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Centre Scientifique et Technique du Bâtiment


Laboratoire de sociologie urbaine générative
4 avenue du Recteur Poincaré
75782 Paris cedex 16
Tél : 01.40.50.29.27
Fax : 01.40.50.28.86

LABORATOIRE DE SOCIOLOGIE URBAINE GENERATIVE

L’AMELIORATION DE LA GESTION URBAINE :


UN ENJEU MAJEUR DU DEVELOPPEMENT URBAIN DURABLE

MICHEL BONETTI
JEAN BOUVIER
AVRIL 2007
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SOMMAIRE

Introduction P. 3

1. Préambule : une conception dominante techniciste et réductrice du P. 3


développement durable

2. Du développement durable urbain au développement urbain P. 4


durable : l’enjeu de la pérennité des investissements

3. La réduction des consommations d’eau et d’énergie P. 4

4. La tendance à valoriser la réalisation de nouveaux équipements au P. 6


détriment de l’amélioration de la gestion

5. Les représentations économiques sous-tendant les décisions P. 6


d’investissement et la gestion des budgets de fonctionnement
réduisent la durabilité des équipements

6. Les processus de conception des équipements ne prennent pas en P. 8


compte les modes d’usage et les enjeux de gestion

7. L’incidence de la gestion urbaine sur le statut des habitants, la P. 10


ségrégation sociale, la cohésion sociale et l’insécurité
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INTRODUCTION
Les démarches de développement durable sont focalisées sur l’amélioration des techniques de
construction et de conception des infrastructures urbaines (voiries, réseaux d’eau et de
chauffage, etc…). Elles ne s’intéressent guère à l’amélioration de l’exploitation des bâtiments
et de ces infrastructures. L’univers de la gestion urbaine semble méconnu par les promoteurs
du développement durable, hormis la gestion des déchets.

Nous voudrions montrer dans cet article que l’amélioration de la gestion urbaine constitue un
enjeu majeur du développement urbain durable. En effet, le déficit de gestion urbaine
entraîne une dégradation rapide des bâtiments et des espaces urbains et réduit leur
durabilité. Ce déficit de gestion génère des charges d’investissement considérables, car il
conduit à engager des opérations de rénovation urbaine très coûteuses pour enrayer ces
processus de dégradation.

Dans la mesure où le développement durable est censé réduire les inégalités et favoriser la
cohésion sociale et la citoyenneté, on verra également que la médiocrité de la gestion
urbaine des quartiers d’habitat social contribue également à dévaloriser les habitants,
aggraver les processus de ségrégation sociale et déstructurer l’espace public.

Signalons au passage que la gestion urbaine intègre à notre sens l’ensemble des activités de
gestion de l’habitat, des infrastructures urbaines et des équipements.

1. PREAMBULE : UNE CONCEPTION DOMINANTE TECHNICISTE


ET REDUCTRICE DU DEVELOPPEMENT DURABLE
En France, à la différence des pays d’Europe du Nord, les promoteurs du développement
durable et tout particulièrement les écologistes tendent à développer une conception
techniciste extrêmement réductrice. Non seulement ils ne prennent guère en compte les enjeux
de cohésion sociale et de citoyenneté mentionnés précédemment, qui devraient sous-tendre les
démarches de développement durable, mais ils tendent à limiter ce champ d’action à la
réduction des consommations d’eau et d’énergie et au recyclage des déchets. Il y déjà
quelques années, lors d’un colloque organisé à l’Université de Delft aux Pays Bas dans le
cadre d’un programme européen consacré à la « réhabilitation durable », nous avons eu
l’occasion de faire une communication sur le concept « d’urban sustainable management »
Cette approche était jugée tout à fait pertinente, alors qu’en France il est très difficile de faire
comprendre cet enjeu

Paradoxalement, les spécialistes du développement durable ne se préoccupent guère de la


durabilité des constructions, des équipements et des aménagements urbains. Or la réduction
de la durabilité des infrastructures urbaines, liée à la fois à leur conception initiale et au déficit
de maintenance, accélère leur dégradation, ce qui nécessite de les réhabiliter ou de les
renouveler fréquemment. Cette dégradation accélérée nécessite de démolir les infrastructures
existantes et de les reconstruire, ce qui entraîne un gâchis considérable de matériaux et une
énorme consommation d’énergie, sachant en outre que la grande majorité de ces matériaux
n’est pas recyclée.
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2. DU DEVELOPPEMENT DURABLE URBAIN AU DEVELOPPEMENT


URBAIN DURABLE : L’ENJEU DE LA PERENNITE DES
INVESTISSEMENTS
Pour dépasser cette approche réductrice il est indispensable d’élargir le champ du
développement durable, en passant du développement durable urbain au développement
urbain durable. Contrairement aux apparences, ce changement sémantique n’est pas un
mauvais jeu de mot, mais recouvre un véritable changement de conception du développement
durable.

