Romancier Et Poète Ivoirien: Jean-Marie Adiaffi
Romancier Et Poète Ivoirien: Jean-Marie Adiaffi
Romancier Et Poète Ivoirien: Jean-Marie Adiaffi
2024 16:07
Québec français
Jean-Marie Adiaffi
Romancier et poète ivoirien
Madeleine Borgomano
URI : https://id.erudit.org/iderudit/45383ac
Éditeur(s)
Les Publications Québec français
ISSN
0316-2052 (imprimé)
1923-5119 (numérique)
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JEAN-MARIE ADIAFFI
Jean-Marie Adiaffi est né en 1941, à Le titre du roman p r o g r a m m e aussi
Bettié, dans la région d ' A b e n g o u r o u , à madeleine borgomano son s y m b o l i s m e le plus clair: le« bout de
l'est de la Côte d'Ivoire. Après des études papier », signe imposé par un pouvoir
universitaires en France il est devenu étranger et répressif (à rapprocher, à la
professeur de philosophie. Il vit actuel- lettre, du fameux « s y m b o l e », marque
lement à Abidjan. d'infamie infligée dans les écoles fran-
Ce p r é a m b u l e b i o g r a p h i q u e n ' a n - Galerie infernale, dont l'écriture est çaises aux enfants surpris à parler leur
nonce pas une volonté de tenter l'éluci- antérieure à celle des premières p u b l i c a - langue maternelle), n'est absolument
d a t i o n des r a p p o r t s c o m p l e x e s entre tions. Un deuxième r o m a n , Silence, o n pas r e c o n n u c o m m e représentatif d'une
« l'homme et l'oeuvre ». Il ne s'agira ici développe, est terminé et doit sortir à la réelle identité. C'est pourtant sur cette
que des textes. Mais ces brèves indica- fin de l'année 1986. Adiaffi est aussi l'au- identité véritable que porte la quête,
tions se proposent de situer ces textes teur d'un conte illustré pour enfants, la c'est pour la retrouver que sont subies
en suggérant le contexte et en s o u l i - Légende de l'Êléphanteau. les épreuves: cette quête-là aboutit et
gnant la situation d'énonciation. l'identité finit par être r e c o n n u e , ou du
Ainsi la date de naissance montre U n r o m a n d e l'ère c o l o n i a l e m o i n s a d m i s e , m ê m e par l ' a u t o r i t é
qu'Adiaffi, qui a c o n n u dans sa jeunesse t y r a n n i q u e . En f o n c t i o n n a n t ainsi sur
l'ère coloniale, est surtout un c o n t e m p o - Le renom de l'oeuvre d'Adiaffi dépasse deux plans dont l'un est ouvertement
rain des « soleils des indépendances » largement les frontières de la Côte s y m b o l i q u e , le roman se c o n f o r m e aux
(« Soleil » signifie « saison » ou « épo- d'Ivoire. L'écrivain, invité à plusieurs modalités du récit oral traditionnel,
que ». Les Soleils des indépendances, foires internationales du livre, a été conte ou mythe, en A f r i q u e . Il s'inscrit
titre du roman d'un autre ivoirien, A m a - choisi pour participer à une expérience aussi dans un modèle narratif universel
d o u K o u r o u m a , désigne la période qui f r a n c o p h o n e et internationale d'écriture (quête et épreuve), c o m m e les récits ini-
s'ouvre dans les années 1960 par l'indé- collective et assistée par ordinateur, dé- tiatiques africains.
