Ronsardjournal 5 JJ 28
Ronsardjournal 5 JJ 28
Ronsardjournal 5 JJ 28
Description matérielle
Couverture : en toile de lin, porte les mentions « Journaux de Monsr Ronsard », « Voyage de Mr
Baudin », « N° 7 »
Dimensions : 20 x 32 cm
Contenu : manuscrit réglé et relié en toile de lin (78 pages de texte, suivi de 149 fol. blancs)
Période couverte
27 vendémiaire an IX [19 octobre 1800] ± 4e jour complémentaire an IX [21 septembre 1801]
Remarques particulières
Texte continu, sans tables
T ranscription
Dany Bréelle
V alidation
Margaret Sankey
Transcription et images publiées ici avec la gracieuse permission des Archives nationales de F rance
Protocoles de transcription
Les numéros des pages sont indiqués entre parenthèses ; les numéros des pages non numérotées
sont indiqués entre crochets.
/¶RUWKRJUDSKHHWODSRQFWXDWion originales sont respectées.
É chantillon du manuscrit
[couverture]
Voyage de M r Baudin
N° 7
1
(1) Le 27 vendémiaire an Neuf [le 19 octobre 1800], à 9h du Matin, les vents à l'E. joli
frais, nous démarrames du port du Havre et sortimes heureusement, après avoir appareillé
devant la douane. Les quais étoient couverts d'une affluence prodigieuse de monde, sur la tour
une Musique agreable, ajoutoit aux Graces d'une Multitude de femmes, les plus jolies et les
plus élégantes du pays, que la curiosité, peut-être aussi de l'intérêt pour quelques-uns de nos
voyageurs, y avoit conduittes. La veille on avoit tenté de sortir du port, mais le Naturaliste
ayant touché parce que la sortie du Havre devient tous les jours plus difficile et qu'on ne prend
pas comme je l'ai vu faire en holande toutes les précautions possibles pour éviter ces
accidents, la marée fut perdue, nous Rentrâmes dans le bassin et le départ ne put avoir lieu
que le lendemain.
Nous ne mouillames pas sur la rade. Après avoir fait l'appel, auquel il ne manqua qu'un
aspirant (Mo. Duchatelet) et un homme de l'équipage, nous fîmes Routte au large.
Le Même jour à deux heures après-midi nous fumes visités par la frégate anglaise la
Proselyte de 26 canons de douze, notre Commandant fut à bord. Le capitaine anglais lui rendit
sa visite un instant après, admira la distribution interieure de notre bâtiment recut une des
médailles frappées pour notre (2) expédition, quelques légumes frais, et nous quitta.
Le 30 [vendémiaire an IX, le 22 octobre 1800] à une heure après midy on a vu du haut
des mats le cap Lézard au NNE. Nous n'avons eu dans la Manche aucun événement
remarquable. La mer a été houlleuse pendant deux jours, on a été obligé de rider souvent les
haubans, nous avons éprouvé 36 hres de vents contraires. Beaucoup de navires ont été en vue,
mais aucun ne nous a visité.
Le 9 Brumaire [an IX, le 31 octobre 1800] nous avons reconnu un cotre anglais, il nous
a observés pendant apeuprès 24 heures sans oser nous accoster.
Le 10 [brumaire an IX, 1er novembre 1800] a midy nous avons eu connoissance des
terres de la grande Canarie, à deux heures, de celles de Ténériffe et le 11 à 10 heures du matin
nous avons mouillé par 22 brasses, fond de sable gris vaseux devant la ville de S te Croix. Ce
côté de l'île est excessivement élevé, la pointe de Naga. Celle que nous avons longée pour
rentrer dans la rade, offre un aspect extraordre. Ce sont des rochers d'une hauteur prodigieuse
entassés les uns sur les autres sans aucune symetrie. A la pointe du jour nous étions a environ
4 ou 5 milles de cette terre, les rayons du soleil éclairant quelques parties de ces rochers,
tandis que les autres etoient dans l'ombre, formoient un spectacle ravissant pour ceux
auxquels il etoit nouveau. On espéroit beaucoup de ce que l'on voyoit et l'on attendoit avec
impatience que le jour laissat entrevoir les détails de ces masses délicieusement distribuées ;
mais bientot l'illusion fut détruitte, a mesure (3) que le soleil avançoit sa course sur notre
horizon, on découvroit toute l'aridité de ces rochers informes qui semblent n'avoir été entassés
là que par d'énormes secousses dans le globe et qui retracent sans cesse a l'imagination l'effet
horrible des volcans qui les ont vomis. A peine arrivé sur la rade, nous eumes à bord la visite
des batteliers du pays qui nous apporterent des raisins fort gros, que nous trouvames verts et
sans saveur, des figues bananes, fruits qu'au premier abord nous trouvames fade et pâteux,
enfin des oranges vertes et acides comme des citrons, mon premier mouvement fut de
demander si c'etoient là les pommes d'or tant vantées ; cependant au bout de quelques jours,
les oranges murirent et depuis nous en avons fait nos délices, nos goûts se façonnerent aux
figues bananes que nous trouvames bonnes et dont nous nous sommes dans la suitte félicité
d'avoir embarqué quelques régimes, insensiblement nous nous sommes familiarisés avec le
pays à mesure que nous l'avons connu davantage et on est forcé de convenir qu'il y auroit de
l'injustice à se laisser prevenir par l'aspect de l'isle vers la pointe de Naga et a refuser de
reconnaître dans la beauté des sites, la richesse et la fertilité du sol des Canaries, les îles
fortunées des anciens.
La ville de Ste Croix est batie sur le bord de la mer dans la seule gorge qui se trouve à
cette partie de l'isle. Elle est très petite, les rues en (4) sont belles, les maisons spatieuses et
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mal distribuées. Leurs façades exterieures sont sans symetrie et sans goût. Les croisées font
saillie sur la rue et les toits sont en terrasses.
La rade de Ste Croix est foraine, elle n'est pas sure par les vents de [blanc]. Il n'y a pas
de port, une jettée d'environ cent toises sert au moyen d'une grue, au débarquement des
danrées qui viennent par mer, les navires ne peuvent l'accoster, ainsi tout se fait à l'aide des
chaloupes du port, et d'une maniere très incommode ; parce que souvent la mer est tellement
houlleuse à ce debarcadaire que les embarcations ont peine à l'accoster. L'eau des batiments se
fait aussi à cette jettée où des conduits souterrains l'apportent de la ville, et on la reçoit dans
des bariques avec une mouche. On a, m'a-t-on dit, construit autrefois, une fregatte à Ste Croix
je n'ai pu me procurer les détails relatifs à l'armement qui a du être difficile sur une côte où la
mer est souvent mauvaise et sur laquelle il n'y a nul abbry. Nous n'y avons trouvé aucunes
forces maritimes a l'exception de quelques petits bateaux qui ont été disposés pour porter un
canon en coursive ; ils étoient échoués et halés haut sur la côte. Les batteries de terre nous ont
parues multipliées et en bon état. Le séjour sur cette rade est funeste aux matelots et il le sera
jusqu'à ce qu'on ait introduit sur nos batiments l'usage anglais de ne permetre à aucun homme
de l'équipage de metre pied à terre ; les maladies vénériennes et celles de (5) la peau, sont
naturalisées avec le pays, ces dernières mêmes sont regardées chez le peuple comme un
préservatif de plus grands maux et il refuse de s'en faire guérir : mais les hommes délicats
dans leur choix n'ont rien à craindre des charmes de la séduction dans ce beau pays. Les
femmes du peuple joignent à ce que je viens d'en dire, un teint jaune et livide, des troits fanés
même dans l'âge de la fraicheur, et des vêtements dégoûtants. Celles d'un autre ordre sont
vetues dans l'intérieur de leurs maisons presque à la française, je dis presque, parce que cette
mise est sans goût ; mais elles n'oseroient paroitre dans la rue sous cet accoutrement, il faut
dès qu'elles sortent, qu'elles s'affublent d'une juppe noire et d'une mante de même couleur,
arrivent-elles en société et quittent l'un et l'autre et paroissent vêtues en blanc, déjà mi-salles
et bien chiffonnées (comme on peut le penser) par ce second vetement qu'elles ont mis et ôté
plusieurs fois. Je ne puis rien dire de leur caractère ni des graces de leur esprit, elles m'ont
semblé indolentes comme les hommes de leur nation, au reste elles aiment la legereté de notre
caractère et nous les faisions convenir sans peine que pour maris comme pour amants aucune
autre nation ne vaut les Français : quant aux charmes de leur phisionomie, les plus jolies
passeroient en France pour laides à cause de leur teint rembruni et du manque absolu de
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dois observer que n'ayant pas parcouru toute l'isle, je n'entends parler que de Ste Croix et des
environs.
Nous avons été générallement accueillis dans (6) cette relache, non pas qu'on nous y ait
troités et fêtés, les témoignages d'intérêt ne sont pas dans ce pays les mêmes qu'en France,
cependant nous les avons reconnus chez ceux avec lesquels nous avons eu des relations ; un
nombre de 8 a 10 curieux ou hommes instruits sont venus nous visiter presque tous les jours,
ils nous ont engagés à aller chez eux, et ont reçu de leur mieux ceux qui ont pu s'y rendre, leur
table est servie avec un luxe qui ne consiste que dans la quantité des mets et dans leur
vaisselle platte; j'ai trouvé leur cuisine mauvaise par excellence.
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auges de bois, pendant un espace d'environ trois lieues, pour donner à ces conduites une pente
uniforme, on a été obligé de leur faire cotoyer les rochers et les montagnes, dans certains
endroits ils sont soutenus plus de trente pieds en l'air par des perches écartées à leur pied, et
assemblées à leur somet dans une petite traverse de la largo de l'auge qui a 10 à 12 pouces.
Tout cet etablissement semble très précaire, un malveillant pouroit d'un coup culbutter le
conduit, et priver la ville d'eau. Il ne seroit pas plus difficile à l'ennemi de les détruire de la
rade a coups de canon.
Les environs de la ville offrent un assez grand nombre de vues pittoresques telles qu'on
3
peut les concevoir dans un pays où l'on ne fait jamais dix pas sans monter ou descendre ; une
des plus frappantes, que j'ai été visiter, est un baranco dans lequel l'eau des pluies tombantes
sur les montagnes, fait une cascade d'environ cinquante pieds de hauteur entre deux rochers
taillés apic a plus de cent pieds et roule dela sur des rochers (7) et des laves enormes jusqu'a la
mer en passant dans par la ville. Ce baranco etoit à sec lorsque je le visitai, l'aridité d'un
torrent désséché au milieu du quel je marchois avec peine, le silence absolu qui régnoit autour
de moi et n'étoit interrompu que par les cris de quelques oiseaux de proye, la prodigieuse
hauteur de ces montagnes de pierre qui ne me laissoient entrevoir qu'une foible portion de la
voute celeste, les roches énormes qui s'élançant des côtés vers le centre sembloient prêts de s
détacher et de m'écraser sous leurs débris, tout enfin dans ce précipice me retraçoit l'idée du
cahos ou d'un pénible effort de la Nature, mon âme étoit dans une situation de gêne difficile à
rendre, je me disois à moi-même "en parcourant le globe pour découvrir les secrets de la
nature dans ses effets les plus horribles et qu'elle se ploit à cacher au reste des humains, notre
témérité ne pouvoit-elle pas être punie comme celle de Briarée". Ce spectacle m'avoit semblé
vraiment beau mais, en m'en éloignant, je me sentis soulagé.
Telle est apeu près la seule chose qu'on puisse remarquer a deux lieues et plus aux
environs de Ste Croix. Du reste le sol y est d'une aridité extrême et depouillé pour ainsi dire de
toute végétation si l'on en excepte la triste euphorbe que les rochers offrent partout dans leurs
crevasses désséchées ainsi que l'agave et le cactus oponcia ou vulgairement raquette dont le
fruit espèce de figue herissée d'épines, semble braver également et la main de l'homme et
l'incertitude des saisons. Mais dès qu'on a franchi ses chaines de montagne qui servent de
barriere à l'océan, on rencontre un autre climat, une autre température, (8) des plaines fertiles,
des valons cultivés et des coteaux couverts de vignes, de pêchers, d'orangers, de figuiers et
d'arbres fruitiers de toutes espèces.
Plus loin les montagnes présentent un autre aspect, leur pied est couvert de bois parmi
lequel on trouve
Le Laurus Nobilis; il peut donner pour la marine des bois droits, et une quantité de bois
de membrure, dans le pays lorsqu'il est jeune on l'emploie à faire du cercle, à maturité on en
fait des douves, des meubles, des jantes de roue &c. Ce bois a l'avantage de ne pas travailler
quelque vert qu'on l'employe. Il est excellent pour faire des avirons qui sont préférables à ceux
de frêne.
Le viguatigo (laurus indica) ou laurier de Madère. Il s'emploie au même usage que le
laurus nobilis, ses fibres sont moins serrées et on en fait particulièrement des chaises et des
montures de fusil.
Le Tib, autre espèce de laurier, il s'emploie comme le Laurus Nobilis, et a dans le pays
la destination particulière de faire les manteaux de cheminée parce qu'on prétend qu'il ne
prend pas feu facilement.
Le foliado (viburnum) ou laurier thim, grand arbrisseau s'élevant de 15 à 20 p ds sur 12 à
18 pouces de grosseur, son fruit est violet; c'est une variété de celui qu'on cultive en France;
on en fait des batons de lance des baguettes de fusil, des manches de masse, du cercle, &c.
Le Châtaignier, il est le même qu'en France, et s'emploie aux mêmes usages.
Le visnea Mocanera, il peut fournir en abondance des bois droits pour la marine,
excepté néanmoins les bordages pour lequel il seroit trop cassant.
Le palo Blanco, espèce d'olivier, qui s'emploie comme le Cormier, l'alisie, &c.
(9) Le Barbusano, Bois très dur et d'une odeur foetide. On en fait les quilles des
batiments et on l'emploie en meuble.
Le Myrica aya, autrement dit Murustica Grand arbrisseau s'élevant de 12 à 20 P ds sur 3
pieds de tour au plus, son bois est dur et liant, il sert aux échalas, treilles, échelons, manches
de baches et instruments aratoires.
