transférer de manière régulière sinon il allait trouver une manière de
s’échapper. Monsieur Payet a attaqué et la question était de savoir si la rotation de sécurité était une MOI ou
non ; le CE a décidé que ce n’était pas une MOI. On a un autre arrêt sur le déplacement d’emploi : la décision
est attaquable (CE, ASS, 2007, Planchenault).

Section II : L’entrée et la sortie de vigueur des actes administratifs unilatéraux.


Ce sujet est important parce qu’il concerne les règles d’édiction des actes, il exerce une influence sur le
régime de contestation des actes et dès lors que l’acte administratif est le principal mode d’action de
l’administration, c’est un sujet incontrôlable.
Rappel : nous avons une typologie des actes unilatéraux : on a des actes individuels qui désignent
nominativement ses destinataires, l’acte règlementaire (général et impersonnel), l’acte sui generis (qui est
entre l’acte règlementaire et individuel).
§1 : L’entrée en vigueur.
Quelques mots sur les règles d’édiction des actes : les actes doivent être signés, à peine de nullité. Un acte
devient un acte à partir du moment où il est signé, voire contresigné. Lorsque l’acte a été adopté, il revête
un caractère exécutoire : le terme exécutoire est souvent rattaché à l’œuvre de Maurice Hauriou, cela signifie
que c’est un acte qui est exécutable, il a une force juridique pour être exécuté.
Il existe parfois une confusion entre ce que l’on appelle le caractère exécutoire de l’acte et le privilège du
préalable : il ne faut pas confondre les deux concepts. Le privilège du préalable c’est le pouvoir de
l’administration d’édicter des décisions, directement, c’est-à-dire sans autorisations. Le CE reconnaît ce
principe dans un arrêt de 1913 : préfet de Leurre. Le caractère exécutoire quant à lui, c’est la suite du
privilège du préalable : une fois la décision prise, elle s’impose à ses destinataires y compris sans leur
consentement. Elle est exécutoire (sauf texte contraire). Le caractère exécutoire de l’acte est important pour
l’administration car ça lui donne le pouvoir d’imposer ses actes. Ce principe présume également que les actes
de l’administration sont légaux (présomption de légalité des actes administratifs).

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Lorsqu’il y’a un recours juridictionnel contre un acte administratif, le principe c’est l’effet non suspensif du
recours. Cela signifie que l’acte n’est pas suspendu par l’exercice du recours juridictionnel car l’acte est
présumé légal et s’il suffisait d’un recours pour suspendre l’acte, cela placerait l’administration dans une
situation d’extrême fragilité, ça mettrait le requérant et l’administration sur un même stade.
Toutefois, le caractère exécutoire ne donne pas un pouvoir plein à l’administration. L’administration ne peut
pas recourir à l’exécution forcée de ses décisions (utilisation de la force par l’administration). Si le destinataire
de l’acte résiste à l’acte, il est possible de punir cette inexécution dans certains cas (lorsqu’il s’agit de mesures
de police par exemple). Et on a aussi une exception qui permet le recours à la force avec des conditions
particulières (TC, 1902, Société immobilière Saint-Just).
Les actes administratifs unilatéraux, lorsqu’ils sont adoptés, sont soumis au principe de la non-rétroactivité :
le principe a été fixé au titre des PGD dans un arrêt d’ass du CE 1948 (société du Journal L’aurore) : les actes
administratifs unilatéraux ne produisent des effets juridiques qu’à partir de leur date d’édiction et pour
l’avenir.
Mais se pose la question évidemment : qu’est-ce que l’avenir ?
La jurisprudence du CE a dû préciser le cadre dans lequel des règles nouvelles peuvent s’appliquer à des
situations. Et ce qui ressort de la jurisprudence c’est que si une situation est constituée de manière
définitive, alors une règle nouvelle ne peut pas s’y appliquer. Si des droits ont été acquis avant la règle
nouvelle, alors la règle nouvelle ne peut pas les remettre en cause. En revanche, une situation ne peut pas
être définitivement constituée et être en cours : comment fait-on dans ce cas ?
Le principe c’est que sous réserve du régime des contrats, de nouvelles règles peuvent s’appliquer à des
situations encours ; on fait toutefois la distinction entre une situation en cours dont le terme est fixé ou non.
Mais lorsque le terme n’est pas connu, que la situation est en cours sans limitation de temps, alors on peut
modifier la règle et l’appliquer à cette situation.
La loi, sauf en matière pénale, peut avoir une portée rétroactive si elle a un motif d’intérêt général suffisant
(Conseil constitutionnel, 1980, loi de validation) : elle peut imposer au pouvoir réglementaire d’avoir une
telle portée, c’est-à-dire d’édicter les règles applicables à des situations constituées antérieurement. Et
notamment à des situations contractuelles en cours. Cependant, la jurisprudence du CE a apporté des
tempéraments (ils ont été codifiés). En effet, dans un arrêt d’ass de 2006 (société KPMG) : le CE, et sauf si la
loi exige l’application immédiate des nouvelles règles aux situations constituées, il peut incomber au pouvoir
règlementaire, en vertu du principe de sécurité juridique, d’assortir dans certains cas, l’édiction d’une
règlementation nouvelle de mesures transitoires. Cela signifie que le principe de la rétroactivité permis par
le Conseil constitutionnel, prévu par la loi est tempéré dans sa mise en application par des règles transitoires.
Le CE prévoit ce principe en matière contractuelle, il juge en effet ; qu’il est obligatoire d’édicter des mesures
transitoires quand l’application d’une règlementation nouvelle est susceptible de porter une atteinte
excessive à des situations contractuelles en cours. Et le même principe s’applique en matière
extracontractuelle si l’application immédiate de la nouvelle règle porte une atteinte excessive aux intérêts
publics ou privés en cause (CE, 2006, Madame Lacroix). Ces jurisprudences ont été codifiées dans le cadre
du CRPA en 2015.
S’agissant des types de mesures transitoires, l’article L221-6 du CRPA prévoit que ces mesures transitoires
peuvent consister à prévoir une date d’entrée en vigueur différées des règles édictées.
Le CE considère même que si la mise en œuvre d’une règlementation assortie de mesures transitoires risque
de porter une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés, le pouvoir règlementaire peut adopter de
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nouvelles mesures transitoires. Il y’a donc une possibilité d’actualisation des mesures transitoires si la
première mesure apparaît comme étant insuffisante (CE, 30 décembre 2021, Union des chirurgiens de
France).