Le développement durable urbain se limite à appliquer les techniques favorisant la réduction


des consommations d’eau et d’énergie et le recyclage des déchets au champ urbain. Le
développement urbain durable vise plus largement à accroître la durabilité des bâtiments et
des aménagements urbains, à réduire les coûts de construction et de gestion et la
consommation de matériaux, d’eau et d’énergie.

Il inscrit la temporalité comme référent majeur. Les économies réalisées sont évaluées dans la
durée , et donc vraiment en adéquation avec le concept de développement durable. Cela
conduit bien entendu à concevoir les équipements en se fondant sur une approche en terme de
coût global et de consommation énergétique et matérielle intégrant la construction,
l’exploitation et le remplacement de ces équipements.

On conçoit aisément que le déficit d’entretien des équipements entraîne leur dégradation et la
réduction de leur durée de vie. Une mauvaise organisation des systèmes de gestion accroît les
coûts d’entretien. Si on tarde en effet à repérer des dysfonctionnements techniques, des
avaries mineures peuvent générer des coûts de réparations considérables. C’est le cas
classique des fuites dans les toitures ou les réseaux d’eau, ou bien des infiltrations dans les
façades qui peuvent s’aggraver et entraîner des dégâts très importants lorsqu’elles ne sont pas
repérées et réparées rapidement, jusqu’à provoquer de véritables sinistres. C’est aussi le cas
trivial de la formation des nids de poule qui peuvent s’étendre et nécessiter la réfection entière
des voieries s’ils ne sont pas bouchés régulièrement.

On peut également évoquer la dégradation des bâtiments due à l’humidité lorsqu’on


n’entretient pas régulièrement les systèmes de ventilation des sous-sols, des parties communes
des immeubles et des logements.

3. LA REDUCTION DES CONSOMMATIONS D’EAU ET D’ENERGIE


L’amélioration de la gestion urbaine permet de réduire de manière significative les
consommations d’eau et d’énergie. On sait en effet que le manque d’entretien des réseaux
d’approvisionnement en eau entraîne en moyenne une perte de 30% de l’eau potable.
Ajoutons à cela que l’état souvent déplorable des réseaux d’assainissement peut provoquer la
pollution des nappes phréatiques.

On sait également que le détartrage et l’amélioration de l’équilibrage des réseaux de


chauffage et le réglage des systèmes de régulation permettent de réduire de manière
substantielle les consommations d’énergie. Il n’est pas rare que les habitants des étages élevés
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des immeubles se plaignent du manque de chauffage, alors que les logements des étages
inférieurs sont surchauffés, obligeant leurs occupants à ouvrir les fenêtres en plein hiver.

A travers des démarches de gestion astucieuses visant à sensibiliser les habitants aux enjeux
relatifs aux économies d’eau et d’énergie, il est en outre possible de modifier leurs pratiques
et de réduire sensiblement les consommations.

4. LA TENDANCE A VALORISER LA REALISATION DE NOUVEAUX


EQUIPEMENTS AU DETRIMENT DE L’AMELIORATION DE LA
GESTION
Le peu d’importance accordée à l’amélioration de la gestion dans les démarches de
développement durable n’est que l’expression d’un phénomène social et politique plus large,
qui tend à valoriser la conception et la réalisation de nouveaux équipements au détriment de
l’amélioration de l’entretien des équipements existants.

La gestion urbaine recouvre un ensemble d’activités profondément dévalorisées car elles


consistent à nettoyer, réparer, entretenir régulièrement, pour ne pas dire inlassablement les
infrastructures existantes. Il s’agit d’activités répétitives apparemment simples qui paraissent
peu créatives, assurées pour une large part par des agents dont les métiers sont également
dévalorisés (agents de ménage ou d’entretien, éboueurs, cantonniers, gardiens d’immeubles,
etc…).