L'herica arborea, grand arbrisseau de 20 à 25 pds de hauteur sur 3 à 4 pds de tour. Bois
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très dur qui sert aux essieux de poulies, entre dans la construction des moulins et fait le
meilleur charbon.
plusieurs espèces d'Hilex, bois dur et cassant qui s'élève de 25 à 30 pds sur 4 à 5 pds de
tour.
Le Globularia florida, arbrisseau s'élevant de 15 à 20 pds sur 3 à 4 pouces de tour, ce
bois est dur et pesant,il est ligneux et a les fibres très serrées. Sa seve renferme une gomme
resineuse qui s'échappe à la coupe entre l'écorce et le bois ; elle paroit assez abondante.
Le Convolvulus canariensis plante grimpante et sarmenteuse qui s'eleve de 40 a 50 p ds
et plus sur une grosseur de 3 à 4 pouces de tour, j'en ai vu ayant jusqu'à 10 po mais c'est rare.
Le Bois de Rose, arbrisseau ainsi nommé pour son odeur suave; il s'élève de 4 à 5 p ds de
r.
haut sur 6 à 9 pouces de tour. Il est très dur et rare à Ténériffe. On le dit commun dans l'isle
de Palme.
Plus haut sur les montagnes, des pins et des sapins de diverses variétés et d'une grandeur
et grosseur prodigieuses, indiquent une autre température, on en tire une grande quantité de
goudron, particulierement dans l'isle de Palme qui en est dit-on couverte, les uns donnent des
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comme le chêne, font toutes les charpentes (10) des maisons. A Palme, on en construit
quelques bateaux qui sont mâtés et grées en bricks, on les nomme Costeros parce qu'ils sont
destinés a aller à la pêche sur les côtes de Barbarie. Ils coûtent de 5 à 6 mille francs et durent
très long-tems.
La dernière plante que l'on rencontre vers le haut des montagnes est le rétamar espece
de genet qui fleurit blanc, c'est de cette plante que les abeilles tirent le miel délicieux que
produisent les isles Canaries ; tous les ans au tems de la floraison, les habitants portent leurs
ruches dans les endroits où croissent les rétamas. On trouve aussi dans l'isle une plante nomée
par les insulaires lina-buena, qui résout le problème du miel amer dont parle Plinne, elle
fleurit dans une saison où les abeilles rencontrent peu d'autres fleurs, de sorte que dans la
même année elles travaillent deux espèces de miel dont l'un est doux et l'autre a une saveur
amere très forte.
Enfin les sommets des monts présentent leurs têtes arides dépouillées de toute
végétation, et ouvrent une imense carrière à l'étude de la minéralogie.
Il ne s'exploite pas de mines dans l'isle Ténériffe, on y trouve néanmoins en abondance
un sable chargé de particules de fer, qui suppose des roches ferrugineuses ayant subi l'action
du feu, et l'aiguille aimantée indique que dans toute l'isle, le sol contient de ce métal. Quant
aux chanvres, ils se tirent d'Europe ; il en est de même des cuivres, fers, plombs et de toutes
les matières premières en usage dans la marine. Il n'existe non plus à Ténériffe aucune espèce
de manufactures, aussi l'oisiveté est-elle à son comble, (11) et par suitte inevitable, la
mendicité très nombreuse, le vol une habitude, et la démoralisation presque générale. Les
Espagnols ont transplanté dans ce pays leur insouciance européenne. Ils ne tirent aucun parti
d'un sol qui convient à toutes les productions du règne végétal, d'un sol sur lequel la plante
des pays froids croit à l'ombre des arbres des tropiques, sur lequel enfin on voit fleurir à côté
du cocotier et du bananier l'habitant des forêts du Nord. Ils semblent d'autant plus misérables
et paresseux, que la nature a plus fait pour leur prodiguer ses dons de toutes espèces. Leur
seul commerce consiste dans les vins que la cupidité mercantile des autres nations leur
arrache en quelque sorte, en effet les navires faisant leur cargaison a Madere, n'y chargent
qu'amoitié quelquefois au quart, ils viennent completer leur chargement à l'Orotava où les
vins leur coutent au plus le tiers de ceux de Madère, et vont vendre le tout, comme etant de
cette dernière qualité. La [soute?] étoit, il y quelques années une branche assez considérable
G H[SRUWDWLRQDXMRXUG KXLHOOHHVWSUHVTX¶DQpDQWLHVDQVDXWUHVFDXVHVDSSDUHQWHVTXHO DSDWKLH
des habitants, il est à craindre que le commerce des goudrons que l'on tire de Palme, ait un
MRXUOHPrPHVRUW'XUHVWHFKDFTX¶LVOHIRXUQLWDX[DXtres quelques denrées mais seulement
5
pour leur consommation. Celles de Ténériffe, outre ce que j'ai dit de ses productions donne
une espèce d'euphorbe dont on fait des bouchons.
/HSD\VQ¶RIIUH ULHQGH QRXYHDXSRXUOD]RRORJLHRQ \WURXYHXQH JUDQGHTXDQWité de
tiercelets absolument semblables aux notres ; une variété particuliere de (12) pigeons ramiers,
ils sont en petit nombre ; beaucoup de bisets qui se retirent dans les mornes et sont d'un accès
difficile; une variété de nos bergeronettes, de nos pinsons, et le serin vert, j'y ai tué un héron
différant peu de ceux de France. Les transports se font par des mulles, des ânes et des
chameaux, il n'y a pas de routtes pratiquées pour des voitures, on y voit très peu de chevaux et
TXHOTXHVE°XIV
Depuis plus de 200 ans il n'existe plus dans l'isle de Ténériffe de naturels du pays, mais
on découvre tous les jours dans les rochers des grottes où ils déposoient leurs morts, on ignore
le moyen qu'ils employoient pour les préserver de la corruption, ils s'en rencontre souvent qui
sont parfaitement conservés, on ne voit à ces momies aucune incision et les intestins sont
dessechés dans le corps elles sont seulement envelopées dans de double peaux de chevres,
cousues avec des lanières, je présume qu'ils les faisoient secher au four. Les Gouanches sont
devenus une fureur dans l'expédition, chacun a voulu en avoir, bras, tête ou jambe, et nous
avons recueilly précieusement ces cadavres dont les Espagnols fument leurs chams (ils
avoient été des hérétiques).
Depuis peu, [barré illisible] on a établi à Ténériffe un jardin botanique, il est situé sur la
F{WH12GHO LVOHSUqVGXSRUWG¶2URWDYDGDQVXQHULFKHYDOpHGHVFDQDX[\FRQGXLVHQWO HDX
en abondance, déja 200 plantes rares venant de la baye Botanique, de Madagascar, de l'isle de
France, de la Chine, du Cap de Bonne Espérance et d'Amérique, ornent ce jardin et y ont
donné des fleurs et des semences ; cet établissement (13) est une idée heureuse que l'on doit à
Mo. le Mquis de Villa Nueva. On a suivi la méthode de Linaeus et on s'en est tenu
rigoureusement à la division en 24 classes, ce jardin étant destiné principalement à acclimater
les plantes pour les transmetre ensuitte aux temperatures opposées, tout ordre semble bon
pourvu qu'on le suive exactement et sans doute un jour l'isle de Ténériffe deviendra le rendez-
vous des savants botanistes de toutes les nations qui viendront admirer la nature étonnée de
prodiguer d'égales faveurs à tout le règne végétal rassemblé par la main de l'homme sous le
plus beau climat de l'univers.
Depuis l'an 1706 qu'une éruption avoit désolé tout le pays de Garachico, on se croyoit
délivré pour toujours de ce fleau effrayant, lorsque le 21 prairial an 6, il s'ouvrit un nouveau
volcan sur le mont Majora à 3 lieues environ au S.O. du sommet du pic ; treize bouches
vomissoient la lave et jettoient la terreur parmi les habitants du voisinage, l'explosion a été
violente mais a duré peu de temps et maintenant il ne reste plus du volcan de Majora que
d'énormes amas de laves qui à plusieurs lieues de distce, attestent ses ravages.
Je ne puis rien dire du fameux pic que nous apperçûmes de vingt lieues en mer par un
[barré illisible] brumeux, la brièveté du séjour que nous avons fait sur cette rade n'a permis a
aucun de nous de l'aller voir, nous sommes restés à Ténériffe onze jours pendant lesquels le
Commandant mit en ordre (14) une collection qu'il y avoit laissé lors de son premier voyage,
et le 22 [brumaire an IX, le 13 novembre] à 3h après midy, le peu de provisions que nous
avions pu nous procurer étant à bord, nous appareillames.
En rade de Ténériffe on avoit été obligé de faire quelques changements à la cuisine.
L'usage à la mer pendant la traversée n'avoit pas répondu à ce qu'on devoit attendre, et les
épreuves faites a terre avant le départ, l'ayant été en plain air, étoient insuffisantes. Je me suis
assuré à plusieurs reprises, que quelque bien allumé que fut le feu, cinq minutes suffisoient
pour l'éteindre ; dès l'instant qu'on fermoit les portes des foyers, j'en attribue la cause à ce que
l'air de la calle n'etant pas propre à la combustion, il étoit insuffisant pour alimenter le feu :
d'un autre côté en laissant les portes ouvertes rien ne pouvoit déterminer la fumée à prendre
son cours par les pertuis qui lui avoient été pratiques, parce que la colonne d'air
6
communiquant de dehors au foyer par le tuyau, est et plus propre à la combustion, et
généralement plus pesante que l'air de la batterie, on auroit donc peut-être raison de dire
qu'elle devoit être aspirée par le feu, et chasser la fumée pDUOHVSRUWHVF¶HVWFHTXLHVWDUULYp
et, comme lorsque les sabords de la batterie sont fermés, la différence entre les pesanteurs
spécifiques des deux airs augmente, en même tems que l'air intérieur contient moins
d'oxigêne, les memes causes agissent dans un double raport, la fumée se répand dans la
batterie et y sejourne dans les environs de la cuisine de maniere qu'il est impossible d'y (15)
rester ; nos cuisiniers en ont été tellement incomodés qu'ils ont craché le sang pendant deux
jours de mauvais tems que nous avions éprouvés dans la Manche. L'inconvénient de la fumée
dans les cuisines du citoyen Garreau en entrainoit un autre, celui de ne pouvoir faire usage des
cuisinières destinées à s'adapter devant les portes, et par conséquent on manquoit des moyens
de faire rôtir ou griller les viandes, ce qui doit etre regardé comme utille à la mer. Un
troisième vice plus essentiel encore et qui tenoit à l'exécution, etoit le danger du feu, les
cuisines, posées à plat sur le pont, y etoient jointes de maniere a ce que l'air ne put circuller
librement dessous on sent que cela etoit au moins inquiétant, bien que les grilles des foyers
fussent séparées du pont par deux feuilles de taulle à trois pouces de dist ce l'une de l'autre.
Enfin un quatrième déffaut, tenoit à l'installation du tuyau d'aspiration dans la calle, il donnoit
passage aux eaux du pont qui filtroient sous la cuisine, dans peu de jours la rouille a rongé la
taulle, des caisses et des voiles qui se trouvoient dans cette partie de l'entrepont, ont été
endomagées, il a fallu suprimer les tuyaux et reboucher le pont. Les cuisines du cit. Garreau
sont une modification de celles à la Kersaint, modification dans laquelle tout est au
desavantage de la nouveauté, pour n'etre pas obligé de les laisser à terre, il a fallu 1o. suprimer
l'alembic et établir à sa place un foyer en bricques. Cet alembic qui au premier abord semble
les différencier de celles a la Kersaint (16) n'est rien par le fait ; dans tous les navires destinés
à faire une campagne longue on a un alembic pour distiller l'eau de mer, le cit Garreau a
imaginé de suprimer deux des chaudières pour l'installer à leur place, cela étoit possible dans
des corvettes armées à moitié quant au nombre d'hommes d'équipage, mais très certainement
sans changer les dimensions des cuisines d'un vaisseau armé en guerre, il ne trouvera pas le
moyen de rendre quatre foyers suffisants pour l'état-major et l'équipage. Il importe peu
d'ailleurs que l'alembic fasse ou non partie de la cuisine puisqu'il faut toujours allumer un
foyer particulier pour en faire usage. On a de plus agrandi les pertuis pratiqués pour l'issue de
la fumée, on les a fait communiquer plus directement avec la cheminée, on a dememe elevé la
cuisine de maniere à pouvoir jetter de l'eau dessous, en tout cela on s'est raproché du système
de Mo. de Kersaint, mais tous ces changements n'ont pas suffi pour nous empecher de
regretter qu'il n'ait pas été suivi en entier. M o. de Missierry prétend, dans son ouvrage sur
l'installation, que les cuisines a la Kersaint, avec les changements qui y ont été faits et
reconnus bons, (c'est toujours ainsi que j'en entends parler) ne fument dans aucunes
circonstances, je ne crois pas cette assertion rigoureusement exacte, si cependant cela est,
alors elles sont les meilleures cuisines possibles, et il faut bien se garder de rien changer aux
parties essentielles de leur construction, si elles laissent encore a desirer, c'est en soumettant
leurs déffauts aux principes de chimie et aux expériences faites sur la qualité et la pesanteur
de l'air dans les differentes parties du batiment, que l'on peut espérer de parvenir au mieux,
mais si ces recherches sont abandonées à des homes étrangers à la marine, qui ne peuvent
connoitre ni l'usage de ce qu'il (17) s'agit de faire, ni les circonstances et les inconvénients que
l'on y rencontre ordinairement, au lieu d'avancer à la perfection, on fera un pas rétrograde,
comme il est arrivé au citoyen Garreau qui s'est trompé quant aux principes de chimie, en ce
qu'il avoit pensé l'oxigêne contenu dans les foyers, et celui aspiré de la calle, suffisants pour
entretenir la combustion, ce que l'expérience a reconnu faux. Et quant à l'exécution en ce que
sa cuisine n'offre pas les facilités necessaires, en ce qu'elle est dangereuse pour le feu, et en ce
qu'elle fournit aux eaux du pont un égout pour se rendre dans le batiment. Je pense donc que
7
l'idée des cuisines en fer à bord des bâtiments, appartient toute entière à Mr. de Kersaint, que
OHVPRGLILFDWLRQVTX¶\DSSRUWHQWOHFLW*DUUHDXQHVRQWSDV admissibles, et que ce ne sera pas
en employant ses procédés qu'on parviendra à y faire des changements avantageux.