S’agissant des règles d’entrée en vigueur : on peut commencer par les actes règlementaires. Il faut retenir
que pour qu’un AR entre en vigueur, des règles de publicité doivent être respectées.
Qu’est-ce que la publicité ? C’est la manière dont on fait connaître un acte. À l’intérieur du concept du
publicité, existe différentes modalités de cette publicité (la publication, l’affichage, la notification : ce sont
des modalités de mise en œuvre de la publicité). Pour les AR, la règle est qu’ils entrent en vigueur le
lendemain du jour de l’accomplissement des formalités de publicité. Si dans l’acte R des dispositions
nécessitent des mesures d’application, alors l’entrée en vigueur de ces dispositions est reportée à la date
d’entrée en vigueur de ces mesures d’application. Lorsqu’une publication a lieu au JO, la date d’entrée en
vigueur est le lendemain de la publication, ou la date d’entrée en vigueur fixée par le texte, à moins qu’il y
ait des mesures d’application de dispositions de l’acte.
S’agissant des actes sui generis, ce sont les mêmes règles mentionnées pour les règlements.
S’agissant des décisions individuelles : le principe est qu’une décision individuelle expresse, c’est-à-dire qui
n’est pas implicite est opposable au moment où elle est notifiée. Il existe aussi une possibilité que le silence
constitue une décision, le silence c’est l’absence de réaction de l’administration. Pendant très longtemps, le
silence de l’administration a été considéré comme équivalant à un refus. Depuis quelques années, sous la
présidence de Hollande, la règle a été inversée et même codifiée dans le CRPA a divers articles.
Pourquoi inverser la règle ?

