Approche de Lautoformation Existentielle
Approche de Lautoformation Existentielle
Approche de Lautoformation Existentielle
Séquence 8
Il n’est pas aisé d’introduire à l’autoformation existentielle, qui échappe souvent à une
définition précise. Certainement n’existe-t-il pas encore à ce jour de définition tout à fait
convaincante, qui serait capable d’en rendre compte dans sa totalité, dans toute sa
profondeur. Il s’agit d’un champ de recherche à ciel ouvert, encore insuffisamment balisé,
mais extrêmement riche. Entre autoformation existentielle et formation expérientielle, cette
séquence et la suivante tentent d’éclairer cet objet central de l’éducation, la formation de
l’être.
Il s’agit de cette autoformation intime, qui s’exprime sous la forme de la réflexivité interne du
sujet confronté à ses expériences de vie - d’où sa proximité avec la notion de formation
expérientielle (Courtois, 1995). Les méthodes d’investigation en sont alors les histoires de
vie http://membres.lycos.fr/siteasihvif/histoires/som.htm, l’autobiographisation (Delory-Momberger, 2000,
2003) ou encore la pratique du blasonnement (Galvani, 1997). L’autoformation existentielle
embrasse toutes les périodes de la vie du sujet, en tous lieux et toutes circonstances, et elle
est déterminante dans l’éducation permanente.
Il est possible de trouver des traces d’autoformation existentielle dans toutes les formes
d’autoformation (autodidaxie, autoformation sociale ou éducative), dans le mesure où toute
formation conduit l’individu à changer en son être même, ne serait-ce que par l’altération due
à un apprentissage nouveau, quel qu’il soit, même s’il ne vient modifier qu’une part minime
de la personnalité.
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Dans toute vie, dans tout acte d’autoformation, se trouve souvent une interrogation
importante de l’être sur lui-même, même si cette interrogation n’est pas formulée comme
telle ni tout à fait conscientisée. Il s’agirait de découvrir une façon d’être qui traduise vraiment
ce que l’on est, en résonance avec les autres et le monde, ce que Ludwig Binswanger
(1971) nomme dans son Introduction à l’analyse existentielle la « présence au monde dans
et avec le monde ».
Que le monde se révèle à soi et qu’on se révèle à lui, avec l’intensité que cela nécessite
pour qu’il y ait vraiment présence réciproque, réclame une démarche, un travail de la
personne, qui tente d’être le plus elle-même, à la fois dans les contacts qu’elle établit avec le
monde, dans les actions qu’elle pose. L’objectif n’est pas déterminé d’avance, la démarche a
affaire avec l’incertitude, et rien ne montrera clairement que le processus existentiel est
achevé, c’est seulement l’acte, la démarche elle-même qui semblent compter.
La personne possède un soi mystérieux profond qui est irréductiblement sien, qui se
manifeste dans sa façon « d’être là », présente dans et avec le monde, et c’est ce soi qui
permet à son autonome de se déployer, de se développer entre l’environnement (la
dimension éco – l’environnement physique, végétal, animal) et les autres (la dimension
hétéro – essentiellement les autres), l’autonomie ne signifiant pas, il faut le répéter,
isolement et retrait du monde, mais capacité d’y évoluer de façon originale et personnelle.
C’est une vision propre du monde qui se développe, une parole qui sera dite sur lui,
différente des autres visions et autres paroles déjà connues.
L’autoformation existentielle formule l’hypothèse que chacun peut trouver le chemin menant
à lui-même, s’écartant des déterminismes http://1libertaire.free.fr/Bourdieu08.html forgés par les
sociétés, les familles, les cultures, les religions, les professions, etc.). Chacun peut découvrir
la forme de présence au monde qui est la sienne, qui n’existera qu’une seule fois dans
l’histoire des hommes. Développer cette capacité d’autoformation existentielle est un enjeu
essentiel de notre monde contemporain, techniciste et uniformisant.
Pour Philippe Mérieu interprétant la démarche existentielle de Perceval, peu importe au final
si cette unité de l’être sera réalisée, l’essentiel en est plutôt sa recherche, signant un individu
cessant de se résigner à n’être que l’objet d’impulsions multiples et contradictoires.
A l’identique, nous sommes tous des êtres faits de passé, précédés d’une lignée, entourés
d’une société, mais chacun peut trouver le chemin lui permettant de se projeter vers
demain, vers un avenir demeurant à écrire sur le ton de l’inachèvement. Tout cela pouvant
ramener à la définition de l’éducation donnée par Pestalozzi
http://www.silapedagogie.com/johann_pestalozzi.htm « Faire en sorte que chacun se fasse œuvre de lui-
même ». Par extension, en faisant retour et examen de lui-même dans le creuset de son
autoformation existentielle, chacun ferait du même coup œuvre de lui-même et
potentiellement de sa vie une œuvre d’art.