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La traversée de Ténériffe à l'isle de France a été fort longue pour des batiments de
guerre puisqu'elle a duré 4 mois et [blanc] jours. Elle n'a offert aucun evenement remarcable.
On a vu quelques navires, mais sans les approcher, quelques oiseaux de mer tels que les
petrels, les albatros, les fregattes les fous, &c. J'ai tué trois albatros qui ont été depouillés et
conservés ; la pêche n'a pas été heureuse, il n'a été pris que trois ou quatre requins et un
marsouin, on a vu beaucoup de poissons volants, quelques dorades, quelques bonites, deux
diables de mer et deux bandes de cachalots : il s'est fait une pêche qui a beaucoup mieux
réussi, c'est celle des (18) objets d'histoire naturelle, on a pris environ 150 espèces de
molusques, coquillages, insectes de mer ou petits poissons que le commandant a décrites et
fait dessiner en couleur. Beaucoup sont, ou du moins paroissent nouvelles, il attache un
grand prix a cette collection. Nous avons eu occasion de remarquer peu de phénomènes,
néanmoins dans la nuit du 26 au 27 brumaire [an IX, du 17 au 18 novembre] du la
phosphorescence des eaux de la mer étoit prodigieuse et produisoit un effet tel que les voiles
étoient éclairées comme par un reflet de lumière, et dans la nuit du 14 au 15 nivôse nous
avons vu un arc-en-ciel lunaire. Je laisse à ceux chargés des observations météorologiques le
soin de décrire et de discerter sur ces effets peu communs de la nature. Il s'est fait à bord des
observations suivies sur l'état de l'atmosphère et on a deux fois puisé l'eau de la mer à 100
brasses, le thermomètre adapté à l'appareil a donné 20o tandis que dans l'eau à la surface il
étoit à 24,20 degrés pour la première fois, et la seconde a donné une différence bien plus
grande encore dans le même sens.
Il n'est arrivé au bâtiment aucun accident qui ait pu donner lieu à des remarques
essentieles, sur la rade de Ténériffe nous avons rayé nos deux câbles ; L'appareillage n'y fut
pas aussi prompt que possible, acause de l'encombrement de la batterie DFKDFTX¶LQVWDQWOH
cable mal tenu, ripoit sur la tourne-vire qui elle même devoit être souvent borrée pour
choquer. Il est malheureux qu'on n'adopte pas généralement dans la marine l'usage des
cabestans mécaniques (19) dont on doit l'invention, en France à M. Forfait et en Holande à
Monsieur Cothruns.
En partant du Havre on avoit mis en usage le plus petit des deux filtres de Smith
embarqués à bord, il rendit pendant un mois l'eau parfaitement claire et sans goût, au bout de
ce temps il la rendit mauvaise et chargée. Cela provenoit de ce que les etamines placées entre
les différentes couches s'étant pourries, donoient passage au sable, et de ce que ce sable et les
charbons imprégnés des corps etrangers qu'y avoit déposés l'eau, avoient besoin d'être lavés
ou changés. J'ai entendu dire que le citoyen Smith met dans les filtres qu'il vend des espèces
de chausses d'une composition particuliere qui resiste très long-tems à l'eau ; il n'a mis dans
les notres que de l'etamine qui a pourry très promptement. On a démonté le petit filtre, changé
les étamines dont à peine il restoit vestige, lavé un peu le sable et le charbon, mais très mal
cependant, parce TX RQQ¶DYRLWSDVO HDXjGLVFUpWLRQ,ODVHUYLTXHOTXHVMRXUVPDLVDELHQW{W
rendu l'eau mauvaise. On a mis en usage le grand filtre qui a servi le meme tems, et a eu le
même inconvenient. Néanmoins l'invention de ce moyen de purifier l'eau me semble d'autant
plus précieuse qu'il est plus simple, il suffira de substituer à l'étamine une étoffe de
composition qui ait plus de durée, d'en donner à bord des rechanges, ainsi que de faire
HPEDUTXHUGHODEUDLVHHWGXVDEOHGRQWWRXWHODSUHSDUDWLRQHVWG¶DYRLU été bien lavé ; du reste
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le fut du filtre est une espèce de charnier à plusieurs fonds, qu'on poura faire également bien
partout même à bord. Il seroit même possible de lui donner une forme plus (20) convenable à
la mer.
Le 21 frimaire an 9 à huit heures du soir on a coupé la ligne au vingt cinquième sixième
degré de longitude O. On a eu beaucoup de calme et de pluie entre les tropiques. L'humidité
étoit prodigieuse à bord, et chacun commencoit a en être incommodé. L'air intérieur du
batiment étoit alors fort malsain, c'est un objet bien essentiel que de ne rien négliger pour
menager la circulation de l'air exterieur dans les batiments ; un matelot entrant un jour dans la
soute aux provisions de l'état-major, y est tombé sans connoissance et la Ste Barbe n'étoit pas
habitable lors qu'on étoit forcé d'en tenir les sabords fermés. Le cit. Péron a fait des
observations suivies sur la nature et la salubrité de l'air dans les diverses parties du batiment.
Ce sera d'après leur resultat, que l'on pourra apporter aux distributions interieures et à
l'arrimage, des changements qui remedient autant que possible a ce grave inconvenient. Je me
propose de déveloper ailleurs un moyen d'établir dans toutes les parties d'un batiment, lors de
sa construction, des courants d'air suffisants pour le renouveler sans cesse. La corruption des
eaux de la calle est encore une des causes de l'insalubrité de l'air, le moyen d'y remedier est de
la renouveler souvent, mais en introduisant l'eau par des manches qui l'apporte de la pompe
d'étrave, on met dans le bâtiment une humidité continuelle. C'est pour cette raison que je
préfère les robinets de calle, j'ai regretté que le Géographe n'en eut pas. D'un autre côté les
matelots sur le gaillard d'avant avoient (21) constament les pieds dans l'eau parce que le dalot
pratiqué pour l'écoulement des eaux de la pompe d'étrave étoit percé dans le coltis ou fronteau
d'avt du gaillard d'avant par où elles prenoient leur cours pour se rendre aux passavants. C'est
un inconvénient qu'il faut éviter. Pendant cette traversée le bâtiment n'a pas fatigué. Il s'est
bien comporté à la mer et a eu tous les mouvements doux, il n'y a rien eu à refaire à sa coque,
si ce n'est de re-calfater et passer des clous aux bordage supérieur à la sus-ceinte, il est trop
large, etoit peu tenu, et les grandes chaleurs l'avoient fait travailler. La mature n'a pas du tout
IDWLJXpVHXOHPHQWDXERXWG¶XQPRLVLODIDOXFKDQJHUOHSHWLWPDWG KXQHLOV pWRLWIHQGX
sur sa clef, les deux plans de la caisse avoient été percés l'un à côté de l'autre, et tous les deux
au-dessus du trou de la clef, sans doute pour faciliter le passage de la guinderesse, mais il est
arrivé que le peu de bois compris entre la clef et les clans a manqué. Le mat en s'affaissant à
chucqué les rouets et s'est fendu, celui de rechange avoit le même deffaut. Il a falu l'assugetir
avec des taquets. J'ai fait refaire une caisse au mât avarié, en le raccourcissant de 3 pds et en le
changeant de face pour que la fente ne se trouvat plus dans le sens de la clef. Je lui ai fait
metre les deux clans dans le même plan sur l'arrière du mât, l'un au bas l'autre au haut de la
caisse, le trou de la clef se trouve entre les deux mais a l'avant ; par ce moyen l'on reunit a la
solidité l'avantage de passer facilement la guinderesse, (22) qui se passe en simple dans le
clan supérieur lorsqu'il s'agit de calles, et lorsqu'il s'agit de guindes, il ne peut y avoir de
difficulté a passer dans les deux clans, puisque la laisse se trouve en bas. Je profiterai de cette
occasion pour dire que lorsqu'à la mer un batiment qui fatigue sa mature eprouve un tems a
caller ses mats d'hune, pour le faire il est obligé de larguer les haubans afin de soulager et
retirer la clef en virant sur la guinderesse. C'est presque toujours dans l'instant où la mature
n'est plus tenue qu'une secousse violente la jette a bas. On éviteroit cet accident, si la clef étoit
installée de manière à pouvoir se retirer sans molir les haubans. Pour le faire, il suffiroit de
percer le trou de la clef plus haut de 4 pouces, placer à cette hauteur sur les élongis deux
taquets sur lequels elle porteroit, etablir par-dessous la caisse une fausse clef soutenue par des
liures en dehors des elongis. Lorsqu'on voudroit caller les mats d'hune, après avoir passé la
guinderesse, le charpt feroit partir les taquets en les fendant, le mât se trouveroit porté sur la
fausse clef, pendant qu'on retireroit la clef ainsi dégagée, après quoi on largueroit la fausse
clef en coupant une de ses liures et l'on ameneroit le mât sans avoir moli VHVKDXEDQV/¶RQ
gagneroit du temps par cette maneuvre, en ce qu'on ne seroit pas obligé de virer au cabestan
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pour soulager le mat, et l'on ne se seroit pas exposé à voir tomber sa mature dans un
mouvement forcé du vaisseau. Les rouets des mâts d'hune ont été mis en [illisible] ; c'est une
mesquinerie d'autant plus grande, que nous n'en n'avons pas de rechange, et que le [illisible]
qui se trouve maintenant dans les ports de France est le plus souvent mauvais. Il eut été à
désirer qu'ils fussent (23) en bronze ainsi que ceux des poulies de capon, des guinderesses, et
même des drisses HQJpQpUDOFHWWHSDUWLHGHO¶LQVWDOODWLRQDpWpWURSQpJOLJpHSUHVTXHSDUWRXW
les frotements sont considerables et multipliés, et dans plusieurs cas il suffiroit pour les
diminuer, de changer la position de quelques poulies, dogues d'amures galoches ou
marionnettes. Je compte m'occuper ailleurs de ces détails et chercher les moyens de simplifier
cette mecanique. La clef du mât de perroquet de fougue, qui a cassé plusieurs fois dans la
traversée jusqu'à ce qu'on l'ait remplacée par une des clefs d'hune de rechange, m'a convaincu
de la nécessité de metre cette clef en fer comme les autres. Seulement il faudra lui donner
assez de largeur pour qu'elle ne fasse pas fendre le mat, et diminuer sa force dans le sens de sa
hautr. Le bâton du gd IRF D PDQTXp PDLV GDQV XQ Q°XG HW D pWp UHPSODFp GH VXLWWH /H
chuquet du grand mat de perroquet a joué dans le tenon, pour y remédier on a percé le
chapeau, on a coincé par-dessus et ensuite on en a raporté un autre. Cet accident m'a fait
penser qu'il valoit mieux 1o que le chapeau ne fut pas pris dans le chuquet même, mais un
placage rapporté par-dessus, afin de pouvoir coincer la tête du mat en cas de besoin, 2o que le
tenon au lieu d'être quarré, seroit mieux rectangulaire ayant des dimensions plus fortes de
l'arriere à l'avant et conservant les memes de tribord à babord, il auroit plus de tenue.
La voilure a eu souvent besoin de reparations mais aucune voille n'a été condamnée. Les
consommations feront connoitre ce qui a été fait en ce genre, je n'ai sur cet objet aucunes
données.
Le grément bien fabriqué et avec du fil très fin, n'a pas fatigué. (24)
Dans l'armement du Géographe on a forcé le poids des menues ancres en diminuant
celui de leurs greslins, on a diminué d'un pouce la grosseur du maitre câble, et on a pris ni
l'ancre de miséricorde ni son cable. J'ignore le motif qui a determiné ces changements.
Le 27 pluviôse [an IX, le 16 février 1801] une quantité d'effets déstines à l'équipage se
trouvèrent pourris, et il fallut en distribuer les morceaux ; cet événement me fournit l'occasion
de parler de ces hardes de l'équipage. Elles sont toujours mal faites, mal cousues, et de
mauvaises étoffes qu'on a économisées de manière à ce que les hommes sont habillés à
moitié. Il est excessivement rare qu'un matelot le soit à sa taille. Ce mode d'administrer les
batiments armés est tout entier à l'avantage des fournisseurs et au détriment des équipages qui
sont toujours mal vétus, parce que 8 jours suffisent pour metre en loques les hardes qu'on leur
distribue ; ne seroit-il donc pas possible que la marine eut ses manufactures et ses etoffes
portant un caractère distinctif qui mit les matelots dans l'impossibilité de les vendre et de faire
KDELOOHU FKDFTX¶KRPme à sa taille. Ce système a la vérité n'enrichiroit pas les fournisseurs,
mais la marine en deviendroit plus brillante, les hommes plus proprement tenus s'en
porteroient mieux, les officers mettroient de l'amour propre à la tenue de l'équipage comme à
celle du batiment, et peut-être le gout pour la marine militaire augmenteroit-il dans les ports.
Ce que je dis des hardes, je voudrais l'appliquer aux souliers pour éviter d'en donner aux
équipages en carton, comme nous en avons eu beaucoup qui se trouvoient sans semeles au
bout de trois jours.
(25) Un autre mouvement, auquel n'est pas moins essentiel de remedier, c'est que dans
les ports, différentes choses se font par des homes qui n'en connoissance pas l'usage, et sont à
refaire à bord. Par exemple, le Magasin Général du Havre nous a donné deux séries de
pavillons qui étoient hors de toutes proportions ; ils avoient [deux mots illisibles] des deux
séries pour en faire une. On y a joint 250 aunes d'etamine, mais en revanche la soute est
remplie de petits morceaux. Ces gaspillages n'auroient pas lieu si tout étoit fait
convenablement dans le principe.
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La marche la plus avantageuse du Géographe est de grand largue et la mer belle. Il lui
faut un peu de vent alors il donne au Naturaliste, les perroquets, la gr de vle d'étay et les
bonnettes. Son avantage diminue lorsqu'il y a de la houle, mais il revient avec le vent.