Lorsque la réforme préconisée par le PDR a eu lieu, ce qui avait été mis en avant est que l’administration
devait avoir des égards renforcés pour les administrés et que le fait de considérer que l’absence de réaction
administrative équivalait à un refus et donc n’exposait pas l’administration à une difficulté, faisait trop peu
de cas de l’administré par rapport à une représentation. La règle a donc été inversée et on a prévu que le
silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut décision d’acceptation (article
L231-1 CRPA).
Le CRPA prévoit une liste des procédures pour lesquelles le silence décision d’acceptation : c’est un article
décrétale, D231-2. Et puis il y’a des exceptions à l’article L231-4 lequel prévoit que par dérogation à l’article
L231-1 le silence vaut rejet dans un certain nombre de cas : lorsque la demande ne tend pas à l’adoption
d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle, dans ce cas le silence vaut refus (1) ;
lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une demande prévue par un texte L ou R, ou présente le caractère
d’une réclamation/recours administratif (2) ; si la demande présente un caractère financier sauf en matière
de sécurité sociale, dans des cas prévus par décrets (3) ; lorsque l’acceptation implicite ne serait pas
compatible avec la sécurité nationale, la protection des libertés, des principes de valeurs constitutionnels et
la sauvegarde de l’ordre public (4). Au lieu de dire que le silence vaut rejet on dit qu’il vaut acceptation mais
il y’a tellement d’exceptions que le schéma n’est pas bien différent qu’auparavant.
Le délai de formation de la décision implicite est de deux mois, ce délai peut néanmoins varier lorsqu’il y’a
urgence, complexité d’une procédure (L231-6 CRPA).
Lorsque la décision demandée peut être acquise implicitement, et doit faire l’objet d’une mesure de publicité
à l’égard des tiers lorsqu’elle est expresse, alors la demande est publiée par les soins de l’administration. Le
cas échéant par voie électronique avec l’indication de la date à laquelle elle sera acceptée : on publie la

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demande pour faire comprendre aux tiers que l’écoulement du temps pourra conduire à une décision
expresse d’acceptation, s’ils sont concernés, alors ils peuvent attaquer dans les temps.
§2 : Les principes propres à chaque type de décision.

Il existe des règles propres à l’entrée en vigueur de règlements : l’administration doit publier dans un délai
raisonnable les règlements qu’elle édicte : c’est un PGD (CE, 2003, Syndicat des commissaires et hauts
fonctionnaires de la police). S’agissant des règlements d’application des lois (article 21 de la Constitution)
ils doivent être adoptés dans un délai raisonnable (CE, 1964, Dame Veuve Renard), ils doivent être adoptés
sauf s’ils font obstacles des règlements internationaux (CE, 2000, Association France Nature).
S’agissant des règlements de police administrative, il existe dans certaines circonstances l’obligation d’édicter
une réglementation dite initiale, l’administration peut faire cesser un péril grave qui résulte d’une situation
particulièrement dangereuse pour l’ordre public (CE 1959, Doublet).

Sur les décisions administratives individuelles défavorables ou dérogatoires : il existe une obligation de
motiver certaines décisions administratives individuelles. Cette obligation est détaillée dans les articles L211-
1 à L211-8 du CRPA : cet article dit que les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans
délais des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concerne. À cet effet,
doivent être motivées les décisions suivantes : (par exemple, voir l’article pour le reste) celles qui restreignent
l’exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police, celles qui infligent une sanction, celles
qui subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des suggestions ; etc.
L’article L211-3 ajoute à la liste : les décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales
fixées par la loi ou le règlement. La motivation doit être écrite, elle doit contenir l’énoncé de considérations
de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision (une véritable motivation permet de
comprendre PQ dans des circonstances particulières et compte tenu d’une règle, c’est telle décision qui est
prise).
Lorsque l’urgence a empêché la motivation, le défaut de motivation n’entache pas d’illégalité la décision. En
revanche l’intéressé s’il en fait la demande dans le délai du recours (2 mois) doit obtenir la publication du
motif. S’agissant des décisions implicites, elles ne contiennent pas de motivations, cependant si la décision
implicite intervient dans un cas où la décision explicite aurait dû être motivée, elle n’est pas illégale pour
autant.

Au-delà de la motivation, existe aussi l’obligation de respecter le principe du contradictoire avant toute prise
de décision administrative individuelle défavorable. Le principe du contradictoire c’est le fait qu’une personne
puisse connaître les raisons de la décision individuelle défavorable qui la concerne et qu’elle puisse se
défendre avant que la décision ne soit prise. C’est un peu le pendant devant l’administration du principe du
contradictoire lors du procès (dans le cadre d’une instance juridictionnelle). Ce principe a été retenu par le
CE à l’égard des administrés (CE, 1944, Dame Veuve Tromper Gravier) : le CE dit que le principe du
contradictoire à l’égard d’un administré est un PGD.
Le CE applique aussi ce principe à l’égard des agents publics : dans un arrêt 1945, Aramu : aujourd’hui, le
CRPA détermine le champ du principe du contradictoire devant l’administration. Et il précise à l’article L121-
1 que « exception faite des cas où est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être
motivées en application de l’article L211-2, ainsi que les décisions prises en considération de la personne, sont
soumises à la procédure contradictoire préalable ». Il existe quelques cas où le contradictoire ne s’appliquent
pas : en cas d’urgence notamment, de circonstances exceptionnelles etc.

