Pratiques Pedagogiques Dans Lenseignemen

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PRATIQUES PEDAGOGIQUES DANS L’ENSEIGNEMENT

SUPERIEUR ET RAPPORT AU SAVOIR DES ETUDIANTS

Quelles difficultés d’apprentissage ?

Promoteur de la recherche : Professeur Bernard Rey


Chercheurs : Dorothée Baillet, Dominique Compère, Anne Defrance, Alain Lammé,
Anne Vanderlinden

Contact
Université Libre de Bruxelles
Service des Sciences de l’Education
Avenue F. D. Roosevelt 50 – CP 186
1050 BRUXELLES
02 650 56 87

1. LA DEMARCHE DE RECHERCHE

Depuis les années septante, le taux d’étudiants dans l’enseignement supérieur (par
rapport à un même groupe d’âge) a quadruplé. Aujourd’hui, en Belgique francophone, plus de
50% des jeunes en âge de s’inscrire dans l’enseignement supérieur y accèdent. Cependant, la
question de la réussite en première année de l’enseignement supérieur – et de l’échec qui
touche deux étudiants sur trois – interpelle : si depuis ces trente dernières années,
l’enseignement supérieur connaît une massification importante, peut-on parler par la même
occasion d’une démocratisation de l’enseignement ? Si un des grands défis de l’enseignement
supérieur doit comporter l’assurance d’un accès à la qualification attendue des diplômes,
qu’elle soit axée sur la recherche ou sur la professionnalisation, l’autre défi est aussi très
certainement d’assumer cette massification tout en s’interrogeant sur les mécanismes de
l’échec qui freinent sa démocratisation.

Dans ce contexte, comment le principal concerné, l’apprenant, vit-il cette situation et


en particulier ses apprentissages ? Quels types de difficultés rencontre-il et quelles en sont les
raisons ? Une littérature abondante fait état de plusieurs hypothèses mettant souvent en
exergue des facteurs imputables à l’étudiant lui-même. D’autres études font état d’une
corrélation entre l’origine socioculturelle et les difficultés des étudiants à s’adapter aux codes
de l’enseignement supérieur : code linguistique, codes liés aux processus d’affiliation
institutionnelle et sociale, exigences implicites, etc. Mais dans ces études, les difficultés
rencontrées par les étudiants sont peut-être trop souvent envisagées comme la résultante d’un
manque ou d’un déficit : manque de motivation, manque de travail, manque de méthodes,
maîtrise insuffisante de la langue française, déficits cognitifs antérieurs attribués à
l’enseignement secondaire ou encore liés à la catégorie sociale.

Si ces études ont pu expliquer, en partie, l’origine d’un certain nombre de difficultés
rencontrées par les étudiants, il est apparu que certaines dimensions, concernant la
problématique de l’échec dans l’enseignement supérieur n’avaient pas encore été explorées.

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Le champ de recherche que nous avons investigué part davantage de l’hypothèse que,
pour aider les étudiants, il est aussi nécessaire d’étudier le rapport que ceux-ci entretiennent
avec le savoir en général, d’une part, et avec la nature spécifique des savoirs enseignés dans
l’enseignement supérieur, d’autre part. Ainsi, au lieu de partir du postulat que les difficultés
éprouvées par certains étudiants viennent de diverses carences, nous avons voulu mettre à
l’épreuve l’hypothèse que ces difficultés sont des effets de différentes façons d’être et
notamment de manières de concevoir le savoir et d’y accéder.

Dans une recherche précédente qui concernait l’Etude épistémologique, didactique et


textuelle des savoirs enseignés dans l’enseignement supérieur1, nous nous étions
volontairement limités à mettre en place des outils d’analyse de la forme des savoirs
enseignés dans certaines disciplines et selon différents contextes. Mais, à l’horizon, se posait
déjà la question qui a conduit les investigations rapportées ici : la forme du savoir influence-t-
elle (ou non) la réussite de l’étudiant ?

Une observation importante était ressortie de cette première investigation : dans cette
opération complexe qu’est la pratique enseignante dans l’enseignement supérieur,
l’enseignant tente de faire accéder les étudiants soit à une pratique de recherche, soit à une
pratique professionnelle. Nous avons constaté que cette transmission pose un certain nombre
de problèmes. Il n’existe pas de transmission d’une pratique au sens d’une « recette » qui
rendrait les étudiants compétents, mais bien des démarches d’enseignement qui exigent de ces
derniers de prendre en compte une série de contraintes le plus souvent implicitement
déclarées : comprendre des concepts qui ne sont pas clairement explicités au cours, affronter
des savoirs non stabilisés, affronter des problèmes spécifiques à une profession, etc.

La question suivante s’est alors posée: répondre aux exigences de ces différentes
contraintes implique-t-il une certaine forme de rapport au savoir, lui-même lié à un rapport au
monde (une façon de vivre, certaines attitudes) ?

Ceci nous a conduit à deux grands types d’interrogations :

• Quels rapports les étudiants entretiennent-ils, de façon générale, avec le savoir ? Et


ceci, en partant du postulat, comme nous venons de le signaler, que ce rapport au
savoir est déterminé par une certaine façon de vivre, par certaines attitudes, par un
certain type de rapport au monde.

• Comment ces étudiants perçoivent-ils certaines caractéristiques des savoirs enseignés


(forme de la situation didactique, éléments liés au degré de problématisation, type de
raisonnement spécifique à certains cours, type de contrat didactique, etc.) ? Comment
interagissent-ils avec ces caractéristiques ? Comment le travail des étudiants se
conjugue-t il avec le travail de l’enseignant ? Comment perçoivent-ils l’activité qu’on
leur demande d’accomplir et que mettent-ils en œuvre pour accomplir cette activité ?

L’approche descriptive de notre recherche sur la nature des savoirs et leurs transmissions,
rédigée sous forme de monographies, est cette fois réexaminée au travers d’une description de
la forme du rapport au savoir des étudiants.

1
Recherche subventionnée par la Communauté française – Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
scientifique (Recherche n°99/02)

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Concernant la présente étude, envisagée sur deux années, nous nous sommes proposés,
dans un premier temps (2003-2004), de réaliser notre analyse au travers de la parole de
quelques étudiants, dans le cadre d’entretiens semi-dirigés. Cette analyse a tenté d’établir sous
forme de monographies, une description des interrogations, malentendus et difficultés
rencontrés dans l’apprentissage d’un cours. Il ne s’agissait pas de décrire la personnalité de
chaque étudiant sélectionné, mais de mettre en relation un individu en situation
d’apprentissage − attaché à une histoire, à des convictions et à une manière de penser le
monde − avec les spécificités et les contraintes liées à la transmission du savoir enseigné.