Or une analyse approfondie des activités de gestion urbaine montre qu’elle repose sur des
systèmes d’organisation complexes, car elles nécessitent la coordination de multiples
prestataires dont les logiques d’action et les modes d’intervention sont très différents. Ces
activités exigent en fait beaucoup d’ingéniosité pour être réalisées efficacement. Leur
dévalorisation tient aussi au fait que la réparation d’équipements vétustes ne permet pas de
restaurer la qualité que peuvent offrir des appareils flambants neufs et s’apparente souvent à
du ravaudage.

Tous ces facteurs conduisent à privilégier la réalisation de nouveaux équipements, car cette
activité séduit à la fois les concepteurs, les ingénieurs et les responsables politiques qui ont
ainsi l’occasion d’innover, de créer de nouveaux objets, alors qu’il ne font souvent que
remplacer des infrastructures existantes, sachant que ces nouveaux objets ne sont pas toujours
plus performants que ceux auxquels ils se substituent.

5. LES REPRESENTATIONS ECONOMIQUES SOUS-TENDANT LES


DECISIONS D’INVESTISSEMENT ET LA GESTION DES BUDGETS
DE FONCTIONNEMENT REDUISENT LA DURABILITE DES
EQUIPEMENTS
Le statut privilégié conféré aux nouveaux équipements au détriment de leur gestion renvoie
aux représentations sous-tendant les décisions d’investissements et la gestion des budgets de
fonctionnement et aux modes d’articulation entre ces deux formes de rationalité économique.

La réalisation d’un nouvel équipement représente souvent un investissement important (dont


on mesure rarement la durabilité). Mais ce genre d’investissement paraît en général aisément
justifiable, car il se traduit par la création d’un nouvel objet tangible, souvent innovant,
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parfois prestigieux, qui peut marquer le paysage urbain. De ce fait ce genre d’investissement
offre une forte valeur ajoutée symbolique, indépendamment de son utilité réelle.

Par contre les activités de gestion urbaine se limitent à préserver les équipements existants, à
maintenir leur durabilité. Elles ne semblent rien créer de nouveau, de sorte que leur
financement est souvent difficile à justifier. Dans les représentations des gens qui disposent
d’un bien, il est difficile d’accepter d’avoir à dépenser de l’argent simplement pour que ce
bien continue à fonctionner. C’est pourquoi les budgets de fonctionnement, qui permettent de
financer la gestion urbaine, sont généralement limités. Ils apparaissent comme un coût sans
réelle contre partie. Coût d’autant plus difficile à accepter que les réparations qu’il permet de
réaliser sont souvent médiocres.

Plus profondément, la rationalisation de la société tend à développer des représentations selon


lesquelles les objets techniques fonctionnent tout seul et sont inaltérables, et rend difficile le
fait d’accepter qu’il faille les entretenir en permanence .Ces processus sont aggravés par le
fait que l’Etat finance généreusement des investissements, et rarement les dépenses de
fonctionnement. Au cours des vingt dernières années les subventions des pouvoirs publics à la
réhabilitation des logements sociaux, qui pouvaient atteindre jusqu’à 40 % des
investissements, ont dissuadé les bailleurs d’entretenir leur patrimoine. Désormais les
programmes de rénovation urbaine financés par l’Etat ont des effets similaires.

Nous fonctionnons dans un régime économique fondé sur des représentations symboliques
qui limitent les budgets d’entretien et qui favorisent le financement des investissements .De ce
fait il n’est pas rare que l’on renonce à réparer certains équipements car on ne dispose pas des
budgets d’entretien nécessaires. Par contre on trouve aisément les moyens d’investissement
nécessaires pour les remplacer… alors que cela peut représente un coût 10 fois supérieur à
leur entretien régulier. Cette fascination pour ces investissements symboliques conduit
actuellement à détruire des immeubles qui pourraient aisément être restaurés
moyennant une amélioration de leur gestion. Dans le cadre de missions d’assistance à
certains bailleurs sociaux visant à améliorer la gestion urbaine, nous avons pu ainsi requalifier
des immeubles relativement récents promis à la démolition. Ces immeubles s’étaient
progressivement dégradés car leur gestion avait été délaissée pendant des années.