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Cette contradiction consiste en ce que la personne intéressée peut présenter des observations écrites/orales,
elle peut se faire assister par un conseil ou représenté par un mandataire sur choix.
Si la mesure envisagée est une sanction, une précision se surajoute : la personne doit avoir eu
communication de son dossier.
§3 : La sortie en vigueur des décisions administratives.
Le principe c’est que les actes administratifs ont une durée d’application indéterminée dans le temps : c’est
le principe. Mais il y’a des exceptions : parfois la règlementation prévoit qu’un acte a une durée limitée,
parfois l’auteur d’un acte a posé sa limite dans le temps, en l’écrivant. Au terme de cette durée, les actes
sortent de l’ordre juridique. Il existe également des décisions frappées de caducité.
Il existe des actes qui sortent de l’ordre juridique parce qu’un autre acte l’a prévu : un jugement par exemple
(annulation d’un acte administratif) mais il peut aussi s’agir d’un acte administratif : plusieurs configurations
possibles : un acte A peut être totalement modifié par un acte B, donc le contenu de l’acte A disparait avec
l’intervention de l’acte B. Sinon, il est possible qu’un acte B intervienne pour faire disparaitre un acte A sans
le modifier : l’acte B peut avoir pour unique objet de prévoir que l’acte A sort de l’ordre juridique, qu’il en
sort pour l’avenir (abrogation) ou de manière rétroactive (le retrait).
Dans chaque cas de retrait/abrogation, l’autorité compétente est celle qui, à la date du retrait/abrogation,
est compétente pour prendre la décision ou s’il est question d‘une décision individuelle, c’est le supérieur
hiérarchique s’il y’en a un. Pendant longtemps, les règles de retrait et d’abrogation avaient été définies par
la jurisprudence : aujourd’hui, les règles ont été codifiées par le CRPA ce qui rend les choses plus simples,
avec une définition du retrait et de l’abrogation (article L242-1).

Quelles sont les règles générales ?


On peut rappeler qu’un acte obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé/retiré. Ensuite,
l’administration ne peut abroger/retirer de sa propre initiative ou sur la demande d’un tier que si elle est
illégale et dans le délai de 4 mois suivant la prise de décision. Cela signifie que lorsque l’administration adopte
un acte illégal, elle peut le retirer dans un délai de 4 mois si c’est une décision créatrice de droit. L’article
L242-2 du CRPA prévoit que par dérogation à l’article précédent, l’administration peut, sans délai, abroger
une décision créatrice de droit dont le maintien est subordonné à une condition qui n’est plus remplie.
Sur la demande du bénéficiaire : l’administration est tenue de retirer ou abroger la décision créatrice de droit
si elle est illégale dans le délai de 4 mois qui suit l’édiction de la décision (+ article L242-4).
S’agissant de l’acte règlementaire : l’article L243-1 du CRPA prévoit qu’un acte règlementaire/non-
règlementaire non créateur de droit, peut, pour tout motif et sans conditions de délai, être modifié ou abrogé
(sous réserves, le cas échéant, de mesures transitoires). Enfin, l’article L243-2 dispose que l’administration
est tenue d’abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d’objet, que cette situation
existe depuis son édiction ou qu’elle résulte de circonstances postérieures, sauf à ce que l’illégalité ait cessée.
Voici donc les éléments qui concernent le retrait et l’abrogation. Ces éléments ont été complétés par la
jurisprudence : la première est un arrêt d’ass de 2018 rendu par le CE : fédération des finances et affaires
économiques de la CFDT. Cet arrêt prévoit que les conditions d’édiction d’un acte règlementaire et les vices
de formes et de procédures dont il serait entaché, ne peuvent être utilement invoqués que dans le cadre du
recours en excès de pouvoir dirigé contre l’acte règlementaire lui-même, introduit avant le délai d’expiration
de recours contentieux et non dans le cadre d’un REP dirigé contre la décision refusant d’abroger cet acte.

