Obama Homme Providentiel

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Obama,

homme providentiel ?
Anne Deysine
Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Centre de recherches anglophones (EA 370)
anne.deysine arobase u-paris10.fr

Le 04 novembre 2008, Barack Obama, 47 ans, est élu 44e président


des États-Unis d’Amérique avec 52,5 % des suffrages contre 46,2 %
pour son rival républicain John McCain (64 908 616 voix et 364 grands
électeurs contre 57 083 294 voix et 162 grands électeurs). Il est le
premier président noir de l’histoire des États-Unis. Officiellement
investi le 20 janvier 2009, devant plus de deux millions de personnes
venues participer à Washington à ce jour historique, Barak Obama
commence sa présidence dans un contexte de guerre américaine en Irak
et en Afghanistan, de conflit israélo-palestinien tendu et de grave crise
financière et économique mondiale.
Or, c’est de celui qui fut le candidat improbable que le monde
attend le salut. Certes les républicains partaient avec le lourd handicap
d’être du parti d’un président tombé à moins de 30 % dans les
sondages. Mais du côté démocrate, Hillary Clinton semblait si inévitable
qu’elle en paraissait imbattable. Les Américains auraient-ils vu en lui
l’homme providentiel ?
Le mot renvoie à « celui ou celle qui arrive à point nommé pour
sauver une situation ou qui constitue une chance, un recours

[] 87
[ ]
exceptionnel ». Parallèlement, c’est celui qui apparaît grâce à la
providence, qu’elle soit voulue ou provoquée. Il y aurait donc des
éléments voulus et organisés, un dessein supérieur mais aussi le rôle du
hasard : être là au bon moment. Et à cet égard, Axelrod, son conseiller,
a bien poussé Obama à ne pas attendre et à se présenter malgré la
candidature d’Hillary Clinton. Car il ne fallait pas laisser passer une
chance unique. Décision politique opportuniste ou intervention de la
providence ?
Les mythes auxquels Obama se rattache sont multiples et variés
mais les plus importants sont le rêve américain, dont il est l’une des
incarnations multiples, les valeurs fondamentales et les droits
inaliénables (égalité, liberté et « poursuite du bonheur ») de la
déclaration d’Indépendance.
Sans reprendre vraiment la typologie de l’homme providentiel
élaborée par Raoul Girardet1, il apparaît qu’Obama ne relève pas du
modèle Cincinnatus, vieil homme illustre et sage rappelé à la tête d’un
peuple dans le malheur, ni du modèle Alexandre, conquérant fougueux
et hardi même s’il est vrai qu’il « s’empare des foules qu’il subjugue »,
comme le jeune Bonaparte… Peut-être alors est-il un mélange de Moïse
et de Solon, « l’homme d’État, le refondateur qui rompt avec le passé »
et qui, pour cela, doit amener le Congrès à légiférer sur une multitude
de questions de politique intérieure (système de santé, énergies
nouvelles, lutte contre le réchauffement climatique, régulation
économique et financière) et de politique étrangère. Il serait aussi
Moïse, prophète dont le destin individuel s’identifie au destin collectif
de la nation. Il est vrai que les références religieuses abondent et
qu’Obama a été qualifié non seulement de Moise et d’« élu de Dieu »
(The One) durant la campagne, même si ce fut de façon critique et
caricaturale par les républicains exaspérés par l’adulation et
l’enthousiasme qu’il suscitait ; républicains qui l’ont aussi accusé, afin de
le décrédibiliser, d’être une célébrité, comme Britney Spears. Il serait
alors celui qui guide le peuple et annonce des temps nouveaux. C’est ce
que fait Obama qui, dans ses discours aux accents de prédicateur,
appelle maintes et maintes fois à l’espoir, au changement et à la foi dans
ce changement qui peut être le fait des Américains tous unis par ce qui
les rapproche : « nous ne sommes ni blancs, ni noirs, ni riches ni
pauvres… nous sommes tous américains ».
On a beaucoup comparé Obama à plusieurs présidents qui ont
pour caractéristique commune d’avoir été tous de grands communicants
et lui-même a beaucoup encouragé ces comparaisons. Franklin Delano
Roosevelt, confronté à la crise de 1929 et convainquant le Congrès
1
Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Le Seuil, 1986.

88 []
[ ]
d’adopter les lois du New Deal, s’était appuyé sur l’opinion publique
par le truchement des désormais célèbres « conversations au coin du
feu ». C’est Roosevelt qui a dit : « il ne faut rien craindre si ce n’est la
crainte elle-même » et Obama a souvent adopté la même attitude,
prônant l’action et redonnant confiance aux Américains, sans leur
cacher néanmoins la gravité de la situation et que la crise serait durable.
Obama a également été comparé à John F. Kennedy, élu lui aussi
malgré sa jeunesse, sa religion (à l’époque aucun président catholique
n’avait été élu et l’opposition était forte à un éventuel « papiste »).
Obama a eu à résoudre un problème un peu différent puisque la droite
a manié l’amalgame et laissé entendre qu’il était musulman2 ; mais il a
emprunté à Kennedy son slogan : « ne demandez pas ce que l’Amérique
peut faire pour vous mais demandez ce que vous pouvez faire pour
l’Amérique ». Plus paradoxal en apparence, Obama a souvent été
comparé au républicain Reagan, chantre du moins d’État et du moins
d’impôts ; mais Reagan est aussi le président qui a su rendre confiance
aux Américains3 et augmenter les impôts quand ce fut nécessaire.
Parmi ces références multiples et omniprésentes, il est un président
qu’Obama a voulu à ses côtés en ce 20 janvier 2009, jour de son
investiture : c’est bien sûr Lincoln4 qui gagna la guerre de Sécession, que
les Américains appellent « guerre civile ». Lincoln est à l’origine des trois
amendements adoptés après la guerre : le XIIIe amendement qui abolit
l’esclavage, le XIVe amendement qui contient les deux garanties
fondamentales que sont l’égale protection de la loi et la clause de due
process et bien sûr du XVe amendement qui interdit toute discrimination
en matière de droit de vote. Et c’est sur la bible de Lincoln que le
nouveau président prête serment le 20 janvier 20095. Obama a au moins
deux points communs avec lui : un fort sens de l’empathie (qui avait
permis à Lincoln de stigmatiser l’esclavage sans porter de jugement
définitif sur les esclavagistes) et une foi inébranlable dans le pouvoir de
la raison. Obama comprend aussi rapidement le pouvoir transformateur
des mots, utilisant des phrases métaphoriques pour susciter une
émotion ou restituer le ressenti de ceux qui l’écoutent. Les linguistes