Notons que le petit échantillon d’étudiants, avec lesquels nous avons eu ces entretiens,
n’avait pas la prétention d’être représentatif de l’ensemble de la population étudiante inscrite
dans une première année d’un enseignement supérieur. Sa visée était plutôt d’éclairer très
concrètement les différentes dimensions pouvant rendre compte du rapport au savoir des
étudiants interviewés, et ainsi d’infirmer ou de confirmer certaines hypothèses sur les
difficultés potentielles de ceux-ci. Ces dimensions sont développées dans notre cadrage
théorique.

Par suite, si cette première approche par entretiens n’avait essentiellement qu’une
visée exploratoire et qualitative, celle-ci nous a permis de construire avec plus d’acuité, au
cours de l’année académique 2004-2005, un questionnaire que nous avons adressé, cette fois,
à l’ensemble de la population étudiante concernée par les cours qui ont fait l’objet de notre
investigation. Nous avons ainsi tenté de vérifier si nous pouvions valider, d’une part la
construction de certaines dimensions du rapport au savoir, d’autre part les difficultés
répertoriées, et ceci auprès d’une population plus large.

2. CADRAGE THEORIQUE

Cinq dimensions du rapport au savoir susceptibles d’engendrer des difficultés


d’apprentissages

L’hypothèse de travail générale de la recherche était la suivante : la « réponse »


donnée par l’étudiant aux exigences des formes des savoirs enseignés dépend pour une grande
partie de son rapport au savoir, et des attitudes et démarches que ce rapport implique.

A l’issue de l’exploration d’un échantillon de cours, cinq dimensions qui tendent à


rendre compte du rapport au savoir de l’étudiant, ainsi que de certaines difficultés et situations
d’échec qui peuvent en résulter, ont été retenues: la dimension du sens, la dimension de ce qui
est important dans le savoir, le contrat didactique, la dimension du rapport identitaire/affectif
au savoir et les attitudes d’études. Au premier examen, elles apparaissaient en interaction.

2.1. Le sens des concepts ou des énoncés

Nous avons abordé cette question en reprenant à Gilles Deleuze (1969) la distinction
qu’il établit entre la signification et la désignation dans la production du sens d’un discours.

Dans l’enseignement supérieur, le discours de l’enseignant se présente bien souvent


comme un texte. Souvent, c’est un texte constitué de différents éléments : le discours oral de

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l’enseignant pendant les séances de cours, des supports projetés sur écran, le syllabus, des
documents ou des lectures auxquels les étudiants sont renvoyés, etc. Il s’agit bien d’un texte
(Rey B., 2002) car l’ensemble de ce qui est formulé a une cohérence (même quant le texte est
constitué d’éléments épars). De même, les « mots » qui constituent ces énoncés ne désignent
pas, en général, des choses extérieures que l’on pourrait voir ou toucher ; ils tiennent leur sens
de leurs relations mutuelles au sein du texte.
Dès lors, le sens du discours ne se dégage plus du rapport qu’entretiennent les énoncés
avec une réalité immédiate et concrète partagée entre les locuteurs – enseignant et enseignés –
mais émerge de la relation entre ces énoncés. A l’opposé, dans la vie courante, les énoncés
tirent leur sens du fait qu’ils réfèrent à des objets ou à des actions qui constituent
l’environnement actuel et familier des locuteurs. La parole est alors ancrée dans la situation
du moment. Pour exprimer cela, nous disons que le sens du discours de l’enseignant, tel qu’il
se présente dans l’enseignement supérieur naît, non pas de la désignation, mais de la
signification.

De nombreux étudiants rencontrés semblent éprouver une difficulté à penser le monde,


en dehors de cette simple expérience familière : quand l’étudiant rencontre un nouveau terme,
dans un cours, il voudrait qu’on le lui explique, c’est-à-dire, soit qu’on lui en donne la
définition à partir de mots qu’il connaît déjà, soit qu’on lui désigne le phénomène que ce
nouveau terme recouvre. Mais en réalité ce terme prend son sens de ses rapports avec d’autres
termes que l’étudiant ne connaît pas encore et qui, eux-mêmes, tirent leur sens de leur rapport
avec le premier. Dans un texte, la signification des termes est toujours mutuelle. La
présentation d’un cours qui privilégie ainsi la signification demande à l’étudiant une réelle
démarche d’intégration du discours enseigné à ses références personnelles. Cette intégration
du savoir est complexe et ne se réalise pas nécessairement de façon immédiate. C’est au terme
d’un parfois long parcours que s’opère pleinement cette appropriation : il faut donc savoir
patienter avant de vraiment comprendre.

Pour aider les étudiants, les enseignants du supérieur recourent souvent à deux
procédés qui, malheureusement peuvent entraîner de nouvelles difficultés :

- recourir à la désignation : donner des exemples du concept nouveau, ou du sens


nouveau qu’il prend dans la discipline enseignée, l’illustrer, montrer ou faire observer des
phénomènes ou des réalités qu’il recouvre ; mais souvent ces « exemples » n’indiquent que
partiellement et approximativement le sens du concept. Ils peuvent entraîner parfois de réels
contresens ;

- reconstruire le texte du savoir dans un ordre destiné au débutant, de telle manière que
toute notion nouvelle puisse être définie à partir de notions précédemment introduites dans le
texte ; quand aux notions de départ, elles sont définies à partir du sens commun et du
vocabulaire de la vie courante ; nous appelons « transposition didactique », cette
reconstruction du savoir dans un ordre « didactique » c’est-à-dire propice à l’apprentissage
par le débutant ; cette transposition didactique est pratiquée systématiquement dans le cas de
l’enseignement primaire et secondaire ; mais en rapprochant ainsi des notions propres au
savoir de notions du sens commun, on introduit parfois, dans l’esprit des élèves, de fausses
idées souvent tenaces.

Si la transposition didactique est une opération de l’enseignant sur le savoir du


chercheur, elle n’est pas nécessairement visible pour l’étudiant. Ce dernier attend souvent
qu’elle se manifeste par un traitement repérable : une progressivité dans la difficulté, un

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découpage clair du texte, des mises en œuvre systématiques des méthodes à appliquer, bref
une « didactisation » du savoir. Si par souci de sauvegarder la complexité ou l’état incertain
du savoir, l’enseignant ne pratique pas cette didactisation, l’étudiant ne parvient pas toujours
à trouver sa propre entrée dans l’étude.