5. L’approche philosophique-existentielle
« Existence » selon la définition donnée par Louis-Marie Morfaux (Morfaux, 1980, p. 116) est
un terme générique désignant la réalité non des choses mais du pour soi. « Le mot existence
est un des synonymes du mot réalité, mais grâce à l’accent mis sur lui par la philosophie de
l’existence, il a pris un aspect nouveau, il désigne ce que je suis fondamentalement pour
moi » (Karl Jaspers). « L’existence au sens moderne, c’est le mouvement par lequel
l’homme est au monde, s’engage dans une situation physique et sociale, qui devient son
point de vue sur le monde » (Merleau-Ponty).
essence par une liberté également sans justification : « L’homme n’est rien d’autre que son
projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble
de ses actes, rien d’autre que sa vie » (Sartre).
Etre un être humain, être une femme, un homme, c’est en tout premier lieu exister. Exister
signifie la capacité pour l’individu de créer ce qu’il est, de le conscientiser, par retour sur soi,
par une réflexion personnelle en intériorité. Différemment d’autres philosophies (le kantisme
ou l’hégélianisme http://perso.wanadoo.fr/sos.philosophie/hegel.htm) qui placent l’abstraction au premier
plan, l’essence de l’homme en tant que terme générique de l’humain, l’existence et sa
philosophie, accordent quant à elles à l’homme-individu la première place sans y voir une
vérité qui serait d’ordre universel.
Chercher le « sens » de quelque chose, c’est essayer de fixer son orientation, sa valeur
intrinsèque et sa signification vitale pour la communauté humaine. Par conséquent, se poser
la question du sens de l’éducation - et de notre auto-éducation ou autoformation existentielle
-, ce n’est pas seulement se demander ce qu’est l’éducation, c’est plutôt se demander ce
que nous en attendons, et du même coup ce que nous attendons de nous-mêmes.
Comme le souligne Elisabeth Marx, tout commence certainement du point de vue d’une
autoformation existentielle bien comprise par un travail sur soi, dans une remise en question
profonde des valeurs acquises, du mode de pensée et de comportement auquel elles
correspondent, des perceptions qui en résultent.
En guise d’illustration concrète, prenons les émotions - ces émotions qui jouent
vraisemblablement un rôle important dans l’autoformation existentielle – comme exemple
d’un moment existentiel fort, qui se traduit parfois par une perte de repères, par un sentiment
d’être au bord de l’abîme, face à soi-même.
L’émotion serait tout d’abord le décor général, le fait saillant de ces moments privilégiés et
particuliers de l’existence, qui sont à même de voir le mieux fleurir des mouvements
d’autoformation existentielle profonds.
La mort d’un proche, un sentiment amoureux, une souffrance psychique intense, une joie, ou
un accident quelconque suffisamment signifiant, sont de ces moments où l’ordre bien réglé
du monde dans lequel nous vivons semble vaciller (avec des intensités variables), comme
si à cet instant plus ou moins long, nous n’étions plus tout à fait semblable à nous-mêmes.
Par ce vacillement intérieur, nos perceptions et nos réactions face au monde s’altèrent, se
modifient par rapport à ce qu’elles sont habituellement. L’eau étale de notre vie est troublée
comme par la chute d’une pierre. Devant la mort d’un proche, nous relativisons nos centres
d’intérêt, nous mesurons la futilité et l’aspect dérisoire au final de certains de nos
engagements, de certaines de nos valeurs. L’absence de sens, la nécessité de sa quête
aussi, semblent soudainement éclater au grand jour. L’émotion vient nous bousculer
intérieurement, nous fait nous remettre en question, même si l’instant où elle survient n’est
pas durable, même si le quotidien finit par reprendre l’avantage.
Les émotions face à la mort, à l’amour, aux multiples événements de nos vies, nous
apprenons à mieux les connaître, à mieux les « apprivoiser », les « contrôler » peut-être.
Même s’il nous arrive de dire « je ne m’y ferai jamais », par leur intermédiaire nous en
venons néanmoins peu à peu à mieux nous connaître aussi sur le registre existentiel.
L’homme durant les différentes étapes de son âge connaît toujours mieux ses façons de
réagir face aux circonstances lui procurant des émotions vives.
Ses émotions faisant au plus près partie de ce qu’il est, il apprend aussi à mieux se
connaître dans ce que son être a de plus sensible, ce quelque chose qui souvent ne lui
apparaît qu’à lui-même, sans que personne d’autre ne puisse le ressentir à sa place avec
autant de précision et d’acuité fine.
L’émotion, c’est aussi fréquemment ce qui n’est pas programmable et est non programmé.
Elle nous place directement face à nous-mêmes sans préavis, nous met en demeure
« d’être » avec davantage d’intensité, elle mobilise des zones de facultés et de ressentis
habituellement ensommeillées, elle nous projette en nous-mêmes, comme cela nous arrive
rarement.
mot imprimé est devenu d’une importance primordiale et dévorante. On apprend la pensée
des autres, leurs opinions, leurs valeurs, leurs jugements et toutes leurs diverses et
innombrables expériences. La bibliothèque est plus importante que le propriétaire des livres.
Lui-même est à la bibliothèque, et il est persuadé qu’il apprend en lisant constamment (…).