2
Obama a dû préciser qu’il est chrétien, semblant ainsi se démarquer de l’Islam ou
même le désavouer ce qui lui a été reproché par les Musulmans.
3
Les États-Unis étaient frappés par l’affaire du Watergate et embourbés dans la crise
des otages en Iran à laquelle une terne présidence Carter n’avait su trouver d’issue.
4
Richard Carwardine, Lincoln: A Life of Purpose and Power, Kindle Edition, 2004 ;
Olivier Fraysse, Lincoln, Land, and Labor, 1809-60, Paris, Publications de la Sorbonne,
1988 ; Bernard Vincent, Abraham Lincoln - L’homme Qui Sauva Les États-Unis, Paris, éd.
L’Archipel, 2009.
5
Sur le rapprochement entre Obama et Lincoln, voir infra Alexandre Borrell, « Peut-
on greffer le visage d’une icône ? Abraham Obama », pp. 177-129 (NDLR).

[] 89
[ ]
expliquent que cette maîtrise non directive des mots permet au public
de se projeter intimement dans le discours sans être interpellé de façon
trop directe. Obama a aussi la faculté, parfois critiquée, de manier
l’ambiguïté, pas nécessairement pour éviter de répondre à une question
– sur l’avortement par exemple – mais aussi parce que les questions et
les problèmes posés ne sont jamais simples. Lorsque l’on compare
Obama et Lincoln, le premier encourageant cette comparaison, il est
bon de dépasser la question de la perception comme homme
providentiel et se demander si l’un ou l’autre se voyait ainsi. Question
impossible à trancher même si nous disposons de quelques éléments de
réponse.
Lincoln était un déiste et dans son message au Congrès du
er
1 décembre 1862, un mois avant de signer la déclaration
d’émancipation, il affirme sa conviction que les États-Unis sont le
« meilleur espoir sur terre »6 ; or c’est une expression qu’Obama a
reprise en omettant la seconde partie de la phrase. La vision qu’avait
Lincoln de la providence et de Dieu a évolué à cause du contexte de
guerre ; il s’interroge sur sa double responsabilité d’homme au service
de la volonté divine dans un écrit non destiné à être publié mais dont
on trouve les échos dans son deuxième discours d’investiture « chaque
partie affirme agir en conformité avec la volonté divine… L’une doit se
tromper. Dieu ne peut être pour et contre la même chose au même
moment. »7 Et Lincoln se demande si finalement Dieu ne veut pas ce
conflit car Il aurait pu sauver ou détruire l’Union sans aucun combat
humain. Aussi ni l’un ni l’autre ne sont-ils interventionnistes même s’ils
se déclarent prêts à agir pour protéger le peuple contre invasions ou
violations flagrantes des droits fondamentaux.
Obama a pu et su aussi se situer dans la continuité du révérend
Martin Luther King dont le 48e anniversaire du discours « I have a
dream » tombait à point nommé le jour où Obama acceptait

6
“We – even we here – hold the power, and bear the responsibility. In giving freedom to
the slave, we assure freedom to the free – honorable alike in what we give, and what we
preserve. We shall nobly save, or meanly lose, the last best hope of earth. Other means
may succeed; this could not fail. The way is plain, peaceful, generous, just – a way
which, if followed, the world will forever applaud, and God must forever bless.”
7 “The will of God prevails. In great contests each party claims to act in accordance

with the will of God. Both may be, and one must be, wrong. God cannot be for and
against the same thing at the same time. […] By his mere great power, on the minds
of the now contestants, He could have either saved or destroyed the Union without a
human contest. Yet the contest began. And, having begun He could give the final
victory to either side any day. Yet the contest proceeds.” Meditation on the Divine
Will, Washington D.C., septembre 1862.

90 []
[ ]
l’investiture du parti démocrate à Denver dans un stade rempli de
80 000 partisans enthousiastes.
Devant un tel mouvement il faut se demander pourquoi cet
engouement, pourquoi cette élection. Comme souvent la raison est
double. L’état de l’Amérique et du monde demandait un Sauveur et
Obama lui-même par son histoire si atypique, son charisme et sa
couleur a pu tout à fait incarner ce Sauveur qui saurait faire accepter aux
Américains (et aux Israéliens, Africains, musulmans…) ce qu’aucun
autre homme ou femme politique ne pourrait ou n’aurait pu leur faire
accepter. Wall Street ne s’y est pas trompé, lequel a exprimé son soutien
au candidat Obama, pourtant opposé à un jeu totalement libre du
marché. Dans les dernières semaines, le candidat obtint non seulement
de considérables contributions financières à sa campagne (un million de
dollars du seul Goldman Sachs8) mais un éditorial de soutien en
première page du Wall Street Journal. Le contexte est propice et les
attentes énormes : il ne s’agit de rien moins que de sauver l’Amérique et
la planète, mission finalement pas si éloignée de l’exceptionnalisme et
du messianisme américains – or Obama a la grande chance de pouvoir
attirer le vote religieux tout en représentant la diversité et le
multiculturalisme du peuple américain, tout en jouissant d’un charisme
indéniable et de la maîtrise parfaite des outils d’information et de
communication.