2.2 Ce qui est important dans le savoir

Nous faisons l’hypothèse, à l’instar de E. Bautier et J.-Y. Rochex (1998, p. 277),


qu’un grand nombre de difficultés dans les études résident dans le rapport « d’évidence et
d’adhérence au langage, au monde et à l’expérience que l’on en a. »

Le langage est constitué de pratiques, mais ces pratiques sont implicites. Ce rapport au
langage « va de pair avec une représentation du savoir et de la théorie non comme problème
et comme produit d’une élaboration toujours partielle, mais comme expression, révélation ou
découverte d’un déjà là qui ne demanderait qu’à se dévoiler et à apparaître à un regard ou à
un esprit qui ne pourraient dès lors faire qu’y acquiescer. » (Bautier et Rochex, 1998, p. 278)

Ce rapport au langage peut bien souvent entraîner des résistances à reconnaître le


caractère construit du savoir, ou encore, à reconnaître les formes langagières, symboliques et
discursives qui le constituent.

Le langage, en tant que producteur de questions et de regards nouveaux sur le réel,


permet d’interroger et de reconsidérer de façon permanente notre représentation du monde.
Comme nous l’évoquions précédemment, c’est au travers de la forme textuelle du langage que
l’on peut penser le monde en dehors de la simple expérience familière. Le rapport au langage
devient alors un outil d’investigation de la réalité, un véritable outil de recherche.

Pour prendre un exemple caractéristique des monographies de notre recherche


précédente, un des enseignants d’un cours d’histoire de l’art se refuse catégoriquement à toute
présentation chronologique et encyclopédiste de cette discipline. L’enseignant tente de
montrer que les œuvres d’art n’existent qu’au travers de systèmes interprétatifs. Ce sont des
artefacts que nous voyons au travers d’une épaisseur historique. L’histoire de l’art est ainsi
présentée comme fondamentalement ouverte et non déterminée, ne reposant pas sur des
vérités absolues, ce qui peut déstabiliser certains élèves pour qui l’histoire est souvent
considérée comme une série d’enchaînements de faits préexistant au discours de l’historien
qui les décrit. L’histoire de l’art, telle que l’expose l’enseignant, devient en soi une
construction, et la forme textuelle, un outil qui interroge l’image de façon permanente.

On est bien, au regard de cet exemple, au cœur de la pratique de recherche. C’est ce


que nous avons appelé, dans notre étude précédente, « la pratique source » (Recherche
n°99/02). Ainsi, l’exigence que se donne l’enseignant d’aborder l’image au travers de grilles
de lectures multiples et ouvertes, de ne pas transformer cet enseignement en une accumulation
d’informations factuelles mais plutôt en une mise en perspective qui ouvre les débats autour
de certaines problématiques, fait intimement partie de cette « pratique source ».

Nous faisons l’hypothèse que cette approche du savoir ne va pas sans poser des
difficultés, d’autant plus qu’un certain nombre d’étudiants, en débutant des études
supérieures, sont dans l’attente d’une présentation d’un savoir qui fait davantage appel à leur
future pratique professionnelle (ce que nous appelons « la pratique cible »). Focalisés sur les

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exigences de leur futur métier, ils ne prisent dès lors guère les parties du cours qui ne s’y
rattachent pas explicitement. Ils supportent alors mal l’exposé d’un savoir instable dans la
mesure où des résultats exploitables, en lien direct avec leur future profession, ne sont pas
présentés.

Enfin, des difficultés peuvent encore se révéler fréquemment, dans la forme même du
langage et plus précisément du langage écrit qu’utilisent ces mêmes étudiants. Beaucoup
d’entre eux, bien souvent, témoignent d’une tendance à se réfugier dans un mode d’exposition
descriptif « comme s’ils transcrivaient la vérité, ce qui dénote de leur part, un rapport au
savoir naïf, très éloigné du travail de construction caractéristique du discours scientifique. »
M.-C. Pollet (2001, p.68). Ce rapport à l’écrit témoigne d’une conception épistémologique qui
traduit une certaine conception fixiste du savoir.

Cette conception et ce rapport au langage peuvent devenir un réel obstacle dans


l’enseignement supérieur. Le contrat de communication que l’on retrouve dans cet
enseignement est très éloigné de ce que connaissent les étudiants, habitués dans
l’enseignement secondaire, à une relation plus exclusivement didactique et dans laquelle le
savoir est présenté comme un « déjà là », stable, ne demandant plus qu’à être mémorisé. Or, la
façon dont s’articule les propos tenus dans les discours de l’enseignement supérieur sont pour
la plupart du temps à caractère scientifique et se composent d’un jeu d’alternance entre le
didactique, l’explicatif, la démonstration, tout en passant par le débat contradictoire. Ces
variations étant pour la plupart du temps implicites, les étudiants doivent pouvoir se repérer
dans ces différentes formes discursives. De plus, l’étudiant est aussi fréquemment invité à
interroger ces discours par une pratique réflexive en lisant des ouvrages et articles extérieurs
au contenu strict du cours.

De ce qui précède, nous pouvons dire que les difficultés rencontrées par les étudiants
ne sont pas uniquement d’ordre linguistique, puisque ce dernier aspect est aussi, en grande
partie, indissociable de leurs conceptions épistémologiques et donc du rapport qu’ils
entretiennent avec le savoir.

2.3 Le contrat didactique

La notion de « contrat » suggère le caractère explicite de la mise en place d’une


situation mettant en jeu différentes personnes. Un contrat est signé délibérément par
différentes parties. Dans le contrat didactique, se noue ainsi une relation qui détermine ce que
chaque partenaire, l’enseignant et l’enseigné, aura la responsabilité de gérer et dont il sera
d’une manière ou d’une autre, responsable devant l’autre. Il devrait donc se construire entre
enseignant et enseigné une série d’attentes plus ou moins réciproques qui entraîneront et
légitimeront certains comportements (Recherche n°99/02).

Mais dans la relation pédagogique enseignant/étudiant, nous remarquons que le terme


de « contrat » pose problème : en effet, le présent contrat ne peut être totalement explicite que
si l’enseignant détaille exactement les résultats qu’il attend de l’étudiant lors de son
évaluation. Non seulement, ce n’est pas réaliste, mais ce n’est sans doute pas souhaitable. Par
ailleurs, personne ne connaît les moyens infaillibles qui garantiraient l’appropriation par
l’étudiant des connaissances visées.