Le 26 frimaire [an IX, 17 décembre 1800] on a commencé l'usage de l'oscillomètre, cet
instrument inventé par le Commt de l'expédition, et une demi circonférence graduée dont le
plan est perpendiculaire à l'horison. Le diamètre est en dessus et l'arc en dessous, au centre est
établi sur un axe un balancier, qui en se tenant toujours dans la verticale au plan de l'horison,
indique l'angle que fait la mature avec ce même plan, dans les oscillations du navire. Deux
indicateurs que le balancier chasse devant lui et qui demeurent fixés sur les degrés auxquels il
s'est arrêté, dispense d'avoir constamment les yeux sur l'instrument, pour connoitre les
inclinaisons du navire. Si l'on place le plan de l'instrument dans le sens de la largeur du
batiment, il fait connoitre les roulis, sous le vent et au vent. Si au contraire on le place dans le
sens de la longur du Navire (26) il indiquera le tangage de l'avant et de l'arriere. Dans tous les
cas, il faut avoir soin que le balancier sur le point zero, se trouve perpendiculaire à l'horison.
Si cela n'étoit pas à cause de la tonture du pont, il faudroit tenir compte de la difference et
ramener les angles observés à ceux qu'ils eussent du etre. L'usage de cet instrument, est de
faire conoitre l'epaisseur des tranches immergées et émergées dans les mouvements du
vaisseau, ainsi que la durée des oscillations, il indiquera les inclinaisons habituelles et le
raport suivant lequel elles varieront dans les differentes circonstances dépendantes de la hautr
et de l'amplitude des lames, ainsi que de la force du vent et de la distance du centre de gravité
au metacentre, &c. On pourra calculer pour le terme moyen de chacune de ces inclinaisons les
resistances du fluide et leur direction, par conséquent il offre sur plusieurs raports un moyen
d'avancer à la perfection dans la théorie, si incertaine encore, des fluides.
Le [blanc] au matin nous eûmes connoissance des terres du Cap de Bonne Espérance.
Après l'avoir doublé nous éprouvames constament des vents contraires jusqu'à notre atterrage
à l'île de France le [blanc]. Nous essuiames un coup de vent qui dura 48 heures et nous prouva
que les deux batiments de l'expédition ne laissent rien à desirer sous le raport des qualités. Le
Naturaliste surtout qui, marchant moins que nous, a eu constament occasion de faire de la
voile, nous a souvent étonné par sa stabilité. Néanmoins au Port du Havre les préventions
contre ce bâtiment étoient telles que nombre de marins eussent renoncé à l'expédition plutôt
que de s'y embarquer parce que, prétendoit-on il ne portoit pas la voille, (27) On avoit de
même prédit au Géographe qu'il faudroit couper sa mature. Nous n'en avons rien fait et
jusques icy les plus grosses mers ne l'ont pas fatiguée. Tant il est vrai on ne sauroit trop etre
en garde contre ces jugements prématurés qui nuisent egalement à l'etat et au progrès de l'art
de la Marine.
Enfin le [blanc] germinal, après 4 mois et [blanc] jours de traversée depuis Ténériffe
nous mouillames dans la baye du Tombeau à l'isle de France. Nous fussions entrés dans le
port, si nous eussions eu un pilotte, mais la crainte que causoient nos batiments rendoient les
administrateurs circonspects, et ce ne fut que le lendemain au jour, qu'on se décida à nous
envoyer le pilôte que nous demandions en tirant de tems à autre un coup de canon.
Heureusement pour nous, la nuit avoit été des plus belles, car nous avions jetté l'ancre sur un
fond de roches et très près des brisants. Notre mouillage avoit été forcé par le calme, après
avoir louvoyé devant le port pendant un demi jour attendant qu'un pilote on voulut bien nous
y faire entrer.
La commission de santé, et l'administration de la colonie vinrent nous visiter. Ce ne fut
que d'après le rapport de la premiere que nous eumes la permission de communiquer avec la
terre. La 2de eut une longue conference avec le Commandt et se fit remettre toutes les letres
dont l'équipage étoit porteur pour la colonie. L'une et l'autre de ces précautions, est egalement
nécessaire. On ne sauroit apporter trop de soin (28) pour empecher l'introduction de la petite
verolle qui fait dans ce pays des ravages cruels, et qui lui enleva, il y a quelques années, un
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nombre prodigieux d'habitants. D'un autre côté, des correspondances apportant dans la colonie
des idées trop philantropiques en feroient un theatre de carnage et d'incendie, et sous ce
rapport les habitants avoient peut-etre autrement à craindre l'arrivée des batiments de la
metropole, que celle de l'ennemi. Nous les avons parfaitement tranquilisés en leur faisant part
des vues sages et bienfaisantes du Pr Consul et en les assurant que le Gouvernement prend un
egal intérêt aux Français de la métropole et a ceux des colonies. Aussi avons-nous été
accueillis comme des hommes qui apportent de bonnes nouvelles. L'Aurore néanmoins y
avoit passé peu de mois avant nous, mais j'ignore pourquoi, on ne se louoit point dans le pays
du séjour qu'y avoit fait ce batiment. Quant à nous, il nous est devenu inutille d'avoir des
letres de recommandation. Chacun a trouvé dans la colonie des compatriotes et des amis ;
cette relache nous a bien dédommagés des fatigues de la traversée.
Nous n'y avons pas trouvé M. de Cosigny qu'on avoit forcé de repartir sur le batiment
qui l'avoit apporté. Il avoit communiqué à l'assemblée colonialle ses instructions, qui lui
enjoignoient dit-on de donner un salaire aux noirs employés au moulin à poudre. Cette mesure
a (29) semblé devoir infailliblement occasioner un soulèvement général des noirs, ruiner par
conséquent tous les habitants et probablement leur couter la vie, aussi ont-ils renvoyé M. de
Cosigny, non pas dans l'intention de contrarier les vues du Gouvernement, mais pour fuir un
péril certain. Ils reprochoient au Ministre d'avoir signé ces instructions, mais ils les
attribuoient à Mr Lescalier. Au reste cette colonie s'est conservée a la France, dans un etat
sinon brillant, au moins heureux, et cela par ses propres moyens. Chaque citoyen y est soldat
et constament prêt à prendre les armes pour la deffense de son pays. Son intérêt particulier est
tellement lié à l'intérêt général, qu'il ne perd jamais de vue ce dernier. Des signaux bien
combinés et connus de tout le monde, indiquent par toute l'isle ce qui se passe dans un point,
et le lieu où il est necessaire de se réunir de sorte que si l'ennemi attaquoit l'isle, il trouveroit
toujours à l'endroit menacé, une petite armée prête à sopposer à ses tentatives. C'est ainsi que
notre arrivée fut connue, et avant que nous eussions mis pied à terre, la curiosité ou l'intérêt
public, avoient réuni au port les habitants descendus des campagnes. D'après ce que je viens
de dire, on concoit que leurs signaux de côte étoient trop bien établis, et trop en activité pour
qu'ils pussent adopter ceux que nous leur avons remis, et comme en outre, ils (30) sont à la
connoissance de tout le monde, et que la moindre meprise peut etre un sujet général
d'inquietude ou d'allarme, il devient difficile d'y porter atteinte. On pourroit joindre à ses
considerations que cet établissement venoit d'être modifié et etoit à peine en activité, qu'on
avoit fait a grands frais de nombreuses series de pavillons qui au deffaut d'étamine étoient en
toille blanche et bleue, et que par consequent le moment n'etoit pas favorable pour proposer
un nouveau sistème, mais je pense que lorsqu'on commencera à sentir qu'on a multiplié les
consommations et qu'on s'est chargés d'un entretien dispendieux et continel en substituant la
toille à l'étamine, je pense dis-je qu'alors on tirera parti des modèles que nous avons portés en
adoptant les ballons qui joignent à l'economie le grand avantage de convenir également aux
signaux de jour et de nuit.
Nous n'avons pas eu également à nous louer de l'administration de la marine quant aux
besoins des deux batiments. Nous n'avons rien, absolument rien, pu obtenir du port, et dans
une colonie francaise il nous a fallu avoir recours aux étrangers. C'est le consul danois qui a
fourni à l'expedition tout ce qu'il lui a été possible, sans cela, j'ignore si nous eussions pu
continuer la campagne. Ainsi à l'isle de France la marine n'est pas en état de ravitailler une
corvette, à quoi donc y sert une administration aussi nombreuse que celle (31) du port de
Brest ? et que font par jour deux mille ouvriers appartenant à l'Etat ? On ne dira pas qu'ils sont
employés à l'entretien du port, les machines à curer y sont au fond d'un bassin dans un état de
dépérissement absolu, et le port est rempli de carcasses de batiments coulés.
Je suis forcé de remettre à mon retour à parler des ressources que ce pays peut offrir à la
Marine. Le temps ne m'a pas permis de m'occuper des recherches sur les importations, les
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qualités et quantité des matières premières, ainsi que sur le degré de perfection des differents
arts utiles à la marine. Plusieurs de nos officiers se sont trouvés malades et à l'hopital
SUHVTX¶DXVVLWRWQRWUHDUULYpHGHVRUWHTXHQRXVVRPPHVUHVWpVGHX[SRXUOHVHUYLFHGXERUG ;
je dirai seulement que sous les rapports maritimes le Gouvernement ne sauroit trop tôt fixer
son attention sur cette colonie précieuse.
Le cinq floréal [an IX, le 25 avril 1801] à six heures du matin nous appareillames,
laissant à terre 4 offers de l'expédition, plusieurs aspirants et à peu près la moitié des
naturalistes ; le Commandant regla le service du batiment et voulut bien me confier un quart.
Nous etions partis de France à 4 quarts et nous repartimes de la colonie à cinq, parce que le
capne de frégate en commanda un, l'aspirant Bonnefoy un autre, et que le Commandant fit
passer à bord un officier du Naturaliste.
Nous tournames l'île de France par le nord, et fimes (32) route au sud et S.S.E. tant que
les vents purent nous le permettre, jusqu'au 29ème degré de latitude meridionalle. Alors nous
rencontrames les vents variables, qui nous porterent en trente deux jours à la cote de la
Nouvelle Hollande entre le 20ème et 39ème degrés de latitude sud. La traversée fut des plus
belles, les vents presque constament favorables, et quelquefois forcés. Nous n'éprouvasmes ni
accidents ni evenements remarquables. Nous vimes plusieurs oiseaux de mer,
particulierement des albatrosse qui ne nous quitterent qu'a notre atterrage, et des damiers.
Nous ne rencontrames ni poissons ni mollusques. Nous eumes connoissance des terres de la
Nouvelle Hollande le 7 prairial à 7h.1/2 du matin. (A midy on étoit par 34° 12' 36" de lat.
mérid. & par 111° 44' 58" de longt. orientale). Nous rangeames cette terre en la prolongeant
du sud au nord à la distance d'environ six milles. Le tems etoit generalement beau, et nous
pouvions facilement l'explorer. Partout nous vîmes la mer briser avec force contre les rescifs
qui bordent la plage, et la côte élevée de 60 à 120 toises, ne nous offrit nulle part la possibilité
de débarquer. La sonde nous raportoit toujours des fonds de roches, de madrepores ou de
coraux. On ne put donc satisfaire l'impatience de nos Messieurs qui tous bruloient du desir de
visiter cette terre que l'on voyoit couverte de forêts immenses. Depuis deux jours on se perdoit
en conjectures ; on disputoit avec chaleur prétendant que cette terres n'etoit ni habitée ni
habitable, parce que nullepart elle n'apporte de l'Eau a (33) la mer. Lorsque le 9 [an IX, le 29
avril 1801] dans un instant ou a peine on cessoit la discussion, on eut la preuve qu'il ne faut
pas donner trop libre cours aux elans d'une imagination ardente. En effet un grand feu allumé
sur la cote au coucher du soleil fut un indice certain qu'il y avoit des homes et une des vigies
assura avoir vu plusieurs animaux assez gros, sortants et rentrants à divers reprises dans un
bois aux bords de la mer.
Le lendemain 10 [an IX, le 30 avril 1801] nous découvrimes une baye immense. On fit
route dedans. Partout la sonde nous raportoit un excellent fond de sable mêlé de vase. A 5
heures du soir nous y mouillames par 33°28'46" de lat. observée et [blanc] de longt est à
environ une lieue et demie de terre. Un canot commandé par Mr. Freycinet & ayant à bord Mrs
Depuche et Riedley fut reconnoitre la côte. Dans une anse la plus voisine du mouillage ou ils
mirent à terre, ils rencontrerent sur le sable quantité de pas et de fiente d'un grand quadrupède
herbivore et a pied fourchu qu'ils jugerent devoir etre gros comme une chevre mais aucune
apparence d'habitants non plus que d'eau douce ; ils virent des hérons noirs, des corbeaux et
quelques petits oiseaux gris. M. Depuche raporta plusieurs espèces de granites ainsi que de la
mine de fer qu'il dit avoir rencontré en quantité à la surface du sol. Monsieur Riedley raporta
(34) des échantillons d'arbustes dont la cote est couverte. Les bois en général y ont une
végétation lente et pénible. Les arbres qui sont en petit nombre au bord de la mer, n'y ont pas
plus de 30 pieds de tronc, l'un de ces arbres qui fut rencontré frequemment produit en
abondance une espece de rezine dont nos messieurs apporterent des échantillons. Elle est
odorante et transparente, adherente et très friable, sa couleur est un rouge brun. Elle s'attache
fortement aux objets sur lesquels on l'applique chaude même sur les métaux, mais elle m'a
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paru un peu seche.
Par ce que nous venons de dire sur les arbres qu'on a rencontrés sur cette cote, il ne
faudroit pas juger de ceux de l'intérieur des terres. En général les vents qui souflent de la mer
sont généralement chargés de vapeurs qui brulent les premieres côtes qu'ils rencontrent, et je
pense qu'on doit au contraire concevoir une idée avantageuse du continent, d'après la
vegetation que l'on trouve partout a cent toises du bord de la mer, et quelques fois plus près,
aussi les terres y sont-elles noiratres et propres à la culture. Bien entendu qu'il ne s'agit que du
point ou se fit le premier debarquement sur une cote assez élevée dans le sud de la baye, car
dans tout le reste de ce golfe immense, on ne voyoit qu'un terrain d'alluvions et une plage de
sable blanc ou noir mêlé (35) de mica, sur laquelle des dunes servoient de barrière à la mer.