L’état du monde et des États-Unis


Lorsque les primaires démocrates et républicaines commencent en
janvier 2008, le président Bush est au pouvoir depuis sept ans et de plus
en plus d’Américains et le monde entier comptent les jours jusqu’au
20 janvier 2009, qui marquera la date de l’entrée en fonction de celui ou
celle qui lui succédera. Revenons sur la politique suivie par
l’administration Bush à l’intérieur comme à l’extérieur pour bien saisir
l’ampleur de la catastrophe (tant financière qu’en terme d’image) et, par
conséquence, des attentes que le candidat Obama finit par incarner. À
l’intérieur, le président Clinton a quitté le pouvoir en laissant une
présidence affaiblie par la procédure de destitution dont il a fait l’objet
mais aussi le premier excédent budgétaire depuis deux décennies. Le
président mal élu en 2000 (on se souvient de l’imbroglio juridique en
Floride et de l’intervention de la cour suprême) a choisi comme vice-
président Dick Cheney, un ancien de l’équipe Reagan (« l’État n’est pas
la solution, c’est le problème »), bien déterminé à redonner à la
présidence et à la branche exécutive la suprématie et la totalité des

8
Voir le site www.opensecrets.org.

[] 91
[ ]
pouvoirs et des prérogatives, en violation des mécanismes de freins et
contrepoids mis en place par les pères fondateurs et bien déterminé
également à continuer de démanteler ce qui reste des dispositifs sociaux
du New Deal. Les attentats terroristes du 11 septembre donnent l’alibi
et les moyens de mettre le pays au pas tout en privilégiant le big business,
les compagnies pétrolières, Halliburton, le groupe Carlisle, les
laboratoires pharmaceutiques aux dépens de la Constitution et des
libertés.
En matière de politique étrangère, le bilan est encore plus négatif et
les attentes plus grandes ; en effet, le président Bush élu sur un message
de modération, « de conservateur de compassion », mais poussé par les
néoconservateurs, a lancé le pays dans deux guerres9 (Afghanistan puis
Irak en mars 2003) et plus largement une « guerre contre le terrorisme »
qui a aliéné toutes les sympathies suscitées par les attentats terroristes
de septembre 2001. Dans son discours sur l’état de l’Union de janvier
2002, il stigmatise les trois pays de l’axe du mal : Irak, Iran et Corée du
Nord, et plus tard énonce la doctrine de guerre préventive. Le président
Bush a conduit une politique non seulement unilatérale et destructrice
mais il s’est aliéné les alliés traditionnels de l’Amérique et a détérioré
l’image des États-Unis dans le monde et dans le monde musulman en
particulier. Outre sa guerre de préemption, il a aussi refusé d’agir en
matière de réchauffement climatique et s’est opposé à la plupart des
conventions internationales. Les électeurs américains et le monde
attendaient son successeur.
Si l’opposition à la guerre en Irak, avec la lutte contre la corruption
et le copinage utilisée comme cheval de bataille par les démocrates, a
joué un rôle essentiel lors des élections de 2006, ce ne fut pas le cas en
2008. Certes, la position d’Obama pour un retrait programmé des
troupes l’a aidé à emporter les primaires contre Hillary Clinton, qui
avait elle voté en faveur de la guerre en Irak, sur la foi d’informations
fallacieuses mises en avant par l’administration. Mais au moment des
élections générales, c’est la crise économique et financière qui est au
premier plan et les électeurs doivent se prononcer entre McCain, le
héros septuagénaire de la guerre du Vietnam et le jeune candidat noir
que personne ne connaissait quatre ans auparavant. Au moment des
élections, le déficit budgétaire est creusé par le coût des guerres en Irak
et Afghanistan et par les baisses d’impôts. Le pays est à la merci des

9
La guerre en Afghanistan est un échec car Ben Laden court toujours et les talibans
reconstituent leur puissance et leurs bastions. La guerre en Irak continue avec plus de
4 000 morts du côté américain à l’été 2009 et de nombreux blessés très graves dont le
système hospitalier américain destiné aux anciens combattants ne s’occupe que très
mal.

92 []
[ ]
Chinois qui ont financé ce mode de vie à crédit en achetant les bons du
trésor américain et qui commencent à vouloir acheter des entreprises
américaines. En parallèle, l’administration Bush a amplifié la
dérégulation financière et bancaire amorcée certes dès avant 199910 en
limitant l’influence et les pouvoirs des agences de contrôle.
Dans ce climat, la culture du crédit a permis aux acteurs
immobiliers et financiers de pousser des ménages à s’endetter pour
acheter un bien immobilier alors qu’une simple étude de leur profil
financier aurait dû les exclure de ces prêts trop incitatifs car à coût
variable, quasi gratuit durant les premières années puis à taux progressif.
La crise des crédits immobiliers risqués (subprime) a fait chuter les prix
de l’immobilier et a déclenché la crise financière qui atteint un premier
paroxysme en septembre 2008. McCain avait misé sur la politique
étrangère et la crédibilité des républicains en matière de sécurité
nationale et avoué qu’il n’y connaissait pas grand-chose en économie
mais la crise a changé la donne. Et les électeurs confient leur destin à
l’inconnu charismatique.
Et sur le plan politique, le climat est propice. Les républicains sont
déconsidérés et donnés perdants dans tous les sondages. Ils sont
empêtrés dans leurs contradictions entre valeurs morales et vie
personnelle peu conforme, les nombreux scandales et la culture du
favoritisme et du copinage qui place des incompétents aux postes-clés11.
Dans une telle situation, seul un homme providentiel pouvait sauver
l’Amérique…

Obama, l’homme providentiel ?