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Comme le souligne Brousseau (1998, p.68), « un contrat de ce genre, totalement
explicite, est voué à l’échec ». C’est donc plus dans le processus de recherche de l’ajustement
d’un contrat hypothétique que doit être définie la relation didactique.

Ainsi, la satisfaction des termes du contrat par les contractants (enseignant/étudiants)


se trouve dès le départ compromise : par le fait même que le discours de l’enseignant
s’organise en texte, l’étudiant ne peut répondre aux questions qui lui sont posées que s’il a été
un lecteur compétent, c’est-à-dire s’il a été capable d’en reconstruire les implicites. Cette
opération ne se réalisera que s’il a pu entrer dans le régime des règles qui régissent ce texte et
qui font que les énoncés y prennent sens de leurs relations mutuelles.

De plus, la référence à la pratique de recherche conduit les enseignants à demander


aux étudiants d’entrer dans une démarche qui va bien souvent au delà de ce qui est enseigné.
Ceci réclame de la part des étudiants d’approfondir et de penser par eux-mêmes certaines
problématiques soulevées par le cours.

Dès lors, les attentes de l’enseignant peuvent être perçues comme opaques et
impliquent des malentendus lors de l’évaluation.

2.4 La relation identitaire et affective au savoir

Comme nous l’avons déjà évoqué, le langage peut se présenter sous une pluralité de
registres d’énonciation. Les formes textuelles utilisées peuvent faire état de différentes
« postures » qu’entretient le sujet avec le savoir : le « moi-je » de l’expérience vécue, celui du
récit, celui qui analyse et argumente, etc. Nous avons fait l’hypothèse que les étudiants en
difficulté peuvent avoir du mal à passer aisément d’un registre à l’autre, ou pire, peuvent avoir
tendance, à privilégier le registre langagier du « moi-je » de l’expérience familière et
subjective. Comme nous l’avons vu, cet aspect est lié bien souvent à des raisons cognitivo-
langagière et épistémologique, mais elles peuvent aussi être liées à des aspects d’ordre plus
subjectif et identitaire. Le langage est alors perçu comme expression de soi et de sa
personnalité. Comme le souligne Bautier et Rochex (1998, p. 287) le langage est perçu
« comme étant le fait d’une ‘nature’ ou d’un processus de ‘maturation’, et non comme étant le
produit d’une construction et d’une histoire toujours inachevées qui requièrent engagement et
transformation de soi. »

Tel est le cas d’étudiants qui sont pris dans une logique d’affirmation de soi ou d’une
« crispation identitaire » qui se manifeste par la revendication ou l’opposition. La relation au
savoir devient alors dépendante des convictions, des ambitions du sujet.

Tel est encore le cas d’étudiants qui doutent de leur identité pour prendre le risque du
retour sur soi et du changement que cela suppose. Il y a dans ce cas évitement de la
confrontation à l’altérité et repli sur soi. Ces aspects sous-tendent la quête de la stabilité
identitaire et de la certitude. « L’identité n’est pas seulement exprimée dans le rapport au
savoir, elle y est aussi en jeu ; être confronté à un apprentissage, à un savoir, à l’école c’est y
engager son identité et la mettre à l’épreuve, » (Charlot, Bautier, Rochex, 1992, p. 30)

Par ailleurs, le savoir peut être perçu dans sa seule dimension affective et fait de celle-
ci la condition de l’apprentissage. Ce qui relève du registre de l’apprendre ne peut pas être
dissocié de ce qui relève de la sociabilité et de la relation à l’autre, amicale ou familière. La

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relation au savoir peut être ainsi vécue par l’étudiant comme relation à l’enseignant, sur le
mode de l’affectivité. « Il y a ainsi dérive relationnelle du rapport au savoir de l’étudiant »
(Rey, 1999). Le savoir ne peut alors plus être pensé dans une logique d’ouverture au monde. Il
est davantage lié à la reconnaissance d’autrui plutôt qu’à un processus de régulation de soi par
l’élaboration et la transformation de soi ; ces dernières impliquent d’être confronté à l’altérité
sociale et aux nouvelles exigences relationnelles auxquelles certains étudiants peuvent avoir
des difficultés à adhérer à la sortie de l’enseignement secondaire.

Enfin, l’apprentissage peut également ne pas être perçu comme un « savoir-objet ».


Nous entendons par « savoir-objet », un savoir considéré comme un objet intellectuel, le
référent d’un contenu de pensée. Or, pour certains étudiants, le savoir est plutôt envisagé
comme la maîtrise d’un objet relationnel, ou encore, l’apprentissage de conduites
relationnelles : apprendre à comprendre les gens, apprendre la confiance en soi, apprendre à
trouver la bonne distance entre soi et les autres, etc. Ce type de relation au savoir se retrouve
bien souvent dans certaines orientations d’études en sciences humaines.

2.5 Les difficultés liées aux attitudes d’études

Sous le vocable « étude », se regroupent des activités variées : l’assistance et les


activités de l’étudiant au cours, les diverses activités qu’il mène en dehors du local de cours
et, en particulier, la recherche d’informations complémentaires, ses démarches concrètes pour
apprendre.

Lorsque l’on interroge les étudiants à propos de leurs pratiques d’étude, de la façon
dont ceux-ci se mobilisent, leurs réponses conduisent à l’hypothèse qu’elles sont liées à une
certaine conception du savoir. Cette conception peut donc avoir un impact sur la réussite.

Par ailleurs, puisque le discours de l’enseignement supérieur se présente bien souvent


comme un texte, ce dernier comporte inévitablement de l’implicite. Comme dit Umberto Eco,
un texte est une « machine paresseuse ». Le lecteur (en l’occurrence l’étudiant) doit donc
mettre du sien pour la faire fonctionner ; il doit reconstituer l’implicite.

Ces observations et hypothèses corroborent celles de Frickey et Primon (2003). Les


étudiants qui effectuent un travail de restructuration, de remise en ordre logique du cours –
des synthèses, des réécritures, des schématisations, un enrichissement par des recherches
complémentaires, etc. - satisfont plus fréquemment aux examens que ceux qui se contentent
d’étudier directement leurs notes ou le syllabus, sans un réel travail de réappropriation.