Elles étoient couvertes d'arbres et d'arbustes qui dans plusieurs endroits nous semblerent
croitre jusques aux bords de l'eau.
Un autre embarquation commandée par Mr. Piquet fut envoyée avec l'astronome & le
géographe pour déterminer la position de la pte d'entrée au sud de la baye, mais la côte s'étoit
trouvée bordée de rescifs et inabordable, les courants violents l'empecherent de revenir a bord
le même jour et ces messieurs incomodés d'une forte houle passerent la nuit a l'ancre sans
avoir rien pu faire, ils rentrerent à bord le lendemain très peu satisfaits de leur voyage. C'est
en memoire de cette mauvaise nuit, que le Commandant a donné à ce cap le nom de cap des
Mécontents. L'anse où se fit le débarquement a de même été nommée Anse des Granites.
Dans une incursion que le Commandant fit à terre le 15 prairial [an IX, le 4 juin 1801],
il vit des Naturels mais sans pouvoir communiquer avec eux. Il ne s'offrit à lui aucune
apparence d'eau douce. Néamoins sur le rapport d'un officier du Naturaliste qui, etant abordé
sur un autre point de la côte avoit entrevu de loin dans les terres, une espèce de rivière, il se
détermina à envoyer la reconnoitre le lendemain seize. Le Commandant m'ayant permis de
faire partie de cette petite expédition, je m'embarquai à trois heures du (36) matin dans la
chaloupe commandée par le capne de frégatte Lebas, avec plusieurs des naturalistes de notre
bord. Le capne Hamelin dans son canot, accompagné de deux de ses offiers qui la veille avoient
pris connoissance des localités, dirigeoit notre route vers le point où l'on devoit aborder à la
pte du jour. Nous débarquames heureusement et par un très beau tems, M r. Lebas ordonna au
patron de mouiller. Le rendez-vous général fut donné à cet endroit pour trois heures après-
midi et on se sépara. Je m'enfoncai dans les broussailles avec M.M. Riedley, Lesueur et
Barbe, ou nous marchames de conserve, a quelque distance les uns des autres & sans nous
perdre de vue, cherchant avec avidité a recoeuillir quelques connoissances sur cette portion de
la Nouvelle Hollande jusqu'alors inconnue aux nations civilisées. La végétation ne pouvoit
pas être abondante dans des sables qui faisoient partie du domaine de la mer a des epoques
HQFRUHSHXUHFXOpHVDXVVLQ¶DYRQVQRXVYXSRXUDLQVLGLUHTXHGHVDUEXVWHVVLO RQHQH[FHSWH
un arbre dont le bois dur et cassant annonce assez, et par la secheresse de sa seve et par ses
replis tortueux le mauvais fond sur lequel il s'est élevé. Le seul parti qu'on en pouroit tirer
pour la marine seroit de l'employer comme bois de membrure ; sous ce raport il (36) offre
souvent des configurations précieuses. Nous rencontrames aussi quelques pieds de l'arbre à
reizine trouvé en quantité à l'anse des Granites. Nous vimes dans le bois plusieurs oiseaux qui
avoient des plumages peu riches et nous semblerent inconnus dans nos climats si l'on en
excepte des cailles qui partoient par bande de dix à douze et des perruches. Les cailles
different seulement des nôtres en ce qu'elles sont d'un gris plus foncé. Les perruches sont
vertes, avec le ventre rouge. Nous tuames aussi une espèce de petit aigle et des corbeaux.
Nous ne vimes point de quadrupède, mais un grand nombre de terriers semblables à
ceux des lapins quoique beaucoup plus petits indiquent a mon avis un animal de la grosseur
d'un rat, dont l'espèce nous est inconnue. Plusieurs de nos Messieurs attribuent ces fouilles à
des crabes de terre, mais en sondant un de ces trous avec la baguette de mon fusil, j'en fis
sortir un animal qui se déroba par une autre issue et sans l'avoir vu, je suis persuadé qu'au
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bruit qu'il fit que c'est un quadrupède, on poura s'en assurer si l'on en rencontre ailleurs et
peut-être même les prendre dans des poches en fumant leurs terriers. En parcourant le même
bois nous rencontrames trois huttes de Sauvages. Elles etoient a quinze ou vingt pas l'une de
l'autre, construittes semblablement, et l'entrée de chacune tournée vers le Nord ; leur plan
intérieur est (38) une portion d'ellipse dont la profondeur est d'environ 4 1/2 ds et l'ouverture
de 30 à 33 pouces. De petits rameaux plantés debout, et allant se joindre à 4 pds de hauteur
sont toute la charpente de ces habitations. Elle est recouverte ou par des herbes seches, ou par
O pFRUFHILQHHWIOH[LEOHG¶XQDUEUHGpVLJQpGDQVODFROOHFWLRQGH0RQVLHXU5LHGOH\VRXVOHQ
[blanc]. Elle ressemble par sa souplesse à de l'amadou. A 5 ou 6 pieds devant l'entree de
chaque loge, on trouve les traces d'un foyer où l'on a fait griller des coquillages. J'ai ramassé
dans les cendres de l'un d'eux un poisson cofre bien desséché. Après avoir traversé le bois de
broussailles qui borde la mer, nous n'etions plus séparés de la grande rivière prétendue, que
par un marais assez vaste, couvert presque partout de criste-marine dont la tige dessechée et
durcie avoit de 15 à 18 pouces de hauteur et parfois de joncs et de roseaux. Quantités de napes
d'eau, rependues ca & la rendoient l'approche de la rivière difficile, et les eaux de la mer, qui à
chacque marée baignent la majeur partie de ce terrain et y déposent un limon gras, rendoient
la marche penible. Je parveins neamoins sur le bord, et je le parcourus pendant l'espace de
plus d'une lieue ayant très souvent l'eau à mi jambe ; je vis dans cette course beaucoup
d'oiseaux de (39) marais, particulièrement des canards, des plongeons, des sarcelles quantité
de cignes noirs ayant le bec et les pattes roses, des pélicans et des hérons. Souvent j'eus à
traverser de petites saignees dont plusieurs me parurent faites de mains d'home. Elles avoient
un point plus étroit qui formoit un courant d'eau limpide. Je jugeai aux sentiers qui y
aboutissoient et à la vase battue qui portoit l'empreinte de pieds nus, que les Naturels y vont
pêcher, mais ce qui me surprit davantage fut une espèce de digue séparant deux napes d'eau
assez profondes. Elle avoit 8 à 10 pds de longr sur environ 12 pouces de large à sa crête, elle
etoit faite sans art, cependant elle me donna passage et il m'eut fallu faire un très grand circuit,
ou me metre dans l'eau jusqu'à la ceinture pour arriver à l'autre bord. Je goutay a plusieurs
reprises les eaux de la rivière, partout elles etoient saumatres mais d'une salure moindre que
celle de la mer, et si ce n'est qu'un marais, il est assez étendu pour que je n'aye pu voir où il se
termine dans les terres. En côtoyant ainsi cette pretendue rivière qui avoit environ 150 toises
de large, j'ai vu sur le bord opposé une immense forêt d'arbres majestueux qui irritoient en
moi le desir de m'enfoncer plus avant dans les terres, mais il eut fallu me separer de mes
compagnons, ce qui étoit imprudent. Il commencoit d'ailleurs à être tems de se raprocher du
rendez-vous, (40) nous abandonames donc nos recherches, et vers deux heures et demie nous
arrivames au rivage. Aucun de nos Messieurs n'etoit encore rendu. M. Perron arriva seul une
demi heure après, je vis avec un grand etonnement que notre chaloupe etoit a la voile et très
loin sous le vent. Mr. Lebas ayant trouvé l'embouchure de la rivière, avoit envoyé au patron
l'ordre de venir mouiller à l'entrée de cette riviere, mais il avoit fait descendre a terre tout
l'équipage. Il ne restoit à bord que deux homes, qui appareillerent et comme les provisions, et
surtout l'eau de vie etoient à discretion pour eux puisque le coffre n'étoit pas fermé, ils en
burent outre mesure, manquerent l'entrée de la rivière et se laisserent affaler sous le vent.
Cependant nous etions exténués de fatigues et de besoin. Heureusement nous trouvames Mr.
St. Cricq avec son canot et plusieurs naturalistes de son bord. Il partagea avec nous le peu qui
lui restoit, et se disposa à s'embarquer. Ce fut dans l'instant que le canot alloit pousser au large
que nous aperçumes au loin deux Sauvages venant de notre côté, ayant pour toute arme
chacun un baton qui leur servoit à marcher. En nous voyant, ils s'arrêterent. Mr. St Cricq fut
audevant d'eux en suivant le rivage, et je passai par deriere les dunes pour leur couper
retraitte. Néamoins l'un des deux nous echapa, nous le perdimes de vue dans les broussailles
et lorsque nous fumes arrivés à l'autre, nous trouvames (41) une femme que la peur avoit
saisie, prosternée le visage contre le sable dans une posture qui avoit quelque chose de
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suppliant, mais qui en même temps etoit tout à fait singuliere. Je ne puis mieux la comparer
qu'a celle d'une grenouille sur le bord d'un étang. Ses bras, ses jambes et ses cuisses etoient
pliées sous elle, mais un peu de chaque côté, de maniere à ne pas empecher sa tête et tout son
corps de poser immediatement sur le sable. J'ignore si cette attitude etoit seulement l'effet de
la frayeur, ce que je sais c'est qu'il nous seroit impossible de la prendre. Nous nous assurames
en lui mettant le doigt dans la bouche, qu'elle avoit ses dents incisives, mais il nous fut
impossible de la considérer attentivement, l'état dans lequel elle nous paraissoit nous fit peine,
des larmes avoient coulé de ses yeux, et nous nous empressames de le faire cesser en nous
éloignant après toutes fois lui avoir fait nos présents. Je mis devant elle un petit miroir et un
couteau, un autre lui donna une bouteille, &c., &c.
Je n'etois pas à plus de 20 pas, que je vis notre femme sauvage lever la tête et nous
regarder, alors je conçus l'espoir qu'elle se familiariseroit avec nous, et je retournai sur mes
pas. Ce fut en vain, elle laissa aussi-tot retomber sa tête sur le sable et faignit d'être inanimée.
Deux des homes de l'équipage qui (42) comme moi, etoient revenus sur leurs pas la
souleverent, je m'aperçeus alors qu'elle etoit enceinte. C'est là ce qui l'avoit probablement
empechér de fuir. Mais comme elle ne voulut pas se soutenir debout, on la reposa sur le sable.
Cette femme avoit la figure petite et ronde, tous ses troits étoient prononcés, je leur trouvai
beaucoup d'analogie avec ceux des femmes du Bengale. Elle avoit la peau très noire, les
cheveux fins sans etre crêpus, mais courts et ondoyants legerement, absolument comme s'ils
eussent été taillés a la Titus par le coeffeur le plus renommé. Elle étoit d'une petite stature
mais bien faite, tous ses membres quoique décharnés étoient proportionnés. Elle avoit les
pieds petits et la peau des mains dure de maniere à former pour ainsi dire des ecailles. Je
jugeai à son sein qu'elle avoit fait plusieurs enfants bien qu'elle ne parut pas avoir plus de 20 à
22 ans. Tout son vetement consistoit en une peau qui me sembla etre celle d'une espece de
loup marin. Elle etoit sur ses epaules, suspendue à son cou au moyen de deux ou trois
lanieres, & la fourrure en dessous. En dehors de cette espece de manteau, un morceau de la
meme peau, cousue avec des lanieres et ayant le poil en dedans, formoit une espece de poche.
L'interieur en etoit garni dans le fond d'un morceau de l'écorce fine et déliée dont j'ai parlé
plus haut. Elle tenoit fortement au fond (43) de la poche, ce qui me fait croire qu'elle étoit
prise dans la couture. Nous trouvames dans ce sac quelques petits oignons semblables aux
racines des orkis, ils etoient gros comme un gland. Enfin cette femme ne voulant pas donner
signe de vie, nous la quittames. A peine etions-nous a trente pas que nous la vimes se dérober
sur les pieds et les mains dans les broussailles laissant la et nos présents et son bâton.
Plusieurs de nos messieurs lors de leur incursion eurent occasion de voir des Naturels.
Lorsqu'ils les aperçurent pour la premre fois ils etoient sans armes et ne témoignerent pas
d'inquiétude, mais des qu'ils virent qu'on marchoit a eux, ils jetterent des cris qui semblerent
etre de ralliement et disparurent. Ils etoient suivis d'un chien que nos messieurs crurent etre de
l'espece des chiens de berger, mais ils ne le virent que de loin. Peut être qu'il ne seroit pas
impossible que ces chiens fussent semblables à ceux qu'on a rencontré sur la cete de Nouvelle
Zélande au port des isles qu'on compare a des renards domestiques. Néamoins, on ne peut pas
s'etre trompé sur le cry et nos messieurs assurent que ceuxcy abboyent absolument comme les
nôtres. Bientot après on vit ces Naturels revenir au nombre de sept dans l'âge de 20 à 30 ans,
armés chacun de deux sagayes et d'un patou patou. Pour n'être pas obligé (44) d'engager une
action nos messieurs se replierent ; on leur jeta des présents qu'ils ramasserent. Ce qui parut
les flatter davantage fut un mouchoir et une tabatiere rouge ayant sur son dessin une sylouette
de nègre. Ils repetoient avec facilité et distinctement tous les mots qu'on leur disoit, tels
qu'amis, oui, &c., mais lorsqu'on leur dit pourra, on a cru voir que ce mot avoit dans leur
langue une signification. Ils le répétèrent tous et s'éloignerent ; les presents et les signes
d'amitié ne purent nous concilier leur confiance. Peut-etre aussi en manqua-t-on de notre côté,
et il n'y eut pas de communication etablie entre eux et nous. On n'est pas bien d'accord sur
16
cette reception de la SDUW GHV 1DWXUHOV GH OD 1RXYHOOH +ROODQGH OHV XQV SUHWHQGHQW TX¶HOOH
etoit tout à fait hostile, d'autres qu'elle etoit seulement l'atitude d'homes assez confiants
d'ailleurs mais qui se tiennent sur la deffensive. Les premiers s'appuie [sic] sur ce qu'ils
jettoient des cris perçants et brandissoient leurs lances ou sagayes, mais n'a-t-on pas remarqué
cette pratique chez quantité de peuples sauvages, chaque fois qu'ils se rencontrent. Ceux-cy
leurs [illisible] suprirent un sentiment intime d'une force qu'ils nont à notre égard, ni pour leur
constitution phisique qui est foible, ni pour (45) l'art qu'ils ne connoissent pas. On a jugé
d'après l'entrevue avec les naturels, qu'ils obéissent à des chefs. Je pense qu'il ne faudroit pas
donner trop d'extension a cette idée, néamoins je les crois réunis par hordes ou par familles.