Barack Hussein Obama12 pour l’état-civil est né le 04 août 1961 à
Honolulu (Hawaï). Son prénom “Barack” signifie “béni” en hébreu et
en arabe et le nom “Obama” veut dire “lance enflammée” dans la
langue swahilie de son père. En 2004, il était encore inconnu. Né d’une
mère originaire du Kansas et d’un père kenyan venu étudier aux États-
Unis, il vit les premières années de sa vie en Indonésie avec son beau-
père et sa mère, puis à Hawaï avec ses grands-parents blancs qui ont
joué un rôle important dans son évolution et la construction de ses

10
Abrogation de la loi Glass Steegal votée en 1934 qui avait pour objet de maintenir
une cloison étanche entre banques de dépôt et banques d’affaires.
11
Ce fut le cas pour le directeur de l’organisme chargé de gérer les catastrophes
nationales, FEMA qui ne fit rien pour apporter des réponses adéquates à la
catastrophe humaine causée par l’ouragan Katrina.
12
Barack Obama, Les Rêves de mon père, Paris, Points, 2008 et L’Audace d’espérer, Paris,
Presses de la Cité, 2007 ; Jacques Portes, Obama, Biographie, Paris, Payot, 2008 ; Pierre
Varrod, « Les trois leviers rhétoriques d’Obama », Esprit, mai 2009, pp. 188-190.

[] 93
[ ]
valeurs profondes13. On connaît la suite : 1981, l’université de Columbia
à New York où il obtient une licence (BA) de Sciences Politiques et
Relations internationales. Il devient analyste d’affaires dans un grand
cabinet financier à Chicago mais abandonne son début de carrière
prometteur et lucratif pour travailler comme animateur social, payé
800 dollars par mois par une église chrétienne progressiste des quartiers
défavorisés. C’est là qu’il rencontre le pasteur noir Jeremiah Wright, qui
deviendra son ami, et qu’il devient Chrétien. En 1988, Barack Obama
reprend ses études et obtient son diplôme de droit (Juris doctor) de la
prestigieuse Harvard avec mention magna cum laude. Il travaille comme
avocat dans un cabinet spécialisé dans les droits civiques avant de se
lancer en politique dans l’État d’Illinois.
Pour nous Européens, c’est un métis ; mais aux États-Unis, la règle
« une goutte » (de sang noir) fait de lui un noir ; en revanche à la
différence de son épouse, Michelle Robinson14 rencontrée en 1989 lors
d’un stage d’études, il n’est pas un Africain-Américain descendant
d’esclaves. Et avant 2004, Obama est avant tout un écrivain à succès :
en 1995, il a publié un essai autobiographique intitulé Dreams from My
Father15 dans lequel il raconte son parcours à la fois d’enfant en quête
d’un père et de métis vu comme un noir par l’Amérique blanche. Il est
aussi l’un des rares élus américains à participer à des manifestations
pacifistes et à prendre clairement position en 2003 contre la guerre en
Irak16. En juillet 2004, son charisme, son éloquence et son discours très
remarqué en faveur d’une autre Amérique que celle de George

13
Ses parents, étudiants à l’Université de Hawaï sont Barack Hussein Obama Sr.
(1936-1982), Kenyan noir originaire de l’ethnie Luo, élevé dans la tradition
musulmane mais non pratiquant et sa mère, Stanley Ann Dunham (1942-1995),
blanche américaine de religion chrétienne originaire du Kansas, lointaine descendante
de Jefferson Davis. Agé de six ans, Barack Obama suit sa mère, qui s’est remariée avec
un cadre supérieur indonésien du pétrole, L. Soetoro. Il passe à Djakarta (Indonésie)
quatre années de son enfance, de 1967 à 1971, effectuant deux ans de scolarité dans
une école musulmane puis deux autres dans un établissement catholique. Puis il est
envoyé chez ses grands-parents maternels à Honolulu et scolarisé au collège de
Punahou, un établissement privé plutôt réservé aux enfants de l’élite blanche.
14
Issue d’une famille ouvrière noire du South Side de Chicago, elle est diplômée de
Princeton et de Harvard, et mène une brillante carrière d’avocate chargée notamment
des relations extérieures et communautaires de l’hôpital universitaire de Chicago.
Figure du parti démocrate local, elle a beaucoup aidé son mari à conquérir les réseaux
politiques du maire de Chicago, Richard M. Daley, dont elle est proche.
15
Puis une grande maison d’édition lui offre 1,9 million de dollars pour écrire trois
livres sur son parcours et ses convictions politiques. Le premier volume, The Audacity
of Hope, Thoughts on Reclaiming the American Dream (L’Audace d’espérer, Une nouvelle
conception de la politique américaine), est sorti en octobre 2006 et est, depuis, devenu un
best-seller.
16
Rappelons qu’à l’époque, il ne siège pas encore au Sénat des États-Unis.