C’est ainsi que les représentations associées aux budgets de fonctionnement et aux
investissements conduisent à réduire les moyens de gestion et à renouveler rapidement
les équipements existants. La réduction des moyens d’entretien accélère la dégradation des
équipements, ce qui réduit leur durabilité et justifie en retour la nécessité de réaliser des
investissements dispendieux pour les remplacer. Nous sommes donc dans un système
économique fondamentalement antinomique avec les principes du développement
durable, qui visent à accroître la durabilité des équipements.

De nombreux acteurs invoqueront le fait qu’il est souvent plus coûteux de réhabiliter des
équipements que de les démolir et d’en reconstruire de nouveaux. Ils ont souvent raison, à
ceci près qu’ils omettent de dire que les coûts de réhabilitation sont effectivement très élevé…
quand les équipements concernés n’ont pas bénéficié d’un entretien digne de ce nom depuis
leur création, quand ils n’ont pas été purement et simplement laissés à l’abandon, comme
c’est le cas de certains quartiers d’habitat social.
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6. LES PROCESSUS DE CONCEPTION DES EQUIPEMENTS NE
PRENNENT PAS EN COMPTE LES MODES D’USAGE ET LES
ENJEUX DE GESTION
On a vu que les équipements urbains tendent à se dégrader rapidement en raison du déficit des
moyens, des systèmes de gestion et des représentations économiques qui sous-tendent le
financement de ces activités et les décisions d’investissement. Mais cette dégradation
accélérée s’origine dans les modes de conception même, qui ne prennent pas en compte
ni les modes d’usage, ni les enjeux de gestion.

L’implantation des équipements entraîne souvent un gâchis d’espace alors que l’économie du
foncier urbanisé constitue un enjeu majeur du développement durable : voieries
surdimensionnées, grandes nappes de parkings formant de véritables glacis, positionnement
des bâtiments au beau milieu des parcelles, multiplication des vides urbains et des espaces
résiduels inutiles, etc…Il est nécessaire de gérer et d’entretenir tous ces espaces inutiles,
ce qui accroît démesurément les coûts de gestion. Comme les villes ont rarement les
moyens de gérer ces espaces démesurés, ils tendent à se dégrader rapidement, ce qui oblige à
les rénover fréquemment .A cela s’ajoute le fait que ces espaces sont souvent minéralisés, au
lieu d’être traités avec des revêtements absorbants, ce qui accroît les pertes d’eau et les coûts
de gestion des réseaux d’assainissement.

Comme la conception des espaces ne prend pas en compte les attentes et les modes
d’usage des habitants, ils sont inadapté à leurs pratiques et ceux-ci respectent peu leur
environnement et contribuent aussi à leur dégradation. Cela va des cheminements piétons ne
correspondant pas aux pratiques des habitants , aux espaces confus ou inutiles dont l’usage
n’es pas clair, en passant par les parkings ou les containers à ordures mal positionnés.

La multiplication des espaces résiduels à entretenir, la conception d’espaces ou de locaux


difficilement accessibles pour les agents d’entretien, la création d’édicules en tous genres dont
l’utilité est douteuse, la fragilité des matériaux utilisés, accroîssent à la fois les difficultés de
gestion et les coûts d’entretien. On peut prendre un exemple trivial : quant on voit une
prolifération d’espaces verts fragmentaires de quelques mètres carrés chacun, inaccessibles
avec une tondeuse, on se demande comment on peut les entretenir. A cela s’ajoute la
conception d’espaces labyrinthiques (favorisant au passage le développement de l’insécurité)
et la confusion fréquente entre les espaces privés et publics, qui ne permet pas de définir
clairement quels sont les acteurs qui doivent en assurer la gestion.

Les concepteurs ne tiennent pas compte du fait que la complexité et la confusion des
espaces accroissent les difficultés d’entretien, ce qui décourage le personnel d’entretien
qui tend alors à désinvestir son travail et à laisser à l’abandon les espaces dont la gestion lui
pose problème. Ce gâchis tient pour une part au fait que les usagers sont rarement consultés
lors de la conception des projets urbains et ceux-ci ne reposent pas sur une analyse des usages
et du fonctionnement social urbain.