Celui qui a paru le chef de celle que nos mrs ont eu occasion de voir, n'avoit d'autre distinction
qu'une petite ceinture en peau, de la quelle tomboit par-devant un morceau triangulaire qui lui
cachoit les parties de la génération. Je pense que c'etoit un ornement plutot que le résultat d'un
sentiment de pudeur, puisque les autres etoient nus ainsi que la femme que j'ai vue ; plusieurs
d'entre eux avoient sur leurs epaules un manteau semblable à celui de la femme dont j'ai parlé
plus haut. Seulement on ignore s'il avoit de même un sac en dehors, je ne crois pas, cette
femme, étant pres d'accoucher avoit du s'occuper des moyens de porter son enfant lorsqu'il
seroit au monde, et je présume que l'espèce de capuchon tenant à son manteau etoit destiné à
cet usage. Ces naturels sont noirs, de taille moyenne, on ne les a pas vus tatoués. Le chef
seulement parut avoir des cheveux rougis avec de l'ocre. Quant à la femme que j'ai vue, elle
n'avoit aucun de ces ornements qui defigurent la plupart des sauvages des mers du sud. Ils ont
OHVFKHYHX[FRXUWVPDLVOLVVHVO °XLO SHWLWHWYLIHWOHVPHPEUHVGpFKDUQpV,OVRQWSRXU
demeures des huttes de branchages qui n'ont pas a beaucoup près la perfection de quantité de
nids d'oiseaux, et l'on a peine a y reconnoitre la demeure d'etres pensants. Néamoins les
Hottentots qui ont déja passé le premier degré de la civilisation, habittent des huttes de meme
forme et qui ne different de celles cy qu'en ce que leur couverture est de nattes, et en ce que
l'entrée en est fermée par une peau ; les trois huttes que j'ai rencontrées dans une espace
d'environ trois lieues de terrain ne me donnent pas une grande idée de leur population. Mais il
faut dire que la côte d'où nous débarquames est peut etre le terrain le plus ingrat de tout le
continent, et néamoins je rencontrai dans le marais plusieurs sentiers assez battus. D'un autre
côté la femme dont j'ai parlé plus haut, quoique toute jeune, avoit déja fait plusieurs enfants. Il
est probable que ces peuples sont de bonne heure dans l'age de puberté. Peut-etre d'après la
peau dure des mains de cette femme pouroit-on augurer qu'elles sont condamnées aux travaux
penibles qui se réduisent je pense à fouir dans la terre avec les mains pour y trouver quelques
des racines qui jointes à quelques coquillages qu'elles ramassent sans doute aux bords de la
mer, et au poisson (47) que les homes pêchent dans les saignées du marais, peut etre avec des
especes de paniers de clayes, suffisent à la chetive existence de ces misérables peuples.
J'ignore s'ils sont chasseurs, mais tous les oiseaux que j'ai vus, et surtout ceux de marais m'ont
paru sauvages. L'idée de propriété si elle ne leur est pas etrangere doit au moins être très
bornée, car ils ne possedent rien, ils ne connoissent pas la navigation, du moins on n'a pas vu
une seule pirogue sur toute cette côte, et je n'ai pas entrevu chez eux aucunes traces des arts
dont la decouverte multiplié nos jouissances en augmentant nos besoins. A dire vrai je ne
crois pas ces Sauvages susceptibles de sentir plus vivement les unes que les autres, car coment
concevoir qu'une femme accessible aux sensations morales n'ait pas eu la curiosité de regarder
les presents que nous lui avions faits, et que surtout qu'elle n'ait pas été flattée d'un miroir
dans lequel certainement elle s'est vue ? Et s'il est vrai comme le pensent ces messieurs que le
sauvage qui l'accompagnoit fut un homme, quelle idée de se faire de la confiance, du courage
et de la sensibilité d'un homme qui abandone ainsi sa femme au pouvoir d'etres qu'il ne
connoit pas et qu'il craint, pour s'enfuir, sans rien faire pour la soustraire au péril qui la
menace ? J'avoue que jusqu'icy rien ne me porte à supposer des (48) vertus a des homes
sortants des mains de la Nature. Je ne les crois non plus ni belliqueux ni anthropophages. Ils
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n'ont pas fait la moindre démarche pour nous attaquer en masse, ou nous surprendre en
particulier, bien que quelques uns de nos messieurs se fussent avancés isolément et peut-etre
même assez inconsidérément dans l'intérieur de leur pays ; un jour deux de nos messieurs en
herborisant passèrent assés près d'eux, ils changerent un peu leur routte pour ne pas marcher a
eux et les sauvages qui les virent ne daignerent pas y faire attention, ils ne temoignerent pas
même de surprise.
Au reste, je suis loin de vouloir fixer l'opinion sur ces habitants de la nouvelle partie du
monde. Une entrevue d'un quart heure et peut-etre une entrevue hostile, ne sauroit donner
matiere a des conjectures aux quelles on puisse s'arrêter raisonnablement. Je ne dois pas
préjuger ce que la suitte nous apprendra, on se feroit une idée bien fausse de la France si on ne
l'a connoissoit que par l'existence et les meurs de nos pêcheurs qui habittent les bords de la
mer. Combien ils sont loin du luxe asiatique de la capitale, peut etre y a-t-il la même distance
entre les habitants des bords de la Nouvelle Holande et ceux de l'interieur des terres. M r
Perron nous a (49) assuré avoir vu dans une espece de berceau circulaire, entouré d'un banc de
gazon qui pouvoit contenir vingt persones, des dessins ressemblant à des caracteres
hyeroglyphiques tracés dans le sable au moyen de joncs qui avoit été planté en formant divers
contours, et aux quels ensuite on avoit mis le feu de sorte que ces caracteres se trouvoient
imprimés en noir sur un sable blanc ; je respecte les insertions de Mr Perron mais de cette
espece de temple ou enceinte d'assemblée publique et de ces hyeroglyphes on pouroit tirer des
consequences si eloignées de ce que j'ai vu, que je ne puis me deffendre du doute. J'ai resolu
d'etre constamment en garde contre mon imagination qui pouroit me faire prendre les effets
fortuits du hazard pour le merveilleux qu'on est naturelement porté à desirer dans ces sortes de
voyage, et j'use de la même precaution à l'égard des autres. Quoiqu'il en soit, la nature est
WHOOHPHQWpWXGLpHSDUOHVKRPHVLQVWUXLWVTXHQRXVDYRQVDYHFQRXVO °XLOREVHUYDWHXUV \IL[H
avec tant de précision sur chacun de ses secrets que je ne pense pas que rien puisse echaper à
leurs recherches.
Mais il est tems de finir cette digression déjà trop longue, et de reprendre la suitte de
notre expédition. Sur le soir nous vimes (50) revenir à nous M.M. Hamelin, Lebas, & tous
ceux qui les accompagnoient. Les embarcations etoient encore bien loin sous le vent, et tout le
monde etoit harassé par la fatigue, par la faim & par le froid. On alluma un grand feu. Pour
cela l'industrie dut supléer aux moyens usités : on fit en humectant de la poudre une espece de
fusée, elle mit le feu à du papier qu'on parveint à enflamer en le souflant, des broussailles
seches firent le reste. Nous étions rangés autour de ce feu, nous disposant à dévorer quelques
corbeaux et pies de mer que nous avions tués et attendant que notre chaloupe nous apporta du
biscuit et de l'eau, lorsque le canot de Mr. Hamelin arriva. Il avoit laissé notre chaloupe de
l'arrière. Plus d'une demiheure ensuitte, pressés d'impatience on retourna au rivage pour
questionner l'équipage du canot sur la distance a la quelle devoit être notre embarcation. Ce
fut alors qu'on apprit qu'elle avoit touché et que c'etoit probablement ce qui le retardoit : à
cette nouvelle nous courumes vers le point où on presumoit qu'elle devoit etre. Après plus
d'une heure de marche, nous y arrivames et trouvames l'equipage à se secher autour d'un
grand feu, la chaloupe echouée et coulée en travers à la côte, la lame déferlant dessus et
O D\DQWGpMDSUHVTX¶HQWLqUHPHQWUHPSOLHGH VDEOH/HFDSne de frégatte en revenant de son
incursion, avoit rencontré trois des matelots de l'équipage. Il leur avoit donné l'ordre de
marcher au devant de la chaloupe et de la faire accoster pour les prendre. Le patron mouilla
bien son grapin, mais le courant et la lame ne lui permirent pas d'accoster debout à la côte. Il y
veint en travers et la chaloupe étoit coulée avant que les homes qu'il vouloit prendre fussent
embarqués. Cela ne seroit pas arrivé si le patron eut pris des précautions sur lesquelles on ne
devoit pas s'en raporter à lui, vu la force de la lame qui battoit en côte, et par conséquent si
tout le monde fut allé au devant de la chaloupe. Le mal étoit fait, il falut songer à le réparer.
Le premier soin fut de démâter. L'arrière de la chaloupe étoit un peu plus à terre que sur
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l'avant. L'espoir que la lame l'éviteroit davantage encore si elle pouvoit avoir assez de prise et
rendroit par conséquent son hallage à terre plus facile, détermina à ne pas couper le cablot. Il
n'étoit plus alors possible de rien sauver, notre biscuit, nos poudres et nos capotes étoient à
terre, mais le tout étoit mouillé d'eau de mer. Nous ne pouvions rien par nos propres moyens,
il falloit un effort de plus de trente milliers pour haller la chaloupe à terre, et nous étions 19
hommes sans une poulie, sans un bout de corde. Mr. Hamelin partit sur le champ (53) nous
promettant des secours a la pointe du jour et nous laissant ses armes et ses munitions de
guerre. Nous passames la nuit auprès du feu, transis de froid néamoins parce que nous n'étions
ni abrités ni vêtus, et nous attendîmes que le jour parût. Il venoit trop lentement au gré de
notre impatience, mais enfin il vint et sans apparence qu'on songea à nous aider. Je craignis
alors que les secours n'arrivassent trop tard, mais la journée se passa ainsi sans que
l'embarcation s'engrava sensiblement. On fut faire de l'eau dans un trou pratiqué par les
Naturels à environ à une lieue de l'endroit où nous étions. Il pouvoit en contenir un baril de
galère. Ces peuplades vont, à ce qu'il nous a semblé, boire à ses espèces de fontaine au moyen
d'une tige de cellery. L'eau en étoit saumatre mais nous la buvions et nous estimions heureux
de l'avoir. Nos provisions consistant en une dizaine de livres de mauvais biscuits lavés à l'eau
de mer, un peu de riz et un morceau de lard diminuoient considérablement. Il fallut régler les
consommations. Il n'y avoit pas de cuisinier. Tous, état-major et équipage, étoient rangés
autour d'une petite marmite où l'on avoit fait cuire avec le riz de la christe-marine pour
augmenter la quantité. Chacun y puisoit à son tour, les uns avec la pointe d'un sabre, d'autres
avec un fragment d'assiette cassée, ceux-ci avec un morceau de bois aplati en forme de
cuillère, ceux-là enfin avec une coquille ramassée aux bords de la mer.