94 []
[ ]
W. Bush, font de lui la vedette de la convention démocrate réunie pour
désigner John Kerry candidat à l’élection présidentielle. Le 2 novembre
de la même année, il est élu sénateur démocrate de l’Illinois, avec 70 %
des voix contre 27 % à son adversaire républicain, Alan Keyes. Seul
afro-américain à siéger au Sénat, et troisième de toute l’histoire des
États-Unis depuis 1865, il prend officiellement ses fonctions de
sénateur le 5 janvier 2005. Grâce à la fluidité des institutions et
mécanismes américains (les primaires et le rôle d’Internet) et à son
discours très remarqué à la convention démocrate de 2004, il acquiert
visibilité, puis progressivement crédibilité.
« Nous sommes à un de ces moments uniques, un moment où
notre nation est en guerre, notre économie dans la tourmente
et le rêve américain est à nouveau menacé. C’est le rêve
américain qui a toujours fait de ce pays un pays différent. Si
on travaille dur et que l’on fait des sacrifices, chacun d’entre
nous peut atteindre son rêve et au-delà, se rassembler dans la
grande famille américaine pour s’assurer que la prochaine
génération pourra à son tour poursuivre ce rêve. »17

Obama serait-il alors un homme providentiel, tout à la fois candidat


peu probable, expression du rêve américain et symbole de diversité ?
C’est un candidat à l’image de l’Amérique de 2008, une Amérique au
sein de laquelle la proportion de blancs non-hispaniques diminue
progressivement et à l’image du monde qui n’est plus uniquement
composé des pays riches de l’OCDE.
« J’ai fréquenté les meilleures écoles d’Amérique et vécu dans
un des pays les plus pauvres du monde. J’ai épousé une noire
américaine qui porte en elle le sang des esclaves et de leurs
maîtres, un héritage que nous avons transmis à nos deux
chères filles […] J’ai des frères, des sœurs, des nièces, des
neveux des oncles et des cousins, de toute race et de toute
teinte, dispersés sur trois continents, et tant que je serai en vie,
je n’oublierai jamais que mon histoire est inconcevable dans
aucun autre pays. »18
Les résultats des élections de 2008 parlent d’eux-mêmes : la quasi-
totalité (95 %) des noirs ont voté pour lui ainsi que 67 % des
Hispaniques et Asiatiques et 68 % des femmes. Les minorités, qui
jusqu’ici considéraient que leur vote ne comptait pas ne s’y sont pas

17
Discours d’acceptation de Barack Obama à la convention démocrate de Denver le
28 août 2008.
18
« Discours sur la race » prononcé par Barack Obama, le 18 mars 2008, à
Philadelphie pour répondre aux attaques concernant son pasteur J. Wright.

[] 95
[ ]
trompées et ont voté massivement pour lui19. Et ce fut d’autant plus
facile qu’Obama n’est pas un démocrate comme les autres. Non
seulement il est resté marié à la même épouse mais il est beaucoup
moins à gauche que les progressistes « liberals », les candidats comme
Kerry ou Howard Dean ou les électeurs et lecteurs du mensuel
The Nation, cibles permanentes des républicains qui stigmatisent leur
élitisme, le « trop d’État », le trop de dépenses (Big Spenders) et leur
absence de valeurs morales. De surcroît, même si ses relations
privilégiées avec le pasteur Wright ont un temps posé problème à
Obama20, il a un sentiment religieux authentique, fait de fréquentes
références à Dieu et l’électeur sent bien que ce n’est pas forcé. Or aux
États-Unis, compte tenu de l’omniprésence de la religion21 et du fait
qu’à peine 10 % d’Américains se déclarent athées (c’est récent), il est
impossible de remporter une élection sans attirer l’électorat religieux
modéré et en particulier les Hispaniques22.
L’amalgame était visible chez G. W. Bush, suivi par la droite
religieuse et les Born Again. Mais il faut noter que Dieu est présent dans
tous les discours politiques de tous les présidents, de même que
l’opposition entre le bien et le mal. À titre d’exemple, Lincoln, qui
pourtant n’a jamais appartenu officiellement à une Église, a prononcé
l’un des plus beaux discours associant politique et religion. Dans les
701 mots de son deuxième discours d’investiture, il prononce le nom de
Dieu 14 fois, cite la Bible quatre fois et invoque la force de la prière
trois fois. Obama partage cette proximité avec Dieu et ce serait une
erreur de se souvenir uniquement des distances qu’il a prises vis-à-vis de
son pasteur J. Wright. Son ouvrage L’Audace d’espérer comporte une
réflexion poussée sur la foi. Pour lui, certes, la Déclaration des droits et

19
Incidemment, si les Européens et les citoyens de nombreux pays avaient pu voter,
Obama aurait été élu avec 80 % des voix. Son message a donc été entendu à l’intérieur
comme à l’extérieur des États-Unis.
20
Obama répond aux critiques avec beaucoup d’honnêteté, sans nier le rôle important
que le révérend Wright a joué dans sa vie mais il montre aussi l’usage abusif qui a été
fait de quelques phrases effectivement prononcées par le pasteur. Et surtout il
demande que cette polémique orchestrée n’éloigne pas de la résolution des vrais
problèmes. « Discours sur la race », prononcé le 18 mars 2008 à Philadelphie.
21
86 % de la population disent croire en Dieu et plus de 70 % croient à l’existence des
anges et du diable (sondage Gallup). Voir Camille Froidevaux-Metterie, Religion et
politique aux États-Unis, Paris, La découverte, 2009 ; Isabelle Richet, La Religion aux
États-Unis, Paris, PUF, Que sais-je, 2002.
22
Sébastien Fath, « Le poids géopolitique des évangéliques américains : le cas
d’Israël », Hérodote, n° 119, 2005 ; Ariane Zambirase, « La religion dans les élections du
4 novembre 2008 aux États-Unis : une nouvelle donne », Revue française d’études
américaines, n° 119, 2009 ; Denis Lacorne, De la Religion en Amérique : essai d’histoire
politique, Paris, Gallimard, 2007.