3. METHODOLOGIE

La présente recherche, nous l’avons déjà évoqué, s’articule avec celle que nous avions
réalisée en 2002-2003 intitulée : “Etude épistémologique, didactique et textuelle des savoirs
enseignés à l’Université et dans les Hautes Ecoles” (2003). L’approche descriptive de cette
étude, rédigée sous forme de monographies pour un échantillon de cours, devait s’enrichir
cette fois d’une description de la forme du rapport au savoir des étudiants. Nous avons limité
ce nouvel examen des enseignements déjà observés à six cours de première année de

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l’enseignement supérieur, soit deux cours pour chacune des trois disciplines – psychologie,
histoire de l’art, physique(électricité) - , l’un dispensé en Haute Ecole, l’autre à l’Université.

Deux types de démarche d’investigation ont été menées successivement, l’une :


exploratoire et qualitative, l’autre : confirmative et quantitative

3.1. Démarche exploratoire et qualitative (2003-2004)

L’objectif étant d’explorer le rapport au savoir des étudiants des différents cours
retenus, plusieurs entretiens semi-directifs, avec chacun des étudiants d’un échantillon
déterminé pour chaque cours, étaient requis. Trois étudiants pour chaque cours considéré,
évalués comme « moyens-faibles » au regard des notes obtenues en fin de premier
quadrimestre, ont ainsi été rencontrés trois fois.

Un premier entretien a tenté de cerner, en approche globale, le rapport au savoir de


l’étudiant, en ce compris une perspective « biographique ».

Les deuxième et troisième entretiens ont abordé davantage les difficultés liées au cours
considéré et à son étude.

Le troisième entretien s’est déroulé après les examens et a été axé plus
systématiquement sur la manière dont les étudiants avaient anticipé l’étude en vue de
l’examen et comment ils avaient réagi à l’épreuve. Ce troisième entretien a été mené de façon
collective avec plusieurs étudiants (deux ou trois) fréquentant le même cours

Enfin, une autre prise d’information a été réalisée au travers d’un écrit demandé à
chaque étudiant : un « bilan de savoir », tel que l’ont pratiqué Bauthier et Rochex (1998) avec
des étudiants de l’enseignement secondaire en France. Il a ainsi été proposé aux étudiants de
rédiger un court texte visant à répondre aux deux questions suivantes :
- « Apprendre, c’est… »
- « Depuis que vous êtes né, qu’est-ce que vous avez appris, qu’est-ce qui est important
pour vous ? »
Aucune autre recommandation n’avait été formulée, et aucune précision n’avait été fournie
même en cas de demande, afin de n’influencer l’étudiant ni sur la manière d’aborder les
réponses aux questions liées, ni sur la manière de les rédiger.

3.2. Démarche confirmative et quantitative (2004-2005)

Puisqu’il s’agissait dans un second temps, de tenter de valider les difficultés mises en
évidence lors d’entretiens auprès d’une plus large population d’étudiants, la formule du
questionnaire était indiquée.

Toutefois, nous ne pouvons affirmer que notre échantillon ait toujours été parfaitement
représentatif des étudiants inscrits aux cours ; seuls les étudiants présents au cours où nous
nous sommes rendus, ont en effet pu être sollicités. Et, dans le cas de certains cours,
notamment à l’université, le profil des étudiants qui assistent avec régularité au cours est
spécifique.

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Ce questionnaire comportait quelques questions visant à repérer le profil général des
étudiants de notre échantillons (leur âge, leurs études secondaires, le niveau d’études des
parents) ainsi qu’une cinquantaine de questions relatives aux cinq dimensions décrites au
point (2) ci-dessus :

- le sens des concepts et des énoncés,


- ce qui est important dans le savoir,
- la relation identitaire et affective au savoir,
- le contrat didactique,
- les attitudes d’étude.

Si ces différents aspects visaient les mêmes objets d’analyse, tant en histoire de l’art,
en physique et en psychologie, la rédaction de certaines questions pouvait varier selon le
champ disciplinaire.

Le questionnaire était composé de questions de formes différentes :

- des items par rapport auxquels les étudiants sont invités à émettre un degré d’accord
(« Pas du tout d’accord », « Pas d’accord », « Plutôt d’accord » et « Tout à fait
d’accord »),
- des items que les étudiants sont invités à classer par ordre d’importance,
- des questions ouvertes.

Pour les cours d’histoire de l’art et de psychologie, les questions ouvertes étaient les
suivantes :

1) Racontez un événement significatif de votre vécu d’étudiant dans ce cours.


2) Comment décririez-vous ce cours à un étudiant débutant ?

Pour les cours de physique, les questions étaient formulées ainsi :

1) Comment décririez-vous ce cours à un étudiant débutant ?


2) Racontez brièvement une circonstance qui vous a permis, à un moment donné du
cours, de bien comprendre ce que le professeur était en train d’enseigner.

Traitement et analyse des questions fermées

L’analyse du questionnaire s’est déroulée en deux temps.

Dans un premier temps, une analyse globale des réponses des étudiants aux items a
permis de dégager les fréquences de réponses des étudiants et ce, pour chaque item.

Dans un second temps, nous avons souhaité affiner ces résultats en croisant les
données à l’aide de différents outils statistiques que nous allons brièvement décrire. Notons
que l’utilisation des outils s’est diversifiée en fonction des hypothèses que nous voulions
mettre à l’épreuve pour chacune des disciplines étudiées.

Un regroupement d’items a précédé les calculs de corrélations entre différentes séries


de résultats, et l’examen de tableaux de contingence. Dans certains cas, le programme SPSS a

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permis de réaliser une typologie. Dans d’autre, il a fallu la construire et l’analyser « au cas par
cas

Traitement et analyse des questions ouvertes

L’intérêt des questions ouvertes réside dans le fait que les sujets ne se prononcent pas
sur des affirmations imposées par le questionnaire, mais choisissent eux-mêmes les remarques
qu’ils entendent formuler. Ce qui émerge donc, ce sont les aspects (positifs ou négatifs) du
cours tels qu’ils apparaissent spontanément aux étudiants.

Cette caractéristique des questions ouvertes est renforcée ici par le fait que nous avions
choisi des questions qui n’orientaient en aucune manière l’attention vers une dimension
particulière du cours. La question « Comment décririez-vous ce cours à un étudiant
débutant ? » invitait en effet à prendre une posture de description extérieure du cours, sans
exclure le jugement de valeur. L’autre question posée, que ce soit pour les cours d’histoire de
l’art et de psychologie ou pour les cours de physique invitait à l’évocation d’une circonstance
plus ponctuelle, quoique significative.