Apprendre ce qu’est la nature de la pensée, qui est le mouvement même de la pensée, non
pas dans un livre, mais par l’observation du monde autour de soi – examiner ce qui se passe
exactement, sans références à des théories, des préjugés, des valeurs, c’est l’éducation. Les
livres sont importants, mais ce qui l’est beaucoup plus, c’est d’étudier le livre, l’histoire de
soi-même, parce qu’on est l’humanité tout entière. Lire ce livre, c’est l’art d’apprendre. Tout y
est : les institutions et leur pressions, les duperies et les doctrines religieuses, leur cruauté et
leurs croyances. La structure sociale de toutes les sociétés c’est la relation entre les êtres
humains, avec leur avidité, leurs ambitions, leur violence, leurs plaisirs, leurs anxiétés. Tout y
est si vous savez regarder. Le livre n’est ni au-dedans de vous ni loin de vous. Il est tout
autour de vous : vous êtes partie de ce livre. Il vous raconte l’histoire des êtres humains et
doit être lu dans vos relations, dans vos réactions, dans vos concepts et vos valeurs. Le livre
est le centre même de votre être et apprendre, c’est lire ce livre avec un soin minutieux. Il
vous raconte l’histoire du passé, comment le passé façonne votre esprit, votre cœur et vos
sens. Les êtres humains se trouvent pris dans ce mouvement sans fin. C’est le
conditionnement de l’homme. Ce conditionnement a été le constant fardeau de l’homme, de
vous-même, de votre frère. L’éducation est l’art d’apprendre ce qu’est ce conditionnement et
le moyen d’en sortir, de se délivrer de ce fardeau. Il y a une issue qui n’est pas une évasion,
qui n’est pas l’acceptation des choses telles qu’elles sont. Ce n’est pas d’éviter ce
conditionnement, ni de le supprimer, c’est de le dissoudre » (Krishnamurti, 1989, p. 83).
Mais, comme le remarque Margalit Cohen-Emerique, il est néanmoins très difficile pour le
sujet lui-même d’acquérir une connaissance du dedans, « émique ». Le lien de la personne
avec son environnement structure sa personnalité au plus profond de son être, ce lien est
une partie intégrante de sa subjectivité, qui peut engendrer d’autres façons de penser et de
sentir. Notons au passage que pour un chercheur se penchant sur ce type d’autoéducation
ou d’autoformation existentielle, il s’agit d’accéder à un autre type de connaissance de la
personne par identification à sa subjectivité. Il lui faut pénétrer dans sa vision du monde, et
choisir une démarche plus compréhensive qu’explicative, une méthode qualitative plutôt que
quantitative.
Mais lorsqu’il s’agit d’acquérir une connaissance du dedans, « émique », par empathie et par
identification – processus essentiel à toute relation interpersonnelle et fondement du
processus d’aide – la difficulté commence (Cohen-Emerique, 1991, p. 167). Pour identifier le
mieux son propre processus d’autoformation existentielle, chacun se doit d’aller chercher à
l’intérieur de lui-même, de s’observer de l’intérieur, en se détachant de références externes,
à la poursuite de sa propre logique et du sens ainsi produit, un sens qui serait vraiment le
sien.
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La recherche de soi-même, sur soi-même, sur ce qui est vécu et éprouvé sensiblement (par
l’émotion par exemple), est une sorte de rétroaction de l’individu pris dans le monde, qui
prend en compte son monde intérieur et le modifie, pour le faire rejaillir, après qu’il ait été
altéré, sur le monde lui-même, la société, l’environnement. Comme le note Walter Lanchet il
s’agirait, par une mutation progressive de l’esprit et du regard porté sur soi-même, d’être en
accord avec ce que l’on est, ce qui implique, grâce à l’interrelation constante et profonde
avec les éco et hétéroformation, une altération constante entre l’intérieur et l’extérieur, moi-
même et les autres.
Je peux alors exister par les autres, les autres pouvant exister à leur tour grâce à ce « moi-
même » mieux dégagé : « De là peuvent se dévoiler des choix existentiels personnels ayant
pour finalité première de sortir de soi et d’exister chez l’Autre » (Lanchet, 1999, p. 233),. Pas
plus que les autres formes d’autoformation celle se centrant sur la dimension existentielle
n’est enfermement sur soi. Elle est peut-être celle demandant la plus grande et la plus
profonde attention à soi, mais elle est finalement au service d’un mieux vivre et d’un mieux
être ensemble. Se mieux comprendre soi-même, c’est se donner les moyens de mieux
comprendre l’autre
Auto-évaluation
Bibliographie
BINSWANGER (L), 1971, Introduction à l’analyse existentielle, Paris, Editions de Minuit, 263
p.
FAURE (E) et al, 1972, Apprendre à être. Le monde pédagogique aujourd’hui et demain,
Paris, Unesco-Fayard.
KRISHNAMURTII (J), 1989, Lettres aux écoles, Vol 1 et 2, Paris, Krishnamurti Foundation
trust limited
LANCHET (W), 1999, « Note de lecture sur ‘’Autodidaxie et autodidactes, l’infini des
possibles’’ », Pratiques de formation/Analyses, n° 36, février 1999.
MEIRIEU (P), 1999, Des enfants et des hommes. Littérature et pédagogie. La promesse de
grandir, Paris, ESF, 134 p..