96 []
[ ]
le Ier amendement codifient la séparation entre l’Église et l’État, mais les
Américains en tant que peuple religieux n’ont jamais séparé politique et
religion. Sa propre histoire, partie du scepticisme, l’a amené à adopter la
foi chrétienne et à prendre conscience du pouvoir de la foi dans la vie
des Américains. De même que Lincoln a utilisé un langage rassembleur,
« tout lisent la même Bible et prient le même dieu », de même Obama
s’est appuyé sur les valeurs religieuses et morales qui sont le fondement
historique de la société américaine, multiculturelle aujourd’hui, de façon
à rassembler tous les croyants dans le grand projet de la renaissance et
du renouveau américains. Même si Obama ne prône ni ne prêche le
nation building et la démocratisation exportée, comme les
néoconservateurs, ses discours portent bien la trace du messianisme et
de l’exceptionnalisme américains23. Et l’élection de 2008 est un
renversement total par rapport à la campagne de 2000, durant laquelle
le candidat républicain parlait sans arrêt de son expérience religieuse et
le candidat démocrate Al Gore avait quelques difficultés. En 2008, c’est
le candidat républicain McCain qui est mal à l’aise et Obama qui
apparaît comme un véritable homme de foi. Sa maîtrise de la Bible et
du langage biblique est perceptible dans de nombreux discours. Comme
George Bush, il a une histoire de conversion, narrée dans ses livres et
qu’il sait exprimer en public et dans des termes qui résonnent dans
l’esprit des croyants. Cette capacité à évoquer ses convictions religieuses
en public lui a permis de mettre en valeur une foi vécue et de conquérir
l’indispensable vote religieux.

23
On trouve toujours l’association entre religion et exceptionnalisme au coeur de la
théorie de la mission puritaine élaborée par Perry Miller en 1952. Ce dernier place au
centre de l’idée de mission « la ville sur la montagne » qui renvoie à l’idéal religieux
auquel aspiraient les puritains de la grande migration de 1630-1635. La cité idéale,
lumière du monde est là pour guider la chrétienté vers la perfection. Les colons de la
Nouvelle Angleterre continuaient d’affirmer le caractère exceptionnel de la société
dont les fondements institutionnels (le contrat, covenant) ont perduré après que la foi et
le système puritain eurent perdu de leur force à la fin du XVIIe siècle. La religion
faisait donc partie intégrante du programme colonial chez les puritains comme chez
les catholiques ou les anglicans. Tout projet de colonisation avait une composante
« évangélisatrice » et les colons étaient convaincus que « les pauvres créatures de là-
bas » les attendaient et les imploraient de venir les sauver . L’exceptionnalisme fait
référence à une série de valeurs qui façonnent la culture politique américaine et à une
tradition d’assimilation associée à la croyance des Américains que ce qui est américain
est toujours mieux. Que ce soit le mode de vie (vestimentaire, alimentaire ou culturel)
ou bien sûr le système politique, d’où cette grande tendance à vouloir apporter la
démocratie dans des pays qui ne sont pas démocratiques selon les définitions
occidentales : ce qu’on appelle le « nation- building ».

[] 97
[ ]
Charisme et maîtrise des outils d’information et de
communication
À ce qui précède, il faut ajouter sa grande taille, son élégance et bien
sûr son charisme indéniable et son talent pédagogique ; car Obama n’hésite
pas à répéter, à expliquer, à porter le message lui-même à Capitol Hill (siège
du Congrès) à expliciter dans les médias et devant les électeurs ; et c’est vrai
que lorsque l’on cherche à sauver l’économie, mettre en place des énergies
renouvelables et réformer le système de santé, il vaut mieux être bon
pédagogue. Il va jusqu’à participer à cinq émissions de télévision un
dimanche matin de septembre 2009 et à écrire un éditorial dans le New
York Times. À cet égard, il est bien l’homme providentiel, « pédagogue de la
nation en péril » qui va aider la nation « à dépasser ses difficultés ».
Obama a remporté l’élection et espère gagner de même les batailles de
la santé et des énergies renouvelables car tous ses discours, se caractérisent
par un réel talent oratoire et ce même s’il utilise souvent des
téléprompteurs. Il sait manier les outils rhétoriques, tels que la métaphore
ou la métonymie ; il recourt au procédé du déplacement qui consiste à
remplacer un nom, une idée par une image parlante ; au lieu de parler
écologie avec des chiffres, il évoque les usines responsables de la fonte de
la calotte glaciaire. Au lieu de détails techniques sur les éoliennes, il
claironne : « nous dompterons le soleil, le vent, le sol ». Maître dans l’art du
contraste, il affirme : « fini le temps des bavardages, voici venu le temps de
l’action ». Et surtout, Obama manie parfaitement l’art et la technique du
Story Telling24, du récit, non seulement dans le détail de ses discours mais
dans le script entier de sa campagne. Il cite l’histoire d’Ashley atteint du
cancer et sans couverture médicale, ou encore celle d’Ann Nixon Cooper
qui, à 106 ans, est allée voter, convaincue qu’il s’agissait bien d’une élection
historique. Et Obama scande son message autour des idées clés de l’espoir,
du changement (découlant de la capacité du peuple américain à s’inventer,
à innover, à réaliser l’impossible) et de l’unité nécessaire autour des valeurs
fondatrices pour réussir ce changement. Il est l’héritier de la tradition
oratoire des grands tribuns comme Franklin D. Roosevelt et John
F. Kennedy doublée des accents du prédicateur, ceux des pasteurs noirs et
de Martin Luther King. Obama est donc un rassembleur qui sait mettre les
outils de la rhétorique au service de sa cause, en s’appuyant sur les credo de
la nation américaine : l’unité dans la diversité (E Pluribus Unum), la liberté,
l’égalité, le rêve américain, la foi dans l’avenir et les institutions.

24
Michel Meyer, La Rhétorique, Paris, PUF, Que sais-je, 2009 ; Christian Salmon, Story
Telling : la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La Découverte,
2008.