Mais il est encore plus lié au fait que les gestionnaires qui doivent pourtant assurer
l’exploitation et l’entretien futur des nouveaux équipements sont rarement impliqués
dans les processus de conception, ni même associés à l’évaluation des avant-projets. Une
nouvelle fois, ceci est du à la dévalorisation de ces activités au regard du prestige accordé aux
concepteurs. Il est curieux de constater que ceux qui sont censés utiliser les équipements, ceux
auxquels ils sont destinés, et ceux qui doivent les faire fonctionner et assurer leur pérennité,
sont écartés de ces processus de conception.
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L’enjeu majeur du développement durable ne réside pas seulement dans l’invention de
nouvelles techniques moins polluantes et plus performantes sur le plan énergétique mais
également dans la transformation de l’organisation des processus de conception et des
processus de décision.

¾ La réticence à transformer les modes d’organisation de la gestion urbaine menace


la pérennité des investissements

Bien que l’on puisse souvent déplorer la faiblesse des moyens consacrés à la gestion urbaine
résultant de sa dévalorisation, çà n’est généralement pas le problème majeur. On se rend
compte en effet qu’avec des moyens similaires, certains quartiers sont relativement bien
gérés, alors que d’autres sont profondément dégradés, voire laissés à l’abandon.

Les compétences des responsables et des agents et surtout la pertinence des modes
d’organisation mis en place et les formes de coopération entre les différents prestataires
conditionnent largement l’efficacité des moyens dont disposent les villes.

La tendance très française à pousser à outrance la spécialisation des services, à balkaniser les
modes d’intervention et à les cloisonner, réduit fortement leur efficacité et accroit
sensiblement les coûts de gestion. Cette spécialisation forcenée multiplie les centres de
décision, génère des cultures professionnelles et des logiques d’action hétérogènes, dilue les
responsabilités et accroît les sources de conflit. Alors que l’on sait construire des TGV, des
fusées Ariane et des Airbus (certes avec certaines difficultés de coopération), dans certaines
villes il faut plus de six mois pour enlever des épaves ou supprimer les déchets accumulés sur
un terrain vague.

Il est surprenant qu’il faille faire intervenir une dizaine de services différents pour gérer un
bout de rue : entretien des réseaux, des voieries, de l’éclairage public, des espaces verts,
services de ramassage des ordures ménagères, des encombrants de la propreté. Les services
propreté sont souvent découpés en plusieurs unités: nettoyage à pied, en voiture, à cheval (le
dernier n’existe pas encore, mais çà ne saurait tarder).

Cette situation n’inquiète pas outre mesure les responsables qui semblent parfaitement s’en
accommoder. Il est en effet difficile de les convaincre qu’il faut modifier en profondeur ces
modes d’organisation archaïques pour accroître leur efficacité.

Les démarches d’amélioration de la gestion urbaine sont souvent timides et se limitent


généralement à l’amélioration de certains modes d’intervention .Cette réticence des
dirigeants des organisations publiques à modifier ces modes d’organisation, à recomposer et
réorganiser les différents services ,est due au fait que cela nécessite de remettre en cause les
pouvoirs des responsables des différents services, les cultures professionnelles et les modes de
faire des agents, les modes de relations entre les différents prestataires, etc… Ils craignent de
susciter des conflits qu’ils ne parviendraient pas à maîtriser. Leurs craintes sont souvent
amplifiées par l’échec des tentatives de chargement qu’ils ont essayé d’impulser. Or ces
échecs sont souvent dus au fait qu’ils maîtrisent assez mal les démarches de conduite du
changement. Leur culture dans ce domaine est souvent assez limitée.

Il ne suffit pas en effet d’imposer de nouveaux modes d’organisation pour générer un


processus de changement. On ne fait alors que renforcer l’hostilité des agents, et ce genre
d’approche est immanquablement voué à l’échec, comme en témoignent les multiples
tentatives de réforme des services publics qui ont obéi à ce modèle. Il est en effet nécessaire
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d’associer l’ensemble des responsables et des agents à ces démarches de changement,
mais également les usagers, et mettre en place des dispositifs de conduite de projet et des
processus de formation-action ambitieux, si on veut opérer des transformations significatives.