pendance des pays africains). Les autres nommée Marco Polo, qui a abouti à la Mais, en même temps, la Carte d'iden-
informations données sur Adiaffi mani- publication d'un roman expérimental à tité est un roman moderne, au moins
festent surtout son appartenance à une plusieurs mains. En Côte d'Ivoire, c'est la selon la définition de Lukacs: biographie
d o u b l e culture. Il puise une bonne part Carte d'identité qui paraît le plus appré- d'un « individu p r o b l é m a t i q u e » cher-
de son inspiration et de sa vision d u ciée, car les poèmes passent pour d i f f i - chant à se connaître dans un monde de
m o n d e dans la riche et complexe culture ciles, voire hermétiques, ce que certains valeurs dégradées. Rien de plus dégradé
a g n i , sa source et son origine (les Agnis, considèrent c o m m e un péché! que les cercles de Bettié que doit traver-
surtout représentés au Sud-Est et à l'Est Le titre du roman, la Carte d'identité, ser le prince m é c o n n u et d é c h u . La fin
de la Côte d'Ivoire, appartiennent au est p r o g r a m m a t i q u e à plusieurs égards. relativement optimiste de l'histoire ap-
g r o u p e Akan). Mais ses livres baignent Du point de vue narratif, il désigne l'objet p a r e n t e r a i t le t e x t e à l'épopée; mais
aussi dans la culture française, ne serait- d'une quête. Le roman se déroule à Bet- « l'épreuve glorifiante » et la reconnais-
ce que par l'adoption de la langue fran- tié, à l'époque coloniale; le prince Mélé- sance obtenue sont insatisfaisantes. Si
çaise c o m m e langue d'écriture. Ce d o u - d o u m a n (« Je n'ai pas de nom » ou « on a l'erreur est avouée, M é l é d o u m a n , meur-
ble e n r a c i n e m e n t , c o u r a n t d a n s la falsifié m o n nom ») est persécuté par le tri, est devenu aveugle. Qui le fera sortir
littérature africaine et toujours conflic- c o m m a n d a n t du cercle français parce de « ce monde de la nuit »?
tuel, trouve ici une expression originale qu'il a perdu sa carte d'identité. Le livre Synthèse de formes traditionnelles et
et parvient, grâce à l'écriture, à se résou- raconte sa recherche désespérée, au de f o r m e s modernes, le roman mêle
dre en une synthèse dynamique. long des sept jours d'une semaine aussi les genres. Plusieurs chapitres,
Adiaffi a publié toujours en 1980, un sacrée, à travers les «cercles « d é p l u s en entièrement dialogues, sont plus drama-
roman, la Carte d'identité et un long plus infernaux d'un Bettié de plus en tiques que romanesques; les person-
poème, D'éclairs et de foudre. En 1984, a plus fantastique, recherche dérisoire nages, stylisés (ou caricaturés) à grands
été édité un autre recueil poétique, la puisque la carte n'était pas perdue. traits, se rapprochent des personnages
épiques. Surtout, la poésie est partout (comme celles qui émaillent le récit des constituent aussi le thème et l'orienta-
présente: des chapitres entiers sont ver- divers procès pour viol), dans le récit tion des poèmes, qui se veulent une
sifiés, comme le chant-poème sur les volontiers épique (ainsi la marche dans épopée allégorique du peuple noir. Ce
malheurs de Mélédouman, ou l'épilogue, la pluie et la boue), la diatribe, l'exhorta- thème et ce projet les inscrivent parfai-
et le style est rythmé, lyrique et débor- tion ou la méditation angoissée sur tement dans la ligne principale de la litté-
dant d'images. l'identité. Registres divers et toujours rature africaine qui se veut, ou s'est vou-
Les codes culturels auxquels renvoie mêlés; les reprises et les répétitions lue, littérature engagée, littérature de
le roman manifestent un large syncré- rythment la prose, la changeant en combat et de libération.