Pour ce qui est du traitement des réponses, nous avons repéré et noté les thèmes qui
apparaissaient dans les réponses aux deux questions. Cette première phase permettait
d’obtenir, pour les étudiants d’un cours donné, une liste de thèmes. Bien entendu, chaque
thème apparaît avec une formulation différente chez les différents étudiants qui l’expriment. Il
est de la responsabilité du chercheur de décider que différentes formulations renvoient bien à
un même thème. Mais cette décision est contrôlée au cours d’une deuxième phase qui donne
lieu à une relecture de l’ensemble des réponses et qui permet un reformatage des thèmes
exprimés.

Ce travail achevé, il a été possible de dénombrer les occurrences de chaque thème.

4. RESULTATS

Rapport au savoir et difficultes d’apprentissage

Que nous apprend l’analyse des résultats recueillis sous forme d’entretiens et de
réponses fournies par les étudiants à nos questionnaires ? Les différentes dimensions retenues
rendent-elles bien compte de certaines difficultés que peuvent rencontrer les étudiants dans
l’appropriation des savoirs ?

Quelques formulations particulièrement significatives rencontrées dans les réponses


des étudiants, données entre guillemets et en italiques illustrent chaque point; l’orthographe et
la ponctuation des écrits des étudiants ont été conservées.

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4.1. Les dimensions du rapport au savoir révélatrices de difficultés d’apprentissage

1. L’accession au sens

Concernant cette dimension, il se dégage de nos analyses un premier constat. Pour


l’ensemble des cours investigués, tant en Haute Ecole qu’à l’Université, nous remarquons, au
travers de notre étude quantitative, qu’une majorité d’étudiants semble accepter le caractère
inéluctable du temps d’apprentissage, celui-ci ne se réalisant pas nécessairement de façon
immédiate. Cette temporalité est ressentie tant dans la progression de leur intérêt pour le cours
que dans la maîtrise de la matière. Ils acceptent donc, pour la plupart, que l’entrée dans la
signification se réalise progressivement. Les déclarations lors des entretiens vont globalement
dans le même sens. Toutefois, pour certains étudiants interrogés, cette question du temps de
l’apprentissage est évoquée avec quelques inquiétudes : « Beaucoup de questions restent sans
réponse », dira une étudiante. « J’ai parfois des difficultés de savoir où il [le professeur] veut
en venir », dira une autre. D’autres utilisent des expressions telles que « abstrait »,
« théorique », «complexe ».
La complexité du vocabulaire utilisé par l’enseignant est également évoquée dans les réponses
fournies au questionnaire. Ceci pourrait s’interpréter comme le signe d’une difficulté liée à la
« signification », au sens où nous l’utilisons dans cette recherche, c’est-à-dire au fait que les
termes techniques du savoir ne renvoient pas à des réalités extérieures directement visibles,
mais tirent leur sens de leurs relations mutuelles.

Par ailleurs, les étudiants qui ne semblent pas s’inquiéter de ne pas toujours
comprendre tous les propos de l’enseignant ne paraissent percevoir cet obstacle que lors du
moment de leur réelle implication dans l’étude, à l’approche de l’évaluation. Si cet aspect
nous est apparu de façon récurrente lors des entretiens, il n’a pas pu être validé lors de la
passation du questionnaire, ce dernier s’étant déroulé au milieu du premier ou du second
quadrimestre. Nous reviendrons sur cet aspect au moment d’évoquer les difficultés liées au
contrat didactique.

Un deuxième constat est celui d’une demande de désignation. Pour un nombre


important d’étudiants, l’entrée dans la signification ne signifie pas pour autant qu’ils ne
ressentent pas le besoin de se raccrocher à la désignation pour donner du sens aux notions
qu’ils découvrent. Autrement dit, pour comprendre une notion, ils ont besoin de la concrétiser,
de l’exemplifier. Dans les cours de psychologie, les étudiants affectionnent particulièrement
les descriptions d’expériences vécues, les références possibles au vécu personnel. Pour le
cours d’histoire de l’art, si le discours de l’enseignant ne s’accompagne pas d’illustrations,
celui-ci est déclaré de « trop théorique ». La construction d’une trame factuelle pour y inscrire
des mouvements artistiques est particulièrement appréciée. Pour le cours de physique, si la
majorité des étudiants estiment les démonstrations mathématiques comme indispensables,
celles-ci sont jugées insuffisantes pour la compréhension générale des cours. En revanche,
l’application de formules dans les séances d’exercices semble particulièrement prisée par les
étudiants.

Notons, encore, que c’est parmi les étudiants les plus insécurisés quand ils ne
comprennent pas immédiatement le sens d’une notion, que nous retrouvons aussi les étudiants
les plus en demande d’un savoir contextualisé et approché par un langage familier.

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2. Ce qui est important dans le savoir

L’analyse quantitative des réponses aux questions fermées pour les cours d’histoire de
l’art et de psychologie, indique qu’une large majorité d’étudiants, tant à l’Université qu’en
Haute Ecole, manifeste un intérêt pour la validation du savoir en acceptant son caractère
construit et son instabilité. La plupart des étudiants admettent ainsi les raisonnements, la
multiplicité des interprétations, consentent à la révision des notions vues au cours si de
nouvelles théories surviennent. Ces trois acquiescements ont trait à ce que nous avons appelé
la pratique source du savoir. Certaines réponses aux questions ouvertes, parmi les étudiants du
cours de psychologie à l’Université, souligne l’importance de l’influence de cette pratique de
recherche et insiste sur le caractère scientifique du cours. « Il faut se placer dans la situation
du chercheur que nous serons peut-être plus tard », précise une des étudiantes.

Nous observons également, que plus les étudiants sont engagés dans la signification,
plus ils semblent accorder une priorité aux raisonnements et aux débats contradictoires. Ainsi,
tant pour les cours de la Haute Ecole que pour ceux de l’Université, c’est parmi les étudiants
qui déclarent trouver, avec le temps, un intérêt croissant pour le cours que nous rencontrons
aussi ceux qui accordent le plus d’importance à la problématisation de la matière.

Concernant les cours de physique, nous n’avons pas pu dégager de telles conclusions :
si ceux-ci présentent bien entendu un caractère scientifique, ces cours de première année d’un
enseignement supérieur, se prêtent plus difficilement à ce type de débats propre à la pratique
source du savoir.