On se rend compte que cette réticence face à la nécessité de transformer les organisations
assurant la gestion urbaine se traduit par une dégradation des espaces urbains, qui menace la
pérennité des aménagements réalisés. Faute de pouvoir améliorer la gestion urbaine en
transformant les organisations qui la produise, on est donc amené à rénover fréquemment ces
infrastructures, en contradiction donc avec les impératifs du développement durable.

L’engagement de véritables démarches de développement durable nécessite donc de


transformer en profondeur les organisations publiques en charge de la gestion urbaine.
On a déjà vu que ces démarches exigent de modifier les processus de décision et de
conception. Les problèmes d’organisation sont donc au cœur des enjeux de développement
durable.

7. L’INCIDENCE DE LA GESTION URBAINE SUR LE STATUT DES


HABITANTS, LA SEGREGATION SOCIALE, LA COHESION
SOCIALE ET L’INSECURITE
La conception techniciste du développement durable qui prévaut en France n’intègre pas les
enjeux relatifs au fonctionnement social urbain concernant le statut conféré aux habitants, la
ségrégation et la cohésion sociale, ou le développement de l’insécurité. Ces questions sont
pourtant au cœur des principes fondateurs du développement durable.

Nos travaux de recherche montrent clairement que l’amélioration de la gestion urbaine


contribue de manière décisive à la revalorisation du statut social des habitants et à la réduction
de la ségrégation sociale. Le déficit de la gestion urbaine entraîne une dégradation des
espaces urbains qui se traduit par une dévalorisation des quartiers concernés et de leurs
habitants. Cette dévalorisation conduit les couches sociales les plus favorisées (ou les moins
défavorisées) à quitter ces quartiers et à les stigmatiser, ce qui accroit la ségrégation sociale.

La dégradation et la dévalorisation des quartiers est perçue comme un manque


d’attention, voire un abandon et une forme de mépris à l’égard des habitants de la part
des pouvoirs publics Ceux-ci perdent alors toute confiance dans l’action des pouvoirs publics
et tendent à désinvestir le champ politique et ne se reconnaissent donc pas réellement comme
des citoyens à part entière.

La qualité de la gestion urbaine d’un quartier résulte en effet d’un processus sociologique et
politique assez général, qui conduit à ce que l’attention des pouvoirs publics à l’égard des
citoyens soit fonction de leur statut social, contrairement aux principes d’égalité de l’idéal
républicain qu’ils proclament. Les différences de modes gestion des Etablissement scolaires
selon les quartiers dans lesquels ils sont implantés et des populations qui les fréquentent
attestent clairement ces différences d’attention. Ceci tient au fait que les classes supérieures
disposent de capacités de pression sur les services publics beaucoup plus importantes que les
populations en difficulté. Mais c’est aussi lié à l’attitude des responsables et des agents de ces
services ,qui tendent à intérioriser leurs exigences On en a la preuve flagrante lorsque des
couches moyennes ou supérieures viennent s’installer dans des quartiers jusqu’alors
dévalorisés, dont la gestion urbaine est déplorable. En effet, comme par enchantement, les
pouvoirs publics s’efforcent alors d’améliorer la gestion de ces quartiers
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La dégradation des quartiers résultant d’un déficit de la gestion urbaine signifie
également que les pouvoirs publics ont perdu la maîtrise de l’espace public et ne sont pas
en mesure d’assurer une régulation sociale de ces espaces. Ceci entraîne un délitement des
règles de vie collective et un développement des tensions entre les habitants et de la
délinquance.

On voit donc que la gestion urbaine est au cœur des enjeux de citoyenneté et de
ségrégation sociale et un élément majeur de la régulation sociale de l’espace public, et
donc du fonctionnement de la société. A ce titre elle est donc un élément clé d’une
conception sociétale du développement durable. Malheureusement, la majorité des acteurs
a une très faible conscience de l’incidence des modes de gestion urbaine sur les processus
sociaux, car ils partagent une conception fonctionnelle de ces activités et n’en perçoivent pas
réellement les effets sociaux, les effets sur le fonctionnement social urbain des quartiers. Il est
donc indispensable de modifier ces représentations de la gestion urbaine. Mais on a vu qu’il
fallait également faire évoluer la conception relativement techniciste du développement
durable pour intégrer ces enjeux.

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