98 []
[ ]
« C’est pourquoi, dans l’ombre du vieux Capitole où Lincoln appela
une maison divisée à s’unir, où les espoirs et les rêves communs continuent
de vivre, je vous annonce aujourd’hui ma candidature à la présidence des
États-Unis. »25
« C’est une histoire qui ne fait pas de moi le candidat le plus plausible.
Mais c’est une histoire qui a gravé au plus profond de moi l’idée que cette
nation est plus que la somme de ses parties, que de plusieurs nous ne
faisons qu’un. » […]
« J’ai choisi de me présenter aux élections présidentielles à ce moment
de l’histoire parce que je crois profondément que nous ne pourrons
résoudre les problèmes de notre temps que si nous les résolvons ensemble,
que nous ne pourrons parfaire l’union26 que si nous comprenons que nous
avons tous une histoire différente mais que nous partageons de mêmes
espoirs, que nous ne sommes pas tous pareils et que nous ne venons pas
du même endroit mais que nous voulons aller dans la même direction, vers
un avenir meilleur pour nos enfants et petits-enfants.
Cette conviction me vient de ma foi inébranlable en la générosité et la
dignité du peuple Américain. Elle me vient aussi de ma propre histoire
d’Américain. Je suis le fils d’un noir du Kenya et d’une blanche du Kansas.
J’ai été élevé par un grand-père qui a survécu à la Dépression et qui s’est
engagé dans l’armée de Patton pendant la Deuxième Guerre mondiale, et
une grand-mère blanche qui était ouvrière à la chaîne dans une usine de
bombardiers quand son mari était en Europe. »27
À des Américains désespérés, Obama a su communiquer espoir,
optimisme et foi en l’avenir en s’inscrivant dans le passé et en se rattachant
aux documents fondateurs et à la constitution adoptée en 1787.
« Au cours de l’histoire, seule une poignée de générations ont été
confrontées à des défis aussi graves que ceux que nous affrontons
aujourd’hui. Notre nation est en guerre. Notre économie est en crise. (…)
En dépit de l’énormité de la tâche qui s’annonce, je me tiens aujourd’hui
devant vous en étant plus que jamais persuadé que les États-Unis
résisteront, qu’ils l’emporteront et que le rêve de nos pères fondateurs
perdurera. »28
Si l’on fait exception de son discours sur la race prononcé en mars
2008 afin de clarifier sa position, Obama ne gouverne pas et n’a pas fait
25
Annonce de sa candidature à la présidence le 12 février 2007. Obama, qui s’exprime
depuis les marches du Capitole de Sprinfield (Illinois), fait référence à ce lieu, d’où
Lincoln lança en 1858 sa campagne pour l’abolition de l’esclavage.
26
Le terme « union » souvent écrit avec une majuscule en anglais renvoie au système
fédéral, à l’Union entre les États fédérés. C’est elle qui était contestée et a été sauvée
par Lincoln.
27
« Discours sur la race » prononcé le 18 mars 2008.
28
Discours d’investiture prononcé le 20 janvier 2009 à Washington.

[] 99
[ ]
campagne en candidat noir et certainement pas une campagne agressive
comme d’autres candidats noirs ont pu en mener ou souhaiter qu’il le fasse.
Pourtant, il ne nie pas le problème racial, la persistance de la blessure
raciale ni le fait que la constitution n’avait pas aboli l’esclavage ; c’était
impossible à l’époque et la constitution n’aurait jamais été adoptée29. Il ne
nie pas non plus la longue histoire de la ségrégation et rappelle que malgré
les trois amendements adoptés après la guerre de Sécession, celle-ci a
perduré avec toutes ses conséquences économiques, sociologiques,
psychologiques jusqu’aux années 1960. Sa mission, avec l’aide de tous les
Américains, consiste à continuer sur cette voie vers l’égalité, cette égalité
des chances qui ne doit pas être uniquement juridique.
« C’est l’une des tâches que nous nous sommes fixées au début de
cette campagne – continuer la longue marche de ceux qui nous ont
précédé, une marche pour une Amérique plus juste, plus égale, plus libre,
plus généreuse et plus prospère. »30
En dernier lieu, Obama a gagné aussi parce qu’il a su optimiser
l’utilisation des médias, des publicités31, des technologies de l’information
et d’Internet en particulier32. Et sa campagne a été très bien financée33 car
le camp Obama ne s’est pas contenté de collecter des fonds sur Internet,
mais a mobilisé également par SMS, via les blogs et en particulier les
réseaux sociaux comme Facebook. Et jamais il n’a dévié de son
scénario : le changement, le changement, le changement possible, « Yes
We Can ».

29
« Ils finirent par signer le document rédigé, non encore achevé. Ce document
portait le stigmate du péché originel de l’esclavage, un problème qui divisait les
colonies et faillit faire échouer les travaux de la convention jusqu’à ce que les pères
fondateurs décident de permettre le trafic des esclaves pendant encore au moins vingt
ans, et de laisser aux générations futures le soin d’achever le travail [à savoir
l’abolition]. Bien sûr, la réponse à la question de l’esclavage était déjà en germe dans
notre constitution, une constitution dont l’idéal de l’égalité des citoyens devant la loi
est le cœur, une constitution qui promettait à son peuple la liberté et la justice, et une
union qui pouvait et devait être perfectionnée au fil du temps. » (« Discours sur la
race » prononcé le 18 mars 2008 à Philadelphie).
30
Idem.
31
La télévision a joué un rôle important et, grâce aux sommes collectées, Obama a pu
être présent via de nombreux spots télévisés, durant les primaires comme durant
l’élection générale. Il a même pu s’offrir un spot de publicité de 30 mn pour expliquer
la crise et les politiques qu’il envisageait de mettre en place pour y remédier.
32
Le rôle d’Internet avait commencé en 2000, et pris une vitesse de croisière en 2004
sous l’égide d’Howard Dean qui était parvenu à collecter des sommes importantes par
ce moyen.
33
Il a refusé l’argent public lors de l’élection générale de façon à ne pas devoir limiter
ses dépenses électorales. Il a donc pu aussi faire appel à de nombreux spécialistes, ce
qui explique la qualité de ses discours et de son scénario immuable.