Par ailleurs, si la pratique source est, jusqu’à un certain point, considérée avec intérêt,
par une majorité des étudiants des cours d’histoire de l’art et de psychologie, ceux-ci
accordent également de l’importance à un savoir qui prend en compte leur future profession et
les facettes multiples de l’identité qui s’y rattachent. Cette prise en compte devient quasi
omniprésente parmi les étudiants du cours de physique de la Haute école, au point de pervertir
la saisie réelle de la physique pour ne la considérer que comme un outil d’utilité immédiate.
Ceci marque donc globalement et de façon générale une orientation importante vers la
pratique cible.

3. Le rapport identitaire et affectif au savoir

Nous observons, dans l’analyse des réponses relatives aux cours d’histoire de l’art et
de psychologie, que dans les nouvelles études que les étudiants viennent d’entreprendre, une
large majorité d’entre eux reconnaît avoir changé leur regard sur le savoir en général, ainsi
que sur la discipline concernée de façon spécifique. « Ce cours m’aide à me dégager des
stéréotypes et des effets de mode », dira une étudiante interrogée à propos d’un cours
d’histoire de l’art. « Cela m’a donné un autre éclairage sur l’histoire de l’art, une autre façon
d’aborder l’histoire autrement que de façon scolaire comme dans le secondaire », dira une
autre étudiante. Ou encore : « Le cours de psychologie expérimentale n’est pas de la
psychologie au sens commun (…) » écrira une étudiante en réponse à une question ouverte.
Pour ce cours de psychologie, les réponses aux questions ouvertes traduisent massivement
cette dernière constatation.

Il semblerait donc qu’un grand nombre d’étudiants paraissent sensibles aux


modifications de la manière de voir et à la transformation même de la personne.

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En revanche, il semblerait que les étudiants soient nettement moins conscients des
changements qui se seraient opérés en eux et ayant une incidence sur le plan relationnel. En
effet, si globalement la moitié des étudiants des cours de histoire de l’art et de psychologie
affirme se positionner différemment face à leur famille et leurs amis depuis leur entrée à
l’université, l’autre moitié rejette ce changement. Par ailleurs, aucune réponse aux questions
ouvertes n’a abordé ce sujet.

Un autre aspect de la question concerne le sentiment arbitraire du savoir. Pour le cours


de psychologie de la Haute Ecole, les étudiants semblent avoir des difficultés à se départir de
leurs convictions : « J’ai vu que le prof n’a pas la vérité absolue (…) », « (…) chacun peut
donner son opinion, rien n’est faux, rien n’est vrai ». Notons que ces expressions peuvent
laisser entendre une dérive relativiste de la psychologie qui pourrait s’avérer dangereuse,
notamment lors de l’examen. En effet, si l’enseignant pose une question, il attend une réponse
bien précise et pas celle à laquelle l’étudiant adhère ou celle qu’il juge, sur base de ses propres
expériences, la plus correcte.

De façon encore plus accrue, nombreux sont les étudiants des cours d’histoire de l’art
qui jugent les propos de l’enseignant comme arbitraires : la façon dont l’enseignant leur parle
de l’art relève de son opinion personnelle. Ainsi un grand nombre de ces étudiants
n’admettent pas que l’apprentissage d’un savoir exige de se départir de ses convictions (« Je
ne suis pas d’accord avec cette vision là de la vie, de la société… Je ne partage pas et je ne
comprends pas, c’est lié », dira une étudiante.

Dans une même perspective, si la notion de « goût » peut particulièrement être


présente dans le champ artistique et pervertir la saisie du savoir, nous observons que près de la
moitié des étudiants semble intrinsèquement lié l’art et le jugement de goût. S’ils ne
paraissent pas privilégier l’objectivation du savoir, cet aspect semble intrinsèquement lié à
leur réticence par rapport à certains objets du savoir tel l’art du 20 ème siècle.

Concernant encore le regard des étudiants sur les enseignants, pour le cours de
psychologie de la Haute Ecole, les étudiants se sont globalement montrer très satisfaits de la
personnalité de l’enseignant et de l’ambiance générale des cours, ces aspects étant même
perçus comme des éléments motivant et facilitant la compréhension de notions plus ardues.
Pour les autres cours, la personnalité des enseignants ne semble pas avoir d’incidence
déterminante sur la façon dont les étudiants perçoivent la matière, Si certains étudiants
manifestent leur désaccord avec certaines attitudes, cela n’a pas nécessairement un effet sur
leur saisie du contenu (« Le cours en lui-même est intéressant, mais pas les menaces »). De la
même façon, beaucoup d’étudiants font des remarques négatives sur la personnalité des
professeurs, sans que cela n’affecte leur intérêt pour la matière : le rapport au savoir enseigné
et le rapport à celui qui en est porteur, semblent être distincts.

4. Les attitudes d’études

Si plus de la moitié des étudiants, pour l’ensemble des cours investigués, déclare
travailler régulièrement durant l’année, nous constatons, toutefois, lors des entretiens avec les
étudiants jugés « moyen faible », que ces derniers ne travaillent leurs cours qu’à l’approche
des examens.

Par ailleurs, une majorité d’étudiants, pour les cours d’histoire de l’art et de
psychologie, trouve important, lors de l’étude, de relier les idées relevant d’un sujet à d’autres

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idées appartenant à d’autres domaines. Toutefois, de façon quelque peu paradoxale, ces
mêmes étudiants déclarent aussi préférer étudier chaque partie du cours dans l’ordre, en les
traitant une à la fois.

Concernant le cours de physique, tant en Haute Ecole qu’à l’Université, les étudiants
déclarent commencer l’étude de l’examen par un résumé. Cette manière d’étudier interpelle.
Comme les cours suivent un enchaînement rigoureusement logique, on voit mal comment
supprimer certaines étapes – ce que suppose un résumé – sans ôter les maillons de la chaîne
du raisonnement.

5. Le contrat didactique

Pour tous les cours analysés dans cette recherche, le problème de la clarté du contrat
didactique se pose. Si au cours de l’année, aucune difficulté spécifique quant à cet aspect ne
semble se révéler, en revanche, il en va tout autrement lors de l’évaluation.

Quand les cours se présentent comme clairement structurés (tels les cours d’histoire de
l’art de l’Université et le cours de psychologie de la Haute Ecole), et si la forme de
l’évaluation est formulée de façon explicite, les étudiants sont toutefois mis en difficulté lors
de l’étude à l’approche des examens. De fait, la compréhension de certains concepts et la
mémorisation d’une terminologie perçue comme abondante, ne leur apparaît qu’à ce moment.
Les étudiants vivent alors ce contraste entre contexte « agréable » du cours et exigence à
l’évaluation comme une sorte de piège.