(53) Vers le milieu du jour un coup de canon que j'entendis tirer à bord me donna de
l'inquietude sur le compte du capitaine Hamelin. Ce sentiment étoit confirmé par des avirons,
un mouchoir, un bas, des deffenses en tresse, &c. &c. trouvés sur le rivage et reconnut pour
être du Naturalte. Néamoins je dissimulai mes craintes, elles eussent été partagées trop
vivement par tout le monde, et il étoit essentiel de ne pas affoiblir l'espérance et le courage de
nos camarades d'infortune. Nous songeames à nous mettre à l'abbry des injures du tems. Nous
dressames une tente avec les voiles de la chaloupe. Elle fut jonchée de branchages d'arbustes
et nous y passames la nuit, ayant toujours trois d'entre nous a faire la garde. Le 18 avant
l'aurore nous etions debout pour observer les mouvements du batiment, mais rien n'indiquoit
que le terme de notre épreuve dut être prochain. Plusieurs de nos messieurs partirent pour se
rendre à quelques lieues de l'endroit ou nous etions, y allumer un grand feu, le plus possible
en face du batiment, et y faire flotter un pavillon. On s'occupa au camp a découvrir le terrain
afin de nous garantir des surprises de la part des Sauvages, mais je dois dire que rien ne se
faisoit plus sans discussion. La désunion commençoit à se mettre parmi les naufragés, les uns
parloient de traverser la Nouvelle Hollande pour se rendre au Port Jakson, d'autres vouloient
faire un traité (54) d'alliance avec les Naturels &c. &c. &c.. Nous étions campés sur une
langue d'un terrain sablonneux qui n'avoit pas plus de cent pas de largeur, derrière se trouvoit
une espece d'etang formé par les eaux de la mer, ayant plus d'une lieue de long sur environ
cent toises de large. Il etoit rempli de poissons. Un seul coup de seine eut suffi pour nourrir
l'équipage entier du Géographe pendant plusieurs jours, mais nous manquions de toutes
especes de moyens pour en prendre. Pendant tout ce tems, le Commandant etoit dans
l'inquietude la plus vive. Mr. Hamelin n'arriva que le 17 à la nuit, après avoir passé vingt-six
heures dans son canot et y avoit couru des dangers. A 3 heures du matin le 18 un canot avoit
été expédié du Géographe, mais le mauvais tems l'avoit aussi tôt forcé de rentrer a bord. Nous
n'avions pu en avoir connoissance. A 10h le Commandant se détermina à appareiller le
batiment et il veint mouiller dans notre N.N.O. à environ 2 lieues 1/2 de la côte. Cette
maneuvre nous tranquilisa quant à nous. Enfin à midi un coup de canon partant du Géographe
nous annonça un canot que nous vimes au même instant déborder. Il nous apportoit un grapin,
19
un cricq, un grelin, deux caliornes du biscuit et de l'arrack. Mr. Bonnefoy qui commandoit ce
canot veint mouiller assez près de la chaloupe. Il y avoit de la lame et le vent battoient en
côte. M. Lebas hella le canot, et lui donna l'ordre d'aller gagner l'entrée de la rivière de
côtoyer la terre qu'il trouveroit à babord, ce qui le conduiroit à un lieu (55) de debarquement
facile ; Mr. Bonnefoy s'y rendit à l'entrée de la riviere. Je m'étois approché de M r. Lebas pour
lui demander s'il etoit bien sûr qu'il y eut passage pour le canot, je ne le croyois pas, il se
détermina à y aller lui-même par terre. Sur l'assurance qu'avoit reçu Mr. Bonnefoy il s'engagea
dans cette pretendue passe, mais néamoins avec precaution. Il y trouva trois barres enormes,
qui dans toute la largeur déferloient les unes sur les autres avec violence, avant d'etre arrivé à
la premiere, il eut fond avec ses avirons, il mit le cap au large. S'il eut été plus avant, le canot
eut infailliblement péri. Il revint mouillé à une demi lieue sous le vent de la chaloupe. Tout
notre monde se mit à la mer pour aller prendre les objets qu'il apportoit. Il falut les transporter
a bras, ce qui fut long et très pénible; il etoit nuit avant que le travail fut fini. Néamoins on
disposa les appareaux, et on remit au lendemain à frapper la ceinture, esperant que la mer
seroit plus tranquile. Nous passames le reste de la nuit a prendre du repos dont nous avions
grand besoin. Chez nous le moral etoit calme, nous savions Mr. Hamelin rendu à son bord,
mais nous n'avions plus la même force phisique. Au jour on vit revenir a nous les canots des
deux batiments. Ils mouillerent près de la chaloupe et on débarqua les appareaux qu'ils
apportoient en suplement. Ce travail etoit (56) a peine achevé lorsque M. Lebas nous
communiqua un ordre positif qu'il venoit de recevoir du Commandant, d'abandonner la
chaloupe et de se rendre a bord. On se hata de recharger les deux canots. Il avoit d'abord été
décidé qu'ils feroient deux voyages, mais Mr. Lebas changea d'avis, et vers une heure on
s'éloigna de la côte, en y laissant et la chaloupe et plusieurs des objets qui nous etoient venus
pour la sauver. Le vent augmentoit alors et la mer grossissoit ; nous avions de la peine a lutter
contre la lame et le vent, et le canot embarquoit de l'eau par l'avant et par l'arriere. Mais enfin
à cinq heures nous arrivames a bord, la plus part sans souliers, & quelquesuns sans culottes. Il
avoit falu se déshabiller, se metre dans l'eau jusqu'au cou pour rejoindre le canot, et malgré
ces précautions les hardes avoient été mouillées. La finit la narration de notre naufrage.
Quelques heures plus tard nous ne pouvions plus regagner le batiment, il nous eut falu
retourner à la côte où peut-etre en faire un segours en plaine mer.
Nous avions passé neuf jours dans cette baye louvoyant le jour pour la visiter, les
embarcations qui chacque jour sondoient à plusieurs lieues au tour du navire trouverent
partout bon fond et bon mouillage. On passoit les nuits a l'ancre. On eut constament les vents
variables de l'E.N.E. au S.S.E. Très souvent et particulierement la nuit on voyoit sur la côte un
grand (57) nombre de feux tellement grands qu'on ne pouvoit les regarder comme destinés au
besoin des Naturels. Il est presque certain qu'ils avoient quelque rapport avec notre apparition,
car en quelque point que nous ayons approché de la côte de la Nouvelle Hollande partout nous
y avons vu des feux semblables, mais que signifioient-ils, c'est ce sur quoi il est difficile de
prononcer. On eut pensé peut-etre qu'en nous donnant une preuve que cette terre est habitée
par des homes, ces peuples nous engageoient a les visiter, cela du moins seroit ainsi chez des
nations civilisées, mais les nouveaux Holandais (qui en dépit de leur nom, peuvent être un
peuple fort ancien,) nous ont prouvé par le peu d'empressement qu'ils ont mis à nous
accueillirf qu'ils n'avoient pas du tout eu l'intention de nous attirer chez eux. Peut-etre vera-t-
on dans cette coutume générale d'allumer des feux une déclaration de guerre, surtout si l'on se
rapelle l'évenement arrivé à Mr. Marion qui fut attaqué à la baye de Frederick-Henry dès qu'il
eut mis le feu à un bucher avec un tison ardent que lui presenterent les Sauvages ; Il
s'imaginoit allumer un feu de joie tandis qu'ils avoient a la main le brandon de la discorde. Si
peu satisfaits du silence auquel nous sommes forcés sur les meurs les usages et le culte de ces
peuples, on veut des conjectures qui puissent donner lieu à des systèmes, on dira que ces feux
allumés régulierement tous les (58) soirs après le coucher du soleil et au milieu de chaque
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jour, sont un homage rendu à la divinité, que si nous les avons quelques fois vus d'une
grandeur prodigieuse, c'est que ces malheureux habitants se croyoient, en nous voyant,
menacés d'un grand fleau, et qu'ils prierent avec ferveur l'être Suprême de les en délivrer.
Mais l'opinion a la quelle je m'arrête quant apresent, est que ces peuples aux quels je suppose
l'usage d'allumer chaque soir des feux auprès de leurs cabannes pour en eloigner les animaux,
usent de la même ressource pour nous chasser de leurs côtes. Nos vaisseaux sont pour eux des
monstres aussi effrayants qu'inconnus, et si en Europe on voyoit un jour descendre d'une
planette une masse enorme ne ressemblant a rien de connu, et paroissant avoir vie, qui sait si
l'on ne s'aviseroit pas d'allumer partout de grands feux, pour la prier de retourner chez elle ?
Qui pourait objecter contre cette opinion, que les peuplades qui ont connoissance des
Européens et de leurs vaisseaux, et qui par consequent ne sont plus effrayés par la nouveauté
de ce spectacle, ont néamoins l'habitude d'allumer de grands feux sur la côte, à l'approche des
navires. A cela je réponderai 1o que ces peuples n'ont d'autre moyen de se frayer des chemins
au milieu de leurs forêts impénétrables, qu'en (59) mettant le feu dans les broussailles qui
vegetent à l'ombre des arbres, que la plus part des incendies dont nous croyons etre cause
n'ont eu d'autre but, et que cela doit arriver plus fréquemment sur les bords de la mer chez les
peuples dont la principale nourriture consiste en coquillages ; 2o que dans le cas où l'arrivée
de batiments europeens eut reellement fait metre le feu sur les côtes, il paroit assez naturel que
des peuples dont la seulle arme offensive est une sagaye commence par découvrir leur terrain
pour eviter les surprises et se deffendre en cas d'attaque.
On a mis la drague à la traine toutes les fois que le tems a pu le permetre. Elle n'a pas
laissé que de raporter quantité de nouveautés en l'histoire naturelle. On a pris un peu de
poisson à la ligne, c'etoit généralement une espece de perche. On a vu beaucoup de chiens de
mer, un nombre considerable de baleines, et quelques tortues. Les albatrosses qui nous
avoient quittés aux environs du cap Leeuwin avoient été remplacés par une autre espece
d'oiseaux qui leur ressembloient assés pour le plumage et pour la forme, mais qui etoient
moins gros, avoient le bec noir et le vol bien moins majestueux. Nous en vimes beaucoup
dans cette baye.
La majeure partie de cette côte est un terrain d'alluvions composé de sable blanc et noir
mêlé (60) de mica. Néamoins l'entrée de la baye du côté du sud qui est la partie la plus elevee
offre un terrain d'orrigine primitive puisqu'on en a raporté plusieurs espèces de granites. Elle
fournit aussi du fer, qu'on a trouvé à la surface du sol du minerai assez abondant : mais nous
n'avons entrevu d'eau douce sur aucun des points de cette baye, ainsi il devient superflu de
discuter sur les moyens et les motifs d'y former aucun etablissement maritime ; je pense
cependant que nous n'avons pas une certitude rigoureuse qu'il n'y ait sur cette côte, ni rivieres,
ni ruisseaux ; nous avons à la vérité distingué toute la côte sans y voir de coupures, mais par
la raison que nous n'avions pas vue celle qui forme l'entrée de la rivière salée que nous avons
été reconnoitre bien qu'elle fut beaucoup plus près de nous que le fond de la baye, peut-etre
seroit-il possible, qu'il s'y en trouvat d'autres qui eussent échapé a nos recherches. Du reste
cette baye est immense elle offre partout un bon mouillage mais sans abrit, on peut aisement y
IDLUHGXERLVHWGHVIRUrWVG¶XQHimmense etendue prodigieuse qui s'etendent dans le fond de
la baye jusqu'aux bords de la mer, fourniroient à la marine des bois précieux si l'on parvenoit
a trouver de l'eau dans le pays, les exploitations en seroient faciles, mais les navires ne
pouvant accoster (61) la terre de très près, les chargements devroient se faire au moyen de
chalans et comme il seroit dangereux de rester longtems mouillé sur une côte sans abrit, il
deviendroit indispensable de creer un port, je ne pense pas que cette entreprise fût sage sur un
terrain où la mer raporte tous les jours. Il ne m'a pas été possible de visiter les forêts. Ceux de
nos messieurs qui ont pénétré jusques la y ont reconnu plusieurs especes de conifères, qui tous
donnent plus au moins de rezine, un arbre que les Naturels depouillent de son ecorce flexible
et dont le bois est dur, un autre que j'ai rencontré partout aux bords de la mer et qui fourniroit
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des bois courbes, enfin l'espece de vacoua produisant de la rezine en abondance : la partie la
mieux boisée est le fond de la baye, et personne n'y a mis pied a terre. Le climat est tempéré et
conviendroit, je pense, à toutes les productions du règne végétal en Europe. Parmi les plantes
que nos botanistes ont récoltés [sic] sur cette terre, on distingue la criste-marine, le cellery,
une espece de laitron, et une immortelle blanche d'une grande beauté. On sema en divers
endroits du mahis.
Le Commandant donna à cette baye le nom de baye du Géographe, celui d'anse des
Granites a l'enfoncement dans le quel aborda le premier canot qui fut expedié à terre, celui
d'anse des Maladroits à l'endroit où se perdit la chaloupe, et enfin il nomma Cap des
Mécontents la pte sud d'entrée de la baye en memoire de la mauvaise nuit qu'y avoient passé
l'astronome et le géographe sans pouvoir y metre pied à terre ni en déterminer la position.
Le 19 [an IX, le 8 juin 1801] au soir, un coup de vent s'annonçoit et l'abaissement
successif et lent du barometre sembloit indiquer qu'il devoit etre de longue durée. A peine
rentrés à bord, nous appareillames et fimes route pour sortir de la baye. Nous n'avions pas
encore doublé la pte d'entrée au sud de la baye lorsque la tempête se déclara. Le vent et les
courants nous porterent a la côte avec force. Déjà le fonds diminuoit dans les deux bords, et
nous allions nous perdre sur le Cap des Mecontents lorsque le Commandant se détermina à
faire plus de voiles que le tems ne le permettoit. Cette maneuvre nous releva de la côte et on
eut lieu d'être parfaitement content de la stabilité du navire. Ce coup de vent dura dix jours
pendant les quels nous louvoyames dans ces parages (63) faisant tous nos efforts pour lutter
contre les courants qui nous drossoient avec violence dans le S.E. Il y avoit des esclaircies
SHQGDQW OHV TXHOOHV RQ PDQ°XYURLW SRXU DFFRVWHU OD WHUUH PDLV O LQVWDQW G¶DSUqV OH WHPV
redevenoit mauvais et on etoit forcé de metre le cap au large. Dans la nuit du 20 au 21 [an IX,
du 9 au 10 juin 1801] nous perdimes le Naturaliste et le 30 prairial [an IX, le 19 juin] le
Commandant abandonna le projet de rentrer dans cette baye malheureuse pour nous, par la
perte de notre chaloupe et d'une partie des appareaux envoyés pour la relever par celle d'un
homme du Naturaliste qui s'etoit noyé et enfin par l'inquietude que nous donna ce batiment lui
même que nous n'avions pas vu depuis le vingt. On fit route vers le nord, pour se rendre à la
riviere des Cignes. On fut trois jours sans avoir connoissance de la terre, le temps n'etoit pas
propre a explorer les côtes, et nous ne devions plus attendre de beaux tems dans ces parages,
la saison etoit trop avancée. Il falut passer au large de l'isle Rottenest qu'on apperçut à toute
vue. On doubla par l'ouest les Abrolhos, en suitte le tems devenu plus beau, permit de ranger
la terre ferme au sud de l'isle Dirk Hartog. On longea cette côte ainsi que celle de l'isle (64) à
la distance dix ou douze milles : ce sont des terres hautes, rougeatres, coupées a pic, on y voit
aucune végétation si ce n'est de la mousse ou bruyère très basse qui leur donne une teinte de
verdure dans les endroits ou les falaises ne sont pas terminées à leur sommet par un plateau.
Le terrain au dessus d'elles forme un tallus sillonné assez régulierement et offre un aspect
singulier et très reconnoissable.
Le 8 messidor an 9 [le 27 juin 1801] nous entrames dans la baye des Chiens Marins par
la passe au nord de la petite isle de Dorre près de laquelle nous mouillames. On descendit à
terre, on trouva une isle habitée seulement par de petits kangourous et quelques oiseaux de
mer et aigles. Le sol qui contient beaucoup de roches calcaires d'orrigine secondaire, y est
sabloneux et peu propre à la végétation. On prit une prodigieuse quantité de poissons.
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jour.