100 []
[ ]
Maintenant, si l’on admet qu’Obama est bien un homme providentiel,
il faut se demander s’il peut exister dans la durée et « sauver le monde »
alors que les invariants internes et extérieurs de l’époque Bush n’ont pas
changé. Le risque pour l’homme providentiel est l’épreuve du pouvoir et la
confrontation avec la réalité ; le sauveur risque alors d’être désacralisé et
son salut ne peut venir que du recours aux classiques armes de la crainte et
de la manipulation afin de détourner l’attention des foules. À cet égard,
Obama a été assez peu populiste pendant la campagne et se montre
relativement transparent (l’une de ses promesses…) maintenant qu’il est au
pouvoir. Il n’a pas caché au peuple américain la gravité de la crise ; il l’a
appelé à faire des sacrifices et à être patient. Mais si les sondages pendant
les six premiers mois ont montré que les électeurs dans leur ensemble (si
l’on excepte quelques irréductibles républicains) voulaient qu’il réussisse, la
donne a changé durant l’été 2009 avec la révolte contre le plan de santé, les
dures réalités de la vie politique à Washington, le poids de l’administration
et la puissance des lobbies.
À cet égard la réforme du système de santé est un test. Le président est
omniprésent, en personne directement et indirectement, au Congrès et
dans les médias, mais cela peut-il suffire ? Car il est non seulement attaqué
par les républicains mais il est aussi contesté par certains démocrates, les
Blue Dog democrats qui s’inquiètent du déficit budgétaire, d’autres qui ont
peur pour leur réélection en novembre 2010 et plus largement par les
indépendants et les mécontents au sens large (les manifestants Tea Party en
souvenir de la lutte contre les anglais en 177534). Alors se pose la grande
question soulevée par Machiavel expliquant que le vrai leader doit être
aimé et craint. Obama est encore aimé (malgré sa chute dans les sondages
fin 2009 et début 2010 et les deux défaites de novembre 200935), mais est-il
suffisamment craint au plan international par l’Iran, la Chine, Israël ou la
Corée du Nord et à l’intérieur par les membres de son parti dont il a besoin
pour faire adopter les réformes ? La réponse est non sans que ce soit
uniquement de son fait.
Au plan international, Obama est prisonnier de son héritage et les
États-Unis peinent à retrouver leur leadership dans un monde multipolaire
sur lequel planent les menaces nucléaires et au sein duquel émergent les
nouvelles puissances économiques36. Et à l’intérieur, la relative impuissance
du président est due au système politique américain qui n’est pas
34
C’est ce soulèvement sous-estimé par les démocrates qui explique en janvier 2010 la
perte très symbolique et lourde de conséquences politiques du siège occupé par le
sénateur Kennedy pendant plus de 40 ans au Massachussetts.
35
Deux postes de gouverneurs, en Virginie et dans le New Jersey, passent aux
Républicains en grande partie parce que les électeurs, jeunes en particulier, qui ont
porté Obama au pouvoir ne se sont pas mobilisés.
36
Voir Fareed Zakaria, L’Empire américain : l’heure du partage, Paris, Saint-Simon, 2009.

[] 101
[ ]
parlementaire37. Les Blue Dog Democrats, et plus largement tous les membres
du Congrès, n’ont pas besoin du président mais ils se doivent de satisfaire
leurs électeurs s’ils veulent être réélus, en leur apportant le « bacon », selon
l’expression traditionnelle, c’est-à-dire des petits cadeaux que sont créations
d’emplois et constructions diverses, nécessaires ou non. Il leur faut coller
aux préoccupations de leur électorat et celui-ci, dans certains États,
s’inquiète du déficit budgétaire, des licenciements qui continuent, du projet
de réforme de santé qualifié de « socialiste » et de Wall Street qui s’est
remise à distribuer des bonus. Or, les élections de mi-mandat sont dans
moins d’un an. Les 435 membres de la chambre et un tiers des sénateurs
devront se représenter devant les électeurs et tenter de se faire réélire…

Pourtant, au moment où il se débat et se démène, Obama obtient le


prix Nobel de la paix et ce, de façon bien prématurée, disent ses
adversaires. Faut-il y voir une preuve supplémentaire que les hommes
d’Oslo ont eux aussi voulu récompenser l’homme providentiel, l’homme
qui a su rendre l’espoir au monde et à l’Amérique, l’homme qui à défaut de
décréter la paix d’un coup de baguette magique a su créer un nouveau
climat pour la politique internationale, de nouveau centrée sur le dialogue,
la main tendue, le multilatéralisme et l’ONU ?
La notion d’échec est relative et subjective mais si Obama devait
échouer, que resterait-il ? Beaucoup sans doute et deux choses au moins. Il
restera un changement d’image de l’Amérique qui ne peut plus aussi
facilement être qualifiée de grand Satan et la gigantesque bouffée d’oxygène
d’un Président qui ressemble au monde que décrit Fareed Zakaria dans son
ouvrage. Et surtout, toute une génération aux États-Unis et dans le reste
du monde grandira en tenant pour acquis que la plus haute fonction
politique dans la plus grande démocratie du monde peut être occupée par
un Afro-Américain38 et que finalement le rêve américain, si décrié
récemment, existe encore bel et bien.

37
Anne Deysine, Les États-Unis aujourd’hui, Paris, La Documentation française, 2006 ;
Justine Faure et Pierre Melandri, dir. « l’Amérique de George Bush », Vingtième Siècle.
Revue d’histoire, n°97, 2008.
38
Les esprits avaient été préparés par Hollywood.

102 []

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