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Autre arrêt CE ASS 2019 Association des Américains accidentels : le CE est saisi en l’espèce d’une demande
d’annulation du refus d’abroger un acte règlementaire : il décide dans ce cas que la légalité de l’acte doit être
apprécié au regard des règles applicables à cette décision. En principe, lorsque nous sommes en matière de
REP, la date de prise en compte de la légalité de l’acte attaqué, par le juge, est la date de l’édiction de l’acte.
Cependant, dans cet arrêt, ce n’est pas la solution retenue par le juge administratif, d’habitude lorsqu’il y’a
un recours en plein contentieux (RPC) la date de prise en compte pour contrôler la légalité est la date de la
décision du juge et pas la date d’édiction de l’acte. Autrement dit, on a dans cet arrêt de 2019 un REP qui du
POV de la légalité est traité comme si on était en RPC.
Pourquoi ce changement pour un acte R ?
Le CE part d’un raisonnement autour de l’effet utile de l’annulation en excès de pouvoir du refus d’abroger
l’acte réglementaire. Lorsqu’on annule un refus d’abroger, le juge prescrit une abrogation pour que l’illégalité
cesse. Mais, le CRPA dit bien que l’abrogation doit être prise à moins qu’elle ait cessée : donc, avec cette JP
le CE se donne les moyens que la juridiction administrative puisse ne pas être obligée d’ordonner une
abrogation alors même que l’illégalité aurait cessée. Le juge ordonne à l’administration de procéder à une
abrogation conformément au cadre du CRPA : si à la date de sa décision l’illégalité a disparu, il n’y a pas
d’obligation d’abroger.

On peut aussi noter que l’abrogation s’applique aussi aux actes de droit souple (CE ASS 2019, fédération des
entreprises de la beauté).

Chapitre III : Le contrôle juridictionnel des actes administratifs unilatéraux.

On entre ici dans le contentieux administratif, donc l’étude des règles suivies devant les juridictions
administratives pour contester les actes.

Section I : Propos généraux sur les voies de recours.


§1 : Distinction entre les recours administratifs et juridictionnels.
Lorsque l’on évoque les actes, les recours, il y’a une terminologie qui peut prêter à la confusion : parce que
les thèmes se ressemblent (mais ce n’est pas le cas). Il ne faut pas confondre la demande initiale et le recours
administratif : quelle est la différence ?
La demande initiale est formulée lorsqu’il n’existe pas d’actes administratifs, par exemple : je veux obtenir
un permis de construire, je demande donc un permis de construire. Mais imaginons que j’ai une réponse
défavorable de la part de ma commune, alors on a une décision : c’est ce qui nous permet d’aller en justice,
je peux faire un recours juridictionnel (mais je ne suis pas tenu de saisir immédiatement la justice : je peux
essayer amiablement de convaincre l’administration de changer de décision, je fais alors un recours
administratif).
Le recours administratif peut être adressé à l’auteur de l’acte (recours gracieux) ou à son supérieur
hiérarchique (un recours administratif hiérarchique). Ce recours présente plusieurs intérêts : le principal
intérêt est qu’il peut nous éviter un procès qui va, le cas échéant, mobiliser du temps + de l’argent, + va
retarder nos projets et va peut-être se conclure par une défaite pour nous avec éventuellement la demande
de la partie adverse de payer des frais irrépétibles : mieux vaut trouver un accord avec l’administration.
Ce recours administratif interrompt le délai de recours contentieux contre la décision initiale, lorsqu’un acte
administratif est adopté, un délai de recours court à compter de la publicité de l’acte. Si on cherche à

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convaincre l’administration de changer d’avis par un recours administratif, ce recours interrompt le délai de
recours contentieux. Et ce délai va recommencer lorsqu’on aura la réponse à notre demande.
L’administration va accuser réception, et va se baser sur la situation de droit et de fait, à géométrie variable
(selon si c’est une décision créatrice de droit ou non). S’il est question d’une décision créatrice de droit,
l’administration se fonde sur la situation de fait et de droit qui prévaut à la date de cette décision.
S’il est question d’une décision non créatrice de droit, elle se fonde sur la situation de fait et de droit qui
prévaut à la date de SA décision, c’est-à-dire le jour où elle nous répond.

Le principe est que ce recours administratif est toujours possible mais parfois, il est obligatoire et lorsqu’il
l’est, le régime juridique de ce recours change, notamment le non-exercice de ce recours lorsqu’il est
obligatoire, rend notre recours contentieux irrecevable : c’est la grande différence entre le RAP et le RAPO.

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