De façon quelque peu inverse, quand le cours présente une réflexion complexe sur les
aspects conceptuels de l’art occidental (tel le cours d’histoire de l’art de la Haute Ecole), les
étudiants qui privilégie dès lors une stratégie d’étude en fonction de la forte problématisation
du cours se voient surpris quand l’examen ne porte que sur de la restitution.

Ou encore, quand le cours de physique de la Haute Ecole tend à faire l’impasse sur les
démonstrations mathématiques pour privilégier les séances d’exercice, les étudiants espèrent
une similarité entre ces exercices posés lors des séminaires et les questions posées à
l’évaluation. C’est alors qu’ils se voient confrontés lors des examens, à une rupture du contrat
didactique, du moins au regard de celui qu’ils avaient imaginé. Ceci étant dû à une mauvaise
saisie de la trilogie « cours théoriques, séances d’exercices, laboratoires ».

Pour cité encore un dernier exemple, de façon inverse à l’exemple précédent, quant le
cours de physique de l’Université tente à faire l’impasse sur les interprétations physiques des
phénomènes étudiés mettant davantage l’accent sur la déduction mathématique, les étudiants
ont des difficultés à sortir de cette représentation mathématique du savoir et à visualiser
physiquement la situation décrite par les énoncés de l’examen.

Notons encore que ces exemples se sont révélés essentiellement lors des entretiens
avec les étudiants.

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4.2. La relation entre l’origine socioculturelle et le rapport au savoir des
Étudiants

Enfin, l’autre interrogation initiale portait sur l’impact que pouvait avoir l’origine
socioculturelle sur le rapport au savoir des étudiants. Il a été demandé aux étudiants de
mentionner le niveau d’étude de chacun de leurs parents. Les multiples vérifications de
corrélations entre cette dimension et les divers types de difficultés envisagés, n’ont pas permis
de dégager des relations probantes. Une exception est cependant apparue au travers des
réponses aux questions ouvertes, pour le cours de psychologie en Haute Ecole et pour un
nombre restreint d’étudiants. Sans vouloir tirer une règle générale d’un constat établi sur un
faible échantillon, il semble bien que, pour cette cours-ci, le bas niveau d’études des parents
prédispose plutôt à être sensible à l’aspect relationnel du cours, tandis que le haut niveau
d’études prédisposerait à être sensible au contenu du cours.

Deux explications liées peuvent être avancées quant à cette absence de relation ou faible
relation entre milieu d’origine et difficultés particulières. Les étudiants dont le niveau d’étude
des parents est bas sont sous-représentés dans l’enseignement supérieur, quand bien même
cette sous-représentation n’est pas égale selon les échantillons des cours étudiés. L’autre
explication serait que les étudiants potentiellement défavorisés présents dans les cours
investigués ont eu un parcours personnel qui leur a permis, antérieurement, de surmonter les
difficultés d’étude. Les difficultés qu’ils peuvent rencontrer en première année du supérieur,
ne se distingueraient pas de celles des autres étudiants.

Les difficultés éprouvées, on l’a vu, s’avèrent très différentes selon les étudiants : la
manière dont ils réagissent aux formes du savoir enseigné varie de l’un à l’autre. Cela
conforte l’hypothèse du caractère singulier du rapport au savoir.

5. PROPOSITIONS POUR LES ENSEIGNANTS DU SUPERIEUR

La démarche générale proposée

A l’issue des travaux rapportés ci-dessus, il est apparu opportun de produire un dossier de
documents à destination des enseignants du supérieur.

Ce public cible est double : les enseignants du supérieur qui s’interrogent sur leurs pratiques,
qu’ils soient ou non engagés dans une préparation pédagogique, et les personnes chargées de
leur accompagnement ou de l’initiation pédagogique des ces enseignants. Dans ce dernier cas
il peut s’agir des responsables de cours du Certificat d’Aptitude Pédagogique Approprié à
l’Enseignement Supérieur (CAPAES), et des enseignants qui accompagnent leurs nouveaux
collègues des Hautes Ecoles, ou encore des conseillers pédagogiques dont les universités,
facultés ou Hautes Ecoles sont amenées à se doter.

Trois axes ont présidé à la production de ces documents :

- promouvoir une analyse de ce qui est singulier, spécifique, à un cours dans une
discipline donnée ;
- prendre en compte la complexité propre aux situations des enseignements ;
- inciter à comprendre l’impact du rapport au savoir des étudiants sur leur pratique
d’apprentissage.

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Fort peu de prescriptions universelles sont permises, car tant les pratiques des enseignants que
celles des étudiants sont le résultat d’interactions nombreuses. Aussi, les documents produits
ne fournissent-ils pas de recettes, mais plutôt des guides de réflexion pour permettre à
l’enseignant d’examiner les contraintes auxquelles il est soumis, ses propres exigences, les
types de difficultés à anticiper chez les étudiants.

Les documents2

Chaque document du dossier a été conçu pour pouvoir être exploité séparément, même s’il
peut renvoyer aux autres. Les modes d’exploitation sont multiples : lecture de réflexion ou
point de départ d’autres activités personnelles (prise d’information, questionnement, voire
investigation sur ses propres pratiques), ou en groupe (échanges, analyse d’autres cas, …).

La première version de dossier pourra être réajustée à la lumière de son exploitation avec des
enseignants. Il est conçu comme ouvert : d’autres documents pourront être élaborés en
fonction des besoins susceptibles d’être perçus.

La première version (2005) du dossier comprend les documents suivants :


• Les cours dans l’enseignement supérieur ou universitaire. Quelques concepts pour saisir
leur spécificité
• Les champs de contraintes du savoir enseigné dans le supérieur
• Quelques facettes des difficultés d’apprentissage des étudiants. (« On connaît la
chanson » ?)
• De la pratique de l’enseignant à celle de l’étudiant. (Un malentendu ... Cas d’un cours de
physique en Haute Ecole)
• Enseignement supérieur et difficultés d’apprentissage des étudiants : sélection de
références.

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BEILLEROT J., BLANCHART-LAVILLE C., MOSCONI N., 1996. Pour une clinique du
rapport au savoir. Paris, L’Harmattan.

2
Les différents documents du dossier sont accessibles sur le site http://www.enseignement.be, espace
« Professionnels ».

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du rapport au savoir. Paris, L’Harmattan.

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