tisme. Les figures, presque toujours poème; les mots se heurtent et se multi- Mais c'est parce que ce projet idéolo-
enracinées dans la tradition akan, sont plient, les adjectifs ne vont jamais seuls; gique ne devient pas un carcan, parce
très fortement surdéterminées. La se- les pages se hérissent de points d'ex- qu'ils se refusent la facilité d'être « décla-
maine sacrée akan, qui culmine, au clamation et d'interrogation. L'abstrac- ratifs » et préfèrent mettre en oeuvre la
cours du vendredi sacré, dans l'adora- tion, instable et passagère, se mue rapi- libération désirée au niveau du verbe
tion des chaises et la cérémonie de dement en images et figures qui con- même, que les poèmes d'Adiaffi, et tout
l'igname, se surcharge, en filigrane, de voquent les éléments et les objets du particulièrement D'éclairs et de foudre,
réminiscences bibliques et chrétiennes, monde, la terre, les arbres, désignés par sont des oeuvres si puissantes et si
devenant aussi genèse ou semaine sain- leurs beaux noms musicaux, les ani- originales.
te, pendant laquelle se déroule la « pas- maux, les hommes et les dieux. Le La Galerie infernale est un hymne brû-
sion » de Mélédouman; le personnage du monde évoqué, le monde de Bettié, est lant à la liberté, chant d'amour à une très
vieil homme rendu aveugle, guidé par volontiers déchaîné, en transes, comme féminine liberté: « Ma tendre liberté • je
une fillette et transportant sur son che- les danseuses nues, bariolées de kaolin connais ton visage... »
min un grand miroir, ouvre une large qui, « terribles avec leur cri de fauve Le poème se présente sous une forme
polysémie. blessé, de tigresses en rut », exécutent typographiquement recherchée: sa
Mais ce qui frappe le plus dans la Carte les danses purificatrices ou comme les « mise en espace » frappe les regards des
d'identité et relie le plus étroitement ce villageois envoûtés par le tambour sacré lecteurs. S'il ne s'agit pas tout à fait de
roman aux poèmes (l'ensemble étant autour du prêtre trépignant, possédé à calligrammes, certaines pages mettent
conçu comme une double trilogie sur le son tour par les génies. l'homme en croix, entre l'enfer et le
thème de la libération), c'est l'écriture. Tout au long du récit de ce calvaire paradis, sur d'autres, les vers se gonflent
initiatique, l'écriture danse et délire, en à l'image d'une bosse (« Je suis BOS-
Une écriture en liberté accord avec la folie et le dérèglement SU ») ou se disposent dans l'irrégularité
d'un univers où plus rien n'est normal, où d'une danse. Cette spatialisation semble
L'écriture d'Adiaffi est marquée par le l'on s'égare sans cesse sans retrouver sa privilégier l'aspect écrit de la poésie et la
débordement; « cruelle crue torrentiel- maison, mais en rencontrant sa propre rattacher assez étroitement à des cou-
le », elle poursuit son « cours tumul- mort. A la fin seulement, tout s'apaise un rants européens.
tueux » charriant tout ce qui « grouille et peu et Mélédouman peut chanter le D'éclairs et de foudre marque sur ce
fourmille », idées, émotions, rires et retour à la lumière « Après la traversée de point une évolution (un progrès vers
larmes, boue et violence. Ce n'est pas cette • douloureuse • affreuse • nuit». l'authenticité?). Le poème n'a pas
une écriture délicate, ciselée, sélective, renoncé aux ressources de la mise en
c'est un cri plutôt qu'un chuchotement. page qui fournit des repères dans un
Elle peut se faire précise et sèche quand Des poèmes de libération long texte (plus de cent pages) très
elle aborde, au passage, les grandes touffu. Se détachent le refrain et ses
questions sociales ou philosophiques, Ce passage de la nuit à la lumière, variantes, des strophes versifiées, des
mais sans jamais trop s'attarder. L'au- cette descente aux enfers, mais avec la mots en majuscules, dont la visibilité
teur se plaît davantage dans la descrip- perspective d'une libération et d'une criante souligne les thèmes principaux.
tion foisonnante et parfois truculente résurrection (clairement symboliques) La Terre et le Ciel, l'Eau, le Feu, les Vol-