Le Commandant descendit sur cette terre, desirant y etablir son observatoire, mais n'y
ayant pas trouvé d'eau, il se détermina a entrer plus avant dans la baye. Le 11 au matin nous
mimes donc à la voile. Nous nous aprochames de la côte nord de la baye mais elle ne nous
offrit pas de debarquement. On passa la nuit à l'ancre, (65) et le 12 au matin nous continuames
a chercher un bon mouillage.
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Le 14 dans la matinée nous mouillames a environ deux lieues d'une terre que nous
nomames l'isle du Milieu. On vouloit y etablir l'observatoire. De belles plages de verdure, une
côte taillée a pic dans plusieurs endroits, avoient un aspect incomparablement plus agréable
que celui des isles de Dorre. Le sol, d'une couleur rouge très prononcée, y etoit tranché
d'endroits en endroits par des plages de sable blanc. On mit un canot dehors pour chercher un
debarcadere mais il ne put pas metre a terre, la lame deferloit sur le sable, le vent battoit en
côte et fraichissoit. La mer devenoit un peu grosse, et il nous falut appareiller. Nous eumes
beaucoup de peine a nous elever de cette côte, nos bordées etoient très courtes et nous
manquames plusieurs fois a virer par 6 brasses d'eau, mais enfin nous nous eloignames et
nous fumes reprendre le mouillage que nous avions quitté sur la plus nord des isles de Dorre.
(66) Nous y somes restés depuis le 16 jusqu'au 23 messidor [an IX, du 5 au 12 juillet 1801] au
que nous avons remis sous voiles, après avoir détermine la position de cette isle et y avoir fait
du bois a bruler.
Nous avons continué notre route vers le nord, mais sans accoster la terre, le tems ne
nous le permettant pas. Le 29 [an IX, le 18 juillet 1801] nous avons eu connoissance des isles
a la pointe N.O. de la Nouvelle Hollande. Nous avons pris ces isles pour celles du Romarin de
Dampier.
Le trois thermidor a midy nous déterminames la position de la pte N.O. Nous avions été
obligés de louvoyer pour y revenir, parce que nous avions trop couru nord ce qui nous a
empeché de prendre connoissance de la rivire [sic] Guillaume et d'en déterminer l'entrée. Ce
point, et la riviere des Cygnes que nous n'avions pas reconnue, sont à mon avis deux points
intéressants sur lesquels il nous est impossible de satisfaire le Gouvernement.
(67) Les jours suivants nous prolongeâmes en courant vers l'E la côte N de la Nouvelle
Hollande, mais à une distance assez grande pour en avoir connoissance que de loin en loin.
Le 8 thermidor [an IX, le 27 juillet] au matin nous mouillames à 6 lieues d'une terre qui
avoit l'apparence d'une isle. Le Commandant m'ordonna d'aller la reconnoitre et de verifier si
elle joignoit les terres du continent. Je fis routte au S.¼ S.O. en sondant continuellement ; je
trouvai 10 & 11 brasses d'eau jusqu'a une lieue de terre, et plusieurs fois je signalai son
mouillage pour la corvette, afin d'engager le Commt à s'approcher de terre. Toutes les sondes
me raportèrent du sable, a l'exception d'une qui donna de la vase noire. En faisant routte,
j'apperçus plus près de moi une terre basse, que nous n'avions pas vue du navire, je la
reconnus pour etre une isle très platte, j'en passai a moins d'une (68) lieue de distance. J'eus 6
brasses d'eau jusques a terre ; je donnai dans une petite anse dans la quelle la mer etoit
tranquille comme dans un bassin et j'y debarquai à pied sec sur une belle plage de sable. La
mer etoit alors baissée d'environ 8 a 10 pieds. Je pensai qu'elle etoit basse, mais il y avoit a
peine une ½ heure que j'étois descendu lorsque mon patron veint me dire que la mer baissoit
toujours et que le canot alloit assecher, je retournai au rivage. Des roches paraissoient alors
fermer l'entrée de l'anse dans laquelle j'etois, et je preférai attendre la marée de la nuit pour
m'en retourner. Je distribuai mon monde, j'employai les uns a me ramasser des coquilles, et
les autres des plantes et arbustes ; puis je m'acheminai moi même vers la partie est de l'isle.
J'eus bientot rencontré deux sources d'eau vive, l'une d'elle etoit assez considérable ; tout le
sol de la partie nord de l'isle sur la quelle j'ai abordé, est formé de prismes de bazaltes, dont
plusieurs pentahèdres entassés les uns (69) sur les autres et reposant le plus habiluellent [sic]
sur leurs angles. Ces blocs de laves taillés d'une maniere assez regulière sembloient en
quelques endroits former des murailles de pierre de taille, ailleurs on voyoit des pavés plus au
moins mis, qui le plus souvent dressant en l'air leurs angles et leurs arrêtes, rendoient la
marche difficile et même dangereuse. J'ai rencontré de ces pavés cassés nouvelement, sans la
moindre apparence qu'ils eussent souffert aucun deplacemt ni qu'ils eussent cédé à des poids
plus grands. La casse etoit absolument celle qu'on obtiendroit en enlevant un echantillon ; elle
avoit la couleur du basalte sans decomposition et en cela elle differoit de la surface exterieure
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qui partout etoit couverte d'un oxide de fer qui donne a cette partie de l'isle une couleur rouge-
brun. Cette espece de rouille, detachée par la pluye tombante sur les pittons et entrainée dans
les petites valées qui les separent, y fournit un aliment à la vegetation. Dans quelques endroits
elle se trouve mêlée avec une petite quantité (70) de sable que sans doute les vents y ont
apporté, et chacun de ces dépots forme un petit jardin qui offre une verdure très agréable à
O °XLOHWTXLUHSDQGXQHRGHXUVXDYH ; les plantes et arbustes y croissent entre les roches. C'est
la que j'ai récolté tout ce qui m'a semblé devoir intéresser la botanique, ou pour parler plus
correctement, c'est la que j'ai pris de tout ce que j'ai vu des echantillons parmi les quels il s'est
trouvé des mimosas, plusieurs légumineux, des solanum une espece d'immortelle ayant de très
belles couleurs &c., &c. En arbres je n'ai vu qu'une espece de figuier et un Eucalyptus dont la
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J'ai trouvé sur cette terre une multitude de sauterelles très grosses et plus encore d'une
espece de petites mouches très incomodes, quelques papillons noirs mouchetés de blanc, des
fourmies de la grosse et petite espece. Un matelot a vu un serpent gros comme le bras, ayant
au moins 5 pieds de longueur, il etoit gris et couvert d'ecailles. Un autre a vu (71) un
kangourou de la grande espece. J'ai trouvé moimême le squelette de la tête de cet animal. J'en
ai apperçu un tout different, mais d'assez loin pour ne pouvoir pas en donner une description
complètte. Il étoit de la taille de nos plus grands chiens et en avoit assez la tournure, je lui
suppose au moins trois pieds de hauteur, sa couleur est fauve, sa queue longue et velue est
pendente, il etoit a 3 portées de fusil de moi couché sur des roches sur les quelles sa couleur
tranchoit de maniere a le faire voir de très loin. Je marchai a lui, mais il s'est enfui et je n'ai pu
le retrouver. J'ai tué deux petits oiseaux, les seules especes que j'aye rencontré si l'on en
excepte un aigle que j'ai vu de très loin, un corbeau absolument pareil à ceux de France et
beaucoup de mauves. Les bords de la mer recellent un grand nombre de coquillages de
diverses especes, mais la pesanteur prodigieuse des rochers baignés à toutes les marées, leur
sert de barrière contre l'avidité des collecteurs. Il faudroit etre [72] un certain nombre et armés
de pinces et leviers ; j'ai fait ramasser, et j'ai ramassé moi-même tout ce qui m'a été possible,
on distinguoit dans ma collection quelques serpules, des nerites, des strombes, des mitres, des
rouleaux, des huîtres, &c. Je montai sur un des pittons les plus elevés dans la partie est de l'île,
dela je découvris le continent qui en est séparé par un bras de mer d'environ six à sept milles,
j'y reconnus des caps elevés que je jugeai etre absolument de même nature que le sol sur
lequel je me trouvais. La mer etoit basse alors et je vis distinctement au milieu du canal un
banc qui etoit presque à sec, mais je jugeai aussi à la couleur de la mer des deux cotés de ce
banc qu'il y a passage pour des navires de grand tirant d'eau, j'ai regretté que le tems ne me
permit pas de faire en canot le tour de cette isle, pour sonder les passes qui si elles sont
praticables comme je le suppose, offriroient d'excellents mouillages. L'isle Basse de sable, qui
est dans le N.E. de l'isle Haute, et qui (73) en est séparée par une passe de 3 à 4 milles de
largeur m'a paru jointe à la terre ferme par un banc que je n'ai pas vu asseché, mais sur le quel
la mer brise lorsqu'elle est basse. La mer marne sur cette côte d'environ 25 pieds. Le 8
thermior la pleine mer a du avoir lieu vers midy, et la [illisible loeize] de pleine mer ce jour la
etoit a environ 4 pieds en contre bas de celle des plus hautes marées.
Ce que j'ai dit du sol de cette isle et de l'aspect qu'elle offre, ne convient qu'a sa partie
Nord, car lorsqu'on la releve dans le N.E. ou environ, elle se presente en amphitheatre et a une
teinte verdâtre.
A 10h du soir je repartis, le ciel etoit pur et la mer unie, mais a peine eus-je doublé les
pointes, je trouvai la mer grosse et du vent, je conservai toute ma voilure dans la crainte de
tomber sous le vent du navire, et dans peu d'instants nous fumes mouillés de maniere à n'avoir
[74] plus rien à risquer de ce côté. Après avoir fait routte pendant plus de 4 heures sans
appercevoir le bâtiment, je craignis de l'avoir dépassé, je fis sonder, et je me trouvai par 18
brasses ce qui me metoit beaucoup au large du navire que j'avois laissé par 10 brasses, alors je
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virai de bord, et sous très petite voilure, j'attendis le jour. Lorsque le soleil parut sur l'horison
MH PH WURXYDL j O HQGURLW RX M DYDLV ODLVVp OH QDYLUH HW MH QH GRXWDL SOXV TX LO Q¶HXW DSDUHLOOp
Tous nos efforts pour le decouvrir dans quelque point de l'horison qui à la vérité n'etoit pas
alors très etendu, furent inutilles, je resolus donc de regagner l'isle que j'avois quittee jusqu'à
FHTX RQYHLQWQRXV\UHSUHQGUH,OQHQRXVUHVWRLWSOXVGHYLYUHVPDLVM HWRLVVXUHG¶\WURXYHU
de l'eau et des huitres en quantité. Mon équipage n'etoit pas trop satisfait de ce contretems,
neamoins personne ne se plaignit ; je pris la bordée du S.E., car, pour comble de malheur les
vents avoient hallé le S.S.O. et se trouvoient (75) presque debout pour la routte que je voulois
faire. Mais en ralliant la terre dans le S.E., j'esperois trouver une brise favorable pour revenir à
mon mouillage de la veille. Nous courumes ainsi jusques a 9 heures que nous appercumes le
navire sous le vent, à l'ancre et pas très éloigné, on juge aisement que je ne me fis pas prier
pour arriver dessus. A 10h1/2 nous étions à bord, ce qui m'avoit fait manquer le navire c'est
qu'après mon départ, le Commandt ayant envoyé un canot pour sonder autour du batiment, des
courants violents avoient entrainé cette embarquation dans l'est et il s'etoit vu forcé
d'appareiller pour aller la reprendre, j'etois alors près de terre et depuis longtemps je ne voyais
plus le navire de mon canot, je n'avois donc pu avoir connoissance de ce mouvement. Il avoit
fait deux lieues et plus dans l'est, et ce fut suffisant pour que je ne le rencontrasse pas dans la
nuit, d'autant mieux que moi qui de [76] mon côté avois eprouvé ces memes courants, je
serrois le vent dans l'ouest craignant de manquer le navire. Les jours suivants on a continué la
même routte, voyant la terre de tems à autre, mais toujours d'assez loin. Le 17 thermr dans la
matinée nous avons cotoyé un banc qui nous a forcé de gouverner au N.O. Nous nous y
sommes trouvés par 5 brasses d'eau, et on voyoit a peine la terre. Nous avons eu constament
dans ces parages un fond très inegal qui nous a empeché de ranger la côte, et qui nous a
souvent fait mouiller durant la nuit : le fond a été presque géneralement de sable jusqu'au
121me degré de longt ensuitte nous avons trouvé de la vase molle. Le 23 thermidr [an IX, le 11
août 1801] au matin, on fit une tentative pour metre a terre sur des isles situées par 14.°48' et
122°12' ± mais le canot reveint sans avoir pu trouver un débarcadaire.
Le 24 et le 25 [thermidor an IX, les 12 et 13 août 1801] nous avons eu connoissance de
plusieurs rescifs très étendus. Le 26 [thermidor an IX, le 14 août 1801] meme navigation, et le
27 [thermidor an IX, le 15 août 1801] nous (77) nous trouvames engages vent arriere entre
deux bancs que nous vimes tribord et babord à nous, heureusement il n'y eut pas moins de 11
brasses d'eau dans la passe. Le 1er fructidor au matin, nous mimes le cap sur Timor, le 2 on en
eut connoissance. Le 3 on mouilla dans le detroit de Rotti, le 4 nous entrames avec un pilote
dans le detroit de Simao et mouillames dans la baye de Coupang. J'etois malade depuis
plusieurs jours en arrivant à Coupang. Je l'avois été même assez sérieusement, mais l'air de
terre qui a été si funeste a tant de monde, m'a retabli bien promptement ; le 6 je descendis à
terre, et le 10 je repris mes fonctions, j'entrepris alors la construction d'une chaloupe pour
remplacer celle que nous avions perdue, ce travail dura toute la relache, parce que tous nos
ouvriers tomberent malades les uns après les autres. Le Commandant lui même tomba malade
et nous ne fumes pas sans inquiétude sur son sort, il etoit à peine rétabli pour le départ.
Nous avons retrouvé à cette relache le [78] Naturaliste. Il y arriva le 4e jour compleme
[21 septembre 1801] après 4 mois et 12 jours de separation. Nous avions les uns et les autres
beaucoup d'inquietude et ce raprochement nous causa de part et d'autre un plaisir bien réel.
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